“C’est ainsi que les résultats sont contestés dans les républiques bananières”. Cette déclaration faisait suite à l’intrusion au sein du Capitole de plusieurs centaines de partisans de Donald Trump venus interrompre la certification de la victoire de Joe Biden le 6 janvier. On aurait pu penser qu’un jugement aussi sévère sur la situation politique aux États-Unis émanerait d’un individu viscéralement hostile à ce pays, ou bien d’un “gauchiste” américain. Rien de tout cela : c’est l’ex-Président George W. Bush, qui plus est membre du même parti que Trump, qui en a été l’auteur. C’est dire la gravité de ce qui s’est passé ce jour-là à Washington. Quelques heures plus tôt, au pied de la Maison-Blanche, le Président vaincu, tel un démagogue du Tiers monde, avait chauffé à blanc la foule de ses partisans : “Nous n’abandonnerons jamais ! Nous ne concéderons jamais cette défaite ! […] Nous ne reprendrons jamais notre pays en étant faibles ! […] Je sais que tout le monde ici marchera bientôt vers le Capitole, pour pacifiquement, patriotiquement faire entendre vos voix”. Suite à cet appel à peine voilé à l’émeute, la foule vengeresse, dirigée par les hordes trumpistes fascisantes (comme les Proud Boys) n’avait plus qu’à remonter à pied le National Mall en direction du Capitole et prendre d’assaut le bâtiment, sous l’œil des forces de l’ordre totalement dépassées. Comment se fait-il que les cordons de flics chargés de protéger l’accès au Capitole aient pu laisser passer les assaillants alors que le dispositif de sécurité impressionnant lors des manifestations Black Lives Matter devant ce même bâtiment avait empêché tout débordement ? Ces images effarantes ne pouvaient que susciter la théorie selon laquelle l’assaut contre cet emblème de la démocratie américaine était un “11-septembre politique”.
Face au chaos, les autorités n’ont cependant pas tardé à réagir : les troupes antiémeutes et la Garde nationale sont déployées, des coups de feu retentissent provoquant cinq morts, un couvre-feu est instauré tandis que l’armée patrouille dans les rues de Washington… Ces images, totalement hallucinantes, rappellent en effet les nuits post-électorales des “républiques bananières” de pays du tiers-monde déchirés par les rivalités sanguinaires de cliques mafieuses. Mais ces événements qui ont fait la Une de l’actualité internationale, ne sont pas le fait d’un exotique général mégalomane. Ils se sont déroulés au cœur de la première puissance planétaire, au sein de la “plus grande démocratie du monde”.
La “profanation du temple de la démocratie américaine” par une foule composite de suprémacistes blancs armés de perches à selfie, de milices armées fanatiques et détraquées, ou d’un complotiste coiffé d’un casque à cornes, est l’expression flagrante de la violence et de l’irrationalité croissantes qui gangrènent la société aux États-Unis. Les fractures au sein de son appareil politique, l’explosion du populisme depuis l’élection de Trump, illustrent de façon éloquente le pourrissement sur pied de la société capitaliste. En fait, comme nous l’avons souligné depuis la fin des années 1980, (1) le système capitaliste, entré en décadence avec la Première Guerre mondiale, s’enfonce depuis plusieurs décennies dans la phase ultime de cette décadence, celle de la décomposition. La manifestation la plus spectaculaire de cette situation avait été l’effondrement, il y a trois décennies, du bloc de l’Est. Cet événement considérable n’était pas le simple révélateur de la fragilité des régimes qui dirigeaient les pays de ce bloc. Il exprimait un phénomène historique qui affectait l’ensemble de la société capitaliste à l’échelle mondiale et qui, depuis, est allé en s’aggravant. Jusqu’à présent, les signes les plus évidents de la décomposition ont été observés dans les pays “périphériques” déjà fragilisés (l) : les foules en colère servant de chair à canon pour les intérêts de telle ou telle clique bourgeoise, l’ultra violence au quotidien, la misère la plus noire s’affichant à chaque coin de rue, la déstabilisation d’États, voire de régions entières… Tout cela semblait en effet n’être l’apanage que de “républiques bananières”.
Depuis quelques années, cette tendance générale touche de plus en plus explicitement les pays “centraux”. Bien sûr, tous les États ne sont pas atteints de la même façon, mais il est clair que la décomposition vient à présent frapper de plein fouet les pays les plus puissants : multiplication des attaques terroristes en Europe, victoires surprises d’individus aussi irresponsables que Trump ou Boris Johnson, explosion des idéologies irrationnelles et, surtout, gestion désastreuse de la pandémie de coronavirus qui, à elle seule, exprime l’accélération sans précédent de la décomposition… Tout le capitalisme mondial, y compris ses parties les plus “civilisées” évolue inexorablement vers la barbarie avec des convulsions de plus en plus aiguës.
Si les États-Unis sont aujourd’hui, parmi les pays développés, celui qui est le plus touché par ce pourrissement sur pied, ils représentent aussi un des foyers majeurs d’instabilité. L’incapacité de la bourgeoisie à empêcher l’accès à la présidence d’un guignol milliardaire et populiste issu de la télé-réalité, exprimait déjà un chaos croissant dans l’appareil politique américain. Durant son mandat, Trump n’a pas cessé d’aggraver les “fractures” de la société américaine, notamment raciales, et d’alimenter le chaos partout sur la planète, à force de déclarations à l’emporte-pièce et de coups fumeux qu’il présentait fièrement comme de subtiles manœuvres de businessman. On se souviendra de ses déboires avec l’état-major américain qui l’avait empêché, à la dernière minute, de bombarder l’Iran ou de sa “rencontre historique” avec Kim Jong-un qu’il surnommait si finement “rocket man” quelques semaines plus tôt.
Lorsque la pandémie de Covid-19 a surgi, après des décennies de rabotage permanent des systèmes de santé, tous les États ont fait preuve d’une incurie criminelle. Mais, là encore, l’État américain dirigé par Donald Trump a été aux avant-postes du désastre, tant sur le plan national avec un nombre record de contagion et de décès, (2) qu’au niveau international, en déstabilisant une institution de “coopération” mondiale comme l’OMS.
L’assaut contre le Capitole par les bandes de trumpistes fanatisées s’inscrit entièrement dans cette dynamique d’explosion du chaos à tous les niveaux de la société. Cet événement est une manifestation des affrontements croissants totalement irrationnels et de plus en plus violents entre différentes parties de la population (les “blancs” contre les “noirs”, les “élites” contre le “peuple”, les hommes contre les femmes, les hétérosexuels contre les homosexuels, etc.), dont l’émergence de milices racistes surarmées et de complotistes totalement délirants est l’expression caricaturale.
Mais ces “fractures” sont surtout le reflet de l’affrontement ouvert entre les fractions de la bourgeoisie américaine, avec d’un côté les populistes autour de Trump et, de l’autre, les fractions plus soucieuses des intérêts à long terme du capital national : au sein du Parti démocrate et parmi le Parti républicain, dans les rouages de l’appareil d’État et de l’armée, à l’antenne des grandes chaînes d’information ou à la tribune des cérémonies hollywoodiennes, les campagnes, les résistances et les coups bas contre les gesticulations du président populiste, ont été constantes et parfois très virulentes.
Ces affrontements entre différents secteurs de la bourgeoisie ne sont pas choses nouvelles. Mais dans une “démocratie” comme les États-Unis, et contrairement à ce qui advient dans les pays du Tiers monde, ils s’exprimaient dans le cadre des institutions, dans le “respect de l’ordre”. Que ces affrontements prennent aujourd’hui cette forme chaotique et violente dans cette “démocratie modèle” témoigne d’une aggravation spectaculaire du chaos au sein même de l’appareil politique de la classe dominante, un pas significatif dans l’enfoncement du capitalisme dans la décomposition.
En excitant ses partisans, Trump a franchi une nouvelle étape dans sa politique de la “terre brûlée” après sa défaite aux dernières présidentielles qu’il refuse toujours de reconnaître. Le coup de force contre le Capitole, instance du pouvoir législatif et symbole de la démocratie américaine, a provoqué une scission au sein du parti républicain, sa fraction la plus “modérée” ne pouvait en effet que dénoncer ce “coup d’État” contre la démocratie et se démarquer de Trump pour tenter de sauver le parti d’Abraham Lincoln. Quant à la partie adverse, celle des Démocrates, elle ne pouvait que monter au créneau, dénonçant à hue et à dia l’irresponsabilité et la conduite criminelle de Trump galvanisant ses troupes les plus excitées.
Pour tenter de restaurer l’image de l’Amérique, face à la sidération de la bourgeoisie mondiale, et contenir l’explosion du chaos dans “le pays de la Liberté et de la Démocratie”, Joe Biden et sa clique, se sont immédiatement engagés dans un combat à mort contre Trump. Ils se sont empressés de dénoncer les agissements irresponsables de ce chef d’État à l’esprit dérangé ne permettant plus son maintien au pouvoir pendant les treize jours précédant l’investiture définitive du Président sorti des urnes.
Les démissions en chaîne des ministres Républicains, les appels à la démission de Trump ou à sa destitution, de même que les recommandations faites au Pentagone de surveiller de près ses agissements pour qu’il n’appuie pas sur le bouton de l’arme nucléaire, témoignent de la volonté d’éliminer du jeu politique celui qui est encore Président. Au lendemain de l’assaut contre le Capitole, cette crise politique s’est soldée par le lâchage de Trump par la moitié de son électorat, l’autre moitié continuant à soutenir et justifier l’attaque. La carrière politique de Trump semble gravement compromise. En particulier, tout est mis en place pour qu’il ne soit plus éligible et ne puisse pas se représenter en 2024. Aujourd’hui, le Président déchu n’a plus qu’un seul objectif : sauver sa peau face à la menace de poursuites judiciaires pour ses appels à l’insurrection. Après avoir appelé ses troupes, sans toutefois condamner leurs actes, à “rentrer pacifiquement à la maison” le soir-même de leur assaut contre le Capitole, Trump a mangé le reste de son chapeau deux jours après : il a qualifié “d’odieux” cet assaut et s’est dit “scandalisé par cette violence”. Et continuant à faire profil bas, il a fini par reconnaître du bout des lèvres sa défaite électorale et a déclaré qu’il laissera le “trône” à Biden tout en affirmant qu’il ne sera pas présent à la cérémonie de passation des pouvoirs le 20 janvier.
Il est possible que Trump soit définitivement éliminé du jeu politique mais ce n’est pas le cas du populisme ! Cette idéologie réactionnaire et obscurantiste est une lame de fond qui ne peut que monter avec le phénomène mondial d’aggravation de la décomposition sociale, dont les États-Unis sont aujourd’hui l’épicentre. La société américaine est plus que jamais divisée, fracturée. La montée de la violence va continuer avec le danger permanent d’affrontements (y compris armés) da de la population. La rhétorique de Biden sur la “réconciliation du peuple américain” montre une compréhension de la gravité de la situation, mais au-delà de tel ou tel succès partiel ou temporaire, elle ne pourra pas arrêter la tendance sous-jacente à la confrontation et à la dislocation sociale dans la première puissance mondiale.
Le plus grand danger pour le prolétariat aux États-Unis serait de se laisser entraîner dans la confrontation entre les différentes fractions de la bourgeoisie. Une bonne partie de l’électorat de Trump est constituée d’ouvriers rejetant les élites et à la recherche d’un “homme providentiel”. La politique de Trump de relance de l’industrie avait permis de rallier derrière lui de nombreux prolétaires de la “ceinture de la rouille” qui avaient perdu leur emploi. Le risque existe d’affrontements entre ouvriers pro-Trump et ouvriers pro-Biden. Par ailleurs, l’enfoncement de la société dans la décomposition risque d’aggraver encore le clivage racial, endémique aux États-Unis, entre les blancs et les noirs, en propulsant les idéologies identitaires.
La tendance à la perte de contrôle de la bourgeoisie sur son jeu politique, comme on l’a vu avec l’arrivée de Trump à la présidence, ne signifie pas que la classe ouvrière peut tirer profit de la décomposition du capitalisme. Bien au contraire, la classe dominante ne cesse de retourner les effets de la décomposition contre la classe ouvrière. Déjà en 1989, alors que l’effondrement du bloc de l’Est était une manifestation spectaculaire de cette décomposition du capitalisme, la bourgeoisie des principaux pays avait utilisé cet événement pour déchaîner une gigantesque campagne démocratique mondiale au moyen d’un bourrage de crâne intensif, destinée à tirer un trait d’égalité entre la barbarie des régimes staliniens et la véritable société communiste. Les discours mensongers sur “la mort de la perspective révolutionnaire” et “la disparition de la classe ouvrière” avaient déboussolé le prolétariat, en provoquant un profond recul de sa conscience et de sa combativité. Aujourd’hui, la bourgeoisie instrumentalise les événements du Capitole en déployant une nouvelle campagne internationale à la gloire de la démocratie bourgeoise.
Alors que les “insurgés” occupaient encore le Capitole, Biden déclarait immédiatement : “Je suis choqué et attristé par le fait que notre nation, pendant très longtemps une lueur d’espoir pour la démocratie, soit confrontée à un moment si sombre. […] Le travail d’aujourd’hui et des quatre années à venir consistera à restaurer la démocratie”, suivi par une cascade de déclarations allant dans le même sens, y compris au sein du Parti républicain. Même son de cloche à l’étranger, particulièrement de la part des dirigeants des grands pays d’Europe occidentale : “Ces images m’ont mise en colère et attristée. Mais je suis sûre que la démocratie américaine se révélera beaucoup plus forte que les agresseurs et les émeutiers”, déclarait Angela Merkel. “Nous ne céderons rien à la violence de quelques-uns qui veulent remettre en cause [la démocratie]”, lançait Emmanuel Macron. Et Boris Johnson d’ajouter : “Toute ma vie, l’Amérique a représenté des choses très importantes : une idée de la liberté et une idée de la démocratie”. Après la mobilisation autour de l’élection présidentielle, qui a connu un record de participation, et le mouvement Black Lives Matter revendiquant une police “propre” et plus “juste”, de larges secteurs de la bourgeoisie mondiale cherchent à entraîner le prolétariat derrière la défense de l’État démocratique contre le “populisme”. Le prolétariat est appelé à se ranger derrière la clique “démocrate” contre le “dictateur” Trump. Ce faux “choix” n’est que pure mystification et un véritable piège pour la classe ouvrière !
À rebours du chaos international que Trump n’a cessé d’alimenter, le “démocrate” Biden imposera-t-il un “ordre mondial plus juste” ? Sûrement pas ! Le prix Nobel de la “Paix”, Barack Obama, et son ex-vice-président, Joe Biden, ont connu huit années de guerres ininterrompues ! Les tensions avec la Chine, la Russie, l’Iran et tous les autres requins impérialistes ne disparaîtront pas miraculeusement.
Biden réservera-t-il un sort plus humain aux migrants ? Pour se faire une idée, il suffit de voir avec quelle cruauté tous ses prédécesseurs comme toutes les “grandes démocraties” traitent ces “indésirables” ! Il faut rappeler que durant les huit ans de la présidence d’Obama (dont Biden était le vice-président), il y a eu plus d’expulsions d’immigrés que pendant les huit ans de présidence du Républicain George W. Bush. Les mesures contre les immigrés de l’administration Obama n’ont fait qu’ouvrir la voie à l’escalade anti-immigration de Trump
Les attaques économiques contre la classe ouvrière vont-elles cesser avec le prétendu “retour de la démocratie” ? Certainement pas ! La plongée de l’économie mondiale dans une crise sans issue encore aggravée par la pandémie du Covid-19, se traduira par une explosion du chômage, par plus de misère, plus d’attaques contre les conditions de vie et de travail des exploités dans tous les pays centraux dirigés par des gouvernements “démocratiques”. Et si Joe Biden parvient à “nettoyer” la police, les forces de répression de l’État “démocratique”, aux États-Unis comme dans tous les pays, continueront à se déchaîner contre tout mouvement de la classe ouvrière et réprimant toutes ses tentatives de lutter pour la défense de ses conditions de vie et ses besoins les plus élémentaires.
Il n’y a donc rien à attendre d’un “retour de la démocratie américaine”. La classe ouvrière ne doit pas se laisser endormir et piéger par les chants de sirènes des fractions “démocratiques” de l’État bourgeois. Elle ne doit pas oublier que c’est au nom de la défense de la “démocratie” contre le fascisme que la classe dominante avait réussi à embrigader des dizaines de millions de prolétaires dans la Deuxième Guerre mondiale, sous l’égide de ses fractions de gauche et des fronts populaires. La démocratie bourgeoise n’est que la face la plus sournoise et hypocrite de la dictature du capital !
L’attaque contre le Capitole est le symptôme supplémentaire d’un système à l’agonie qui entraîne l’humanité dans sa lente descente aux enfers. Face au pourrissement sur pied de la société bourgeoise, seule la classe ouvrière mondiale, en développant ses combats sur son propre terrain de classe contre les effets de la crise économique, peut renverser le capitalisme et mettre un terme à la menace de destruction de la planète et de l’espèce humaine dans un chaos de plus en plus violent.
CCI, 10 janvier 2021
1) Voir nos “Thèses sur la décomposition”, Revue internationale n° 107 et le “Rapport sur la décomposition aujourd’hui”, Revue internationale n° 164.
2) Au moment où nous écrivons cet article, il y a eu officiellement 363 581 décès aux États-Unis et près de 22 millions de personnes contaminées.
En France, dès les premières minutes de l’invasion du Capitole aux États-Unis par les nervis trumpistes, un mensonge éhonté s’est répandu dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ces insurgés néo-fascistes ne seraient que la version américaine des “gilets jaunes” : “Le danger pour la démocratie, c’est tous ceux qui encouragent les séditieux et la violence. Qu’ils se nomment “gilets jaunes”, qu’ils soient supporters de Trump, d’extrême-droite ou anarchistes”, “Factieux trumpistes aujourd’hui, “gilets jaunes” hier”, “Moi, quand je regardais hier les images que nous avons tous regardées, j’ai pensé aux “gilets jaunes”, évidemment”. (1) C’est bien entendu l’éditorialiste-vedette de l’hebdomadaire de droite Le Point, Franz-Olivier Giesbert, toujours en pointe quand il s’agit d’exploiter une situation pour développer une campagne idéologique qui avait ouvert le bal de cet amalgame sur les chaînes d’informations.
Cette comparaison fallacieuse poursuit trois buts :
La foule soutenant Trump était constituée de suprémacistes blancs et de rednecks. Elle brandissait une forêt de drapeaux des États confédérés, symboles nostalgiques de la grandeur des États du Sud esclavagistes. L’un de ses leaders, vêtu d’une peau de bison et d’un casque à cornes, se fait appeler Q-Shaman et exhibe son corps parsemé de tatouages nazis. Ces trumpistes, armés jusqu’aux dents, incarnent la haine de l’autre, de “l’étranger” et la poussée de la pensée irrationnelle qui gangrènent de plus en plus toute la société. Tous ces obscurantistes arriérés sont convaincus que la défaite de Trump aux élections est le fruit d’un complot, tout comme ils rejettent la théorie de l’évolution des espèces de Darwin. Ils croient que le monde ne remonte qu’à 6000 ans et certains restent persuadés que la terre est plate ! C’est là la quintessence du populisme.
Le mouvement des “gilets jaunes” en France, malgré certaines similitudes apparentes, n’a pas de commune mesure avec l’assaut du Capitole par les bandes armées de trumpistes fanatisés. Ce mouvement populaire était une révolte du désespoir portant les stigmates de la décomposition de la société capitaliste. Il a certes lui aussi été marqué partiellement par l’influence du populisme, notamment par le rejet de l’establishment et des élites, le nationalisme exacerbé. Au début du mouvement, et de façon minoritaire, une partie des “gilets jaunes” ont exprimé leur xénophobie, agressant verbalement des immigrés à plusieurs reprises et réclamant un durcissement du contrôle aux frontières. Ce mouvement a également été marqué par le chaos social, avec des scènes de guérillas urbaines, des saccages dans les beaux quartiers de Paris et une volonté, parmi les plus “radicaux” des “gilets jaunes”, de partir à l’assaut de l’Élysée (ce qui ne pouvait être qu’un fiasco : le palais présidentiel était autrement mieux protégé que le Capitole américain !).
La décomposition sociale a marqué indéniablement de son sceau le mouvement des “gilets jaunes”. Mais il n’y a pas de trait d’égalité avec le coup de force des “factieux trumpistes”, ces nervis nazillons, avec leurs milices armées qui ont pris d’assaut le Capitole. Le mouvement des “gilets jaunes” n’était pas une flambée de haine populiste, animée par les idéologies de l’extrême-droite et visant à maintenir à la tête de l’État un aventurier mégalomane complètement irresponsable. Ce mouvement était une révolte illusoirement “citoyenne” contre la paupérisation dans lequel se sont retrouvées toutes les couches sociales protestant contre la politique économique de Macron, le “Président des riches”. Il s’agissait d’un mouvement interclassiste (et non pas populiste) du fait que les revendications des secteurs les plus pauvres du prolétariat (les ouvriers des zones rurales et péri-urbaines) s’étaient mêlées à celle des petits patrons et artisans. Dans le mouvement des “gilets jaunes”, de très nombreux retraités et ouvriers pauvres n’arrivant plus à joindre les deux bouts, ont défilé pacifiquement dans les manifestations contre la misère, la précarité et le chômage. La nature interclassiste de ce mouvement social s’est illustrée par un amas hétéroclite de revendications souvent contradictoires entre elles. Derrière l’explosion de colère contre l’augmentation des taxes sur le carburant qui frappait aussi bien les petits patrons que les ouvriers des zones rurales contraints de prendre leur voiture pour se déplacer et se rendre à leur travail, se cachaient en réalité des intérêts antagoniques. Face à l’augmentation du coût de la vie, la composante ouvrière des “gilets jaunes” revendiquait une augmentation du salaire minimum, alors que les petits patrons (et petits exploiteurs) mettaient plutôt en avant une baisse des taxes mais aussi une baisse des salaires de leurs employés pour maintenir leur entreprise à flot. Ce mouvement interclassiste où les revendications ouvrières se sont mêlées à celle de la petite-bourgeoisie ne pouvait conduire qu’à diluer les secteurs les plus fragiles et marginalisés du prolétariat dans “le peuple”, sans aucune distinction de classe. C’est pour cela que le mouvement des “gilets jaunes” a été immanquablement marqué par l’idéologie et les méthodes de la petite-bourgeoisie victime de déclassement, de la paupérisation liée aux ravages de la crise économique et portée par le sentiment de frustration et de revanche sociale, avec une forte polarisation contre la personne de Macron.
Néanmoins, l’hétérogénéité des “gilets jaunes” a débouché sur une relative décantation. Alors qu’à son début, ce mouvement social avait été soutenu par Marine Le Pen et les partis de droite, c’est La France Insoumise, le parti de Mélenchon, et les gauchistes (notamment le NPA) qui ont pris le relais, à mesure que la composante ouvrière des “gilets jaunes” s’est détachée en faisant prévaloir ses propres revendications concentrées sur la question des salaires et du pouvoir d’achat. Cette décantation a été rendue plus visible lors des manifestations contre la réforme des retraites : des centaines de “gilets jaunes” regroupés sous le drapeau tricolore et entonnant La Marseillaise ont été rejetés des cortèges, alors que d’autres choisissaient de s’intégrer, individuellement ou par petits groupes dans le mouvement général de la classe ouvrière contre la réforme des retraites (où dans certains cortèges, de nombreux travailleurs en lutte chantaient L’Internationale à tue-tête pour couvrir la voix nationaliste des “gilets jaunes” “radicaux”.
En faisant un amalgame tendancieusement superficiel et caricatural entre les “gilets jaunes” et les troupes de choc para-militaires de Trump, les médias bourgeois et autres journalistes ou politiciens invités sur les plateaux de télévision, se focalisent sur les scènes de violences, en évacuant délibérément les actes de vandalisme des bandes black blocs (entièrement manipulés par la police) ! Une telle falsification de la réalité vise essentiellement cet objectif : criminaliser tout mouvement de révolte contre la misère et la pauvreté. On peut donc être sûr que la bourgeoisie n’hésitera pas dans l’avenir à déployer ses forces de répression face à tout mouvement révolutionnaire de la classe exploitée. Elle n’hésitera pas (et se prépare déjà) à le dénoncer comme un coup d’État fomenté par des hordes de terroristes semant la violence, le chaos et le désordre contre l’ordre “démocratique” républicain et sa “paix sociale”.
Gilles, 11 janvier 2021
1“Gilets jaunes et manifestants pro-Trump ayant envahi le Capitole : une comparaison qui fait débat [6]”, RT France (8 janvier 2021).
L’année 2020 a une nouvelle fois révélé toute la barbarie dans laquelle le capitalisme plonge de plus en plus l’humanité.
Le bilan de la pandémie de Covid-19 est effroyable : presque deux millions de morts sur la planète, des personnes “âgées” (parfois à peine 60 ans) refusées dans les hôpitaux parce qu’il n’y a plus de lits (Italie), des terrains vagues transformés en cimetières improvisés (Brésil), des camions frigorifiques stationnés dans la rue pour stocker le surplus de cadavres (New-York), des agents hospitaliers en manque de masques, de gants, de blouses (France), des centaines de millions de personnes cloîtrées chez elles, interdites de vie sociale, des vieux mourant dans l’isolement, sans même une main tenant la leur pour les rassurer, des jeunes pointés du doigt et traités comme des égoïstes, des irresponsables, voire des assassins en puissance.
Ce n’est pas un hasard si cette situation renvoie nos imaginaires aux épidémies de peste qui frappèrent la société médiévale quand elle sombrait dans son propre déclin. Le capitalisme est désormais lui aussi un système décadent, il n’a plus aucun avenir à offrir à l’humanité, si ce n’est toujours plus de souffrances. Selon l’OMS, cette pandémie n’est d’ailleurs qu’une “sonnette d’alarme” car il faut “nous préparer à l’avenir à quelque chose qui sera peut-être encore pire”.
“Nous” préparer ? Mais qui est ce “nous” ? Les États qui, partout et depuis des décennies, détruisent les systèmes de soins, réduisent les effectifs de médecins et d’infirmiers et ferment les hôpitaux ? Les États qui militarisent la société, qui élèvent le personnel de santé sacrifié au rang de “héros de guerre” à coups de médailles, qui proclament “l’urgence sanitaire” pour mieux contrôler et réprimer ? “Moi, je fais la guerre le matin, le midi, le soir et la nuit. Et j’attends de tous le même engagement”, a ainsi déclaré le président français Emmanuel Macron. Ce “nous” ne prépare à l’humanité que des lendemains encore plus sombres. Les États ont tous à leur niveau participé à la propagation du virus en poursuivant leur concurrence morbide, en étant incapables de se coordonner pour limiter les déplacements internationaux ; ils sont allés jusqu’à se livrer une pathétique “guerre des masques”, à se voler les uns les autres. Cette incapacité à contenir l’épidémie révèle que la gangrène atteint les plus hauts sommets des États et commence même à nuire à la gestion de l’économie mondiale, à aggraver la crise historique du capitalisme. La récession mondiale qui s’est ouverte en 2019 s’est ainsi trouvée être considérablement empirée par l’effet du chacun pour soi, contrairement à 2008 où, sous la forme des G7, G8 ou G20, les États étaient parvenus à se coordonner a minima afin de limiter et ralentir les effets de la crise dite des subprimes.
Incapable de proposer la moindre perspective à l’humanité, le capitalisme est un système qui pourrit sur pied. Dans toutes les couches de la société, le no future pèse sur les pensées et engendre une montée des peurs, de l’irrationnel et du chacun pour soi.
Les magouilles des laboratoires et leur recherche du profit à tout prix, conséquence de la nature de ce système d’exploitation, engendrent un rejet des vaccins et de la science. L’incapacité des États à contrôler l’épidémie, l’incohérence des mesures prises et les mensonges gouvernementaux, au lieu d’être compris comme le produit de ce capitalisme en déclin, sont attribués à d’obscures volontés d’une poignée d’individus manipulateurs. Le complotisme se développe, hors de toute cohérence de pensée. La réelle responsabilité, celle du système et de sa classe dominante, la bourgeoisie, est niée.
Mais l’année 2020 est aussi source d’espoir. En janvier, en France, il y a un an, finissait le mouvement contre la réforme des retraites. Pendant plusieurs mois, des centaines de milliers de manifestants avaient battu le pavé, heureux de se retrouver ensemble dans la rue et dans la lutte, de se serrer les coudes, de ressentir ce sentiment de solidarité entre les générations, entre les secteurs, qui les animait tous. Les cheminots de plus de 50 ans qui ont fait grève semaine après semaine, n’avaient eux rien à gagner, ils n’étaient pas concernés directement par la réforme. Non, ils se battaient pour les générations suivantes, pour les plus jeunes, pour l’avenir.
Évidemment, ce mouvement a révélé aussi de grandes faiblesses. Les cheminots sont restés trop isolés, les salariés du privé n’ont participé à la grève que par procuration. Il n’y a pas eu de véritables assemblées générales permettant à tous les travailleurs, retraités, chômeurs et étudiants précaires de débattre, d’élaborer ensemble une réflexion politique, de s’organiser, de prendre en main la lutte. Cette marche reste à franchir et elle est haute. Mais ce mouvement est une lueur, une promesse : la classe ouvrière en France a montré qu’elle était à nouveau combative et porteuse de solidarité. Quel contraste avec le monde mortifère constitué d’individus en concurrence que nous impose la bourgeoisie !
D’autres manifestations ont eu lieu en 2020, celles contre les violences policières puis contre la loi “sécurité globale”, interdisant notamment de filmer la police en train de tabasser tranquillement le quidam. La répression étatique est à l’évidence révoltante, tout comme les lois qui la légitime. Seulement, réclamer une police moins brutale et une justice plus équitable, c’est se leurrer sur la possibilité d’un capitalisme humain et d’une démocratie servant l’intérêt commun. Ce n’est pas un hasard si chaque fois une grande partie de la bourgeoisie, celle de gauche, enfourche elle aussi ce destrier, galope pour revendiquer haut et fort un État plus juste. C’est là une impasse qui, en réalité, renforce l’illusion que l’amélioration de la société capitaliste est possible.
Avec l’atomisation et la sidération liées à l’épidémie, avec l’aggravation de la crise économique qui frappe les travailleurs paquet par paquet, boite par boite, sous la forme de licenciements, lutter massivement est dans l’immédiat extrêmement difficile. Mais l’avenir appartient bel et bien à la lutte de classe ! Il n’y a pas d’autre chemin.
Seule la lutte massive et unie incarne une perspective. La solidarité entre les générations qui s’est exprimée dans les cortèges début 2020 prouve une nouvelle fois que le combat de la classe ouvrière porte en lui les germes d’une communauté humaine unie. Aujourd’hui, c’est en discutant avec tous ceux qui ne supportent plus cette société en putréfaction que cet avenir de lutte peut se préparer. Débattre des mobilisations sur un terrain de classe les plus massives et unitaires de ces dernières années face aux attaques, celle contre la réforme des retraites, celle contre le CPE en 2006, celle des enseignants en 2003, pour tirer les leçons des forces et des faiblesses de ces mouvements, demeure une nécessité. Tout comme se replonger dans l’histoire du mouvement ouvrier et de ses grandes luttes montre ce dont est capable notre classe quand elle prend massivement ses luttes en main.
“Nous serons victorieux seulement si nous n’avons pas oublié comment apprendre” (Rosa Luxemburg).
Pawel, 4 janvier 2020
“Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse : voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment”. Rosa Luxemburg, Brochure de Junius (1915).
Un tabassage d’une brutalité inouïe contre le producteur de musique Michel Zecler a remis la violence policière sous les feux des projecteurs médiatiques, quelques jours après l’évacuation très musclée de migrants campant place de la République à Paris. S’agissait-il d’une intervention pour non port du masque anti-Covid ? Foutaises ! Ces flics se sont acharnés sur une personne noire en libérant toute leur hargne raciste, ce qu’ils imaginaient, encore une fois, pouvoir réaliser en toute impunité. Cette nouvelle exaction raciste s’est comme d’habitude conclue par un procès-verbal à charge contre Michel Zecler, immédiatement déposé sur le bureau d’un juge qui s’est empressé d’ouvrir une enquête pour : “violences sur personne dépositaire de l’autorité publique”. Les flics ont encore une fois toujours raison !
Mais les images de vidéosurveillance du studio de musique, où le producteur de musique s’était réfugié, ne souffrent aucune ambiguïté : les flics se sont défoulés pendant de longues minutes, sans aucun état d’âme, sur un homme esseulé appelant à l’aide, puis sur les personnes qui tentaient de s’interposer pour mettre un terme à l’agression. Face à ces cogneurs, la horde de leurs collègues assistant à la scène a laissé faire... car force doit rester à la Loi !
Les réactions de colère et d’indignation dans la population ont été immédiates et tout à fait légitimes. Comment accepter une telle violence de la part des forces de l’ordre sans réagir et protester ? La Loi “sécurité globale” du Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avec son lot de mesures ultra-répressives, avait déjà commencé à mettre le feu aux poudres, une loi couvrant, notamment, les violences et bavures policières puisqu’il s’agit d’interdire aux journalistes comme à tout “citoyen” de filmer les visages des flics tabasseurs. Ces films et ces photos pourraient, paraît-il, mettre en danger les policiers accomplissant leur “devoir” dans l’exercice de leur fonction. Tout contrevenant sera condamné à 45 000 euros et un an de prison ! Les flics auront donc davantage le champ libre pour cogner à tour de bras, en toute impunité et avec la bénédiction du gouvernement Macron et son Ministre Darmanin !
Les dernières violences policières ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le 28 novembre, d’importantes manifestations, dans toutes les villes du territoire français, ont été organisées par tous les défenseurs de la “démocratie” pour protester contre la Loi “sécurité globale”.
Ces épisodes de violences policières ne sont en rien une exception. Les contrôles et interpellations de la police républicaine, particulièrement contre les jeunes ou les immigrés, ne font jamais dans la dentelle : le mépris, les insultes racistes et les humiliations en tout genre sont quotidiens. En janvier 2020, c’est le livreur Cédric Chauviat qui meurt étouffé par un flic lors d’une interpellation à Paris. C’est Adama Traoré qui tombait lui aussi sous les coups de la police en 2016. C’est le jeune Théo qui était violemment agressé et mutilé lors d’une interpellation en 2017. Nous pourrions multiplier les exemples… Une telle sauvagerie n’est plus épisodique : elle témoigne de la banalisation des répressions musclées, provoquant un accroissement des tensions sociales avec l’État.
Ces exactions, ces actes barbares, quand ils ne sont pas simplement niés, passés sous silence ou transformés en actes de “légitime défense” de flics “victimes”, deviennent des bavures, des dérapages d’une “minorité de flics délinquants” et racistes qui “décrédibilisent l’institution policière”. La police républicaine, aux dires de la classe dominante et son gouvernement, ferait un travail remarquable au service de la protection des citoyens comme l’affirme Darmanin : “ceux qui déconnent sont sanctionnés, mais je me refuse à sanctionner l’intégralité des policiers de France”.
Ce travail “remarquable”, ce service public républicain, nous l’avons vu à l’œuvre à l’occasion du mouvement des “gilets jaunes” et ses 4 000 blessés, ses centaines d’éborgnés ou estropiés par des tirs de flash-ball et de grenades de “désencerclement”. Le 8 décembre 2018, par exemple, à Paris, la répression fut particulièrement violente : le commandement des CRS s’adressait à ses troupes en ces termes : “Si vous vous demandez pourquoi vous êtes entrés dans la police, c’est pour un jour comme celui-ci !… Vous pouvez y aller franchement, allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter ceux qui sont à votre contact, à proximité… Ça fera réfléchir les suivants”. (1)
C’est le même “ordre démocratique” qui fut invoqué lors des interventions musclées des flics dans les universités et dans les lycées au printemps 2020 ou lors du mouvement contre la réforme des retraites. La pandémie de Covid-19 a également été l’occasion pour le gouvernement de prononcer de grands discours sur le contrôle “nécessaire” des règles sanitaires par une police attachée soi-disant à défendre la vie de tous les “citoyens” et de tous les travailleurs exploités. En réalité, la bourgeoisie a profité de la pandémie pour faire un pas supplémentaire dans la répression, dans les quartiers, dans la rue, dans les transports, dans les manifestations. L’État démocratique montre donc de plus en plus son vrai visage en dépit des déclarations hypocrites de Macron, comme lors du “grand débat” suite au mouvement des “gilets jaunes” : “Ne parlez pas de “répression” ou de “violences policières”, ces mots sont inacceptables dans un État de droit”. Seules les dictatures militaires, staliniennes ou fascistes auraient le monopole de la répression ? Il n’en est rien ! Au contraire, l’État démocratique n’a rien à envier à ces dictatures en matière de maintien de l’ordre. Elle l’exerce d’ailleurs avec d’autant plus de cynisme et d’hypocrisie !
La barbarie des forces de l’ordre “républicain” s’est toujours déchaînée contre la classe ouvrière. Souvenons-nous de la répression ignoble de la Commune de Paris en 1871, lors de la “semaine sanglante”, par les troupes versaillaises aux ordres de la IIIe République.
Souvenons-nous encore que, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1944, les Compagnies républicaines de sécurité (CRS) ont été créées en prévision des luttes que les exigences de productivité (imposées par la reconstruction) imposaient aux ouvriers. Les CRS connaîtront leur véritable baptême du feu lors de la répression implacable des grèves et des émeutes de 1947 à Renault, dans la fonction publique, dans les mines, sous la houlette du ministre de l’Intérieur “socialiste” Jules Moch et avec la contribution du PCF lui-même… C’est dans ce contexte que le slogan “CRS=SS” a été tagué par les “gueules noires” sur les murs des corons de mineurs. À leurs yeux, les CRS aux ordres de Jules Moch faisaient en effet le même sale travail que la dictature nazie dans la période de l’occupation. La “démocratie” de la “France libre” n’avait ainsi rien à envier à cette dernière ! (2)
Souvenons-nous encore qu’en octobre 1961, une manifestation pacifique d’Algériens avait été réprimée par le préfet Papon, fidèle serviteur du “socialiste” François Mitterrand, comme du régime gaulliste : trois morts reconnus officiellement ; près de 300 dans les faits !
Souvenons-nous également qu’en février 1962, la répression de la manifestation contre la guerre d’Algérie au métro Charonne à Paris causait neuf morts…
Et la liste est encore longue ! En Allemagne, c’était aussi la république démocratique de Weimar, gouvernée par les “socialistes”, qui avait écrasé dans le sang la révolution de 1918-1923. C’est cet État “démocratique” qui avait assassiné sauvagement Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht et bon nombre de leurs camarades spartakistes. Contre tous ceux qui en appellent à une véritable police républicaine pour rétablir la confiance entre la population et les forces de l’ordre, Lénine écrivait : “l’État, c’est l’organisation de la violence destinée à mater une certaine classe”, la classe ouvrière. (3)
Il n’y a rien à attendre du rétropédalage du gouvernement qui, suite aux manifestations “populaires” contre la “fascisation” de la police, s’est engagé à réécrire l’article 24 de sa Loi “d’insécurité” globale. Ne nous faisons aucune illusion : un nouvel article mieux ficelé sera rédigé pour renforcer l’appareil de répression de l’État ! Les autres articles de cette Loi ultra-répressive ne disparaîtront pas. La militarisation de la société se révèle d’ailleurs clairement par l’armement des polices municipales, la multiplication des caméras de vidéosurveillance dans les lieux publics, l’effort de modernisation de tout l’arsenal répressif : armes, blindés, renseignements…
Il s’agit clairement d’une adaptation de la bourgeoisie et de son État à la répression future des luttes de la classe ouvrière. Avec l’aggravation de la crise économique, de la misère et du chômage, le prolétariat et ses jeunes générations ne pourront que développer leur lutte pour défendre bec et ongles leurs conditions de vie. On peut être sûr que dans les futures manifestations ouvrières, la classe exploitée trouvera devant elle, encore une fois, tout l’arsenal policier de l’État démocratique.
Les manifestations du 28 novembre dans toute la France exprimaient certes la colère face aux violences policières, mais aussi toutes les illusions sur la possibilité d’un État “vraiment démocratique” et d’une police plus “humaine”. Ces dizaines de milliers de “citoyens” indignés se sont donc retrouvés à battre le pavé aux côtés de tous les partis de gauche et d’extrême-gauche, aux côtés de la Ligue des Droits de l’Homme et d’Amnesty International.
L’appel à l’abrogation immédiate de cette Loi “scandaleuse et liberticide”, tel que le clame Mélenchon, n’est que la feuille de vigne derrière laquelle se cache une tentative d’embrigadement de la classe ouvrière derrière la défense de la démocratie bourgeoise. Toutes les gesticulations de la gauche dénonçant la “dictature” de l’État policier sous le gouvernement Macron, réclamant le rétablissement de la liberté d’expression pour les journalistes, sèment l’illusion d’une police non répressive ! Mais l’application de la gauche à réprimer la classe ouvrière dans le passé comme aujourd’hui ne laisse plus aucun doute. D’ailleurs, à l’image de son leader charismatique Mélenchon, la France insoumise ne s’en cache même pas : “on ne peut pas s’apprêter à diriger la France et avoir des lacunes sur cette question. Nous sommes pour l’autorité. Il n’y a aucune contradiction avec les idéaux de gauche”, “l’ordre républicain est un tout. Oui, il y a besoin de policiers, de répression. Il ne faut pas accepter la banalisation du crime”. (4) On ne peut être plus clair ! De gauche comme de droite, démocratique ou ouvertement dictatorial, la bourgeoisie continuera de réprimer son ennemie de classe !
En définitive, les cris d’orfraie de toutes les fractions de gauche et d’extrême-gauche de la classe dominante (comme le NPA), dénonçant l’autoritarisme du gouvernement Macron ou encore le danger d’une dérive fasciste, ne visent qu’à rabattre la classe ouvrière (particulièrement ses jeunes générations de lycéens, d’étudiants, de jeunes travailleurs…) derrière la défense de l’État démocratique. C’est à une échelle réduite, une resucée des campagnes antifascistes des années 1930 qui avaient permis au Front populaire d’embrigader la classe ouvrière dans la Seconde Guerre mondiale. Cette gauche “radicale” qui veut une police “propre”, cherche à encadrer, saboter la colère et la réflexion de la jeune génération prolétarienne, en lui tendant une fausse alternative sous deux variantes en réalité complémentaires :
– soit former un front “antifasciste” et affronter à chaque occasion les forces de l’ordre. Cette violence anti-flics de minorités anarchisantes (ou des bandes de black blocs faisant le jeu de l’appareil policier) n’a rien à voir avec le combat de la classe ouvrière contre le capitalisme. Les provocations, castagnes avec les flics et actes de vandalisme ne peuvent que justifier le renforcement de l’État policier.
– soit choisir ce qu’elle présente comme un “moindre mal”, celui de la résistance citoyenne pour la défense du “droit” républicain, face aux fractions les plus rétrogrades, autoritaires ou populistes de la bourgeoisie. Il faut dire que le gouvernement Macron est apparu comme étant à la botte du syndicat de flics “Alliance” dont la grande majorité des membres font partie de l’électorat de Marine Le Pen.
Les mobilisations “citoyennes” ne sont pas le terrain de la classe ouvrière. Pour pouvoir lutter contre la répression, le prolétariat ne doit pas se laisser noyer dans le “peuple”, toutes classes confondues. Il doit défendre son autonomie de classe et ne pas se laisser embarquer derrière tous les partis de gauche et les syndicats qui prônent hypocritement une “bonne” police. La seule arme de la classe ouvrière contre l’État bourgeois, c’est la lutte sur son propre terrain de classe : par la grève contre toutes les attaques du capital, par les manifestations discutées et décidées dans des assemblées générales massives, souveraines, ouvertes à tous les exploités (travailleurs actifs, chômeurs, retraités ou étudiants). Ce n’est que dans un vaste mouvement de masse que la classe ouvrière pourra trouver la force d’affronter l’État et ses sbires policiers. La répression et les violences policières ne cesseront pas tant que le prolétariat n’aura pas pris le pouvoir pour renverser le capitalisme. La “violence” de la classe ouvrière doit s’exercer avant tout dans sa mobilisation la plus massive et la plus consciente pour résister aux attaques du capital dont celles des flics ne sont qu’une facette.
Stopio, 7 décembre 2020
1) ““Allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter. Ça fera réfléchir les suivants” : le jour où la doctrine du maintien de l’ordre a basculé”, Le Monde (7 décembre 2020).
2) Cf. “Grèves de 1947-1948 en France : la bourgeoisie “démocratique” renforce son État policier contre la classe ouvrière” (mars 2019).
3) Lénine, L’État et la révolution (1917).
4) “Souvent accusée de laxisme, la gauche a durci son discours sur les questions de sécurité”, Le Monde (4 décembre 2020).
Quand l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) déclara en mai 2020 que le vaccin contre le SARS-CoV-2 devait être un “bien public mondial”, seuls ont pu y croire ceux qui conservent encore des illusions dans la capacité du monde capitaliste à jouer un rôle progressiste pour l’humanité, qui plus est, en pleine crise mondiale inédite. De la même façon, les appels à recourir à la “licence obligatoire” (1) ne pouvaient relever que d’une candide utopie.
En effet, rien ne pouvait laisser penser que le vaccin contre Covid-19 échapperait aux lois du capitalisme et leurs conséquences : concurrence, course aux marchés, espionnage, vol de technologie, même quand il s’agit de sauver des millions de vies humaines. Et pour cause, la crise sanitaire actuelle intervient dans un monde en proie à la décomposition.
Dès l’apparition de la maladie, la communauté scientifique savait que seul un vaccin pouvait permettre d’en venir à bout. Les industries pharmaceutiques se mirent donc en ordre de marche, chacun de son côté, pour être les premiers à délivrer le précieux vaccin. Mais au-delà de l’enjeu commercial considérable pour les labos de recherche et les groupes pharmaceutiques, il y a un enjeu politique évident pour les États en mesure d’y accéder.
Dès les premières heures de la pandémie, la guerre des vaccins commença, comme ce fut le cas lors de précédentes épidémies. Les exemples sont nombreux. Par exemple, la bataille contre le SIDA (2) débuta dès la découverte de l’agent responsable de cette maladie inédite. Les équipes de Luc Montagnier à l’Institut Pasteur, étaient talonnées par celles de Robert Gallo au National Cancer Institute aux États-Unis. Le leitmotiv de ces équipes n’était évidemment pas d’identifier rapidement l’agent pour commencer à le combattre, mais d’être les premiers à pouvoir en récupérer la propriété et prendre ainsi une avance sur les futurs traitements et vaccins.
C’est finalement l’équipe française qui, en janvier 1983, s’imposera d’une courte tête. Mais la guerre ne faisait que commencer, et elle fera véritablement rage sur le terrain des tests où cette fois-ci les Américains tiendront leur revanche. C’est le laboratoire Abott qui se positionnera très largement sur ce marché prometteur, offrant potentiellement la possibilité d’écouler des milliards de tests susceptibles d’être réalisés en quelques années à travers le monde.
Vint ensuite la guerre des traitements, où le plus grand mépris pour la vie humaine éclatera au grand jour, la France ayant une revanche à prendre après sa défaite dans la guerre des tests. Sitôt les premiers espoirs annoncés autour de la Ciclosporine, la ministre de la santé de l’époque, Georgina Dufoix, lui attribua publiquement le “label France”, avant de voir ces espoirs finalement douchés par les premiers essais menés sur la molécule. De l’autre côté de l’Atlantique, le Secrétaire général adjoint de la santé annonça la solution miracle de l’AZT alors même que les essais en cours n’avaient encore livré aucun résultat.
Ces annonces scandaleuses, incarnant les froids intérêts de deux États en concurrence, témoignaient en outre du désintérêt le plus total à l’égard des milliers de malades ne pouvant placer leurs espoirs que dans un traitement rapide pour les sauver d’une mort assurée. Mais pour chaque État, seule comptait la nécessité d’être les premiers à la face du monde.
Le scandale du “sang contaminé” en France dans les années 1980-90 a révélé que l’État avait retardé pendant au moins six mois le dépistage du VIH et de l’hépatite C sur les donneurs de sang, alors que la technique était maîtrisée depuis octobre 1984, comme le prouvait une étude américaine. La “guerre des tests” et l’obsession des coupes budgétaires l’avaient conduit à maintenir des pratiques délibérément criminelles de transfusions sanguines contaminées à des hémophiles et à d’autres patients pour liquider ses stocks et faire des économies à tout prix, provoquant le décès de milliers de malades entre 1984 et 1985.
Aujourd’hui, la guerre autour du vaccin contre le virus du SIDA continue même si, faute d’être aussi rentable qu’un traitement au long cours (toute la vie, de fait), la recherche se fait beaucoup plus lente, du fait des plans d’austérité amenant les États à racler les fonds de tiroir et à réduire considérablement les budgets dans la recherche fondamentale.
En 2019 en Afrique, la situation fut à peu près similaire autour de l’épidémie d’Ebola (3) dans un climat d’accusations de détournement de fonds, de favoritisme envers les dirigeants congolais mais aussi de l’OMS vis-à-vis du choix d’un vaccin plutôt qu’un autre, etc. Alors que le laboratoire allemand Merck avait proposé un vaccin efficace mais en quantités insuffisantes, le laboratoire américain Johnson & Johnson proposa un autre vaccin, annoncé comme complémentaire mais jamais testé sur l’homme ! La bataille s’engagea pour introduire ce nouveau venu avec opérations de lobbying et autres moyens de pression.
La situation actuelle reprend les mêmes schémas. Alors que les grands discours se multiplient autour de la coopération internationale pour créer un vaccin, alors que le “bon sens commun” pourrait laisser penser que l’union des forces de la recherche pharmaceutique déboucherait sur des résultats plus rapides et efficaces, en novembre dernier on comptait 259 candidats-vaccins dans le monde, dont dix en phase 3 (la dernière avant la procédure d’autorisation de mise sur le “marché”). 259 équipes qui travaillent donc chacune de leur côté, guettant les avancées des autres pour ne pas se faire doubler, cherchant non pas l’efficacité mais l’exclusivité du procédé. Les premiers à dégainer, Pfizer et BioNTech, annoncèrent une efficacité de leur vaccin à 90 %. Quelques jours plus tard, les Russes annonçaient une efficacité à… 92 %. Moderna pointait alors son nez et annonçait 94 % d’efficacité. Qu’à cela ne tienne, Pfizer déclare avoir revu ses calculs et annonce une efficacité finalement à 95 % ! Qui dit mieux ?
Cette surenchère cynique, glaçante et effroyable dans le marketing pour promouvoir et vendre son produit alors qu’est en jeu ici la vie de dizaines de millions de victimes résume le fonctionnement mortifère de cette société pourrissante.
Nombreux sont ceux qui dénoncent cette course à la manne financière que représente le futur vaccin, mais ils se trompent quand ils renvoient la faute à “Big Pharma”, ces quelques laboratoires géants qui se battent sur le marché de la santé. Ils se trompent aussi quand ils exigent de la puissance publique qu’elle régule la situation et “contraigne” les industriels à “coopérer” pour le bien public. Car ce qui est en jeu ici, n’est pas la cupidité de quelques actionnaires, mais une logique qui embrasse toute la planète, toute l’activité humaine : la logique capitaliste. La recherche scientifique n’échappe pas aux lois du capitalisme, elle a besoin d’argent pour avancer et l’argent ne va que là où les profits peuvent être attendus : on ne prête qu’aux riches !
Doit-on attendre des États qu’ils apportent de la régulation dans cette grande foire d’empoigne ? Bien au contraire, les États capitalistes sont au cœur de la bataille et sont les premiers à orienter les recherches par leurs financements. Dans un monde en proie aux rivalités impérialistes, c’est bien sûr dans le domaine de la défense et de l’armement que la recherche est la plus financée. Mais le domaine de la santé n’en est pas exempt ! Après les attentats du 11 septembre 2001, les autorités américaines ont revu leur stratégie sur la recherche vaccinale jusqu’alors plutôt laissée de côté, pour financer des recherches sur des vaccins dits “à large spectre”, capables d’immuniser contre plusieurs virus, dans un souci de combattre une menace jugée grandissante de bio-terrorisme. Dans un autre ordre d’idée, la politique très active de la Chine en matière de santé ces dernières décennies en Afrique est animée uniquement par ses intérêts impérialistes. Tout est bon pour prendre pied et peser de toute son influence sur la planète. La Chine accroît depuis longtemps sa présence en Afrique à coups d’investissements, d’implantations économiques, de soutiens politiques, militaires, humanitaires et donc… sanitaires.
Aujourd’hui tous les États sont derrière leurs propres laboratoires et tous défendent leurs propres intérêts sans la moindre préoccupation pour une quelconque équité. Avec un mépris constant pour les conséquences meurtrières de la maladie, les États se battent pour capter le maximum de vaccins, sachant que dans cette bataille, seuls les plus riches tireront leur épingle du jeu et que, de ce fait, la plus grande partie de l’humanité n’accèdera pas aux vaccins, ou très tardivement. En avril dernier se crée la plateforme COVAX, une plateforme multilatérale dédiée à l’achat et à la distribution des futurs vaccins et promettant un accès équitable pour tous. Tous les chefs d’État se sont félicités de cette coopération. Mais en sous-main, chacun passait des accords bilatéraux avec les laboratoires pour réserver des doses. Alors que l’industrie prévoit de produire trois à quatre milliards de doses d’ici la fin de 2021, les réservations réalisées en douce se montent à 5 milliards, uniquement destinées à quelques pays : les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Union européenne et quelques pays moins riches essayant de sortir du lot, comme le Brésil.
Aujourd’hui il ne reste plus à COVAX que le vaccin britannique Oxford-AstraZeneca, à coût nettement plus faible que ses concurrents, mais dont l’efficacité prouvée à ce jour ne dépasse pas les 62 %. (4) Les pays les plus pauvres, dénués notamment des équipements nécessaires à la conservation et au transport des vaccins Pfizer ou Moderna, devront s’en contenter, en puisant dans ce que le Royaume-Uni aura laissé des stocks.
Pendant ce temps, des gens meurent. Pendant ce temps, la bourgeoisie continue d’être dépassée par les événements, continue de réagir au jour le jour, avec la même incurie, les mêmes pénuries de moyens hospitaliers et logistiques. Au cœur même des plus grandes puissances industrielles, la campagne de vaccination est lourdement entravée par des déficiences de la logistique dans les pays membres de l’UE, comme en Allemagne où l’acheminement et la diffusion du vaccin ont été perturbés dans plusieurs villes à la suite de doutes sur le respect de la chaîne de froid lors du transport d’un millier de doses. Aux États. Unis, malgré une mobilisation logistique impressionnante sous le contrôle de l’armée, “il y eu des ratées”, selon l’aveu du célèbre Docteur Fauci. Seules un peu plus de 4,2 millions de personnes ont reçu la première dose d’un des deux vaccins autorisés dans le pays (Pfizer et Moderna), bien loin de la promesse du gouvernement de vacciner 20 millions de personnes, alors que la pandémie franchit des records journaliers de contaminations et de décès dans des hôpitaux saturés (près de 21,5 millions de cas et plus de 360 000 morts au 4 janvier), au point que le responsable du programme a évoqué afin d’accélérer le rythme de la campagne, la possibilité d’administrer la vaccin par… demi-doses ! La décision britannique de repousser de plusieurs semaines l’administration de la deuxième dose de vaccin, afin que le maximum de personnes reçoivent une première dose est, d’un point de vue immunologique, tout aussi irrationnelle… Les procédures vaccinales sont excessivement lentes et totalement inadaptées à l’urgence et aux besoins les plus criants. En France par exemple, de manière caricaturale, la dernière semaine de décembre a fait l’objet d’une pathétique opération médiatique avec la vaccination devant les caméras de quelques mamies vedettes pendant que des dizaines de milliers d’autres attendront sans doute la fin du mois de janvier pour recevoir leur première injection, avec, en prime, des excuses invraisemblables du type “cela prend beaucoup de temps pour vacciner les vieux”. Mais il n’est même pas caché dans ce pays que, si ce sont les résidents d’EHPAD qui ont été priorisés par rapport aux professionnels de santé, c’est parce qu’il n’y avait pas de doses disponibles suffisantes pour ces derniers !
Derrière ces nouveaux “scandales sanitaires” qui ne font que révéler une fois encore l’incapacité du capitalisme à réagir autrement que pour la défense de ses intérêts à court terme, dans l’impréparation et l’improvisation totale, on observe des situations, comme en France, où la logistique finit par reposer sur le bonne volonté de pharmaciens et de médecins libéraux confrontés à la limitation des coûts au strict minimum : la pénurie de super-congélateurs dans les pharmacies hospitalières a contraint l’État à centraliser le stockage des vaccins dans des pharmacies de ville qui doivent s’organiser pour ensuite répartir les flacons dans les hôpitaux. Dans ces conditions, nous ne sommes pas au bout de cette crise sanitaire.
Mais l’aspect le plus frauduleux de la situation, c’est que la vaccination ne nous est pas seulement présentée comme la panacée de la crise sanitaire ; l’ensemble de la bourgeoisie nous la présente aussi comme l’unique moyen de sortir de la crise économique et de la détérioration accélérée des conditions de vie qui s’aggrave partout en cherchant à masquer l’impasse et les contradictions insurmontables de son mode de production. Car ce qui frappe actuellement l’humanité n’est pas le fruit d’un malheureux hasard. Il est le produit d’un système en bout de course, qui se décompose en entraînant tout dans sa chute. Par conséquent, l’incurie de la bourgeoisie n’est pas causée par l’incompétence de quelques dirigeants, mais par l’incapacité croissante de la classe dominante à contenir les effets du pourrissement de son système. Tant que cette logique sera à l’œuvre, l’humanité ne pourra échapper aux fléaux qui en découlent.
GD, 6 janvier 2021
1) Procédé obligeant les inventeurs d’un médicament, d’un traitement ou d’un vaccin à permettre la fabrication de génériques, permettant un accès plus rapide, répandu et à moindre coût.
2) Voir par exemple “SIDA : la guerre des laboratoires”, Le Monde (7 février 1987).
3) Voir “RDC : la guerre des vaccins trouble la lutte contre Ebola”, Le Soir (2 août 2019).
4) “Covid-19 : Pourquoi le vaccin d’Oxford-AstraZeneca, autorisé par le Royaume-Uni, pourrait changer la donne ?” The Conversation (4 janvier 2021).
En cette fin d’année 2020, la crise sanitaire se poursuit inexorablement. Comme nous l’avons déjà affirmé, notre organisation se doit de poursuivre son intervention en direction du prolétariat et de ses minorités les plus politisées. En effet, il faut lutter contre l’isolement et l’atomisation que nous impose la bourgeoisie avec les mesures de confinement et de couvre-feu. Nous avons donc tenu le 21 novembre 2020 une nouvelle permanence en ligne, après celle qui s’était déroulée le 17 octobre 2020. Il faut se rappeler qu’il y avait quatorze personnes présentes à celle-ci, qui avaient manifesté en fin de permanence, une très forte volonté de poursuivre la discussion. Le 21 novembre, ce n’est pas moins de 22 personnes qui étaient présentes et ont participé au débat. La volonté de discuter avec le CCI, de clarifier et de comprendre l’évolution de la situation mondiale et historique trouve ainsi confirmation dans le nombre croissant de participants. La dynamique de la discussion allait fortement concrétiser cette première constatation.
Les questions, les interrogations et analyses et points de vue des participants ne sont pas, sur le fond, très différentes de celles soulevées dans la permanence du 17 octobre. Cependant, les interventions ont montré que celles-ci étaient abordées de manière plus profonde, plus argumentées que lors de la précédente permanence.
La discussion a commencé par deux interventions sur le Ségur de la santé et le confinement, un camarade avançant l’idée qu’un tiers des Français seulement le soutienne. Le même camarade a également émis l’idée que la classe ouvrière n’aurait peut-être pas intérêt à soutenir le confinement car il ne diminue pas la misère : “Le confinement rend pauvre. Il permet le renforcement de l’État policier. Et enfin il n’y aurait pas de possibilité de voir la corrélation entre le nombre de décès et le confinement”. Des participants ont alors répondu que l’ensemble des bourgeoisies nationales ont été obligées d’avoir recours au reconfinement, qui correspond à des mesures face à l’épidémie, dignes du Moyen Âge. L’incurie, l’irresponsabilité croissante, une incapacité à gérer (plutôt mal d’ailleurs) la situation immédiate de la part des États furent autant d’éléments que plusieurs participants ont alors commencé à mettre en avant.
Le CCI est ensuite intervenu pour affirmer que la situation mondiale a connu une accélération de la décomposition sociale et de la crise économique d’une très grande gravité et portée historique. Nous avons réaffirmé que la pandémie et le confinement sont des conséquences de la décomposition qui s’est approfondie brutalement et violemment. C’est toute la société qui est ainsi considérablement affectée sur le plan de la crise économique, de la vie de la bourgeoisie et de la dynamique de la lutte de classe.
Par conséquent, une première partie de la discussion s’est centrée sur ce qu’est la phase de décomposition du capitalisme. Beaucoup d’intervenants ont soutenu l’analyse de fond du CCI pour caractériser la période historique ouverte depuis plus de trente ans. Certains camarades voulaient savoir pourquoi les sociétés de classes dans l’histoire avaient connu également des éléments de décomposition, et non pas une phase de décomposition comme dans le capitalisme. Ces questions fondamentales de la décadence et de la décomposition du capitalisme sont extrêmement importantes pour l’avenir de l’humanité et la lutte historique du prolétariat. Comprendre pourquoi cette phase de décomposition s’est ainsi imposée au cœur de la société capitaliste en décadence a donc fait partie intégrante de la discussion. Ces effets délétères et destructeurs sur la société ont été abordés à partir du développement de la pandémie et des réponses apportées par la bourgeoisie pour faire face à la crise sanitaire mondiale et à la crise économique majeure qui s’ouvre devant nous. Plusieurs interventions ont montré l’irrationalité grandissante qui frappe la classe bourgeoise, notamment sur le plan sanitaire. Mais aussi la montée en puissance du “chacun pour soi” dans la guerre économique et commerciale qui se profile.
Cette question de la montée spectaculaire du “chacun pour soi” a alors entraîné des questionnements et des interventions centrées de manière sérieuse sur les thèmes suivants :
Ces interrogations et interventions des participants sur ces sujets dans le cadre de la phase de décomposition du capitalisme étaient totalement en prise avec les efforts des révolutionnaires pour comprendre l’évolution de la situation historique. Nous avons soutenu clairement ces types de préoccupations politiques. En effet, toutes les interventions étaient préoccupées par la gravité de l’évolution de la situation mondiale. Et en premier lieu sur les conséquences de cette aggravation sur la lutte de classe. Face aux conséquences de l’aggravation des effets délétères de la décomposition, de la précarisation et du chômage de masse qui se profilent à l’horizon, comment le prolétariat va-t-il pouvoir réagir ? Le CCI n’a pas eu le temps de répondre à toutes ces questions au cours de la permanence. Cependant, nous avons commencé à favoriser et développer dans nos interventions, une réflexion en profondeur sur ces sujets, dans la continuité de la permanence du 20 octobre dernier. Sur le capitalisme d’État, nous avons mis en avant que celui-ci ne s’est pas développé dans la période ascendante du capitalisme, mais uniquement dans sa période de décadence. Cette tendance au développement du capitalisme d’État s’est imposée à toute la classe bourgeoise partout dans le monde. Comprendre pourquoi et sous quelles formes cette tendance ne pouvait que se renforcer tout au long de la décadence du capitalisme est une question très importante pour l’avenir de la lutte de classe, de ses minorités et ses organisations révolutionnaires. L’État capitaliste est le moyen par excellence permettant de préserver la domination de la classe bourgeoise sur l’ensemble des couches sociales de la société et en premier lieu sur la classe ouvrière. L’entrée du capitalisme dans sa période de décadence devient une entrave au développement possible, nécessaire et harmonieux de la civilisation humaine. L’État doit alors inéluctablement prendre en main toute la vie de la société de manière de plus en plus totalitaire. Il en va de la survie du capitalisme lui-même. Par exemple, comme l’ont montré les crises du capitalisme au XXe siècle, c’est l’État qui a mis en œuvre les moyens pour que le capitalisme ne se paralyse pas. De même, l’État capitaliste est en dernière instance le rempart permanent mais aussi ultime contre toute tentative de remise en cause révolutionnaire de la société capitaliste. En ce sens, l’exemple dans la situation historique actuelle du renforcement des moyens de coercition et de répression par les États a été mis en avant. Un camarade est intervenu pour montrer notamment que, face à l’épidémie et à la crise économique, “on laisse le pouvoir à l’État sur nos vies… il faut essayer de réveiller les gens… la dangerosité du virus est très faible… On nous cache quelque chose”. Ce qui faisait écho à une autre intervention qui mettait en avant que le pouvoir est aux mains des grands laboratoires pharmaceutiques. Il est vrai que la classe bourgeoise est une classe de menteurs. Marx avait souligné qu’une partie de l’idéologie dominante véhiculée par la classe bourgeoise et ses États n’a comme objectifs que le maintien de sa domination de classe. La bourgeoisie est sans aucun doute la classe la plus machiavélique de toutes les classes dominantes de l’histoire. Mais, selon nous, ces interventions nécessitent un approfondissement des questions suivantes : qu’est-ce que le capitalisme ? Qu’est-ce que l’État bourgeois ? Qu’est-ce que le capitalisme d’État ? Il est normal que les jeunes éléments en recherche des positions prolétariennes aient besoin de s’approprier ces questions fondamentales inscrites dans le patrimoine du mouvement ouvrier. Le CCI est intervenu pour expliquer que les institutions dont s’est doté progressivement le capitalisme après la fin de la Deuxième Guerre mondiale et pendant la période appelée de “mondialisation” a permis à la bourgeoisie de différer le développement des contradictions internes à l’économie capitaliste. Mais la bourgeoisie n’a pas pu supprimer une barrière infranchissable pour le capitalisme : la barrière de l’État-nation. Les coopérations internationales et autres institutions dont s’est doté le capitalisme après la Seconde Guerre mondiale pour limiter autant que possible la concurrence acharnée et la guerre économique permanente ont certes jusqu’à aujourd’hui pu freiner leurs effets les plus destructeurs. Mais les effets de la brutale accélération de la décomposition et de la crise économique mondiale viennent maintenant remettre en cause cette capacité avec tous les effets que cela va avoir sur les conditions de vie de la classe ouvrière.
Un autre participant a affirmé que : “les ouvriers pouvaient refuser le confinement”. Un autre lui a répondu que “la classe ouvrière n’avait pas le choix. S’ils avaient le choix, ils n’iraient pas dans les bus, les métros, sources de virus… C’est l’État qui a intérêt à ce que les prolétaires aillent travailler, même dans ces conditions. Les prolétaires eux sont tout simplement obligés d’y aller pour vivre”. La classe ouvrière vit dans des conditions qui lui sont imposées par la classe exploiteuse et ses États. C’est uniquement sur son terrain de classe, par des luttes défendant ses propres intérêts et s’orientant vers la perspective de la révolution communiste que le prolétariat peut s’opposer à la bourgeoisie.
Comment la classe ouvrière se défend-elle en tant que classe exploitée ? Comment peut-elle s’affirmer concrètement comme classe révolutionnaire dont dépend le futur de l’humanité ? Il sera nécessaire dans nos prochaines réunions publiques de revenir sur les grandes luttes historiques du mouvement ouvrier tel que la Commune de Paris en 1871, la révolution en Russie en 1917 ou, plus près de nous, la plus grande grève ouvrière en France en Mai 1968.
De manière plus immédiate, plusieurs interventions ont posé la question : où en est la lutte de classe ? Une participante a mis en avant que, malgré l’aggravation de la pandémie, “la classe ouvrière n’a pas été bernée”. Pour une autre participante, “la CGT a joué son rôle de détournement des intérêts de la classe ouvrière par rapport au Ségur de la santé”. Enfin, une autre intervention a souligné que “le 18 novembre dernier, il y avait une grève à l’Éducation nationale. Dans le secteur hospitalier aussi des grèves ont eu lieu”. Pour cette camarade, des mouvements ont surgi mais ils ne peuvent pas se développer actuellement. Sur la dynamique actuelle de la lutte de classe, malgré les préoccupations présentes dans la discussion, cet aspect très important n’a pas pu être suffisamment développé, faute de temps. Il apparaît nécessaire de revenir sur ces questions dans nos discussions ultérieures. Nous pouvons d’ores et déjà appeler tous ceux qui le souhaitent à lire nos nombreux articles dans notre presse internet et papier. Il est évident que nous ne devons pas sous-estimer l’impact profond de l’accélération de la décomposition sur la classe ouvrière. De même, il est essentiel de pouvoir analyser et comprendre la dynamique générale de la lutte de classe dans la période historique actuelle. Autant de préoccupations et de confrontations de points de vue que nous nous proposons de discuter dans nos prochaines permanences.
Cette nouvelle permanence a développé une discussion très riche avec une dynamique collective de débat, malgré le fait qu’elle s’est déroulée en ligne. Il faut souligner la volonté et la capacité des participants à s’écouter et se répondre mutuellement, avec sérieux et responsabilité. Dans notre tour de table, à la fin de la permanence, les participants ont affirmé avoir été très satisfaits de la discussion. Tous ont exprimé leur volonté de la poursuivre.
Un certain nombre de camarades ont souhaité explicitement que le débat se développe sur les thèmes suivants :
Le CCI salue à nouveau les préoccupations des participants pendant la permanence. Nous avons commencé à développer les analyses du CCI sur les questions centrales abordées. Mais comme l’ont demandé les participants, le CCI fera en sorte de poursuivre la discussion sur ces thèmes lors de nos prochaines permanences.
Nous encourageons également tous nos lecteurs à nous envoyer des courriers exprimant leurs questionnements, analyses, interrogations sur tous les sujets qui les préoccupent. Nous publierons ces courriers de lecteurs accompagnés si besoin de notre réponse, afin que le débat puisse aussi se poursuivre par voie de presse.
Le CCI remercie chaleureusement tous les participants qui ont animé cette permanence et informera publiquement de la date de la prochaine.
Albin, 28 décembre 2020
Le 25 novembre dernier, la nouvelle du décès de Maradona faisait le tour du monde et plongeait l’Argentine dans un “deuil” surmédiatisé. Le parcours de ce “gamin en or”, sorti des bidonvilles de la banlieue de Buenos Aires, a fait rêver plus d’une génération de fils d’ouvriers, particulièrement dans les quartiers déshérités. Issu d’une famille très pauvre, Diego Maradona s’est rapidement forgé un nom, par son habileté légendaire ballon aux pieds, comme par sa pugnacité, son franc-parler et ses revendications de “liberté” et de vie sans entraves. Mais la vie de ce personnage haut en couleurs a très vite sombré dans une spirale destructrice, happée par un milieu à l’image de la société actuelle : sport-spectacle, business, mafia, drogue et scandales.
Né en pleine guerre froide entre l’URSS et les États-Unis, il nourrit toute sa vie un fort sentiment anti-américain et une sympathie marquée envers les régimes staliniens d’Amérique centrale et du Sud. (1) En 2005, après une rencontre avec le président vénézuélien, il déclarait : “Moi, j’aime les femmes, mais je suis sorti complètement amoureux [du déjeuner] parce que j’ai connu Fidel Castro, Mouammar Kadhafi et, maintenant, je connais un géant comme Chavez”. Le joueur “en or” était donc devenu l’ambassadeur “en or” des dirigeants staliniens qui ne manquèrent pas de l’utiliser et de s’afficher à ses côtés pour soigner leur popularité. Au début des années 2000, il s’installa à Cuba (entre autres pour y suivre, sans succès, une cure de désintoxication) et resta proche de Fidel Castro. En Argentine, les Videla, Kirchner et consorts profitèrent également du soutien du célèbre footballeur.
Ce faisant, ils exploitaient aussi un autre poids lourd idéologique que le sport alimente largement : le patriotisme et le nationalisme. Si Maradona disait avoir deux rêves d’enfant : “participer à la Coupe du monde, et la gagner avec l’Argentine”, il était loin d’avoir conscience que ses exploits sportifs allaient largement alimenter la ferveur nationaliste, allant même jusqu’à servir les intérêts impérialistes de l’Argentine comme lors de la Coupe du monde de 1986 au Mexique et du quart de finale face à l’Angleterre, quatre ans à peine après la guerre entre ces deux États pour la souveraineté des îles Malouines, de la Géorgie du Sud et des îles Sandwich du Sud. L’échec militaire de l’Argentine dans ce conflit emplissait d’une atmosphère de revanche le stade Azteca de Mexico : “Tout un peuple attend une victoire argentine sur “l’impérialisme” britannique et mise évidemment sur Maradona pour y parvenir”. (2) C’est durant ce match et à l’abri du regard de l’arbitre que Maradona marquera son célèbre but de la main : “la main de Dieu”, commentera-t-il par la suite. Ce geste réflexe, largement médiatisé jusqu’à aujourd’hui, fut à la fois l’expression d’une volonté de gloire superstitieuse et d’un nationalisme revanchard.
Ce n’était pas la première fois que le sport servait de vecteur à ce type d’idéologie nauséabonde pour alimenter des conflits et de vives tensions entre États : “En 1969, le match de football opposant le Honduras au Salvador pour la qualification en Coupe du monde l’année suivante fut un prélude à la guerre qui ne tarda pas à éclater entre ces deux pays. On peut également rappeler le match qui opposa le Dynamo de Zagreb au Red Star de Belgrade en 1990 débouchant sur une bataille rangée qui fit des centaines de blessés et plusieurs morts, contribuant à envenimer les tensions nationalistes déjà existantes qui allaient déboucher sur la guerre en ex-Yougoslavie. Parmi les supporters serbes les plus radicaux, on remarquait le chef de guerre Arkan, spécialiste de “l’épuration ethnique”, nationaliste recherché plus tard par l’ONU pour “crime contre l’humanité” !” (3) On pourrait multiplier les histoires de ce type pour lesquelles le sport est un terreau fertile.
Un tel embrigadement idéologique ne pourrait fonctionner sans le battage médiatique assourdissant qui accompagne chaque rencontre “importante” de “l’équipe nationale”. Qu’il s’agisse de football, de rugby ou de bien d’autres sports populaires, chaque évènement prend des allures de cérémonie religieuse, avec ses protocoles, ses hymnes et ses fidèles fanatisés. Dans un monde à bout de souffle, étouffé par ses propres contradictions et en pleine décomposition, cela permet à des millions d’ouvriers exploités de trouver un exutoire dans des aventures à vivre par procuration. Face aux difficultés du quotidien, au manque de perspective et à l’atomisation des individus, les événements sportifs créent une fausse impression d’unité, ou, pourrait-on dire, de “communion” derrière “son” équipe et “son” drapeau. Cette solennité quasi-religieuse et nationaliste est un véritable poison pour la classe ouvrière !
Tout au long de sa carrière sportive et jusqu’à la fin de sa vie, Maradona n’incarna pas seulement la “grandeur nationale” de l’Argentine, il fut également l’objet d’un fanatisme porté à son paroxysme. Un véritable “dieu” vivant dont le culte sans limite s’exprimait à travers des images, des chapelles mais également lors des cérémonies de mariage. Cette idolâtrie s’étant encore exprimée lors de ses funérailles, est la marque on ne peut plus éclatante d’une société sans perspective et sans avenir cherchant espoir et réconfort dans les exploits d’un footballeur talentueux et charismatique.
Si le mythe forgé autour de la figure de Maradona est le symptôme d’un monde en manque de futur, sa vie extra-sportive, marquée par les excès du star-système le menant petit à petit à une véritable déchéance personnelle, l’est tout autant : “Si j’avais été narcotrafiquant, je serais mort de faim”, déclarait Maradona avec ironie, reconnaissant par là son addiction à la cocaïne.
Le monde du sport hyper médiatisé est un véritable repaire de mafieux où la corruption est la règle. (4) Au début des années 1990, alors qu’il joue pour le club italien de Naples, il est impliqué dans une affaire de trafic de drogue entre la France et l’Italie du Sud. “Des écoutes téléphoniques révèlent qu’il réclamait “de la marchandise et des femmes” à des truands locaux. Ses relations avec Luigi Giuliano, le parrain d’un clan camorriste réputé violent, s’étalent dans les journaux”. (5) De là découle son addiction à la drogue puis à l’alcool face à laquelle il essaiera de lutter jusqu’à la fin de sa vie.
Marius, 23 décembre 2020
1) Il arborait notamment à son épaule un imposant tatouage à l’effigie de Che Guevara, une des figures emblématique et sanguinaire du stalinisme.
2) “Diego Maradona, “dieu” du football, est mort”, Le Monde (25 novembre 2020).
3) “Le sport, un concentré de nationalisme”, Révolution internationale n° 413 (juin 2010).
4) Dernier exemple en date : l’enquête autour du vote de Platini pour l’attribution du Mondial de 2022 au Qatar, au profit de l’embauche de son fils…
5) “Diego Maradona, “dieu” du football, est mort”, Le Monde (25 novembre 2020).
Il y a un siècle, se déroulait le Congrès de Tours (25 au 30 décembre 1920). La bourgeoisie ne saurait oublier l’anniversaire de cet événement qui vit la formation de la Section française de l’Internationale communiste (SFIC) qui deviendra par la suite le Parti communiste français (PCF) et qui, avec la dégénérescence de la vague révolutionnaire des années 1920, passera dans le camp de la bourgeoisie et deviendra l’un des principaux agents de la contre-révolution. (1) Il n’est donc pas surprenant que la bourgeoisie se soit mobilisée pour couvrir ce centenaire afin de travestir complètement les leçons historiques de ce congrès et ses conséquences. Toute la presse et les médias télévisés se sont fait l’écho des cent ans du congrès de Tours en menant l’offensive sur deux aspects. D’une part, comme le plumitif populiste Éric Zemmour se plaît à le souligner dans Le Figaro, que “en un siècle, le socialisme n’a pas changé”, (2) en référence aux “mises en garde” de Léon Blum qui avait annoncé au Congrès de Tours la “dictature” que le PCF allait exercer sur la classe ouvrière à partir des années 1930. Dans le même sens, Stéphane Courtois (3) qualifie le PCF de “grand parti populiste à orientation totalitaire”, (4) confondant allègrement la SFIC avec, en son sein, la possibilité de débats de fond entre militants, et un PC stalinisé où toute divergence, réelle ou supposée, était un arrêt de mort. Le Congrès de Tours aurait donc préfiguré la mainmise stalinienne sur la classe ouvrière en France comme l’insinue, par exemple, Libération en soulignant que la formation de la SFIC traduisait “la soumission totale aux ordres de la Troisième Internationale, c’est-à-dire de Moscou”. (5) Sous entendant par là que, dès sa naissance, la SFIC aurait été la courroie de transmission d’un pouvoir totalitaire mis en place par Lénine et les bolcheviks.
D’autre part, comme se plaît à l’écrire Libération, “voilà un siècle que le congrès de Tours imprime sa marque sur la gauche française. Un siècle que le clivage entre révolutionnaires et réformistes, puisque c’est in fine de cela qu’il s’agit, impose à la gauche sa cadence : désunion, conquêtes communes du pouvoir, divisions, compromis, intransigeance tribunicienne, progrès, oppositions stériles, conquêtes sociales”. (6) Autrement dit, le Congrès de Tours appartiendrait à l’héritage et l’histoire des organisations de la gauche du capital qui, comme nous n’avons de cesse de le dénoncer, ont toujours agi contre les intérêts de la classe ouvrière.
Il n’est donc pas difficile de constater que la bourgeoisie, à travers ses médias et son intelligentsia, cherche une nouvelle fois à travestir l’histoire de la classe ouvrière en dévoyant la signification et la portée d’un épisode singulier, celui du congrès de Tours qui, contrairement à ce qu’assènent journaux, émissions radiophoniques ou télévisuelles, appartient bel et bien à l’histoire et à l’héritage du mouvement révolutionnaire et n’a rien à voir avec les querelles intestines de deux grandes forces de la gauche du capital.
Le Congrès de Tours est en fait le 18e de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), née en 1905 sous les auspices de la Seconde Internationale inquiète de constater l’incapacité des différents socialistes à s’organiser pour créer un parti unifié. (7) Ce parti est donc né de l’improbable union du Parti ouvrier français de Guesde et Lafargue (qui se reconnaît marxiste), du Parti socialiste révolutionnaire d’Édouard Vaillant, héritier du blanquisme, des Possibilistes de Brousse qui sont clairement réformistes, tout comme le groupe de Jean Allemane, et des Socialistes indépendants, au nombre desquels Jaurès, appartenant à l’aile des républicains démocrates. Ce premier parti socialiste unifié est donc le fruit d’une tentative d’union hétéroclite qui politiquement va des démocrates de gauche à une aile marxiste fragile, mais déterminée et fidèle au prolétariat.
Cet assemblage connaît une crise aiguë pendant la Première Guerre mondiale. Le poids du réformisme dans la direction de la SFIO, tout comme l’absence d’une véritable aile gauche marxiste en son sein, se font durement sentir après la déclaration de guerre : la quasi-totalité de la SFIO participe à l’ “union sacrée”, et c’est dans la centrale syndicale CGT qu’apparurent les premières oppositions à la guerre, soutenues par Trotsky qui était alors en France (et s’en fera expulser en 1916).
La trahison de l’internationalisme prolétarien par l’aile droite de la SFIO est consommée par l’intronisation du second gouvernement de guerre mené par René Viviani, d’août 1914 à octobre 1915 ; ce gouvernement, outre Viviani qui a fondé L’Humanité avec Jaurès, et Alexandre Millerand, ex-membre de la SFIO, comprend deux ministres SFIO (Jules Guesde et Marcel Sembat) et un secrétaire d’État (Albert Thomas). Cette trahison politique de la direction de la SFIO s’est doublée d’une répression des opposants à la guerre, envoyés au front, empêchés de participer aux conférences pour la paix, isolés de la révolution russe, calomniés, insultés par la presse pro-gouvernementale, censurés… Dans ces circonstances, il apparait évident à la fin de la guerre que la cohabitation dans le même parti entre ceux qui ont trahi l’internationalisme et soutenu la politique impérialiste de l’État capitaliste français, et ceux qui s’y sont opposés et ont été réprimés par les premiers, n’est plus possible.
Après la sidération de voir non seulement la SFIO, mais aussi la Social-Démocratie allemande et toute la Seconde Internationale passer avec armes et bagages dans la défense nationale, des militants se remettent à s’organiser, à lutter clandestinement, à rétablir des liens internationaux. Les fédérations où se trouvent les opposants reprennent contact, établissent des liens avec les fédérations syndicales opposées à la guerre, comme celle des Métaux ou de la Tonnellerie. Trotsky fait le lien entre les premiers opposants français à la guerre et les internationalistes présents en Suisse, pays neutre, ce qui aboutira à la présence de deux syndicalistes français (Merrheim et Bourderon) à la conférence internationaliste de Zimmerwald.
Mais si l’opposition à la guerre monte alors peu à peu au sein du Parti, contre une majorité dont les chefs comme Marcel Cachin se compromirent gravement avec le gouvernement français dans le soutien à l’ “union sacrée” (Cachin ayant négocié pour le compte du gouvernement français l’entrée en guerre de l’Italie contre l’Allemagne), elle est lente à s’organiser et à se définir politiquement. Ce n’est qu’en 1920 que la rupture apparaît inévitable ; le Congrès de Strasbourg (février 1920) n’avait pas réussi à établir une démarcation nette, un engagement décidé, en ne votant qu’un retrait de la Seconde Internationale. Rien que pour l’année 1919, la CGT a doublé ses effectifs, montrant le retard qui existe entre le développement d’une volonté de lutte dans le prolétariat, et un parti socialiste gangrené par l’opportunisme peinant à faire émerger une direction politique révolutionnaire. La décision du congrès de Strasbourg d’envoyer Marcel Cachin et de Ludovic-Oscar Frossard, deux des principaux dirigeants de l’aile réformiste de la SFIO, en délégation à Moscou montre également à la fois retard, faiblesses et confusions extrêmes. Même s’ils reviennent enthousiastes vis-à-vis de la révolution russe, le fait qu’ils obtiennent par la suite de grandes responsabilités au sein du nouveau parti révolutionnaire français n’est pas de bon augure pour l’évolution de ce dernier…
Le Congrès nécessitant clarification, significativement, se tient à Tours du fait que cette ville, où les cheminots sont nombreux, est le siège d’une section de la SFIO particulièrement radicale qui s’est prononcée sans ambages pour l’adhésion à la Troisième Internationale et le soutien à la révolution russe, et aussi parce que l’aile droite réformiste, hostile à l’IC et qui dirige toujours le Parti, ne veut pas d’un Congrès situé à Paris, dont la puissante fédération lui est très hostile. Suite à la grande grève des cheminots de mai 1920, qui a pour la première fois paralysé le réseau ferroviaire français, ce soutien local à Tours se comprend comme une volonté nationale de changer la “vieille maison” socialiste pour un édifice nouveau.
La scission est devenue inévitable dans un parti où cohabitent encore une aile droite menée par Pierre Renaudel, Jules Guesde et Léon Blum, qui ont activement soutenu l’engagement militaire français dans la Première Guerre mondiale, un “centre” composé d’une mosaïque de pacifistes dont la figure principale est Jean Longuet, le petit-fils de Marx, et une aile gauche révolutionnaire opposée à la guerre et soutien de la révolution russe. Or, outre les questions de la participation à la défense nationale et du soutien à la révolution russe, l’enjeu est la révolution en Allemagne, pourtant pratiquement déjà brisée, mais principal espoir des bolcheviks pour étendre une révolution qui s’étouffe déjà dans les frontières de la Russie. “Tout pour la révolution allemande” (8) est le cri lancé par les bolcheviks et Lénine, et dans ce cadre, la création d’un Parti communiste soutenant la révolution russe en France, voisine et vainqueur de l’Allemagne, est vitale. Le gouvernement français ne s’y trompe pas : outre une propagande anti-bolchevique qui ne craint pas de flirter avec l’antisémitisme, la bourgeoisie déclenche une répression physique qui se traduit par l’arrestation des animateurs du Comité pour la Troisième Internationale, Fernand Loriot, Boris Souvarine et Pierre Monatte, et d’une vingtaine de militants, sous l’inculpation fantaisiste (et jamais évoquée par le juge lors des interrogatoires) de “complot contre la sûreté de l’État”.
Le prestige de la révolution russe, son retentissement mondial, la politique internationaliste des bolcheviks ont des conséquences en France où une nouvelle génération de militants, écœurés par la guerre, se rapproche des positions communistes. Au sein de la SFIO, la direction réformiste sent le sol se dérober sous ses pieds ; Renaudel perd la direction de L’Humanité au profit de Cachin en octobre 1918, enjeu décisif vu le prestige au sein de la classe ouvrière du quotidien fondé par Jaurès ; les principales fédérations du Parti, celles de la Seine (un quart des délégués au Congrès), du Nord et du Pas-de-Calais sont favorables à l’adhésion, et pèsent de tout leur poids dans cette direction. Le 1er mars 1920 paraît le premier numéro du Bulletin communiste, dirigé par Souvarine et financé par les fonds de la Troisième Internationale ; le premier article de ce numéro est un “Salut à l’Internationale communiste” signé par Souvarine, Monatte et Loriot, et il comprend également deux articles de Zinoviev dont un en hommage à Jaurès, et un article d’Henriette Roland-Holst en hommage à Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. Cette revue est de fait l’organe de presse de la Gauche internationaliste de la SFIO, favorable à l’adhésion à la Troisième Internationale.
Devant une telle situation, le Congrès de Tours ne pouvait clairement que se terminer par une scission. Le but avoué de la Troisième Internationale est d’ailleurs de la provoquer afin de faire en sorte que le regroupement des forces révolutionnaires s’effectue sur des principes et des bases programmatiques clairs. C’est pour cela que le second Congrès de l’Internationale (juillet 1920) adopte les 21 conditions d’adhésion. Ces conditions déterminent les différentes positions dans la SFIO autour de trois lignes fondamentales :
– du fait de sa politique de soutien à l’État français, qui aligne à l’époque des troupes en soutien des “Blancs” en Russie, notamment en réorganisant la jeune armée polonaise, et de son opposition claire aux 21 conditions, la “Droite” refuse toute adhésion à la Troisième Internationale ;
– le “Centre” pacifiste accepterait une adhésion, mais pas aux 21 conditions, refusant notamment l’application obligatoire des décisions de l’Internationale et la prise de pouvoir par une révolution armée ;
– la Gauche zimmerwaldienne est d’accord pour adhérer à la Troisième Internationale, mais les 21 conditions n’étant publiées qu’en octobre, la base de l’adhésion est pour elle seulement les 9 conditions publiées et présentées par Cachin et Frossard au retour de leur voyage à Moscou en août. Plusieurs conditions, comme l’application obligatoire des décisions de l’Internationale par le futur parti (plaçant l’intérêt supérieur du prolétariat international au premier plan), ou la création d’une structure illégale et clandestine, posent problème à nombre de militants marqués par l’opportunisme, y compris de la Gauche. De fait, arrivées trop tard, les 21 conditions ne furent pas la base de l’adhésion de la nouvelle SFIC à l’Internationale communiste.
L’intervention de la Troisième Internationale au cours du congrès, par un message de Zinoviev d’abord, puis par l’intervention dans le Congrès de Clara Zetkin, entrée illégalement en France, cristallise encore plus si besoin était les positions des uns et des autres : l’Internationale refuse de compter Jean Longuet, dans le nouveau parti, du fait de ses positions opportunistes et de son pacifisme. Le “Centre” est donc rejeté dans le même camp que la “Droite”, le vote qui suit réunit 3 208 voix pour l’adhésion à la Troisième Internationale, et 1 022 contre. La rupture est consommée. Une motion tardive demandant de refuser les exclusions demandées par Zinoviev et proposée par Paul Mistral est repoussée par 30 voix contre 3 247. Les minoritaires autour de Léon Blum et de Paul Faure quittent la salle.
Contrairement au souhait de l’Internationale, la majorité vota pour l’adhésion sans se prononcer réellement sur les 21 conditions. L’Internationale accepta ce vote car une première étape avait été franchie : la fondation d’une section de l’Internationale communiste en France. Mais la clarté politique mise en avant par les 21 conditions fut sacrifiée au résultat. Le fait que l’Internationale accepte la fondation du PCF sur des bases aussi floues politiquement montre la montée de l’opportunisme dans l’Internationale ; 1920 est l’année de l’endiguement de la révolution russe ; la “Terreur blanche” fait rage en Russie ; en Allemagne, le putsch de Kapp est suivi d’une insurrection ouvrière isolée qui se transforme en carnage dans la Ruhr, lorsque la Reischswehr aux ordres des Sociaux-Démocrates la réprime durement. En France même, l’échec total de la grande grève des cheminots en mai 1920 aboutit à la révocation de 18 000 cheminots, et Clémenceau a l’habileté de désarmer partiellement la contestation ouvrière (notamment au sein des syndicats) en accordant la journée de 8 heures, vieille revendication ouvrière en France. Face à ces échecs, l’Internationale s’efforce d’accélérer la construction partout dans le monde de nouvelles sections et de nouveaux partis, ce que l’on verra en sens inverse en Italie, quand le nouveau Parti communiste italien sera contraint d’accepter les centristes de l’ancien Parti socialiste en son sein.
Les 21 Conditions d’admission ne sont finalement pas utilisées pour décider de l’adhésion du futur PCF à la Troisième Internationale : une motion, celle de la fraction révolutionnaire, acceptant inconditionnellement les 21 conditions, ne recueille que 44 mandats, 1 % du total ! Même si la majorité du Parti accepte l’entrée dans la Troisième Internationale, c’est avec des réserves par rapport aux conditions ; par exemple, si le Parti français s’engage à respecter les décisions de l’Internationale conformément aux 21 conditions, il ajoute qu’il reste meilleur juge de la situation politique française. Cette position fédéraliste, héritage des faiblesses de la Seconde Internationale, était évidemment en contradiction avec la volonté de l’IC d’être un organe centralisé, avec des partis nationaux qui en seraient les sections nationales. Dès lors, la tentative des bolcheviks de créer avec l’Internationale une sorte de parti international constitué partout sur les mêmes bases politiques n’est plus vraiment possible : de programme vital permettant l’unité internationale des communistes, les 21 conditions deviennent une base de discussion, et peuvent être amendées et interprétées au gré des “situations locales”. Même si les 21 conditions contiennent, avec le recul historique, des éléments erronés, voire profondément opportunistes, comme le travail dans les syndicats, au Parlement ou le soutien aux mouvements d’émancipation nationales, elles n’en constituaient pas moins une base permettant la création d’une Internationale réellement capable de mener une politique unifiée et appliquée partout de la même façon. Ces 21 conditions n’incarnaient pas “l’autoritarisme” des bolcheviks, prémices de la dictature stalinienne comme les médias n’ont eu de cesse de le marteler à l’occasion de ce centenaire. Bien au contraire, elles étaient un réel progrès par rapport à la situation de la Seconde Internationale, où les partis adhérents considéraient les prises de position des Congrès internationaux comme adaptables à la “situation locale” - voire ne les appliquaient pas du tout ! (9) Le fédéralisme de la Seconde Internationale, déjà dénoncé avant la guerre par la Gauche en son sein, que l’on pensait expulsé de la maison, rentrait ainsi par la fenêtre…
L’autre conséquence du recul politique de l’Internationale est que ce sont les ex-socialistes de gouvernement, Frossard et Cachin (ayant soutenu l’effort de guerre de l’État français) qui sont nommés respectivement secrétaire général et président du nouveau parti, ceux que Trotsky appellera les “planches pourries”. Frossard par exemple, refuse de subordonner le travail syndical au contrôle du Parti et de construire une structure politique clandestine, comme le réclament les 21 conditions. Si Frossard partira vite du fait de son appartenance à la Franc-Maçonnerie, (10) et de son refus d’en démissionner, (11) Cachin accompagnera toute sa vie les vicissitudes et trahisons diverses du PCF.
L’intégration de la SFIC à l’IC a été une illustration d’opportunisme politique de la part de l’Internationale, (12) ce qui aura de nombreuses conséquences par la suite ; la très rapide exclusion des principaux militants de la Gauche (dès 1924, Monatte, Souvarine, Rosmer sont exclus, Loriot démissionne en 1926) du fait de la “bolchevisation” du Parti, la transformation très rapide dès le début des années 1930 de ce Parti communiste en outil de surveillance et de répression de la classe ouvrière et des révolutionnaires, en même temps qu’en parti de gouvernement, en sera finalement facilitée. Le PCF a été très rapidement un agent actif et particulièrement efficace de la contre-révolution stalinienne. Son histoire montre ce qu’une politique opportuniste peut représenter de pertes et de dangers pour le prolétariat et pour une organisation politique prolétarienne, ce que le PCF a réellement été à sa fondation. Et si la bourgeoisie nous rappelle aujourd’hui qu’il y a un siècle naissait le PCF, c’est surtout pour nous montrer la monstruosité qu’il est ensuite devenu. Mais malgré son rôle ultérieur d’agent zélé du stalinisme, le Parti né au Congrès de Tours a été et restera pour la classe ouvrière un effort, imparfait peut-être, mais réel, de construire l’outil de son émancipation et de la destruction du capitalisme.
HD, 30 décembre 2020
1) Voir notre brochure : “Comment le PCF est passé au service du capital”.
2) “En un siècle, le socialisme n’a pas changé”, Le Figaro (16 décembre 2020).
3) Le principal maître d’œuvre du grand mensonge assimilant le stalinisme au communisme dans Le livre noir du communisme en 1997.
4) “Le congrès de Tours en 1920 : naissance du PCF et de la contre-société communiste”, Le Figaro (21 décembre 2020).
5) “Congrès de Tours : il y a cent ans, la séparation des gauches”, Libération (25 décembre 2020)
6) “Le contexte actuel est favorable à une vraie renaissance de la gauche”, Libération (29 décembre 2020).
7) Il est à ce sujet d’autant plus cocasse d’entendre différents auteurs bourgeois dénoncer le fait que le PCF aurait été une création pure et simple des bolcheviks. Si l’impulsion de la Troisième Internationale a réellement été décisive dans la création du PCF, la SFIO doit quant à elle sa naissance à la Seconde Internationale, donc à la Social-Démocratie allemande qui en était le parti dominant et dictatorial, si on suit la logique des plumitifs de la bourgeoisie…
8) Cité par Victor Serge dans L’an I de la Révolution russe (1930).
9) C’est parce que Jaurès voulait appliquer les décisions des Congrès internationaux de 1908 et de 1912 demandant d’appeler à la grève générale en cas de menace de guerre qu’il a été assassiné, et dans les faits désavoué par le reste de la direction de la SFIO.
10) Parfois appelée la “22e condition”, l’incompatibilité de l’appartenance à la fois au PC et à la Franc-Maçonnerie est proclamée par l’IC en 1922. Le fait que plusieurs dirigeants de la jeune SFIC étaient alors toujours francs-maçons montre tout l’opportunisme d’une partie des dirigeants de la SFIO, la Franc-Maçonnerie ayant toujours été un vaste réseau de réflexion et de défense des intérêts nationaux de la classe exploiteuse.
11) Il finira sa vie politique en votant les pleins pouvoirs à Pétain et siégera au Conseil national de l’État français.
12) “100 ans après la fondation de l’Internationale Communiste, quelles leçons pour les combats du futur ? (3e partie)”, Revue internationale n° 166.
Nous publions ci-dessous une contribution d’une de nos lectrices au sujet de l’article sur la mort de Samuel Paty paru dans Révolution internationale n° 485 : “Derrière tous les terroristes, c’est le capitalisme qui nous tue !” Nous saluons l’effort de réflexion de la camarade qui met en évidence l’ignominie de l’État démocratique dans l’instrumentalisation du meurtre de ce professeur et exhorte les enseignants à ne pas se fourvoyer dans la défense des valeurs républicaines et des idéaux de la Révolution française de 1789 qui n’appartiennent qu’à la classe qui les a engendrés : la bourgeoisie et son État.
Comme l’article du dernier RI le rappelle, ce crime s’inscrit dans une série de “faits divers” qui ont bouleversé la population. Et, bien évidemment, on ne peut qu’être horrifié, voire traumatisé par de tels actes de barbarie. Bien évidemment, ces actes criminels odieux ne sont rendus possibles que parce que le système capitaliste connaît une crise sans précédent et illustre l’avancée de la décomposition du monde. L’article décrit parfaitement en quoi les fanatismes religieux engendrent des monstres à la Coulibaly, Kouachi, etc. Ce dernier assassinat m’a fait m’interroger sur le point suivant : comment les enseignants vont-ils, après la mort de Samuel Paty, planifier et animer ces fameuses séances d’initiation à la citoyenneté et plus particulièrement sous l’aspect de la laïcité et de la liberté d’expression ? Lors de l’hommage national, l’État par l’allocution de Macron, en a fait des tonnes sur le courage des professeurs, “véritables héros de la République”, et a encouragé tous les enseignants à ne rien lâcher et à défendre l’école de la République… La question, c’est jusqu’où les enseignants sont-ils prêts à devenir des héros, voire des héros morts ? La mort tragique de Samuel nous montre le cynisme de l’État. Il n’y a qu’à écouter Blanquer, toujours droit dans ses bottes (petit rappel : le ministre de l’Éducation nationale est dans les arcanes du pouvoir depuis très longtemps et déjà depuis 2010 a officié à l’éducation au sein de différents cabinets de droite comme de gauche). Face à l’ampleur médiatique prise par “l’affaire Paty”, il ne doute de rien et déclare : “Il faut que la protection des enseignants soit accentuée et il est indispensable de signaler et de se faire aider dès qu’on se sent en difficulté.” On est rassuré : de tels propos en disent long sur le cynisme du pouvoir quand on connaît la chronologie de la tragédie où, quoiqu’il en dise, tout le collège était sous pression et en grande difficulté depuis les menaces proférées et réitérées contre Samuel. Le rapport de l’administration sur le déroulé de la tragédie estime “nécessaire de faire monter en puissance les cellules de veille des réseaux sociaux”. C’est à vomir !!!
Blanquer est un homme de pouvoir, entouré par une ribambelle de technocrates fidèles et peu enclins à la contradiction “la galaxie Blanquer” ainsi que l’a décrit Le Monde dans son numéro du 5 décembre. C’est un bel exemple, s’il en était besoin, de la démocratie.
Son dossier en cours sur l’EMI (Éducation aux médias et à l’information) devrait résoudre tous les problèmes, sauf que ni les enseignants ni les chefs d’établissements ne sont en mesure de mettre en pratique cet enseignement “salvateur de la république” ! Pour l’instant, à écouter les sirènes de la bourgeoisie, les profs seraient soit des héros comme dit précédemment (quitte à le payer de sa vie), soit des lâches qui capitulent devant le terrorisme et la barbarie. Il faut être clair : ce clivage est abject et les profs ne doivent pas être dupes et bien comprendre qu’ils sont sur un terrain pourri s’ils tombent dans le panneau et pensent pouvoir infléchir la donne et lutter contre le terrorisme avec leur petit tableau noir ou numérique. Alors, maintenant on assiste à de profonds débats sur : comment faire ? Le silence n’est-il pas plus dangereux que la parole, même si celle-ci heurte ? Doit-on aller jusqu’à signaler des enfants de moins de 10 ans qui “expriment leur solidarité” avec le terroriste lors de la minute de silence organisée par l’éducation nationale en hommage à Samuel ? Près de 800 signalements ont été rédigés ! Est-ce qu’il faut en déduire qu’il y a un péril scolaire de terrorisme en herbe et qu’il faudrait frapper fort ? Une fois de plus, la bourgeoisie a su utiliser la peur (bien légitime) pour que des profs “sonnés par l’horreur du crime” et, du coup, “trop résignés” fassent remonter tous ces signalements. Comment expliquer un tel nombre de remontées de signalements ? Je précise que j’ai fait toute ma carrière d’enseignante en lycée professionnel et, de fait, je pense être assez légitime pour, d’une part évoquer le désarroi des profs et, d’autre part, m’inquiéter sur la tournure qu’ont pris les événements. Tous les profs ont connu des séances où le cours tout d’un coup bascule sur un terrain “pourri” et, à cet instant, il faut savoir faire le choix entre écouter l’inaudible pour pouvoir y revenir dès que la tension sera redescendue ou sauter sur l’occasion pour faire parler les élèves. S’il fallait signaler à chaque fois qu’on entend des horreurs, on en serait à plusieurs milliers de signalements par an. En fait, ce qui pose problème, ce n’est pas tant les expressions des élèves que le fait qu’aujourd’hui, l’école n’est plus un sanctuaire et qu’elle fait partie intégrante de la vie sociale. Les enfants sont eux-mêmes victimes de leurs parents et des entourages extrémistes de tous poils, ne l’oublions pas ! Les grands débats sur comment doit s’exprimer la liberté d’expression au sein de la communauté scolaire est en fait un faux débat. Les profs sont coincés, d’une part dans leur rôle de fonctionnaires et, d’autre part, leur rôle d’éducateurs-pédagogues. Ouvrons les yeux : dans le système capitaliste, la cohabitation des deux objectifs est irréalisable. Alors, que faire ? Ce que font la plupart d’entre eux, le mieux possible au jour le jour dans des conditions parfois très difficiles pour accompagner leurs élèves bien au-delà des contraintes administratives (et même si, certains jours, on n’est pas très fiers d’arrondir le dos et d’espérer tout simplement que la journée va bien se passer). Visiblement, Samuel n’a pas eu l’occasion de finir sa journée et partir en vacances. Un décérébré a pu aller jusqu’au bout de sa trajectoire meurtrière. L’assassinat de Samuel nous rappelle que la seule bonne volonté et toute l’humanité mise au service de son travail (et ce prof n’en manquait pas !) ne suffisent pas à combattre la barbarie créée par le capitalisme. Pour conclure, je ferai le parallèle avec l’hommage rendu aux soignants au moment de la 1ère vague et, plus outrageusement encore, lors de la cérémonie du 14 juillet : pas de mots assez forts pour reconnaître leur dévouement, leur rôle essentiel, etc., les mettre en scène avec leurs bourreaux sous les feux des médias… mais dans le même temps, comme dirait Macron, aucune ou si peu de mesures prises pour les protéger contre le virus et leur permettre de soigner les milliers de malades. En direct avec le virus sans réelle protection, comme s’ils étaient eux aussi devenus des héros appelés à mourir sur le front. C’est vrai qu’on était “en guerre” et en temps de guerre, il y a des morts, beaucoup de morts… Silence, on tue !!!
Rosalie, le 20 décembre 2020
Liens
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[6] https://francais.rt.com/international/82563-gilets-jaunes-manifestants-pro-trump-ayant-envahi-capitole--comparaison-fait-debat
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