Soumis par Révolution Inte... le
Avec son nouveau plan de
"sauvetage de la sécurité sociale", le gouvernement Raffarin
s'apprête une nouvelle fois à réduire le coût du salaire social. C'est au tour
de la santé de faire les frais de ce nouveau plan d'austérité, après les
attaques significatives menées au printemps dernier vis-à-vis des pensions de
retraite et des indemnités de chômage en janvier dernier. Loin d'être une
spécificité nationale, ces attaques se développent et se généralisent à
l'ensemble des pays capitalistes qui avaient mis en place l'État-providence à
la fin de la Seconde Guerre mondiale en vue de reconstruire leurs économies
dévastées et qui avaient besoin pour cela d'une main d'oeuvre en bonne santé.
L'attaque actuelle sur le système de soins en France, comme en Allemagne il y a
quelques mois, signifie la fin du Welfare State et fait voler en éclats le
mythe des "acquis sociaux". Cette attaque révèle que, face à
l'approfondissement de la crise économique, au développement du chômage massif,
la bourgeoisie ne peut continuer à entretenir la force de travail en grande
quantité. La survie du capitalisme passe par une intensification de la productivité
du travail, la recherche d'une main d'oeuvre la moins chère possible, tout en
réduisant le coût de l'entretien de cette force de travail. Pour une grande
majorité de prolétaires, c'est la précarité et la misère, voire l'exclusion
définitive du système de production ou la mort comme on l'a vu pour les plus
démunis (personnes âgées, SDF, handicapés) lors de la canicule de l'été 2003.
Alors que cette attaque massive sur la santé nécessite une riposte massive et unitaire de l'ensemble de la classe ouvrière (ouvriers au travail, au chômage et retraités), les syndicats et leurs complices trotskistes et altermondialistes, détournent la réflexion ouvrière sur la faillite du capitalisme vers des mesures illusoires pour "sauver la sécurité sociale". Alors que cette attaque frontale de la protection sociale signifie qu'un pan supplémentaire de l'État-providence disparaît sous les coups de boutoir de la crise économique, nos défenseurs de la Sécurité sociale assènent le même mensonge : "La Sécu est une conquête de la lutte ouvrière, acquise à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans la continuité des acquis sociaux du Front populaire de 1936." Face à cette nouvelle falsification de l'histoire par l'ensemble des forces de gauche, gauchistes et syndicats, il est nécessaire de rétablir la vérité, en s'appuyant sur un bref aperçu historique de la mise en place des assurances sociales, puis sur la signification de la création de la Sécurité sociale en 1945 du point de vue des besoins du capitalisme. C'est cette réaffirmation de l'analyse marxiste qui peut permettre de comprendre que c'est la faillite historique de l'Etat-providence et du système capitaliste que la bourgeoisie cache au prolétariat en brandissant les oripeaux de la sécurité sociale.
De la solidarité politique du prolétariat
à son encadrement idéologique par l'Etat capitaliste
C'est le prolétariat durant la seconde moitié du 19e siècle, dans la phase
de développement du capitalisme, qui va développer dans un premier temps pour
faire aboutir ses revendications économiques (réduction horaire de la journée
de travail, l'interdiction de l'exploitation des enfants, du travail de nuit
pour les femmes, etc.) ses propres caisses de grève ou de secours, ses propres
mutuelles en cas de maladie ou de licenciement. Le plus souvent ce sont les
syndicats ouvriers qui gèrent la mise en place de cette solidarité économique
au sein de la classe ouvrière. Mais cette solidarité a un sens politique, car
au cours de ses luttes pour arracher une amélioration de ses conditions d'existence
et des réformes sur le plan politique, le prolétariat se constitue en classe
avec comme perspective, lorsque les conditions économiques seront à maturité,
la prise du pouvoir politique en vue de l'instauration de la société
communiste.
Avec le développement meurtrier de la Première Guerre mondiale, le capitalisme
signe la fin de son expansion économique et l'entrée de son mode de production
dans sa phase de décadence. Celle-ci se caractérise par une absorption de la
société civile par l'Etat. La bourgeoisie doit imposer sa domination de classe
sur l'ensemble de la vie économique, sociale et politique et c'est l'Etat qui
va remplir ce rôle. Face à ce changement de période, les syndicats vont devenir
une force d'encadrement de la classe ouvrière, au service du capital.
"L'Etat maintient les formes d'organisation des ouvriers (syndicats)
pour mieux les encaserner et mystifier. Le syndicat devient un rouage de l'Etat
et comme tel intéressé à développer la productivité, c'est à dire accroître
l'exploitation du travail. Le syndicat fut l'organe de défense des ouvriers
tant que la lutte économique eut un sens historique. Vidé de ce contenu ancien,
le syndicat devient sans changer de forme, un instrument de répression
idéologique du capitalisme d'Etat et de contrôle sur la force de travail."
("Sur le capitalisme d'Etat", Internationalisme 1952, repris dans la
Revue internationale n°21, 2e trimestre 1980).
Ainsi, l'Etat s'approprie directement, ou par le biais de sa police syndicale,
les différentes caisses de secours et mutuelles ouvrières et vide de son
contenu politique la notion même de solidarité ouvrière.
"La bourgeoisie a retiré la solidarité politique des mains du
prolétariat pour la transférer en solidarité économique aux mains de l'Etat. En
subdivisant le salaire en une rétribution directe par le patron et une
rétribution indirecte par l'Etat, la bourgeoisie a puissamment consolidé la
mystification consistant à présenter l'Etat comme un organe au-dessus des
classes, garant de l'intérêt commun et garant de la Sécurité sociale de la
classe ouvrière. La bourgeoisie est parvenue à lier matériellement et
idéologiquement la classe ouvrière à l'Etat." (Revue Internationale
n°115, page 13)
Non seulement la bourgeoisie fait apparaître l'Etat comme le défenseur des
classes laborieuses, mais la tentative de mise en place des premières
assurances sociales a pour objectif aussi d'encadrer le prolétariat.
Dans les années 1920, le projet des assurances sociales est porté par la
volonté d'instaurer la paix sociale par la participation des ouvriers à la
gestion nationale, comme le souligne le rapport Cerinda :
"Dans les conseils d'administration des assurances sociales se
trouveront réalisés le rapprochement et la collaboration fraternelle des
classes ; salariés et employeurs n'y défendront pas des intérêts antagonistes :
ils seront unis dans une même pensée : celle de combattre les deux grands
fléaux des travailleurs, la maladie et la misère. Ce contact permanent
préparera l'association de plus en plus étroite du capital et du travail."
(Citation page 86 du livre de Bruno Palier, Gouverner la Sécurité sociale,
éditions PUF)
Malgré cette volonté politique de l'Etat, du patronat et des syndicats de
mettre en œuvre ce projet d'assurances sociales obligatoires, ce n'est que
pendant la Seconde Guerre mondiale que le Conseil National de la Résistance
mettra au point l'organisation du régime général de la sécurité sociale.
1945 : la création de la Sécurité sociale,
une mystification au service de la reconstruction nationale
C'est au cours de la deuxième boucherie mondiale que la bourgeoisie,
consciente des millions de victimes que le conflit militaire va provoquer,
ainsi que des destructions et des ravages pour son économie mondiale, qu'elle
s'empresse de donner une justification morale à sa propre barbarie.
"Dans un message solennel au congrès prononcé le 6 janvier 1941, le
président Roosevelt a donné le premier une justification morale au conflit en
lui assignant notamment pour objectif une "libération du besoin" pour
les masses. Ce mouvement culmine en mai 1944 avec la déclaration de
Philadelphie de l'Organisation internationale du travail par laquelle les pays
membres font de la réalisation d'une véritable sécurité sociale un objectif
prioritaire de l'après-guerre. En conséquence, la sécurité sociale figure en
bonne place dans les buts de guerre définis par les Alliés." (Histoire
de la Sécurité sociale, 1945-1967, page 30, Bruno Valat, Ed.Economica)
Dès 1941, l'Angleterre met en chantier le développement des allocations familiales
et le "plan Beveridge" en 1942, en pleine guerre, crée une couverture
sociale étatique pour soutenir l'effort de guerre et le moral des troupes. En
Belgique, c'est en 1944 que se crée un système obligatoire de sécurité
collective sous le contrôle de l'Etat.
En France, alors qu'une partie de la bourgeoisie se retrouve dans le
gouvernement de Vichy[1],
l'autre partie en exil avec à sa tête le général de Gaulle, reprend cette
préoccupation. Il déclare en avril 1942 dans un message solennel à la Résistance
: "La sécurité nationale et la sécurité sociale sont pour nous des buts
impératifs et conjugués." (Bruno Valat, idem) Aussi n'est-il pas
étonnant que le programme de mars 1944 du Conseil National de la Résistance, où
les staliniens du PCF sont majoritaires, réclame un plan complet de sécurité
sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence.
Ainsi, loin d'être une victoire ouvrière, c'est surtout la capacité de la
bourgeoisie internationale à prévoir l'encadrement du prolétariat à la fin de
la guerre en vue de l'effort de reconstruction qui est à l'origine de la
généralisation des systèmes de protection sociale. Les années d'après-guerre
sont terribles pour les conditions de vie du prolétariat. Les salaires sont
bloqués depuis la guerre, l'inflation galope, dopée par un marché noir toujours
florissant, les tickets de rationnement existant depuis l'occupation vont être
maintenus jusqu'en 1950, y compris l'électricité et l'essence. La ration de
pain qui est de 200 g à l'été 1947, n'est que de 250 g en juin 1948. Le revenu
national en 1948 est encore inférieur de 4% à son niveau de 1938. Aux maigres
salaires et à la pénurie alimentaire se rajoutent un état sanitaire déplorable
et une démographie catastrophique. La mortalité infantile est en 1946 de plus
de 84 pour 1000, et la population adolescente souffre de rachitisme. Face à
cette situation, la bourgeoisie sait qu'elle ne pourra relever le capital
national avec une classe ouvrière autant affaiblie, d'autant plus que se
rajoute les pertes humaines de la guerre qui font que la main-d'œuvre fait
défaut. La création de la sécurité sociale, la médicalisation de la santé est
donc le moyen de se donner une force de travail et d'entretenir celle-ci à la
hauteur des enjeux de la reconstruction. En échange d'une surexploitation (la
durée de travail en 1946 est de 44 h et 45 h en 1947), le prolétariat va avoir
accès à une couverture sociale lui permettant de reconstituer sa force de
travail. Pierre Laroque, haut fonctionnaire, chargé de mettre en oeuvre la
sécurité sociale avec l'ordonnance du 4 octobre 1945, est explicite sur ces
objectifs, même s'il enveloppe la marchandise avec un couplet humaniste :
"Le but était d'assurer à la masse des travailleurs, et pour commencer
aux salariés, une sécurité véritable du lendemain. Cela allait de pair avec une
transformation sociale et même économique : l'effort qu'on leur demandait pour
la remise en marche de l'économie devait avoir une contrepartie".
Ainsi que le commente Bruno Palier : "En 1945, c'est aussi un
investissement politique immédiat, qui doit permettre d'obtenir la
participation des salariés aux travaux de reconstruction (…) Cette dimension du
plan français de Sécurité sociale, contrepartie aux efforts de reconstruction
(et à la modération des augmentations des salaires directs), qui apparaît comme
une sorte de contrat social de la Libération." (Ibid.)
Face aux critiques de certains parlementaires qui estiment trop important le
coût financier de la sécurité sociale, le socialiste Daniel Mayer, ministre du
travail en 1949, répond :
"Tout industriel considère comme normal et nécessaire de prélever sur
ces recettes les sommes indispensables à l'entretien de son matériel. La
Sécurité sociale, dans une large mesure, représente l'entretien du capital
humain du pays, qui est aussi nécessaire aux industriels que les machines. Dans
la mesure où la Sécurité sociale contribue à conserver le capital humain, à
développer ce capital, elle apporte à l'économie un concours que l'on ne
saurait sous-estimer." (Bruno Valat, idem).
C'est pour cela que dans un premier temps, la sécurité sociale sera réservée
aux travailleurs salariés, du fait que c'est sur eux que la bourgeoisie compte
pour redresser le pays et l'on renvoie à plus tard l'application du régime à la
population non salariée. On mesure ainsi le mensonge des syndicats sur la
création de la "Sécu" comme une conquête ouvrière, alors que cette
"concession" se fait au prix d'une surexploitation sans commune
mesure de la force de travail. Ainsi, en 1950, l'industrie française a presque
retrouvé le niveau de production de 1929. Comme en 1936, ce sont les staliniens
(PCF) grâce à leur engagement au sein de la résistance qui vont jouer un rôle
déterminant dans l'embrigadement du prolétariat pour la reconstruction. Plusieurs
ministres communistes seront présents dans le gouvernement du général de
Gaulle, appelant le prolétariat par la voix de son leader Thorez à "se
retrousser les manches" pour reconstruire le pays et dénonçant la grève
comme étant "l'arme des trusts", de même que la CGT aura le monopole
de la présidence des caisses d'assurance sociale jusqu'en 1947. (Voir notre
brochure, Comment le PCF est passé au service du capital) Par la suite, ce sont
les autres syndicats qui succèderont à la CGT.
La fin de l'État-providence
Si, dans les années qui suivent la guerre, la sécurité sociale va être
étendue à l'ensemble de la population, dès le début des années 1970, les
premiers signes de la crise économique viennent sonner le glas de ces
politiques sociales. La Sécurité sociale en soi ne pouvait fonctionner que dans
la mesure où le capitalisme pouvait garantir le plein emploi. Le développement
du chômage fait que les dépenses sociales augmentent plus vite que le Produit
Intérieur Brut (PIB). Face à cette situation, la bourgeoisie répond par des
mesures keynésiennes de relance de la consommation notamment en augmentant et
en créant de nouvelles prestations familiales sous conditions de ressources. Du
point de vue de la gestion du capitalisme, ces mesures vont augmenter de façon
considérable les déficits publics. Dorénavant, de 1975 jusqu'à aujourd'hui, la
bourgeoisie ne va pas cesser de courir après les déficits, avec notamment le
fameux "trou de la Sécu" qui semble un gouffre sans fin, malgré les
hausses permanentes des cotisations sociales et des baisses à répétition des
prestations sociales. Tout au long des années 1980 et 1990, les gouvernements
successifs de droite comme de gauche vont redoubler d'ingéniosité pour inventer
toutes sortes de taxes (alcools, tabac, essence) et de création de nouvelles
cotisations (CSG), accompagnées de multiples plans d'austérité qui se succèdent
tant sur le plan de l'assurance maladie que pour les retraites et les
allocations chômage. Le bilan est sans appel ! Non seulement la classe ouvrière
qui a encore du travail voit une partie toujours plus importante de son salaire
ponctionné pour financer les déficits et autres mutuelles complémentaires, mais
en plus le système de soins se dégrade compte tenu des réductions d'effectifs
dans le secteur de la santé et des plans d'austérité à répétition. Pour le
reste de la classe ouvrière et de la population, la perspective est à toujours
plus de paupérisation et d'exclusion sociale.
Ainsi, loin d'être une conquête ouvrière, la Sécurité sociale est par contre un
organe d'encadrement étatique réel. Grâce à la participation des syndicats à la
gestion des caisses d'assurance maladie, en compagnie du patronat, puis par la
suite des caisses de retraite et de chômage, cette gestion paritaire donne
l'illusion qu'on peut faire une politique qui va dans le sens des intérêts des
travailleurs[2].
Plus que jamais, les nouvelles attaques sur la santé signifient la faillite du
système capitaliste, la fin de l'État-providence et du mythe d'une couverture
sociale "du berceau à la tombe". Si les révolutionnaires sont
solidaires de leur classe face aux attaques tant sur le salaire direct que sur
le salaire social, en même temps nous dénonçons avec virulence le mythe d'une
Sécurité sociale mise en oeuvre par un Etat qui serait au-dessus des classes
sociales pour le bien-être des ouvriers. La préoccupation du capitalisme en
1945 était d'avoir une main-d'œuvre en bonne santé pour réussir la
reconstruction. En 2004, face à un réservoir sans fin de main-d'œuvre, le
capitalisme doit sacrifier une partie croissante de prolétaires pour maintenir
à bas coût l'achat de la force de travail, quitte à laisser crever les autres.
"Il n'est pas besoin de souligner que si la société socialiste défend
l'individu contre la maladie ou les risques de l'existence, ses objectifs ne
sont pas ceux de la Sécurité sociale capitaliste. Celle-ci n'a de sens que dans
le cadre de l'exploitation du travail humain et en fonction de ce cadre. Elle
n'est qu'un appendice du système." (Internationalisme 1952, repris
dans notre Revue Internationale n°21, 2e trim. 1980).
[1] La mystification qui consiste à présenter le gouvernement d'union nationale de 1945 de la "Libération", comme une rupture politique avec le régime de Vichy est un mensonge. Non seulement les partis de la résistance regroupés autour du général de Gaulle vont reprendre ce qui existait au niveau social sous Pétain (issu du modèle allemand de Bismarck) en l'élargissant, notamment la création de la retraite des vieux travailleurs et les allocations familiales (mesure votée à la fin de la 3e République), mais c'est la même administration et les hauts fonctionnaires de Vichy qui mettront en oeuvre la sécurité sociale. Quel que soit le régime, la continuité de l'Etat capitaliste est toujours préservée. (Voir à ce propos, le livre de Robert O. Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, éditions du Seuil, page 309)
[2] Non seulement, les syndicats sont un rouage de l'Etat, mais en plus ils vivent de façon parasitaire sur le dos de la classe ouvrière. En fait une des raisons pour lesquelles les syndicats sont autant attachés à préserver leur participation dans la gestion des assurances sociales, c'est que l'Etat leur verse des subsides conséquents pour cela, grâce aux multiples cotisations versées par les ouvriers. "La manne de l'assurance maladie prend aussi une forme sonnante et trébuchante. L'ensemble des partenaires reçoit des crédits au titre de la formation des administrateurs et des frais de secrétariat technique, les syndicats touchant en outre des fonds pour la formation aux questions de Sécurité sociale. En 1994, selon les chiffres de la caisse nationale, la CGT a reçu 10 millions de francs, FO 9,9 millions, la CFDT 9,3 millions, la CGC 6,2 millions et la CFTC 5,6 millions (avec environ 3 millions pour le patronat). Au total, de 1991 à 1994, la CNAM a versé 181,7 millions aux partenaires sociaux. Le tout sans grand contrôle sur leur utilisation…" (Les Echos, 28 juin 1995)