Soumis par Révolution Inte... le
Dans sa revue Lutte de classe n° 186, l’organisation trotskiste Lutte ouvrière (LO) a publié un long article intitulé “Bordiguisme et trotskisme” dans lequel elle stigmatise (en paraphrasant Lénine) la “maladie infantile” de la Gauche communiste : son “sectarisme”. D’après LO, ce serait cette “tare congénitale” de la Gauche communiste qui expliquerait qu’ “aujourd’hui, la Gauche communiste a éclaté entre différents petits groupes sans influence, sans avoir jamais vraiment réussi à essaimer en dehors de l’Italie”.
Dans son offensive contre la Gauche communiste, LO utilise, pour duper le lecteur, un stratagème parfaitement malhonnête consistant à réduire la Gauche communiste non seulement à la Gauche italienne, mais aux seules organisations du courant “bordiguiste”. On y apprend ainsi que la Gauche communiste d’Italie aurait été incapable de transmettre la tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier du fait de son “ignorance des débats politiques qui ont traversé dans les années 1930 le mouvement communiste international. Mais les militants du courant bordiguiste, pour beaucoup, vivaient alors dans l’émigration (notamment en France) et avaient la possibilité de connaître ces débats et de se confronter au courant que représentait l’Opposition de gauche trotskiste, elle-même véritable héritière politique de la révolution russe et du léninisme. Mais leur choix fut justement de s’en isoler et de se replier sur leur sectarisme, sur une base nationale faite avant tout d’ignorance de ce qu’étaient les autres courants, à commencer par le courant trotskyste dont les positions n’ont été que bien peu connues en Italie. Une grande partie de ce qui a été la tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier n’a ainsi, tout simplement, pas été transmise”.(1)
Sectarisme ou défense intransigeante des principes révolutionnaires ?
LO emploie comme argument massue pour démontrer le “sectarisme” de la Gauche communiste une citation de Trotsky à propos de la Gauche italienne dans les années 1930 : “La période préparatoire de propagande nous a donné des cadres sans lesquels nous n’aurions pu faire de pas en avant, mais en même temps elle a favorisé au sein de l’organisation, en tant qu’héritage, l’expression de conceptions très abstraites de la construction du parti révolutionnaire et de la nouvelle Internationale. Dans leur forme chimiquement pure, ces conceptions ont été exprimées de la façon la plus complète par cette secte morte que forment les bordiguistes, qui espèrent que l’avant-garde du prolétariat se convaincra toute seule, à travers la lecture d’une production théorique de difficile lecture, de la justesse de leurs positions et ainsi se retrouvera autour de leur secte”. En s’appuyant sur cette citation, LO fait ainsi passer, tout au long de son article, l’intransigeance de la Gauche italienne dans la défense des principes prolétariens, tant politiques qu’organisationnels, pour une attitude de “secte morte” (dixit Trotsky !).
Si le “sectarisme” signifie l’intransigeance impitoyable envers tous les partis et courants qui défendent les intérêts de la classe dominante contre le prolétariat, alors, oui, la Gauche communiste est “sectaire” comme étaient “sectaires” les spartakistes, les bolchéviks et toutes les petites minorités révolutionnaires qui ont combattu les sociaux-chauvins en 1914 et dénoncé la trahison des partis socialistes. En réalité, si LO ne voit dans l’intransigeance révolutionnaire de la Gauche communiste que du “sectarisme”, c’est parce que cette officine trotskiste appartient au camp de la bourgeoisie (même si ses militants sincères n’en ont pas conscience). C’est bien pour cela que LO, malgré la trahison des partis “socialistes” en 1914 et leur intégration définitive à l’appareil d’État bourgeois, n’a eu aucun scrupule à appeler les ouvriers à voter pour le candidat “socialiste” aux élections présidentielles non seulement en 1974 mais également en 1981 et en 2007. L’État bourgeois peut donc bien décerner à LO la palme d’or du “non sectarisme” pour ses bons et loyaux services contre la classe ouvrière.
Contrairement au trotskisme, la Fraction de la Gauche communiste d’Italie,(2) exclue par les staliniens du Parti communiste d’Italie, avait compris que le combat contre la dégénérescence de l’Internationale communiste, puis la contre-révolution triomphante, passait par la capacité des minorités révolutionnaires à tirer les leçons de la vague révolutionnaire débutée en Russie en 1917. En publiant Prometeo en italien et Bilan en français, la Fraction s’efforça de regrouper les maigres forces révolutionnaires de l’époque autour de la défense de principes prolétariens bafoués par le stalinisme.(3) Après l’échec de la vague révolutionnaire et la victoire de l’opportunisme au sein de l’Internationale communiste, il était impossible de créer immédiatement un nouveau Parti mondial du prolétariat. Il fallait tout d’abord tenter de redresser l’Internationale puis, après la trahison irrémédiable de tous les Partis communistes, construire un “pont” vers la constitution du prochain Parti révolutionnaire une fois la contre-révolution surmontée.(4)
À l’opposé, la notion d’Opposition (“loyale”, pourrait-on ajouter) revendiquée par Trotsky reflétait une énorme confusion sur la nature de la fraction stalinienne qui était censée (ou tout au moins une partie de celle-ci) pouvoir évoluer vers des positions révolutionnaires.(5) Cette confusion est la cause de toute la dérive opportuniste du courant de Trotsky durant les années 1930. Celui-ci, profitant de l’aura que lui conférait le rôle fondamental qu’il a joué dans la révolution russe, a entraîné les minorités révolutionnaires dans des impasses et des crises, jusqu’à la catastrophe qu’a représenté pour l’Opposition trotskiste la politique d’entrisme dans les partis sociaux-démocrates, alors que ces partis étaient passés dans le camp bourgeois en 1914 et n’avaient pas hésité à noyer dans le sang les soulèvements prolétariens (notamment en 1919 en Allemagne) au moment où l’extension internationale de la révolution russe était vitale pour la classe ouvrière.
LO préfère néanmoins colporter une critique douteuse et malhonnête de Rosmer, recyclée ensuite par Trotsky, selon laquelle la Gauche italienne aurait fait le “choix”, dans les années 1930, de “s’isoler et de se replier” sur sa “base nationale”. Le “courant bordiguiste” et ses “avatars” n’auraient jamais su sortir de leur dimension nationale italienne, ignorant et évitant “de se confronter au courant que représentait l’Opposition de gauche trotskiste”. On peut d’ores et déjà noter avec quel aplomb LO réduit la réaction prolétarienne contre le stalinisme à la seule Opposition trotskiste, faisant mine d’ignorer le rôle de la Fraction italienne et d’autres groupes exclus du parti stalinien à la fin des années 1920 et au début des années 1930. En réalité, la Gauche communiste italienne était loin d’ignorer les positions de l’Opposition trotskiste comme le prétend LO. Elle collabora loyalement aux travaux de l’Opposition et adhéra à son Secrétariat international, bien qu’elle refusât de s’impliquer dans la direction en l’absence d’une plateforme programmatique claire.
La lutte contre le stalinisme n’est pas l’apanage de l’Opposition trotskiste
Il n’est, à ce titre, guère étonnant que l’article de LO se focalise entièrement sur “le bordiguisme”. En réduisant la Gauche communiste à sa seule composante “bordiguiste” en Italie, LO travestit la réalité et occulte délibérément l’existence de tout un mouvement international de résistance à la dégénérescence de l’Internationale communiste puis à la contre-révolution : celui d’une Gauche communiste qui existait en Allemagne, en Hollande, en Belgique et même en Russie et au Mexique. Une Gauche qui a su tirer, de façon beaucoup plus profonde que l’Opposition de Trotsky, les leçons de la défaite de la première vague révolutionnaire. La Gauche communiste a ainsi été capable de combattre sans ambiguïté la théorie stalinienne de la construction du “socialisme dans un seul pays”. Elle a su comprendre la nature contre-révolutionnaire de l’URSS où ne subsistaient aucun “acquis ouvriers”, contrairement aux affirmations de Trotsky, des “acquis” qu’il fallait “défendre” selon lui. La justesse de cette analyse s’est d’ailleurs pleinement confirmée avec la participation de l’URSS dans la seconde boucherie impérialiste de 1939-1945.
Alors que les trotskistes ont participé à la “Résistance” en appelant les prolétaires à prendre les armes contre “l’occupant nazi”, les militants de la Gauche communiste, quant à eux, ont appelé, quand ils le pouvaient et au péril de leur vie, non pas à la “collaboration avec les boches” mais à la fraternisation entre les prolétaires allemands en uniforme et ceux des pays “Alliés” du “camp démocratique”. Contrairement aux trotskistes, ils ont maintenu, à contre-courant, le vieux mot d’ordre du mouvement ouvrier : “Les Prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !” Ce n’est donc pas le courant issu de l’Opposition trotskiste, mais bien celui de la Gauche communiste, qui a su défendre la “tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier” ! (6)
En se focalisant sur le seul Bordiga et sa prétendue inexpérience des luttes qui n’eut “guère l’occasion de se corriger”, LO cherche également à maquiller la réalité en présentant les militants de la Gauche communiste comme une expression strictement intellectuelle et abstraite, celle de beaux-parleurs dans leur tour d’ivoire. En réalité, la Fraction, dont la contribution demeure parmi les plus précieuses de l’histoire du mouvement ouvrier du XXe siècle, était majoritairement composée d’ouvriers, qui avaient une expérience bien réelle des luttes et qui s’étaient confrontés âprement à la répression des staliniens et des fascistes (alors que la grande majorité des militants trotskistes de l’époque étaient des intellectuels ayant très peu d’expérience des luttes ouvrières, particulièrement en France).
L’article de LO dénature ainsi complètement la démarche profondément internationaliste (et non “sectaire” et “nationale”), de la Fraction italienne qui eut toujours le souci de participer à toutes les discussions et d’intervenir auprès des groupes prolétariens avec l’objectif de clarifier au maximum les questions politiques, sans jamais céder pour autant aux sirènes de l’unification opportuniste et précipitée des différentes tendances oppositionnelles de l’époque. Alors que ses membres étaient soit en prison soit, pour la plupart, exilés en France, la Fraction italienne chercha à participer de façon très fraternelle à la vie et aux débats de toutes les organisations rattachées à l’Opposition : avec l’opposition allemande dirigée par Landau, avec l’opposition espagnole dont le représentant, Andrés Nin, vivait à Berlin, avec la Ligue communiste de Naville et Rosmer. Elle eut également des relations étroites avec l’opposition belge, en particulier le groupe bruxellois de Hennaut.
Des dérives opportunistes de Trotsky au passage du trotskisme dans le camp bourgeois
Tout en reconnaissant l’héritage politique de cette immense figure de la révolution russe qu’était Trotsky, la Gauche italienne s’opposa à ses orientations opportunistes et ses confusions, notamment sur la question organisationnelle. Partisan “d’avancées pratiques” dans un cours historique orienté, comme l’avait très bien vu la Gauche italienne, vers une nouvelle guerre impérialiste mondiale, Trotsky multiplia les concessions opportunistes, voire les manœuvres auprès d’éléments confus et même d’aventuriers politiques (tel Molinier), afin de réunir autour de lui ce qui s’apparentait de plus en plus à un club de supporters dévoués.
L’intégration éclair de la Nouvelle opposition italienne (NOI) à l’Opposition internationale est, à ce titre, particulièrement significative des méthodes qu’employa Trotsky dans sa logique d’agglomération artificielle de groupes et de personnalités. À partir d’avril 1930, trois fonctionnaires du Parti communiste italien, après avoir exclu un mois plus tôt Bordiga pour “trotskisme”, quittèrent le Parti pour des motifs mineurs (en fait des querelles d’influences) et rejoignirent aussitôt l’Opposition sous l’appellation de NOI, sans que la Fraction soit même consultée. Trotsky manœuvrait déjà dans son dos pour créer ex nihilo une section italienne de l’Opposition plus docile, aboutissant à l’exclusion bureaucratique et sans aucun débat de la Fraction juste avant la conférence de l’Opposition en 1933.
Ce travail de sélection s’opéra partout où Trotsky rencontrait des obstacles pour faire de l’Opposition son instrument politique à lui : en France avec Rosmer ou le groupe de Gourget, en Belgique avec le groupe de Van Overstraeten, en Espagne avec celui de Nin ou en Allemagne avec le groupe de Landau. Si bien qu’à la conférence de 1933, l’Opposition, expurgée de ceux avec qui “la discussion (…) s’avéra difficile” (selon les mots de LO), n’apparaissait plus, en effet, que comme une organisation strictement trotskiste.
La multiplication des crises et des scissions au sein de l’Opposition confirma rapidement la justesse de la méthode de la Gauche italienne. Le patient et précieux combat de la Fraction, loin de réduire la Gauche à “l’impuissance” et aux “formules sans lien avec la réalité”, a permis, au contraire, que resurgissent et se maintiennent, encore aujourd’hui, d’authentiques courants révolutionnaires. La clarté et l’expérience acquises au sein de la Fraction italienne par Marc Chirik (MC) ont permis, sous son impulsion, que se forme pendant la Seconde Guerre mondiale la Fraction française de la Gauche communiste qui deviendra plus tard la Gauche communiste de France (GCF). Que ce soit au sein de l’Opposition ou dans la Gauche italienne, avec la GCF ou, plus tard, au sein du CCI, MC a toujours lutté contre toute démarche “sectaire” à l’intérieur d’un milieu politique internationaliste clairement délimité par des principes prolétariens. (7)
Bien que les énormes confusions de Trotsky sur la situation historique l’aient conduit à se fourvoyer dans la guerre d’Espagne en 1936 (qu’il analysait non comme les préparatifs pour la Seconde Guerre impérialiste mondiale à venir, mais comme les prémisses d’une nouvelle vague révolutionnaire) et à défendre l’antifascisme, il n’est pas allé jusqu’à la trahison ouverte avant son assassinat par les staliniens.
Trotsky a néanmoins légué à la plupart de ses émules des méthodes organisationnelles et un opportunisme politique qui furent la faille dans laquelle s’engouffra le courant dit “trotskiste” lors de la Seconde Guerre mondiale. À l’épreuve de la guerre et en dépit des questionnements de Trotsky lui-même, à la fin de sa vie, sur la nature impérialiste de l’URSS, le trotskisme rejeta le slogan des bolcheviks : “transformation de la guerre impérialiste en guerre civile !”, lui préférant la guerre pour “la défense de la patrie soviétique”. Les trotskistes rejoignirent pour la plupart la “Résistance” et y furent très actifs, dénonçant même les militants internationalistes, ceux de la Gauche communiste, comme des “agents du fascisme”. Cette trahison de l’internationalisme prolétarien, au nom de l’antifascisme, de la défense de l’URSS et de ses prétendus “acquis ouvriers”, marqua le passage définitif du trotskisme dans le camp de la bourgeoisie.
C’est sur ce tas de fumier nationaliste que l’ancêtre de LO, le groupe de David Korner dit Barta, a vu le jour en 1939 en France. Lutte ouvrière colporte depuis longtemps une fable selon laquelle le groupe Barta aurait, à l’écart des autres groupes du mouvement trotskiste, “dénoncé les belligérants” et “appelé à la fraternité à la base” dans la plus stricte tradition internationaliste. Or, si la version proposée par LO de l’histoire de la Gauche communiste d’Italie est truffée d’amalgames, de falsifications et d’omissions mal intentionnées, la mythologie qu’elle répand sur ses propres origines relève de la pure fiction. Pendant la Guerre, Barta et son groupe jouèrent plutôt un mauvais tour à la classe ouvrière, comme en témoigne, parmi d’innombrables autres exemples, ce tract du 30 juin 1941 demandant aux travailleurs d’empêcher, “par tous les moyens, la machine de guerre impérialiste de fonctionner contre l’URSS”. Comme tous les autres groupes trotskistes, Barta appelait à “résister à Vichy et à l’impérialisme allemand (…). Dans les groupes de résistance, dans le maquis, exigez votre armement et l’élection démocratique des chefs par les membres des groupes”.(8) En bref, Barta appelait les ouvriers à participer au massacre, non pour la défense du camp impérialiste des Roosevelt et Churchill mais pour celle de l’impérialisme russe, pourtant allié des premiers (une contorsion d’équilibriste incohérente et intenable !).
Des amalgames pour discréditer les organisations de la Gauche communiste
Avec ce travail “historique” digne des photographies truquées et des contrefaçons staliniennes, il s’agit, en définitive pour LO, de prouver coûte que coûte que la “maladie infantile” qui frapperait la Gauche communiste, depuis les années 1920, demeure aujourd’hui “malheureusement persistante”, que son “sectarisme” est une sorte de tare congénitale propre aux organisations s’en réclamant, que les “avatars” du “bordiguisme” demeurent encore aujourd’hui des sectes d’illuminés, une bande de rigoristes académistes totalement déconnectés des luttes concrètes et qui réduisent “leur communisme à la répétition de formules et à des proclamations”.
LO attaque ainsi ouvertement le Parti communiste international (PCI) bordiguiste en s’appuyant sur une série d’amalgames et de déformations frauduleuses de l’histoire. Si la création du Parti communiste internationaliste (PCInt) en 1943, regroupant de nombreux militants issus de la Gauche communiste d’Italie, ne s’est pas faite sans confusions théoriques et organisationnelles, ce groupe doit à l’expérience de combat à laquelle il se rattache de s’être toujours maintenu sur un terrain de classe.(9) Contrairement au trotskisme, le courant bordiguiste était parfaitement clair sur la nature de l’URSS. Il n’a pas marché derrière les drapeaux de l’antifascisme (le PCI a clairement dénoncé cette mystification dans sa brochure : “Auschwitz ou le grand alibi”) et il a maintenu le flambeau de l’internationalisme face à la Seconde Guerre mondiale. Voilà ce qui distingue, pour l’essentiel, le “bordiguisme” du trotskisme, ce que l’article de LO se garde bien de signaler.
Mais au-delà du courant bordiguiste et du PCI, tout lecteur un tant soit peu attentif aura compris que LO cherche sciemment à discréditer ce qu’elle nomme les “différents petits groupes sans influence” de la Gauche communiste. Ce n’est pas la première fois que des plumitifs du courant trotskiste se mobilisent pour placer leurs coups bas et décrier la Gauche communiste, voire falsifier sa nature et sa véritable histoire. C’est ainsi que beaucoup d’ouvrages et de textes des trotskistes sur la période de l’entre-deux-guerres font souvent débuter l’histoire de l’Opposition à sa Conférence de février 1933, faisant opportunément l’impasse sur la période 1929-1932 et l’ensemble des courants oppositionnels. Dans le même style, que penser des Cahiers Léon Trotsky qui, dans leur numéro 29 (mars 1987) entièrement consacré à l’Opposition de gauche en Italie, ne mentionne la “Fraction bordiguiste” que de façon anecdotique au détour de deux phrases ?
De même, lorsque LO qualifie la Gauche communiste de courant d’ “ultragauche”, elle cherche à la noyer dans le magma de mouvances et de cénacles académiques petit-bourgeois, allant des réseaux “modernistes” aux “négationnistes de gauche” et tout un tas de groupuscules et d’individualités au langage pseudo-radical se réclamant frauduleusement du marxisme pour mieux le torpiller. LO assimile sciemment, d’un côté, des groupes qui nient le combat du prolétariat en ne se situant pas sur le terrain concret de la défense des positions et des principes de classe et, de l’autre, la Gauche communiste dont, prétendument, les “militants en arrivaient à voir dans toute intervention concrète dans les masses (…) une compromission inacceptable”.
Mais, pour le lecteur qui chercherait, en dépit de ces falsifications et amalgames, à en savoir plus sur ce qu’est réellement la Gauche communiste, LO promeut en “exception” à la règle le groupe Lotta comunista. Ainsi, l’auteur de l’article n’hésite pas à présenter ce sous-produit du gauchisme et de l’antifascisme, comme un héritier de la Gauche communiste d’Italie : “Aujourd’hui, la Gauche communiste a éclaté entre différents petits groupes sans influence, sans avoir jamais vraiment réussi à essaimer en dehors de l’Italie. Une exception est le groupe Lotta Comunista, qui a connu un certain développement numérique”. LO fait ici, de façon honteuse, la publicité d’un groupe qui n’est rattaché à la Gauche communiste ni par sa filiation, ni, et surtout, par ses positions politiques, en réalité bien plus proches du trotskisme. Issues de la “Résistance” à l’occupation des troupes allemandes en Italie, les positions de Lotta Comunista sont en tout point aux antipodes de celle de la Gauche communiste authentique. Alors que les militants de la Gauche communiste ont farouchement dénoncé l’embrigadement du prolétariat comme chair à canon derrière les drapeaux de l’antifascisme, ceux de Lotta Comunista (tout comme les trotskistes) ont contribué, en appelant à la résistance armée contre l’occupation allemande après la chute de Mussolini en 1943, à inoculer dans la classe ouvrière le poison du nationalisme et du chauvinisme. Puisant dans ses racines historiques, Lotta Comunista, sous un verbiage “radical”, n’a jamais rompu avec le nationalisme, comme en témoigne, pendant la “guerre froide”, sa défense des luttes de “libération nationale” que ce soit face à la guerre de Corée ou celle du Vietnam. C’est donc une pure imposture de LO que de présenter Lotta comunista comme un groupe de la Gauche communiste.(10)
Bien sûr, l’article de LO se garde bien de faire allusion à la principale “secte” “sans influence” de la Gauche communiste, le CCI, pourtant issu de la tradition de la Gauche italienne. Il est en effet bien difficile pour LO d’accuser ouvertement le CCI de “repli sectaire” et d’ “ignorance” des positions du trotskisme.(11) Notre organisation a toujours poussé au débat politique et théorique entre les groupes du milieu politique prolétarien, à la clarification de leurs divergences en vue de leur rapprochement, ainsi qu’à la solidarité face aux attaques et entreprises de démolissage dont ils sont l’objet. C’est cette démarche, tournant résolument le dos au repli sectaire dans sa propre chapelle, qui avait permis à MC, ex-militant de la Fraction italienne, d’apporter une contribution inestimable à la construction du CCI.
Bien que l’article de LO cible uniquement le courant bordiguiste, et particulièrement le PCI, nous ne sommes pas dupes. C’est avec la plus ferme intention de semer la confusion et de discréditer toutes les organisations se rattachant à la Gauche communiste que cette officine bourgeoise (qui n’a d’ “ouvrière” que le nom), multiplie les amalgames et les contrevérités tout au long de son pamphlet contre le “bordiguisme”.
Face aux falsifications de LO (et à la propagande de tous les valets du capital contre les “sectes mortes” de la Gauche communiste), nous réaffirmons que le mouvement ouvrier doit non pas à l’Opposition trotskiste, mais à la Gauche communiste, et notamment à la Fraction italienne, d’avoir forgé les armes qui permettent aujourd’hui aux nouvelles générations de révolutionnaires de lutter contre les mensonges de la classe dominante et ses partis d’extrême gauche. Tant par la profondeur de ses analyses que par sa démarche, la Gauche italienne fut, avec la revue Bilan, à la pointe des efforts du prolétariat pour développer, à l’échelle de l’histoire, la conscience des conditions de son combat révolutionnaire pour le renversement du capitalisme. C’est cette précieuse contribution historique, et les groupes de la Gauche communiste qui, malgré leurs faibles forces numériques, poursuivent aujourd’hui cet effort, que la croisade de LO cherche à balayer !
EG, 27 septembre 2018
1) “Bordiguisme et trotskisme”, Lutte de classe n° 186.
2) Lire notre livre : “La Gauche communiste d’Italie”.
3) Malgré cette période difficile, la Fraction italienne a continué d’intervenir au sein du prolétariat, ce qui a valu à ses militants d’être à plusieurs reprises violemment agressés par les sbires staliniens aux portes des usines.
4) Lire notre article de la Revue internationale n° 156 : “La notion de Fraction dans l’histoire du mouvement ouvrier”.
5) Lire notre article : “La classe non identifiée : la bureaucratie vue par Léon Trotsky” dans la Revue internationale n° 92.
6) Nous soutenons pleinement la réponse du PCI à ses détracteurs trotskistes, lorsqu’il affirme, dans son journal, Le Prolétaire n° 526, (nov.-déc. 2017), que : “LO écrit que “la principale responsabilité” de la non transmission de la tradition communiste révolutionnaire “incombe évidemment au stalinisme qui a tout fait pour écraser les autres tendances communistes”. Mais le stalinisme n’était pas une “tendance communiste” parmi d’autres, c’était l’expression de la contre-révolution !
Le fait que le trotskysme en général (et LO en particulier) ne s’en soit pas aperçu, le fait qu’il ait considéré les prétendus pays socialistes comme des pays non-capitalistes (alors qu’il s’agissait de capitalisme d’État, en outre particulièrement féroces contre les prolétaires) et leur système politique comme une bureaucratie défendant malgré tout ce caractère non capitaliste et jouant donc un rôle positif, ce fait est une démonstration supplémentaire qu’il est incapable de défendre et de transmettre les positions communistes. (…) sous la terrible pression d’une situation défavorable à la lutte révolutionnaire, il n’a pu assimiler et transmettre que les pires positions de Trotsky”.
7) Le courant bordiguiste, contrairement au CCI, a malheureusement toujours rejeté l’existence d’un milieu politique prolétarien clairement délimité par des frontières de classe. Nous avions publié dans le passé de nombreux articles polémiques avec les groupes du courant bordiguiste critiquant leur “sectarisme” qui avait conduit à l’échec des Conférences des groupes de la Gauche communiste à la fin des années 1970. Néanmoins, notre critique de cet esprit de chapelle, n’avait rien de commun avec l’attaque portée par l’article de LO contre le “sectarisme” du bordiguisme.
8) La Lutte de classes n° 24 du 6 février 1944.
9) Maffi et Bordiga se sont séparés du PCIint en 1952 pour former le Parti communiste international. Ce nouveau groupe, qui existe encore aujourd’hui et appartient au courant de la Gauche communiste, mérite bien, quant à lui, le qualificatif de “bordiguiste” puisqu’il s’est constitué essentiellement sur la base des positions politiques adoptées par Bordiga lors de son retour à l’activité politique après la Seconde Guerre mondiale.
10) Lire notre article : “Qui est vraiment Lotta comunista ?”, Révolution Internationale n° 417 (novembre 2010).
11) Lire notre brochure : “Le trotskisme contre la classe ouvrière”, de même que les nombreux articles publiés dans notre presse depuis un demi-siècle.