Le soir du 14 décembre, la RTBF annonçait la fin de la Belgique, le parlement flamand ayant voté l'indépendance. Ce n'est qu'au bout d'une demi-heure que la RTBF consentit à prévenir les téléspectateurs en plaçant en sous-titre: "ceci est peut-être une fiction". Les réactions outrées des principaux dirigeants politiques relèvent de la plus haute comédie. Qui peut croire que ces gens-là n'étaient pas au courant du contenu de cette "politique-fiction" en chantier depuis deux ans, dont le thème central, l'éclatement de la Belgique, n'en est plus au coup d'essai sur les ondes nationales? Au-delà de la grotesque théâtralisation par les médias et les milieux politiques pour forcer le trait, il faut surtout constater que cette émission "électrochoc" sur le communautaire n'est pas tombée n'importe quand : elle a eu lieu au moment même où l'ensemble de la population et de la classe ouvrière du pays se préoccupait du coup sauvage porté aux travailleurs de VW. La RTBF aurait mieux fait de sous-titrer son émission : "ceci n'est sûrement pas un hasard".
Certes, les tensions communautaires ont leurs racines historiques dans la constitution même de l'Etat belge (lire nos articles sur la question dans Internationalisme 319, 321 et 323). Celui-ci était une création contre-révolutionnaire et artificielle, mis en place par les grandes puissances de l'époque, comme un cadre étriqué et non progressif, défavorable pour l'industrialisation et l'instauration de rapports sociaux modernes. C'est en particulier l'entrée en décadence du capitalisme qui mettra inexorablement à nu le manque inhérent de cohésion de la "nation belge" et tendra à exacerber de plus en plus les contradictions au sein de la bourgeoisie. L'extension de la décomposition et du "chacun pour soi" dans le monde à la fin du 20ème siècle renforce encore les poussées centrifuges et les tensions communautaires, et rend la recherche et l'imposition de ces équilibres de plus en plus difficiles, ce qui débouche régulièrement sur des rapports à couteaux tirés entre fractions régionales de la bourgeoisie belge et leurs partis politiques. Toutefois, malgré ces difficultés permanentes, inhérentes à la constitution de son Etat, la bourgeoisie belge a toujours réussi à exploiter de manière magistrale ses propres faiblesses contre la classe ouvrière, faisant même des divisions et oppositions communautaires un de ses fers de lance dans l'encadrement et le sabotage des combats ouvriers. Depuis 50 ans, elle les utilise systématiquement pour empêcher l'unification de la classe ouvrière sur son terrain de lutte, en jouant les différences entre les régions : l'arme régionaliste fut un puissant instrument pour contenir et désamorcer les combats contre la fermeture des mines, d'abord en Wallonie, puis en Flandre, de la sidérurgie wallonne et des chantiers navals flamands. Et aujourd'hui, les médias bourgeois martèlent à longueur de journée que " l'enseignement serait plus performant en Flandre", "les chômeurs moins sanctionnés en Wallonie", etc. De même, une des forces de l'encadrement par les syndicats est le fait qu'ils séparent non seulement les travailleurs par secteurs et par usines, mais également par région.
Or, la terrible agression contre les travailleurs de VW allait diamétralement à l'opposé de cette tendance : du fait de la position géographique de l'usine (Bruxelles), et surtout du fait de la composition de la force de travail en parties quasi égales de travailleurs des deux régions, la carte de la mystification régionaliste, de la division entre Wallons et Flamands n'a pu être exploitée dans l'imposition de la restructuration de VW. Tout au contraire même, à travers l'attaque en soi mais aussi à travers les expressions de solidarité venant de l'ensemble des régions, un début de prise de conscience commençait à s'exprimer parmi les travailleurs que l'ennemi n'est pas le travailleur wallon ou flamand, mais un système sans perspectives et les forces qui le défendent; un début de prise de conscience donc, qui remet en question ce qui constitue historiquement un des barrages fondamentaux mis en place par la bourgeoisie belge contre le développement de la lutte ouvrière, en particulier en période de décadence (prise de conscience que patrons, syndicats et partis ont d'ailleurs essayé de limiter en instillant l'idée que c'étaient les travailleurs allemands qui étaient responsables du choix de VW de licencier en Belgique plutôt qu'en Allemagne). Cette compréhension, pour la bourgeoisie, il fallait à tout prix la contrer en remettant au centre de l'attention les contradictions traditionnelles afin d'empêtrer à nouveau les travailleurs dans les filets des mystifications bourgeoises.
Pour tout cela, la classe ouvrière n'a pas à s'impliquer dans les multiples mystifications que cette campagne développe, ni à prendre en compte les illusions de la prochaine foire électorale où nous verrons monter les discours communautaires d'une part, et de l'autre les accents visant à maintenir la cohésion de l'Etat. Tirant les leçons du conflit chez VW, la classe ouvrière doit continuer à lutter en s'efforçant de se dégager de tous les pièges qui jalonnent le parcours de la reconquête de son identité de classe : contre toutes les divisions sectorielles, régionales, nationales. C'est l'enjeu central de la lutte de classe pour le futur.
L'Organisation Communiste Libertaire en France (OCL) a publié dans son mensuel Courant Alternatif de l'été 2006 un long dossier au titre des plus prometteur : "Les émeutes de banlieues au regard du mouvement anti-CPE". Rares sont les organisations qui aujourd'hui reviennent ainsi sur la lutte exemplaire du printemps dernier. Le mouvement des étudiants en France est pourtant une mine d'or pour l'ensemble du prolétariat mondial. Sa dynamique et ses méthodes sont autant de leçons pour développer partout la prise en main des luttes par la classe ouvrière. Vouloir comprendre les émeutes des banlieues "au regard du mouvement anti-CPE" est donc de toute première importance. Et l'OCL pose d'emblée la bonne question : "L'immense élan de solidarité dont a bénéficié au début de l'année 2006 la jeunesse scolarisée mobilisée contre le CPE [...] incite à se repencher sur la révolte sociale qu'ont connu de nombreux quartiers populaires à l'automne dernier [...] Pourquoi cette révolte-là a-t-elle pour sa part obtenu aussi peu de sympathie dans la population ?"
Mais pour cette organisation libertaire, cette belle déclaration d'intention n'est en fait qu'un alibi pour cracher colonne après colonne sur le mouvement du printemps et dénigrer les étudiants en lutte.
En réalité, pas une seule fois l'OCL ne se penche sur les émeutes "au regard du mouvement anti-CPE". Pas une seule fois elle ne tente de comprendre "au regard" des Assemblées Générales (AG) ouvertes à tous les ouvriers et aux mots d'ordres unificateurs de la lutte des étudiants, pourquoi la mise à feu des quartiers les plus populaires n'a fait qu'engendrer la peur et le repli de la grande majorité des travailleurs, que faciliter le renforcement de la politique sécuritaire et des mesures répressives de l'Etat.
Au contraire, en se couvrant des oripeaux de la radicalité, l'OCL se livre à une apologie de la violence, justifiant point par point les incendies des bus, des écoles, des voitures, des gymnases... pour prouver que ce "ne sont pas des actes gratuits", que ces "cibles" représentent une révolte contre tout ce qui opprime les jeunes des cités au quotidien. La preuve nous dit-elle : "Pourquoi cibler des véhicules personnels [...] ? Parce que, quand entre un tiers et deux tiers des ménages de certaines banlieues n'ont pas les moyens d'en posséder, avoir une voiture devient presque - comme un emploi stable - un truc de privilégiés pour certains jeunes." Eh bien justement, attaquer son voisin parce qu'il est un peu moins dans la misère est l'antithèse du combat prolétarien. Evidemment que la colère de ces jeunes émeutiers est légitime, que leur vie présente et à venir est insupportable et inacceptable, mais emportés par la rage du désespoir et le "no future", ils ne peuvent que s'exprimer sur le terrain pourri de la haine et de la destruction.
Ces émeutes ne pouvaient déboucher sur aucun mouvement de solidarité de la part de la classe ouvrière. Même si de nombreux ouvriers pouvaient "comprendre" la colère de ces jeunes exclus, ils en étaient surtout les premières victimes. A aucun moment, ils ne pouvaient se reconnaître dans de telles méthodes parce qu'elles n'appartiennent pas à la lutte de classe.
C'est pourquoi l'Etat a multiplié les provocations lors du mouvement anti-CPE, espérant entraîner à leur tour les étudiants dans l'impasse de la violence des émeutes. L'objectif était clair : briser "l'immense élan de solidarité", briser la dynamique de développement de l'unité et de la confiance du prolétariat en faisant passer ces jeunes manifestants pour des voyous et ainsi faire peur aux travailleurs qui se joignaient à chaque manifestation toujours plus nombreux aux cortèges. Début mars, la Sorbonne fut assiégée par des troupes de CRS armés jusqu'aux dents, créant au Quartier latin une atmosphère de guerre urbaine. Les étudiants pris au piège, refusant de céder, étaient privés d'eau et de nourriture. Tout a été fait pour les faire craquer et provoquer des affrontements. Mais les étudiants n'ont pas craqué. Le 16 mars, rebelote : le gouvernement, avec la complicité des organisations syndicales avec qui sont négociés les trajets des manifestations, tend une véritable souricière aux manifestants parisiens qui se retrouvent coincés en fin de parcours par les forces de police. Mais une nouvelle fois, ils ne tombent pas dans le piège de l'excitation du face à face musclé 1 . Et, une nouvelle fois, les médias travestiront totalement le déroulement de cette journée en braquant toutes leurs caméras sur les quelques centaines de jeunes des banlieues qui se livreront, à la marge du cortège, à des jets de pierres et autres violences stériles. Enfin le 23, c'est avec la bénédiction des forces de police que des bandes s'en sont pris aux manifestants pour les dépouiller ou pour les tabasser sans raison. Et ce n'est pas qu'en France, mais à l'échelle internationale que la bourgeoisie a tenté ainsi de focaliser l'attention de la classe ouvrière sur le terrain pourri de la casse et de la castagne anti-flic. En Angleterre, aux Etats-Unis... les journaleux n'avaient que le mot "riots" 2 à la bouche.
A la lumière de ces faits, les prises de position de l'OCL apparaissent purement nauséabondes. Pour elle, la seule chose à retenir de positif du mouvement anti-CPE est justement cet esprit de destruction : "Une minorité active s'est efforcée de le radicaliser, à la fois par des actions violentes en marges des manifs ou des occupations sauvages." L'OCL réaffirmait plus loin : "Une minorité radicalisée d'étudiants ou de militants révolutionnaires s'est montrée décidée à en découdre avec la police et à détruire des vitrines ou d'autres symboles de la société de consommation." Et ce sont ces actes "héroïques" qui sont censés représenter une "cohabitation dans une même démarche violente" avec "ceux et celles venant des quartiers populaires". Voici enfin apparaître le vrai visage de cette solidarité envers les jeunes des banlieues tant prônée par l'OCL : reprendre à son compte les méthodes émeutières, encourager l'ensemble de la jeunesse et des travailleurs à se plonger dans cette fournaise et cette lutte sans perspective. L'OCL ne fait donc rien d'autre que le jeu de l'Etat qu'elle proclame tant haïr. C'est justement cette "minorité radicalisée d'étudiants" et ces "militants" soi-disant "révolutionnaires" que la bourgeoisie a utilisé pour tenter de décrédibiliser le mouvement et y introduire la crainte, la méfiance et la division.
Mais l'OCL ne se contente pas de faire le jeu de la bourgeoisie, elle va plus loin encore en dénigrant sans vergogne la lutte des étudiants : "On apprécie mieux ici les graves conséquences qu'a eues pour les jeunes des cités populaires l'arrêt de la mobilisation anti-CPE : en lâchant sur ce point, le gouvernement a obtenu les coudées franches pour appliquer tels quels le reste de la loi sur l'égalité des chances et le CESEDA sur l'immigration." Il fallait oser ! Les incessantes attaques qui pleuvent aujourd'hui sur la classe ouvrière auraient été facilitées, in fine, avec la lutte de ce printemps. Plus abject encore : "La ‘victoire' du mouvement anti-CPE a [...] été obtenu en partie sur le dos des jeunes cantonnés au bas de l'échelle sociale, en sauvegardant pour d'autres l'espoir d'en gravir les échelons." Les étudiants seraient donc finalement des petits bourgeois se battant pour leur pomme, pour maintenir leurs privilèges, sans se soucier des autres travailleurs et encore moins des jeunes des banlieues, ils seraient des individus "soucieux de passer des examens pour grimper dans la hiérarchie sociale". Rien n'est plus faux ! 3
La réalité, c'est au contraire que les étudiants conscients de leur précarité présente et à venir se sont reconnus dans la classe ouvrière. Ils se sont battus massivement pour l'avenir de TOUTE la société, pour toutes les générations, pour les chômeurs et les travailleurs précaires, et donc aussi pour donner une perspective aux jeunes des banlieues et leur permettre de surmonter le désespoir qui les a poussés dans une violence aveugle en novembre 2005. La faculté de Censier à Paris a constitué une "commission banlieues" chargée d'aller discuter avec les jeunes des quartiers défavorisés, notamment pour leur expliquer que la lutte des étudiants et des lycéens est aussi en faveur de ces jeunes plongés dans le désespoir du chômage massif et de l'exclusion. Régulièrement dans les AG, des interventions retentissaient : "En refusant le CPE, nous luttons autant pour nous que pour les plus démunis." La démonstration la plus éclatante en est sans nul doute la revendication d'amnistie pour tous les jeunes condamnés durant "l'automne chaud" de 2005. Contrairement aux mensonges colportés par l'OCL, la force du mouvement anti-CPE, la capacité des étudiants à porter dans la lutte un sentiment de solidarité a eu un résultat immédiat : celui d'embarquer dans ce combat la très grande majorité de la jeunesse des banlieues. Au fur et à mesure du développement de la lutte, les élèves des lycées des banlieues sont venus de plus en plus nombreux grossir les rangs des manifestants, laissant à la marge, minoritaires, les racketteurs et autres petits délinquants. Alors que les émeutes ne pouvaient entraîner qu'une partie des jeunes dans une hystérie de violence tandis que l'autre partie se cloîtrait apeurée, la lutte des étudiants, ses méthodes et ses buts, ont offert à la fois, une autre façon de se battre et une perspective.
C'est bien parce que le mouvement de la jeunesse scolarisée contre le CPE s'est approprié les véritables méthodes de lutte de la classe ouvrière (notamment les assemblées générales, les mots d'ordre unitaires et les manifestations de rue) qu'il a pu bénéficier de la sympathie et de la solidarité active d'un nombre croissant de prolétaires. C'est justement parce que le mouvement contre le CPE était basé non pas sur la destruction des quartiers ouvriers mais sur la solidarité entre les générations, entre tous les secteurs de la classe ouvrière, contre les attaques de la bourgeoisie, qu'il a pu attirer vers lui des milliers de jeunes plongés dans le désespoir quelques mois auparavant et constituer une force sociale capable de faire reculer le gouvernement.
Pawel /19.11.2006
(1) Lire l'encart de cette même page traitant spécifiquement de la question de l'affrontement aux forces de l'ordre.
(2) "Riots" signifie "émeutes" en anglais.
(3) Il est ainsi des plus comiques de pouvoir lire dans la conclusion de ce dossier: "Il faut rechercher en priorité l'établissement d'une solidarité entre prolétaires, en faisant ressortir le lot commun de l'exploitation capitaliste et de la précarité qui menace toutes et tous, (sans pouvoir s'empêcher de rajouter) quoique à des degrés divers."
A partir de la propagande que vous diffusez ou des articles sur votre site, je n'arrive pas à me faire une idée claire, et je me demande si des internationalistes, des communistes de gauche manifesteront demain.
Ne vous trouvez-vous pas derrière une manifestation destinée à exprimer la solidarité avec les travailleurs de chez VW, une manifestation surgie de la colère de la base ? Ce n'est tout de même pas parce que les dirigeants syndicaux n'ont entrepris aucune action directe, parce qu'ils sont soumis à la politique bourgeoise, que nous devons laisser tomber les ouvriers ? (MB)
Notre réponse:
Cher camarade,
Tu as tout à fait raison d'affirmer qu'on ne peut laisser tomber les travailleurs. Et il est tout aussi incontestable qu'il est fondamental d'exprimer notre solidarité avec les travailleurs licenciés de VW. Mais comment est-ce que les révolutionnaires peuvent exprimer leur solidarité avec les ouvriers de VW ? Pour nous, les révolutionnaires ont avant tout la responsabilité d'être aussi clairs que possible quant aux perspectives qui se dessinent pour la lutte et son organisation : ne pas raconter d'histoires aux travailleurs, ne pas les bercer d'illusions, mettre en avant leurs vraies forces et dénoncer leurs faux amis et les pièges qu'ils leur tendent.
C'est pourquoi les internationalistes dénoncent les fausses oppositions nationalistes, tout comme les tentatives de faire croire que gouvernement, patrons et travailleurs seraient solidaires pour la sauvegarde de l'économie nationale. C'est pourquoi aussi, comme nous l'avons fait dans le tract, ils mettent en évidence que les syndicats sont aujourd'hui des saboteurs professionnels de la lutte et qu'une condition cruciale pour son développement est la prise de contrôle du combat par les travailleurs eux-mêmes, à travers des assemblées générales quotidiennes souveraines.
Pour défendre ces perspectives, le CCI a largement diffusé un tract sur les licenciements à VW non seulement à l'usine même, mais dans de nombreux endroits, dans plusieurs villes partout en Belgique, car les questions posées par le conflit à VW concernent toute la classe ouvrière. Le tract a également été mis sur le site Internet du CCI et traduit en allemand, ainsi qu'en d'autres langues. Par ailleurs, le CCI était également présent lors de la manif du 2/12 pour y diffuser le tract, y vendre sa presse et pour discuter avec les travailleurs. Dans le but de développer la plus large discussion possible sur les perspectives du mouvement, nous avons également organisé le même jour une réunion publique spéciale et consacrons aujourd'hui une large place aux leçons du conflit dans notre journal. Nous ne pouvons que t'encourager, ainsi que tous nos lecteurs, à participer à cette réflexion, de sorte que le combat des ouvriers de VW puisse fournir des armes pour les combats futurs de la classe ouvrière.
Internationalisme
1. Cette "gauche socialiste "appelle tout d'abord les travailleurs à se mobiliser contre "l'arrogance des multinationales" et les "superprofits" de certains riches actionnaires : "Volkswagen supprime 4.000 emplois en Belgique et 20.000 en Allemagne. Pourtant, le groupe et ses actionnaires croulent sous l'argent" ; "Si des milliers de familles vivent dans l'angoisse aujourd'hui en Belgique, c'est notamment pour enrichir un peu plus la famille Porsche, 5e fortune allemande avec 5,1 milliards d'euros" (Solidaire/ PTB, 29/11). Comme si les entreprises belges ne rationalisent et ne délocalisent pas ! Comme si le fondement de la spirale de destruction économique et guerrière qui entraîne le monde aujourd'hui était les superprofits de quelques familles richissimes ! A travers de telles argumentations ces organisations occultent en réalité les véritables causes de la catastrophe qui touche notre monde. Le problème n'est pas l'avidité de quelques grigous mais la crise mortelle qui touche les fondements mêmes du mode de production capitaliste et révèle que celui-ci est historiquement dépassé. Ce que les licenciements massifs comme chez VW soulignent tragiquement, c'est précisément l'effondrement inexorable de ce système économique décadent dont la longue agonie va de pair avec une succession ininterrompue de catastrophes économiques et de massacres guerriers.
En mettant tout particulièrement en accusation les multinationales et les "grosses fortunes", ces groupes "gauchistes" instillent par la même occasion l'idée que la classe ouvrière doit presser l'Etat national d'agir en tant qu'allié potentiel des travailleurs : ainsi, à propos de VW, ils affirment que "si la multinationale ne revient pas sur sa décision, le gouvernement doit exiger le remboursement des avantages fiscaux accordés. Voire saisir le capital d'un milliard d'euros de son centre de coordination" (Solidaire 29/11). Cet Etat capitaliste qui impose l'austérité, réprime les luttes et attaque en permanence les conditions de vie de la classe ouvrière, celui qui licencie à la SNCB et à la poste, est donc présenté comme l'allié dont la classe ouvrière devrait attendre le salut !
2. Cette même "gauche socialiste" avance comme perspective le combat pour l'aménagement des conditions de travail et de vie au sein du système. Ainsi, le PTB appelle-t-il les ouvriers de VW à lutter pour l'imposition d'une nouvelle organisation de la production : "imposer une nouvelle répartition de la production dans le groupe", "une redistribution équitable des modèles et de la production sur les différents sites européens" (tract "touche pas à mon job"/ PTB). En d'autres mots, faire pression sur les patrons pour une "répartition plus équitable' de l'austérité, voire demander aux ouvriers d'autres pays d'accepter plus d'austérité "par solidarité" !!
D'autres semblent avancer des perspectives plus "radicales" : ils insistent sur la pression que la lutte doit exercer sur "les pouvoirs publics' afin de mettre en place une gestion de l'économie et de la reconversion pour le bien des travailleurs : "Des pouvoirs publics vraiment au service des intérêts des travailleurs prendraient en mains le site de Forest, maintiendraient tous les emplois et y réorienteraient la production sur base d'un débat de société sur la mobilité" (tract du MAS) ; "une politique qui renforce le contrôle des travailleurs et de leurs représentants dans les entreprises, afin que de vraies alternatives puissent être mises en avant. (...) reconversion de la production, sous contrôle des syndicats et des travailleurs" (tract du "Comité Autre Politique").
L'ensemble de ces propositions contiennent le même leitmotiv : les actions doivent exercer une pression en vue d'aménager le système, d'introduire des réformes en faveur des travailleurs. L'idée naturellement sous-jacente est que travailleurs et capitalistes sont fondamentalement dans le même bateau et qu'une pression suffisante sur les "riches" doit permettre de trouver un meilleur équilibre social et écologique. Avec de telles orientations, les "gauchistes" escamotent la crise historique du capitalisme et les vrais enjeux qui en découlent : la politique d'austérité des 30 dernières années tout comme la misère, les massacres guerriers et le chaos au niveau mondial ne sont pas le produit de la mauvaise volonté de 'riches actionnaires" mais d'un système économique et politique à la dérive. Il ne s'agit donc plus de réformer le capitalisme mais de le détruire avant qu'il ne détruise l'humanité. Car, pour sauvegarder ses privilèges, la bourgeoisie n'hésite pas à plonger la classe ouvrière dans la misère la plus noire, à l'utiliser comme chair à canon et à plonger l ‘humanité dans la pire barbarie.
3. Derrière leur langage radical, PTB, POS et MAS appellent fondamentalement à se battre pour renforcer l'Etat démocratique, qui serait un barrage protégeant les travailleurs contre les excès de la "logique néo-libérale". La classe ouvrière devrait défendre la "dimension sociale" de l'Etat démocratique contre les dérives néo-libérales et la pression sur les "instances publiques' permettrait de garantir ou de rétablir des conditions sociales acceptables et de réduire l'impact des restructurations : "diminution du temps de travail sans perte salariale dans les différentes usines du groupe" ; "Prépension à 55 ans pour tous" (tract "touche pas à mon job"/ PTB) ; "Le pacte de solidarité doit être ramené" (tract du mouvement syndicaliste de base 15DeBe/ Mo15De). Que cette défense de l'Etat démocratique soit posée au niveau belge ou même au niveau d'une "politique européenne qui limite le pouvoir des actionnaires et arrête la compétition entre -générations et entre pays" (tract du "Comité Autre Politique", mouvement pour une nouvelle gauche socialiste), l'image d'un Etat social protégeant le travailleur dans le cadre de la démocratie est de toute façon un leurre. Effectivement, ce sont bien les Etats capitalistes et leurs gouvernements qui, à coup de plans d'austérité et de pactes pour l'emploi, la compétitivité et les générations, augmentent la flexibilité et réduisent les conditions de vie de la classe ouvrière.
Non seulement, l'Etat démocratique serait censé protéger le travailleur ; il permettrait carrément, grâce à un "véritable plan de reconversion", d'accompagner une reconversion vers une société respectueuse de l'homme et de la nature : "La défense de l'emploi des travailleurs de ce secteur implique donc, à terme, sa reconversion dans la production de biens socialement utiles et écologiquement supportables. L'usine de Forest pourrait, par exemple, se consacrer à la production des véhicules de transport en commun et du matériel devant équiper le RER bruxellois ou lancer une initiative publique de production d'un véhicule sûr et écologique " (tract du POS). Cette proposition, au delà même de son caractère chimérique, illustre une fois de plus le caractère mystificateur et suicidaire de la perspective présentée par ces groupes aux travailleurs.
Bref, l'argumentation des groupes "gauchistes" vise à imposer l'idée que l'Etat, au lieu de se mettre au service des patrons, pourrait défendre les ouvriers, qu'il pourrait être un Etat-protecteur des salariés et non plus "au service du patronat". Rien n'est plus faux. Dans le capitalisme décadent, c'est en vérité l'Etat qui coordonne toutes les attaques de la bourgeoisie, c'est lui qui mène les attaques les plus générales qui touchent l'ensemble de la classe ouvrière : sur les retraites, sur la Sécurité sociale, contre les chômeurs. C'est lui qui décide quels secteurs économiques doivent être "restructurés". C'est l'Etat-patron qui donne l'exemple de la brutalité des attaques en réduisant massivement le nombre des ses fonctionnaires et en bloquant leurs salaires depuis des années. L'Etat ne peut être que le défenseur par excellence des intérêts de la classe bourgeoise et assurer en toutes circonstances la défense des intérêts du capital national contre la classe ouvrière.
4. Quant à l'organisation de la lutte, PTB, POS et MAS exhortent les travailleurs à faire pression sur "leurs" organisations syndicales et "leurs" délégués pour organiser le combat. Et ceci alors que les syndicats ont étouffé dès le début toute mobilisation ouvrière en renvoyant les ouvriers chez eux, ont enrayé toute velléité d'extension vers d'autres usines. Et, au moment même où ces saboteurs professionnels mettaient en place les conditions permettant de présenter la manif de solidarité comme une expression d'impuissance (cf. article ci-dessus), le MAS faisait hypocritement mousser parmi les travailleurs les illusions sur les syndicats : "Pourquoi ne pas mettre à profit le succès de cette manifestation pour annoncer une grève générale de 24 heures contre les innombrables restructurations" (tract du MAS).
Les syndicats n'en sont pas à leur coup d'essai : rappelons-nous simplement le "pacte de solidarité " il y a un an. "Mesures inacceptables" claironnait la FGTB en octobre ; mais malgré un ras-le-bol profond au sein de la classe ouvrière qui s'était en particulier exprimé par le rassemblement de 100.000 travailleurs à Bruxelles lors de la manif syndicale nationale le 28 octobre, cette même organisation annonçait sans sourciller en décembre : "suspension des actions et recherche d'autres moyens de pression plus ciblés (sic)" et le parlement d'adopter sans opposition en décembre le "pacte de solidarité" et le financement alternatif de la sécurité sociale. Comme l'agression contre les ouvriers de VW l'a démontré une fois de plus, laisser la défense des intérêts des travailleurs entre les mains des syndicats est la meilleure garantie pour une défaite totale. Depuis maintenant près de cent ans, les organisations syndicales ne défendent plus les intérêts des travailleurs mais sont les gardes-chiourme de la bourgeoisie dans l'usine. Et les groupes "gauchistes', par leur soutien critique à ces organisations, garantissent leur crédibilité en ramenant les travailleurs qui se posent des questions dans le giron syndical.
Ce positionnement des organisations "gauchistes" comme le PTB, le POS et le MAS n'est nullement ponctuel. Derrière un discours radical qui leur permet d'attirer les éléments déçus par le sabotage constant de la lutte par les syndicats et par la participation ouverte de la gauche traditionnelle à la politique d'austérité et de restructuration, les perspectives de combat et d'organisation qu'avancent ces groupes placent la lutte dans un cadre suicidaire qui ne peut mener qu'au découragement et orientent la solidarité vers des perspectives pourries qui conduisent à la résignation et l'acceptation des attaques. La radicalité apparente de leurs positions est donc un leurre visant à détourner les éléments en recherche d'une vraie alternative au capitalisme vers la défense de la démocratie et le combat pour des réformes, à détruire en fin de compte chez eux toute dynamique de prise de conscience.
Confrontée à la décrédibilisation des partis de gauche "classiques", la bourgeoisie a intérêt à engendrer de nouvelles forces crédibles pouvant prendre la relève ; des forces non décrédibilisées par l'exercice du pouvoir mais orientant, à travers un discours et une image plus radicale, la classe ouvrière vers les mêmes pièges du parlementarisme et du combat illusoire pour la réforme des structures de l'Etat bourgeois. Et de ce point de vue, les organisations "socialistes de gauche" comme le MAS, le POS ou le PTB font un excellent travail ... au service de la classe bourgeoise.
Jos / 01.01.2007
(1) Parti du Travail de Belgique, néo-stalinien.
(2) Parti Ouvrier Socialiste, représentant officiel de la IVe Internationale trotskiste.
(3) Mouvement pour une Alternative Socialiste, trotskiste dissident.
Evidemment non ! Ce serait se bercer d'illusions de croire que les partis socialistes et communistes mèneront une politique différente s'ils sont au pouvoir. Il n'y a qu'à se replonger sur quelques hauts faits d'armes de ces fractions bourgeoises pour s'en convaincre. Le PCF ne s'est jamais privé d'utiliser les moyens les plus brutaux pour se débarrasser des immigrés qu'il jugeait indésirables. Ainsi, en 1981, c'est tout simplement au bulldozer que le PCF a chassé d'une de ses villes, Montreuil-sous-Bois, des clandestins maliens. Quant au PS, sa ligne politique est résumée dans cette déclaration fracassante du premier ministre socialiste Michel Rocard de 1989 "La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde". C'est pour ne "pas accueillir toute la misère du monde" que la socialiste Edith Cresson a mis en place des expulsions massives, à coup de charters, en 1991. C'est pour ne "pas accueillir toute la misère du monde" que Jean-Pierre Chevènement a, sous l'ère Jospin, excité puis lâché ses chiens sur les clandestins en intimant l'ordre aux forces de l'ordre de multiplier les expulsions : "L'activité en matière d'éloignement des étrangers se situe à un niveau anormalement bas. (...) J"attache aussi du prix à ce que, dans les derniers mois de 1999, une augmentation significative du nombre d'éloignements effectifs intervienne." (1) Voilà qui déchire le voile hypocrite des grands discours de gauche sur l'humanisme et autres droits à la dignité !
En fait, depuis 1974, droite et gauche se relaient aux plus hautes responsabilités de l'Etat et la même politique anti-immigrés demeure. La raison en est simple. A la fin des années 60, le retour de la crise économique a signifié la fin du plein emploi et la hausse du chômage. N'étant que de la chair à usine ne trouvant plus à être exploités, les immigrés sont devenus de plus en plus encombrants. C'est pourquoi le président de l'époque, Giscard d'Estaing, a décidé de "suspendre" l'immigration puis, trois ans plus tard, de créer une "aide au retour". Depuis lors, au fil des récessions, les lois anti-immigrés n'ont fait que se durcir, sous tous les gouvernements sans exception.
Ce capitalisme moribond est devenu incapable d'intégrer une partie toujours croissante de l'humanité au processus de production. Sa "solution" est d'expulser loin de ses frontières le "surplus" pour qu'il aille crever ailleurs. Le prochain gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, accentuera encore cette pression. La seule différence entre la gauche et la droite sera la terminologie, l'enrobage idéologique. Il est vrai que le PS est passé maître dans l'art d'habiller de rose ses mesures les plus inhumaines. "L'immigration choisie" fera ainsi place à une "immigration partagée" fondée sur la "contractualisation des flux migratoires avec les pays d'origine". En clair, il s'agit d'une "politique de fermeté à l'égard de l'immigration illégale" avec en prime la création d'une "police commune présente aux frontières de l'Union" (2). Mais que l'on se rassure, ces expulsions se feront avec le PS de façon très pédagogique comme l'a affirmé fièrement François Hollande : "Nos lois sur l'immigration doivent être expliquées à nos partenaires". Après tout, comme le dit Laurent Fabius, "on peut être humaniste sans être laxiste" !
En fait, aucun parti, aucun "homme (ou femme) providentiel" ne pourraient mener une autre politique à la tête de l'Etat. Les racines du problème sont beaucoup plus profondes, liées à la nature du système capitaliste et à sa crise historique. A travers le problème tragique de l'émigration, nous voyons comment ce système d'exploitation n'est plus capable d'assurer un minimum de survie à des masses chaque fois plus énormes d'êtres humains qui fuient l'enfer de la faim, des guerres et des épidémies. En 30 ans, le nombre de migrants dans le monde est passé de 75 à 200 millions de personnes ! Et depuis le début des années 2000, la situation sanitaire mondiale s'est considérablement dégradée.
Aujourd'hui, avec la prolifération des conflits armés et le développement effroyable de la misère, un nouveau pas qualitatif vient d'être franchi ; l'exode atteint une ampleur jamais vue jusque -là dans toute l'histoire de l'humanité. Face à ce raz de marée, toutes les nations ferment leurs frontières.
Aux Etats-Unis, le long de la frontière mexicaine, c'est un véritable mur de 1200 km qui doit être construit d'ici 2008 avec des radars, des détecteurs, des caméras infrarouges et une armée de 18 000 gardes-frontières. L'Etat mobilise même des satellites et des drones ! Alors que déjà des centaines de personnes périssaient dans le désert chaque année pour atteindre les Etats-Unis, avec ce "mur de la honte", ces désespérés seront bientôt des milliers à y crever la bouche ouverte.
En Europe, la situation est encore plus dramatique. Tout autour de l'espace Schengen, les camps où l'on entasse les clandestins prolifèrent. Il y a un an, cette horreur éclatait au grand jour quand autour des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, au nord du Maroc, des images nous parvenaient d'êtres humains littéralement empalés sur les grilles barbelées de la frontière, fauchés par les balles de la police ou largués en plein désert comme des chiens galeux. Ces actes barbares furent d'ailleurs commis sous l'ordre du chef du gouvernement espagnol, le très "démocratique" et "pacifiste" Monsieur Zapatero, montrant une nouvelle fois que sous le masque humaniste se cache le vrai visage haineux et sanguinaire de la social-démocratie. Depuis la situation n'a fait qu'empirer, se généralisant même à l'ensemble du ud et de l'Est européen. Cette année, sur les plages "paradisiaques" des îles Canaries, dans l' Atlantique, 27 000 personnes sont arrivées dans des embarcations de (bien mauvaise) fortune, soit cinq fois plus qu'en 2005 ! Même tragédie au large de l'Italie, sur l'île de Lampedusa, à Malte ou à Chypre. Même tragédie à la frontière ukrainienne où les très démocratiques pays européens sous-traitent en catimini à l'Etat hongrois la gestion de camps, véritables bidonvilles dans lesquels s'entassent par milliers les clandestins venus de l'ex-URSS ou d'Asie. Et le pire reste à venir. Comme l'affirme sans détour Froilàn Rodriguez (vice-ministre des Canaries pour l'immigration), "Il faut se préparer à des avalanches jamais vues'"(4). Conscientes de cette accélération et sachant que la situation ne va cesser de s'aggraver, les bourgeoisies européennes sont en train de se doter d'une véritable armée high-tech chargée de repousser vers la mort ces milliers de migrants, exactement comme aux Etats-Unis : construction de camps, jumelles infrarouges, patrouilles aériennes et navales...
Le capitalisme est aux abois et le sort qu'il réserve à l'humanité est condensé dans ce qu'il fait subir à cette masse d'immigrés. En comprenant que c'est le capitalisme en décadence qui produit toute cette misère et cette inhumanité, une réalité devient évidente : voter en mai 2007, pour qui que se soit, ne servirait strictement à rien, juste à se bercer d'illusions. Pour que l'humanité puisse vivre, le capitalisme doit mourir. Une fois consciente de cet enjeu et de l'ampleur de la tâche, la première réaction est souvent "mais en attendant le 'grand soir', il faut bien faire quelque chose !". Oui, il faut bien faire quelque chose. Il faut lutter, lutter sur le terrain de la classe ouvrière. C'est dans la lutte que s'expriment en pratique les plus profonds sentiments de fraternité. Et aujourd'hui justement, la classe ouvrière est en train de retrouver ce chemin, retrouver sa combativité, retrouver ces instincts d'unité et de solidarité.
De façon très immédiate, il y a ces enseignants et ces parents d'élèves qui se mettent en grève et empêchent physiquement la police de venir récupérer un enfant directement dans la classe. Dans toutes les écoles primaires, les collèges et les lycées dans lesquels se trouvent des "clandestins" en culotte courte, des discussions se développent sur comment empêcher la rafle, comment cacher tel ou tel enfant.
Il y a ces ouvriers qui arrêtent le travail pour défendre leurs camarades sans-papiers de l'usine, menacés d'expulsion.
Et enfin, il y a ces luttes qui témoignent de la profonde solidarité et unité du prolétariat comme ces bagagistes qui ont bloqué plusieurs jours l'aéroport de Heathrow à Londres, en août 2005, en solidarité avec des travailleurs pakistanais du secteur de la restauration victimes d'une attaque inique de leur employeur, Gate Gourmet. Et pourtant, ces bagagistes n'étaient pas menacés de licenciement et partout au même moment (5) les médias relayaient la propagande étatique du sieur Blair (encore un socialiste !) qui excitait la haine contre justement les Pakistanais, tous prétendus terroristes en puissance. Dans cette lutte exemplaire, la différence entre la pourriture de l'idéologie bourgeoise et la grandeur de la morale prolétarienne fut presque palpable.
La solidarité de la classe ouvrière n'a rien à voir avec la pitié et tous les sentiments condescendants. Il s'agit d'une solidarité réelle, forgée par la conscience d'appartenir au même combat, d'être des frères de classe victimes du même système, de la même exploitation, quelle que soit sa nationalité, sa couleur ou sa religion.
En affirmant qu'une nation "ne pouvait accueillir toute la misère du monde", Michel Rocard exprimait le mode de pensée de toute la bourgeoisie. Mais la classe ouvrière n'a pas à accepter la logique du capitalisme et ses barrières nationales. Au contraire, elle doit y opposer son être internationaliste en affirmant bien haut "Les prolétaires n'ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !".
Pawel /16.10.2006
(1) Circulaire ministérielle d'octobre 1999.
(2) Mesure adoptée fin mars dans le cadre de "la commission du projet 2007" du Parti Socialiste.
(3) Libération du 24 août 2006.
(4) Libération du 12 septembre 2006.
(5) Cette grève eut lieu au même moment que les attentats dans le métro londonien.
Malgré la spirale de haine nationaliste qui paralyse la plupart du temps la lutte de classe en Israël et en Palestine, les sévères privations économiques résultant de l'état de guerre permanent ont poussé les ouvriers des deux camps antagoniques à se battre pour leurs propres intérêts de classe. En septembre, des ouvriers de Cisjordanie et de la Bande de Gaza ont mis sur pied des grèves et des manifestations pour exiger que le gouvernement du Hamas règle plusieurs mois de salaires impayés, suite au blocus des fonds internationaux par l'Etat israélien, rejoignant ainsi les revendications d'une bonne partie des 170 000 fonctionnaires en grève. Ainsi, les enseignants des écoles se sont mis en grève depuis le 4 septembre avec des taux de grévistes atteignant de 80 à 95%, de Rafah (sud de la bande de Gaza) à Jénine (nord de la Cisjordanie). Ce mouvement s'est propagé jusque dans la police palestinienne et surtout début octobre dans le secteur de la santé où la situation sanitaire est dramatique, y compris en Cisjor-danie. Les fonctionnaires du ministère de la Santé n'ont reçu que trois paiements partiels en sept mois et ils ont décidé une grève illimitée pour réclamer le paiement de leur dû.
Parallèlement, le 29 novembre, le site d'information Libcom.org rapportait qu'une grève générale avait surgi dans le secteur public israélien, comprenant les aéroports, les ports, et que les bureaux de poste étaient tous fermés. 12 000 employés des services municipaux ainsi que les pompiers se sont mis en grève à l'appel de la centrale syndicale Histadrout (la Fédération Générale du Travail) en réponse aux violations des accords entre les syndicats et les autorités locales et religieuses. Histadrout a ainsi déclaré que ces dernières ont des arriérés de salaires à payer et que l'argent des employés qui devaient être versés en fonds de pension avait disparu.
La guerre impérialiste amplifie la ruine économique et la misère des prolétaires dans la région. La bourgeoisie des deux camps est de plus en plus incapable de payer ses esclaves salariés.
Ces deux luttes ont fait l'objet de toutes sortes de manipulations politiques. En Cisjordanie et à Gaza, la fraction d'opposition nationaliste, le Fatah, a essayé de se servir des grèves comme d'un moyen pour faire pression sur ses rivaux du Hamas.
En Israël, Histadrout a une longue tradition d'appels à des « grèves générales » hyper-contrôlées pour rabattre la colère des ouvriers sur le terrain bourgeois et au profit de telle ou telle fraction. Mais il est significatif qu'en Israël, la grève générale d'Histadrout (qui a été arrêtée au bout de 24 heures) a été précédée d'une vague de grèves moins bien contrôlées parmi les bagagistes, les enseignants, les professeurs d'université, les employés de banque et les fonctionnaires.
La désillusion devant le fiasco militaire d'Israël au Liban a sans aucun doute alimenté ce mécontentement grandissant. Pendant la grève de septembre dans les territoires palestiniens, le gouvernement du Hamas dénonçait l'action des fonctionnaires comme étant contraire à l'intérêt national et tentait de dissuader les enseignants grévistes: "Si vous voulez manifester, manifestez contre Israël, les Américains et l'Europe !".
En effet, la lutte de classe s'affirme comme contraire à l'intérêt national et s'oppose de ce fait à la guerre impérialiste.
Amos / 2.12.2006
Les médias écrivent des pages entières sur les "primes de départ révoltantes", les "salaires très élevés" des ouvriers de VW Forest. Par contre, ils sont particulièrement silencieux sur le fait que les mesures de restructuration annoncées à VW Forest sont un avant-goût de celles qui attendent non seulement les ouvriers restants de VW Forest, mais l'ensemble de la classe ouvrière.
Le sacrifice est en effet très important: seulement 2.000 à 2.200 emplois seraient maintenus sur environ 5.200 salariés directs. En 2009, si tout se passe bien, il y aurait de nouveau du travail pour 3.000 personnes, a-t-on promis, certes en partie au travers de contrats plus précaires. 950 salariés s'en vont par la prépension, mais selon les normes du nouveau "pacte des générations". 1950 quittent l'entreprise sur une base "volontaire", avec pour les 1.500 premiers une prime de départ en récompense. Avec pour la plupart d'entre eux, le chômage comme seule perspective. Pour ceux qui restent, il y a un système de chômage partiel à long terme, mais surtout, en plus des 33 % d'augmentation de productivité que les ouvriers avaient réalisé entre 2001 et 2005 et du nouveau règlement en place depuis l'été 2006 concernant la flexibilité (temps de travail jusqu'à 10 heures par jour, 48 heures par semaine), une nouvelle convention collective doit être signée, prévoyant une diminution des salaires et des coûts de production. Les conditions de production en 2009 devraient s'aligner sur celles du siège VW à Mosel (est de l'Allemagne), où le coût salarial se monte à 16,9€/h, contre 23,8€/h aujourd'hui à VW Forest. En d'autres termes, une augmentation particulièrement importante de la productivité, de la flexibilité avec peut-être une baisse des salaires de plus de 20 % par-dessus le marché. Et nous ne disons encore rien des milliers de travailleurs dans les entreprises sous-traitantes, laissés à leur sort pour la plupart, en grande majorité licenciés dans des conditions encore plus défavorables que leurs collègues de VW. Alors que VW a été pendant des années présentée par la bourgeoisie comme un modèle en matière de sécurité d'emploi et des conditions salariales et de travail, elle est maintenant devenue le modèle de ce que cette même bourgeoisie peut encore offrir: des sacrifices incessants pour un système à l'agonie.
Les médias écrivent des pages entières sur la politique interne de VW, les problèmes spécifiques du secteur automobile, les tiraillages entre les besoins des économies belge et allemande, ou les soi-disant profits exagérés de VW. Mais ils sont muets comme une tombe sur la réalité de la crise du système capitaliste, les véritables raisons de la restructuration de VW.
Ainsi, le syndicat socialiste de la métallurgie met les responsabilités de ce bain de sang non sur les patrons et l'Etat bourgeois, mais sur les ouvriers allemands eux-mêmes et "leur" syndicat, qui auraient sacrifié les "emplois belges" à VW Forest pour sauvegarder les "emplois allemands"! Mensonge éhonté! VW ne supprime-t-elle pas aussi 20.000 emplois en Allemagne, tout en diminuant les salaires et en augmentant le temps de travail? Les ouvriers allemands, comme ceux de tous les pays, sont tout autant victimes des agressions capitalistes. La crise historique insoluble que connaît le capitalisme au niveau mondial se conjugue avec le licenciement massif d'ouvriers dans tous les pays. La force de travail, dont l'exploitation est la source du profit capitaliste, voit en conséquence son prix diminuer constamment (comme cela se produit avec toute marchandise présente en surnombre sur le marché saturé), parce que la diminution drastique des coûts de production (parmi lesquels les salaires occupent la première place) constitue le seul moyen dont dispose la bourgeoisie pour faire face à la concurrence sur des marchés de plus en plus étroits et inondés de marchandises. Délocalisations et restructurations servent en premier lieu de moyens de pression pour forcer partout la classe ouvrière à accepter des salaires toujours plus bas et des conditions de travail de plus en plus défavorables (1). Les ouvriers d'ici sont dressés contre les ouvriers des autres pays dans une spirale sans fin de baisses de salaires, d'augmentations de productivité et de détérioration des conditions de vie. Et qu'offre cette spirale continue de concurrence impitoyable, sinon des fermetures (Renault Vilvorde, Sabena...), licenciements massifs (SNCB, Ford Genk, Inbev, DHL, Agfa-Gevaert...) et sacrifices ("pacte des générations", pacte de "flexibilité", pacte de concurrence, de l'emploi...)?
Les médias écrivent des pages entières sur l'influence négative d'années de "culture de grève" des ouvriers de VW, et a contrario, la manière constructive et responsable dont les syndicats ont mené "l'action". Le but ici est de convaincre les ouvriers de VW et l'ensemble de la classe ouvrière qu'ils feraient mieux d'accorder leur pleine confiance à l'approche "réaliste" des syndicats qui, en concertation avec le gouvernement "coopératif" et avec le patronat, fera ce qui est le mieux possible pour les ouvriers dans le contexte d'une économie nationale engagée dans une concurrence à couteaux tirés sur le marché mondial.
Restructurations et délocalisations sont ainsi utilisées pour diviser le prolétariat et l'emprisonner dans l'idéologie de la concurrence. Les ouvriers sont enfermés, fraction par fraction, et dévoyés vers la défense de "leurs" conditions d'exploitation, de "leur" entreprise, de la marque de fabrique "VW", du capital national. A partir de cette logique, c'est un jeu d'enfant pour la propagande bourgeoise -et les syndicats jouent ici un rôle de premier plan- de faire passer l'Etat capitaliste et son gouvernement pour des "facteurs protecteurs" contre "les méfaits de la mondialisation": "Le premier ministre Verhofstadt a su avoir la garantie de la haute direction allemande de VW d'une reprise des activités, en échange d'une offre considérable d'aide de la part du gouvernement" (De Standaard, 9.1.2007). Le gouvernement devient ainsi l'allié "objectif" des ouvriers en amenant les bonzes allemands de VW à la raison et en les appelant à mettre le couteau sous la gorge d'autres ouvriers, ailleurs (par exemple en Espagne).
Et la bourgeoisie ne sait que trop bien que ce message porte le mieux lorsque le sentiment d'impuissance domine parmi les ouvriers, en l'absence d'une perspective de résistance collective en tant que classe. C'est là qu'interviennent les manœuvres syndicales: depuis le début, les ouvriers ont été renvoyés à la maison, isolés les uns des autres, sans information ni perspective. C'est la perspective d'une interminable grève rampante qui a été mise en avant, sans assemblée générale de grévistes où de véritables discussions et décisions sont possibles, sans comité de grève élu, contrôlé et révocable, sans meeting mobilisateur, sans délégation massive pour aller chercher activement la solidarité et l'extension vers d'autres parties de la classe ouvrière. Chaque développement de tout moyen de lutte et d'une dynamique de renforcement de la lutte a été tué dans l'œuf. L'idée même de mener une lutte a été de plus en plus ressentie comme insensée. Il ne restait finalement rien d'autre aux ouvriers que de subir leur sort et de placer toute leur confiance dans les négociateurs gouvernementaux et syndicaux.
Et, last but not least, les médias ont aussi noirci beaucoup de pages sur le manque de solidarité dans la classe ouvrière, avec les ouvriers de VW et entre les ouvriers de VW. "Il n'y a pas eu d'actions spontanées de solidarité, comme en 1997 pour le personnel de Renault Vilvorde" (De Standaard, 9.1.07). Ce n'est pas par hasard qu'une attention particulière a été portée par la bourgeoisie -et plus particulièrement par les syndicats- sur cet aspect de la campagne pendant toute la durée de la lutte:
- en soulignant les statuts séparés et les situations différentes, ils maintenaient soigneusement la séparation entre les ouvriers de VW et ceux des entreprises sous-traitantes, pour miner dès le début toute démarche allant vers une réelle solidarité ouvrière;
- des solutions individuelles ont été encouragées par le moyen de primes de départ astronomiques. Les ouvriers de VW qui ont accepté ces propositions, ont donc été montrés comme des déserteurs qui laissaient tomber leurs collègues, principalement ceux des sociétés sous-traitantes. Une fois de plus, cette image de "chacun pour soi" a été soulignée pour insinuer l'inanité d'une solidarité ouvrière;
- enfin, la grande manifestation "de solidarité" du 2 décembre a joué un rôle central dans l'enterrement de la solidarité ouvrière par les syndicats. D'abord annoncée à grand bruit comme la "grande apothéose" où étaient attendus plus de 50.000 ouvriers, tout a été fait pour ne pas atteindre ce nombre (jusqu'à sous-estimer volontairement les chiffres), pour ensuite diffuser un sentiment de défaite et d'impuissance, en affirmant "qu'il n'existe plus de sentiment de solidarité parmi les ouvriers", et que dans cette société, c'est le "chacun pour soi" pour en d'autres termes faire endosser aux ouvriers la démobilisation et la manque de solidarité.
L'intensité de cette campagne est en fait un excellent indicateur de la peur qui a étreint la bourgeoisie à propos de ce conflit. Du fait de la localisation de VW dans la région bruxelloise, et du fait que les ouvriers concernés proviennent aussi bien des deux régions, la carte de la mystification régionaliste et linguistique pouvait beaucoup plus difficilement être jouée. Par conséquent, la bourgeoisie craignait particulièrement l'émergence d'un large sentiment de solidarité parmi les travailleurs, par-delà les divisions sectorielle, régionale et linguistique, pas d'une solidarité de "compassion" donc, mais une solidarité des ouvriers entre eux, pour des intérêts communs et donc désintéressée, sans égoïsme, contre ce système barbare en décomposition.
Même si la bourgeoisie est finalement parvenue, grâce à ses saboteurs syndicaux, à enfermer et à rendre inoffensive la combativité des ouvriers de VW, la manifestation du 2 décembre laisse pourtant entrevoir une autre facette de la réalité sociale. Suite aux annonces quotidiennes de licenciements et de restructurations dans les usines, le secteur des services et dans les services publics, la conscience que chacun est attaqué progresse parmi les travailleurs. La fermeture d'une usine aussi importante et combative que VW n'incite pas seulement à la "compassion" comme disent les journaux, mais surtout à l'indignation, à l'inquiétude généralisée concernant l'avenir. Beaucoup sont venus manifester parce que dans les circonstances actuelles, c'était l'unique manière de montrer sa solidarité. La présence de beaucoup de jeunes en dit long: "Nous sommes ici avec nos parents, que nous reste-t-il?". De nombreux retraités étaient également présents.
Cette combativité croissante en est certes encore à ses débuts, mais la détermination de se battre contre les licenciements grandit dans la classe ouvrière. Pendant des années, les ouvriers ont subi des attaques contre leurs conditions de travail, leurs revenus et la sécurité de leur emploi au nom du maintien des emplois. Mais aujourd'hui, les ouvriers prêts à consentir ces sacrifices sans fin sont de moins en moins nombreux. Beaucoup ne savent pas encore bien comment lutter ensemble, parfois pas contre qui ou contre quoi se diriger, ce qui explique pourquoi il est encore possible aujourd'hui qu'ils se rangent derrière les syndicats ou le gouvernement. Mais malgré les énormes campagnes idéologiques, il règne un grand scepticisme par rapport aux promesses faites par VW, et donc aussi ailleurs. Le dernier conflit ne peut être vu ni comme un exemple de victoire, ni comme un exemple de défaite. La colère règne, et la méfiance, mais aucun accablement dans la classe ouvrière comme un tout.
C'est pourquoi, la bourgeoisie est inquiète. Elle est consciente que la classe ouvrière pourrait tirer d'importantes leçons de ces événements et manœuvres de sabotage. C'est précisément pourquoi elle fait autant d'efforts pour dénigrer la solidarité. Combattre le chômage n'est pas simple. En effet, les patrons utiliseront souvent la "grèviculture" comme prétexte pour mettre en avant leurs plans de fermeture (de toutes façons planifiés), comme chez VW. Mais ils y réussiront d'autant plus facilement que la résistance des ouvriers reste isolée à une usine ou une entreprise. Sinon, la menace de réelle extension de la lutte par-delà les limites syndicales, sectorielles ou autres -en un mot, la menace de grève de masse- peut forcer la bourgeoisie à reculer, comme cela a été le cas lors de la lutte contre le CPE en France. Un tel recul de la bourgeoisie est bien entendu temporaire. L'aggravation de la crise économique contraindra la classe dominante à repasser à l'offensive et à mener des attaques encore plus désespérées contre les conditions de vie et de travail. Finalement, et c'est la principale leçon, le chômage massif est un signe indéniable de la faillite de la société capitaliste. Pour la classe ouvrière, ceci doit être un stimulant, non seulement pour résister aux effets de l'exploitation, mais pour lutter contre la société d'exploitation elle-même.
Lac / 6.1.07
(1) Lire la série d'articles sur les délocalisations dans Internationalisme n° 323, 325 & 328.
Ces derniers violent femmes et enfants, pillent, brûlent les villages et les champs, attaquent le bétail, menant une politique de destruction systématique.
Ce n'est qu'en juillet 2004 que l'ONU, en la personne de Kofi Annan, commencera à "s'inquiéter" de la situation, mettant en avant un conflit "ethnique et racial". Et, malgré les déclarations de bonnes intentions, les pseudo-menaces de mesures de rétorsion, les conditions n'ont fait qu'empirer. Et ce ne sont pas les quelque 7000 soldats, sans moyens, sans directives claires, envoyés par l'Union Africaine, qui pouvaient les faire changer. En janvier 2005, l'ONU parle clairement de "crimes contre l'humanité" et appelle, avec sa deuxième résolution n°1593, la Cour pénale internationale à engager des poursuites à l'encontre des responsables des crimes commis. En août 2006, le Conseil de sécurité de l'ONU vote l'envoi de 17 000 soldats et 3000 policiers que refuse Omar al-Béchir, le président soudanais, qui la considère comme une "invasion".
Aujourd'hui, alors que l'Etat soudanais accentue sa pression militaire sur les mouvements rebelles, principalement l'Armée de libération du Soudan, dont la montée a été le prétexte au déchaînement de cette violence, les exactions sur la population redoublent. Et c'est à présent au Tchad, qui soutient les groupes rebelles à Khartoum sous l'œil bienveillant de la France, qui lui-même apporte une aide aux rebelles tchadiens, et en Centrafrique, que s'exportent les tueries, tandis que l'ONU se montre toujours aussi impuissante, malgré les "discussions très bonnes et constructives" d'Addis-Abeba.
En réalité, ce panier de crabes se contrefiche des populations et les tergiversations dont il est l'objet expriment avant tout les différences d'intérêt des uns et des autres. En fait de conflit racial, le Darfour est la résultante des dissensions entre les grandes puissances. Car le Soudan et son pétrole sont particulièrement courtisés par les pays développés, ce qui lui permet de continuer et d'accentuer sa politique de terre brûlée au Darfour. Il en est ainsi des Etats-Unis, qui ont imposé pour la galerie un de ces embargos sur les armes dont on connaît l'inefficacité, et de la Grande-Bretagne qui s'est carrément opposée à toute intervention militaire. La France encore, dont les accointances déjà existantes avec le Soudan l'ont amenée à fermer les yeux. Ce n'est qu'aujourd'hui avec les risques de déstabilisation du Tchad et du Centrafrique, deux de ses derniers bastions en Afrique, que le gouvernement souhaite "stabiliser le Darfour" pour éviter un effet domino. Autrement dit, tant qu'ils crèvent au Darfour, ce n'est pas important mais qu'ils ne viennent pas semer la pagaille dans les chasse-gardées françaises !
Quant à la Chine, vendeuse particulièrement active d'armes dans le monde, elle a trouvé là une aubaine pour l'écoulement de son matériel militaire.
Et même si l'ONU envoie sa soldatesque "pacificatrice" au Darfour, on peut être sûr que ce ne sera que pour ouvrir une période de déstabilisation bien pire, car chacun des protagonistes n'aura pour but que de venir défendre ses propres intérêts, à travers le soutien à des bandes rebelles.
Voila une fois encore la réalité de ce monde capitaliste en pleine putréfaction, où l'humanité n'est que l'otage et le jouet des luttes intestines et des guerres entre cliques armées qui se multiplient sur la planète, soutenues par les puissances, petites ou grandes, qui elles-mêmes s'entredéchirent derrière leurs discours mensongers et cyniques.
Mulan / 24.11.2006
La répression que l'Etat a déchaînée contre la population d'Oaxaca met à nu la férocité sanguinaire de la démocratie. Oaxaca s'est transformée depuis cinq mois en une véritable poudrière, dans laquelle les corps paramilitaires et policiers ont été le bras armé de la terreur étatique. Les perquisitions de domiciles, les séquestrations et la torture sont utilisées au quotidien par l'Etat pour rétablir « l'ordre et la paix ». Le résultat des exactions policières n'est pas un « résultat nul », comme le prétend le gouvernement, il se solde en réalité par des dizaines de « disparus », de prisonniers et par au moins trois morts (sans compter la vingtaine de personnes qui ont été abattues entre mai et octobre de cette année par les gardes blancs).
Il y a six ans, la classe dominante proclama que l'arrivée au pouvoir de Fox augurait d'une « période de changements », mais la réalité a mis en évidence que quels que soient les partis ou les personnes qui accèdent au gouvernement, le capitalisme ne peut offrir aucune amélioration... et il est plus évident que jamais que le système actuel ne peut offrir que plus d'exploitation, de misère et de répression. L'ensemble de la classe ouvrière doit tirer, en profondeur, les leçons de ce qui se passe à Oaxaca, doit comprendre que la situation de violence et de répression qui se développe n'est pas le fait d'un gouvernement en particulier ou d'un fonctionnaire, mais qu'elle est dans la nature du capitalisme lui-même, et doit aussi critiquer les faiblesses et difficultés dans lesquelles les travailleurs se trouvent piégés. Il est nécessaire de faire un bilan général sur la signification des mobilisations actuelles pour pouvoir tirer ces leçons et ainsi permettre que les prochaines luttes soient mieux préparées.
Les manifestations actuelles à Oaxaca sont sans aucun doute les expressions du mécontentement qui existe chez les travailleurs contre l'exploitation et l'ignominie du capitalisme. Les mobilisations dans cette région expriment le mécontentement face à la dégradation persistante des conditions de vie, elles sont le fruit d'une profonde colère et révèlent un vrai courage et de réelles dispositions à la lutte ; elles ont cependant été manœuvrées par la bourgeoisie, qui est parvenue à ce que les objectifs, les méthodes et l'organi-sation des actions restent hors du contrôle des travailleurs.
Les conflits qui se développent au sein de la bourgeoisie ont pu détourner le mécontentement social et l'utiliser à leur profit, transformant une lutte pour des revendications salariales en mouvement sans perspectives, dans la mesure où il a été détourné par une des fractions de la bourgeoisie, démocratisante », contre une autre composée des vieux caciques. Face à ces mobilisations, le système a clairement montré sa nature sanguinaire, mais cette utilisation par l'Etat de la terreur va plus loin que la répression à l'encontre des manifestants d'Oaxaca. L'incursion des forces militaires et policières n'a pas pour principal objectif l'extermination de l'Assemblée populaire du peuple d'Oaxaca (APPO), mais cherche fondamentalement à étendre la terreur en tant qu'arme d'avertissement et de menace à l'ensemble des travailleurs. La terreur étatique s'est déchaînée en combinant les forces de répression de l'Etat et celles du gouvernement fédéral, mettant au grand jour que même quand il y a des luttes entres les différentes bandes de la bourgeoisie, celles-ci parviennent à s'entendre pour mener à bien leur tache répressive ; supposer qu'il est possible de « dialoguer » avec un secteur du gouvernement, c'est alimenter l'espoir illusoire qu'il pourrait exister un secteur de la bourgeoisie qui soit « progressiste » ou « éclairé ». Donner comme objectif principal au mouvement de mobilisations le retrait d'Ulises Ruiz (1) du gouvernement d'Oaxaca, c'est donner l'illusion que le système capitaliste pourrait s'améliorer en se démocratisant ou en changeant les hommes à sa tête. Limiter la réflexion à la contestation d'Ulises Ruiz, dévouer la mobilisation à cet objectif ne participe en rien au développement de la conscience mais au contraire alimente la confusion et donne le faux espoir que les ex-ploités pourraient avoir un « meilleur gouvernement ».
Le mot d'ordre de l'APPO d'unifier les forces contre Ulises Ruiz n'est en rien un renforcement de la réflexion collective et de l'action consciente, c'est au contraire l'extension de la confusion et la soumission de la force sociale aux intérêts d'une des fractions de la bourgeoisie contre une autre.
La démonstration la plus évidente de cette confusion grandissante quand aux objectifs et de son dévoiement vers le soutien indirect d'une des fractions de la classe dominante se révèle dans la mise en second plan de la question salariale à la base du mouvement pour laisser comme première revendication la destitution du gouverneur de la région. Cette manœuvre a permis au syndicat et au Gouvernement fédéral de réduire la question salariale à un simple problème technique d'apport adéquat de ressources à une région par le biais d'une planification des finances publiques, permettant ainsi d'isoler le problème et de le présenter comme une question « locale », sans lien avec le reste des salariés.
Dans le même sens, les méthodes de lutte préconisées, les piquets, les blocages, les marches épuisantes et les affrontements désespérés n'ont pas permis d'alimenter la solidarité ; au contraire, elles ont isolé le mouvement en l'isolant et en le réduisant ainsi à être une cible facile pour la répression.
La composition sociale de l'APPO (constituée par des organisations « sociales » et des syndicats) montre que cette organisation, et donc les décisions qu'elle prend, échappe aux mains du prolétariat. Parce qu'elle est fondamentalement dominée par des secteurs non salariés (ce qui est déjà une manifestation de sa faiblesse) et surtout parce qu'elle a abandonné la discussion et la réflexion aux syndicats et aux groupes de l'appareil de gauche de la bourgeoisie (c'est-à-dire liés directement ou indirectement aux intérêts de certaines fractions de la classe dominante), cette structure montre sa nature non prolétarienne. C'est ce qui permet que soit diluée la force potentielle des travailleurs dans l'action, cette force qui ne peut s'exprimer dans une structure qui, bien que se présentant sous la forme de soi-disant assemblées ouvertes, exprime dans la pratique sa véritable essence, celle d'un front interclassiste conduit par la confusion et le désespoir des couches moyennes. L'appel réalisé le 9 novembre 2006 pour la transformation de l'APPO en structure permanente (l'Assemblée étatique des peuples d'Oaxaca) le démontre bien, en définissant la Constitution de 1917 de la bourgeoisie mexicaine comme « document historique qui ratifie la tradition émancipatrice de notre peuple... » et appelant donc à la défendre, comme elle appelle bien sûr à défendre le « territoire et les ressources naturelles ». Son radicalisme se réduit à la défense de l'idéologie nationaliste, qui est un véritable poison pour les travailleurs. L'appel contient en outre une authentique falsification de l'internationalisme prolétarien, quand il proclame la nécessité « d'établir des liens de coopération, de solidarité et de fraternité avec tous les peuples de la terre pour l'édification d'une société juste, libre et démocratique, une société véritablement humaine »... par le biais du combat pour « la démocratisation de l'ONU » !
La création de l'APPO n'a pas été une avancée pour le mouvement des travailleurs, sa création est au contraire liée à la l'écrasement de leur mécontentement authentique. L'APPO est apparue comme une véritable « camisole de force » pour contenir la combativité prolétarienne. Les groupes staliniens, maoïstes, trotskistes et les syndicats qui la composent ont su dénaturer le courage et les expressions de solidarité de la classe ouvrière en imposant une orientation et une action à mille lieues de ses intérêts et de ceux du reste des exploités. Les comparaisons qu'ose faire l'APPO entre sa structure et celle des soviets, sa prétention à être un « embryon du pouvoir ouvrier », sont de véritables attaques lancées contre les authentiques traditions du mouvement ouvrier.
L'organisation authentiquement prolétarienne se distingue en ce sens que les objectifs qu'elle se donne sont directement liés à ses intérêts de classe, c'est-à-dire à la défense de ses conditions de vie. Elle ne se donne pas pour but la défense de « l'économie nationale », de l'économie étatisée et encore moins la démocratisation du système qui l'exploite. Elle cherche avant tout à défendre son indépendance politique par rapport à la classe dominante, indépendance qui lui permet d'assumer la lutte contre le capitalisme.
C'est en ce sens que les luttes revendicatives des travailleurs contiennent la préparation à la critique radicale de l'exploitation : elles expriment la résistance aux lois économiques du capitalisme et leur radicalisation ouvre la voie à la révolution. Ce sont des moments qui font partie de la préparation aux combats révolutionnaires que devra livrer le prolétariat, elles sont en ce sens le germe de la lutte révolutionnaire.
En tant que classe internationale et internationaliste, le prolétariat doit assimiler dans tous les pays les expériences de ses combats passés. Il lui est donc indispensable, pour impulser le développement de sa conscience, de prendre à son compte par exemple les leçons de la mobilisation développée par les étudiants et travailleurs en France au printemps 2006 contre le Contrat de premier emploi (CPE). La leçon essentielle de ce mouvement a été sa capacité d'organisation, qui a permis de maintenir un tel contrôle de la lutte qu'il empêcha les gauchistes et les syn-dicats de détourner le mouvement de son objectif central, le re-trait du CPE. Les combats qu'ont livrés les travailleurs de Vigo en Espagne à la même époque vont dans le même sens, défendant leurs revendications salariales et l'extension de la lutte par le contrôle de leurs assemblées contre le sabotage syndical.
La défense de ses conditions de vie, l'autonomie organisationnelle et la réflexion massive atteintes par ces mouvements sont des leçons pour l'ensemble du prolétariat, qu'il doit mettre en avant pour livrer ses combats.
D'après Revolucion Mundial, organe du CCI en Mexique/ 18.11.2006
(1) Gouverneur de l'Etat d'Oaxaca, appartenant à l'ancien parti dirigeant du Mexique, le PRI, corrompu et clientéliste.
L'Impérialisme américain ne pourra pas enrayer son affaiblissement sur l'arène mondiale. Ce plan aborde toute la politique impérialiste des Etats-Unis. Il part d'un constat, visible par tous, de l'absence totale de possibilités de réussite de la politique de guerre américaine en Irak. Mais bien plus encore, il souligne la montée en puissance de la résistance de la politique anti-américaine et anti-israélienne, partout, au Proche et au Moyen-Orient. Ce rapport semble ainsi prendre le contre-pied de la politique suivie depuis plusieurs années par les Etats-Unis dans toute cette partie du monde. Il préconise un retrait progressif des troupes américaines d'Irak et le renforcement massif de l'armée irakienne qui devrait passer sous la direction du premier ministre Nouri Kamal Al-Maliki. Alors que les attentats se succèdent tous les jours de manière de plus en plus meurtrière, avec un gouvernement totalement impuissant et une armée américaine retranchée dans des camps fortifiés, une telle proposition apparaît immédiatement pour ce qu'elle est : irréaliste, inapplicable et en dehors de toute réalité. Ceci est à ce point la vérité que le plan Baker se garde bien de préciser la date butoir d'un retrait des troupes américaines d'Irak. Tel est également le cas de toutes les autres propositions avancées par ce rapport. Ce qui frappe également à la lecture du rapport, ce sont les propositions de renouer un dialogue officiel avec la Syrie et l'Iran. Le rapport précise même: "L'Iran doit recevoir des propositions incitatives, telle que le rétablissement des relations avec les Etas-Unis, et dissuasives pour stopper le flots d'armes à destination des milices irakiennes. Le pays doit être intégré au Groupe d'étude sur l'Irak.» (Courrier International du 14 décembre 2006) Cette proposition du rapport est tellement irréaliste qu'elle montre clairement l'impasse totale des Etats-Unis en Irak, et pire encore, leur incapacité croissante à limiter la montée des exigences syriennes et iraniennes. L'impossibilité pour l'armée américaine de résoudre la situation en Irak pousse même la bourgeoisie américaine à envisager d'associer l'Iran dans une tentative de maîtriser le chaos irakien. Cette alternative politique ne pourrait se traduire que par des exigences accrues de l'Iran, en matière de développement de son arme nucléaire, mais également sur le terrain, dans l'ensemble du Proche et du Moyen-Orient. Autant d'exigences et de pas en avant de l'impérialisme iranien que ni Israël, ni les Etats-Unis eux mêmes, ne seraient en mesure de supporter. Il est fort possible que, dans les mois à venir, la tonalité des discours américains en matière de politique internationale soient plus mesurés et fassent plus appel à une « collaboration internationale », dans ce que la bourgeoisie appelle sa lutte contre le terrorisme international. Au cas fort improbable où celle-ci passerait, un chaos tout aussi important se développerait dans tout le Proche et Moyen-Orient. Le ton est d'ailleurs donné par la déclaration du roi d'Arabie Saoudite Abdallah au vice président américain Dick Cheney, en visite il y a quelques semaines à Riyad: «L'Arabie Saoudite a fait savoir à l'administration Bush qu'en cas de retrait des troupes américaines le royaume pourrait apporter un soutien financier aux Sunnites en Irak dans n'importe quel conflit qui les opposerait aux Chiites.» (Courrier International du 13 décembre 2006) En Irak, les Etats-unis sont totalement coincés. Aucune des options envisagées sur le plan militaire n'est satisfaisante pour l'impérialisme américain. La montée en puissance de la contestation de la suprématie américaine non seulement par l'Iran, mais également par des puissances impérialistes telles que la France, l'Allemagne ou encore la Russie, ne peut pousser dans l'avenir les Etats-Unis, par delà l'évolution de leur politique en Irak, que dans une fuite en avant guerrière, toujours plus meurtrière et barbare. De la part de ce capitalisme en pleine décomposition, les actes militaires les plus destructeurs et les plus irrationnels, sont encore et plus que jamais devant nous.
Rossi
Internationalisme no. 330
Depuis des décennies, les différentes organisations gauchistes, et en particulier les trotskistes, soutiennent "la juste lutte du peuple palestinien" contre "l'impérialisme américain et israélien" au nom du caractère "progressiste" des "luttes de libération nationale". Aujourd'hui, les territoires palestiniens sont plongés en plein chaos par des luttes intestines. Depuis que le président de l'Autorité palestinienne a annoncé le 16 décembre dernier la tenue d'élections présidentielles et législatives anticipées, des affrontements armés ont lieu à Gaza entre factions rivales mettant aux prises d'un coté les islamistes du Hamas à la tête du gouvernement et de l'autre le Fatah du président Mahmoud Abbas. Les affrontements entre ces milices armées sont sanglants : combats de rue, attentats à la voiture piégée, enlèvements à répétition. Leurs règlements de compte meurtriers sèment la terreur et la mort parmi les populations de la bande de Gaza, déjà réduites à la misère.
Face à un tel déchaînement de violence et de barbarie, comment se positionnent les organisations trotskistes, telles Lutte Ouvrière (LO) ou bien encore la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) ?
Sans jamais avoir varié d'un iota, LO et LCR montrent du doigt les seuls coupables selon elles, à savoir les Etats-Unis et "l'Etat sioniste israélien". LO dans l'article de son hebdomadaire du 6 octobre 2006 déclare : «Chaos et affrontement sont les conséquences directes des sanctions financières décrétées par l'Union Européenne, le gouvernement des Etats-Unis et celui d'Israël. » ou encore : "Or, c'est bien Israël et ses principaux tuteurs occidentaux qui sont les responsables de la situation désastreuse dans laquelle vivent les Palestiniens" (Lutte Ouvrière n°2003 du 22 décembre 2006). L'impérialisme est inhérent à la vie de chaque fraction nationaliste bourgeoise et s'exprime à travers une lutte pour la défense de l'intérêt du capital national entre tous les Etats concurrents, du plus grand au plus petit, du plus puissant au plus faible. A noter (n'en déplaise aux groupes trotskistes) que si le Fatah peut compter sur le soutien d'Israël, des Etats-Unis et de l'Union Européenne et que le Hamas est appuyé financièrement et armé par l'Iran et la Syrie, c'est justement en tant que cliques bourgeoises palestiniennes.
Ainsi, en soutenant soi-disant "tous les Palestiniens", LO encourage en fait la classe ouvrière à se ranger derrière des cliques bourgeoises et à s'enrôler comme chair à canon au nom de la défense de la patrie palestinienne. C'est toujours ce que défend cette organisation qui, comme l'ensemble des groupes trotskistes, ne désigne comme impérialistes que la politique de certaines nations, de certains Etats.
Quant à la LCR, elle ne s'encombre pas de formulations hypocrites en clamant tout haut son soutien direct non au "peuple palestinien" en général mais directement à telle ou telle fraction, à telle ou telle milice. Au lendemain des élections dont le Hamas est sorti victorieux, un communiqué de la LCR du 26 janvier 2006 déclarait : "Fondamentalement, les gouvernements israélien, celui de Sharon en tête, et les USA portent une lourde responsabilité dans ce que certains appellent 'un séisme politique'. Cette politique musclée de Mrs Bush et Sharon ont déconsidéré les dirigeants du Fatah et fait le jeu du Hamas." Les organisations trotskistes ont un besoin viscéral de choisir constamment un camp bourgeois en présence, dans toutes les guerres, dans tous les conflits. Et cette politique tourne ici purement au ridicule. C'est ainsi qu'on a assisté en un an à un glissement progressif de ce soutien du Fatah vers le Hamas de la part de la LCR : "Les États-Unis et Israël tentent de renforcer le président de l'Autorité palestinienne, (...) afin d'affaiblir le gouvernement Hamas, massivement élu et toujours soutenu par la majorité des Palestiniens" ou encore plus explicitement, "C'est l'arrière-fond des confrontations sanglantes à Gaza de ces dernières semaines entre des militants du Fatah et des militants du Hamas, et dont le Fatah porte l'entière responsabilité" (souligné par nous).
Cette politique de girouette crée un désarroi dans le courant trotskiste, ce dont témoignent les furieuses empoignades sur le forum des marxistes révolutionnaires (https://forumtrots.agorasystem.com/lcr [10] animé et contrôlé en sous-main par la LCR). Alors que la guerre fait rage entre fractions palestiniennes, la préoccupation des intervenants consiste à choisir l'une de ces fractions afin que le peuple palestinien, dans la boue et le sang, puisse enfin trouver le chemin de sa "libération nationale". Pour certains, il faudrait soutenir le Fatah qui serait progressiste. Pour d'autres, au contraire, et pour les mêmes raisons, il faudrait soutenir le Hamas.
Petit florilège, l'un avance : "L'une des fractions est nationalistes bourgeoises et l'autre représente le fascisme vert. Je préfère le Fatah !" Un autre lui répond : "Ce qu'on voit de façon assez claire dans cette crise, c'est quand même le Fatah passant un seuil dans le rôle de supplétif de l'impérialisme, en condamnant le gouvernement Hamas [...] et en cherchant par tous les moyens à le déstabiliser".
Un troisième point de vue s'exprime : "Le Hamas ne défend pas la bourgeoisie ni le fascisme mais bien un système féodal basé sur l'obscurantisme religieux tandis que la Fatah, nationaliste laïque [...] défend un Etat souverain dirigé par une bourgeoisie nationale [...]. Moi, je choisis le FPLP."
Un autre sympathisant trotskiste renchérit : "Même si le FPLP soutient le Hamas ?" Réponse du précédent : "En l'absence d'une organisation marxiste et révolutionnaire capable de peser sur le cours des événements j'apporte mon soutien critique à qui je peux ! Et donc au FPLP en l'occurrence..."
Au nom de la démocratie, la LCR laisse cyniquement ces arguments sans réponse. Et pour cause, la cacophonie du débat n'est que le reflet de leurs propres contradictions.
Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire évitent soigneusement de poser la question : où se trouve la défense des intérêts de la classe ouvrière, en Palestine, en Israël, ou ailleurs dans le monde ? L'exploitation féroce de la classe ouvrière par la bourgeoisie palestinienne et israélienne a, comme par enchantement, disparu. La "défense de la patrie palestinienne, au nom des justes droits des Palestiniens" est martelé comme un mot d'ordre mobilisateur à destination de la classe ouvrière dans le bourbier inter-impérialiste. De ce fait, les officines trotskistes déversent le pire poison nationaliste dans les consciences ouvrières. Chaque bourgeoisie, palestinienne comme israélienne, appelle les ouvriers vivant sur son sol à participer à la guerre. D'un côté, il faudrait lutter pour "la juste cause du peuple palestinien", de l'autre, il faudrait, "défendre Israël contre la menace du fanatisme du monde arabo-musulman." Quelles sont les conséquences pour les ouvriers qui vivent en Palestine, comme en Israël, d'une telle position ? Quelle doit être l'attitude des ouvriers partout dans le monde face à ce conflit ? L'idéologie nationaliste est-elle une arme de combat de la bourgeoisie ou de la classe ouvrière ? Ces questions et les réponses qui en découlent ne sont pas secondaires pour la lutte de classe, bien au contraire, elles sont vitales pour le développement du combat de classe et de la conscience prolétarienne.
Partout les ouvriers ont les mêmes intérêts à défendre, contre la même classe d'exploiteurs. Cela ne signifie qu'une seule chose pour la classe ouvrière : aux guerres impérialistes et nationales de la bourgeoisie, le prolétariat ne peut opposer que sa guerre de classe et son unité internationale. Rosa Luxembourg, une des plus grandes figures du prolétariat révolutionnaire, l'affirmait déjà haut et fort il y a près d'un siècle : "A l'époque de l'impérialisme déchaîné, il ne peut y avoir de guerre nationale. Les intérêts nationaux ne sont qu'une mystification qui a pour but de mettre les masses populaires laborieuses au service de leur ennemi mortel : l'impérialisme." [1] Sous couvert de bons sentiments et au nom de la défense d'une patrie palestinienne où les droits du peuple seraient respectés, voilà à quel sale travail s'attellent des organisations comme LO ou la LCR. Pire ! Quand elles ont en face d'elles des organisations défendant de façon réelle et vivante l'internationalisme prolétarien, elles les traitent "d'indifférentistes". La seule position marxiste et révolutionnaire possible est celle que réaffirme un sympathisant des positions de la Gauche communiste intervenant dans le Forum trotskiste : "Ce qui se passe à Gaza montre encore une fois le danger que représente l'idéologie nationaliste pour la classe ouvrière. Quand la classe ouvrière est empoisonnée par cette idéologie, cela amène toujours celle-ci à s'entretuer entre elle pour des intérêts qui ne sont pas les siens. On l'a vu en 1914, lors de la deuxième guerre mondiale, lors des conflits entre le bloc de l'Est et le bloc de l'Ouest. Aujourd'hui avec la dislocation de l'Autorité palestinienne, on amène les ouvriers palestiniens à s'entretuer entre eux au nom du fait que tel ou tel camp serait progressiste. Alors que tous les camps en présence défendent une cause nationale qui n'est pas le terrain de la classe ouvrière. Face à cette situation encore une fois le cri de guerre du mouvement ouvrier doit être mis en avant : LES PROLETAIRES N'ONT PAS DE PATRIE."
Tino / 22.1.07
[1] Thèses sur la démocratie internationale.
Depuis quelques semaines, les médias ont donné le coup d'envoi de la campagne électorale car le 10 juin, nous martèlent-ils, "le citoyen pourra, comme tous les quatre ans, participer à la définition de la politique du pays et élire ses représentants démocratiques". Et ils nous présentent les enjeux de ces élections: Verhofstadt et sa coalition ‘éthico-progressiste' garderont-ils la majorité ou les sociaux-chrétiens et leur ‘réveil moral' imposeront-ils une nouvelle majorité ? Est-ce que le futur premier ministre sera le libéral Verhofstadt, le chrétien Leterme ou même le socialiste Di Rupo? Y aura-t-il un nouveau round de négociations communautaires afin de régionaliser des compétences ou plutôt une certaine ‘refédéralisation' de certains moyens financiers? Et de nous présenter les ‘programmes' en concurrence: si les libéraux veulent développer plus les libertés individuelles pour mieux intégrer le pays dans la société mondialisée, les démocrates-chrétiens pour leur part prétendent gérer l'Etat ‘en bon père de famille' tout en conservant une ‘société chaleureuse' qui s'occupe des ‘plus démunis'. Quant aux socialistes, ils appellent au rassemblement des progressistes et des écologistes pour construire ‘une société socialement équitable et respectueuse de l'environnement'.
Sur le plan socio-économique toutefois, tous les partis sont d'accord sur l'essentiel, même s'ils montent en épingle quelques divergences sur des mesures subsidiaires : la croissance de l'économie nationale va dans le bon sens et il faut tout faire pour ‘maintenir à tout prix la compétitivité' face aux concurrents sur un marché international où la compétition est féroce. D'ailleurs, ne sont-ils pas tous impliqués dans la mise en œuvre de cette politique à différents niveaux de pouvoir ? Les libéraux dirigent le gouvernement fédéral, les sociaux-chrétiens le gouvernement régional flamand, les socialistes le gouvernement régional wallon et l'exécutif bruxellois.
Au niveau social justement, une question est totalement absente du débat électoral, c'est celle des conditions de vie et de travail de la population, en particulier de la classe ouvrière. Gommés la crise, les licenciements, les baisses de salaire, la flexibilité, le stress, le taux de suicide parmi les plus élevés du monde, les jeunes qui pètent les plombs, ... Ce silence n'est pas étonnant car, sur le plan des attaques contre la classe ouvrière, les partis sont tous profondément d'accord et leurs ministres se sont largement impliqués dans les mesures prises.
Souvenons-nous sur ce plan des axes de l'offensive de la bourgeoisie, tels que les avaient formulés la conférence pour l'emploi de septembre 2003 (cf. Internationalisme n° 300, 15.11.03), qui regroupait l'ensemble des forces patronales, syndicales et politiques. Elle avait mis en avant 5 chantiers sur lesquels porteraient les attaques contre les salariés : la baisse des charges pour les entreprises, la modération salariale, la réduction des frais liés au chômage, l'augmentation du temps de travail par semaine et le rallongement de la durée du travail au cours de la vie et enfin le financement alternatif de la sécurité sociale. Face aux discours mystificateurs des partis, il n'est pas inutile de rappeler les effets dévastateurs de cette politique préméditée :
- la baisse des charges pour les entreprises :
Les dérogations d'impôts pour les entreprises, l'assouplissement des procédures de licenciements et surtout les mesures accentuant la flexibilité du travail se sont accumulés. Ces dernières années, le patronat a calculé que les augmentations salariales modestes accordées ont été largement compensées par une hausse vertigineuse de la productivité grâce à une forte croissance de la flexibilité, rendue possible par une dérégulation du temps de travail maximal autorisé (en 2006, on est passé de 65 à 130 heures de travail en plus du temps de travail officiel par an, soit en moyenne plus de deux par semaine), et à une forte baisse des charges patronales, octroyée par le gouvernement. En 2003, la Belgique se situait au deuxième rang mondial de la productivité par heure travaillée et en 2006, elle est toujours dans le top-3 (après le Luxembourg et la Norvège) (The Conference board, dans De Morgen, 27.01.07). Le travailleur belge produit par heure 12% de valeur en plus qu'aux USA, ce qui en dit long sur le rythme et la flexibilité du travail qui pourtant, dixit la bourgeoisie, doivent encore être améliorés.
- la modération salariale :
Depuis dix ans au moins, les salaires tentent péniblement de suivre l'index des prix et souvent, comme depuis 2005, il y a recul ‘officiel' du pouvoir d'achat, ainsi d'ailleurs que dans d'autres pays d'Europe et aux USA (De Morgen, 05.06.06). De toute façon, ‘l'indexation automatique des salaires' elle-même est un mythe dans la mesure où l'index a été trafiqué (sortie des produits pétroliers et de produits ‘nocifs pour la santé'). De plus, la bourgeoisie a introduit depuis les années 1990 une ‘norme salariale' pour ‘modérer' l'index, déterminant que les hausses salariales prévues ne peuvent dépasser la moyenne de celles accordées en Allemagne, Hollande et en France. Pour 2007-2008, elles ont été fixées 0,5% en dessous de celles prévues dans ces pays. On ne s'étonnera donc pas que le pouvoir d'achat d'un travailleur belge est le plus bas de tous les pays industrialisés d'Europe, 25% de moins par exemple qu'aux Pays-Bas (chiffres de FedEE, la Fédération des Employeurs Européens, De Morgen, 05.06.06)
- la réduction des frais liés au chômage :
Sous le couvert d'un taux de chômage trop élevé par rapport aux offres d'emploi vacantes (cf. La Banque Nationale souligne que le taux de chômage de 8% reste trop haut par rapport à croissance de l'économie et alors que les entreprises ne trouvent pas de candidats (De Morgen, 15.02.07)), gouvernement et patronat plaident avec de plus en plus d'insistance pour une réduction des allocations de chômage et pour leur limitation dans le temps. Ainsi, le ministre socialiste flamand de l'emploi F. Vandenbroucke a activé une politique systématique de suivi individualisé des jeunes chômeurs pour les mettre sous pression et les sanctionner s'ils ne sont pas ‘proactifs sur le marché du travail'. En outre, il plaide pour des allocations plus élevées ... mais limitées dans le temps pour augmenter la pression car "les offres de travail n'arrivent plus à être remplies".
- l'augmentation du temps de travail par semaine et le rallongement de la durée du travail :
Face à un taux d'emploi de 60,9%, un des plus bas d'Europe, le ‘pacte des générations', adopté en 2005, a fixé la durée du travail à 65 ans (en attendant les 67 ans comme en Allemagne?) et réduit drastiquement toute pos-sibilité de retraite anticipée avant 60 ans.
- le financement alternatif de la sécurité sociale :
Depuis plus de dix ans, les minima sociaux ont été bloqués ou chichement relevés par les différents gouver-nements : "Notre sécurité sociale est sérieusement menacée" reconnaissent même les distingués sociologues du Centre d'études Sociales de l'université d'Anvers (De Morgen, 26.02.07). Les retraites et les allocations sociales, surtout les allocations minimales des CPAS, sont plus basses en Belgique qu'ailleurs (en comparaison par ex. avec celles octroyées aux Pays-Bas ou en France) et se situent souvent en dessous du seuil de pauvreté européen (De Standaard 07.02.06). 15% des Belges vivent sous le seuil de pauvreté (27% à Bruxelles) et dans des quartiers ouvriers de grandes villes comme Charleroi, Liège, Bruxelles, Anvers ou Gand , le chômage approche ou dépasse les 30% : 14 ,3 % des adultes belges et 13,5% des adoles-cents vivent dans une famille où personne n'a du travail (De Standaard, 20.02.07).
Bref, les travailleurs ont vu leur pouvoir d'achat reculer et paient plus d'impôts (directs ou indirects ‘pour l'environnement') sur leur salaire. Ils se voient imposer des cadences plus élevées dans le cadre d'une flexibilité exacerbée qui implique en plus dans les faits une augmentation du temps de travail moyen par le remplacement des limitations journalières par des quotas d'heures de travail par mois. Par ailleurs, les modalités de licenciement sont facilitées et les allocations de chômage, ainsi que les autres allocations sociales ou les retraites sont réduites. Et ceci dans un pays où la qualité de l'air et de l'eau et plus généralement la situation de l'environnement est catastrophique: "la pression sur les cours d'eau et les matières premières est parmi la plus élevée de tous les pays de l'OCDE" (Rapport de l'OCDE, De Morgen 26.09.06) et où donc la pression sur leur santé physique et mentale est énorme. En Flandre, le niveau de stress est passé d'une valeur de 15 à l'index de stress en 2000 au niveau 19 aujourd'hui, soit une croissance de plus de 25%.
Et pour qui croirait que cela suffit, c'est mal comprendre l'engrenage infernal de concurrence exacerbée sur le marché mondial saturé dans lequel est prise la bourgeoisie et qui l'amène à s'attaquer toujours plus aux conditions de vie et de travail de la classe ouvrière: malgré un niveau de productivité exceptionnel, les pertes d'emplois et les licenciements se sont multipliés en Belgique: des dizaines de milliers d'emplois ont disparu ces dernières années jusque dans les entreprises les plus prestigieuses: Philips, Siemens, Ford, Opel ARCELOR, Bayer, Belgacom, La Poste ou la SNCB. VW-Forest en est le dernier exemple caricatural. Alors que l'usine était performante, la course suicidaire à la productivité a mené au licenciement de plus de la moitié des ouvriers. Pour ceux qui restent un gain de productivité de 20% est imposé en imposant 38h de travail tout en continuant à être payés pour 35h et en rendant une partie du salaire et des primes variables, c'est-à-dire dépendantes des résultats obtenus.
Cette offensive systématique contre les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière - qu'on retrouve d'ailleurs dans l'ensemble des pays industrialisés (cf le plan d'austérité de la ‘grande coalition CDU-SPD en Allemagne) - est, rappelons-le, le produit d'une politique consciente et systématique à laquelle a collaboré à un niveau de pouvoir ou à un autre la plupart des forces politiques. Si elle fait l'unanimité parmi l'ensemble des partis politiques, ceux-ci cependant, pour garder une certaine crédibilité et surtout pour donner aux attaques un semblant d'équité, se doivent de les noyer dans un brouillard de mystifications idéologiques. Les élections et le battage démocratique servent précisément à réaliser cela.
Le battage autour des élections consiste à persuader les travailleurs que voter serait la principale arme de la classe ouvrière pour défendre ses intérêts, et surtout qu'il faut voter pour ‘améliorer', ‘changer', ‘rendre plus juste' la société. Il vise ainsi fondamentalement à les enfermer dans les faux choix de la mystification démocratique : un peu moins d'impôts directs ou un peu plus d'indirects au nom de l'environnement et de la mobilité, stimuler la responsabilité individuelle ou renforcer plutôt les garde-fous collectifs au niveau de la ‘sécurité sociale', favoriser la libre concurrence ou imposer des contraintes sociales sur le marché du travail. Le ‘débat' porte toujours sur la modulation des mesures de ‘rationalisation', sur la forme des sacrifices ‘inévitables', jamais sur leur principe ou sur la logique qui les sous-tend. La ‘campagne' électorale fait partie d'une manoeuvre plus large visant à convaincre surtout la classe ouvrière qu'elle doit s'engager dans la participation citoyenne et dans la défense des institutions démocratiques et qui la pousse en conséquence à cautionner la politique d'austérité ‘par solidarité citoyenne'. Par ce biais, il s'agit en fin de compte de faire accepter les sacrifices ‘démocratiquement décidés' et de détourner l'attention des travailleurs des vraies raisons des mesures de restructuration et d'austérité : la spirale sans issue de rationalisations pour augmenter la rentabilité dans laquelle est engagé le système capitaliste décadent.
Si les campagnes électorales sont pour la bourgeoisie un instrument idéologique précieux de la mystification démocratique, pour la classe ouvrière, elles sont aujourd'hui un leurre instillant l'idée que l'ouvrier ‘citoyen' peut influencer, voire déterminer la politique de la bourgeoisie. Les élections sont un piège pour la classe ouvrière, entre-tenant l'illusion qu'à travers un vote en tant que ‘citoyen' individuel dans l'isoloir, il serait possible d'influer sur la politique de la bourgeoisie, voire l'infléchir radicalement. Dans le capitalisme décadent, c'est l'Etat bourgeois qui élabore les orientations politiques pour défendre de la meilleure manière les intérêts nationaux face à la bataille pour les marchés sur la scène internationale. Les différentes fractions parlementaires ne font qu'exprimer cette politique. La variété (toute relative) de leurs programmes, slogans et couleurs et l'organisation d'élections et de campagnes électorales n'est là que pour entretenir ‘l'illusion démocra-tique', pour donner l'impression au ‘citoyen', en particulier aux travailleurs salariés, qu'une fois tous les quatre ans, ils peuvent véritablement déterminer la politique de leur ‘patrie' et choisir les politiciens qui la mettront en pratique. En réalité, à l'instar de l'électeur enfermé dans son isoloir, elles enferment le travailleur en tant que citoyen dans la spirale absurde, infernale et suicidaire de concurrence entre individus et nations. Or, comme l'histoire l'a démontré, seule l'action massive et collective de la classe ouvrière peut présenter une alternative à l'orientation catastrophique qu'impose au monde le système capitaliste aux abois.
La classe ouvrière ne peut se permettre d'entretenir la moindre illusion sur une possibilité de voir son sort s'améliorer ni par les urnes, ni en faisant confiance à ceux qui prétendent répartir autrement les richesses. C'est exactement le contraire. Elle ne peut que s'enfoncer dans une misère de plus en plus insupportable. De fait, la classe ouvrière n'a absolument rien à faire sur le terrain électoral. Les dés sont pipés d'avance: les élections ne servent toujours qu'une classe, celle de nos exploiteurs. Il n'y a aucune illusion à se faire. Ce système d'exploitation ne peut pas être réformé ; Il faut le détruire. Seul le développement de ses luttes pour renverser ce système à l'échelle mondiale peut lui permettre de s'ouvrir une autre perspective.
Jos / 27.02.07
90 ans après, le déclenchement de la Révolution russe en 1917 reste le mouvement des masses exploitées le plus gigantesque, le plus conscient, le plus riche d'expériences, d'initiatives et de créativité que l'histoire ait jamais connue. En effet, des millions de prolétaires parvenaient à briser leur atomisation, à s'unifier consciemment, à se donner les moyens d'agir collectivement comme une seule force en imposant les instruments du renversement de l'Etat bourgeois pour la prise du pouvoir: les conseils ouvriers (soviets). Au delà du renversement du régime tsariste séculaire, ce mouvement de masse conscient, annonçait rien de moins que le début de la révolution prolétarienne mondiale dans le cadre international d'une vague de révoltes de la classe ouvrière contre la guerre et le système capitaliste comme un tout.
La bourgeoisie ne s'y est pas trompée, elle qui depuis des décennies éructe les mensonges les plus éculés sur cet événement historique. De fait, selon toute une palette d'arguties, les historiens bourgeois aux ordres, n'ont de cesse de colporter une des légendes les plus rebattues consistant à présenter la Révolution de février 1917 comme un mouvement pour la "démocratie", violé par le coup d'Etat bolchévik. Février 1917 serait une authentique "fête démocratique", Octobre 1917 un vulgaire "coup d'Etat", une manipulation par le parti bolchévik des masses arriérées de la Russie tsariste. Cette falsification éhonté est le produit de la peur et la rage ressenties par la bourgeoisie mondiale devant une oeuvre collective et solidaire, une action consciente de la classe exploitée, osant relever la tête et mettre en question l'ordre des choses existant.
En Février 1917, le soulèvement des ouvriers de St Petersbourg (Pétrograd) en Russie, ne survient pas comme un coup de tonnerre dans un ciel d'azur. Il est dans la continuité des grèves économiques durement réprimées, lancées par les ouvriers russes depuis 1915 en réaction contre la sauvagerie de la boucherie mondiale, contre la faim, la misère noire, l'exploitation à outrance et la terreur permanente de l'état de guerre. Ces grèves et ces révoltes ne sont à la même époque en aucune façon une spécificité du prolétariat russe mais sont une partie intégrante des luttes et manifestations du prolétariat international. Une même vague d'agitation ouvrière se développe en Allemagne, en Autriche, en Grande Bretagne... Au front, surtout dans les armées russe et allemande, surgissent des mutineries, des désertions collectives, des fraternisations entre soldats des deux côtés. En effet, après s'être laissé entraîner par les venins patriotiques et les tromperies "démocratiques" des gouvernements, avalisés par la trahison de la majorité des partis social-démocrates et des syndicats, le prolétariat international relevait la tête et commençait à sortir des brumes de l'ivresse chauvine. A la tête du mouvement se trouvaient les internationalistes - les bolchéviks, les spartakistes, toute la gauche de la 2e Internationale qui, depuis l'éclatement de la guerre en août 1914, la dénonçaient sans faiblesse comme une rapine impérialiste, comme une manifestation de la débâcle du capitalisme mondial, comme le signal pour que le prolétariat remplisse sa mission historique : la révolution socialiste internationale. Ce défi historique allait être relevé internationalement par la classe ouvrière à partir de 1917 jusqu'en 1923. A l'avant-garde de ce mouvement prolétarien qui arrêtera la guerre et qui ouvrira la possibilité de la révolution mondiale, se trouva le prolétariat russe en ce mois de février 1917. Le déclen-chement de la Révolution Russe ne fut donc pas une affaire nationale ou un phénomène isolé - c'est-à-dire une révolution bourgeoise attardée, limitée au renversement de l'absolutisme féodal - mais constitua le plus haut moment de la réponse du prolétariat mondial à la guerre et plus profondément à l'entrée du système capitaliste dans sa décadence.
Du 22 au 27 février, les ouvriers de St Pétersbourg déclenchent une insurrection en réponse au problème historique que représente la guerre mondiale, expression de la décadence du capitalisme. Commencée par les ouvrières du textile - surmontant les hésitations des organisations révolutionnaires - la grève gagne en 3 jours la quasi-totalité des usines de la capitale. Le 25, ce sont plus de 240 000 ouvriers qui ont cessé le travail et qui, loin de rester passifs dans leurs ateliers, multiplient les meetings et les manifestations de rue, où leurs mots d'ordre des premières heures pour réclamer du "pain" se trouvent bientôt renforcé par ceux de "à bas la guerre", "à bas l'autocratie".
Le 27 février au soir, l'insurrection, conduite par le prolétariat en armes, règne en maître sur la capitale, tandis que grèves et manifestations ouvrières démarrent à Moscou, gagnant les jours suivants les autres villes de province, Samara, Saratov, Kharkov... Isolé, incapable d'utiliser contre le mouvement révolutionnaire une armée profondément minée par la guerre, le régime tsariste est contraint d'abdiquer.
Une fois rompues les premières chaînes, les ouvriers ne veulent plus reculer et, pour ne pas avancer à l'aveuglette, ils reprennent l'expérience de 1905 en créant les soviets qui étaient apparus spontanément pendant cette grande grève de masse. Ces conseils ouvriers étaient l'émanation directe des milliers d'assemblées de travailleurs dans les usines et les quartiers, appliquant la souveraineté des assemblées et la centralisation par délégués éligibles et révocables à tout instant. Ce processus social apparaît aujourd'hui utopique à beaucoup d'ouvriers, mais c'est celui de la transformation par les travailleurs d'une masse soumise et divisée, en une classe unie qui agit comme un seul homme et devient apte à se lancer dans le combat révolutionnaire. Trotsky avait dès après 1905 déjà montré ce qu'était un conseil : "Qu'est-ce que le soviet ? Le conseil des députés ouvriers fut formé pour répondre à un besoin pratique suscité par la conjoncture d'alors : il fallait avoir une organisation jouissant d'une autorité indiscutable, libre de toute tradition, qui grouperait du premier coup les multitudes disséminées et dépourvues de liaison; cette organisation (...) devait être capable d'initiative et se contrôler elle-même d'une manière automatique..." (Trotsky, 1905) Cette "forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat", comme le disait Lénine, rendait caduque l'organisation permanente en syndicats. Dans la période où la révolution est historiquement à l'ordre du jour, les luttes explosent spontanément et tendent à se généraliser à tous les secteurs de la production. Ainsi le caractère spontané du surgissement des conseils ouvriers résulte directement du caractère explosif et non programmé de la lutte révolutionnaire.
Les conseils ouvriers pendant la révolution russe ne furent pas le simple produit passif de conditions objectives exceptionnelles mais aussi le produit d'une prise de conscience collective. Le mouvement des conseils a apporté lui-même les matériaux pour l'auto-éducation des masses. Les conseils ouvriers entremêlèrent de façon permanente les aspects économiques et politiques contre l'ordre établi. Comme l'écrit Trotsky: "Là est sa force. Chaque semaine apportait aux masses quelque chose de nouveau. Deux mois faisaient une époque. A la fin février, insurrection. A la fin avril, manifestation des ouvriers et des soldats armés dans Pétrograd. Au début juillet, nouvelle manifestation avec beaucoup plus d'ampleur et des mots d'ordre plus résolus. A la fin d'août, la tentative de coup d'Etat de Kornilov , repoussé par les masses. A la fin d'octobre, conquête du pouvoir par les bolcheviks. Sous ce rythme des événements d'une régularité frappante s'accomplissaient de profonds processus moléculaires qui soudaient en un tout politique les éléments hétérogènes de la classe ouvrière." (...) On tenait des meetings dans les tranchées, sur les places des villages, dans les fabriques... Pendant des mois, à Pétrograd et dans toute la Russie, chaque coin de rue fut une tribune publique..." (Trotsky, Histoire de la Révolution Russe).
Si le prolétariat russe se donna les moyens de son combat en imposant les conseils ouvriers, il n'en reste pas moins que dès février, il rencontra une situation extrêmement dangereuse. En effet, les forces de la bourgeoisie internationale tentèrent ausitôt de retourner la situation à leur avantage. Faute de pouvoir écraser dans le sang le mouvement, elles tentèrent de l'orienter vers des objectifs bourgeois "démocratiques". D'une part elles formèrent un gouvernement provisoire, officiel, dont le but était de poursuivre la guerre. D'autre part, d'emblée, les soviets furent envahis par les mencheviks et les socialistes révolutionnaires. Ces derniers, dont la majorité est passée dans le camp bourgeois du fait de la guerre, jouissaient au début de la révolution de février, d'une immense confiance parmi les ouvriers. Ils furent naturellement portés à l'Exécutif du Soviet. De cette position stratégique, ils essayèrent par tous les moyens de saboter les soviets, de les détruire. D'une situation de "double pouvoir" en février, on en arriva à une situation de "double impuissance" en mai et juin 1917 dans la mesure où l'Exécutif des soviets servait de masque à la bourgeoisie pour réaliser ses objectifs, en premier lieu le retablissement de l'ordre à l'arrière et au front pour pourvoir poursuivre la boucherie impérialiste. Ces démagogues menchéviks ou social-démocrates firent encore et toujours des promesses sur la paix, "la solution du problème agraire", l'application de la journée de 8 heures etc, sans jamais les mettre en oeuvre. Même si les ouvriers, du moins ceux de Pétrograd, étaient convaincus que seuls le pouvoir des soviets étaient en mesure de répondre à leurs aspirations et s'ils voyaient bien que leurs revendications et exigences n'étaient pas prises en compte, ailleurs dans les provinces et parmi les soldats, on croyait encore aux "conciliateurs", aux partisans de la prétendue révolution bourgeoise. Il reviendra à Lénine, avec ses Thèses d'Avril, deux mois après le déclenchement du mouvement, tout d'abord de dévoiler son audacieuse plate-forme pour réarmer le parti bolchévik, tendant lui aussi à concilier avec le gouvernement provisoire. Ses Thèses explicitaient clairement en avance vers où allait le prolétariat et formulaient les perspectives du parti : "Aucune concession, si minime soit-elle... ne saurait être tolérée dans notre attitude envers la guerre."
"Aucun soutien au gouvernement provisoire, démontrer le caractère entièrement mensonger de toutes ses promessses... Le démasquer au lieu 'd'exiger' - ce qui est inadmissible car c'est semer des illusions - que ce gouvernement, gouvernement de capitalistes, cesse d'être impérialiste."
"Non pas une république parlementaire - y retourner après les Soviets des députés ouvriers serait un pas en arrière - mais une république des Soviets de députés ouvriers, salariés agricoles et paysans dans tout le pays, de la base au sommet." Armé de cette solide boussole, le parti bolchévik put faire des propositions de marche correspondant aux besoins et aux possibilités de chacun des moments du processus révolutionnaire en gardant en ligne de mire la perspective de la prise du pouvoir, et ce, par un "travail d'explication patient et opiniâtre" (Lénine). Et dans cette lutte des masses pour prendre le contrôle de leurs organisations contre le sabotage bourgeois, après plusieurs crises politiques, en avril, en juin et surtout juillet, il devint possible de renouveler les Soviets au sein desquels les bolchéviks devinrent majoritaires. L'activité décisive des bolchéviks a donc eu pour axe central le développement de la conscience de classe, ayant confiance dans la capacité de critique et d'analyse des masses et confiance en la capacité d'union et d'auto-organisation de celles-ci. Les bolchéviks n'ont jamais prétendu soumettre les masses à "un plan d'action" préconçu, levant les masses comme on lève une armée. "La principale force de Lénine consistait en ceci qu'il comprenait la logique interne du mouvement et réglait d'après elle sa politique. Il n'imposait pas son plan aux masses. Il aidait les masses à concevoir et à réaliser leurs propres plans." (Trotsky, Histoire de la Révolution Russe, chapitre. "Le réarmement du parti"). C'est ainsi que dès septembre, les bolchéviks posèrent clairement la question de l'insurrection dans les assemblées d'ouvriers et de soldats. "L'insurrection fut décidée, pour ainsi dire, pour une date fixée: le 25 octobre. Elle ne fut pas fixée par une réunion secrète, mais ouvertement et publiquement, et la révolution triomphante eu lieu précisément le 25 octobre...". (ibid) Elle souleva un enthousiasme sans pareil parmi les ouvriers du monde entier, devenant le "phare" qui éclairait l'avenir de tous les exploités. Aujourd'hui encore, la destruction du pouvoir politique et économique des classes dominantes est une nécessité de survie impérieuse. La dictature du prolétariat, organisé en Conseils souverains, demeure la seule voie réaliste pour jeter les bases d'une nouvelle société véritablement communiste. Cela, les prolétaires doivent se le réapproprier à la lumière de l'expérience de 1917.
SB
"Le droit d'inscription aux cours pour adultes en Flandre sera sérieusement augmenté à partir de septembre 2007, et cela vaut aussi pour le cours de néerlandais destiné aux allochtones qui y vivent. Contre ces mesures, s'est déroulée le 11 janvier 2007 une manifestation devant le Ministère Flamand de l'Enseignement, à Bruxelles, au cours de laquelle professeurs et étudiants ont mené une action commune (...) Vos commentaires et votre éventuel soutien sont bienvenus. Il ne s'agit pas seulement de l'enseignement du néerlandais, mais aussi des autres cours pour adultes. T&G".
Nous voulons réagir à cet appel et à d'autres réactions de lecteurs et de contacts que nous avons reçues à ce propos car ils sont caractéristiques du mécontentement provoqué par cette nouvelle mesure d'austérité du ministre flamand de l'Enseignement, le 'socialiste' Vandenbroucke. Qui est concerné? Comment réagir? Descendre dans la rue ensemble? Interrompre les cours? Comment appeler à la solidarité? Les nombreuses questions que se posent les participants à ces actions sur la voie à suivre pour imposer un véritable rapport de forces, sont en effet une composante essentielle d'une résistance victorieuse.
"Afin d'éviter que les étudiants accumulent «cours de jardinage et cours de cuisine» comme s'ils faisaient du shopping, le ministre de l'Enseignement, Frank Vandenbroucke (SP.A) propose d'augmenter le droit d'inscription" (De Standaard, 14.2.07). Concrètement, cela revient à augmenter le droit d'inscription par heure de cours à un euro, soit en pratique à tripler, voire quadrupler le montant à payer par les élèves (souvent une hausse de 100 à 300 EUR par cours) ! Mais, dit Vandenbroucke: "Actuellement, trop d'adultes papillonnent grosso modo d'un cours de décoration florale à un cours d'Italien, et vice versa. Ces élèves dilettantes peuplent l'enseignement pour adultes, mais dans les cours se trouvent également des adultes qui ont vraiment besoin de formation. En fixant un seuil financier, ce sont les adultes les plus motivés qui resteront" (De Standaard, 14.2.07). Voilà qui va certainement réjouir ces "adultes qui ont vraiment besoin de formation" (sic)! C'est la énième attaque directe sur les conditions de vie de la population travailleuse. Cette fois au travers de l'Enseignement pour adultes. Cela ôtera à une partie de la classe travailleuse toute chance de mieux se former, ou de se former tout court, et donc aussi d'essayer d'améliorer ses chances d'obtenir un emploi ou sa qualité de vie. Pour les allochtones, c'est un montant encore plus important qui sera prélevé de leurs moyens de (sur)vie, et il leur sera encore plus difficile d'avoir accès au marché de l'emploi. Et nous ne disons encore rien de la pression exercée concernant les présences des élèves (qui sont parfois absents parce qu'ils doivent travailler dans des jobs aux horaires très flexibles et difficiles). Certaines autorités vont jusqu'à exiger des écoles qu'elles dénoncent les absents.
Ceci est en flagrante contradiction avec les promesses d'une "formation continue" ou le slogan maintes fois répété d'une "politique d'enseignement sociale" que ce même ministre "socialiste" répand depuis toute une législature et dont il se vante constamment dans les médias. En France aussi, on a d'abord essayé de "vendre" le CPE) comme une "mesure sociale pour aider les jeunes à trouver un emploi", et chez VW, les licenciements massifs et les baisses de salaires sont présentés comme une "garantie pour l'avenir". Une fois de plus, les mesures d'austérité ou de rationalisation sont présentées sous la forme de décisions 'sociales' qui doivent 'garantir le futur' ! La énième leçon, que nous ne pouvons attendre d'un gouvernement, avec ou sans ministre socialiste, rien d'autre que des mesures destinées à augmenter les chances de survie du système d'exploitation capitaliste. Diminution des frais de production, du salaire indirect, des allocations sociales, enseignement plus cher, offres culturelle et sociale plus chères, augmentation des soins de santé.
Mais on pourrait peut-être penser que le ministre a l'intention de doubler le salaire des professeurs grâce aux mesures d'économie? Bien au contraire: dans toute la Flandre, Vandenbroucke veut fusionner les centres de formation par région, rationaliser donc, "harmoniser l'offre" comme on dit dans son jargon. En clair: faire tourner l'affaire avec moins de personnel et moins de soutien logistique, donc avec un meilleur "taux d'utilisation" des moyens investis. Cette situation provoque, c'est le moins qu'on puisse dire, questions et mécontentement dans le personnel: combien d'emplois seront supprimés, et selon quels critères? En plus, les directions pourront récompenser les "bons" professeurs: l'un donnera 15 heures de cours, et l'autre 25, pour le même salaire. Place à l'arbitraire et au favoritisme donc! Un coup de maître dans le registre "diviser pour régner".
Les enseignants, aussi bien que le personnel logistique et les élèves ne se sont pas laissés endormir, ils sont conscients qu'il s'agit d'une mesure d'économie orchestrée, qui va avoir un impact sur beaucoup de familles de travailleurs: plus de 200.000 élèves et plusieurs milliers de membres du personnel. L'action du 11 janvier à laquelle renvoie l'appel, menée par des enseignants et des élèves, était donc une première réaction spontanée. Une action qui n'a pas attendu les mots d'ordre des syndicats et des directions. Ces derniers mois, différentes actions se sont succédées partout en Flandre, alors que les syndicats étaient occupés à négocier "en silence" (voir entre autres https://www.neeaan1euro.be [12] et https://www.platformvolwassenenonderwijs.be [13]). Syndicats et pouvoirs organisateurs ont rapidement réagi en lançant leurs propres "actions" via la "plateforme enseignement pour adultes" et en appelant à interrompre les cours dix minutes pendant deux jours. Quelle perspective! Leurs revendications regorgent de visions qui opposent les différentes catégories visées et qui proposent des "apports constructifs" à toutes sortes de mesures spécifiques du plan ministériel. Assez d'illusions ! Pour faire face à une telle mesure, nous devons compter sur la solidarité à l'intérieur de la classe ouvrière, et il faudra activement aller la chercher. Nous ne pouvons pas rester isolés. C'est là-dessus que comptent les politiciens et leurs laquais syndicaux. Alors ils pourraient, chacun dans leur rôle, imposer la mesure. On a vu comment les ouvriers de VW ont été manipulés (voir article dans ce journal), pour finalement (et grâce aux syndicats) se voir imposer licenciements et baisses de salaires, au nom de la "raison". C'est ce que veulent éviter les participants aux actions. Mais comment, car c'est la question qui revient dans toutes les discussions que nous avons eues. Si nous tirons les leçons des événements chez VW, nous devons diriger nos efforts vers le recherche active de solidarité, et par conséquent, vers l'extension de notre lutte et l'ouverture en direction de revendications communes. Pour cela, nous devons garder l'organisation de la lutte entre nos mains, en appelant tous les concernés à tenir des assemblées générales et à mettre en avant des revendications communes.
Ce n'est qu'en forgeant un rapport de forces contre la bourgeoisie que nous pourrons la forcer à temporairement reculer sur le plan de sa rage d'économies et d'imposition de la misère. Car elle n'a pas d'autre principe que la productivité, les économies de coût, la recherche du profit, et tout doit s'y soumettre. La lutte de la classe ouvrière ne peut vivre que par la solidarité, et porte en elle les germes d'une société qui tend vers une production pour les besoins réels de l'humanité.
K.Stof & LAC / 3.3.07
Dans la foulée du film documentaire d'Al Gore (Une vérité qui dérange) puis du pacte écologique de l'animateur de télévision Nicolas Hulot en France, le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC), réuni fin janvier à Paris pour livrer les conclusions de la 1ère partie de son rapport 2007, déclenche à son tour l'alerte climatique. Cette fois, les 500 meilleurs spécialistes mondiaux (accrédités par l'ONU) sont formels et unanimes : la Terre est entrée dans une phase de bouleversement climatique sans précédent. "Les informations paléoclimatiques [étude du climat allant de la décennie au million d'année] confirment l'interprétation que le réchauffement du dernier demi-siècle est atypique sur au moins les 1300 dernières années." (Résumé à l'intention des décideurs). Sur une échelle plus proche, le GIEC constate que parmi les 12 dernières années, 11 sont au " palmarès des 12 années les plus chaudes depuis qu'on dispose d'enregistrement de la température de surface (depuis 1850)."
Le réchauffement du climat est en marche, et si l'homme ne réduit pas drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre (CO2), la température du globe augmentera dans une fourchette comprise ente 2°C et 4°C d'ici 2100. En l'espace d'un siècle, l'activité de l'homme imposera donc au climat une mutation radicale que seuls des milliers d'années d'évolution naturelle sont capables de façonner. Dès lors, l'avenir envisagé par notre groupe d'experts à travers une multitude de scénarios n'est guère reluisant : les prochaines conditions de vie climatique de l'espèce humaine seront apocalyptiques...y compris dans le "meilleur des cas" !
Les prémices d'un environnement naturel hostile et meurtrier ne se sont d'ailleurs pas fait attendre : "Des sécheresses plus sévères et plus longues ont été observées sur de larges étendues depuis 1970, particulièrement dans les régions tropicales et subtropicales" ... de même, "les observations mettent en évidence une augmentation de l'activité des cyclones tropicaux intenses dans l'Atlantique Nord depuis 1970 environ, corrélée avec des augmentations de températures de surface de la mer sous les tropiques."
Canicules, ouragans, tempêtes, inondations emportent chaque année de nombreuses vies humaines, mais le pire est prévu pour demain (1).
"Depuis 1970..." : la nouvelle n'est pas très fraîche... Alors, "que disent de neuf nos scientifiques dans [leur] édition 2007 ?" (s'interroge le Nouvel Observateur)... "Jusqu'au bout le secret a été bien gardé, les travaux préparatoires n'étant accessibles qu'aux seuls spécialistes, lesquels ont su tenir leur langue."
Il faut alors prêter une oreille attentive pour recueillir la révélation de ce "secret bien gardé" et surtout n'en perdre aucune miette : "l'essentiel du réchauffement observé pendant les 50 dernières années est très probablement dû à l'augmentation des concentrations de gaz à effet de serre engendrées par l'homme." Du rapport 2001 à celui de 2007, on est ainsi passé de " probablement" à "très probablement" et l'expression " engendrées par l'homme" a été ajoutée. Quel incroyable bond en avant de la science! Qui l'eût crû?
De toute évidence, la seule information inédite dans tout cela est que 500 scientifiques ("des as dans leur spécialité", d'après le Nouvel Observateur) viennent de tomber de leur arbre pour découvrir la Lune... Nul doute que cela fasse un choc!
La Terre se réchauffe et l'activité humaine n'y est pas étrangère... Il ne fallait pourtant pas sortir de la cuisse de Jupiter pour s'en rendre compte. "Depuis 1970..." les conférences internationales se succèdent (Stockholm, Rio, Kyoto...) avec le même constat d'impuissance mais aussi de moins en moins de latitude pour nier- ce qui est de l'ordre de l'évidence...- cette vérité qui dérange.
Toutefois, l'idée (presque une lapalissade) selon laquelle "l'homme est la principale cause du dérèglement climatique" n'est pas perdue pour tout le monde. En effet, elle s'inscrit directement au bénéfice de la classe dominante et de sa collection de trompe-l'œil en tous genres.
"Ça va réchauffer : la faute à l'homme » (titre un article de Libération du 2 février). Le revoilà donc ce vilain garnement, déraisonnable et égoïste, qui détruit la planète comme on casse un vulgaire jouet. La désignation du bouc émissaire est facile, intemporelle à souhait, elle a le grand mérite d'écarter d'un revers de main la question, il est vrai épineuse, du mode de production. Et pourtant, l'homme ne détruit pas l'environnement et ne chamboule pas le climat de manière fulgurante depuis qu'il est sur Terre car celle-ci serait déjà devenue un immense four coincé sur thermostat "+ 400°C" . Cette crise écologique sans équivalent s'est déclarée dans la seconde moitié du 20e siècle et donc se trouve intimement liée à l'existence d'un mode de production (lui aussi inédit à bien des égards dans l'histoire de l'espèce humaine) : le système de production capitaliste. L'activité industrielle dans le cadre du capitalisme (un système qui ne connaît d'autre loi que la rentabilité économique pour un maximum de compétitivité et de profits), quoi qu'il en coûte à l'humanité et à son milieu de vie... : voilà le véritable nœud du problème qu'il s'agit de trancher.
Les hommes, la satisfaction de leurs besoins, l'air qu'ils respirent, leur avenir... tout ce qui finalement semble l'essentiel se trouve relégué au dernier rang des ordres de priorité de ce monde. On a beau être savant et se draper de l'objectivité scientifique, on n'en reste pas moins l'homme d'un système et là comme ailleurs, il est des réalités que l'on préfère occulter.
Le chaos climatique est à nos portes alors "face à l'urgence, le temps n'est plus aux demi-mesures : le temps est à la révolution au sens authentique du terme. La révolution des consciences. La révolution de l'économie »' Et c'est un « révolutionnaire émérite » qui vous le dit... Jacques Chirac. Cet appel clownesque du Pancho Villa de l'Elysée est surtout le signe manifeste de l'échec patent de la bourgeoisie à dépasser la crise écologique engendrée par son système. De la même façon, les 40 pays réunis le 3 février lors de la Conférence de Paris (pour statuer sur le rapport du GIEC) ont solennellement réclamé l'adoption d'une "Déclaration universelle des droits et des devoirs environnementaux" ; "Cette charte commune garantira aux générations présentes et futures un nouveau droit de l'homme : le droit a un environnement sain et préservé." Or, puisque leur mémoire semble si courte, il faut rappeler que les mêmes pays nous juraient déjà par tous leurs grands saints, au sommet de la Terre à Rio en 1992, être "résolus à préserver le système climatique pour les générations présentes et futures." ... et les émissions de gaz à effet de serre de se répandre de plus belle ! Bref, que ce soit au son chiraquien de " Viva la Revolucion !" ou avec des accents lyriques et solennels sur les Droits de l'Homme, du Citoyen ou de la Terre, la classe dominante est irrémédiablement incapable de garantir un avenir aux générations présentes et futures.
Il est d'ailleurs symptomatique que la seule issue de secours que nous propose la bourgeoisie soit l'édification d'une société " sobre et économe" en énergie à l'image de cette opération médiatique du 1er février : "Cinq minutes de répit pour la planète" où les ménages européens étaient invités (à l'appel de 70 associations écologistes) à suspendre leur consommation d'électricité. "Attention, on coupe le jus !" ... et voilà l'humanité, après tant d'efforts, replongée d'un seul coup d'interrupteur dans l'obscurité, comme un avant-goût d'un retour à l'âge de pierre.
Lorsqu'un monde est en faillite, il n'est guère étonnant de le surprendre à songer à un futur... caverneux.
La classe ouvrière n'a pas de temps à perdre avec toutes ces élucubrations. Parce que ce monde n'est pas le sien, parce qu'il exhale par tous ses pores l'odeur pestilentielle de la mort, elle n'aura aucun état d'âme à s'en débarrasser afin de poser les bases d'une société nouvelle capable de faire de la Terre le plus bel écrin de la vie et de l'activité humaine.
Jude / 19.02.2007
(1) Selon certaines estimations, le réchauffement de la planète pourrait provoquer la migration de plus de 200 millions de personnes dans le monde : les "réfugiés climatiques" .
Le triomphe retentissant de Chavez qui, aux élections du 3 décembre 2006, a obtenu 63% des suffrages validés, contre 37% pour le candidat de l'opposition ne consolide et ne légitime pas seulement le pouvoir du secteur chaviste de la bourgeoisie pour une période de 6 ans, mais il représente aussi un triomphe pour l'ensemble de la bourgeoisie vénézuélienne. En effet, une fois de plus, la confrontation politique entre les fractions de la bourgeoisie, qui a dominé la scène politique après l'arrivée de Chavez au pouvoir en 1999, est parvenue à polariser la population et à l'amener à participer massivement à la bataille électorale : selon les chiffres du Conseil National Électoral (CNE), le taux d'abstention de 25% a été le plus bas des niveaux historiques qui étaient de l'ordre de 40%.
La bourgeoisie, à travers le retour sur la scène électorale des secteurs de l'opposition (qui se sont abstenus de participer aux élections parlementaires de 2005) est parvenue à donner de l'oxygène à la mystification électorale et démocratique. Mais le meilleur soutien à cet objectif a été apporté par le chavisme qui a polarisé la lutte en mettant en avant que le candidat de l'opposition était le candidat du "diable Bush" et que, si celui-ci gagnait, cela mettrait en danger les missions (à travers lesquelles le gouvernement applique sa politique de "justice sociale") et les acquis de la "révolution". De cette façon, le prolétariat de même que les masses socialement exclues continuent d'être pris dans le piège de la polarisation inter-bourgeoise en mettant leurs espoirs dans un secteur de la bourgeoisie qui a su exploiter en sa faveur une politique populiste de gauche orientée vers les couches les plus pauvres de la société, en soutenant les haut revenus pétroliers ; ce dernier ne fait rien d'autre que de gérer la précarité, en préconisant un égalitarisme qui tente de niveler par le bas l'ensemble de la société, en appauvrissant les secteurs des couches moyennes et en rendant les travailleurs et les couches exclues encore plus pauvres. Telle est la recette du "socialisme du 21e siècle" que le chavisme exporte en Bolivie, en Équateur et au Nicaragua et qui lui sert de cheval de bataille pour se renforcer dans la géopolitique de la région.
L'anti-américanisme "radical" de Chavez (que les mouvements anti-globalisation applaudissent avec tant de frénésie), le soutien aux autres gouvernements de tendance gauchiste comme ceux de Bolivie, de l'Équateur et du Nicaragua, de même que "l'aide" à plusieurs pays de la région à travers la baisse des paiements de la facture pétrolière, sont l'expression de l'utilisation du pétrole comme arme de domination dans la région, au détriment des intérêts de la bourgeoisie américaine, qui considérait historiquement l'Amérique latine comme son pré carré.
Le secteur chaviste de la bourgeoisie, dirigé par des secteurs militaires et civils de gauche et d'extrême gauche, a comme base sociale le soutien des masses exploitées, et principalement des masses socialement exclues; des masses auxquelles on a donné l'illusion qu'elles pourraient dépasser leur situation de pauvreté ... en 2021 !!
La grande intelligence de ce secteur de la bourgeoisie a consisté à se présenter comme étant d'origine populaire, du côté des pauvres. Cette condition de "pauvre" lui sert à se victimiser face aux "mauvais coups bourgeois", mais surtout face à l'impérialisme américain, utilisé comme menace extérieure qui empêcherait la "révolution" d'accomplir ses plans pour "sortir de la pauvreté".
Le gouvernement de Chavez, depuis le milieu de l'année 2003, a réorienté la "dépense sociale" en créant les soi-disant missions, plans sociaux à travers lesquels l'État distribue des miettes à la population, avec deux objectifs principaux : maintenir la paix sociale et renforcer le contrôle sur les masses paupérisées avec comme objectif de contrecarrer l'action des secteurs bourgeois qui jusqu'à présent avaient fait plusieurs tentatives pour destituer Chavez du pouvoir. Cette "dépense sociale" a été accompagnée par une manipulation idéologique sans précédent, consistant à présenter la politique capitaliste d'État du chavisme comme celle d'un État bienfaiteur, qui distribue la richesse de manière "équitable", en créant l'illusion parmi les masses paupérisées que les ressources de l'État sont inépuisables, qu'il s'agit seulement d'ouvrir le robinet des pétrodollars, et que les secteurs de la bourgeoisie ont un réel intérêt à s'occuper et à résoudre leurs problèmes.
En vue de gagner les élections présidentielles (dans lesquelles il a obtenu 7 millions de voix, alors qu'il visait les 10 millions, d'un corps électoral qui en compte 16), le chavisme, comme l'avaient fait les gouvernements précédents en période électorale, a concentré le plus gros de la dépense publique sur l'année 2006 : en augmentant l'importation de denrées alimentaires au cours des premiers mois de l'année pour les vendre à des prix subventionnés ; en inaugurant de nombreux travaux dont certains n'ont pas été terminés ; en décrétant deux augmentations du salaire minimum pour les travailleurs réguliers (l'une en mai et l'autre en septembre) ; en accélérant le processus d'attribution des pensions de vieillesse ; en payant des dettes anciennes aux travailleurs et en discutant certains contrats collectifs arrivés à échéance, etc. Pour finir, peu de jours avant les élections, des primes extraordinaires ont été payées aux employés publics, aux pensionnés et aux membres des missions. Le gouvernement a accordé ce "grand festin", grâce à la manne pétrolière, afin de créer un mirage de prospérité dans la population. Ces dépenses, en plus de celles occasionnées par l'augmentation historique des importations, l'achat d'armements, les "aides" à d'autres nations, etc., ont provoqué un accroissement de la dépense publique en 2006 de 58% par rapport à 2005, ce qui équivaut à 35% du PIB ; une bombe à retardement qui tôt ou tard se répercutera au niveau de la crise économique.
Selon la propagande diffusée par le chavisme au niveau intérieur et à l'échelle internationale (avec le soutien et les conseils de dirigeants et d'intellectuels de gauche, de même que d'éminents dirigeants du mouvement altermondialiste parmi lesquels le Français Ramonet occupe un rôle éminent), le Venezuela se dirigerait vers le dépassement de la pauvreté d'ici 2021
Mais toute autre est la réalité que l'on peut observer derrière la publicité asphyxiante du gouvernement chaviste ; il suffit de passer aux alentours des quartiers pauvres de l'extrême Est (Tetare) et Ouest (Catia) de Caracas, de même que dans le centre de la ville, pour percevoir la misère réelle qui se cache derrière ce rideau de fumée : d'innombrables indigents, en majorité des jeunes, vivant et dormant dans les rues, sous les ponts et au bord de la rivière Guaire (grand cloaque où vont se déverser les eaux usées de la ville) ; rues et avenues pleines d'ordures qui ont amené la prolifération de rats et de maladies ; des dizaines de milliers de marchands ambulants (appelés "buhoneros") qui vendent quelques denrées de subsistance, grossissent les rangs de la soi-disant économie informelle ; une grande criminalité qui a fait de Caracas une des villes les plus dangereuses de la région et a conduit le Venezuela à devenir le pays ayant le plus haut taux de criminalité, dépassant celui de la Colombie qui pendant des années avait été le premier dans cet horrible classement. Au niveau national, on enregistre une augmentation de cas de maladies comme la malaria, la dengue, de la mortalité des enfants et des mères, etc. Ce tableau ne se limite pas à Caracas, la capitale, mais il touche aussi les grandes villes et gagne progressivement les villes moyennes et petites. Bien que le gouvernement ait pris des mesures pour tenter de cacher cette misère, ou l'ait mise sur le dos des mauvais coups de l'opposition ou de l'impérialisme américain, les manifestations de la paupérisation ne peuvent êtres occultées.
Les secteurs de l'opposition, en utilisant l'hypocrisie la plus écoeurante, font des critiques au gouvernement pour ces manifestations de la pauvreté, dans le but de se présenter comme la meilleure option de "défense des pauvres", alors que leur véritable intérêt est de reprendre le contrôle de l'appareil d'État. De leur côté, les moyens de communication du gouvernement ne divulguent pas ou minimisent cette situation, qui n'est pas propre aux villes vénézuéliennes, mais qui est le dénominateur commun dans d'autres villes des pays de la périphérie.
A côté de ces expressions visibles de pauvreté, on en trouve d'autres, moins visibles, qui accentuent la paupérisation des masses prolétariennes : à travers le coopérativisme impulsé par l'État, l'emploi précaire a été formalisé, puisque les travailleurs des coopératives ont moins de revenus que les travailleurs réguliers et que, d'après les déclarations des syndicats et des coopérateurs eux-mêmes, ils n'arrivent pas à percevoir le salaire minimum officiel. La discussion sur les contrats collectifs, surtout dans le secteur public, a subi des retards importants ; les augmentations de salaires sont accordées à travers des décrets et dans leur grande majorité à travers des primes qui n'ont pas d'incidence sur les bénéfices sociaux et quand elles arrivent à être payées, c'est avec des retards importants. A travers les missions et autres plans du gouvernement ont été créés des organes de services parallèles à ceux qui existent formellement dans les secteurs de la santé et de l'éducation, entre autres, et qui ont été utilisés pour pressurer les travailleurs réguliers et détériorer leurs conditions de travail. Comme nous le voyons, la précarité, la flexibilité du travail et les attaques aux salaires des travailleurs, propres au capitalisme sauvage, sont inévitables pour chaque bourgeoisie, même la plus "anti-néolibérale", comme prétend l'être la bourgeoisie chaviste.
Les salariés de même que les masses exclues payent le prix de l'incessante dépense publique que la "nouvelle" bourgeoisie chaviste exige de consolider à travers un taux d'inflation élevé qui, ces trois derniers mois, a été le plus important d'Amérique latine (2004 : 19,2% ; 2005 : 14,4% ; 2006 : 17%, selon les chiffres officiels). Cette augmentation, provoquée fondamentalement par la politique économique de l'État, a détérioré les conditions de vie de l'ensemble de la population, principalement des masses pauvres, qui consacrent 70% ou plus de leurs revenus à l'achat de nourriture, domaine dans lequel l'inflation cumulée dans la période signalée a été de 152% (26% en 2006) selon les chiffres de la banque Centrale du Venezuela. Les estimations pour 2007 ne sont guère plus réjouissantes, puisqu'on attend une inflation supérieure à 20% ; celle de janvier 2007 a été de 2%, taux le plus important de la région.
Quelques jours après les élections, le gouvernement a accéléré un ensemble de mesures pour renforcer son projet de "socialisme du 21e siècle", en argumentant qu'avec les élections le "peuple" avait donné son soutien à ce projet.
La première chose qu'a fait le gouvernement a été de montrer ses muscles face aux secteurs bourgeois adverses tant du capital national qu'à l'échelle internationale, en annonçant une série de mesures de nationalisation dans différents secteurs de l'économie (télécommunications, moyens audiovisuels, énergie, etc.), un contrôle majoritaire de l'exploitation pétrolière, jusqu'à présent dans les mains des multinationales, et un accroissement de la charge fiscale. Ces mesures montrent l'objectif principal de la bourgeoisie chaviste : avoir un meilleur contrôle de l'appareil économique national à travers des mesures radicales de capitalisme d'État.
La bourgeoisie sait que, tôt ou tard, la crise se fera sentir, du fait de l'excessive dépense publique engendrée par un modèle politique tel que le chavisme. Pour cela, les prétendus "moteurs de la révolution bolivarienne" préconisent des mesures de plus grand contrôle politique et social contre les travailleurs et la population en général à travers le prétendu "Pouvoir Populaire" et les Conseils Communaux.
En même temps qu'il a annoncé le renforcement de ces organes de contrôle social, le gouvernement a commencé l'année en prenant ou en annonçant des mesures contre les conditions de vie des travailleurs et de la population :
Le gouvernement, du haut de sa grande popularité, est en train de montrer son véritable visage de gouvernement bourgeois : après avoir utilisé les travailleurs et les couches exclues dans les élections, il annonce maintenant des mesures d'austérité et de répression.
Face à cette situation, les travailleurs au Venezuela, comme dans le reste du monde, n'ont pas d'autre voie que de développer leur lutte contre les attaques incessantes du capital. Nous savons que cette lutte ne sera pas facile, du fait en partie des confusions introduites par l'idéologie chaviste, qui a affaibli et manipulé l'idée même du socialisme, c'est-à-dire le dépassement du règne de la précarité à travers la lutte révolutionnaire du prolétariat.
CCI / 18.02.2007
Le 27 février, les ouvriers de VW-Forest ont voté à 76% "Oui" à l'unique question posée par le référendum organisé par les syndicats: « Etes-vous d'accord où pas pour poursuivre l'activité avec Audi? ». Alors qu'en novembre 2006 le gouvernement avait feint de ‘s'indigner' face à la brutalité des attaques afin de calmer la colère des ouvriers, aujourd'hui, il exprime sa pleine satisfaction à l'issue d'un vote qui entérine ces mêmes attaques: "Le Premier ministre, Guy Verhofstadt a exprimé sa satisfaction á propos du vote intervenu chez VW Forest. Le bon sens l'a emporté, a dit le premier ministre qui s'est réjoui des perspectives de concrétisation d'un beau projet industriel, tel que présenté au cours de l'entretien qu'il a eu avec MM. Piëch et Winterkorn le 1er décembre 2006. Le Premier ministre a encore souligné que le vote positif des travailleurs de chez VW Forest ne donne pas seulement une sécurité d'emploi aux 2.200 travailleurs de Audi/VW mais également pour les milliers de travailleurs occupés par les fournisseurs de l'usine." (Agence Belga, 27/02/2007). La façon provocante de poser la question mettait les ouvriers devant un faux choix, soit accepter une réduction de 20% de la masse salariale et des conditions de travail plus dures, soit refuser ces attaques et s'engager dans une voie suicidaire se concluant par la perte des 2.200 emplois restants et de quelques milliers de travailleurs sous-traitants. Dans ce dernier scénario, la bourgeoisie aurait pu alors rendre les ouvriers seuls responsables de la fermeture de l'usine et les culpabiliser pour les licenciements dans la sous-traitance.
Pendant trois mois, les ouvriers de VW-Forest ont été maintenus dans l'angoisse la plus totale sur leur avenir. Il est inutile ici de continuer à spéculer sur les intentions de VW de fermer où pas l'usine qui était à la base du chantage car le résultat de l'ultimatum est bien là aujourd'hui : les ouvriers ont dû accepter, sans aucune garantie pour l'avenir, la perte de 3.000 postes de travail et de nouveaux sacrifices pour les 2.200 emplois restants dont l'augmentation du temps de travail à 38 heures semaines payées au tarif des 35 heures actuelles. Le fait que la bourgeoisie a mis trois mois pour arriver à ce résultat ne s'explique pas seulement par la combativité parmi les ouvriers de VW, mais surtout par l'inquiétude générale qui l'accompagne. En effet, aujourd'hui, le capitalisme belge ne maintient sa très haute productivité et compétitivité que par une dégradation constante des conditions de vie et de travail de toute la classe ouvrière. C'est donc un sentiment d'inquiétude générale qui existe parmi l'ensemble des travailleurs. C'est aussi pourquoi tous les salariés étaient très sensibilisés à la lutte à VW. La bourgeoisie a donc voulu infliger une sévère défaite à la classe ouvrière à VW avant que cette inquiétude ne se transforme en combativité générale. C'est pourquoi la dégradation économique et sociale très importante que la bourgeoisie a réussi aujourd'hui à imposer aux travailleurs de VW touche tous les travailleurs car ils sentent bien que cette dégradation les atteindra aussi dans un futur proche.
En novembre 2006, lorsque le conflit a éclaté à VW, la décision de licencier 4.000 ouvriers a provoqué un choc dans toute la classe ouvrière en Belgique. La bourgeoisie a donc gardé alors une certaine prudence à cause de l'ambiance générale de tensions sociales et elle a laissé le champ libre aux syndicats pour mener les ouvriers sur une voie de garage. Ainsi, alors que la colère était grande parmi de nombreux secteurs de la classe ouvrière, comme l'a montrée la mobilisation lors de la manifestation nationale du 2 décembre, les syndicats ont tout fait pour empêcher une réelle solidarité. Pour casser toute perspective de luttes, d'extensions et d'assemblées générales, les syndicats ont vite accepté la perte de 3.000 emplois en les conditionnant à l'octroi d'une prépension et d'une prime de départ ... que la direction de VW s'est empressée d'accepter : "950 salariés s'en vont par la prépension, mais selon les normes du nouveau "pacte des générations". 1950 quittent l'entreprise sur une base "volontaire", avec pour les 1.500 premiers une prime de départ en récompense. Avec pour la plupart d'entre eux, le chômage comme seule perspective. Pour ceux qui restent, il y a un système de chômage partiel à long terme, mais surtout, en plus des 33% d'augmentation de productivité que les ouvriers avaient réalisé entre 2001 et 2005 et du nouveau règlement en place depuis l'été 2006 concernant la flexibilité (temps de travail jusqu'à 10 heures par jour, 48 heures par semaine), une nouvelle convention collective doit être signée, prévoyant une diminution des salaires et des coûts de production. Les conditions de production en 2009 devraient s'aligner sur celles du siège VW à Mosel (est de l'Allemagne), où le coût salarial se monte à 16,9€/h, contre 23,8€/h aujourd'hui à VW Forest." (Internationalisme, n° 329). Les manoeuvres de divisions syndicales ont graduellement pris le dessus et les con-ditions de lutte sont devenues de plus en plus défavorables: "C'est là qu'interviennent les manœuvres syndicales: depuis le début, les ouvriers ont été renvoyés à la maison, isolés les uns des autres, sans information ni perspective. C'est la perspective d'une interminable grève rampante qui a été mise en avant, sans assemblée générale de grévistes où de véritables discussions et décisions sont possibles, sans comité de grève élu, contrôlé et révocable, sans meeting mobilisateur, sans délégation massive pour aller chercher activement la solidarité et l'extension vers d'autres parties de la classe ouvrière. Chaque développement de tout moyen de lutte et d'une dynamique de renforcement de la lutte a été tué dans l'œuf. L'idée même de mener une lutte a été de plus en plus ressentie comme insensée. Il ne restait finale-ment rien d'autre aux ouvriers que de subir leur sort et de placer toute leur confiance dans les négociateurs gouver-nementaux et syndicaux" (Internationalisme, n° 329). Ainsi une réelle perspective de lutte était graduellement réduite á néant.
Progressivement, le gouvernement et les syndicats sont parvenus à faire peser un sentiment de solitude et d'impuissance sur les 2.200 travailleurs restants. C'est directement le sabotage de la lutte par les syndicats qui a permis à la bourgeoisie, aujourd'hui, d'avancer avec plus de détermination et de brutalité et d'exercer un véritable chantage sur les ouvriers. Les "négociations" ont donc été menées en secret entre la direction et les syndicats pour mettre les ouvriers devant le fait accompli. Néanmoins, si les syndicats pensaient imposer les mesures pour le "sauvetage" sans aucune consultation des ouvriers, "négociant" dans leur dos, ils n'ont pu empêcher la réaction des ouvriers qui n'ont pas hésité à reprendre la grève, après trois mois d'incertitude épuisante, et ce, deux jours avant que les trois syndicats ne signent l'accord avec la direction. Devant l'ignorance totale dans laquelle ils ont été maintenus sur leur sort, les ouvriers restants sont partis spontanément en grève: "Les trois syndicats devaient décider seuls de l'approbation ou non du plan de la direction. Mais les ouvriers ne l'ont pas entendu de la même oreille. Lundi matin, ils ont refusé de reprendre le chemin des lignes d'assemblage. Plus tard, ils sont allés protester devant les fenêtres de la salle où se tenait le conseil d'entreprise. Ils ont dénoncé le manque d'informations sur le contenu du plan et ont reproché à leurs représentants de ne pas les consulter." (Le Soir, 27/02/2007). Cependant, trois mois plus tard, la situation n'est plus la même. Compte tenu du départ de plus de la moitié des ouvriers et de l'absence totale de perspectives plus larges dans laquelle les syndicats ont pu enfermer les travailleurs, ceux-ci ne pouvaient qu'exprimer leur colère dans un dernier baroud d'honneur. La bourgeoisie et ses médias n'ont d'ailleurs pas manqué de faire ouvertement pression en taxant les ouvriers d'irresponsables s'ils n'acceptaient pas l'accord négocié par les syndicats. De même, alors qu'en décembre 2006 la carte régionale et linguistique ne pouvait être utilisée pour diviser les ouvriers unis dans le combat, aujourd'hui les manœuvres de divisions fleurissent entre les soi-disant Wallons "enragés" de la FGTB et les Flamands "dociles" de l'ACV. C'est dans ce contexte profondément modifié du rapport de force que les syndicats ont pu imposer un référendum par vote secret et individuel autour d'une question qui ne laissait plus de choix si ce n'est d'accepter de légitimer la signature de l'accord que les syndicats avaient conclu avec la direction. Ce vote représente non seulement une victoire pour la direction de VW, mais aussi pour le gouvernement et surtout pour les syndicats et une défaite pour les ouvriers, non seulement de VW en Belgique, en Allemagne et en Espagne, mais pour l'ensemble de la classe exploitée en Belgique. Cette victoire de la bourgeoisie va servir d'exemple pour renforcer la productivité sur le dos des ouvriers et de jouer la concurrence entre eux. Néanmoins, malgré cette défaite ponctuelle, la classe ouvrière est encore capable de tirer les leçons de ses échecs, l'expérience ne pourra, à terme, que conduire à la prise de conscience que seul on ne peut pas gagner et que la solidarité ne peut pas rester passive. Un nouveau dynamisme dans ce sens viendra inévitablement de prochains combats.
Internationalisme / 2.3.07
Le 4 avril 1917. Lénine. revenant de son exil en Suisse, arrivait à Pétrograd et s'adressait directement aux centaines d'ouvriers et de soldats qui avaient afflué à la gare en ces termes: "Chers camarades, soldats, matelots et ouvriers. je suis heureux de saluer en vous la révolution russe victorieuse. de vous saluer comme l'avant-garde de l'année prolétarienne mondiale... La révolution russe accomplie par vous a ouvert une nouvelle époque. Vive la révolution socialiste mondiale !..." 90 ans plus tard, la bourgeoisie, ses historiens et médias aux ordres, s'affairent toujours a entretenir les pires mensonges et distorsions historiques sur la révolution prolétarienne mondiale commencée en Russie.
La haine et le mépris de la classe dominante envers ce mouvement titanesque des masses exploitées visent à ridiculiser et à "démontrer" l'inanité du projet communiste de la classe ouvrière, son incapacité foncière à faire advenir un nouvel ordre social planétaire dont elle est la seule porteuse. L'effondrement du bloc de l'Est en 1989 a ravivé sa hargne de classe. Une gigantesque campagne s'est enclenchée depuis pour marteler aux quatre vents l'échec manifeste du communisme identifié au stalinisme, et avec lui l'échec du marxisme, l'obsolescence de la lutte de classe et bien sûr de l'idée même de révolution dont l'aboutissement ne peut être que la terreur et le Goulag. Au centre de cette propagande infecte, c'est l'organisation politique, incarnation du vaste mouvement insurrectionnel de 1917, le parti Bolchevik, qui concentre avec constance toute la vindicte des défenseurs de la bourgeoisie. Pour tous ces apologistes de l'ordre capitaliste, avec en leur sein les anarchistes, quels que soient leurs soi-disant désaccords, il s'agit de montrer que Lénine et les bolcheviks étaient une bande de fanatiques assoiffés de pouvoir qui ont fait tout ce qu'ils ont pu pour usurper les acquis démocratiques de la révolution de février 1917 (cf. Internationalisme n° 330.) et plonger la Russie et le monde dans une des expériences les plus désastreuses qui aient été faites dans l'histoire.
Face à toutes ces calomnies invraisemblables contre le bolchevisme, il revient aux révolutionnaires de rétablir la vérité et réaffirmer le point essentiel concernant le parti bolchevik : ce parti n'était pas un produit de la barbarie et de l'arriération russe, d'un anarcho-terrorisme déformé, ou d'une soif absolue de pouvoir de ses dirigeants. Le bolchevisme était en tout premier lieu le produit du prolétariat mondial, lié à la tradition marxiste, avant-garde d'un mouvement international pour supprimer toute exploitation et toute oppression. A cette fin, l'énoncé des positions de Lénine rédigées dès son retour en Russie en 17 et connues sous le nom des Thèses d'Avril, nous fournit un excellent point de départ pour réfuter toutes les contrevérités déversées sur le parti bolchevik, sa nature, son rôle et ses liens avec les masses prolétariennes.
Dans un précédent article (Internationalisme n° 330), nous avons rappelé que la classe ouvrière en Russie avait bel et bien ouvert la voie lors des événements de février 1917 à la révolution communiste mondiale, renversant le tsarisme, s'organisant en soviets et manifestant une radicalité grandissante. De l'insurrection avait résulté une situation de double pouvoir. Le pouvoir officiel était "le gouvernement provisoire" bourgeois, initialement conduit par les "libéraux" mais qui prit plus tard une coloration plus "socialiste" sous la direction de Kérenski. De l'autre côté, le pouvoir effectif reposait déjà de manière très largement étendue entre les mains des soviets des députés ouvriers et de soldats. Sans l'autorisation des soviets, le gouvernement avait peu d'espoir d'imposer ses directives aux ouvriers et aux soldats.
Mais la classe ouvrière n'avait pas encore acquis la maturité politique nécessaire pour prendre tout le pouvoir. En dépit de ses actions et de ses attitudes de plus en plus radicales, la majorité de la classe ouvrière, et derrière elle les masses paysannes, était retenue en arrière par les illusions sur la nature de la bourgeoisie, par l'idée que seule une révolution démocratique bourgeoise était à l'ordre du jour en Russie. La prédominance de ces idées dans les masses était reflétée dans la domination des soviets par les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires qui faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour les rendre impuissants face au régime bourgeois nouvellement installé. Ces partis, passés ou en train de passer à la bourgeoisie, tentaient par tous les moyens de subordonner le mouvement révolutionnaire montant aux visées du Gouvernement Provisoire, notamment en ce qui concerne la poursuite de la guerre impérialiste. Dans cette situation si pleine de dangers et de promesses, les bolcheviks, qui avaient dirigé l'opposition internationaliste contre la guerre, étaient eux-mêmes à ce moment dans une confusion presque complète, politiquement désorientés.
Ainsi, "...Dans le Manifeste du Comité central des bolcheviks, rédigé aussitôt après la victoire de l'insurrection, il était dit que "les ouvriers des fabriques et des usines, ainsi que les troupes sou-levées, doivent immédiatement élire leurs représentants au gouvernement révolutionnaire provisoire". (...) Ils agissaient non pas en tant que représentants d'un parti prolétarien qui se prépare à ouvrir de son propre chef la lutte pour le pouvoir, mais comme l'aile gauche de la démocratie..." (Trotsky, Histoire de la Révolution Russe). Pire encore, quand Staline et Kaménev prirent la direction du parti en Mars, ils le positionnèrent encore plus à droite. L'organe officiel du parti, la Pravda, adopta ouvertement une position "défensiste" sur la guerre: "Nous ne faisons pas notre l'inconsistant mot d'ordre 'A bas la guerre'... chacun reste à son poste de combat !" (Trotsky, idem). L'abandon flagrant de la position de Lénine sur la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile occasionna des résistances et même de la colère dans le parti et parmi les ouvriers de Pétrograd, cœur du prolétariat. Mais ces éléments les plus radicaux n'étaient pas capables d'offrir une alternative programmatique claire à ce virage vers la droite. Le parti était donc tiré vers le compromis et la trahison, sous l'influencée du brouillard de l'euphorie démocratique apparue après la révolte de Février.
II revint donc à Lénine, dès son retour de l'émigration, de réarmer politiquement le parti et de mettre en avant l'importance décisive de la direction révolutionnaire à travers ses Thèses d'Avril "...qui produisirent l'effet d'une bombe qui explose." (Trotsky, ibidem). L'ancien programme du parti était devenu caduc, se situant loin derrière l'action spontanée des masses. Le mot d'ordre auquel s'attachaient les "vieux bolcheviks" de "dictature démocratique des ouvriers et paysans", était dorénavant une formule vieillie car comme le mettait en avant Lénine: "La dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie est déjà réalisée..." (Lénine, Lettres sur la Tactique). Désormais, "Ce qu'il y a d'original dans la situation actuelle en Russie, c'est la transition de la première étape de la révolution, qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie par suite du degré insuffisant de conscience et d'organisation du prolétariat, à sa deuxième étape, qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux couches pauvres de la paysannerie. " (Point 2 des Thèses d'Avril). Lénine était un des premiers à saisir la signification révolutionnaire du soviet comme organe de pouvoir politique prolétarien. Une nouvelle fois Lénine donnait une leçon sur la méthode marxiste, en démontrant que le marxisme était tout le contraire d'un dogme mort mais dans sa nature même, une théorie scientifique vivante qui doit être constamment vérifiée dans le laboratoire des mouvements sociaux.
De même, face à la position des mencheviks selon laquelle la Russie arriérée n'était pas encore mûre pour le socialisme, Lénine argumenta comme un véritable internationaliste que la tâche immédiate n'était pas d'introduire le socialisme en Russie (Thèse 8). Si la Russie, en elle-même, n'était pas mûre pour le socialisme, la guerre impérialiste avait démontré que le capitalisme mondial comme un tout était vraiment plus que mûr. Pour Lénine comme pour tous les authentiques internationalistes d'alors, la révolution mondiale n'était pas juste un voeu pieux mais une perspective concrète se développant à partir de la révolte prolétarienne inter-nationale contre la guerre - les grèves en Grande Bretagne et en Allemagne, les manifestations politiques, les mutineries et les fraternisations dans les forces armées de plusieurs pays, et bien sûr la marée révolutionnaire montante en Russie même, en étaient le révélateur. D'où aussi l'appel à la création d'une nouvelle Internationale à la fin des Thèses. Cette perspective allait être complète-ment confirmée après l'insurrection d'Octobre par l'extension de la vague révolutionnaire à l'Italie, la Hongrie, l'Autriche, et surtout l'Allemagne.
Cette nouvelle définition des tâches du prolétariat entraînait aussi une autre conception du rôle et du fonctionnement du parti. Là encore les "vieux bolcheviks" à la Kaménev s'insurgèrent dans un premier temps contre la vision de Lénine, son idée de prise de pou-voir par les soviets d'une part, et d'autre part son insistance sur l'autonomie de classe du prolétariat contre le gouvernement bourgeois et la guerre impérialiste, même si cela voulait dire rester pour un temps en minorité et non pas comme le voulait Kaménev "rester jusqu'au bout le parti des masses révolutionnaires du prolétariat". Kaménev opposait le "parti de masses" à la conception de Lénine d'un parti de révolutionnaires déterminés, au programme clair, uni, centralisé, minoritaire, sachant résister aux sirènes bourgeoises et petites-bourgeoises et aux illusions existant dans la classe ouvrière. Cette conception du parti n'a rien à voir avec celle d'une secte blanquiste, terroriste, comme Lénine en fut accusé ou encore anarchiste soumise à la spontanéité des masses. Tout au contraire il y avait là la reconnaissance que dans une période de turbulence révolutionnaire massive, de développement de la conscience dans la classe, le parti ne pouvait plus ni organiser, ni planifier, ni encadrer les masses à la manière des associations conspiratives du XIXième siècle. Mais cependant cela rendait le rôle du parti encore plus essentiel que jamais. Lénine rejoignait la vision que Rosa Luxembourg avait développée dans son analyse magistrale de la grève de masse dans la période de décadence: "...laissons de côté la théorie pédante d'une grève de démonstration mise en scène artificiellement par le Parti et les syndicats exécutée par une minorité organisée, et considérons le vivant tableau d'un véritable mouvement populaire issu de l'exaspération des conflits de classe et de la situation politique... alors la tâche de la social-démocratie consistera non pas dans la préparation de la direction technique de la grève mais dans la direction politique de l'ensemble du mouvement." Toute l'énergie de Lénine va donc être orientée vers la nécessité de convaincre le parti de ces tâches nouvelles qui lui incombent et, vis-à-vis de la classe ouvrière, l'axe central sera le développement de sa conscience de classe. La Thèse 4 posait avec clarté les choses: "Expliquer aux masses que les Soviets des députés ouvriers sont la seule forme possible de gouvernement révolutionnaire, et que, par conséquent, notre tâche, tant que ce gouvernement se laisse influencer par la bourgeoisie, ne peut être que d'expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement aux masses les erreurs de leur tactique, en partant essentiellement de leurs besoins pratiques.. .tout en affirmant la nécessité du passage de tout le pouvoir aux Soviets des députés ouvriers... ". Ainsi donc, cette approche, cette volonté de défendre des principes de classe clairs et précis en sachant pour cela aller contre le courant et être en minorité, n'étaient en rien du purisme ou du sectarisme. Au contraire, elles étaient basées sur une compréhension du mouvement réel se déroulant dans la classe à chaque moment, sur la capacité de donner la parole et une direction aux éléments les plus radicaux au sein du prolétariat. L'insurrection était impossible tant que les positions révolutionnaires des bolcheviks, positions en gestation tout au long du processus révolutionnaire en Russie, n'avaient pas gagné consciemment les soviets. Nous sommes très loin des crapuleries bourgeoises sur la prétendue attitude putschiste des bolcheviks ! Comme l'affirmait encore Lénine: "Nous ne sommes pas des charlatans... nous devons nous baser seulement sur la conscience des masses." (cité par Trotsky, Histoire de la Révolution Russe)
La maîtrise de la méthode marxiste par Lénine, voyant au-delà des apparences et de la superficie des événements, lui a permis en compagnie des meilleurs éléments du parti, de discerner la dynamique réelle du mouvement qui se déroulait sous ses yeux et d'aller à la rencontre des désirs profond des masses en leur donnant les ressources théoriques pour défendre leurs positions et éclairer leurs actions. Elles leur ont également permis de s'orienter dans la confrontation à la bourgeoisie en étant capable de mettre en évidence et déjouer les pièges tendus par celle-ci au prolétariat, comme lors des journées de juillet 1917. C'est pourquoi, contrairement aux mencheviks de cette époque et à leurs nombreux successeurs anarchistes, social-démocrates et conseillistes, qui caricaturent à outrance certaines erreurs réelles de Lénine (1) pour rejeter le caractère prolétarien de la Révolution d'Octobre 17, nous réaffirmons le rôle fondamental joué par Lénine dans le redressement du parti bolchevik, sans lequel le prolétariat n'aurait pu prendre le pouvoir en octobre 1917. La lutte de Lénine, tout au long de sa vie, pour construire l'organisation révolutionnaire est un acquis historique du mouvement ouvrier. Il a laissé aux révolutionnaires d'aujourd'hui une base indispensable pour reconstruire le parti de classe tout en leur permettant de comprendre quel doit être son rôle au sein de la classe dans son ensemble. L'insurrection victorieuse d'Octobre 17 validera la justesse des vues de Lénine. L'isolement de la révolution après l'échec des poussées révolutionnaires dans les autres pays d'Europe, stoppa la dynamique de la révolution internationale qui aurait été la seule garante d'une victoire locale en Russie, l'Etat soviétique favorisant l'avènement du stalinisme, bourreau de la révolution et des bolcheviks véritables. Ce qui reste essentiel, c'est que, au cours de la marée montante de la révolution en Russie, le Lénine des Thèses d'Avril ne fut jamais un prophète isolé, ni un démiurge se tenant au-dessus des vulgaires masses, mais la voix la plus claire de la tendance la plus révolutionnaire au sein du prolétariat, une voix qui indiquait le chemin qui menait à la victoire d'Octobre 17. "En Russie le problème ne pouvait être que posé. Et c'est dans ce sens que l'avenir appartient partout au "bolchevisme ". (Rosa Luxembourg, La révolution Russe).
SB
(1) Parmi celles-ci, il est fait grand cas par les conseillistes de la théorie de "la conscience importée de l'extérieur", développée dans "Que Paire". Or, par la suite, Lénine a reconnu cette erreur et amplement prouvé dans sa pratique qu'il avait acquis une vision juste du processus de développement de la conscience dans la classe ouvrière.
A entendre la bourgeoisie, de droite comme de gauche, le capitalisme serait florissant et en pleine croissance. L'incroyable dynamisme de l'économie chinoise en serait une preuve irréfutable. Le chômage ? Les vagues de licenciements ? La paupérisation croissante ? Tout cela ne serait que le produit de dérives, la faute à des dirigeants peu scrupuleux, assoiffés de profits. Avec moins de libéralisme et plus d'Etat aux commandes, tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Tout ceci n'est qu'un gros mensonge. En réalité, le capitalisme est un système agonisant et sa crise économique mondiale connaît aujourd'hui une nouvelle accélération. Alors que la classe ouvrière subit déjà une dégradation permanente de ses conditions d'existence, quel avenir nous réserve la classe dominante ?
Le mardi 27 février, la bourse de Shanghai en Chine a connu une brusque chute de 8,8 % en quelques heures, entraînant dans son sillage les bourses du monde entier. A New York, par exemple, Wall Street a perdu 3,5%, soit sa plus forte baisse depuis cinq ans.
Comment la baisse du marché de Shanghai a-t-elle pu ainsi entraîner une vague de ventes d'actions ébranlant le monde entier, alors que tous les spécialistes vantent jour après jour l'insolente bonne santé des marchés boursiers ? En fait, les records des indices de ces dernières années ont pour seule base la spéculation. Partout, dans tous les secteurs et tous les pays, les investisseurs sont confrontés au même problème : la surproduction. Ainsi, la spéculation est devenue le seul moyen de faire du profit. Dans ce grand casino de l'économie virtuelle, le but du jeu est d'acheter des actions en espérant les vendre au bon moment plus cher. Mais à la moindre mauvaise nouvelle, c'est un vent de panique qui se lève. Tout le monde vend en même temps, sachant très bien que l'écrasante majorité de ces actions ne correspond à rien dans la réalité, à aucune usine, à aucun bien. Le petit soubresaut de Shanghai est révélateur des tempêtes potentielles à venir.
La dégringolade de la bourse de Shanghai est en partie liée à ce que les économistes appellent la surchauffe de l'économie chinoise. Surinvestissement, surcapacité de production, surendettement : l'économie chinoise est totalement déséquilibrée et s'oriente de plus en plus sûrement vers une récession d'une extrême brutalité. Certes, depuis quelques années, la Chine connaît un taux de croissance très élevé et un développement industriel accéléré. En 2006, le taux de croissance a même atteint 10,7%. Mais les ouvriers de ce pays, qui vivent et travaillent dans de véritables bagnes industriels, savent dans leur chair ce que cette expansion veut dire. En réalité, cette expansion s'articule autour de deux piliers qui sont arrivés au point critique de rupture. Le premier est l'endettement. La dette de la Chine croît deux fois plus rapidement que son PNB! Son système bancaire comporte 50% de créances douteuses! Le deuxième est la nécessité pour la Chine d'écouler une part croissante de ses marchandises sur le marché américain alors que celui-ci, au bord de la récession, est en train de se réduire considérablement. En effet, le marché intérieur de la Chine est très faible, il ne peut en aucune façon absorber ce qu'il produit. Son économie est donc totalement dépendante des exportations. Et le temps où l'économie américaine tirait toute l'économie mondiale tend à s'épuiser sans qu'aucun autre pays ou continent ne puisse venir prendre le relais.
Le premier ministre chinois, Wen Jiabao, conscient de ce risque majeur de surproduction, vient de déclarer que l'objectif de son gouvernement serait en 2007 de limiter la croissance à 8%. Il va donc y avoir un resserrement de la politique monétaire. L'argent va coûter plus cher. En clair, à l'avenir, il sera plus difficile d'investir afin d'éviter que l'économie ne s'emballe au-delà de toute raison !
Pendant cette semaine noire pour les bourses mondiales, le secrétaire d'Etat au Trésor américain, Hank Paulson, était en tournée en Asie. Il s'agissait pour lui de rassurer l'Etat chinois sur la solidité de l'économie américaine, en atténuant, en vrai bonimenteur, la gravité de la crise de l'immobilier et les risques tant monétaires que financiers. En effet, toute une partie de l'économie chinoise est alimentée par des avoirs massifs en devises américaines, dollars que la Chine réinvestit en partie aux Etats-Unis et qui servent à limiter l'expansion du déficit américain. Pour toutes ces raisons, ces deux économies sont confrontées à une terrible contradiction : elles sont obligées de se livrer une guerre acharnée et, en même temps, elles sont devenues inter-dépendantes à l'extrême, la récession de l'une entraînant la récession de l'autre. Et c'est effectivement bien aujourd'hui les deux qui sont en train de flancher.
A. Greenspan, l'ancien grand manitou de la politique financière américaine, reconnaît très officiellement la possibilité d'une récession aux Etats-Unis en 2007. La cause la plus visible et la plus immédiate de ce ralentissement est sans aucun doute l'éclatement en cours de la bulle immobilière dans ce pays. Les prix dans ce secteur d'activité ont chuté de près de 25% et ce n'est qu'un début 1 . Certains économistes estiment à 40% la surévaluation de ce marché. La correction pourrait donc être de 6000 milliards de dollars, pas loin d'un tiers du PIB américain ! Cette crise immobilière se propage maintenant en Angleterre : "C'est une mauvaise nouvelle qui pourrait alarmer. Kensington, leader du crédit immobilier à risque en Grande- Bretagne, a, vendredi 23 mars, concédé une perte de 23% de son action" (Le Monde du 24 mars). Ce requin de la finance prête de l'argent à plus de 15 000 ménages, jugés aujourd'hui à leur tour insolvables.
Les conséquences pour la classe ouvrière vont être terribles. Aux Etats-Unis, les ménages avaient pris l'habitude d'emprunter au fur et à mesure que la valeur de leurs appartements augmentait, grâce au crédit hypothécaire. La hausse phénoménale de l'immobilier de ces dernières années avait donné l'impression à ces ouvriers qu'ils s'étaient enrichis ! Ce sont donc des dizaines de millions de ménages qui vont se retrouver incapables de faire face aux échéances de remboursement, littéralement ruinés et jetés à la rue. Pire, l'immobilier et la construction ont fourni 40 % des emplois ces trois dernières années 2 ! La crise de ce secteur signifie donc la mise au chômage de dizaines de milliers d'ouvriers. Ces charrettes de licenciements viennent s'ajouter à celles du secteur automobile, passablement sinistré et au bord de la faillite. Dans son plan de "restructuration", qui s'étale du quatrième trimestre 2005 au premier trimestre 2008, Ford projette tout simplement la fermeture de 40% de ses usines nord-américaines et le "départ" de 50 000 ouvriers sur 130 0003! Un des derniers secteurs qui tenait encore bon de l'autre côté de l'Atlantique, celui des services, le faisait essentiellement grâce à l'accroissement de l'activité dans le secteur financier. Autant dire que ce secteur d'activité va connaître lui aussi des jours sombres et engendrer des licenciements massifs.
La consommation intérieure des Etats-Unis ne peut donc que continuer à se contracter de plus en plus violemment dans les mois à venir. Le problème pour la bourgeoisie est que cette consommation américaine constitue le moteur principal qui fait tourner l'économie mondiale. Pour l'Europe, la Chine, le Japon, l'Inde... une part croissante de leurs marchandises va devenir invendable. La surproduction, facteur déterminant de la crise mondiale du capitalisme va atteindre de nouveaux sommets !
La contagion de la crise économique mondiale s'étend bien entendu au front monétaire et tout particulièrement au dollar, qui ne peut que continuer à baisser dans les mois à venir. Les Etats-Unis surendettés au-delà de toute limite raisonnable (la dette américaine est de 7800 milliards de dollars et croît au rythme de 1,64 milliards par jour !) vont voir fuir massivement les capitaux étrangers qui venaient soutenir leur économie au bord de l'asphyxie. En Amérique, une violente contraction de la croissance est maintenant inévitable, entraînant dans la tourmente et la récession généralisée toute l'économie mondiale. Personne n'est en mesure aujourd'hui de prévoir à quelle vitesse et avec quelle profondeur ce nouveau séisme va frapper l'ensemble de l'économie. Mais les conséquences pour le prolétariat ne sont pas difficiles à imaginer. Les ouvriers en Inde et en Chine connaissent des conditions de vie pire encore que celles de leurs frères de classe d'Europe au 19ème siècle. Sous le joug de la plus féroce des exploitations, les ouvriers y vivent dans le dénuement et la misère. Confrontée à la faillite de son système et à la guerre économique, la bourgeoisie travaille froidement à exporter ces conditions effroyables d'exploitation au cœur du capitalisme : aux Etats-Unis et en Europe occidentale.
Le seul avenir que nous réserve ce système, c'est encore et toujours plus de misère. Croire en un capitalisme plus humain et mieux géré est une chimère, une utopie. Il n'y a qu'une seule solution et elle est entre les mains du prolétariat : construire un nouveau monde, sans classe et sans exploitation.
Tino / 28.03.07
1 Europe 2020 n°13.
2 Solidarité et progrès du 24 mars 2007.
3 Agence de Presse Associative du 11 mars 2007.
Face à l'angoisse de l'avenir, à la peur du chômage, au ras-le-bol de l'austérité et de la précarité, la bourgeoisie utilise les élections afin de pourrir la réflexion des ouvriers, en exploitant les illusions encore très fortes au sein du prolétariat.
Le refus de participer au cirque électoral ne s'impose pas de manière évidente au prolétariat du fait que cette mystification est étroitement liée à ce qui constitue le cœur de l'idéologie de la classe dominante, la démocratie. Toute la vie sociale dans le capitalisme est organisée par la bourgeoisie autour du mythe de l'Etat "démocratique". Ce mythe est fondé sur l'idée mensongère suivant laquelle tous les citoyens sont "égaux" et "libres" de "choisir", par le vote, leurs représentants politiques et le parlement est présenté comme le reflet de la "volonté populaire". Cette escroquerie idéologique est difficile à déjouer pour la classe ouvrière du fait que la mystification électorale s'appuie en partie sur certaines vérités. La bourgeoisie utilise, en la falsifiant, l'histoire du mouvement ouvrier en rappelant les luttes héroïques du prolétariat pour conquérir le droit de vote. Face aux grossiers mensonges propagandistes, il est nécessaire de revenir aux véritables positions défendues par le mouvement ouvrier et ses organisations révolutionnaires. Et cela, non pas en soi, mais en fonction des différentes périodes de l'évolution du capitalisme et des besoins de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
Le 19e siècle est la période du plein développement du capitalisme pendant laquelle la bourgeoisie utilise le suffrage universel et le Parlement pour lutter contre la noblesse et ses fractions rétrogrades. Comme le souligne Rosa Luxemburg, en 1904, dans son texte Social-démocratie et parlementarisme : "Le parlementarisme, loin d'être un produit absolu du développement démocratique, du progrès de l'humanité et d'autres belles choses de ce genre, est au contraire une forme historique déterminée de la domination de classe de la bourgeoisie et ceci n'est que le revers de cette domination, de sa lutte contre le féodalisme. Le parlementarisme bourgeois n'est une forme vivante qu'aussi longtemps que dure le conflit entre la bourgeoisie et le féodalisme". Avec le développement du mode de production capitaliste, la bourgeoisie abolit le servage et étend le salariat pour les besoins de son économie. Le Parlement est l'arène où les différents partis bourgeois s'affrontent pour décider de la composition et des orientations du gouvernement en charge de l'exécutif. Le Parlement est le centre de la vie politique bourgeoise mais, dans ce système démocratique parlementaire, seuls les notables sont électeurs. Les prolétaires n'ont pas le droit à la parole, ni le droit de s'organiser.
Sous l'impulsion de la 1ère puis de la 2e Internationale, les ouvriers vont engager des luttes sociales d'envergure, souvent au prix de leur vie, pour obtenir des améliorations de leurs conditions de vie (réduction du temps de travail de 14 à 10 heures, interdiction du travail des enfants et des travaux pénibles pour les femmes...). Dans la mesure où le capitalisme était alors un système en pleine expansion, son renversement par la révolution prolétarienne n'était pas encore à l'ordre du jour. C'est la raison pour laquelle la lutte revendicative sur le terrain économique au moyen des syndicats et la lutte de ses partis politiques sur le terrain parlementaire permettaient au prolétariat d'arracher des réformes à son avantage. "Une telle participation lui permettait à la fois de faire pression en faveur de ces réformes, d'utiliser les campagnes électorales comme moyen de propagande et d'agitation autour du programme prolétarien et d'employer le Parlement comme tribune de dénonciation de l'ignominie de la politique bourgeoise. C'est pour cela que la lutte pour le suffrage universel a constitué, tout au long du 19e siècle, dans un grand nombre de pays, une des occasions majeures de mobilisation du prolétariat". (1) Ce sont ces positions que Marx et Engels vont défendre tout au long de cette période d'ascendance du capitalisme pour expliquer leur soutien à la participation du prolétariat aux élections.
A l'aube du 20e siècle, le capitalisme a conquis le monde. En se heurtant aux limites de son expansion géographique, il rencontre la limitation objective des marchés : les débouchés à sa production deviennent de plus en plus insuffisants. Les rapports de production capitalistes se transforment dès lors en entraves au développement des forces productives. Le capitalisme, comme un tout, entre dans une période de crises et de guerres de dimension mondiale.
Un tel bouleversement va entraîner une modification profonde du mode d'existence politique de la bourgeoisie, du fonctionnement de son appareil d'Etat et, a fortiori, des conditions et des moyens de la lutte du prolétariat. Le rôle de l'Etat devient prépondérant car il est le seul à même d'assurer "l'ordre", le maintien de la cohésion d'une société capitaliste déchirée par ses contradictions. Les partis bourgeois deviennent, de façon de plus en plus évidente, des instruments de l'Etat chargés de faire accepter la politique de celui-ci. Le pouvoir politique tend alors à se déplacer du législatif vers l'exécutif et le Parlement bourgeois devient une coquille vide qui ne possède plus aucun rôle décisionnel. C'est cette réalité qu'en 1920, lors de son 2e congrès, l'Internationale communiste va clairement caractériser : "L'attitude de la 3ème Internationale envers le parlementarisme n'est pas déterminée par une nouvelle doctrine, mais par la modification du rôle du Parlement même. A l'époque précédente, le Parlement en tant qu'instrument du capitalisme en voie de développement a, dans un certain sens, travaillé au progrès historique. Mais dans les conditions actuelles, à l'époque du déchaînement impérialiste, le Parlement est devenu tout à la fois un instrument de mensonge, de tromperie, de violence, et un exaspérant moulin à paroles... A l'heure actuelle, le Parlement ne peut être en aucun cas, pour les communistes, le théâtre d'une lutte pour des réformes et pour l'amélioration du sort de la classe ouvrière, comme ce fut le cas dans le passé. Le centre de gravité de la vie politique s'est déplacé en dehors du Parlement, et d'une manière définitive".
Désormais, il est hors de question pour la bourgeoisie d'accorder des réformes réelles et durables des conditions de vie de la classe ouvrière. C'est l'inverse qu'elle impose au prolétariat : toujours plus de sacrifices, de misère et d'exploitation. Les révolutionnaires sont alors unanimes pour reconnaître que le capitalisme a atteint des limites historiques et qu'il est entré dans sa période de déclin, comme en a témoigné le déchaînement de la Première Guerre mondiale. L'alternative était désormais : socialisme ou barbarie. L'ère des réformes était définitivement close et les ouvriers n'avaient plus rien à conquérir sur le terrain des élections.
Néanmoins un débat central va se développer au cours des années 1920 au sein de l'Internationale communiste sur la possibilité, défendue par Lénine et le parti bolchevique, d'utiliser la "tactique" du "parlementarisme révolutionnaire". Face à d'innombrables questions suscitées par l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence, le poids du passé continuait à peser sur la classe ouvrière et ses organisations. La guerre impérialiste, la révolution prolétarienne en Russie, puis le reflux de la vague de luttes prolétariennes au niveau mondial dès 1920 ont conduit Lénine et ses camarades à penser que l'on peut détruire de l'intérieur le Parlement ou utiliser la tribune parlementaire de façon révolutionnaire. En fait cette "tactique" erronée va conduire la 3e Internationale vers toujours plus de compromis avec l'idéologie de la classe dominante. Par ailleurs, l'isolement de la révolution russe, l'impossibilité de son extension vers le reste de l'Europe avec l'écrasement de la révolution en Allemagne, vont entraîner les bolcheviks et l'Internationale, puis les partis communistes, vers un opportunisme débridé. C'est cet opportunisme qui allait les conduire à remettre en question les positions révolutionnaires des 1er et 2e Congrès de l'Internationale communiste pour s'enfoncer vers la dégénérescence lors des congrès suivants, jusqu'à la trahison et l'avènement du stalinisme qui fut le fer de lance de la contre-révolution triomphante.
C'est contre cet abandon des principes prolétariens que réagirent les fractions les plus à gauche dans les partis communistes (2). A commencer par la Gauche italienne avec Bordiga à sa tête qui, déjà avant 1918, préconisait le rejet de l'action électorale. Connue d'abord comme "Fraction communiste abstentionniste", celle-ci s'est constituée formellement après le Congrès de Bologne en octobre 1919 et, dans une lettre envoyée de Naples à Moscou, elle affirmait qu'un véritable parti, qui devait adhérer à l'Internationale communiste, ne pouvait se créer que sur des bases antiparlementaristes. Les gauches allemande et hollandaise vont à leur tour développer la critique du parlementarisme. Anton Pannekoek dénonce clairement la possibilité d'utiliser le Parlement pour les révolutionnaires, car une telle tactique ne pouvait que les conduire à faire des compromis, des concessions à l'idéologie dominante. Elle ne visait qu'à insuffler un semblant de vie à ces institutions moribondes, à encourager la passivité des travailleurs alors que la révolution nécessite la participation active et consciente de l'ensemble du prolétariat.
Dans les années 1930, la Gauche italienne, à travers sa revue Bilan, montrera de façon concrète comment les luttes des prolétaires français et espagnols avaient été détournées vers le terrain électoral. Bilan affirmait à juste raison que c'est la "tactique" des fronts populaires en 1936 qui avait permis d'embrigader le prolétariat comme chair à canon dans la 2ème boucherie impérialiste mondiale. A la fin de cet effroyable holocauste, c'est la Gauche communiste de France qui publiait la revue Internationalisme (dont est issu le CCI) qui fera la dénonciation la plus claire de la "tactique" du parlementarisme révolutionnaire : "La politique du parlementarisme révolutionnaire a largement contribué à corrompre les partis de la 3ème Internationale et les fractions parlementaires ont servi de forteresses de l'opportunisme (...). La vérité est que le prolétariat ne peut utiliser pour sa lutte émancipatrice "le moyen de lutte politique" propre à la bourgeoisie et destiné à son asservissement. Le parlementarisme révolutionnaire en tant qu'activité réelle n'a, en fait, jamais existé pour la simple raison que l'action révolutionnaire du prolétariat quand elle se présente à lui, suppose sa mobilisation de classe sur un plan extra-capitaliste, et non la prise des positions à l'intérieur de la société capitaliste." (3) Désormais, la non participation aux élections, est une frontière de classe entre organisations prolétariennes et organisations bourgeoises. Dans ces conditions, depuis plus de 80 ans, les élections sont utilisées, à l'échelle mondiale, par tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, pour dévoyer le mécontentement ouvrier sur un terrain stérile et crédibiliser le mythe de la "démocratie". Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si aujourd'hui, contrairement au 19e siècle, les Etats "démocratiques" mènent une lutte acharnée contre l'abstentionnisme et la désaffection des partis, car la participation des ouvriers aux élections est essentielle à la perpétuation de l'illusion démocratique.
Contrairement à la propagande indigeste voulant nous persuader que ce sont les urnes qui gouvernent, il faut réaffirmer que les élections sont une pure mascarade. Certes, il peut y avoir des divergences au sein des différentes fractions qui composent l'Etat bourgeois sur la façon de défendre au mieux les intérêts du capital national mais, fondamentalement, la bourgeoisie organise et contrôle le carnaval électoral pour que le résultat soit conforme à ses besoins en tant que classe dominante. C'est pour cela que l'Etat capitaliste organise, manipule, utilise ses médias aux ordres. Ainsi, depuis la fin des années 1920 et jusqu'à aujourd'hui, quel que soit le résultat des élections, que ce soit la droite ou la gauche qui sorte victorieuse des urnes, c'est finalement toujours la même politique anti-ouvrière qui est menée.
Ces derniers mois, la focalisation orchestrée par la bourgeoisie autour des élections présidentielles de mai 2007 a réussi momentanément à capter l'attention des ouvriers et à les persuader qu'elles étaient un enjeu pour leur avenir et celui de leurs enfants. Non seulement la bourgeoisie plonge le prolétariat dans la paupérisation absolue, mais en plus elle l'humilie en lui donnant "des jeux et du cirque électoral". Aujourd'hui, le prolétariat n'a pas le choix. Ou bien il se laisse entraîner sur le terrain électoral, sur le terrain des Etats bourgeois qui organisent son exploitation et son oppression, terrain où il ne peut être qu'atomisé et sans force pour résister aux attaques du capitalisme en crise. Ou bien, il développe ses luttes collectives, de façon solidaire et unie, pour défendre ses conditions de vie. Ce n'est que de cette façon qu'il pourra retrouver ce qui fait sa force en tant que classe révolutionnaire : son unité et sa capacité à lutter en dehors et contre les institutions bourgeoises (parlement et élections) en vue du renversement du capitalisme. D'ailleurs, face à l'aggravation des attaques et malgré ce bourrage de crane électoraliste, le prolétariat est en train de développer une réflexion en profondeur sur la signification du chômage massif, sur les attaques à répétition, sur le démantèlement des systèmes de retraite et de protection sociale. A terme, la politique anti-ouvrière de la bourgeoisie et la riposte prolétarienne ne peuvent que déboucher sur une prise de conscience croissante, au sein de la classe ouvrière, de la faillite historique du capitalisme. Le prolétariat n'a pas à participer à la fabrication de ses propres chaînes, mais à les briser ! Au renforcement de l'Etat capitaliste, les ouvriers doivent répondre par la volonté de sa destruction !
L'alternative qui se pose aujourd'hui est donc la même que celle dégagée par les gauches marxistes dans les années 1920 : électoralisme et mystification de la classe ouvrière ou développement de la conscience de classe et extension des luttes vers la révolution !
D.
(1) Plate-forme du CCI.
(2) Le CCI est l'héritier de cette Gauche communiste et nos positions en sont le prolongement.
(3) Lire cet article d'Internationalisme n°36 de juillet 1948, reproduit dans la Revue Internationale n°36.
Face aux programmes électoraux de plus en plus creux des partis traditionnels, PS/ SPa compris, des appels fleurissent, jusque dans les médias bourgeois, pour appeler à la création d'un "parti populaire et combatif à la gauche du PS ou des écolos". Dans la perspective des élections du 10 juin, diverses initiatives ont d'ailleurs été lancées pour amorcer une telle dynamique. Ainsi la bourgeoisie a monté en épingle le "succès électoral" du Parti du Travail de Belgique (PTB "ex stalinien"), qui a triplé le nombre de ses conseillers communaux lors des dernières communales. Elle a tout particulièrement salué sa réorientation "populiste de gauche", d'après l'exemple du SP néerlandais. D'autre part, il y a quelques mois s'est constitué, le Comité pour Une Autre Politique (CAP), regroupant des personnalités de la gauche socialiste et syndicale (tels l'ex-député Sleeckx et l'ex-patron du syndicat socialiste Debunne) et soutenu par les trotskistes du MAS/ LSP, et il a d'emblée décidé de participer aux prochaines élections législatives. Cette "autre gauche" prétend présenter un programme "à la gauche du PS", une alternative progressiste face à la politique éculée des partis sociaux-démocrates traditionnels. Qu'en est-il en réalité lorsqu'on examine de plus près son programme et ses objectifs ?
Ces partis prétendent que leurs programmes permettent de promouvoir une véritable politique de changement par rapport à la logique du capitalisme néo-libéral. Quels sont leurs points principaux ?
- "moraliser" l'économie : "les gens d'abord, pas le profit", "les plus gros pollueurs doivent supporter les plus lourdes charges" (PTB), mettre sous contrôle la spéculation ou ouvrir les livres de compte des entreprises. En d'autres mots, imposer des règles plus 'morales' au fonctionnement de l'économie suffirait pour évoluer vers une société plus juste. Or, ce n'est pas le manque d'humanité de l'économie qui est la cause de la crise, de l'austérité, des licenciements massifs et des baisses de salaire, c'est exactement le contraire : le développement de comportements de plus en plus cyniques et impitoyables est en vérité la conséquence directe de l'impasse où est acculé le mode de production capitaliste ; tous les moyens sont bons pour écouler sa marchandise sur un marché sursaturé. Aucune mesure 'raisonnable', 'honnête' ou 'morale' n'empêchera l'austérité et la barbarie d'étendre ses ravages sur toute la planète. De telles orientations programmatiques visent par contre à répandre l'illusion qu'on peut 'humaniser en régulant' ce système capitaliste pourri, et donc qu'il ne faut pas le détruire.
- "faire payer les riches" : "Impôt sur les grosses fortunes" (PTB), "redistribution des 27 milliards de profit des 19 plus grosses entreprises" (CAP). Pour "l'autre gauche", la solution au chômage et à la misère, engendrés par le capitalisme, "se trouverait dans une 'redistribution équitable' des profits". Elle ne fait là que répandre le mythe que la misère croissante engendrée par le capitalisme n'est pas le résultat de ses contradictions qui s'aggravent de plus en plus mais une simple question de 'répartition plus honnête des richesses'. Pour elle, les inégalités sociales et le chômage découleraient du fait que les 'riches' amasseraient trop de fric qu'ils ne veulent pas partager, et non pas de la logique même des rapports de production capitalistes.
Or, depuis Marx dans sa brochure Salaire, prix et profit, les révolutionnaires ont justement combattu avec la dernière énergie l'illusion concernant la possibilité d'instaurer une société juste et équitable au sein du capitalisme, l'illusion que finalement, un capitalisme sans profit serait possible. Ils ont mis en évidence que le profit est le moteur de l'exploitation capitaliste, Comme le disait encore Rosa Luxembourg :"Le mode de production capitaliste a cette particularité que la consommation humaine qui, dans toutes les économies antérieures, était le but, n'est plus qu'un moyen au service du but proprement dit : l'accumulation capitaliste. La croissance du capital apparaît comme le commencement et la fin, la fin en soi et le sens de toute la production... Le but fondamental de toute forme sociale de production : l'entretien de la société par le travail, la satisfaction des besoins, apparaît ici complètement renversé et mis la tête en bas, puisque la production pour le profit et non plus pour l'homme devient la loi sur toute la terre et que la sous-consommation, l'insécurité permanente de la consommation et par moments la non-consommation de l'énorme majorité de l'humanité deviennent la règle." (Rosa Luxembourg, Introduction à l'économie politique).
C'est cette loi d'airain, cette logique immuable qui fonde la nature du capitalisme. C'est pourquoi il n'est pas surprenant de voir les entreprises et les Etats nationaux adopter des comportements toujours plus féroces et prédateurs, dans une concurrence de plus en plus acharnée entre nations, pour satisfaire leurs besoins toujours croissants de profit. Quand cette 'autre gauche' tente d'instiller parmi les travailleurs l'idée d'un capitalisme qu'il suffit de 'rendre plus équitable', c'est surtout pour leur cacher que la seule réponse historique que peut apporter le prolétariat aux iniquités engendrées par le système, c'est de le détruire, d'abolir le salariat en développant les luttes contre l'exploitation de la force de travail et les rapports capitalistes de production.
- renforcer le contrôle des 'pouvoirs publics' sur l'économie : en appelant l'Etat à prendre des mesures de coercition contre les "patrons privés", par exemple dans l'industrie pharmaceutique, ou encore à "rétablir les prépensions avec remplacement obligatoire par des jeunes", à imposer "une réduction de la facture sur le gaz et l'électricité", PTB et CAP désignent les "patrons privés" et leur "mauvaise gestion de l'entreprise" comme la cause de la misère des exploités. Pour eux, la solution est toute trouvée : il suffirait de concentrer les moyens de production entre les mains de l'Etat, d'où leurs revendications électorales : 'stop à la privatisation des services publics". Cet Etat, et par conséquent aussi son gouvernement, sont présentés comme un arbitre au-dessus des classes sociales, qui pourrait indifféremment pencher vers l'une ou l'autre classe : la bourgeoisie ou le prolétariat. Le reproche qu'ils adressent aux 'pouvoirs publics', c'est de "se mettre au service des patrons", de "faire des cadeaux au patronat". Ils masquent ainsi la nature de l'Etat capitaliste en faisant croire que c'est lui qui sert les patrons privés alors que, même s'il peut exister des divergences entre les Etats et certaines patrons, cela ne remet nullement en cause le fait que ces derniers agissent au bout du compte en cohérence et dans le sens de la défense de l'intérêt national et de l'Etat des pays dont ils dépendent. C'est l'Etat qui réglemente les prix, les conventions collectives, les taux d'exportation, de production, etc. C'est lui qui, à travers la politique fiscale, monétaire, de crédit, etc., dicte les conditions du"libre marché", tant aux secteurs financiers que productifs. Dès la fin des années 1960, avec la réapparition de la crise économique, c'est l'Etat qui a été responsable des grands plans de licenciements au nom de la restructuration industrielle dans la sidérurgie, les mines, les chantiers navals, l'automobile, et l'hémorragie se poursuit toujours aujourd'hui dans l'aéronautique, l'automobile, les télécommunications, etc. C'est l'Etat qui a supprimé des milliers d'emplois dans les postes, à la SNCB, dans les hôpitaux, et il continue dans la fonction publique, l'Education nationale, etc. C'est lui qui réduit en permanence les minima sociaux, favorise l'accroissement de la pauvreté, de la précarité, fait des coupes claires dans les budgets sociaux (logements, retraites, santé, éducation). Par son programme, 'l'autre gauche' dédouane le premier responsable de l'austérité capitaliste et du chômage, le premier donneur d'ordre de licenciements et de régression sociale : l'Etat de la société bourgeoise qui ne peut être qu'un Etat bourgeois, capitaliste.
L'impression générale instillée par les revendications avancées par la 'gauche de la gauche' est que le maintien des salaires, les créations d'emploi ou la sauvegarde de la sécurité sociale sont des "gains" "arrachés" aux profits capitalistes. C'est exactement l'inverse qui est vrai. Les richesses sont produites par le travail, pas par le capital, et c'est ce dernier qui s'en approprie une partie sur le dos des travailleurs à travers la plus-value. La condition indispensable pour que cette plus-value se réalise, c'est la vente des produits du travail salarié dans le cadre du marché. La cause fondamentale de l'austérité et de la misère qui s'abat sur la classe ouvrière, c'est bel et bien la crise de surproduction qui exacerbe la concurrence capitaliste sur un marché mondial saturé de marchandises. C'est cette pression qui pousse les capitalistes à réduire leurs coûts de production, faisant exploser la flexibilité, réduisant les salaires et licenciant à tour de bras. Voilà bien pourquoi une "autre politique", c.-à-d. une politique rompant avec la dynamique de misère et de guerre n'est pas possible au sein du capitalisme et de son "Etat démocratique".
Face à la politique anti-ouvrière avérée des partis socialistes PS/SPa au gouvernement depuis 18 ans, tout comme face à la corruption et les scandales qui les touchent périodiquement, il peut paraître logique d'appeler à se mobiliser pour construire "un vrai parti de gauche" qui pourrait réellement représenter les travailleurs lors des élections et défendre leurs intérêts dans le système représentatif de l'Etat bourgeois, au parlement national. Pourtant, ce n'est pas la première fois qu'un parti se présente comme l'émanation d'une "autre gauche" et appelle à voter pour lui avec la promesse de mener une "autre politique": des divers partis communistes jusqu'au PDS en Allemagne, au Parti de la Refondation communiste en Italie ou au "Parti des Travailleurs" de Lula au Brésil, ces partis "à la gauche du PS" l'ont tous promis mais cela ne les a pas empêchés, du "président" Lula aux "ex-communistes"en Italie ou en Allemagne, de soutenir une politique de renforcement du capital national, de prendre les mesures nécessaires pour renforcer la capacité concurrentielle du capital national.
Pour les révolutionnaires, la trahison des partis socialistes, puis plus tard des partis "communistes"ou "des travailleurs' n'est pas le résultat du hasard, de la malchance ou de mauvais dirigeants, c'est le produit de l'évolution même du système capitaliste et de sa phase actuelle. Dans la phase actuelle de décadence, de crise mondiale, de chaos et de guerre généralisés, l'ensemble des Etats bourgeois ont évolué vers un système où les partis n'expriment plus tellement la lutte entre fractions bourgeoises pour le contrôle de l'Etat mais où l'ensemble des partis est plutôt l'émanation des intérêts du capital national et oeuvre pour la défense de ceux-ci dans la foire d'empoigne entre brigands impérialistes au niveau international. Croire que dans un tel contexte entièrement contrôlé par l'Etat bourgeois, un parti défendant les intérêts de la classe exploitée pourrait se développer dans le cadre du système parlementaire et électoral, voire conquérir le pouvoir, c'est se raconter des histoires, se bercer de rêves illusoires.
Au début du 20e siècle, aveuglées par la croissance exponentielle du capitalisme et par le développement impressionnant de leurs propres forces, les fractions opportunistes au sein de la Social-démocratie ont répandu l'illusion d'un passage progressif au socialisme par la prise de contrôle de l'Etat bourgeois au moyen du levier électoral. Cent ans plus tard, après deux guerres mondiales, de terribles crises économiques et un chaos et une barbarie croissants sur toute la planète, la mise en avant d'une telle conception ne peut être qu'une entreprise de mystification éhontée visant à enfermer les travailleurs dans une voie suicidaire.
Face aux doutes sur l'opportunité de tels programmes et organisations, les plus 'radicaux' parmi leurs membres, tels les trotskistes du MAS/ LSP rétorquent : "Nous ne sommes pas dupes. Nous savons bien que ce nouveau parti ne sera pas le parti révolutionnaire, que tel dirigeant politique ou syndical va encore trahir, mais cette expérience négative est un passage obligé pour que les travailleurs apprennent qui sont les vrais révolutionnaires" (MAS, Pour un nouveau parti des travailleurs, 06.04.06). Faire croire qu'enfermer les travailleurs dans une logique réformiste et une perspective d'action suicidaire favorise le développement de la conscience prolétarienne témoigne d'un cynisme sans bornes. Loin de s'appuyer sur l'expérience de sa force et de son organisation que la classe ouvrière peut acquérir dans sa lutte, le MAS pose comme perspective pour le développement de la prise de conscience ... l'expérience individuelle de "chaque travailleur", la mystification démocratique qui transforme "chaque travailleur" en un "citoyen", seul, dans son isoloir, avec l'illusion que son bulletin va influer sur sa condition sociale. Les gauchistes prétendent qu'il faut partir des illusions des travailleurs pour les entraîner dans une expérience négative afin qu'ils prennent conscience. Affirmer que la conscience naît de la confusion, de la mystification et du découragement, tient du cynisme le plus répugnant et ne fait que révéler le véritable objectif de telles initiatives : non pas développer la conscience de la classe ouvrière mais au contraire l'embrouiller en piégeant la classe dans les campagnes démocratiques de la bourgeoisie.
Ces campagnes autour du développement d'une "vraie gauche" n'offrent donc aucune perspective au combat de la classe ouvrière, au contraire, elles détournent le ras-le bol qui tend de plus en plus à s'exprimer vers le piège des élections et des réformes démocratiques et elles évitent ainsi le développement de la réflexion au sein du prolétariat sur les perspectives et les moyens de lutte face à la barbarie croissante de la société bourgeoise.
Jos / 01.04.07
Après tout le battage autour du film documentaire d'Al Gore Une vérité qui dérange, du sommet fin janvier à Paris du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (IPCC en anglais), c'est le sommet européen de mars qui s'est penché sur le réchauffement climatique. Ils déclarent tous haut et fort leur volonté d'agir pour protéger l'environnement et rendre sûr l'avenir des générations futures. Cependant, malgré les précédentes déclarations enflammées du sommet Planète Terre à Rio (1992) ou les résolutions du Protocole de Kyoto (1998), c'est à vue d'œil qu'augmente la pollution et que les menaces liées à un dérèglement climatique s'amplifient. Indéniablement, la sonnette d'alarme pour le climat qui retentit maintenant suscite beaucoup d'inquiétude dans la po-pulation, et surtout chez les jeunes, qui entrevoient en conséquence un avenir encore plus sombre.
Dans l'enchevêtrement de déclarations et de campagnes mystificatrices, bon nombre de questions sur les causes, les liens entre les phénomènes et les solutions restent sans réponse.
Pour stimuler ce processus de réflexion, le CCI organise différentes réunions publiques, pour susciter un débat réel. Ce fut entre autres le cas à Bruxelles, le 17 mars dernier. Pour faire de cette réunion publique un lieu de discussion aussi vivant et ouvert que possible, nous avons demandé à un jeune sympathisant s'il voulait en préparer l'introduction. C'est avec enthousiasme qu'il a accepté cette proposition, et son exposé a été chaleureusement accueilli par le CCI et tous les participants, dont la moitié environ étaient des jeunes. La discussion lors de cette réunion a été très vivante, entre autres du fait d'une large participation des jeunes. L'effort désintéressé et honnête de tous les présents a témoigné une préoccupation commune pour la recherche, aux côtés du CCI, d'une argumentation claire et de réponses. Comme l'a affirmé un intervenant : "La recherche de la vérité est plus importante que la vérité elle-même".
Tous les sujets n'ont pas pu être traités, ce qui a été ressenti comme une frustration par certains participants. Une frustration positive, qui témoigne de la soif de continuer, engendrée par le débat! En conséquence, des rendez-vous ont également été pris pour une poursuite.
Nous publions ci-dessous l'exposé, ainsi que les grandes lignes du débat.
C'est maintenant officiel: le rapport de l'ONU sur le climat nous dit qu'en ce moment des changements climatiques menaçants sont à l'œuvre et seront encore plus sensibles à l'avenir. On pourrait discuter la crédibilité de ce rapport. Un article dans EOS (Ongemakkelijke waarheden? EOS n° 1, janvier 2007), un mensuel de science et de technologie, nous explique que les éléments sur lesquels se fonde GIEC, le groupe de recherche des Nations Unies qui étudie le changement climatique, se basent sur des données insuffisantes et incomplètes. Il est certain que des changements climatiques importants sont en cours, et que nous pouvons nous attendre aux plus graves scénarios-catastrophes: animaux, plantes, écosystèmes entiers vont disparaître ou se déplacer; sécheresse et famine augmentent; pendant les vagues de chaleur, plus d'enfants et de personnes âgées ou malades périront; dans les régions touchées par des tempêtes et des précipitations, plus de victimes encore tomberont; des maladies se répandront plus rapidement; si les courants marins s'arrêtent, il pourrait faire glacial en Europe occidentale; on peut s'attendre à des millions de réfugiés écologiques, etc. Mais le but de la discussion que nous allons mener aujourd'hui n'est pas de redécouvrir la climatologie, mais d'aborder l'aspect social, pour mener une réflexion à propos de la propagande de la classe dominante.
- Les changements climatiques sont-ils dus à "l'Homme", à "l'humanité", comme nous le suggère le rapport de l'ONU? Le journal De Morgen titre: "C'est presque certain: c'est notre faute", en se référant au rapport des Nations Unies, où il est dit que "l'Homme" est presque certainement responsable du réchauffement de la terre à cause de l'utilisation des combustibles fossiles. "L'humanité", que veut dire cette conception abstraite? Est-ce ce monstre irréfléchi et égoïste, incapable de penser à long terme, qui ne pense pas aux générations suivantes? Mais est-ce que toi ou moi, bien que nous soyons préoccupés par l'avenir, avons quelque chose à dire sur la manière dont les gouvernements s'occupent du problème? Non, selon moi la cause du phénomène n'est pas "l'Homme" ou "l'humanité".
- Alors, la cause des changements climatiques est-elle le citoyen, ou en d'autres termes l'individu? Nous utiliserions trop d'énergie, trop d'eau, nous roulerions trop en voiture. C'est ce que nous racontent toujours les médias. Serait-ce à chaque individu d'adapter son comportement de consommateur ou sa consommation d'énergie? Mais dans la société actuelle, on ne peut choisir qu'entre une voiture polluante et une moins polluante, entre un moyen de chauffage polluant mais meilleur marché et des panneaux solaires, plus chers. Pourquoi travaillons-nous la nuit, à la lumière artificielle, au lieu de travailler de jour, à la lumière du soleil? Non, la faute n'incombe pas à l'individu.
- La source du phénomène est-elle l'industrie? En elle-même, l'industrie n'est pas quelque chose de mauvais. Au dix-neuvième siècle, avec le capitalisme en plein développement, l'industrie était florissante, une indication du caractère alors progressiste du système de production capitaliste, puisque pour la première fois dans l'histoire, l'industrie nous offrait la possibilité de produire trop. A partir de ce moment, les besoins de base de tous les hommes pouvaient potentiellement être satisfaits.
- Ou la responsabilité des changements climatiques incombe-t-elle à la société capitaliste, au système de production capitaliste? Selon moi, la véritable origine des changements climatiques n'est effectivement pas dans la "nature destructrice de l'homme", ou dans les "comportements consciemment ou inconsciemment polluants de l'individu", ou enfin dans l'appareil de production en tant que tel, mais dans la manière dont l'industrie, la science et la technique sont aujourd'hui utilisées et développées, donc dans le système de production actuel. Car si les techniques actuelles et les connaissances scientifiques nous offrent la possibilité de limiter, voire d'éviter la catastrophe écologique, alors pourquoi la société capitaliste ne nous offre-t-elle pas cette possibilité?
Pouvons-nous résoudre le problème des changements climatiques au sein de la présente société capitaliste, des structures économiques, politiques et sociales actuelles? L'Etat, ou une association d'Etats peuvent-ils résoudre le problème? C'est la question suivante qu'il faut se poser. Est-ce que le capitalisme peut sauver l'humanité, par exemple au travers de ses structures politiques, son Etat? J'en doute. Vera Dua, présidente de Groen!, écrivait en mars 2007 sur le site de ce groupe: "On émet à peine moins de CO2 qu'au début des années 1990. Alors qu'il est maintenant clair que dans la période après Kyoto, des efforts encore beaucoup plus importants devront être faits". C'est donc très clair: même la bourgeoisie concède que son protocole "révolutionnaire" de Kyoto n'apporte rien. Et que signifient concrètement ces "efforts beaucoup plus importants"? Payer plus cher les sacs-poubelles, l'électricité et l'eau? Céder une part du salaire de chacun "pour l'environnement"? Les Etats du monde entier peuvent-ils s'unir par-dessus les frontières et former un bloc pour prévenir cette catastrophe? Si les pourparlers entre Etats produisent des résultats au même rythme qu'au récent sommet européen sur le climat, c'est mal parti.
Au sens large, ce problème écologique en revient à poser la question de savoir si le capitalisme peut satisfaire les besoins humains, et donc aussi s'il est capable d'assurer à chacun un environnement sain. S'il existait pour satisfaire les besoins humains, on n'aurait pas en même temps une surproduction de nourriture et des famines, on utiliserait depuis longtemps des moyens de transport non polluants, et on développerait la science dans d'autres directions que la production d'armes de haute technologie, particulièrement polluantes.
La dernière question, peut-être la plus importante à laquelle il faudrait répondre est: quelle alternative à la société capitaliste, qui semble être à l'origine de cette misère écologique? Le débat est ouvert.
Différents participants ont montré par de nombreux exemples qu'effectivement, déjà avec le niveau actuel de la science et de la technologie, beaucoup de choses sont possibles avec des conséquences beaucoup moins nuisibles. C'est ainsi entre autres qu'on a parlé de projets spectaculaires mis en oeuvre dans différentes parties du monde par un bureau d'architectes de New York. Mais la discussion a rapidement montré qu'aujourd'hui, de telles expériences ne voient le jour qu'à la condition de mener à un profit suffisant. Dans un certain nombre de cas, ces projets ne servent qu'à donner une image de "bonne volonté" ou comme vitrine prestigieuse pour pallier la mauvaise réputation d'entreprises polluantes (par exemple, Shell, Nike, Monsanto). Mais cette discussion a révélé qu'implicitement, sur le plan scientifique et technologique, les jalons d'une autre manière de produire et de vivre sont présents. Les intervenants étaient d'accord que la seule entrave à la réalisation de cette alternative était celle du capitalisme et des lois du marché, pas les limites de la technologie ou de la science.
Rapidement, la discussion a tourné autour de la question "Quelles sont alors les causes? La nature humaine? L'individu? Le capitalisme?". Le Rapport de Paris désigne l'homme et l'individu consommateur comme un pollueur: "chacun participe à la problématique (voiture, sacs plastiques, chauffage...)", c'est comme ça qu'il pose le problème. Mais tout est individualisé, bâti selon les règles de la concurrence mortelle, et n'a donc pas de solution individuelle, ont répondu les participants. Ce rapport n'apporte qu'un sentiment de culpabilité.
Différents intervenants ont essayé de montrer qu'effectivement, l'homme modifie son environnement, la nature, et que les modifications climatiques ne sont pas seulement un phénomène naturel, mais sont de plus en plus provoqués par l'activité humaine. Ce n'est pas nouveau. Auparavant, nous connaissions le développement de l'élevage et de l'agriculture, la croissance des grandes villes, accompagnée d'une déforestation massive, jusqu'à 60 % de la surface boisée de la planète, surtout aux dix-huitième et dix-neuvième siècles. Mais si dans le temps les conséquences demeuraient limitées -bien que beaucoup de maladies y trouvent leur explication- elles sont actuellement devenues incontestables à grande échelle dans le monde entier. Lorsque le système a entamé sa phase de décadence au début du vingtième siècle, les ravages sur le milieu naturel ont pris toutes autres dimensions. Ils deviennent impitoyables, comme est impitoyable la lutte que se livrent entre eux les rats capitalistes pour se maintenir sur le marché mondial. Réduire les coûts de production au minimum pour être aussi concurrentiel que possible devient une règle incontournable pour survivre. Dans ce contexte, les mesures visant à endiguer la pollution industrielle deviennent naturellement un surcoût inacceptable. Le capitalisme ne s'est jamais beaucoup préoccupé du bien-être de la planète ou de l'humanité, mais avec sa décadence historique, c'est devenu beaucoup plus grave et le processus s'accélère. L'accumulation de capital est le premier but de la production capitaliste, et le sort imposé à l'humanité ou à l'environnement n'a aucune importance... tant que ça rapporte, c'est bon. Le reste est finalement quantité négligeable, un détail sans importance. Un participant cite Marx à ce propos: "L'accumulation pour l'accumulation, la production pour la production, c'est le mot d'ordre de l'économie politique qui annonce la mission historique de la période bourgeoise. Et elle n'a jamais été freinée par les souffrances qui accompagnent la production de richesse: à quoi serviraient ces lamentations qui ne changent quand même rien à ces nécessités historiques inévitables?" (Karl Marx, Le Capital - Livre I).
Un aspect largement abordé est la question de savoir si le drame écologique pourrait être le moteur d'une prise de conscience à l'échelle mondiale. D'une part, certains ont argumenté que la frustration pouvait être retournée dans un sens positif: "ce n'est plus possible de continuer, mais il y a des solutions". L'ensemble de l'humanité est concerné sur toute la planète, c'est un ennemi commun. Et donc, il y a une très grande base possible pour l'alternative. Mais, ont répondu d'autres, les campagnes idéo-logiques qui sont menées actuellement à grand bruit vont à l'encontre de la prise de conscience du fait que le capitalisme en est le responsable. Elles ont pour but d'empêcher que le problème du changement climatique soit mis en rapport avec les autres désastres sur le plan mondial: la faim, la guerre, le flux des réfugiés, les maladies, la crise de surproduction. Avec les campagnes autour de l'actuelle menace, la bourgeoisie tente, exactement comme elle l'a fait dans les années 1950 à 1990 autour de la menace atomique, de diffuser le message selon lequel "si on résout cette question, il n'y a plus de problème". Ainsi, le système de production capitaliste, avec ses excès impérialistes et leurs effets destructeurs n'est pas remis en question. En fait, assez paradoxalement, le problème est exploité pour exiger des sacrifices, non de la part de la bourgeoisie, mais de celle de la classe ouvrière. Sous différentes formes, des mesures d'austérité et des impôts "pour l'environnement" sont mis en œuvre par des moyens détournés (journée pull-overs, dimanches sans voiture, journée du vélo, taxe sur les vieilles voitures, sur les sacs plastique, sur le chauffage...). Mais ce n'est pas tout. La problé-matique est également utilisée dans la bataille concurrentielle avec d'autres pays. Ainsi, on essaye d'imposer des normes écologiques à la Chine pour protéger ses propres marchés. Ou de justifier l'action militaire au nom de la pollution, comme au Kosovo, où une usine importante a été fermée. Sur le plan de la débâcle nucléaire aussi, on voit chaque Etat défendre ses propres intérêts loin d'un plan général d'ensemble. Enfin, il a été mentionné qu'on voyait même l'émergence d'une espèce de tourisme des catastrophes. Le Canada ouvre de nouvelles voies de communication suite à la fonte des neiges, diverses firmes essaient de doper leurs profits grâce à l'étiquette "ceci est écologique".
La participation active au débat de la majorité des participants a fait qu'il ne restait plus de temps pour une discussion approfondie sur les alternatives et les solutions durables. La plupart étaient d'accord sur la nature et la gravité des problèmes, et aussi avec l'analyse globale. Et surtout, tous étaient d'accord que la création d'une société centrée sur l'homme et son avenir est devenu un besoin urgent. Beaucoup des intervenants ne voyaient par contre pas clairement par où commencer la transformation de cette société. Dans la conclusion, le CCI a donné quelques orientations sur ce plan, et les personnes présentes ont demandé d'organiser une prochaine discussion sur le sujet.
Lac / 9.4.07
A peine les 3000 licenciements à VW Forest et les milliers d'autres chez les sous-traitants, ainsi que les hausses de productivité et les baisses de salaire pour les 2200 travailleurs "qui ont la chance de rester chez VW" étaient-ils réglés qu'une nouvelle attaque de grande envergure est déclenchée dans le secteur automobile : 1400 licenciements sur les 4500 ouvriers à l'usine GM d'Anvers. Et encore et toujours, les mêmes magouilles syndicales pour désarmer toute velléité de résistance et pour détourner les ouvriers d'une réflexion sur la véritable signification de cette catastrophe sociale :
- le nationalisme : ils font tout pour opposer les travailleurs des différents sièges : "Les Allemands d'Opel, les Britanniques de Vauxhall, les Suédois de Saab se sont mis d'accord sur le dos des Belges" (De Morgen, 19.04.07) ;
- le corporatisme : pendant des années, les syndicats ont fait croire aux ouvriers qu'ils étaient "les meilleurs de la classe" et que s'ils modéraient leurs exigences et acceptaient la flexibilité, GM Anvers échapperait aux restructurations. Aujourd'hui encore, ces mêmes syndicats appellent les ouvriers à montrer qu'ils sont les meilleurs en ne faisant pas grève mais en travaillant encore plus dur et en faisant confiance aux négociateurs syndicaux qui négocieront ‘le meilleur plan possible pour l'usine' ;
- l'isolement : lors de la grève à VW Forest encore, les syndicats appelaient à garder leur distance envers les ‘têtes brûlées' de VW et de se limiter à une solidarité de parole. Et aujourd'hui, ils expliquent clairement comment ils conçoivent la solidarité, exactement comme l'entend la bourgeoisie, le partage des sacrifices dans la logique des contraintes économiques : "Il est réconfortant que le front syndical de l'ensemble des sièges d'Opel a réussi à empêcher la fermeture d'une usine complète. (...) Chacun des sièges porte une partie de l'effort d'assainissement. Ce n'était absolument pas le cas à VW, où il n'était pas question de solidarité transfrontalière" (H. Jorrissen, président du syndicats des métallos socialiste, De Standaard, 18.04.07)
En réalité, patronat, syndicats et gouvernement ont ensemble planifié et accompagné les attaques, en imposant d'abord les 1000 licenciements chez Gevaert, en ‘isolant' ensuite le cas VW pour le ‘régler', pour frapper enfin les ouvriers de GM, alors qu'ils savaient pertinemment depuis des mois ce que la direction internationale de GM concoctait. Et aujourd'hui, ils joignent leur force pour convaincre les travailleurs qu'il n'y a rien à faire contre les lois naturelles de l'économie, pour cacher combien ces mesures sont l'expression d'une faillite de plus en plus manifeste du mode de production capitaliste.
Si la bourgeoisie est forcée par l'impasse économique de frapper de plus en plus fort, dans le même temps, les expressions de colère et de combativité se multiplient au sein de la classe ouvrière. Les travailleurs n'attendent plus les mots d'ordre syndicaux mais partent spontanément en grève : dans les transports publics wallons et bruxellois, à la SNCB ou chez les services de sécurité et les pompiers de Zaventem, dans les diverses entreprises de sous-traitance auprès de l'usine Ford à Genk enfin, où plusieurs centaines de travailleurs sont partis en grève, à SML (moteurs) d'abord, rejoints ensuite par ceux de Lear (sièges), IAC (tableaux de bord) et TDS (pièces détachées).
En règle générale, les syndicats s'empressent dans la période actuelle de reconnaître les mouvements pour arriver à nouveau à les contrôler. Face à la situation extrêmement tendue dans l'automobile toutefois, les syndicats se sont opposés frontalement à "l'irresponsabilité" du mouvement chez les sous-traitants de Ford, alléguant cyniquement que cela impliquait "non seulement une perte économique pour Ford mais que c'était en plus mauvais pour son image de marque" (H. Jorrissen, DM, 18.04.07). La vigilance et la nervosité de la bourgeoisie et de ses syndicats s'expliquent par le fait qu'elle sait parfaitement que ces cas ne sont pas des problèmes locaux, ni même régionaux ou nationaux. Comme le montre le texte ci-dessous, c'est partout dans les pays industrialisés que les attaques pleuvent et que les syndicats sont au premier rang pour saboter le développement de la résistance ouvrière.
Licenciements, suppressions d'emplois, fermeture d'usines, précarisation, délocalisations... : de plus en plus de salariés subissent la terrible réalité de l'accélération de la crise capitaliste . Ce sont les mêmes attaques, en Europe pour le groupe EADS-Airbus , à Alcatel-Lucent, Volkswagen, Deutsche Telekom, Bayer, Nestlé, Thyssen Krupp, IBM, Delphi... et sur le continent américain, avec Boeing , Ford, General Motors, Chrysler... Ces plans désormais à l'échelle mondiale, sont de plus en plus massifs et ne touchent plus seulement des secteurs en perte de vitesse ou archaïques, mais des secteurs de pointe comme l'aéronautique, l'informatique, l'électronique... Ils ne concernent plus seulement les petites et moyennes entreprises, mais s'étendent à tous les grands groupes leaders de l'industrie et leurs sous-traitants, ils ne se limitent plus aux ouvriers sur les chaînes de production mais visent aussi les ingénieurs, les cadres commerciaux, les secteurs de la recherche.
Chaque Etat, chaque dirigeant d'entreprise sait bien que cette situation pousse tous les salariés, du privé comme du public où les prolétaires subissent exactement le même sort à se poser de plus en plus de questions, angoissés sur l'avenir qui leur est réservé et encore davantage sur l'avenir de leurs enfants. Il est de plus en plus évident que les prolétaires de tous les pays sont embarqués dans ce même bateau qui prend l'eau de toutes parts. Dans ce contexte inédit, la préoccupation principale de la bourgeoisie n'est pas seulement de tenter de colmater les brèches béantes qui s'ouvrent dans son système mais aussi de gagner du temps, d'empêcher les prolétaires de prendre conscience de cette réalité.
C'est pourquoi les syndicats dont la fonction spécifique au sein de l'appareil d'Etat est d'encadrer et de contrôler la classe ouvrière prennent partout les devants et occupent le terrain social pour couper l'herbe sous le pied de toute tentative de mobilisation unitaire des ouvriers face à ces attaques massives et frontales. Leur tâche essentielle aujourd'hui est de prendre le contrôle de la lutte pour faire passer ces attaques en entretenant la concurrence et la division des ouvriers par atelier, par site, par entreprise, par secteur, par pays .
Les syndicats, le gouvernement, la direction, toute la classe politique et les médias ont polarisé l'attention sur les 10 000 suppressions d'emplois à Airbus (jusqu'ici présenté comme un fleuron "prospère") où ils ont multiplié les manœuvres pour organiser la division des ouvriers entre eux, disperser leur colère et défouler leur combativité.
Ainsi, les syndicats français ont commencé par faire croire qu'ils n'étaient pas au courant de ce qui se tramait, qu'ils défendaient les emplois et les intérêts des ouvriers alors que pendant des mois, ils étaient pleinement associés au fameux plan Power 8. En effet, la direction avait créé pour cela "un comité de pilotage" constitué de la Direction des Ressources Humaines et des syndicats, afin justement de "se préparer à tout impact social que ses mesures pourraient avoir" (d'après une note de la direction à l'intérieur de l'usine de Toulouse-Blagnac). Les syndicats ont tous tenu le même langage, celui de minimiser l'attaque au moment où elle était dans sa phase préparatoire, s'inscrivant pleinement dans les mensonges de la direction et des différents Etats concernés. Ensuite, ils ont fait reprendre le travail aux ouvriers à Méaulte qui étaient partis spontanément en grève 48 heures avant l'annonce officielle du plan Power 8 en prétendant que l'usine ne serait pas revendue, alors que la direction faisait savoir ensuite qu'aucune décision n'était pour l'instant arrêtée sur le sujet.
Suivant les usines, s'adaptant à chaque situation particulière, les syndicats ont organisé la division, comme à Toulouse, entre les secteurs touchés et ceux épargnés. Plus fort encore, pendant des mois, ils ont martelé l'idée selon laquelle, si Airbus est dans cette situation, c'est "la faute aux Allemands". En Allemagne, le discours syndical était parallèle : "C'est la faute aux Français". Aussi, les syndicats n'ont cessé d'exalter le "patriotisme économique". Dans un tract du 7 mars cosigné par FO-Métaux (syndicat largement majoritaire à Toulouse), la CFE-CGC (syndicat des cadres) et la CFTC, ils déclarent par exemple : "C'est tout l'intérêt de l'économie française, locale et régionale qui est en jeu (...) Restons mobilisés (...) pour défendre Airbus, nos emplois, notre outil de travail, nos- compétences et notre savoir-faire au bénéfice de toute l'économie locale, régionale et nationale." Cette répugnante propagande poussant les ouvriers à se rallier à la logique concurrentielle du capital se retrouvait déjà lors d'une mobilisation des syndicats des différents pays d'Europe où sont implantées les usines Airbus : "Défendons notre outil de travail ensemble, salariés Airbus, sous-traitants de tous les sites d'Airbus d'Europe" (tract commun à tous les syndicats du 5 février 2007).
Après les manifestations du 6 mars, ils ont fait miroiter une riposte européenne pour le 16 et annoncé une grande manifestation à Bruxelles pour ensuite l'annuler trois jours avant en la remplaçant par des manifestations toujours présentées comme une "journée de mobilisation européenne" mais limitée aux salariés d'Airbus et éparpillées sur les différents sites locaux . Et le pompon était à voir du côté de Toulouse où les syndicats ont cueilli les ouvriers à la sortie de l'usine dans des bus de ramassage pour les amener dans un lieu de rassemblement totalement excentré et les faire marcher jusqu'au siège de Blagnac où les attendait une nuée de caméras de télé pour médiatiser à fond "l'événement". Sitôt arrivés là, on les faisait remonter dans les bus pour regagner l'usine et reprendre le travail1 .
Les syndicats comme l'ensemble de la bourgeoisie ne tenaient certainement pas, dans ce contexte d'attaques tous azimuts, à voir une large mobilisation ouvrière à l'échelle européenne où les ouvriers pouvaient se rassembler, se rencontrer entre eux, discuter et échanger leurs expériences.
Il n'était pas question non plus pour les syndicats que la manifestation à Paris des salariés d'Alcatel-Lucent pour dénoncer le plan de restructuration du groupe qui prévoit 12 500 suppressions de postes, dont au moins 3200 en Europe, d'ici 2008, soit organisée en même temps. C'est pourquoi elle a été appelée la veille, le 15 mars. Elle se présentait comme unitaire et européenne, mais il n'y avait que 4000 personnes, venues de tous les sites français touchés, en particulier de Bretagne, mais aussi de pays voisins avec des délégations symboliques exclusivement syndicales d'Espagne, d'Allemagne, des Pays-Bas, de Belgique, d'Italie. Elles étaient d'ailleurs noyées dans une forêt... de drapeaux bretons et la manifestation cadencée au son du biniou ! Dans une série de plus petites grèves en France comme à Peugeot-Aulnay, c'est sur des hausses salariales que les syndicats ont entraîné les ouvriers dans une grève longue et exténuante. Tandis qu'à l'usine Renault du Mans, 150 ouvriers ont été entraînés derrière la CGT dans une grève restée très minoritaire contre un nouveau contrat de flexibilité signé par les autres syndicats. Cependant, quand on sait que PSA comme Renault s'apprêtent à annoncer à leur tour prochainement des plans de licenciements, on s'aperçoit que ces grèves et ces actions lancées par les syndicats n'ont pour but réel que d'épuiser au maximum auparavant la combativité ouvrière pour faire passer ces attaques. De même, si les enseignants ont été appelés à une énième journée d'action le 20 mars, c'est avec le même objectif de les épuiser pour leur imposer plus facilement ensuite toutes les attaques dont ils sont la cible.
Les ouvriers n'ont aucun intérêt commun à défendre avec leur bourgeoisie, par contre la situation les pousse à reconnaître les intérêts qu'ils ont en commun face aux mêmes attaques (massives et simultanées) auxquelles ils sont partout confrontés. Une telle situation favorise le développement de questionnements, de réflexions, qui posent de plus en plus clairement les besoins d'extension de la lutte, d'unité et de solidarité au sein du prolétariat qui seront les clés des luttes à venir. Même si les syndicats parviennent à l'heure actuelle à imposer sans obstacle visible leurs manœuvres de sabotage, de division, d'isolement, d'enfermement des prolétaires, ils sont appelés à se discréditer de plus en plus ouvertement aux yeux de la classe ouvrière. C'est aujourd'hui que mûrissent les conditions qui permettront demain aux ouvriers dans leurs luttes de discuter ensemble, de se rassembler, de confronter leurs expériences, de s'organiser eux-mêmes en dehors des syndicats et au-delà des frontières nationales.
Wim / 24.03.07
1 Le lendemain, Libération du 17 mars titrait son article : "Radicalisation jamais vue contre la direction de l'avionneur - Airbus : les salariés de tous les pays se sont unis".
Ces dernières semaines, les élections fédérales belges du 10 juin constituent le sujet central des médias. Ceux-ci consacrent de larges commentaires au "Waterloo des socialistes", aussi bien en Wallonie (-20% de sièges) qu'en Flandres (-30% de sièges) et spéculent largement sur la future coalition, pointant la victoire des sociaux-chrétiens dans le Nord et des libéraux dans le Sud du pays. Une thématique est toutefois soigneusement évitée, pendant la campagne tout comme dans les commentaires actuels à propos des résultats : la question sociale, celle des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière.
Pour ce faire, la campagne électorale même avait essentiellement été présentée comme un combat entre personnalités : en Flandres, le ‘citoyen électeur' était appelé à choisir entre la continuité du premier ministre sortant, le libéral G. Verhofstadt et sa politique « éthique progressiste» (mariage homosexuel, loi sur l'euthanasie, ...) ou le changement proposé par son challenger, le chrétien démocrate Y. Leterme, actuel ministre président de la région flamande, qui met l'accent sur la «bonne gouvernance» et la «solidarité ... avec les plus faibles». En Wallonie, les projecteurs étaient pointés sur le combat de coqs entre le représentant de l'Etat-PS wallon corrompu, le ministre président wallon E. Di Rupo, et son challenger, le ministre de l'économie libéral, admirateur de Sarkosy, D. Reynders. Tout était donc fait pour ne pas polariser sur des «questions épineuses»: les rationalisations et les fermetures, l'accroissement des cadences et de la flexibilité, le recul systématique du niveau de vie, la politique d'austérité et le démantèlement progressif de « l'Etat social », etc. Sur toutes ces questions, les débats sont restés particulièrement discrets et pour cause : il y a une profonde unanimité parmi l'ensemble des partis sur cette politique et le futur gouvernement, quelle que soit sa composition, se situera, sur ce plan-là, dans la parfaite continuité du précédent.
Quel est alors le sens des bouleversements politiques pointés par les médias ? Pour mener cette politique dans un contexte mondial marqué par un pourrissement croissant des structures sociétales, la bourgeoisie tend à mettre aux commandes de l'Etat ses partis les plus stables. Or, les deux «familles» du gouvernement ‘pourpre' avaient montré ces dernières années une fragilité et une instabilité gênantes : du côté des libéraux, le parti flamand a été secoué par des dissidences internes et a même connu une scission à sa droite, la liste Dedecker qui obtient plus de 6,5%des votes. La famille socialiste, quant à elle, est secouée par des scandales de cor-ruption dans le PS wallon qui voit les clans s'affronter. Il n'est donc pas étonnant que la bourgeoisie fasse remonter aux affaires son vieux parti social-chrétien, représentant fidèle des intérêts de l'Etat belge depuis sa création et rajeuni au cours des 8 années de purgatoire. En outre, cela permettrait aux partis socialistes, durement éprouvés par 20 ans de participation gouvernementale ininterrompue, de se refaire une santé dans l'opposition.
Il y a une autre raison, permettant de comprendre le battage médiatique autour du «changement politique» ; l'idée que le citoyen «peut faire entendre sa voix par les urnes » constitue en effet une illusion cruciale pour entretenir la crédibilité de la démocratie bourgeoise. "Tous les hommes naissent libres et égaux en droit" comme cela est gravé dans le marbre de la déclaration universelle des droits de l'homme. Pour ce faire, chaque citoyen a un droit inaliénable, celui de voter. Cette idéologie peut se résumer en une simple équation : un individu = un vote. Cependant, cette belle déclaration de principe n'est que virtuelle. Dans le monde réel, les hommes sont tout sauf égaux. Dans le monde réel, la société est divisée en classes. Au-dessus et dominante, tenant les rênes, il y a la bourgeoisie; en dessous, il y a toutes les autres couches de la société et en particulier la classe ouvrière. Dans la pratique, cela signifie qu'une minorité détient l'Etat, les capitaux, les médias... La bourgeoisie peut ainsi imposer au quotidien ses idées, sa propagande : l'idéologie dominante est l'idéologie de la classe dominante. Et le rouleau com-presseur médiatique passe et repasse sur le corps électoral. Pas une seule minute la propagande ne cesse. Ce bourrage de crâne n'est pas nouveau, le premier congrès de l'Internationale communiste affirmait déjà en 1919: "[la liberté de la presse] est un mensonge, tant que les meilleures imprimeries et les plus gros stocks de papier sont accaparés par les capitalistes [...]. Les capitalistes appèlent liberté de la presse la faculté pour les riches de corrompre la presse, la faculté d'utiliser leurs richesses pour fabriquer et pour soutenir la soi-disant opinion publique" (Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne présentées par Lénine le 4 mars 1919).
Si l'invariabilité de la politique de défense des intérêts de la bourgeoisie nationale est le programme profond de tout gouvernement national, la propagande électorale est justement là pour cacher cette vérité toute crue en faisant croire à l'éventualité d'une alternative: "oui, une autre politique est possible... à la condition de bien voter". Mensonges et poudre aux yeux! Qu'il s'agisse d'un nouveau gouvernement ‘bleu-romain', comme lorsqu'il s'agissait du gouvernement ‘pourpre' de Verhofstadt ou du gouvernement ‘rouge-romain' de Dehaene à la fin des années '90, ces gens-là appartiennent bel et bien à la même famille... la bourgeoisie. Les différences qui séparent les partis bourgeois ne sont rien en comparaison de ce qu'ils ont en commun : la défense du capital national. Pour ce faire, ils sont capables de travailler très étroitement ensemble, surtout derrière les portes fermées des commissions parlementaires et aux plus hauts échelons de l'appareil d'Etat. Et s'ils débattent et gesticulent dans l'hémicycle devant les caméras pour feindre l'indignation face à telle ou telle mesure, tel ou tel mot "déplacé" d'un autre député, c'est uniquement pour faire croire à l'intensité de la vie démocratique, pour entretenir la crédibilité de la démocratie bourgeoise.
Que la réalité sociale est bien différente de la mystification électorale est illustrée d'une part par les restructurations (Opel Anvers, La Poste, Johnson Control, ...) et d'autre part par les luttes ouvrières (postiers, employés communaux, ouvriers d'entreprises de pièces détachées pour l'automobile, ...) qui se sont multipliées pendant la campagne électorale même. Ces mouvements contrastés, exprimant la combativité, parfois aussi encore le désarroi face à l'absence d'alternative, se situent sur le véritable terrain de la défense des intérêts ouvriers face aux attaques et expriment, encore souvent de façon hésitante, le développement d'une réflexion au sein de la classe sur la manière de mener la lutte et les perspectives à mettre en avant au sein de celle-ci. Ces combats, qui partent souvent spontanément, sont difficiles car, s'ils sont systématiquement reconnus par les syndicats, c'est dans le but de mieux les saboter, en les isolant et en les étouffant dans des actions ou des revendications sans perspectives. Plus que jamais, l'orientation des luttes doit donc être la recherche de la solidarité, la mise en oeuvre de mouvements massifs, la réflexion sur les perspectives à mettre en avant face à la faillite du système, et non pas le terrain électoral où la classe ouvrière n'a rien à gagner. La bourgeoisie y transforme les ouvriers en citoyen-électeur, elle les dilue dans la masse de la population, les isole les uns des autres. Seuls et donc impuissants, elle peut ainsi leur bourrer le crâne à sa guise.
Jos / 12.06.07
Nous publions ci-dessous le courrier d'un lecteur du Brésil, qui sympathise avec les politiques entreprises par Chavez (et Lula) en faveur des couches les plus nécessiteuses. Ces manifestations de sympathie envers le chavisme sont chaque fois plus fréquentes, comme nous pouvons le voir dans nos réunions publiques et sur les forums où nous intervenons. Elles sont l'expression d'une véritable préoccupation pour la situation de paupérisation que subissent les couches les plus nécessiteuses (parmi lesquelles des millions de prolétaires) et du rejet de l'horrible politique impérialiste des Etats-Unis. Ainsi, beaucoup voient en Chavez et son « socialisme du 21e siècle » une issue de secours pour dépasser la pauvreté et affaiblir l' « impérialisme yankee ». Dans notre réponse, nous tenterons de montrer au camarade que les « phénomènes » Chavez, Lula, Evo Morales, Correa, etc., ne sont que l'expression de la montée au pouvoir de fractions de la bourgeoisie sud américaine capables de surfer sur les thèmes de la « gauche sociale » et les aspirations au changement des populations pour accentuer la précarité et la paupérisation.
En tant que citoyen du continent sud- américain, je vois avec méfiance autant de critiques au chavisme, qu'elles soient de droite ou de gauche. Chavez (de même que Lula au Brésil) est un leader originaire des classes économiques les plus basses et le démontre dans son discours et sa pratique ; il désire une situation meilleure pour les couches les plus nécessiteuses et moyennes du Venezuela. Il a fait face à un coup d'État bourgeois et il est retourné, dans les bras du peuple, au gouvernement. Qu'il soit populiste ou non, qu'importe puisqu'il réalise les rêves de son peuple ? Jusqu'ici, beaucoup de ses politiques ont été d'une extrême cohérence et courageuses. S'affronter au géant mondial est une lutte de David contre Goliath et, vous savez, ce n'est pas une chose facile. D'autres leaders récents du continent lui donnent la main : Evo Morales et Raphael Correa. La Chine augmente considérablement ses relations avec le Venezuela. Alors... tirez vos propres conclusions.
Salutations !
F.
Cher F.
Il est vrai que Chavez dans son discours affirme « désirer une situation meilleure pour les couches les plus nécessiteuses et moyennes du Venezuela » (il en va de même pour les autres chefs d'État comme Lula, Morales, Correa, et même ce « diable » de Bush vis-à-vis de leurs populations respectives) ; cependant dans la pratique nous constatons qu'il y a un écart chaque fois plus grand entre le discours et la réalité. Derrière la propagande insidieuse du chavisme (tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Venezuela) qui exalte les « succès » de la « révolution bolivarienne » en faveur des pauvres, ce qui existe en réalité c'est une paupérisation croissante des prolétaires et des couches les plus nécessiteuses, y compris des couches moyennes ; tandis que les nouvelles élites du chavisme perçoivent des revenus faramineux (dans plusieurs cas supérieurs à dix mille dollars par mois, jusqu'à cinquante fois le salaire minimum perçu par un travailleur) et font des affaires juteuses en jouissant des bienfaits de la rente pétrolière désormais entre leurs mains.
Cet écart entre le discours et la réalité n'est pas propre au chavisme, mais fonde le comportement hypocrite qui caractérise la classe dominante envers les masses exploitées , qu'elle doit contrôler en créant en leur sein l'espoir qu'il est possible de dépasser leur situation de pauvreté tout en conservant les bases du système capitaliste. C'est la raison pour laquelle le folklore chaviste n'a pas fait disparaître mais a bien au contraire réussi à réaffirmer cette tendance naturelle du capitalisme à concentrer la richesse dans quelques mains et à condamner une masse toujours plus grande de la population à vivre dans la pauvreté absolue.
Il est nécessaire de clarifier le rôle que joue Chavez comme leader « originaire des classes économiques les plus basses ». Le fait qu'un leader ou un gouvernement soit d'extraction « populaire », voire prolétarienne, ne signifie certainement pas que ce dernier est forcément un « protecteur des plus déshérités » et donc non assimilable à la classe dominante et son Etat. L'histoire est pleine d'exemples d'individus de cette sorte qui ont été d'une très grande utilité pour les classes dominantes, précisément dans des moments de crise aiguë : Lech Walesa en Pologne (dans les années 1980) et Lula au Brésil, par exemple. Ces deux « leaders ouvriers » ont rendu et rendent encore un service inestimable à la bourgeoisie de leur pays respectif. Chavez, fils d'instituteur, est devenu lui aussi un auxiliaire de la bourgeoisie vénézuélienne. Le fait que le fils d'un ouvrier ou le fils d'une illustre famille bourgeoise soit à la tête de l'État ne change rien à l'affaire ; l'un ou l'autre, en assumant la responsabilité de chef d'État devient inévitablement le plus haut gestionnaire de l'organe de domination du capital national (étatique et privé) et, comme tel, lui et ses acolytes s'intègrent à la classe exploiteuse.
Le surgissement des « phénomènes » Chavez, Lula, Kirchner et plus récemment Morales en Bolivie et Correa en Equateur est dû à l'épuisement quasi-généralisé des partis sociaux-démocrates et sociaux-chrétiens qui gouvernaient jusqu'à la décennie 1990 et qui, soumis à la décomposition et à la sclérose politique, ont rencontré de sérieuses difficultés pour contrôler les crises politiques et ont engendré de nouvelles formes idéologiques pour contrer le malaise social. Ces leaders, en s'appuyant sur leur charisme et leur origine populaire, ont capitalisé le malaise des prolétaires et des exclus, en développant des politiques populistes qui leur permettent de canaliser les « rêves de leur peuple » en faveur des intérêts du capital national. Ces nouveaux leaders sont les nouveaux administrateurs de la précarité.
Quand nous parlons de « politiques populistes », nous ne le faisons pas en termes péjoratifs, comme le font les secteurs de la bourgeoisie qui s'opposent à ces nouveaux leaders du capital ; mais nous nous référons aux gouvernements qui ont surgi en Amérique latine et dans d'autres pays de la périphérie, comme celui de Peron en Argentine (1946-1955), ou celui de Getulio Vargas au Brésil (1930-1954), entre autres, à ceux qui exacerbent les illusions des « déguenillés », précisément dans des périodes de crises aiguës du gouvernement de la bourgeoisie nationale.
Aucun de ces gouvernements n'a pu résorber la pauvreté des masses qui ont mis en eux leurs espoirs, et leur remplacement par d'autres gouvernements tout aussi bourgeois n'a rien changé sauf plonger ces masses encore plus dans l'attente d'un autre Messie qui fera revivre leurs « rêves ». C'est et ce sera le drame des couches miséreuses tant que le prolétariat ne se placera pas à la tête des mouvements sociaux et, à travers sa lutte révolutionnaire, ne dépassera pas les causes de la paupérisation et de la précarité, lesquelles se trouvent dans le fonctionnement propre du mode d'exploitation capitaliste.
Il est indiscutable que Chavez s'affronte au « géant mondial » et nous savons que cette lutte de « David contre Goliath » n'est pas « chose facile ». Mais cette lutte contre l'impérialisme nord-américain n'est rien de plus que la lutte pour renforcer le « petit » impérialisme vénézuélien dans la région, qui utilise le pétrole (de la même manière que les Etats-Unis utilisent leur pouvoir économique et militaire) comme arme de chantage et de pression, pour se renforcer au niveau géopolitique. De même que la politique impérialiste des Etats-Unis se fait au détriment du prolétariat et de la population nord américaine, la politique impérialiste de la bourgeoisie vénézuélienne (avec à sa tête le secteur chaviste), se fait au détriment des conditions de vie des couches sociales que le chavisme prétend défendre. La part du budget national dédiée aux forces armées, à l'achat d'armements (qui tôt ou tard seront utilisés contre la population vénézuélienne ou d'un autre pays de la région) est actuellement supérieure à celle destinée à la prétendue « dépense sociale ».
L' « anti-impérialisme yankee » a servi durant plus d'un siècle à cacher les ambitions des bourgeoisies de la région qui s'opposent à la bourgeoisie nord-américaine, puisque ces dirigeants sud-américains veulent être naturellement les uniques exploiteurs des forces productives de leurs pays respectifs. En ce sens, les « conseils » de la bourgeoisie cubaine à Chavez ne sont pas fortuits : l' « anti-impérialisme yankee » a servi cette dernière pour soumettre le prolétariat et la population cubaine à l'exploitation et à justifier tous les sacrifices pendant plus de quarante ans. Il est pour le moins contradictoire que malgré la confrontation « radicale » de Chavez aux Etats-Unis, ces derniers restent le principal associé commercial du Venezuela. Le prolétariat doit combattre tout impérialisme, qu'il soit grand ou petit.
En ce qui concerne le retour de Chavez au pouvoir depuis le « coup d'État bourgeois », il faut clarifier que ce retour au pouvoir ne s'est pas fait précisément « dans les bras du peuple », mais dans les bras des militaires loyaux, après s'être libéré des militaires qui l'ont renversé. Ces derniers ont décidé de capituler lorsqu'ils ont constaté l'énorme faiblesse des secteurs de la bourgeoisie qui étaient à la tête du coup d'État contre Chavez, lequel est revenu au pouvoir deux jours après. Le chavisme a tiré le plus grand bénéfice de cet événement lorsqu'il s'est présenté non seulement comme une victime des secteurs favorables au coup d'Etat, mais aussi du gouvernement nord-américain qui d'une certaine manière a appuyé le coup d'État en ne le condamnant pas. S'il est certain qu'une partie du « peuple » a crié et même a pleuré pour le retour de Chavez, la décision des événements était dans les mains des forces armées, qui en dernière instance décident dans des moments comme ceux-là à quelle fraction de la bourgeoisie il faut laisser le pouvoir. Le retour de Chavez « dans les bras du peuple » fait partie de la mythologie qu'il a lui-même créée pour se couvrir d'une auréole afin de tromper les masses qui lui ont accordé leur confiance ; mythologie que les secteurs altermondialistes de la région et du monde, vénèrent et à laquelle il font de la belle publicité.
Enfin, nous voulons mettre en évidence, et on peut le voir dans notre réponse, que notre critique ne se situe pas dans le spectre de celles qui sont faites du point de vue de la droite ou de la gauche, que nous considérons comme des forces politiques complémentaires qui défendent les intérêts de la bourgeoisie. Elle se situe sur un autre terrain, celui de la Gauche communiste.
Camarade F., nous t'invitons à débattre des questions posées ici puisque nous considérons que c'est un moyen de prendre confiance dans la perspective du socialisme révolutionnaire.
Fraternellement,
Le CCI
Une vague de grèves a touché de nombreux secteurs en Egypte au début de l'année : dans les usines de ciment, les élevages de volaille, les mines, les secteurs des bus et des chemins de fer, dans le secteur sanitaire, et surtout dans l'industrie textile, les ouvriers ont déclenché une série de grèves illégales contre la forte baisse des salaires réels et les réductions de primes. Le caractère combatif et spontané de ces luttes peut être saisi dans cette description de comment, en décembre de l'année dernière, la lutte surgit au grand complexe de tissage et de filage du nord du Caire Mahalla al-Kubra's Misr, qui a été l'épicentre du mouvement. Cet extrait est issu du texte de Joel Beinin et Hossam el-Hamalawy, "Les ouvriers du textile égyptien s'affrontent au nouvel ordre économique", publié sur les sites "Middle East Report Online" et libcom.org, et basé sur des interviews de deux ouvriers de l'usine, Muhammed'Attar et Sayyid Habib.
"Les 24 000 ouvriers du complexe de tissage et de filage Mahalla al-Kubra's Misr étaient en attente des nouvelles des promesses faites le 3 mars 2006 selon lesquelles le Premier ministre, Ahmad Nazif, aurait décrété une augmentation de la prime annuelle donnée à tous les ouvriers du secteur public industrialisé des 100 livres égyptiennes (17 $) habituelles à une prime de deux mois de salaires. Les dernières augmentations des primes annuelles dataient de 1984 - de 75 à 100 livres.
"Nous avons lu le décret et commencé à en parler dans l'usine" dit Attar. "Même les officiels du syndicat pro-gouvernemental publiait aussi la nouvelle comme une de ses réalisations". Il continue ensuite : "Décembre arriva (période où les primes annuelles sont payées) et chacun était anxieux. Nous nous aperçûmes alors que nous avions été roulés. On ne nous offrait que les même vieilles 100 livres. En réalité 89 livres, pour être plus précis, du fait des déductions (pour les taxes)."
Un esprit de lutte était dans l'air. Les deux jours suivants, des groupes d'ouvriers refusaient d'accepter leurs salaires en signe de protestation. Puis, le 7 décembre, des milliers d'ouvriers de l'équipe du matin commencèrent à s'assembler dans Mahalla's Tal‘at Harb Square, devant l'entrée de l'usine. Le rythme du travail à l'usine avait déjà ralenti mais la production tomba à l'arrêt lorsque 3000 ouvrières du vêtement quittèrent leur poste de travail, et se dirigèrent vers les sections du textile et du filage où leurs collègues masculins n'avaient pas encore arrêté les machines. Les ouvrières crièrent en chantant : "Où sont les hommes ? Voici les femmes !" Honteux, les hommes se joignirent à la grève.
Environ 10 000 ouvriers se rassemblèrent sur la place, criant "Deux mois ! Deux mois !" pour affirmer leur revendication sur les primes promises. La police anti-émeute était rapidement déployée autour de l'usine et dans la ville mais n'engagea pas d'action pour réprimer la manifestation. "Ils étaient impressionnés par notre nombre" dit Attar. " Ils espéraient que cela retomberait avec la nuit ou le lendemain." Avec l'encouragement de la sécurité d'Etat, la direction offrit une prime de salaire de 21 jours. Mais, comme le rappelle en riant Attar, "les ouvrières écharpaient presque tous les représentants de la direction venant négocier".
"Comme la nuit tombait, dit Sayyid Habib, les ouvriers eurent toutes les peines à convaincre les femmes de rentrer chez elles. Elles voulaient rester et dormir sur place. Cela nous prit des heures pour les convaincre de rentrer dans leurs familles et de revenir le lendemain." Souriant large-ment, Attar ajoute : "Les femmes étaient plus combatives que les hommes. Elles étaient sous le coup de l'intimidation de la police anti-émeute sécurité et de leurs menaces, mais elles tenaient bon."
Avant les prières du soir, la police anti-émeute se précipita sur les portes de l'usine. Soixante-dix ouvriers, avec Attar et Habib, y dormaient, où ils s'étaient enfermés. "Les officiers de la sécurité d'Etat nous dirent que nous étions peu nombreux et qu'il valait mieux sortir." dit Attar. « Mais ils ne savaient pas combien d'entre nous étaient restés à l'intérieur. Nous mentîmes en leur disant que nous étions des milliers ». Attar et Habib réveillèrent rapidement leurs camarades et, tous ensemble, les ouvriers commencèrent à frapper bruyamment sur les barreaux d'acier. "Nous réveillâmes tout le monde dans le complexe et dans la ville. Nos téléphones mobiles sortirent des forfaits car nous appelions nos familles et nos amis à l'extérieur, leur demandant d'ouvrir les fenêtres et de faire savoir à la sécurité qu'ils regardaient. Nous appelâmes tous les ouvriers que nous connaissions pour leur dire de se précipiter vers l'usine."
A ce moment, la police avait coupé l'eau et l'électricité de l'usine. Les agents de l'Etat fonçaient vers les gares pour dire aux ouvriers venant de l'extérieur de la ville que l'usine avait été fermée à cause d'un dysfonctionnement électrique. La ruse manqua son objectif.
"Plus de 20 000 ouvriers arrivèrent", raconte Attar. "Nous avons organisé une manifestation massive et fait de fausses funérailles à nos patrons. Les femmes nous apportèrent de la nourriture et des cigarettes et rejoignirent la marche.
Les services de sécurité étaient paralysés. Les enfants des écoles élémentaires et les étudiants des écoles supérieures proches prirent les rues en soutien aux grévistes. Le quatrième jour de l'occupation de l'usine, les officiels du gouvernement, paniqués, offrirent une prime de 45 jours de salaire et donnèrent l'assurance que la compagnie ne serait pas privatisée. La grève fut suspendue, avec l'humiliation d'une fédération syndicale contrôlée par le gouvernement grâce au succès de l'action non-autorisée des ouvriers du filage et du textile de Misr."
La victoire de Mahalla encourageait un certain nombre d'autres secteurs à entrer en lutte, et le mouvement était loin d'être terminé. En avril, le conflit entre les ouvriers de Mahalla et l'Etat est revenu à la surface. Les ouvriers décidaient d'envoyer une importante délégation au Caire pour négocier (!) avec la Fédération générale des syndicats des revendications d'augmentation des salaires et procéder à l'accusation du comité syndicale d'usine de Mahalla pour avoir soutenu les patrons pendant la grève de décembre. La réponse des forces de sécurité du gouvernement fut de mettre l'usine en état de siège. Les ouvriers se mirent alors en grève et deux autres grandes usines de textile déclarèrent leur solidarité avec Mahalla, Ghazl Shebeen et Kafr el-Dawwar. La prise de position de cette dernière était particulièrement lucide :
"Nous, ouvriers du textile de Kafr el-Dawwar déclarons notre pleine solidarité avec vous, pour réaliser vos justes revendications, qui sont les même que les nôtres. Nous dénonçons fortement l'assaut des services de sécurité qui empêchent la délégation d'ouvriers (de Mahalla) d'aller au quartier général de la Fédération générale des syndicats au Caire. Nous condamnons aussi la prise de position de Said el-Gohary (1 ) à Al-Masry Al-Youm dimanche dernier, dans laquelle il décrit votre mouvement comme un ‘non-sens'. Nous suivons avec attention ce qui vous arrive, et déclarons notre solidarité avec la grève des ouvriers de la confection d'avant-hier, et avec la grève partielle dans l'usine de soie.
Nous voulons vous faire savoir que nous les ouvriers de Kafr el-Dawwar et vous ceux de Mahalla marchons dans la même voie, et que nous avons un ennemi. Nous soutenons votre mouvement, parce que nous avons les mêmes revendications. Depuis la fin de notre grève la première semaine de février, notre Comité syndical d'usine n'a rien fait pour réaliser les revendications à l'origine de notre grève. Notre Comité syndical d'usine a blessé nos intérêts... Nous exprimons notre soutien à votre revendication de réformer les salaires. Nous, comme vous, attendons la fin d'avril pour voir si le ministre du travail accédera à nos revendications ou non. Nous ne mettons pas beaucoup d'espoir dans le ministre même si nous n'avons pas vu de mouvement de sa part ou de celle du Comité syndical d'usine. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour réaliser nos revendications.
Aussi, nous insistons sur le fait que :
1. Nous sommes dans le même bateau que vous, et embarquerons ensemble pour le même voyage.
2. Nous déclarons notre pleine solidarité avec vos revendications et affirmons que nous sommes prêts pour une action de solidarité, si vous décidez d'une action dans l'industrie.
3. Nous allons informer les ouvriers de la soie artificielle, El-Beida Dyes et Misr Chemicals, de votre lutte, et créer des ponts pour élargir le front de solidarité. Tous les ouvriers sont frères aux temps de la lutte.
4. Nous devons créer un large front pour asseoir notre combat contre les syndicats du gouvernement. Nous devons renverser ces syndicats maintenant, pas demain" (Traduit du site internet Arabawy).
Ceci est une prise de position exemplaire parce qu'elle montre la base fondamentale de toute l'authentique solidarité de classe à travers les divisions créées par les syndicats et les entreprises - la conscience d'appartenir à la même classe et de combattre un même ennemi. Elle est aussi extrêmement claire sur le besoin de lutter contre les syndicats.
Des luttes ont aussi surgi ailleurs pendant cette période : les éboueurs de Giza saccageaient les bureaux de la compagnie pour protester contre le non-paiement de leurs salaires ; 2700 ouvriers du textile à Monofiya occupaient une usine de textile ; 4000 ouvriers du textile à Alexandrie se mettaient en grève pour une deuxième fois après que la direction ait tenté de déduire la paie de la dernière grève. Il s'agissait aussi de grèves illégales, non-officielles.
Il y eut également d'autres tentatives de briser le mouvement par la force. La police fermait ou menaçait de fermer le "Centre de services pour les syndicats et les ouvriers" de Nagas Hammadi, Helwan and Mahalla. Ces centres étaient accusés de fomenter "une culture des grèves".
L'existence de ces centres indique qu'il existe clairement des tentatives de construire des syndicats nouveaux. Inévi-tablement, dans un pays comme l'Egypte, où les ouvriers n'ont fait que l'expérience de syndicats qui agissent ouvertement en tant que police de boîte, les ouvriers les plus combatifs sont sensibles à l'idée que la réponse à leur problème tient dans la création de syndicats vraiment "indépendants", de la même façon que les ouvriers polonais en 1980-81. Mais ce qui ressort très clairement de la façon dont la grève a été organisée à Mahalla (à travers les mani-festations spontanées, les délégations massives et les assemblées générales aux portes de l'usine), c'est le fait que les ouvriers sont plus forts lorsqu'ils prennent directement les choses dans leurs propres mains au lieu de remettre leur pouvoir à un nouvel appareil syndical.
En Egypte, les germes de la grève de masse peut déjà se voir - pas seulement dans la capacité des ouvriers à l'action de masse spontanée, mais aussi dans le haut niveau de conscience exprimée dans la prise de position de Kafr el-Dawwar.
Il n'y a pas de lien conscient entre ces évènements et d'autres luttes dans différentes parties du Moyen-Orient subissant les divisions impérialistes : en Israël chez les dockers, les employés du service public et, plus récemment, chez les maîtres d'école en grève pour des augmentations de salaire, et chez les étudiants qui se sont affrontés à la police contre des augmentations des prix de l'enseignement ; en Iran où le Premier Mai des milliers d'ouvriers ont mis en désordre la manifestation gouvernementale officielle en criant des slogans anti-gouvernementaux ou ont pris part à des manifestations non-autorisées et se sont affrontés à une sévère répression policière. Mais la simultanéité de ces mouvements jaillit de la même source : la voie prise par le capital pour réduire la classe ouvrière à la pauvreté partout dans le monde. En ce sens, ils contiennent les germes de la future unité internationale du prolétariat au-delà du nationalisme, de la religion et de la guerre impérialiste.
Amos / 1.5.2007
1) Leader du syndicat des filatures et du textile, Said El-Gohary, accusait entre autres les ouvriers "d'être des terroristes voulant saboter la compagnie".
«A l'image de ces cavaliers de l'Apocalypse, qui fondent à l'aube sur les villages rebelles en ne laissant de leur passage qu'une trace des cases brûlées, tout, dans ce conflit, est en clair-obscur. Combien de morts depuis quatre ans ? Dix mille selon les autorités soudanaises, quatre cents mille selon les ONG. Comment qualifier la tragédie du Darfour ? Guerre de contre-insurrection, dit-on à Khartoum ; crime de guerre, estime l'ONU ; crime contre l'Humanité, assure l'Union européenne ; premier génocide du XXIe siècle, renchérissent les intellectuels occidentaux, auteurs récemment d'un appel à leurs gouvernements respectifs. Quelle solution pour y mettre un terme ? Désarmer les forces rebelles, assène le général-président Omar el-Béchir ; armer les forces rebelles rétorquent les intellectuels et les lobbies ; négocier et sanctionner le régime soudanais, soutient l'ONU...De ce maelström de passions, d'arrière-pensées, de manipulations et parfois d'irresponsabilités émergent cependant quelques certitudes.» (Jeune Afrique du 1er au 14 avril 2007).
En effet, il y a certitude sur les responsables de ces crimes : il s'agit des grandes puissances impérialistes et de leurs bras armés locaux, le gouvernement de Khartoum et les rebelles. Ce sont ces brigands capitalistes (en particulier les Chinois et, alliés objectifs et de circonstance quand ils s'étripent ailleurs, les Américains et les Français) et leurs valets locaux qui ont commis et commettent impunément encore ces odieux massacres, qui sont des « crimes contre l'humanité».
«Face à cette chronique d'un désastre annoncé, l'Organisation des Nations unies (ONU) et l'Union africaine adoptent essentiellement des mesures symboliques et dilatoires. Depuis deux ans, une force interafricaine de sept mille cinq cents hommes, la Mission de l'Union africaine au Soudan (MUAS, en anglais African Union in Sudan ou AMIS) est déployée au Darfour. (...) Cette force s'est révélée parfaitement inefficace. En effet, ses effectifs sont trop faibles : il faudrait au moins trente mille hommes pour couvrir les cinq cents mille kilomètres carrés du Darfour. En outre, la MUAS, sous-équipée, ne dispose que d'un mandat ridiculement restrictif : les soldats n'ont pas le droit d'effectuer de patrouilles offensives, ils doivent se limiter à « négocier» et se contentent, en fait, de recenser les tueries.(...) Les soldats africains, désolés, déclarent eux-mêmes en privé: «Nous ne servons à rien » (Le Monde diplomatique de mars 2007).
S'il en était encore besoin, ce propos illustre l'ignoble hypocrisie des puissances impérialistes qui gouvernent le monde, qui étalent au grand jour au Darfour leur vrai visage de cyniques barbares capitalistes. Ces dirigeants qui votent des « résolutions de paix » et envoient, sous les couleurs de l'ONU, des soldats au Darfour dont la mission consiste, en fait, à « recenser les tueries» et non celle de les empêcher comme annoncé en tamtam. Mais qu'attendre de plus de l'ONU, ce repaire où se retrouvent tous ces brigands, ces vautours immoraux qui se battent pour les restes d'une Afrique en putréfaction?
Là, le masque tombe, mais le comble du cynisme, c'est quand les bourgeoisies des grandes puissances s'efforcent de camoufler leurs vraies responsabilités dans la tragédie du Darfour à coups de «pèlerinages » médiatiques incessants au milieu des victimes agonisantes.
Pour mieux étouffer toute réflexion et toute prise de conscience par rapport aux buts réels de leurs agissements au Darfour, les «grandes démocraties» organisent régulièrement des «safaris humanitaires» au Darfour et des meetings dans les métropoles en «soutien aux victimes du génocide soudanais». En effet, dans le sillage des stars hollywoodiennes (comme George Clooney et compagnie), le 20 mars dernier, un meeting a été organisé à Paris à l'initiative d'un collectif d'associations baptisé «Urgence Darfour», composé principalement de célébrités médiatiques (Bernard Kouchner, Bernard-Henri Lévy, Romain Goupil et autres représentants de lobbies nationaux «humanitaires ») se fixant «l'objectif de mettre le Darfour sur l'agenda des présidentiables». Et effectivement ces derniers (Ségolène Royal, François Bayrou en tête) ont répondu à l'appel en signant un texte qui préconise (entre autres mesures) l'intervention des troupes françaises (en action au Tchad et en Centrafrique), pour faciliter la mise en place «de corridors humanitaires» au Darfour. Et en grands démagogues, les présidentiables en question ont voulu aller plus loin dans le cynisme: «D'une fermeté inédite en France, le document n'a pas empêché certains prétendants à l'Elysée d'aller plus loin, à l'instar de Ségolène Royal (Parti socialiste) et de François Bayrou (UDF) qui ont proposé de boycotter les Jeux Olympiques de Pékin en 2008 pour faire pression sur la Chine, présentée comme le principal soutien de Khartoum au Conseil de sécurité des Nations unies.» (Jeune Afrique)
Quels hypocrites, quels mystificateurs sans scrupule, cette classe bourgeoise française ou américaine ! Bref, ces défenseurs déguisés des intérêts de leur propre impérialisme, qui font comme si la France n'était pas déjà impliquée en tant qu'alliée puis aujourd'hui, par son soutien au régime tchadien, adversaire du régime soudanais «génocidaire». D'ailleurs, c'est bien le sens de l'appel des lobbies «politico-humanitaires» en préconisant ouvertement l'intervention de l'armée tricolore pour ouvrir prétendument «un corridor humanitaire» dans la zone des combats. Et ce n'est pas par hasard si la Chine est nommément dénoncée comme le «principal soutien» de Khartoum, car: «Loin derrière les Etats -Unis et la Chine, la France se démène dans l'ombre pour aider ses clients locaux régionaux que le régime soudanais menace. Paris a longtemps protégé Khartoum de l'hostilité « anglo-saxonne », mais cela ne lui a guère valu de gratitude de la part du régime islamique. Les permis pétroliers de Total dans le sud du Soudan demeurent toujours bloqués par des arguties juridiques, et les miliciens du régime s'emploient à déstabiliser, à partir du Darfour, les alliés de la France : le président tchadien Idriss Déby Itno et son homologue centrafricain François Bozizé» (Le Monde diplomatique de mars 2007).
Et pour finir, certains secteurs de la bourgeoisie française se demandent carrément si, en équipant les milices à la solde de Khartoum qui sont parvenues jusque dans les faubourgs de N'Djamena, Pékin ne chercherait pas à renverser les régimes pro-français en place dans la zone de l'Afrique centrale. Et, effectivement, Pékin est aujourd'hui le premier fournisseur d'armes et le premier acheteur du pétrole soudanais. On voit là pourquoi la Chine ne veut pas voir appliquer une telle résolution qui ne «respecte pas la souveraineté nationale soudanaise» dont elle se contrefiche.
Voilà un élément supplémentaire d'inquiétude pour l'impérialisme français, qui explique le but véritable des mobilisations « médiatiques et humanitaires » contre les autres impérialismes concurrents, la Chine et les Etats-Unis. Il est vrai que ces derniers ne sont pas en reste et excellent aussi dans le cynisme outrancier. Ainsi, Bush a donné, le 18 avril dernier, «une dernière chance au gouvernement soudanais de tenir très vite ses engagements pour mettre fin au ‘génocide' au Darfour».
Dans les faits, on sait que, tout en fermant les yeux sur les atrocités des cliques sanguinaires, Washington ménage Khartoum, son partenaire dévoué dans la «lutte antiterroriste». En clair, ce ne sont là que des manœuvres pour tendre la main à une alliance renforcée avec le Soudan tout en ayant l'air de le menacer. Au bout du compte, ce qui se cache derrière les discours et les actions de «paix» et autres «corridors humanitaires» pour le Darfour, ce sont en réalité de sordides luttes de charognards capitalistes au milieu des cadavres qui s'accumulent infiniment.
Amina/23.04.2007
Depuis bientôt une quinzaine de jours, des combats d'une violence chaque jour plus exacerbée ont éclaté dans le nord du Liban. Officiellement, on dénombre plus de 90 morts, parmi les soldats libanais et les combattants du Fatah al-Islam, mais aussi dans la population civile palestinienne du camp de Nahr al-Bared, l'un des douze que compte le pays et dans lesquels survivent 400 000 Palestiniens, "réfugiés" de la guerre israélo-arabe de 1969 ! Sur les 31 000 personnes de ce camp, 26 000 ont fui les affrontements, certains pour s'entasser dans le camp voisin de Baddaoui, d'autres dans une errance incertaine, passant de la misère et de la soumission aux lois maffieuses opérés par les groupes palestiniens qui les "protègent" à l'état de bêtes parquées ici et là sous la surveillance de la Croix Rouge et de l'ONU. Pour les 5000 Palestiniens restants, c'est purement et simplement l'horreur. Pris sous le feu croisé des forces libanaises qui encerclent et mitraillent ou bombardent à coups de missiles le camp, et de celles du Fatah al-Islam qui s'en servent de boucliers humains, hommes, femmes, enfants sont étranglés dans une terrible souricière.
Ce sont la décision de l'ONU de constituer un tribunal "à caractère international" chargé de juger les assassins de Rafic Hariri et la perspective d'élections présidentielles au Liban qui ont été les éléments déclencheurs de cet engrenage dans une violence jamais vue depuis le début des années 1970, au plus fort de la Guerre froide. Evidemment, la Syrie est particulièrement visée. L'apparition récente du groupe Hamas al-Islam, scission apparentée à Al-Qaïda d'un groupe pro-syrien, le Hamas Intifada, lui-même issu du vieux FPLP de George Habache opposé à Yasser Arafat et basé à Damas, ne peut que jeter la suspicion sur le rôle de l'Etat syrien dans la situation actuelle. Et cela d'autant que ce groupuscule ne présente aucune revendication palestinienne. De plus, le refus radical de création de ce tribunal par la Syrie, qu'elle rejette d'autant plus violemment que des responsables syriens ont été officiellement mis en cause, vient montrer à nouveau du doigt son implication dans le meurtre d'Hariri. Souvenons-nous que l'assassinat du dirigeant libanais en 2005 avait eu pour conséquence le départ des forces syriennes du Golan que revendique historiquement la Syrie et qui est une pomme de discorde permanente dans les relations entre Damas et Beyrouth.
Bien sûr, la "communauté internationale" s'émeut d'une telle situation, dans un pays qui compte 4500 casques bleus, cette "armée internationale de la paix", c'est-à-dire la plus grande concentration des forces de l'ONU au monde. Et ce sont la France et les Etats-Unis, pour cette fois apparemment sur la même longueur d'onde, qui ont été les plus prompts à proposer leurs bons offices. "Le gouvernement libanais fait ce qu'il a besoin de faire pour combattre un groupe terroriste très dangereux et pour rétablir la loi et l'ordre dans le pays", entendait-on à Washington le 25 mai. Et dans la même foulée, six avions-cargos américains bourrés d'armes et de munitions arrivaient donc au Liban afin de "soutenir" l'action de l'armée de Beyrouth.
Dans sa visite de "solidarité" au Liban, l'indispensable "french doctor" Kouchner, intangible amoureux des caméras, déclarait quant à lui que "la politique française [était] inchangée" et proposait sans réserve la fourniture d'équipements et d'armements militaires, bien sûr "humanitaires", au gouvernement libanais.
C'est clair, ces deux requins impérialistes ne font qu'attiser les affrontements guerriers et y participent même directement. La France et les Etats-Unis sont en effet directement intéressés à intervenir dans la situation au Liban.
Pour les Etats-Unis, qui avaient laissé le Golan à la Syrie au début des années 1990 pour lui rétribuer sa collaboration avec Washington tout en coupant le pied aux velléités impérialistes françaises au Liban, il s'agit de faire payer à la Syrie son soutien aux forces sunnites pro-irakiennes et aux terroristes d'Al-Qaïda qui sont stationnés et soutenus par la Syrie depuis l'invasion américaine en Irak. Aussi, la Maison Blanche ne va pas lésiner sur les moyens offerts à Beyrouth pour taper fort contre l'incursion effectuée par la Syrie à travers le Fath al-Islam.
Pour la France, dont les intérêts au Moyen-Orient sont toujours principalement passés par le Liban, il s'agit de tenter par tous les moyens de faire un retour dans le pays. Après le départ forcé en 1992 du général pro-français Michel Aoun, que les Etats-Unis avaient contraint de partir pour mieux permettre à la Syrie de s'installer dans le Golan et aux rênes de l'Etat libanais via des hommes dévoués à sa cause, l'Etat français n'a cessé de faire des pieds et des mains pour rétablir son influence dans la région.
Aussi, il n'est nullement question de voir une alliance entre l'Amérique et la France en vue d'instaurer la paix au Liban comme dans l'ensemble de la région. Tout au contraire, c'est une véritable concurrence impérialiste qui anime leurs intentions, concurrence qui n'augure strictement rien d'autre que de nouveaux affrontements et une nouvelle accélération des conflits guerriers dans cette zone du monde.
Leurs discours mensongers voudraient nous faire croire qu'un objectif commun les pousserait à régler la question. Loin s'en faut. S'ils ont le même intérêt à voir la Syrie et les terroristes du Hamas al-Islam reprendre leurs billes du Liban et déguerpir, il n'en va pas de même pour le Liban qui restera un enjeu d'importance pour ces deux concurrents impérialistes au Moyen-Orient. Pour les Etats-Unis, la stabilisation du Liban leur permet de contrôler la Syrie et de maintenir la pression sur ce pays qui est une base arrière des forces anti-américaines en Irak. Pour la France, c'est à la fois la question de continuer à prétendre au statut de puissance impérialiste mondiale "qui compte" dans la question moyen-orientale et aussi de continuer à détenir un appui dans cette région pour saboter la politique militaire et stratégique des Etats-Unis, que ce soit en Irak comme dans l'ensemble du Proche et du Moyen-Orient.
La poudrière que constitue le Proche et le Moyen-Orient n'est pas prête de s'éteindre. Les évènements au Liban ont leur pendant dans les territoires occupés de la Bande de Gaza que pilonne l'armée israélienne depuis des semaines. Et l'on retrouve les mêmes protagonistes des pays développés, bons samaritains toujours prêts comme le "Quartette pour la paix au Proche-Orient" (Union européenne, Etats-Unis, Nations unies et Russie) qui appelle en vain à l'arrêt des violences entre Israël et le Hamas dans la Bande de Gaza, comme celles entre le Hamas et le Fatah dans le Nord du Liban.
La véracité des déclarations de bonnes intentions de tous ceux qui gouvernent le monde est à mesurer à l'aune de ce qu'ils font subir partout aux populations et à la classe ouvrière : misère, sueur et sang. C'est le seul langage de la bourgeoisie, c'est le langage du capitalisme.
Mulan / 2.06.2007
Pendant la campagne électorale tout comme aujourd'hui, prêts à passer dans l'opposition, les partis socialistes se prétendent en pleine "rénovation" pour se présenter plus que jamais comme les "défenseurs attitrés des salariés et des progressistes", comme ceux qui veulent "donner une voix aux prolétaires de ce pays". Et pour ceux qui auraient des doutes sur leur rôle et rappellent que depuis 1987, soit depuis 20 ans, ils sont de tous les gouvernements - de Dehaene à Verhofstadt - et de toutes les mesures d'austérité, les socialistes assènent l'argument ultime : le « lien historique », qui les lierait aux travailleurs et à leurs revendications.
S'il y a effectivement eu un rapport historique entre la social-démocratie et le mouvement ouvrier, ce rapport a cependant volé en éclats il y a près d'un siècle, dans une rupture définitive en forme d'aller sans retour, au cours de la Première Guerre mondiale. Et depuis, à la tête de l'Etat bourgeois comme dans son rôle "d'opposition démocratique", le curriculum vitae de la social-démocratie n'a cessé de se remplir de nouveaux faits d'armes, faisant ainsi la preuve de son attachement viscéral au camp bourgeois.
La social-démocratie voit le jour en Allemagne avec la fondation en 1875 du SPD (Sozialistische Partei Deutschlands). Très rapidement, ce premier parti de masse de l'histoire va constituer le phare théorique et politique du mouvement ouvrier, même après la fondation de la deuxième Internationale, en 1889. Cependant, la gangrène opportuniste commence très tôt son funeste travail et l'Histoire place le SPD en 1914 devant le choix radical entre d'une part l'internationalisme prolétarien qu'il défendait encore un an avant le conflit, et le soutien à l'effort national en vue de la préparation à la guerre. Si le combat interne fut rude, il aboutira à la trahison de l'internationalisme par le vote de la majorité du SPD en faveur des crédits de guerre au parlement le 4 août 1914.
En Belgique, le Parti Ouvrier Belge de E. Vandervelde est très vite dominé par le réformisme (cf., nos articles sur l'histoire du POB dans Internationalisme 324 à 327). Il se rallie rapidement à la politique de défense nationale et engage les ouvriers belges à tirer sur les ouvriers allemands.
Laissant peu de répit à ses nouvelles recrues, la bourgeoisie ne tarde pas à placer des sociaux-démocrates dans les gouvernements, histoire de parfaire la trahison et de renforcer le profond désarroi que provoquent ces brutales volte-face des principaux partis européens. Plusieurs dirigeants social-démocrates accèdent à des maroquins ministériels, et pas n'importe lesquels : en Allemagne, G. Noske, futur boucher de la révolution allemande en 1919, est nommé... ministre de la guerre ; en Belgique, E. Vandervelde, le ténor du POB, est nommé ministre d'Etat dans le gouvernement de guerre et, avec E. Anseele, ministre à partir de 1916, montera au front pour exhorter le patriotisme quelque peu défaillant après de longues années de carnage sans fin, et pour faire la chasse aux déserteurs et aux ouvriers internationalistes. Ainsi, la social-démocratie n'aura pas mis longtemps à appliquer sur le terrain les principes ayant présidé à sa trahison en livrant le prolétariat à la première boucherie impérialiste.
Parallèlement à la guerre qui tire à sa fin, la bourgeoisie internationale doit gérer la première vague révolutionnaire mondiale dont un poste avancé campe en Allemagne. Face au soulèvement ouvrier, le social-démocrate, F. Ebert est promu à la présidence de la République, afin d'organiser la répression sanglante de la révolution allemande et est responsable de l'assassinat des révolutionnaires R. Luxemburg et K. Liebknecht, tâche abjecte perpétrée par les corps francs. En Belgique, E. Vandervelde condamne les ouvriers révolutionnaires de Russie et soutient ouvertement Kerenski et la contre-révolution. En 1918, le POB interdit aux ouvriers belges de se solidariser avec les conseils de soldats à Bruxelles et en 1919, il se solidarise avec la répression orchestrée par la social-démocratie contre les ouvriers insurgés à Berlin. Et, alors que les travailleurs se faisaient encore massacrer au front, les socialistes (tels J. Wauters) discutaient sous le couvert du Comité National de Secours Alimentaire à Bruxelles avec le banquier E. Francqui, l'industriel E. Solvay ou le libéral P. E. Janson de la préparation d'un gouvernement d'union nationale, chargé d'imposer aux travailleurs une exploitation féroce pour « relever l'économie nationale » tout en faisant quelques concessions (comme par exemple le suffrage universel) pour éviter la contagion des mouvements révolutionnaires en Russie et en Allemagne, sans toucher toutefois aux privilèges fondamentaux de la bourgeoisie.
Sitôt la classe ouvrière vaincue, la bourgeoisie se confronte, dans les années 1930, à une crise économique telle que la perspective d'un second conflit impérialiste généralisé devient inévitable. En Allemagne, le délitement économique et social phénoménal et la situation d'écrasement physique et idéologique du prolétariat permettent la mise en place d'une solution dictatoriale. Mais en Belgique comme en France d'ailleurs, c'est de nouveau la social-démocratie qui est mise à contribution pour préparer le terrain d'une prochaine guerre mondiale.
Dans la mise en place d'une économie de guerre, la classe dominante cherche dès le début des années 1930 à soumettre le prolétariat aux conditions intensives de travail nécessitées par la préparation de cette guerre. Les socialistes jouent dans ce cadre un rôle central dans les pays ‘démocratiques'. Ainsi, à son congrès de 1933, le POB adopte le ‘Plan du Travail' de H. De Man, qui prétendait lutter contre les effets désastreux de la crise par une série de ‘réformes de structures' visant à restreindre la toute-puissance du capital financier, dont ‘l'égoïsme' est présenté comme seul responsable de la crise, et à permettre la prise en mains par l'Etat bourgeois de tous les organismes de crédit. Il appelle à une attitude plus dirigiste de l'Etat envers l'ensemble de l'économie et au renforcement du pouvoir exécutif afin de garantir la stabilité sociale. Ce plan faisait en fait passer les leviers de l'économie entre les mains de l'Etat, ce soi-disant représentant du bien collectif, au-dessus des classes et des intérêts particuliers. En fin de compte, ces mesures ne diffèrent que par leur vernis idéologique des mesures économiques mises en oeuvre dans les années 1930 par l'URSS stalinienne, l'Italie fasciste (dont De Man s'inspire d'ailleurs) ou par l'Allemagne nazie. Cette similitude n'est ni un hasard ni un accident : c'est la manifestation flagrante que toute la bourgeoisie, « totalitaire » comme « démocratique », confrontée à une crise généralisée de son système, s'engage dans la seule voie possible pour elle, la guerre.
A la veille de la seconde guerre mondiale, les partis socialistes sont au premier rang pour mobiliser les travailleurs en vue de la nouvelle boucherie qui se prépare. En France en mai 1936, le Front Populaire emporte les législatives et conduit L. Blum à la Présidence du Conseil. Composé des radicaux de gauche et des socialistes de la SFIO, avec le plein soutien significatif des staliniens du PCF, il va construire sa politique autour de l'anti-fascisme et, partant de là, de la préparation à la guerre. En enfermant progressivement la classe ouvrière dans l'idéologie démocratique et nationaliste, il va d'abord agiter devant les ouvriers en grève le "danger fasciste" qui n'attend qu'un "affaiblissement de la nation française" pour "déferler sur le pays". Même les augmentations de salaires, les congés payés et autres "avantages" accordés lors des grèves de 1936 n'étaient nullement concédés pour améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière mais pour masquer, accompagner et rendre possible l'intensification du travail nécessitée par le développement de l'économie de guerre. Léon Blum lui-même confirme les objectifs de cette ‘politique sociale' lors du procès de Riom, fantaisie vichyste destinée à faire porter la responsabilité de la défaite de 1940 sur le gouvernement social-démocrate : "Ne croyez-vous pas que cette condition morale et physique de l'ouvrier, toute notre législation sociale était de nature à l'améliorer : la journée plus courte, les loisirs, les congés payés, le sentiment d'une dignité, d'une égalité conquise, tout cela était, devait être, un des éléments qui peuvent porter au maximum le rendement horaire tiré de la machine par l'ouvrier".
Si c'est au nom de l'antifascisme que la social-démocratie appelle les ouvriers à massacrer leurs camarades d'autres pays, son discours n'est sur le fond pas toujours fort différent de celui des fascistes ou des staliniens. En témoigne l'interview que P. H . Spaak, la coqueluche de la gauche du POB à cette époque, accorde au quotidien l'Indépendance Belge et où il souligne le caractère national du socialisme belge qui ne peut se limiter aux intérêts de la classe ouvrière mais doit s'identifier à l'intérêt national. C'est dans cette logique que les socialistes avec Spaak participent au gouvernement en exil à Londres pendant la guerre, qu'ils seront au gouvernement après la guerre pour calmer l'agitation sociale et mobiliser les ouvriers ... pour la reconstruction, et enfin qu'ils seront parmi les plus ardents défenseurs de l'OTAN, l'organisation politico-militaire du bloc américain, dont Spaak deviendra d'ailleurs le secrétaire général.
Les deux premières expériences de la social-démocratie au pouvoir offrent donc un bilan sans appel : écrasement du prolétariat révolutionnaire dans le sang, et enrôlement dans la préparation de la Seconde Guerre mondiale. Par la suite, de nombreux exemples montrent comment la social-démocratie "moderne", au pouvoir comme dans l'opposition, continue son sale boulot contre la classe ouvrière. Evoquons simplement les exemples français et belge.
Après la "grève générale" de 1968 en France, F. Mitterrand prend la tête d'un PS "d'union de la gauche" au congrès d'Epinay-sur-seine de 1971, avec un mandat : conclure un accord de gouvernement avec le PCF. Le ton est donné par Mitterrand dans son discours : il y parle de "révolution", de "rupture anti-capitaliste" et de "front de classe". Pendant toutes les années 1970, cette social-démocratie moderne incarnée par le PS de Mitterrand va fourbir ses armes dans l'opposition. Loin d'être passive, cette opposition va permettre au PS d'apporter une contribution fondamentale à la bour-geoisie, en encadrant la colère ouvrière provoquée par les attaques de la droite, en se présentant comme une alternative crédible pour accéder au pouvoir, entretenant ainsi l'illusion démocratique et parlementaire dans les rangs ouvriers.
En 1981, Mitterrand est élu président, et le moment semble venu de concrétiser cette "rupture anti-capitaliste" tant scandée au congrès d'Epinay. L'illusion ne durera pas longtemps. Après une petite année "de grâce", le programme d'austérité établi dès 1982 par le premier ministre P. Mauroy fait tomber les masques : fin de l'indexation des salaires sur les prix alors même que depuis 1981 l'inflation ne pouvait être contenue, restructurations dans les grandes entreprises entraînant la suppression de centaines de milliers d'emplois dans tous les grands secteurs d'activité, développement du travail précaire avec l'invention des premiers contrats précaires publics. Au final, le chômage se développera sans cesse pendant ces années, alors même que son indemnisation sera toujours plus réduite.
Le deuxième septennat de Mitterrand est du même tonneau : renforcement du flicage de la société, développement de la chasse aux immigrés clandestins, premières réflexions sur la réforme des retraites, réduction encore de l'indemnisation du chômage. Mais, le tableau de l'œuvre social-démocrate ne serait pas complet si nous n'évoquions l'une des plus grandes attaques portées contre la classe ouvrière depuis la fin de la deuxième guerre mondiale : les 35 heures. Cette loi portée par M. Aubry, ministre de l'emploi du premier ministre L. Jospin, a touché l'ensemble de la classe ouvrière en introduisant un maximum de flexibilité dans l'exploitation, tout en contribuant à bloquer les salaires.
Le rôle du parti socialiste en Belgique, rebaptisé PSB, puis scindé en un PS francophone et un SPa néerlandophone, n'est guère différent. Lors des grandes grèves de 1960-61 en Belgique, directions du parti et des syndicats affirment : « Nous avons par tous les moyens essayé de ... limiter la grève à un seul secteur » (L. Major), et ceci pour ensuite diviser et enfermer le mouvement dans le régionalisme. Lors de la grève dans les mines du Limbourg en 1966, le ministre socialiste de l'intérieur, A. Vranckx, fait tirer sur les grévistes. Et ils seront en pointe dans toutes les rationalisations, les programmes d'austérité : les noms de Claes, Mathot, Tobback, Spitaels, Di Rupo ou Vande Lanotte sont associés aux restructurations de la sidérurgie dans les années 1970, à la fermeture des mines du Limbourg en 1987, la rationalisation de la SNCB et de la poste dans les années 1990, l'austérité imposée aux employés communaux de Liège ou Anvers, au plans d'austérité pour rentrer dans l'Euro du gouvernement Dehaene dans les années 1990 tout comme au pacte des générations, imposé par le gouvernement Verhofstadt en 2005.
Voilà donc ce que représente cette social-démocratie qu'on nous dit "pleine d'avenir" ! Sa "nouvelle façon de faire de la politique" n'est tout au plus qu'une grossière mystification consistant à faire oublier ses actes passés. Dans ce sens, les menaces récentes de Vandenbroucke ou Onckelinx contre les chômeurs ne sont nullement des expressions malencontreuses ou des cas isolés. La social-démocratie, depuis sa trahison de l'internationalisme en 1914, n'a plus aucun lien avec le mouvement ouvrier. Systématiquement, depuis 90 ans, les partis socialistes sont les fossoyeurs des intérêts ouvriers. Au pouvoir comme dans l'opposition, ils n'auront fait que servir les intérêts de leur classe et de l'Etat, sans hésiter, quand il le faut, à y mettre eux-mêmes les mains, quitte à les enduire du sang de la classe ouvrière.
Jos / 01.06.07
Quelle attitude par rapport à la guerre? Les nombreux articles, discussions sur Internet et dans les cercles de discussion, les explications divergentes et la foule hétérogène de manifestants anti-guerre témoignent que nombreux sont ceux aujourd'hui qui se posent cette question et sont à la recherche de réponses appropriées. Dans cette recherche, on veut trouver le lien entre les guerres et leurs causes afin d'en dénoncer les responsables et conjurer la guerre. Mais comment appeler à l'arrêt de l'hystérie guerrière, avec qui et contre qui?
Le CCI affirme, comme d'autres groupes de plus en plus nombreux, qu'il faut dénoncer ces guerres d'un point de vue internationaliste: il ne faut choisir aucun camp entre la peste et le choléra, entre les parties belligérantes. Toutes aujourd'hui, aussi petites soient-elles, défendent des intérêts impérialistes, toutes sont des pions sur l'échiquier du capitalisme moribond. Ce n'est qu'en détruisant le capitalisme qu'on pourra bannir une fois pour toutes la guerre impérialiste.
A l'occasion d'une discussion entre des jeunes autour de la manifestation anti-guerre d'il y a quelques semaines, dirigée contre l'invasion américaine de l'Irak, le CCI a tenu récemment une réunion publique à Anvers sur ce thème. Nous y avions invité les jeunes en question, et notre introduction est partie de leurs questionnements. Dans ce bref article, nous citons les principaux passages de l'appel d'un entre eux, suivi de la réaction d'un autre jeune. Ensuite, nous traitons des thèmes qui ont été abordés dans la large discussion au cours de cette réunion.
Appel:
Dimanche prochain, il y a la manifestation pacifiste classique (une sorte de commémoration de l'invasion illégale des USA en Irak. Déjà il faut se poser la question si une invasion peut être légale). On pourrait dire que cette manifestation ne sert à rien. Et on aurait probablement raison, mais c'est simplement un devoir démocratique de descendre dans la rue contre les malhonnêtetés dans le monde. Ce sont les luttes d'émancipation et les manifestations en leur faveur (...) qui ont changé positivement le monde (et aucunement les invasions en Irak, en Afghanistan ou en Somalie). Le Liban a été détruit, et même si Israël a perdu, c'est la population du Liban aussi bien que d'Israël qui paie les pots cassés des appétits impérialistes. Aussi
la situation en Afghanistan ne s'est en rien améliorée après l'invasion américaine. Les Talibans ont été simplement écartés pour le moment, même si Oussama Ben Laden n'a jamais été retrouvé (?). Aujourd'hui, les Talibans contrôlent à nouveau des parties entières de l'Afghanistan, et la culture de l'opium est la seule source de revenus pour un pays détruit par le monde. Rien d'étonnant à ce que la population se tourne vers l'extrémisme.
C'est notre tâche, en tant que jeunes, de ne pas hypocritement se limiter à une nostalgie pour mai 68, mais d'offrir une résistance mondiale contre les violences guerrières qui plongent le monde dans une crise sociale et écologique. Que tu sois écolo, social-démocrate, libéral, socialiste, communiste, anarchiste ou seulement toi-même, le monde a maintenant besoin de toi. (...). Un autre monde est possible!
Toute discussion sur le contenu du mail et la manifestation est la bienvenue.
Réaction:
Cet appel à protester ensemble contre la guerre au Moyen-Orient est sincère/honnête/sérieux! Je soutiens cet appel, et j'irai moi-même à la manifestation!
Deux remarques:
-Nous devons certes être très critiques envers les partis et organisations politiques qui vont participer à la manifestation, parce que ceux-ci ne sont pas forcément contre la guerre et la misère sociale dans la région, mais défendent souvent leurs propres intérêts économiques, impérialistes, militaires, politiques et stratégiques. Car qui soutient, finance, arme les organisations terroristes dans ces pays, organisations qui en fait sont relativement petites comparées à l'armée US? Car il est par exemple connu que les USA ont eux-mêmes entraîné les Talibans pour combattre le bloc russe pendant la période de Guerre Froide. Il est connu que la France et la Belgique ont joué un rôle important dans l'armement des milices au Rwanda. Alors, d'où les terroristes actuels tirent-ils leur force? Quelles puissances se tiennent derrière ces groupes? Celles qui défendent (à mots couverts) les organisations terroristes, parce que ce serait soi-disant des «combattants de la liberté», parce qu'elles sont les faibles face aux puissants Etats-Unis, participent de fait à la guerre. Les terroristes sont et restent des assassins à grande échelle, ils alimentent le chaos inhumain qui règne aujourd'hui au Moyen-Orient! Quel camp défendent ces avocats des terroristes?
- La guerre du Golfe en 1991avait été approuvée par l'ONU et était donc «légale», mais cela ne justifie nullement les centaines de milliers de morts. Même si cette guerre était «légale», même si l'Irak avait détenu des armes nucléaires (les USA, la France, Israël, l'Inde, le Pakistan, la Corée du Nord, le Royaume-Uni...en possèdent d'ailleurs aussi, non!), je ne vois toujours pas ce qu'il y a à soutenir dans cette guerre.
Voilà matière à discussion.
Contre la guerre! Contre le terrorisme! Contre tout nationalisme!
Pour la Paix! Pour l'internationalisme!
Après une courte présentation des grandes lignes de ces contributions, une large discussion s'est développée, principalement autour des thèmes suivants:
- La guerre est-elle le produit d'une mauvaise nature des dirigeants? Le capitalisme est un système inhumain, et ne peut donc produire que des dirigeants inhumains qui le défendront aux dépens de tout le monde. Le système est en effet basé sur la recherche du profit et l'exploitation de la classe ouvrière. Les heurts impérialistes sanglants entre nations concurrentes pour des intérêts économiques et stratégiques sont la réponse inévitable de tous ceux qui ont le pouvoir;
- Quelles sont les véritables causes des guerres actuelles?
Cette question était directement liée à la précédente, puisque les guerres capitalistes se développent sur le terreau de la guerre commerciale sans merci dans un marché mondial sursaturé. Depuis le début de la période de décadence, tous les pays, grands ou petits, sont devenus impérialistes, car la planète entière est couverte par le capitalisme et qu'ils veulent s'arracher des marchés et matières premières. Du fait de cette crise économique, avec tous ses drames humains et sa misère, qui se prolonge en s'aggravant, les conflits continuent et de nouveaux éclatent sans cesse. Dans la période historique actuelle, ils dégénèrent de plus en plus dans des confrontations purement stratégiques entre états impérialistes;
- Pourquoi les USA ont-ils envahi l'Irak? Pour le pétrole ou par intérêt stratégique? L'invasion en Irak et la guerre dans les Balkans et en Afghanistan montrent concrètement et très clairement ce qui était discuté ci-dessus, et que dans la période actuelle, les guerres ont perdu toute rationalité. Où restent les profits pour les pays qui ont pris part à ces guerres? Dans l'actuelle période de décadence et de décomposition du capitalisme, il ne s'agit surtout que d'intérêts stratégiques, quitte à couper l'herbe sous les pieds des concurrents sans en retirer de profit immédiat;
- Pourquoi n'existe-t-il actuellement pas de blocs impérialistes, comme à l'époque de la première et la seconde guerre mondiale, et comme durant toute la période de la Guerre Froide? Il est vrai qu'il n'y a actuellement aucune menace directe de guerre mondiale, pour laquelle des blocs se seraient formés, mais c'est une conséquence du fait que nous vivons dans une période où ni la bourgeoisie (avec une guerre mondiale), ni la classe ouvrière (avec la révolution mondiale) ne réussit à imposer sa réponse aux problèmes. Nous sommes dans une espèce d'impasse que le CCI appelle la phase de décomposition du capitalisme, au cours de laquelle la société capitaliste pourrit sur pied. Dans cette période, la perspective de la révolution peut même s'enliser si la classe ouvrière n'engage pas consciemment la lutte pour sa propre perspective d'émancipation.
Dans une deuxième partie de la discussion sur les moyens de mettre un terme à la spirale guerrière, et par qui, ce sont surtout les thèmes suivants qui ont été à l'ordre du jour:
- Le pacifisme peut-il mettre fin à la guerre? L'histoire a clairement démontré qu'aucune action ou manifestation pacifiste n'a contribué à prévenir ou à arrêter la guerre. Ni les désertions, ni les actes de sabotage, ni les trois millions de manifestants en Grande-Bretagne n'ont empêché Blair et consorts d'attaquer l'Irak en compagnie des USA. Les exemples des manifestations sans résultat avant la première guerre mondiale, des tonnes de pétition avant la seconde ont été cités. Par contre, lorsque la classe ouvrière s'est mise en mouvement, la guerre s'est arrêtée, par exemple lors de la vague révolutionnaire de 1917-23. Si la classe ouvrière ne se pose pas comme une alternative, chaque guerre est menée jusqu'à la pire des fins, comme l'illustre la seconde guerre mondiale avec la destruction totale de l'Allemagne et du Japon, ou comme en Afghanistan et en Irak aujourd'hui;
- Pourquoi plus de gens ne se lèvent-ils pas alors que c'est aussi important pour la survie de l'humanité? La classe ouvrière et la bourgeoisie sont-elles tellement différentes par rapport à la guerre? C'est en effet la question-clé, liée à la compréhension qu'aucune partie de la bourgeoisie, aussi "humaine" ou bien intentionnée qu'elle soit, ne peut dépasser le niveau de la compassion vis-à-vis des victimes de guerres. Comme fraction de la classe capitaliste, elle doit défendre le profit et le maintien du capitalisme, et cela signifie inévitablement maintenir la pression sur la concurrence, engager la confrontation armée avec d'autres nations. La classe ouvrière, de son côté, n'est pas seulement victime de ces guerres; du fait de sa nature collective comme classe qui n'a aucun intérêt spécifique à la survie de ce système, sa résistance porte en elle l'alternative d'une autre société, basée sur les besoins humains. Seule la lutte de classe internationale peut mettre fin à la menace permanente de guerre de la part de toutes les puissances impérialistes qui plane sur l'humanité. La guerre ne peut être arrêtée que par la destruction du système capitaliste!
C'est sur cette perspective que la discussion, bien que loin d'être épuisée, a du être momentanément arrêtée.
Lac & K.Stof
Au mois de juin, une grève de quatre semaines a eu lieu en Afrique du Sud1 . Entre 600 000 et 1 million d'ouvriers ont cessé le travail, entraînant la fermeture de la plupart des écoles et de nombreux bureaux, l'arrêt de certains transports publics et le remplacement du personnel des hôpitaux par du personnel militaire. Ce mouvement de la classe ouvrière est le plus important depuis la fin de l'apartheid en 1994. Durant ces grèves, le syndicat COSATU et le SACP (Parti Communiste d'Afrique du Sud), qui font partie de la coalition gouvernementale au pouvoir avec l'ANC. se sont efforcés de briser les forces ouvrières et de faire passer les attaques contre le pouvoir d'achat.
La fin de l'apartheid n'a rien changé
Les conditions de vie et de travail en Afrique du Sud se sont terriblement détériorées pour la majorité de la population. L'espérance de vie, le degré d'alphabétisation, l'accès aux soins ont décliné. Il y a maintenant, en Afrique du Sud, 5,5 millions de patients atteints du Sida, le chiffre le plus élevé au monde.
Les syndicats et les commentateurs de gauche et gauchistes accusent régulièrement la politique "pro-business" et particulièrement cupide du président Thabo Mbeki. Mais ce n'est pas à cause de la cupidité ou de politiques économiques particulières que le gouvernement ANC/SACP/COSATU attaque les conditions de vie des ouvriers et des autres couches non exploiteuses en Afrique du Sud. Un gouvernement capitaliste ne peut être autre chose que "pro-business" et donc contre la classe ouvrière. La seule "libération" qui soit survenue en 1994 a été celle d'un petit nombre d'activistes politiques noirs pour occuper une position plus importante dans l'appareil politique de la classe dominante et mieux tromper la classe ouvrière. Les élections qui ont eu lieu depuis ont ainsi renforcé l'idée que quelque chose de fondamental avait changé dans la société sud-africaine avec l'arrivée d'une plus large démocratie. Le Socialist Worker (9 mai 2007) a rapporté les propos d'un ouvrier dans une manifestation à Pretoria : "Nous pensions que le gouvernement nous soutiendrait comme ouvriers parce que nous les avons mis au pouvoir, mais c'est comme s'il nous avait oubliés." Cette sorte d'illusions est constamment nourrie par les syndicats et les gauchistes, qui sont heureux de parler des concessions de l'ANC au néo-libéralisme mais qui ne l'étiquette jamais ouvertement comme étant une partie pleine et entière de la bourgeoisie.
Perspectives pour les luttes futures
Quelques commentateurs, en Afrique du Sud, ont vu la récente grève comme un signe que les syndicats allaient jouer un rôle plus indépendant et que cela encouragerait les ouvriers à entrer dans de futures actions. En réalité, c'est à cause du mécontentement croissant parmi la classe ouvrière que les syndicats essaient de prendre leur distance vis-à-vis du gouvernement. Dans Socialist Workers (23 juin 2007), un membre de l'organisation gauchiste South Africa's Keep avance l'idée selon laquelle cette "ambiance ouvre la porte à une renaissance de l'auto-activité durant les grèves". Ce qui est certain, c'est que tous les prétendus défenseurs de la classe ouvrière (syndicats et autres) s'opposeront de toutes leurs forces à l'émergence d'une réelle auto-activité des ouvriers. Une réelle lutte autonome signifierait que les ouvriers seraient parvenus à prendre en charge eux-mêmes leurs luttes, hors des syndicats. Cela n'a pas été les cas.
La lutte présente, bien que significative, n'est nullement un fait inédit depuis 1994. En août 2005, 100 000 ouvriers des mines d'or ont fait grève pour des revendications salariales. En septembre 2004, il y a eu la plus importante journée en nombre de grévistes de l'histoire de l'Afrique du Sud, impliquant 800 000 à 250 000 ouvriers selon qu'il s'agit des chiffres fournis par les syndicats ou ceux du gouvernement. Les enseignants étaient particulièrement en colère puisqu'ils n'avaient pas eu d'augmentation salariale depuis 1996. En juillet 2001, il y avait une vague de grèves dans les industries minières et énergétiques. En août 2001, il y a eu une grève de trois semaines impliquant 20 000 ouvriers de l'automobile. En mai 2000, les grèves dans l'industrie des mines se sont étendues au secteur public. Durant l'été 1999, il y a eu une vague de grèves incluant les ouvriers des postes, des mines d'or et du secteur public avec les enseignants, les hospitaliers et d'autres travailleurs du public.
Implicitement, toutes ces luttes ont amené les ouvriers à se dresser contre l'ANC et le gouvernement sud-africain. Mais la dernière vague de grèves a montré la nécessité pour la classe ouvrière de développer une prise de conscience de la véritable nature bourgeoisie de ses faux-amis et de la signification globale de ses propres luttes.
D'après World Revolution
section du CCI en Grande-Bretagne
1) Une version plus détaillée de cet article est disponible sur notre site : internationalism.org.
Cet été a vu se déchaîner les pires dérèglements climatiques. "En Asie, la pire mousson de mémoire d'homme", titrait le Monde daté du 14 août. Le bilan de ce déluge s'est soldé par au moins 2.200 morts directement comptabilisés et plus de 30 millions de sans-abri sinistrés, exposés aux pires conditions de survie. Sur le seul territoire indien, 450.000 habitations ont été détruites. La Corée du Nord a fait appel à l'aide internationale à la suite des inondations qui ont détruit les logements de 300.000 personnes. 300 ont péri ou disparu. 46.580 habitations, 400 usines et 20 mines ont été inondées.
Une partie de la Chine a vu des villages entiers disparaître, engloutis sous les eaux. Dans la même période, la Grande-Bretagne subissait le niveau le plus élevé de précipitations jamais connu. En Allemagne, les pluies ont été les plus abondantes depuis 1901. L'Europe de l'Est, la Grèce, la Turquie et la région des Balkans ont subi une sécheresse et une canicule exceptionnelle provoquant des centaines de décès parmi la population. La Bulgarie a enregistré une température record de 45°. La Russie quant à elle a battu son record de la température la plus haute lors du mois de mai.
Avril 2007 aura été un mois inhabituellement chaud pour l'Europe. La Mer d'Oman a connu en juin son premier cyclone jamais enregistré. Des vagues de 4 à 5 mètres se sont abattues sur les îles Maldives en mai. L'Uruguay a connu pour le même mois la pire inondation depuis 1957. En Amérique du Sud, il y a eu des chutes de neige dans des régions qui n'avaient encore jamais connu ce phénomène. Aux Etats-Unis, certaines parties du pays ont subi des crues et des inondations dévastatrices tandis que d'autres étaient simultanément frappées par des vagues de chaleur record.
La saison des cyclones océaniques tropicaux s'annonce de plus en plus tôt. Aucun continent n'a été épargné : en Australie, des inondations exceptionnelles ont ravagé le pays tandis qu'en Afrique, alors que le Maghreb et la partie occidentale suffoquaient sous une chaleur saharienne, le Soudan était en proie aux crues du Nil et d'abondantes chutes de neige sont tombées en Afrique du Sud pour la première fois depuis 1981.
Si, comme en Grande-Bretagne en particulier, dans les Etats du cœur du capitalisme, des milliers de prolétaires ont perdu leurs maisons et leurs biens, la situation est encore beaucoup plus dramatique dans les pays du Tiers-monde.
Aujourd'hui, les scientifiques disent qu'on ne peut rapporter la preuve d'un lien entre cette accumulation de catastrophes avec le réchauffement climatique en se réfugiant prudemment derrière le fait que "l'hypothèse du réchauffement climatique ne saurait porter que sur de longues périodes". Il est donc facile de considérer chaque événement comme "naturel" et d'affirmer qu'il n'a rien à voir avec un changement climatique dû à l'homme si on le prend isolément. Mais l'évidence suggère le contraire et nous sommes déjà confrontés à un problème à long terme avec le réchauffement climatique.
Finalement, tous les spécialistes de l'environnement, de la météorologie sont bien obligés de reconnaître du bout des lèvres que "l'action des hommes" n'est peut être pas étrangère à de tels dérèglements climatiques et que le réchauffement de la planète est lié à l'émission de gaz à effets de serre. Mais les mesures préconisées par les idéologues à la mode comme Nicolas Hulot en France ou à la sauce Al Gore aux EU pour "sauver la planète" s'efforcent de nous persuader qu'il appartient à chaque individu dans son coin de faire des économies d'énergie ou aux Etats de taxer les pollueurs.
Tout est bon pour tisser la toile des mensonges qui visent avant tout à dédouaner ou éviter de mettre en cause directement la responsabilité du capitalisme. Contre toutes ces affirmations, il est nécessaire de réaffirmer que "le capitalisme n'est pas innocent (...) des catastrophes dites 'naturelles'. Sans ignorer l'existence de forces de la nature qui échappent à l'action humaine, le marxisme montre que bien des catastrophes ont été indirectement provoquées ou aggravées par des causes sociales (...) Non seulement la civilisation bourgeoise peut provoquer directement ces catastrophes par sa soif de profit et par l'influence prédominante de l'affairisme sur la machine administrative (...) mais elle se révèle incapable d'organiser une protection efficace dans la mesure où la prévention n'est pas une activité rentable." (A. Bordiga, Espèce humaine et croûte terrestre).
Car le capitalisme agit non seulement en partie comme cause des catastrophes climatiques actuelles (le fameux effet de serre et l'exploitation forcenée et désordonnée de la nature et de ses ressources énergétiques dans le seul but de faire du profit) mais il en aggrave de façon décisive les conséquences, comme les dernières catastrophes viennent l'illustrer dramatiquement.
Comme le souligne la citation de Bordiga, la logique du système ne peut que négliger la prévention et la protection des hommes par rapport au déclenchement de ces catastrophes (non entretien des infrastructures, manque de moyens pour lutter contre les fléaux et cette incurie expose en priorité les populations des pays ou des régions les plus pauvres : par exemple en Inde, les digues contre les inondations des fleuves ne sont plus entretenues ; en Chine, il y a eu d'énormes inondations qui ont détruit d'immenses territoires et de nombreuses habitations. La BBC a rapporté que ces inondations étaient un problème qui se répétait de plus en plus chaque année pour les habitants des polders des plaines inondables ; en Grèce, les habitants des villages les plus reculés en sont réduits à chercher à sauver leur maison menacée par les flammes des incendies en balayant le sol avec de dérisoires branches d'arbres comme contre-feux.
Par ailleurs, les populations sont poussées à se réfugier dans des régions où il y de l'eau pour assurer leur subsistance comme les rizières au Bangladesh ou en Asie du Sud Est et à s'installer dans des zones rapidement inondables. Quant aux conséquences, elles sont effroyables. La plupart de ces catastrophes entraînent des déplacements massifs de population ayant tout perdu, n'ayant nulle part où aller. Et ces masses de miséreux sont exposées soit à mourir de maladies épidémiques (notamment après les inondations qui putréfient l'eau et la terre), soit à mourir de faim. En Asie du Sud, ce sont plus de 20 millions de personnes supplémentaires qui sont menacées par la famine.
Tant que le capitalisme dominera le monde, la même incurie et la même impuissance de ce système vis-à-vis des catastrophes naturelles, se traduiront partout par une accumulation vertigineuse de victimes, morts ou sans-abri. Au même titre que le déchaînement de sa barbarie guerrière ou la misère à laquelle il réduit la majeure partie des populations , sa folie ne peut entraîner l'humanité nulle part ailleurs que vers sa destruction.
Maria / 08.2007
Dès le soir des élections, sur la base des résultats électoraux, la bourgeoisie belge concluait que la formule de direction de l'Etat qui s'imposait était ‘l'orange bleue', une coalition des sociaux-chrétiens et des libéraux. Pourtant, depuis maintenant près de trois mois, informateurs, formateurs et explorateurs se succèdent sans arriver cependant à amener les partis politiques à la table des négociations. Au contraire, les fractions se massacrent à coup d'interviews et de petites phrases assassines, dans une atmosphère de crise et de blocage communautaire et linguistique, qui amènent les médias à évoquer ouvertement des scénarios de scission du pays. Comment interpréter cette situation ? Pour ce faire, une compréhension plus globale de l'état de la société bourgeoise s'impose.
Est-ce que la situation économique est au beau fixe, est-ce que les mesures de rationalisation et d'austérité contre la classe ouvrière sont devenues superflues ? Certes non. Face à une situation économique extrêmement instable, face au développement de la combativité de la classe ouvrière, la capacité de mettre en place les attaques massives indispensables sans provoquer des luttes à grande échelle, reste une constante dans les objectifs de la bourgeoisie. Mais aujourd'hui, un autre facteur apparaît de plus en plus à l'avant-plan, détermine de plus en plus de plus les priorités de la vie politique de la bourgeoisie en général et la composition des équipes gouvernementales en particulier.
Avec la disparition des blocs russe et américain, les tendances centrifuges au sein de la société capitaliste décadente, jusqu'alors contenues à grands efforts à travers la hiérarchie des deux blocs, commencèrent à se libérer rapidement, laissant la place au chaos, au « chacun pour soi », à des poussées irrationnelles, et ceci jusque dans les systèmes politiques des grands pays industrialisés. Ainsi, le fait que la bourgeoisie la plus puissante du monde, la bourgeoisie US, ait laissé gouverner le pays pendant deux législatures par la bande de gaffeurs incompétents que constitue l'administration Bush est en réalité révélatrice de la crise profonde des classes dirigeantes et a en retour participé à engendrer une exacerbation effroyable du "chacun pour soi" et une explosion de chaos et de barbarie sur toute la planète.
Dès lors, l'impact de la décomposition de la société bourgeoise et la nécessité d'y faire face devient une préoccupation de premier plan au niveau de la vie politique de la bourgeoisie. Cette tendance générale est accentuée en Belgique par le poids spécifique des tensions entre les fractions ‘régionales' de la bourgeoisie belge qui existent potentiellement depuis la création artificielle de l'Etat belge. L'extension de la décomposition et du ‘chacun pour soi' dans le monde à la fin du 20e siècle a rendu la recherche et l'imposition d'un fragile équilibre entre les fractions régionales de plus en plus illusoires et incertaines, les tensions et les contradictions encore plus explosives, en particulier avec une partie de la bourgeoisie flamande qui veut se défaire "de ce gouffre à millions qu'est l'industrie wallonne non rentable''.
Ces tensions régulières ont produit une série de phénomènes qui rendent la vie politique de la bourgeoisie belge particulièrement complexe à gérer :
- il y a tout d'abord la fragmentation du paysage des partis, avec, depuis la fin des années '60, la lente érosion des grands partis populaires socialistes et sociaux-chrétiens qui dominaient largement la vie politique et l'avènement de partis régionalistes. Sur ce plan, la bourgeoisie a essayé d'éliminer ceux-ci en les faisant absorber par les partis traditionnels mais cela lui est revenu à la figure tel un boomerang puisque cela n'a eu comme résultat qu'une déstabilisation de ces mêmes partis traditionnels, comme on a pu l'observer ces dernières années avec le parti libéral flamand de l'ex-premier ministre Verhofstadt ou aujourd'hui même avec le "vainqueur" des élections, les sociaux-chrétiens du CD&V ;
- l'explosion du vote protestataire et irrationnel dans un pays où le vote est obligatoire a mené au développement d'un populisme politique, fortement teinté de nationalisme (flamand), ce qui a favorisé la montée en puissance de partis ouvertement populistes et séparatistes, tels le Vlaams Blok/ Belang et, dans une moindre mesure la ‘liste Dedecker' ;
- la multiplication des affaires de corruption ainsi que la gangstérisation croissante de la société, se sont largement exprimées ces dernières années et ont particulièrement éclaboussé récemment le parti socialiste francophone à travers les nombreux scandales.
La complexification de l'appareil politique de la bourgeoisie et une certaine perte de fiabilité de composantes de celui-ci ont fait que la bourgeoisie belge rencontre des difficultés croissantes à orienter le résultat des élections selon ses besoins et à former rapidement une équipe gouvernementale solide.
De fait, la bourgeoisie a été surprise par le résultat des élections. Alors qu'elle s'était préparée à mettre sur pied une coalition des deux grandes familles ‘populaires' social-chrétienne et socialiste, elle a été prise de cours par la défaite des partis socialistes, en Flandre (débâcle du SPa) comme en Wallonie (recul prononcé du PS de Di Rupo). D'autre part, le vainqueur des élections, le social-chrétien flamand Yves Leterme avait, dans des buts électoralistes constitué un cartel avec une petite formation séparatiste (la NVA de B. De Wever) et mis en avant des revendications régionalistes fortes, ce qui rendait sa marge de manœuvre particulièrement étroite. Ceci d'autant plus que l'autre vainqueur, le parti libéral wallon compte dans ses rangs une fraction francophone radicale et que ses revendications le mettaient en porte à faux par rapport au parti social-chrétien francophone de Joëlle Milquet, rebaptisé ‘démocrate humaniste', qui est farouchement opposé à une régionalisation plus poussée de l'Etat et avait développé un profil politique de ‘gauche' afin de s'allier au PS dans le gouvernement régional wallon.
Ces contradictions entre les forces en présence, conjuguées avec la complexité du système politique, en particulier :
- la disparition de partis nationaux, ce qui fait qu'une majorité gouvernementale implique au moins un accord entre quatre partis représentant une majorité dans chacune des communautés linguistiques du pays ;
- la coexistence d'un gouvernement fédéral et de gouvernements régionaux, élus à des moments différents, ce qui génère des majorités parfois contraires selon les gouvernements et une ambiance de (pré)campagne électorale quasi permanente, expliquent les grandes difficultés auxquelles se heurtent les négociations entre partis. Ces difficultés et ces palabres ne font à leur tour qu'exacerber les tensions et les campagnes. Si la bourgeoisie dans sa globalité n'a pas intérêt à pousser au séparatisme, la confrontation des fractions politiques, organisées régionalement, peut favoriser l'éclosion d'appels irrationnels à la séparation définitive des communautés qui n'arrivent pas à s'entendre. D'autres fractions pour leur part favorisent au contraire ces tensions pour mettre en avant la nécessité de prendre des mesures énergiques pour renforcer les compétences de l'Etat central et pour simplifier les processus de décision et de gestion politiques.
Les difficultés de la bourgeoisie ne bénéficient pas aux travailleurs
Le fait que la vie de la bourgeoisie belge est secouée depuis longtemps par des tensions internes, ne l'a jamais empêchée, depuis le début du 20e siècle, d'exploiter avec maîtrise ces tensions contre la classe ouvrière. L'exploitation systématique de celles-ci est une constante de la politique anti-ouvrière de la bourgeoisie belge depuis la première guerre mondiale et en particulier depuis la reprise de la lutte de classe à la fin des années 1960, et ceci sur plusieurs plans:
- La politique de ‘transfert de pouvoir aux régions' a servi tout d'abord de légitimation à la mise en place de restructurations dans l'industrie et l'administration, comme le démontre encore de façon caricaturale le récent ‘Plan Marshall pour la Wallonie' du gouvernement régional wallon. Depuis les années 1970, la réduction des budgets et des effectifs sous le couvert d'une 'meilleure efficacité' est une caractéristique des administrations 'régionalisées', tels l'enseignement, les travaux publics, les transports en commun, le personnel communal ou le chômage. Quant aux industries déficitaires - la sidérurgie en Wallonie ou les chantiers navals en Flandre -, elles ont été rationalisées et fermées au nom du dynamisme régional qui ne peut s'encombrer de ‘canards boiteux';
- Les confrontations communautaires et régionales ont en outre savamment été montées en épingle et dramatisées pour camoufler les attaques contre la classe ouvrière. Ainsi, tout au long des années 1990, le processus de fédéralisation de l'Etat a occupé la une des médias au moment même où des mesures d'austérité extrêmement dures étaient prises pour restreindre de manière drastique le déficit budgétaire de l'Etat. Les menaces verbales de séparatisme auxquelles répondent des professions de foi unitaristes étaient accentuées pour polariser l'attention de la population, surtout évidemment des travailleurs, et pour les détourner des vrais enjeux;
- Un battage médiatique constant a été développé pour mobiliser les travailleurs derrière les intérêts de ‘leur' communauté linguistique et tout est fait pour instiller une concurrence entre régions. Ainsi, les médias bourgeois martèlent à longueur de journée que "la Flandre ne veut plus payer pour l'acier wallon déficitaire", que "la Wallonie n'a rien à voir avec les chantiers navals flamands sans avenir", "que l'enseignement serait plus performant en Flandre", que "les chômeurs moins sanctionnés en Wallonie", etc. La mystification ‘sous-nationaliste' du ‘pouvoir régional' ne vise qu'un seul objectif : mobiliser les ouvriers derrière leur bourgeoisie (nationale ou régionale), dresser ainsi les ouvriers wallons contre leurs frères de classe flamands ou vice versa et leur faire accepter l'inéluctabilité de la crise et des sacrifices;
- Le poison régionaliste a enfin été une arme systéma-tiquement utilisée par la bourgeoisie pour diviser et isoler les luttes ouvrières qui surgissent. Lors de la grève générale de '60-'61, les socialistes et les syndicalistes wallons exploitèrent la mystification du fédéralisme pour diviser la lutte ouvrière et la dévoyer vers une impasse ; le nationalisme flamand a joué un rôle non négligeable dans les grèves sauvages des mineurs limbourgeois en 1966 et en 1970 ; récemment, lors des rationalisations drastiques à VW Forest, les ouvriers voulaient dépasser les carcans régionalistes mais patronat, gouvernement et syndicats se sont unis pour briser le mouvement en injectant à nouveau le poison communautaire.
Aussi, les travailleurs ne doivent pas se laisser embobiner par cette campagne autour du futur de la Belgique, qui ne sert fondamentalement qu'à brouiller la piste de classe mais au contraire prendre du recul et comprendre le jeux des forces en présence. La mystification ‘sous-nationaliste' essaie de cacher à la classe ouvrière que c'est une crise mondiale généralisée qui tue l'industrie wallonne et qui détruit l'industrie flamande, que c'est le capitalisme dans son entièreté qui est en crise et qui doit être mise en question. Et la bourgeoisie utilise habilement les distorsions de son état et les expressions de décomposition de sa propre vie politique pour entraver tout développement de la conscience parmi les travailleurs de cette réalité, pour désamorcer leur combativité et pour essayer de les lier à ‘leur' bourgeoisie régionale pour la ‘défense de leur région'.
Jos / 10.09.07
Un camarade de Lima qui correspond et discute régulièrement avec notre organisation nous a récemment transmis un article sur la grève des mineurs au Pérou en avril dernier (voir Acción proletaria no 195) et, alors que les feux de cette lutte n'étaient pas éteints, il nous a envoyé des éléments sur un mouvement d'enseignants qui se développait. Il s'agit là d'un effort que nous saluons chaleureusement. Il est, en effet, de la première importance que circulent rapidement les expériences, les leçons, les informations sur les luttes ouvrières qui surgissent mondialement. C'est pour ces raisons que les contributions du camarade sont un exemple que nous ne pouvons qu'encourager. L'article qui suit est repris entièrement des textes et des éléments d'informations que le camarade nous a adressés.
La situation sociale en Amérique du Sud est de plus en plus marquée par le développement de luttes ouvrières. Au Chili, des grèves à répétition ont lieu depuis l'an dernier dans les mines de cuivre, dont l'exploitation représente 40% de la production mondiale. C'est dire l'importance de ce secteur dans ce pays où la classe ouvrière connaît une très brutale dégradation de ses conditions de vie et de travail. Il est difficile d'obtenir des informations précises sur ces mouvements, tant les médias organisent le black-out sur ceux-ci. Nous savons seulement que les syndicats ont organisé la division la plus forte entre les ouvriers de l'entreprise étatique CODELCO et ceux des entreprises sous-traitantes, touchant un tiers de salaire en moins pour le même travail, de même qu'entre les grévistes et les ouvriers au travail. La grève aura duré trente-huit jours jusqu'en juillet, se terminant par des promesses d'amélioration de contrat pour les ouvriers en sous-traitance, sans pour autant modifier leur statut, ce qui était pourtant leur principale revendication.
Au Pérou, en avril, c'est dans les mines que la grève, partie de l'entreprise chinoise Shougang, s'est étendue dans tous les centres miniers du pays. Les syndicats ont, bien sûr, joué pleinement leur rôle réactionnaire, et en particulier dans la plus importante mine du pays, Yanacocha (mine d'or qui se trouve à Cajamarca, au nord du pays, et qui produit entre huit cent et mille millions de dollars annuels), où ils ont entamé des pourparlers privés avec la direction et n'ont pas rejoint la grève. Les syndicalistes du bassin d'Oroya étaient même fustigés par la presse car ils continuaient à travailler.
A Chimbote, où la lutte des paysans et des chômeurs a été forte, l'entreprise Sider Pérou a été totalement paralysée. Les femmes des mineurs ont manifesté avec eux et avec une grande partie de la population de cette ville. A Ilo, les routes ont été bloquées ainsi qu'à Cerro de Pasco, où 15 mineurs ont été détenus, accusés d'avoir lancé des pierres sur le local du Gouvernement régional. La presse bourgeoise s'est em-pressée de proclamer que la grève était un échec, s'appuyant sur la ministre du secteur, Pinilla, pour ne compter que 5700 mineurs en grève alors qu'il y en avait 120 000.
Dans les montagnes de Lima, les mineurs de Casapalca ont séquestré les ingénieurs de la mine qui les menaçaient de licenciement s'ils abandonnaient leur poste. La ministre a déclaré que la grève était illégale car le préavis n'avait été que de quatre jours au lieu des cinq exigés par la loi. Le patronat a embauché du personnel en contrat précaire et la ministre a menacé de licenciement les mineurs qui poursuivaient la grève.
Quelques étudiants de l'Université de San Marcos de Lima se sont solidarisés avec les mineurs et leur ont amené de la nourriture pour les "marmites communes", pratique courante dans toutes les grèves au Pérou, que ce soit chez les enseignants, les infirmières ou les ouvriers des mines. Ce partage de nourriture avec les familles sert aussi à échanger des expériences et à analyser collectivement la lutte au jour le jour.
Il est tout à fait significatif que cette grève nationale illimitée ait eu lieu après 20 années de calme social dans ce secteur.
Le 19 juin, le dirigeant syndicaliste des enseignants Huaynalaya a appelé à une grève nationale, et son appel a trouvé un écho dans tout le pays. Huaynalaya est considéré par la presse comme un opposant à la majorité du syndicat d'enseignants SUTEP, qui assume plutôt une orientation pro-chinoise dans la ligne du parti Patrie rouge.
Le syndicat s'est quand même joint à la grève le 5 juillet. Les jours précédents, les journalistes dont les programmes politiques ont le plus d'écoute ont consacré de larges espaces à dénigrer le mouvement.
La position de la presse est on ne peut plus claire. Les enseignants seraient responsables de leur propre incapacité intellectuelle et sont accusés de la "gréviculture" privant les enfants et les adolescents de la nation de précieuses heures de cours. Il faut ici remarquer que l'argument est contradictoire, car en quoi peuvent être précieuses des heures de cours données par des incapables ? Ils craignent essentiellement que les élèves sortent dans la rue soutenir les enseignants comme ils l'avaient fait en 1977, expérience qui fit surgir alors de nouvelles générations de militants de divers partis qui se tournèrent vers la lutte armée.
Le ministre de l'Education lui-même affirma à la journaliste Palacios qu'il n'y avait que 5000 grévistes sur les 250 000 enseignants employés par son ministère. Il dut ensuite reconnaître son "erreur". Les mobilisations s'étendaient dans tout le pays : à Juliaca, Puno, Ucayali, Ayacucho et Huanuco. Les enseignants étaient, en outre, soutenus par toute la population, comme cela avait été aussi le cas deux mois auparavant, quand les grèves minières mobilisèrent presque tout le pays. Le travail de coordination et les secteurs les plus combatifs capables de tirer un bilan de cette expérience restent encore très limités. Les syndicats restent au premier plan et deviennent un frein au mouvement de revendications ouvrières.
Les luttes actuelles au Pérou et qui couvrent tout le territoire sont le fruit d'une confluence d'événements qui trouvent leurs origines dans deux sources de mécontentement. D'une part, les revendications à caractère régional, en particulier à Pucallpa où la ville fut prise et isolée durant plus de 15 jours et, de l'autre, la grève du syndicat d'enseignants SUTEP commencée le 19 juin en province par les enseignants opposés aux orientations du parti "Patrie rouge" (parti de gauche de la bourgeoisie) et rejointe par la suite par l'ensemble du syndicat, entraînant l'adhésion de la majorité des 320 000 enseignants du Pérou à partir du 5 juillet.
Cette mobilisation jointe aux revendications régionales (hétéroclites et forcément très localistes) suscita une gigantesque réaction de masse dans tout le pays. Le nombre de blessés et de détenus reste inconnu, et les occupations de locaux, incendiés et détruits avec affrontements contre la police, se sont répandues dans tous les départements en lutte. Le ministère a avoué, le 9 juillet, qu'il restait 75 conflits non résolus, ce qui indique que leur nombre doit être bien plus élevé.
Les luttes actuelles, malgré la violence qu'elles déchaînent, ne contiennent pas une perspective d'autonomie du prolétariat qui fasse que celui-ci lutte pour ses propres objectifs et son propre programme. Le prolétariat est en ce moment soumis aux intérêts de la bourgeoisie locale et à ses alliés petits-bourgeois de tout poil (intellectuels, journalistes...), mais les prolétaires qui interviennent dans ces mouvements doivent constituer les noyaux qui permettent de tirer les leçons et favorisent l'autonomie de la lutte, seul chemin de la seule classe capable d'en finir avec le désespoir du système capitaliste et son cortège de misère, de mort et de destruction, la classe ouvrière.
Lima / 9.07.2007
L'été 2007 a encore confirmé l'aggravation de l'horreur et du chaos guerrier dans de nombreuses parties du monde. Si la situation s'est relativement et tout à fait momentanément apaisée au Liban, l'Afghanistan a vu une recrudescence des combats et des attentats terroristes talibans et c'est encore particulièrement l'Irak qui s'enfonce dans l'épouvantable. Les morts s'y comptent quotidiennement par dizaines, dans les affrontements armés comme dans les attentats-suicide et les massacres organisés de populations. Cette violence aveugle et folle s'exacerbe et s'étend sur ce pays dans un mouvement de véritable fuite en avant qui est devenu incontrôlable. 500 personnes de la communauté yazidie1 ont ainsi été assassinées en quatre attentats successifs au mois d'août, alors que se déchaînent avec une brutalité sans précédent les exactions entre Kurdes, Sunnites et Chiites, souvent en leur sein même. En juillet seulement, 1650 civils irakiens ont été tués et le bilan du mois d'août s'annonce encore plus lourd.
Ce qui n'empêche pas le président irakien de déclarer : "Il n'existe pas de guerre chiite-sunnite, mais des divisions à l'intérieur de ces communautés"2 . Rien de plus, rien de moins !
Depuis 2003, plusieurs dizaines de milliers d'Irakiens sont morts directement des effets de la guerre, la population est affamée, sans système de soins, l'électricité est devenue un luxe, tout comme l'eau. Bagdad s'est transformé en une collection de ghettos emmurés, abritant les bandes rivales et les communautés ennemies, tandis que des familles entières sont totalement séparées.
Plus de deux millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays, sans perspective autre que d'échapper immédiatement au massacre, et le même nombre a fui à l'étranger pour un avenir tout aussi incertain.
Quant à l'armée américaine, elle dénombre plus de 3000 morts "officiels", certaines sources hospitalières américaines officieuses parlant de 10 000, sans compter les cas de suicides qui ont frisé la centaine en 2006, et les rumeurs de foyers de révolte au sein de l'armée qui se font tous les jours plus précises.
Voilà "l'héritage" immédiat de la grande lutte de l'équipe Bush, et de la coalition qui l'a suivie, contre le terrorisme, dans une guerre que 58% d'Américains dénoncent aujourd'hui.
C'est dans le contexte de cette inhumanité hurlante que Kouchner, fervent défenseur de la guerre en Irak comme partout dans le monde du moment que cela se fait pour la "bonne cause", est venu s'ingérer à Bagdad, "par surprise" et pour apporter "un simple message d'amitié", en porteur du flambeau international de l'humanitaire. Cet inlassable voyageur et convoyeur de l'impérialisme français a demandé aux Irakiens "de la patience" car on était juste au "début, (il) espère, de la fin de la crise". Quel fin visionnaire ! Cependant, au-delà des aspects un tant soit peu ridicules et vains de ce voyage, il a pour signification une intention de la France de revenir sur la scène irakienne, où elle aimerait pouvoir y retrouver une influence. Il est évident que la France n'est d'aucun poids réel dans la situation irakienne, à l'image de celui d'une ONU à l'engagement de laquelle appelle Kouchner de tous ses vœux. Que ce soit dans le contexte du retrait éventuel des Etats-Unis ou dans celui de la continuation de leur présence, alors même que la Grande-Bretagne organise ses préparatifs de départ, on voit mal quel pourrait être l'apport objectif de Paris, qui voudrait "aider les Etats-unis à trouver une porte de sortie en Irak"3 , tandis que les services de renseignements français ne cessent de rapporter au président français les éléments du chaos et du désastre grandissant que connaît l'armée américaine. De plus, une implication de la France la mettrait une nouvelle fois en ligne de mire des terroristes.
Mais il faut cependant souligner l'ignominie et le cynisme du gouvernement de l'hexagone et de ses représentants qui, drapés du manteau de la paix et de l'humanitaire, utilisent les monstruosités de la guerre pour s'en horrifier en apparence et faire passer au fond leurs besoins impérialistes et militaires.
Pour ce qui est des Etats-Unis et de leur croisade anti-terroriste, l'échec est total et a mené Washington dans une véritable impasse. Les différentes options qu'elle peut à l'heure actuelle envisager lui sont toutes défavorables. Bush a été incapable de mettre en place un gouvernement un minimum crédible, qui n'est que l'expression directe des dissensions Chiites et Sunnites, gouvernement dont les représentants ont détourné au profit de leurs cliques respectives la moitié des armes livrées aux autorités officielles irakiennes par le Pentagone depuis trois ans. Sans compter avec une police dont de nombreux éléments permettent l'accès des camps militaires américains aux terroristes-kamikazes. Voilà pour la fiabilité des instances et des hommes mis en place par les Etats-Unis sur le territoire irakien. Que ces derniers restent ne changera rien à la situation sinon l'aggraver encore sur place et exciter davantage l'opposition anti-guerre aux Etats-Unis. Quant à un départ, qui ne pourra se faire que sur de nombreux mois avec la présence de 150.000 hommes et de leur matériel, il est humainement périlleux pour l'armée américaine elle-même, en ouvrant la route d'une explosion de la terreur guerrière tous azimuts encore pire que celle existante et les portes de l'Irak à un Iran qui attend son heure. Et ce ne sont pas les 90 hommes que l'ONU se projette de dépêcher sur place, au lieu des 65 déjà présents, qui vont faire contrepoids !
Cependant, la perspective du retrait au moins partiel est désormais envisagée par l'administration Bush. Et c'est en ce sens, et pour contrebalancer les velléités hégémoniques de Téhéran, qu'elle s'efforce de mettre sur pied un bloc des pays arabes alliés de l'Amérique en leur offrant le renforcement de leur potentiel militaire : 20 milliards d'armement ultra-sophistiqué en dix ans pour l'Arabie saoudite, le Qatar, Bahreïn, le Koweït, les Emirats arabes unis et 13 milliards de dollars pour la même période à l'Egypte. Mais il y a un hic, car Israël a exigé sa propre contrepartie, du fait qu'il ne pouvait voir sa supériorité militaire dans le Moyen-Orient remise en cause ainsi que son rôle de "gendarme" de la région. Aussi, les Etats-Unis lui ont-ils fourni une "compensation" de 30 milliards de dollars d'armes, c'est-à-dire une augmentation particulièrement significative de 25 % de leurs fournitures militaires à Tel-Aviv.
On voit en définitive l'Amérique organiser elle-même une surenchère à l'armement dans une région déjà à haut risque et en direction d'un pays comme l'Arabie Saoudite accusée à Washington même de soutenir les terroristes sunnites, voire Al-Qaïda. Dans un monde où la règle est le "chacun pour soi", la réponse que tente d'y donner la première puissance mondiale ne fait qu'aggraver l'accélération de ce chacun pour soi et les tensions guerrières.
De façon plus large, c'est une sorte de fièvre de la course aux armements qui se développe significativement depuis fin 2006, et s'élargit à de nombreuses puissances. Et dans cette accélération dans la folie guerrière capitaliste, le nucléaire est de plus en plus en pointe. Ce n'est pas une surprise en soi. Les essais nucléaires de la Corée du Nord début 2006, les achats répétés de technologie nucléaire et de missiles à la Russie par l'Iran depuis un an, les velléités de pays secondaires comme le Brésil de reprendre leur programme nucléaire, etc., étaient des signes annonciateurs du fait que chaque pays ne se contente plus d'être sous le "parapluie" nucléaire de telle ou telle grande puissance mais exprime la volonté de se défendre lui-même.
Les Etats-Unis, en réponse à la destruction par un missile chinois d'un satellite météo en janvier 2007, destruction spatiale venant montrer la faiblesse potentielle américaine quant à sa capacité de diriger ses armes aériennes, navales et terrestres dans un conflit lointain, ont été une fois encore à l'origine de cette accélération par la proposition de renforcer leur bouclier anti-missile quasiment à la frontière de la Russie. Celle-ci ne pouvait évidemment que répondre, et n'attendait que cela, par la vague menace de viser l'Europe puis par celle plus concrète d'installer des missiles à Kaliningrad, en mer Baltique, juste entre la Pologne et la Lituanie, à deux pas du bouclier américain.
Mais la course à l'armement nucléaire ne concerne plus seulement les grandes puissances. On voit en effet une ceinture nucléarisée se développer au Moyen et au Proche-Orient jusqu'en Asie de l'Est. Si l'on compte l'Iran, force potentielle, on peut suivre un arc de cercle quasiment continu bourré de missiles nucléaires, d'Israël à la Corée du Nord en passant par le Pakistan, l'Inde et la Chine, le tout chapeauté par l'arsenal russe. En bref, une véritable poudrière atomique, en particulier dans certaines régions qui sont, déjà, des poudrières et des lieux de conflits guerriers permanents.
Dans le contexte de prolifération de conflits en tous genres d'aujourd'hui, le fil qui tient l'épée de Damoclès nucléaire sur nos têtes se fait toujours plus ténu. Ce ne sont pas les accords Salt ou autres qui garantissent quoi que ce soit. C'est seulement le développement massif des luttes ouvrières jusqu'au renversement de cette société capitaliste qui est une nécessité pour en finir avec la menace guerrière, terroriste ou nucléaire, et ouvrir la voie à un futur pour l'humanité.
Mulan / 30.08.2007
1) Les Yazidis sont une communauté religieuse considérée comme hérétique pour l'orthodoxie musulmane sunnite. Un grand nombre d'entre eux sont des Kurdes.
2) Le Monde du 22 août 2007.
3) Cité par Le Canard Enchaîné du 22 août 2007.
La haine de la bourgeoisie mondiale à l'encontre de la Révolution Russe, de la prise du pouvoir par les masses ouvrières organisées dans leurs soviets en octobre 1917, est à la mesure de l'immense espoir et de l'écho que cet événement grandiose a suscité dans le prolétariat mondial. C'est pourquoi, depuis 90 ans maintenant, la classe dominante, ses historiens et idéologues, s'acharnent à dénaturer la signification réelle de cette première révolution consciente de l'histoire de l'humanité.
Nous avons déjà développé dans notre presse les différentes étapes du processus révolutionnaire qui débute en février 1917 en Russie (1). Face aux terribles souffrances que la guerre impérialiste mondiale imposait depuis deux ans et demi aux couches les plus pauvres de la population, la paysannerie et le prolétariat, face aux massacres dont ils étaient victimes sur le front, l'insurrection des ouvriers et soldats de Pétrograd avait balayé en quelques jours le régime tsariste. Mais ni l'organisation, ni la conscience de la classe ouvrière, ni, de l'autre côté, le degré d'affaiblissement politique de la bourgeoisie, n'étaient suffisants pour que cette insurrection puisse donner le pouvoir au prolétariat. Elle fut usurpée par les secteurs "démocratiques" et "libéraux" de la bourgeoisie, avec à leur tête un "gouvernement provisoire" qui poursuivit et même intensifia la participation de la Russie à la guerre impérialiste. Pendant plusieurs mois, la classe ouvrière, y compris son avant-garde, le parti bolchevik, se débattit dans des illusions à l'égard de ce gouvernement, empêchant l'apparition d'une perspective claire sur la marche à suivre. Ce n'est qu'à partir d'avril, avec les thèses de Lénine sur "les tâches du prolétariat dans la présente révolution" (2) que cette perspective fut tracée par les bolcheviks : le renversement du gouvernement provisoire, la prise du pouvoir par les soviets comme première étape de la révolution prolétarienne mondiale. A ce moment-là, seuls les détachements les plus avancés de la classe ouvrière soutenaient une telle perspective. La nouvelle offensive militaire lancée le 18 juin par le gouvernement provisoire attisa la colère des masses organisées dans les conseils ouvriers de la capitale et aboutit aux journées insur-rectionnelles de juillet 1917. Cependant cette révolte pré-maturée à Pétrograd était un piège provocateur, attisé par la bourgeoisie. Cette dernière essaya de faire endosser la responsabilité de l'échec de l'offensive militaire au prolétariat de la capitale pour l'écraser, lui et les bolcheviks, alors que les conditions de la révolution n'étaient pas encore mûres dans le reste du pays. Face à ce mouvement d'ampleur, les bolcheviks, conscients de son caractère prématuré, parvinrent à en prendre la tête tout en empêchant son issue insurrectionnelle qui aurait été fatale au processus révolutionnaire en cours. Il s'ensuivit néanmoins une répression brutale mais limitée malgré tout, les bolcheviks furent mis hors-la-loi, Lénine fut accusé d'être à la solde du gouvernement allemand pour déconsidérer l'ensemble des bolcheviks aux yeux des prolétaires (3).
La défaite de juillet poussa la bourgeoisie entre août et septembre à en finir avec le "cauchemar révolutionnaire". Se partageant la besogne entre le bloc "démocratique" de Kerensky et le bloc ouvertement réactionnaire de Kornilov, chef des armées, elle organisa le coup d'Etat de ce dernier qui rassembla des régiments de Cosaques, de Caucasiens, etc., qui semblaient encore fidèles au pouvoir bourgeois et essaya de les lancer contre Pétrograd. La mobilisation des masses ouvrières, le refus des soldats de suivre Kornilov aboutit à l'échec retentissant de cette tentative de putsch. "Le coup d'Etat manqué de Kornilov (...) entraîne une mobilisation nouvelle du prolétariat. Dès lors, la situation se corse de plus en plus, menaçant de devenir désespérée pour le prolétariat dont les privations s'aggravent (...) ; elle s'aggrave pour les paysans qui voient la révolution agraire promise par les socialistes-révolutionnaires au pouvoir, sans cesse différée (...) ; elle s'aggrave pour l'armée et la flotte, contraintes de continuer au service de classes ennemies une guerre désespérée..." (4). Cette recrudescence de la mobilisation ouvrière, apparue dès la mi-août, avait pour axe le renouvellement des soviets confisqués et dénaturés par les forces bourgeoises mencheviks et socialistes-révolutionnaires. Les ouvriers étaient de plus en plus convaincus qu'ils ne répondaient plus à leurs intérêts. Une intense auto-activité se développa au sein des masses et des soviets, des résolutions se multiplièrent au fil des réunions, aboutissant à l'élection de majorités révolutionnaires formées de délégués bolcheviks, mencheviks internationalistes, socialistes-révolutionnaires de gauche (à Helsinfors, Ural, Kronstadt, Reval, la flotte de la Baltique, etc.). Le 31 août, à Pétrograd, et début septembre à Moscou, les motions bolcheviks obtinrent pour la première fois la majorité. Désormais, les conditions de la révolution étaient mûres. A partir de la mi-septembre, une marée de résolutions demandant la prise du pouvoir déferla depuis les soviets locaux ou régionaux (Kronstadt, Ekaterinoslav, etc.). Depuis son exil en Finlande, Lénine exhorta le comité central du parti bolchevik à s'atteler immédiatement à la préparation des soviets à l'insurrection avant que la bourgeoisie ne se ressaisisse et passe à une contre-offensive sur le modèle de celle de Kornilov. Malgré de fortes résistances au début au sein du comité central du parti bolchevik, une résolution fut adoptée le 10 octobre pour la préparation immédiate de l'insurrection. A partir de ce moment, l'agitation des révolutionnaires en faveur de l'insurrection fut systématique dans les usines, les casernes, les meetings, les réunions de soviets. La veille, le 9 octobre, avait été créé le "Comité militaire révolutionnaire" du soviet de Pétrograd, présidé par Trotsky, dont la tâche était de "participer à la défense de la capitale avec le concours actif des ouvriers" (5).
Contrairement aux allégations crapuleusement intéressées de toutes les composantes bourgeoises sur le soi-disant complot, putsch organisé et dirigé par les bolcheviks, il faut mettre en lumière le caractère massif, ouvert et collectif de la décision et la volonté des ouvriers, avec en leur sein les bolcheviks, de passer à l'insurrection. Elle correspond à l'initiative créative des masses, poussées par les atermoiements volontaires du gouvernement provisoire sur les promesses jamais tenues, la dégradation inouïe des conditions de vie du prolétariat et des masses paysannes dont les révoltes en septembre constituèrent un élément important de la maturation révolutionnaire et les firent basculer du côté des ouvriers. Elle est le fruit d'une organisation simple et admirable, des discussions et des débats qui donnèrent lieu à des résolutions synthétisant la conscience acquise par les masses, le recours à la persuasion et à la conviction, etc. Le déclenchement très proche de cette insurrection était un secret de polichinelle pour tout le monde : pour preuve, le Congrès des Soviets de la Région Nord, réuni les 11-13 octobre, appelait ouvertement à l'insurrection. Même chose à Minsk...
Le 22 octobre eut lieu "la journée du soviet de Pétrograd", où ce sont des foules immenses d'ouvriers et de soldats qui se pressèrent en de multiples lieux publics pour participer à des meetings où les slogans les plus repris étaient : "A bas le gouvernement Kerensky !", "A bas la guerre !", "Tout le pouvoir aux soviets !". Ce fut un acte gigantesque dans lequel les ouvriers, les employés, les soldats, des femmes, des enfants, marquèrent ouvertement leur engagement dans l'insurrection. Les mencheviks et socialistes-révolutionnaires et autres forces bourgeoises ne se trompèrent pas sur l'inéluctabilité de la phase finale de la révolution représentée par la prise du pouvoir par les conseils ouvriers. Ils réussirent une dernière fois à différer le deuxième congrès pan-russe des Soviets qui était initialement prévu le 15 octobre jusqu'au 25, obtenant ainsi un sursis de 10 jours. "Vous fixez la date de la révolution !" disaient les mencheviks aux bolcheviks, ce qui montre l'énorme mensonge d'un putsch préparé dans l'ombre ! Ensuite les événements se précipitèrent : le 23 octobre, le Comité Militaire Révolutionnaire (CMR) partit à la conquête des troupes hésitantes, notamment celles de la forteresse Pierre et Paul ; le 24, commença la prise de possession des positions décisives du pouvoir (le central téléphonique, la Banque d'Etat, etc.). Enfin, comme prévu, le 25 octobre, c'est l'encerclement du gouvernement provisoire au palais d'Hiver permettant la prise du pouvoir par le second Congrès des Soviets. Contrairement, là encore, aux interprétations orientées de la bourgeoisie depuis cet événement, les bolcheviks ne prirent pas le pouvoir dans le dos du Congrès des Soviets, le mettant devant le fait accompli. Comme nous l'écrivions dans la Revue Internationale n°72 : "C'est le prolétariat dans son ensemble qui se donna les moyens d'avoir la force nécessaire - armement des ouvriers, formation du CMR, insurrection - pour que le Congrès puisse prendre effectivement le pouvoir. Sans cette préparation antérieure, la décision du Congrès des soviets de "prendre le pouvoir" n'aurait été qu'une gesticulation inutile facilement désarticulée par les ennemis de la révolution. On ne peut comprendre la tenue du Congrès des soviets comme un acte isolé, formel. Il faut le replacer dans toute la dynamique générale de la classe et, concrètement, à l'intérieur d'un processus dans lequel se développaient les conditions de la révolution à l'échelle mondiale et où, à l'intérieur de la Russie, une infinité de soviets locaux appelaient à la prise du pouvoir ou le prenaient effectivement : c'est simultanément qu'à Pétrograd, Moscou, Tula, dans l'Oural, en Sibérie, etc., les soviets firent triompher l'insurrection."
Si l'insurrection fut l'oeuvre des soviets, ceux-ci n'auraient pu la mener à bien sans le rôle décisif du parti bolchevik, qui tout au long du processus révolutionnaire a agi en symbiose avec la classe dans son ensemble. Son activité avait pour axe central le développement de la conscience de classe : "C'est précisément un patient travail de clarification de la conscience de classe du prolétariat et de cohésion des prolétaires de la ville et de la campagne". (5). D'autre part, il faisait confiance en la capacité d'union et d'auto-organisation du prolétariat : "Ne croyez pas aux paroles. Ne vous laissez pas leurrer par des promesses. Ne surestimez pas vos forces. Organisez-vous dans chaque usine, dans chaque régiment et dans chaque compagnie, dans chaque quartier. Travaillez à vous organiser jour après jour, heure après heure..." (6). La victoire de la révolution, "les bolcheviks la durent à leur intelligence des besoins de la classe ouvrière" (4). En outre, à l'inverse de la bourgeoisie et de par sa situation spécifique au sein de la société, le prolétariat n'a aucune assise économique ou politique au sein de la société. Ses seules armes sont sa conscience (produit des leçons qu'il dégage de son expérience historique contre le capitalisme et facteur actif de sa lutte) et son organisation (d'une part son organisation unitaire, les conseils ouvriers, et d'autre part, son organisation politique, le parti qui regroupe les éléments les plus conscients de la classe). La défaite ultérieure de la révolution commencée en Russie sera due en premier lieu à la défaite de la révolution mondiale (échec de la révolution allemande en priorité) et à l'isolement du premier bastion prolétarien. Quant à l'art de l'insurrection, Lénine disait : "L'insurrection, pour être couronnée de succès, doit avoir pour appui non un complot, non un parti, mais la classe avancée. Cela premièrement. L'insurrection doit s'étayer d'un élan révolutionnaire du peuple. Cela en deuxième lieu. L'insurrection doit s'appuyer sur un tournant de l'histoire de la révolution grandissante, au moment où l'activité des masses populaires atteint son plus haut degré, où les hésitations dans les rangs ennemis atteignent le leur, comme parmi les faibles amis de la révolution, équivoques et indécis. Cela en troisième lieu. Par cette façon de poser les trois conditions de l'insurrection, le marxisme diffère du blanquisme" ("Marxisme et Insurrection"). En ce sens, l'Octobre prolétarien est toujours vivant à travers l'exemple qu'il nous a fourni de la nécessité, de la possibilité et des moyens à mettre en oeuvre pour la révolution communiste mondiale.
L'effondrement du bloc de l'Est en 1989 a redoublé le déchaînement de mensonges à l'égard de cette révolution prolétarienne d'Octobre 17. Le plus crapuleux de ces mensonges est celui qui prétend que la chute fracassante des régimes de l'Est, cette faillite définitive du stalinisme, c'est celle précisément de la révolution d'Octobre 17. "Le communisme est mort" répètent-ils à satiété. Dans cette équivalence éhontée du communisme et du stalinisme, ce dernier étant le concentré hideux du capitalisme décadent, démocrates et staliniens ainsi que les groupes trotskistes se sont toujours retrouvés, au-delà de leurs oppositions, dans une sainte alliance pour dire aux ouvriers que c'est le socialisme qui, malgré ses travers et déformations, a régné à l'Est. Le maintien de cette monstrueuse fiction du "socialisme" à l'Est, représente, aujourd'hui plus que jamais, un enjeu considérable pour la bourgeoisie. Il s'agit de faire croire aux ouvriers qu'il n'y a rien à espérer en dehors du capitalisme. Si selon la propagande bourgeoise, révolution = goulag, c'est que de toutes façons, Octobre 17 ne fut qu'un "vulgaire coup d'Etat" fomenté par les "méchants bolcheviks". Cette falsification cynique illustre à quel point la bourgeoisie mondiale craint par-dessus tout une entreprise comme celle d'Octobre dans laquelle des millions de prolétaires, entraînant derrière eux toutes les autres couches exploitées de la société, sont parvenus à s'unifier consciemment et à agir collectivement pour devenir maîtres de leur propre destinée. En effet, la révolution d'Octobre 17 en Russie et la vague révolutionnaire mondiale qui l'a suivi jusqu'au début des années 20, restent jusqu'à présent le seul moment de l'histoire où la domination bourgeoise a été ou renversée par le prolétariat (en Russie en 1917) ou réellement menacée par celui-ci (en Allemagne en 1919).
SB
(1) Internationalisme n°330(2) Internationalisme n°331
(3) Internationalisme n°332
(4) Victor Serge, L'An I de la Révolution Russe, tome 1, Editions Maspéro.
(5) Trotsky, Histoire de la Révolution Russe.
(6) Lénine, Introduction à la conférence d'avril 1917.
Nous informons nos lecteurs de la création d'un noyau du CCI au Brésil. C'est pour nous un évènement de grande importance qui vient concrétiser le développement de la présence politique de notre organisation dans le pays le plus important d'Amérique latine, pays qui compte les plus grosses concentrations industrielles de cette région aussi bien qu'à l'échelle internationale. Il existe également dans ce pays un milieu d'éléments attirés par les positions révolutionnaires, de même que des groupes politiques prolétariens. Parmi ceux-ci, nous avons déjà signalé dans notre presse et sur notre site en portugais l'existence de l'Opposition Ouvrière (OPOP). Existe aussi dans l'Etat de São Paulo un groupe en constitution, influencé par les positions de la Gauche communiste, avec lequel nous avons établi plus récemment des relations politiques régulières, dont la tenue de réunions publiques en commun.
Nous espérons évidemment que la collaboration avec ces groupes sera de plus en plus étroite et fructueuse, perspective qui n'est nullement contradictoire avec notre volonté de développer spécifiquement la présence politique du CCI au Brésil. Bien au contraire, notre présence permanente dans ce pays permettra que se renforce encore la collaboration entre nos organisations, d'autant plus qu'entre notre noyau et OPOP existe déjà une longue histoire commune, faite de confiance et respect mutuels.
La création de notre noyau est la concrétisation d'un travail engagé par le CCI de façon ponctuelle, il y a plus de 15 ans et qui s'est intensifié ces dernières années à travers la prise de contact avec différents groupes et éléments, la tenue de réunions publiques dans différentes villes, dont certaines dans des universités ayant suscité un grand intérêt de la part d'une assistance nombreuse. Il ne s'agit évidemment pas pour nous d'un aboutissement mais d'une étape significative dans le développement de la présence des positions de la Gauche communiste sur le continent sud-américain. Loin de constituer une exception brésilienne, cet évènement fait partie du même phénomène d'apparition de groupes partout dans le monde et qui est le produit, dans une dynamique de reprise des combats de classe à l'échelle inter-nationale, de la tendance de la classe ouvrière à secréter des minorités révolutionnaires.
CCI / 06.07
Fin août, des manifestations ont explosé en Birmanie suite à l'augmentation brutale et drastique des prix de l'énergie : 66% pour l'essence, 100% pour le diesel et plus de 500% pour le gaz ! La raison officielle en était l'augmentation des prix des hydrocarbures mais il s'agissait de faire payer toujours plus à la population l'enfoncement catastrophique du pays dans la crise. L'Etat birman est déjà un des trois pays les plus pauvres de l'Eurasie et a un PIB aussi bas que celui de la Corée du Nord. La crise financière de ces derniers mois et ses répercussions sur l'économie mondiale n'a épargné aucun pays et surtout pas les plus faibles. Cette hausse des prix de l'énergie a provoqué inévitablement une hausse généralisée des prix de première nécessité. Aussi, la colère d'une population pressurée, survivant dans une situation de misère chronique, subissant le joug d'une clique militaire qui la contraint au « travail forcé », c'est-à-dire à l'esclavage, pour laquelle le viol est une pratique systématisée à grande échelle, était grande.
Officiellement, la répression des 26 et 27 septembre aurait fait (mi-octobre) dix morts et il y aurait eu 3000 arrestations tandis que les hommes de main du pouvoir birman poursuivent encore à l‘heure actuelle de véritables chasses à l‘homme sur tout le territoire. Comme tous les observateurs étrangers l‘affirment, le bilan réel est très certainement beaucoup plus lourd, tant la réputation de barbarie de la junte birmane est assise sur une réalité sanglante. Ainsi, lors des manifestations de protestation contre la vie chère de 1988, le bilan de la répression s‘était finalement élevé à 3000 morts, toujours "officiellement", entraînant là aussi la fuite de milliers de personnes vers les frontières.
La "communauté internationale" s‘est élevée avec la plus grande indignation contre cette "atteinte grave à la démocratie". L‘Union européenne n‘a pas cessé d‘annoncer des "sanctions économiques" comme le gel des avoirs à l‘étranger des responsables birmans ou un embargo sur les importations de bois et métaux. L‘ONU, par la voix de son émissaire, Ibrahim Gambari, "déplorait la répression » et, après avoir rencontré le 2 octobre les chefs militaires birmans, sans aucun résultat, proposait de se rendre en Birmanie... "la troisième semaine de novembre". Quant à Bush, il appelait à "une pression internationale énorme" pour contraindre la junte à accepter une "transition vers la démocratie", en regrettant amèrement ne pas être suivi par le reste du monde dans son initiative. Le pompon revenait à Nicolas Sarkozy et à son ministre des Affaires étrangères, le bien connu Bernard Kouchner. Le premier, dans de grands élans humanitaires, "envisageait" de réclamer de Total, qui soutient financièrement le pouvoir birman et en tire des bénéfices juteux pour l‘Etat français, de retenir ses investissements en Birmanie et même de les geler ; le second, auteur d‘un rapport d‘enquête mensonger de 2003 dédouanant la même entreprise d‘accusations selon lesquelles elle utiliserait le travail forcé de la population en Birmanie, préconisait plutôt d‘intervenir auprès des voisins asiatiques de la Birmanie, dont la Chine, pour qu‘ils fassent pression. Ce qui est certes plus commode et encore plus inutile, mais qui préserve les intérêts français.
La répression, la pauvreté, la misère, l‘exploitation la plus brutale, la classe bourgeoise s‘en contrefiche. Alors pourquoi tout ce battage, pourquoi ces déclarations "révoltées" ? Parce que derrière cette réaction de la bourgeoisie occidentale, il s‘agissait de faire passer ces manifestations et cette lutte de la population contre la misère pour un mouvement pour la démocratie, sous-entendu que, dans les pays démocratiques, on vit forcément mieux. C‘est pour cela que ce n‘est qu‘à partir du moment où les moines bouddhistes sont apparus dans les manifestations, comme en 1988, que la presse a commencé à en parler. C‘est pour cela encore que c‘est l‘opposition au pouvoir en place, incarnée par Aung San Su Kyi, qui a été présentée comme la seule planche de salut. Il ne s‘agissait pas tant de mystifier la faible classe ouvrière birmane que celle des pays occidentaux. Ce grand cirque médiatique fut une nouvelle occasion de leur faire avaler la potion démocratique comme remède à tous leurs maux.
Cependant, ces glapissements hypocrites étaient également et surtout dirigés vers la Chine, qui possède une influence grandissante sur le pays.
La plus grande frontière de la Birmanie est celle avec la Chine, son partenaire économique le plus important et fournisseur du gouvernement militaire du général Than Chew. La Chine reconstruit pour l'Etat birman l'ancienne route vers l'Inde. Elle y a envoyé 40 000 ouvriers de la construction. Des zones entières de la Birmanie sont complètement dominées par son puissant voisin, la langue et la monnaie chinoises y sont même de mise, tout comme si Pékin les dirigeait. La Birmanie fait partie de la stratégie d‘avancée de la Chine vers l‘Océan indien, avec des postes d'écoute et carrément une base navale. Elle est une pièce du "collier de perles" chinois, c‘est-à-dire des satellites-clés de Pékin. Avec une mainmise sur le Boutan (Tibet), la Chine étend de plus en plus son influence sur le Népal, la Birmanie, le Cambodge et le Laos, avec l'objectif de la poursuivre vers le Vietnam et l'Indonésie. Ses ambitions se portent vers l'ouest de l'Asie centrale et le sud de l'Océan indien. Cette montée de la Chine se manifeste ainsi par son agressivité particulière envers le Japon et Taïwan.
Cet intérêt et cette sollicitude des pays occidentaux comme de la Russie, l‘Inde, la France, les Etats-Unis ou encore l‘Australie, ont donc eu fondamentalement comme objectif de contrecarrer l'avancée impérialiste de Pékin et d‘y défendre leurs propres intérêts. Voilà la vraie raison de toutes ces hypocrites tractations "diplomatiques". Voilà quels sordides intérêts se cachent derrière toutes les déclarations « humanistes » des Sarkozy, Bush et consorts!
Wilma / 26.10.07
Il y a quelques mois déjà, nous avons reçu sur notre boîte Internet(1) deux messages concernant Che Guevara d'un camarade se nommant E.K. Nous publions ici la lettre que nous lui avons envoyée début avril tout en saisissant cette occasion pour compléter et élargir notre réponse aux questions restées alors en suspens. Nous rendons publique cette correspondance parce que, comme EK le dit lui-même, on est "dans les célébrations des 40 ans de sa mort au combat" et il s'agit pour nous, CCI, non pas de nous ajouter à la ronde de célébrations mais, bien au contraire, d'essayer de comprendre si Che Guevara était réellement un révolutionnaire et si la classe ouvrière et les jeunes générations doivent se revendiquer ou non de son action.
Pour le camarade EK, Che Guevara est un authentique combattant pour la cause des peuples opprimés. En effet, pour lui, "l‘internationalisme du Che est hors de doute. Il est le modèle du combattant international et de la solidarité entre les peuples". Il serait ainsi l'un des rares révolutionnaires à avoir osé critiqué le régime de l'URSS: "Lors du second séminaire de solidarité afro-asiatique, le Che critique sans ambages les positions conservatrices et exploiteuses de l‘URSS". Enfin, EK expose dans ce premier courrier sa vision du prolétariat et du rôle des révolutionnaires : "Quant à l‘agent historique de la transformation sociale, il n‘y a pas, me semble-t-il, de raison de réduire le concept de prolétariat aux seuls ouvriers, négation absolue de la condition humaine. (...) La tâche des intellectuels est d‘introduire dans le prolétariat la conscience de sa situation par des moyens éminemment politiques."
Suite à notre réponse, le camarade E.K nous a envoyé très rapidement un deuxième message dans lequel il tient à se démarquer d'emblée de tous ceux qui transforment le Che en icône, en multipliant les T-shirts et autres posters à son effigie : "La mythification du Che à travers la duplication de son image a tendance à occulter sa vie et son oeuvre.". Mais surtout, il y réaffirme que "poursuivant des objectifs distincts, le Che sera amené fort logiquement à se départir du modèle social-impérialiste de l‘URSS. La CIA et le KGB coopéreront même pour s‘en débarrasser lors de sa tentative révolutionnaire en Bolivie". Et le camarade de conclure : "Ernesto Che Guevara a payé sa probité intellectuelle de sa vie. Lui rendre hommage, c‘est lire ses textes ; perpétuer sa mémoire, c‘est continuer la lutte ; lui rendre justice, c‘est soutenir ses valeurs. A l‘aube des célébrations des 40 ans de sa mort au combat, il est plus que temps de redonner vigueur à sa pensée et vie à ses idées".
Nous te remercions pour ton message de début avril. Excuse-nous pour le retard de ce complément de réponse. Nous voulons faire ici une critique de ce que tu nous écris. Cette critique ne signifie pas pour nous une "fin de non-recevoir", bien au contraire. Nous sommes toujours disposés à répondre à tes questions et à tes points de vue. Nous voudrions répondre à ce que tu dis à propos de Che Guevara en étudiant le plus sincèrement et sérieusement possible ce que furent réellement, comme tu le demandes, "ses valeurs", "ses idées" et "sa lutte".
En ce mois d'octobre, on célèbre le 40e anniversaire de la mort de Che Guevara, tué par l'armée bolivienne, encadrée par la CIA américaine.
Depuis 1967, "le Che" est devenu le symbole de l'éternelle "jeunesse révolutionnaire romantique" : mort jeune, les armes à la main, luttant contre l'impérialisme américain, grand "défenseur des masses pauvres d'Amérique latine". Tout le monde a en tête cette image du Che avec son béret étoilé, regard triste et lointain.
Ses fameux Carnets de voyage ont grandement contribué à populariser l'histoire de ce révolté, venant d'une bonne famille un peu bohème d'Argentine, qui se lance dans un aventureux voyage à moto sur les routes d'Amérique du Sud, utilisant son savoir médical pour aider les pauvres... Il vit au Guatemala à un moment (1956) où les États-Unis fomentent un énième coup d'Etat contre un gouvernement qui ne leur convient pas. Cette mainmise permanente sur les pays d'Amérique latine de la part des États-Unis va nourrir toute sa vie une haine implacable contre ces derniers. Par la suite, il rejoint au Mexique le groupe cubain de Castro, réfugié dans ce pays après une tentative avortée de renversement du dictateur cubain, Batista, longtemps soutenu par les États-Unis2 . Après une série d'aventures, ce groupe s'installe dans les montagnes de Cuba jusqu'à la défaite de Batista, début janvier 1959. Le noyau idéologique de ce groupe est le nationalisme, le "marxisme" n'étant qu'une enveloppe de circonstance à une "résistance" anti-yankee exacerbée, même si quelques éléments, dont Guevara lui-même, se considèrent comme "marxistes". Le Parti communiste cubain, qui d'ailleurs en son temps avait soutenu Batista, envoie un de ses dirigeants, Carlos Rafael Rodríguez, auprès de Castro en 1958, quelques mois seulement avant la victoire de ce dernier.
Cette guérilla n'est pas du tout l'expression d'une quelconque révolte paysanne, encore moins de la classe ouvrière. Elle est l'expression militaire d'une fraction de la bourgeoisie cubaine qui veut renverser une autre fraction pour prendre sa place. Il n'y a aucun "soulèvement populaire" dans la prise de pouvoir de la guérilla castriste. Elle se présente, comme souvent en Amérique latine, sous la forme de la substitution d'une clique militaire par une autre formation armée dans laquelle les couches exploitées et miséreuses de la population de l'île, enrôlées ou non par les combattants putschistes de la guérilla, ne jouent pas un rôle important, sinon d'acclamer les nouveaux maîtres du pouvoir. Face à la résistance plutôt faible de la soldatesque de Batista, Guevara apparaît comme un intrépide guérillero, dont la détermination et le charisme grandissant apparaissent rapidement susceptibles de faire de l'ombre à son maître Fidel. Après la victoire sur Batista, Fidel Castro va charger le Che de mettre en place les "tribunaux révolutionnaires", une mascarade sanglante dans la meilleure tradition du règlement des comptes entre fractions des différentes bourgeoisies nationales, en particulier en Amérique latine. Che Guevara prend son rôle vraiment à cœur, par conviction et avec zèle, en mettant en place une justice "populaire" où, en guise de défoulement collectif, on juge les anciens tortionnaires de Batista, mais aussi on prend du "tout venant" sur simple dénonciation. D'ailleurs, Guevara s'en revendiquera plus tard à l'ONU, en réponse à des représentants latino-américains, bonnes âmes "démocratiques" qui s'offusquent de ces méthodes, en disant : "Nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons à fusiller tant que ce sera nécessaire". Ces pratiques n'ont rien à voir avec la défense maladroite d'une quelconque justice révolutionnaire. Ce sont là, répétons-le, les méthodes typiques d'une fraction de la bourgeoisie qui a pris le dessus sur une autre par la force des armes.
Alors, on peut toujours s'identifier en rêve au "héros" austère de la Sierra Maestra, au "guérillero héroïque" qui mourra quelques années plus tard dans la montagne bolivienne mais, dans le monde réel, il n'a en fait tenu qu'un rôle d'exécuteur de basses oeuvres dans la mise en place d'un régime qui n'a de communiste que le nom.
Tu nous dis : "l'internationalisme du Che est hors de doute" et "Lors du second séminaire de solidarité afro-asiatique, le Che critique sans ambages les positions conservatrices et exploiteuses de l‘URSS" pour affirmer enfin "le Che sera amené fort logiquement à se départir du modèle social-impérialiste de l‘URSS".
Le régime nationaliste de Castro s'est vite enrobé du qualificatif "communiste", autrement dit, ce régime s'est rallié... au camp impérialiste régenté par l'URSS. Cuba étant située à quelques encablures des côtes américaines, ceci ne pouvait évidemment qu'inquiéter la tête du bloc de l'Ouest. Le processus de stalinisation de l'île, avec une présence importante de personnel civil, militaire et des services secrets des pays du bloc de l'Est, trouvera son point d'orgue en 1962 au moment de "la crise des missiles".
Dans ce processus, Che Guevara, maintenant ministre de l'Industrie (1960-61), pour souder la nouvelle alliance avec le "camp socialiste", est envoyé par Castro dans les pays de ce camp, où il se répand en discours dithyrambiques sur l'URSS : "ce pays qui aime si profondément la paix", "où règne la liberté de pensée", "la mère de la liberté"... Il célèbre tout autant "l'extraordinaire" Corée du Nord ou la Chine de Mao où "tout le monde est plein d'enthousiasme, tout le monde fait des heures supplémentaires" et ainsi de suite pour l'ensemble des pays de l'Est : "les réalisations des pays socialistes sont extraordinaires. Il n'y a pas de comparaison possible entre leurs systèmes de vie, leurs systèmes de développement et ceux des pays capitalistes". Un véritable VRP du modèle stalinien ! Nous reviendrons plus loin sur le "désamour" de Guevara avec l'URSS. Mais, contrairement à ce que tu affirmes, le Che n'a jamais émis le moindre doute de principe sur le système stalinien. Pour lui, l'URSS et son bloc étaient le camp "socialiste, progressiste" et sa propre lutte s'intégrait pleinement dans celle du bloc russe contre le bloc occidental. Le mot d'ordre lancé par Guevara "Créer un, deux, plusieurs Vietnams", n'est pas un mot d'ordre "internationaliste" mais bel et bien nationaliste et favorable au bloc russe ! Son critère réel n'est pas le changement social, mais la haine de l'autre tête de bloc, les États-Unis.
En effet, après la Seconde Guerre mondiale, le monde s'est trouvé divisé en deux blocs antagonistes, l'un régenté par la puissance américaine, l'autre par l'URSS. La "libération nationale" s'avéra alors une mystification idéologique parfaite pour justifier régulièrement l'embrigadement militaire des populations. Dans ces guerres, ni la classe ouvrière ni les autres classes exploitées n'avaient rien à gagner, servant de masse de manœuvre pour les différentes fractions de la classe dominante et de leurs parrains impérialistes. Le partage du monde en deux blocs impérialistes après les accords de Yalta a signifié que toute sortie d'un bloc ne pouvait signifier que la chute dans le bloc adverse. Et, justement, il n'y a pas de meilleur exemple que celui de Cuba : ce pays est passé de la dictature corrompue de Batista, sous la coupe directe de Washington, de ses services secrets et de toutes sortes des mafia, à la mainmise du bloc stalinien. L'histoire de Cuba est un concentré de l'histoire tragique des "luttes de libération nationale" pendant près d'un demi-siècle !
Alors, à la base, avant de dire quand et comment Guevara s'est prétendument plus ou moins "écarté" de l'URSS, il faut bien être clair sur la nature de l'URSS et de son bloc. Derrière la défense d'un Che Guevara révolutionnaire, il y a l'idée que l'URSS, peu ou prou, qu'on le veuille ou non, malgré ses défauts... était le "bloc socialiste, progressiste". C‘est là le plus grand mensonge du 20e siècle. Il y a bien eu une révolution prolétarienne en Russie, mais elle a été défaite. La forme stalinienne de la contre-révolution s'est donnée un mot d'ordre : la "construction du socialisme en un seul pays", mot d'ordre se situant à l'exact opposé du socle naturel et fondamental du marxisme. Pour le marxisme, "les prolétaires n'ont pas de patrie"3 ! C'est cet internationalisme, bien réel celui-là, qui a servi de boussole à la vague révolutionnaire mondiale qui a débuté en 1917 et à tous les révolutionnaires de l'époque, de Lénine et des bolcheviks à Rosa Luxemburg et aux Spartakistes4 . L'adoption aberrante de cette "théorie" d'une "patrie socialiste" à défendre a eu pour corollaire le recours systématique à une méthode bourgeoise : la terreur et le capitalisme d'Etat, ce talon de fer, expression la plus totalitaire et la plus féroce de l'exploitation capitaliste !
À l'origine des critiques du Che vis-à-vis de l'URSS, il y a "la crise des missiles", en 1962. Pour l'URSS, sa mainmise sur Cuba fut une aubaine. Enfin, elle pouvait rendre la pareille aux États-Unis, qui menaçaient directement l'URSS depuis les pays voisins de celle-ci, tels que la Turquie. L'URSS commence à installer des rampes de lancement de missiles à tête nucléaire à quelques miles des côtes américaines. Les États-Unis ripostent en mettant en place un embargo total de l'île, obligeant les bateaux russes à faire demi tour. Khrouchtchev, le maître du Kremlin de l'époque, est finalement obligé de retirer ses missiles. Pendant quelques jours d'octobre 1962, les affrontements impérialistes entre ceux qui se présentaient comme "le monde libre" et ceux qui se présentaient comme le "monde socialiste progressiste" ont failli mettre toute l'humanité au bord de l'abîme. Khrouchtchev est alors considéré par les dirigeants castristes comme une "lavette" qui n'a pas les "couilles" d'attaquer les États-Unis. Dans un accès d'hystérie patriotarde, où le slogan castriste "La patrie ou la mort" prend son sens le plus sinistre, ils sont disposés à sacrifier le peuple (ils diront que c'est le peuple qui est disposé à se sacrifier) sur l'autel de la guerre atomique. Dans ce délire pervers, Guevara ne peut être qu'à l'avant-garde. Il écrit : "Ils ont raison [les pays de l'OEA5 d'avoir peur de la ‘subversion cubaine'], c'est l'exemple effrayant d'un peuple qui est disposé à s'immoler par les armes atomiques pour que ses cendres servent de ciment aux sociétés nouvelles, et qui, lorsqu'un accord est conclu sur le retrait des fusées atomiques sans qu'on l'ait consulté, ne pousse pas un soupir de soulagement, n'accueille pas la trêve avec reconnaissance. Il se jette dans l'arène pour [...] affirmer [...] sa décision de lutter, même tout seul, contre tous les dangers et contre la menace atomique elle-même de l'impérialisme yankee"6 . Ce "héros" a décidé que le peuple cubain était disposé à s'immoler pour la patrie... Ainsi, la base de la "déception", de la critique vis-à-vis de l'URSS n'est pas la perte de foi dans les vertus du "communisme soviétique" (le capitalisme stalinien en termes vrais), mais, au contraire, c'est le fait que ce système n'allait pas jusqu'au bout de sa logique guerrière d'affrontement, au paroxysme de la période de la "guerre froide". Et le discours d'Alger de Che Guevara sur lequel tu t'appuies pour affirmer que le Che "s'est départi du modèle social-impérialiste de l‘URSS" ne change rien en réalité à cet attachement de Guevara aux positions staliniennes. Au contraire ! Durant ce fameux discours, il met certes en cause le "mercantilisme" dans les rapports entre les pays du bloc de l'URSS mais il les appelle toujours socialistes et "peuples amis" : "Les pays socialistes sont, dans une certaine mesure, les complices de l‘exploitation impérialiste [...]. [Ils] ont le devoir moral de liquider leur complicité tacite avec les pays exploiteurs de l‘Ouest. ». Au-delà de son apparence radicale, une telle critique est donc bien celle de quelqu'un de l'intérieur du système stalinien. Pire, elle émane d'un responsable qui a participé de toutes ses forces à la mise en place d'un tel système de capitalisme d'Etat à Cuba ! D'ailleurs, par la suite, Guevara ne fera jamais plus officiellement la moindre critique à l'URSS.
Che Guevara, au moment où il a été assassiné par le CIA et l'armée bolivienne en 1967, fut la victime non seulement de l'impérialisme américain, mais aussi de la nouvelle orientation politique du Kremlin dite de "coexistence pacifique" avec le bloc occidental. Nous n'allons pas traiter ici les raisons qui ont poussé la direction de l'URSS et son bloc à prendre ce "tournant". Mais ce "tournant" n'a rien à voir avec une quelconque "trahison" envers les peuples qui voulaient "se libérer" de l'impérialisme, ni envers le prolétariat. La politique de la classe dominante stalinienne a souvent changé de cap en fonction de ses intérêts comme classe dominante et, justement, l'affaire des missiles a montré aux dirigeants de l'impérialisme stalinien qu'ils n'ont pas les moyens de défier la tête de l'autre bloc à ses propres portes et qu'il leur faut être prudents en Amérique latine. C'est ce que Guevara et une fraction des dirigeants cubains ne veulent pas comprendre, au point de devenir gênants non seulement pour l'URSS, mais même pour leurs propres amis cubains. A partir de là, le destin de Che Guevara était scellé : après la désastreuse aventure au Congo7 , il finira par se retrouver seul en Bolivie, avec une poignée de compagnons d'armes, abandonné par le PC bolivien, qui, finalement, se retrouve sur la ligne de Moscou. Pour les factions les plus "moscovites", les tenants de la tactique du "foco" (foyer de guérilla) étaient des petits-bourgeois en mal d'aventures, "coupés des masses". Et pour les factions des PC favorables à la lutte armée, avec leurs soutiens critiques de toutes sortes, les "officiels" des PC étaient des "révolutionnaires de salon", des bureaucrates embourgeoisés... eux aussi "coupés des masses". Pour nous, qui nous réclamons de la Gauche Communiste, ce sont là deux formes de la même contre-révolution, deux variantes du même grand mensonge du siècle, celui d'avoir fait passer la contre-révolution stalinienne pour la continuatrice de la révolution d'Octobre et l'URSS comme communiste.
Pour toi, la tâche des intellectuels serait "d'introduire dans le prolétariat la conscience de sa situation...". Tu sembles ici reprendre à ton compte la vision de Che Guevara sur "l'élite révolutionnaire". Mais cette position du Che ne cache t-elle pas en réalité un profond mépris pour la classe ouvrière ? Que révèlent réellement ses envolées lyriques sur "l'homme nouveau dans la révolution cubaine" ?
L'unité prolétarienne révolutionnaire a une base pratique très concrète : la solidarité de classe. C'est cette solidarité spontanée dans l'organisation de la lutte, faite d'entraide et de fraternité qui nourrit les qualités de dévouement du prolétariat révolutionnaire. Mais ce "dévouement" dans la bouche de Guevara, sonne, dans le meilleur des cas, comme un appel quasi-mystique au martyre suprême (il faut lui reconnaître qu'il a été toujours prompt au sacrifice, et sans doute il était disposé à devenir un "martyre" de la cause impérialiste qu'il défendait avec tout le peuple cubain "volontaire" au moment de la crise des missiles)... Au-delà de son propre comportement "exemplaire", reste sa vision du "sacrifice" ou de "l'héroïsme" (de la même eau que l'idéalisme patriotard exalté et diffusé par les staliniens dans la "Résistance" au cours de la Seconde Guerre mondiale) qui devrait s'imposer par le haut, pour les besoins de l'Etat et sous la férule d'un "líder máximo". Cette vision repose sur un mépris de l'intellectuel petit-bourgeois vis-à-vis de la "masse prolétarienne" qu'on regarde de haut, qui prétend qu'il faut "l'éduquer" pour qu'elle comprenne les "bienfaits de la révolution". "La masse, a déclaré avec condescendance Guevara, n'agit pas comme un doux troupeau. Il est vrai qu'elle suit sans hésiter ses dirigeants, surtout Fidel Castro..." "Si on regarde les choses superficiellement, on pourrait penser que ceux qui parlent de soumission de l'individu à l'Etat ont raison, mais les masses réalisent avec enthousiasme et discipline sans égal, les tâches que le gouvernement établit, qu'elles soient économiques, culturelles, de défense ou sportives... L'initiative vient en général de Fidel ou du haut commandement de la Révolution et elle est expliquée au peuple qui la fait sienne" (Le socialisme et l'homme à Cuba, 1965).
En fait, quand tu nous dis "qu'il n'y a pas de raison de réduire le concept de prolétariat aux seuls ouvriers", ton raisonnement puise certainement et involontairement ses racines dans cette vision méprisante de la classe ouvrière8 . En effet, une des caractéristiques communes des avatars du stalinisme (du maoïsme au castrisme), c'est leur méfiance et leur mépris vis-à-vis de la classe ouvrière, faisant d'une mythique paysannerie pauvre "l'agent de la révolution" dirigée par des intellectuels qui, eux, possèdent la conscience et "l'introduisent" dans les cerveaux des masses. Dans le meilleur des cas, la classe ouvrière était, pour ces neo-staliniens, une masse de manœuvre qui leur servait de référence historique, une comparse de leur révolution. On ne trouve jamais dans les écrits de ces pseudo-révolutionnaires la moindre référence à une classe ouvrière organisée comme telle et aux organisations du pouvoir de classe, les soviets. Ces clones du stalinisme n'ont plus besoin de déguiser leur idéologie capitaliste d'Etat et de parler des conseils ouvriers ou des autres expressions de la vie prolétarienne dans la révolution russe. Il n'y a plus que l'État dirigé par des gens "éclairés" et en bas la masse, à qui on laisse parfois faire preuve "d'initiative", encadrée dans des "comités de défense de la révolution" et autres organismes de surveillance sociale.
Et à Cuba, l'un des premiers organes d'encadrement et de direction de la classe ouvrière fut une fois encore et sans surprise les syndicats. Les syndicats cubains (CTC) étaient déjà des syndicats à la manière américaine, parfaitement intégrés au "capitalisme libéral" et à sa corruption. Ils vont être ainsi très rapidement transformés par la direction cubaine, en 1960, en syndicats à la sauce stalinienne, sur un mode bureaucratique et étatique. Les premières décisions du régime castriste seront de les charger d'encadrer l'alignement des salaires par le bas et de faire respecter l'interdiction de la grève dans les entreprises, en flics patentés ! Et là encore, cette attaque contre la classe ouvrière sera justifiée par l'idéologie anti-américaine et la "défense du peuple cubain". Profitant à l'époque d'une grève contre les baisses de salaire d'ouvriers d'entreprises appartenant à des capitaux américains, les dirigeants castristes stigmatisent cette grève des "nantis" et en profitent pour déclarer la "grève à la grève" par la bouche du nouveau dirigeant castriste de la CTC.
Dans les semaines qui viennent de s'écouler, on a été servi en controverses sur la vie et l'œuvre du Che. D'un coté, dans la lignée des apôtres de la "mort du communisme", les fractions droitières de la bourgeoisie ont réchauffé ce plat avec l'aide servile de quelques historiens, toujours prêts à mettre en exergue le rôle "anti-démocratique" du Che, son rôle d'exécuteur en chef en tant que responsable des tribunaux "révolutionnaires" au tout début de l'ère castriste, en déblatérant les uns et les autres sur la question de savoir si ces exécutions furent "excessives", s'il y a eu "un bain de sang" ou non, si ce fut une justice "modérée" ou "arbitraire". Pour nous, comme nous le disions plus haut, il a tout simplement bien joué son rôle nécessaire pour la mise en place d'un nouveau régime tout aussi bourgeois et répressif que le précédent. D'un autre coté, on nous a asséné des mensonges et des demi-vérités à sa gloire. Il n'y a qu'à voir comment la Ligue Communiste Révolutionnaire qui, avec sa volonté de remplacer le Parti Communiste Français et devenir le premier parti "anticapitaliste" de France, porte aujourd'hui aux nues "Le Che" et exploite son image "jeune et rebelle"9 .
Cher camarade EK, la réalité est là : chez tous ces jeunes qui portent un T-shirt à l'effigie du Che, il y a certainement un cœur généreux et sincère, voulant combattre les injustices et les horreurs de ce monde. D'ailleurs, si on met le Che en avant, c'est bien pour stériliser l'enthousiasme qui nourrit la passion révolutionnaire. Mais le Che, lui, n'est qu'une des figures de la longue cohorte des dirigeants nationalistes et staliniens, plus avenant que les autres peut-être, mais représentatif tout de même de cet avatar tropical de la contre-révolution stalinienne qu'est le castrisme.
Malgré toutes nos divergences, camarade EK, la discussion reste évidemment ouverte... plus que cela, nous t'y encourageons même chaleureusement.
Courant Communiste International
1 https://fr.internationalism.org/contact [27]
2 En fait, l'entreprise couronnée de succès de renversement de Batista par Castro et Guevara a bénéficié de l'appui des États-Unis et de la bienveillance d'une partie de la droite qui dénonçaient la corruption du régime. L'embargo sur les armes décidé par le gouvernement américain à l'encontre de Cuba a privé de façon décisive Batista des moyens de lutter contre la guérilla. Ce n'est qu'au bout de quelques mois d'exercice du nouveau pouvoir que les relations avec les États-Unis se sont détériorées et c'est face à la menace d'intervention de ces derniers que Castro s'est tourné vers le bloc russe.
3 Citation célèbre du Manifeste communiste de 1848, écrit par Marx et Engels.
4 Lire nos articles sur "Octobre 1917", notamment : "Les masses ouvrières prennent leur destin en main" (Revue internationale n°131) et "Le stalinisme est le fossoyeur de la Révolution russe" (RI n°383).
5 Organisation des États Américains, instance continentale au service des intérêts de "l'oncle Sam" pour exercer leur contrôle sur les autres États d'Amérique latine, dont Cuba castriste a été exclu.
6 Écrit au moment de "la crise des missiles", ne sera publié qu'en 1968 par une revue de l'armée cubaine. Reproduit dans la biographie du Che de Pierre Kalfon.
7 En 1965, peut-être pour mettre en pratique le slogan "Deux, trois Vietnams...", quelques dizaines de Cubains se pointent à l'est de la République du Congo (ex-Zaïre) pour organiser un "foco anti-impérialiste", le tout patronné par les services secrets cubains avec l'accord de l'URSS (peut-être aussi pour se débarrasser du Che...). C'est, depuis le début, un désastre annoncé : Guevara se retrouve sous les ordres politiques d'une bande de dirigeants congolais (dont Kabila, futur président-dictateur sanglant du Zaïre dans les années 1990), des aventuriers qui mènent grand train de vie grâce aux subsides soviétiques et chinois. Quant à la population, censée recevoir ses libérateurs les bras ouverts, elle était plutôt interloquée à la vue de ces gens venant d'on ne sait où. C'était une anticipation de ce qui allait arriver en Bolivie l'année suivante. Il faut aussi noter que, toujours pour le compte de l'impérialisme russe, des milliers de Cubains ont continué de servir "d'instructeurs militaires" dans de nombreuses "guerres de libération nationale" sur le sol africain (Guinée-Bissau, Mozambique, Angola,...) jusqu'à l'effondrement de l'URSS et de son bloc au début des années 1990.
8 Nous n'allons pas développer ici ce qu'est le prolétariat ou la classe ouvrière, pour nous deux expressions équivalentes. Disons, cependant, que notre vision de la classe ouvrière n'a rien à voir avec la sociologie ni les images d'épinal de l'ouvrier en bleu de travail.
9 Le leader de la LCR, Olivier Besancenot, a affirmé qu'aujourd'hui son parti s'identifie bien plus au Che qu'à Trotski, alors que depuis sa naissance, cette organisation légitimait frauduleusement son appartenance à la classe ouvrière en se revendiquant avant tout de ce grand militant bolchevik.
Marx se plaisait à souligner les ironies de l'histoire. C'en est une des plus mordantes de constater que cette nouvelle propagande de la LCR, en voulant à tout prix faire jeune et dans le vent afin d'attirer à elle les nouvelles générations de la classe ouvrière, est en train de se revendiquer d'un héritier déclaré de la clique stalinienne et de son idéologie, cette même clique qui assassina il y a plus de soixante ans un révolutionnaire quant à lui authentique, un certain... Léon Trotski !
Nous publions ci-dessous l'adresse envoyée au 17e Congrès du CCI par le groupe Internasyonalismo des Philippines, dont une délégation a été invitée au Congrès mais n' a malheureusement pas pu y assister pour diverses raisons matérielles. Les camarades sont en contact avec le CCI depuis plus d'un an, et ont entrepris de développer une présence de la Gauche communiste aux Philippines, dans des conditions matérielles extrêmement difficiles. C'est grâce à leurs efforts que le CCI a pu ouvrir son propre site en langue Filipino, et nos lecteurs peuvent suivre et participer dans les discussions des camarades d'Internasyonalismo (en anglais et en Filipino) sur leur blog.
Le Congrès a fortement salué cette adresse. Elle est non seulement une expression de la solidarité communiste internationale envers le CCI et les autres groupes qui étaient présents au Congrès. Elle a apporté une contribution importante aux débats et aux travaux du Congrès, notamment sur la question syndicale telle qu'elle s'exprime dans des pays comme les Philippines, et sur la question du développement de la Chine en tant que puissance impérialiste en Orient.
Camarades,
(...) Depuis presque 100 ans, les ouvriers aux Philippines ne savaient rien au sujet des positions de la Gauche communiste, et encore plus, les révolutionnaires ici n'avaient pas la possibilité de les lire ou les étudier, spécialement dans les années 1920 et 1930. Maintenant, même si nous sommes très peu de communistes internationalistes aux Philippines, nous ferons de notre mieux pour contribuer aux débats et discussions collectives dans le Congrès du CCI à travers ce texte.
Nous avons étudié et discuté collectivement les trois projets de documents pour le XVIIe Congrès. Pouvons-nous présenter ce qui suit au Congrès ?
D'une manière générale, nous avons été d'accord avec les positions et le contenu des trois projets de documents -le projet de rapport sur la lutte de classe, le rapport sur l'évolution de la crise du capitalisme, le rapport sur les conflits impérialistes. Les documents sont basés sur l'internationalisme et la dynamique présente du système en décomposition et la lutte des classes, aussi bien que sur les interventions actuelles des minorités révolutionnaires à l'échelle mondiale. Ceux-ci sont conformes avec la méthode matérialiste historique du marxisme.
« Qu'avec l'actuelle évolution des contradictions, la question la plus critique pour l'humanité est la cristallisation d'une conscience de classe suffisante pour l'émergence de la perspective communiste » et "l'importance historique de l'émergence d'une nouvelle génération de révolutionnaires ». (Rapport sur la lutte de classe pour le 17ème Congrès international).
Dans l'ensemble, nous sommes d'accord que la solidarité de classe est la chose la plus importante pour nous en tant que révolutionnaires. La maturation de la conscience de classe peut être mesurée au niveau de la solidarité de classe parce que cette dernière est l'expression concrète de l'auto-organisation et du mouvement indépendant du prolétariat.(...)
Aujourd'hui, ce qui est le plus important est de chercher les chemins de la solidarité de classe pour s'élever sur les bases de l'inter-nationalisme et d'un mouvement de classe indépendant. Mais, nous voulons proposer au Congrès de souligner ce qui suit:
1. La nature réactionnaire des syndicats dans le capitalisme décadent pourrait retenir le vrai développement de solidarité à l'échelle internationale.
Dans les pays avancés, les syndicats (de gauche et de droite) ont été exposés aux yeux des ouvriers ; dans les pays où le capitalisme est plus faible, les syndicats de gauche sont encore de fortes mystifications pour les ouvriers parce que généralement les patrons capitalistes sont anti-syndicats. Pour ces ouvriers, les syndicats gauchistes sont des expressions d'engagement et de défense des intérêts ouvriers même si un nombre croissant de la classe se pose des questions sur les promesses et les résultats de ces syndicats gauchistes.
A l'époque de lutte massive, quand les assemblées ouvrières sont la forme appropriée des organisations de la classe, ouvrir ces assemblées aux syndicats par solidarité, c'est mettre en péril la lutte indépendante de la classe et aussi risquer que ces assemblées se transforment en instruments des syndicats, aussi bien que de tomber victime des conflits entre syndicats des différentes organisations gauchistes.
Dans les années 1970 jusqu'aux années 1980, les luttes ouvrières massives aux Philippines n'étaient pas menées par les syndicats mais par les alliances d'ouvriers constituées dans les luttes. La composition de ces alliances étaient des ouvriers syndiqués et non syndiqués avec le soutien des classes moyennes. Les syndicats étaient avec les alliances, mais ils n'étaient pas décisifs. Les ouvriers non syndiqués étaient décisifs parce qu'ils étaient majoritaires dans les alliances.
Mais les syndicats, menés par les gauchistes, organisaient les ouvriers non syndiqués dans les alliances, augmentant donc leurs membres en l'espace de quelques années. Durant la vague de luttes suivante au milieu des années 1980 et jusqu'à maintenant, les alliances ont été soit transformées en fédérations syndicales ou ont été placées sous le contrôle des syndicats.
2. Il devrait être souligné que, main dans la main pour rechercher la solidarité de classe, il y a la vigilance et la résistance opportune contre toutes manœuvres et sabotage des syndicats dans les assemblées ouvrières afin de ne pas faire dérailler la généralisation de la lutte, spécialement dans une situation comme celle des Philippines où le sectarisme et la concurrence dans les différentes fédérations syndicales et les différentes organisations gauchistes sont très forts.
3. Dans la recherche de la solidarité de classe, les larges masses d'ouvriers devraient être mises aussi en garde contre les dangers du syndicalisme tout comme nous mettons toujours en garde les ouvriers des dangers de toute sorte de réformisme et gauchisme.
Nous sommes complètement d'accord avec l'analyse de l'évolution de la crise du capitalisme. Toutefois, nous aimerions insister sur les points suivants :
1. La croissance de la sous-traitance est aussi une manifestation de la crise dans les pays capitalistes avancés, spécialement les USA. Cette outsourcing industrie loue des centaines de milliers de jeunes travailleurs à la fois aux Philippines et en Inde. Presque tous ces ouvriers sont contractuels ou ont des postes précaires et travaillent de longues heures.
2. La Chine aussi envahit l'économie philippine, mais nous sommes encore en train de rassembler des informations pour savoir dans quelle ampleur et si elle supporte une faction de la classe dirigeante de Filipino pour rivaliser contre la politique de contrôle des USA.
Des RTW fabriqués en Chine, des micro plaquettes et même un projet ferroviaire d'un multi-billion de dollars ont pénétré le pays. Beaucoup de grosses entreprises philippino-chinoises investissent en Chine et beaucoup d'officiels gouvernementaux, du niveau local au niveau national, sont allés en Chine pour le marché. Beaucoup de ces membres officiels regardent la Chine comme un modèle de développement.
L'impérialisme américain est bien conscient de cela et il exerce des pressions sur le gouvernement Arroyo sur cette question.
Ce rapport est compréhensif et détaillé. Nous sommes d'accord qu'aujourd'hui, le chaos et la barbarie empirent jour après jour, mais que la capacité du prolétariat international n'est pas encore suffisante pour les arrêter et pour balayer finalement le capitalisme international. Par conséquent, il y a un besoin urgent pour la Gauche communiste du monde entier de déployer plus d'efforts dans leurs interventions dans les luttes prolétariennes. Avec tous ces rapports, il y a, aujourd'hui, le besoin urgent que tous les communistes internationalistes dans le monde devraient coordonner leurs activités et leurs interventions à l'échelle mondiale. Le prolétariat pourra seulement hâter son accumulation de force et élever sa conscience de classe à travers les efforts communs des minorités révolutionnaires dans le monde. Par conséquent, le sectarisme des autres organisations de la Gauche communiste est très dommageable pour le prolétariat international dans son combat contre son puissant ennemi de classe (...)
Pour le succès du XVIIe Congrès International du CCI.
Internasyonalismo 21 mai 2007
Le formidable trésor d'expériences, faites entre février et octobre 1917 par le prolétariat en Russie, a montré aux prolétaires du monde entier qu'il était possible de renverser le pouvoir de la bourgeoisie. L'insurrection d'Octobre avait signifié la victoire des masses ouvrières conscientes organisées en conseils ouvriers et avec en leur sein leur avant garde politique, le parti bolchevik (voir Internationalisme N° 333). Le cours des événements postérieurs à l'insurrection d'Octobre, c'est-à-dire le processus de dégénérescence de la révolution russe qui donna naissance au stalinisme, n'est compréhensible qu'à partir de la dynamique de défaite de la vague révolutionnaire mondiale dont il est une conséquence. Cette dégénérescence n'a donc rien à voir avec le mensonge bourgeois de la prétendue continuité entre la dictature du prolétariat issue d'octobre 17 et le stalinisme qui, au contraire, s'est développé sur les cendres de la révolution.
La Révolution russe de 1917 ne fut pas un phénomène isolé, dû aux conditions particulières à la Russie, mais le point culminant de la première vague révolutionnaire mondiale qui secoua l'ordre bourgeois de l'Allemagne aux Etats-Unis, de l'Europe à l'Asie, en passant par le continent sud-américain. Cette vague révolutionnaire fut la réponse à la guerre impérialiste qui avait inauguré la période de décadence du capitalisme mondial. Dorénavant, une seule alternative était en mesure de contrecarrer la barbarie capitaliste : la révolution prolétarienne mondiale.
Si Lénine et les bolcheviks se sont portés à l'avant-garde des révolutionnaires, c'est en étant convaincus que l'alternative à la guerre mondiale ne pouvait être que la révolution mondiale du prolétariat. Internationalistes depuis la première heure, ils ne voyaient dans la Révolution russe que "la première étape des révolutions prolétariennes qui vont surgir inévitablement comme conséquence de la guerre".
La prise du pouvoir en Russie, dès lors qu'elle est devenue une possibilité, du fait de la maturation des conditions à l'échelle internationale et en Russie même, est conçue par les révolutionnaires comme un devoir élémentaire du prolétariat russe vis-à-vis du prolétariat mondial. Répliquant aux arguments mencheviks selon lesquels la révolution devait commencer dans un pays plus avancé, Lénine justifie ainsi la nécessité de la prise du pouvoir : "Les Allemands, c'est-à-dire les internationalistes révolutionnaires allemands, avec seulement un Liebknecht (qui de plus est en prison), sans organes de presse, sans droit de réunion, sans conseils, face à une gigantesque inimitié de toutes les classes de la population jusqu'au dernier hameau de paysans contre les idées de l'internationalisme, face à la superbe organisation de la grande, moyenne et petite bourgeoisie impérialiste, les allemands, c'est-à-dire les internationalistes révolutionnaires allemands, les travailleurs en uniforme de marins, ont commencé à se soulever dans la flotte, avec un rapport de peut-être de un à cent contre eux. Mais nous, qui avons des douzaines de journaux, qui avons la liberté de faire des assemblées, qui avons obtenu la majorité dans les soviets, nous qui en comparaison des internationalistes prolétariens du monde entier avons les meilleures conditions, nous devrions renoncer à soutenir les révolutionnaires allemands par notre insurrection. On va utiliser les mêmes arguments que Scheidemann et Renaudel : la chose la plus censée, c'est de ne pas faire l'insurrection parce que quand nous serons fusillés, le monde perdra avec nous des internationalistes si merveilleux, si raisonnables... Adoptons une résolution de sympathie pour les insurgés allemands. Ce sera vraiment de l'internationalisme raisonnable". (Lettre aux camarades bolcheviks participant au congrès des soviets de la région du nord).
Moins d'un an après la prise du pouvoir en Russie, il ne fait pas de doute que c'est au reste du prolétariat des autres pays de prendre le relais pour pousser plus loin la révolution mondiale : " La révolution russe n'est qu'un détachement de l'armée socialiste mondiale et le succès et le triomphe de la révolution russe que nous avons accomplie dépendent de l'action de cette armée (...) Le prolétariat russe a conscience de son isolement révolutionnaire, et il voit clairement que sa victoire a pour condition indispensable et pour prémisse fondamentale, l'intervention unie des ouvriers du monde entier" (Lénine, discours du 23 juillet 1918 à la conférence des comités d'usine de Moscou).
La révolution russe ne se contenta pas de confier passivement son destin au surgissement de la révolution prolétarienne dans d'autres pays, elle prit continuellement des initiatives pour étendre celle-ci. Le centre de gravité du rapport de force entre les classes se trouvait en Allemagne et ce sont des responsabilités considérables qui reposaient sur la classe ouvrière de ce pays. "Le prolétariat allemand est le plus fidèle, le plus sûr allié de la révolution russe et de la révolution prolétarienne" (Lénine).
Les révolutionnaires allemands, quant à eux, comprenaient pleinement l'enjeu de la situation : "(...) le destin de la révolution russe : elle atteindra son objectif exclusivement comme prologue de la révolution européenne du prolétariat. Si en revanche les ouvriers européens, allemands, continuent à rester spectateurs de ce drame captivant et jouent les badauds, alors le pouvoir russe des soviets ne devra pas s'attendre à autre chose qu'au destin de la Commune de Paris (c'est-à-dire la défaite sanglante)" (Spartacus, janvier 1918). L'effervescence révolutionnaire qui se développa notamment en Allemagne et en Europe Centrale durant l'année 1918 entretint tous les espoirs de l'imminence du déclenchement de la révolution mondiale.
De son côté, la bourgeoisie avait déjà tiré les leçons de la première bataille remportée par son ennemi de classe en Russie. Les capitalistes, ceux-là mêmes qui, quelques mois auparavant, déchaînaient encore leurs rivalités impérialistes sur les champs de bataille de la première boucherie mondiale, comprennent la nécessité de resserrer les rangs et de s'unir pour désamorcer et écraser la révolution mondiale en marche.
Ainsi, les forces de l'Entente ne cherchent nullement à mettre à genoux leur ennemi impérialiste lorsque le Kaiser est contraint de demander l'armistice en novembre 1918, pour lui permettre de faire face à la montée révolutionnaire en Allemagne (1).
L'armistice et la proclamation de la République en Allemagne provoquent un sentiment naïf de "victoire" que paiera très cher le prolétariat. Alors que les ouvriers en Allemagne ne parviennent pas à unifier les différents foyers de lutte et se laissent désorienter par les discours et manœuvres des partis ouvriers et des syndicats passés dans le camp de la bourgeoisie, la contre-révolution s'organise et coordonne les syndicats, les partis "socialistes" et le haut commandement militaire.
A partir de décembre 1918, la bourgeoisie passe à l'offensive par de constantes provocations envers le prolétariat de Berlin dans le but de le faire partir en lutte seul et de l'isoler du reste du prolétariat allemand. Le 6 janvier, un demi-million de prolétaires berlinois sortent dans la rue. Le lendemain même, à la tête des corps-francs (officiers et sous-officiers démobilisés par le gouvernement), le "socialiste" Noske écrase dans un bain de sang les ouvriers de Berlin. Afin de laisser le moins de chances possibles au prolétariat de se remettre de cette bataille perdue, la bourgeoisie allemande frappe encore plus fort : elle décapite l'avant-garde du prolétariat allemand en faisant assassiner ses deux figures les plus prestigieuses, Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg.
Avec la défaite sanglante que vient de subir la classe ouvrière en Allemagne, la Russie des Soviets voit s'éloigner la perspective immédiate de l'extension de la révolution mondiale.
Néanmoins, le bastion prolétarien russe se fixe comme tâche de "tenir" dans l'attente de nouveaux soulèvements révolutionnaires en Allemagne et dans d'autres pays. Le prolétariat en Russie se trouve ainsi confronté à des conditions extrêmement difficiles : toute la bourgeoisie mondiale s'étant unie dans une gigantesque croisade anti-bolchevique, la République des Soviets était devenue une véritable forteresse assiégée. Totalement isolée, la révolution se débattait entre la vie et la mort. Tenir dans de telles condition exigeait du prolétariat des sacrifices sans fin.
En Ukraine, en Finlande, dans les Pays Baltes, en Bessarabie, la Grande-Bretagne et la France mettent en place des gouvernements qui appuient les armées blanches contre-révolutionnaires regroupées autour des restes de la bourgeoisie russe. Les grandes puissances décident en outre d'intervenir directement en Russie même. Des troupes japonaises débarquent à Vladivostok et plus tard arrivent les détachements français, anglais et américains. Pendant trois ans, jusqu'en 1921, ces forces vont déclencher une véritable orgie de terreur sanglante au sein du pays des soviets, déchaînant massacres et atrocités en tout genre, applaudis des deux mains par les Etats "démocratiques" et bénis par les "socialistes" européens. De surcroît, à l'action des troupes occidentales et des armées blanches s'ajoutent le sabotage et la conspiration contre-révolutionnaires de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie en Russie. La guerre civile atroce qui ravage le pays pendant ces années, avec son cortège de maladies et de famines résultant du blocus économique imposé à la population russe, causa 7 millions de morts.
Pendant ce temps, démocrates et socialistes écrasent paquets par paquets les insurrections ouvrières en Allemagne, en Autriche et en Hongrie. Toutes les défaites que subit alors le prolétariat dans les autres pays sont autant de coups portés au prolétariat russe qui voit ainsi se renforcer son isolement. Alors que le pouvoir des Soviets en Russie ne pouvait se consolider qu'au sein d'une dynamique d'extension de la révolution mondiale pour éradiquer la domination bourgeoise à l'échelle internationale, a contrario, cette situation d'isolement politique, conjuguée aux conséquences de la guerre civile, l'affaiblissent considérablement.
Le prolétariat et son avant-garde en Russie étaient littéralement "coincés". Les bolcheviks étaient dans l'incapacité de mener une politique différente de celle qui leur était imposée par le cours défavorable du rapport de forces entre la révolution prolétarienne et le capitalisme dominant. La solution à ce dilemme ne se trouvait pas en Russie même : elle n'était pas plus entre les mains de l'Etat russe que dans les rapports entre le prolétariat et la paysannerie. La solution ne pouvait venir que du prolétariat international.
C'est la raison pour laquelle toutes les mesures économiques prises, notamment celles instaurées sous ce qu'on a appelé par la suite le "communisme de guerre", n'auguraient en rien une "véritable" politique socialiste. Elles ne représentaient pas l'abolition des rapports sociaux capitalistes mais étaient simplement des mesures d'urgence imposées par le blocus économique capitaliste contre la république des Soviets et par les nécessités résultant de la guerre civile.
De même, lorsque la vague révolutionnaire est entrée dans sa phase finale à partir de 1921, malgré encore la poursuite d'héroïques combats de la classe ouvrière, l'instauration de la NEP (Nouvelle Politique Economique) n'était pas la "restauration" du capitalisme puisque celui-ci n'avait jamais été éliminé en Russie. Toutes ces politiques et mesures portaient la marque des conditions d'asphyxie que l'isolement imposait à la révolution.
Lénine était parfaitement conscient du fait que, malgré la prise du pouvoir par le prolétariat, la destruction de l'économie capitaliste en Russie dépendait de l'extension de la révolution en Europe : "Nous avions totalement raison de penser que si la classe ouvrière européenne avait pris le pouvoir avant, elle aurait pris à sa charge notre pays attardé - tant d'un point de vue économique que culturel-, elle nous aurait ainsi aidé par la technique et l'organisation et nous aurait permis, en corrigeant et modifiant en partie ou totalement nos méthodes de communisme de guerre, de nous diriger vers une véritable économie socialiste" (2).
Face au déchaînement de la guerre impérialiste, puis de la guerre civile, un grand nombre de prolétaires se sont retrouvés d'emblée sur les champs de bataille où ils comptèrent parmi les combattants les plus valeureux de l'armée rouge mais où ils furent décimés également par centaines de milliers. Les grandes concentrations ouvrières, qui avaient donné naissance aux Soviets les plus en pointe dans la révolution, se trouvèrent ainsi terriblement affaiblies par la guerre et la famine. L'isolement du bastion prolétarien en Russie entraîna la perte progressive de la principale arme politique de la révolution : l'action massive et consciente de la classe ouvrière à travers ses Conseils ouvriers. Ceux-ci devinrent l'ombre d'eux-mêmes et furent absorbés par un appareil d'Etat devenu de plus en plus tentaculaire et bureaucratique.
La nécessité de "tenir" en attendant la révolution en Europe entraîna de plus en plus le parti bolchévik à abandonner sa fonction d'avant-garde politique du prolétariat au profit de la défense de l'Etat soviétique. Cette politique de défense de l'Etat soviétique devint très rapidement antagonique aux intérêts économiques du prolétariat (3). Elle conduisit à l'absorption totale du parti bolchévik par l'appareil d'Etat. Ainsi l'identification du parti à l'Etat finit par conduire les bolchéviks, en 1921, à réprimer dans le sang l'insurrection des ouvriers de Krondstadt contre la misère et la famine. Cet épisode tragique de la révolution russe (sur lequel nous reviendrons dans un prochain article) fut le signe le plus spectaculaire de l'agonie de la révolution russe.
C'est en fait de l'intérieur, au sein même de la République des Soviets, là où les révolutionnaires l'attendaient le moins, que surgit la contre-révolution et que se reconstitua le pouvoir de la bourgeoisie du fait du processus d'absorption du parti bolchévik par l'Etat.
Gangrené par le surgissement d'un appareil bureaucratique et totalitaire, le parti bolchevik tendit de plus en plus à substituer la défense des intérêts de l'Etat soviétique au détriment des principes de l'internationalisme prolétarien. Après la mort de Lénine en 1924, Staline, principal représentant de cette tendance vers l'abandon de l'internationalisme, aida la contre-révolution à s'installer : grâce à l'influence qu'il avait acquise dans l'ombre au sein de l'appareil, il entrava puis paralysa l'action des éléments qui tentèrent de s'opposer aux déviations contre-révolutionnaires du parti bolchévik.
Ainsi, l'épuisement de la vague révolutionnaire après 1923 et dont le dernier soubresaut interviendra en Chine (1927), signa la faillite de la plus grande expérience révolutionnaire du prolétariat. Le bastion prolétarien russe s'effondra de l'intérieur et la chasse aux révolutionnaires internationalistes fut ouverte dans le parti. Le parti bolchévik stalinisé devait ainsi être "épuré" de tous ceux qui, restés fidèles à l'internationalisme, continuaient à se revendiquer des principes du prolétariat que Lénine avait défendus bec et ongles. Dès 1925, Staline mit en oeuvre la théorie de "la construction du socialisme en un seul pays" grâce à laquelle allait s'installer dans toute son horreur la contre-révolution la plus effroyable de toute l'histoire humaine. Cette contre-révolution stalinienne, en détruisant toute pensée révolutionnaire, en muselant toute velléité de lutte de classe, en instaurant la terreur et la militarisation de toute la vie sociale, en décimant la vieille garde bolchevique, devenait l'incarnation de la négation du communisme. L'URSS devenait un pays capitaliste à part entière où le prolétariat était soumis, le fusil dans le dos, aux intérêts du capital national, au nom de la défense de la "patrie socialiste".
La défaite de la vague révolutionnaire mondiale, et en son sein de la révolution en Russie à travers sa dégénérescence stalinienne, a constitué l'événement le plus tragique de l'histoire du prolétariat et de l'humanité puisqu'elle a provoqué le plus profond recul jamais connu par la classe ouvrière (un demi-siècle de contre-révolution mondiale) et ouvert la voie à la seconde guerre mondiale.
Il est donc vital pour la classe ouvrière de tirer tous les enseignements de la révolution russe et de son échec.
Seule la capacité du prolétariat à se réapproprier les leçons de sa propre histoire peut lui permettre de ne pas céder aux campagnes mensongères de la bourgeoisie répétant à satiété que la terreur du régime stalinien est l'enfant naturel de la révolution d'Octobre 17.
L'objectif de telles campagnes et de tels mensonges consiste à dénaturer Octobre 1917 en faisant croire que toute révolution prolétarienne ne peut conduire qu'au stalinisme. La classe dominante et ses idéologues patentés s'efforcent ainsi d'empêcher la classe ouvrière de reprendre le flambeau du formidable combat mené par cette génération de prolétaires qui, il y a 80 ans, avait osé se lancer à l'assaut du ciel pour détruire l'ordre bourgeois.
BS
(1) On mesure ainsi tout le chemin parcouru par la bourgeoisie puisque, moins de deux ans auparavant, les bourgeoisies française et anglaise avaient poussé le gouvernement Kerensky, issu de la révolution de février 1917, à maintenir l'effort de guerre coûte que coûte, obligeant ce gouvernement provisoire à démasquer sa nature bourgeoise aux yeux des ouvriers et attisant ainsi le feu révolutionnaire en Russie.(2) Lénine, La NEP et la révolution, Théorie communiste et économie politique dans la construction du socialisme. (Autres sources : Revue Internationale n° 3, 75, 80).
(3) Ce problème n'échappa pas à la vigilance de Lénine qui soutint à propos du débat dans le parti bolchevik sur le rôle des syndicats au début des années 20, que la classe ouvrière avait encore à défendre ses intérêts immédiats contre l'Etat durant la période de transition du capitalisme au socialisme. Mais dans les conditions de l'époque, les révolutionnaires n'eurent pas les moyens de pousser plus avant la réflexion politique sur cette question cruciale.
Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/belgique
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauchisme
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/lutte-classe-belgique
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/56/moyen-orient
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/geographique/afrique
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/imperialisme
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/53/mexique
[10] https://forumtrots.agorasystem.com/lcr
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe
[12] https://www.neeaan1euro.be
[13] https://www.platformvolwassenenonderwijs.be
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/decadence-du-capitalisme
[15] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/leconomie
[16] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/mystification-parlementaire
[17] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/soi-disant-partis-ouvriers
[18] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[19] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/interventions
[20] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/situation-sociale-belgique
[21] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne
[22] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/decomposition
[23] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/decadence
[24] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/guerre-irak
[25] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/prises-position-du-cci
[26] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/119/asie
[27] https://fr.internationalism.org/contact
[28] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/resolutions-congres