Soumis par Revue Internationale le

En août 2024, avant même l’élection de Donald Trump à un second mandat présidentiel, le CCI a proposé à d’autres groupes de la Gauche communiste la réalisation d’un appel commun[1] contre les tentatives croissantes de la bourgeoisie de mobiliser la population derrière le faux choix entre : être opprimé par des gouvernements libéraux démocratiques ou par des gouvernements populistes de droite. Cet appel visait à renforcer la dénonciation des mensonges et des fausses alternatives de la démocratie bourgeoise que seule la Gauche communiste est capable de prendre en charge de manière cohérente et intransigeante.
Malheureusement, cet appel du CCI a été rejeté par la quasi-totalité des groupes auxquels il était destiné, tout comme l’avait été par la plupart des groupes de la Gauche communiste un appel similaire pour une déclaration internationaliste commune contre la guerre impérialiste en Ukraine en février 2022. Aujourd’hui, un an plus tard, l’appel du CCI contre les campagnes démocratiques n’a rien perdu de sa pertinence en tant qu’expression politique de la Gauche communiste. Au contraire, il est encore plus pertinent !
Six mois après le retour de Trump au pouvoir, les attaques contre la classe ouvrière n’ont cessé de se renforcer : expulsions et détentions militarisées massives de travailleurs immigrés, coupes massives dans les prestations sociales et de santé, plus de 150,000 suppressions d’emplois dans la fonction publique fédérale... Une campagne à grande échelle a été lancée tant par l’aile « libérale » de la bourgeoisie que par les autoproclamés « socialistes » (Sanders, Ocasio-Cortez, etc.) –tous ceux qui sont alignés sur le Parti démocrate– pour mobiliser la population contre ces mesures. Non pas, bien sûr, pour mobiliser la classe ouvrière contre ces attaques, mais pour empêcher une telle mobilisation de se développer. La propagande des libéraux et de la gauche présente les attaques de la droite populiste non pas comme le fruit du système capitaliste dans son ensemble, dont ils sont également responsables, mais comme le résultat du mépris populiste des règles démocratiques, du mépris de Trump pour « l’État de droit », d’un manque de respect pour l’indépendance du pouvoir judiciaire bourgeois, pour le caractère sacré de la Constitution américaine et pour toutes les autres innombrables façades humanitaires qui dissimulent la dictature du capital sur le travail. L’objectif ainsi poursuivi était l’orchestration de mouvements massifs de protestation non pas pour proposer une réponse de la classe ouvrière, sur le terrain de ses propres intérêts de classe, contre toutes les fractions de la bourgeoisie (de droite comme de gauche), mais pour contenir et détourner la révolte vers une défense de l’État « démocratique » contre ses déviations populistes. Et cela a porté ses fruits.
La résistance au régime de Trump aux États-Unis s’est caractérisée par les protestations patriotiques de nombreux fonctionnaires fédéraux contre les licenciements massifs orchestrés par le Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) d’Elon Musk, par la révolte sur le terrain de la « démocratie » et du « Droit » bourgeois contre les expulsions massives de travailleurs immigrés par l’Immigration and Custom Enforcement (ICE), et enfin par la défense humanitaire du nationalisme palestinien contre le soutien de Trump au massacre d’innocents à Gaza par Israël.
Et ces actions de protestation démocratique ont eu tendance à se répercuter dans d’autres pays, car l’élection de Trump a participé à accroître la polarisation au sein de la bourgeoisie d’autres pays entre les factions populistes et démocratiques au cours de l’année 2025. En Corée du Sud, les factions démocratiques ont mobilisé d’énormes manifestations contre la tentative de coup d’État du président Yoon Suk-yeol. En Turquie, des foules massives sont descendues dans les rues pour « défendre la démocratie turque » en soutien au leader de l’opposition contre les diktats autocratiques du président Erdogan. En Serbie, il y a également eu des manifestations démocratiques de masse contre la corruption du président Vučić. Des mouvements similaires, plus ou moins importants mais reflétant la même motivation, ont eu lieu dans la plupart des autres pays.
Quelle doit être la politique de la classe ouvrière, seule force objectivement intéressée et capable de renverser le système social moribond actuel, face à ces mouvements souvent massifs de la population ? Et quel est donc le rôle de la fraction la plus avancée de la classe ouvrière, dont la tâche est de formuler une orientation pour l’ensemble de la classe ?
Les communistes doivent clairement dénoncer les attaques aussi bien démocratiques que populistes de la bourgeoisie et mettre en garde la classe ouvrière contre le danger de se mobiliser derrière ce qui relève, en réalité, de luttes entre différentes fractions de la classe dirigeante. Ils doivent appeler les travailleurs à lutter sur leur propre terrain, pour la défense de leurs propres intérêts contre la classe dirigeante dans son ensemble. Mais quelle tendance politique répond aujourd’hui à cette nécessité ?
Nous avons posé la même question dans notre Appel : « Quelles sont les forces politiques qui défendent réellement les intérêts de la classe ouvrière contre les attaques croissantes de la classe capitaliste ? Pas les héritiers des partis sociaux-démocrates qui ont vendu leur âme à la bourgeoisie pendant la Première Guerre mondiale et qui, avec les syndicats, ont mobilisé la classe ouvrière pour le massacre de plusieurs millions de personnes sous l’uniforme et dans les tranchées. Ni les derniers apologistes du régime “communiste” stalinien qui a sacrifié des dizaines de millions de travailleurs pour les intérêts impérialistes de la nation russe pendant la Seconde Guerre mondiale. Ni le trotskisme ou le courant anarchiste officiel qui, malgré quelques exceptions, ont apporté un soutien critique à l’un ou l’autre camp dans ce carnage impérialiste. Aujourd’hui, les descendants de ces dernières forces politiques se rangent, de manière “critique” derrière la démocratie bourgeoise libérale et de gauche contre la droite populiste pour contribuer à démobiliser la classe ouvrière.
Seule la Gauche communiste, bien que peu nombreuse, est restée fidèle à la lutte indépendante de la classe ouvrière au cours des cent dernières années. Lors de la vague révolutionnaire ouvrière de 1917-23, le courant politique dirigé par Amadeo Bordiga, qui dominait alors le Parti communiste italien, a rejeté le faux choix entre les partis fasciste et antifasciste qui avaient conjointement œuvré pour écraser violemment la poussée révolutionnaire de la classe ouvrière. Dans son texte “Le principe démocratique” de 1922, Bordiga a dénoncé la nature du mythe démocratique au service de l’exploitation capitaliste et du meurtre.
Dans les années 1930, la Gauche communiste a dénoncé les fractions de gauche et de droite de la bourgeoisie, fascistes ou antifascistes, qui préparaient le bain de sang impérialiste à venir. Lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté, seul ce courant a pu maintenir une position internationaliste, appelant à la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile par la classe ouvrière contre l’ensemble de la classe capitaliste dans chaque nation. La gauche communiste a refusé le choix macabre entre le carnage démocratique ou fasciste, entre les atrocités d’Auschwitz ou d’Hiroshima ».
Aujourd’hui, le courant communiste de gauche reste minoritaire et « à contre-courant » de tous ces débris politiques issus de la période contre-révolutionnaire qui a duré quelque 50 ans après la défaite de la révolution d’Octobre. Mais la perspective d’une nouvelle offensive de la classe ouvrière contre le capitalisme mondial a ré-émergé avec la reprise de la crise économique capitaliste ouverte et le réveil massif de la lutte internationale de la classe ouvrière à la fin des années 1960. La perspective de la reconstitution du parti communiste sur la base des positions de la Gauche communiste s’est alors de nouveau posée.
Le rejet de ces appels du CCI par la plupart des groupes de la Gauche communiste suggère que la majorité des groupes de cette tradition politique sont dans un état de sclérose et de dégénérescence, incapables qu’ils sont de reconnaître que leurs propres micro-partis font partie d’une tradition plus large, ni de percevoir l’importance, pour la classe ouvrière aujourd’hui et dans le futur, de l’intransigeance sur cette position contre la démocratie que la fraction italienne de la Gauche communiste a développée dans les années 1930. Par conséquent, la plupart de ces groupes sont incapables de la défendre de manière cohérente au sein de la classe ouvrière aujourd’hui comme à l’avenir, et tombent, en pratique, dans le discours opportuniste dominant de la gauche.
Ces groupes ont publié dans leur presse quelques articles et tracts en réponse aux campagnes et mouvements démocratiques actuels qui reflètent cette confusion. L’un d’entre eux en particulier est représentatif de leur vision et nous l’utiliserons pour mettre en évidence une illusion plus générale.
Tendance communiste internationale : Comment brouiller la distinction entre mouvements prolétariens et mouvements de défense de la démocratie bourgeoise
Un article du 22 juillet 2025 intitulé « Dans le sillage de la crise capitaliste : manifestations et émeutes – et la nécessité d’une expression indépendante de la classe » publié sur le site web de la TCI fait le point sur l’étendue des mobilisations en défense de la démocratie bourgeoise. L’article regrette ensuite que la classe ouvrière n’ait pas été capable de « s’affirmer comme une force politique indépendante dans ces manifestations » et propose comme solution que la classe ouvrière reprenne sa lutte à un niveau plus élevé et forme un parti communiste international pour relier cette lutte au renversement révolutionnaire du capitalisme. En outre, une lutte internationaliste contre la guerre impérialiste est nécessaire. Pour le moment, rien à remarquer
Dans la description que fait l’article des grandes manifestations contre les attaques de la droite populiste dans divers pays au cours de l’année écoulée, est totalement absente cette réalité que celles-ci ont été inspirées par la campagne démocratique menée par le reste de la bourgeoisie dans les principaux pays capitalistes –non pas, bien sûr, dirigées contre les attaques de la droite populiste contre les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, mais contre les « pratiques antidémocratiques » du populisme. Et c’est là une politique de la bourgeoisie pratiquée depuis au moins une décennie, depuis que le populisme est devenu une tendance politique dominante au sein des États bourgeois. De plus, l’article semble ignorer complètement que la bourgeoisie utilise depuis longtemps ses divisions politiques comme une arme idéologique contre son adversaire de classe prolétarien afin de le pacifier, de le détourner de son combat si possible et de noyer sa lutte révolutionnaire dans le sang, comme l'a brutalement démontré la contre-révolution menée par les sociaux-démocrates en Allemagne en 1919. Pourtant, la TCI est censée, s'inscrivant dans la tradition de la Gauche communiste, avoir tiré la leçon de la menace que la démocratie représentait pour le prolétariat. Nous examinerons plus loin cette tradition historique de rejet intransigeant de la démocratie par la Gauche communiste.
Or, son article est incapable d’identifier la nature bourgeoise de ces protestations démocratiques et passe sous silence la distinction essentielle que les révolutionnaires doivent faire entre les protestations démocratiques et les mouvements véritablement prolétariens : « Au cours de l’année écoulée, nous avons assisté à certaines des plus grandes manifestations depuis des décennies dans plusieurs pays. Ces luttes n’avaient pas un caractère de classe clair et variaient considérablement en termes de revendications principales et de facteurs déclencheurs. Mais même si la classe ouvrière n’a pas dominé ces manifestations, une grande partie de la classe (et dans une certaine mesure les organisations ouvrières et les activités de grève) a clairement été en mouvement, et aucun aspect des conditions de vie des prolétaires n’est épargné par l’accélération de la crise du capitalisme. Nous décrirons brièvement ci-dessous certaines de ces manifestations, ce que nous considérons comme leurs limites et ce que nous pensons être la voie à suivre ».
L’article relate ensuite les luttes en Corée du Sud, en Grèce, en Turquie, aux États-Unis et ailleurs, qui montrent en fait que, loin de ne pas avoir un « caractère de classe clair », elles se situent clairement, malgré la présence de nombreux travailleurs en leur sein, sur le terrain de la défense des valeurs démocratiques bourgeoises contre « l’autoritarisme » et « la corruption » liés à la montée du populisme politique, et n’ont rien à voir avec la défense des intérêts propres des travailleurs en tant que classe.[2]
L’article omet donc de mettre en garde la classe contre le danger de toute implication dans ces manifestations. Au contraire, il suggère qu’il est possible de les faire « avancer » (vers quoi ?) en surmontant leurs prétendues limites.
L’article confirme cette erreur en concluant : « En résumé, on peut dire que ces luttes sont dirigées contre la corruption et un développement de plus en plus autoritaire, et contre un État qui ne fournit plus les services de base face à l’aggravation de la crise capitaliste. Il ne s’agit pas de luttes purement prolétariennes, mais il est clair que des éléments importants de la classe ouvrière y participent. Elles sont l’expression d’un mécontentement et d’une frustration généraux qui couvent sous la surface et qui doivent parfois exploser ».
Les récentes luttes démocratiques dans divers pays montrent qu’elles sont très loin d’être des luttes prolétariennes même « impures ». Elles montrent au contraire que le mécontentement général et la frustration de la population sont toujours anticipés ou récupérés par la bourgeoisie et noyés dans des mouvements mystificateurs visant à défendre la démocratie et à empêcher la lutte de classe, malgré la présence de nombreux éléments de la classe ouvrière en leur sein.
Pour être correct envers la TCI, il convient de souligner que l’article tire les leçons du Printemps arabe de 2011 en Égypte et souligne que ce mouvement de masse, malgré les grèves massives dans l’industrie textile, a été noyé dans l’océan pollué de la lutte pour la démocratie bourgeoise. Mais l’article ne parvient pas à appliquer cette leçon aux mouvements démocratiques de 2025.
Vu l’incapacité de l’article de la TCI à mettre en garde contre le danger de confondre la lutte prolétarienne avec la lutte pour la démocratie, ou contre le danger d’agir comme s’il était possible de convertir un mouvement sur le terrain bourgeois en lutte prolétarienne, on comprend mieux pourquoi ce groupe a rejeté l’appel du CCI qui anticipait et adoptait une position claire contre les campagnes et les luttes démocratiques. Cet appel élimine effectivement la possibilité que de telles campagnes puissent être transformées en mouvements de classe.
Le rejet de l’appel par les autres groupes n’était pas dû à un désaccord avec la lettre de l’appel, mais avec son esprit : l’appel met en effet en évidence un fossé entre la Gauche communiste et toutes les autres tendances politiques (de l’extrême droite à l’extrême gauche) et empêche toute concession opportuniste à ces dernières.
De même, la TCI a rejeté l’appel internationaliste du CCI de 2022, non pas parce qu’elle était en désaccord avec les principaux arguments théoriques de cet appel, mais parce qu’en pratique, la TCI prétendait qu’il était possible de créer un mouvement internationaliste contre la guerre au-delà de l’intransigeance de la tradition de la Gauche communiste : une prétention qui a donné lieu au bluff de l’initiative « Not war but the class war ».
Les mobilisations démocratiques ne peuvent pas être transformées en mouvements prolétariens
L’idée que les mobilisations démocratiques actuelles seraient ambiguës ou fluctuantes dans leur nature de classe signifierait qu’elles pourraient, potentiellement, être transformées en mouvements prolétariens. Et la TCI n’a pas hésité à assumer cette logique infondée et erronée, même si les deux types de mouvements sont complètement antagonistes et incompatibles entre eux. Le sous-titre de l’article illustre parfaitement cette illusion : « De la guerre de rue à la guerre de classe ».
Un autre exemple se trouve dans un tract (11 juin 2025) de leur affilié américain, l’Internationalist Workers Group, contre l’offensive de l’ICE. Tout en soulignant que la présidence démocrate de Barack Obama avait expulsé plus d’immigrants que Trump, le tract déclare : « Les travailleurs, partout, doivent être prêts à se défendre, à défendre leurs voisins et leurs collègues contre les raids de l’ICE. Des comités d’action de quartier aux luttes sur les lieux de travail en passant par les manifestations de masse, la lutte doit être menée par la classe ouvrière en utilisant son immense force ».[3]
Mais le tract omet de mentionner que la réponse de classe dans les quartiers aux raids de l’ICE avait déjà été sabotée bien à l’avance par le Parti démocrate, comme l’indiquent ces déclarations de soutien de ses représentants : « Il [Trump] a déclaré la guerre. La démocratie est attaquée sous nos yeux. » (Gavin Newsome, gouverneur de Californie) ; « Nous sommes en guerre pour l’âme de notre pays, pour notre démocratie. » (Dolores Huerta, ancienne responsable syndicale et militante des droits civiques) ; « La protestation, menée pacifiquement, est le fondement de notre démocratie. » (Andrew Ginther, maire de Columbus, Ohio) ; « Nous défendons la démocratie, la justice et l’État de droit. » (Conseil démocratique juif d’Amérique).
La lutte désespérée des travailleurs immigrés contre les actions militarisées de l’ICE aujourd’hui (une agence qui existe depuis l’attaque des tours jumelles en 2001) avait déjà été mise sur les rails de la défense de la démocratie américaine contre « l’illégalité » des mesures trumpiennes, et contre le mépris populiste des « droits de l’homme », contre le mépris pour les lois et les procédures démocratiques. Ces mêmes Lois qui dissimulaient auparavant la brutalité des expulsions d’immigrés illégaux par les Démocrates. En d’autres termes, les protestations contre l’ICE, aujourd’hui, ne sont pas une lutte de classe contre les attaques de l’État capitaliste envers les travailleurs immigrés, mais une campagne pour la légalité bourgeoise et la restriction par le « Droit » de la brutalisation des travailleurs immigrés.
Pourtant, le tract de la TCI appelle la classe ouvrière à prendre en main la lutte contre l’ICE, à la transformer en un mouvement de classe. Cela signifierait, si cela était actuellement possible, le rejet de toutes les divisions et frontières nationales et la confrontation non seulement avec le visage militarisé de l’État incarné par l’ICE, mais aussi avec son visage démocratique alternatif et ses « Droits ». Bref, cela signifierait un mouvement complètement différent sur un terrain de classe différent. Cela ne serait possible que si la classe ouvrière avait déjà développé à un niveau politique sa propre lutte de classe pour ses propres intérêts. Mais comme le reconnaissent le tract et l’article de la TCI, cela est encore loin d’être une réalité.
Cependant, ni l’article ni le tract ne mentionnent les luttes salariales des travailleurs à l’échelle internationale au cours de l’année écoulée et depuis 2022 (y compris aux États-Unis), qui se sont développées sur un terrain de classe, qui se distinguent clairement des campagnes et mouvements démocratiques, et qui constituent la seule base pour la future lutte politique complètement différente du prolétariat en tant que mouvement autonome.
Une répétition d’autres erreurs opportunistes telles que celles commises dans le mouvement Black Lives Matter
Malheureusement, le tract et l’article de la TCI ne sont pas une erreur isolée, mais une répétition d’autres erreurs majeures commises par les groupes de la Gauche communiste, comme celle de la TCI (encore!) qui a imaginé que les émeutes et les manifestations « Black Lives Matter » contre le meurtre de George Floyd par la police, qui ont éclaté en 2020 pendant le premier mandat de Trump, étaient un mouvement de la classe ouvrière : « En 1965, tout comme en 2020, la police tue, et la classe répond en défiant l’ordre social corrompu pour lequel elle assassine. La lutte continue ».[4]
La TCI a ajouté que le mouvement « ne va pas assez loin » et ne devrait pas soutenir le Parti démocrate. Mais cela n’a aucun sens si le mouvement va déjà dans la mauvaise direction[5]. Cela a encore moins de sens quand on considère que les gauchistes, les spécialistes de l’affirmation que les mobilisations démocratiques peuvent, en effet, être « poussées plus loin », occupent déjà complètement ce terrain politique bourgeois et n’ont absolument pas besoin de l’aide de groupes communistes de gauche égarés !
Comme dans l’article sur les luttes démocratiques d’aujourd’hui, la TCI déclarait alors péremptoirement, sans se soucier de la situation concrète de la classe ouvrière que « la rébellion urbaine doit être transformée en révolution mondiale ».
Origines et histoire de ce vœu pieux opportuniste sur les mobilisations démocratiques
L’appel du CCI contre les campagnes démocratistes se base sur l’acquis majeur de la fraction italienne, Bilan, dans les années 1930, pour lequel « luttes démocratiques » et « lutte prolétarienne » sont antagoniques, toute confusion sur cette question s’avérant fatale.
La position de Bilan peut être résumée de la sorte : Les expériences "démocratiques" depuis 1918 ont montré que la défense de la démocratie est une négation de la lutte de classe, étouffe la conscience du prolétariat et conduit son avant-garde à la trahison ; « Le prolétariat trouve au contraire la raison de sa mission historique dans la proclamation du mensonge du principe démocratique, dans sa nature même et dans la nécessité de supprimer les différences de classe et les classes elles-mêmes » (Fascisme - Démocratie : Communisme ; Bilan n°13 - Novembre - Décembre 1934
La majorité de Bilan défendit ensuite cette opposition de principe contre l’idéologie démocratique au prix d’une scission avec une minorité de la fraction qui l’abandonna et partit combattre en Espagne en 1936 avec l’illusion que le conflit militaire de l’aile républicaine démocratique contre l’aile fasciste de la bourgeoisie était le précurseur d’une révolution prolétarienne plutôt que, comme la réalité le prouva, la préparation du massacre de la classe ouvrière dans une guerre impérialiste. La minorité de Bilan confirmait ainsi dans la pratique la position de Vercesi selon laquelle la défense de la démocratie conduit l’avant-garde prolétarienne à la trahison. Dans les années 1930, le rejet de l’antifascisme, c’est-à-dire le rejet de la défense de la démocratie bourgeoise, était le test décisif d’une tendance communiste.[6]
Il est à noter que –sans devoir renier leur intervention aux côtés des républicains en Espagne– des membres de cette minorité de Bilan furent intégrés plus tard au sein du Parti communiste internationaliste (PCInt) qui est l’ancêtre de tous les groupes de la Gauche communiste qui ont refusé l’appel du CCI contre les campagnes démocratiques.
Le PCint a été fondé en 1943 en Italie en tant que parti internationaliste de la gauche italienne, mais il était très hétérogène sur le plan politique. De nombreux militants qui n’avaient pas rompu avec les positions frontistes et antifascistes ont afflué vers ce nouveau parti. Les fondements mêmes sur lesquels le parti a été créé comportaient toutes sortes d’ambiguïtés, ce qui signifiait que le parti constituait une régression politique par rapport aux positions de la Fraction avant la guerre, les positions de Bilan. Tout en restant dans le camp prolétarien au sens général, le PCint n’a pas réussi à se démarquer des positions erronées de l’Internationale communiste, par exemple sur la question syndicale et la question de la participation aux campagnes électorales.
Seul le groupe de la Gauche communiste de France a su, pendant cette période, maintenir une position intransigeante contre la démocratie bourgeoise et poursuivre le travail politique de Bilan après la Seconde Guerre mondiale[7]
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le PCInt a développé une attitude ambiguë envers les groupes de partisans antifascistes en Italie –entièrement alignés sur la guerre impérialiste aux côtés des Alliés– qu’il pensait, en raison de la présence de travailleurs parmi eux, pouvoir en quelque sorte rallier à la révolution prolétarienne grâce à la participation du PCInt dans leurs rangs.[8]
Lorsque le PCint s’est scindé en 1952, cette confusion initiale autour de sa formation n’a pas été clarifiée par la suite, y compris par Battaglia Comunista (aujourd’hui la TCI), malgré ses critiques du bordiguisme lors de la scission. Il était donc inévitable que cette même attitude conciliante envers les luttes démocratiques continue à se manifester.
En 1989, avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement des régimes du bloc de l’Est, Battaglia a interprété à tort la colère de la population contre le régime honni de Nicolae Ceausescu en Roumanie comme une « véritable insurrection populaire », alors qu’en réalité, la population se mobilisait derrière l’opposition plus démocratique pour le remplacer. En ce qui concerne les revendications démocratiques des luttes ouvrières de l’époque en Russie même, Battaglia, tout en admettant que ces revendications peuvent être utilisées par une aile de la bourgeoisie, a déclaré : « Pour ces masses imprégnées d’anti-stalinisme et de l’idéologie du capitalisme occidental, les premières revendications possibles et nécessaires sont celles qui visent à renverser le régime “communiste”, à libéraliser l’appareil productif et à conquérir les “libertés démocratiques” ».[9]
Il est clair que l’ambiguïté dans la pratique de ces groupes quant au rejet des luttes démocratiques a une longue histoire. Mais il est impératif que l’intransigeance de classe sur ce principe soit renforcée par la Gauche communiste, non seulement pour la lutte de classe aujourd’hui, mais aussi pour la lutte révolutionnaire de demain et pour la formation de son parti de classe, qui dépendra dans une large mesure du rejet de toute conciliation avec l’une ou l’autre des formations politiques de la classe dominante, qui exploite ses divisions pour entraver cette perspective.
Como, 8 septembre 2025
[1] « Pour un Appel de la Gauche communiste contre la campagne internationale en faveur de la démocratie bourgeoise », publié sur le site web du CCI et envoyé à l’ensemble des groupes de la Gauche communiste (2024).
[2] Pour un compte-rendu complet, lire les deux articles suivants : Manifestation pour la défense de la démocratie aux États-Unis : La bourgeoisie tente d’enfermer la classe ouvrière dans le piège de l’antifascisme ; Corée du Sud, Serbie, Turquie… Les travailleurs ne doivent pas se laisser embarquer dans des mobilisations pour la défense de la démocratie bourgeoise
[5] Pour un compte rendu complet, lire Les groupes de la Gauche Communiste face au mouvement Black Lives Matter : une incapacité à identifier le terrain de la classe ouvrière
[6] Voir la brochure du CCI « La Gauche communiste italienne 1926-1945 », en particulier le chapitre « 1933-1939 Bilan, étapes importantes sur la voie de la défaite ».
[7] Pour davantage d’information à propos de ce groupe dont le CCI est directement issu, lire : À l’origine du CCI et du BIPR, I – La fraction italienne et la gauche communiste de France . Revue internationale n° 90.
[8] Les ambiguïtés sur les « partisans » dans la constitution du parti communiste internationaliste en Italie ; Revue Internationale n° 8
[9] Polémique : le vent d'est et la réponse des révolutionnaires ? Revue internationale n° 62.