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A Rosarno, petite ville de 15 000 âmes située en Calabre dans le sud de l’Italie, de violents affrontements ont éclaté, début janvier, entre travailleurs immigrés et locaux.
Le 7 janvier, en pleine rue, des jeunes tirent à la carabine à air comprimé sur des immigrés africains. Deux d’entre eux sont gravement touchés. Derrière ces “jeunes”, se cache en fait la main de la “ndrangheta”, la mafia calabraise. C’est elle qui constitue le patronat local et embauche les ouvriers agricoles. Depuis des années, elle fait appel à une main d’œuvre venue d’Afrique, nombreuse et corvéable à merci. Ces travailleurs immigrés triment toute la journée pour une paye de misère1 et sont parqués le soir dans une ex-fabrique de fromage désaffectée et insalubre. Or, cette année, cette main d’œuvre bon marché est devenue brusquement encombrante. D’abord, la crise économique frappe autant Rosarno que le reste du monde. Les oranges et les mandarines ne s’écoulent pas ; il est aujourd’hui plus rentable de laisser pourrir les fruits sur les arbres que de les ramasser. Ces travailleurs africains sont donc devenus pour la plupart privés d’embauche, inutiles. Ensuite, une nouvelle législation anti-immigrée a été récemment adoptée en Italie ; elle renforce la chasse aux sans-papiers et condamne les patrons qui embauchent des travailleurs illégaux. La mafia s’est donc tournée, pour le peu de travail qu’il y a, vers les immigrés “légaux” des pays de l’Est (en particulier d’Ukraine et de Roumanie). 1500 Africains et leurs familles, venus toucher ici juste de quoi survivre, se sont donc retrouvés pris dans l’étau de la surexploitation et du chômage. La tension et la colère sont peu à peu montées dans leurs rangs ; ces semi-esclaves d’habitude si dociles ont même commencé à manifester. La “ndrangheta” a alors décidé de les effrayer pour les faire fuir, en leur tirant dessus. De bêtes de sommes, ces immigrés sont devenus gibiers. Seulement, au lieu de déguerpir, ces travailleurs sont massivement sortis dans la rue incendier des poubelles et des voitures, casser des vitrines et abîmer quelques habitations. En réaction, des centaines d’habitants de Rosarno, armés de barres et de bâtons, se sont livrés à une véritable chasse à “l’homme noir” aux cris de “en Afrique, en Afrique !”, “nous voulons leur mort”. Ces affrontements ont fait 67 blessés (31 immigrés, 19 policiers et 17 autochtones). A priori, là encore, la mafia a joué un rôle central en excitant la population locale et en se hissant à la tête de ces milices improvisées2. Cette haine n’a pas été difficile à distiller au sein d’une population touchée elle aussi par la pauvreté et un chômage qui frappe officiellement près de 18% de la classe ouvrière dans cette région. Mais la misère est très loin d’expliquer à elle seule pourquoi une partie de la population s’est laissée ainsi entraîner dans une vendetta raciste et nauséabonde, ni pourquoi d’ailleurs ces immigrés attaqués s’en sont pris aux biens des habitants des alentours. En réalité, la cause première de ces affrontements “entre pauvres”, comme l’a titré la presse internationale (autrement dit, entre ouvriers), est le désespoir, l’absence totale de perspective. “C’était un enfer, on n’y comprenait rien, c’est vrai que nous avons cassé tout ce que nous avons pu casser, mais nous étions seulement en rage. Nous sommes désespérés, et si au désespoir, on ajoute la rage, c’est facile de déraper. Quand nous sommes revenus à la fromagerie, nous nous sommes regardés dans les yeux et nous avons eu honte de ce que nous avions fait. J’ai pleuré pendant toute la nuit en pensant à ces gens épouvantés…” (Godwin, journalier ghanéen, 28 ans, cité par La Repubblica du 9 janvier).
Seules les luttes ouvrières peuvent redonner confiance en l’avenir, peuvent permettre d’entrevoir qu’un autre monde est possible, un monde fait non pas de haine mais de solidarité. Une grève l’a parfaitement illustré récemment, une grève qui n’a pas eu les honneurs des Unes de la presse, contrairement à ces émeutes racistes d’Italie. En Angleterre, au mois de juin 2009, des ouvriers ont résisté aux sirènes du nationalisme et de la xénophobie, alors que toute la presse mettait en exergue des slogans tel que “Des jobs anglais pour les ouvriers anglais !”. Comprenant qu’il s’agissait là d’un piège, qu’ils n’avaient rien à gagner à se laisser ainsi diviser entre ouvriers “locaux” ou “immigrés”, ils ont opposé à la bourgeoisie une grève animée par la solidarité internationale. Lors des manifestations, des banderoles appelant les ouvriers portugais et italiens à rejoindre la lutte ont été brandies ; on pouvait y lire notamment le cri de ralliement du prolétariat mondial depuis 1848 : “Ouvriers du monde entier, unissez-vous !”3
Les événements de Rosarno et de Lindsey sont comme la thèse et l’anti-thèse. Les premiers portent les stigmates de cette société en décomposition, elle n’a aucun avenir et ne peut qu’engendrer toujours plus de misères, de peurs, de haines… Les seconds révèlent au contraire qu’il existe un autre avenir pour l’humanité. La solidarité qu’est capable d’exprimer la classe ouvrière lorsqu’elle lutte est, pour nous tous, comme une lueur d’espoir.
Albert (28 janvier)
1) La paye est d’un euro la cagette de mandarines et 6 centimes le kilo d’oranges avec un gain maximum d’environ 15 euros par jour pour 12 à 14 heures de travail.
2) Au-delà de la simple mafia, la cruauté et le cynisme de toute la bourgeoisie italienne lors de cet événement est à souligner. Le gouvernement de Berlusconi a profité de l’occasion pour mener une campagne xénophobe et justifier toutes ses mesures anti-immigrés. Le ministre de l’intérieur, Maroni, a ainsi affirmé : “La situation de Rosarno est difficile, résultat d’une immigration clandestine tolérée pendant toutes ces années sans rien faire d’efficace”. En fait, l’Etat, d’un côté, chasse les sans-papiers et les expulsent pour en limiter le nombre et, de l’autre, laisse les patrons les exploiter massivement et honteusement (quand il ne le fait pas lui-même directement), cette main d’œuvre à bas coût améliorant la “compétitivité nationale”. C’est ainsi plus de 50 000 travailleurs immigrés qui vivent en Italie dans des logements insalubres similaires à ceux de Rosarno. Pour revenir aux événements récents et à la “protection” offerte par l’Etat à ces immigrés victimes de pogroms : en intervenant, la police a fait de nombreux blessés du côté des immigrés et, ensuite, pour les protéger, elle n’a rien trouvé de mieux que de les parquer dans des “centres de rétention” pour “contrôler leur situation” et expulser tous ceux qui ne sont pas en règle ! Voilà de quelle inhumanité est capable la bourgeoisie, qu’elle se présente sous le masque de la mafia ou sous les traits respectables des hauts-dirigeants de l’Etat !
3) Lire notre article “Les ouvriers du bâtiment au centre de la lutte en Angleterre” dans notre journal Révolution Internationale de juillet-août 2009.