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ICCOnline - mars 2022

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Conflit impérialiste en Ukraine: La classe dominante exige des sacrifices sur l’autel de la guerre!

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Si vous tentez de fuir avec votre famille des zones de guerre en Ukraine, comme des centaines de milliers d’autres personnes, vous serez séparés de force de votre femme, de vos enfants et de vos parents si vous êtes un homme entre 18 et 60 ans : vous êtes maintenant conscrits pour combattre l’avancée de l’armée russe. Si vous restez dans les villes, vous serez soumis aux bombardements et aux missiles, censés viser des cibles militaires, mais causant toujours les mêmes « dommages collatéraux » dont l’Occident a entendu parler pour la première fois lors de la glorieuse guerre du Golfe de 1991 : des immeubles d’habitation, des écoles et des hôpitaux sont détruits et des centaines de civils sont tués. Si vous êtes un soldat russe, on vous a peut-être dit que le peuple ukrainien vous accueillerait comme un libérateur, mais vous paierez de votre sang pour avoir cru à ce mensonge. Telle est la réalité de la guerre impérialiste d’aujourd’hui, et plus elle se poursuit, plus le nombre de morts et les destructions s’accroissent. Les forces armées russes ont montré qu’elles étaient capables de raser des villes entières, comme elles l’ont fait en Tchétchénie et en Syrie. Les armes occidentales qui arrivent en Ukraine vont amplifier davantage la dévastation.

L’âge des ténèbres

Dans l’un de ses récents articles sur la guerre en Ukraine, le journal britannique conservateur The Daily Telegraph titrait : « Le monde glisse vers un nouvel âge des ténèbres fait de pauvreté, d’irrationalité et de guerre [1] ». En d’autres termes, il est de plus en plus difficile de dissimuler le fait que nous vivons dans un système mondial qui s’enfonce dans sa propre décomposition. Qu’il s’agisse de l’impact de la pandémie mondiale de Covid, des dernières prévisions alarmantes sur le désastre écologique auquel la planète est confrontée, de la pauvreté croissante résultant de la crise économique, de la menace tout à fait évidente que représente l’aiguisement des conflits impérialistes, ou la montée de forces politiques et religieuses alimentées par des légendes apocalyptiques et des théories du complot autrefois marginales, le titre du Telegraph n’est ni plus ni moins qu’une description de la réalité, même si ses éditorialistes ne cherchent guère les racines de tout cela dans les contradictions du capitalisme.

Depuis l’effondrement du bloc de l’Est et de l’URSS en 1989-91, nous avons défendu que ce système social mondial déjà obsolète depuis le début du XXe siècle entrait dans une nouvelle et dernière phase de son déclin. Face à la promesse que la fin de la guerre froide entraînerait un « nouvel ordre mondial de paix et de prospérité », nous avons insisté sur le fait que cette nouvelle phase serait marquée par un désordre croissant et une escalade du militarisme. Les guerres dans les Balkans au début des années 1990, la guerre du Golfe de 1991, l’invasion de l’Afghanistan, de l’Irak et de la Libye, la pulvérisation de la Syrie, les innombrables guerres sur le continent africain, l’essor de la Chine en tant que puissance mondiale et le renouveau de l’impérialisme russe ont tous confirmé ce pronostic. L’invasion russe de l’Ukraine marque une nouvelle étape dans ce processus, dans lequel la fin de l’ancien système de blocs a donné lieu à une lutte frénétique de chacun contre tous, où des puissances autrefois subordonnées ou affaiblies revendiquent désormais une nouvelle position dans la hiérarchie impérialiste.

La gravité de cette nouvelle guerre en Europe

L’importance de ce nouveau cycle de guerre ouverte sur le continent européen ne peut être minimisée. La guerre des Balkans a déjà marqué la tendance de chaos impérialiste à revenir des régions les plus périphériques vers les cœurs du système, mais il s’agissait d’une guerre « à l’intérieur » d’un État en désintégration, dans laquelle le niveau de confrontation entre les grandes puissances impérialistes était beaucoup moins direct. Aujourd’hui, nous assistons à une guerre européenne entre États, et à une confrontation beaucoup plus ouverte entre la Russie et ses rivaux occidentaux. Si la pandémie de Covid a marqué une accélération de la décomposition capitaliste à plusieurs niveaux (social, sanitaire, écologique, etc.), le conflit en Ukraine rappelle brutalement que la guerre est devenue le mode de vie du capitalisme dans sa période de décadence, et que les tensions et conflits militaires s’étendent et s’intensifient à l’échelle mondiale.

La rapidité de l’offensive russe en Ukraine a pris par surprise de nombreux experts bien informés, et nous-mêmes n’étions pas certains qu’elle se produirait si rapidement et si massivement. (1) Nous ne pensons pas que cela soit dû à une quelconque faille dans notre cadre d’analyse de base. Au contraire, cela découlait d’une hésitation à appliquer pleinement ce cadre, qui avait déjà été élaboré au début des années 1990 dans certains textes de référence (2) où nous soutenions que cette nouvelle phase de décadence serait marquée par des conflits militaires de plus en plus chaotiques, brutaux et irrationnels. Irrationnels, c’est-à-dire même du point de vue du capitalisme lui-même (3) : alors que dans sa phase ascendante, les guerres, surtout celles qui ouvraient la voie à l’expansion coloniale, apportaient des bénéfices économiques évidents aux vainqueurs, dans la période de décadence, la guerre a pris une dynamique de plus en plus destructrice et le développement d’une économie de guerre plus ou moins permanente a constitué une énorme ponction sur la productivité et les profits du capital. Cependant, même jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, il y avait toujours des « vainqueurs » à la fin du conflit, en particulier les États-Unis et l’URSS. Mais dans la phase actuelle, les guerres lancées même par les nations les plus puissantes du monde se sont révélées être des fiascos tant sur le plan militaire qu’économique. Le retrait humiliant des États-Unis d’Irak et d’Afghanistan en est une preuve évidente.

Dans notre article précédent, nous avons souligné qu’une invasion ou une occupation de l’Ukraine était susceptible de plonger la Russie dans une nouvelle version du bourbier qu’elle a rencontré en Afghanistan dans les années 1980, et qui a été un puissant facteur dans la chute de l’URSS elle-même. Certains signes indiquent déjà que c’est la perspective à laquelle est confrontée l’invasion de l’Ukraine, qui s’est heurtée à une résistance armée considérable, et se trouve être impopulaire dans de larges couches de la société russe, y compris dans certaines parties de la classe dirigeante elle-même. Ce conflit a, par ailleurs, provoqué toute une série de sanctions et de représailles de la part des principaux rivaux de la Russie, qui ne manqueront pas d’aggraver la misère de la majorité de la population russe. Dans le même temps, les puissances occidentales attisent le soutien aux forces armées ukrainiennes, tant sur le plan idéologique que par la fourniture d’armes et de conseils militaires.

Malgré les conséquences prévisibles, les pressions exercées sur l’impérialisme russe avant l’invasion réduisaient chaque jour un peu plus la possibilité que la mobilisation de troupes autour de l’Ukraine se limite à une simple démonstration de force. En particulier, le refus d’exclure l’Ukraine d’une éventuelle adhésion à l’OTAN ne pouvait être toléré par le régime de Poutine, et son invasion a aujourd’hui pour objectif clair de détruire une grande partie de l’infrastructure militaire ukrainienne et d’installer un gouvernement pro-russe. L’irrationalité de l’ensemble du projet, lié à une vision quasi messianique de la restauration de l’ancien empire russe, la forte possibilité qu’il débouche tôt ou tard sur un nouveau fiasco, ne pouvaient nullement dissuader Poutine et son entourage de tenter le pari.

Vers la formation de nouveaux blocs impérialistes ?

À première vue, la Russie est maintenant confrontée à un « front uni » des démocraties occidentales et à une OTAN de nouveau vigoureuse, dans laquelle les États-Unis jouent clairement un rôle de premier plan. Les États-Unis seront les principaux bénéficiaires de la situation si la Russie s’enlise dans une guerre ingagnable en Ukraine, et de la cohésion accrue de l’OTAN face à la menace commune de l’expansionnisme russe. Cette cohésion est toutefois fragile : jusqu’à l’invasion, la France et l’Allemagne ont tenté de jouer leur propre carte, en insistant sur la nécessité d’une solution diplomatique et en menant des entretiens séparés avec Poutine. L’ouverture des hostilités les a obligés à reculer, en s’accordant sur la mise en œuvre de sanctions, même si celles-ci nuisent beaucoup plus directement à leurs économies qu’à celle des États-Unis (Par exemple, l’Allemagne doit renoncer aux approvisionnements énergétiques russes dont elle a cruellement besoin). Mais l’Union européenne tend également à développer ses propres forces armées, et la décision de l’Allemagne d’augmenter considérablement son budget d’armement doit également être considérée de ce point de vue. Il est également nécessaire de rappeler que la bourgeoisie américaine est elle-même confrontée à d’importantes divisions quant à son attitude à l’égard de la puissance russe : Biden et les démocrates ont tendance à maintenir l’approche traditionnellement hostile à l’égard de la Russie, mais une grande partie du Parti républicain a une attitude très différente. Trump, en particulier, n’a pas pu cacher son admiration pour le « génie » de Poutine lorsque l’invasion a commencé…

Si nous sommes loin de la formation d’un nouveau bloc américain, l’aventure russe n’a pas non plus marqué un pas vers la constitution d’un bloc sino-russe. Bien qu’elles se soient récemment engagée dans des exercices militaires conjoints, et malgré les précédentes manifestations de soutien de la Chine à la Russie sur des questions comme la Syrie, la Chine a, à cette occasion, pris ses distances avec la Russie, s’abstenant sur le vote condamnant la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU et se présentant comme un « honnête intermédiaire » appelant à la cessation des hostilités. Et l’on sait que malgré des intérêts communs face aux États-Unis, la Russie et la Chine ont leurs propres divergences, notamment sur la question du projet chinois de « nouvelle route de la soie ». Derrière ces différences se cache la crainte de la Russie d’être subordonnée aux ambitions expansionnistes de la Chine.

D’autres facteurs d’instabilité jouent également dans cette situation, notamment le rôle joué par la Turquie, qui a, dans une certaine mesure, courtisé la Russie dans ses efforts pour améliorer son statut mondial, mais qui, dans le même temps, est entrée en conflit avec la Russie dans la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et la guerre civile en Libye. La Turquie a maintenant menacé de bloquer l’accès des navires de guerre russes à la mer Noire via le détroit des Dardanelles. Mais là encore, cette action sera entièrement calculée sur la base des intérêts nationaux turcs.

Comme nous l’avons écrit dans notre Résolution sur la situation internationale du 24e Congrès du CCI [2], le fait que les relations impérialistes internationales soient encore marquées par des tendances centrifuges « ne signifie pas que nous vivons dans une ère de plus grande sécurité qu’à l’époque de la guerre froide, hantée par la menace d’un Armageddon nucléaire. Au contraire, si la phase de décomposition est marquée par une perte de contrôle croissante de la part de la bourgeoisie, cela s’applique également aux vastes moyens de destruction (nucléaires, conventionnels, biologiques et chimiques) qui ont été accumulés par la classe dirigeante, et qui sont maintenant plus largement distribués à travers un nombre bien plus important d’États-nations que dans la période précédente. Bien que nous n’assistions pas à une marche contrôlée vers la guerre menée par des blocs militaires disciplinés, nous ne pouvons pas exclure le danger de flambées militaires unilatérales ou même d’accidents épouvantables qui marqueraient une nouvelle accélération du glissement vers la barbarie ».

Face à l’assourdissante campagne internationale d’isolement de la Russie et aux mesures concrètes visant à bloquer sa stratégie en Ukraine, Poutine a mis ses défenses nucléaires en état d’alerte. Il ne s’agit peut-être pour l’instant que d’une menace à peine voilée, mais les exploités du monde entier ne peuvent se permettre de faire confiance à la seule raison d’une partie de la classe dirigeante.

L’attaque idéologique contre la classe ouvrière

Pour mobiliser la population, et surtout la classe ouvrière, en faveur de la guerre, la classe dirigeante doit lancer une attaque idéologique parallèlement à ses bombes et ses obus d’artillerie. En Russie, il semble que Poutine se soit principalement appuyé sur des mensonges grossiers concernant « les nazis et les drogués » qui dirigent l’Ukraine, et qu’il n’ait pas beaucoup investi dans l’élaboration d’un consensus national autour de la guerre. Cela pourrait s’avérer être un mauvais calcul, car il y a des grondements de dissidence au sein de ses propres cercles dirigeants, parmi les intellectuels et dans des couches plus larges de la société. Il y a eu un certain nombre de manifestations de rue et environ 6 000 personnes ont été arrêtées pour avoir protesté contre la guerre. Des rapports font également état de la démoralisation d’une partie des troupes envoyées en Ukraine. Mais jusqu’à présent, il y a peu de signes de mouvement contre la guerre sur le terrain de la classe ouvrière en Russie, qui a été coupée de ses traditions révolutionnaires par des décennies de stalinisme. En Ukraine même, la situation à laquelle est confrontée la classe ouvrière est encore plus sombre : face à l’horreur de l’invasion russe, la classe dirigeante a réussi dans une large mesure à mobiliser la population pour la « défense de la patrie », avec des centaines de milliers de volontaires pour résister aux envahisseurs avec n’importe quelle arme à leur portée. Il ne faut pas oublier que des centaines de milliers de personnes ont également choisi de fuir les zones de combat, mais l’appel à se battre pour les idéaux bourgeois de la démocratie et de la nation a certainement été entendu par des parties entières du prolétariat qui se sont ainsi dissoutes dans le « peuple » ukrainien où la réalité de la division de classe est oubliée. La majorité des anarchistes ukrainiens semblent fournir l’aile d’extrême gauche de ce front populaire.

La capacité des classes dirigeantes russe et ukrainienne à entraîner « leurs » travailleurs dans la guerre montre que la classe ouvrière internationale n’est pas homogène. La situation est différente dans les principaux pays occidentaux, où, depuis plusieurs décennies, la bourgeoisie est confrontée à la réticence de la classe ouvrière (malgré toutes ses difficultés et ses revers) à se sacrifier sur l’autel de la guerre impérialiste. Face à l’attitude de plus en plus belliqueuse de la Russie, la classe dirigeante occidentale a soigneusement évité d’envoyer des « hommes sur le terrain » et de répondre à l’aventure du Kremlin directement par la force militaire. Mais cela ne signifie pas que nos gouvernants acceptent passivement la situation. Au contraire, nous assistons à la campagne idéologique pro-guerre la plus coordonnée depuis des décennies : la campagne de « solidarité avec l’Ukraine contre l’agression russe ». La presse, de droite comme de gauche, fait connaître et soutient les manifestations pro-Ukraine, en faisant de la « résistance ukrainienne » le porte-drapeau des idéaux démocratiques de l’Occident, aujourd’hui menacés par le « fou du Kremlin ». Et ils ne cachent pas qu’il faudra faire des sacrifices, non seulement parce que les sanctions contre les approvisionnements en énergie de la Russie aggraveront les pressions inflationnistes qui rendent déjà difficile de chauffer les habitations, mais aussi parce que, nous dit-on, si nous voulons défendre la « démocratie », il faut augmenter les dépenses de « défense ».

Comme l’a dit cette semaine le commentateur politique en chef du libéral Observer, Andrew Rawnsley : « Depuis la chute du mur de Berlin et le désarmement qui a suivi, le Royaume-Uni et ses voisins ont principalement dépensé les “dividendes de la paix” pour offrir aux populations vieillissantes de meilleurs soins de santé et de meilleures pensions qu’elles n’auraient pu en bénéficier autrement. La réticence à dépenser davantage pour la Défense s’est maintenue, même si la Chine et la Russie sont devenues de plus en plus belliqueuses. Seul un tiers des trente membres de l’OTAN respecte actuellement l’engagement de consacrer 2 % du PIB à leurs forces armées. L’Allemagne, l’Italie et l’Espagne sont très loin de cet objectif.

Les démocraties libérales doivent retrouver de toute urgence la détermination à défendre leurs valeurs contre la tyrannie dont elles ont fait preuve pendant la guerre froide. Les autocrates de Moscou et de Pékin pensent que l’Occident est divisé, décadent et en déclin. Il faut leur prouver qu’ils ont tort. Sinon, toute la rhétorique sur la liberté n’est que du bruit avant la défaite ». (4) On ne saurait être plus explicite : comme l’a dit Hitler, on peut avoir des armes ou du beurre, mais on ne peut pas avoir les deux.

Au moment où, dans un certain nombre de pays, la classe ouvrière montrait les signes d’une nouvelle volonté de défendre ses conditions de vie et de travail, (5) cette offensive idéologique massive de la classe dirigeante, cet appel au sacrifice pour la défense de la démocratie, sera un coup dur contre le potentiel développement de la conscience de classe. Mais les preuves croissantes que le capitalisme vit de la guerre peuvent aussi, à long terme, représenter un facteur favorable à la conscience que tout ce système, à l’Est comme à l’Ouest, est effectivement « décadent et en déclin », que les relations sociales capitalistes doivent être détruites.

Face à l’assaut idéologique actuel, qui transforme l’indignation réelle que suscite l’horreur dont nous sommes témoins en Ukraine en un soutien à la guerre impérialiste, la tâche des minorités internationalistes de la classe ouvrière ne sera pas facile. Elle commence par répondre à tous les mensonges de la classe dirigeante et insister sur le fait que, loin de se sacrifier pour la défense du capitalisme et de ses valeurs, la classe ouvrière doit se battre bec et ongles pour défendre ses propres conditions de travail et de vie. C’est à travers le développement de ces luttes défensives, comme à travers la réflexion la plus large possible sur l’expérience des combats du prolétariat, que la classe ouvrière pourra renouer avec les luttes révolutionnaires du passé, surtout les luttes de 1917-18 qui ont forcé la bourgeoisie à mettre fin à la Première Guerre mondiale. C’est la seule façon de lutter contre les guerres impérialistes et de préparer la voie pour débarrasser l’humanité de leur source : l’ordre capitaliste mondial !

Amos, 1er mars 2022.

 

1 Cf. « Tensions en Ukraine : exacerbation des tensions guerrières en Europe de l’Est [3] » et « Crise à la frontière russo-ukrainienne : La guerre est le mode de vie du capitalisme ».

2 En particulier : « Militarisme et décomposition [4] », Revue internationale n° 64 (1er trimestre 1991).

3 Cette irrationalité fondamentale d’un système social sans avenir s’accompagne bien sûr d’une irrationalité croissante au niveau idéologique et psychologique. L’hystérie actuelle sur l’état mental de Poutine est basée sur une demi-vérité, car Poutine n’est qu’un exemple du type de leader que la décomposition du capitalisme et la croissance du populisme ont sécrété. Les médias ont-ils déjà oublié le cas de Donald Trump ?

4 « Liberal democracies must defend their values and show Putin that the west isn’t weak [5] », The Guardian (27 février 2022).

5 « Luttes aux États-Unis, en Iran, en Italie, en Corée… Ni la pandémie ni la crise économique n’ont brisé la combativité du prolétariat ! [6] », Révolution internationale n° 491 (novembre décembre 2021).

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Guerre en Ukraine

Conflit impérialiste en Ukraine: Le capitalisme, c'est la guerre! Guerre au capitalisme!

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L’Europe est entrée dans la guerre. Ce n’est pas la première fois depuis la Deuxième boucherie mondiale de 1939-45. Au début des années 1990, la guerre avait ravagé l’ex-Yougoslavie, provoquant 140 000 morts avec des massacres de masse de civils, au nom du « nettoyage ethnique » comme à Srebrenica, en juillet 1995, où 8 000 hommes et adolescents furent assassinés de sang froid. La guerre qui vient d’éclater avec l’offensive des armées de Russie contre l’Ukraine n’est, pour le moment, pas aussi meurtrière. Mais nul ne sait encore combien de victimes elle fera au final. Dès à présent, elle a une envergure bien plus vaste que celle de l’ex-Yougoslavie. Aujourd’hui, ce ne sont pas des milices ni des petits États qui s’affrontent. La guerre actuelle met aux prises les deux États les plus étendus d’Europe, peuplés respectivement de 150 et 45 millions d’habitants, et dotés d’armées imposantes : 700 000 militaires pour la Russie et plus de 250 000 pour l’Ukraine.

Quelle est la signification de cette guerre ?

Qui en est responsable ?

Quel impact peut-elle avoir sur la classe ouvrière à l’échelle internationale ?

Comment mettre fin au chaos guerrier ?

Nous vous invitons à venir débattre de ces différentes questions en participant à nos réunions publiques qui se tiendront en ligne le vendredi 25 mars à 20h00.

Ces réunions publiques sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue.

Les lecteurs qui souhaitent participer peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [12]) ou dans la rubrique “nous contacter” de notre site interne.

Les modalités techniques pour se connecter à la réunion publique seront communiquées ultérieurement.

Vie du CCI: 

  • Réunions publiques [13]

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Réunions publiques en ligne - 25 mars 2022

Le prolétariat des grandes concentrations ouvrières est au cœur du combat pour l’émancipation de l’humanité

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Nous publions ci-dessous un large extrait du courrier d’une camarade qui, suite à notre permanence du 15 janvier, revient sur une question qui a été posée aussi par d’autres participants. Dans la mesure où son courrier aborde, dans une première partie non publiée ici, une analyse sur la lutte de classe que nous partageons globalement, nous avons fait le choix de ne répondre qu’à une des questions de son courrier qui traite de la « pénurie de main-d’œuvre ». Cette question a non seulement fait l’objet d’une polarisation dans le débat, mais nécessite, de notre point de vue, une clarification afin de mieux armer la classe ouvrière.

Extrait du Courrier de la camarade Rosalie

[…] Quelques idées plus en marge de la discussion générale ont été abordées comme comment comprendre toute cette partie de la classe ouvrière qui refuse le salariat et trouve des voies plus ou moins confortables pour subvenir à ses besoins immédiats, au risque d’un déclassement social. Peut-on affirmer qu’il s’agit uniquement de démarches de débrouilles individuelles qui les éloignent du réel combat politique ? Nous vivons une période inédite du fait de l’aggravation de la décomposition et de la pandémie qui depuis deux ans semble avoir chamboulé les schémas traditionnels de l’organisation de la société capitaliste. Certes, les travailleurs précaires, voire très précaires, sont une constituante permanente du capitalisme, mais il me semble qu’on assiste à un vrai bouleversement sociétal, à savoir que la classe ouvrière ne va pas se retrouver systématiquement dans le « salariat pur et dur tel que décrit par les premiers marxistes ». Sur cette question, je reprends le courrier des lecteurs de RI de janvier sur le débat : ce n’est pas la question « qui est le prolétariat ? » qui est importante mais « qu’est-ce que le prolétariat ? » Ce n’est pas une classification socio-professionnelle qui peut nous permettre de comprendre les changements actuels de la composition de la classe ouvrière. Revenons à ceux qui refusent l’usine, les cadences insoutenables et la détresse sociale qui va avec. Est-ce pour autant qu’ils adhèrent à l’idéologie bourgeoise ? Ce n’est pas si simple. Beaucoup de jeunes (jusqu’à 40 ans) se détournent des boulots de bêtes de somme et préfèrent vivoter chichement que de s’épuiser au boulot comme l’ont fait leurs aînés. Ce ne sont pas spécialement des anti-système nigauds ni des illuminés, mais ils ont compris que le capitalisme ne pouvait rien leur apporter et sont sans illusion quant à leur avenir professionnel. En quoi, est-ce que cette compréhension en ferait des gens « perdus » pour la cause ouvrière ? Je précise ces éléments car il me semble avoir relevé à plusieurs reprises l’insistance du CCI sur cette question d’identité et de conscience de la classe ouvrière. Pour conclure, j’observe que nous vivons une période inédite avec la pandémie qui a exacerbé les effets de la décomposition notamment au niveau économique. Des millions de travailleurs américains ne sont pas revenus à leurs postes dans les services marchands notamment. Cela pose question : 1. De quoi vivent-ils ? On sait que les aides sociales ne sont pas folichonnes aux États-Unis et les aides de Biden ont pris fin. Il y a un manque de main d’œuvre flagrant dans beaucoup de secteurs dans la plupart des pays : en Roumanie, ils embauchent des travailleurs asiatiques. En France, le CHU de Rouen propose des offres d’emplois aux infirmières de Beyrouth… Ces exemples ne viennent pas contrecarrer le schéma global de l’organisation sociale du capitalisme, mais ils illustrent la période actuelle. Est-ce une tendance qui va se développer ? Dernier point : tous ces travailleurs qui ont fui le système de production « traditionnel » ont compris un certain nombre de choses sur l’exploitation mais le problème est : cette compréhension leur permettra-t-elle de rejoindre les mouvements de lutte qui seuls sont susceptibles d’inverser la perspective de « Socialisme ou Barbarie » ? La prise de conscience ne peut-elle se trouver que dans les grandes concentrations ouvrières ? Je pense notamment aux camps de concentration des usines en Chine et dans les exploitations minières d’Afrique ou d’Amérique du Sud qui ont réduit à l’esclavage des millions de travailleurs. Sont-ils en état et dans les meilleures conditions objectives et subjectives pour cette indispensable prise de conscience ?

Ce ne sont que des réflexions à chaud après cette permanence qui comme toutes les autres organisées par le CCI depuis la pandémie nous permettent de débattre et d’approfondir notre compréhension de la situation internationale. Ce sont des moments d’échange très importants et j’en remercie le CCI.

Amitiés communistes.

Rosalie

Notre réponse

Nous devons d’abord mettre en évidence la réalité du phénomène évoqué par la camarade Rosalie et le problème posé dans l’extrait de son courrier : comment analyser, du point de vue de la lutte, la « partie de la classe ouvrière qui veut fuir le travail salarié » ? Comment interpréter le fait que de nombreux salariés préfèrent désormais abandonner leur emploi pour ne plus subir une exploitation féroce et des salaires de misère ? En d’autres termes, ce phénomène que nous pouvons observer dans bon nombre de secteurs dans les pays développés, où les salariés désertent des postes de travail précaires et/ou difficiles, est-il un atout ou un handicap du point de vue de la conscience ouvrière ?

Ces phénomènes de désertions, se concentrent en France dans les emplois saisonniers surtout : comme la viticulture et la restauration ou l’hôtellerie, par exemple. D’autres secteurs sont touchés comme dans les hôpitaux saturés avec un manque criant d’aides-soignants, dans le secteur des agents d’entretien, des travailleurs dans le bâtiment, ceux de l’aide à la personne, etc. Selon le ministère du travail, entre février 2020 et février 2021, l’hôtellerie-restauration aurait perdu 237 000 salariés. Entre 2018 et 2021, plus d’un millier d’étudiants infirmiers ont démissionné avant la fin de leurs études. Selon le ministre Olivier Véran, une hausse d’ 1/3 des postes vacants dans le paramédical a été enregistrée.

En Grande-Bretagne, la fédération des transports (RHA) souligne un besoin de 100 000 routiers supplémentaires pour faire face à la pénurie. Aux États-Unis, « il manque toujours 4,2 millions d’emplois pour retrouver le niveau d’avant crise » (1) et 10 millions de postes seraient à pourvoir. En six mois, 20 millions de personnes auraient quitté leur emploi ! En Allemagne, « 43 % des entreprises estiment que le manque de main-d’œuvre menace leur activité, contre 28,6 % avant la pandémie de Covid ». (2) Bon nombre de salariés qui ont quitté leur emploi cherchent ainsi une reconversion, vivotent ou se déclarent auto-entrepreneurs. C’est ce qui explique, par exemple, le nombre important de création d’auto-entreprises en France, dont se vante le gouvernement, mais qui recouvre en réalité une explosion de situations très précaires et autant de faillites programmées. Le courrier de la camarade donne des éléments de réponse valables sur les causes de ce phénomène, notamment le fait de la crise économique et la décomposition du capitalisme. Si la bourgeoisie souligne que cette « grande démission » est liée aux conséquences de la pandémie, elle n’est pas une nouveauté. En réalité, elle a surtout commencé à se développer après 2008 et n’a cessé de s’accentuer pour atteindre des chiffres record depuis le début de la pandémie. Une des raisons majeure de l’accélération de ce phénomène est effectivement lié à la gravité de la crise économique. La bourgeoisie a généralisé le travail précaire, multipliant les petits boulots, les bullshit jobs, afin notamment de masquer la catastrophe du chômage de masse. Elle a ensuite été amenée, du fait de la concurrence exacerbée, à attaquer les chômeurs en les affamant pour les forcer à accepter un travail pour un salaire de misère et des conditions indignes, intensifiant les cadences, multipliant les burn-out, recrutant à bas prix ; bref, contraignant les prolétaires à des conditions d’exploitation drastiques. Une situation, donc, devenue de moins en moins supportable. Et l’accélération de la décomposition a été un puissant facteur additionnel. La pandémie et le chacun pour soi n’ont fait qu’accentuer ce sentiment de rejet, de ras le bol et d’épuisement au travail. Lors de notre permanence du 15 janvier, une de nos interventions mettait en évidence que si la crise avait accentué ce phénomène de pénurie, la fuite des emplois précaires était marquée par « un sauve qui peut », un « chacun pour soi » avec la volonté très souvent illusoire de trouver un sort meilleur ailleurs, pensant que, dans d’autres lieux, « l’herbe est plus verte » ; ou qu’il est possible de « s’en sortir » individuellement en créant sa propre entreprise. Or, pour une bonne part, les illusions de vivre un meilleur sort que d’autres, relèvent d’une mystification et souvent d’un refus petit-bourgeois de l’exploitation salariale, amenant à occulter la nécessité de combattre collectivement le système. Alors que la propagande bourgeoise valorise en permanence « l’initiative privée ».

Cela, dans un contexte de difficultés pour la classe ouvrière à affirmer ses luttes, et où domine le souci de sa propre « survie individuelle », phénomène qu’accentue justement la décomposition de la société poussant à se replier sur soi. en essayant de trouver une réponse individuelle à un problème touchant l’ensemble de la société.

Ces salariés qui quittent leur travail, plus atomisés et mystifiés, sont donc dans l’impossibilité de pouvoir réagir par la lutte, excepté dans de très rares cas isolés comme aux États-Unis autour du secteur de la restauration rapide.

Selon le courrier de la camarade, ces désertions de salariés (souvent jeunes et inexpérimentés) sembleraient correspondre à une certaine prise de conscience de l’exploitation capitaliste. La camarade, dans son courrier, se demande : « En quoi, est-ce que cette compréhension en ferait des gens “perdus” pour la cause ouvrière ? ». Et elle ajoute : « tous ces travailleurs qui ont fui le système de production “traditionnel” ont compris un certain nombre de choses sur l’exploitation mais le problème est : cette compréhension leur permettra-t-elle de rejoindre les mouvements de lutte qui seuls sont susceptibles d’inverser la perspective de “Socialisme ou Barbarie” ? ».

La démarche même du questionnement semble pencher implicitement dans le sens de penser que ceux qui ont déserté les emplois précaires auraient une certaine conscience, seraient capables de « comprendre un certain nombre de choses sur l’exploitation », au moins au même titre que ceux des « grandes concentrations ouvrières ». Ce qui est vu par la camarade comme une prise de conscience par ceux qui refusent le travail salarié, en vient du coup à l’amener à relativiser par la même la force du prolétariat traditionnel, celui qui constitue le cœur des grands bastions de la production capitaliste. La camarade dit même ceci, exprimant clairement ses doutes : « la classe ouvrière ne va pas se retrouver systématiquement dans le salariat pur et dur tel que décrit par les premiers marxistes ».

Ces doutes formulés de manière interrogative par la camarade nous semblent préjudiciables dans le contexte actuel où la classe ouvrière est justement fragilisée et n’a pas encore conscience de son être, alors qu’il est nécessaire au contraire de mettre en exergue son potentiel, sa propre existence comme force historique. Même si le prolétariat semble redresser la tête par ses luttes au niveau international, il reste fragilisé. Il n’a pas encore retrouvé son identité de classe et se trouve menacé justement par le poids des influences petites bourgeoises qui risquent de le diluer dans des mouvements interclassistes. Une menace qui risque de lui faire quitter son terrain de classe dans un contexte où le poids croissant de la décomposition favorise la pénétration en son sein des idéologies étrangères à son combat.

Pour autant, contrairement à ce que pense la camarade, nous ne disons pas que les salariés qui fuient le travail précaire sont « définitivement perdus » pour la cause ouvrière. Nous voulons seulement souligner que ceux qui ont quitté leur job sont particulièrement mystifiés et touchés par l’accélération de la décomposition, qu’ils sont souvent très marqués par l’individualisme ou le désespoir et donc se situent très en marge, voire plutôt en dehors des luttes ouvrières aujourd’hui. De ce fait, nous pensons que la camarade, focalisée sur ces phénomènes immédiats, semble surévaluer la signification du « rejet du travail salarié » par les individus quittant leur job. Elle en vient à inverser la réalité de la situation sur le plan de la conscience de classe.

Alors que, malgré ses faiblesses, la classe ouvrière traditionnelle, celle « pure et dure des premiers marxistes », toujours sur son lieu de travail, présente dans les grandes concentrations industrielles, renoue avec son combat, exprime par ses grèves et manifestations au niveau international un frémissement prometteur, la camarade semble au contraire douter en tentant de valoriser plutôt les apparences trompeuses où des éléments pour le moins atomisés et mystifiés, en proie aux miasmes de la décomposition, seraient animés d’une sorte de prise de conscience alors qu’en réalité ils se coupent davantage du lien par le travail qui unit les exploités. Nous ne pouvons pas mettre sur le même plan les jeunes précarisés, non intégrés à la production, les éléments usés qui fuient leur travail avec leurs illusions et ceux qui sont amenés, du fait des attaques présentes et à venir, à développer leur combat de résistance au cœur des grandes métropoles et concentrations ouvrières. L’expérience vivante montre que ce sont bien de ces bastions industriels les plus concentrés et expérimentés au monde, là ou les ouvriers travaillent de manière réellement associée, collective et solidaire, que les luttes se développent déjà et que les luttes futures les plus conscientes se développeront encore. Face aux attaques inévitables liées à la crise du système capitaliste, ces bastions seront en mesure de montrer le chemin à suivre pour les prolétaires isolés et toutes les autres couches non exploiteuses de la société, de développer le combat pour renverser le capitalisme.

WH, 29 janvier 2022

 

1 « Aux États-Unis : 531.000 emplois créés en octobre mais la pénurie de main d’œuvre persiste », La Tribune (5 novembre 2021).

2 Selon le baromètre de l’emploi de la banque publique KfW et de l’Ifo, cité dans Les Échos (25 novembre 2021).

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [14]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [15]
  • Conscience de classe [16]

Rubrique: 

Courrier des lecteurs

En dépit des patrons, du Covid et des syndicats, la lutte de classes n’a pas disparu!

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Le CCI a publié un article sur les signes récents d’un renouveau de la combativité ouvrière dans plusieurs pays : « Luttes aux États-Unis, en Iran, en Italie, en Corée… Ni la pandémie ni la crise économique n’ont brisé la combativité du prolétariat ! [6] »Les luttes aux États-Unis sont particulièrement importantes, et cette contribution d’un proche sympathisant de ce pays vise à les examiner plus en détail.

Stimulée par les conditions imposées par la pandémie, la détérioration permanente des conditions de vie de la classe ouvrière aux États-Unis s’est transformée au cours des deux dernières années en une attaque en règle de la bourgeoisie. Qu’ils aient été jetés en pâture au système d’assurance-chômage dysfonctionnel de l’Amérique ou qu’ils aient été contraints de poursuivre le travail au péril de leur santé et de celle de leur famille, parce qu’il était jugé nécessaire ou « essentiel » de le faire, les ouvriers ont été confrontés à un assaut constant depuis le début de la pandémie de coronavirus. Tout cela pendant que les capitalistes tentent de forcer les ouvriers à marcher au rythme de leurs tambours : certaines factions se rallient aux théories du complot vantées par la droite populiste et se transforment en milices marginales et en pseudo-communautés virtuelles basées sur des mensonges illusoires qui se répandent si rapidement via les réseaux sociaux ; d’autres profitent du besoin de sécurité et de prudence afin de renforcer l’État sécuritaire déjà hypertrophié. La seule perspective que la bourgeoisie puisse mettre en avant, en cette période de crise, est une perspective teintée d’une impuissance qui ne peut être que le reflet de l’impuissance du système capitaliste secoué de convulsions, alors qu’il se tord dans l’agonie de sa crise de sénilité, la crise de la décomposition : « Vous, les ouvriers essentiels, allez maintenir notre société à flot ! » Dans sa tentative de revigorer une classe ouvrière déjà surchargée et sous-payée avec une « éthique du travail », c’est-à-dire en mobilisant ces secteurs essentiels de l’économie pour produire sans arrêt afin de maintenir la tête des capitalistes hors de l’eau, la bourgeoisie ne peut pas cacher une vérité fondamentale sur la société qu’elle a construite : la force collective de la classe ouvrière reste la puissance qui fait tourner la roue, le carburant qui alimente le feu. Cependant, à la grande surprise de la bourgeoisie, la classe ouvrière a pris cela à cœur et montre précisément ce que signifie être au centre de l’économie.

Les charpentiers sont en train d’affronter à la fois les patrons et les syndicats

« Striketober », ainsi nommé pour les explosions massives de grèves qui ont eu lieu en octobre, a fait place à un mois de novembre tout aussi combatif, alors que les ouvriers de tout le pays passent à l’action et refusent des travailler dans des conditions dégradantes pour un salaire déshumanisant. Avant même le mois d’octobre, la seconde moitié de l’année a vu se développer des grèves dans tout le pays, notamment dans les usines de Frito Lay et Nabisco, tandis qu’en septembre, une grève des charpentiers à Washington a ouvert la voie aux luttes en cours, que nous suivons de près, car elles continuent à se développer dans tous les secteurs de l’économie. Les charpentiers de Washington ont été attaqués sur deux fronts, comme c’est souvent le cas pour de nombreux ouvriers – ils ont été attaqués à la fois par les patrons et par les syndicats. Alors que l’United Brotherhood of Carpenters (UBC) présentait aux ouvriers des contrats contenant concession sur concession, remplissant chaque page des désirs de la General Contractor Association (GCA). Mais il y avait un mécontentement généralisé au sein de la main-d’œuvre et lorsque les charpentiers se sont vus présenter un accord de principe dans lequel les demandes des membres du syndicat n’étaient pas satisfaites, une majorité écrasante des travailleurs de l’UBC a voté contre l’accord et s’est mise en grève jusqu’à ce qu’un accord qui serait approuvé puisse être proposé. À la grande consternation des employeurs et de la direction du syndicat, les travailleurs ont tenu bon et ont rejeté cinq accords de principe avant que la direction internationale de l’UBC ne s’en mêle : invoquant la fraude et l’ingérence, la direction nationale du syndicat a pris le contrôle total de la section locale qui était la source de tant de problèmes, et la grève a finalement pris fin lorsque l’accord final présenté aux travailleurs a été approuvé de justesse.

Cela ne signifie pas que les travailleurs se sont échappés de la prison syndicale. Une grande partie de leur militantisme était canalisée par une formation syndicale de base, le Peter J. McGuire Group, du nom du fondateur socialiste de l’UBC. Le groupe s’est entièrement engagé à travailler à l’intérieur du cadre syndical : selon son président, le Peter J. McGuire Group a « promu le bon type de direction pour le Carpenters Union ». Il convient également de noter que le groupe a banni de sa page Facebook les auteurs du World Socialist Website – un groupe de gauche qui, de manière quelque peu inhabituelle, se spécialise dans les critiques radicales des syndicats.

A bien des égards, le décor était planté pour l’expérience de « Striketober » et sa continuation jusqu’à maintenant. Bien que les charpentiers de Washington aient repris le travail, les leçons tirées de leur lutte offrent une perspective importante pour les luttes qui se déroulent actuellement. Les charpentiers de l’UBC ont fait face à l’opposition non seulement des représentants des capitalistes, mais aussi de leurs propres « représentants » supposés dans le syndicat ! Bien que la Gauche Communiste connaisse depuis longtemps le danger que représentent les syndicats, les leçons qui ont formé et continuent de confirmer l’analyse selon laquelle les syndicats sont des organes d’État qui servent à restreindre les ouvriers doivent être généralisées et soulignées afin de comprendre les difficultés auxquelles sont confrontées les luttes des « Striketober » aujourd’hui. C’est l’un des aspects les plus importants de la lutte en cours. A titre d’exemple, et pour examiner le deuxième aspect qui fait écho à de nombreuses luttes actuelles, nous devons nous pencher sur les luttes des ouvriers de l’équipement agricole de John Deere dans le Midwest.

John Deere : les ouvriers s’opposent au système de salaires à deux vitesses

Les ouvriers de John Deere sont « représentés » par le syndicat United Auto Workers (UAW), que certains connaissent peut-être depuis le début de la pandémie, puisqu’il a manœuvré avec les patrons des usines automobiles du Michigan pour maintenir les ouvriers dans les usines avec, au mieux, une protection minimale. Aujourd’hui, l’UAW et John Deere travaillent de concert pour étendre le système de salaires et d’avantages sociaux à plusieurs vitesses qui a été établi en 1997. C’est cette année-là que les ouvriers de John Deere ont été divisés en fonction de leur année d’embauche : les ouvriers embauchés après 1997 constituaient une deuxième classe, ce qui impliquait un salaire réduit par rapport aux plus anciens et la suppression de nombreux avantages dont bénéficiaient les ouvriers embauchés avant 1997, dont les soins de santé après le départ en retraite. Cette année, l’UAW a présenté à ses membres un contrat de travail qui créerait un troisième statut d’ouvriers, avec des salaires encore plus bas pour ces derniers et une nouvelle diminution des avantages, notamment des pensions. Cette proposition a été rapidement rejetée par les membres du syndicat, et les ouvriers de John Deere, qui travaillent dans environ onze usines et trois centres de distribution, de l’Iowa à la Géorgie, de l’Illinois au Colorado, sont en grève depuis lors ; refusant que les conditions de vie de leurs futurs collègues soient dégradées, ils ont voté contre plusieurs accords de principe proposés par Deere et l’UAW au cours de leur grève. Ici encore, nous voyons les ouvriers de John Deere lutter contre une offensive conjointe de leur patron et de leur propre syndicat ! Les ouvriers de la base sont obligés de se débrouiller tout seuls – mais le fait d’être seuls n’indique pas un isolement ou un affaiblissement de la lutte. Le fait que les ouvriers soient prêts à rejeter les conseils du syndicat et à insister pour maintenir leurs propres revendications est au contraire une évolution positive. Il s’agit d’une tendance dans de nombreuses batailles menées par la classe ouvrière, dans lesquelles les syndicats sont à la traîne derrière une classe de plus en plus combative qui réveille le militantisme ouvrier à travers le pays (et le monde, d’ailleurs). En fait, les ouvriers de l’usine de Détroit, Michigan, qui sont également membres de l’UAW, ont exprimé leur solidarité avec les ouvriers de John Deere en grève(1). Il est clair que les ouvriers de John Deere ne sont seuls ni dans la lutte contre les manœuvres du syndicat, ni dans la lutte contre le système de salaires à plusieurs vitesses qui leur est imposé par les patrons et les syndicats.

Kellogg’s : des signes de solidarité entre les générations

La lutte contre le système de salaires et d’avantages sociaux à plusieurs vitesses est également présente dans la grève des ouvriers de Kellogg’s, car leur syndicat, le Bakery, Confectionary, Tobacco Workers and Grain Millers International Union (BCTGM), permet l’expansion d’un système à deux vitesses qui a été approuvé lors de la dernière convention collective des céréaliers – il faut noter que c’est le même syndicat BCTGM qui « représente » les ouvriers de Nabisco et de Frito Lay qui ont fait grève au début de l’année, invoquant des semaines de travail interminables (parfois jusqu’à 70 heures), sans paiement d’heures supplémentaires. L’échelon inférieur des salaires, négocié dans le dernier contrat, devait être concerner 30 % de la main d’œuvre, un frein dérisoire à cette politique de division, mais un frein tout de même. Kellogg’s cherche à relever ce plafond et à embaucher un plus grand nombre d’ouvriers dans cette tranche inférieure. Les ouvriers y voient une attaque claire, non seulement contre leurs futurs collègues, mais aussi contre leurs collègues actuels. Permettre à Kellogg’s de relever ce plafond pourrait très bien ouvrir la voie à une disqualification accrue de la main d’œuvre actuelle et à une baisse du niveau de vie des ouvriers. A cela s’ajoute un autre problème : les ouvriers ne cessent de vieillir. A mesure que les ouvriers de l’échelon supérieur partiront à la retraite, ou chercheront un autre emploi, lentement mais sûrement, c’est l’échelon inférieur qui dominera et finira par constituer l’ensemble de la main d’œuvre. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un système qui, non seulement divise les ouvriers, mais qui les maintient dans un état de précarité toujours plus grand. Cela se voit dans les luttes de Striketober, dans lesquelles les ouvriers identifient activement cette situation comme une attaque contre leur existence et y opposent une lutte sérieuse, mais aussi dans les réglementations du travail qui ont façonné la division du travail aux États-Unis dans la phase du capital décadent pendant des décennies – le système du travail à plusieurs vitesses créé par l’automatisation et le New Deal.

Les ouvriers sont confrontés à des divisions anciennes et nouvelles

Les politiques mises en œuvre tout au long des années 1930, qui constituaient le New Deal, offraient des emplois syndiqués sûrs, assortis de pensions de retraite et d’avantages sociaux, dans l’industrie manufacturière et les transports, secteurs de l’économie où l’intensification de la productivité était tout-à-fait possible à une échelle gigantesque – préparant ainsi le terrain pour l’amélioration massive du niveau de vie des ouvriers de l’industrie manufacturière par rapport à leur niveau d’avant la Grande Dépression, qui résulterait de la période de reconstruction d’après-guerre. Malgré ces politiques qui ont permis aux ouvriers de ces industries de réussir au cours des décennies suivantes, une énorme partie de la main d’œuvre Américaine n’a pas bénéficié de ces améliorations : les ouvriers du secteur des services. Alors que le secteur des services existait à peine dans les années 1930, il allait connaître une croissance massive dans les décennies à venir, en raison de la mise en œuvre généralisée des technologies d’économie de main d’œuvre induite par le développement de la production assistée par ordinateur dans l’industrie lourde – l’automatisation allait bouleverser le marché du travail et stimuler la croissance du secteur des services d’une manière qui ouvrirait la voie à l’état actuel de la main d’œuvre et de l’économie d’aujourd’hui. Comme le dit Jason Smith dans son ouvrage : Smart machines and service Work, en raison de la mise en œuvre rapide de l’automatisation, « les usines qui avaient connu l’agitation ouvrière augmentaient la production à des taux sans précédent, et avec beaucoup moins d’ouvriers »(2). En raison de la présence dominante des syndicats, ce sont souvent les ouvriers qui ne sont affiliés à aucun syndicat qui sont licenciés les premiers – et, dans le paysage de l’économie ouvrière Américaine, il s’agit souvent d’ouvriers Noirs ; c’est également à cette époque que les femmes ont commencé à entrer sur le marché du travail, de manière plus significative qu’avant, sous l’impulsion des slogans de la deuxième vague du féminisme : « des emplois pour les femmes ». Les emplois qu’elles pouvaient trouver se situaient souvent dans le secteur des services en expansion, services de bureau, aux entreprises, dans les soins de santé, l’éducation et le commerce de détail.(3)

Il ne faut pas oublier que l’absence de protections juridiques et de réglementations dans le secteur des services signifiait que, dans l’ensemble, les ouvriers de ce secteur étaient moins bien payés et recevaient bien moins d’avantages sociaux en moyenne, que leurs homologues du secteur manufacturier. D’où la création d’un système à deux vitesses dans l’économie générale du travail dans son ensemble, et pas seulement dans les contrats syndicaux contre lesquels les ouvriers luttent aujourd’hui. Cette division de la classe a opportunément séparé les ouvriers en fonction de la race et du sexe : héritage idéologique de la période de l’esclavage, l’image raciste de l’ouvrier noir « soumis » a été confirmée par son entrée dans le secteur des services, tandis que l’image patriarcale de la femme « soumise » a été également été confirmée par son emploi. En tant que tel, le capital avait divisé la classe ouvrière de telle sorte que les préjugés antérieurs semblaient confirmés par la réalité tant qu’aucun ouvrier n’osait regarder au-delà des apparences. Les ouvriers du secteur manufacturier, majoritairement blancs et masculins, pouvaient être facilement séparés de leurs homologues noirs et féminins, tandis que les mouvements en faveur de l’égalité raciale et de l’égalité des sexes séparaient les ouvriers de la lutte des classes et les entraînaient dans des luttes identitaires sans issue qui ne peuvent trouver de réponse émancipatrice aux questions de race et de sexe dans la société capitaliste. Pendant ce temps, les ouvriers du secteur manufacturier, dont le nombre d’emplois diminue depuis des décennies, se retrouvent en situation de mobilité descendante, ce qui s’exprime également par une autre version de l’impasse des luttes identitaires : plutôt que de chercher la solidarité avec les ouvriers des secteurs des services, qui deviennent de plus en plus la seule possibilité d’emploi dans de nombreux endroits du pays, ils se replient sur leur identité blanche et pensent devoir défendre leur statut social contre les minorités, les migrants, les Noirs, les féministes, l’« élite » (qui, dans la plupart des cas, ne désigne que les riches démocrates). Cela alimente la flamme du populisme, qui a balayé les États-Unis depuis le cycle électoral de 2016, et continue aujourd’hui de façonner les positions du Parti Républicain.

Cette scission n’est cependant pas un fossé infranchissable – en fait, c’est dans les luttes d’aujourd’hui que l’on peut trouver une réponse à ces divisions : les ouvriers ne se battent pas seulement dans le secteur manufacturier mais aussi dans le secteur des services. A l’instar des grèves décrites ci-dessus, les ouvriers de la santé des établissements de Kaiser Permanente, le long de la côte Ouest, étaient prêts à faire grève contre un accord à deux vitesses ; les syndicats sont intervenus à la dernière minute avec un accord qui ne répondait toujours pas aux nombreuses demandes des ouvriers pour éviter la grève. Les infirmières ont été déboutées(4), mais aussi les pharmaciens de Kaiser(5), qui devaient faire grève à partir du 15 novembre. Une autre grève a été empêchée par les représentants syndicaux : celle des membres des équipes de production de cinéma et de télévision de l’International Alliance of Theatrical Stage Employees (IATSE), qui devaient faire grève jusqu’à ce qu’un accord de principe soit proposé et ratifié malgré le rejet majoritaire du contrat(6). Cela montre qu’en dehors du paysage industriel traditionnel, il existe une indignation et une demande croissantes de meilleures conditions de vie et de travail, de la part des ouvriers eux-mêmes, tandis que les syndicats courent pour rattraper leur retard et les tirer vers le bas Les ouvriers qui n’étaient pas syndiqués jusqu’à présent ont également été contraints d’agir – à l’instar des chauffeurs de bus scolaires du comté de Cumberland, en Caroline du Nord, qui se sont mis en « arrêt maladie » pour protester contre leurs salaires dérisoires(7) ; les ouvriers des cafeterias du comté voisin de Wake ont utilisé la même tactique(8) pour à peu près les mêmes motifs.

Les syndicats essaient de récupérer le militantisme des ouvriers

Tout cela montre que la combativité des ouvriers à travers le pays fait boule de neige : les grèves stimulent les ouvriers qui sont confrontés à des conditions similaires et engendrent d’autres grèves. Cependant, la classe ouvrière est encore confrontée à de nombreux obstacles qui accompagnent la pandémie, et plus généralement la période de décadence du capitalisme et sa phase de décomposition. L’un d’entre eux, comme mentionné brièvement ci-dessus, est la question des syndicats, qui servent l’État capitaliste dans la période de décadence. Alors qu’ils s’efforcent de contenir de nombreuses luttes en cours, il sont aussi intervenus pour empêcher des actions de grève dans beaucoup d’autres cas. Il convient de noter que les syndicats ne constituent pas seulement une menace directe, mais aussi indirecte : l’UAW est actuellement prête à voter des mesures qui « démocratiseraient » le syndicat, en passant aux élections directes, en opposition au système actuel de délégués. Si la mise en œuvre de cette mesure peut sembler être une victoire pour la base, elle met également en avant une illusion qui peut servir à faire dérailler les luttes futures : l’identification de la base avec le syndicat lui-même, l’illusion que le syndicat appartient aux ouvriers. Le CCI a déjà écrit sur le rôle des syndicats dans le capitalisme décadent(9), je ne m’étendrai donc pas sur ce sujet.

La « Politique Identitaire » : une division fatale pour la classe ouvrière

Une autre menace pèse sur la classe ouvrière : les luttes interclassistes et les luttes identitaires partielles qui ont fait leur apparition ces dernières années. En particulier aux États-Unis, l’été dernier, les manifestations autour de Black Lives Matter (BLM), qui avaient leur base dans l’indignation bien réelle et les problèmes spécifiques des personnes noires en Amérique, se sont ancrées sur un terrain bourgeois avec le slogan « défendons la police ». Les démocrates ont voulu donner l’impression d’agir vaguement en faveur de la création d’une police « humaine », pour faire marche arrière tout de suite après ; même réduite à de tels slogans et à la promotion de la politique démocrate, cette simple demande libérale qui a résonné dans les défilés de BLM voit son écho amoindri. Si les luttes de classe actuelles se développent davantage, alors que les ouvriers en lutte s’unissent au-delà des frontières de l’usine, de l’entreprise et de l’industrie, l’inégalité matérielle très réelle des ouvriers noirs sera une question à laquelle la classe ouvrière devra répondre sur son propre terrain, sans concession à un quelconque mouvement bourgeois. Un dernier obstacle est constitué par les actions isolées qui ont lieu, sous forme de démissions massives. Le marché du travail reste tendu, alors que de plus en plus d’ouvriers quittent leur emploi, partageant souvent leurs derniers textes écrits à leurs supérieurs sur les réseaux sociaux, en signe de solidarité avec tous ceux qui envisagent de faire de même. Bien que cela puisse mettre les capitalistes dans une situation délicate, cette solution individualiste isole les ouvriers les uns des autres, nuit à l’auto-organisation, et les expériences partagées des ouvriers ne peuvent pas être exprimées aussi clairement à travers les médias sociaux, quelle que soit la portée des textes partagés en solidarité.

En dépit de ces obstacles, la classe ouvrière d’aujourd’hui semble néanmoins avancer timidement. Les défaites mineures qu’elle a connues ne semblent pas freiner son élan, et de plus en plus d’ouvriers n’ont d’autre choix que de faire grève pour une vie meilleure. Nous ne pouvons qu’exprimer notre grande satisfaction devant ce refus des ouvriers de se laisser abattre par la dégradation de leur vie, et nous devons clairement insister sur le fait que ce n’est qu’en s’unissant que ces luttes peuvent être menées de plus en plus loin, pour en arriver peut-être à un point où elles poseront des questions politiques très importantes. L’action unie dans de nombreuses usines, comme chez John Deere, démontre clairement que c’est par une extension de la lutte que l’on peut maintenir l’élan. Une telle extension requiert l’intervention de militants communistes afin de fournir une perspective politique, d’autant plus que la lutte peut se développer pour traverser les frontières, à l’intérieur et à l’extérieur des États-Unis – la classe ouvrière mondiale, malgré les énormes difficultés auxquelles elle est confrontée a montré qu’elle n’est pas vaincue, qu’elle a toujours un potentiel pour riposter et faire avancer ses luttes. Si nous pouvons observer ce phénomène avec beaucoup d’enthousiasme, il est également impératif pour nous de participer à ces luttes, afin d’aider la classe ouvrière à prendre conscience de sa force et de sa tâche historique : l’abolition de la société de classe.

Noah L, 16 novembre 2021

 

1 World Socialist Website, November 11, 2021

2 Jason E. Smith, Smart Machines and Service Work, pp. 8, 2020, Reaktion Books.

3 Ibid. pp. 30.

4 World Socialist Website November 14, 2021.

5 Yahoo News, November 14, 2021.

6 World Socialist Website, November 16, 2021

7 CBS Local Cumberland Country News : School Bus Drivers out for living wage – indisponible en Europe/GB).

8 ABC Channel 11 Eyewitness News, November 16, 2021.

9 ICC Pamphlet : Unions Against The Working Class – Les syndicats dans le capitalisme décadent

Géographique: 

  • Etats-Unis [17]

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Luttes de classe

Convoi de la liberté: Un mouvement étranger à la lutte de la classe ouvrière

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Depuis la fin du mois de janvier, le Canada connaît un mouvement de protestation, appelé « convoi de la liberté ». Les protestataires étant contre l’obligation du pass vaccinal imposé par le gouvernement à toutes les personnes franchissant les frontières terrestres du pays. Les camionneurs canadiens, premiers impactés par cette décision, ont été à l’initiative de ce mouvement qui s’est propagé rapidement sur l’ensemble du territoire pour essaimer par la suite en Europe (France, Belgique) et en Océanie (Australie, Nouvelle-Zélande).

La défense des libertés individuelles, c’est la défense du capitalisme

Quelles étaient donc les motivations de ces chauffeurs routiers venus des quatre coins du pays pour converger, le 29 janvier, devant la colline du parlement à Ottawa ? Tout simplement le rejet de l’obligation vaccinale et plus généralement la demande de la levée de toutes les mesures obligatoires de précautions sanitaires. Tout cela au nom de la liberté propre à chacun de choisir sa propre destinée. Mais ce qui a surtout mis le feu aux poudres, c’est que l’obligation vaccinale à l’encontre des entrepreneurs du transport routier porte un sérieux coup à l’activité des 15 % d’entre eux, non encore vaccinés, lésés par l’interdiction de pouvoir effectuer les liaisons entre le Canada et les États-Unis. Ce fameux convoi s’est donc mis en branle au nom de la liberté individuelle et de la liberté d’entreprendre. Autrement dit, deux crédos de l’idéologie bourgeoise que reprennent en permanence à l’unisson les petits commerçants, les petits entrepreneurs, les artisans… En bref, la petite bourgeoisie, incapable de voir plus loin que le bout de son nez et de sa bourse !

La protestation a trouvé un écho de l’autre côté de l’Atlantique, puisqu’un nouveau convoi s’est constitué en France, le 9 février, afin de converger sur Paris pour le 11 du même mois. Ce convoi informe et hétéroclite composé d’individus de tous bords (gilets jaunes, restaurateurs, opposants farouches au pass vaccinal, camionneurs, etc.) a repris à son compte les revendications des transporteurs canadiens en y ajoutant pêle-mêle : la suppression des directives européennes, la suppression de toutes les mesures sanitaires, la démission des députés, sénateurs, du président de la République, l’augmentation des salaires nets, la détaxation du carburant et l’instauration d’un référendum d’initiative populaire, revendication mise en avant auparavant par les gilets jaunes. Dans les médias, nous avons pu voir les participants brandir des drapeaux français aux fenêtres de leur véhicule, affirmant agir au nom du peuple français pour la défense de la liberté et de la démocratie prétendument en danger. La Belgique, l’Australie, la Nouvelle-Zélande (et désormais les États-Unis) ont vu également se mettre en route les mêmes convois de mécontents.

Mais en fait, d’Ottawa à Paris en passant par Bruxelles et Camberra, cette protestation contre l’obligation du pass vaccinal procède de la même logique individualiste, avec une absence de souci collectif face à la poursuite de la pandémie, à ses ravages encore actuels et ceux à venir. Surtout, le cocktail des préoccupations (liberté individuelle, patrie-nation, démocratie) ne remet absolument pas en cause l’ordre social capitaliste. Pire ! Il ne fait qu’en prendre la défense. Car, en réalité, ce slogan pour la défense des libertés individuelles ou de la démocratie est le cache-sexe le plus grossier de la défense de l’État bourgeois et de la dictature du capital. (1)

Une protestation qui sert au renforcement de l’État policier

Au Canada et ailleurs, la protestation s’est exprimée par des rassemblements et des blocages routiers mais également par des manifestations de rue et l’occupation de lieux emblématiques tels que la colline du Parlement à Ottawa ou les Champs-Elysées à Paris. Ceci a donné lieu à des affrontements avec la police, à travers lesquels cette dernière a su utiliser toutes ses méthodes répressives : contrôles routiers et verbalisations, gaz lacrymogènes, matraquage, arrestations. En France, près de 7 000 gendarmes et policiers ont été déployés pour faire respecter l’interdiction de manifester avec des menaces de lourdes amendes et de peines de prison pour les récalcitrants. Au Canada, l’état d’urgence à Ottawa fut déclaré le 6 février face à la « menace de sûreté et de sécurité ». Après trois semaines de coups de matraques et d’aspersions de sprays au poivre, la « police à repris le contrôle d’Ottawa », pouvions-nous lire dans les médias avec un bilan de 200 arrestations et l’application d’une loi d’exception donnant à l’État canadien toute « légitimité » pour exercer la terreur de façon totalement débridée. S’il est clair que les gouvernements souhaitent éviter tout blocage et désordre, la bourgeoisie n’oublie jamais de tirer profit de telles situations.

En accolant l’étiquette de « mouvement social » à ce type de protestation stérile, la classe dominante fourbit ses armes, renforce son État policier et crée des précédents visant à légitimer la répression violente des luttes de la classe ouvrière au nom de la « défense de l’ordre public ». Car elle seule est en mesure d’engendrer un mouvement pouvant réellement mettre en péril ce que la bourgeoisie appelle « l’ordre public », en réalité l’ordre social capitaliste.

Le « règne de la liberté » dépendra de la victoire de la révolution prolétarienne

« Le désir de liberté », la capacité de forger sa propre destinée et d’être honnête avec soi-même est un des plus vieux besoins humains. L’interaction entre les désirs les plus profonds de l’individu et les besoins des autres a toujours été un aspect fondamental de l’existence humaine.

Pendant une grande partie de l’histoire humaine pré-capitaliste, dominée par les sociétés de classes et l’exploitation de l’homme par l’homme, le besoin spirituel de l’individu, de liberté personnelle et de contrôle sur son destin a été largement retourné contre lui par le spectre d’un pouvoir divin au-dessus des hommes et par les représentants auto-désignés de ce dernier sur terre qui, nullement par hasard, se trouvaient appartenir à la classe des propriétaires d’esclaves. La masse de la population qui produisait était enchaînée sur terre par la classe dominante et dans les cieux imaginaires par un tyran céleste.

La laïcisation et donc la politisation de la liberté personnelle et de la destinée, dans les révolutions bourgeoises (en particulier dans la révolution bourgeoise française de 1789-1793) a été une étape fondamentale dans le progrès vers des solutions dans le monde réel de la liberté humaine. Mais c’est aussi parce qu’elle a ouvert la voie à la classe ouvrière pour s’imposer sur l’arène politique et se définir politiquement comme classe révolutionnaire.

Cependant, dans la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, la bourgeoisie présentait frauduleusement sa liberté nouvellement gagnée pour son commerce comme une réalisation universelle qui profitait à tous. Cette tromperie résultait en partie de ses propres illusions et en partie des besoins de la bourgeoisie d’enrôler toute la population derrière ses drapeaux et son idéologie nationaliste. Le concept de liberté reste une forme abstraite, mystifiée, qui cache le fait que, dans la société capitaliste, les producteurs, tout en étant légalement libres et égaux à leurs maîtres, seraient enchaînés par une nouvelle forme d’exploitation, le salariat, et une nouvelle dictature, celle des « lois » du capital. La bourgeoisie victorieuse a apporté avec elle la généralisation de la production de marchandises qui a accentué la division du travail, arrachant l’individu à la communauté. Paradoxalement, de cette atomisation et de cet isolement, a surgi la mystique de la liberté individuelle dans la société capitaliste. En réalité, seul le capitalisme est libre.

Le développement vivant, historiquement concret de la liberté individuelle dépend donc de la solidarité de la lutte prolétarienne pour l’abolition des classes et de l’exploitation. La liberté réelle n’est possible que dans une société où le travail est libre, ce qui sera le mode de production communiste, où l’abolition de la division du travail permettra le développement et l’épanouissement complet de l’individu.

Tous les « convois de la liberté », outre qu’ils sont l’expression de l’impuissance et des frustrations de la petite bourgeoisie, contribuent à un enfoncement dans l’impasse du capitalisme et ne sont qu’une manifestation des miasmes de la décomposition et de l’atomisation sociale. Ils ne sont qu’un piège totalement étranger et fondamentalement opposé au développement de la lutte prolétarienne, seule force capable d’émanciper l’ensemble de la société du joug du capitalisme.

Vincent, 24 février 2022.

1 « La démocratie bourgeoise, c’est la dictature du capital » [18], Revue internationale n° 100, (1er trimestre 2000).

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"Libertés individuelles", un mot d'ordre bourgeois

Bilan critique du mouvement des Indignés de 2011

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Dix ans après, quelles leçons pouvons-nous tirer du mouvement des Indignés ? Comprendre à travers une analyse critique les luttes passées, tout en ayant le regard tourné vers l’avenir est source de force et d’encouragement pour le prolétariat dans une situation historique qui se détériore par moments sur tous les plans : pandémie, crise économique, barbarie guerrière, destruction de l’environnement, effondrement moral…

La force du prolétariat réside en sa capacité de tirer des leçons d’une lutte qui a plus de trois siècles d’expérience historique. Grâce à elle, il peut développer sa conscience de classe afin de lutter pour la libération de l’humanité du joug du capitalisme.

Le prolétariat a besoin de revenir constamment sur ses luttes passées, non pas pour tomber dans la nostalgie, bien au contraire, mais pour examiner de façon implacable ses faiblesses, ses limites, ses erreurs, ses points faibles, etc. afin d’en extirper un trésor de leçons qui lui servent à aborder sa lutte révolutionnaire.

Revenir sur le mouvement des Indignés de 2011 est nécessaire pour réaffirmer sa nature prolétarienne mais également pour comprendre ses énormes limites et faiblesses. C’est seulement de cette façon que nous pourrons tirer parti de ses leçons pour la période à venir.

L’entrée en lutte des nouvelles générations de la classe ouvrière

Tout mouvement prolétarien doit être analysé dans son contexte historique et mondial. Le mouvement du 15 Mai s’est produit en 2011 au sein d’un cycle de luttes qui s’est développé sur la période 2003-2011.

En 1989-91, l’effondrement de l’URSS et de ses régimes satellites a permis à la bourgeoisie mondiale de lancer une accablante campagne anticommuniste qui martelait sans répit ces trois slogans : « Fin du communisme », « Faillite du marxisme » et « Disparition politique de la classe ouvrière ». Cela a provoqué un fort repli dans la combativité et la conscience des ouvriers[1].

Depuis lors, la majorité des ouvriers ne se reconnaissent plus comme tels mais ils se voient pour certains comme une minorité plus chanceuse, la « classe moyenne » et pour les autres comme « ceux d’en bas », « les précaires », « les perdants dans la vie », etc. Face à la notion de classe, scientifique, unificatrice, universelle et avec une perspective de futur, la bourgeoisie propage à sa grande joie la vision réactionnaire, divisionniste de « catégories sociales » à travers son armée de serviteurs (partis, syndicats, idéologues, “influenceurs”) qui ne cessent de crier sur tous les toits – depuis Internet jusqu’aux universités en passant par le parlement et les moyens de “communication” – que la classe ouvrière n’existe pas, que c’est un concept « dépassé » qu’il n’y a que des « citoyens » de la « communauté nationale ».

Le repli s’est également exprimé à travers le retour en force des idéologies démocratiques, syndicalistes, humanistes, réformistes qui proclament la « fin de l’histoire ». Il n’y aurait pas d’autre monde possible que le capitalisme et le mieux qu’on puisse faire serait de « l’améliorer » pour que chacun puisse trouver sa « place » en son sein.

Toute tentative de changer le capitalisme conduirait à des situations bien pires, ce qui serait accrédité par ce qu’il s’est passé en URSS ou ce que l’on voit en Corée du Nord, à Cuba, au Venezuela, au Nicaragua, etc. et qui démontrerait que le dilemme historique formulé par Engels à la fin du XIXe siècle, Communisme ou Barbarie, serait faux parce que « le communisme, c’est aussi la barbarie ».

Malgré cet énorme fardeau, depuis 2003, il y a un renouveau des luttes ouvrières. Il y a eu des grèves significatives comme celle du métro de New York (2005), la grève de Vigo (2006), les grèves dans le nord de l' Égypte (2007), les protestations de jeunes ouvriers en Grèce (2008) mais les deux mouvements les plus importants furent la lutte contre le CPE[2] en France (2006) et le mouvement des Indignés en Espagne (2011)[3].

« Ces deux mouvements massifs de la jeunesse prolétarienne ont retrouvé spontanément les méthodes de luttes de la classe ouvrière, notamment la culture du débat dans les assemblées générales massives ouvertes à tous. Ces mouvements ont également été caractérisés par la solidarité entre les générations (alors que le mouvement des étudiants de la fin des années 1960, très fortement marqué par le poids de la petite bourgeoisie, s’était développé contre la génération qui avait été embrigadée dans la guerre).

Si, dans le mouvement contre le CPE, la grande majorité des étudiants en lutte contre la perspective du chômage et de la précarité, s’est reconnue comme faisant partie de la classe ouvrière, les Indignés en Espagne (bien que leur mouvement se soit étendu à l’échelle internationale grâce aux réseaux sociaux) n’avaient pas une claire conscience d’appartenir à la classe exploitée.

Alors que le mouvement massif contre le CPE était une riposte prolétarienne à une attaque économique (qui a obligé la bourgeoisie à reculer en retirant le CPE), celui des Indignés était marqué essentiellement par une réflexion globale sur la faillite du capitalisme et la nécessite d’une autre société » (Résolution sur le rapport de force entre les classes du 23e Congrès du CCI (2019))[4].

Malgré ces contributions, ces mouvements n’ont pas réussi à dépasser le repli de la conscience et de la combativité de 1989 et furent très marqués par ses effets mais aussi par les dérivés du processus de décomposition sociale et idéologique qui touche le capitalisme depuis les années 1980[5].

Leurs limites les plus importantes furent qu’ils ne réussirent pas à mobiliser l’ensemble de la classe ouvrière et se produisirent dans un nombre limité de pays. Ils se réduisirent aux nouvelles générations ouvrières. « Les travailleurs des grands centres industriels restaient passifs et leurs luttes demeuraient sporadiques (la peur du chômage étant un élément central d’une telle inhibition). Il n’y eut pas de mobilisation unifiée et massive de la classe ouvrière, mais seulement d’une partie d’entre elle, la plus jeune »[6].

Les jeunes ouvriers entrèrent en grève (beaucoup d’entre eux étaient encore étudiants), la majeure partie affectée par la précarité, le chômage, le travail totalement individualisé et isolé, reliés à de petites entreprises, la plupart d’entre elles n’ayant pas de siège social. Dans de telles conditions, au poids asphyxiant du recul historique expliqué précédemment, s’est ajouté l’inexpérience, l’absence totale de vie collective préalable, la terrible dispersion sociale.

La perte de l’identité de classe

La lutte des Indignés s’est retrouvée face à un mur qu’elle n’a pas pu franchir : la perte de l’identité de classe qui perdure depuis 1989.

Cette perte d’identité a fait que la grande majorité des participants au mouvement ne se reconnaissait pas comme faisant partie de la classe ouvrière.

Beaucoup étaient encore étudiants ou avaient fait des études supérieures[7]. Ceux qui étudiaient encore travaillaient sporadiquement pour payer leurs études et beaucoup de ceux qui occupaient des emplois précaires et mal payés pensaient que cette situation était transitoire, espérant obtenir un poste en accord avec leur niveau d’études. Pour résumer, beaucoup de participants croyaient que leur appartenance à la classe ouvrière était circonstancielle, une sorte de purgatoire avant d’arriver finalement au « paradis » de la « classe moyenne ».

Un autre facteur qui empêchait qu’ils se reconnaissent comme membres de la classe ouvrière est qu’ils changeaient constamment d’entreprise ou de poste de travail, la majorité travaillant dans de petites entreprises ou des entreprises de sous-traitance qui opèrent dans des usines ou des centres de distribution, de commerce ou de service[8].

Nombre d’entre eux travaillent seuls, fréquentant à peine leurs collègues, enfermés chez eux avec le télétravail ou participant à ce qu’on appelle « l’ubérisation du travail », « en passant par l’intermédiaire d’une plateforme internet pour trouver un emploi, l’ubérisation déguise la vente de la force de travail à un patron en une forme d'"auto-entreprise » tout en renforçant la paupérisation et la précarité des « auto-entrepreneurs ». L’ubérisation du travail individuel renforce l’atomisation, la difficulté de faire grève, du fait que l’auto-exploitation de ces travailleurs entrave considérablement leur capacité à lutter de façon collective et à développer la solidarité face à l’exploitation capitaliste » (op.cit. note 4).

Bien qu’elle exprimât de la sympathie pour la classe ouvrière, la majorité n’avait pas le sentiment d’appartenir à cette dernière. Elle se voyait comme une somme d’individus atomisés, frustrés et indignés par une situation toujours plus angoissante de misère, d’instabilité et d’absence de futur.

Le contexte du chômage accompagne tel une ombre angoissante les jeunes générations ouvrières. Ils vivent piégés dans un engrenage d’emplois précaires qui alternent avec des phases de chômage plus ou moins prolongées, beaucoup d’entre eux tombant dans une situation de chômage de longue durée. Ceci a pour effet ce que nous annoncions il y a 30 ans dans nos Thèses sur la décomposition : « Une proportion importante des jeunes générations ouvrières subit de plein fouet le fléau du chômage avant même qu’elle n’ait eu l’occasion, sur les lieux de production, en compagnie des camarades de travail et de lutte, de faire l’expérience d’une vie collective de classe. En fait le chômage, qui résulte directement de la crise économique, s’il n’est pas en soi une manifestation de la décomposition, débouche, dans cette phase particulière de la décadence, sur des conséquences qui font de lui un élément singulier de cette décomposition. S’il peut en général contribuer à démasquer l’incapacité du capitalisme à assurer un futur aux prolétaires, il constitue également, aujourd’hui, un puissant facteur de “lumpénisation” de certains secteurs de la classe, notamment parmi les jeunes ouvriers, ce qui affaiblit d’autant les capacités politiques présentes et futures de celle-ci. » (voir note 4)

ILS FONT PARTIE DE LA CLASSE OUVRIERE mais subjectivement ils ne se reconnaissent pas en elle. Cela a eu pour effet que le mouvement de 2011 n’a pas coupé le cordon ombilical de la sournoise « communauté nationale »[9]. Par exemple le slogan « nous sommes les 99%, ils sont le 1%", si populaire dans le mouvement Occupy aux États-Unis, n’exprime pas une vision de la société divisée en classes mais plutôt la vision typiquement démocratique que répète si souvent le gauchisme, du “peuple”, des « citoyens de base » face au 1% de “ploutocrates” et d'“oligarques” qui “trahiraient” la nation. Dans cette optique, les classes n’existent pas mais il existerait plutôt une somme d’individus répartie entre une majorité de “perdants” face à une élite de “gagnants”. Ainsi les participants au mouvement avaient d’énormes difficultés pour comprendre que « la société est divisée en classes, une classe capitaliste qui possède tout et ne produit rien et une classe exploitée, le prolétariat, qui produit tout et possède de moins en moins. Le moteur de l’évolution sociale n’est pas le jeu démocratique de « la décision d’une majorité de “citoyens” (ce jeu est plutôt le masque qui couvre et légitime la dictature de la classe dominante) mais la lutte de classe. » (se reporter à la note 2).

L’illusion d’une réforme de la démocratie.

Dépossédés de la force et la perspective que procure le fait de se reconnaître comme membres d’une classe historique qui représente l’unique futur pour l’humanité, les jeunes Indignés étaient terriblement vulnérables à l’illusion d’un « renouveau du jeu démocratique ».

Partout dans le monde, l’État démocratique est un leurre qui recouvre la dictature du Capital. Cependant, vu que domine l’idéologie selon laquelle « le communisme a échoué » ou « le communisme est le cauchemar que nous voyons à Cuba, au Venezuela ou en Corée du Nord », les participants au mouvement du 15 mai se sont accrochés à la chimère de « rénover la démocratie » suivant cette vieille mystification que répètent tant les politiciens : « la démocratie est le moindre mal de tous les régimes ».

Avec ce slogan, ils veulent nous embrigader dans la « lutte pour une véritable démocratie ». Ainsi le groupe bourgeois qui a accompagné et contrôlé le mouvement en Espagne s’appelait Democracia Real Ya (DRY)[10]. Ils nous disent « D’accord, la démocratie n’est pas parfaite, elle traîne le lourd fardeau des politiciens, de la corruption, de la complaisance envers les pouvoirs financiers et les entreprises », par conséquent la question n’est pas de lutter pour des utopies qui débouchent sur la barbarie sinistre de la Corée du Nord, de Cuba ou du Venezuela mais plutôt d'« épurer la démocratie » pour créer une « démocratie au service de tous ».

C’est cela la véritable utopie réactionnaire car la démocratie est ce qu’elle est et elle ne peut ni « se réformer » ni « s’améliorer ». Nouvelles constitutions, référendums, fin du bipartisme, démocratie participative, etc. sont les rapiéçages qui ne changent absolument rien à rien et dont l’unique finalité est de nous livrer pieds et poings liés à la dictature du capital sous son costume démocratique.

Le slogan le plus étendu dans les Assemblées du 15 Mai était « Ils appellent cela démocratie, mais ce n’est pas le cas ». C’était un piège, une mystification très dangereuse qui a sapé de l’intérieur le mouvement et l’a empêché de s’étendre. Les États bourgeois sont cela : de la démocratie. Ils l’appellent démocratie et C’EN EST UNE, c’est cela la démocratie, autrement dit, le déguisement démocratique de l’État totalitaire de la décadence capitaliste.

Comme l’ont dénoncé les « Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne », adoptées par le 1er Congrès de l’Internationale Communiste en 1919, il n’existe et n’existera jamais une démocratie qui soit bonne, pure, participative, humaine, au « service de tous », « la plus démocratique des républiques bourgeoises ne saurait être autre chose qu’une machine à opprimer la classe ouvrière mettre la masse des travailleurs à la merci de la bourgeoisie et d’une poignée de capitalistes »[11].

Nous ne vivons pas dans une société de « citoyens libres et égaux », nous vivons dans une société DIVISÉE EN CLASSES… Et par conséquent, l’État n’est pas un organe neutre au service des citoyens mais il représente la DICTATURE de la classe dominante, du capital, qui oriente la société non vers la satisfaction des besoins des “citoyens” mais vers l’ACCUMULATION DU CAPITAL, le profit des entreprises et l’intérêt national.

Le Capital domine la société au nom de l’intérêt de la Nation qui serait une supposée « communauté de citoyens libres et égaux » et se barricade dans l’État qui, pour garder l’apparence de « représentant de la majorité », organise un rituel d’élections, de droits, de consultations, d’oppositions, d'« équilibres des pouvoirs », d'« alternance », etc.

Une critique encore timide du piège démocratique surgit dans de petites minorités au sein des assemblées. Il y en eut qui « complétèrent » la consigne « ils l’appellent démocratie, mais ce n’est pas le cas » avec une autre consigne « C’est une dictature mais ça ne se voit pas ». Il existait ici un début de prise de conscience. Ils l’appellent démocratie MAIS c’est une dictature, la dictature du Capital.

La dictature qui, au lieu d’un parti unique ou d’une autocratie militaire, présente une constellation de partis et de syndicats qui s’expriment différemment mais tendent tous vers le même but : la défense du capital national. La dictature qui ne compte pas de grand dictateur inamovible mais qui change de dictateur tous les 4 ans par le jeu des élections, jeu que l’État organise et contrôle pour faire en sorte que le résultat soit l’option majoritaire de la défense du capital national[12].

La dictature qui, au lieu des menaces et du despotisme flagrant des régimes autoritaires, se cache vertueusement et hypocritement derrière les belles paroles sur la solidarité, l’intérêt de tous, la volonté de la majorité, etc.

La dictature qui, au lieu de voler ouvertement pour le bénéfice de la minorité prend le déguisement de la « justice sociale », du « prendre soin des plus démunis », « personne ne reste à la traîne », et autres balivernes.

La dictature qui au lieu de réprimer sans vergogne ou de nier tout type de droit ou d’organisation, nous enferme dans les « droits » qui nous privent de tout et dans des « organisations » qui nous divisent et nous désorganisent comme classe.

Ce début de compréhension (« c’est une dictature mais ça ne se voit pas ») fut très minoritaire, ce qui domina dans les assemblées fut l’illusion d’un « renouveau démocratique »[13].

Dix ans après, en quoi consiste le « renouveau démocratique » qu’espéraient beaucoup de jeunes dans les assemblées ? Eh bien, nous le voyons bien. Les deux grands partis (PP et PSOE) sont désormais accompagnés par de nouveaux requins : Vox, Ciudadanos et Podemos. Ces « rénovateurs » ont amplement démontré qu’ils sont IDENTIQUES aux autres. Les mêmes tromperies, le même service inconditionnel au capital espagnol, la même soif insatiable de pouvoir, le même clientélisme[14]… La démocratie ne s’est pas renouvelée, elle a renforcé la machine d’État contre les travailleurs et contre toute la population.

Le virus démocratique entraina une inefficacité de la lutte face aux opérations de répression policière, car « malgré quelques réponses solidaires basées sur l’action massive contre la violence policière, c’est la “lutte” conçue comme pression pacifique et citoyenne sur les institutions capitalistes qui amena le mouvement très facilement vers l’impasse » (se reporter à la note 2).

Avec le mensonge démocratique, la bourgeoisie espagnole a réussi à faire en sorte que le mouvement du 15 Mai ne s’articule pas « autour de la lutte de la principale classe exploitée qui produit collectivement l’essentiel des richesses et assure le fonctionnement de la vie sociale : les usines, les hôpitaux, les écoles, les universités, les ports, les travaux, la poste… » (op.cit. note 2) mais qu’elle soit diluée dans une indignation interclassiste totalement impuissante. Malgré quelques timides tentatives d’extension aux centres de travail, cela échoua et le mouvement est demeuré toujours plus cantonné aux places publiques. Le regroupement et l’action commune des minorités qui exprimaient une « frange prolétarienne » face à la confusion dominante dans les assemblées n’a pas abouti. Pour cela, le mouvement, malgré les sympathies qu’il a suscitées, perdit en force jusqu’à se réduire à une minorité toujours plus désespérément activiste.

L’impasse de l'« indignation ».

Le slogan du mouvement fut « l’indignation ». L’indignation se distingue de la vengeance, de la haine, de la revanche, du dédommagement et autres manifestations morales propres à la bourgeoisie et à la petite bourgeoisie. En cela, l’indignation concorde plus avec la morale prolétarienne qu’avec ces sentiments profondément réactionnaires et destructeurs. Cependant l’indignation, aussi légitime qu’elle soit, exprimait plus une impuissance qu’une force, plus une perplexité qu’une certitude. L’indignation est un sentiment très primaire dans la lutte de classe du prolétariat et comme tel, il ne possède pas la capacité pour affirmer, même à un niveau élémentaire, la force, l’identité et la conscience de notre classe.

Les ouvriers s’indignent à cause du renvoi d’un camarade de travail, à cause des manœuvres des syndicats, à cause de l’arrogance et du sentiment de supériorité des patrons et des contremaîtres, à cause des accidents du travail qui fauchent subitement une vie humaine ou condamnent un camarade à l’invalidité… Cependant, l’indignation en elle-même ne définit nullement le terrain de classe du prolétariat si elle ne se place pas du point de vue de son autonomie politique de classe, du point de vue de ses revendications et de sa recherche d’une perspective propre, l’indignation apparaît comme un sentiment « humain » indifférencié que n’importe quel individu de n’importe quelle classe peut sentir et qui peut faire partie de n’importe quelle lutte bourgeoise ou petite-bourgeoise. Lorsque l’indignation s’élève comme catégorie indépendante et absolue, le terrain de classe prolétarien disparaît.[15]

Le fait que les prolétaires mobilisés en Espagne aient adopté le nom même « d’Indignés » comme signe de reconnaissance soulignait la difficulté manifeste qu’ils avaient pour trouver le chemin de classe prolétarien auquel ils appartenaient. C’était l’expression de leur impuissance et elle contenait le danger de se laisser dévier sur un terrain bourgeois, démocratique, de « protestation populaire », totalement interclassiste. L’indignation est par nature passive et purement morale. Elle peut correspondre à une étape embryonnaire de la prise de conscience qui doit être nécessairement dépassée par l’affirmation d’un terrain de classe, posant l’alternative pour le communisme. Si elle demeure le slogan du mouvement, la porte reste ouverte à son extinction ou si elle tente l’affrontement, le résultat est nécessairement son encadrement et sa récupération sur un terrain bourgeois, une défaite prolétarienne sans palliatifs.

Ce danger, nous l’avons clairement observé pendant les mobilisations aux États-Unis contre l’assassinat de Georges Floyd par la police. L’indignation fut canalisée vers une revendication pour une police « plus humaine » qui agisse « démocratiquement », c’est-à-dire un terrain radicalement bourgeois de défense de l’État démocratique et de ses appareils répressifs.

Les jeunes ouvriers qui occupaient les places et célébraient les assemblées massives quotidiennes avaient besoin de mettre de côté cette conception initiale de « l’indignation ». Le fait de ne pas y arriver et de ne pas réussir à allumer la mèche de la lutte dans les centres de travail, a perdu le mouvement.

Une vision erronée de la crise capitaliste

Si le mouvement des Indignés fut une réponse à la grave crise capitaliste de 2008, les participants se sont obstinés à voir les effondrements financiers qui se succédaient, les violentes coupes budgétaires que les gouvernements mettaient en œuvre, l’austérité brutale qu’ils promouvaient non comme une crise mais plutôt comme une “arnaque”. Les coupes budgétaires, la misère, la précarité étaient perçues comme résultat de la corruption (« il n’y a pas assez d’argent pour tous ces voleurs » fut l’une des phrases les plus répétées dans les assemblées) et non comme un résultat des convulsions et de l’impasse historique du capitalisme.

« Avec la faillite de la banque Lehman Brothers et la crise financière de 2008, la bourgeoisie a pu enfoncer encore un coin dans la conscience du prolétariat en développant une nouvelle campagne idéologique à l’échelle mondiale destinée à instiller l’idée (mise en avant par les partis de gauche) que ce sont " les banquiers véreux » qui sont responsables de cette crise, tout en faisant croire que le capitalisme est personnifié par les traders et le pouvoir de l’argent. La classe dominante a pu ainsi masquer les racines de la faillite de son système. Elle a cherché d’une part, à amener la classe ouvrière sur le terrain de la défense de l’État “protecteur”, les mesures de sauvetage des banques étant censées protéger les petits épargnants. Mais au-delà de ces mystifications, l’impact de cette campagne sur la classe ouvrière a consisté à renforcer son impuissance face à un système économique impersonnel dont les lois générales s’apparentent à des lois naturelles qui ne peuvent être contrôlées ou modifiées ». (se reporter à la note 4).

La majorité des participants voyaient comme responsables de leurs souffrances « une poignée de “méchants” (des financiers sans scrupules, des dictateurs sans pitié) alors que [Le capital] est un réseau complexe de rapports sociaux qui doit être attaqué dans sa totalité et non pas se disperser en poursuivant ses expressions multiples et variées (la finance, la spéculation, la corruption des pouvoirs politico-économiques). (se reporter à la note 2).

Cette terrible faiblesse donnait à la bourgeoisie une énorme marge de manœuvre pour embrouiller le mouvement dans toutes sortes de mystifications, toutes plus démobilisatrices et démoralisantes les unes que les autres.

En premier lieu, il n’y a pas de reconnaissance de l’obsolescence historique du capitalisme et de la nécessité impérieuse de le détruire mais il est considéré plutôt comme un système qui pourrait être « réformé et amélioré ».

En second lieu, le capitalisme n’est pas considéré comme un rapport social mais plutôt comme une somme d’individus, d’entreprises ou de secteurs (financiers, industriels, etc.). Ce raisonnement laisse la porte ouverte à l’idée qu’il y aurait des fractions du capital « meilleures et progressistes » alors que d’autres seraient « pires et réactionnaires ». Les maux du capitalisme ne sont pas identifiés à la nature même d’un système composé d’un ensemble de nations qui luttent à mort pour le profit et la domination impérialiste mais plutôt à des individus « mauvais », à la « finance », aux « spéculateurs », etc. C’est-à-dire que la voie est libre pour le Frontisme : se regrouper derrière telle ou telle fraction de la bourgeoisie considérée « moins mauvaise » contre une autre fraction estampillée comme étant « la pire ». La voie est libre pour tous les pièges avec lesquels la bourgeoisie a embrigadé le prolétariat dans la barbarie guerrière et au sacrifice de ses conditions de vie : choisir entre démocratie et fascisme, entre dictature et démocratie, entre le moindre mal et le plus grand mal[16].

Enfin la « lutte contre la corruption » cache la réalité qui est que le VOL est dans la plus-value que le capital extrait aux ouvriers de façon légale et consentie à travers un « contrat de travail » qui serait d'« égal à égal ». La corruption est à la base de la production de la plus-value qui est extorquée légalement et structurellement aux ouvriers et, dès lors, le problème n’est pas la corruption mais la plus-value. Le slogan « il n’y a pas assez d’argent pour tous ces voleurs » a caché l’exploitation capitaliste, l’exploitation du prolétariat par l’ensemble du capital.

Ainsi donc, cette fausse vision de la crise, cette campagne contre « les méchantes finances » et la « corruption », attaquait l’autonomie politique du prolétariat, niait l’exploitation capitaliste et l’existence de classes et liait les prolétaires à l’idée du frontisme ainsi qu’au fait de choisir son plat dans le menu empoisonné des options capitalistes.

La présence de la petite bourgeoisie radicalisée

Les assemblées se remplirent de petits-bourgeois radicalisés par les effets de la crise et, face à ceux-ci, le manque de confiance des jeunes ouvriers en leurs propres forces fit qu’ils se laissèrent embobiner par les belles paroles de ces secteurs dominés par le verbiage, les incohérences, le crétinisme, les oscillations constantes, l’empirisme et l’immédiatisme.

Tous les mouvements authentiques du prolétariat se sont vus accompagnés des couches de la petite bourgeoisie, de couches sociales non exploiteuses. La Révolution russe de 1917 sut gagner à sa cause des paysans et des soldats. Il est nécessaire de comprendre la nature du prolétariat et la nature de la petite bourgeoisie et des autres couches non exploiteuses

« De toutes les classes qui, à l’heure présente, s’opposent à la bourgeoisie, le prolétariat seul est une classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent et périssent avec la grande industrie ; le prolétariat, au contraire, en est le produit le plus authentique » dit le Manifeste Communiste.

« Les classes moyennes, petits fabriquants, détaillants, artisans, paysans, tous combattent la bourgeoisie parce qu’elle est une menace pour leur existence en tant que classes moyennes. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices ; bien plus, elles sont réactionnaires : Elles cherchent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. »

Cela veut-il dire que le prolétariat doit considérer la petite bourgeoisie comme son ennemie ? Non. Ce qu’il doit faire est de lutter de toutes ses forces contre l’influence néfaste et destructrice de la petite bourgeoisie, spécialement de l’idéologie petite-bourgeoise. Cependant, il doit imposer son propre terrain de classe, son autonomie politique comme classe, ses revendications et partant de cette position de force, gagner à sa cause au moins une partie de la petite bourgeoisie, vu que :

1/ « Tous les mouvements historiques ont été, jusqu’ici, accomplis par des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense majorité ».

2/ La petite bourgeoisie et les couches non exploiteuses « si elles sont révolutionnaires, c’est en considération de leur passage imminent au prolétariat : elles défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels ; elles abandonnent leur point de vue pour se rallier à celui du prolétariat ».

La grave faiblesse du mouvement du 15 Mai ne fut pas la présence des couches de la petite bourgeoisie radicalisée. Le problème fut que les jeunes ouvriers, les minorités résolument prolétariennes, ne furent pas capables de défendre et de faire assumer aux Assemblées les positions, leurs revendications et perspectives de classe. A la place, ce qui domina furent les approches individualistes, citoyennes, les « solutions » comme les coopératives, les jardins urbains, etc. c’est-à-dire qu’après les premiers efforts de réflexion et d’intuitions sur un terrain de classe, c’est le glissement vers les illusions petites-bourgeoises qui finit par prédominer de sorte que la partie était gagnée pour la bourgeoisie.

Les apports du mouvement

Cette critique impitoyable des faiblesses et déviations dont a souffert le mouvement des Indignés n’invalide en rien son caractère de classe prolétarien et ses apports pour les luttes futures. Le prolétariat est une classe exploitée et révolutionnaire à la fois. Sa principale force n’est pas une succession de victoires mais la capacité de tirer des leçons de ses défaites.

Dans son dernier écrit, Rosa Luxemburg, la veille de son assassinat par les sbires de la social-démocratie, « L’Ordre règne à Berlin » précise : « Que nous enseigne toute l’histoire des révolutions modernes et du socialisme ? La première flambée de la lutte de classe en France s’est achevée par une défaite. Le soulèvement des canuts de Lyon, en 1831, s’est soldé par un lourd échec. Défaite aussi pour le mouvement chartiste en Angleterre. Défaite écrasante pour la levée du prolétariat parisien au cours des journées de juin 1848. La Commune de Paris enfin s’est terminée par une terrible défaite. La route du socialisme – à considérer les luttes révolutionnaires – est pavée de défaites. Où en serions-nous aujourd’hui sans toutes ces “défaites”, où nous avons puisé notre expérience, nos connaissances, la force et l’idéalisme qui nous animent ? De chacune, nous tirons une portion de notre force, une partie de notre lucidité »[17].

Les terribles leçons que nous venons d’exposer font partie des orientations que les luttes futures devront suivre. Cependant, la lutte de 2011 nous apporte une série d’éléments positifs très importants.

L’article que nous avons cité précédemment, Le mouvement du 15 Mai cinq ans après, résume ces acquis (voir note 5). Nous soulignerons quelques-unes d’entre-elles.

Les assemblées générales

L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ou ne sera pas, affirmait la Première Internationale. Les assemblées générales massives, ouvertes à l’ensemble des ouvriers, sont la réponse concrète à cette nécessité. Dans les assemblées générales, les ouvriers discutent, pensent, décident et mettent en œuvre les accords ENSEMBLE. Une participante au mouvement du 15 Mai s’exclamait : « Cest merveilleux que 10.000 inconnus aient pu se réunir !".

Les assemblées sont le cœur et le cerveau des luttes ouvrières.

Le cœur : elles sont un mélange de solidarité, de camaraderie, d’unité, de fraternité. Le cerveau : parce qu’elles doivent être l’organe collectif et unitaire de direction du mouvement, analysant les obstacles et les dangers qui le menacent et proposant la marche à suivre.

Mais les assemblées générales furent également une réponse concrète au problème que nous analysions au début : la majeure partie des jeunes ouvriers se retrouvent atomisés et dispersés par le télétravail, les emplois « uberisés », les petites entreprises, les situations de chômage, etc. En s’unissant dans les assemblées, en occupant les places, (le slogan du mouvement était « Occupe les places publiques »), ils réussirent à créer un lieu de regroupement, de construction d’unité, d’organisation de la lutte.

Il ne s’agit pas de glorifier les assemblées, nous avons vu comment en leur sein, les confusions qui tenaillaient les participants, l’affluence de la petite bourgeoisie et SURTOUT le travail de sape de la bourgeoisie et concrètement de DRY, finirent par leur ôter toute force. En filant la métaphore d’une légende tirée de la Bible, on pourrait dire que ces Salomé ont réussi à raser le crane du Sanson prolétaire. Face à cela, les futures assemblées « devront se renforcer avec un bilan critique des faiblesses apparues :

  • Elles ne se sont étendues que très minoritairement vers les lieux de travail, les quartiers, les chômeurs… Si le noyau central des assemblées doit être l’assemblée générale de ville, en occupant les places et les bâtiments publics, il doit se nourrir de l’activité d’un large réseau d’assemblées dans les usines et lieux de travail principalement.
  • Les commissions (de coordination, de culture, d’activités, etc.) doivent être sous le contrôle strict de l’assemblée générale devant laquelle elles doivent rendre des comptes scrupuleusement. Il faut éviter ce qui est arrivé au mouvement du 15 Mai où les commissions sont devenues des instruments de contrôle et de sabotage des assemblées manipulées par des groupes en coulisse tels que DRY (Democracia Real Ya)

La solidarité

La société capitaliste sécrète par tous ses pores « la marginalisation, l’atomisation des individus, la destruction des rapports familiaux, l’exclusion des personnes âgées, l’anéantissement de l’affectivité », c’est-à-dire « l’anéantissement de tout principe de vie collective au sein d’une société qui se trouve privée du moindre projet, de la moindre perspective ».

Face à tout cela, le mouvement du 15 Mai a semé une première graine : « il y a eu des manifestations à Madrid pour exiger la libération des détenus ou empêcher que la police arrête des migrants ; des actions massives contre les expulsions de domicile en Espagne, en Grèce ou aux États-Unis ; à Oakland, « l’assemblée des grévistes a décidé l’envoi de piquets de grève ou l’occupation de n’importe quelle entreprise ou école qui sanctionne des employés ou des élèves d’une quelconque manière parce qu’ils auraient participé à la grève générale du 2 novembre. »

Le mouvement a également fait preuve d’une recherche de la solidarité entre les différentes générations de la classe ouvrière, par exemple, les jeunes ouvriers accueillirent avec enthousiasme la présence des retraités qui apportaient leurs propres revendications.

Cependant, ce fut un premier pas, encore timide, miné par la perte de l’identité de classe, et situé encore plus sur un terrain de « la solidarité en général » que sur le terrain universel et libérateur de la SOLIDARITE DE CLASSE PROLETARIENNE. Pour cela, la vague populiste qui a secoué les pays centraux (le Brexit, Trump…) a éclipsé ces tentatives, imposant la xénophobie et la haine des migrants. Le prolétariat doit retrouver le terrain de sa solidarité de classe. Les Assemblées Générales doivent se concevoir comme un instrument de l’ensemble de la classe, ouverte aux ouvriers de toutes les entreprises, précaires, travailleurs “uberisés”, chômeurs, retraités… ».

La lutte doit s’étendre en brisant les barrières de l’entreprise, de la région, de la nationalité, de la catégorie, de la race, le prolétariat s’affirmant comme la classe formant un creuset dans lequel se révèle la véritable humanité unifiée dans le communisme. Toute lutte doit se concevoir comme partie de la lutte de TOUTE LA CLASSE OUVRIÈRE, se donnant comme première priorité L’EXTENSION ET L’UNIFICATION DES LUTTES.

Avec l’arme de la solidarité de classe, il faut combattre à mort la FAUSSE SOLIDARITE que propage la bourgeoisie, ses syndicats, ses partis : la « solidarité citoyenne », la « solidarité nationale », les collectes caritatives qui humilient les ouvriers en les convertissant en mendiants.

La culture du débat

La société actuelle nous condamne à l’inertie du travail, à la consommation, à la reproduction de modèles à succès qui provoquent des millions d’échecs, à la répétition de stéréotypes aliénants qui ne font rien sinon amplifier ce que répète l’idéologie dominante. Face à tout cela, et comme fausses réponses qui entraînent toujours plus dans la putréfaction sociale et morale, apparaît « la profusion des sectes, le regain de l’esprit religieux, y compris dans certains pays avancés, le rejet d’une pensée rationnelle, cohérente, construite, y inclus de la part de certains milieux “scientifiques” et qui prend dans les médias une place prépondérante, notamment dans des publicités abrutissantes, des émissions décervelantes ; l’envahissement de ces mêmes médias par le spectacle de la violence, de l’horreur, du sang, des massacres, y compris dans les émissions et magazines destinés aux enfants ; la nullité et la vénalité de toutes les productions “artistiques”, de la littérature, de la musique, de la peinture de l’architecture qui ne savent exprimer que l’angoisse, le désespoir, l’éclatement de la pensée, le néant. » (se reporter à la note 5).

Face à cela, durant les premières semaines du mouvement en Espagne, un débat vivant, massif s’est développé, abordant une multitude de sujets qui reflétaient la préoccupation, non seulement pour la situation actuelle mais aussi pour le futur ; pas seulement les problèmes économiques, sociaux ou politiques mais également des questions morales et culturelles. L’importance de cet effort, même timide et accablé par des faiblesses démocratiques et des approximations petites-bourgeoises est évidente. Tout mouvement révolutionnaire du prolétariat surgit toujours à partir d’un gigantesque débat de masse. Par exemple la colonne vertébrale de la Révolution en Russie de 1917 résidait dans le débat et la culture de masse. John Reed rappelle que « la soif d’instruction, si longtemps réprimée, avec la révolution prit la forme d’un véritable délire. Du seul Institut Smolny pendant les six premiers mois, sortaient chaque jour des trains et des voitures chargés de littérature pour saturer le pays. La Russie, insatiable, absorbait toute matière imprimée comme le sable chaud absorbe de l’eau. Et ce n’était point des fables, de l’histoire falsifiée, de la religion diluée et des romans corrupteurs à bon marché-mais les théories sociales et économiques, de la philosophie, les œuvres de Tolstoï, de Gogol et Gorki[18]. ».

Ce développement de la culture du débat est une arme porteuse d’avenir, car cela permet à l’ensemble des prolétaires de forger sa conviction, son enthousiasme, sa capacité de lutte, comme le dit l’Idéologie allemande, l’ouvrage de Marx et Engels : « la révolution est nécessaire non seulement parce qu’il n’est pas d’autre moyen pour renverser la classe dominante, mais encore parce que c’est seulement dans une révolution que la classe du renversement réussira à se débarrasser de toute l’ancienne fange et à devenir ainsi capable de donner à la société de nouveaux fondements[19] ». De façon concrète, la culture du débat permet au prolétariat de faire face à trois nécessités fondamentales :

  • S’affirmer comme classe, donnant un cadre dans lequel il peut gagner à sa cause les couches sociales non exploiteuses ;
  • Acquérir une conscience claire des objectifs et des moyens concrets de sa lutte ;
  • Combattre jusqu’à se libérer pleinement de tout le poids de l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise.

C. Mir 27-12-21


[1] Ce que nous avons mis en évidence en janvier 1990 voir Effondrement du bloc de l’Est : des difficultés accrues pour le prolétariat

[2] CPE : Contrat Première Embauche, une mesure du gouvernement français qui légalisait la précarité sous prétexte de donner « des opportunités d’emploi » aux jeunes.

[3] Pour une analyse de ces luttes voir :
Grève de la métallurgie à Vigo en Espagne : une avancée dans la lutte prolétarienne [23]
Les révoltes de la jeunesse en Grèce confirment le développement de la lutte de classe [24]
Luttes en Egypte : une expression de la solidarité et de la combativité ouvrières [25]
Thèses sur le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France [26]
2011 : De l’indignation à l’espoir [27]

[4] Résolution sur le rapport de forces entre les classes (2019)

[5] Voir nos Thèses sur la décomposition [28]

[6] Le Mouvement du 15 Mai [15M] cinq ans après [29]

[7] Le capitalisme, depuis les années 1960, s’est vu obligé, pour les besoins de sa reproduction, de généraliser l’éducation universitaire à une majorité de la population. Cela non pas par charité, mais avec l’objectif d’augmenter la productivité du travail…

[8] Aux différents étages des grandes entreprises, par exemple, dans les usines d’automobiles, travaillent non seulement les employés directs de l’entreprise mais aussi une myriade de sous-traitants ou d’entreprises auxiliaires qui appartiennent à un autre groupe ou dépendent d’une autre convention collective, ont d’autres conditions de travail, d’autres salaires, d’autres horaires, mangent à part, etc.

[9] Le nationalisme a pesé comme une chape de plomb sur le mouvement des Indignés en Grèce où sont apparus des drapeaux nationaux durant les concentrations et les marches. En Espagne s’il n’y eut pas de drapeaux espagnols dans les manifestations, beaucoup de jeunes qui ont participé aux assemblées de Barcelone se sont laissés entraîner dans la répugnante mobilisation pour l' « indépendance de la Catalogne » depuis 2012.
Voir L’Espagne et la Catalogne : deux patries pour imposer la même misère [30]

[10] Pour une dénonciation de cette racaille voir Le mouvement citoyen « Democracia Real Ya !": une dictature sur les assemblées massives [31].
Il importe de signaler que beaucoup des cadres qui ont milité dans DRY se sont unis a posteriori à cette entreprise de duperie et d’hypocrisie capitaliste qu’est Podemos.

[11] La démocratie bourgeoise, c’est la dictature du capital [18](Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne (mars 1919)

[12] Avec le développement de la décomposition politique et idéologique du capitalisme, la bourgeoisie des pays centraux tend à perdre le contrôle du jeu électoral. De cela découle l’émergence de fractions populistes qui sont des défenseurs acharnés du capital national mais qui agissent de façon indisciplinée, chaotique, défendant des options impérialistes, économiques, etc. qui ne sont pas en adéquation avec l’intérêt global de l’État capitaliste.

[13] Malgré la résistance à la volonté de DRY d’imposer un « décalogue démocratique »

[14] Voir Vox (Espagne) : Une “voix” clairement capitaliste [32] et, en espagnol : Podemos : un poder del Estado capitalista [33]

[15] Pour une analyse du sens et des limites de l’indignation voir le chapitre sur ce thème de notre Rapport sur la lutte de classe internationale au 24e Congrès du CCI [34].
Voir également la dénonciation de l’essai de Stéphane Hessel sur l’indignation : S’indigner, oui ! contre l’exploitation capitaliste ! (à propos des livres de Stéphane Hessel « Indignez-vous ! » et « Engagez vous !") [35]

[16] Voir le point IX de notre Plateforme : « Le frontisme, stratégie de dévoiement du prolétariat »  [36]

[17] « L’ordre règne à Berlin »

[18] Dix Jours qui Ébranlèrent le Monde

[19] L’Idéologie allemande, Chapitre : Feuerbach, Conception matérialiste contre conception idéaliste, Résultats, Ed. La Pléiade, p. 1123.

Evènements historiques: 

  • Indignés [37]

Rubrique: 

Histoire du mouvement ouvrier

Une déclaration internationaliste en Russie

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Nous publions une déclaration sur la guerre en Ukraine du KRAS, un groupe anarcho-syndicaliste lié à l’Association internationale des travailleurs (AIT). Nous savons qu’en Russie, toute protestation contre la guerre fait l’objet d’une répression féroce de la part de l’État. Nous saluons donc le courage et la conviction des camarades du KRAS qui ont publié cette déclaration clairement internationaliste, dénonçant les deux camps impérialistes et appelant à la lutte de la classe ouvrière contre la guerre.

Notre solidarité avec les camarades du KRAS n’implique pas que nous soyons d’accord avec tout le contenu de leur déclaration, comme la demande d’une « cessation immédiate des hostilités » qui nous semble être une concession à l’idée que les deux camps bourgeois peuvent faire la paix. Même si la Russie se retirait d’Ukraine et cessait les bombardements, nous ne doutons pas que les hostilités se poursuivront sous d’autres formes, comme c’est le cas depuis 8 ans. À cet égard, la déclaration de la fédération serbe de l’AIT, d’obédience elle-aussi anarcho-syndicaliste, est plus claire dans sa dénonciation des illusions pacifistes répandues par une partie de la bourgeoisie : « Face aux horreurs de la guerre, il est très facile de se tromper et de lancer un appel impuissant à la paix. Mais la paix capitaliste n’est pas la paix. Une telle “paix” est en fait une guerre avec une étiquette différente contre la classe ouvrière. Dans cette situation, une position antimilitariste cohérente implique de faire des efforts directs pour arrêter la guerre capitaliste, mais en même temps de prendre le contrôle de la situation dans le pays, et de changer radicalement le système socio-économique – c’est-à-dire qu’une guerre de classe organisée est nécessaire ». (1)

Nous devons également souligner que ces deux groupes font partie d’un réseau anarchiste international qui n’est pas du tout homogène dans sa réaction contre la guerre. En allant, par exemple, sur la page web de la section britannique, la Solidarity Federation, on ne trouve, au moment où nous écrivons ces lignes, rien du tout sur la guerre, seulement des comptes rendus de conflits locaux et d’activités de la fédération. La déclaration sur la guerre de la section française de la CNT s’oppose à l’inhumanité de la guerre mais ne mentionne pas du tout la nécessité d’une réponse sur le terrain de la classe ouvrière. (2 )

Le KRAS, en revanche, a toujours défendu une position prolétarienne et internationaliste contre les actes immondes de sa « propre » classe dirigeante, et nous avons publié un certain nombre de leurs déclarations dans le passé. (3)

CCI, 18 mars 2022

NON A LA GUERRE ! (Déclaration de la section de l’AIT en Russie)

La guerre a commencé.

Ce dont les gens avaient peur, ce contre quoi ils avaient mis en garde, ce à quoi ils ne voulaient pas croire, mais qui était inévitable, est arrivé. Les élites dirigeantes de Russie et d’Ukraine, incitées et provoquées par le capital mondial, avides de pouvoir et gonflées de milliards volés au peuple travailleur, se sont réunies dans une bataille mortelle. Leur soif de profit et de domination est maintenant payée par le sang de gens ordinaires – comme nous.

Le premier coup de feu a été tiré par le plus fort, le plus prédateur et le plus arrogant des bandits : le Kremlin. Mais, comme toujours dans les conflits impérialistes, derrière la cause immédiate se cache tout un enchevêtrement de raisons puantes et dégoûtantes : il s’agit de la lutte internationale pour les marchés du gaz, et du désir des autorités de tous les pays de détourner l’attention de la population de la tyrannie des dictatures « sanitaires », et de la lutte des classes dirigeantes des pays de l’ex-Union soviétique pour le partage et la redistribution de l'« espace post-soviétique », et des contradictions à plus grande échelle et à l’échelle mondiale, et de la lutte pour la domination mondiale entre l’OTAN, dirigée par les États-Unis d’une part et la Chine d’autre part, qui défie l’ancienne hégémonie américaine et attache son « petit frère » du Kremlin à son char. Aujourd’hui, ces contradictions donnent lieu à des guerres locales. Demain, elles menacent de se transformer en une troisième guerre impérialiste mondiale.

Quelle que soit la rhétorique « humaniste », nationaliste, militariste, historique ou autre qui justifie le conflit actuel, il n’y a derrière que les intérêts de ceux qui ont le pouvoir politique, économique et militaire. Pour nous, travailleurs, retraités, étudiants, il n’apporte que souffrance, sang et mort. Le pilonnage, le bombardement de villes pacifiques, le meurtre de personnes n’ont absolument aucune justification.

Nous exigeons la cessation immédiate des hostilités et le retrait de toutes les troupes aux frontières et aux lignes qui existaient avant le début de la guerre.

Nous demandons aux soldats envoyés au combat de ne pas se tirer dessus, et encore plus de ne pas ouvrir le feu sur la population civile.

Nous les exhortons à refuser en masse d’exécuter les ordres criminels de leurs commandants.

ARRÊTEZ CETTE GUERRE !

ARMES AU PIED !

Nous appelons la population à l’arrière des deux côtés du front, tous les travailleurs de Russie et d’Ukraine, à ne pas soutenir cette guerre, à ne pas l’aider – mais au contraire, à y résister de toutes leurs forces !

N’allez pas à la guerre !

Pas un seul rouble, pas une seule hryvnia(4) ne doit sortir de nos poches pour la guerre !

Frappez contre cette guerre si vous le pouvez !

Un jour – quand ils auront assez de force – les travailleurs de Russie et d’Ukraine exigeront des comptes sur la responsabilité de tous les politiciens présomptueux et des oligarques qui nous montent les uns contre les autres.

Souvenons-nous en : PAS DE GUERRE ENTRE LES TRAVAILLEURS DE RUSSIE ET D’UKRAINE !

PAS DE PAIX ENTRE LES CLASSES !

PAIX dans les chaumières – GUERRE dans les palais !

Section de l’Association internationale des travailleurs de la région russe, (26 février 2022)

 

 

1 En anglais : Let's turn capitalist wars into a workers' revolution !, International Workers Association. [38]

2 « Paix aux chaumières, guerre aux Palais ! » [39], déclaration sur le site de la CNT-AIT.

3 En anglais :

- Russia : An internationalist voice against the Chechen war | International Communist Current (internationalism.org) [40]

En français :

- Épreuves de force dans le Caucase : Prise de position internationaliste en Russie sur la guerre en Géorgie [41]

- Guerre en Libye : une position internationaliste du KRAS [42]

- Prise de position internationaliste en Russie (sur les tensions entre l’Ukraine et la Russie en 201 [43]4.

4 Monnaie ukrainienne.

Géographique: 

  • Ukraine [8]
  • Russie [9]

Récent et en cours: 

  • Guerre en Ukraine [11]

Rubrique: 

Guerre en Ukraine

URL source:https://fr.internationalism.org/content/10715/icconline-mars-2022

Liens
[1] https://www.telegraph.co.uk/opinion/2022/02/23/world-sliding-new-dark-age-poverty-irrationality-war/ [2] https://fr.internationalism.org/content/10545/resolution-situation-internationale-2021 [3] https://fr.internationalism.org/content/10695/tensions-ukraine-exacerbation-des-tensions-guerrieres-europe-lest [4] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm [5] https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/feb/27/liberal-democracies-must-defend-their-values-and-show-putin-that-the-west-isnt-weak [6] https://fr.internationalism.org/content/10582/luttes-aux-etats-unis-iran-italie-coree-ni-pandemie-ni-crise-economique-nont-brise [7] https://fr.internationalism.org/tag/5/35/europe [8] https://fr.internationalism.org/tag/5/399/ukraine [9] https://fr.internationalism.org/tag/5/513/russie [10] https://fr.internationalism.org/tag/30/534/poutine [11] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guerre-ukraine [12] mailto:[email protected] [13] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques [14] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs [15] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne [16] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/conscience-classe [17] https://fr.internationalism.org/tag/5/50/etats-unis [18] https://fr.internationalism.org/french/rint/100_democratie [19] https://fr.internationalism.org/tag/5/51/canada [20] https://fr.internationalism.org/tag/5/38/allemagne [21] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france [22] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/convoi-liberte [23] https://fr.internationalism.org/isme/326/vigo [24] https://fr.internationalism.org/rint136/les_revoltes_de_la_jeunesse_en_grece_confirme_le_developpement_de_la_lutte_de_classe.html [25] https://fr.internationalism.org/ri384/luttes_en_egypte_une_expression_de_la_solidarite_et_de_la_combativite_ouvrieres.html [26] https://fr.internationalism.org/rint125/france-etudiants [27] https://fr.internationalism.org/ri431/2011_de_l_indignation_a_l_espoir.html [28] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm [29] https://fr.internationalism.org/icc-online/201610/9455/mouvement-du-15-mai-15Â%20m-cinq-ans-après [30] https://fr.internationalism.org/icconline/2012/l_espagne_et_la_catalogne_deux_patries_pour_imposer_la_meme_misere.html [31] https://fr.internationalism.org/content/4693/mouvement-citoyen-democracia-real-ya-dictature-assemblees-massives [32] https://fr.internationalism.org/content/10056/vox-espagne-voix-clairement-capitaliste [33] https://es.internationalism.org/cci-online/201406/4033/podemos-un-poder-del-estado-capitalista [34] https://fr.internationalism.org/content/10522/rapport-lutte-classe-internationale-au-24eme-congres-du-cci [35] https://fr.internationalism.org/isme351/s_indigner_oui_contre_l_exploitation_capitaliste_a_propos_des_livres_indignez_vous_et_engagez_vous_de_hessel.htm [36] https://fr.internationalism.org/plateforme-cci [37] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/indignes [38] https://iwa-ait.org/content/lets-turn-capitalist-wars-workers-revolution [39] http://cnt-ait.info/2022/03/08/paix_huttes_fr/ [40] https://en.internationalism.org/wr/263_russia_int.htm [41] https://fr.internationalism.org/icconline/2009/epreuves_de_force_dans_le_caucase_une_voix_internationaliste_en_provenance_de_russie.html [42] https://fr.internationalism.org/icconline/2011/guerre_en_lybie_une_position_internationaliste_du_kras.html [43] https://fr.internationalism.org/icconline/201405/9081/prise-position-internationaliste-russie