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Le "P.C.I." ("Programme Communiste" et "Le Prolétaire") se réclament d'une invariance, d'une ligne directe du manifeste Communiste à nos jours. Mais elle n’est "qu’une apparence recouvrant l’absence d’une vitalité de pensée, une invariance démentie par des contradictions et des confusions politiques du groupe".
L'évolution de la crise sociale se poursuit d'une façon si généralisée qu'on peut même voir ses conséquences idéologiques dans des sectes sclérosées du marxisme, telles que celle de "Programme Communiste". Les anciens dogmes dits révolutionnaires : le syndicalisme, la libération nationale, se heurtent aujourd'hui à la réalité des luttes ouvrières autonomes, des problèmes économiques et des conflits inter-impérialistes.
Aujourd'hui on assiste à un réveil de la lutte de classe qui rompant avec l'apathie sociale réduit l'isolement des révolutionnaires qui avait caractérisé les années de réaction. Même un groupe comme Programme Communiste, dont l'idéologie a été irrémédiablement déformée par la période de recul du mouvement, ne peut éviter de subir les répercussions d'un nouvel élan dans la classe ouvrière. Dernièrement, certains articles du "Prolétaire" ont rend évidente l'existence de divergences qui ont fait surgir une série de scissions. Celles-ci ont des fondements plus ou moins confus dans des questions telles que la fonction de syndicats et la critique de la conception léniniste du parti.
Depuis quelque temps déjà, "Programme Communiste" prend ses distances par rapport aux luttes de libération nationale. Il faut dire que, sur cette question, l'évidence crève les yeux même aux aveuglés. Mais, "Le Prolétaire", tout en soutenant EN PRINCIPE "le droit à l'autodétermination des peuples" ne veut tout de même pas se confondre avec les trotskistes et les tiers-mondistes. Ils se tirent du dilemme en considérant chaque lutte de Libération Nationale comme "un cas particulier" qui ne tient pas à la règle, ou en disant que dans tel ou tel pays, une "révolution démocratique" n'est plus à faire mais laissant entendre qu’ailleurs cela peut être autrement. N'ayant pas une vision globale de la période actuelle du capitalisme décadent, "Programme Communiste" ne peut pas avoir une analyse cohérente des positions politiques à prendre face aux problèmes actuels.
L'ambiguïté sur la nature des luttes de Libération Nationale ne peut qu'être politiquement gênante; la compréhension de la nature réactionnaire de telles luttes est devenue, une mesure essentielle du contenu révolutionnaire du programme d'un groupe politique. Par le fait même que la bourgeoisie mondiale utilisé les "Libérations Nationales" comme moyen idéologique pour entraîner les travailleurs dans des conflits inter-impérialiste s, (comme vient de le démontrer encore, récemment le Bangladesh) un groupe politique qui continue à se réclamer de ces mystifications ne fait que semer la confusion la plus dangereuse.
La confusion de "Programme Communiste" est également évidente en ce qui concerne la question du rôle des syndicats dans la lutte de classes. Après avoir soutenu depuis longtemps la position "orthodoxe" sur la nécessité d'une "C.G.T. Rouge", on a cru assister à une rapide volte-face dans le numéro 114 du Prolétaire. Dans un article intitulé "Régler les comptes avec le syndicat'", il est écrit :
On aurait cru que tout à coup un "bon vent avait soufflé" et que "le Prolétaire" avait pris subitement conscience du fait que le développement du système capitaliste a intégré les syndicats directement ou indirectement, dans l'appareil de contrôle étatique; que désormais le syndicalisme -en tant que forme historique de la lutte du Prolétariat- est condamné à un rôle contre-révolutionnaire.
Faisant cela, "Le Prolétaire" n'aurait fait que tirer les leçons des luttes ouvrières autonomes qui se placent en dehors et contre le cadre de récupération syndicale. Cependant, malgré le fait que la position "anti-syndicaliste" a dans l'"ultra-gauche" une tradition remontant jusqu'au K.A.P.D. et se rattachant à une critique de la tactique de la IIIe Internationale, l'article du "Prolétaire" a basé sa nouvelle position sur l'exemple d'une simple grève du métro parisien en 1971. Qu'est-ce qui a changé dans leur analyse de la lutte de classes globalement prise pour justifier cette nouvelle position? De toute façon, cela a semblé étrange que "le Prolétaire" ait publié un article en contradiction avec sa ligne officielle sans offrir d'explication aux lecteurs. Mais puisqu'aucun article du "Prolétaire" n'est signé (et qu'il faut donc les prendre tous comme "obiter dicta" du groupe dans son ensemble), on aurait pu croire que cette nouvelle analyse de la question syndicale devait être prise au sérieux. Mais apparemment "le Prolétaire" ne se soucie pas de la cohérence. Depuis novembre, les bordiguistes ne parlent plus de cette volte- face sur le syndicalisme. Comme si rien n'était jamais dit, "le Prolétaire" se contredit d'un numéro à l'autre sans signe d'une discussion interne. L'article, malgré tout ce qu'il promettait, n'était qu’une pierre jetée à l'eau. "Programme Communiste" sans doute se réfugiera dans l'affirmation que la lutte du prolétariat peut être aussi bien menée DANS les syndicats qu'en dehors, pourvu que le Parti en ait le contrôle. Mais ceci n'est qu'une façon de tourner le dos aux véritables problèmes des prolétaires en se cachant derrière l'idée de la compréhension miraculeuse d'un parti tout-puissant.
Sans doute, il fallait croire que cet article sur la grève du métro à Paris était l'expression d'une tendance politique au sein de "Programme Communiste" qui essayait de s'exprimer contre la position officielle. Mais l'absence d'une discussion dans les pages du "Prolétaire" ne nous a pas permis d'aller plus loin. Cependant, des scissions n'ont pas manqué de se manifester peu après. "Programme Communiste" ne tolère pas qu'une tendance politique en son sein puisse "douter" de la ligne. Au lieu d'offrir la possibilité de discuter jusqu'à ce que les divergences deviennent claires, "Programme Communiste" préfère précipiter les scissions pour se "protéger" contre leur influence "néfaste". Néanmoins un noyau a pu écrire un document "Pourquoi nous quittons Programme Communiste" nous permettant de voir, quant à leur scission, les raisons pour la rupture.
Ce texte de scission se réclame d'une position nettement anti-syndicaliste: "Dans la lutte révolutionnaire les syndicats n'ont aucun rôle à jouer. On ne peut les qualifier de trahison: ils sont désormais partie intégrante du Capital". Mais quant à la question du Parti du prolétariat, le texte dit: "A présent que ces tâches sont réalisées (c'est-à-dire que le Capital a généralisé la condition du prolétariat) le parti formel n'a plus de raison d'être. Il n'y a plus besoin de médiation. Plus que jamais le parti sera le mouvement du prolétariat se constituant en classe -"parti historique"- Plus que jamais "l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes". Si "Programme Communiste" dit que le parti est la classe, ce texte semble avoir pris simplement le contre-pied en disant que la classe est le parti. En ce sens, le texte se rapproche des positions de la revue "Invariance". Si "Programme Communiste" élève le parti à un niveau absolu d'une omniscience mystique, ce texte élimine la nécessité d'un parti du prolétariat. Toutes deux, ces positions sont une réponse erronée à un problème d'une importance capitale.- Mais dans la mesure où le document de scission est une ouverture vers une discussion plus ample sur la question, il est beaucoup plus positif et important que la position figée de "Programme Communiste".
Le texte de scission se réfère au passé de "Programme Communiste" et du Parti Communiste International dans la mesure où il situe la scission d'aujourd'hui dans le contexte des critiques faites à la Gauche Italienne par "Internationalisme"(qui a scissionné après la guerre[1] et des critiques du camarade Vercesi (Perrone) en Belgique.
Les militants qui ont écrit ce texte étaient depuis longtemps dans "Programme Communiste". Il y a eu récemment des scissions de militants plus jeunes. A la suite, de Mai 68, beaucoup de jeunes militants ont été attirés vers "Programme Communiste" parce que ce groupe semblait offrir un certain sérieux, une expérience dans la lutte, un souci de préserver le marxisme. Mais il s'est avéré, que "Programme Communiste" n'offre pas un terrain favorable au développement d'une conscience critique, pour la formulation de nouvelles idées qui puissent répondre aux besoins de la lutte de classes aujourd'hui. "Programme Communiste" ne peut que susciter une profonde désillusion chez les militants quand ceux-ci se rendent compte de tout un monde d’idées (depuis, le K.A.P.D jusqu'au véritable passé du P.C.I lui-même) qui leur a été caché par ce groupe replié sur lui-même. W(1)
Dans une certaine mesure, ce blocage de "Programme Communiste" a une explication historique. Pour, se protéger des assauts idéologiques de la contre-révolution, beaucoup de groupes révolutionnaires avaient senti le besoin de se renfermer sur les positions du passé déjà acquises. Néanmoins, pendant les années 30, la Gauche Italienne en exil (le groupe autour de la revue "BILAN") a fait une étude critique du passé d'une grande importance, en élaborant des positions CONTRE l'anti-fascisme, la défense de l'URSS, et le Front Populaire -ces positions étant les plus fermés de toute la Gauche Révolutionnaire à l'époque. Mais à partir de la déception qui suivit la deuxième guerre mondiale, après que les premières manifestations de luttes de classes eurent été immédiatement étouffées dans l'œuf, la Gauche Italienne a subi une régression par rapport à ses propres positions d'avant-guerre, et est tombée dans l'opportunisme en formant un parti en période de recul.
Les groupes révolutionnaires qui continuaient à exister pendant la période de réaction, réduits à l'isolement quasi-total, devinrent très souvent les simples conservateurs des positions du passé par peur de se dissoudre dans la confusion, ils fermaient la porte à tout. Cette situation a empêché l'évolution de "Programme Communiste" au point que quand la situation sociale a changé, le groupe soit resté figé dans ses positions passéistes (la tactique de la IIIe Internationale), incapable d'être à la hauteur des évènements, ni de la tâche théorique. Il continue à se réclamer d'une invariance, "une ligne directe du Manifeste Communiste jusqu'à nos jours", Mais, ni le mouvement ouvrier, ni la conscience de classe ne se développent en ligne directe; en voulant le voir ainsi, on finit par déformer tout contexte historique. Cette invariance se réduit à une simple répétition des erreurs de Lénine et à une déification de son œuvre révolutionnaire. L'Invariance de "Programme. Communiste" n'est qu'une apparence recouvrant l'absence d'une vitalité de pensée, une invariance démentie par des contradictions et des confusions politiques du groupe
On peut mieux-mesurer la confusion qui règne chez les bordiguistes si on considère leur réponse aux "nouveaux problèmes" (ou au moins à un problème nouveau pour eux) : la question noire aux Etats Unis. Cette question touche au problème du nationalisme, au problème fondamental pour l'unification de la classe ouvrière aux Etats-Unis, dans le principal centre industriel du monde c'est-à-dire au cœur me- me de la lutte de classes. Dans le même numéro 114 du "Prolétaire" où paraissait l'article sur les syndicats, il y avait un article intitulé "Le mouvement noir aux Etats-Unis" à travers lequel le groupe essayait de dégager une perspective pour la lutte aux Etats-Unis.
L'article commence : "Leur cas (des noirs) est particulier puisque la race recouvre à peu près une appartenance de classe". Bien sûr, on est contre les revendications nationalistes des "peuples". MAIS -et c'est le grand MAIS, qui ouvre la porte à tous les noirs aux E.U. sont un cas particulier parce que la race est presque synonyme de classe. N'importe quel sociologue bourgeois peut nous fournir l'information que beaucoup de noirs appartiennent à la classe ouvrière, agricole ou industrielle. Mais ce qui est essentiel dans la question noire est son contenu POLITIQUE. Est-ce que les revendications spécifiques noires sont "à peu près" des revendications de classe ou non? Est-ce que les noirs en tant que noirs, ou n'importe quelle catégorie nationale, sont révolutionnaires en tant que tels ou non? Les bandes fascistes peuvent contenir statistiquement beaucoup d'ouvriers, mais est-ce que le fascisme est considéré une position de classe? ET le black power?
Gomme toujours quand on commence à dire que la race est "à peu près" la classe, on oublie de QUELLE classe il est question. "Ils (les noirs) appartiennent en effet en majorité au prolétariat ou au sous-prolétariat et la frontière est bien mince entre ces deux". Ainsi on finit par ne plus savoir faire la distinction entre le prolétariat et le lumpen. Justement, beaucoup de "gauchistes" aux. E.U., désespérés par la lenteur de la prise de conscience chez les ouvriers américains, ont mis leurs espoirs chez les marginaux, pour la plupart noirs que le système industriel ne peut plus intégrer dans la production. Les marginaux, qui vivent souvent dans la révolte individuelle, la violence et la criminalité, sont la proie parfaite de l'Idéologie Black Panther qui donne une mystique "révolutionnaire" et une justification raciale aux actes anti-sociaux sans avenir. L'article du "Prolétaire" tombe ouvertement dans le même piège en parlant des "prisons, école de guerre du communisme". L'article semble croire à la propagande Black Panther en considérant la population noire en prison comme étant composée en entier de prisonniers politiques. Il est vrai que le racisme est en grande partie responsable d'un taux élevé de criminalité chez les marginaux noirs et, par conséquent, d'une plus forte répression gouvernementale. Mais la population des prisons n'offre pas plus aux E.U qu'ailleurs, une qualité révolutionnaire en soi. L’article nous dit "Les détenus profitent de leur séjour en prison pour lire, pour discuter et finalement pour sortir de la prison avec une révolte consciente cette fois, des buts à atteindre et de l'ennemi à abattre". C'est du pur délire, surtout pour un journal qui se dit marxiste révolutionnaire.
L'article cite comme exemple de cette nouvelle conscience la révolte à la prison d'Attica en septembre 1971. Mais justement, la seule conscience qui soit issue de cette révolte est du niveau "Black Power". (Une des revendications les plus discutées de la révolte d'Attica était : davantage de gardiens noirs pour les prisonniers noirs. Ceci est à mettre en parallèle avec les revendications de DRUN (une organisation du Black Power dans certaines usines de Détroit) qui a demandé pendant une grève sauvage, davantage de contremaîtres noirs (!) L'article du "Prolétaire" soutient explicitement DRUN comme il soutient "les prisons, école de guerre du communisme".
Du point de vue de la conscience de classe, la révolte à Attica n'a même pas présenté un danger pour la bourgeoisie. Elle a simplement servi au gouvernement comme moyen de prouver sa fermeté devant des convulsions sociales chaotiques. En effet, toute convulsion sociale, bien qu'étant l'indice d'une décomposition sociale, n'est pas automatiquement une réponse de classe à la question de la lutte révolutionnaire. Attica trouve des parallèles en France et même au Luxembourg avec les révoltes des prisonniers dans ces pays. Aux E.U. le résultat fut un massacre comme seule la bourgeoisie est capable d'en faire : la violence gratuite et sanglante. La révolte n'a nullement marqué un début de conscience de classe et seuls les Blacks Panthers peuvent la voir comme un signe "positif".
Un flirt avec l'idéologie du Black Power imprègne tout l'article du "Prolétaire". On nous parle de la bourgeoisie "blanche", encore mieux, de "l’Amérique blanche". C'est le langage typique des tiers-mondistes aux E.U. qui voient le monde divisé en couleurs et non en classes, avec tous les blancs comme exploiteurs des gens de couleur du monde entier. Tout cela pour faire croire qu'aux E.U. les ouvriers blancs ne sont plus des exploités mais des collaborateurs en bloc avec la "bourgeoisie blanche". C'est une conception profondément réactionnaire, une idée qui ne peut sortir que de l'idéologie bourgeoise.
"Les noirs (quels noirs?) se sentent solidaires avec des luttes du Tiers-monde car c'est le même impérialisme qui les opprime Dans le Tiers-monde, il y a des impérialismes qui SE FONT CONCURRENCE; les USA, l’URSS, la Chine. Mais cela les tiers-mondistes ne l'admettent pas. Dans la mesure où les Black Panthers sont pro-chinois ou pro-russes, ils peuvent "se sentir solidaires" avec les luttes existant au Tiers-monde. Pour eux, il s'agit de choisir l'impérialisme de préférence -'impérialisme "de couleur"-. Comme le mouvement nationaliste noir préconise une alliance inter-classe pour tous les noirs aux E.U, il peut avec facilité soutenir les alliances inter-classes des différents peuples pour leur "libération nationale". Toute cette politique de couleur est logique pour les Blacks Panthers. Doit-on croire que c'est également la logique du "Prolétaire"?
En France, c'est encore facile d'émettre un tel bavardage sur la question noire -il n'y a pas une répercussion immédiate dans la réalité des luttes. Mais aux E.U, un groupe comme "le Prolétaire", avec de tels articles, serait immédiatement dénoncé comme apologiste du nationalisme, comme un danger pour l'effort vers la réunification de la classe ouvrière.
LES CONSEQUENCES DE LA CONFUSION
Le manque de clarté sur les positions à prendre face à la libération nationale, ne fera qu'amener "le Prolétaire" à semer la confusion partout. Sur la question syndicale, il se fera le serviteur de la C.G.T par sa position incohérente sur le rôle du syndicalisme aujourd'hui. Sur le passé du mouvement ouvrier, "Programme Communiste" n'of- fre aucune attitude véritablement critique permettant un dépassement; sur son propre passé, celui de la Gauche Italienne de 1930-1952; il préfère maintenir, les camarades dans l’ignorance. Il parle d'une haute théorie communiste en la rabaissant au niveau d'un catéchisme de Parti.
Leur mépris pour le "bas niveau" de conscience des ouvriers -ce qui à leurs yeux obligera le Parti à prendre le Pouvoir par-dessus les Conseils Ouvriers et même malgré eux- est d'autant plus ridicule que leur théorie n'a pas encore assimilé le contenu réel de ce que les luttes ouvrières autonomes nous montrent par leur pratique. Avec leur rigidité dans le léninisme, ils ont élevé la notion du Parti à une idée absolue, au point qu'ils ne voient plus que c'est dans la théorie léniniste du Parti (et l'identification du Parti à l'état en Russie) que le capitalisme d'état a trouvé et trouvera son plus fort apologiste.
Pour "Programme Communiste", les autres courants marxistes ne sont que de "la racaille"; et la férocité de sa polémique ne recouvre qu'une sclérose à l'intérieur du groupe. Il est définitivement figé dans le passé. Etant l'héritier d'une tradition ultra-gauche, il a transformé cet héritage en une invariabilité sacrée, et il l'a momifié au lieu de l'approfondir.
On ne peut que saluer les nouvelles scissions qui se' sont accomplies. Cela ne peut qu'être un bon signe de la force des nouvelles idées qui arrivent à pénétrer même le brouillard des "principes léninistes éternels" pour faire évoluer des militants. Maintenant que le premier pas est franchi, et que le carcan de la ligne "Invariable" est rejeté, il reste encore UN TRAVAIL DE CLARIFICATION POLITIQUE A FAIRE.
Judith Allen
[1] INTERNATIONALISME (la fraction française de LA Gauche Communiste) a scissionné en 1945 en s'opposant à l'opportunisme du P.C.I qui a formé le parti en Italie pendant la période de recul des luttes. "Internationalisme" défendait des positions anti-syndicalistes, anti-libérations nationales et critiquait la conception léniniste du Parti.
Mais une question se peso :
Pourquoi ce changement entre les deux périodes ?
Pourquoi est-il devenu pratiquement impossible dans la nouvelle période de trouver de nouveaux marchés ?
Niant l’évidence, la plupart des économistes actuels considèrent, à la suite de Jean-Baptiste Say, que la production crée son propre marché, à la suite de quoi ils se trouvent bien en peine d’expliquer, les crises de surproduction : mais on ne saurait demander aux apologistes apointés du capital de concevoir les conditions de la mort de la société qui les fait vivre.
Une idée analogue trouve des défenseurs au sein même du "courant marxiste" : puisque c’est la division du travail qui est à la base de l’économie marchande (dans une société où tout le monde produirait la même chose, les échanges n'auraient pas de sens), le marché n'a d'autres limites que la division du travail. Par suite les crises correspondraient à un retard du degré de division du travail par rapport- à l'extension du marché et trouveraient une issue après une période de rajustement dans 'un degré plus élevé de division du travail. Dans la mesure où le développement de la technique établit une division du travail chaque jour plus grande, il n'existerait donc pas de limite à l'extension des marchés.
Par conséquent, une telle conception, comme la précédente, est incapable de rendre compte du changement "qualitatif' qui s'est produit.au début du siècle.
Marx, dans ses différents travaux traitant des crises[1], couvre le sarcasmes Jean-Baptiste Say et ses disciples, qui ne voient dans les crises qu'un déséquilibre entre les différentes branches de la production, et pour qui "une surproduction générale est impossible". Ses critiques, par suite, s'étendent à ceux des "marxistes" qui, après sa mort prétendent que les crises n'ont d'autre origine qu’un développement déséquilibré des secteurs I et II de la production capitaliste (moyens de production et biens de consommation),
En fait, dans le livre III du Capital, Marx insiste essentiellement, pour expliquer les crises cycliques, sur la "loi de la baisse tendancielle du taux de profit" : la part croissante que prend le capital constant (moyens de production et matières premières) par rapport au capital variable (salaires) dans la production, entraîne une tendance à la baisse du taux de profit dans la mesure où celui-ci provient uniquement, de l'exploitation du travail non payé au salarié. Cette augmentation relative du capital constant par rapport au capital variable est intimement liée au progrès technique et à l'augmentation de la productivité ; et, dans la mesure où le capitalisme ne peut vivre sans ces deux facteurs, la tendance à la baisse du taux de profit, et par suite du taux d'accumulation, s'impose au capital avec une force irrésistible. Pour Marx donc, les crises sont les moments où se manifeste avec le plus d'acuité cette contradiction de base du capitalisme :
L'inverse des précédents, qui permettent d'entrevoir un développement infini du capitalisme et même une disparition des crises dans la mesure où les capitalistes des différentes branches seraient capables(1) de coordonner leurs productions respectives (par l'intermédiaire de l'État par exemple), cette théorie des crises présente l'intérêt de dégager le caractère temporaire du mode de production capitaliste et la gravité sans cesse accrue des crises qui secoueront la société bourgeoise. Avec une telle vision, on peut donc partiellement interpréter le changement qualitatif, .qui s'est produit entre 19e et le 20e siècle dans la nature des crises : la gravité croissante des crises trouverait son explication dans l'aggravation de la tendance à la baisse du taux de profit mais cette vision ne suffit pas à notre avis à tout expliquer[2] et en particulier à trouver une repense satisfaisante aux deux questions :
Par bribes éparpillées au cours de son œuvre, Marx donne les éléments; qui permettraient de répondre à ces questions et d'établir de façon absolue le caractère nécessairement limité et temporaire du mode de production capitaliste. Dans son étude de la baisse du taux de profit, il analyse les causes qui s'y opposent et font que "la loi n'agit qu'en tant que tendance" donc l’action ne se manifeste nettement que dans certaines circonstances et au cours de longues périodes". Parmi ces causes il relève le commerce extérieur :
Il est à noter que quand Marx parle de commerce extérieur, il désigne le commerce entre pays capitalistes et économes non capitalistes puisque dans le livre I du Capital il écrit de façon explicite qu’il imagine "pour débarrasser l’analyse générale d'incidents inutiles" que "le monde commerçant" est "une seule nation" et constitue un tout économique, donc, les marches extra-capitalistes jouent, d'après lui, un rôle, dans la lutte du capital contre la baisse de son taux de profit et par suite contre les crises.
Mais il émet également l'idée que ces marchés sont indispensables indépendamment du problème de la baisse du taux de profit :
Et plus loin, il rattache explicitement cette nécessité au problème de la réalisation de la plus-value :
Dès que toute la quantité de surtravail que l’on peut extorquer est matérialisée en marchandises ,1a plus-value est produite. Mais cette production de plus-value n'achève que le premier acte du processus de production capitaliste, le processus immédiat...Vient alors le second acte du processus, il faut que toute la masse de marchandises, le produit total, aussi bien la partie qui représente le capital constant et le capital variable que celle qui représente la plus-value, se vende. Les conditions de l'exploitation directe et celles de sa réalisation ne sont pas les mêmes ; elles diffèrent non seulement de temps et de lieu, mais même de nature, les unes n'ont d'autre limite que les forces productives de la société, les autres la proportionnalité des différentes branches de production et le pouvoir de consommation de la société. Mais celui-ci n'est déterminé ni par la force productive absolue ni par le pouvoir de consommation absolu ; il l'est par le pouvoir de consommation, qui a pour base des conditions de répartition antagoniques qui réduisent la consommation de la grande masse de la société à un minimum variable dans des limites plus ou moins étroites.
II est, en outre, restreint par le désir d'accumuler, la tendance à augmenter le capital et à produire de la plus-value sur une échelle plus "étendue... Il faut, par conséquent, constamment élargir le marché, si bien que ses interrelations et les conditions qui les règlent prennent de plus en plus la forme d'une loi naturelle indépendante des producteurs et deviennent de plus en plus incontrôlables. Cette contradiction interne tend à être compensée par l'extension du champ extérieur de la production. Mais, plus les forces productives se développent, plus elles entrent en conflit avec les fondements étroits sur lesquels reposent les rapports de consommation." (Ibid, page 1025-26-27)
A l'époque où il était encore révolutionnaire, Kautsky, dans une polémique contre Tougan-Baranowsky, reprend cette idée en la précisant :
"Les capitalistes et les ouvriers qu'ils exploitent constituent un marché qui s'élargit sans cesse avec l'augmentation de la richesse des premiers et le nombre des seconds, mais ce marché ne s'agrandit pas aussi vite cependant que l'accumulation du capital ni la productivité du travail, et ne suffit pas à lui- seul pour absorber les moyens de consommation produits par la grande industrie capitaliste. Celle-ci doit chercher des débouches supplémentaires à l'extérieur de sa sphère, dans les professions et les nations qui ne produisent pas encore selon le mode capitaliste. Elle les trouve et les élargit toujours davantage quoique trop lentement. Car ces débouchés supplémentaires ne possèdent pas, et de loin, l'élasticité et la capacité d'extension du processus de production capitaliste. Dès que la production Capitaliste s'est développée en grande industrie, comme cela a été le cas en Angleterre dès le premier quart du 19e siècle, elle a acquis une telle faculté d'expansion rapide par grands bonds qu'au bout de peu de temps elle rattrape n'importe quel élargissement du marché. C'est ainsi que chaque période Je prospérité consécutive à toute extension brusque du marché est condamnée de prime abord à une vie brève, dont le terme inévitable est la crise. Telle est, en quelques mots, la théorie des crises adoptée généralement, pour autant que nous le sachions, par les marxistes orthodoxes et fondée par Marx."[3](1)
Cette explication de Kautsky sur les crises, pour claire qu'elle soit, est encore suffisamment imprécise pour laisser croire que le capitalisme peut trouver indéfiniment des nouveaux marchés et par suite être toujours en mesure de résoudre ses crises. En fait, c'est Rosa Luxembourg qui donne, dans "L'accumulation du Capital" (écrit en 1912, à la veille de la première guerre impérialiste) l'explication la plus précise de ce problème de la nécessité des marchés extra-capitalistes et la plus utile pour la compréhension de l’époque actuelle. Sommairement, sa théorie peut se résumer ainsi :
Si on considère la production totale du capitalisme au cours d'un cycle productif (une année par exemple) on peut affecter aux différentes parties de cette production les débouchés suivants (puisque toute la production doit être vendue pour que soit réalisée sa valeur) :
A qui peut être vendue cette quantité PL2 de marchandise produite[4] ?
Par suite, cette quantité PL2 de marchandises, portion de plus- value destinée à l'accumulation ne peut trouver d'acheteur qu'à l'extérieur du champ de la production capitaliste : agriculteurs, artisans, population des pays coloniaux...
Et historiquement, c'est comme cela qu'on voit se développer
le capital qui trouve dans ces secteurs (à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières nationales) les débouchés nécessaires à son accumulation: depuis sa naissance il a vécu en symbiose avec un monde non capitaliste mais en même temps il l’a progressivement détruit ou absorbé :
"Le capital se substitue -à l’économie marchande simple, après avoir installé celle-ci à la place de l’économie naturelle. Si le capitalisme vit des formations et des structures non capitalistes, il vit plus précisément de la ruine de ces structures, et s’il a absolument besoin pour accumuler d’un milieu non capitaliste, c’est qu’il a besoin d’un sol nourricier aux dépends duquel l’accumulation se poursuit en l’absorbant. Vue dans une perspective historique,' l’accumulation capitaliste est une sorte de métabolisme entre les modes de production capitalistes et pré-capitalistes. Sans les formations pré-capitalistes, l’accumulation ne peut se poursuivre, mais en même temps elle, consiste dans leur désintégration et leur assimilation. L’accumulation capitaliste ne peut donc pas plus exister sans les structures non capitalistes que celles-ci coexister avec l’accumulation. L’accumulation du capital a pour condition vitale la dissolution progressive et continue des formations pré-capitalistes.[5]"
La théorie de Rosa Luxembourg est donc en mesure d’expliquer pleinement les différences entre ces deux âges du capitalisme :
Jusqu’à la fin du siècle dernier, le capitalisme connaît son plein épanouissement: l’existence de marchés extra-capitalistes non encore conquis lui garantit une accumulation sans problèmes. C’est pendant cette période que les grandes puissances industrielles actuelles se hissent à ce rang : l’Angleterre, la France, 1’Allemagne, Les Etats-Unis la Russie, le Japon; et c’est également, pendant cette période que ces puissances se partagent le monde. En même temps que celle du développement du capitalisme, l’histoire du 19e siècle est celle de la colonisation, qui garantit à la métropole des débouchés extra-capitalistes pour ses marchandises. Les cri-, ses de cette époque correspondent à la saturation momentanée des marchés existants mais une nouvelle expansion coloniale permet à chaque fois d’élargir ces marchés, Au début du 20e siècle le partage du monde est terminé.
Désormais pour un pays, la conquête de nouveaux marchés passe par un repartage du monde et par suite par une guerre impérialiste. La crise qui se développe en 1913 voit chacune des puissances impérialistes (et principalement la moins bien lotie en colonies: l'Allemagne) tenter d’arracher des marchés nouveaux au détriment de ses rivales et débouche immédiatement sur la guerre.
Dans la période actuelle la guerre apparaît pour chaque pays comme le moyen de faire payer par d’autres ses propres difficultés économiques: les vaincus do 1918 payent (ou sont supposés payer) des réparations de guerre en même temps qu’ils perdent leurs colonies. Un nouveau partage du monde sort de cette guerre: l’Angleterre victorienne perd sa place de première puissance capitaliste au profit des Etats-Unis. La Première Guerre Mondiale se caractérise par une destruction de capital dans des proportions inconnues jusqu’alors ; la période qui suit, ne correspond pas à une nouvelle expansion mais à une simple reconstruction du capital détruit (et encore ce n’est pas toujours le cas puisqu’on voit jusqu’en 1923 les économies européennes se débattre dans un marasme gigantesque). Et à peine la reconstruction terminée, le monde est de nouveau plongé dans une nouvelle crise qui est la plus grande qu’il ait jamais connue: celle de 1929. Les puissances capitalistes trouvent un exutoire momentané dans cette crise grâce aux grands travaux et à l’industrie d’armement (surtout développée en Allemagne sous le giron du fascisme). Ces productions ont le "grand mérite" do ne pas venir encombrer un marché déjà sursaturé mais en même temps elles ne font que reporter la difficulté à plus tard car cette production n’est pas payée: on assiste seulement à un endettement croissant do l’État. Aucune économie ne peut vivre sur .des dettes croissantes et généralisées: dès 1938 aux USA la crise réapparaît et l’Allemagne ne peut payer l’armement considérable qu’elle s’est constitué qu’en se lançant à la conquête de l’Europe.
La Deuxième Guerre mondiale qui s’en suit dépasse de très loin la Première par la barbarie et les destructions dont elle est le théâtre: villes rasées, économies ruinées, populations exterminées (certains pays perdent jusqu’à 15% de leurs habitants, au total 50.000.000 de morts). Le bilan de cette guerre éclair d’un jour sinistre l’alternative annoncée par Marx et Engels: "ou Socialisme ou chute dans la Barbarie"[6].
Là encore la période qui suit la guerre n’est pas une période d’expansion semblable à celles du siècle dernier mais une période de reconstruction.
Cette reconstruction se distingue de la précédente par deux traits qui ont fait souvent dire à certains que la véritable reconstruction était terminée depuis longtemps et que nous assistons actuellement à une expansion véritable du Capitalisme:
1. Le volume atteint par la production a dépassé depuis longtemps celui existant à la veille de la guerre sans que cela signifie l'arrêt de la croissance.
2. La reconstruction qui a suivi la Première Guerre Mondiale a duré une dizaine d'années (1919-29), alors qu'il y a maintenant plus de 25 ans que la Seconde est terminée.
Au premier argument il faut essentiellement répondre que la productivité du travail n'a jamais cessé de se développer et qu'elle a même fait depuis la dernière guerre des bonds impressionnants grâce à l'automation et à l'informatique. Par suite il devient impossible d'établir des comparaisons portant sur des volumes de production, la seule chose qu'il soit possible de faire est de définir le mécanisme économique de la reconstruction et d’établir à partir de quel moment ce mécanisme cesse de fonctionner.
Au second argument on peut opposer les remarques suivantes :
1. LES DESTRUCTIONS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE ONT ETE INFINIMENT PLUS IMPORTANTES QUE CELLES DE LA PREMIERE: entre 1914 et 1916 seules les régions des fronts ont été touchées : l'Angleterre, Paris et le Sud de la France, la plus grande partie de l'Allemagne ont été épargnées. Par contre entre 1939 et 1945 il n'est guère que les E.U. parmi les belligérants qui n'ait subi de destructions massives, surtout de par les bombardements aériens qui n'existaient pas dans la guerre précédente. En conséquence, le potentiel à reconstruire après 1945 était incomparablement plus important qu' après 1918.
2. PENDANT CETTE PERIODE, UN CERTAIN NOMBRE DE SECTEURS EXTRA-CAPITALISTES ONT FINI D'ETRE ABSORBES: Il s'agit des secteurs agricoles de pays comme l'Italie, la France ou le Japon (de 1962 à 1968 la population agricole de la France passe de 20,9'j à 15,5% de la population active, mais surtout des anciennes colonies dont "l'indépendance" représente pour les grandes puissances une excellente affaire. En effet, ces pays ne sont plus obligés de maintenir dans leurs anciennes colonies un corps expéditionnaire toujours coûteux, puisque dans celles-ci la police est désormais assurée par un gouvernement local et entretenue par la surexploitation des populations autochtones. Par ailleurs la dotation d'un armement moderne, qui a été la première mesure prise par un grand nombre de nouveaux États, a permis à certains pays, comme la France, d'excellentes opérations commerciales par suite de constituer d'importants débouchés (près du quart des exportations françaises sont constituées par des armements destinés surtout aux pays du Tiers Monde).
3. LA FIN DE LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE N'A PAS SIGNIFIE IA FIN DE L'ECONOMIE D'ARMEMENT. Alors que la fin de ru guerre de 1914-18 a été suivie par une réduction considérable de la production d'armes (réduction liée à la paix quasi-générale qu'a connu le monde à cette époque), la "Guerre Froide" qui se développe sitôt la Seconde Guerre Mondiale terminée, a conduit les grandes puissances impérialistes à poursuivre l'effort d'armement.
Par conséquent, un des principaux moyens dont disposent les capitalistes pour retarder l’échéance de la crise, a été utilisée dès le début de la reconstruction, alors que dans la période précédente l’industrie d’armement ne s’était développée qu’APRES la catastrophe de 1929. Par suite, la "prospérité" qui a suivi la Seconde Guerre Mondiale est interrompue plus tard que celle qui a suivi la première. Mais en même temps, le Capital s’est interdit un recours éventuel à l’industrie d’armement pour affronter la récession puisque ce moyen est déjà -et depuis le début- utilisé et que c'est justement cette production qui est, comme on l’a déjà vu, une des causes de la crise monétaire actuelle.
Nous avons donc vu pourquoi la reconstruction d'après 1945 a permis un dépassement considérable du volume de la production d'avant-guerre et pourquoi elle a duré beaucoup plus longtemps que celle d'après 1918. Il s'agit maintenant de déterminer les conditions de cette reconstruction et de sa fin.
Au centre de cette reconstruction il y a évidemment la reconstitution du potentiel productif des pays ravagés par la guerre. A la fin de la guerre, les E.U. se retrouvent avec des capacités productives considérables mises sur pied pour fournir des armements non seulement à ses propres armées mais aussi à colles des pays alliés (il y a jusqu'à l’URGS qui reçoive du matériel américain pendant la guerre). L'Europe et le Japon, par contre, se trouvent avec des économies exsangues et des besoins immenses mais, disposant d'un appareil productif dérisoire, ces pays ne sont pas en mesure de produire des valeurs susceptibles de servir de moyens de paiement.
Le plan Marshall, inauguré en 1947, permet à l'Europe occidentale, grâce à des prêts à long terme (6.521 millions de dollars entre 1947 et 1955) et à des dons (16.990 millions de dollars pendant la même période) d’acheter les premiers biens nécessaires à la reconstitution d'un potentiel économique (en 1949 cette aide représente plus du quart des importations européennes) .
Cette période sc caractérise donc par un double flux de marchandises et de capitaux dans le sens Amérique -Europe. Les marchandises américaines permettent la relance de la production de l'Europe et les capitaux américains, la mainmise des U.S.A. sur son appareil productif puisqu'une bonne part des sommes avancées par ce pays restent en Europe où elles sont investies : l'Europe paye en partie ses dettes en cédant ses entreprises aux compagnies américaines .
Après 1955, les Etats-Unis cessent leur aide gratuite mais les caractéristiques essentielles du marché se maintiennent:
Cette situation conduit a un endettement croissant du trésor américain puisque les dollars émis et investis en Europe ou dans, le reste du monde (Euro-dollars) constituent une dette de celui-ci à l'égard des détenteurs de cette monnaie.
A partir des années 60 cette dette extérieure dépasse les réserves d'or du trésor américain (voir fig.7) mais cette non-couverture du dollar ne suffit pas à le mettre en difficulté tant que les autres pays sont endettés vis-à-vis des U.S.A. (remboursables en dollars).Les Etats-Unis peuvent donc continuer a s’approprier le capital du reste du monde en payant avec du papier et le taux de change du dollar se maintenir a une valeur supérieure à sa valeur réelle.
Cette situation se renverse avec la fin de la reconstruction. Celle-ci sc manifeste par LA CAPACITE ACQUIS PAR LES ECONOMIES EUROPEENNES ET JAPONAISE DE LANCER SUR LE MARCHETNTERNATIONAL DES PRODUITS CONCURRENTS DES PRODUITS AMERICAINS : vers le milieu des années 60 les balances commerciales de la plupart des anciens pays assistés deviennent positives alors que, après 1964, celle des Etats-Unis ne cesse de se détériorer (voir fig.No.6 ). Leur potentiel industriel reconstruit, ces pays sont donc en mesure de régler les dettes contractées envers les Etats-Unis et par suite d'accepter de plus en plus difficilement la tyrannie du dollar sur les échanges internationaux (la campagne de de Gaulle au milieu des années 60 chevauchant son "étalon-or" pour une réforme des mécanismes monétaires, marque la tentative du Capital français de se libérer de cette mainmise).
Donc, autour dos années 66-67 nous assistons à un changement de la structure des échanges internationaux :
L'accroissement des dépenses militaires américaines contribue de façon sensible -comme nous l'avons vu dans la première partie de cet article à aggraver cette situation par l’augmentation du déficit de la balance des paiements et le renchérissement des marchandises américaines.
De plus, la réduction des débouchés pour les produits américains renforce la baisse, tendancielle du taux de profit pour les entreprises dos USA (voir figures 4et 5) ce qui réduit d'autant la faculté de celles-ci à accumuler, c'est-à-dire à moderniser leur Capital et faire baisser les prix de revint de leurs produits.
La détérioration de la situation économique commence donc vers 1965; la guerre du Viêt-Nam lui accorde un sursis jusqu'en 1968 ou Johnson est obligé de prendre un certain nombre de mesures contre la fuite des capitaux[8] (1).
Sur le plan commercial les chiffres suivants sont particulièrement significatifs :
C'est en 1971 que la conjonction des différents facteurs énumérés plus haut joue pleinement on assiste simultanément au premier déficit de la balance commerciale américaine depuis 1893, à une hémorragie sans pareil des réserves d'or du Trésor Américain qui seraient descendues au-dessous du seuil de 10 milliards de dollars sans les mesures du 15 Août, et à une spéculation effrénée contre le dollar.
Les difficultés actuelles du Capitalisme américain et, à sa suite du capitalisme mondial, n’ont donc d'autre signification que la fin de la reconstruction de l’après-guerre[9].
Après une période où celui-ci a survécu et s’est développé en reconstituant son potentiel productif, il se trouve de nouveau confronté au problème qui depuis le début du siècle l’a plongé dans des convulsions de plus en plus profondes : où trouver de nouveaux débouchés ?
La question qu’on peut poser aujourd’hui est donc :
Une telle hypothèse est absurde car si les marchandises européennes et japonaises sont en train d'envahir le marché américain, l'économie américaine représente encore 40% de la production de 20% des marchés mondiaux. Elle possède d'autre part des fractions énormes du capital implanté dans les pays qui lui font concurrence. Les USA défendront leur capital poings et ongles et mettront toute leur puissance économique, politique et militaire dans la balance pour exporter vers les autres pays les difficultés qui les assaillent. À cet égard l'acceptation passive par les autres gouvernements de la taxe de 10% sur les importations américaines en dit long sur cette puissance.
En outre, si les E.U. importaient d'avantage ce ne serait que pour accroître leur puissance productive qui à l’heure actuelle a déjà besoin, pour subsister, d'immenses débouchés extérieurs. Loin de résoudre le problème celui-ci ne s'en trouverait que posé à une plus grande échelle.
En fait avec des nuances liées aux différences qui peuvent exister entre capitalisme libéral et capitalisme d'État, les pays de l'Europe de l'Est sont confrontés aux mêmes problèmes que les pays occidentaux. La fin de la reconstruction, a signifié pour ces pays un ralentissement notable de la production et le développement d'un chômage qui pour être déguisé n'en est pas moins l'indice de graves problèmes économiques.[10]
Source: Banque des Règlements Internationaux : 40% rapport annuel.
On ne voit donc pas comment ces pays pourraient constituer un débouché pour l'économie occidentale puisque leur propre production n’arrive pas à en trouver.
Par ailleurs certains fondent des espoirs sur le marché chinois que la visite de Nixon à Pékin a ouvert. Certes les besoins de la Chine sont immenses mais pour qu’on puisse lui vendre encore faut-il qu’elle puisse payer et donc exporter à son tour. Or ce n’est pas avec une industrie qui ne produit pas plus que celle de la Belgique, ni avec une agriculture qui suffit à peine à nourrir sa population et dont les produits sont d’ailleurs barrés, sur le marché mondial, par les produits agricoles américains, qu’elle pourra trouver de quoi faire un commerce volumineux avec l’Occident. Les milieux d’affaires américains ne s’y trompent d’ailleurs pas qui affichent leur scepticisme face aux "promesses" du marché chinois.
Les secteurs agricoles des grands pays industriels ont connu depuis 1945 des réductions impressionnantes et par ailleurs ils sont aujourd’hui complètement intégrés dans les nasses du capitalisme par le moyen des sociétés de crédit et de distribution[11]. Ce n’est pas là que le Capitalisme trouvera de nouveaux débouchés.
Les pays du Tiers-monde constituent à première vue un secteur extra-capitaliste considérable puisque la presque totalité de la population y est agricole. Mais en fait les économies naturelles de ces pays ont été détruites depuis longtemps par le Capitalisme et sa pénétration: si la presque totalité des populations de ces régions sont exclues de la production et de la consommation capitaliste il n’en reste pas moins que ce qui demeure de l’économie de ces pays est entièrement intégré dans le système capitaliste mondial et est la première à en subir les fluctuations. (Sensibilité extrême des cours des matières premières et produits agricoles) .
Pour que ces pays puissent acheter il faut qu’ils puissent payer, pour qu’ils puissent payer ce qu’ils produisent et pour cela qu’ils disposent d’un équipement industriel. Mais ils produiraient alors des marchandises qui devraient trouver à se vendre sur un marché sursaturé et dominé par les puissances disposant des plus hautes productivités et offrant les plus bas prix.
Depuis la fin de la guerre les grandes puissances capitalistes (de l’Est et de l’Ouest) ont consenti des prêts à ces pays mais cela s’est, traduit essentiellement par la situation suivante;
Nous ne nous étendrons pas sur ce point ayant déjà largement traité de cette question. Contentons-nous de rappeler les faits suivants:
Là non plus n'existe donc de solution au problème des débouchés qui achemine le capitalisme vers l'impasse.
Il est donc temps de reposer la question que nous posions déjà au début de cet article :
Il est apparu que la crise qui s’annonce est bien du type de celles qui ont plongé le monde du XX° siècle dans les plus grandes catastrophes et barbaries de son histoire. Ce n'est pas une crise de croissance comme celle du siècle dernier mais bien une crise de l'agonie.
Sans vouloir faire de pronostics sur le délai on peut donc tracer ainsi les perspectives du monde capitaliste:
Face à une telle situation le Capitalisme, comme nous l'avons déjà vu, n’a qu'une seule issue: la guerre impérialiste. Les guerres d'Indochine, du Moyen Orient, du Pakistan où on voit les différents blocs se disputer les zones d'influence par "peuple" et "libération nationale" interposée, constituent le prélude à une telle guerre. D'un autre coté le va-et-vient des chefs d'État, semblable à celui qui a précédé la Seconde Guerre Mondiale, les grandes manœuvres diplomatiques, les renversements spectaculaires des alliances" (pour parler comme la presse bourgeoise) parmi lesquels il faut ranger évidemment l'alliance sino-américaine derrière le Pakistan face à l'URSS, ainsi que le voyage de Nixon à Pékin, participent de cette préparation.
A la question: "allons-nous vers un nouveau 29" nous répondrons cependant par la négative.
La crise de 1929 arrive au lendemain de la plus grande défaite de l'histoire du mouvement ouvrier. La classe ouvrière a été vaincue physiquement et doit en plus subir le poids de la plus grande mystification qui ait jamais pesé sur elle: le mythe du "Socialisme de l'URSS". Sous la férule des partis staliniens ses moindres luttes sont inféodées à la défense delà "Patrie Socialiste", c'est à dire de l'impérialisme Russe. Autres fruits de la contre-révolution, fascisme et anti-fascisme, sont les deux moyens avec lesquels le Capital mobilise les travailleurs de tous les pays pour les amener à la deuxième boucherie inter-impérialiste, sans que ceux-là aient fait le moindre geste sérieux de résistance.
Pour pouvoir faire la guerre, le Capital a besoin d'un Prolétariat vaincu et susceptible d'avaler une bonne dose de mystification: LE PROLETARIAT ACTUEL N'EST PLUS DE CEUX-LA.
Avec les difficultés croissantes du camp socialiste: désintégration en plusieurs pôles antagonistes, luttes ouvrières, le mythe du "socialisme russe" s'effondre.
L'anti-fascisme a besoin d'un fascisme comme repoussoir et celui-ci tardé à venir malgré ce que peuvent en dire les gauchistes officiels.
Enfin, le Prolétariat d'aujourd'hui s'est relevé de ses défaites d'hier: les nouvelles générations ouvrières se jettent dans la lutte avec une ardeur depuis longtemps inconnue. La formidable réponse qu'apporte le Prolétariat mondial aux premières manifestations de la crise laisse augurer de ses réactions quand celle-ci se sera développée pleinement.
Dans ces conditions la perspective qu'ouvre la crise n'est pas la guerre impérialiste -comme en 29- mais bien un développement des luttes révolutionnaires.
Les révolutionnaires se doivent donc de reconnaitre l'arrivée de la crise et même, malgré les souffrances qu'elle infligera de nouveau au monde, de la saluer puisqu'elle annonce la possibilité de nouveau actuelle de la REVOLUTION SOCIALISTE MONDIALE.
C. Giné
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[1] Il s'agit essentiellement d'œuvres posthumes.
[2] Il faut, remarquer, que malgré une certaine baisse par rapport à ceux du siècle dernier, les taux de profit actuels sa sont maintenus à une valeur appréciable de 1'ordre de 10% maintien qui est essentiellement imputable à la formidable augmentation du taux d'exploitation subie par les travailleurs : sur une même journée de 10 heures, si l'ouvrier du 19e siècle en travaillait 5 pour lui et 5 pour le capitaliste (rapports fréquemment envisagés par Marx), l'ouvrier actuel en travaille 1 pour lui et 9 pour le patron.
[3] Cité par Rosa Luxembourg dans "L'accumulation du capital" Chapitre III, page 272 de la "Petite collection Maspero"
[4] Il est à noter que ce problème ne Se pose que parce que tout le profit n'est pas consommé par le capitaliste et qu'une partie de celui-là est destinée à l1 accumulation » Dans le cas d'une économie avec reproduction simple il n'y aurait donc pas de problème... liais le capitalisme est justement un système qui ne peut vivre qu'en élargissant constamment le champ de sa production.
[5] Rosa Luxembourg . "L’accumulation du capital". Œuvres IV, pg.85, petite collection Maspero
[6] Et il se trouve encore des imbéciles pour juger que notre société ne se trouve absolument pas dans une phase de décadence et que le Capitalisme ne s’est jamais aussi bien porté !
[7] Les investissements américains dans le monde évoluent comme suit (en milliards de dollars):
|
1956 |
1960 |
1965 |
1967 |
TOTAL |
22,5 |
31,8 |
49,5 |
70,7 |
Part de 1'EUROPE |
|
6,7 |
13,9 |
21,6 |
[8] (1) les mesures Nixon ne sont donc pas les premières du genre mais elles sont ben plus draconiennes que les précédentes : à maux plus graves remèdes plus énergiques.
(2) Manuel de Stats du Commerce International et du Développement. 1969.
[9] Il est significatif à cet égard qu'une part croissante des importations américaines soit constituée par des moyens de production et en particulier de l'acier, (chiffres en millions de dollars) :
[10] cf. l’article de Pierre Drouin dans "le Monde"- du 14 bars.
[11] voir "R.I." N°4, "Le Problème Paysan".
À propos de l’abandon, non réformiste, du "catastrophisme révolutionnaire", et de la brochure "organiser le courant marxiste révolutionnaire".
"Voilà trois semaines qu'il ne pleut plus. Je crois qu'il ne pleuvra jamais plus"... Aussi curieux que cela puisse sembler -dans la plupart des cas- c'est un raisonnement analogue qui est tenu par tous ceux qui -en présence de la stabilité plus ou moins continue du capitalisme depuis la Seconde Guerre Mondiale- ont conclu à la fausseté des visions marxistes prévoyant d'inévitables crises du capitalisme. Ce "beau temps" n'a pas manqué d'éblouir certains groupes révolutionnaires tels que "Socialisme ou Barbarie" (Cardan), ou "Solidarity" en Angleterre (se réclamant aussi de Cardan)[1].
Cependant, les véritables "détracteurs" de la théorie des crises inéluctables du capitalisme ont toujours été les économistes bourgeois, soucieux tant de démentir le marxisme que d’affirmer l’aspect "éternel" et "naturel" de leur système d’exploitation.
Mais, "habit volé ne va pas au voleur" : en prenant aux bourgeois la thèse de base de leur économie politique, les révolutionnaires ne pouvaient aboutir qu'à une branlante et incohérente théorie de la révolution, porte ouverte à toutes sortes de pressions opportunistes.
Le "Groupe Marxiste pour le Pouvoirs des Conseils des Travailleurs" en publiant sa brochure "Organiser le Courant Marxiste Révolutionnaire" a montré de quel prix élevé l’intransigeance révolutionnaire doit parfois payer de tels emprunts à l'idéologie de la classe dominante.
Le fait que la crise de 1929 n’ait pas abouti à un soulèvement révolutionnaire mais à la guerre impérialiste et à la "prospérité" que provoquera la reconstruction qui suivit celle-ci, ont poussé ce groupe non seulement à abandonner ce qui constitue la base du socialisme scientifique mais encore à prétendre que cette vision de la crise nécessaire est étrangère au marxisme.
Ainsi ils écrivent, qu'avec la grande prospérité de post-guerre : ..."Les révolutionnaires qui n’avaient que trop souvent fondé leurs espoirs sur la perspective -présentée comme pierre de touche du marxisme- d’une catastrophe inévitable de l’économie capitaliste, ne semblaient plus que des esprits chimériques enfermés dans des rêves anachroniques. Le Marxisme, continuent-ils, ne projette pourtant pas la vision d'une décadence inexorable et d’un effondrement nécessaire de la société d'exploitation."(p.2)
Les "réalistes" auteurs de la brochure auraient peut-être dû se demander qu’est-ce-qui avait poussé tous ces "chimériques" révolutionnaires à fonder si souvent, non seulement leurs "espoirs" mais aussi leurs analyses sur cette perspective "catastrophique" de l'économie capitaliste.
La vision matérialiste de l'histoire a montré que la disparition des sociétés passées n'a jamais été le fait de la SEULE volonté des hommes; que jusqu'à présent et jusqu’au socialisme ceux-ci ont dû rester soumis en dernière instance à leur économie, (et non l’inverse). Elle a permis de comprendre pourquoi des mouvements comme celui de Spartacus dans l'antiquité, ou de la Commune de Paris au XIX siècle, malgré l'immense force de volonté qui les caractérisa, étaient condamnés d'avance à l'échec du moment que les systèmes économiques auxquels ils s'attaquaient avaient encore un rôle progressiste dans l'histoire.
Loin d’avoir été le résultat de la PURE volonté des hommes (il faudrait d’ailleurs avoir une conception particulièrement masochiste de l’humanité) les rapports sociaux qui ont constitué les différentes sociétés passées se sont imposés à eux comme les seuls possibles dans un cadre de développement donné des techniques.
"Dans la production sociale de leur existence les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, INDEPENDANTS DE LEUR VOLONTE, rapports de production qui correspondent à un degré de développement détermine de leurs forces productives matérielles". (Marx[2],) (souligné par nous).
De cette aliénation à l’économie découle que le dépassement d’un système doit, pour être possible, correspondre à l’épuisement objectif des ressources de celui-ci. Il faut que -comme ensemble de rapports sociaux- le système se heurte irrémédiablement à ses propres limites, plongeant la société en de telles crises que le passage à un nouveau type de société devient le seul moyen, d'empêcher le recul de l’Humanité. Alors, et seulement alors, la volonté révolutionnaire, qui tend à jaillir de plus en plus spontanément, au sein de la classe porteuse d’une solution, trouve la possibilité de se CONCRETISER dans un véritable bouleversement révolutionnaire.
Face au volontarisme des socialistes utopistes pré-marxistes, le Marxisme ne démontrait donc pas l'INUTILITE DE LA VOLONTE mais son INSUFFISANCE. Il n'a pas nié le rôle fondamental de la volonté et de la détermination révolutionnaire du prolétariat. Il lui a donné au contraire son contenu réel, en dégageant le cadre historique dans lequel cette volonté devait cesser d'apparaître comme pure EXPRESSION DE DESESPOIR pour se transformer en MOTEUR DE L'HISTOIRE.
C'est montrer son ignorance -ou croire à celle des autres-que prétendre -sous prétexte "d'anti-mécanicisme"- que "le Marxisme ne projette pourtant pas la vision d'une décadence INEXORABLE et d’un EFFONDREMENT NECESSAIRE de la société d'exploitation".
Pour Marx, le Capitalisme, comme tous les systèmes qui l'ont précédé connaît une période de plein épanouissement : c’est celle où les rapports de production capitaliste constituent LES SEULS compatibles avec un niveau donné de développement des forces productives. Mais ce développement connaît une limite : à un stade donné, les forces matérielles engendrées par le Capitalisme deviennent à leur tour, incompatibles avec la base sociale constituée par les rapports capitalistes. De condition et stimulant de ce développement la base capitaliste se tourne en entrave. Dès lors la destruction et le dépassement de l’ancien cadre devient le seul moyen d’assurer une véritable continuation du développement. Une fois ce point atteint par le Capitalisme, tant que le Prolétariat -seul protagoniste possible de ce dépassement révolutionnaire- ne parvient pas à détruire l’ancienne base (capitalisme) et à instaurer une nouvelle (socialisme) (seul véritablement compatible avec le niveau atteint par les forces productives), le Capitalisme se SURVIT, évidemment, mais il entre alors en sa phase de décadence, de DECLIN.
Il est donc vrai que la période de DECLIN du capitalisme n'est pas envisagée par Marx comme INEXORABLE, inévitable. C’est, en effet, souvent que Marx cru au XIX siècle que la crise fondamentale du Capitalisme était imminente alors qu’il vivait la grande période de plein essor du Capitalisme, les crises pouvant éclater alors n’étant que des crises de croissance. "Un spectre hante l'Europe: le spectre du Communisme" écrivaient Marx et Engels dans le Manifeste en présence de la crise économique et sociale du 4 juillet 1948. Mais Engels devait lui-même expliquer plus tard, lucidement, l’erreur de leur analyse :
Si le capitalisme avait atteint ses limites définitives au cours du XIX siècle et que 1’éffondrement qui en aurait découlé avait été accompagné d'une intervention triomphante du prolétariat, on serait passé quasi-directement de l'essor capitaliste à celui du socialisme, avec la Seule interruption de la crise mondiale. L'Humanité n'aurait pas connu -comme elle devra le faire à partir de la Première Guerre Mondiale et de la Crise de 29- la phase, de DECLIN capitaliste avec toute la "BARBARIE" qui a caractérisé les dernières 50 années de l’histoire.
Marx, comme tout révolutionnaire, était poussé à surestimer les chances de la révolution et misa évidemment plutôt sur son triomphe que sur la "barbarie décadente" que son non avènement devait faire retomber sur l'humanité. En ce sens, et seulement en ce sens, il est vrai que Marx ne projeta pas l’INEXORABIUTE ; L'INELUCTABILITE de la décadence capitaliste. Il n'envisagea ce déclin que comme une hypothèse théorique au cas d'échec des réponses révolutionnaires aux premières manifestations d’un véritable effondrement capitaliste.
Mais s'il est vrai que Marx pouvait considérer non-inéluctable une longue période de décadence capitaliste, il est cependant purement aberrant de prétendre qu'il "ne projeta pas la vision d'un effondrement nécessaire." de la société capitaliste, "Une formation sociale ne disparaît jamais avant que ne soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir" -dit Marx. Démontrer que le Capitalisme était condamné -à l'égal de tous les systèmes qui l’ont précédé- à un effondrement objectif produit de ses propres contradictions économiques internes, voilà quel était l'un des buts essentiels des travaux économiques de Marx.
Les études sur "la baisse tendancielle du taux de-profit" ou celles sur la contradiction entre les conditions de production et celles de réalisation de la plus-value n'étaient pas des éléments d'un manuel de gestion capitaliste indiquant des "dangers à éviter" mais bien des définitions des impasses inévitables auxquelles le capitalisme devait se heurter. Pour Marx, le Capitalisme, pas plus que les systèmes antérieurs, ne parviendra à assurer un développement indéfini et éternel des forces productives de la société. Et les racines de cette inviabilité historique se trouvent dans des lois objectives, globales, et': en dernière instance, "indépendantes de la volonté des hommes',! La tendance à l'élévation de "la composition organique du capital" ou la nécessité d'un "élargissement constant du marché extérieur", (phénomènes déterminés par l'obligation de développer constatent la productivité du travail), causes des contradictions aux niveaux du taux de profit et des débouchés, ne sont ni des phénomènes subjectifs ni des résultats de l’action du prolétariat (même si celle-ci influe sur eux). Ce sont des lois objectives qui s'imposent à la société du moment qu'elle produit selon des rapports capitalistes.
Aussi, cet effondrement est-il non seulement ENVISAGÉ mais encore considéré par Marx comme NECESSAIRE (quoique non SUFFISANT) à l'éclatement et à l’aboutissement d'une révolution socialiste.
"Étant donné cette prospérité générale -écrit Marx dans les luttes de classes en France- dans laquelle les forces productives de société se développent aussi abondamment que le démentir -sinon se contredire- immédiatement au paragraphe suivant: "Cependant la "fuite en avant" du Capitalisme ne peut pas être assimilée à l’emballement d’un moteur conduisant à la panne fatale. Dans la mesure où le processus historique est le produit de 1’action des classes sociales et non des lois objectives auxquelles les hommes seraient mécaniquement soumis le Socialisme n’est pas inéluctable".
À moins de prendre le lecteur pour un imbécile, il est évident que ce qu’on veut lui dire n’est pas qu’il n’y a pas de révolution prolétarienne sans action du prolétariat. Ce qu’on tente de lui expliquer c’est que sans action du prolétariat il n’y a pas d'effondrement du système. Ce qui n'est plus une tautologie mais une imbécillité.
Car, comment expliquer alors la crise mondiale de 1929?
La plus grave crise qu’ait connu jusqu'à présent le Capitalisme (il fallut aller jusqu'aux destructions massives et aux 50 millions de morts de la Seconde Guerre Mondiale pour la résoudre) se produit au moment même où le prolétariat vient de subir une défaite sanglante aussi bien dans les pays les plus développés qu’en Chine ou en Russie où la contre-révolution stalinienne règne définitivement sur les cendres de la Révolution de 1917. Cette situation de défaite historique de la classe ouvrière mondiale permet de comprendre pourquoi la crise de 29 a pu aboutir au fascisme dans certains pays et en tout cas n'ait pour ainsi dire engendré nulle part un véritable mouvement révolutionnaire. Mais elle dément radicalement que ce soit la lutte révolutionnaire du Prolétariat- qui ait pu provoquer le chaos de 29. Celui-ci au contraire, s’est imposé à la société comme l’expression parfaite de l'impossibilité pour le Capitalisme de résoudre ses contradictions économiques internes, comme le blocage objectif du développement des forces productives par les rapports de production existants.
Peut-être pour les auteurs de la brochure la crise de 1929 .n’est pas un "effondrement" de l'économie capitaliste. Il ne s'agirait que d’une crise passagère dont le capitalisme -puisque le Prolétariat "lui en a laissé la possibilité[3]" -se serait très bien tiré.
C’est à dire, on ne conçoit "effondrement" de l'économie capitaliste que s’il est synonyme de révolution socialiste. Mais, n’est-ce pas là une véritable vision mécaniciste de l’histoire ?
L'histoire des sociétés passées qu'il n'y a jamais eu concordance immédiate entre l'effondrement économique d’une société et sa conséquence ultime: sa disparition et son dépassement par un nouveau système. Entre l’écroulement de l’économie sous le poids des contradictions interne.: du système et l’instauration de nouveaux rapports il y a toujours eu une période de crises croissantes, de déclin et de tendances à la décomposition de la société et de tous les rapports qui la constituent. C’est, nous l’avons dit, la phase de décadence d’un système.
Il n’y a pas besoin d’être marxiste pour constater que la crise de 29 n'aboutit pas au socialisme, Mais il faut avoir été totalement aveuglé par les éclats des pires apologistes de l’économie bourgeoise pour ne pas voir que la crise de 29, ainsi que la Première Guerre mondiale, ont marqué les débuts d'une nouvelle forme de vie du Capitalisme, celle de sa décadence. Sans prétendre -comme le font dans le plus pur dogmatisme, certains trotskistes- que le Capitalisme a -au sens littéraire du terme- cessé de développer TOUTE force productive, il est évident que depuis lors -comme le dit Marx- "la suite du développement apparaît comme un déclin". La vie de la société a en effet été caractérisée par le "développement" d'une économie fondée sur la reconstruction de ce qu'elle détruit systématiquement et régulièrement. La guerre, destructrice de travail passé, et .la production d’armement, destructrice de travail présent et futur, ont cessé d’être des accidents occasionnels, des phénomènes accessoires pour devenir forme de vie sociale et moteur d’un développement économique qui ne peut par conséquent être qu'apparent et momentané. La Justification historique du Capitalisme s’écroule et avec elle toutes les valeurs morales, les institutions et les rapports sociaux entrent dans une crise permanente et croissante.
La crise de 29 n'a plus rien à voir avec les crises de croissance du XIX siècle. Le fait que le Capitalisme n'ait pu s'en relever que grâce à la Seconde Guerre Mondiale et par le maintien par la suite de guerres locales permanentes, atteste d'une part de LA FIN DE LA PERIODE DE PROSPERITE HISTORIQUE DU SYSTEME et d'autre part de l'aspect OBLIGATOIREMENT MOMENTANE DE TOUTE EXPANSION ECONOMIQUE: car un système de production fondé sur la destruction est historiquement voué à la décomposition et parce que toute reconstruction, aussi "poussée" et rationnelle soit-elle, connaît, obligatoirement, une fin.
Contrairement à ce qui est dit dans la brochure, depuis la première Guerre Mondiale, tout "développement" du capitalisme ne peut être "qu'assimilé à l'emballement d'un moteur conduisant à la panne fatale" La lutte du Prolétariat peut ACCENTUER les conditions de cette "panne" et cette crise peut aboutir à un bouleversement révolutionnaire si l'action consciente du prolétariat se développe et triomphe. Mais la crise éclate, tout comme celle de 1929, indépendamment de la volonté des hommes.
En fait, c’est en vain qu’on cherchera dans la brochure une idée véritablement claire au sujet des contradictions du Capitalisme. Alors que le Marxisme définit distinctement d’une part des contradictions de classes et d’autre part des contradictions économiques internes aux rapports de production capitalistes, on ne trouve dans le texte que le mot "contradictions du capitalisme" sans autre précision, ce qui -vu la question traitée- laisse le lecteur dans la confusion la plus totale.
En fin de compte, lorsqu’il s’agit de déterminer quelles sont les conditions qui créent une situation révolutionnaire on commence par abandonner sans équivoque toute idée de crise économique. Voulant certainement aller jusqu’au bout de leur pensée les auteurs arrivent même à voir dans l’expansion économique la condition de l’approfondissement de la lutte des classes. "LA POURSUITE DE L’EXPANSION ENGENDRE AINSI UNE RIPOSTE QUI TEND À METTRE EN CAUSE LES STRUCTURES DE L’ENTREPRISE ET LE POUVOIR PATRONAL. Elle crée les conditions d’un approfondissement de la lutte des classes."!
Comment cette expansion peut-elle provoquer une crise révolutionnaire? "Le développement du Capitalisme -répondent-ils- accentue les tensions, les déséquilibres, l’insatisfaction en suscitant dans tous les domaines des besoins qu’il est incapable de satisfaire (...) De l’insatisfaction à la révolte, il n’ y a qu’un pas: la jeunesse le franchit" Ces tensions, cette insatisfaction seraient surtout importantes dans les entreprises les plus modernes : "En réalité -écrivent-il- c’est une crise profonde du système de salariat lui-même qui s’annonce, crise dont les racines objectives se trouvent dans les transformations que subit le travail dans les entreprises les plus modernes"
C’est une mièvre et très universitaire explication sociologique qui prétend découvrir une "insatisfaction" nouvelle -comme si les conditions d’exploitation de la classe ouvrière depuis 150 ans avaient pu être significativement moins "insatisfaisantes", ou avaient engendré des "tensions" moindres- qui croit voir dans un phénomène de "jeunesse" ou autre conflit de génération une explication fondamentale aux problèmes du processus de la lutte des classes; qui se perd dans des détails du style "les entreprises les plus modernes", à l’heure même où les vieilles mines européennes ou les chantiers navales vétustés britanniques constituent des centres parmi les plus avancés de la lutte prolétarienne. Nous ne retiendrons de ce verbiage superficiel qu’un élément: la seule détermination désignée pour expliquer l’apparition d'une situation révolutionnaire consiste en fin de compte dans la volonté de la classe de refuser ses conditions de vie et de travail.
Derrière la sociologie "moderne" c’est le vieux volontarisme qui réapparaît.
Nous ne ferons que rappeler la vieille constatation de Lénine: Pour qu’une véritable situation révolutionnaire se produise il ne suffit pas que ceux d’en bas NE VEUILLENT PLUS Encore faut-il que "ceux d’en haut" NE PUISSENT PLUS continuer à faire fonctionner leur système d’exploitation, c’est à dire que celui-ci se grippe, entre en crise, sans que ni la volonté des uns ni la résistance des autres n’y puissent rien.
La compréhension de deux des caractéristiques essentielles de la révolution prolétarienne permet de saisir immédiatement pourquoi sans crise économique profonde il n’y a pas de révolution véritable possible.
1) LA REVOLUTION N'EST PAS UNE SERIE DE REFORMES mais le bouleversement radical des fondements mêmes du système, la mise en question définitive des lois économiques qui constituent le Capitalisme. C’est pourquoi elle ne peut éclater dans toute son ampleur que si la nécessité du dépassement des anciens rapports devient un besoin inéluctable, que si les mécanismes anciens apparaissent dans toute leur IMPUISSANCE comme cause immédiate de l’aggravation de la misère. SEUL ALORS LE SYSTEME LUI-MEME PEUT DEVENIR LA CIBLE DIRECTE DE L’ACTION CONSCIENTE DE LA CLASSE REVOLUTIONNAIRE. Autrement les luttes prolétariennes s’épuisent en combats parcellaires, restant la proie des mouvements réformistes de toute sortes,
2) LA REVOLUTION NE PEUT ETRE -ni par ses moyens ni par ses buts- UN MOUVEMENT LOCAL, NATIONAL. Elle doit être mondiale ou elle ne peut pas être. Or, UNE CRISE, SI ELLE N’EST PAS ECONOMIQUE, N’A AUCUNE RAISON D’ETRE MONDIALE. C’est pourquoi parler de REVOLUTION INTERNATIONALE -et condamner la thèse stalinienne du "Socialisme en un seul pays"- tout en abandonnant la vision de l’inéluctabilité de la crise économique du Capitalisme, c’est se condamner à faire du Socialisme une pure UTOPIE[4].
Ce volontarisme utopiste qui doit obligatoirement accompagner l’abandon du "catastrophisme révolutionnaire" -"véritable pierre de touche du marxisme"- transparaît tout au long des positions exprimées dans la brochure; et plus particulièrement en ce qui concerne 1' analyse de la question du Parti Révolutionnaire, l’approche du "Contenu du Socialisme" et la "Question Nationale".
Comme il arrive souvent pour les conceptions parcellaires, la vision volontariste ignore les rapports qui engendrent et déterminent l'élément parcellaire qu’elle doit situer au centre de ses analyses.
Ignorant les crises économiques -et celles-ci étant en dernière instance le fondement même de la conscience révolutionnaire- les volontaristes sont inévitablement amenés à surestimer le rôle du Parti Ouvrier comme facteur agissant au niveau du développement de la conscience et de la volonté révolutionnaire. Ce qui aboutit à des résultats assez ridicules lorsqu'on prétend en même temps faire la critique de la théorie "léniniste" à ce sujet.
Le Lénine de "Que Faire" prétendait que la classe ouvrière par elle-même ne pouvait parvenir qu'à un niveau de conscience "trade-unioniste". Seul Le Parti pouvait donner aux luttes ouvrières un contenu révolutionnaire.
La brochure affirme: "Les positions léninistes sur la Parti ne peuvent être considérées comme une théorie valable pour toute une période historique" ... "La nécessité d'un nouveau Parti ne découle pas de l'impossibilité pour le prolétariat de dépasser un niveau de conscience "trade-unioniste" sans l'intervention du parti, ne découlé pas du fait que les travailleurs ne seraient capables d'engager des luttes politiques que dans la mesure où le Parti leur insufflerait, jour après jour, par sa propagande, ses mots d'ordre, ses actions exemplaires, le contenu de son programme" (pg.23-25)
Face à la conception Léniniste on écrit cependant: "L'histoire récente -Espagne, Hongrie, Pologne- a montré qu'en l'absence d'un parti révolutionnaire la classe ouvrière peut mener des luttes politiques mettant en cause la société toute entière. Mais elle a montré aussi qu'en l'absence d'une avant-garde organisée et solidement implantée définissant les objectifs transitoires et finaux de la lutte, ainsi que le rôle des nouveaux organismes créés par les travailleurs, agissant donc comme une force politique cohérente dans le processus révolutionnaire, la créativité des masses ne parvenait pas à briser définitivement les anciennes institutions".
C'est ce qu'on appelle défendre une idée juste avec des arguments suffis animent faux pour déteindre sur la justesse de l'idée défendue. Car cette "critique" de la conception léniniste du parti se résume à une pure question quantitative. Lénine limite les possibilités d'action "autonome" de la classe au "trade-unionisme" ; le texte la repousse un peu jusqu'à l'impossibilité de "briser définitivement les anciennes institutions". Mais la vision des rapports entre Parti et Classe reste tout aussi fausse et étriquée que celle de Lénine. (Ou que celle de certains "Conseillistes" qui ont cru résoudre le problème en repoussant cette limite jusqu'au bout niant la nécessité de quelque parti que ce soit).
Dans tous les cas la question est abordée sous un angle parcellaire, en tenant compte du seul rapport "Parti vers classe".
La démarche de cette conception simpliste est la suivante: on constate un fait: lorsque la lutte reste sur le terrain réformiste ou de la simple "mise en cause" , le Parti Révolutionnaire est insignifiant ; lorsque la lutte prend un contenu révolutionnaire le Parti est fort. Conclusion? C'est la Parti qui donne un contenu révolutionnaire aux luttes.
Cependant, du fait que Parti et Classe sont des éléments d'un même mouvement ils sont liés par une inter-relation dialectique. C'est dire qu'il existe un rapport -au moins aussi important- qui s'établit dans le sens "classe vers Parti" La réalité de ces inter-relations n'a rien à voir avec l'habituelle relation mécaniciste (souvent mystique) de cause (Parti) à effet (mouvement révolutionnaire de la classe).
De la même réalité constatée ci-dessus un rapport inverse se déduit: le Parti révolutionnaire est engendré par le mouvement révolutionnaire. L'histoire montre qu'un mouvement appelé à devenir révolutionnaire n'a jamais à ses débuts de perspective claire de bouleversement total. Il se caractérise au contraire par la conservation des illusions réformistes et par des actions timorées. Les grands partis des débuts sont toujours des partis liés à l'ancien ordre existant, porteurs de l'idée d'une possible réforme qui résoudrait les problèmes qui ont provoqué le mouvement sans avoir recours à un véritable bouleversement révolutionnaire, Les partis révolutionnaires se voient -par contre- relégués à être de petites minorités peu influentes, généralement considérées comme trop "puristes", ou trop "intransigeants" et en tout cas manquant de réalisme.
Ainsi, à leurs premiers pas aussi bien la Révolution Russe que l'Allemande ont été marquées par l'écrasante prédominance social-démocrate. Dans la conception volontariste la seule explication à un tel phénomène, pourtant général, ne peut être trouvée que dans le manque de "militantisme" ou de volonté au sein des éléments révolutionnaires par rapport aux militants réformistes. Ce qui est une pure aberration.
L'isolement des révolutionnaires est d’abord la conséquence de l'inévitable décalage qui existe en temps de "paix sociale" ou aux débuts d'un mouvement de classe entre le programme révolutionnaire et la réalité réformiste des luttes. Les "Spartakistes" ou les "Bolcheviks" n'ont gagné en force et en influence qu'au cours des luttes et à mesure que le processus de celles-ci se radicalisait. C'est à dire à mesure que le problème du bouleversement révolutionnaire s'imposait aux masses comme une alternative CONCRETE.
Aussi est-ce le mouvement révolutionnaire qui en réduisant dans les faits l'écart entre programme Révolutionnaire et lutte de la classe, en fournissant aux partis révolutionnaires l'essentiel du nombre de ses membres, en bouleversant souvent de vieilles positions révolutionnaires, en créant un champ réel d'intervention fait du parti (ou des groupes de révolutionnaires) un véritable parti d'intervention et d'action,
C'est en ce sens que -bien que le parti soit un INSTRUMENT INDISPENSABLE QUE SE DONNE LA CLASSE COMME ACCELERATEUR ET CATALISEUR FONDAI-1ENTAL DU COURANT REVOLUTIONNAIRE- en dernière analyse c'est le mouvement révolutionnaire qui engendre véritablement le Parti et non l'inverse.
C'est parce que l'Être tend à devenir conscient que l'organisation des plus conscients se crée et non parce qu'il existerait une conscience organisée que l'Être serait engendré.
Ignorer l'un des rapports dialectiques qui lient Parti et lutte de la classe, ne pas tenir compte de façon SIMULTANEE de la façon dont l'un réagit sur l'autre, c'est se condamner à une vision parcellaire, tronquée et donc erronée du problème.
Ainsi la seule explication que peut fournir la brochure du non-aboutissement révolutionnaire des luttes en Espagne, Hongrie, Pologne est "l'absence d'une avant-garde organisée et solidement implantée" Et, à la question de savoir pourquoi cette avant-garde n'a pas existé, la seule réponse ne peut être trouvée que dans le manque "d'impulsion des éléments les plus avancés" c'est à dire l'absence de volonté chez quelques individus.
C'est l'inévitable et absurde corollaire de l'abandon de la thèse de la nécessité de la crise économique.
Il est vrai que le GMPPCT affirme très justement deux positions fondamentales sur la question du Parti; l'une c'est la NECESSITE de cette organisation politique du Prolétariat, l'autre le rejet total de la thèse selon laquelle la dictature du Prolétariat pourrait être celle de son Parti. Lais aussi justes soient-elles -du moins dans les intentions qu'elles traduisent- elles portent la faiblesse et la fragilité des positions incohérentes, voire contradictoires, avec l’ensemble de la pensée qui les accompagne.
Pour ce problème encore l'incompréhension de ce qui constitue l'apport scientifique du Marxisme, force les auteurs de la brochure à aborder le problème de ce qui sera la société future avec la même démarche que les courants utopistes pré-marxistes.
Pour ces derniers, de même que la fin du Capitalisme devait résulter de l'inviabilité des injustices que son existence provoquait, la définition de la nouvelle société devait résulter de la négation de ces injustices et la correction des défauts de la société capitaliste.
Si un tel raisonnement avait été tenu pendant la société antique esclavagiste ou dans le féodalisme, on aurait dû prévoir la société post-esclavagiste, ou post féodale, comme devant être le socialisme. (Ce qui fut, d’ailleurs, fait, aussi bien dans une société que dans l'autre, par des sectes religieuses).
Le Marxisme devait rejeter cette démarche et montrer que ce qui détermine le contenu d'une nouvelle société c'est d'abord et avant tout sa capacité à résoudre les contradictions qui ont mené la société passée à la faillite.
Le Capitalisme s'est avéré être bien plus inhumain que le féodalisme. Cependant, l'histoire a vérifié qu'il était le seul système permettant d’assurer un développement des forces productives à la suite du Féodalisme, le seul capable de représenter un dépassement des contradictions de la Société Féodale. L'histoire ne retient que ce critère.
La définition du Contenu du Socialisme ne peut pas avoir comme seul fondement la recherche d'un monde plus humain, mais bien la détermination de l'ensemble des rapports économiques et sociaux qui constitueront un dépassement possible des contradictions qui ont mené le Capitalisme à une impasse économique.
Le point de départ doit donc être l'étude des contradictions internes SPECIFIQUES du Capitalisme. Or les auteurs de la brochure ne retiennent comme "contradiction" que l'opposition entre "DIRIGEANTS et EXECUTANTS".
"Dans l'activité productive, la division entre appareil de production et masse d'exécutants, en étouffant les capacités créatrices de la majorité de la population, stérilise quotidiennement une somme colossale d'énergie qui, soit restent inemployées, soit s'investissent partiellement dans la résistance des producteurs aux impératifs de la production elle-même". (pg.16)
Puisqu'on part de la base qu'il n'y a pas de crises économiques, ni possibles ni nécessaires, on ne dit pas un mot sur les limites imposées à la production capitaliste par son aspect marchand ni par la nécessité d'un taux de profit suffisant.
Mais, aussi bien la société esclavagiste que la féodalité étaient divisées en "dirigeants et exécutants", elles "étouffaient autant les capacités créatrices" et "stérilisaient" aussi bien "une somme colossale d'énergies". Elles ne furent pas moins suivies de sociétés avec de nouveaux "dirigeants" et de nouveaux "exécutants".
Les auteurs de la brochure n'ont pas plus de sérieux dans leur démarche pour déterminer le Contenu du Socialisme que les sectes religieuses qui appelaient de leurs vœux aux temps des Empereurs Romains ou des Capétiens Français.
Les "réalistes" détracteurs de la vision des crises nécessaires qui empiriquement appellent à l'évidence des dernières années de "prospérité" se trouvent ainsi condamnés sur le terrain socialiste à tomber dans le plus complet UTOPISME.
Dans un accès de réalisme n'affirment-ils pas qu'après tout n’importe quelle autre société que le Socialisme peut aussi bien succéder au Capitalisme?
"L'Humanité peut aussi bien accéder à un nouveau type de civilisation -le Communisme- que connaître une forme nouvelle de société d'exploitation à la suite d'échecs répétés, de défaites sanglantes des forces révolutionnaires". (pg.4)
L'alternative marxiste: "Socialisme ou Barbarie" devient ainsi "Socialisme ou n'importe quoi"
Cette confusion incroyable a des répercussions immédiates en ce qui concerne la détermination de la nature des États dits "Communistes" Sans craindre l'ambiguïté on qualifie ceux-ci de "Sociétés d'exploitation" nais on s'applique tout au long de la brochure à les présenter cornue quelque chose de bien distinct et diffèrent des pays occidentaux. Peut-être est-ce encore un souci de "réalisme" empiriste, Mais on laisse en suspens la question de savoir s’il s'agit d'une solution possible aux contradictions capitalistes et donc s'ils ne sont pas une quelconque issue "progressiste" On s'avère incapable de comprendre que le soi-disant "Socialisme" du type russe ou chinois, loin de constituer un "nouveau système" n'est que la forme décadente du vieux Capitalisme: le Capitalisme d'État.
La confusion atteint son point culminant lorsque les auteurs de la brochure s'attaquent au problèmes des luttes de Libération Nationale.
Dès le début on se met fièrement à l’écart du terrain marxiste de la discussion. Celui-ci est peut-être considéré "trop vieilli" La question de savoir si les Libérations Nationales peuvent être aujourd’hui des conditions ou des entraves au développement des forces productives, des problèmes de l'antagonisme existant entre le nature bourgeoise des nouveaux États et les luttes prolétariennes qui se développent dans ces pays, de l'impossibilité pour un État de se libérer d’une puissance impérialiste sans l’aide d'une autre dont elle devra, par la suite, subir l'oppression, toutes ces questions sont mises de coté.
On se contente pour aborder le problème d’une vision sociologique, ou plutôt journalistique:
Quelle est alors la raison de cet appui?
C’est à dire, on les appuis parce-que cela fait partie de toute cette "contestation" mondiale dont on entend tellement parler. Les journalistes bourgeois sont friands de ce genre d'amalgames spectaculaires où hippies, Tiers-Monde, drogue, jeunesse, étudiants, grèves ouvrières, etc. font partie d'une mode "d’esprit contestataire" Des convulsions d'une société en décomposition les professionnels de la plume ne tirent que ce qui peut frapper, étonner, émouvoir aux larmes ou inciter la colère. N'importe quoi pourvu que cela se vende.
Il est normal que ces gens ne se posent même pas la question de savoir si les luttes de la fraction du prolétariat mondial qui vit dans le Tiers-Ronde, ne sont pas entièrement antagonistes aux très patriotiques luttes de libération Nationale que dirigent les différents "Fronts" de "classes progressistes" Tout au plus, les moins stupides expriment-ils un étonnement en transcrivant une dépêche relatant l'écrasement d'une grève ouvrière par un quelconque gouvernement "progressiste" ou les violents échanges entre Fidel Castro et les mineurs Chiliens en grève.
Mais que des éléments qui prétendent dégager les intérêts de la classe ouvrière mondiale reproduisent cette même confusion avec la même légèreté, cela ne peut s’expliquer que par une attitude opportuniste, facilitée par l'impossibilité de parvenir à une véritable vision marxiste de classe.
L'ambiguïté et le manque de rigueur théorique sont un handicap fatal à tout groupe voulant faire un travail révolutionnaire. Un tel travail n'a de sens que s'il est sous tendu par un effort constant pour parvenir à une vision cohérente, car elle seule permet de distinguer au milieu de la complexité de la réalité sociale, quels sont les véritables intérêts de la classe révolutionnaire. Elle est l'arme prin cipale contre toutes les pressions opportunistes auxquelles est soumise une organisation dont un des buts essentiels est de faire en sorte que l'ensemble de sa classe pense de la même façon qu’elle.
La confusion a toujours été l'arme de la bourgeoisie.
En ce sens, il y a fort à craindre qu'avec la brochure "ORGANISER LE COURANT MARXISTE REVOLUTIONNAIRE" la tentative "organisative" du "Groupe marxiste pour le Pouvoir des Conseils de Travailleurs" n'ait pris -du moins sur le terrain révolutionnaire- dès le départ, une voie de garage.
R. Victor
[1] Dans une certaine mesure on pourrait aussi citer, comme victime de la canicule capitaliste, des groupes tels que "Potere Operaio" en Italie, le GLAT (Groupe de Liaison pour l'Action des Travailleurs) en France, ou le FOR (Fomento Obrero Revolucionario) en Espagne, qui ne nient pas toujours l'inéluctabilité de nouvelles crises du système, mais qui ne les considèrent pas comme produits des contradictions économiques objectives du système mais comme résultats de l'action révolutionnaire du Prolétariat.
[2] "Avant-propos" à "la Critique de 1'Economie Politique".
[3] cf. pg.2, point 3 de la brochure.
[4] Il est peut-être bon de noter ici qu’il est certain qu’une fois un processus de généralisation de luttes engagé, ces mêmes luttes peuvent devenir à leur tour -si elles se prolongent sous la pression des difficultés économiques croissantes- un facteur accélérateur de la crise économique elle-même. C’est le cas par exemple actuellement en Italie et en Grande Bretagne»
Il est clair aussi que parfois la crise économique peut d’abord frapper les travailleurs sous des formes telles que la guerre.
Nous rappelons que ce dont il s’agit ici c’est de dégager des phénomènes généraux pour comprendre les phénomènes particuliers et non l’inverse.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_as-7_mar-avril.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/bordiguisme
[3] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/pci-proletaire
[4] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/leconomie
[5] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/polemique
[6] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/parti-et-fraction
[7] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decadence
[8] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/question-nationale