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Tirer les leçons d'un mouvement révolutionnaire quel qu’il soit présente des tas de difficultés. On aurait facilement tendance à sombrer dans la louange, à chanter la vertu des morts et leur œuvre, à faire des promenades "centenaire de la Commune", comme le font par exemple tous ceux qui vénèrent celui qui écrasa les prolétaires insurgés à Cronstadt. L’esprit religieux qui anime ces gens-là les poussent à idolâtrer non pas n’importe quoi, mais tout ce qui peut leur amener un peu de publicité; la loi du profit, en somme.
Ils veulent créer le parti révolutionnaire, centralisé et tout, et donc à la suite de leur maitre, quelle leçon tirent-ils de la Commune ?
Il n'y avait pas de parti centralisé, c’est bien pour ça qu’il lui est arrivé du malheur. Il suffit de lire la préface de Léon Trotsky
"les leçons de La Commune"[1](1) écrite en l921 pour s’en rendre compte : l'analyse historique compte peu, c’est par tous les moyens trouver dans le passé la justification des thèses que l’on défend dans le présent qui est important. Aussi Trotsky ne voit-il rien de bon dans les événements de la Commune. Dans tout ce que Marx y trouve de positif, au point d’en modifier le manifeste Communiste, Trotsky, soucieux de prouver que l’important c’est le Parti, ne voit que les échecs, les "erreurs", les faiblesses, et la SEULE leçon qu’il tire de l'histoire de la Commune, "c’est qu’il faut une forte direction du Parti".
Cette "méthode" d’analyse, qui consiste à expliquer l’histoire par la tangente, est propre à tous les idéologues de toutes les religions. Ayant découvert ou expérimenté "la vérité", "la solution", on fait fi de l'évolution historique, de la dialectique, pour justifier ses positions et son travail militant par la refonte de l’histoire : « si la Commune avait eu un Parti, etc…" On explique toutes les faiblesses dues à l’immaturité de la classe ouvrière et aux conditions économiques du siècle passé par le remède, la panacée, ce qui fait que nous sommes beaux et que nous avons raison de faire n’importe quoi, n'importe quand, et n’importe où, le Parti centralisé et organisateur et tout ça, dont nous sommes les constructeurs. Pour un peu ils diraient "si on avait été là" ces incroyables. Ils ne se rendent pas compte.
Cette histoire du Parti fait couler beaucoup d'encre. Après la version trotskyste-léniniste "tout dans le Parti, rien dans la classe" (ou plutôt les masses comme ils disent, puisque tout ce qui caractérise la classe tout ce qu'il y a de "bon" en elle se trouve concentré dans le ·Parti), la version des "conseillisto-anarcho-spontnaéistes" simplifie tout. Tout dans la classe, et le parti c’est la classe. Et réciproquement. Ainsi, la Commune se trouve sublimisée, l’exemple même d’une révolution prolétarienne, bien différente en cela de la Révolution -puis- bolchévique, qui elle est bourgeoise du fait de l’existence d’un parti distinct.
Ces deux points de vue sur la Commune de Paris et sur la révolution russe de 1917, pour opposés qu'ils soient, n’en sont pas moins sujets à la même erreur : ne regarder qu’une face du mouvement ouvrier. Trotsky voit la réussite de la révolution prolétarienne, déterminée par la forte direction du Parti ; celui-ci étant, en fin de comptes, indispensable, le mouvement, l’énergie, la Puissance, la force théorique et pratique de la classe ouvrière Comptent peu. Les "ultra-spontanéistes" voient la révolution dans ce qui échappe aux Trotskystes le prolétariat agissant, et à la lumière du 1917 Russe jettent tout le mal sur cette organisation du parti bolchévique et par extension à toute organisation de révolutionnaires.
Pour justifier l’emploi du terme "Parti" par Marx et les complications d’une réfutation, l'assimilation parti-classe s’impose.
Ainsi nous voyons d’un côté les trotskystes assimiler la classe au parti, et de l’autre, les "hyper-gauchistes" assimiler le parti à la classe. Il est clair que ces deux tendances sont très proches et même se rejoignent, en cela qu’elles expriment toutes deux un refus total de voir le mouvement révolutionnaire dans son ensemble. Il est incontestable que la classe ouvrière est appelée à faire la révolution sociale, qu’elle est appelée à prendre le pouvoir elle-même ses organisations propres groupant l’ensemble des prolétaires. Les organisations de révolutionnaires, les partis sont les organisations des éléments les plus avancés du prolétariat s’organisant sur des bases politiques claires, en vue de propager les idées révolutionnaires, et de les expliquer.
La compréhension de ses actes est la plus puissante des armes du prolétariat, elle est la seule garantie que ce qu’il sera amené à détruire ne sera pas reconstruit. C’est en cela que les partis, ces organisations qui se proposent d’analyser politiquement la lutte du prolétariat, dans le but de soumettre leurs résultats à l’ensemble de la classe et de combattre le capitalisme sont indispensables pour la victoire finale.
Les éléments révolutionnaires doivent pousser les éléments moins conscients dans la voie de la clarification de leurs actes. La prise de conscience n’est pas simultanée chez tous les éléments de la classe, et c’est par l’intervention directe de tous ceux qui ont déjà saisi le comment et le pourquoi de la lutte engagée, que la compréhension pour le reste de la classe des objectifs finaux et des moyens d’y parvenir s’en trouvera facilitée. Les tâches théoriques et politiques des communistes sont simples :
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la classe appelée à bouleverser l’ordre Social, est la classe exploitée. La première tentative de prise de pouvoir par la classe ouvrière, la Commune de Paris, nous montre les prolétaires au comble de la misère, ne trouvant même plus à qui vendre (leur unique bien), leur force de travail, capables d’ébaucher les grandes lignes de la société future, d'organiser pour leur compte l’ensemble de l’appareil d’état sur les ruines de celui de la bourgeoisie[2] (1). On y trouve ce qui fait l’originalité du mouvement révolutionnaire prolétarien: la classe ouvrière ne s1 appuie sur aucune base économique dé je, établie dans la société, sinon sa simple position dans le mode de production capitaliste, et son nombre.
Les révolutions passées avaient été l’œuvre de classes qui avaient déjà toutes un pouvoir réel sur la société, la prise de pouvoir politique n’étant pour elles qu’un moyen de mieux le confirmer, d’ôter les structures gênantes, et d’affirmer sur les classes dominées une domination à la mesure de ses nécessités. Ce handicap qu’a du seul point de vue économique le prolétariat sur toutes les autres classes révolutionnaires de l’histoire, le force à avoir sur celles-là l’avantage d’une conception globale du monde. Sa conscience de classe, la compréhension et l’organisation de sa lutte sont les seules armes qu’il possède pour compenser cela.
Il nous faut insister sur le fait que la conscience de classe ne tombe pas du ciel, mais qu’elle est un produit spécifique de la vie matérielle de chaque classe. L’importance qu’elle revêt pour le prolétariat est le fait de la situation économique et sociale originale qui le caractérise historiquement.
Nous voyons donc parfaitement se dessiner le pourquoi des deux positions politiques antagonistes. L’une, celle des trotskistes, se contente de voir un facteur "conscience" dans le prolétariat, et n’imaginant même pas qu’il peut être un produit propre à celui-ci, déclare très léninistement donc que la conscience est apportée de dehors aux "masses" dirigées. Le Parti ayant la conscience, et lui seul l’ayant., il se doit pour le bien de tous d’exercer la dictature. Les trotskistes, à priori, il faut les croire : la Révolution c’est leur profession.
Mais ne voir que le rôle historique abstrait du prolétariat, c’est se condamner à avoir une vision religieuse de la révolution prolétarienne, c’est la caractéristique même de la vision idéaliste, c’est ne rien comprendre au matérialisme historique, c’est, en fin de compte, une vision de bureaucrate professionnel. Ou du moins d’aspirant.
Les "super-conseillistes", eux, ne peuvent pas comprendre que les organisations de révolutionnaires fassent partie du mouvement général de la classe, qu'elles soient les expressions politiques et théoriques des différentes tendances du prolétariat au sortir du vieux monde, en lutte contre celui-ci. Ils n’ont jamais vu ça, ils n’y croient pas. Que la classe ouvrière ne soit pas homogène, ils s'indignent, faut pas les prendre pour des cons. Le parti trahit forcément. Commençons par pas le créer, disent-ils, ces sceptiques. On peut répondre que la révolution échoue forcément, pour pas la rater la faisons pas. C’est plus sûr.
Le facteur "conscience de ses actes" du prolétariat est refusé, ou bien considéré comme étant systématique, allant de soi, et son développement, uniforme chez tous les ouvriers. Ne pas le voir comme étant un long et difficile apprentissage à s’assumer, et que par conséquent l’effort de tous pour tous est non pas un devoir, mais une nécessité sine-qua-non pour la cause révolutionnaire, est le fait d’un refus de ses responsabilités allant jusqu’à l’inconscience totale des taches monumentales qu’implique la révolution prolétarienne.
La séparation que font "communistes de conseils" et "communistes de parti" entre la conscience pratique et la conscience théorique les poussent à devenir les tenants de l’une ou de l’autre et cela aux dépens de la révolution communiste. Le processus de constitution de la classe ouvrière exploitée, manipulée, utilisée , la classe en soi, en classe ouvrière pour soi, c’est à dire consciente de ses intérêts propres, en classe révolutionnaire de fait, est le même que celui de sa prise de conscience. Le mouvement qui pousse les ouvriers à comprendre leur situation et leurs actes est indissolublement lié au mouvement qui les pousse à prendre les armes. C’est un même mouvement qui fait s’organiser en parti politique les prolétaires les plus avancés dans un moment donné, et en conseils l1ensemble de la classe dont ils font partie. Il est clair que si le poids du passé et celui de l’idéologie bourgeoise était rayé du jour au lendemain, l’homogénéité de la classe ouvrière ferait que nul parti ne serait nécessaire, liais cela est un rêve, la Commune de Paris , et les révolutions russes et allemandes l’ont prouvé; ce n’est que petit à petit par la lutte, par l’exercice de sa dictature que le prolétariat parviendra à cette homogénéité.
En attendant, les communistes ne peuvent que se référer à l’histoire du mouvement révolutionnaire car la théorie révolutionnaire ne peut être basée essentiellement que sur la compréhension des événements réels, pratiques, considérant chaque cas dans ses conditions précises, tant au niveau matériel qu’idéologique. L’analyse qui critique les événements clients d’une époque à une époque plus évoluée, en lui rapprochant de ne pas avoir la vision de cette dernière époque, est strictement inutile au prolétariat; les "enseignements" que l’on tira par cette méthode ne sont en fait que les expressions des problèmes et des solutions que l’on apporte à la période vécue. Ce n’est pas utiliser les enseignements de la lutte passée, pour la lutte future, c’est se servir d’eux pour valider les actes que l’on a décidé de faire sans véritable perspective de classe. Une façon d’enterrer en somme.
"Moi, mon colon celle que j’préfère c’est la guerre de 14-18" dit la chanson. Cela pourrait tout aussi bien être celle des "tenants" de telle ou telle révolution prolétarienne. Cette manie qu’ont les gens de ne pas voir dans l’histoire des révolutions prolétariennes l’histoire de la classe ouvrière à des moments de son existence, cette manie qui consiste à préférer l’une à l’autre sans considérer qu’elles font partie d’un tout, qu’elles s’enrichissent mutuellement, qu’elles enrichissent toutes la révolution qui se prépare aujourd’hui dans le prolétariat de tous les pays; cette manie est caractéristique de tous les idéologues, tant gauchistes que trotskystes.
Pierre Ramos et Jacques Novar
[1] Éditée par les "Cahiers de Spartacus'', 11° 38B, "La Commune de 1871" de Tales, avec en annexe la préface écrite en 1921 par Trotsky et une critique à celle-ci de P. Guillaume Librairie "IA Vieille Taupe", 1 rue des Fosses Saint Jacques, Paris 5°
[2] Il convient ici de nuancer un peu. En fait, la Commune ne fut pas par ses actes, conscients révolutionnaire. Max Gallo et les déçus du "Nouvel Observateur" s’en désespèrent assez. L’abolition de l’armée permanente et la destruction de l’appareil d’état bourgeois, ne furent pas des actes conscients et réfléchis, mais le fruit même du ferment révolutionnaire du prolétariat. Ces mesures furent prises "de fait" sans que les prolétaires Parisiens aient le temps de prendre conscience de la portée historique de leurs actes. Mais ce qui manqua surtout à la Commune, c’est le temps, la possibilité de s’orienter et d’aborder la réalisation de son programme" (Lénine, Œuvres, tome17, page137). II s’agit de Lénine en 1911 évidemment. Les prolétaires dans un premier temps ne sont pas révolutionnaires par CE qu’ils croient être la révolution, mais par ce qu’ils sont amenés à faire quand les conditions le lui exigent .
Il ne s’agit pas ici, pour nous, de pousser des cris d’indignation contre tout ce qu’il y a d’inhumain dans la société capitaliste, ni de nous apitoyer sur le sort de la classe opprimée, ni de jouer les prophètes annonciateurs d’un monde nouveau, mais d’analyser d’un point de vue prolétarien -sans pour autant, faire une étude exhaustive du problème- les conditions matérielles sur lesquelles pourrait naître une société nouvelle.
La future forme d’organisation sociale allant de pair avec le dépérissement de l’ancienne, nous devons axer tout d’abord notre analyse sur les éléments qui concourent à ce dépérissement, c’est à dire chercher dans les fondements même du capitalisme les contradictions qui le conduisent à sa chute.
Le développement de la grande industrie et du machinisme, s’est accompagné lors de l’avènement de la société capitaliste, d’une transformation radicale dans les formes d’organisation sociale de la production; le système des corporations et de la petite production artisanale était en effet devenu une entrave au développement des forces productives, De même, alors qu’il était au début un facteur de leur développement, le nouveau mode de production caractérisant le capitalisme, devient à son tour inadapté à la croissance des forces productives.
Le phénomène social de la production, au lieu d’être un acte accompli au profit de la société toute entière, est, de par l’appropriation capitaliste du produit du travail de la masse des prolétaires, un acte bénéfique seulement à une minorité de la population, la bourgeoisie. La tendance expansionniste du capitalisme, due à la satisfaction d’un impératif vital, le profit, se heurte inévitablement au caractère limité des marchés auquel s’ajoutent les problèmes de concurrence inter-capitaliste. L’anarchie dans la production sociale et l’impuissance de la bourgeoisie à gérer l’économie d’une manière rationnelle, ne sont que l’expression de ces contradictions internes.
Les crises sont la conséquence inévitable des contradictions du capitalisme et de la difficulté croissante de celui-ci à les surmonter. Cette incapacité est elle-même l’expression des formes d’organisation économique de la société; "les conditions bourgeoises de production et d’échange, le régime bourgeois de la propriété, toute cette société bourgeoise moderne qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d’échange, ressemble au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a évoqué"(Le Manifeste Communiste)
L’antagonisme de classes est le reflet .de la position de celles-ci dans le processus de production: la classe bourgeoise possède et gère los moyens de production, la masse des prolétaires lui vend sa force de travail et crée la plus-value dont s'approprie la première. Les rapports existants entre ces deux classes ne peuvent être que des rapports, d’exploitation et de domination, les intérêts de l’une ne peuvent être satisfaits qu’aux dépens des intérêts de l'autre . Alors que la bourgeoisie, pour exister se doit d’exploiter au maximum la force de travail, l’intérêt du prolétariat, se trouve dans la suppression intégrale de l’exploitation. Pour que cesse sa condition d’opprimé, il doit s’attaquer aux principes fondamentaux sur lesquels repose son exploitation, aux structures mêmes du capitalisme; à l’appropriation bourgeoise des .moyens de production, donc à la gestion capitaliste de l’économie.
L’évolution du rapport de forces entre les classes antagonistes, est objectivaient conditionné par l’évolution des contradictions du capitalisme: a un certain degré de développement la bourgeoisie ne parvient à maintenir ses propres conditions d’existence que de plus en plus difficilement; les rapports sociaux correspondant à sa domination de classe entrent en contradiction avec les forces productives, Les conditions matérielles de l’affranchissement de la classe exploitée sont donc réalisées.
Étant bien entendu que le prolétariat, par sa position au sein des rapports de production, est la seule classe véritablement révolutionnaire, la seule capable de mener à bien le projet révolutionnaire, sa tache historique ne peut être accompli ni par une minorité, (même son avant-garde) ni par le "peuple". L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes et elle exigera obligatoirement l’organisation de ceux-ci en classe dominante : la dictature du prolétariat.
La dictature du prolétariat est l’aboutissement historique du mouvement réel de l’antagonisme de classes.
La lutte de classes "mène nécessairement à la reconnaissance de la domination politique du prolétariat, de sa dictature, c’est à dire d’un pouvoir qu’il ne partage avec personne et qui s’appuie directement sur la force armée des masses"("L’État et la Révolution" Lénine.)
La révolution prolétarienne n’est pas une idée en l’air, ni une croyance faisant abstraction de la réalité; c’est au contraire à partir du mouvement réel que s’est élaborée et s’élabore une conception révolutionnaire du monde. Le grand apport de la plus importante expérience révolutionnaire du XIX siècle, la Commune de Paris, c’est d’avoir ébauché les conditions nécessaires à la réalisation de la domination politique de la classe ouvrière, les premiers pas d’une révolution prolétarienne,
A la veille de la Commune, comme à la veille de tout mouvement révolutionnaire, le conflit de classe éclate au grand jour, et l’inconciliabilité des classes est flagrante, Il ne peut y avoir de solution pacifique au conflit, La bourgeoisie peut, par une victoire violente, briser la résistance du prolétariat, mais l’existence de celui-ci étant la condition nécessaire de sa survie, elle ne peut pas éliminer les causes profondes de l’antagonisme; bien au contraire, à long terme le prolétariat ne peut sortir que plus puissant d’une telle expérience. La victoire de la bourgeoisie ne peut toujours, être que moment année.
La destruction pacifique de la société bourgeoise est une utopie car elle ne peut avoir pour aboutissement réel la suppression des classes.
Ce mouvement, là n’a donc aucun caractère révolutionnaire et-ne peut en aucune façon être considéré comme une "erreur" de la lutte prolétarienne. Il est au contraire une arme utilisée par et pour la bourgeoisie; il vise à calmer les masses, à les maintenir sous le joug de la classe au pouvoir. En opposition à ces conceptions dites "idéalistes", objectivement contre-révolutionnaires, l’histoire de la société de classe en général et donc celle du prolétariat, nous montre l’évolution sociale de l’humanité comme une suite de révolutions toutes fondées sur la violence. Jusqu’à la destruction de la société de classe, "à la veille de chaque remaniement général de la société, le dernier, mot de la science sociale sera toujours: "le combat ou la mort: la lutte sanguinaire ou le néant. C’est ainsi que la question est invinciblement posée".
L’affranchissement de la classe opprimée ne sera donc possible que par une révolution violente. Ce qui ne signifie nullement, comme pourraient encore le croire certains , que la classe révolutionnaire se bornera a une violence défensive. Cette attitude-là, nous l’avons bien vu pendant la Commune (alors que Paris en avait les moyens et ne marcha pas sur Versailles) ne peut qu’être favorable à la bourgeoisie; elle ne peut que lui permettre de mieux s’organiser militairement en vue d’écraser le prolétariat. La classe révolutionnaire doit donc prendre l’initiative de la violence.
La victoire violente du prolétariat se traduit par la répression des exploiteurs. Supprimant la bourgeoisie en tant que classe dominante, et en tant que force réactionnaire .cette victoire doit être totale car, pour que cesse sa condition d’exploité, c’est aux racines .profondes du conflit que le prolétariat doit s’attaquer.
Comment le prolétariat organise-t-il sa violence, quelles formes d’organisation se donne-t-il pour réaliser sa dictature, pour assumer la direction de la société ?
La Commune de Paris et les mouvements révolutionnaires en général s’ils ont été des échecs, ont cependant irrémédiablement démasqué les institutions et organisations bourgeoises. Durant une période de calme la classe dominante, à l’aide de sa pression idéologique sur les masses justifie leur existence et leur pratique par "l’intérêt commun", la "nécessité de l’ordre dans un pays démocratique" et toute cette sérié "d’opiums du peuple". Mais la réalité est là pour montrer la véritable fonction de ces institutions et organisations. Lorsqu’elles prennent part aux conflits qui opposent bourgeoisie et prolétariat, la couverture idéologique qui les masquait, éclatant en miettes, elles révèlent leur véritable nature de classe.
Il en est ainsi pour l’État qui est présenté comme organe de conciliation de classe, comme arbitre en quelque sorte. Cette conception propre à l’idéologie bourgeoise joue bien son rôle: masquer la place que tient l’État dans une société de classe.
L’État est ”un produit de la société à un stade donné de son développement; il est l’aveu que cette société s'empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s’étant scindée en oppositions inconciliables qu’elle est impuissante à conjurer" (Engels "L’origine de la Famille de la Propriété Privée et de l’État")
L’État est le produit des contradictions de classe. A un certain stade de développement de la société et de ses contradictions, la classe économiquement la plus puissante a besoin d’asseoir son pouvoir, d’ établir des rapports juridiques et politiques sauvegardant ses intérêts économiques. L’état est l'appareil que se donne cette classe en vue de mieux maintenir la classe opprimée sous son joug.
Dans la société capitaliste, l’état est l’appareil de la bourgeoisie son organisation de classe dominante. Les bureaucrates gouvernementaux , représentant de la classe privilégiée ne peuvent qu’avoir une situation privilégiée. De par l’inconciliabilité des classes antagonistes l’état est pour la bourgeoisie l'instrument garantissant l’exploitation et l'oppression du prolétariat. Il dispose de la "force publique": armée permanente , police, lois, contrôle idéologique, etc... Ce dernier est exercé pour faire adhérer la population aux intérêts du capital (mythes de la consommation, de la participation, de la réussite sociale, de l'égalité des chances au départ etc.…) : Les lois, pour légaliser et justifier l’ordre bourgeois, l’exploitation ; la police et l’armée pour sauvegarder les intérêts du capital national face aux prolétaires et face aux autres pays.
Tous les pouvoirs dont dispose l’appareil d’état bourgeois, en font une force placée au-dessus de la société,
Sa nature d’appareil de minorité, sa fonction de conservation des structures bénéfiques seulement à la classe capitaliste, en font un organe étranger à la société.
C’est pourquoi le prolétariat no peut renverser la bourgeoisie sans détruire son appareil d’état. Voilà la leçon fondamentale de la Commune.
Briser la machine bureaucratique et militaire et non la faire passer en d’autres mains; voilà la première tâche de la révolution prolétarienne, la reddition nécessaire à la réalisation du programme communiste.
La CONQUETE, démocratique ou pas, de l’état bourgeois, que se proposent toutes les bureaucraties staliniennes, n’a rien à voir avec le programme prolétarien,
Pour la première fois, pendant la Commune de Paris, on voit le prolétariat face à la bourgeoisie, se constituer en une organisation ayant elle aussi des fonctions propres:
1) de répression. Répression des exploiteurs, des forces réactionnaires. Pour combattre les armées de Thiers, pour réprimer la bourgeoisie, les travailleurs Parisiens ont leur organisation armée, autonome : les bataillons de quartier, la Garde Nationale;
2) d’exécution des tâches politiques. De même que l’état bourgeois servait aux exploiteurs pour réaliser le programme politique de classe dominante, le prolétariat tout entier, organisé, réalise les premiers pas du socialisme, ses premières tâches révolutionnaires, La population de Paris avait trouvé cet organe : l'Assemblée Communale, c’est à dire "un corps agissant, exécutif et législatif à la fois".
Ainsi, dès la première heure apparaît, dans la destruction de la société capitaliste ce qu’on peut appeler dans une certaine mesure, un "État" prolétarien, c’est à dire l’organisation de la classe ouvrière on classe dominante, chargée, d’anéantir la bourgeoisie et d’accomplir les tâches socialistes. Cet État ne peut être considéré comme un appareil extérieur à la classe, C’EST LE PROLETARIAT LUI-MEME DANS LES ORGANISATIONS QUI LUI SONT PROPRES EXERÇANT SON PROPRE POUVOIR.
Il a toujours subsisté , lorsqu'on parle de "dictature du prolétariat" Un certain équivoque sur le mot "État", Nous entendons pour notre part comme Marx et Engels après la Commune, par "pouvoir d’état", dans la transformation révolutionnaire de la société, le prolétariat organisé en classe dominante, combattant les forces du vieux mondé. Dans la mesure ou les caractéristiques produites par la société capitaliste n'existent plus et surtout dans la mesure où il est historiquement appelé à disparaître, nous ne pouvons plus parler d’un "pouvoir d’État" proprement dit, " n'étant qu’une institution temporaire dont on est obligé de se servir dans la lutte, dans la révolution, pour organiser la répression par la force contre ses adversaires... ; tant que le prolétariat a encore besoin de l’état, ce n'est point dans l’intérêt de la Liberté, mais pour réprimer ses adversaires. Et le jour où il devient possible de parler de liberté, l’État cesse d’exister comme tel. Aussi, proposerions-nous de mettre partout à la place du mot État, le mot gemeinwesen, excellent vieux mot allemand répondant au mot français commune" (F. Engels cité dans "l’État et la Révolution".)
Alors que l’état est l’appareil de répression d’une minorité, l’organisation du prolétariat ne pourra servir, qu’à la répression de cette même minorité,
La "dictature" "consiste DANS LA MANIERE D'APPIIQUER LA DEMOCRATIE, NON DANS SON ABOLITION , dans des mainmises énergiques et résolues sur les droits acquis et les conditions économiques de la société bourgeoise sans lesquelles la transformation socialiste ne peut se réaliser." (Rosa Luxembourg "La Révolution Russe")
La mise en place du socialisme, la direction de la société, n’est plus le privilège d’une minorité, elle est l’œuvre consciente de l’ensemble des travailleurs. Seule l’organisation du prolétariat, accompagnée de la démocratie la plus absolue, la plus directe, peut éviter Jo bureaucratisme. La Commune de Paris, pour la première fois dans l’histoire nous donne un exemple de démocratie prolétarienne s
-les organisations au service de la bourgeoisie (armée permanente, police etc.…) furent supprimées. La population s’est donné ses propres organisations, foncièrement différentes. D’autre part la représentativité étant nécessaire pour exécuter les directives de la base, les membres de la Commune, au lieu de détenir, le pouvoir pendant un temps déterminé comme il est pour les ministres de l’état bourgeois et toutes les organisations de la société capitaliste, étaient élus au suffrage universel ET REVOCABLES A TOUT INSTANT. Mais encore fallait-il éviter l’arrivisme, empêcher les délégués de jouir comme dans le système bourgeois d’une situation privilégiée. C’est ce que Marx, Engels et Lénine saluèrent dans la Commune : les rétributions de ses membres ne devaient pas dépasser la valeur d’un salaire d’ouvrier. Le chemin serait ainsi barré à la cupidité[1].(1)
Le prolétariat est la première classe dans l’histoire qui ne vise pas à sa perpétuation en tant que classe. Il abolit les classes et vise à sa propre disparition donc à la disparition de son pouvoir de classe.
-La démocratie prolétarienne constitue un élément fondamental de l’extinction du pouvoir car elle est le début de la restitution totale des "forces" au corps social tout entier. En effet, la direction de la société n’apparaît plus comme l’œuvre d’une catégorie spéciale d’individus, il ne s’agit plus ici d’un "comité" chargé de gérer les affaires de la classe. La démocratie prolétarienne est le début de l'intéressement direct de chaque individu à la vie en société.
-Il est évident qu'une telle vie politique doit passer par la destruction totale des structures économiques de la société bourgeoise (valeur d’échange, propriété privée, salariat etc.) Or, cette destruction signifie l’abolition des principes fondamentaux sur lesquels reposent l'existence des classes. Le pouvoir d'état n’est que l'expression de l’antagonisme des classes. Pendant la dictature du prolétariat, la bourgeoisie comme classe disparaissant progressivement, le pouvoir d’état, c'est à dire le pouvoir même du prolétariat qui ne peut trouver de raison d’être que dans la force réactionnaire constituée par la bourgeoisie, est voué à sa disparition. Il "s’éteint" car il devient superflu, inutile, et ne correspond plus aux intérêts d’une classe particulière du fait de la disparition de celles-ci.
La crise de 1869 qui fut la cause de bien des grèves et du réveil de la classe ouvrière en France, après 1848, n'était cependant pas une défaillance mortelle du capitalisme. Il s'agissait d'une de ces crises cycliques propres au capitalisme en voie de développement . Celle-ci ne paralysait guère l'accumulation du capital sur un plan général. Les forces productives n'étaient pas encore vraiment freinées par l’organisation économique bourgeoise , par les contradictions du capitalisme. Celui-ci n'avait pas encore accompli sa tâche historique, il n'avait pas encore développé les forces productives à sa mesure. L'industrialisation de la production, bien qu'ayant énormément évolué dans les dix années précédant la Commune était encore loin de ses limites capitalistes extrêmes. De ce fait, la classe ouvrière n'était pas encore une puissance capable de renverser la bourgeoisie : la classe ouvrière était encombrée dans sa lutte d'un nombre considérable d’artisans que la bourgeoisie n’avait pas encore prolétarisés. Dans ces conditions, toute tentative de révolution prolétarienne était vouée à l’échec. La classe ouvrière n’était pas assez puissante pour renverser l’ordre social et maintenir son pouvoir, car la bourgeoisie avait encore d’énormes ressources à exploiter, elle n’avait pas encore fait du monde, un monde capitaliste.
La révolution prolétarienne n’était pas possible au siècle dernier. Le réformisme était à l’ordre du jour; la Commune, produit d’un exceptionnel concours de circonstance, devint le moteur d’une lutte qui n’était pas de son siècle. Le prolétariat de la capitale était capable de détruire l’appareil d’État bourgeois, mais les conditions n'étaient pas mûres pour qu’il s’organise en Conseils Ouvriers, Son avant-garde (la "MINORITE"[2](1)) était capable de poser les problèmes en termes prolétariens, de s’opposer à toutes les tendances bourgeoises au sein de la Commune, mais du fait de la faible maturité du prolétariat, elle était incapable de s’organiser en Partis pas plus que la classe n’était capable de s’organiser en Conseils. Dans cette mesure, le maintien du pouvoir était une utopie. Sa tentative, la Commune, laisse cependant au prolétariat du monde entier un gigantesque enseignement que tous les bureaucrates piétinent tant ils le craignent et que Marx, Engels et Lénine (celui de "l’État et la Révolution") surent apprécier à sa juste valeur.
En détruisant l’appareil d’État bourgeois, la Commune de Paris a démontré aux classes bourgeoises qu’elles avaient tout à perdre dans une révolution communiste. Elle a démontré aux prolétaires qu’il leur était possible de vivre libres, "qu’ils n'avaient rien à perdre que leurs chaînes". Elle leur a montré qu’ils avaient un monde à gagner sur les ruines de l'ancien.
Pierre Ramos et Jacques Novar
[1] Il est intéressant de remarquer ce que pouvait dire Lénine en 1917: "Toute l’économie nationale organisée ... de façon que les techniciens, les surveillants, les comptables reçoivent comme tous les fonctionnaires un traitement n’excédant pas les "salaires d’ouvriers", sous le contrôle et la direction du prolétariat armé : tel est notre but immédiat. Voilà l’État dont nous avons besoin, et sa base économique. Voilà ce que donneront la suppression du parlementarisme et le maintien des organismes représentatifs. Voilà ce qui débarrassera les classes laborieuses de la corruption de ces organismes par la bourgeoisie…" et de remarquer les écarts de salaires en URSS et l’attachement à la hiérarchie des salaires de la C.G.T. et le P.C.F.
[2] (1) "Celle-ci n’est pas absolument homogène, et même, elle ne s'est formée que progressivement. On peut dire néanmoins qu’elle groupe les Communards les plus soucieux de la question sociale ; qu'elle comprend le plus grand nombre d’ouvriers ; qu'elle s’inspire enfin de l’internationale ouvriers" (in "Les Communards" de J.P. Azéma et M. Winock)
La division de la classe ouvrière, son émiettement en une somme d'individus se livrant à la concurrence individuelle, son apathie face à l’exploitation quotidienne, ne peuvent produire qu'un éparpillement et un isolement des révolutionnaires. L'histoire ne l'a que trop démontré. Inversement, le renforcement du prolétariat comme classe autonome pour elle-même, son union dans la lutte et le développement de celle-ci, créent les bases et la nécessité d’un regroupement des éléments révolutionnaires.
Depuis près de trois ans, un nouvel élan de luttes révolutionnaires a commencé à ébranler le monde : Mai 68 en France, les luttes de Cordoba en Argentine, "l’été chaud" de 69 en Italie, la multiplication des grèves sauvages en Angleterre, les luttes des mineurs au Limbourg et à Kiruna ou les récents mouvements du prolétariat en Pologne ne sont que les éclats les plus brillants de ce réveil mondial de la classe ouvrière.
Réveil et non sursaut, parce que la raison profonde qui l’a provoqué jusqu'à présent, à. savoir, la décomposition actuelle de l'économie capitaliste mondiale qui fait peser toutes ses conséquences d'abord et avant tout sur la classe des exploités, cette décomposition ne fait que commencer. L'inévitable approfondissement de la crise actuelle du capitalisme annonce donc le renforcement, le développement et la radicalisation du mouvement des luttes prolétariennes mondiales.
Or, l'action et le regroupement des éléments les plus avancés dans la voie révolutionnaire restent encore prisonniers de 40 ans d'isolement et d'émiettement. Les partis dits "ouvriers" ou qui s’auto-qualifient de "révolutionnaires" et qui s'étalent de la social-démocratie et du stalinisme de Moscou au trotskysme , en passant par toutes les gammes de "maoïsme", ne font que jouer le rôle de derniers remparts du capitalisme sous sa forme privée libérale ou étatique totalitaire. Leurs positions, franches ou ambiguës face aux dernières luttes du prolétariat polonais les ont encore une fois ouvertement démasqués (cf. en France, le silence gêné gardé par les éléments du "Secours Rouge" qui quelques semaines auparavant se joignaient au Pape et aux "grands" du capital libéral pour implorer Franco de gracier les condamnés de Burgos, mais qui "n’avaient rien à dire" devant l’insurrection du prolétariat polonais).
Quant à l'intervention des révolutionnaires elle est restée jusqu'à présent condamnée au niveau artisanal à l'effort divisé, à la quasi-impuissance. Il est évident que la force d’une intervention révolutionnaire est conditionnée par le regroupement des révolutionnaires. Il est aussi net que ce regroupement n'est rendu POSSIBLE que grâce à l'action historique de la classe dans s::m ensemble et c'est cette action même qui le rend NECESSAIRE.
Mais il n 1y a pas un rapport mécaniciste entre le développement de la lutte prolétarienne et le regroupement des éléments les plus avancés. Entre ces deux phénomènes se greffe la volonté consciente des révolutionnaires. C’est dans cette perspective et pour ces raisons que les trois groupes : Communisme de conseils, Organisation Conseilliste de Clermont-Ferrand et Révolution Internationale, ont décidé d'engager ce processus en se donnant un programme d’action en ce sens.
Pour cela, les deux revues publiées actuellement par ces groupes ouvrent leurs colonnes à côté de leurs interventions propres à la discussion en vue de parfaire l’éclaircissement nécessaire à ce regroupement et sans lequel aucun rassemblement n’est possible.
Les trois groupes interviendront en commun sur les principaux évènements qui touchent à la lutte du prolétariat.
Les trois groupes en commun s’orienteront vers l’élaboration d’un journal ouvrier révolutionnaire.
Les trois groupes s'engagent à intégrer à leur effort tous les groupes et éléments isolés qui se situent sur un programme révolutionnaire.
La perspective de notre intervention s’oriente essentiellement dans deux axes principaux :
I/ La recherche de ce que Marx dans le manifeste appelait "l'avantage de comprendre les conditions, la marche et les résultats généraux du mouvement ouvrier".
2/ Et cela dans le but de l'intervention dans les luttes quotidiennes de la classe en vue de contribuer au processus qui mène à son auto-organisation comme classe historique pour son émancipation définitive, en "mettant en avant et faisant va loir, dans les diverses luttes· nationales des prolétaires, les intérêts communs du prolétariat tout entier sans considération de nationalité ; d’autre part dans les diverses phases de la lutte entre prolétariat et bourgeoisie, en représentant toujours l’intérêt du mouvement dans son ensemble".
CAHIERS DU COMMUNISISME DE CONSEILS
ORGANISATION CONSEILISTE DE CLERHONT-FERRAND
REVOLUTION INTERNATIONALE
C’est une banalité que de dire qu’une des conditions fondamentales de l’émancipation du prolétariat est une conscience nette et claire des buts à atteindre et des moyens à mettre en œuvre ; que cette prise de conscience est le produit de la lutte de classe, mais qu’elle passe aussi par la destruction de toutes les illusions, de tous les mythes secrétés par la classe dominante et qui encombrent l’esprit des travailleurs.
Mais il faut ajouter que si l’activité théorique des révolutionnaires tend principalement vers une telle destruction, cette activité, par elle-même, ne saurait suffire à cette tâche si les évènements historiques ne venaient confirmer de façon irréfutable et tangible leurs analyses et prévisions.
À cet égard les évènements de ces dernières années et particulièrement ceux de ces derniers mois ont plus fait pour la conscience prolétarienne que l’activité des groupes révolutionnaires durant les cinquante dernières années.
Un à un, chacun de ces mythes, chacune de ces illusions ont subi l’assaut de l’histoire.
Au centre de la domination idéologique de la bourgeoisie réside la croyance en un développement infini du capitalisme procurant aux membres de la société un bien être toujours meilleur. Le quart de siècle de prospérité qu’a connu le capitalisme après la seconde guerre mondiale a accrédité la thèse suivant laquelle les gouvernements étaient maintenant en mesure de maîtriser non seulement les crises cycliques du siècle dernier, mais encore les crises générales comme celles de 1929. Cette thèse a réussi à faire des adeptes jusqu’au sein même de certaines organisations qui maintenaient par ailleurs des positions révolutionnaires comme par exemple ''Socialisme ou Barbarie" ou certains communistes de conseils (Pannekoek à la fin de sa vie). Mais depuis le début de l’année 1967 cette illusion a commencé à se heurter aux dures réalités des crises successives de la livre, du dollar et du franc, de la croissance accélérée du chômage, de l’inflation galopante et des plans d’austérité qui l’accompagnent, des faillites spectaculaires du style Rolls Royce, etc., à tel point que certains des économistes les plus conformistes et réactionnaires en sont arrivés aujourd’hui à la conclusion que les difficultés actuelles du capitalisme préludent à une crise générale du système.
Un autre mythe que les évènements de ces dernières années ont malmené est celui du caractère socialiste des pays de l’Europe de l’est. Les insurrections Hongroises et Polonaises de 1956 lui avaient déjà porté un coup sévère, mais l’aspect encore nationaliste de ces mouvements avait permis aux gardiens de ce mythe (aussi bien les staliniens que les bourgeois libéraux) de brouiller les cartes.
Les évènements de 1968 en Tchécoslovaquie, furent le signal d’un malaise qui depuis va grandissant au sein, des partis staliniens. Quoique remettant en question l’infaillibilité des entreprises de Moscou, ce conflit ne permettait pas encore d’avoir une vision claire des luttes de classe en Europe de l’Est.
Par contre, une telle vision s’est imposée d’une façon irréfutable après les émeutes ouvrières qui ont éclaté en Décembre 1970 en Pologne, et qui ont dressés face à face le prolétariat et ses exploiteurs. Les combats de Gdansk, Stettin, Sopot etc. ont plus fait pour dévoiler aux yeux des prolétaires du monde entier la nature capitaliste de la Pologne et des autres pays de l’Europe de l’Est, que l’activité des communistes de gauche depuis la fin des années 20 (cette constatation ne permettant évidemment pas de dire que cette activité a été inutile mais seulement qu’elle trouve son plein sens aujourd’hui.)
Longtemps les bonnes âmes de la gauche, ont cru voir dans Cuba, la synthèse enfin réalisée entre "socialisme" et liberté. Et ce qui charmait le plus les intellectuels en mal d’exotisme, c’était la "liberté de la création artistique" que Fidel proclamait comme règle officielle.
"Hors de la Révolution rien ! Dans la Révolution tout !" était la devise du congrès culturel de la Havane tant vanté par les journalistes à la "Nouvel Observateur" et aussi par les soi-disant marxistes révolutionnaires regroupés au sein de la IV Internationale. Encore fallait-il que Castro précise ce qu’il entendait par révolution.
Depuis le début notre courant affirmait que ce terme ne recouvrait rien d’autre que le capitalisme d’État, et s’est presque fait traiter d’agent de la CIA par les trotskystes de 1a IV qui trouvaient que Cuba était un état ouvrier beaucoup moins dégénéré que les autres, (au même titre que le Nord-Vietnam et la Corée du Nord avec qui ils devait constituer une soi dis ante "troisième force"[1]).
L’annonce de l’arrestation, puis de l’auto-critique sinistre du poète Cubain Heberto Padilla, plongea toutes ces bonnes âmes dans la consternation la plus totale, consternation qu’ils exprimèrent dans un manifeste au nom de leur sympathie pour cette révolution cubaine à laquelle ils avaient tant cru. La réponse de Castro n’a pu qu’approfondir leur désespoir : "nous n’avons pas besoin de sympathie critique, seules les louanges inconditionnelles et dithyrambiques sont acceptées" leur a-t-il dit en quelque sorte.
Il aura donc fallu qu’on touche à l’un des leurs : un intellectuel, un artiste pour que ces adorateurs s’émeuvent et prennent conscience de ce qu’ils appellent "la réalité stalinienne" de Cuba. Dix années de bourrage de crâne forcené auprès des travailleurs cubains pour les persuader de PRODUIRE jusqu’à la limite de leurs forces n’avait pas suffi à les inquiéter ni à leur faire soupçonner ce que les révolutionnaires proclamaient depuis le début : la réalité tristement capitaliste de Cuba[2].
"L’homme nouveau" de Cuba ressemble trop au prolétaire exploité de tous les pays, mais ici son exploitation féroce est accompagnée d’une dose exceptionnelle d’opium administré à coup d’immenses rassemblements sur la "place de la Révolution", de discours du "leader Maximo", et de propagande incessante. Opium qui à d’autres époques a fait ses preuves contre le prolétaire allemand ou russe et encore aujourd’hui contre le prolétaire chinois, nord-coréen et beaucoup d’autres.
L’illusion des voies particulières, nationales et pacifiques au socialisme est certainement une de celles qui a fait le plus de mal au mouvement ouvrier depuis ses origines. Quels qu’aient pu être les recettes proposées ces formules ont toujours recouvert le réformisme dont les tenants se sont montrés en fin de comptes les meilleurs alliés du capital pendant les crises révolutionnaires.
Aujourd’hui la mystification tente de se perpétuer à travers l’existence de doux "socialismes" pacifiques : "le socialisme Scandinave" et depuis quelque temps "le socialisme chilien", Malheureusement pour les partisans d’une telle solution, les grèves sauvages qui ont éclaté dans la plupart des pays nordiques, depuis celles des mineurs de Kiruna jusqu’à celle de 75.000 ouvriers de la métallurgie finlandaise, ont porté au mythe de la "paix sociale" instauré par ces régimes un coup sérieux.
De son côté le "socialisme chilien" bien qu’il fasse encore illusion parmi de larges couches de la population (comme l’indique l’avance obtenue par la coalition d’Unité Populaire aux élections municipales de Mars 71) a déjà montré sa nature de classe profonde en envoyant la police contre les paysans qui avaient montré trop d’impatience en récupérant leurs terres avant la date prévue par le calendrier officiel[3] et en instaurant avec le prolétariat des rapports qui ne sont pas sans rappeler ceux existant dans n’importe quel régime capitaliste. On en retiendra pour preuves que les grèves aux quelles furent contraints dès Décembre 1970 les employés du téléphone, les ouvriers municipaux et les fonctionnaires administratifs de l’Université.
Par ailleurs le président Allende a prodigué à l’égard des travailleurs, des "encouragements" à produire dans "l’intérêt du Chili" qui, à part la phraséologie, ne le cèdent en rien à ceux d’un Pompidou ou d’un Chaban Delmas, A l’occasion du 1er Mai, ne déclarait-il pas :
Voici donc les travailleurs prévenus : ils doivent comme partout respecter la règle du jeu, la règle du capitalisme !
D’ailleurs ils savaient à quoi s’en tenir depuis l’arrestation d’un militant ouvrier sous l’accusation "d’entrave à la liberté du travail" à la suite de la grève des transports en commun de Santiago déclenchée le 22 Mars, et la menace proférée de la bouche même d’Allende de mettre les dits transports sous contrôle de l’armée en cas de poursuite du mouvement.
La participation du "camarade président" et des "camarades ministres" en bras de chemise "aux journées de travail volontaire" inaugurées le Dimanche 16 Mai n’y pourront rien à la longue : là comme ailleurs, les travailleurs seront contraints de constater qu’intérêt national égal intérêt du capital.
Une autre expérience locale de "front uni" à coloration socialiste -puisque ce front comprend le P.C et même des "trotskystes" (exclus il est vrai, de la IV Internationale)- a, en l’espace de quelques mois fait ses preuves à Ceylan.
Une des premières mesures du gouvernement de Madame Bandaranaike fut de présenter un budget d’austérité préparé par le ministre "trotskyste" des finances. Mais, ce que l’histoire retiendra de ce gouvernement, c’est la répression sauvage contre le soulèvement populaire d’Avril 1971, soulève- ment des jeunes intellectuels sans travail, mais aussi d’une fraction de la classe ouvrière et d'une grande partie de la population paysanne.
Malgré les fanfaronnades de Mme Bandaranaike et de ses ministres (en particulier du leader du P.C. Peter Keuneman, qui ne voyait dans le soulèvement que l’œuvre "du gros capital, des esprits diaboliques et des organisateurs criminels"[5]) le gouvernement Ceylanais a dû faire appel à la "solidarité internationale" pour venir à bout de l’insurrection. Cette solidarité ne s’est d’ailleurs pas fait attendre : elle a pris la forme d’armes de la garnison britannique de Singapour, de 6 hélicoptères américains[6] d’hélicoptères indiens et pakistanais[7], d’un bateau d’armes yougoslaves[8], d’un certain nombre de Mig 17 soviétiques[9] etc.... Si bien que Mme Bandaranaike pouvait, le 23 Avril, "remercier pour leur aide les États-Unis, la Grande Bretagne, 1'Union Soviétique, la RAU, l’Inde, le Pakistan, la Yougoslavie, et exprimer sa reconnaissance au Canada et aux deux Allemagnes pour leur soutien".
En cette circonstance, on a vu donc se faire l’unanimité des ennemis de toujours (Inde et Pakistan, les deux Allemagnes) au sein d’un front uni de la répression au service du capital mondial.
A plus d’un titre cette expérience est riche d’enseignements pour les travailleurs du monde entier. Elle laisse augurer de l’attitude qu’adoptera en cas de soulèvement prolétarien, un P.C. au pouvoir (le PCF par exemple) et de l’aide que ne saurait manquer apporter l’URSS aux classes régnantes dans de telles circonstances.
Les esprits perspicaces auront constaté que la Chine ne figure pas parmi les pays que Mme Bandaranaike dans son discours du 23 Avril remercia. Est-ce que ce dernier "bastion du socialisme" n’a pas voulu faire chorus avec les impérialistes et les révisionnistes ? On est là bien loin du compte puisque fin Mai[10] on apprend que vers le 25 Avril, la Chine a consenti un prêt de 150 millions de roupies (25 millions de dollars) et que M. Chou-En-Laï a adressé à Mme Bandaranaike une lettre où il dit :
Mais la nouvelle du soutien de la Chine Populaire à la répression Ceylanaise est passée alors pratiquement inaperçue car depuis plus d’un mois un autre soutien de la Chine jetait le désarroi parmi les adorateurs de la pensée de MAO et portait un coup sévère à un des mythes les plus tenaces non pas tant chez les prolétaires que dans la plupart des courants qui prétendent défendre leurs intérêts : la nature révolutionnaire des luttes de libération nationale et le caractère "progressif" des pays qui les soutiennent.
Depuis longtemps les révolutionnaires ont dénoncé dans les luttes délibération nationale :
Les grandes puissances soi-disant "socialistes" recouvrent leurs interventions dans ces conflits de phrases démagogiques du genre "soutien du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes", Mais il arrive qu’elles prennent des positions complètement en désaccord avec ces thèses. Ces derniers temps, l’URSS s’est particulièrement distinguée dans ce genre d’exercice : intervention en Tchécoslovaquie, abandon de la résistance palestinienne, après que les objectifs principaux de l’intervention soviétique au Moyen Orient aient été atteints, à savoir l’utilisation des bases maritimes Égyptiennes qui permet à sa flotte de rivaliser en Méditerranée avec la sixième flotte américaine, de même que la mainmise sur tout le dispositif militaire de ce pays, clef stratégique du Moyen Orient et de son pétrole...).
Une de ses démonstrations les plus brillantes fut le soutien sans réserves apporté aux côtés de la Grande Bretagne, au gouvernement central du Nigéria dans son entreprise d’écrasement et de massacre du peuple Ibo insurgé, revendiquant pour le Biaffra "le droit à disposer de lui-même -et de son pétrole".
Dans cette circonstance la Chine était encore du "bon côté", c’est à dire aux côtés du peuple luttant pour son indépendance ; elle se trouvait en cette circonstance en bien curieuse compagnie ; celle des USA, du Portugal, et de l’Afrique du Sud ! mais on pouvait encore admettre qu’il peut arriver que les impérialistes se trompent dans le choix de leur camp et que ceux de Washington, de Lisbonne et de Pretoria s’étaient trouvés par hasard du bon côté.
Dans ces différentes occasions (Tchécoslovaquie, Palestine, Biafra) la propagande chinoise n’avait d’ailleurs pas manqué de dénoncer le "social impérialisme" et le "chauvinisme des grandes puissances" du "révisionnisme" soviétique.
Donc, jusqu’à ces derniers temps, le mythe de la Chine, fidèle et ultime défenseur des peuples opprimés, pouvait avoir encore un semblant de crédibilité.
Les récents évènements du Pakistan Oriental ont porté à ce mythe un coup mortel.
Le long silence observé par Pékin après le début du conflit a permis à la "Cause du Peuple" de commettre la plus grosse bourde de sa piètre existence : dans le numéro 38 du 8 Avril n’écrivait-il pas sous le titre enflammé "Pakistan-Bengale : la liberté ou la mort":
Donc, cet article de la "Cause du Peuple" ne permet aucune équivoque : le Pakistan est un état fantoche colonialiste et la lutte de libération du Bengale est juste. Quelques jours après cet article la Chine commençait à montrer sa couleur en dénonçant "les menées expansionnistes de l’Inde" contre le Pakistan Oriental et enfin plus de deux semaines après le début du conflit elle abattait ses cartes sous forme d’un article dans le "Quotidien du Peuple" d’une lettre de Chou En Laï au maréchal Yahya Khan.
Le premier déclarait :
.Chou En-laï de son côté écrivait[12] :
L’unité du Pakistan et des peuples des provinces occidentales et orientales du pays est une garantie essentielle pour que celui-ci survive et trouve la prospérité et la puissance. Il faut distinguer la grande masse du peuple d’une poignée de gens qui ne pensent qu’à saboter l’union du Pakistan".
Donc la juste lutte n’était plus celle des Bengali mais celle des forces de répression qui les massacraient et ce n’était plus le "peuple qui descendait, dans la rue" "animés sourdement du désir d’indépendance" mais une poignée de gens qui ne pensent qu’à saboter l’union du Pakistan.
On peut imaginer aisément la détresse qui a dû envahir le malheureux responsable de "La Cause du Peuple" quand ils ont lu ces lignes. En fait la prise de position officielle de Pékin en faveur du régime militaire d’Islamabad n’est pas surprenante.
Le soutien apporté par la Chine, en Mars 1969 au gouvernement du Pakistan au moment du soulèvement général des ouvriers, paysans, étudiants faisait présager une telle prise de position.
Toute honte bue, les responsables de "La Cause du Peuple", ont dû publier dans le numéro suivant un article intitulé: "Chine et Pakistan : quelle est la vérité ?" et disant pratiquement le contraire de ce qu’affirmait le précédent, quand il n’essaie pas de nier carrément les faits indiscutables comme le message de Chou En Lai à Yahya Khan :
Suit toute une partie où la "Cause du Peuple" explique que la Chine doit lutter contre une manœuvre d’encerclement de la part de l’impérialisme et du social impérialisme. Pour briser cet encerclement elle soutient toutes les luttes des peuples des pays qui y participent.
Par contre, le Pakistan entretient avec la Chine des relations amicales et s’oppose constamment à l’Inde qui est une des clefs de voûte de cet encerclement. Par conséquent la place de la Chine est aux côtés du Pakistan face aux "agressions" de l’Inde.
"L’humanité Rouge" dans son article du numéro 102, "A bas l’expansionnisme Indien" n’utilise pas d’autre argument pour justifier l’attitude de la Chine. Dans cet article on nous dit -ce que nous savions déjà- que l’Inde n’a cessé de mener une politique réactionnaire tout au long de son existence, politique qui tranche avec celle "progressiste" du Pakistan. L’Inde est ainsi injustement accusée d’avoir violemment réprimé des révoltes populaires en Tamil Nadu, au Maharastra, au Kérala, au Bengale et en Assam. Le gouvernement du Pakistan lui n’a jamais rien fait de tel : en Mars 1969 il n'a pas écrasé dans le sang un soulèvement populaire généralisé instaurant à cette occasion une loi martiale qui dure encore aujourd’hui, seuls les impérialistes osent prétendre qu’il se livre à un massacre systématique de la population Bengali pratiquement désarmée. L’article, après avoir repris une citation de Staline conclue en ces termes :
Au-delà du dégoût que peuvent inspirer les acrobaties rhétoriques qu’elles contiennent, on peut découvrir dans ces articles la véritable raison qui a poussé la Chine à prendre des positions si peu en accord avec ses proclamations officielles : il s’agit de la défense de ses intérêts nationaux et impérialistes.
On nous dit en effet clairement que si la Chine soutient le Pakistan c’est parce qu’il existe entre ces deux pays des intérêts nationaux communs face à ceux de l’Inde.
En fait le Gouvernement Chinois se moque bien de la structure féodale du Pakistan qui vaut celle de l’Inde, du caractère militaire policier et profondément réactionnaire de son gouvernement et de l’état de dépendance coloniale dans lequel est maintenu le Bengale. Tous ces faits qui sont dénoncés avec vigueur quand ils existent dans un État ennemi, sont tus lorsque la défense des intérêts impérialistes du capital chinois le commande.
Effectivement, la Chine, bouclée sur sa frontière septentrionale par l’URSS maintenant hostile, par les bases US établies en face de ses frontières maritimes (Okinawa, Guam, Corée du Sud, Formose, Sud-Viêt-Nam, Philippines, et Singapour), affrontant sur le Sud l’autre grande puissance du secteur, l’Inde, tente de briser cet isolement par tous les moyens.
L’alliance avec le Pakistan lui permet d’avoir un accès sur l’Océan Indien et par ailleurs de prendre les frontières terrestres de l’Inde dans une tenaille (à cet égard l’existence de deux Pakistan rattachés à une même autorité, est particulièrement efficace).
Soutenir le soulèvement bengali, même si celui-ci avait pu aboutir à un régime à sa dévotion, aurait signifié pour elle la perte de l’alliance du Pakistan Occidental autrement plus intéressant du point de vue stratégique étant la porte du Moyen Orient.
L’établissement de relations diplomatiques qui s’annonce entre la Chine et l’Iran[13] participe de ces mêmes desseins. Le fait que le gouvernement Iranien soit actuellement en train d’exercer une répression des plus féroces sur le mouvement populaire (étudiant, paysan et surtout ouvrier) qui se développe dans ce pays ne saurait entrer en ligne de compte devant les intérêts capitalistes de la Chine, De la même façon que l’assassinat d’Ernest Ouandié et de ses camarades n’a pu empêcher quelques jours plus tard, l’établissement de relation diplomatiques avec le Cameroun du "fantoche" Abidjo (2 avril), que le régime ultra-féodal et compradore qui règne dans l’Émirat de Koweït n’a pu contrecarrer l’établissement des mêmes relations avec celui-ci,(29 mars), que les régimes policiers qui accablent actuellement la Turquie et la Grèce aient été jugés dignes de bénéficier d’accords commerciaux[14], le fait que les États-Unis soient jugés comme le "chef de file de l’impérialisme mondial -ennemi des peuples du monde entier" n’a pas empêché la Chine Populaire de pratiquer à leur égard, pendant cette même période, la fameuse diplomatie du ping-pong.
On peut se demander pour quelles raisons ces régimes, considérés comme les plus réactionnaires, établissent des relations avec la Chine "rouge", "citadelle de la subversion". La réponse nous est donnée avec candeur par "Le Monde" du 28 avril :
Ainsi les partis "pro-chinois" qui sont légion dans ces pays n’ont plus qu’à aller se rhabiller : la Chine se moque bien de l’action qu’ils mènent au péril de leur vie. Ses intérêts impérialistes commandent.
Nos maoïstes de "la Cause du Peuple", placés devant le même genre de problèmes de cohérence essaient de leur côté dans leur numéro du 1er Mai de justifier, non seulement l’alliance de la Chine avec le Pakistan, mais également le massacre de l’insurrection Bengali. Les arguments utilisés valent qu’on les cite :
La première chose qu’on peut souligner c’est qu’il n’a jamais rien coûté à la Chine d’appuyer verbalement un mouvement se déroulant à 10.000 kilomètres de ses frontières (surtout s’il crée des ennuis aux "révisionnistes" de service), alors que le Bengale se trouve sur ses propres frontières. Devant cette manipulation de "contradictions" échelonnées on se demande ce qui l’emporte chez les maoïstes du cynisme où de l’inconscience.
Leurs sinistres exercices de rhétorique n’essaient rien de moins que de nous faire "avaler" un des plus sanguinaires carnages de ces dernières années, où le nombre de morts se compte par centaines de millions[17] sans compter les épidémies et famines qui atteignent aussi bien les Bengalis qui sont restés dans leur pays que les six millions qu’on a "entassé" en Inde.
La prise de position de la Chine en faveur du régime militaire pakistanais et l’activité diplomatique qu’elle a déployé pendant cette même période aura eu au moins le mérite de simplifier les choses : la Chine est un État Impérialiste au même titre que les USA, l’URSS et elle ne s’épargne aucune des attitudes qu’elle a dénoncé chez cette dernière. Maintenant, à ce sujet, les choses sont parfaitement limpides, mais il est un autre domaine où ces événements auront contribué à clarifier la situation : c’est celui du caractère des luttes de libération nationale.
En effet, que nous enseigne le soutien chinois à l’écrasement du soulèvement Bengali ? Que les grandes puissances "socialistes" ne sont prêtes à soutenir une lutte de "libération nationale" que pour autant que cela soit d’accord avec leurs intérêts impérialistes, sinon elles n’hésitent pas à contribuer à leur liquidation. Par conséquent aucune lutte de ce genre ne peut conduire aujourd’hui à une véritable libération nationale, puisqu’une telle libération ne signifierait justement que leurs intérêts sont lésés, ce que ne sauraient tolérer, ces puissances.
Dans un monde partagé en grands blocs d’influence, il n’existe que deux issues possibles pour de telles luttes :
Marx écrit dans "Le 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte" que'les grands évènements et personnages historiques se répètent deux fois : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme une farce.
Si les volte-face des partis staliniens suivant les intérêts nationaux de l’URSS représentaient pour le prolétariat inféodé à ces partis des tragédies (une des plus sanglantes fut celle qui le jeta dans la seconde guerre impérialiste mondiale sous couvert de "résistance" au fascisme) les actuelles contorsions de ceux qui revendiquent l’intégrité de l’héritage du stalinisme, y compris la vénération de sa figure de proue, ne sont plus en effet, qu’une farce (sinistre quelquefois quand ces contorsions s’appliquent à des évènements aussi tragiques que ceux du Bengale).
Les prolétaires d’aujourd’hui sont effectivement de moins en moins disposés à avaler les couleuvres que leurs pères et grands-pères durent ingurgiter pendant près de cinquante ans ; les pantalonnades de nos maoïstes ne peuvent plus leur inspirer que de l’indifférence et au pire de la pitié pour les militants sincères victimes de la répression.
Les maoïstes sont devenus une espèce triste, mélancolique et désemparée. Il faut tant de masochisme pour être aujourd’hui maoïste qu’on peut prévoir sans trop de risques l’extinction rapide de cette espèce. Dans cette prise de position à l’égard de l’attitude de la Chine dans l’insurrection Bengali, il ne s'agissait donc pas tant pour nous de nous associer au coup de grâce que l’histoire a donné, dans les pays au capitalisme le plus avancé, à ces courants politiques que de contribuer à l’effondrement de deux des mythes les plus néfastes auxquels s'est heurté le mouvement ouvrier : le caractère révolutionnaire des luttes de libération nationale et surtout la prétendue existence d’états "socialistes" ou d’un soi-disant bloc non-impérialiste.
Il est des époques où l’histoire semble s’accélérer. Il en est ainsi des périodes de guerre et surtout de révolution. Depuis quelques années on assiste à un tel phénomène : depuis l’intensification des divers conflits inter-impérialistes -en particulier avec la pression du capital chinois qui tente par tous les moyens de prendre sa part du gâteau dans le partage du monde, passant par les convulsions internes au bloc "communiste" et les difficultés grandissantes de l’économie mondiale, jusqu’au renouveau international des luttes ouvrières, il ne se passe plus de mois qui n’apporte d’élément nouveau contribuant à chasser de l’esprit des travailleurs les mystifications qu'un demi-siècle de contre-révolution y ont déposées.
Après 25 années de reconstruction et de "sereine" prospérité, les classes régnantes du monde entier constatent avec effroi que les murailles du vieux monde sont lézardées de partout et leur effroi est d’autant plus grand que celles-ci commencent à être frappées avec une énergie chaque jour grandissante par ce géant qu’elles croyaient définitivement endormi : le prolétariat.
Quant à nous, nous ne pouvons que dire, après Marx :
[1] Il revient à la vérité de dire ici que cette analyse n’est pas partagée par les autres courants trotskystes, en particulier l’OCI et "Lutte Ouvrière".
[2] Dans "le Monde " du 12 Mai le professeur Charles Bettelheim se lamente de voir "la révolution cubaine sur la voie soviétique" (sic). Il constate, avec une méthode que sans rire il qualifie de marxiste, que la direction cubaine a engagé par un certain nombre d’erreurs, le pays sur une voie qui le conduit au capitalisme. Comme illustration de ce jugement il cite l’existence depuis quelques années d’une "alphacratie" ainsi appelée parce qu’elle bénéficie l’automobile de luxe : Alfa Roméo d’importation réservée aux cadres supérieurs et moyens les plus "méritants". Et il n’hésite pas à qualifier cette catégorie sociale de "classe privilégiée". Sa vision imprégnée d’idéologie petite bourgeoise voit la différenciation entre classes uniquement comme une différenciation dans les privilèges matériels et non pas par rapport à la place occupée vis à vis du processus de production. Ce qui le choque dans Cuba ce n’est pas tant l’exploitation qu’y subit la classe ouvrière mais le manque de liberté et l’existence de privilèges. Le prolétaire par contre ne se dresse pas tant contre les privilèges de la bourgeoisie que contre l’exploitation et l’esclavage du travail salarié qu’elle lui impose.
[3] A ce propos cf. "le Monde" du 25 Mai et le discours de Monsieur Daniel Vergara, sous-secrétaire d’État à l’intérieur qui déclare "ce ne sera pas l’impatience de quelques-uns, l’immaturité ou la conduite irréfléchie de quelques autres qui nous empêcherons de respecter le cadre légal".
[4] "Le Monde" 9-5-71 page 6.
[5] "Le Monde" 16-4-71
[6] "Le Monde" 13-4-71
[7] "Le Monde" 15-4-71
[8] "Le Monde" 27-4-71
[9] "Le Monde" 23-4-71
[10] "Le Monde" 29-5-71
[11] "Le Monde" 13-4-71
[12] "Le Monde" 14-4-71
[13] Voir la réception à Pékin do la princesse Ashraf, sœur du Shah par L. Chou-En-Laï et les déclarations des deux parties en cette occasion dans "Le Monde" 16-4-71 et 28-4-71.
[14] Le "régime frère" de Tirana, s’est montré lui, encore plus direct en établissant de .relations diplomatiques au niveau d’ambassadeurs avec la Grèce le 6 mai.
[15] Quel est donc le contenu de ce concept ? Le Pakistan fait partie des "très impérialistes" traités militaires du CENTO et de l’OTASE, aux côtés des USA. Traités auxquels l’Inde n’adhère pas.
[16] "Purisme" que la Chine dut oublier eh appuyant le Biafra aux côtés des USA, la France, du Portugal et de l’Afrique du Sud.
[17] Ces massacres arrivent après les inondations de la fin 1970 qui avaient fait un nombre comparable de morts, inondations permises par le refus des autorités d’Islamabad de construire un système de digues. Ces autorités ont toujours préféré rapatrier vers le Pakistan Occidental les devises provenant du l’exportation du jute du Bengale (premier producteur du monde), maintenant avec ce dernier des rapports typiquement colonialistes. Ces rapports s’exercent dans tous les domaines : culturel (la langue, les races et les coutumes des deux Pakistan sont complètement différents, mais le gouvernement d’Islamabad a tenté, sans succès, d’imposer au Bengali l’emploi de l'Urdu, langue dominante au Pakistan Occidental) ; sociaux (157 seulement des Bengali dans l'administration centrale, 107 dans l’armée etc...).
[18] Pour une analyse plus complète des luttes de libération nationale voir le numéro 2 de R.I., et quant au caractère impérialiste de la Chine, voir l’article ‘sur le "conflit inter-impérialiste sino-soviétique", dans le numéro 9.
La pratique révolutionnaire exigera de ses protagonistes des réponses aux problèmes les plus importants que les hommes n’aient jamais été amenés à se poser : comment passer du monde de l’exploitation, du besoin et de l’aliénation, à celui de la liberté. Ce jour-là, peut être beaucoup de "déçus" et "d’impatients" d’aujourd’hui, commenceront à comprendre l’importance de tous les travaux théoriques, de toutes les tentatives d’éclaircissement que les révolutionnaires auront mené à bout au cours de leur combat vers la révolution.
Depuis près de cinquante ans, la faiblesse pratique du mouvement ouvrier s’est aussi manifestée dans celle de sa théorie... et pourtant, combien de problèmes nouveaux sont surgis, que de conclusions à tirer avec le nouveau recul de l’histoire...
Contre ceux qui se sont contentés de reprendre en bloc, comme un tout sacré et intouchable, certaines théories passées (trotskisme, "bolchevisme", par exemple) sans même se soucier des critiques qui leur étaient adressées par d’autres courants révolutionnaires dès l’époque de leur formulation ; sans même se poser la question de leur validité par crainte d’hérésie et besoin de sécurité lénifiante ; contre ces adorateurs stériles le mouvement révolutionnaire est forcé de repenser, d’approfondir, d’enrichir et d’affuter celle qui sera obligatoirement son arme principale : la vision claire des buts à atteindre et des moyens pour y parvenir, sa théorie révolutionnaire.
Aujourd’hui, ce travail conditionne la possibilité de formation de véritables organisations de révolutionnaires capables de mener à bien ses taches. Contrairement à ceux qui ne conçoivent le mot théorie que comme synonyme de spéculation et élucubration gratuite, ou bien de répétition systématique de quelque texte sacré, c’est dans un but essentiellement PRATIQUE que nous nous attaquons par l’analyse et la discussion à tous les problèmes théoriques que pose la lutte de classe.
C’est dans cette perspective que nous publierons le plus souvent possible des textes de discussion. C’est dans cette vision que nous publions ce texte d’un camarade de "l’Organisation Conseilliste de Clermont-Ferrand".
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En période révolutionnaire, quand le destin de millions et millions de prolétaires est en jeu, -et par là même celui de l’humanité toute entière-, toute parole, tout geste, tout acte, prennent immédiatement, à tout moment, une signification cruciale. Les communistes, orientant le mouvement vers son but au sein des organismes de la classe, doivent donner tout son contenu politique de classe à l’action née spontanément. Là, chaque explication, chaque mot d’ordre, se vérifient aussitôt dans la pratique : pour cela, les révolutionnaires, -les communistes-, doivent avoir une assurance de fer, des nerfs trempés dans l’acier pour développer clairement les objectifs socialistes contre l’opportunisme de droite, le marais centriste, et l’aventurisme. C’est par la lucidité soutenue par la passion révolutionnaire et non dominée par elle, que les éléments avancés concrétiseront leur union avec les masses, et contribueront à l’homogénéisation de la conscience de classe.
Quand l’État bourgeois est mis à nu mais qu’il dispose encore de toutes ses forces de répression et qu’il reste l’immense tâche de le détruire, quand l’heure est à la lutte armée et que le prolétariat s’est constitué en milices, les communistes doivent aider à faire tomber les masques de tous les démocrates petits-bourgeois à la menchevik, de tous ceux qui ne parlent qu’au nom de la démocratie formelle, de la liberté formelle.
Les communistes disent qu’il n’y a pas à choisir entre 36 solutions, c’est : guerre impérialiste ou guerre de classes, dictature de la bourgeoisie ou dictature du prolétariat. Il faut lutter pour l’unité du prolétariat contre tous ceux qui la placent à l’extérieur du prolétariat dans un "front unique", dans un "gouvernement" des organisations dites ouvrières comme les staliniens et consorts trotskystes. Au sein des conseils, les communistes se battront pour que "tout le pouvoir" soit à ces conseils orientés vers le socialisme, et non pas entre les mains de soi-disant représentants exécutifs coupés du mouvement réel des masses. Contre les séparations d’appareils, vestiges de l’idéologie bourgeoise, les communistes luttent pour l’autonomie du prolétariat. Le combat sera dur, âpre, farouche, sans pitié et pourtant les révolutionnaires éduqueront toujours le prolétariat dans la poursuite de ce combat jusqu’au bout; ils agiront toujours dans le sens de fortifier la conscience de classe ; comme disait Karl Liebknecht dans son dernier article intitulé "Malgré Tout", paru dans le "Rote Fahne" le jour même de sa mort :
"La révolution du prolétariat, qu’ils ont pensé noyer dans le sang, va se dresser devant eux, gigantesque ; son premier mot: à bas Ebert-Scheidemann-Noske, assassins d’ouvriers… Car Spartacus, c’est le feu et l’esprit, c’est l’âme et le cœur, c’est la volonté et l’action de la révolution prolétarienne. Et Spartacus, c’est encore toute la misère, et l’espoir de bonheur, toute la volonté de lutte du prolétariat conscient. Car Spartacus enfin, c’est le socialisme et la révolution mondiale."
Ainsi pour ces tâches gigantesques qui les attendent, les communistes doivent se préparer sans faiblir, s'efforcer d’acquérir le maximum de cohérence pendant les périodes de reflux des luttes.
Dans ces temps de contre-révolution où le prolétariat se scinde en de multiples ouvriers, individualisés, atomisés, écrasés, où règne l’idéologie bourgeoise, toute la conscience de classe doit être préservée et les révolutionnaires doivent s’employer à cette tâche.
Pour un communiste, le sérieux doit être constant, l’effort doit être régulier, Comment pourrait-il en être autrement face à un ouvrier qui travaille huit heures et plus par jour, qui subit des cadences infernales, qui doit arriver à l’heure pour pointer ? L’ouvrier qui subit l’exploitation capitaliste dans sa chair, comprend la préparation de la révolution comme quelque chose de long et de difficile : il sait que la lutte des classes n’est pas un dîner de gala ! Les communistes ne confondent pas préparation et révolution comme les petits-bourgeois. La préparation est hérissée de souffrances, d’échecs, de réflexions, de critiques : ce n’est pas une fête ! La fête c’est s’aménager un petit coin douillet au sein du capitalisme, c’est l’accepter et donc collaborer avec lui à l’abrutissement de millions d’ouvriers, c’est se satisfaire de la misère et de la survie qu’il nous accorde.
La révolution transforme peu à peu l’homme émietté en homme total : l’homme qui réalisera ses désirs au sein d’une collectivité réelle. Son processus est complexe : la première phase n’est pas non plus la fête, c’est là où la préparation trouve sa suite logique, où le prolétaire orienté par le communiste tend à prendre son destin en mains. Il y a là déjà bien sûr une immense libération mais la révolution prolétarienne étant avant tout une révolution consciente, il n’y a d’illusions à entretenir sur cette première victoire. Pendant ce passage du quantitatif au qualitatif, où l’ouvrier devient dialecticien, surgit sur la scène historique pour réaliser le socialisme, les éléments avancés doivent redoubler de travail à l’intérieur des conseils (comme nous l’avons un peu esquissé au début du texte). La deuxième phase : la fin des classes, sera une fête dans le sens où ce sera le temps démesuré des maîtres sans esclave .
Ainsi la préparation refuse le dilettantisme car celui-ci ne peut que renforcer les éléments de là contre-révolution. La préparation refuse l’éparpillement et l’activisme. Au contraire, par leur concentration et leur approfondissement de la théorie, les révolutionnaires sauvegardent les principes du communisme. Voir la nécessité de la théorie de manière constante, c’est comprendre le socialisme scientifique dans ses applications pratiques, c’est se préparer à assumer sa responsabilité historique c’est à dire à agir au plein sens du terme quand les conditions sont réunies, quand le prolétariat dans la rue réalise la théorie.
Les révolutionnaires ne font pas dogme de la théorie mais la conçoivent comme un dépassement au sein des plus grandes convulsions. Ils n’en sont pas les gardiens jaloux comme Kautsky, qui en deviennent les renégats en la figeant à la manière d’un absolu formel, idéaliste et donc inaccessible.
Pour toutes ces raisons, les communistes doivent remplir entièrement les plus petites tâches qu’ils se sont fixées. Leur engagement ne doit pas être simplement une formule creuse, que l’on répète de temps à autre pour fuir les tâches concrètes auxquelles il nous lie. Les communistes, se différencient en tout point des petits-bourgeois qui, selon le thermomètre, plus ou moins brûlant de leur révolte, mènent leur travail politique de manière irresponsable, qui selon le degré de leur impatience révolutionnaire, singent plus ou moins bien l’ensemble des tâches d’un militant sincère. Par leur lâcheté, leur faiblesse, leur fainéantise, dues au caractère de l’idéologie de la couche qu’ils représentent, ces éléments nuisent à la cohérence que cherche à atteindre une organisation révolutionnaire. Gorki a dépeint toutes leurs tares dans de nombreuses pages de ses romans et pièces de théâtre, mais quand justement ils veulent "s’engager" dans le mouvement révolutionnaire sans essayer de les corriger, -sans avoir même quelquefois le moindre soupçon de leur existence-, ces tares prennent des dimensions catastrophiques pour l’organisation, que la littérature seule ne peut pas rendre. Les vrais communistes -ceux que l’histoire "institutionnalisée" a appelé les communistes de gauche, ou Ultra-Gauche, ou Conseillistes- attachent une importance, extrême à la cohérence. Contre un Parti de Masse qui enrégimente la classe à coups de propagande tactique, ils mettent en avant la nécessité d’une organisation regroupant des éléments totalement conscients. Ils pensent que c’est la cohérence d’ensemble fondée sur une conscience commune dans les buts qui empêche de manière interne la formation de rapports hiérarchiques entre les révolutionnaires. En situation contre-révolutionnaire les structures de l’organisation subissent toutes les pressions physiques morales et idéologiques de la société de classes: aussi la cohérence qui en ressort sera pleine de rigueur et la conscience d’un militant reposera en partie sur sa volonté de lutter, de persévérer, d’apprendre sans cesse.
Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on songe aux épreuves qu’ont dut traverser les quelques groupes ouvriers communistes pour garder leur cohérence révolutionnaire pendant les 50 ans de contre-révolution stalinienne qui ont laminé le prolétariat ?
Mai 68 a marqué une importante reprise des luttes et la classe ouvrière internationale à présent (mineurs de Limbourg, des Asturies, de la Ruhr, ouvriers de Fiat et Pirelli ... et les chantiers navals de Gdansk, Gdynia, Sopot, des textiles de Lodz) recommence à ouvrir clairement la voie vers le communisme. Mais comme le dit si bien la formule, "ce n’est qu’un début” Cependant pas encore au niveau d’un combat ouvert et prolongé contre le capitalisme (ce qui est la thèse de tous les groupuscules qui ont la rage de la tactique et de la préparation militaire : de l’AJS aux maoïstes de la "Nouvelle Résistance Populaire" !), mais surtout en ce qui concerne la préparation théorique nécessaire pour orienter la spontanéité révolutionnaire qui va se révéler de plus en plus importante.
En conséquence de tout cela, une organisation révolutionnaire, -si elle entend mener à bien les tâches actuelles de préparation théorique qu’elle s’est fixées-, ne peut tolérer en aucun cas, l’introduction de mœurs petites-bourgeoises qui peuvent se camoufler en son sein sous une façade dite anti-autoritaire (en effet, le petit-bourgeois se refuse à reconnaître l’autorité et ses conséquences : hiérarchie, domination... comme un mal social et non un mal-en-soi, un mal "absolu": ainsi il se borne à la nier comme il veut nier l’État -sans chercher à comprendre d’où elle vient et surtout sans se rendre compte que par sa négation de cette réalité, il contribue en fait à renforcer cette même réalité). Ainsi si l’on commence à mal interpréter les sources de l’autorité, d’une part on fait des rêves sur une organisation toute simple où tout le monde se regarderait gentiment "en croquant la pomme", et donc on mutile consciemment chacun de sa volonté et de l’apport de ses capacités (ceci au profit d’élucubrations sur la "réalisation des désirs", sur la "transparence des rapports inter-personnels" ; comme si le refus de prendre des décisions tranchées et précises en vue d’intervenir n’était pas lui aussi une des formes de l’aliénation entretenue par la société capitaliste)- on mutile aussi en conséquence le développement réel de l’organisation pour atteindre la cohérence, qui est complexe, difficile, pleine de dépassements. (La cohérence n’est pas une planification de pensées immobiles, mais la centralisation de pensées vivantes); d’autre part on tend à nier que le communisme passe par la dictature du prolétariat puisque l’on veut immédiatement une société sans autorité. Comme dit Engels dans un texte de 1873 intitulé "De 1’Autorité" :
"Ont-ils jamais vu une révolution, ces messieurs ? Une révolution est certainement la chose la plus autoritaire qui existe, un acte par lequel une partie de la population impose sa volonté à l’autre partie à l’aide de baïonnettes, de fusils, de canons, moyens autoritaires s’il en fut... ainsi donc, de deux choses l’une : ou bien les adversaires de l’autorité ne savent pas eux-mêmes ce qu’ils disent et en ce cas ils ne créent que la confusion, ou ils le savent, et dans ce cas, ils trahissent la cause du prolétariat. De toute façon, ils servent la Réaction”.
Ainsi ont fini les anarcho-syndicalistes en France, qui, ne posant pas le problème de l’autorité par rapport à la lutte de classe, contribuèrent à envoyer le prolétariat sur les charniers Européens en 1914 ; ainsi ont-ils fini en Espagne en devenant ministres de "la République" aux cotés des crapules libérales, réformistes et staliniens, c’est à dire de la bourgeoisie antifasciste.
L’organisation doit rompre avec toute forme d’idéalisme ou d’opportunisme, en remettant les illusions "anarchisantes" ou "démocratiques”, car c’est la facilité, la paresse, la médiocrité aux dépens d’une analyse matérialiste qui laisse justement la place au renforcement de l’autorité et non à son dépérissement -surtout si de plus les conditions matérielles ne sont pas entièrement mûres. Les communistes doivent sans relâche éduquer l’ensemble du prolétariat et donc s’éduquer eux-mêmes dans les moments les plus qualitatifs de la classe et non pas être de "nouveaux administrateurs" qui en fait gouvernent à la place du prolétariat pour que des Cronstadt et un "moyen âge" comme le stalinisme ne resurgisse pas en retardant la marche de l’histoire. Car comme dit Rosa Luxembourg dans son texte sur la révolution russe :
"Cette dictature doit être l’œuvre de la classe, et non pas d’une petite minorité qui dirige au nom de la classe, c’est à dire qu’elle doit être l’émanation fidèle et progressive de la participation active des masses, elle doit subir constamment leur influence directe, être soumise au contrôle de l’opinion publique dans son ensemble, émaner de l’éducation politique croissante des masses populaires".
Face aux tâches importantes et radicales que nous avons définies, tout ce qui peut favoriser ou maintenir le confusionnisme doit être écarté. Seul un engagement militant qui découle en fait d’une analyse matérialiste de la décadence du capitalisme et du rôle des révolutionnaires dans la lutte de classe, nous amène à rompre avec la débilité petite-bourgeoise qui a suivi Mai 68. Il ne s’agit pas de "tirer des plans sur la Comète" en ce qui concerne les structures et les divers modes d’intervention concrètes de l’organisation des révolutionnaires ; mais nous pouvons dès maintenant nous opposer définitivement, autant à ceux qui se placent d’un point de vue de "stricte commentateurs de luttes" (comme ICO), qu’aux divagations moralisantes de ceux qui ont abandonné l’analyse marxiste et ses implications concrètes (dictature du prolétariat en particulier) au profit des recettes magiques des révoltes sexuelles, de la critique de la vie quotidienne, des rapports "authentiques” dans l’organisation, etc... (de VLR aux divers résidus situationnistes).
La lutte des travailleurs des ports polonais de la Baltique était bien plus qu’une "grève sauvage" ou qu’une "révolte spontanée" ; elle montre que les travailleurs ont conscience que l’obstacle principal au développement de leurs aspirations est l’État bourgeois et ses organes de répression. Le premier objectif fut donc la tentative de commencer sa destruction : le plus haut moment de la lutte fut l’incendie du siège du Parti au son de l'internationale, chantée par des mil1iers de travailleurs.
L’engagement militant réside avant tout dans la compréhension du processus révolutionnaire. L’organisation des révolutionnaires devra être en mesure d’expliquer clairement et de contribuer à l'accomplissement de ce processus une fois enclenché. Concentrons-nous sur ces tâches !
L’humanité ne se pose que les problèmes qu’elle peut résoudre. Ainsi, pour le moment, tout le reste n’est que pipi de chat.
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(Texte rédigé en vue de contribuer à préciser certaines positions de l’Organisation Conseilliste de Clermont-Ferrand, et par suite comme apport à la discussion au sein du courant Ultra-Gauche.)
12 Avril 1971
La révolte de la classe ouvrière polonaise en décembre 1970 est peut-être l’évènement le plus important des quarante dernières années de lutte du Prolétariat mondial. C’est au plus profond des mythes bourgeois, au mensonge qui a pesé le plus lourdement de toute l’histoire du mouvement ouvrier que le prolétariat polonais s’est victorieusement attaqué : le mythe des États dits "communistes". En 56 ou en 68, dans les pays de l’Est, le problème de l’intervention soviétique a souvent permis de noyer le mouvement ouvrier dans un amalgame nationaliste. En décembre 1970, c’est la classe ouvrière elle-même, sur des revendications strictement prolétarienne, qui a brûlé le siège du Parti soi-disant ouvrier, commençant par là à affirmer son autonomie comme classe historique et privant bourgeois et bureaucrates de toutes possibilités d’équivoque. Ce n’est évidemment pas un hasard si la lutte "anti-fasciste" de tous les "progressistes" contre ce procès de quelques nationalistes basques a reçu cent fois plus de publicité.
"Quels sont d’une façon générale les indices d’une situation révolutionnaire ? Nous sommes certains de ne pas nous tromper en indiquant les 3 principaux indices que voici :
1) Impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée ; crise du "sommet", crise de la politique de la classe dominante, et qui crée une fissure par laquelle le mécontentement et l’indignation des classes opprimées se fraient un chemin. Pour que la révolution éclate, il ne suffit pas habituellement, que "la base ne veuille plus" vivre comme auparavant, mis il importe encore que "le sommet ne puisse plus".
2) Aggravation, plus qu’à l’ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées.
3) Accentuation marquée, pour les raisons indiquées plus haut, de l’activité des masses, qui se laissent tranquillement piller dans les périodes "pacifiques", mais qui, en période orageuse, sont poussées, tant par la crise dans son ensemble que par le "sommet" lui-même vers une action historique indépendante" LENINE "La faillite de la Ile Internationale" Tome 21 des Œuvres Complètes (Août 14-Décembre 15)
Toutes proportions gardées, les évènements qui se sont déroulés en Pologne pendant le mois de décembre paraissent illustrer à merveille cette citation de Lénine. Après les secousses sociales qu’a connu le monde capitaliste traditionnel, (Mai 68 en France, le "mai rampant" italien, etc..,) et qui continuent à l’ébranler (voir la situation sociale en Angleterre et dans les pays nordiques) c’est le tour des pays de capitalisme d’État. Même la toute puissante Russie, n’est pas à l’abri des problèmes de l’économie capitaliste : inflation, chômage, et 'après les évènements de Pologne, on peut considérer le prolétariat de ce pays comme une des fractions les plus conscientes du prolétariat mondial actuellement.
"À la longue, il est difficile d’admettre des situations incorrectes" commente le journal polonais Trybuna Ludu à propos de l’opération "Vérité des "Prix" annoncée le Samedi 12 Décembre par le gouvernement Polonais. Effectivement le "bilan" de l’économie polonaise dressé par Monsieur Jaszczuk n’était pas satisfaisant : "pendant la période I956-60 l’accroissement du revenu national était en moyenne de 6,5% par an. Ce chiffre est tombé à 6,2% pendant la période I961-65 et à 5,7% pendant le plan quinquennal qui s'achève. Ces dernières années les grands travaux n’ont été réalisés que dans la proportion de 93%... Les résultats de la production agricole ont été décevant depuis deux ans." Le Monde Éditorial : "Une Population exaspérée" P; 1 (17 Déc 70)
Pour rétablir la situation économique, le gouvernement polonais décide de mettre en œuvre une politique de "vérité des prix". L’agence PAP explique ainsi les mesures prises ; "les prix précédents ne couvraient pas les coûts de production de la grande majorité des articles alimentaires et même dans certains cas ne couvraient pas le prix d’achat des produits agricoles eux-mêmes" Le Monde 15 Décembre 70.
L’économie polonaise doit se débattre dans de sérieux problèmes à en juger par le montant des augmentations : 8% pour le lait, 12% pour le pain, l4% pour le sucre et les tissus d’habillement, 16% pour la farine, 24% pour les chaussures, 33% pour le saindoux, 28 à 68% pour les matériaux de constructions. (Le Monde Diplomatique 2/1/71)
A ces augmentations, s’ajoutent encore les mesures de rationalisation prises dans certaines entreprises qui doivent augmenter le rendement des ouvriers et diminuer les primes. (Le Monde Diplomatique 2/1/7I)
Nous sommes ici en présence d’une de des "crises du sommet, de la politique de la classe dominante et qui crée une fissure par laquelle le mécontentement et l’indignation des classes opprimées se fraient un chemin".
"AGGRAVATION, PLUS FORTE QUE D’HABITUDE DE LA MISERE ET DE LA DETRESSE DES CLASSES OPPRIMEES."
"Même avant la dernière hausse des prix, le salaire moyen était insuffisant pour couvrir les besoins les plus élémentaires": (Le Monde Diplomatique 2/l/7l)
Déjà avant cette mesure, les travailleurs polonais pratiquaient le "second emploi", non déclaré et qui permettait de vivre un peu mieux.
N’ayant aucun stimulant, mal payé, l’ouvrier polonais tout comme l’ouvrier russe pratique une "grève perlée" en permanence. Un dirigeant se plaignait récemment que les travailleurs viennent se reposer à leur travail officiel, reconstituant leurs forces pour un deuxième emploi... "noir".
Les hausses de prix, touchant à des produits de toute première nécessité viennent réduire un niveau de vie déjà très bas, Elles ont pour conséquences de réduire le minimum vital social à un point qui n’est plus accepté par le prolétariat. Cette hausse de prix annoncée quelques jours avant Noël -ce qui provoque une colère encore plus intense- aura pour résultat les évènements que l’on sait.
La réaction de la classe ouvrière ne se fait pas attendre, et c’est dès le Lundi matin 14 Décembre que les ouvriers des chantiers navals de Gdansk se mettent en grève, se rassemblent en manifestation .dans les rues pour aller devant le siège du comité de région du parti.
Rapidement des heurts éclatent avec les forces de l’ordre ; une vague "d’émeutes" déferle sur les trois ports de la Baltique : Gdansk, Gdynia et Stettin.
Ce qui dans un pays capitaliste traditionnel se serait soldé par des conversations, des accords entre patronat et "représentants des ouvriers" (syndicats), prend de suite en Pologne un caractère violent et explosif. Dans les pays de l’Est, il n’existe aucun "amortisseur" entre exploiteurs et exploités.
Dans les sociétés capitalistes traditionnelles l’existence de syndicats, intermédiaires en apparence autonomes, jouissant encore d’une certaine crédibilité aux yeux de la classe ouvrière, amortit dans la plupart des cas cette violence latente.
Le prolétariat, n'a pas perdu de temps, et a de suite affronté ses ennemis et ses organes. Dans l'économie capitaliste traditionnelle, du fait de la multiplicité des usines et des patrons indépendants, du fait que les rênes de l'économie se trouvent éparpillés parmi la classe bourgeoise, les ouvriers ne voient qu'après plusieurs luttes l'ennemi global à attaquer. Nous voyons apparaître d’abord des conflits localisés au niveau des usines, et c’est seulement dans le cas d’une crise plus profonde, donc d’un mécontentement accru, que l’État, et l’ENSEMBLE de la classe dominante sont mis en cause. (Confère tous les conflits parcellaires et localisés pendant l'année 67-68 qui aboutissent à Mai 68 en France).
En Pologne, le conflit se pose de façon plus crue et plus directe. Il n’y a pas à s’y tromper. Ce n’est pas le patron local qui est mis en cause, car celui-ci n'existe pas, ou bien n'est que le représentant direct, l’exécutant des ordres du pouvoir central.
Toute lutte ou revendication met donc directement en cause le gérant de l’économie : l'ETAT, LE PARTI. C’est ainsi que la foule ne se donne pas 36 buts, mais un : le siège du comité du parti.
En Pologne "socialiste" il est clair que les moyens de production, étant nationalisés, sont la propriété de l’État. Ils sont donc contrôlés, dirigés par la couche qui détient le pouvoir d’État, dans ce cas, le Parti Ouvrier Unifié Polonais.
"Comme dans tout appareil hiérarchisé, à l’origine des ordres, se trouve une élite, un groupe de gens occupant dans la hiérarchie des postes de responsabilité et qui élaborent ensemble des décisions fondamentales. Dans notre système, l’élite du parti est en même temps l'élite gouvernementale. Les décisions du pouvoir d’État sont prises par elle, et au sommet des échelles hiérarchiques du Parti et de l’État on remarque généralement le cumul des postes. Exerçant le pouvoir dans l’État, cette hiérarchie dispose de l’ensemble des moyens de production nationalisés, décide de l’importance relative de la consommation et de l’accumulation des investissements dans les secteurs de son choix, de la part de .chaque groupe social dans la consommation du revenu national, bref de la répartition et de l’emploi de la totalité du produit social. Les décisions de l’élite sont indépendantes et libres de tout contrôle de la part de la classe ouvrière et du reste de la société." Kuron et Modzelewski page 6
Derrière chaque entreprise différente, se cache le propriétaire unique des moyens de production : l’ETAT.
Ne disposant pas des moyens de production, l’ouvrier polonais, tout comme l’ouvrier français ou américain, doit, pour survivre vendre la seule chose qu'il possède ; sa force de travail.
"À qui l’ouvrier vend-il sa force de travail dans notre pays ? A ceux qui disposent des moyens de production, donc à la bureaucratie politique centrale. A ce titre, la bureaucratie politique centrale est une classe dominante : elle a le pouvoir exclusif sur les moyens de production de base, elle achète la force de travail de la classe ouvrière, elle lui prend par la force brutale et la contrainte économique le surproduit qu’elle exploite pour des objectifs hostiles ou étrangers aux ouvriers c’est-à-dire dans le but de renforcer et d’élargir son pouvoir sur la production et la société. Et, ceci est, dans notre système, le type prépondérant des rapports de propriété, la base des rapports de production et des relations sociales."
Mais... argumentent les Trotskystes :
"La bureaucratie soviétique a politiquement exproprié le prolétariat pour défendre par ses propres méthodes les conquêtes sociales du prolétariat. Mais le fait même qu’elle se soit appropriée le pouvoir dans un pays où les moyens de production les plus importants appartiennent à l’État, crée entre elle et les richesses de la nation des rapports entièrement nouveaux. Les moyens de production appartiennent à l’État. L’État "appartient" en quelque sorte à la bureaucratie. Si ces rapports encore tout-à-fait récents, se stabilisaient, se légalisaient, devenaient normaux sans résistance ou contre la résistance des travailleurs, ils finiraient par la liquidation complète des conquêtes de la révolution prolétarienne. Mais cette hypothèse est encore prématurée. Le prolétariat n’a pas encore dit son dernier mot. La bureaucratie n’a pas créé de base sociale à sa domination sous la forme de conditions particulières de propriété. Elle est obligée de défendre la propriété de l’État source de son pouvoir et de ses revenus. Par cet aspect de son activité, elle demeure l’instrument de la dictature du prolétariat."[2] Trotski "La Révolution trahie" page 250 - Edition 10-18
Trotsky aurait dû tout d'abord se poser la question de savoir comment il est possible qu'une couche exproprie une autre, pour ensuite défendre les "conquêtes sociales" de la classe qu'elle vient d'exproprier,
Assurément, l'histoire ne nous a jamais donné l’exemple de semblables péripéties. Mais passons là-dessus pour analyser le dernier argument -au fond, le plus important.
Trotsky nous dit que "la bureaucratie n'a pas créée de base sociale à sa domination sous la forme de conditions particulières de propriété ". Il entend par là que juridiquement elle ne s'est pas accordé la propriété privée individualisée, transmissible, par vente ou par héritage... etc.
Trotsky, considère, ici, comme dans tous ses écrits, au sujet de l'URSS, que la propriété privée individualisée est un des caractères intrinsèques du capitalisme. Trotsky oublie que "propriété privée" a d’abord et avant tout le sens de propriété privée à autrui. Sous le capitalisme, il y a propriété privée des moyens de production (et c’est cela qui caractérise le système, c'est cela qui est à la BASE de toutes les contradictions du capitalisme) c'est en ce sens que les travailleurs n’ont pas accès à ces moyens de production, qu'ils sont PRIVÉS de tout contrôle sur eux, et en conséquence de tout contrôle et décision sur la production, et le produit social.
C’est parce que le travailleur est SÉPARÉ de ses moyens de production et donc du produit de son travail qu’il est aliéné ; c’est pour cela qu’il est obligé de vendre sa force de travail.
Lorsque Trotsky envisage l’économie russe, il confond la transformation formelle opérée dans les RAPPORTS DE PROPRIÉTÉ, avec une transformation des RAPPORTS DE PRODUCTION. ("La nationalisation du sol, des moyens de production, des transports et des échanges, et aussi le monopole des moyens de production forme les bases de la société soviétique. Et", cet acquis de la revoltuion prolétarienne définit à nos yeux l'URSS comme un état prolétarien").
Cette confusion est à la base de toutes les erreurs de la conception trotskyste.
Se trouvant face à un état de choses qu’il critique ardemment, et n’ayant pu se libérer de cette erreur théorique, Trotsky tombe, dans la confusion la plus totale, dans des analyses aberrantes du point de vue marxiste.
D’un côté, Trotsky voit la situation en Russie lucidement : ''Le passage des usines à l’État n’a changé que la situation, juridique de 1!ouvrier", d’un autre côté, il parle : d’"État ouvrier dégénéré" (caractérisation politique imprécise ; un État qui a été "ouvrier" mais qui ne l’est plus ? Qui l’est encore "un peu" ?), et de rapports de production (identiques pour lui à des rapports de propriété) "socialistes" avec parallèlement une distribution bourgeoise, ce qui comme l’a démontré Marx dans sa critique de l’économie politique bourgeoise, n’a aucun sens réel.
"Les rapports et les modes de distribution apparaissent donc simplement comme l’envers des agents de production. Un individu qui participe à une production sous la forme du travail salarié participe sous la' forme du salaire à la répartition des produits, résultats de la production. La structure de la distribution est entièrement déterminés par la structure de la production. La distribution est elle-même un produit de la production non seulement en ce qui concerne l’objet, le résultat de la production seul pouvant être distribué, mais aussi, en ce qui concerne la forme, le mode précis de participation à la production déterminant les formes particulières de la distribution;...
... dans sa conception la plus banale,(c’est celle à laquelle, il faut le penser, se rallient les trotskystes) la distribution apparaît comme distribution des produits , et ainsi comme plus éloignée de la production et pour ainsi dire indépendante de celle-ci. Mais avant d’être distribution des produits. Elle est une distribution des instruments de production, et deuxièmement, ce qui est une autre détermination du même rapport, distribution des membres de la société entre les différents genres de production (Subordination des individus à des rapports de production détermines). La distribution des produits n’est manifestement que le résultat de cette distribution, qui est incluse dans le procès de production lui-même et détermine la structure de la production : considérer la production, sans tenir compte de cette distribution qui est incluse en elle, ç’est manifestement une abstraction, vide alors qu’au contraire la distribution des produits est impliquée par cette distribution, qui constitue à l’origine un facteur même de la production (souligné par nous), Marx - "Introduction à la Critique de 1’Economie Politique" Ed. Soc. page 160-161.
Le trotskyste Mandel[3](I) a beau prétendre que l’idée d’une telle "loi de correspondance" entre mode de production et mode de distribution est une "conception mécaniciste" qui "est peut-être un produit du stalinisme, mais certainement pas un produit de Marx", il n’empêche que l’idée de Marx à ce sujet est particulièrement sans équivoque. Mandel ne critique peut-être que la volonté de vouloir la considérer valable "partout et toujours" ?[4] (2) Il n’empêche que Marx est très clair à ce sujet. C’est bel et bien de production, de consommation et de distribution au sens général du terme que Marx parle. Même dans l’extrait ci-dessus, quand il parle de salariat, ce n’est que pour citer un exemple parmi d’autres. C’est bien une loi générale que Marx met en évidence.
Les pirouettes théoriques de Mandel pour se réclamer de Marx tout en défendant de telles aberrations, utilisant "d’importantes considérations" du style de la "tendance foncièrement égalitaire" de la planification -en soi- ne peuvent se comprendre que dans un souci de maintenir la vielle mystification du caractère prolétarien du capitalisme d’État. "C’est un problème de direction". Si nous étions à la tête de cette même économie (soviétique) ce serait socialiste etc...
Déjà Marx, entrevoyait théoriquement, la possibilité d’un CAPITALISME "à la Russe".
"Dans une société donnée, elle (la centralisation), n’aurait atteint la dernière limite qu’au moment où le CAPITAL NATIONAL TOUT ENTIER ne formerait plus qu’un seul capital entre les mains d’un seul capitaliste ou d’une seule compagnie de capitalistes". MARX "Le Capital" Livre I, page 1139 Éditions de la Pléiade, tome I
L’URSS n’est pas le premier exemple dans l’histoire d’une société divisée en classes, sous la couverture d’une propriété qualifiée "juridiquement" de collective ou communiste. Le despotisme oriental ou système asiatique nous donne le premier exemple d’une telle organisation sociale ; juridiquement, nous sommes en communisme primitif ; dans les faits, c’est la caste détenant le pouvoir d’État qui est une classe dominante et exploite le reste de la société.
Du point de vue du prolétariat, le fait que les moyens de production soient concentrés dans les mains de l’État, ou bien éparpillés entre les mains de différents capitalistes, ne change aucunement les choses. Et, c’est pour cette raison, que la polémique avec les trotskystes, loin d’être simplement une question académique, ou intellectuelle -devient dans la réalité, une frontière de classe.
De leur analyse, Trotsky et ses épigones tirent la conclusion "qu’après la révolution politique, après le renversement de la bureaucratie, le prolétariat aurait à accomplir dans l’économie de très importantes réformes. IL N’AURAIT PAS A FAIRE UNE NOUVELLE REVOLUTION SOCIALE".
"La Révolution trahie" page 255 et aux épigones de crier après les évènements de Pologne : "Révolution politique car en Pologne, le capitalisme a été exproprié, l’État bourgeois détruit, les moyens de production collectivisés". "Information Ouvrière" n° 505. ;
C’est là entretenir une mystification de plus.
En Pologne, comme en URSS, comme dans les pays du capitalisme occidental, le prolétariat sera affronté aux mêmes tâches, aux mêmes problèmes :
La révolution est sociale, donc économique et politique à l'Est comme à l’Ouest. En parodiant Marx excédé par la vision parcellaire et donc réactionnaire de Proudhon qui veut séparer le politique du social nous disons aux trotskystes "ne dites pas que le mouvement social exclut le mouvement économique. Il n’y a jamais de mouvement politique qui ne soit social en même temps".
Une bévue telle que celle d’envisager une séparation entre l’économique et le politique trouverait à la rigueur une explication (non, une justification) dans une économie libérale du XIXe siècle où la bourgeoisie privée "oppose farouchement à l’intervention économique de l’État dans ses affaires. Elle devient une pure aberration lorsqu’il s'agit d’une économie de type "soviétique" où la fusion économique et politique est parfaite jusqu’à se formaliser dans un parti unique détenant tous les pouvoirs. Parler alors de révolution politique et non économique ne peut s’expliquer que par le souci de défendre le type d’exploitation étatique, le capitalisme d’ETAT, justement celui auquel le prolétariat polonais s’est attaqué, lui payant du prix de centaines de ses morts les quelques revendications économiques qu’il a pu arracher.
Dans le système de capitalisme d’État, la majeure partie des moyens de production sont nationalisés. Ils "appartiennent" tous à un même propriétaire : l’État. En ce sens, les "ventes" ou "achats" d’une branche à une autre, sont en réalité, simplement des "transferts" de même type que ceux, qui s’effectueraient dans une concentration verticale, en France par exemple.
Il y a une seule chose que la bureaucratie doit ACHETER véritablement : c’est la force de travail. Seule marchandise qui ne lui "appartient" pas, elle est achetée à sa valeur :
L’ouvrier dispose en général d’un logement d’État qu’il paye très peu, c’est-à-dire qu’il utilise en grande partie gratuitement : mais il faut bien qu’il habite quelque part pour vivre et produire ; son appartement n’a rien de luxueux, et le plus souvent manque du confort le plus élémentaire. Il est une des composantes de son minimum vital qui lui est assuré en plus de son salaire.
L’ouvrier bénéficie de soins médicaux gratuit et de réductions sur le prix des médicaments : il doit être soigné pour entretenir sa capacité de travail. Les services médicaux gratuits et les médicaments à prix réduit sont encore des composantes de son minimum vital. Si l’on supprimait la gratuité des soins médicaux, si l’on élevait les loyers, et les charges au niveau de la rentabilité de la construction et de l’entretien des immeubles, le salaire devrait s’élever d’autant... Ces charges et services gratuits sont pour l’ouvrier une partie indispensable de son minimum vital, un complément à son salaire aussi nécessaire que le salaire lui-même. Ils entrent donc dans les frais de production
De même qu’en France ou dans les autres pays "occidentaux", la forme de travail en Pologne est la seule marchandise qui est capable de créer plus de valeur, qu’elle ne vaut. Le surproduit créé par la classe ouvrière est approprié par celui qui achète la force de travail : l’État.
Le fait que l’acheteur de la force de travail soit unique et que le régime soit totalitaire ne peut que rendre plus féroce les conditions d’exploitation.
De même que le but social de la production détermine le rôle social des classes dominantes :
"Chaque classe dominante détermine le but de la production sociale. Elle le fait évidemment dans son propre intérêt de classe, c’est-à-dire avec le souci de fortifier et élargir sa domination sur la production et la société.
La position d’un capitaliste individuel (d’une société anonyme, d’un monopole, etc.…) dans la société dépend de l’importance de son capital, de même que la position internationale de toute la classe capitaliste d’un pays donné dépend de l’importance du capital national. Car le capital est la forme actuelle de domination sur le travail et son produit. Ainsi la préoccupation constante d’un capitaliste sera l’élargissement donc l’accumulation de son capital. En fait, il est l’expression de son capital et de sa tendance à "l’expansion", La seule puissance matérielle de la bureaucratie, son champ de domination sur la production, sa position internationale (facteur très important pour une classe qui s’organise comme un groupe s’identifiant avec l’État), dépendent, de l’importance du capital national.
La bureaucratie tend donc à l’élargir, à étendre l’appareil de production et d’accumulation. Elle est l’expression du capital national, au même titre qu’un capitaliste le serait de son capital individuel.
Quel est le but de classe atteint par la bureaucratie au travers du processus de production ou en d’autres termes quel est le but de classe de la production ? Ce n’est pas le bénéfice de l’entreprise mais le surproduit à l’échelle de toute l’économie nationale. Et elle fournit les sources de l’accumulation ainsi que de toute dépense destinée au maintien et à l’affermissement de la domination de classe de la bureaucratie."
Qu’est-ce que le surproduit ? Il est constitué par la différence entre ce qui est avancé et ce qui est créé.
Il peut provenir en partie d’un échange inégal entre par exemple : les biens que l’état vend aux paysans et ceux qu’il obtient en contrepartie.
Dans la mesure où la petite propriété individuelle subsiste à la campagne, et que ces paysans ont besoin de s’approvisionner en moyens de production industriels, ils adressent à l’État où à ses organes une demande. L’État étant le vendeur monopoliste de tels biens, fixe ses prix de façon à pouvoir titrer un avantage de l’échange.
Le surproduit peut provenir aussi d’un échange inégal entre pays. Mais nous pouvons éliminer ici cette hypothèse car ce n'est certainement pas la Pologne, qui va tirer un bénéfice quelconque de ses échanges avec l’URSS c’est plutôt le cas inverse qui se produit.
Le surproduit provient d’abord et avant tout du surtravail de la classe ouvrière.
Le travail non payé de celle-ci est approprié par la bureaucratie et constitue la principale source d’accumulation, des salaires des travailleurs improductifs, du maintien de l’appareil policier, etc....
La classe ouvrière n’a aucun mot à dire quant à la façon dont cette partie du produit créé par elle est employée. Le travailleur est aussi aliéné par rapport à son travail et par rapport à son produit que dans n’importe quel autre pays.
Il est dans l’intérêt de la bourgeoisie mondiale (soit privée, ou bureaucratique) de maintenir la mystification au sujet du partage du monde entre deux types de sociétés opposées : d’un côté le capitalisme (qui LUI est libéral, démocratique, respecte les libertés individuelles, etc…) de l’autre de "socialisme” qui LUI est planifié, qui soutient les luttes pour l’émancipation des peuples frères, qui a aboli le capitalisme, etc…) Ce partage en deux "mondes”, deux types de société, (l’enfer étant toujours l’autre) est soigneusement entretenu par la classe dominante en vue de mieux consolider son pouvoir.
Un des aspects importants des évènements qui se sont déroulés en Pologne pendant les mois de Décembre 70, et suivants, c’est justement le fait qu’ils apportent encore une fois un démenti à cette thèse. Après les grèves allemandes de 53, la révolte hongroise et polonaise de 56, sans citer les revendications des intellectuels, des étudiants, etc.... les ''évènements de la Baltique" viennent avec une force, et une clarté encore jamais vue proclamer que la lutte du prolétariat est la MEME à l’Est et à l’Ouest.
Après avoir démarré sur un objectif strictement économique -maintien du prix de la force de travail ; maintien du taux d’exploitation- la grève se prolonge en revotant souvent, par la forme d’organisation aussi bien que par le contenu des revendications, un caractère extrêmement radical.
Le journal Berlinois "883" publia en janvier, un témoignage qui lui était parvenu de Pologne et qui signale qu’à Stettin :
"La grève s’étendait dans toute la ville, mais c’était une grève spéciale. Les employés du gaz et de l’électricité ne coupaient le gaz et l'électricité que dans les quartiers où habitaient les flics et les "pontes" du parti et non dans le port et les quartiers populaires. En même temps les vendeurs les magasins apportaient gratuitement de la nourriture aux ouvriers. L’essence était gratuitement donnée pour la fabrication de cocktails molotov".
Le mouvement polonais ne fut pas un "éclat" sans suite. Des arrêts de travail et des grèves se sont poursuivis ci-et-là pendant les mois de janvier et février.
Souvent, (cf. le Monde du 1er février) comme à Gdansk, les ouvriers s’arrêtaient de travailler une heure ou deux pour appuyer leurs revendications où élaborer davantage leurs "cahiers de doléances". C’est le cas aux chantiers navals de Szczecin, où, pour calmer l’agitation Gierek vint en personne dialoguer avec les travailleurs.
Ailleurs, comme à Lodz, centre textile polonais., "plusieurs milliers d’ouvrières ont cessé le travail dans sept grandes usines."(Le Monde 1er février 1971).
Dès le 13 janvier "le Monde" dans un article intitulé : "la direction du Parti sollicite le concours des conseils ouvriers qui avaient cessé toute activité depuis 1958 écrit : pour la première fois depuis 1958, le secrétaire du comité central, a envoyé une circulaire aux conseils ouvriers afin de leur expliquer les problèmes sociaux qui se posent dans le pays."
Que sont ces "conseils ouvriers" ? Ce terme de conseil, traduction française de "Soviet" désigne en général une assemblée d’ouvriers, de paysans ou de soldats dont le tout est de diriger ou contrôler telle ou telle activité. Chaque fois que la classe ouvrière est rentrée en lutte ouverte avec le capitalisme de tels organes sont apparus. Exerçant parfois un pouvoir parallèle à l’État officiel pour devenir les organes de la dictature du prolétariat par la suite (Russie 17), (en d’autres cas, ces conseils se sont sabordés eux-mêmes en donnant leurs pouvoirs à un gouvernement bourgeois (Allemagne 1919).
Apparus en Hongrie et en Pologne en 1956, ce furent ces organes populaires qui portèrent Gomulka au pouvoir qui en 1958 les interdit.
Aujourd'hui en Pologne, le gouvernement Gierek parle à nouveau de conseils ouvriers, demande leur collaboration.
Il semblerait donc qu’il y ait deux types de "conseils ouvriers".
D’une part, les "conseils ouvriers" officiels que le gouvernement a essayé de faire revivre comme organes "participationnistes" pour reprendre le contrôle de la situation. D’autre part, face à ces courroies de transmission du pouvoir, le prolétariat aurait constitué des "comités ouvriers" grâce auxquels il a mené sa lutte de façon indépendante et généralisant les revendications économiques pour les traduire immédiatement en termes politiques.
Les travailleurs "... dénoncent les méthodes du pouvoir et réclament un bouleversement des structures existantes : notation des cadres du parti, information libre et complète pour tous, exercices d’une démocratie réelle, autonomie des syndicats" (L’Express).
Dénonçant dans le sang la nature capitaliste des régimes des pays de l’Est, la classe ouvrière polonaise a donné deux enseignements précieux au reste du prolétariat mondial.
D’une part, elle détruisait un mythe, de l’autre, elle montrait le chemin à suivre dans la lutte.
Les réformes "efficaces" de Gierek, les accords avec l’Église et l’argent de Moscou peuvent peut-être momentanément rétablir la paix sociale que nécessite le capital polonais. Ils ne pourront cependant jamais éliminer le dernier acquis essentiel du prolétariat polonais : sa conscience de classe, sa confiance en lui-même. Bien sur le régime n’a pas été détruit. Le capitalisme d’État et le pouvoir bureaucratique sont restés sur pied malgré la secousse. La classe ouvrière ne pouvait pas réellement, par manque de force, d’expérience et de conscience, abolir d’un coup le système existant et apporter sa propre solution définitive. Elle a encore exigé (et donc attendu) de lui une solution. Mais les moyens qu’elle a utilisés ont été l’annonce d’une nouvelle étape de la lutte.
Les révolutions ne sont jamais un éclat victorieux et définitif du premier coup. Elles sont le processus d’une série de tentatives, de défaites, de bonds à travers lesquels, d’étapes en étapes, la classe révolutionnaire se prépare à l’affrontement final.
Le décembre 70 polonais ne constitue pas seulement une expérience "polonaise". Il est un moment de la lutte et du réveil actuel du prolétariat mondial. Ce n’est plus l’isolement international de 1956. En décembre 70 le prolétariat polonais était la véritable avant-garde du prolétariat mondial, ce même prolétariat qui avait déjà fait Mai 68, l’été chaud italien, qui a couvert l’Angleterre et la Scandinavie de grèves sauvages, le même qui fait trembler tous les régimes du monde.
"Les révolutions prolétariennes se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n’abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et se redresser à nouveau formidable en face d’elles, reculent constamment à nouveau devant l’immensité infinie de leurs propres buts, jusqu’à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient : Hic Rodus, hic Salta. C’est ici qu’est la rose, c’est ici qu’il faut danser". Marx "18 Brumaire".
La bourgeoisie elle-même ne se trompe pas lorsqu’elle écrit dans 1’Express :
"le décembre polonais, profondément prolétarien est peut-être à long terme plus dangereux : (que l’explosion de 56, ou que le printemps de Prague) car il pourrait facilement gagner la réalité soviétique ou Est Allemand (...) Certaines revendications des ouvriers polonais (...) pourraient fort bien être reprises par les salariés de Tour ou de Nantes."
Parfois la bourgeoisie parvient même à entrevoir que la lutte du prolétariat est une lutte mondiale. C’était l’essentiel à comprendre des évènements de Décembre70 en Pologne.
[1] Nous citerons fréquemment la "lettre ouverte au-Parti Ouvrier Polonais" de Kuron et Modzelewski. Son intérêt évident réside dans le fait que ces auteurs analysent en révolutionnaires la société qu’ils combattent, se montrant par là une première expression théorique de ce que la classe ouvrière commençait à mettre en pratique et dont Décembre 70 marque une étape fondamentale . Ils ne pouvaient que retrouver partiellement les analyses des révolutionnaires européens de "l’ultra gauche" qui dénonçaient la nature capitaliste des pays de l’Est, Kuron et Modzelewski parlent bien de CAPITAL et de régime d’EXPLOITATION de classes » Malgré certaines critiques que nous pouvons émettre quant à une partie de leur première tentative en ce sens, nous nous efforcerons donc d’utiliser leur propre point de vue pour comprendre la nature des évènements de Décembre 70.
[2] Nous reprenions ici un texte qui à été écrit à propos de l’Union Soviétique, et nous appliquons cette argumentation de Trotsky à la Pologne et aux autres démocraties populaires car ces arguments sont repris par certains trotskystes actuels ("Information Ouvrière" et " Rouge") à propos de ces pays.
[3] (I) Un des principaux représentants de la Quatrième Internationale, économiste belge.
[4] (2) In "Quatrième Internationale" Septembre 70.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract_supple_a_ri_ndeg5_ancienne_serie.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/marxisme-theorie-revolution
[3] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/commune-paris-1871
[4] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[5] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/communisme-conseil
[6] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/influence-gauche-communiste
[7] https://fr.internationalism.org/tag/approfondir/questions-dorganisation
[8] https://fr.internationalism.org/tag/5/119/asie
[9] https://fr.internationalism.org/tag/5/62/chine
[10] https://fr.internationalism.org/tag/5/120/pakistan
[11] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/maoisme
[12] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/question-nationale
[13] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/debat
[14] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/lorganisation-revolutionnaire
[15] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/conscience-classe
[16] https://fr.internationalism.org/tag/5/48/pologne