Pandémie dans les écoles, symbole de l’hypocrisie de la bourgeoisie

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

N’oublions pas ce qui marche et fait notre fierté : aucun pays de l’Union européenne n’a autant laissé les écoles ouvertes que la France”, (1) claironnait fièrement Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Effectivement, selon l’UNESCO, la France n’a fermé ses écoles que pendant 9,7 semaines au total contre 23,6 pour l’Allemagne, 25,9 pour le Royaume-Uni, 30 pour l’Italie ! “Comme je le dis depuis le début de cette crise, l’école n’est pas une variable d’ajustement, elle est fondamentale pour les enfants. […] On voit les dégâts que cela fait quand ils n’ont pas école. Pour le monde, cette crise sanitaire peut être une catastrophe éducative, j’essaie d’épargner ça à la France. […] Ça devient une exception française !” (2) J.M. Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, ne cesse de s’enorgueillir du souci du gouvernement pour le bien-être de la jeunesse. Tout serait donc fait pour que les enfants et les adolescents subissent le moins possible les affres de la pandémie.

Évidemment, il y a derrière ces déclarations, une claire volonté, à peine dissimulée, de maintenir les parents au travail. Mais pour autant, l’inquiétude de la bourgeoisie face à la déscolarisation et aux souffrances qui l’accompagnent, est bien réelle. D’abord, parce que le désœuvrement est source de potentiel chaos social, particulièrement pour les jeunes les plus en difficultés, à l’image des rixes entre bandes qui se sont multipliées ces derniers mois. Ensuite, parce que la baisse du niveau scolaire signifie aussi une future génération moins apte au travail et donc moins compétitive pour le capital. Enfin, parce que la hausse des souffrances psychiques représente un coût à venir pour l’État.

Le paradoxe, c’est que, malgré cette volonté affichée de préserver les jeunes, toutes les décisions prises depuis le début de la pandémie, hormis le seul fait de maintenir les écoles ouvertes, n’ont été que dans le sens d’accentuer le mal-être et l’isolement. L’État est bien incapable de prendre des décisions rationnelles, d’anticiper, de se donner les moyens pour que l’Éducation nationale soit à la hauteur des enjeux de la pandémie.

Concrètement, depuis la rentrée de septembre, le protocole sanitaire est plus que léger et les moyens alloués pour cela, inexistants :

– Pas de recrutements supplémentaires, que ce soit pour encadrer les élèves aux intercours ou pour remplacer les professionnels malades et absents. Conséquences : des lycées et collèges fonctionnent sans vie scolaire ou avec des salles de permanence pleines, faute de profs remplaçants ; des écoles qui restent ouvertes avec la moitié de l’effectif enseignant absent et non remplacé. Les élèves sont dispatchés dans les classes restantes déjà surchargées.

– Pas de moyens supplémentaires pour assurer le nettoyage et la désinfection des locaux, ni produits, ni moyens humains. Conséquence : les salles de classe ou encore les toilettes ne sont nettoyées parfois qu’une fois tous les deux jours, avec des classes qui changent de salles toutes les heures !

– Peu, voire parfois pas de gel hydro-alcoolique. Peu, voire pas de savons, ce qui était déjà le cas avant la pandémie. Accessibilité réduite, voire inexistante aux lavabos. Conséquence : le lavage régulier des mains devient très aléatoire, surtout dans les collèges et les lycées où les infrastructures ne sont pas du tout adaptées et le personnel manquant pour surveiller ces points d’eaux et les nettoyer.

– Une aération des locaux (prévue réglementairement toutes les 2 heures) très aléatoire, certaines salles n’ont d’ailleurs même pas d’ouverture possible.

– Absence totale de distanciation physique dans les cantines, alors que les restaurants sont fermés et les restaurants d’entreprises doivent prévoir 8 m2 par personne déjeunant dans leurs locaux !

– Non-application des mesures de base d’isolement. Si à la télévision, le ministre affirme la rigueur des protocoles, sur le terrain, les pressions sont très fortes pour taire les cas de Covid dans les classes, pour nier l’existence des cas contacts, etc. Parce que l’école doit rester ouverte, coûte que coûte.

Le résultat de cette absence totale de moyens et de mesures sérieuses a été l’explosion des contaminations dans toutes les écoles dès février 2021, à tel point que le gouvernement, après avoir maintenu durant des mois et contre toute vraisemblance que les enfants n’étaient pas contaminants, a dû se résoudre à fermer les établissements et mettre en place les cours à distance. D’ailleurs, cette “école virtuelle” a été, à elle seule, le symbole de l’incurie de la bourgeoisie. Le gouvernement a eu un an pour préparer son système scolaire et au premier jour de cours… tout a planté lamentablement ! Serveurs saturés, absence d’ordinateurs pour les enseignants (3) et les élèves, consignes inexistantes… mêmes les simples boites mails ne fonctionnaient pas ! Face à ce fiasco ridicule, le ministre de l’Éducation nationale a osé invoquer une cyberattaque criminelle russe, confinant ainsi au grotesque.

Mais cette situation chaotique et désastreuse n’est pas le seul fruit de la politique actuelle de Macron et de son gouvernement. Elle résulte de 40 ans de plans d’austérité et d’attaques successives et de dégradations continues des conditions de vie et de travail, sous les gouvernements de droite comme de gauche, à l’Éducation nationale comme partout ailleurs. Et demain, les mêmes attaques se poursuivront.

La justification martelée par le gouvernement, les partis d’oppositions, les syndicats, etc., selon laquelle l’ouverture des écoles “à tout prix” limiterait les “inégalités sociales” relève de la pure hypocrisie. Le système éducatif au sein de la société capitaliste est justement le creuset de la reproduction des inégalités et de l’exploitation entre les classes sociales. (4) Les salles surchargées, des journées oscillant entre 6 et 8 heures de cours quotidiens pour les élèves, le manque de personnel et de moyens de toute sorte, la logique de la concurrence et de la performance, voilà la réalité de “l’école de la République”. Une école qui ne vise qu’une seule chose : former des travailleurs adaptés aux rythmes industriels effrénés et des “citoyens” dociles et sans danger pour la pérennité de l’ordre social garant de l’exploitation. Comme l’affirmait l’un des fondateurs de l’école bourgeoise en France, Jules Ferry, dix ans après l’écrasement de la Commune de Paris dont il fût l’un des principaux acteurs, l’école doit avant toute chose inculquer une “morale d’État”. Le système éducatif écrase donc la jeunesse comme le lieu de travail écrase les salariés. Il n’est en rien le lieu de “l’esprit critique” et de la diffusion épanouissante du savoir mais l’atelier de formatage de la domination capitaliste.

Ginette, 19 avril 2021

 

1 ) “Écoles ouvertes par temps de Covid, “une exception française” controversée”, France 24, (17 mars 2021).

2 ) “Jean-Michel Blanquer : les écoles ouvertes, “une exception française dont il y a tout lieu d’être fiers””, France Inter (2 mars 2021).

3 ) Les enseignants ont reçu une prime dérisoire de 150 euros pour s’acheter le matériel nécessaire pour leur travail à la maison !

4 ) “Éducation : un conditionnement de la pensée au service du capital et de l’État”, Révolution internationale n° 466, (septembre-octobre 2017).

Récent et en cours: 

Rubrique: 

Covid-19