Réponse à Ferdinand sur les "Divergences avec la Résolution sur la situation internationale du 24e Congrès du CCI"

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Le texte « Divergences avec la Résolution sur la situation internationale du 24e Congrès du CCI (explication d’une position minoritaire, par Ferdinand) » présente les désaccords du camarade Ferdinand avec l’analyse du CCI de la période présente. Ces divergences recoupent largement, comme il le souligne lui-même (« Puisque j’avais des désaccords similaires à ceux du camarade Steinklopfer »), celles formulées par le camarade Steinklopfer lors du 23ᵉ Congrès du CCI et rappelées par celui-ci dans un texte présentant ses amendements à la résolution du 24ᵉ Congrès du CCI. Nous avons largement répondu à ces divergences en 2019 et plus récemment dans une contribution publiée ici. Les arguments développés dans cette dernière exposent des arguments largement valables également pour l’essentiel des critiques formulées dans le texte de Ferdinand, et nous ne les redévelopperons donc pas ici1.

Cette contribution se centrera plutôt sur la compréhension de la situation en Chine, qui occupe une place importante dans la contribution de Ferdinand. Avant tout, nous sommes d’accord avec Ferdinand lorsqu’il souligne l’importance du débat, en particulier dans une période marquée par l’apparition d’événements nouveaux où « il n’est pas surprenant qu’au sein d’une organisation révolutionnaire vivante, des polémiques sur l’analyse de la situation mondiale surgissent ». De fait, dans une organisation non monolithique comme le CCI, il serait inquiétant que, face aux bouleversements des dernières années, aucun questionnement ou désaccord ne surgisse. Sur ce plan, comprendre « l’évolution de la Chine, sa puissance économique et le capitalisme d’État » constitue une question centrale non seulement pour mieux comprendre la dynamique actuelle du capitalisme mais aussi pour analyser la situation en mettant en pratique la méthode marxiste.

Dès le début de sa contribution, Ferdinand exprime ses critiques concernant l’analyse de la situation en Chine par l’organisation et pose la méthode qu’il a l’intention de développer : « Les affirmations selon lesquelles la Chine est une bombe à retardement, que son État est faible et que sa croissance économique semble chancelante sont l’expression d’une sous-estimation du véritable développement économique et impérialiste de la Chine au cours des quarante dernières années. Vérifions d’abord les faits puis les fondements théoriques sur lesquels repose cette analyse erronée ». Examinons donc de plus près quels sont les faits auxquels il est fait référence ici et ensuite les fondements théoriques que Ferdinand estime erronées. Mais avant cela, qu’en est-il de l’assertion que le CCI a toujours sous-estimé le développement de la Chine et qu’il continue à le faire ?

1. Une sous-estimation continue du développement de la Chine par le CCI ?

Une première manière, insidieuse, de mettre en doute l’analyse de l’organisation est d’affirmer qu’elle aurait toujours négligé le développement de la Chine (« Le développement de la Chine a été minimisé dans nos rangs pendant des décennies ») et qu’elle continue à le faire (« Mais cette reconnaissance était mitigée. Bientôt les anciens schémas se sont glissés à nouveau dans nos analyses »). Or, il est assez inexact de dire que le CCI a négligé pendant des décennies le développement de la Chine.

Ainsi, dès la fin des années 1970, le CCI mettait en évidence une évolution dans le rapport de forces entre les blocs d’une importance capitale pour le futur :

« Comme ailleurs, la devise du capital chinois devient : « exporter ou mourir ». Mais en raison de la faiblesse de son économie et faute de positions sur le marché mondial, la Chine ne peut plus jouer cavalier seul et, en conséquence, est contrainte de s’intégrer plus fortement dans le bloc occidental, comme en témoignent au niveau économique sa balance commerciale et au niveau politique son soutien à toutes « les politiques occidentales ou du tiers-monde hostiles à Moscou » ». (Révolution internationale n° 41, septembre 1977) ;
« Les années passées ont vu un renforcement considérable de l’impérialisme américain et un affaiblissement de son rival russe. L’intégration de la Chine dans le bloc américain et la participation au réarmement de Pékin signifient que le Kremlin rencontrera une force de plus en plus puissante sur sa frontière Est – une force qui barrera fermement la route vers les bases industrielles japonaises. Même les efforts de l’impérialisme russe pour chasser la Chine de la péninsule indochinoise ne peuvent compenser cette victoire de l’impérialisme américain en Extrême-Orient. » (« Rapport sur la situation internationale », 3e congrès international du CCI, 1979, Revue internationale n° 18).

Il s’agit là d’une dynamique cruciale qui s’enclenche dans le courant des années 1960 et 70 à travers la « rupture idéologique avec Moscou » de la Chine, son détachement du bloc russe et, dans le courant des années 1970 (visite de Nixon à Pékin en 1972 et établissement de relations diplomatiques en 1979), le rapprochement progressif du bloc américain afin de « travailler ensemble [et de] s’unir pour contrer l’ours polaire » (Deng Xiaoping en 1979).

Pendant 70 ans (dont 30 ans de domination du parti « communiste »), c’est-à-dire l’essentiel du XXe siècle, la Chine avait été une des expressions les plus manifestes de l’entrée en décadence du capitalisme – économie en ruine, guerres civiles, immixtions et invasions d’impérialismes étrangers, famines gigantesques, flots de réfugiés et massacre de millions de personnes. Son intégration au marché occidental a permis son développement économique et une formidable modernisation technologique, en particulier vers la fin des années 1980 et durant les années 1990. Dans le courant des années 1990 et le début des années 2000, le CCI a progressivement mis en évidence et analysé la montée en puissance de la Chine :

– sur le plan économique, en soulignant que cela ne remettait nullement en question l’analyse de la décadence du capitalisme :

« La décadence du capitalisme n’a jamais signifié un effondrement soudain et brutal du système, comme certains éléments de la Gauche allemande la présentaient dans les années 1920, ni un arrêt total du développement des forces productives, comme le pensait à tort Trotsky dans les années 30. […] la bureaucratie chinoise (figure de proue du « boom » actuel) a réussi le tour de force stupéfiant de se maintenir en vie. Certains critiques vis-à-vis de la notion de décadence du capitalisme ont même présenté ce phénomène comme la preuve que le système a encore la capacité de se développer et de s’assurer une croissance réelle.
En réalité, le « boom » chinois actuel ne remet en aucune façon en question le déclin général de l’économie capitaliste mondiale. Contrairement à la période ascendante du capitalisme :
– la croissance industrielle actuelle de la Chine ne fait pas partie d’un processus global d’expansion ; au contraire, elle a comme corollaire direct la désindustrialisation et la stagnation des économies les plus avancées qui ont délocalisé en Chine à la recherche de coûts de travail moins chers ;
– la classe ouvrière chinoise n’a pas en perspective une amélioration régulière de ses conditions de vie, mais on peut prévoir qu’elle subira de plus en plus d’attaques contre ses conditions de vie et de travail et une paupérisation accrue d’énormes secteurs du prolétariat et de la paysannerie en dehors des principales zones de croissance ;
– la croissance frénétique ne contribuera pas à une expansion globale du marché mondial mais à un approfondissement de la crise mondiale de surproduction : étant donné la consommation restreinte des masses chinoises, le gros des produits chinois est dirigé vers l’exportation dans les pays capitalistes les plus développés ;
– l’irrationalité fondamentale de l’envolée de l’économie chinoise est mise en lumière par les terribles niveaux de pollution qu’elle a engendrés – c’est une claire manifestation du fait que l’environnement planétaire ne peut être qu’altéré par la pression subie par chaque pays pour qu’il exploite ses ressources naturelles jusqu’à la limite absolue pour être compétitif sur le marché mondial ;
– à l’image du système dans son ensemble, la totalité de la croissance de la Chine est basée sur des dettes qu’elle ne pourra jamais compenser par une réelle extension sur le marché mondial.
D’ailleurs, la fragilité de toutes ces bouffées de croissance est reconnue par la classe dominante elle-même, qui est de plus en plus alarmée par la bulle chinoise – non parce qu’elle serait contrariée par les niveaux d’exploitation terrifiants sur laquelle elle est basée, loin de là, ces niveaux féroces sont précisément ce qui rend la Chine si attrayante pour les investissements – mais parce que l’économie mondiale est devenue trop dépendante du marché chinois et que les conséquences d’un effondrement de la Chine deviennent trop horribles à envisager, non seulement pour la Chine – qui serait replongée dans l’anarchie violente des années 30 – mais pour l’économie mondiale dans son ensemble. […]
Il est vrai que l’entrée dans la décadence s’est produite bien avant que ces marchés se soient épuisés et que le capitalisme a continué à faire le meilleur usage possible de ces aires économiques restantes en tant que débouché pour sa production : la croissance de la Russie pendant les années 30 et l’intégration des économies paysannes qui subsistaient pendant la période de reconstruction après la guerre en sont des exemples. Mais la tendance dominante, et de loin, dans l’époque de décadence, est l’utilisation d’un marché artificiel, basé sur l’endettement. » (« Résolution sur la situation internationale », 16e congrès international du CCI, 2005, Revue internationale n° 122)2 ;

– sur le plan de la manifestation de sa puissance impérialiste de plus en plus proéminente dès le début du XXIe siècle :

« En particulier, elle ne saurait décourager la Chine de faire prévaloir les ambitions impérialistes que lui permet son statut récent de grande puissance industrielle. Il est clair que ce pays, malgré son importance démographique et économique, n’a absolument pas les moyens militaires ou technologiques, et n’est pas près de les avoir, de constituer une nouvelle tête de bloc. Cependant, il a les moyens de perturber encore plus les ambitions américaines – que ce soit en Afrique, en Iran, en Corée du Nord, en Birmanie, et d’apporter sa pierre à l’instabilité croissante qui caractérise les rapports impérialistes » (« Résolution sur la situation internationale, 19e congrès international du CCI », 2011, Revue internationale n° 146).

Non pas un manque d’attention porté au développement de la Chine, mais un certain schématisme, en particulier au niveau de la compréhension des manifestations de la décadence, a certes caractérisé l’application et l’approfondissement de ce cadre d’analyse, comme le CCI l’a pointé lui-même lors de son 21e congrès international en 2015 :

« Le déni, dans certains de nos textes clefs, de toute possibilité d’expansion du capitalisme dans sa phase décadente a aussi rendu difficile pour l’organisation d’expliquer la croissance vertigineuse de la Chine et d’autres « nouvelles économies » dans la période qui a suivi la chute des vieux blocs. Alors que ces développements ne remettent pas en question, comme beaucoup l’ont dit, la décadence du capitalisme et en sont d’ailleurs une claire expression, ils sont allés à l’encontre de la position selon laquelle dans la période de décadence, il n’y a strictement aucune possibilité d’un décollage industriel dans des régions de la « périphérie ». Alors que nous avons été capables de réfuter certains des mythes les plus faciles sur la « globalisation » dans la phase qui a suivi l’effondrement des blocs (mythes colportés par la droite qui y voyait un nouveau et glorieux chapitre dans l’ascendance du capitalisme, comme par la gauche qui s’en est servie pour une revitalisation des vieilles solutions nationalistes et étatiques), nous n’avons pas été capables de discerner le cœur de la vérité dans la mythologie mondialiste : que la fin du vieux modèle autarcique ouvrait de nouvelles sphères aux investissements capitalistes, y compris l’exploitation d’une nouvelle source énorme de force de travail prélevée en dehors des rapports sociaux directement capitalistes. » (« Résolution sur la situation internationale », point 10, 21e congrès international du CCI, 2015, Revue internationale n° 156).
« Cependant, nous avons été moins capables de prévoir la capacité de la Russie de ré-émerger en tant que force qui compte sur la scène mondiale, et plus important, nous avons beaucoup tardé à voir la montée de la Chine en tant que nouvel acteur significatif dans les rivalités entre grandes puissances qui se sont développées dans les deux ou trois dernières décennies – un échec étroitement connecté à notre problème de reconnaissance de la réalité de l’avancée économique de la Chine ». (« Résolution sur la situation internationale », point 11, 21e congrès international du CCI, 2015, Revue internationale n° 156).

Toutefois, l’assertion même de Ferdinand que si cela a été le cas dans le passé cela ne peut qu’être toujours le cas aujourd’hui, est un mode d’argumentation fallacieux. Depuis que ce danger a été reconnu par l’organisation, on peut constater que l’attention portée au cadre de compréhension du développement de la Chine a été soutenu dans les analyses récentes de l’organisation :

« Les étapes de l’ascension de la Chine sont inséparables de l’histoire des blocs impérialistes et de leur disparition en 1989 : la position de la Gauche communiste affirmant « l’impossibilité de tout surgissement de nouvelles nations industrialisées » dans la période de décadence et la condamnation des états « qui n’ont pas réussi leur « décollage industriel » avant la première guerre mondiale à stagner dans le sous-développement, ou à conserver une arriération chronique par rapport aux pays qui tiennent le haut du pavé » était parfaitement valable dans la période de 1914 à 1989. C’est le carcan de l’organisation du monde en deux blocs impérialistes adverses (permanente entre 1945 et 1989) en vue de la préparation de la guerre mondiale qui empêchait tout bouleversement de la hiérarchie entre puissances. L’essor de la Chine a commencé avec l’aide américaine rétribuant son changement de camp impérialiste en faveur des États-Unis en 1972. Il s’est poursuivi de façon décisive après la disparition des blocs en 1989. La Chine apparaît comme le principal bénéficiaire de la “globalisation” suite à son adhésion à l’OMC en 2001 quand elle est devenue l’atelier du monde et la destinataire des délocalisations et des investissements occidentaux, se hissant finalement au rang de seconde puissance économique mondiale. Il a fallu la survenue des circonstances inédites de la période historique de la décomposition pour permettre l’ascension de la Chine, sans laquelle celle-ci n’aurait pas eu lieu.
La puissance de la Chine porte tous les stigmates du capitalisme en phase terminale : elle est basée sur la surexploitation de la force de travail du prolétariat, le développement effréné de l’économie de guerre du programme national de « fusion militaro-civile » et s’accompagne de la destruction catastrophique de l’environnement, tandis que la « cohésion nationale » repose sur le contrôle policier des masses soumises à l’éducation politique du Parti unique et la répression féroce des populations allogènes du Xinjiang musulman et du Tibet. En fait, la Chine n’est qu’une métastase géante du cancer généralisé militariste de l’ensemble du système capitaliste : sa production militaire se développe à un rythme effréné, son budget défense a été multiplié par six en 20 ans et occupe depuis 2010 la 2e place mondiale » (« Résolution sur la situation internationale », 23e congrès international du CCI, 2019, Revue internationale n° 164).

En réalité, ce n’est pas la sous-estimation de l’expansion de la Chine qui pose problème à Ferdinand, mais le cadre d’interprétation même qui est exploité (« la formulation « La croissance extraordinaire de la Chine est elle-même un produit de la décomposition. » »). Pour Ferdinand, l’examen des « faits » en eux-mêmes démontrerait déjà l’inconsistance de l’approche du CCI.

2. Quelle sanction des faits ?

Ferdinand veut examiner « les faits », mais il commence par sélectionner ceux qui lui conviennent : « Nous ne pouvons pas faire confiance à la propagande chinoise sur la force de son système. Mais ce que les médias occidentaux ou autres non chinois nous disent sur les contradictions en Chine est aussi de la propagande – et en plus c’est souvent un vœu pieux. ». Dès lors, il peut balayer d’un trait les « faits » avancés par l’organisation (« Les éléments mentionnés dans la Résolution ne sont pas convaincants ») tout en sélectionnant les sources qu’il estime « crédibles » (« je base les informations de cet article sur Wikipedia et The Economist »).

En conséquence, les « faits » qu’il daigne examiner se limitent uniquement à la question des tensions internes au sein des classes dirigeantes. Et qui plus est, son mode d’argumentation est des plus curieux :

– Ferdinand compare de manière absurde les changements de l’ordre de bataille au sein de certaines bourgeoisies en Europe de l’Ouest dans les années 1970, sous la pression de la lutte de classe, avec l’exacerbation des tensions internes entre cliques au sein des bourgeoisies nationales, qui est avant tout un phénomène de la phase de décomposition du capitalisme et plus spécifiquement de sa dernière décennie. Elle découle en effet de la pression de plus en plus forte que les différentes bourgeoisies ressentent aux niveaux économique et impérialiste et de la difficulté de garder le contrôle sur l’ensemble du système politique (comme le surgissement du populisme aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, mais également les tensions entre cliques au sein de l’appareil d’État en Chine).

– il avance l’idée fausse et saugrenue que le CCI défendrait « la thèse selon laquelle le prolétariat menace le régime de Xi Jinping ».

Cette argumentation cache en réalité (a) une sous-estimation du poids de la décomposition sur l’appareil politique de la bourgeoisie et (b) une tendance à voir la forme du capitalisme chinois comme une forme “avancée” de capitalisme, comme dans les pays européens, et pas comme une expression caricaturale du pourrissement du capitalisme. Le fait que Ferdinand puisse imaginer que la question ne serait pas une lutte de factions au sein du parti-état stalinien mais consisterait à proposer un modèle alternatif (« aucun modèle alternatif pour le cours du capitalisme d’État chinois n’est visible »), par des factions bourgeoises à l’extérieur et à l’intérieur du parti, montre à quel point il ne voit pas combien le système de capitalisme d’État stalinien en Chine ne représente pas une expression de force du capitalisme mais est au contraire un pur produit de la barbarie, de la décadence et de la décomposition.

Dans cette perspective, son analyse de la répression des capitalistes privés souligne singulièrement le manque de méthode dans son approche des « faits » : il pointe la récente répression des capitalistes privés (« Le Parti coupe les ailes de certaines des entreprises les plus rentables et des magnats les plus riches ; c’est laisser s’échapper l’air de certaines bulles spéculatives afin de contrôler plus strictement l’ensemble de l’activité économique »). Mais que prouve cette mise sous tutelle plus stricte des entreprises privées par l’État ? Le contexte de la phase de décomposition, mis en évidence par le CCI, permet précisément d’appréhender que la « reprise en main » de secteurs entiers de l’économie par le parti, qui souligne la rigidité du système politique stalinien chinois sous pression sur les plans économique et impérialiste, tout comme d’ailleurs les tensions entre factions en son sein, sont essentiellement une expression de FAIBLESSE du régime et non de sa force.

Tandis que les « faits » qu’il veut bien examiner se limitent à la question des tensions au sein des classes dirigeantes, il reste silencieux sur la multitude d’éléments avancée par l’organisation qui attestent des difficultés de la Chine, depuis le rapport sur les tensions impérialistes de juin 2018 (Revue internationale n° 161) jusqu’au rapport sur la pandémie et le développement de la décomposition, adopté au 24e congrès international du CCI en 2021 (Revue internationale n° 167) :

« À plus long terme, l’économie chinoise est confrontée à une délocalisation des industries stratégiques par les États-Unis et les pays européens et aux difficultés de la « nouvelle route de la soie » à cause des problèmes financiers liés à la crise économique et accentués par la crise du Covid-19 (financement chinois mais surtout niveau d’endettement de pays « partenaires » comme le Sri-Lanka, le Bangladesh, le Pakistan, le Népal…) mais aussi par une méfiance croissante de la part de nombreux pays et à la pression antichinoise des États-Unis. Aussi, il ne faut pas s’étonner qu’en 2020, il y a eu un effondrement de la valeur financière des investissements injectés dans le projet « Nouvelle route de la soie » (−64 %).
La crise du Covid-19 et les obstacles rencontrés par la « nouvelle Route de la Soie » ont également accentué les tensions de plus en plus manifestes à la tête de l’État chinois, entre la faction « économiste » qui mise avant tout sur la mondialisation économique et le « multilatéralisme » pour poursuivre l’expansion capitaliste de la Chine et la faction « nationaliste » qui appelle à une politique plus musclée et qui met en avant la force (« la Chine qui a vaincu le Covid ») face aux menaces intérieures (les Ouïghours, Hong-Kong, Taïwan) et extérieures (tensions avec les USA, l’Inde et le Japon). Dans la perspective du prochain Congrès du Peuple en 2022 qui devrait nommer le nouveau (l’ancien ?) président, la situation en Chine est donc également particulièrement instable. »

Depuis lors, tous les rapports sur les tensions impérialistes ont avancé de nombreux éléments concernant la gestion calamiteuse de la crise du Covid : l’accumulation des problèmes pour l’économie chinoise, la stagnation des « nouvelles routes de la soie » et l’accentuation des antagonismes au sein de la bourgeoisie chinoise. Le rapport sur les tensions impérialistes de novembre 2021 (Revue internationale n° 167) synthétise les difficultés de la Chine sur les différents plans :

« La Chine a connu ces dernières décennies une ascension fulgurante sur les plans économique et impérialiste, qui en a fait le challenger le plus important pour les États-Unis. Cependant, comme l’illustrent déjà les événements de septembre 2021 en Afghanistan, elle n’a pu profiter, ni de la poursuite du déclin américain, ni de la crise de la Covid-19 et de ses conséquences pour renforcer ses positions sur le plan des rapports impérialistes, bien au contraire. Nous examinons les difficultés auxquelles la bourgeoisie chinoise est confrontée sur le plan de la prise en charge de la Covid, de la gestion de l’économie, des rapports impérialistes et des tensions en son sein. »

Sur chacun de ces plans, des éléments précis sont fournis pour illustrer que « loin de tirer profit de la situation actuelle, la bourgeoisie chinoise, comme les autres bourgeoisies, est confrontée au poids de la crise, au chaos de la décomposition et aux tensions internes, qu’elle tente par tous les moyens de contenir au sein de ses structures capitalistes d’État désuètes ». (Rapport sur les tensions impérialistes de novembre 2021, Revue internationale n° 167). Malheureusement, elles sont toutes soigneusement ignorées par Ferdinand.

Qu’est-ce qui pousse alors le camarade à contester l’affirmation que « la Chine est une bombe à retardement », alors que cela ne peut être fondé sur un suivi insuffisant ou un manque de preuves, surtout dans la période présente, de la part du CCI, comme toutes les références à nos textes de congrès le montrent ? Les éléments discutés ci-dessus ne constituent-ils, en fin de compte, qu’un rideau de fumée qui doit cacher la véritable raison de son désaccord, à localiser alors au niveau des « fondements théoriques » ?

3. Une application schématique et erronée de la décadence et de la décomposition, mais par qui ?

Ferdinand entend démontrer par plusieurs questions que ce qui est en jeu est « une compréhension erronée et schématique de la décadence capitaliste ».

La première question abordée est l’idée que le CCI sous-estimerait la tendance vers la constitution de nouveaux blocs (« la Résolution minimise le danger d’une future constellation de blocs »), qui, pour Ferdinand, serait pourtant dominante : « La logique capitaliste de la polarisation entre la Chine et les États-Unis les pousse tous deux à trouver des alliés, à participer à la course aux armements et à se diriger vers la guerre ». Cette analyse fait toutefois abstraction des caractéristiques de la phase actuelle de décomposition qui :

(a) contrecarre radicalement cette tendance au regroupement en blocs impérialistes comme ceux qui ont marqué la période de la « Guerre froide ». Cela a clairement été posé par le CCI dès 1990 :

« la tendance à un nouveau partage du monde entre deux blocs militaires est contrecarrée, et pourra peut-être même être définitivement compromise, par le phénomène de plus en plus profond et généralisé de décomposition de la société capitaliste tel que nous l’avons déjà mis en évidence » (« Après l’effondrement du bloc de l’Est : déstabilisation et chaos », 1990, Revue internationale n° 61).
« ce n’est pas la disparition du partage du monde en deux constellations impérialistes résultant de l’effondrement du bloc de l’Est qui pouvait remettre en cause une telle réalité. En effet, ce n’est pas la constitution de blocs impérialistes qui se trouve à l’origine du militarisme et de l’impérialisme. C’est tout le contraire qui est vrai : la constitution des blocs n’est que la conséquence extrême (qui, à un certain moment peut aggraver les causes elles-mêmes), une manifestation (qui n’est pas nécessairement la seule) de l’enfoncement du capitalisme décadent dans le militarisme et la guerre. » (« Texte d’orientation Militarisme et décomposition », 1990, Revue internationale n° 64).

Ainsi, dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine, les positionnements de l’Inde envers les États-Unis et la Russie, de la Chine envers la Russie ou de la Turquie envers l’OTAN (dont le pays est membre) et la Russie soulignent (parmi d’autres exemples) combien c’est l’instabilité qui caractérise les rapports entre puissances impérialistes et non pas la constitution de blocs impérialistes.

(b) n’implique nullement une réduction de la barbarie militaire, du danger de guerre, comme nous le signalions déjà il y a plus de 30 ans :

« les affrontements militaires entre États, même s’ils ne sont plus manipulés et utilisés par les grandes puissances, ne sont pas près de disparaître. Bien au contraire, comme on l’a vu dans le passé, le militarisme et la guerre constituent le mode même de vie du capitalisme décadent que l’approfondissement de la crise ne peut que confirmer. Cependant, ce qui change avec la période passée, c’est que ces antagonismes militaires ne prennent plus à l’heure actuelle la forme d’une confrontation entre deux grands blocs impérialistes » (« Résolution sur la situation internationale », juin 1990, Revue internationale n° 63) ;
« […] la fin des blocs ne fait qu’ouvrir la porte à une forme encore plus barbare, aberrante et chaotique de l’impérialisme. » (« Texte d’orientation Militarisme et décomposition », 1990, Revue internationale n° 64).

Et face à l’interprétation de Ferdinand que « Faudrait-il penser que le capitalisme dans sa période de décomposition est plus rationnel et donc plus enclin à éviter la guerre ? », c’est tout le contraire qui est vrai : le CCI a mis en évidence que l’instabilité et le chaos actuels découlant de la tendance au chacun pour soi ne réduisent pas le militarisme et le danger de guerre mais rendent paradoxalement le danger de spirale nucléaire plus réel que lors de la “Guerre froide” entre blocs (cf. le rapport « Signification et impact de la guerre en Ukraine », 2022, Revue internationale n° 168).

Un autre point qui marquerait le schématisme du CCI selon Ferdinand est la non-reconnaissance que le capitalisme d’État chinois sortirait grand gagnant de la situation et se renforcerait : « La Résolution sous-estime le fait que les économies fortes sont bien mieux loties que les faibles […] Et elle nie que la Chine sorte gagnante de la situation […] la Chine est jusqu’à présent l’un des gagnants de la crise pandémique ». D’après Ferdinand en effet, « Les cercles dirigeants de ce pays utilisent la crise pandémique pour restructurer son économie, son armée, son empire. Même si la croissance économique en Chine a ralenti ces derniers temps, derrière cela se cache, dans une certaine mesure, un plan calculé de l’élite politique dirigeante pour maîtriser les excès du capital privé et renforcer le capitalisme d’État pour le défi impérialiste ».

Le CCI ne nie nullement que dans cette phase de décomposition croissante, des bourgeoisies nationales peuvent, temporairement et dans certaines régions, profiter de la situation : pendant la première décennie de la phase de décomposition, les États-Unis ont pu sembler réussir à imposer leur hégémonie globale (première guerre du Golfe, accords de Dayton pour l’ex-Yougoslavie) ; aujourd’hui même, certains pays producteurs de pétrole ou de gaz encaissent une manne inespérée de dollars ; de même, la Chine a effectivement connu une expansion économique remarquable entre 1990 et 2016. Toutefois, la vraie question à expliquer est la suivante : de quoi cette expansion est-elle le produit ?

Pour le CCI, l’entrée du capitalisme depuis 1989 dans la phase finale de sa décadence, la phase de décomposition, permet de situer et de comprendre à la fois les ingrédients de l’émergence soudaine de la Chine mais aussi les fragilités et les contradictions internes et externes qui menacent son expansion. Cette contextualisation est précisément ce que Ferdinand évite de faire de manière extensive et explicite.

Par ailleurs, contrairement à Ferdinand qui semble voir le capitalisme d’État stalinien comme le moteur dynamique du développement de la Chine, la Gauche Communiste de France, dans sa revue Internationalisme en 1952, soulignait déjà que le capitalisme d’État n’est pas fondamentalement une solution aux contradictions du capitalisme, même s’il peut en retarder les effets, mais est une expression de ces contradictions :

« Puisque le mode de production capitaliste est entré dans sa décadence, la pression pour lutter contre ce déclin avec des mesures capitalistes d’État est croissante. Cependant, la tendance à renforcer les organes et les formes capitalistes étatiques est tout sauf un renforcement du capitalisme ; au contraire, elle exprime les contradictions croissantes sur le terrain économique et politique. Avec l’accélération de la décomposition dans le sillage de la pandémie, nous assistons également à une forte augmentation des mesures capitalistes d’État ; celles-ci ne sont pas l’expression d’un plus grand contrôle de l’État sur la société mais constituent plutôt l’expression des difficultés croissantes à organiser la société dans son ensemble et à empêcher sa tendance croissante à la fragmentation. » (« Résolution sur la situation internationale », point 23, 24ᵉ congrès international du CCI, 2021, Revue internationale n° 167).

Dans ce cadre, l’implosion du bloc de l’Est a aussi signifié la faillite du capitalisme d’État stalinien, particulièrement dépassé et inefficace. Or, si la Chine, en passant du côté américain, a été capable de s’ouvrir aux capitalistes privés et au marché mondial (où elle a joué un rôle central dans la politique de mondialisation de l’économie), elle a gardé les structures surannées du capitalisme d’État stalinien, qui implique nécessairement (a) une liberté étroitement surveillée et relative pour les capitaux et les capitalistes privés, (b) une peur bleue de tout conflit social qu’il ne peut affronter qu’à travers une répression brutale et (c) des luttes machiavéliques et sans pitié entre factions rivales au sein du parti-État.

La question centrale qui transparaît confusément à travers une forêt d’éléments spécifiques est que le cadre de la décomposition mis en avant par le CCI implique une approche univoque :

« […] tout est subordonné à la « décomposition », une sorte de fragmentation homogène » » et passe à côté de certaines des caractéristiques centrales du capitalisme : « Cette compréhension de la période de décomposition est schématique et – dans la mesure où elle nie la persistance de lois capitalistes élémentaires – par exemple la concentration et la centralisation du capital – un abandon du marxisme ».

Or :

(a) la compréhension de la décomposition en tant que cadre dominant pour saisir le développement de la situation de ces quarante dernières années a été mise en évidence par le CCI vers la fin des années 1980 et confirmée par le déroulement des événements qui ont ébranlé l’ordre mondial et les rapports entre les classes depuis 1989-1990 :

« Depuis un an, la situation mondiale a connu des bouleversements considérables qui ont modifié de façon très sensible la physionomie du monde telle qu’il était sorti de la Seconde Guerre impérialiste. Le CCI s’est appliqué à suivre de très près ces bouleversements :
– pour rendre compte de leur signification historique ;
– pour examiner dans quelle mesure ils infirmaient ou confirmaient les cadres d’analyse valables auparavant.
C’est ainsi que ces événements historiques (agonie du stalinisme, disparition du bloc de l’Est, désagrégation du bloc de l’Ouest), s’ils n’avaient pu être prévus dans leur spécificité, s’intégraient parfaitement dans le cadre d’analyse et de compréhension de la période historique présente élaboré antérieurement par le CCI : la phase de décomposition » (« Texte d’orientation Militarisme et décomposition », 1990, Revue internationale n° 64).

Cette situation a provoqué une dynamique de pourrissement sur pied du capitalisme accentuant des caractéristiques déjà présentes depuis son entrée en décadence, tels l’explosion irrationnelle du militarisme, une foire d’empoigne impérialiste, le chaos ou la difficulté pour la bourgeoisie à garder le contrôle de son appareil politique, mais qui deviennent des caractéristiques dominantes de cette phase finale :

« il est indispensable de mettre en évidence la différence fondamentale qui oppose les éléments de décomposition qui ont affecté le capitalisme depuis le début du siècle et la décomposition généralisée dans laquelle s’enfonce à l’heure actuelle ce système et qui ne pourra aller qu’en s’aggravant. Là aussi, au-delà de l’aspect strictement quantitatif, le phénomène de décomposition sociale atteint aujourd’hui une telle profondeur et une telle extension qu’il acquiert une qualité nouvelle et singulière manifestant l’entrée du capitalisme décadent dans une phase spécifique – la phase ultime – de son histoire, celle où la décomposition devient un facteur, sinon le facteur, décisif de l’évolution de la société. » (« Thèses sur la Décomposition », 1990, Revue internationale n° 107).

Pourquoi Ferdinand ne se positionne-t-il pas par rapport à la prédominance de ce cadre dans la phase ultime de la décadence capitaliste, celle de la décomposition sociale, discuté et approuvé unanimement par l’organisation, et rappelé dans le préambule de la résolution sur la situation internationale du 24e congrès international du CCI ? (2021, Revue internationale n° 167) :

« Cette résolution s’inscrit dans la continuité du rapport sur la décomposition présenté au 22e congrès du CCI, de la résolution sur la situation internationale présentée au 23e congrès, et du rapport sur la pandémie et la décomposition présenté au 24e congrès. Elle est basée sur l’idée que non seulement la décadence du capitalisme passe par différents stades ou phases, mais que nous avons depuis la fin des années 1980 atteint sa phase ultime, la phase de décomposition ».

(b) Est-ce que ce cadre de compréhension de la situation implique, comme Ferdinand l’affirme, « l’oubli » par le CCI de certaines tendances inhérentes au capitalisme, telle la tendance à la concentration et la centralisation, encore accentuées en décadence ? Loin de les nier, le CCI a mis en évidence combien la mise en œuvre de ces tendances exacerbe encore plus le chaos et la barbarie de la période :

« dans la continuité de la plate-forme de l’Internationale communiste de 1919, qui non seulement insistait sur le fait que la guerre impérialiste mondiale de 1914-18 annonçait l’entrée du capitalisme dans « l’époque de l’effondrement du Capital, de sa désintégration interne, l’époque de la révolution communiste du prolétariat », mais encore soulignait également que « l’ancien « ordre » capitaliste a cessé de fonctionner ; son existence ultérieure est hors de question. Le résultat final du mode de production capitaliste est le chaos. Ce chaos ne peut être surmonté que par la classe productive et la plus nombreuse – la classe ouvrière. Le prolétariat doit établir un ordre réel – l’ordre communiste ». Ainsi, le drame auquel l’humanité est confrontée se pose effectivement en termes d’ordre contre chaos. Et la menace d’un effondrement chaotique était liée à « l’anarchie du mode de production capitaliste », en d’autres termes, à un élément fondamental du système lui-même – un système qui, suivant le marxisme, et à un niveau qualitativement plus élevé que dans tout mode de production antérieur, implique que les produits du travail humain deviennent une puissance étrangère qui se dresse au-dessus et contre leurs créateurs. La décadence du système, du fait de ses contradictions insolubles, marque une nouvelle spirale dans cette perte de contrôle. Et comme l’explique la Plate-forme de l’IC, la nécessité d’essayer de surmonter l’anarchie capitaliste au sein de chaque État-nation – par le monopole et surtout par l’intervention de l’État – ne fait que la pousser vers de nouveaux sommets à l’échelle mondiale, culminant dans la guerre mondiale impérialiste. Ainsi, alors que le capitalisme peut à certains niveaux et pendant certaines phases retenir sa tendance innée au chaos (par exemple, à travers la mobilisation pour la guerre dans les années 1930 ou la période de boom économique qui a suivi la guerre), la tendance la plus profonde est celle de la « désintégration interne » qui, pour l’IC, caractérise la nouvelle époque. » (« Résolution sur la situation internationale », 24ᵉ congrès du CCI, 2021, Revue internationale n° 167).

Il apparaît donc que les divers désaccords de Ferdinand en rapport avec l’analyse de la Chine viennent fondamentalement d’une assimilation insuffisante des tendances centrales de la phase de décomposition. En réalité, en partant de ce cadre et en reprenant les éléments convoqués dans les points précédents, on ne peut qu’appréhender le développement de la Chine comme « un produit de la décomposition ». Certes, Ferdinand affirme qu’il est d’accord avec cette dernière : « Les tendances à la polarisation que je mets en avant ne sont pas en contradiction avec le cadre de la décomposition », il y aurait juste le CCI qui exagère avec sa « décomposition partout ». En réalité, et l’examen des points précédents le confirme, Ferdinand manifeste une incompréhension profonde de la décomposition et une phrase est particulièrement illustrative de ceci : « Cette dernière [la position « décomposition partout »] est une recherche permanente des phénomènes de dislocation et de désintégration, perdant de vue les tendances plus profondes et concrètes [nous soulignons] typiques des mutations actuelles ». En d’autres mots, le chacun pour soi, le chaos et l’individualisme exacerbé ne constitueraient pas des tendances fondamentales de la période présente : dès lors, malgré l’expression formelle d’un accord avec ce cadre, transparaît en réalité, à travers un nuage de fumée, une remise en question concrète de celui-ci par une approche détournée et empirique.

4. Comment progresser dans le débat ?

Avec Ferdinand, nous avons commencé par souligner l’importance de ce débat. Pour Ferdinand, celui-ci consiste en une confrontation de théories et d’affirmations. Ainsi, il le souligne dans sa contribution sur l’analyse de l’émergence de la Chine : « ma thèse est l’opposée. Les cercles dirigeants de ce pays utilisent la crise pandémique pour restructurer son économie, son armée, son empire ». Or, Ferdinand rappelle, au début de son texte, qu’un débat au sein du CCI doit se développer avec méthode. Rappelons en quoi consiste la conception marxiste du débat :

« Contrairement au courant bordiguiste, le CCI n’a jamais considéré le marxisme comme une « doctrine invariante », mais bien comme une pensée vivante pour laquelle chaque événement historique important est l’occasion d’un enrichissement. En effet, de tels événements permettent, soit de confirmer le cadre et les analyses développés antérieurement, venant ainsi les conforter, soit de mettre en évidence la caducité de certains d’entre eux, imposant un effort de réflexion afin d’élargir le champ d’application des schémas valables auparavant mais désormais dépassés, ou bien, carrément, d’en élaborer de nouveaux, aptes à rendre compte de la nouvelle réalité. Il revient aux organisations et aux militants révolutionnaires la responsabilité spécifique et fondamentale d’accomplir cet effort de réflexion en ayant bien soin, à l’image de nos aînés comme Lénine, Rosa Luxemburg, la Fraction Italienne de la Gauche Communiste Internationale (Bilan), la Gauche Communiste de France, etc., d’avancer à la fois avec prudence et audace :
– en s’appuyant de façon ferme sur les acquis de base du marxisme ;
– en examinant la réalité sans œillères et en développant la pensée sans « aucun interdit non plus qu’aucun ostracisme » (Bilan).(« Texte d’orientation Militarisme et décomposition », 1990, Revue internationale n° 64).

Bref, un débat ne consiste pas simplement en une libre « confrontation d’arguments fondés sur des faits », d’une libre opposition d’« hypothèses », d’une juxtaposition de « théories », « d’opinions » avancées par une « majorité » et une « minorité » comme le camarade le laisse transparaître à diverses occasions (« confrontation d’arguments fondés sur des faits » ; « il n’y a aucun élément en faveur de la thèse selon laquelle le prolétariat menace le régime de Xi Jinping […], ma thèse est l’opposée » ; « nous devons examiner la théorie qui sous-tend la position majoritaire et donc la présente Résolution »). Le point de départ d’un débat est avant tout le cadre partagé par l’organisation, adopté et précisé par les différents rapports de ses congrès internationaux.

En conséquence, l’approche du CCI n’est nullement dogmatique mais applique simplement la méthode marxiste lorsqu’elle confronte des éléments nouveaux au cadre partagé, communément acquis sur la base des débats passés dans l’histoire du mouvement ouvrier, afin d’évaluer en quoi ces éléments nouveaux confirment ou au contraire remettent en question le cadre d’analyse acquis. Par contre, derrière l’approche formellement systématique de Ferdinand, qui présente point par point ses commentaires critiques à la résolution sur la situation internationale, adoptée par le CCI lors de son dernier congrès international, se cache la confusion d’une démarche qui vise à voiler le fait que le camarade tend en réalité à remettre en question le cadre en partant d’une autre logique implicite.

R. Havanais, novembre 2022.

 

2En réalité, l’endettement ne crée nullement un véritable « marché » mais consiste à injecter des sommes toujours plus importantes dans l’économie en acompte de la production attendue des années à venir. Dans ce sens, la dette représente un poids qui pèse de plus en plus lourdement sur l’économie. Ainsi, le niveau d’endettement de la Chine est gigantesque (300 % du PIB en 2019).

 

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