Les escadrons de la mort sont déjà à l'oeuvre en côte d'Ivoire

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Petit à petit les ballets diplomatiques et les tentatives de “médiation” cessent les uns et après les autres, l’heure est à la boucherie, bref les appels publics à la guerre fusent de toutes parts (1) :

La communauté internationale gagnerait à ne pas laisser trop perdurer la situation actuelle en Côte d’Ivoire. Au-delà de janvier, les incertitudes sont grandes et les risques aussi. Barack Obama a indiqué qu’il était prêt à appuyer une intervention militaire de la CEDEAO. Les Britanniques aussi. Il reste à la CEDEAO de savoir se décider. Dans le projet d’intervention militaire effective, peu de pays seront prêts à franchir le pas. Il faut donc organiser sérieusement l’intervention pour lui donner toutes ses chances de réussir. Une bonne intervention ne devrait pas durer plus d’une semaine. Dans ce cas de figure, la France aura un rôle éminent à jouer”.

Et dans le même sens, le président nigérian de la CEDEAO demande officiellement l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU pour l’usage de la force, pour sa part, le camp d’Ouattara décrète la fin des négociations et s’apprête à faire parler les armes pour “déloger” Gbagbo. De fait, les tueries ont déjà commencé sous forme d’enlèvements, d’assassinats ciblés et d’assauts sanglants perpétués par les sanguinaires des deux camps qui se disputent le pouvoir ivoirien. Depuis l’annonce des résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle du 28 novembre dernier, on compte déjà 300 morts (sans doute plus avec les charniers non encore “décortiqués”) et pas un seul jour sans cadavres exposés en plein soleil sous les regards notamment des casques bleus de l’ONU. En effet :

Jeudi 13 janvier, après deux jours de troubles et de tension croissante en Côte d’Ivoire, le bilan officiel fait état de 11 morts, dont 8 parmi les FDS(forces de défense et sécurité loyales au président sortant). Une source officielle française le juge sous-évalué. Il n’est qu’à voir le nombre de cargos calcinés, ces camions de transports de troupes, qui jalonnent la route vers Abidjan : 7 avant le premier carrefour d’Abobo. Plus loin vers le quartier PK 18, au milieu de l’artère à quatre voies, un cadavre torse nu est abandonné au soleil. Il ne fait bon de s’arrêter pour savoir s’il s’agit d’un mort civil ou militaire (…). A Abidjan le ton monte contre l’ONU et la France, accusées par Charles Blé Goudé, chef des jeunes patriotes et pilier du régime Gbagbo, de “préparer un génocide en Côte d’Ivoire (…) et les militants de l’opposition accusent des milices libériens (et autres escadrons de la mort) d’avoir été à la pointe de ces violence (2)”.

Et les grandes puissances de se cacher hypocritement derrière l’ONU qui, elle, gesticule et palabre beaucoup mais se contente d’établir le macabre bilan des morts. Et la France n’est pas moins au cœur de ces sombres manœuvres guerrières.

L’impérialisme français est en première ligne de la boucherie ivoirienne

Tout en s’abritant derrière la communauté internationale et en travaillant avec les Etats-Unis qui préparent leurs propres sanctions, la France reste confrontée à un délicat problème en cas de nouvelle spirale de violence. La force de Licorne dont les effectifs ont été réduits depuis 2004 (5000 soldats à l’époque) aurait pour rôle prioritaire l’évacuation des ressortissants français, en cas de besoin. Tout pourrait se corser si le conflit s’envenime et que de nouvelles exactions sont commises contre des civils. La France peut-elle rester passive sur le terrain en cas de massacres ? Licorne a “un droit de légitime défense” mais “son rôle n’est pas de s’interposer”, a déclaré le 19 décembre le chef de la diplomatie française, Michèle Alliot-Marie (3)”.

Comme l’avoue froidement son ministre, la France est là pour faire la guerre. En effet, bien qu’acculée et sur la défensive depuis la perte de son pré carré ivoirien entraînant la perte de son autorité sur les acteurs locaux, elle ne s’avoue pas vaincue pour autant et se bat farouchement pour conserver ses positions (économiques) dans ce pays quitte à aggraver les souffrances que subissent les habitants depuis plus de 10 ans.

Les dirigeants ivoiriens sont les complices de toujours de l’impérialisme français

Ils se comportent comme leurs anciens maîtres coloniaux, c’est-à-dire pour gouverner ils ont toujours opté pour le fameux “diviser pour régner” en dressant les ethnies les unes contre les autres et c’est le “Père de la nation ivoirienne” (4) qui fut le grand initiateur du phénomène :

Le président Houphouet Boigny a ouvertement favorisé son groupe ethnique. Il a même mobilisé les ressources de l’Etat pour aménager son village Yamoussoukro jusqu’en faire la capitale politique. Issu de son ethnie, et habilement imposé, M. Konan Bédié, poursuivra cette tradition. (…) Les Bétés seraient des “sauvages”, des gens “violents” (…) Les gens du Nord, quant à eux- et, sur ce point, bétés et Akans, gens du Sud, se rejoignent, seraient plus ou moins des “étrangers”. De même les 3 à 4 millions d’immigrés (25  % de la population) dont la force de travail assurait le “miracle économique ivoirien” et qui pouvaient voter jusqu’en 1994, ont été exclus en 1995 du processus électoral et désignés comme “étrangers” voire des criminels à abattre.

Il est clair aussi que cette politique criminelle n’a pu se faire qu’avec la complicité active de l’ex- puissance coloniale, c’est elle qui a “formé”, “éduqué” et “modelé” toute cette bande de racailles dans le seul but d’en faire les dociles défenseurs de ses intérêts en Afrique.

L’ONU, l’autre armée auxiliaire des grandes puissances

En dépit de ses 11 500 hommes en Côte d’Ivoire, l’ONU va probablement faire comme à son habitude : accompagner les tueurs ou fuir les combats et, là, on a en tête l’exemple rwandais, c’est ce que rappelle cet éditorialiste (5) :

En 1994, lors du génocide rwandais, Roméo Dallaire commandait la mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), la force de l’ONU qui été chargée de maintenir la paix dans ce pays, mais qui allait se déshonorer en laissant se perpétuer l’une des plus grandes tragédies contemporaines : le génocide des Tutsis et des Hutus modérés, qui fit plus de 800 000 morts. Traumatisé par cette expérience, ce général canadien, pour solder se comptes avec ses démons intérieurs, a publié un livre au titre choc : “J’ai serré la main du diable”.

Dans cet ouvrage sont mis à nu les atermoiements, les hésitations, le manque de compassion, bref, en un mot la lâcheté de la communauté internationale. Pour les puissances occidentales, ce qui se passait au Rwanda n’était qu’une guerre tribale ordinaire en Afrique. Pis, la complexité des règles d’engagement de l’ONU en fait une force peu dissuasive pour les boutefeux. En Côte d’Ivoire, la communauté internationale va-t-elle laisser une nouvelle fois un pays africain sombrer dans une guerre civile aux conséquences incalculables ?

Avec un pays coupé en deux blocs ethnico-religieux antagoniques qui font redouter le pire, la Côte d’Ivoire n’a jamais été aussi proche du Rwanda (souligné par nous)”.

En effet le climat qui règne en ce moment en Côte d’Ivoire ressemble à celui qui précédait le déclanchement du génocide rwandais, cela s’illustre plus particulièrement à travers les attitudes des maîtres de l’ONU qui aujourd’hui devant les médias jurent vouloir œuvrer “pour la paix” tout en se préparant en coulisse à se rejeter mutuellement les responsabilités des crimes en cours et à venir. C’est là le summum de cynisme, de barbarie dont font preuve nos éminents “humanistes démocrates” pour lesquels ce qui se prépare en Côte d’Ivoire (comme le précédent rwandais) n’est qu’affaire “tribale”.

Amina (25 janvier)

 

1) Courrier international, 20/26/01/11

2Le Monde du 20/12/10.

3) Selon le Monde.

4) Tiemoko Coulibaly, le Monde diplomatique, mars 2005.

5) Cité in Courrier international du 05/01/11.

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