Soumis par Révolution Inte... le
Il y a un an, Emmanuel Macron promettait pour l’hôpital “un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières”, assurant apporter une réponse “profonde et dans la durée”. Alors, que s’est-il passé depuis ?
– Au Centre Hospitalier d’Aix-en-Provence, 60 lits de médecine et de chirurgie ont été fermés.
– Au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Grenoble au 30 mars 2020, 43 lits de réanimation et 37 lits de soins critiques ont disparu. Des fermetures sont en cours de discussion à Voiron et à l’Hôpital Sud.
– À Lyon, à l’hôpital Edouard-Herriot, ont été fermés 59 lits de chirurgie, 15 lits de gériatrie, 47 lits de médecine.
– Au Centre Hospitalier Vinatier dans le Rhône, 151 lits ont été fermés.
– En région parisienne, la fusion des trois établissements hospitaliers de Juvisy, Longjumeau et Orsay va entraîner la fermeture 600 lits d’hospitalisations.
– À Paris, la fusion des hôpitaux Bichat (18e arrondissement) et Beaujon (Clichy) dans un hôpital unique à Saint-Ouen signifie de fait la fermeture de ces deux hôpitaux parisiens, après celles du Val-de-Grâce et de l’Hôtel-Dieu. Concrètement, cela va induire la suppression de 400 lits et de 1000 postes de travail !
– À Privas, la maternité a fermé.
– Au CHU de Reims, la fermeture de 184 lits est en cours.
– Au CHU de Nancy, 78 lits ont déjà été fermés et 204 postes de travail, tous grades confondus, ont déjà été supprimés sur l’objectif de 179 lits fermés et 598 postes supprimés d’ici 2024.
– Au CHU de Tours, la fermeture de 360 lits est programmée d’ici à 2026. (1)
À cette hécatombe s’ajoutent les conséquences désastreuses de la réforme de l’enseignement supérieur (Parcours sup) et de la réforme du premier cycle : le nombre de médecins en formation est en chute libre. Et que dire de la “nouvelle médecine” peu à peu mise en place : développement de la téléconsultation, notamment par la mise en place de télécabines dans les pharmacies ; explosion de l’hospitalisation à domicile ou en ambulatoire ; développement des droits d’exercice des pharmaciens et des infirmiers… sans formation ni rémunération supplémentaire.
Heureusement, cet été, les soignants ont tous reçu une belle médaille !
Le piège du corporatisme et de l’isolement
La colère des soignants est forcément immense face à cette incurie, ce mépris pour la vie, ces conditions de travail indignes auxquels ils sont quotidiennement confrontés. En pleine pandémie, l’ensemble de ces mesures sont tout simplement assassines.
Tout le secteur de la santé est dans un état de délabrement avancé. “L’uberisation de la médecine”, portée aujourd’hui par Macron, s’inscrit dans la continuité des plans d’économie menés par tous les gouvernements précédents, de droite comme de gauche, depuis quarante ans. Les hôpitaux psychiatriques sont, par exemple, devenus des établissements dignes du tiers-monde. Ce mépris pour la vie reflète la nature profonde de ce système : le capitalisme fonctionne pour le profit et par l’exploitation, et non pour satisfaire les besoins humains. Il ne s’agit donc pas d’un problème spécifique du secteur de la santé. Tous les travailleurs, du public comme du privé, de toutes les corporations, les chômeurs, les retraités, les étudiants précarisés sont frappés de plein fouet par la dégradation continue des conditions de vie. La lutte concerne toute la classe ouvrière. Ce n’est pas en se battant pour le statut de “sa” profession (infirmier, aide-soignant ou médecin,), pour “son” hôpital, pour “son” secteur d’activité que le prolétariat pourra établir un rapport de force permettant de freiner les attaques.
Ce poison de la division, ce piège classique tendu par la bourgeoisie pour mieux régner, les infirmières en ont déjà été victimes en 1988 et l’ont payé alors très cher, elles et toute la classe ouvrière impactée par cette défaite. C’est pour se souvenir de cet épisode de la lutte de classe en France, pour en tirer les leçons et préparer les futures luttes inévitables, que nous republions ici un extrait de notre brochure : Octobre 1988 : bilan de la lutte des infirmières.
Pawel, 20 mars 2021
Que s’est-il passé en octobre 88 ?
Jamais, depuis de nombreuses années, “rentrée sociale” en France n’avait été aussi explosive que celle de l’automne 1988. Depuis le printemps, il était clair que d’importants affrontements de classe se préparaient. Les luttes qui s’étaient déroulées entre mars et mai 88 dans les entreprises “Chausson” (construction de camions) et SNECMA (moteurs d’avions) avaient fait la preuve que la période de relative passivité ouvrière qui avait suivi la défaite de la grève dans les chemins de fer en décembre 86 et janvier 87 était bien terminée. Le fait que ces mouvements aient éclaté et se soient développés alors que se déroulaient les élections présidentielles et législatives (pas moins de 4 élections en deux mois) était particulièrement significatif dans un pays où, traditionnellement, ce type de période est synonyme de calme social. Et cette fois-ci, le Parti socialiste revenu au pouvoir ne pouvait espérer aucun “état de grâce” comme en 1981. D’une part, les ouvriers avaient déjà appris entre 81 et 86 que l’austérité “de gauche” ne vaut pas mieux que celle de “droite”. D’autre part, dès son installation, le nouveau gouvernement avait clairement mis les points sur les “i” : il était hors de question de remettre en cause la politique économique appliquée par la droite durant les deux années précédentes. Et elle avait mis à profit les mois d’été pour aggraver cette politique.
C’est pour cela que la combativité ouvrière, que le cirque électoral du printemps avait partiellement paralysée, ne pouvait manquer d’exploser dès l’automne en des luttes massives, en particulier dans le secteur public où les salaires avaient baissé de près de 10 % en quelques années. La situation était d’autant plus menaçante pour la bourgeoisie que depuis les années du gouvernement PS-PC (81-84), les syndicats avaient subi un discrédit considérable et n’étaient plus en mesure dans beaucoup de secteurs de contrôler à eux seuls les explosions de colère ouvrière”. (Revue Internationale n° 56, p. 1).
Déjà, dans les hôpitaux la situation était très tendue du fait que, dans ce secteur, plus que dans tout autre secteur, les travailleurs y avaient subi les années de restrictions budgétaires exigées par le déficit croissant de la Sécurité sociale : réduction des effectifs rendant aujourd’hui insoutenables les cadences de travail, blocage des salaires, mobilité et flexibilité de l’emploi autorisant l’administration à “réquisitionner” les travailleurs même pendant les jours de congé, etc.
C’est pour se préparer à faire face à ces menaces d’explosion sociale que la bourgeoisie a cherché à renforcer ses forces d’encadrement traditionnelles : c’était le sens des changements importants intervenus à la direction de la CFDT, à la direction de la CGT avec l’élimination de dirigeants jugés “trop mous” comme Sainjon.
C’est pour la même raison que, surtout, elle a mis en place un dispositif destiné, au moment choisi par elle, à disperser et à émietter les combats de classe. Au sein de ce dispositif, les syndicats avaient évidemment leur place, mais le premier rôle devait être tenu, pendant toute la phase initiale de sa mise en œuvre, par des organes “nouveaux”, présentés comme “non syndicaux”, “vraiment démocratiques” : LES COORDINATIONS. C’est ainsi que dès le mois de mars est née la coordination infirmière, créée de toute pièce par des membres de la CFDT. C’est ainsi que, le 14 juin, cette coordination auto-proclamée élabore une plateforme revendicative et fixe la date de la première manifestation des infirmières au 29 septembre. Tous ces préparatifs se déroulent avec la complicité du parti socialiste et le soutien actif et matériel de la CFDT. Début juillet, Mitterrand, Rocard et Evin, le ministre de la santé, sont officiellement avertis du projet. Ils lui donnent leur aval et le très médiatique Schwarzenberg lui donne sa bénédiction.
Fin septembre : la mise en place du piège
La fin septembre voyait éclater une série de conflits : grèves dans l’audiovisuel, dans les usines Renault du Mans, grève à la poste du Louvre (la plus grande de France). Cette dernière, partie spontanément, est l’objet des efforts décidés de la bourgeoisie pour y mettre rapidement un terme, alors que dans quelques jours doit intervenir à Paris la première manifestation infirmière du 29 septembre. À cette fin, le gouvernement cède en partie sur les revendications et fait intervenir l’ensemble des forces d’encadrement de gauche et d’extrême-gauche, y compris des organes se prétendant extra-syndicaux, dont le “comité pour l’unité de Paris R.P. (recette principale)”.
Le 29 septembre, 30 000 travailleurs de la santé (et pas seulement des infirmières) se retrouvent dans la rue à Paris et des milliers en province. Plusieurs catégories de personnels se mobilisent dés le premier jour.
Dans la manifestation parisienne, où les syndicats sont relégués à la queue du cortège, la “coordination” placée en tête du mouvement essaie de canaliser toute la combativité derrière ses mots d’ordre démagogiques : “2 000 francs tout de suite”, car irréalistes eu égard au rapport de force face à la bourgeoisie, et élitistes : “Bac + 3 = nous voulons un statut”.
L’assemblée générale appelée par la coordination à la suite de la manifestation confirme la très grande combativité qui s’était exprimée dans la manifestation : ce sont plus de 3 000 personnes qui vont se presser dans une salle trop petite et beaucoup qui n’ont pu entrer ne peuvent suivre le débat que par haut-parleurs. La salle est survoltée, les questions fusent à l’adresse des “organisateurs”: “qui êtes vous ?", “d’où venez vous ?”, “on veut des AG”… Après s’être présentés comme étant une coordination issue d’une lutte du printemps, le présidium et les organisateurs du mouvement (pour beaucoup membres de la Ligue Communiste Révolutionnaire2) parviennent à tromper les ouvriers présents sur leurs objectifs, soi-disant “en rupture totale”, voire en opposition avec les méthodes de lutte syndicales. Cette reprise en main de l’assemblée effectuée, commence immédiatement le travail de sabotage :
– par la division : le personnel non infirmier (essentiellement les aides soignant(e)s) est “invité” à quitter la salle pour se rassembler à 500 mètres de là, autour d’une coordination qui vient d’être constituée à son intention. Il s’agit en fait de la future “coordination inter-catégorielle” du personnel hospitalier (dont la plupart des organisateurs sont des membres de Lutte Ouvrière) ;
– en cassant la dynamique du mouvement : dans la confusion la plus totale, étouffant la voix et les propositions de ceux qui réclament une véritable assemblée générale souveraine, le présidium fait “passer” la suspension de la grève jusqu’à la semaine suivante.
Dans les quarante-huit heures qui suivent cette première journée de mobilisation, c’est à une véritable entreprise d’éclatement du mouvement que se livrent les gauchistes et autres syndicalistes de base ; surgissent alors pas moins de cinq coordinations différentes : celle des infirmières, celle dite inter-catégorielle, celle des infirmiers psychiatriques, celle des infirmières anesthésistes, celle des kinésithérapeutes. La CGT, mise à l’écart de la manœuvre, se permet le “luxe” de vilipender le “corporatisme” des coordinations !
Le 6 octobre : le piège se referme
Malgré une semaine d’inaction, la combativité ouvrière ne se dément pas et la deuxième manifestation des personnels de santé se déroule le 6 octobre, dans un climat où la montée du mécontentement s’exprime dans différents foyers de grève (Renault, employés de la tour Effel, Kléber-Colombes, grogne aux PTT, dans le secteur des banques, etc.)
Appelée par les coordinations, la manifestation va réunir deux fois plus de personnes que le 29 septembre. Dans toute la France, ce sont quasiment tous les hôpitaux qui sont mobilisés. Dans la manifestation à Paris, c’est la coordination infirmière à sa tête qui donne le ton du corporatisme et sectorialisme les plus arriérés, avec ses mots d’ordre désormais familiers, car largement répercutés sur les ondes et dans la presse : “bac + 3 = un statut”. Vient ensuite la coordination inter-catégorielle qui, avec ses mots d’ordre “2 000 francs pour tout le personnel hospitalier”, a en charge d’encadrer tout le personnel non hospitalier, et ceux des infirmier(e)s qui ne se reconnaissent pas dans l’élitisme et le corporatisme de la coordination infirmière. La CGT est aussi présente. Ses mots d’ordre appellent à “l’unité de toute la classe ouvrière”. Émanant d’elle, non seulement ils ne pouvaient être repris, mais ils s’en trouvent d’autant discrédités. Mais son rôle essentiel est alors d’assurer le service d’ordre de la manifestation. Elle tentera ainsi d’éloigner les “empêcheurs de tourner en rond”, en particulier les diffuseurs de tracts du “Comité pour l’extension des luttes”.
Le soir même, le ministre de la santé reçoit la coordination infirmière et, après plusieurs heures de négociations, “cède”: un milliard (déjà prévu dans le budget) est débloqué… pour les infirmières uniquement ! Cela signifié pour elles environ 350 f. d’augmentation. Si cette proposition ne va pas dans le sens de calmer la colère, elle permet par contre de renforcer l’emprise de la coordination sur le mouvement. En effet, en acceptant de la recevoir, le ministre renforce l’idée que la coordination est réellement représentative du mouvement. De plus, en refusant la proposition du ministre, la coordination accroît son prestige auprès des infirmier(e)s et fait tomber les dernières réserves qui pouvaient encore s’exprimer à son encontre.
Le 8 octobre, les deux coordinations vont cette fois s’auto-proclamer “coordinations nationales”. Pour ce faire, les Assemblées Générales des hôpitaux de toute la France devaient nommer des délégués qui ne savaient pas dans quelle coordination se rendre, et qui allaient se retrouver dans des structures toutes prêtes : bureaux, comité de liaison inter-coordinations, etc. Elles entérinent ainsi leur légitimité, tout en se donnant le maximum de moyens de contrôle sur les AG de délégués qu’elles convoquent pour ce jour. Le contrôle est renforcé aux portes même des A.G. Pour être admis à celle de la coordination infirmière il faut être mandaté par une AG composée uniquement d’infirmières. L’autre, celle de la coordination inter-catégorielle est moins stricte. Il faut cependant y décliner nom, profession et hôpital pour y être admis. De plus, dans l’une et l’autre, le contrôle s’exerce également au niveau du déroulement des discussions. Aucune motion, autre que celles émanant des bureaux auto-désignés, ne sera soumise au vote des assemblées. Fait significatif, c’est à 500 mètres l’une de l’autre que siégeront les deux coordinations, celle des infirmières se tenant à la Sorbonne dans des locaux loués par l’UNEF-ID, syndicat étudiant d’obédience PS.
A partir de ce moment, l’encadrement du mouvement par les coordinations est total.
Dans le même temps, dans d’autres secteurs comme les centres PTT de la région parisienne, les poussées combatives sont non seulement freinées par les syndicats et les gauchistes, mais guère encouragées par la tournure élitiste et sectorisaliste que prend la grève des infirmières.
Le 13 octobre : le triomphe des coordinations
La coordination infirmière appelle ce jour à une nouvelle manifestation nationale à Paris qui rassemble plus de 100 000 personnes. Dans ce cortège, les syndicats sont beaucoup plus présents et la CGT, qui participe massivement, se distingue par son “radicalisme” et a beau jeu de réclamer, à travers ses mots d’ordre, “l’extension et l’unité du mouvement à tout le secteur public”, alors que la majorité des ouvriers sont déboussolés par la tournure que prend le mouvement dans les hôpitaux.
Le soir même, le gouvernement, Rocard en tête, négocie une rallonge de 400 millions supplémentaires uniquement pour les infirmières, accroissant ainsi la division du mouvement et encourageant encore un peu plus le sentiment corporatiste dans tous les secteurs.
Le 14 octobre, les syndicats (à l’exception de la CGT) veulent signer un accord avec le gouvernement, alors que la coordination infirmière continue d’appeler à la lutte, mais chacun dans le cadre de “son” hôpital, dans “sa” ville… et à manifester le 22 octobre avec les “usagers de la santé” !
Ce jour là, la coordination “inter-catégorielle” va interdire l’entrée de sa réunion à tout personnel “étranger” au secteur, et exclure manu militari des travailleurs de la santé et d’autres secteurs qui insistent pour que les AG soient ouvertes à tous les travailleurs.
La semaine du 16 au 22 octobre, syndicats et coordinations unis pour enterrer le mouvement dans la santé et disperser la combativité générale
Alors qu’au début du mouvement, dans les autres secteurs, syndicats et gauchistes avaient fait leur possible pour que d’autres mouvements n’éclatent pas, dès le 14, dans les PTT en particulier, la CGT et des “coordinations” surgies “spontanément” du néant appellent à la grève. Les syndicats, revenus au premier plan notamment à travers leur présence aux négociations dans la santé, appellent à des journées d’action nationales dans tout le secteur public : la CGT le 18, la CFDT et FO le 20. Ces journées d’action, soi-disant pour l’unité et l’extension, en plein reflux de la grève des infirmières, offriront surtout le spectacle de la victoire de la bourgeoisie par le retour en force des syndicats.
A partir de ce moment, les syndicats, CGT en tête, vont tout faire pour étendre la dispersion ouvrière en généralisant à la région parisienne ce qu’ils avaient déjà entrepris en province : ils vont appeler systématiquement à la grève dans différents secteurs de la fonction publique : camionneurs des PTT, Sécurité sociale, EDF/GDF, RATP. Toute cette période verra des grèves très isolées, pouvant durer plus d’un mois, mal vécues par la population ouvrière et qui n’obtiendront rien, sinon les augmentations plus ou moins déjà prévues, et des belles promesses !
Le 22 octobre, la dernière manifestation des infirmières, dans ce climat d’émiettement et de reprise en mains par les syndicats, ne réunira que peu de monde… et la coordination infirmière, réunie à huis clos, pourra enfin appeler à “continuer la lutte sous d’autres formes”, autrement dit à reprendre le travail.
CCI
1 Source : syndicat des médecins hospitaliers Force Ouvrière.
2 Aujourd’hui, Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).