Soumis par Révolution Inte... le
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Le Président de la République Emmanuel Macron est sorti de son silence en s’adressant aux Français, le 10 décembre à 20h, sur toutes les chaînes de télévision : “Françaises, français, nous voilà ensemble au rendez-vous de notre pays et de l’avenir. Les événements de ces dernières semaines (…) ont mêlé des revendications légitimes et un déchaînement de violences inadmissibles. (…) Ces violences ne bénéficieront d’aucune indulgence. Aucune colère ne justifie qu’on s’attaque à un policier, à un gendarme ; qu’on dégrade un commerce ou des bâtiments publics. (…) Quand la violence se déchaîne, la liberté cesse. C’est donc désormais le calme et l’ordre républicain qui doivent régner. Nous y mettrons tous les moyens. (…) J’ai donné en ce sens au gouvernement les instructions les plus rigoureuses.
Mais, au début de tout cela, je n’oublie pas qu’il y a une colère, une indignation. Et cette indignation, beaucoup d’entre nous, beaucoup de français peuvent la partager (…) Mais cette colère est plus profonde, je la ressens comme juste à bien des égards, et elle peut être notre chance (…) Ce sont quarante années de malaise qui resurgissent.
Sans doute n’avons-nous pas su, depuis un an et demi, y apporter une réponse rapide et forte. Je prends ma part de responsabilité. Je sais qu’il m’est arrivé de blesser certains d’entre vous par mes propos. (…) Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies, comme trop souvent par le passé lors des crises. Nous sommes à un moment historique de notre pays. Je veux aussi que nous mettions d’accord la nation avec elle-même sur ce qu’est son identité profonde. Que nous abordions la question de l’immigration”.
Aucun “maintien de l’ordre républicain” ne justifie, en effet, que des policiers tirent avec des balles de flashball sur des adolescents (sans casque ni bouclier) mineurs, scolarisés, et dont les traumatismes sont autrement plus profonds que ceux des policiers agressés, le samedi 1er décembre, devant la tombe du Soldat inconnu. Aucun “maintien de l’ordre républicain” ne justifie que des policiers bombardent de grenades lacrymogènes des manifestants marchant paisiblement sur l’avenue des Champs-Élysées, des manifestants parmi lesquels il y avait des personnes âgées (dont beaucoup de femmes). Aucun “maintien de l’ordre républicain” ne justifie que des adolescents soient estropiés, la main arrachée par l’explosion d’une grenade offensive (une arme non utilisée dans les autres pays d’Europe).
Quand la violence policière se déchaîne contre des adolescents, cela ne peut que provoquer des émeutes urbaines (comme en 2005), cela ne peut qu’aggraver le chaos social. La violence ne peut engendrer que la violence ! Tirer sur des adolescents est un crime. Si les fonctionnaires du maintien de “l’ordre républicain” tuent les enfants (comme cela a failli arriver avec ce lycéen grièvement blessé dans une commune du Loiret), cela signifie que cet ordre républicain n’a aucun avenir à offrir à l’humanité ! Ces violences policières infanticides sont ignobles et révoltantes ! Ce n’est certainement pas avec l’intimidation et les menaces que le “calme” et la “paix sociale” vont revenir.
Le discours du Président de la République ne s’adresse qu’aux “Françaises et aux Français” alors que beaucoup de travailleurs et travailleuses qui paient leurs impôts ne sont pas “Françaises ou Français”. Nos ancêtres n’étaient pas des “Gaulois” mais des Africains (n’en déplaise à la Gauloise Madame Le Pen !) : l’Afrique est le berceau de l’espèce humaine, comme le savent les scientifiques, anthropologues et primatologues. Il n’y a que les Églises qui affirment encore que Dieu a créé l’homme. Comme le disait le philosophe Spinoza : “l’ignorance n’est pas un argument”.
Macron a décrété “l’État d’urgence économique et social”
Tous les indicateurs économiques sont de nouveau dans le rouge. Dix ans après la crise financière de 2008 qui a davantage aggravé la dette souveraine des États, les menaces d’une nouvelle crise financière se profilent à nouveau avec le risque d’un nouveau krach boursier. Mais voilà que le “peuple” se révolte ! Car, c’est au “peuple” que tous les gouvernements ont fait payer la crise de 2008 avec des plans d’austérité dans tous les pays. On a exigé des prolétaires d’accepter des sacrifices supplémentaires pour sortir “tous ensemble” de la crise (depuis 2008, la perte moyenne du pouvoir d’achat des travailleurs est de 440 euros par ménage). L’État devait nous “protéger” du risque de faillites en chaîne des banques où le “peuple” a placé ses petites économies pour pouvoir assurer ses vieux jours. Ces sacrifices, notamment sur le pouvoir d’achat des ménages, devaient permettre un retour de la croissance et protéger les emplois.
Après dix ans de sacrifices pour sauver les banques de la faillite et éponger le déficit budgétaire de l’État national, il est normal que le “peuple” ne puisse plus joindre les deux bouts et soit indigné de voir les “riches” vivre dans le luxe alors que les “pauvres” n’ont plus assez de sous pour remplir le frigidaire ou acheter des jouets pour leurs enfants à Noël.
Le Président a donc tout-à-fait raison de décréter l’ “État d’urgence économique et social”. Il a absolument besoin de nouveaux “pompiers sociaux” pour éteindre l’ “incendie” de la lutte de classe, les grandes centrales syndicales ayant soigneusement fait leur sale travail pour saboter les luttes revendicatives des travailleurs salariés afin d’aider le gouvernement et le patronat à faire passer leurs attaques contre nos conditions de vie.Les “riches”, ce sont ceux qui exploitent la force de travail des “pauvres” pour faire du profit, de la plus-value, et maintenir leurs privilèges. C’est ce que Karl Marx avait clairement expliqué en 1848 dans le “Manifeste du Parti communiste”.(1)
Pour sortir de la crise du pouvoir exécutif et ouvrir le “dialogue”, “notre” Président a annoncé les mesures suivantes : augmentation du SMIC de 100 euros par mois, annulation de l’augmentation de la CSG pour les retraités qui touchent moins de 2 000 euros par mois, défiscalisation des heures supplémentaires. Il a aussi demandé aux patrons qui le peuvent, de verser des primes de fin d’année à leurs salariés (prime qui sera aussi défiscalisée). “Notre Président de La République En Marche” a donc fait “un pas en avant”. La leçon à tirer serait donc que seules les méthodes de lutte “modernes” (et pas “ringardes”) des citoyens en “gilet jaune” payent et peuvent faire “reculer” le gouvernement !
Pour notre part, nous restons des “ringards”, convaincus que les boules de pétanque et autres projectiles pour riposter aux bombardements intensifs de grenades lacrymogènes, sont totalement inefficaces et ne peuvent que contribuer à l’escalade de la violence, au chaos social et au renforcement de l’État policier. La lutte de classe du prolétariat n’est pas une fronde. Les principales armes du prolétariat demeurent son organisation et sa conscience. Car “lorsque la théorie s’empare des masses, elle devient une force matérielle”, disait encore Karl Marx. Contrairement au mouvement des “gilets jaunes”, notre référence “Gauloise” n’est pas la Révolution Française de 1789 (avec sa guillotine, son drapeau tricolore et son hymne national “ringard”), mais la Commune de Paris.
Le chaos social en France et la crise du pouvoir exécutif
Depuis le “samedi noir” du 1er décembre, les médias nous ont fait vivre en direct, sur tous les écrans de télévision et les réseaux sociaux, un véritable feuilleton à suspense : le “Président des riches”, Emmanuel Macron, va-t-il finir par “reculer” sous la pression du mouvement des “gilets jaunes” ? Va-t-il céder face à la détermination des “gilets jaunes” qui campent sur les ronds-points et ont suivi les mots d’ordre d’Éric Drouet, figure de proue et initiateur du mouvement ?
La marche des “gilets jaunes” sur les Champs-Élysées, le samedi 1er décembre s’était transformée en véritable guérilla urbaine tournant à l’émeute avec des scènes de violence hallucinantes sous l’Arc de triomphe comme dans les avenues Kléber et Foch du 16e arrondissement. Deux semaines plus tôt, le 17 novembre, les “forces de l’ordre” n’avaient déjà pas hésité à envoyer des gaz lacrymogènes et à foncer sur des groupes de “citoyens”, hommes et femmes en gilets jaunes, marchant tranquillement sur les Champs-Élysées en chantant La Marseillaise et en brandissant le drapeau tricolore. Ces provocations policières ne pouvaient qu’attiser la colère des citoyens en “gilet jaune” contre le citoyen en costard cravate du Palais de l’Élysée. L’appel à l’ “Acte III” des “gilets jaunes” a ainsi provoqué une émulation parmi les éléments déclassés du “peuple” français. Les bandes organisées de casseurs professionnels, black blocs, nervis d’extrême-droite, “anars” et autres mystérieux “casseurs” non identifiés ont profité de l’occasion pour venir semer la pagaille sur la “plus belle avenue du monde”.
Mais ce qui a mis le feu aux poudres, c’est une erreur de “stratégie” du Ministère de l’Intérieur dans le maintien de l’ordre : la mise en place d’une “fan zone” sur une partie des Champs-Élysées, pour sécuriser les beaux quartiers. Au lendemain du “samedi noir”, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner a reconnu son erreur : “On s’est planté !”. Autre erreur reconnue également : le manque de mobilité des CRS et des gendarmes, complètement dépassés par la situation (malgré leurs canons à eau et les tirs incessants de grenades lacrymogènes), terrorisés par le passage à tabac de l’un d’entre eux et par les jets de projectiles qui les ont assaillis. Les médias n’ont cessé pendant toute la semaine de passer en boucle sur les écrans de télévision cette scène ubuesque de CRS obligés de battre en retraite face à des groupes de “gilets jaunes” autour de l’Arc de Triomphe. Les propos enregistrés et très peu diffusés par les médias : “Samedi prochain, on revient avec des armes !”, de même que la colère des commerçants et habitants des beaux quartiers contre l’incurie des forces de l’ordre ont été clairement entendus par le gouvernement et l’ensemble de la classe politique. Le danger d’enlisement de la République française dans le chaos social a encore été renforcé par la volonté d’une partie de la population des 16e et 8e arrondissements de se défendre elle-même si la police n’était pas capable de la protéger de l’engrenage de la violence lors de la quatrième “manifestation” des “gilets jaunes” prévue le samedi 8 décembre (l’Acte IV avec le mot d’ordre puéril : “Tous à l’Élysée !”).
L’événement le plus spectaculaire de la crise du pouvoir exécutif est la perte de crédibilité de l’ “État protecteur” et de son appareil de “maintien de l’ordre”. Cette faille du pouvoir macronien (et la sous-estimation de la profondeur du mécontentement qui gronde dans les entrailles de la société) ne pouvait que donner des ailes non seulement aux “gilets jaunes” “radicaux”, mais aussi à tous ceux qui veulent “casser du flic”, mettre le feu partout face à l’absence d’avenir, notamment parmi les jeunes générations confrontées au chômage et à la précarité. Beaucoup de jeunes sortant des universités avec des diplômes ne trouvent pas d’emplois et sont obligés de faire des “jobs alimentaires” pour survivre.
Face au risque de perte de contrôle de la situation et de débandade du gouvernement, le Président Macron, après être venu constater les dégâts (y compris sur le plan du “moral des troupes” des CRS choqués par la guérilla urbaine à laquelle ils n’étaient pas préparés) a pris la décision de s’enfermer dans son bunker élyséen pour “réfléchir” en mouillant toute la classe politique et en envoyant “au front” son Premier ministre, Edouard Philippe, épaulé par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner.
En plus de la morgue affichée par le plus jeune Président de la République française, celui-ci est apparu comme un lâche qui se “planque” derrière son Premier ministre et se trouve incapable de sortir de l’ombre pour “parler à son peuple”. Les médias ont même répandu la rumeur qu’Emmanuel Macron allait utiliser Edouard Philippe, voire le Ministre de l’Intérieur comme “fusibles”, c’est-à-dire leur faire porter le chapeau pour ses propres fautes.
Dans toute la classe politique, après le “samedi noir”, c’était la curée contre son bouc émissaire, Jupiter Macron, désigné comme seul et unique responsable du chaos social. Le “Président pyromane” aurait allumé le brasier avec son “péché originel” : la suppression de l’impôt sur la fortune et son attitude arrogante et provocatrice. L’annonce des dernières mesures d’austérité (augmentation des taxes sur le carburant, du gaz et de l’électricité) n’aurait été que l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. De l’extrême droite à l’extrême gauche, toutes les cliques bourgeoises ont crié à hue et à dia et ont cherché à se dédouaner. Toutes les cliques de l’appareil politique bourgeois qui ont “soutenu” le mouvement citoyen des “gilets jaunes” ont lâchement abandonné le petit Président et l’ont appelé à enfin entendre le cri du “peuple” qui n’arrive plus à joindre les deux bouts. Certains ont réclamé un référendum, d’autres la dissolution de l’Assemblée nationale. Tout le monde a appelé le Président à assumer sa responsabilité. Les chefs d’État des autres pays (Trump, Erdogan, Poutine…) ont également commencé à tirer à boulets rouges sur le jeune Président de la République française en lui mettant un bonnet d’âne pour avoir fait preuve de trop grande répression contre son peuple. C’est vraiment l’hôpital qui se moque de la charité, le déchaînement du chacun pour soi et Dieu pour tous !
La boîte de Pandore du gouvernement Macron
Dès le mardi 3 décembre, le Premier ministre avait annoncé trois mesures pour sortir de la crise, “apaiser” la tension sociale et éviter l’escalade de la violence : la suspension pour six mois de la taxe sur les carburants, la suspension pendant trois mois de l’augmentation du prix du gaz et de l’électricité et la réforme du contrôle technique des véhicules qui, au nom de la “transition écologique”, condamnait beaucoup d’entre eux à la casse. Mais ce “scoop” n’a fait qu’aggraver la colère des travailleurs pauvres en gilets jaunes. Personne n’était dupe : “Macron cherche à nous entuber !” “Il nous prend pour des cons !”. Même le PCF a entonné son couplet : “On n’est pas des pigeons à qui on donne des miettes !” On n’éteint pas un incendie avec un compte-gouttes (ni avec des canons à eau).
Face au tollé provoqué par cette “annonce”, le Premier ministre Edouard Philippe, est revenu le lendemain, avec un remarquable sang-froid, parler au “peuple” français pour annoncer que, finalement, les hausses des taxes sur les carburants ne seraient pas suspendues mais carrément annulées. Après l’annonce du dernier “pas de côté” du gouvernement de la République en marche (la défiscalisation des primes sur les heures supplémentaires), le “gilet vert” Benoit Hamon a affirmé que “le compte n’y est pas !”. Le gouvernement n’avait pas d’autre alternative que de lâcher du lest pour “apaiser” les esprits et éviter que la guérilla urbaine qui s’est déroulée sur les Champs-Élysées ne s’intensifie encore, alors même que cette violence ne parvenait pas à discréditer le mouvement des “gilets jaunes”.
Depuis le “samedi noir”, le gouvernement a manié le bâton et la carotte. Ces petites concessions diplomatiques ont été accompagnées d’un gigantesque battage médiatique sur le déploiement “exceptionnel” des forces de l’ordre pour l’“Acte IV” des “gilets jaunes”, le samedi 8 décembre. Pour ne pas écorner la “démocratie” bourgeoise, le gouvernement n’a pas interdit le rassemblement. Pas question non plus de décréter l’État d’urgence (comme cela avait été envisagé et même réclamé par certains secteurs de l’appareil politique).
Après avoir examiné le “problème” avec tous les hauts fonctionnaires chargés de la sécurité du territoire, notre débonnaire Ministre de l’Intérieur a cherché à rassurer “tout le monde” en annonçant qu’une autre stratégie de maintien de l’ordre public avait été élaborée avec la collaboration du Ministère de la Justice. Les forces de l’ordre ne devaient plus battre en retraite dans la capitale comme sur tout le territoire. L’État d’urgence n’était pas nécessaire : il n’y avait pas de “péril imminent” pour la République.
Ce qui s’est passé dans les beaux quartiers de Paris, notamment les pillages, s’apparente davantage aux émeutes de la faim, comme celles en Argentine en 2001, et aux émeutes des banlieues comme celles de 2005 en France. Le slogan “Macron démission !” est de même nature que le “dégagisme” du Printemps arabe de 2011 qui a circulé sur tous les réseaux sociaux. C’est pour cela qu’on a pu lire aussi sur des pancartes en carton : “Macron dégage !”.
Ce déploiement exceptionnel des forces de l’ordre n’est pas parvenu à rassurer “tout le monde”, à tel point que le ministre de l’Intérieur a dû expliquer patiemment sur les écrans de télévision que les blindés de la gendarmerie ne sont pas des chars d’assaut mais simplement des véhicules destinés à déblayer les éventuelles barricades et à protéger les forces de l’ordre dans leur mission. Objectif d’un tel dispositif : éviter les morts tant du côté des manifestants que de celui des forces de l’ordre, même s’il y a eu de nombreux blessés et 1 723 arrestations (sans compter les dégâts matériels).
Le Président a donc beaucoup “réfléchi” avec le soutien de sa garde rapprochée de “spécialistes” et “conseillers” et, en coulisse, avec celui de tous les “corps intermédiaires” et pompiers sociaux professionnels que sont les syndicats. La grève illimitée des routiers appelée par la CGT a été annulée 48 heures plus tard, la ministre des Transports ayant immédiatement accordé aux chauffeurs routiers la garantie du maintien de la majoration des heures supplémentaires avant même qu’il ne se soient mis en grève !
Le Président de la République était devant un “casse-tête” chinois. En étant obligé de lâcher (trop tardivement !) du lest face au “cri du peuple”, il a ouvert une boîte de Pandore : tout le “peuple” risque de se mobiliser, comme on l’a vu aussi avec les manifestions massives des lycéens (sans “gilets jaunes” ni drapeau tricolore) contre la réforme du Bac et le Parcours Sup. Mais si Emmanuel Macron continuait à refuser de lâcher du lest, il prenait le risque d’un raz de marée de “gilets jaunes” réclamant sa démission.
Comment le gouvernement va-t-il maintenant fermer cette boîte de Pandore ? Le gouvernement s’est trouvé face à un autre dilemme qu’il devait résoudre rapidement pour endiguer le danger d’un engrenage de la violence, avec des morts, lors de la manifestation du 8 décembre. Après les attaques des CRS obligés de reculer devant l’Arc de triomphe, la priorité était de montrer que “force doit revenir à la loi” et rétablir la crédibilité de l’État “protecteur” et garant de “l’unité nationale”. Le gouvernement Macron ne pouvait pas prendre le risque de faire apparaître l’État démocratique français comme une vulgaire république bananière du “tiers monde” qui ne tient qu’avec une junte militaire musclée au pouvoir.
Cette focalisation sur le jour “J” et sur le problème de la violence devait permettre au gouvernement de ne pas “reculer” sur une des questions centrales : celle de l’augmentation des salaires. Surtout, le “Président des riches” est resté “droit dans ses bottes” concernant la suppression de l’Impôt sur la Fortune vécue comme une injustice profonde. Il est hors de question de “détricoter ce que nous avons fait pendant 18 mois !”, selon ses propres mots relayés par les médias.
Ce qui a permis, à la veille du jour “J”, à Marine Le Pen de faire une nouvelle déclaration pour parler encore de Macron, “cet homme” dont la fonction “désincarnée” montre qu’il est “dénué d’empathie pour le peuple”. Pure hypocrisie ! Aucun chef d’État n’a d’ “empathie pour le peuple”. Si Madame Le Pen (qui aspire à être un jour “cheftaine d’État”) a tant d’ “empathie pour le peuple”, pourquoi a-t-elle déclaré devant les plateaux télévisés qu’elle n’était pas favorable à l’augmentation du SMIC pour ne pas pénaliser les petits patrons des PME (qui constituent une partie de sa clientèle électorale) ? Tous ces partis bourgeois qui soutiennent les “gilets jaunes” et focalisent toute l’attention sur la personnalité détestable de Macron veulent nous faire croire que le capitalisme est personnifié par tel ou tel individu alors que c’est un système économique mondial qu’il faut abattre. Cela ne se fera pas en quelques jours, vu la longueur du chemin qu’il reste encore à parcourir (nous ne croyons pas au mythe du “grand soir”). La démission de Macron et son remplacement par un autre “guignol de l’info” ne changera rien à la misère croissante des prolétaires. La misère ne peut que continuer à s’aggraver avec les secousses d’une crise économique mondiale sans issue.
Dans le mouvement interclassiste des “gilets jaunes”, la petite bourgeoisie se dévoile
Le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” ne pouvait que se fractionner, entre les “extrémistes” et les “modérés”. Éric Drouet, initiateur du mouvement sur les réseaux sociaux, a cru pouvoir monter une pièce de théâtre avec ses différents “Actes”. Invité sur les plateaux télévisés, il a clairement affirmé que son appel à l’ “Acte IV” du samedi 8 décembre était destiné à entraîner les “gilets jaunes” à se rendre au Palais de l’Élysée pour un face à face avec le “Roi” Macron. Ce petit aventurier mégalomane s’imaginait peut-être que les “gilets jaunes” pourraient faire le poids face à la Garde républicaine qui protège le palais présidentiel. On n’entre pas à l’Élysée comme dans un vieil immeuble où il n’y a ni concierge ni digicode ! Les pendules ayant été remises à l’heure, le “Roi” allait pouvoir donner la fessée au leader des “sans culottes”.
À la veille de la manifestation du 8 décembre, on a appris que ce jeune chauffeur routier allait faire l’objet d’une enquête judiciaire pour “provocation à la commission d’un crime ou d’un délit”, ce qui pourrait lui coûter cinq ans de prison ! Les méthodes aventuristes et activistes d’Éric Drouet (et ses “amis” virtuels) sont typiques de la petite bourgeoisie. Elles révèlent le désespoir des couches sociales “intermédiaires” (situées entre les deux classes fondamentales de la société : la bourgeoisie et le prolétariat) frappées aussi par la paupérisation.
Le gouvernement a également essayé de reprendre le contrôle de la situation grâce à la constitution d’un collectif des “gilets jaunes libres” qui se sont démarqués des “radicaux” ralliés derrière le drapeau du “mauvais citoyen” Éric Drouet. Les trois principaux représentants de ce “collectif” de gilets jaunes “modérés” se sont désolidarisés de leurs “camarades” après avoir assisté ou participé au “samedi noir”. Qui sont ces trois nouvelles stars en “gilet jaune” ?
— un artisan forgeron, Christophe Chalençon qui avait appelé à la démission du gouvernement et suggéré de nommer le général De Villiers comme Premier ministre (après avoir annoncé le 28 juin 2015 sur Facebook, qu’il était contre les immigrés et avait songé à adhérer au Front National, avant de devenir “macroniste”, puis candidat malheureux aux dernières élections législatives) ! ;
— une femme, Jacline Mouraud, hypnothérapeute libérale et accordéoniste ;
— un cadre dynamique et proche de l’extrême-droite, Benjamin Cauchy.
Ces “gilets jaunes libres” sont devenus plus royalistes que le roi. Alors que le gouvernement n’avait pas interdit la manifestation du 8 décembre à Paris, ce triumvirat autoproclamé a appelé les “gilets jaunes” à ne pas y participer (pour ne pas faire le “jeu de l’Éxécutif” !). Ces trois porte-paroles du mouvement ont été reçus (avec quatre autres) par le Premier ministre comme interlocuteurs privilégiés des “gilets jaunes libres”. Ils ont montré leur patte blanche de “bons citoyens”, responsables, ouverts au dialogue et prêts à collaborer avec le gouvernement pour qu’ “on puisse se parler”. Comme l’a déclaré Jacline Mouraud après avoir rencontré Edouard Philippe à Matignon : le Premier ministre “nous a écoutés”, a reconnu que le gouvernement a fait des erreurs et “on a pu parler de tout”.
On a pu voir également à la télévision, après le “samedi noir”, des “gilets jaunes” affirmer vouloir maintenant protéger les CRS contre les “casseurs”. C’est le monde à l’envers ! Sur les écrans de télévision, a également été diffusé le spectacle pitoyable d’un groupe de “gilets jaunes” venu offrir des croissants au poste de police de Fréjus et à la gendarmerie pour faire “ami-ami” avec les forces de l’ordre. Le gendarme qui les a accueillis a été interloqué d’entendre ces “gilets jaunes”, penauds et repentis, s’excuser pour les violences du “samedi noir” : “on aurait bien voulu que vous soyez avec nous, mais comme ce n’est pas possible, on a voulu vous dire (avec des croissants) qu’on est avec vous et qu’on se bat aussi pour vous”. Que dans un mouvement social, les manifestants essaient de démoraliser les forces de répression, voire de les appeler à changer de camp, c’est de bonne guerre, comme le confirment de nombreux exemples dans l’Histoire. Mais jamais on a vu les réprimés s’excuser auprès des répresseurs ! La police s’est-elle déjà excusée pour les multiples bavures qu’elle a commises, comme celle qui a grièvement blessé d’une balle de flashball un jeune lycéen dans le Loiret, sans parler de la mort de deux enfants à l’origine des émeutes des banlieues à l’automne 2005 ?
Ce sont ces bavures policières qui ont attisé la haine du flic et l’envie des adolescents de venir “casser la gueule aux keufs”, en mettant le feu non seulement aux poubelles mais aussi aux établissements scolaires. Ces émeutes du désespoir contiennent l’idée que “ça ne sert à rien d’aller à l’école” pour pouvoir avoir un métier puisque papa est au chômage et que maman est obligée de faire des ménages pour pouvoir faire bouillir la marmite et mettre un peu de beurre dans les épinards. Un marché parallèle continue à se développer dans certains quartiers populaires de Paris avec les petits trafics en tous genre, les vols, et maintenant les pillages de magasins ! Sans compter ces enfants migrants qui vivent à la rue dans le ghetto de la “Goutte d’Or” (sic !) du 18e arrondissement de Paris, sans famille, sans pouvoir être scolarisés et qui sont de vrais “délinquants” (mais ce n’est pas “génétique” comme se l’imaginait l’ex-Président Nicolas Sarkozy).
Alors que certains secteurs de la petite bourgeoisie paupérisée plongent dans les actes de violence, d’autres ont maintenant le doigt sur la couture du pantalon. En fin de compte, dans les circonstances actuelles, cette couche sociale intermédiaire instable et opportuniste ne bascule pas du côté du prolétariat, comme elle a pu le faire à d’autres moments de l’Histoire, mais du côté de la grande bourgeoisie.
C’est justement parce que le mouvement des “gilets jaunes” est interclassiste qu’il a été infiltré non seulement par le poison idéologique du nationalisme patriotard mais aussi par les relents nauséabonds de l’idéologie populiste anti-immigrés. On peut en effet, trouver au milieu de la liste (à la Prévert !) des “42 revendications” des “gilets jaunes” celle de la reconduction aux frontières des immigrés clandestins ! C’est d’ailleurs pour ça que “notre” Président s’est permis dans son discours du 10 décembre de faire une petite gâterie aux “gilets jaunes” membres ou sympathisants du Rassemblement national (ex-FN) de Marine Le Pen en évoquant la question de l’immigration (alors que ce parti a gagné 4 % dans les sondages depuis le début du mouvement).
Cette “révolte populaire” de tous ces “pauvres” de la “France qui travaille” et n’arrivent plus à “joindre les deux bouts” n’est pas, comme tel, un mouvement prolétarien, malgré sa composition “sociologique”. La grande majorité des “gilets jaunes” sont effectivement des travailleurs salariés, exploités, précaires dont certains ne touchent même pas le SMIC (sans compter les retraités qui n’ont pas même droit au “minimum vieillesse”). Vivant dans les zones péri-urbaines ou rurales, sans aucun transport en commun pour se rendre à leur travail ou accompagner leurs enfants à l’école, ces travailleurs pauvres sont obligés d’avoir une voiture. Ils ont donc été les premiers frappés par la hausse des taxes sur le carburant et la réforme du contrôle technique de leurs véhicules.
Ces secteurs minoritaires et dispersés du prolétariat des zones rurales et périphériques n’ont aucune expérience de la lutte de classe. La grande majorité d’entre eux sont, pour la plupart, des “primo manifestants” n’ayant jamais eu l’occasion de participer ni à des grèves ni à des assemblées générales ni à des manifestations de rue. C’est pour cela que leur première expérience de manifestations dans les grandes concentrations urbaines, et notamment à Paris, a pris la forme d’un mouvement de foule, désorganisé, errant à l’aveuglette sans aucune boussole et découvrant pour la première fois in vivo les forces de l’ordre avec leurs grenades lacrymogènes, canons à eau, tirs de flashball ainsi que les blindés de la gendarmerie. Ont-ils vu aussi ce snipper armé d’un fusil à lunette et posté sur le toit d’un immeuble, le jour du “samedi noir” ? (image diffusée par l’agence Reuters)
L’explosion de colère parfaitement légitime des “gilets jaunes” contre la misère de leurs conditions d’existence a été noyée dans un conglomérat interclassiste d’individus-citoyens prétendument libres. Leur rejet des “élites” et de la politique “en général” les rend particulièrement vulnérables à l’infiltration des idéologies les plus réactionnaires, notamment celle de l’extrême droite xénophobe. L’histoire du XXe siècle a largement démontré que ce sont les couches sociales “intermédiaires” (entre la bourgeoisie et le prolétariat), notamment la petite-bourgeoisie, qui ont fait le lit des régimes fasciste et nazi (avec l’appui des bandes du lumpen, haineuses et revanchardes, aveuglées par des préjugés et des superstitions qui remontent à la nuit des temps).
C’est uniquement dans les situations de luttes massives et pré-révolutionnaires, où le prolétariat s’affirme ouvertement sur la scène sociale comme classe autonome, indépendante, avec ses propres méthodes de lutte et d’organisation, sa propre culture et morale de classe, que la petite-bourgeoisie (et même certains éléments éclairés de la bourgeoisie) peut abandonner son culte de l’individualisme et “citoyen”, perdre son caractère réactionnaire en se ralliant derrière la perspective du prolétariat, seule classe de la société capable d’offrir un avenir à l’espèce humaine.
Le mouvement des “gilets jaunes”, de par sa nature interclassiste, ne peut déboucher sur aucune perspective. Il ne pouvait que prendre la forme d’une fronde désespérée dans les rues de la capitale avant de se fracturer en différentes tendances, celles des radicaux, “amis” d’Éric Drouet, et celle des modérés du “Collectif des gilets jaunes libres”. En endossant le gilet jaune, les prolétaires pauvres qui se sont engagés à la remorque des mots d’ordre de la petite-bourgeoisie se trouvent maintenant comme les dindons de la farce (ou les cocus de l’histoire, dont le jaune est aussi la couleur). Ils ne voulaient pas de représentants qui négocient dans leur dos avec le gouvernement (comme l’ont toujours fait les syndicats) : le gouvernement a refusé tout enregistrement des discussions avec les “porte-parole” des “gilets jaunes”.
Maintenant, ils ont des représentants (qu’ils n’ont pas élus) : notamment le “Collectif des gilets jaunes libres”. Ce mouvement informel, inorganisé, initié par les réseaux sociaux, a commencé à se structurer après le 1er décembre. Les principaux représentants autoproclamés de ce mouvement prétendument apolitique ont envisagé de présenter une liste aux élections européennes. Voilà donc la petite-bourgeoisie en “gilet jaune” qui rêve de pouvoir jouer dans la cour des grands !
Avant même que l’ “ordre public” ne soit revenu, était mise en avant (par Emmanuel Macron lui-même), l’idée d’organiser des conférences “pédagogiques” en province sur la “transition écologique”. Les citoyens des “territoires” pourront apporter leurs idées dans ce vaste débat démocratique qui doit contribuer à remettre la République en marche, après une période de “blocage” du pouvoir exécutif. Ce mouvement citoyen soi-disant apolitique est truffé de syndicalistes, de membres d’organisations politiques et toutes sortes d’individus pas très nets. N’importe qui peut mettre le gilet jaune (y compris des casseurs). La majorité des citoyens en “gilet jaune” constitue la clientèle électorale de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. Sans compter les trotskistes, notamment le NPA d’Olivier Besancenot et Lutte ouvrière. Ces organisations trotskistes nous racontent toujours la même fable : “il faut prendre l’argent dans la poche des riches”. Le prolétariat n’est pas une classe de pickpockets ! L’argent qui se trouve dans “la poche des riches”, c’est le fruit de l’exploitation du travail des “pauvres”, c’est-à-dire des prolétaires. Il ne s’agit pas “de faire les poches” des riches, mais de lutter aujourd’hui pour limiter ce véritable vol que signifie l’exploitation capitaliste et, ce faisant, de ramasser les forces pour abolir l’exploitation de l’homme par l’homme.
Lors de la Marche pour le climat à Paris, le 8 décembre, de nombreux “gilets jaunes” se sont mêlés au cortège des “gilets verts” avec une prise de conscience, surtout parmi les jeunes manifestants, que “les fins de mois et la fin du monde”, “tout ça, c’est lié”. Dans la marche des “gilets jaunes”, certains ont décidé de mettre le feu à leur gilet et à leur carte d’électeur. Il est vrai que les fins de mois difficiles et la fin du monde sont liés, ce sont les deux faces d’une même réalité, celle d’un système qui est basé sur le profit d’une petite minorité et nullement sur les besoins de l’espèce humaine.
Après le “samedi noir”, un syndicat de la police nationale a évoqué une “grève illimitée” des fonctionnaires de la police qui veulent aussi endosser l’uniforme jaune ! Ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts et en ont marre des “cadences infernales”, du burn-out dû au stress et à la peur de se prendre une boule de pétanque sur la tête. Il fallait donc que le gouvernement débloque des fonds pour offrir une prime de Noël aux CRS et autres catégories professionnelles chargées du maintien de l’ordre. Le gouvernement va devoir créer de nouveaux emplois dans ce secteur totalement improductif, et donc creuser encore les déficits, pour tenter de maintenir l’ordre dans une société en pleine décomposition où les fractures sociales ne peuvent que s’aggraver avec la détérioration des conditions d’existence et le renforcement de la répression. Tout le monde sait que les flics Gaulois ne font pas dans la dentelle : ils cognent d’abord et ils “discutent” après !
Quelle perspective pour le prolétariat ?
Ce qui a inquiété le gouvernement et toute la classe bourgeoise, c’est le fait que, malgré le déchaînement de violence des casseurs en gilets jaunes lors du “samedi noir”, la cote de popularité de leur mouvement n’a pas faibli : après le 1er décembre, les sondages ont annoncé que 72 % de la population française continuait à soutenir les “gilets jaunes” (même si 80 % condamnent les violences et que 34 % les comprennent). Les “gilets jaunes” sont même devenus une star mondiale : en Belgique, en Allemagne, au Pays-Bas, en Bulgarie et même en Irak, à Bassorah, on a enfilé le gilet jaune ! Quant au gouvernement égyptien, il a décidé de restreindre la vente de gilets jaunes par peur de la “contamination” ; pour en acheter un, il faut l’autorisation de la police !
Une telle popularité s’explique essentiellement par le fait que toute la classe ouvrière, qui constitue la majorité du “peuple”, partage la colère, l’indignation et les revendications économiques des “gilets jaunes” contre la vie chère, contre l’injustice sociale et fiscale. Après avoir fait ses classes avec l’ex-Président de gauche, François Hollande, notre Président de la République a exposé avec sa langue de bois une théorie totalement incompréhensible pour le “peuple” : la théorie du “ruissellement”. D’après cette “théorie”, plus les “riches” ont de l’argent, plus ils peuvent le faire “ruisseler” vers les “pauvres”. C’est l’argument des dames patronnesses qui font bénéficier les miséreux de leur générosité en puisant un tout petit peu sur leur magot. Ce qu’on oublie de dire, c’est que la richesse des nantis ne tombe pas du ciel. Elle provient de l’exploitation des prolétaires.
Cette théorie macroniste s’est concrétisée par la suppression de l’ISF : ce cadeau fiscal permettrait aux “riches” (en fait à la grande bourgeoisie), d’utiliser l’argent qui leur a été restitué pour qu’ils fassent des investissements qui, finalement, créeront des emplois, résorberons le chômage et, donc, profiteront aux prolétaires. Ainsi, ce serait dans l’intérêt de la classe ouvrière que l’ISF aurait été supprimé ! Les “pauvres” en gilet jaune ont parfaitement compris, en dépit de leur “illettrisme” de “gaulois réfractaires”, que le macronisme cherche à les “entuber” (comme l’a dit une retraitée en gilet jaune interviewée à la télévision). En attendant que la suppression de l’ISF profite aux prolétaires, il faut encore leur demander de se serrer la ceinture pendant que la classe capitaliste continue à se vautrer dans le luxe. Il n’est pas surprenant qu’on ait pu lire, sur une pancarte en carton, dans la manifestation du 8 décembre : “Nous aussi on veut payer l’ISF ! Rends l’argent !”
Malgré la colère générale de tout le “peuple” de la “France qui travaille”, les prolétaires, dans leur grande majorité, ne veulent pas rejoindre les “gilets jaunes” même s’ils peuvent avoir de la sympathie pour leur mobilisation. Ils ne se reconnaissent pas dans les méthodes de lutte d’un mouvement soutenu par Marine Le Pen et par toute la droite. Ils ne se reconnaissent pas dans les violences aveugles des black blocks, les menaces de mort, la mentalité pogromiste, les agressions verbales xénophobes et homophobes de certains “gilets jaunes”.
La popularité de ce mouvement, y compris après les violences du “samedi noir”, est significative de l’immense colère qui gronde dans les entrailles de la société. Mais, pour le moment, la grande majorité des prolétaires (ouvriers de l’industrie, des transports ou de la grande distribution, travailleurs de la santé ou de l’enseignement, petits fonctionnaires des administrations ou des services sociaux…) sont encore paralysés par la difficulté à retrouver leur identité de classe, c’est-à-dire la conscience qu’ils appartiennent à une même classe sociale subissant la même exploitation. La grande majorité en a assez des “journées d’action” stériles, des manifestations balades appelées par les syndicats et autres grèves “perlées”, comme celle des cheminots au printemps dernier. Tant que le prolétariat n’aura pas retrouvé le chemin de sa lutte et affirmé son indépendance de classe autonome, développé sa conscience, la société ne peut que continuer à s’enliser dans le chaos. Elle ne peut que continuer à pourrir dans le déchaînement bestial de la violence.
Le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” a révélé au grand jour un danger qui guette aussi le prolétariat en France comme dans d’autres pays : la montée du populisme de l’extrême-droite. Ce mouvement des “gilets jaunes” ne peut que favoriser une nouvelle poussée électorale, notamment aux prochaines élections européennes, du parti de Marine Le Pen, principale et première supporter du mouvement. Cette avocate plaide la cause d’un “protectionnisme hexagonal” : il faut fermer les frontières aux marchandises étrangères et surtout aux “étrangers” à la peau sombre qui fuient la misère absolue et la barbarie guerrière dans leurs pays d’origine. Le parti de Marine Le Pen avait déjà annoncé que pour augmenter le pouvoir d’achat des français le gouvernement doit faire des “économies” sur l’immigration. Le parti du Rassemblement national va pouvoir trouver un autre argument pour refouler les migrants : notre “peuple” qui n’arrive pas à joindre les deux bouts “ne peut pas héberger toute la misère du monde” (comme l’avait dit le Premier ministre socialiste Michel Rocard, le 3 décembre 1989, à l’Émission “7 sur 7” animée par Anne Sinclair) !
Les agressions verbales xénophobes, la délation aux forces de police de migrants clandestins cachés dans un camion-citerne (car c’est encore avec nos impôts qu’on va payer pour ces “enculés”, dixit un “gilet jaune” !), la revendication de certains “gilets jaunes” de reconduire les migrants clandestins hors de “nos” frontières, ne doivent pas être banalisées ! L’empathie que tout le monde ressent pour ce mouvement social ne doit pas aveugler le prolétariat et ses éléments les plus lucides.
Pour pouvoir retrouver son identité de classe, et le chemin de sa propre perspective révolutionnaire, le prolétariat en France comme partout ailleurs ne doit pas fouler au pied (ou enfouir sous le drapeau tricolore) le vieux mot d’ordre “ringard” du mouvement ouvrier : “Les prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”.
Dans l’atmosphère de violence et d’hystérie nationaliste qui a pollué le climat social en France, une petite lueur a pu néanmoins surgir après le “samedi noir”. Cette petite lueur, ce sont les étudiants pauvres, obligés de faire des petits boulots, qui l’ont allumée en mettant en avant, dans leurs mobilisations et assemblées générales, la revendication du retrait de l’augmentation des frais d’inscription pour leurs camarades étrangers n’appartenant pas à la communauté européenne. À la faculté de Paris Tolbiac on a pu lire sur une pancarte : “Solidarité avec les étrangers !”. Ce slogan, à contre-courant du raz de marée nationaliste des “gilets jaunes” montre au prolétariat la voie de l’avenir.
C’est grâce à leur “boite à idées” que les étudiants en lutte contre le Contrat première embauche du gouvernement de Dominique de Villepin, ont pu, en 2006 retrouver spontanément les méthodes du prolétariat. Ils se sont organisés pour ne pas être agressés par les petits “casseurs” des banlieues. Ils ont refusé de se laisser happer dans l’engrenage de la violence qui ne peut que renforcer l’ordre de la Terreur.
Face au danger du chaos social en plein cœur de l’Europe, aujourd’hui plus que jamais, l’avenir appartient à la lutte de classe des jeunes générations de prolétaires. C’est à ces nouvelles générations qu’il reviendra de reprendre le flambeau de la lutte historique de la classe exploitée, celle qui produit toutes les richesses de la société. Non seulement les richesses matérielles, mais aussi les richesses culturelles. Comme le disait Rosa Luxemburg, la lutte du prolétariat n’est pas seulement une question “de couteaux et de fourchettes” pour remplir les estomacs.
Les prolétaires en France ne sont plus des “sans culottes”. Ils doivent continuer à donner l’exemple à tous leurs frères et sœurs de classe des autres pays, comme leurs ancêtres l’avaient fait pendant les Journées de Juin 1848, pendant la Commune de Paris de 1871, ainsi qu’en Mai 1968. C’est le seul moyen de retrouver leur dignité, de continuer à marcher debout pour regarder loin, et non pas à quatre pattes comme les bêtes fauves qui veulent nous imposer la loi de la jungle.
Face au danger du chaos social provoqué par l’ “union sacrée” de tous les exploiteurs et casseurs:
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Marianne, 10 décembre 2018
1) Ouvrage dans lequel se trouve un chapitre intitulé : “Bourgeois et Prolétaires”.