Dans une situation internationale de contrastes impérialistes aigus, après une conférence d'où ressortait brutalement, dès les premiers jours, une impossibilité d'entente entre les blocs en présence, la France devait subir, à brève échéance, sur le plan intérieur, le contrecoup de sa situation tendue.
Une analyse bien simpliste pourrait faire croire que les incidents coloniaux et les grèves en France sont déterminés directement par l'échec de la conférence de Moscou.
Cette détermination mécaniste n'est pas réalité. Les évènements indochinois, malgaches ainsi que les grèves peuvent venir se greffer dans le débat international, mais ils ne sont que des atouts entre les mains des blocs et non des produits directs ; les révoltes coloniales et le mécontentement général, dû à une situation de misère prolongée, trouvent leur source hors du débat inter-impérialiste. Ils expriment à leur début un phénomène tout ce qu'il y a de plus local et clairement séparé du reste des évènements. Mais aussi, dès le début, ils deviennent des pions dans l'échiquier international servant l'un ou l'autre bloc, car ces révoltes et ces manifestations se font à l'intérieur d'un quelconque bloc.
Ainsi, pour ne prendre que les incidents malgaches, c'est à tort que l'on pourrait voir une intrusion étrangère dans l'éclatement des troubles, c'est même à tort qu'on croirait sentir, une aide matérielle étrangère dans la révolte de l'île.
Le problème se joue en dehors de la question nationale malgache, la France s'étant rangée de plus en plus dans le bloc américain ; tous incidents, tout évènement qui peut retarder, diminuer la tendance de la France à faire partie intégrante du bloc EU/Angleterre doit être exploité démagogiquement par la Russie et les partisans du bloc russe.
La même situation se serait présentée si la France au lieu d'être dans le bloc américain se trouvait dans le bloc russe.
Seulement au lieu que ce soit les staliniens qui exploitent l'évènement, c'eut été la SFIO, et un quelconque DUCLOS eut mené la même politique colonialiste qu'un MOUTET.
Comme on le voit, les liens internationaux sont tellement serrés, la lutte impérialiste tellement poussée, qu'aucun évènement, aucun fait dans le plus petit coin perdu du monde ne peut échapper à l'attraction forcée vers un bloc ou un autre qui l’exploite.
Mais revenons aux évènements intérieurs de la France.
Depuis la conférence de Moscou, au sein du gouvernement il s'était produit une brisure nette qui n'attendait qu'un prétexte valable pour s'effectuer.
D'un côté, les staliniens tendaient à se défaire des liens qui les rattachaient au reste du gouvernement. Ils avaient cru, par leur participation et leur politique de noyautage, faire pencher la balance du côté russe en France. Comme toujours -et il ne faut pas se lasser de le répéter- ils n'ont enfermé personne qu'eux-mêmes. Ce dégagement de responsabilité, cette nécessité d'opposition des staliniens devant le tournant franc et net de la France vers l'Amérique, était urgent.
Déjà les staliniens avaient essayé d'exploiter les évènements indochinois et malgaches pour effectuer leur retraite du gouvernement. Mais l'écho rencontré dans la masse ayant été faible sinon nul, le PCF se voyait obligé d'attendre le coup d'éclat qui le libérerait de la responsabilité de la politique actuelle française.
D'un autre côté, la SFIO et derrière elle, comme des comparses, le MRP et le rassemblement des gauches cherchaient nettement à gouverner vers l'Amérique. La présence des staliniens dans le gouvernement ne pouvait que créer une équivoque d'autant plus nuisible que la France, se trouvant derrière l'Allemagne occupée par les Américains et les Anglais, ne pouvait que dépérir ou faire le jeu yankee.
La crise couvait depuis plusieurs mois, le prétexte n'étant trouvé, la conférence de Moscou venait envenimer le problème et rendre la solution urgente.
Dans cette situation de crise latente, à laquelle jusqu'à présent aucun évènement n'avait pu la faire éclater, la grève de Renault éclata extérieurement à cette crise.
De toute autre nature, cette grève relevait du mécontentement général contre les conditions de famine des masses travailleuses.
Au début la CGT et le PCF, débordés par la grève, ne s'étaient pas aperçus que cette grève était le prétexte rêvé. Se voyant lâchés par les masses, ils réagirent instinctivement par auto-conservation. Il fallait rallier les masses défaillantes se désintéressant de la politique stalinienne. D'où la politique d'opposition du PCF au début de la grève.
Mais la grève s'amplifiait ; le gouvernement intraitable tenait bon car il fallait détruire l'équivoque de la participation stalinienne au gouvernement.
La politique de baisse était et est encore plus une garantie politique de la France aux USA qu'une mesure proprement économique.
De là, le PCF et la CGT se trouvaient, du fait de leur politique, entre le marteau et l'enclume. Ils risquaient de perdre leur situation politique dans le monde ouvrier. Cette crainte aidant, le prétexte de la rupture était trouvé. Les staliniens refusèrent la solidarité gouvernementale se faisant démissionner. La grève, du coup, perdait de sa première nature -mécontentement de classe- pour devenir un instrument entre les mains d'une politique stalinienne. Les masses, encore une fois, étaient détournées de leur objectif premier ; encore fallait-il les ramener à l'ordre. La situation n'étant pas définitivement irréversible, les staliniens n'avaient pas intérêt à faire du gauchisme à fond ; et la grève était, par là même, sabotée, minimisée et étouffée. Renault reprenait le travail le lundi 12 mai.
Ceux qui avaient cru que la grève était la cause déterminante de la crise gouvernementale sont obligés aujourd'hui de déchanter en voyant que cette grève n'a en rien ébranlé la politique suivie par la SFIO, même à son plus fort moment. Mais elle a permis que, sur elle, se consomme la rupture gouvernementale par l'élimination des staliniens.
Demain, la situation tendue de plus en plus entre les 2 grands blocs pourra amener les staliniens et la SFIO à accentuer leur position ; les premiers en poussant démagogiquement les masses à manifester, bien encadrées par eux ; les deuxièmes en renforçant la politique américanophile avec tout ce qu'elle représente de répression.
Venant immédiatement après le vote de confiance de l'Assemblée nationale et l'éviction des ministres staliniens du gouvernement, le conseil national de la SFIO s'est en fait trouvé devant une situation de fait accompli qui ne pouvait qu'être ratifiée, même s'il le fallait, par une voix de majorité. La politique Ramadier a eu 400 mandats de majorité. Une forte opposition venant surtout de la fédération de la Seine, représentée par le très connu Marceau Pivert, s'est manifestée au cours des débats.
Les journaux se sont même permis de parler d'une éventuelle scission au sein de la SFIO. Le ton et la chaleur des débats ne pouvaient quand même pas être la cause de cette scission. Si les staliniens ont vu dans cette opposition pivertiste un fort courant à gauche, ce n'est pas en fonction de la nature du débat mais uniquement parce que la motion pivertiste posait le principe de la non-séparation du gouvernement des staliniens.
Si d'autres socialistes dissidents ont cru voir pointer la possibilité d'une scission, qu'ils se rappellent que Pivert est rentré dans la SFIO la tête basse, la queue entre les jambes, après sa sortie éclatante en 1936-37.
Tout l'art de ces oppositions dans des organismes pourris comme la SFIO est de créer un semblant de lutte d'idées, permettant ainsi de camoufler le vrai visage contre-révolutionnaire de ces partis. La formule de ces oppositions tient en peu de mots : "Ne pas se soumettre en apparence, pour mieux se soumettre en réalité, sous couvert de discipline."
SADI
Une première question vient de suite à l’esprit à propos de la grève de Renault. Cette grève marque-t-elle la fin du cours réactionnaire ? Est-elle l'indice nouveau d'un cours de reprise des luttes du prolétariat ? On serait tenté de répondre à première vue par l'affirmative. Cependant, rien n'est moins certain.
La grève fut absolument une réaction spontanée de classe. Aucune continuité entre cette grève et celle des postiers ou celle de la Presse parisienne. Ces dernières grèves furent exclusivement corporatistes, menées dans le cadre syndical et, si elles furent anti-staliniennes, elles n'en furent pas moins exploitées et orientées, dès le début par une autre formation politique de la bourgeoisie, en l'occurrence le Parti socialiste. Il faut se rappeler les déclarations de loyalisme des postiers, assurant un service d'urgence pour les nécessités de l'État et de la "conférence de la paix" qui a eu lieu au même moment, il faut se rappeler les interventions des députés socialistes à la Chambre en faveur du comité de grève. I1 faut se souvenir de la déclaration du syndicat de la Presse, mettant fin à "la grève, pour comprendre qu'il n'y a rien de commun entre elle et celle de Renault.
La grève de Renault n'est pas corporatiste. Le fondement est bien moins la revendication économique d'augmentation des salaires que le mécontentement général qui s'est emparé des ouvriers, en apprenant la réduction de la ration de pain. C'est le mauvais ravitaillement, un terrain social général qui est à la base de cette grève et c'est ce qui la rend si populaire parmi toute la population travailleuse.
C'est ce caractère-là qui fait que la grève de Renault se heurte instantanément â toutes les forces anti-ouvrières : les partis politiques de la bourgeoisie, le patronat et les organisations syndicales de l'État. Mais il est encore trop tôt pour donner une réponse définitive à la question posée. La manifestation du 1er mai où des centaines de milliers d'ouvriers clament leur sentiment nationaliste et "républicain", s'attaquent ou laissent attaquer les grévistes diffusant leur appel à la solidarité de classe, est l'envers de la médaille. La grève de Renault contient une possibilité de reprise des luttes. Mais il est peu probable que cette possibilité perce l'obscurité épaisse qui entoure les ouvriers.
Le passage des staliniens à l'opposition, qu'il serait erroné d'attribuer à la pression ouvrière et de considérer comme conséquence du conflit de Renault, servira remarquablement au capitalisme français pour dérouter les ouvriers. Déjà, la facilité avec laquelle la CGT a fait son tournant et a repris en main la grève montre la fragilité de la possibilité d'un cours montant des luttes de classe incontestablement contenue dans la grève de Renault.
La grève de Renault paraît être, pour le moment, une éclaircie de classe dans le ciel sombre et de plomb du capitalisme.
La grève de Renault démontre une fois de plus l'impossibilité d'asseoir désormais les luttes du prolétariat sur une base économique. Les staliniens peuvent reprendre en main d'autant plus facilement le mouvement qu'il se confine dans les revendications économiques. C'est là une voie d'impasse uniquement favorable à la bourgeoisie qui, au travers des tractations et des marchandages, parvient à fourvoyer le mouvement. C'est sur ce terrain que le syndicat a ses racines solidement accrochées et sur lequel il est irremplaçable.
C'est en voulant se maintenir uniquement sur ce plan de revendications économiques que le comité de grève, influencé par les trotskistes, a commis une lourde faute et devait être finalement et facilement évincé par le syndicat.
La grève ne pouvait vaincre qu'en s'élargissant sur le plan général social. Cette possibilité existait parfaitement. Avant Renault, les ouvriers de chez Unic ont fait une grève contre la diminution de la ration de pain. Dans d'autres usines, un même mécontentement et une même agitation régnaient parmi les ouvriers. C'est de cette revendication qu'il fallait faire l'axe du mouvement. Ne l'ayant pas compris et ayant hésité, le comité de grève a perdu du temps et a compromis son succès.
La grève de Renault vient une fois de plus de mettre en évidence la nature anti-ouvrière des organisations syndicales dans la période présente. Il ne suffit pas de dire que le caractère de classe de la lutte n'est pas une question de forme d'organisation mais de contenu idéologique. C'est là un moyen élégant de ne pas répondre à la question et, avec une demi-vérité, commettre une erreur grossière. Le contenu de classe ne peut pas s'exprimer dans n'importe quelle forme d'organisation, de même que les buts de classe ne peuvent pas s'accommoder de n'importe quels moyens. On ne peut ensemencer n'importe quoi dans n'importe quel terrain. On ne doit pas s'étonner alors qu'avec une telle pratique la meilleure semence de blé continue à reproduire des ronces.
En réalité, il existe une unité interne, un tout inséparable entre le but et les moyens, entre le contenu et le contenant. De même que la dictature du prolétariat ne peut s'exprimer au travers du parlementarisme bourgeois, la lutte de classe ne peut plus s'exprimer au travers des syndicats, les syndicats étant les pendants, sur le plan économique, de ce que sont les parlements sur le plan politique.
Les luttes ouvrières ne peuvent se mouvoir et se faire qu'en dehors des syndicats, par la constitution, dans chaque lutte, d'organismes nouveaux que sont les comités de grève, les comités locaux de luttes, les Conseils Ouvriers. Ces organismes ne vivent qu'autant que subsiste la lutte elle-même et disparaissent avec elle. Dans la période présente, il est impossible de construire des organisations de masses permanentes. Cela ne deviendrait possible que dans la période de la lutte généralisée du prolétariat posant à l'ordre du jour la révolution sociale. Vouloir maintenir une organisation permanente actuellement sous la forme de minorité ou de fraction dans les anciens syndicats, ou en formant de nouvelles centrales syndicales ou des syndicats autonomes et syndicats d'usine, ne mène à rien et trouble le processus de prise de conscience des ouvriers ! Finalement, les nouveaux syndicats ne se maintiendront qu'en devenant des organisations autant anti-ouvrières que les anciennes ou deviendront simplement des sectes.
Dans la grève de Renault, on doit en fin de compte distinguer deux phases : la première, celle d'une lutte ouvrière qui se fait non seulement sur un plan extra-syndical mais nécessairement et directement anti-syndical ; la seconde, où la grève retombe sous le contrôle et la direction syndicale, devient inévitablement anti-ouvrière.
On peut peut-être tirer des expériences des dernières années cette règle presque absolue, à savoir : toute action menée dans une direction syndicale et dans le cadre syndical ne peut, en définitive, être qu'une lutte contre la classe ouvrière.
C'est en cela que réside la différence fondamentale entre l'attitude des révolutionnaires face aux syndicats réformistes d'hier qu'ils pouvaient chercher à transformer et à faire servir pour la défense des intérêts immédiats des ouvriers et les syndicats dans la période présente du capitalisme d'État qui ne sont et ne peuvent être que des organismes de l'État et qui, tout comme l'État capitaliste, doivent être dénoncés et combattus par les révolutionnaires et brisés par l'action de classe de prolétariat.
MARCOU
Statistique reproduite d'après "ÉTUDES ET CONJONCTURE" de mars 1947.
Céréales panifiables | 4520,7 | 388,1 | 14% |
Pommes de terre | 2184,5 | 1880 | 13,8% |
Pour les mêmes années, la récolte de céréales panifiables et pommes de terre (en milliers de tonnes)
Céréales panifiables | 8743 | 6028 | 31% |
Pommes de terre | 41291 | 24971 | 39,5% |
Cette baisse de récolte des produits agricoles de première nécessité n'a rien de surprenant quand on sait qu'en plus de la diminution déjà sensible de 14% de la surface ensemencée, le rendement par Ha a fortement diminué. Il est de 20% pour les céréales et de 30% pour les pommes de terre. Elle a pour cause le manque de matériel agricole qui n'a pas été renouvelé depuis I938 et est fortement usé, et la pénurie d'engrais.
La production pour l'année I946-47 par rapport à 1931 est de 40% pour les engrais azotés et de 26% pour les engrais phosphatés.
L'Allemagne couvrait, avant la guerre, par ses propres ressources, 83% de ses besoins alimentaires. Elle en couvre aujourd'hui péniblement 50%.
Avant de nous étendre sur les détails de cette grève, nous pensons qu'il est utile de rappeler l'existence d'un prétendu Comité de lutte, qui avait pour but de coordonner les divers mouvements sporadiques éclatant à l'intérieur de la Régie. Ce Comité groupait des militants de diverses tendances : trotskistes, anarchistes et gauche-communistes. La place nous manque pour étudier les différentes positions qui s'affrontent en son sein. Bornons-nous à dire que les tendances "Lutte de classe" et "Front Ouvrier" préconisaient le déclenchement d'un mouvement cristallisant les ouvriers autour du mot d'ordre d'une augmentation de 10 Francs sur le taux de base. Elles pensaient ainsi réveiller la combativité ouvrière face à la carence de la CGT. Pour les anarchistes, l'ennemi principal contre lequel ils pensent devoir lutter pour obtenir la moindre revendication est la CGT. Aussi, pour eux, la lutte ne peut se mener que groupés autour d'un drapeau sans taches, celui de la CNT. Enfin, pour la GCF, son analyse de la situation indique un recul général de la classe ouvrière face à l'offensive capitaliste, dont la CGT -succursale du PCF- est partie intégrante, l'oblige à maintenir certaine réserve, car elle estime qu'un mouvement de caractère purement économique et corporatif ne peut être un pôle d'attraction suffisant pour renverser le rapport de force.
Après quelques réunions et échanges de vues des différentes positions, le "Comité" se trouve suspendu. Le groupe trotskiste indépendant "Lutte de classe" entend mener une lutte sur son propre terrain. La coordination de la lutte, dans l'usine, passera déjà au second plan.
Depuis plusieurs semaines, différents mouvements de grève partielle ont déjà eu lieu dans l'usine : entretien, modelage, fonderie, artillerie.
Les dernières mesures iniques de famine, prises par un gouvernement solidaire, qui réduisent très sensiblement le ravitaillement des ouvriers, n'étaient pas faites pour calmer les ventres. Le mécontentement s'accroit.
Le mercredi 23 avril, un tract distribué fait savoir qu'un Comité de grève a été élu, à une assemblée générale antérieure, par 350 ouvriers contre 8, et invite les travailleurs du secteur Collas à se réunir pour leur faire part de l'échec de leur délégation auprès de la direction. À cette réunion, la grève est décidée pour le vendredi 25 avril. Le secteur Collas, au nombre de 1500 ouvriers, entre en grève.
Un tract est diffusé aux portes principales de l'usine. Il explique la capitulation de la CGT sur la revendication du minimum vital qui devrait se traduire par une augmentation de 10 fr. de l'heure taux de base ; il invite les travailleurs à un meeting organisé par le comité de grève du département Collas. Une forte délégation d'ouvriers grévistes se répand dans l'usine, invitant leurs camarades à se joindre au mouvement.
Devant les 1500 ouvriers réunis à 12 h 30, le président du Comité de grève explique, au micro, la nécessité de la revendication des 10 fr. "On nous traite, dit-il encore, de diviseurs face au danger fasciste. Mais c'est justement notre passivité qui fait que le danger fasciste grandit tous les jours". Plusieurs orateurs prennent encore la parole -entre autres un représentant de la minorité syndicale de la CGT, pour développer le même thème. Cependant, l'après-midi, la majorité des ouvriers reprend le travail mais une grande agitation règne dans les ateliers où, de tous les côtés, la discussion s'engage : "40 fr. de l'heure, au prix que coûte la vie... Que fait donc la CGT ?"
La CGT est aux aguets, elle va faire sa première offensive. Elle va porter des coups là où ses adversaires sont faibles.
I1h 30, Carn et Hénaff sont là dans des voitures avec haut-parleurs. "Camarades, clament-ils, la CGT a depuis longtemps formulé vos justes revendications : révision des chronométrages, augmentation de la prime au rendement, etc." Puis ils attaquent : "Ceux qui vous poussent aujourd'hui à la grève sont des agents provocateurs de la réaction. Nous savons que la direction Lefaucheux sabote la production. Ce n'est pas par hasard que cette grève coïncide avec l'attaque de l'Amérique réactionnaire contre le vaillant peuple grec. Ce n'est pas par hasard que cette grève est déclenchée au moment où les gens du RPF s'agitent. Toute la presse des ennemis de la classe ouvrière, "Combat" et "l'Aube", déforment ce mouvement inconsidéré de grève, etc."
Les ouvriers grévistes présents sifflent les orateurs, mais la masse écoute. Le danger fasciste est pour eux une réalité, puisqu'aussi bien le Comité de grève lui-même a dénoncé le danger. La plus grande confusion règne dans les esprits.
Les ouvriers sont appelés par un tract de la CGT à arrêter le travail à 11 heures pour appuyer une délégation de celle-ci auprès de monsieur Lefaucheux. Mais les délégués auront beaucoup de mal à maintenir cette masse ouvrière, car les discours sont difficiles à avaler le ventre vide. Il est seulement 10 heures, les délégués veulent reculer et capituler, mais les ouvriers les dépassent. À 12 heures 30, Carn, au micro de la voiture, amène la réponse de la délégation : "La direction a accepté les premiers points de notre cahier de revendications, mais a répondu "non" à notre demande d'augmentation de 3 Fr de la prime au rendement. En conséquence, la direction est invitée à s'expliquer devant le conseil des ministres. En attendant, et pour ne pas gêner les pourparlers, il faut reprendre le travail."
Ce discours pousse au comble l'exaspération des ouvriers qui sifflent copieusement le secrétaire de la CGT. Beaucoup d'ouvriers demandent la parole, mais les dirigeants de la CGT se dérobent et la voiture s'enfuit.
La CGT a cru ruser en arrêtant le travail pour 1 heure. Mais elle vient de faire une manœuvre dangereuse. La majorité des ouvriers ne reprend pas le travail. Les OS sont les plus combatifs. Dans certains secteurs, les fanatiques du "produire" résisteront à la volonté ouvrière mais bientôt ils se soumettront. Une franche espérance anime les ouvriers qui se répandront dans toute l'usine pour convaincre les hésitants... : "Alors, tu penses qu'on gagne sa vie...? Il y a des camarades qui ont commencé la lutte depuis vendredi, il nous faut les soutenir... C'est le moment d'agir tous ensemble." L'atmosphère restera tendue.
Dans les départements 6 et 18 où siège le Comité de grève, on parle de réunion générale pour le lendemain. Les piquets de grève sont assurés avec zèle. Chacun a confiance en lui-même et en son voisin, en son camarade de combat.
Dès 9 heures du matin les ouvriers avides de nouvelles sont là en masse. La cour où se tient la réunion est pleine. On peut, sans exagérer, évaluer à 8000 le nombre d'assistants. Le Comité de grève prend la parole : "L'arme de la victoire est dans l'action. Nous aurons nos 10 Fr sur le taux de base. Cette grève est l’affaire de tous. Chacun de nous doit être un cerveau..."
En dehors de ces généralités, rien de précis.
Un membre de la Gauche Communiste voulant exposer le contenu d'un tract qu'il diffusera, le représentant du Comité de grève lui fait remarquer que seuls les mandatés ont droit à la parole (petite défense de boutique des trotskistes...) On lui accorde quand même 2 minutes. Brièvement il expliquera la nécessité qu'il y a d'étendre le mouvement pour lutter contre l'État, derrière lequel se retranche la direction de l'usine. "Pas de politique" crie une partie de l'assistance. Mais le camarade de la GCF poursuivra en démontrant qu'en dehors de l'élargissement rapide à d'autres usines la grève sera immanquablement perdue.
Le Comité invite à constituer des Comités de secteur et à envoyer des délégués au Comité de grève pour constituer le Comité central de grève. Cette proposition est acceptée par des acclamations et la CGT est huée et sifflée.
Après cette réunion de courte durée et insuffisante puisqu'elle n'attaque pas le fond des problèmes et ne démasque pas la CGT comme un organisme anti-ouvrier, une réunion du Comité central de grève est annoncée pour 14 heures 30. De toutes parts, les ouvriers affluent, annonçant qu'ils ont constitué leurs Comité de secteurs. D'autres viennent demander du renfort contre les acharnés de la CGT et du PCF qui empêchent que la démocratie ouvrière et la liberté de réunion soient respectées.
Il est près de 3 heures quand le président ouvre les débats. Plus de 120 ouvriers sont là qui représentent effectivement la majorité des ouvriers en grève. Plusieurs orateurs exposent la situation et l'orientation de la lutte à venir. Un camarade de la GCF, membre du Comité, explique que, pour lutter effectivement contre la direction qui se retranche derrière le gouvernement, il faut ne pas se limiter aux revendications uniquement économiques mais porter la lutte sur le plan social. L'ensemble de la salle applaudit cette intervention.
Mais la discussion est interrompue par l'arrivée de plusieurs ouvriers qui accourent avertir le Comité que la CGT et le PCF organisent une contre-attaque d'envergure. En effet, après une série de petites réunions dans les départements, la CGT organise un grand meeting dans l'île où le député Costes et autres grands "chefs" du PCF prendront la parole.
Le Comité suspend la première séance pour renforcer ses positions dans l’usine. Rassemblant les grévistes, il se rend en groupe compact et au cri de "Nos 10 Fr.", dans l'île, pour porter la contradiction aux briseurs de grève de la CGT.
Dans l'île, plusieurs milliers d'ouvriers se trouvent déjà réunis. Les staliniens font bien les choses. La voiture-radio est soigneusement encadrée par une haie de nervis du PCF qui, par des méthodes de police, coups de poing à l'appui, évacueront les éléments de l'avant-garde qui s'apprêtent à expliquer la position du Comité de grève.
À tour de rôle, Carn, Delame, Henaff et Costes expliquent la position de la CGT. L'Humanité du matin a publié la photo d'un individu louche, porteur d'une arme, qu'on aurait découvert dans l'usine. Aussi les chefs de la CGT tenteront de l'identifier et de le dénoncer à nos camarades. C'est ainsi qu'un camarade espagnol du Comité sera accusé d'être un phalangiste de Franco. D'ailleurs, tous les membres du Comité de grève seront traités de fascistes.
Ils parleront encore du ravitaillement de leurs morts dans la guerre contre le fascisme. Ils calomnieront la classe ouvrière en lutte. Ils nourriront leurs discours par leur démagogie contre la politique MRP et socialiste du gouvernement qu'ils accuseront d'être le seul responsable de la misère des ouvriers et en se décernant à eux-mêmes le titre de "vrais défenseurs de la classe ouvrière". Pas un membre du Comité de grève ne pourra prendre la parole. Les militants sont systématiquement encadrés et la claque est à sa place. Des cris et des sifflements retentissent bien par moments mais il faudra repartir sans avoir pu faire entendre la vérité.
Comment pouvait-il en être autrement puisque le Comité n'a jamais posé le problème politique, n'a jamais parlé du ravitaillement, n'a jamais dénoncé le mythe du fascisme, n'a jamais attaqué le parlementarisme ? Sur toutes ces notions la classe ouvrière reste confuse et la démagogie la trouble.
Signalons encore un autre fait symptomatique : c'est la crainte physique qu'ont les ouvriers des staliniens. Le stalinisme est arrivé à inspirer aux ouvriers une même terreur que le fascisme en Allemagne.
Jeudi 1er mai
Pour le premier mai, le Comité a décidé une distribution de tracts le long du cortège. Ce fut non seulement une grosse bêtise mais un fiasco complet. Les groupes de choc du PCF étaient à l'œuvre. Coups de poing et coups de pieds obligèrent les grévistes à céder du terrain. Et on assistera à ce spectacle : qu'à la manifestation soi-disant ouvrière on brûlera les tracts des ouvriers en grève.
Ce que n'avait pas compris le Comité c'est que la véritable manifestation de classe des travailleurs n'était pas le cortège fleuri des agents du capitalisme mais la lutte réelle des travailleurs de chez Renault, d'ailleurs contre la CGT.
La bataille des salaires et de la faim devait se poursuivre à l'usine. Mais la CGT cloisonnait l'usine en départements isolés pour empêcher toute agitation. Par un habile tournant, la CGT se porte au-devant du conflit. Par une démagogie gauchiste, elle reprend à son compte la revendication des 10 Fr en l'élargissant à tous, en soutenant sa première proposition de reprise immédiate du travail ; elle se déclare prête à soutenir et à diriger la grève si celle-ci est votée par la majorité.
Le Comité de grève ayant perdu tant de temps perd à présent aussi du terrain devant la CGT. Cependant, les ouvriers par plus de 11000 voix contre 8000 repoussent une fois de plus la proposition de la CGT et décident de continuer la lutte.
Les discussions porteront sur la proposition du camarade de la GCF, posant comme objectif l'augmentation du ravitaillement, le retrait immédiat des dernières restrictions de famine du gouvernement. Après discussion, la proposition est systématiquement repoussée par la fraction trotskiste du Comité de grève.
Le camarade propose une résolution qui permettrait de préciser la position du Comité face aux arguments démagogiques de la CGT. Mais le Comité, sous la direction des trotskistes, s'engage sur le terrain de la procédure et se perd dans des appels à la discipline et à la régularité des mandats. Aux ouvriers qui viennent de rompre avec la discipline, on exige avant tout la discipline.
Au lieu de multiplier des assemblées générales de grévistes, le Bureau issu du Comité central de grève adoptera la tactique cégétiste : propagande par département. Aussi, ces journées se passeront dans le plus grand calme, des bals s'organiseront de-ci de-là ; la combativité des ouvriers diminue de jour en jour. Le Comité de grève se réunit tous les soirs, il discute encore beaucoup, envisage avec beaucoup de retard de faire débrayer d'autres usines sur la base des 10 Fr et de l'échelle mobile. Mais on a déjà perdu beaucoup de temps. Ceux qui assistent aux réunions sont de moins en moins nombreux et des horions s'échangent devant les portes des usines sans grand résultat. La bataille semble perdue, le Comité s'enfonce dans des discussions stériles sur des délégations dans les Ministères et la formation d'un syndicat autonome.
Des secteurs tiennent encore. À la réunion générale organisée par le Comité de grève à 3 heures de l'après-midi, les assistants seront moins nombreux et la CGT (les ministres staliniens sont déjà démissionnaires) peut contre-attaquer en traitant le problème du ravitaillement et le problème politique. La lassitude gagne les ouvriers.
Le Comité de grève est complètement désorienté.
4 meetings sont organisés par la CGT. Costes pourra se permettre de dire que les 10 Fr. sur le taux de base pourraient être envisagé et discuté, mais cela uniquement après l'expérience Ramadier de baisse des prix qui doit se terminer en juillet.
C'est donc que la possibilité existe pour la CGT d'absorber démagogiquement toute revendication purement économique. Les ouvriers se sont tant démoralisés et battus ; et sont murs pour accepter de reprendre le travail sur la base de trois francs d'augmentation de prime au rendement. Sans doute, pas un ouvrier qui a refusé auparavant sa confiance aux dirigeants n'est dupe de ses basses manœuvres. Les meetings du 8 mai se termineront dans une atmosphère terne et les chefs de la CGT partiront sans applaudissements.
Cependant, le vote proposé par la CGT pour la reprise du travail sera une victoire pour elle et une défaite pour les ouvriers. Douze milles pour la reprise du travail contre 6.800 sera la plus grande expression d'impuissance idéologique des ouvriers et du Comité face à leurs ennemis : la CGT et la PCF.
Le comité de grève ne pouvait qu'enregistrer le fait. Le vote, qui s'est fait sur l'initiative et sous la direction de la CGT et contre lequel le Comité ne pouvait que recommander de voter contre la reprise du travail, marque la lassitude des ouvriers et l'échec de la grève.
À la réunion du Comité de grève, la fraction trotskiste opte, en conséquence, pour la retraite et pour la fin de la grève, cependant que les ouvriers du secteur Collas sont décidés à poursuivre la grève, ne serait-ce que même isolés dans leur secteur. Il est enfin décidé que les ouvriers du secteur Collas seront appelés à se prononcer dans une réunion générale le lundi matin et à prendre eux-mêmes une décision.
Ainsi se termine cette grève qui a duré 15 jours et qui a suscité tant d'espoir. Elle se termine dans la confusion. Le gouvernement a accepté l'augmentation de 3 Fr de prime au rendement -ce qu'il avait refusé hier à Croizat, il l'accorde aujourd'hui à Mayer- sans paiement des jours de grève. La CGT est satisfaite. Elle se glorifie d'avoir obtenu ce qu'elle avait demandé primitivement. La perte de 15 jours de salaire (le bénéfice de l'augmentation de la prime pendant un an de travail), la CGT la rejette sur le Comité de grève, contre l'irresponsabilité de qui elle avait mis les ouvriers en garde dès les premiers jours.
Le Comité de grève sort moralement affaibli. Les cris à la trahison ne diminueront pas ses propres fautes. La CGT remplit son rôle d'organisme de l'État capitaliste. Elle s'est bien acquittée de sa tâche. Il n'en est pas de même du Comité de grève qui, ayant eu la confiance de la majorité des ouvriers, n'a pas su énoncer un programme dépassant le cadre de l'usine, n'a pas su élargir la grève, n'a fait que se trainer derrière la CGT et a finalement contribué, par son incompétence à engager la grève dans l'impasse.
La grève de Renault laissera cependant des traces profondes parmi les ouvriers. Même défaite, elle est une expérience de grande valeur. Il appartient à tous les ouvriers et surtout aux militants révolutionnaires de l'étudier et d'en tirer les enseignements pour la victoire des futures luttes de la classe.
Renard (11/05/1947)
Au début du conflit, la presse bourgeoise accorde sa "sympathie" à la grève. Cette sympathie est fort intéressée car il ne s'agit rien de plus, pour elle, que de mettre les staliniens en mauvaise posture. La presse bourgeoise relate donc, avec complaisance et avec force détails les diverses péripéties du conflit, et surtout la mauvaise fortune des dirigeants staliniens de la CGT qui se font huer et siffler par les assemblées de grévistes. Mais, à mesure que la grève prend de l'extension, ces messieurs deviennent sérieux. Ils comprennent que Renault n'est pas une simple répétition de la grève des postiers, ou de la grève de la Presse parisienne. Le ton change rapidement et, jusqu'au journal "Combat", on commence à s'inquiéter et à expliquer, par de savantes démonstrations, l'impossibilité absolue pour le gouvernement, gardien de la sécurité économique et du franc, d'accorder satisfaction aux revendications ouvrières.
À souligner que la presse bourgeoise est pleinement consciente des causes profondes de cette grève, à savoir : le mauvais ravitaillement aggravé par la décision de la diminution de la ration de pain, ce qui rend cette grève si dangereusement populaire.
Le "Populaire", organe de la SFIO fait volontiers, pendant 3-4 jours, la publicité de la grève. Mais le jeu devient trop brûlant. Costes, secrétaire de la Fédération de la métallurgie et député stalinien, fait état d'une déclaration de Daniel Mayer, d'après laquelle la direction du parti socialiste désapprouvait les articles sur la grève parus dans le "Populaire" et rappelait à l'ordre la rédaction. En effet, on est loin de la grève des PTT. Et il ne se trouvera plus, cette fois, un Degain (fameux député socialiste qui a "défendu" à la Chambre la grève des postiers contre les staliniens) pour "défendre" à la Chambre le Comité de grève de Renault.
Quant à la Gauche socialiste, avec Pivert en tête, elle reste inébranlablement fidèle à elle-même, c'est-à-dire qu'elle soutient "moralement" les grévistes, mais PRATIQUEMENT son gouvernement socialiste de Ramadier, affameur des ouvriers.
"L'Humanité", organe des staliniens, bat tous les records et dépasse en abjection toute la presse bourgeoise. Sa haine anti-ouvrière n'est comparable qu'à la quantité de boue qu'elle jette sur les grévistes. Il est impossible de citer les articles de ce journal sans que le dégout ne vous monte à la gorge. Ce torchon est plein de pus. "Provocateurs, hitléro-trotskistes, éléments troubles, agents de De Gaulle, payés par l'extérieur" sont les épithètes les plus gentilles dont ce journal qualifie les ouvriers en grève. Il publie, le mercredi 3I, la photo d'un individu qu'on aurait trouvé armé dans l'usine et qui aurait appartenu à la LVF. Les staliniens ne répugnent à aucun moyen pour discréditer les grévistes. Un de leurs moyens préférés sera encore la provocation à la lutte physique entre les ouvriers.
"L'Avant-garde", organe des jeunesses staliniennes, écrit le mercredi 30 avril : "Vendredi dernier, une entrevue décisive devait avoir lieu avec la direction. Coïncidence troublante : la direction s'absenta et renvoya la discussion, tandis qu'au même instant des provocateurs, aidés par des éléments louches venus de l'extérieur, tentaient de lancer un mouvement."
Et voilà une autre insinuation perfide : "Ils (les ouvriers) se méfient des éléments irresponsables, surtout lorsque leurs tracts et leur matériel sont payés avec de l'argent venu de l'extérieur."
Il est vrai que l'argent en question est venu de "l'extérieur" comme le dit "l'Avant-garde". L'extérieur, ce sont les souscriptions faites rapidement par les ouvriers dans les autres usines et par des groupements ouvriers. Le montant des souscriptions qui, après dix jours, s'élevait à quelque 80 mille francs ainsi que les noms des souscripteurs et les comptes des dépenses qui ont été continuellement affichés à la porte, permettant à chaque ouvrier d'en prendre connaissance.
Les staliniens, eux, n'ont évidemment pas besoin de l'argent "extérieur", sauf celui touché à l'ambassade russe ainsi que les fonds secrets de leurs ministres dans le gouvernement français. À part cela, ils n'ont pas besoin de l'argent de l'extérieur car ils ont les centaines de millions escroqués, sous la forme de cotisations syndicales des ouvriers, à croquer et à dilapider.
La CFTC (syndicat chrétien), dans un tract paru le 28 avril, déclare : "Les syndicats de la métallurgie CFTC de Renault estiment que le minimum vital, réclamé depuis décembre I940 par la CFTC, n' ayant pas été retenu par le gouvernement qui n'a pu, en outre, améliorer les conditions de ravitaillement, ni obtenir une baisse notable du coût de la vie, décident de participer à l'action des Comités de grève des usines Renault pour faire aboutir leurs justes revendications."
Notons que cette participation est restée "chrétienne", c'est-à-dire immatérielle, dès l'instant que le MRP a pris la position d'appuyer le gouvernement contre les revendications des ouvriers.
La CGT : la section syndicale des usines Renault a pris naturellement la position la plus hostile à la grève. Dans un tract publié le mardi 29 avril on lit : "La section syndicale des usines Renault a déposé à la direction le cahier de revendications suivant : ... 5° augmentation DE LA PRIME DE PRODUCTION DE TROIS FRANCS DE L'HEURE pour tous.
Nous maintenons les propositions d'une demande de trois francs de l'heure pour tous de majoration sur la PRIME DE PRODUCTION."
Après avoir relaté ces tractations avec la direction qui faisait la contre-proposition d'une augmentation d'un franc quarante de prime à la production, la section syndicale déclare qu'elle "continue le combat avec calme et fermeté" et dénonce la grève et le comité de grève comme "des irresponsables", des éléments provocateurs qui tentent de diviser les ouvriers pour faire échouer la conclusion favorable des revendications.
24 heures après, la CGT fait un tournant en prenant à son tour la revendication de 10 Fr (prime à la production).
Les réunions qu'elle convoque pour inciter les ouvriers au calme et à rester au travail, avec grand renfort de Hénaff et de Costes qui se font copieusement siffler, tournent à son désavantage.
La CGT se conduit absolument comme une organisation de briseurs de grève et l'hostilité des ouvriers contre elle va en croissant. Elle ne reprendra l'ascendant sur les ouvriers qu'après son tournant et grâce aussi à l'incapacité du Comité de grève. Et nous assisterons à ce spectacle écœurant : des voitures de haut-parleurs de la CGT viendront jouer à tue-tête des "Madelon" et "Internationale" à côté des assemblées de grévistes, à seule fin de faire de l'obstruction et empêcher les ouvriers de discuter de la marche de la grève.
Il est assez intéressant de constater que, parmi toutes les tendances qui se sont manifestées à l'occasion de la grève de chez Renault, la CNT, cette centrale syndicale anarchiste, a brillé par son absence. Nous ne doutons pas que les militants de la CNT devaient être de cœur avec la grève, mais comment expliquer l'absence de leur organisation ?
N'avons-nous pas eu raison d'écrire lors de la constitution de la CNT : "Désormais une organisation syndicale ne peut exister qu'à la condition d'être une organisation de l'État capitaliste ou sinon elle ne peut être qu'une petite secte sans influence. L'existence des véritables organisations syndicales, groupant des masses et défendant les intérêts des ouvriers, est, dans la période présente du capitalisme décadent, un leurre, une illusion dangereuse."
La présence de la CGT, de la CFTC et l'absence de la CNT dans la grève de Renault viennent singulièrement démontrer et renforcer notre jugement sur les syndicats en général.
Toute organisation politique a son opposition : la monarchie anglaise a l'opposition à Sa Majesté, le parti travailliste ; Truman a son Wallace ; la SFIO a sa gauche de Pivert et la CGT sa minorité syndicale. Dans la grève de Renault, la minorité syndicale, qui s'est solidarisée avec la grève, s'est manifestée par un court "appel" d'où nous tirons le passage suivant : "Nous recommandons à tous les travailleurs de ne pas quitter l'organisation syndicale mais d'exiger, dès maintenant, un contrôle permanent de tous les responsables."
Toute la Minorité est dans ce passage. Voyez-vous, le 3ème jour de la grève, alors que la CGT calomnie et s'emploie de toutes ses forces à briser la grève, alors que les ouvriers dégoûtés tentent de se libérer de cette caserne de l'État bourgeois, le souci essentiel de la "Minorité" syndicale est de ramener le troupeau. "Pourvu que les ouvriers ne quittent pas la CGT."
Quelles que soient, par ailleurs, les critiques que la "Minorité syndicale" adresse à sa "majesté" la CGT, quelles que soient ses intentions de défendre les intérêts des ouvriers, il n'en reste pas moins que la fonction essentielle de la "Minorité" est de maintenir les liens qui enchaînent les ouvriers, en les maintenant dans le cadre de l'organisation syndicale.
C'est gratuitement que les staliniens accusèrent les anarchistes de faire partie de ces "éléments louches et provocateurs" de la grève, car les anarchistes, en tant qu'organisation, n'étaient pas là et gardaient plutôt une attitude réservée.
Pas un tract, pas un appel n'ont été distribués concernant la grève, et le "Libertaire" du 1er mai -6ème jour de la grève- n'a pas trouvé de place, dans ses 4 pages hebdomadaires, pour un article sur la grève, hormis une petite manchette. C'est assez curieux pour une organisation qui est plutôt activiste et remuante, qui vient commémorer avec bruit l'anniversaire de la "République espagnole", qui s'est immédiatement émue et engagée à fond dans la lutte contre le "danger De Gaulle". Comment comprendre cette attitude pleine de réserve des anarchistes qui, par ailleurs, ont célébré avec pompe le 1er mai, par un meeting et un cortège indépendant dans les rues de Paris ?
Le PCI et le groupe qui publient "Lutte de classe", tous deux trotskistes, ont occupé, par leurs militants et leur activité, une place de premier plan dans la grève de Renault. Malheureusement et peut-être naturellement, il ne semble pas qu'ils aient compris l'importance et la portée de cette grève. D'ailleurs, leur programme de revendication le leur interdisait.
Toute leur action est basée sur la revendication uniquement économique : augmentation de 10 Frs.
Dans le premier tract signé par le Comité de grève, ils formulent en ces termes leur objectif :
"Ce que nous voulons ? Un salaire minimum vital, c'est à dire pour nous limiter au chiffre de la CGT de 7000 Frs par mois, 10 Frs d'augmentation sur le taux de base."
Cette revendication économique de 10 Frs s'avère rapidement insuffisante pour élargir le mouvement à toute la classe ouvrière. Aussi les trotskistes renforcent par cette autre revendication ce qui est, comme on le sait, leur cheval de bataille (un cheval un peu boiteux) : l'échelle mobile.
La revendication de 10 Frs, écrivent-ils, "doit mettre fin une fois pour toutes à cet état de choses. Car l'augmentation que nous réclamons doit être garantie par son adaptation constante aux indices des prix, en fonction de ce qu'il nous faut acheter pour vivre sans mettre en danger notre santé. Nous voulons l'échelle mobile des salaires."
On ne saurait mieux dire, pour démontrer le caractère profondément réformiste de cette revendication trotskiste de l'échelle mobile qui, avec les 10 Frs de plus, doit mettre fin, une fois pour toutes, à cet état de choses.
Les ouvriers, moins naïfs, ne croient pas trop à ce miracle. Les trotskistes ont surement tort d'insister que "cette revendication, la CGT elle-même l'avait mise en avant au mois de décembre 1946". L'autorité de la CGT en matière de mettre fin "une fois pour toutes" à la misère des ouvriers est bien douteuse et d'un fort mauvais goût. En plus, les trotskistes dénonçaient, à l'occasion de la grève, ce qu'ils appellent les "mauvaises" nationalisations (les usines Renault sont des usines nationalisées). À les entendre, la situation des ouvriers aurait été meilleure si on les avait écoutés et si on avait procédé à de "vraies" nationalisations sans indemnités ni rachat, sous le contrôle des syndicats. Les bagnes staliniens en Russie "sans indemnités ni rachat" ont-ils tellement amélioré la situation des ouvriers pour en faire un objectif de lutte pour les ouvriers français ?
Un autre souci, capital pour les trotskistes, est d'éviter que les ouvriers dégoûtés ne quittent la CGT. Dans un article de l'édition spéciale de la "Vérité" sur la grève de Renault, on met ingénieusement dans la bouche d'un ouvrier la phrase suivante : "... on est contre toute espèce de scission dans la CGT. La CGT est à nous, nous ne la quitterons pas, mais nous obligerons les bonzes à défendre nos revendications".
Rien de moins que cela ; et la reprise par la CGT de la revendication de 10 Frs de la grève doit évidemment être comprise comme une victoire du trotskisme obligeant "les bonzes à défendre les revendications" des ouvriers.
C'est bien ainsi que s'exprime, dans le même numéro de la "Vérité", le délégué du "Front Ouvrier" pour qui la grève de Renault est qualifiée de : "Premier pas vers un minimum vital, premier pas vers une vraie CGT".
Il ne serait pas gentil de passer complètement sous silence, dans cette liste, les petits groupes comme le RKD et la FFGC, malgré leur totale absence. Certes, leur absence est passée inaperçue pour la masse des ouvriers en grève mais, pour les militants, elle est d'autant moins explicable que ces groupes se targuaient de ne pas être des "cercles de théoriciens" (comme nous) mais des activistes "agissant dans la masse".
Le RKD dans la grève des postiers et la FFGC dans celle de la presse voyaient et proclamaient le début d'une vague montante de luttes offensives du prolétariat. Ils n'avaient que du mépris pour notre critique objective de ces mouvements. Ils nous reprochaient notre "pessimisme".
Aujourd'hui nous devons constater, sans joie, la vérification par trop rapide de ce que nous disions alors à ce propos : "En prenant leur désir pour la réalité, ces groupes s'épuisent dans une agitation stérile et un activisme à contre-sens. Pour ces mêmes raisons, demain, quand surgiront des mouvements réels de classe, ces groupes ne les verront pas et resteront absents." En sommes-nous déjà là ?
On lira plus loin les positions défendues par nous dans la grève et dans le Comité. Par des souscriptions, des tracts et par la parole dans les assemblées de grévistes, notre groupe, dans la mesure de ses faibles forces, a participé étroitement à cette grève. Nous considérons que cette grève marque un moment de la lutte du prolétariat dans un cours général réactionnaire et de recul ouvrier.
J. MARCOU
Il faut sérier les questions le plus possible, avec un sens des responsabilités qui nous incombe.
I/ Éviter la confusion que représente le débat. Pas de mots ronflants. Pas de phrases à courte vue. Pas d'enchaînement du mouvement dans des tractations épuisantes avec les dirigeants syndicaux.
Les 11,000 ouvriers, qui ont voté la grève hier, ont exprimé, bien que confusément, leur volonté de soutenir le comité de grève. Confusément parce que c'est à nous de leur expliquer, nettement et sans avoir peur des mots, que la bataille s'est faite hier entre la CGT voulant la reprise du travail et la majorité des ouvriers, Comité de grève en tête, voulant la grève. Si nous ne nous rendons pas compte de la signification du vote d'hier, si nous poussons les ouvriers à s'enliser dans la procédure de nouvelles élections de délégués comme le propose une partie du Comité, la vapeur sera renversée par les staliniens qui cloisonneront de nouveau l'usine, montrant par-là, bien que nous soyons majoritaires, notre incapacité impardonnable. Les staliniens tendent à isoler l'usine par départements et, alors, ils feront peut-être voter, après plusieurs jours de discussions stériles, de perte de temps et de procédure qui seront funestes. Ils parviendront, comme dans la grève des postiers à reprendre les postes de direction et à étrangler le mouvement.
Il ne faut pas oublier que, de samedi à lundi, la CGT et les staliniens vont faire un battage énorme par des discours, par leurs journaux, lus même par ceux qui ont voté la grève, et surtout par la réunion de la Chambre où le groupe stalinien va déployer une démagogie redoublée à la suite du vote d'hier.
Attention dans notre lutte, attention dans nos buts, ne devenons pas les esclaves d'un cadre étroit qui pourrait étouffer la lutta des ouvriers. Voyons juste et ne faisons pas les vierges affolées, à piétiner sur place car nous ne sommes rien qu'un organisme parasitaire en plus.
Les ouvriers, confusément peut-être, ont voté pour nous. Nous exprimons réellement le mécontentement général des ouvriers de chez Renault et des ouvriers des autres usines qui sont venus nous témoigner leur solidarité. Contrairement à la grève des postiers et de la presse qui n'avaient soulevé aucun élan dans la population, notre grève, elle, rencontre la sympathie de toute la population travailleuse qui nous comprend, parce qu'elle est apte à nous comprendre avec 1a baisse du ravitaillement. Et ce point est aussi important, sinon plus, que toutes les revendications corporatives et d'usines. Ne l'oublions pas ou nous allons à la défaite certaine.
II/ Deux points à traiter immédiatement comme tâche urgente et de première importance :
a) L'organisation de la grève : plus de cohérence, plus de fermeté, plus de clarté. Cette tâche nous incombe car c'est nous qui voyons clair et devons, non nous maintenir dans la confusion de la situation, mais éclairer les ouvriers par des réunions multiples où nous viendrons plus avec un programme de lutte et de défense qu'avec des mots d'ordre hurlés, non dirigés et non compris par les ouvriers. Il faut éviter les phrases où l'on essaie de faire patte de velours aux staliniens et à la CGT. Ils nous attaquent, ils nous insultent, à nous de riposter. Pas moyen de composer avec les dirigeants staliniens et la CGT qui se sont déclarés les pires ennemis de la grève. Si nous ne comprenons pas cela, alors autant démissionner de suite plutôt que de leur chercher des excuses à notre existence" qu'ils considéreront toujours, avec leur mauvaise foi habituelle, comme une division.
Les diviseurs, ce sont eux ; les provocateurs, ce sont eux ; ceux qui font le jeu de la réaction, ce sont encore eux. Nous le savons. Pourquoi ne pas le dire aux ouvriers nettement et sans ambages ? Nous n'avons rien à cacher aux ouvriers. Que ceux qui ont à cacher quelque chose le disent et s'en aillent.
b) Et maintenant, voilà ce que je propose :
Il n'y a pas de forteresses impénétrables ; le secteur Collas peut retomber sous l'influence de la. CGT et des staliniens. Il faut nous étendre dans toute l'usine.
A- Dans le secteur Collas, constituons un corps de 50 ou 100 ouvriers. Allons, de suite, dans tous les secteurs, parler et constituer des corps dans chaque secteur. Pourquoi ces corps ? Pour nous défendre contre la brutalité des briseurs de grève, pour permettre à chaque ouvrier de s'exprimer librement, pour ou contre. Il n'y a pas de monopole de la parole et il faut s'insurger contre cela. Ces corps doivent empêcher le cloisonnement de l'usine. Nous sommes sortis hier vainqueurs malgré le cloisonnement. Mais attention que le cloisonnement ne nous étouffe. Les briseurs de grève essayeront de l'appliquer. Il faut les en empêcher ou alors nous ne pourrons rien et nous n'aurons aucune raison d'exister.
Dans chaque secteur, créons des permanences par un système d'estafettes ; relions-les entre elles et nous, pour répondre, dans le calme, à toute demande de renfort et de discussion.
B- Activons les réunions de discussion et d'éclaircissement dans chaque secteur. Tout le monde a droit à la parole, même ceux qui ne sont pas d'accord avec la grève, démocratie dont nous devons donner l'exemple.
C- Ne pas créer un blocus autour de Renault. Que les rapports entre Renault et les usines extérieures se fassent librement. Il n'y a pas la grève propre à Renault. C'est une fumisterie ou un aveuglement. Pour cela les piquets de grève doivent être renforcés afin de faciliter l'accès de tout ouvrier venant du dehors et désirant se renseigner et prendre contact avec les grévistes. On crie au danger d'infiltration de provocateurs. C'est une fumisterie stalinienne. En réalité, les provocateurs individuels ont toujours la possibilité de pénétrer et de se cacher parce qu'ils ont, pour s'introduire, la direction, la CGT, les policiers de Renault avec eux. Nous ne devons pas nous aveugler et nous couper plus ou moins des ouvriers des autres usines. Au contraire, nous devons les inviter à venir nous rendre visite.
D- Envoyons des délégations massives d'ouvriers grévistes dans le plus grand nombre possible d'usines de la région parisienne pour les inviter à se solidariser.
Mot d'ordre : pour la réussite de la grève, GÉNÉRALISATION DE LA GRÈVE
But : meilleur ravitaillement, maintien de l'ancienne ration de pain, 10 Frs de plus de l'heure, et ceci donnant donnant, sans discussion. Sans ravitaillement et sans les 10 Frs de l'heure en plus, pas de travail. Nous n'avons pas à chercher à être entendus par Lefaucheux qui connaît très bien la raison du mouvement et ce que nous revendiquons. Ou il cède, c'est-à-dire que le gouvernement cède, et nous le saurons sans avoir besoin de nous réunir en chambre avec lui -qu'il vienne le dire aux ouvriers- ou il ne cède pas et toute discussion est inutile. Ce ne sont pas des postes de dirigeants que nous briguons mais ceux de défenseurs intransigeants.
Liberté totale, pour les journaux et les tracts, d'être vendus et distribués ; et ceci, à la seule condition que cette liberté s'étende à tous, à toutes les tendances.
Aux portes principales, les grévistes, constitués en corps, doivent défendre les vendeurs contre les agressions de ceux qui emploient la force physique pour faire taire leurs adversaires. Il n'y a pas de grève propre et n'intéressant que les ouvriers de Renault. La crise gouvernementale en est un brillant exemple.
Enfin, le but à atteindre : il faut que la population travailleuse se rende compte que nous exprimons son mécontentement et pas seulement les revendications propres de nos usines. Chaque ouvrier travaille et fait la queue pour le ravitaillement.
Notre action sera centrée sur :
a) un meilleur ravitaillement (pain, viande, vin, sucre) ;
b) 10.Frs de l'heure pour tous les ouvriers, indépendamment de leur profession et du rendement du travail ;
c) pas de reprise du travail sans la satisfaction complète des 2 revendications.
La sympathie de la population peut, seule, nous tirer de l'isolement et du piétinement. Elle doit être intéressée par notre lutte et nous aider car c'est sa propre lutte. Il n'y a pas d'ouvrier qui travaille séparé de l'ouvrier qui mange.
Sans meilleur ravitaillement, les 10 Frs iront engraisser le marché noir ; avec un meilleur ravitaillement, les 10.Frs diminueront la famine des ouvriers.
Si on ne comprend pas cela, on s'enlise jusqu'au cou, on s'étouffe soi-même, on s'isole. Et alors, si nous ne savons pas puiser, dans la lutte, les meilleurs atouts, les forces les plus sures, autant reprendre le travail plutôt que d'essuyer une défaite dans la confusion, créée et alimentée par la CGT. Je propose une solution qui, si elle était votée, doit être imprimée au nom du Comité de grève et distribuée aussitôt aux ouvriers.
Résolutions
Par 11000 voix contre 8.000, les ouvriers de chez Renault ont repoussé pour la troisième fois la manœuvre subtile de la CGT, visant à interrompre la grève et à réintégrer le travail aux anciennes conditions à peine modifiées.
Pour la troisième fois, en votant en masse pour la continuation de la grève, les ouvriers ont signifié qu'ils entendent lutter jusqu'au bout pour la défense de leurs intérêts, sans céder aux chantages de quelques côtés qu'ils viennent.
Pour la troisième fois, les ouvriers ont manifesté leur ferme volonté de ne pas servir de champ de manœuvre aux politiciens corrompus qui se disent de gauche ou de droite et qui tentent d'exploiter la lutte des ouvriers pour leurs combines parlementaires et intrigues gouvernementales.
Les ouvriers ne sont pas dupes de ces maîtres-chanteurs, ni de leurs flatteries intéressées, ni de leurs menaces. Une certaine presse, qui manifestait au début sa "sympathie" à notre égard parce qu'elle y voyait un bon tour à jouer aux bureaucrates et parlementaires de la CGT et du PCF, déchante aujourd'hui. Devant notre ferme décision de faire triompher nos revendications, elle découvre que les revendications des ouvriers mettent en péril l'équilibre du Franc et s'oppose avec acharnement et haine à notre mouvement de lutte.
La CGT et le PCF, de leur côté, n'ont cessé de combattre la grève. Pour briser notre lutte, ces prétendus défenseurs des ouvriers ont recouru à leurs odieuses calomnies classiques qui leur ont déjà servi contre la grève des postiers, des rotativistes et des ouvriers de la Presse. Ils ont essayé d'intimider les ouvriers en exhibant l'épouvantail de la réaction. Ils ont jeté les plus infâmes suspicions et insultes contre les grévistes qu'ils présentaient comme des provocateurs. Ils ne se sont point gênés pour recourir à la force physique.
Par votre vote massif, vous avez fait justice de ces manœuvres indignes. La CGT voulait une épreuve de force, elle l'a eue. Par 11000 voix, vous avez repoussé cette proposition de capitulation, de reprise du travail sur la base de 3 francs d'augmentation de prime au rendement. Votre vote, c'est une déclaration de méfiance aux politiciens de la CGT ; c'est un vote de confiance à votre Comité de grève. La CGT ne représente plus les ouvriers de chez Renault, elle n'a désormais plus aucune autorité pour parler ou pour traiter en leur nom.
QU'ELLE S'EN AILLE. LA LUTTE DES OUVRIERS APPARTIENT AUX OUVRIERS EUX-MÊMES.
En reprenant à son compte notre revendication d'augmentation de 10 Frs, tout en poussant les ouvriers à reprendre le travail sur la base d'une augmentation de 3 Frs au rendement, la CGT a nettement prouvé que ce ne fut là qu'une vulgaire manœuvre destinée à torpiller notre magnifique grève, tout en cherchant, par ailleurs, à s'en servir pour des intrigues politiques propres à ses ministres auprès de leurs compères au gouvernement.
Après 8 jours de grève, notre mouvement ne fait que se renforcer. Il est fort de la combativité de chaque ouvrier. Il est fort de la sympathie générale qu'a rencontrée la grève auprès de centaines de milliers d'ouvriers de la région parisienne qui le manifestent par les adresses et collectes qu'ils nous font parvenir. Notre mouvement est fort parce qu'il a, derrière lui, toute la population travailleuse qui se révolte contre les conditions de famine que le gouvernement entend imposer aux ouvriers. Il est fort par le désarroi qu'il a jeté parmi nos dirigeants et gouvernants.
Mais attention ! La CGT ne se tiendra pas pour battue ; elle n'acceptera pas le verdict du vote démocratique qui l'a démasquée et rejetée. La plus grande vigilance de tous les ouvriers est nécessaire, car elle multipliera les manœuvres et les provocations pour reprendre la grève en main et la briser.
Pour faire triompher rapidement notre lutte, organisons-nous et précisons clairement notre but.
Défense de la grève par tous les ouvriers unis et décidés autour du Comité de grève.
Toutes les décisions seront prises par les ouvriers eux-mêmes, réunis le plus souvent possible en assemblée générale.
Chaque ouvrier gréviste est un défenseur actif de la lutte commune contre la famine.
Notre grève doit faire appel à la solidarité effective de tous les ouvriers de la région parisienne, parce qu'elle exprime non un mécontentement particulier à Renault mais un mécontentement général de la population travailleuse.
La grève ne peut réussir qu'en se généralisant. Prenons contact directement avec nos camarades des autres usines et invitons-les à débrayer.
Le Comité de grève, fort de l'appui de la majorité des ouvriers en grève, conscient que cette grève est le point de départ de la lutte générale de toute classe ouvrière contre les conditions de famine, décide :
1- l'envoi immédiat de délégations massives de grévistes aux grandes usines pour expliquer à leurs frères de classe le sens, les buts de la grève et pour les inviter à se joindre à eux en débrayant ;
2- d'adresser un appel de solidarité à toute la population laborieuse pour qu'elle nous soutienne moralement et financièrement ;
3- que le travail ne reprendra qu'après obtention effective et complète des revendications suivantes :
VIVE LA LUTTE GÉNÉRALISÉE CONTRE LA MISÈRE ET LA FAMINE !
1944-45 | Zone anglaise | Zone américaine | Zone française | Zone russe (1) | |
Pain | 9,700 | déc. 10,000 | déc. 9,700 | déc. 5,600 | août 8,400 |
viande | 1,000 | (") 500 | (") 1,000 | (") 500 | (") 420 |
sucre | 800 | (") 750 | (") 500 | nov. 420 | (") 420 |
matière grasse | 875 | oct. 280 | (") 300 | déc. 300 | (") 195 |
CAMARADES,
Depuis vendredi 25, des ouvriers du département 6, secteur Collas, ont déclenché la grève pour une augmentation horaire de 10 Frs. Le mouvement s'est développé et, mardi 29, il englobe la presque totalité des usines Renault.
Depuis les mesures gouvernementales sur le ravitaillement, la situation est la suivante : diminution de la ration de pain, pas de viande, moins de matières grasses. On est au même point qu'aux jours les plus sombres de l'Occupation. La vie reste aussi chère malgré la baisse fictive de 10 %. Il faut toujours compléter le marché officiel par le marché noir.
LE MÉCONTENTEMENT EST GÉNÉRAL DANS TOUTE LA CLASSE OUVRIÈRE.
Les ouvriers de chez Renault, eux, ne veulent pas travailler sans manger.
La CGT est en émoi. La grève s'est développée contre sa volonté. La CGT est l'organisme du gouvernement. Ses chefs sont aussi les chefs de l'État. Croizat, secrétaire de la Fédération des métaux, briseur de grève, est ministre du TRAVAIL. Ils dressent tous, comme toujours devant la poussée ouvrière, l'épouvantail de la "RÉACTION". La "réaction" ne vient que parce que les capitulards sont là. Et les capitulards et la "réaction" forment ensemble un tout anti-ouvrier, où De Gaulle, Schumann, Herriot, Blum, Thorez et Jouhaux lanceront demain les flics et les mobiles contre nous. La CFTC cherche à exploiter cette grève pour ses combines politiques. CGT et CFTC sont compères et complices au gouvernement et au conseil national économique, sur le modèle des Corporations fascistes.
La CGT, débordée, va faire tous les compromis et tiraillements pour servir le gouvernement et tenter de conserver son influence. La clique de la CGT a les moyens et le personnel nécessaire pour berner les ouvriers.
À toutes ces manœuvres de la bourgeoisie et de ses laquais (compromis et arbitrages), comme les manœuvres des grèves précédentes l'ont prouvé, il est insuffisant d'opposer simplement les 10 Frs de l'heure du Comité de grève.
Le gouvernement, dirigeant la vie économique, interdit toute augmentation de salaire. La direction de Renault se retranche derrière cela. C'EST L'ÉTAT QUE LES OUVRIERS ONT DEVANT EUX. Mais l'État a à faire face, dans le chaos du monde capitaliste actuel, à des besoins grandissants : les frais de la guerre 39-45, la préparation de la prochaine, le massacre aux colonies, CE SONT LES OUVRIERS QUI DOIVENT TOUT PAYER en travaillant beaucoup, pour pas cher, en mangeant peu, ET GARE A EUX SI LEUR VENTRE CRIE FAMINE !
La revendication de 10 Frs est plus que justifiée, mais le pain sera encore plus cher demain au marché noir. Face à l'État, les ouvriers de chez Renault sont isolés. Pour assurer la victoire, un seul moyen : ÉLARGIR la grève.
Les ouvriers de chez Renault, qui ont pris l'initiative de la grève, doivent ENVOYER IMMÉDIATEMENT DES DÉLÉGATIONS DE 25 À 50 OUVRIERS DANS TOUTES LES GRANDES USINES DE LA RÉGION PARISIENNE POUR LES APPELER À LA LUTTE.
Action directe, dirigée par les ouvriers eux-mêmes, libérés de tous les organismes de collaboration de classe : partis, syndicats, commissions gouvernementales.
ÉLARGISSEMENT DE LA GRÈVE AXÉE SUR CETTE REVENDICATION CENTRALE : CONTRE TOUTE DIMINUTION DU RAVITAILLEMENT ET POUR SON AMÉLIORATION. Seule revendication susceptible de mobiliser tous les ouvriers.
Contre le blocage des salaires et pour leur augmentation réelle.
VIVE LA GRÈVE DES OUVRIERS DE CHEZ RENAULT ! VIVE LA LUTTE DU PROLÉTARIAT CONTRE L'EXPLOITATION DE LA BOURGEOISIE ET DE SON ÉTAT !
Gauche Communiste de France
PREMIERS ENSEIGNEMENTS DES PREMIERS JOURS DE GRÈVE
Le mercredi 30 avril à 9 heures du matin, une réunion des grévistes s'est tenue au carrefour Émile Zola et la volonté de continuer la grève, en l'étendant et la généralisant dans la région parisienne, a été exprimée par différents orateurs et acclamée par l'ensemble des grévistes. Le point sur lequel, confusément, les ouvriers se sont sentis soudés était surtout celui du RAVITAILLEMENT qui faisait d'eux les porte-paroles et les premiers défenseurs du mécontentent de la population, contre une SITUATION DE FAMINE comparable à celle de l'Occupation.
La revendication de 10 Frs n'était plus un simple rajustement de salaire des ouvriers de Renault, mais la lutte obscure et certaine de TOUS LES TRAVAILLEURS contre la faim GRANDISSANTE.
Dans l'après-midi, par une démonstration de force qui ressemblait fort à une opération de police, la CGT et le PCF ont essayé D'INTIMIDER LES GRÉVISTES soit par la persuasion DÉMAGOGIQUE et JÉSUITIQUE, soit par des TROUPES DE CHOC entraînées à ÉLIMINER TOUTE VOIX QUI N'ÉTAIT PAS STALINIENNE. Les dirigeants syndicaux et le PCF ont parlé de provocation, de division, d'unité, de réaction. Autant de faux dieux et de faux diables pour défendre une cause mauvaise.
PROVOCATION, de qui ? 10,000 puis 20,000 ouvriers, qui touchent des salaires et un ravitaillement bien bas, peuvent-ils être des provocateurs ? L'individu arrêté avec un revolver peut-il transformer ces 20,000 ouvriers en provocateurs ? LE RAVITAILLEMENT ET LES SALAIRES SONT-ILS ÉLEVÉS POUR NE PAS ÊTRE LA CAUSE DIRECTE DE LA GRÈVE DES OUVRIERS DE RENAULT ?
DIVISION de quoi ? Parce que les ouvriers ont faim, et que les premiers OSENT le dire et lutter, qu'on peut les traiter de diviseurs ? Ce qu'ils ont ressenti, la classe ouvrière en général le ressent. S'il y a des diviseurs, ce ne peut être que CEUX QUI PACTISENT OU PARTICIPENT AU GOUVERNEMENT, malgré les ronflantes manifestations oratoires d'opposition. Diviseurs sont ceux qui participent aux débats de politique bourgeoise, de guerre et de rapine, avec un vote de confiance ou d'abstention -comme si on peut s'abstenir pour décider de la mort de milliers d'hommes- car autant de canons en Indochine, autant de pain en moins.
UNITÉ sur quoi ? Sur un mot vidé de son contenu de classe. Unité autour d'un parti et d'une organisation syndicale qui sont devenus membres de l'État qui dirige la famine. Au nom de quelle unité se fait l'unité ? Pas celle du gouvernement, car il faudra s'épuiser de travail, serrer plusieurs crans et envoyer plus de canons en Indochine et à Madagascar.
L'unité ne peut se faire que sur un programme de lutte directe, sans compromis et sans délibération avec le gouvernement. Dans le PCF et la CGT, l'unité se transforme en comité de la faim. Hors de ces organismes traitres, l'unité, même en subissant une défaite dans les premières luttes, trouve le ciment pour se renforcer dans la haine contre l'État capitaliste, le cuisinier de la faim.
De qui se moque-t-on ? Ces mots n'existent que pour cacher l'opposition, dans le gouvernement, entre ceux qui penchent vers l'impérialisme EU (la SFIO) et ceux qui penchent vers l'impérialisme russe (le PCF).
Il ne faut pas avoir peur des mots et continuer à se duper ou à se laisser duper. Ceux qui s'opposent aux luttes et aux revendications des ouvriers, luttant contre la famine, ce sont eux les provocateurs, les diviseurs, les réactionnaires.
Cette vérité est dure mais juste, et ce qui s'est passé ces jours-ci chez Renault prouve, encore une fois, le rôle de POIGNARDEUR DE LA LUTTE DE CLASSE QUE CES PARTIS (SFIO, PCF, CGT) JOUENT DANS LA CLASSE OUVRIÈRE, car un gouvernement tel que le nôtre exprime les intérêts de la France capitaliste et ne peut être composé que de partis ou organismes exprimant forcément et uniquement les intérêts capitalistes.
Et maintenant, posons-nous la question de savoir ce qui a permis à ces partis traîtres de la classe ouvrière de semer le désarroi dans les rangs des grévistes et d'arrêter provisoirement la généralisation qui devait se faire.
Le Comité de grève a sa part de responsabilité. N'ayant pas compris le sens réel de la lutte des ouvriers de Renault, il s'est confiné dans sa revendication première de 10 Frs de plus, sans s'apercevoir que cette revendication était dépassée et s'était transformée confusément en une revendication pour un meilleur ravitaillement, intéressant par là toute la population.
Les PCF et CGT, eux, l'ont compris et, pour reprendre de l'influence sur les ouvriers en grève, ils ont repris à leur compte les revendications du Comité de grève. CES REVENDICATIONS, COMME TANT D'AUTRES, IRONT SE PERDRE DANS LES COMMISSIONS, SOUS-COMMISSIONS ET PALABRES GOUVERNEMENTALES.
Ce que les ouvriers doivent comprendre, c'est :
PAS DE RAVITAILLEMENT, PAS DE TRAVAIL ; et ceci, sans discussion avec le gouvernement. DONNANT, DONNANT.
AUGMENTATION DE 10 FRS DE L'HEURE IMMÉDIATEMENT, sinon PAS DE REPRISE DU TRAVAIL ; autant d'hommes morts et de canons en Indochine en moins.
DÉMOCRATIE DANS LES RANGS OUVRIERS ; opposer la force organisée à ceux qui veulent employer la force pour abattre et insulter les grévistes.
LE PREMIER MAI N'EST PAS CELUI DU DÉFILÉ DE JEUDI, GOUVERNEMENT EN TÊTE POUR MANIFESTER CONTRE LE GOUVERNEMENT, MAIS LES JOURNÉES DE GRÈVE DES OUVRIERS DE RENAULT CONTRE LA FAMINE QUI S'INSTALLE A DEMEURE CHEZ NOUS, CONTRE LES PARTIS QUI INSULTENT ET CALOMNIENT LA FAIM DES OUVRIERS.
La Gauche Communiste de France
CAMARADES,
La CGT vient d'accomplir un de ses tournants brusques à 180°.
Au début de la grève et pendant 8 jours, la CGT a tout fait pour briser notre mouvement. Elle a insulté, elle a calomnié, elle a accusé les ouvriers en grève de faire le jeu de la réaction, et d'être même des provocateurs.
Cette même CGT, qui a déversé des monceaux d'ordures contre les grévistes, se prétend aujourd'hui être le défenseur des grévistes. ALLONS DONC...!
Hier, nous étions des agents de la réaction, aujourd'hui, nous sommes des "braves" qui luttent pour de justes revendications. Hier, on nous accusait d'être financés par "l'extérieur", aujourd'hui, la CGT octroie généreusement un million de francs pour "le secours de solidarité".
COMMENT CELA ? QUE S'EST-IL PASSÉ ?
Il s'est passé ceci : que les ouvriers de chez Renault étaient décidés à la lutte. Par trois fois, ils ont repoussé les manœuvres des politiciens de la CGT qui les exhortaient à reprendre le travail. Par trois fois et dans un vote massif, ils ont repoussé l'aumône de la CGT de 3 Frs de prime à la production.
Il s'est passé ceci : notre grève a trouvé une chaude sympathie dans toute la classe ouvrière, parce que notre lutte exprimait le mécontentement de tous les ouvriers contre les récentes mesures iniques de famine prises par le gouvernement solidaire, RÉDUISANT LE RAVITAILLEMENT DES OUVRIERS AU NIVEAU DES PLUS SOMBRES JOURS DE L'OCCUPATION.
Mais surtout, il s'est passé encore ceci : depuis la conférence de Moscou, pour des raisons de politique impérialiste internationale, les staliniens se sont vus forcés de passer momentanément dans une opposition parlementaire.
Pour les staliniens et leur succursale la CGT, CE SONT TOUJOURS DES RAISONS GOUVERNEMENTALES ET LES INTÉRÊTS POLITIQUES DE LEUR PARTI QUI DICTENT LEUR ATTITUDE. LES GRÈVES ET LES LUTTES OUVRIÈRES NE SONT, POUR EUX, QUE MONNAIE D'ÉCHANGE, DES MOYENS DE CHANTAGE ET DE PRESSION POUR LEUR INTÉRÊT PROPRE.
Hier ministres, ils étaient les plus acharnés briseurs de grève.
Aujourd'hui dans l'opposition, ils tentent de s'emparer de la lutte ouvrière pour s'en servir à leurs propres fins.
La CGT est une ORGANISATION POLITIQUE ANTI-OUVRIÈRE. Sous sa direction veule et hypocrite, les grèves ne pourront jamais servir à la classe ouvrière. Laisser la CGT s'emparer de la grève, c'est déjà le signe que la grève sera déformée et défaite. LES OUVRIERS NE PEUVENT SE DÉFENDRE QUE PAR EUX-MÊMES.
Une grande responsabilité de la situation présente de désarroi de la grève pèse incontestablement sur le Comité de grève. Il s'est avéré autant incapable organiser les forces de défense de la grève à l'intérieur de l'usine que d'assurer son élargissement et son orientation.
Débordé, le Comité de grève s'est constamment traîné à la remorque des manœuvres de la CGT. Hésitant et craintif, le Comité de grève ne savait ni ce qu'il voulait, ni où il allait. IL N'Y AVAIT QU'UNE ORIENTATION SUSCEPTIBLE D'ASSURER LE TRIOMPHE DE NOTRE LUTTE, C'ÉTAIT :
LE DÉPASSEMENT DU PLAN ÉTROIT DE L'USINE ET DE LA CORPORATION POUR CELUI GÉNÉRAL DE LA CLASSE OUVRIÈRE.
Dès le premier jour de grève, et dans notre tract du mercredi 30 avril, notre groupe de la Gauche Communiste, par la voix de notre camarade au Comité de grève, a formulé, dans ses interventions, le programme de lutte suivant :
1) AUGMENTATION SENSIBLE DU RAVITAILLEMENT en pain, viande, vin, sucre ;
RETRAIT IMMÉDIAT des dernières restrictions de famine du gouvernement.
2) AUGMENTATION IMMÉDIATE pour tous les ouvriers, indépendamment de la PROFESSION et du RENDEMENT, de 10 Frs par heure du salaire de base.
3) PAIEMENT INTÉGRAL des journées de grève.
Nous précisions : "Sans meilleur ravitaillement, les 10 Frs iront engraisser le marché noir ; avec un meilleur ravitaillement, les 10 Frs diminueront la famine des ouvriers."
Ce programme, seul, offrait un terrain de lutte intéressant tous les ouvriers. Sur cette base, seule, une action ardente par l'envoi de délégations massives de chez Renault à toutes les usines, et ceci dès les premiers jours de grève, par des appels à toute la population travailleuse, on pouvait et on devait entraîner tous les ouvriers dans une lutte généralisée. UNE TELLE LUTTE, SEULE, POUVAIT FAIRE RECULER LE PATRONAT ET L'ÉTAT.
Le Comité de grève a repoussé systématiquement nos propositions. Ce programme lui semblait par trop audacieux. Il a préféré se confiner à la revendication étroite de 10 Frs sur le terrain de l'usine. L'unique appel, qu'il a lancé à l'extérieur, ne parle que de l'échelle mobile, cette panacée réformiste inefficace, qui consacre à jamais les conditions de famine présentes.
Avec un programme de revendications étriqué, à la mesure exacte de leur courte vue, les dirigeants du Comité de grève n'étaient pas à la hauteur de leur tâche, ne savaient pas aller de l'avant ; et ils ont ainsi perdu 10 jours précieux à piétiner lamentablement sur place. Si le Comité de grève continue sa politique étriquée et impuissante, la grève se perdra immanquablement dans la confusion.
La critique, que nous élevons ici, n'est pas faite par vain goût de dénigrement. La grève de Renault portait en elle de grandes espérances. Les yeux de tous les ouvriers étaient fixés sur elle. Aujourd'hui où elle est sur le point d'être dévoyée, torpillée par la CGT, il est du devoir de chaque ouvrier, d'une part, de reconnaître ceux qui essayent de les dérouter et, d'autre part, de comprendre les faiblesses, les erreurs, tant organisationnelles que dans l'orientation de la lutte, qui ont permis la situation d'impasse dans laquelle se trouve la grève.
Gauche Communiste de France
5 mai 1947
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