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Le 16e congrès du CCI a coïncidé avec ses trente années d’existence. Comme nous l’avions fait lors des dix et des vingt ans du CCI, nous nous proposons avec cet article de tirer un bilan de l’expérience de notre organisation au cours de la période écoulée. Il ne s’agit pas là d’une manifestation de narcissisme : les organisations communistes n’existent pas pour ou par elles-mêmes ; elles sont des instruments de la classe ouvrière et leur expérience appartient à cette dernière. Ainsi, cet article se veut une sorte de remise du mandat confié par la classe à notre organisation au cours des trente années de son existence. Et comme pour toute remise de mandat, il appartient d’évaluer si notre organisation a été capable de faire face aux responsabilités qui étaient les siennes lorsqu’elle a été constituée. C’est pour cela que nous commencerons par examiner ce qu’étaient les responsabilités des révolutionnaires il y a trente ans face aux enjeux de la situation d’alors et comment elles ont évolué par la suite avec les modifications de cette situation.
Les responsabilités des révolutionnaires
La situation dans laquelle s’est constitué le CCI, et qui déterminait les responsabilités qu’il a dû assumer dans ses premières années, est celle de la sortie de la profonde contre-révolution qui s’était abattue sur le prolétariat mondial à la suite de l’échec de la vague révolutionnaire de 1917-23. L’immense grève de mai 68 en France, le "mai rampant" de l’automne 69 en Italie, les grèves de la Baltique en Pologne de l’hiver 1970-71, et bien d’autres mouvements encore, ont révélé que le prolétariat avait soulevé la chape de plomb qui s’était abattue sur lui pendant plus de quatre décennies. Cette reprise historique du prolétariat ne s'était pas seulement exprimée par un resurgissement des luttes ouvrières, dans la capacité de celles-ci de commencer à se dégager du carcan dans lequel les partis de gauche et surtout les syndicats les avaient enserrées pendant des décennies (comme ce fut notamment le cas lors des grèves "sauvages" de "l'automne chaud" italien de 1969). Un des signes les plus probants du fait que la classe ouvrière était enfin sortie de la contre-révolution a été l'apparition de toute une génération d'éléments et de petits groupes en recherche des véritables positions révolutionnaires du prolétariat, remettant en cause le monopole que les partis staliniens exerçaient, avec leurs appendices gauchistes (trotskistes ou maoïstes), sur l'idée même de révolution communiste. Le CCI était lui-même le résultat de ce processus puisqu'il s'est constitué par le regroupement d'un certain nombre de groupes qui avaient surgi en France, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Italie et en Espagne et qui s'étaient rapprochés des positions défendues, depuis 1964, par le groupe Internacionalismo au Venezuela, lui-même impulsé par un ancien militant de la Gauche communiste, MC, qui se trouvait dans ce pays depuis 1952.
Pendant toute une période, l'activité et les préoccupations essentielles du CCI ont donc été déterminées par ces trois responsabilités fondamentales :
- se réapproprier pleinement les positions, les analyses et les enseignements des organisations communistes du passé puisque la contre-révolution avait abouti à la sclérose ou à la disparition de celles-ci ;
- intervenir dans la vague internationale de luttes ouvrières ouverte par mai 1968 en France ;
- poursuivre le regroupement des nouvelles forces communistes dont la formation du CCI avait constitué une première étape.
Cependant, l'effondrement du bloc de l'Est et des régimes staliniens d'Europe en 1989 a instauré une situation nouvelle pour la classe ouvrière qui a subi de plein fouet toutes les campagnes sur le "triomphe de la démocratie", "la mort du communisme", la "disparition de la lutte de classe", voire de la classe ouvrière elle-même. Cette situation a provoqué un profond recul au sein de la classe ouvrière tant au plan de sa combativité qu'au plan de sa conscience.
Ainsi, les trente ans de vie du CCI se partagent en deux périodes d'une durée équivalente, une quinzaine d'années chacune, aux contours très différents. Si, au cours de la première période, il fallait accompagner les pas progressifs de la classe ouvrière dans le processus de développement de ses combats et de sa conscience, notamment en intervenant activement dans ses luttes, une des préoccupations centrales de notre organisation au cours de la seconde période a été de tenir à contre-courant du désarroi profond que subissait la classe ouvrière mondiale. C'était une épreuve pour le CCI comme pour toutes les organisations communistes puisque celles-ci ne sont pas imperméables à l'ambiance générale dans laquelle baigne l'ensemble de leur classe : la démoralisation et le manque de confiance en elle qui affectaient cette dernière ne pouvaient que se répercuter dans les propres rangs de notre organisation. Et ce danger était d'autant plus important que la génération qui avait fondé le CCI était venue à la politique à partir de 1968 et au début des années 70 dans la foulée de luttes ouvrières de grande ampleur qui pouvaient lui laisser penser que la révolution communiste était déjà près de frapper à la porte de l'histoire.
Ainsi, faire le bilan des trente années de vie du CCI, c'est notamment examiner comment celui-ci a été capable de faire face à ces deux périodes dans la vie de la société et du combat de la classe ouvrière. En particulier, il s'agit de voir comment, face aux épreuves qu'il a dû affronter, il a surmonté les faiblesses inhérentes aux circonstances historiques qui ont présidé à sa constitution et, ce faisant, de comprendre ses éléments de force qui lui permettent de tirer un bilan positif de ces trente années d'existence.
Un bilan positif
En effet, avant que d'aller plus loin, il nous faut constater dès à présent que le bilan que peut tirer le CCI de ses trente années d'existence est largement positif. C'est vrai que la taille de notre organisation et surtout son impact sont extrêmement modestes. Comme nous l'écrivions dans l'article publié à l'occasion des 20 ans du CCI : "Lorsqu'on compare le CCI aux organisations qui ont marqué l'histoire du mouvement ouvrier, notamment les internationales, on peut être saisi d'un certain vertige : alors que des millions ou des dizaines de millions d'ouvriers appartenaient, ou étaient influencés par ces organisations, le CCI n'est connu de par le monde que par une infime minorité de la classe ouvrière." (Revue internationale n°80) Cette situation reste fondamentalement la même aujourd'hui et elle s'explique, comme nous l'avons souvent mis en évidence dans nos articles, par les circonstances inédites dans lesquelles la classe ouvrière a repris son long chemin vers la révolution :
- rythme lent de l'effondrement économique du capitalisme dont les premières manifestations, à la fin des années 60, avaient servi de détonateur au surgissement historique du prolétariat ;
- longueur et profondeur de la contre-révolution qui s'était abattue sur la classe ouvrière à partir de la fin des années 20 et qui avait coupé les nouvelles générations de prolétaires et de révolutionnaires de l'expérience des générations qui avaient mené les grands combats du début du 20e siècle et, notamment, de la vague révolutionnaire de 1917-23 ;
- extrême méfiance des ouvriers qui rejettent l'emprise des syndicats et des partis dits "ouvriers", "socialistes" ou "communistes", à l'égard de toute organisation politique prolétarienne ;
- poids accru du manque de confiance en soi et de la démoralisation à la suite de l'effondrement des prétendus "régimes communistes".
Cela dit, il faut mettre en évidence le chemin parcouru : alors qu'en 1968 notre tendance politique ne comptait qu'un tout petit noyau au Venezuela et que se formait en France, dans une ville de province, un tout petit groupe capable seulement de publier deux ou trois fois par an une revue ronéotée, notre organisation est aujourd'hui une sorte de référence pour les éléments qui s'approchent des positions révolutionnaires :
- des publications territoriales dans 12 pays rédigées en 7 langues (anglais, espagnol, allemand, français, italien, néerlandais et suédois) ;
- plus d'une centaine de brochures et autres documents publiés dans ces mêmes langues ainsi qu'en russe, en portugais, en bengali, en hindi, en farsi et en coréen ;
- plus de 420 numéros de notre organe théorique, la Revue internationale, publié régulièrement tous les 3 mois en anglais, espagnol et français ainsi que de façon moins fréquente en allemand, italien, néerlandais et suédois.
Depuis sa formation, le CCI a produit une publication tous les 5 jours en moyenne, et ce rythme est actuellement de l'ordre d'une publication tous les 4 jours. A cette production il faut ajouter le site Internet internationalism.org, avec des pages en 13 langues. Ce site reprend les articles de la presse territoriale, de la Revue internationale, les brochures et les tracts sortis sous forme papier mais il comporte également une page spécifiquement Internet, ICConline qui nous permet de faire connaître très rapidement nos prises de position face aux événements d'actualité les plus marquants.
A côté de cette activité de publications, il faut signaler également les milliers de réunions publiques ou de permanences tenues dans 15 pays par notre organisation depuis sa formation permettant aux sympathisants et contacts de venir discuter de nos positions et analyses. Il ne faut pas oublier non plus nos propres interventions orales, les ventes de la presse et distributions de tracts, d'un nombre bien plus élevé encore, dans des réunion publiques, forums ou rassemblements d'autres organisations, dans des manifestations de rue, devant les entreprises, sur les marchés, dans des gares et évidemment au sein des luttes ouvrières.
Encore une fois, tout cela est bien peu si on le compare par exemple, à ce que pouvait être l'activité des sections de l'Internationale communiste au début des années 20, lorsque c'est dans des quotidiens que s'exprimaient les positions révolutionnaires. Mais, comme on l'a vu, on ne peut comparer que ce qui est comparable et la véritable mesure du "succès" du CCI peut être prise par la différence qui le sépare des autres organisations de la Gauche communiste, des organisations qui étaient déjà constituées en 1968 alors que notre propre courant était encore dans les limbes.
Les groupes de la Gauche communiste depuis 1968
A cette époque, il existait quelques organisations se réclamant de la Gauche communiste. Il s'agissait d'une part de groupes se rattachant à la tradition de la Gauche hollandaise, le "conseillisme", principalement représenté en Hollande par le Spartacusbond et Daad en Gedachte, en France par le "Groupe de Liaison pour l'Action des travailleurs" (GLAT) et par Informations et Correspondances ouvrières (ICO), en Grande-Bretagne par Solidarity qui se réclamait plus particulièrement de l'expérience de Socialisme ou Barbarie, disparue en 1964 et provenant d'une scission intervenue dans la 4e Internationale trotskiste au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
En dehors du courant conseilliste, il existait également en France un autre groupe issu de Socialisme ou Barbarie, Pouvoir Ouvrier de même qu'un petit noyau autour de Grandizo Munis (ancien dirigeant de la section espagnole de la 4e Internationale), le "Ferment ouvrier révolutionnaire" (FOR, en espagnol "Fomento Obrero Revolucionario") qui publiait Alarme (Alarma en espagnol).
L'autre courant de la Gauche communiste représenté en 68 était celui se rattachant à la Gauche italienne qui comportait deux branches issues de la scission de 1952 au sein du Partito Comunista Internazionalista d'Italie fondé en 1945 à la fin de la guerre. Il y avait d'un côté le Parti Communiste International "bordiguiste" publiant Programma Comunista en Italie ainsi que Le Prolétaire et Programme Communiste en France et, de l'autre, le courant majoritaire lors de la scission qui publiait Battaglia Comunista et Prometeo.
Pendant un certain temps, quelques uns de ces groupes ont connu un succès incontestable en terme d'audience. Ce fut le cas des groupes "conseillistes" tel ICO qui vit venir à lui toute une série d'éléments que Mai 68 avait éveillés à la politique et qui fut capable, en 1969 et 1970, d'organiser plusieurs rencontres au niveau régional, national et même international (Bruxelles 1969) avec la présence d'un nombre significatif d'éléments et de groupes (dont le nôtre). Mais au début des années 1970, ICO a disparu. Cette mouvance est réapparue à partir de 1975 avec le bulletin trimestriel Échanges auquel participent des éléments de plusieurs pays mais qui ne paraît qu'en langue française. Quant aux autres groupes du courant "conseilliste", ils ont soit cessé d'exister, tel le GLAT au cours des années 70, Solidarity en 1988 ou le Spartacusbond qui n'a pas survécu à la mort de son principal animateur, Stan Poppe en 1991, soit cessé de publier comme Daad en Gedachte à la fin des années 90.
D'autres groupes évoqués plus haut ont également disparu tel Pouvoir Ouvrier dans les années 70 et le FOR au cours des années 90.
Quant aux groupes qui se rattachent au courant de la Gauche italienne, on ne peut pas dire que leur sort soit très brillant non plus.
La mouvance "bordiguiste" a connu peu après la mort de Bordiga, en 1970, plusieurs scissions, dont celle qui a conduit à la formation d'un nouveau "Parti Communiste International" publiant Il Partito Comunista. Cependant, la tendance majoritaire publiant Il Programma Comunista, connaît à la fin des années 70 un développement important dans plusieurs pays ce qui la conduit à en faire pour un temps la principale organisation internationale se réclamant de la Gauche communiste. Mais cette progression a été permise, en grande partie, par une dérive gauchiste et tiers-mondiste de l'organisation. Finalement, le Parti Communiste International est frappé en 1982 par une véritable explosion. L’organisation internationale s’effondre comme un château de cartes, chacun tirant à hue et à dia. La section française disparaît pendant plusieurs années, alors qu’en Italie c’est péniblement que les éléments restés fidèles au bordiguisme "orthodoxe" recommencent au bout de quelque temps à se manifester avec deux publications, Il Programma Comunista et Il Comunista. Aujourd’hui, le courant bordiguiste, s’il conserve une certaine capacité éditoriale en Italie avec trois journaux plus ou moins mensuels, est bien peu présent au niveau international. La tendance qui publie Il Comunista n’a d’autre représentant qu’en France avec Le Prolétaire paraissant tous les trois mois. Celle qui publie Programma Comunista en italien publie Internationalist Papers en langue anglaise tous les un ou deux ans de même que Cahiers Internationalistes en langue française à une fréquence encore moindre. La tendance qui publie en italien Il Partito Comunista (journal "mensuel" paraissant 7 fois par an) et Comunismo (tous les 6 mois) produit également une ou deux fois par an La Izquierda Comunista et Communist Left, respectivement en langues espagnole et anglaise.
Pour ce qui concerne le courant majoritaire lors de la scission de 1952 et qui a conservé, outre les publications, le nom de Partito Comunista Internazionalista (PCInt), nous avons mis en évidence, dans notre article "Une politique opportuniste de regroupement qui ne conduit qu'à des "avortements" (Revue internationale n°121) ses mésaventures dans ses tentatives pour élargir son audience internationale. En 1984, le PCInt s’est regroupé avec la Communist Workers' Organisation qui publie Revolutionnary Perspective pour constituer la Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR). Près de 15 ans plus tard, cette organisation a finalement réussi à s'étendre au delà de ses deux constituants initiaux avec l'intégration, fin des années 1990 début des années 2000, de plusieurs petits noyaux dont le plus actif est celui qui publie Notes Internationalistes – Internationalist Notes au Canada avec une fréquence trimestrielle, alors que Bilan et Perspectives en France paraît moins d'une fois par an et que le Circulo de América Latina (qui est un groupe "sympathisant" du BIPR) n'a pas de publication régulière et se contente essentiellement de publier des prises de position et des traductions en espagnol sur le site Internet du BIPR. Alors qu'il a été formé il y a plus de 20 ans (et que le Partito Comunista Internazionalista existe depuis plus de 60 ans), le BIPR qui, de tous les groupes qui se rattachent au PCInt de 1945, est celui qui a la plus grande extension internationale 1, est aujourd'hui une organisation nettement moins développée que ne l'était le CCI lors de sa constitution.
Plus généralement, à lui tout seul, le CCI produit chaque année plus de publications régulières et dans plus de langues que toutes les autres organisations réunies (une publication tous les 5 jours). En particulier, aucune de ces organisations ne dispose à l'heure actuelle de publication régulière en langue allemande, ce qui, évidemment, est une faiblesse certaine compte tenu de l'importance du prolétariat d'Allemagne dans l'histoire du mouvement ouvrier international et dans l'avenir de celui-ci.
Ce n'est pas avec un esprit de concurrence que nous avons fait cette comparaison entre l'extension de notre organisation et celle des autres groupes qui se réclament de la Gauche communiste. Contrairement à ce que prétendent certains de ces groupes, le CCI n'a jamais tenté de se développer aux dépens d'eux, bien au contraire. Lorsque nous discutons avec des contacts, nous leurs faisons toujours connaître l'existence des autres groupes et nous les encourageons à prendre connaissance de leurs publications 2. De même, nous avons toujours invité les autres organisations à venir prendre la parole dans nos réunions publiques et à y présenter leur presse (en leur proposant même d'héberger leurs militants dans les villes ou les pays où elles ne sont pas présentes 3) de même que nous avons fréquemment déposé en librairie des publications des groupes qui en étaient d'accord. Enfin, nous n'avons jamais eu de politique de "pêche à la ligne" auprès des militants des autres organisations qui développaient des divergences avec les positions ou la politique de celles-ci. Nous les avons toujours encouragés à rester au sein de celles-ci afin d'y mener un débat de clarification 4.
En fait, contrairement aux autres groupes cités qui tous se considèrent comme le seul à pouvoir impulser la formation du futur parti de la révolution communiste, nous pensons qu'il existe un camp de la Gauche communiste qui défend des positions prolétariennes au sein de la classe ouvrière et que celle-ci a tout à gagner du développement de l'ensemble de ce camp. Évidemment, nous critiquons les positions et analyses de ces organisations que nous estimons erronées chaque fois que nous le pensons utile. Mais nos polémiques font partie du débat nécessaire au sein du prolétariat puisque, comme Marx et Engels, nous pensons que, outre son expérience, seule la discussion et la confrontation des positions permettra à celui-ci d'avancer dans sa prise de conscience 5.
En fait, cette comparaison du bilan du CCI avec celui des autres organisations de la Gauche communiste a pour objet essentiel de mettre en relief combien est encore faible l'impact des positions révolutionnaires au sein de la classe du fait des conditions historiques et des obstacles qu'elle rencontre sur le chemin de sa prise de conscience. Elle nous permet de comprendre que le faible impact qui est encore celui du CCI aujourd'hui ne doit nullement être considéré comme un échec de sa politique ou de ses orientations. Bien au contraire : compte tenu des circonstances historiques actuelles, ce que nous avons réussi à faire depuis trente ans doit être considéré comme très positif et souligne la validité des orientations que nous sous sommes données tout au long de cette période. Il nous revient par conséquent d'examiner plus précisément comment ces orientations ont permis d'affronter de façon positive les différentes situations qui se sont succédées depuis la fondation de notre organisation. Et en premier lieu, il nous faut rappeler (car c'était déjà exprimé dans les articles publiés lors du 10e et 20e anniversaires du CCI) quels ont été les principes fondamentaux sur lesquels nous nous sommes basés.
Les principes fondamentaux de la construction de l'organisation
La première chose qu'il nous faut dire avec force, c'est que ces principes ne sont nullement une invention du CCI. C'est l'expérience de l'ensemble du mouvement ouvrier qui a progressivement élaboré ces principes. C'est pour cela que ce n'est nullement de façon platonique que, dans les "positions de base" qui figurent sur le dos de toutes nos publications, nous disons que :
"Les positions des organisations révolutionnaires et leur activité sont le produit des expériences passées de la classe ouvrière et des leçons qu’en ont tirées tout au long de l’histoire ses organisations politiques. Le CCI se réclame ainsi des apports successifs de la Ligue des Communistes de Marx et Engels (1847-52), des trois Internationales (l’Association Internationale des Travailleurs, 1864-72, l’Internationale Socialiste, 1884-1914, l’Internationale Communiste, 1919-28), des fractions de gauche qui se sont dégagées dans les années 1920-30 de la 3e Internationale lors de sa dégénérescence, en particulier les gauches allemande, hollandaise et italienne."
Si nous nous revendiquons des apports des différentes fractions de gauche de l'IC, nous nous rattachons plus particulièrement, pour ce qui concerne la question de la construction de l'organisation, aux conceptions de la Fraction de gauche du Parti communiste d'Italie, notamment comme elles se sont exprimées dans la revue Bilan au cours des années 30. C'est la grande clarté à laquelle était parvenue cette organisation qui avait joué un rôle décisif dans sa capacité, non seulement à survivre, mais aussi à impulser de façon remarquable la pensée communiste.
Nous ne pouvons, dans le cadre de cet article, développer les positions de la Fraction italienne (FI) dans toute leur richesse. Nous nous limiterons à en résumer les aspects essentiels.
La première question sur laquelle nous nous rattachons à la FI est celle du cours historique : face à la crise mortelle de l'économie capitaliste chacune des classes fondamentales de la société, bourgeoisie et prolétariat, apporte sa propre réponse : la guerre impérialiste pour la première, la révolution pour la seconde. L'issue qui s'imposera finalement est fonction du rapport de forces entre ces classes. Si la Première Guerre mondiale a pu être déclenchée par la bourgeoisie, c'est que le prolétariat avait au préalable été battu politiquement par son ennemi, notamment par la victoire de l'opportunisme au sein des principaux partis de la 2e Internationale. Cependant, la guerre impérialiste elle-même, avec toute sa barbarie balayant les illusions sur la capacité du capitalisme à apporter la paix et la prospérité à la société et des améliorations aux conditions de vie de la classe ouvrière, avait provoqué un réveil de celle-ci. Le prolétariat s'était dressé contre la guerre à partir de 1917 en Russie et en 1918 en Allemagne pour se lancer dans des combats en vue du renversement du capitalisme. L'échec de la révolution en Allemagne, c'est-à-dire le pays le plus décisif, avait ouvert la porte à une victoire de la contre-révolution qui a étendu son emprise dans le monde entier, et particulièrement en Europe avec la victoire du stalinisme en Russie, du fascisme en Allemagne et de l'idéologie "antifasciste" dans les pays "démocratiques". Un des mérites de la Fraction, au cours des années 30, est d'avoir compris que, du fait de cette défaite profonde de la classe ouvrière, la crise aiguë du capitalisme qui avait débuté en 1929 ne pouvait aboutir qu'à une nouvelle guerre mondiale. C'est sur la base de l'analyse de la période considérant que le cours historique n'était pas vers la révolution et la radicalisation des combats ouvriers mais vers la guerre mondiale que la Fraction avait pu comprendre la nature des événements d'Espagne 36 et ne pas tomber dans l'erreur fatale des trotskistes qui y voyaient les débuts de la révolution prolétarienne alors qu'ils constituaient la préparation de la seconde boucherie impérialiste.
La capacité de la Fraction à bien identifier la nature véritable du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat s'accompagnait de la clarté avec laquelle elle concevait le rôle des organisations communistes dans chacune des périodes de l'histoire. En se basant sur l'expérience des différentes fractions de gauche ayant existé dans l'histoire du mouvement ouvrier, notamment de la fraction bolchevique au sein du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (POSDR), mais aussi de l'activité de Marx et Engels depuis 1847, la Fraction à travers sa publication Bilan avait établi la différence entre la forme parti et la forme fraction de l'organisation communiste. Le parti est l'organe que se donne la classe dans les périodes de lutte intense, lorsque les positions défendues par les révolutionnaires ont un impact réel sur le cours de cette lutte. Lorsque le rapport de forces devient défavorable au prolétariat, soit le parti disparaît comme tel, soit il tend à dégénérer dans un cours opportuniste qui l'entraîne vers la trahison au service de la classe ennemie. La défense des positions révolutionnaires revient alors à un organisme à la dimension et à l'impact plus restreints, la fraction. Le rôle de celle-ci est de lutter pour le redressement du parti pour qu'il soit en mesure de jouer son rôle au moment d'une reprise de classe ou bien, lorsque cette tâche devient vaine, de constituer le pont programmatique et organisationnel vers le futur parti, lequel ne pourra se constituer qu'à deux conditions :
- que la fraction ait pleinement tiré les enseignements de l'expérience passée, et notamment des défaites ;
- que le rapport de forces entre les classes passe de nouveau à l'avantage du prolétariat.
Un des autres enseignements transmis par la gauche italienne et qui découle de ce qui a été évoqué plus haut, est le rejet de l'immédiatisme, c'est-à-dire d'une démarche qui perd de vue la nature à long terme de la lutte du prolétariat et de l'intervention des organisations révolutionnaires au sein de celui-ci. Lénine faisait de la patience une des qualités principales des Bolcheviks. Il ne faisait que reprendre le combat de Marx et d'Engels contre le fléau de l'immédiatisme 6 qui, du fait de la pénétration permanente dans la classe ouvrière de l'idéologie de la petite bourgeoisie, c'est-à-dire d'une couche sociale qui n'a pas d'avenir, constitue une menace constante pour le mouvement de la classe ouvrière.
Un corollaire de cette lutte contre l'immédiatisme dans laquelle s'est illustrée la Fraction est la rigueur programmatique dans le travail de regroupement des forces révolutionnaires. Contrairement au courant trotskiste, qui privilégiait les regroupements hâtifs basés notamment sur des accords entre "personnalités", la Fraction mettait en avant la nécessité d'une discussion approfondie des principes programmatiques avant que de s'unir à d'autres courants.
Cela dit, cette rigueur sur les principes n'excluait nullement la volonté de discussion avec d'autres groupes. C'est lorsqu'on se sent ferme sur ses convictions qu'on ne craint pas la confrontation avec d'autres courants. Au contraire, le sectarisme, le fait de se considérer comme "seul au monde" et de rejeter tout contact avec les autres groupes prolétariens est, en règle générale, la marque d'un manque de conviction dans la validité de ses propres positions. En particulier, c'est justement parce qu'elle s'appuyait fermement sur les acquis de l'expérience du mouvement ouvrier que la Fraction a su faire preuve d'audace pour passer au crible cette expérience, quitte à remettre en cause certaines positions qui étaient considérées comme des sortes de dogmes par d'autres courants 7. C'est ainsi que, contrairement au courant de la Gauche germano-hollandaise qui, face à la dégénérescence de la révolution en Russie et le rôle contre-révolutionnaire que jouait désormais le parti bolchevique, avait jeté l'enfant avec l'eau du bain en concluant à la nature bourgeoise de la révolution d'Octobre et de ce parti, la Fraction a toujours affirmé bien haut la nature prolétarienne de l'un et de l'autre. Ce faisant, elle a aussi combattu la position du "conseillisme" dans lequel avait glissé la Gauche hollandaise en affirmant le rôle indispensable du parti pour la victoire de la révolution communiste. Cependant, contre le trotskisme qui se réclamait intégralement des 4 premiers congrès de l'Internationale communiste, la Fraction, à la suite du Parti communiste d'Italie du début des années 20, a rejeté les positions erronées de ces congrès, notamment la politique de "front unique". Mais elle est allée encore plus loin en remettant en cause la position de Lénine et du 2e Congrès sur le soutien des luttes de libération nationale et rejoignant ainsi la position défendue par Rosa Luxemburg.
C'est sur l'ensemble de ces enseignements qui avaient déjà été repris et systématisés par la Gauche communiste de France (1945-52) que le CCI s'est basé au moment de sa constitution et c'est ce qui lui a permis d'affronter victorieusement les différentes épreuves qu'il allait affronter du fait, notamment, des faiblesses qui pesaient sur le prolétariat et ses minorités révolutionnaires au moment de la reprise historique de 1968.
Les principes de la Fraction à l'épreuve de l'histoire
La première question qu'il était nécessaire de comprendre face à ce surgissement de la classe était la question du cours historique. Cette question était mal comprise par les autres groupes qui se réclamaient de la Gauche italienne. Ayant formé le Parti en 1945, alors que la classe était encore soumise à la contre-révolution et n'ayant pas ensuite fait la critique de cette formation prématurée, ces groupes (qui continuaient à s'appeler "parti") n'ont plus été capables de faire la différence entre la contre-révolution et la sortie de la contre-révolution. Dans le mouvement de mai 1968 comme dans l'automne chaud italien de 1969, ils ne voyaient rien de fondamental pour la classe ouvrière et attribuaient ces événements à l'agitation des étudiants. Conscients par contre du changement du rapport de forces entre les classes, nos camarades de Internacionalismo (et notamment MC, ancien militant de la Fraction et de la GCF) ont compris la nécessité d'engager tout un travail de discussion et de regroupement avec les groupes que le changement de cours historique faisait surgir. A plusieurs reprises, ces camarades ont demandé au PCInt de lancer un appel à l'ouverture d'une discussion entre ces groupes et à la convocation d'une conférence internationale dans la mesure où cette organisation avait une importance sans commune mesure avec notre petit noyau au Venezuela. A chaque fois, le PCInt a rejeté la proposition arguant qu'il n'y avait rien de nouveau sous le soleil. Finalement, un premier cycle de conférences a pu se tenir à partir de 1973 à la suite de l'appel lancé par Internationalism, le groupe des États-Unis qui s'était rapproché des positions de Internacionalismo et de Révolution Internationale, fondée en France en 1968. C'est en grand partie grâce à la tenue de ces conférences, qui avaient permis une décantation sérieuse parmi toute une série de groupes et d'éléments venus à la politique à la suite de mai 68, qu'a pu se constituer le CCI en janvier 1975. Évidemment, l'attitude de recherche systématique de la discussion avec des éléments même confus mais qui manifestaient une volonté révolutionnaire, une attitude qui avait été celle de la Fraction, avait constitué un élément déterminant dans l'accomplissement de cette première étape.
Cela dit, à côté de tout l'enthousiasme que manifestaient les jeunes éléments qui avaient constitué le CCI ou qui l'avaient rejoint dans les premières années, il pesait un certain nombre de faiblesses très importantes :
- l'impact du mouvement estudiantin imprégné de conceptions petites-bourgeoises, notamment l'individualisme et l'immédiatisme ("la révolution tout de suite !" était un des slogans des étudiants de 1968) ;
- la méfiance envers toute forme d'organisation des révolutionnaires intervenant dans la classe du fait du rôle contre-révolutionnaire joué par les partis staliniens ; en d'autres termes, le poids du conseillisme.
Ces faiblesses n'affectaient pas seulement les éléments qui se sont regroupés dans le CCI. Elles étaient au contraire bien plus importantes parmi les groupes et éléments qui étaient restés en dehors de notre organisation laquelle s'était constituée en bonne partie à travers le combat contre elles. Ces faiblesses expliquent le succès éphémère qu'a connu après 1968 le courant conseilliste. Éphémère car lorsqu'on théorise sa non utilité pour le combat de la classe, on a peu de chances de survivre bien longtemps. Elles permettent aussi d'expliquer le succès puis la débandade de Programma comunista : après qu'il n'ait rien compris à la signification et à l'importance de ce qui s'était passé en 1968, ce courant a été soudainement pris de vertige devant le développement international des luttes ouvrières et il a abandonné la prudence et la rigueur organisationnelles qui l'avait caractérisé pendant toute une période. En particulier, son sectarisme congénital et son "monolithisme" revendiqué s'étaient mués en une "ouverture" tous azimuts (sauf à l'égard de notre organisation qu'il continuait de considérer comme "petite-bourgeoise"), notamment envers quantité d'éléments à peine sortis, et de façon incomplète, du gauchisme, en particulier du tiers-mondisme. Le cataclysme qu'il a connu en 1982 était la conséquence logique de l'oubli des principaux enseignements de la Gauche italienne dont pourtant il n'a cessé de se revendiquer.
Dans le CCI, malgré la volonté de ne pas intégrer de façon hâtive de nouveaux militants, ces faiblesses n'ont pas tardé à se manifester. C'est ainsi que notre organisation a connu en 1981 une crise très importante qui a notamment emporté la moitié de sa section en Grande-Bretagne. L'aliment principal de cette crise était l'immédiatisme qui a conduit tout une série de militants, en particulier dans le pays qui, à cette époque, avait connu les luttes ouvrières les plus massives de son histoire (avec 29 millions de jours de grève, la Grande-Bretagne de 1979 se place en 2e position derrière la France de 1968 dans le domaine des statistiques de la combativité ouvrière), à surestimer les potentialités de la lutte de classe et à considérer comme prolétariens des organismes du syndicalisme de base que la bourgeoisie avait fait surgir face au débordement des structures syndicales officielles. En même temps, l'individualisme qui continuait de peser fortement, a conduit à un rejet du caractère unitaire et centralisé de l'organisation : chaque section locale, ou même chaque individu, pouvait se dispenser de la discipline de l'organisation quand il jugeait que ses orientations n'étaient pas correctes. C'est notamment le danger immédiatiste que combat le "Rapport sur la fonction de l'organisation révolutionnaire" (Revue internationale n°29) adopté par la Conférence extraordinaire qui s'est tenue en janvier 1982 pour remettre le CCI sur les rails. :
De même, le "Rapport sur la structure et le fonctionnement de l'organisation des révolutionnaires" (Revue internationale n°33) se donnait pour tâche de combattre l'individualisme et défendait une organisation centralisée et disciplinée (tout en insistant sur la nécessité de mener les débats les plus ouverts et profonds au sein de celle-ci).
Le combat victorieux contre l'immédiatisme et l'individualisme, s'il a permis de sauver l'organisation en 1981, n'a pas éliminé les menaces qui pesaient sur elle : en particulier, le poids du conseillisme, c'est-à-dire la sous-estimation du rôle de l'organisation communiste, s'est cristallisé en 1984 avec la formation d'une "tendance" qui a levé son étendard contre la "chasse aux sorcières", lorsque nous avons engagé le combat contre les vestiges de conseillisme dans nos rangs. Cette "tendance" a finalement quitté le CCI à son 6e Congrès, fin 1985, pour former la Fraction externe du CCI (FECCI) qui se proposait de défendre la "vraie plate-forme" de notre organisation contre sa prétendue "dégénérescence stalinienne" (la même accusation que celle portée par les éléments qui avaient quitté le CCI en 1981).
Ces différents combats ont permis à notre organisation d'assumer globalement sa responsabilité face aux luttes de la classe ouvrière qui se sont menées au cours de cette période comme la grève des mineurs de 1984 en Grande-Bretagne, la grève générale de 1985 au Danemark, l'immense grève du secteur public de 1986 en Belgique, la grève des cheminots et des hôpitaux en 1986 et 1988 en France, la grève dans l'enseignement en Italie en 1987 8.
Cette intervention active dans les luttes ouvrières des années 1980 n'avait pas fait oublier à notre organisation une de préoccupations centrales de la Fraction italienne : tirer les leçons des défaites passée. C'est ainsi qu'après avoir suivi et analysé avec beaucoup d'attention les luttes ouvrières de 1980 en Pologne 9, le CCI, pour la compréhension de leur défaite, s'est penché avec attention sur les caractéristiques spécifiques des régimes staliniens d'Europe de l'Est 10. C'est notamment cette analyse qui a permis à notre organisation, près de deux mois avant la chute du mur de Berlin, de prévoir l'effondrement du bloc de l'Est et de l'URSS, alors que beaucoup de groupes en étaient à analyser ce qui se passait en URSS et dans son glacis (la "perestroïka" et la "glasnost", l'accession au pouvoir de Solidarnosc en Pologne durant l'été 1989), comme une politique de renforcement de ce bloc 11.
De même, la capacité à affronter lucidement les défaites de la classe, que la Fraction possédait au plus haut point et, à sa suite, la Gauche communiste de France, nous a permis, dès avant les événements de l'automne 1989, de prévoir qu'ils allaient provoquer un profond recul dans la conscience du prolétariat : "Même dans sa mort, le stalinisme rend un dernier service à la domination capitaliste : en se décomposant, son cadavre continue encore à polluer l'atmosphère que respire le prolétariat... C'est donc à un recul momentané de la conscience du prolétariat... qu'il faut s'attendre. (...) Compte tenu de l'importance historique des faits qui le déterminent, le recul actuel du prolétariat, bien qu'il ne remette pas en cause le cours historique, la perspective générale aux affrontements de classe, se présente comme bien plus profond que celui qui avait accompagné la défaite de 1981 en Pologne." 12
Cependant, cette analyse ne faisait pas l'unanimité dans le camp de la Gauche communiste et beaucoup pensaient que la disparition honteuse du stalinisme, du fait qu'il avait été le fer de lance de la contre-révolution, allait ouvrir la voie à un développement de la conscience et de la combativité du prolétariat. C'était aussi l'époque où le BIPR pouvait écrire, concernant le coup d'État qui a renversé Ceaucescu à la fin 1989 :
"La Roumanie est le premier pays dans les régions industrialisées dans lequel la crise économique mondiale a donné naissance à une réelle et authentique insurrection populaire dont le résultat a été le renversement du gouvernement en place (…) en Roumanie, toutes les conditions objectives et presque toutes les conditions subjectives étaient réunies pour transformer l'insurrection en une réelle et authentique révolution sociale " (Battaglia Comunista de janvier 1990, "Ceaucescu est mort, mais le capitalisme vit encore").
Enfin, l'effondrement du bloc de l'Est et du stalinisme, de même que les difficultés qu'il allait provoquer pour le combat de la classe ouvrière, n'ont été pleinement compris par notre organisation que parce qu'elle avait été capable auparavant d'identifier la nouvelle phase dans laquelle était entrée la décadence du capitalisme, celle de la décomposition :
"Jusqu'à présent, les combats de classe qui, depuis vingt ans, se sont développés sur tous les continents, ont été capables d'empêcher le capitalisme décadent d'apporter sa propre réponse à l'impasse de son économie : le déchaînement de la forme ultime de sa barbarie, une nouvelle guerre mondiale. Pour autant, la classe ouvrière n'est pas encore en mesure d'affirmer, par des luttes révolutionnaires, sa propre perspective ni même de présenter au reste de la société ce futur qu'elle porte en elle. C'est justement cette situation d'impasse momentanée, où, à l'heure actuelle, ni l'alternative bourgeoise, ni l'alternative prolétarienne ne peuvent s'affirmer ouvertement, qui est à l'origine de ce phénomène de pourrissement sur pied de la société capitaliste, qui explique le degré particulier et extrême atteint aujourd'hui par la barbarie propre à la décadence de ce système. Et ce pourrissement est amené à s'amplifier encore avec l'aggravation inexorable de la crise économique." ("La décomposition du capitalisme", Revue internationale n°57)
"En réalité, l'effondrement actuel du bloc de l'Est constitue une des manifestations de la décomposition générale de la société capitaliste dont l'origine se trouve... dans l'incapacité pour la bourgeoisie d'apporter sa propre réponse, la guerre généralisée, à la crise ouverte de l'économie mondiale." ("La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", Revue internationale n°62, republié dans la Revue internationale n°107)
Et c'est en s'inspirant là encore de la méthode de la Fraction italienne, pour qui la "connaissance ne peut supporter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme", que le CCI avait mené cette réflexion. C'est parce que, à l'image de la Fraction, le CCI a pour préoccupation de combattre le routinisme, la paresse de la pensée, l'idée "qu'il n'y rien de nouveau sous le soleil" ou que "les positions du prolétariat sont invariantes depuis 1848" (comme le prétendent les bordiguistes) qu'il a pu élaborer cette analyse. C'est en reprenant à son compte cette volonté d'être en éveil permanent devant les faits historiques, quitte à remettre en cause des certitudes confortables et bien établies, que notre organisation avait prévu l'effondrement du bloc de l'Est et la disparition du bloc occidental qui allait suivre, de même qu'elle avait prévu le recul important subi par la classe ouvrière à partir de 1989. En fait, cette méthode de la Fraction dont le CCI se revendique, n'appartient pas en propre à cette dernière, même si elle s'est révélée particulièrement capable d la mettre en oeuvre. C'est la méthode de Marx et Engels qui n'ont jamais hésité à remettre en cause les positions qu'ils avaient adoptées auparavant dès que le commandait la réalité. C'est la méthode de Rosa Luxemburg qui a eu l'audace, devant le congrès de l'Internationale socialiste de 1896, d'appeler à l'abandon d'une des positions les plus emblématiques du mouvement ouvrier, le soutien à l'indépendance de la Pologne et, plus généralement, aux luttes de libération nationale. C'est la méthode revendiquée par Lénine lorsque, face à la stupeur et à l'opposition des Mencheviks et des "vieux Bolcheviks", il annonce qu'il est nécessaire de réécrire le programme du Parti adopté en 1903 et qu'il précise, "gris est l'arbre de la théorie, vert est l'arbre de la vie".
Cette volonté de vigilance du CCI face à tout événement nouveau ne s'applique pas seulement au domaine de la situation internationale. Elle s'adresse également à la vie interne de notre organisation. Nous n'avons, là non plus, rien inventé. Cette démarche, nous l'avons apprise de la Fraction qui ne faisait, pour sa part, que s'inspirer de l'exemple des Bolcheviks, et plus avant, de Marx et Engels, notamment au sein de l'AIT. La période qui a suivi l'effondrement du bloc de l'Est, qui représente à elle seule, comme on l'a vu, près de la moitié de la vie du CCI, a constitué une nouvelle épreuve pour notre organisation qui a dû, tout comme dans les années 80, affronter de nouvelles crises. C'est ainsi que, à partir de 1993, elle a dû engager le combat contre "l'esprit de cercle", tel que le définissait Lénine lors du combat mené au Congrès de 1903 et à sa suite, un esprit de cercle provenant des origines mêmes du CCI à partir de petits groupes où l'élément affinitaire se mêlait à la conviction politique. Cet esprit de cercle en se perpétuant, et avec la pression croissante de la décomposition, tendait de plus en plus à favoriser des comportements claniques au sein du CCI menaçant son unité, voire sa survie. Et de la même façon que les éléments les plus marqués par cet esprit, y compris nombre de membres fondateurs du parti comme Plekhanov, Axelrod, Zassoulitch, Potressov et Martov, s'étaient opposés et éloignés des Bolcheviks pour former la fraction menchevique à partir ou à la suite de ce congrès, un certain nombre de "membres éminents" du CCI (comme les appelait Lénine) n'ont pas supporté ce combat et ont fui l'organisation à ce moment-là (1995-96). Cependant, le combat contre l'esprit de cercle et le clanisme n'avait pas été mené à fond et ces éléments délétères sont revenus à la charge en 2000-2001. Les mêmes ingrédients que ceux de la crise de 1993 étaient présents dans celle de 2001, mais il faut y ajouter une usure de la conviction communiste d'un certain nombre de militants, usure aggravée par le recul prolongé de la classe ouvrière et le poids accentué de la décomposition. C'est ce qui explique que des membres de longue date du CCI, soit ont abandonné toute préoccupation politique, soit se sont transformés en des maîtres chanteurs, des voyous et même des mouchards bénévoles 13. Lorsque, peu avant sa mort en 1990, notre camarade MC soulignait l'importance du recul qu'allait subir la classe ouvrière, il disait que c'était maintenant qu'on allait voir les vrais militants, c'est-à-dire ceux qui ne perdent pas leurs convictions face aux moments difficiles. Les éléments qui, en 2001, ont démissionné ou constitué la FICCI, ont fait la preuve de cette altération des convictions. Une nouvelle fois, le CCI a mené le combat pour la défense de l'organisation avec la même détermination qui l'avait animé les fois précédentes. Et cette détermination, nous la devons notamment à l'exemple de la Fraction italienne. Au plus profond de la contre-révolution, celle-ci avait mis en avant le mot d'ordre "ne pas trahir". Pour sa part, puisque le recul de la classe ne signifiait pas le retour de la contre-révolution, le CCI avait adopté comme mot d'ordre "tenir". Certains sont allés jusqu'à trahir, mais l'ensemble de l'organisation a tenu, et s'est même renforcée grâce, notamment, à la volonté de poser avec le plus de profondeur théorique possible les questions d'organisation, comme l'avaient fait, en leur temps, Marx, Lénine et la Fraction. Les deux textes déjà publiés dans notre Revue, "La question du fonctionnement de l'organisation dans le CCI" (n°109) et "La confiance et la solidarité dans la lutte du prolétariat" (n°111 et 112), sont un témoignage de cet effort théorique face aux questions d'organisation.
De même, le CCI a apporté une réponse très ferme à ceux qui prétendaient que les nombreuses crise traversées par notre organisation étaient la preuve de sa faillite :
"C’est parce que le CCI lutte contre toute pénétration de l’opportunisme qu’il apparaît comme ayant une vie mouvementée, faite de crises qui se répètent. C’est notamment parce qu’il a défendu sans concession ses statuts et l’esprit prolétarien qu’ils expriment qu’il a suscité la rage d’une minorité gagnée par un opportunisme débridé, c'est-à-dire un abandon total des principes, en matière d'organisation. Sur ce plan, le CCI a poursuivi le combat du mouvement ouvrier, de Lénine et du parti bolchevique en particulier, dont les détracteurs stigmatisaient les crises à répétition et les multiples combats sur le plan organisationnel. A la même époque, la vie du parti social-démocrate allemand était beaucoup moins agitée mais le calme opportuniste qui la caractérisait (altéré seulement par des "troublions" de gauche comme Rosa Luxemburg) annonçait sa trahison de 1914. Les crises du Parti bolchevique construisaient la force qui a permis la révolution de 1917." ("15e Congrès du CCI : Renforcer l'organisation face aux enjeux de la période", Revue internationale n°114)
Ainsi, la capacité du CCI à faire face à ses responsabilités tout au long de ses trente années d'existence, nous la devons en très grande partie aux apports de la Fraction italienne de la Gauche communiste. Le secret du bilan positif que nous tirons de notre activité au cours de cette période, c'est dans notre fidélité aux enseignements de la Fraction et, plus généralement, à la méthode et à l'esprit du marxisme qu'elle s'était pleinement appropriés 14.
La Fraction s’est trouvée prise au dépourvu et désarmée face à l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale. C’est parce que sa majorité, derrière Vercesi, avait à ce moment-là abandonné les principes qui avaient fait sa force auparavant, notamment face à la guerre d’Espagne. Au contraire, c’est en s’appuyant sur ces principes que le petit noyau de Marseille a pu reconstituer la Fraction au cours de la guerre, poursuivant un travail politique et de réflexion exemplaire. Mais à son tour, la Fraction «maintenue» a abandonné ses principes fondamentaux à la fin de de la guerre, en décidant majoritairement de se dissoudre et de rejoindre individuellement le Partito Comunista Internazionalista qui s’était formé en 1945. C’est alors à la Gauche communiste de France qu’il est revenu de reprendre à son compte les acquis fondamentaux de la Fraction, de poursuivre leur élaboration préparant ainsi le cadre politique qui allait permettre au CCI de se constituer, d’exister et de progresser. En ce sens, pour nous, l'évocation des trente ans de notre organisation devait se concevoir comme un hommage au travail remarquable effectué par ce petit groupe de militants exilés qui ont fait vivre la flamme de la pensée communiste dans la plus noire période de l'histoire. Un travail qui, s'il est grandement méconnu aujourd'hui et largement ignoré par ceux qui pourtant se réclament de la Gauche italienne, s'avérera de plus en plus comme déterminant pour la victoire finale du prolétariat.
Une nouvelle génération de combattants communistes
Grâce notamment aux enseignements que nous ont légués la Fraction et la GCF, transmis et élaborés infatigablement par notre camarade MC jusqu'à sa mort, le CCI est aujourd'hui en ordre de marche pour accueillir dans ses rangs une nouvelle génération de révolutionnaires qui s'approche de notre organisation et que la tendance à la reprise des combats de classe depuis 2003 va renforcer en nombre et en enthousiasme. Notre dernier congrès international le constatait : on assiste à l'heure actuelle à une augmentation sensible du nombre de nos contacts et des nouvelles adhésions. " Et ce qui est remarquable, c'est qu'un nombre significatif de ces adhésions est le fait d'éléments jeunes, qui n'ont pas eu à subir et à surmonter les déformations provoquées par le militantisme dans les organisations gauchistes. Des éléments jeunes dont le dynamisme et l'enthousiasme remplace au centuple les "forces militantes" fatiguées et usées qui nous ont quittés." ("16e Congrès du CCI - Se préparer aux combats de classe et au surgissement de nouvelles forces révolutionnaires", Revue internationale n°122)
Trente ans, c'est pour l'espèce humaine l'âge moyen d'une génération. Ce sont des éléments qui pourraient être les enfants (et quelquefois sont les enfants) des militants qui ont fondé le CCI qui s'approchent de nous aujourd'hui ou nous ont d'ores et déjà rejoints.
Ce que nous disions dans le Rapport sur la situation internationale présenté au 8e congrès du CCI est en train de se concrétiser :
"Il fallait que les générations qui avaient été marquées par la contre-révolution des années 30 à 60 cèdent la place à celles qui ne l'avaient pas connue, pour que le prolétariat mondial trouve la force de surmonter celle-ci. D'une façon similaire (bien qu'il faille modérer une telle comparaison en soulignant qu'entre la génération de 68 et les précédentes il y avait une rupture historique, alors qu'entre les générations qui ont suivi, il y a continuité), la génération qui fera la révolution ne pourra être celle qui a accompli la tâche historique essentielle d'avoir ouvert au prolétariat mondial une nouvelle perspective après la plus profonde contre-révolution de son histoire."
Et ce qui vaut pour la classe ouvrière vaut aussi pour sa minorité révolutionnaire. Cependant, la plupart des "vieux" sont toujours là, même si leurs cheveux sont devenus gris (quand il leur en reste !). La génération qui a fondé le CCI en 1975 est prête à transmettre aux "jeunes" les enseignements qu'elle a reçus de ses aînés, et aussi les enseignements qu'elle a acquis au cours de ces trente années, pour que le CCI se rende de plus en plus capable d'apporter sa contribution à la formation du futur parti de la révolution communiste.
Fabienne
1 En particulier, c'est la seule organisation qui publie de façon significative en langue anglaise (une dizaine de numéros par an).
2 Il vaut la peine de signaler que les camarades de Montréal qui publient Notes Internationalistes avaient d'abord contacté le CCI qui les avait encouragés à prendre contact avec le BIPR. Finalement, c'est vers cette organisation que s'étaient tournés ces camarades. De même, lors d'une rencontre avec nous, un camarade de la CWO, la branche britannique du BIPR, nous avait dit très franchement que les seuls contacts de cette organisation en Grande-Bretagne étaient ceux du CCI qui les avait encouragés à prendre contact avec les autres organisations de la Gauche communiste.
3 Voir par exemple à ce propos la lettre que nous avions adressée aux groupes de la Gauche communiste le 24 mars 2003 publiée dans l'article "Propositions du CCI aux groupes révolutionnaires pour une intervention commune face à la guerre" dans la Revue internationale n°113.
4 C'est ainsi que nous écrivions dans la Revue internationale n°33 ("Rapport sur la structure et le fonctionnement des organisations révolutionnaires") :
"Dans le milieu politique prolétarien, nous avons toujours défendu cette position [si l'organisation fait fausse route, la responsabilité des membres qui estiment défendre une position correcte n'est pas de se sauver eux-mêmes dans leur coin, mais de mener une lutte au sein de l'organisation afin de contribuer à "la remettre dans le doit chemin"]. Ce fut le cas notamment lors de scission de la section d'Aberdeen de la "Communist Worker's Organisation" et de la scission du Nucleo Comunista Internazionalista d'avec Programme Communiste. Nous avions alors critiqué le caractère hâtif des scissions basées sur des divergences apparemment non fondamentales et qui n'avaient pas eu l'occasion d'être clarifiées par un débat interne approfondi. En règle générale, le CCI est opposé aux "scissions" sans principes basées sur des divergences secondaires (même lorsque les militants concernés posent ensuite leur candidature au CCI, comme ce fut le cas d'Aberdeen)."
5 "Pour la victoire définitive des propositions énoncées dans le Manifeste, Marx s'en remettait uniquement au développement intellectuel de la classe ouvrière, qui devait résulter de l'action et de la discussion communes." (Engels, préface à l'édition allemande de 1890 du Manifeste Communiste qui reprend presque mot pour mot ce qui est dit dans sa préface de l'édition anglaise de 1888)
6 C'est ainsi que Marx et Engels ont dû combattre au sein de la Ligue des communistes en 1850 contre la tendance Willich-Schapper qui, malgré la défaite subie par la révolution de 1848, voulait "la révolution tout de suite" : "Nous, nous disons aux ouvriers : 'Vous avez à traverser quinze, vingt, cinquante ans de guerres civiles et de luttes entre les peuples, non seulement pour changer les conditions existantes, mais pour vous changer vous-mêmes et vous rendre aptes à la direction politique'. Vous, au contraire, vous dites : 'Il nous faut immédiatement arriver au pouvoir, ou bien nous n'avons plus qu'à aller nous coucher'". (Intervention de Marx à la réunion du Conseil général de la Ligue du 15/09/1850)
7 "Les cadres pour les nouveaux partis du prolétariat ne peuvent sortir que de la connaissance profonde des cause des défaites. Et cette connaissance ne peut supporter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme." (Bilan n°1, novembre 1933)
8 Notre article consacré aux 20 ans du CCI rend compte plus en détail de notre intervention dans les luttes ouvrières de cette période.
9 Voir à ce propos "Grèves de masse en Pologne 1980 : une nouvelle brèche s'est ouverte", "La dimension internationale des luttes ouvrières en Pologne", "A la lumière des événements de Pologne, le rôle des révolutionnaires", "Perspectives de la lutte de classe internationale : une brèche ouverte en Pologne", "Un an de luttes ouvrières en Pologne", "Notes sur la grève de masse", "Après la répression en Pologne" dans la Revue internationale n°23, 24, 26, 27 et 29.
10 "Europe de l’Est : Crise économique et armes de la bourgeoisie contre le prolétariat", Revue internationale n°34
11 Voir à ce sujet dans la Revue internationale n°60 les "Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est" ainsi que ce que nous avons écrit à leur propos dans l'article "Les 20 ans du CCI" dans la Revue n°80.
12 "Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est", op.cit.
13 Sur la crise du CCI de 2001 et les comportements de la prétendue "fraction interne du CCI" (FICCI), voir en particulier "15e Congrès du CCI : Renforcer l'organisation face aux enjeux de la période", Revue internationale n°114.
14 En ce sens, la cause du bilan bien moins positif que peuvent tirer de leur propre activité les autres organisations qui se réclament aussi de la Gauche italienne tient au fait que leur revendication de l'héritage de celle-ci est essentiellement platonique.