Soumis par Révolution Inte... le
Pour compter ses soutiens dans sa campagne au poste de secrétaire général de Force ouvrière (FO), Pascal Pavageau a établi, avec ses collaborateurs, un fichier recensant les délégués et responsables locaux du syndicat. Le document les divise en fonction de leur capacité à appuyer sa candidature ou, au contraire, à constituer une entrave à son accession au pouvoir suprême. Mais le fichier ne s’arrête pas là et fait figurer leur appartenance politique, leur orientation sexuelle, leur état de santé ou des appréciations plus triviales : “niais”, “bête”, “ordure”, voire, pour donner le change, “trop intelligent pour être au bureau confédéral”… un bureau visiblement porté en haute estime par l’aspirant au poste de secrétaire général.
Cette affaire a suscité un vrai scandale médiatique de la part d’un syndicat qui dénonce, en apparence, ces pratiques récurrentes et identiques à celles qui existent dans les entreprises ou les administrations comme la CPAM, certaines grandes écoles ou France Télévisions… des pratiques qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les ouvriers savent bien comment leur hiérarchie les surveille et les enferme dans des cases caricaturales et méprisantes, où les “alcooliques” côtoient les “homos” et où les “fainéants” sont opposés aux “bons petits soldats”. Le fichage, la catégorisation, la morgue avec laquelle on apprécie les subordonnés est une constante dans le fonctionnement de la bourgeoisie.
Les syndicats ne dérogent nullement à ces pratiques. Cette affaire n’a rien d’un quelconque abus ou d’une vulgaire anomalie. Le fichage et la surveillance ne sont en rien étrangers à l’esprit du syndicalisme et ne peuvent être réduits à l’esprit malsain d’un individu qui n’aurait rien à faire dans un syndicat. Ce n’est d’ailleurs pas parce que Pavageau a démissionné que le problème est parti avec lui. Cette affaire met au contraire en lumière le fonctionnement quotidien de ces organes de l’État bourgeois que sont les syndicats et des luttes intestines pour l’accession aux postes clés en leur sein. Finalement, les syndicats ne diffèrent en rien des entreprises capitalistes qu’ils prétendent dénoncer.
FO avait déjà été pointée du doigt au début des années 2000 et condamnée pour avoir surexploité le chauffeur du secrétaire général de l’époque, Blondel, au mépris de toutes les règles du Code du travail. “Faites ce que je dis mais pas ce que je fais” ! Les chauffeurs de Blondel avaient d’ailleurs été payés par la ville de Paris, sous Chirac, pendant plus de dix ans…, c’est dire l’indépendance des syndicats vis-à-vis de l’État !
Rappelons également le goût du luxe de Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT, lui aussi poussé à la démission en 2015 après avoir engagé des sommes faramineuses pour faire décorer son bureau à la mesure des efforts entrepris pour parvenir au sommet de la bureaucratie syndicale. Ce même goût du faste est d’ailleurs aussi à la mode au sein de FO puisque de récentes révélations ont mis en lumière le train de vie dispendieux de ses cadres dont les notes de frais et les salaires s’élèveraient à plusieurs centaines de milliers d’euros. Comme quoi, l’État sait se montrer reconnaissant envers ses serviteurs les plus zélés. Ne nous y trompons pas, les Mailly, Pavageau et consorts se moquent royalement de la misère des ouvriers et de leurs conditions d’exploitations insupportables. Les privilèges que se voient octroyer tous ces nouveaux nababs en disent long sur la place réelle qu’occupent les syndicats au sein de l’État.
Si scandale il y a, c’est dans le fait que les syndicats se présentent comme les défenseurs de la classe ouvrière contre le patronat, poussent des cris d’orfraie hypocrites dès que de tels méfaits sont mis en lumière. Les dirigeants syndicaux ne sont en réalité que des parvenus ayant les mêmes mœurs politiques que tous les patrons dans la gestion d’une entreprise ou d’une administration. Depuis la Première Guerre mondiale et l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, les syndicats ne sont plus des organismes de défense des intérêts économiques de la classe ouvrière, comme c’était le cas au XIXe siècle, à l’époque où le capitalisme était encore un système progressiste et où la bourgeoisie pouvait, sous la pression des ouvriers organisés en syndicats, améliorer les conditions de vie des exploités. Aujourd’hui, les syndicats sont devenus des organes d’encadrement bourgeois, parfaitement intégrés à l’appareil étatique… Ils sont associés partout à la gestion anti-ouvrière des organismes comme la Sécurité sociale, les Caisses de retraite, l’assurance chômage, etc. Ils sont impliqués dans tous les projets de la bourgeoisie touchant aux questions économiques et sociales, dans tous les rouages de l’administration et des entreprises, grandes ou petites. Ils sont ainsi l’objet d’enjeux de pouvoir et de concurrence acharnée comme n’importe quelle organisation bourgeoise, d’autant plus qu’ils sont assis sur un budget annuel global estimé à quatre milliards d’euros, (1) ce qui ne manque pas d’attirer les convoitises. La dernière affaire du fichier de Pavageau montre une fois de plus que le prolétariat ne peut plus compter sur les syndicats pour défendre ses intérêts, car rien ne pourra les faire dévier de leur tâche de force d’encadrement, de garde-chiourmes et d’étouffement de la classe ouvrière.
HD, 26 octobre 2018
1) Selon le rapport parlementaire Perruchot (2011).