Soumis par Révolution Inte... le
"On a gagné !" ont crié des milliers de voix. Toute la nuit, ils ont dansé à la Bastille. Tous, y compris l'extrême-gauche, étaient dans l'euphorie de la défaite de Giscard-les-diamants. Le rêve de toute une génération de gauchistes français et de gens de gauche est exaucé, enfin, la gauche a battu la droite !
Mais, au fait, qui a gagné, et où en est-on ? Certes, le méchant Giscard est viré, les révolutionnaires ne verseront pas une larme pour lui. Malheureusement, il ne s'agit pas de la défaite de "la bourgeoisie"! La bourgeoisie est une classe et une force sociale, force de domination qui ne se reconnaît pas toute entière dans un seul homme ; a fortiori, celui-ci peut remplacer celui-là. On peut même considérer qu'il n'y a pas défaite dans ce cas précis puisque la bourgeoisie tout entière a "gagné" les élections, puisque la participation a été massive, avec un taux d'abstention incomparablement plus faible qu'aux USA, puisque l'illusion qu'on peut changer quelque chose en votant a marché, d'autant plus que le président est "changé". Hélas, en général, sur le plan électoral, la bourgeoisie ne perd jamais rien, même pas son pouvoir, car sa classe ennemie, le prolétariat, est diluée dans les diverses couches sociales, atomisée, isolée dans les isoloirs ; au lieu de menacer comme force collective à l'image des ouvriers polonais, ils sont fractionnés et façonnés comme toute la population par les différentes facettes de l'idéologie bourgeoise : droite, centre, gauche, extrême-gauche.
La bourgeoisie a la vie dure, les illusions qu'elle sème dans la tête des prolétaires pour les maintenir sous le joug aussi. Ces élections viennent confirmer cette vérité qu'il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant de l'avoir tué", le fort taux de participation électoral est là pour le démontrer, même s'il est en baisse par rapport à celui des élections précédentes, même si ne sont pas recensés tous ceux qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales (et dont le pourcentage est très fort chez les jeunes).
Et pourtant, qu'on se souvienne du manque général d'intérêt pour les élections il y a à peine six mois. Le mythe électoral s'était usé pour avoir trop servi sans rien changer dans les années 70. La bourgeoisie avait abondamment utilisé cette arme de dilution de la conscience ouvrière, tout y était passé : élections présidentielles, législatives, municipales, cantonales, européennes, sans parler de toutes les élections locales et partielles. Devant cette avalanche, les élections sont apparues de plus en plus pour ce qu'elles étaient, une gigantesque farce.
Nous avons déjà maintes fois affirmé que les élections sont étrangères à l'expression 'du prolétariat, qu'elles ne sont qu'une noix vide, foire d'empoigne de personnes, qui cache l'appareillage des partis et la bureaucratie étatique. Cette fois-ci encore, nous pouvons constater que ce spectacle navrant du choc des ambitions personnelles ne serait qu'une vulgaire enceinte de cirque si des millions de prolétaires n'étaient pas illusionnés par les promesses fallacieuses des uns et des autres, délaissant momentanément le seul terrain où ils s'expriment en tant que classe pour une société totalement différente : celui de la lutte collective et sans cachotteries sur leur opinion, la lutte pour la destruction du capitalisme.
Publicité et show- business
En six mois, la bourgeoisie est parvenue à repolariser toute l'attention sur les élections, à transformer les prolétaires en électeurs-citoyens, comme tous les Français, par-delà les classes. Comment y est-elle parvenue si on se souvient du dégoût de la politique bourgeoise qui marquait la vie politique en France il y a six mois ?
Sous la IVème République, pour la bourgeoisie, les choses paraissaient simples, le président était directement désigné par les partis. Le référendum de 1961, en instituant le suffrage universel pour l'élection présidentielle, renforçait le pouvoir présidentiel exécutif mais aussi son poids mystificateur en faisant croire que le choix d'un président était une responsabilité de tous les citoyens. Partant de ce point de vue, rien n'est fondamentalement changé, les élections sont toujours une gigantesque entreprise de manipulation où le choix final ne dépend pas tant des votes que du jeu des partis (multiplicité des candidatures et des désistements).
Ce que le suffrage universel introduit, c'est la nécessité pour la bourgeoisie d'une manipulation des médias de masse (radio, télévision, presse, etc.…) où les techniques utilisées sont celles qui ont été rodées dans la publicité et le show-business pour aboutir à ce que la bourgeoisie appelle pudiquement des élections "à l'américaine".
L'essentiel pour la bourgeoisie est de ramener le plus de prolétaires possible sur le terrain électoral; là-dessus, toutes les forces bourgeoises sont d'accord, de l'extrême-droite aux gauchistes, qui, toutes, appellent à voter, le tout renforcé par des campagnes intensives de culpabilisation des abstentionnistes par les mass-médias du style "ne tournez pas le dos à la France" (spot publicitaire qui est passé à la télé et qui ressemble à n'importe quel spot publicitaire pour une lessive ou une couche-bébé).
Mais, cela est classique et pas nouveau, il fallait encore plus pour ramener les prolétaires dans l'isoloir, les techniques du show business sont venues épauler celles de la publicité avec Coluche.
Sans que cela soit forcément volontaire, la candidature Coluche est venue, en créant l'événement, fixer l'attention de tous ceux qui étaient dégoûtés de la politique bourgeoise, sur les élections, la dérision du clown est devenue, malgré son acteur, une arme électorale. Une fois cette fonction remplie, Coluche a été jeté comme une vieille guenille usée, éliminé de tous les médias contrôlés par l'Etat ; interdit d'antenne, Coluche a sombré dans l'oubli, ce qui prouve bien que la bourgeoisie n'autorise les candidatures que tant qu'elles la servent (qu'on réfléchisse à ce que cela signifie pour les soi-disant candidatures révolutionnaires style Laguiller).
Quel désir de changement?
Tout l'art électoral de la bourgeoisie consiste à faire croire qu'au travers des élections peuvent se réaliser les aspirations de la population : la démagogie électorale n'a pas d'autre but. Pourtant, ce ne sont même pas toutes les promesses des candidats qui ont fait voter, c’est avant tout un désir de "changement". Le "changement”, l'"alternance" ont été les maîtres-mots de cette campagne électorale : même la droite a voulu se montrer comme l'expression de ce changement : Chirac "le changement dans la sécurité" et sans ironie, Giscard, qui prétend avoir "changé".
La bourgeoisie gagne toujours les élections puisque c'est elle qui les a instituées et que, de toutes façons, elle a le monopole des candidats ; on vote toujours pour la bourgeoisie. Cependant, sa victoire, c'est avant tout la forte participation, c'est d'avoir fait croire que le "changement" peut être électoral.
Pourtant, cette victoire est fragile. La gauche au pouvoir n'est pas plus capable de réaliser un quelconque changement réel que la droite. L'austérité, la misère croissante des ouvriers sont toujours à l'ordre du jour, la réalité de la crise mondiale du capitalisme est là. Le seul "changement" que la bourgeoisie pouvait offrir par les élections a eu lieu, ce n'est pas lui qui peut réellement satisfaire les prolétaires.
La gauche au pouvoir ne fera pas mieux que la droite. Du même coup, les illusions sur l'"alternance", le "changement" par les élections, risquent de fondre avec la crédibilité du parti socialiste au pouvoir. Avec l’arrivée de Mitterrand au pouvoir, la bourgeoisie use de manière accélérée ses cartes mystificatrices. Il est des victoires qui annoncent la défaite. Le désir de "changement" des prolétaires aujourd'hui, même s'il s'est traduit par la victoire électorale de la bourgeoisie maintenant annonce la révolution de demain.
J.J.L.