Jean Jaurès et le mouvement ouvrier

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Le centenaire de la mort de Jean Jaurès, célébré le 31 juillet 2014, a été l'occasion de quelques événements remarquables. Le président de la République, François Hollande, s'est rendu sur les lieux de l'assassinat du leader socialiste, dans l'ancien Café du Croissant. Lorsqu'on ouvre le journal du lendemain, on le voit sur la photo, attablé, ne sachant que faire de ses dix doigts, avec sa mine de chien battu. Aussitôt, celui qui se présente comme l'opposant le plus résolu à la politique gouvernementale et le véritable héritier de Jaurès, Jean-Luc Mélanchon, a dénoncé la récupération politique. Quelques temps plus tôt, le philosophe ex-ministre Luc Ferry se réjouissait sur France-Culture de la façon dont Jaurès aurait "dézingué" le Manifeste communiste dans un article paru dans les Cahiers de la Quinzaine de Charles Péguy. Déjà pendant la campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy en appelait à Jaurès qui aurait récusé la lutte de classe et qui, lui au moins, aimait et respectait les travailleurs. Comme tout ceci est à la fois ridicule et scandaleux en comparaison de la stature historique de Jean Jaurès !

Il est vrai que Jaurès est un personnage bien pratique pour la bourgeoisie qui en a fait une sorte de secrétaire aux multiples tiroirs. Selon les besoins de la propagande idéologique, on peut ouvrir le tiroir du héros national qui repose au Panthéon aux côtés des héros de la guerre impérialiste, comme Jean Moulin par exemple, ou alors on peut ouvrir le tiroir du socialiste modéré qui réprouve les méthodes violentes de la révolution, ou bien encore celui du partisan de la voie parlementaire et nationale au socialisme, le tiroir favori du Parti communiste français, ou le tiroir du pacifiste qui aurait rompu les liens entre la lutte contre la guerre et la lutte pour la révolution prolétarienne. Tous ces clichés sont mensongers et l'adage selon lequel pour supprimer un homme qui met en danger l'ordre établi la meilleure méthode est encore d'en faire une icône inoffensive se vérifie une nouvelle fois.

Qui était donc Jean Jaurès ? Tout simplement un produit du mouvement ouvrier, le produit collectif et historique d'une classe particulière de la société, l'un de ses produits les plus remarquables si l'on considère l'époque où Jaurès exerça ses talents. Issu de la petite bourgeoisie provinciale, élu député d'abord sur une liste d'Union des républicains en 1885, il passe au socialisme à 34 ans fortement impressionné par la lutte des mineurs de Carmaux et scandalisé par la répression d'une manifestation à Fourmies dans le Nord. Les ouvriers y luttaient pour la journée de huit heures, pendant la manifestation une fusillade fit une dizaine de morts dans leurs rangs. Comme dans le cas de Marx et de bien d'autres militants ouvriers, c'est le prolétariat lui-même qui a gagné Jaurès à la cause du socialisme révolutionnaire. C'est comme martyr de cette cause qu'il a été assassiné à la veille de la Première Guerre mondiale alors qu'il avait jeté toutes ses forces contre le militarisme et qu'il espérait que l'action internationale du prolétariat allait stopper l'engrenage de la guerre impérialiste. Certes, Jaurès appartenait à la tendance réformiste du socialisme, il a donc à plusieurs reprises contribué à affaiblir considérablement le combat de classe, mais il pouvait évoluer du fait d'un dévouement inconditionnel à la cause du prolétariat, ce qui le distinguait radicalement de ses collègues socialistes comme Pierre Renaudel, Aristide Briand, René Viviani ou Marcel Sembat, très vite emportés dans l'opportunisme le plus crasse. Les membres de la Gauche de la Seconde Internationale l'ont combattu vivement, mais la plupart d'entre eux admirait la personnalité de Jaurès, l'élévation de sa pensée, sa force morale. Trotsky écrit dans son autobiographie : "Au point de vue politique j'étais éloigné de lui, mais il était impossible de ne pas éprouver l'attraction exercée par cette puissante figure. (...) Doué d'une vigueur imposante, d'une force élémentaire comme celle d'une cascade, il avait aussi une grande douceur qui brillait sur son visage comme le reflet d'une haute culture. Il précipitait des rochers, grondait tel un tonnerre, ébranlait les fondations, mais jamais il ne s'assourdissait lui-même, il se tenait toujours sur ses gardes, il avait l'oreille assez fine pour saisir la moindre interpellation, pour y répliquer, pour parer aux objections, parfois en termes impitoyables, balayant les résistances comme un ouragan, mais aussi sachant parler avec générosité et douceur, comme un éducateur, comme un frère aîné."1 Rosa Luxemburg, cette autre grande figure de la Gauche, éprouvait les mêmes sentiments. Comme il lisait l'allemand, elle lui offrit un exemplaire dédicacé de sa thèse de doctorat, Le développement industriel de la Pologne. Le tribun avait le même physique d'athlète qu'Auguste Rodin et à la mort du sculpteur, Rosa Luxemburg écrivit à Sonia Liebknecht : "Ce devait être une personnalité merveilleuse : franc, naturel, débordant de chaleur humaine et d'intelligence ; il me rappelle décidément Jaurès."2

On ne comprendrait rien à cette personnalité si riche, si complexe, si on ne la replaçait pas dans le contexte de l'époque, la phase finale de l'ascendance du capitalisme qui déboucha sur la Première Guerre mondiale, et si on oubliait comment Jaurès a été capable d'apprendre à l'école de la lutte prolétarienne et de l'Internationale. Bien qu'il n'épousa jamais complètement les thèses de Marx et Engels, lors d'une conférence à Paris le 10 février 1900, il a éprouvé le besoin d'exprimer son accord avec toutes les idées essentielles du socialisme scientifique.3

La constitution du prolétariat en classe

La Commune de Paris de 1871 avait démontré que le prolétariat était capable de s'emparer du pouvoir et de l'exercer par le moyen des assemblées de masse et des délégués élus et révocables. Elle avait apporté une clarification décisive : la classe ouvrière ne peut pas simplement s'emparer de la machine de l'État et la mettre en mouvement pour ses propres fins, elle doit tout d'abord détruire le vieil édifice de l'État bourgeois puis ériger un nouvel État spécifique de la période de transition du capitalisme au communisme, l'État-Commune. Dans son magnifique opuscule, L'État et la révolution, Lénine se chargera plus tard de rappeler ces leçons à ceux qui les avaient oubliées. Mais la Commune de Paris a aussi démontré que le prolétariat n'avait pas encore la force à l'époque de se maintenir au pouvoir et de généraliser le processus révolutionnaire à l'échelle internationale. Le prolétariat était apparu comme une classe distincte avec son propre programme lors de l'insurrection de Juin 1848, mais le processus à travers lequel il pouvait se constituer comme une force internationale dotée d'une conscience de classe et d'une expérience politique était loin d'être achevé. Cette immaturité trouva son pendant dans un développement gigantesque du capitalisme au sein duquel, justement, le processus de la constitution du prolétariat en classe pouvait se poursuivre. Ce fut une période de conquêtes économiques et coloniales gigantesques durant laquelle les dernières aires "non-civilisées" du globe allaient être ouvertes aux géants impérialistes ; une période aussi de rapide développement du progrès technologique, qui a vu le développement massif de l'électricité, l'apparition du téléphone, de l'automobile et bien d'autres choses encore.

Cette période n'était pas sans danger pour le prolétariat, mais il n'avait pas le choix. Seul le capitalisme pouvait créer les conditions de la révolution communiste internationale, lui seul pouvait produire ses propres fossoyeurs. S'appuyant sur la possibilité d'obtenir des réformes réelles en sa faveur, la classe ouvrière développa de grandes luttes économiques et politiques et, dans ce but, s'organisa en de puissants syndicats et partis sociaux-démocrates. Comme le dit le Manifeste communiste, "elle profite des divisions intestines des bourgeois pour les obliger à donner une garantie locale à certains intérêts de la classe ouvrière : par exemple la loi de dix heures de travail en Angleterre."4

Les luttes pour une législation ouvrière, pour le suffrage universel, y compris la défense de la République bourgeoise face aux forces rétrogrades, étaient comprises comme une préparation des conditions de la révolution prolétarienne qui devait renverser la domination bourgeoise. Le programme minimum et le programme maximum formaient une unité à condition que dans les luttes quotidiennes, au sein des alliances inévitables avec certaines fractions de la bourgeoisie et avec la petite bourgeoisie, le prolétariat défende son indépendance de classe et garde en vue le but final révolutionnaire. C'était l'époque par excellence du parlementarisme ouvrier et Jean Jaurès, orateur de talent, y consacra toute son énergie. Les élections législatives de 1893 voient l'entrée massive des socialistes à la Chambre des députés. Jaurès fait partie du lot. Selon les tendances politiques les plus claires de l'époque, le parlementarisme ouvrier n'était pas un but en soi mais seulement un appui à la lutte générale du prolétariat. Effectivement, lorsque les socialistes intervenaient à la Chambre on disait qu'ils parlaient "en regardant par la fenêtre" pour dire que leur objectif n'était pas de convaincre les députés bourgeois mais d'éclairer la classe ouvrière, de l'encourager à se lancer dans les grandes luttes politiques qui lui donnerait l'expérience nécessaire à l'exercice du pouvoir demain. Dans les Considérants du programme du Parti ouvrier français, rédigés en 1880 par Jules Guesde, Paul Lafargue, Engels et Marx, on trouve cette formulation significative :

"Considérant,

Que cette appropriation collective [des moyens de production] ne peut sortir que de l'action révolutionnaire de la classe productive – ou prolétariat – organisée en parti politique distinct ;

Qu'une pareille organisation [de la société] doit être poursuivie par tous les moyens dont dispose le prolétariat, y compris le suffrage universel, transformé ainsi d'instrument de duperie qu'il a été jusqu'ici en instrument d'émancipation (...)."5

Le parlementarisme n'est absolument pas présenté ici comme le moyen de l'émancipation ouvrière à la place de la révolution mais, si on lit bien le paragraphe précédent, comme l'un des moyens pour aller vers le grand but de l'appropriation collective des moyens de production. L'unité des moyens et du but est donc clairement revendiquée. Le développement d'un gigantesque mouvement ouvrier international à la fin du XIXe siècle a tenu ses promesses en partie. Il permit de faire le pont entre la Commune de Paris et la vague révolutionnaire de l'après-guerre qui culmina en 1917 en Russie et en 1918 en Allemagne. Ce développement a provoqué des frayeurs sans nom pour la classe dominante et cet acharnement pour défigurer Jean Jaurès n'est pas simplement utile à la bourgeoisie, il sert aussi à exorciser ses peurs.

Bien entendu, l'opportunisme, le crétinisme parlementaire et le réformisme ont fini par s'imposer au sein de la Seconde Internationale, la faillite de 1914 et l'union sacrée ont été une catastrophe qui eut de profondes répercussions sur le mouvement ouvrier. Mais il est nécessaire de préciser que cette victoire de l'opportunisme n'était pas une fatalité et que son origine n'est pas à chercher principalement dans les fractions parlementaires, les permanents syndicaux et politiques, dans la bureaucratie générée par ces organisations. Même si ceux-ci furent des vecteurs du mal qui rongeait l'Internationale, l'origine fondamentale se trouve dans le manque de vigilance des organisations ouvrières face à l'ambiance du monde capitaliste. Le développement impulsif du capitalisme dans un cadre relativement pacifique (en tout cas dans les pays centraux) a fini par induire l'idée que la transition au communisme pouvait s'effectuer de façon graduelle et pacifique. C'est l'occasion de rappeler que la croissance du mouvement ouvrier n'est pas linéaire et qu'elle n'est possible qu'au prix de combats incessants contre la pénétration de l'idéologie de la classe dominante au sein du prolétariat.

Le témoignage de Trotsky sur cette époque et sur les hommes qui l'incarnèrent est précieux car il a vécu la transition entre l'ascendance et la décadence du capitalisme. Cette période de 25 ans est au plus haut point contradictoire, elle "attire l'esprit par le perfectionnement de sa civilisation, le développement ininterrompu de la technique, de la science, des organisations ouvrières et paraît en même temps mesquine dans le conservatisme de sa vie politique, dans les méthodes réformistes de sa lutte de classe."6 Dans Ma vie, il souligne la haute tenue morale de militants du mouvement ouvrier comme Jean Jaurès et Auguste Bebel, le premier avec une teinte aristocratique, le second comme simple plébéien ; il montre en même temps leurs limites : "Jaurès et Bebel ont été les antipodes et, en même temps, les sommets de la IIe Internationale. Ils furent profondément nationaux : Jaurès avec son ardente rhétorique latine, Bebel avec sa sécheresse de protestant. Je les ai aimés tous deux, mais différemment. Bebel épuisa ses forces physiques. Jaurès tomba en pleine floraison. Mais tous deux ont disparu en temps opportun. Leur fin marque la limite à laquelle s'est achevée la mission historique, progressiste, de la IIe Internationale."7

Le marxisme et l'héritage de la Révolution française de 1789

Depuis la grande Révolution bourgeoise de 1789, la France a dominé pendant longtemps toute l'histoire de l'Europe. Que ce soit en 1830 ou en 1848, à chaque fois c'est de France que partait le signal du bouleversement général. Ces circonstances donnèrent au prolétariat français une grande éducation politique et une capacité d'action qui se sont transmises jusqu'à nos jours. Mais ces qualités avaient leur contrepartie. La classe ouvrière en France avait tendance à sous-estimer la lutte économique quotidienne, ce qui explique pourquoi les syndicats se sont moins développés que dans d'autres pays. D'autre part, le combat politique était conçu dans un sens restrictif, celui de l'étape insurrectionnelle. Du côté opposé, la bourgeoisie était parvenue assez vite à une souveraineté politique intégrale sous le régime de la République démocratique, plus particulièrement la bourgeoisie industrielle. Et elle en était très fière. C'est ainsi que la grandiose Révolution bourgeoise avait conduit à cette grandiloquence creuse typique des discours en France : le pays des Droits de l'Homme s'était octroyé la tâche messianique de la libération des peuples de la tyrannie, entendez par là la concurrence économique entre nations et les guerres de rapine qui conduisirent à la guerre impérialiste de 1914. Chez de nombreux leaders du mouvement ouvrier en France, cette phraséologie dissimulait un patriotisme profondément ancré.

Jean Jaurès est un représentant classique de ce républicanisme qui a lourdement pesé sur le mouvement ouvrier à une époque où la société bourgeoise était encore progressiste et où la forme que prendrait le pouvoir prolétarien était encore loin d'être clarifiée. Même pour les éléments de gauche au sein de la IIe Internationale, la République était la seule formule possible de la dictature du prolétariat. Jaurès s'exprime ainsi dans un article de La Dépêche du 22 octobre 1890 : "Ni l'Angleterre, ni l'Allemagne n'ont dans leur passé une République démocratique comme celle qui fut proclamé en France en 1792. Dès lors, les espérances d'émancipation des travailleurs anglais et des travailleurs allemands ne prennent pas précisément la forme républicaine, et voilà pourquoi le parti des réformes populaires s'y appelle plus spécialement le parti socialiste. Au contraire, en France, le seul mot de République, tout plein des rêves grandioses des premières générations républicaines, contient à lui tout seul toutes les promesses d'égalité fraternelle."8

C'est Karl Kautsky qui va défendre la position marxiste sur cette question. Dans un article paru dans Die Neue Zeit en janvier 1903, il rappelait que malgré la continuité historique entre révolution bourgeoise et révolution prolétarienne il existe plus encore une rupture politique du simple fait qu'il s'agit de deux classes différentes dotées d'un programme différent avec des buts et des moyens spécifiques : "C'est justement à cause de la grande force de la tradition révolutionnaire au sein du prolétariat français qu'il n'est nulle part plus important que là-bas de l'amener à penser de façon autonome en lui montrant que les problèmes sociaux, les objets, les méthodes et les moyens des combats sont aujourd'hui tout autres que ce qu'ils étaient à l'époque de la Révolution ; que la révolution socialiste doit être tout autre chose qu'une parodie ou une poursuite de la révolution bourgeoise ; que le prolétariat peut lui emprunter son enthousiasme, sa foi en la victoire et son tempérament mais certainement pas sa manière de penser."9

Cette position classique du socialisme révolutionnaire s'appuie sur les travaux de Marx et Engels qui, après l'échec de la Révolution 1848, avaient remis en cause leur idée d'une révolution permanente basée sur une unité organique entre révolution bourgeoise et révolution prolétarienne et la transcroissance de l'une en l'autre.10 D'autre part, contre Lassalle, partisan d'un socialisme d'État, et contre Bakounine qui prônait l'égalité des classes, Marx et Engel avaient toujours défendu le but final communiste de l'abolition des classes, ce qui signifie la fin de la domination politique engendrée précisément par l'existence de classes antagoniques, ce qui implique le dépérissement de l'État. Mais la fin de l'État, c'était aussi la fin de la démocratie qui n'est qu'une forme particulière de l'État. L'ambition du communisme, qui paraît démesurée mais qui est en fait la seule réaliste face aux lois de l'histoire et aux contradictions dangereuses du capitalisme, consiste en une maîtrise des forces productrices et des forces sociales à l'échelle mondiale, le seul terrain sur lequel puisse être dépassée la contradiction entre intérêt général et intérêt particulier, entre le collectif et l'individu. Pour la première fois, il est devenu possible de faire de la communauté humaine une réalité concrète. Cela ne signifie pas la fin des problèmes et des contradictions, mais que l'abolition des classes et de la sphère politique va permettre de libérer toutes les potentialités humaines tandis que la promesse contenue dans la devise : Liberté, Égalité, Fraternité, n'avait jamais pu être honorée par la démocratie bourgeoise. Le communisme ne signifie pas la fin de l'histoire mais la fin de la préhistoire et le début de l'histoire véritable. Ce passage du règne de la nécessité au règne de la liberté, c'est-à-dire la perspective d'une société libérée de la production marchande et de l'État, n'était pas une position inconnue durant cette époque du parlementarisme ouvrier et de la lutte pour les réformes. Les minorités politiques les plus claires s'efforçaient de la défendre, comme Williams Morris en Angleterre (Nouvelles de nulle part, 1890) et Auguste Bebel en Allemagne (La femme dans le passé, le présent et l'avenir, 1891).11

Comme bien d'autres, Jaurès ne parviendra jamais à se libérer de cette tradition républicaine, ce qui va l'empêcher de défendre l'autonomie de la classe ouvrière face à l'ennemi de classe.

L'affaire Dreyfus

Le capitaine Alfred Dreyfus passe devant un conseil de guerre en décembre 1894, c'est un officier juif appartenant à l'état-major de l'armée française. Il est injustement accusé d'avoir livré des secrets militaires à l'Allemagne. Cette affaire d'espionnage, apparue dans un contexte profondément marqué par l'antisémitisme et par le chauvinisme après l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine, a enflammé la IIIe République jusqu'en 1906, année où la Cour de cassation innocentera et réhabilitera définitivement Dreyfus. Il ne s'agissait pas d'une simple erreur judiciaire mais de la défense des intérêts de fractions particulièrement réactionnaires et nationalistes de la bourgeoisie s'appuyant sur les milieux militaires, cléricaux et monarchistes. La crise du Parti radical12 au pouvoir leur avait ouvert la voie.

Après une période d'hésitation, Jean Jaurès va se lancer à corps perdu dans la bataille pour la défense du capitaine et la révision de son procès. "Et Jaurès avait raison, s'écria Rosa Luxemburg. L'affaire Dreyfus avait réveillé toutes les forces latentes de la réaction en France. Le vieil ennemi de la classe ouvrière, le militarisme, était là démasqué, et il fallait diriger toutes les lances contre sa poitrine. Pour la première fois, la classe ouvrière était appelée à mener une grande lutte politique. Jaurès et ses amis l'ont conduite au combat et ont inauguré ainsi une nouvelle époque dans l'histoire du socialisme français."13

Le parti marxiste de Guesde et Lafargue ainsi que le parti des ex-blanquistes de Vaillant continuaient de prôner la neutralité c'est-à-dire l'abstention politique alors que la classe ouvrière aurait dû mener le combat contre les fractions réactionnaires de la bourgeoisie, y compris en défendant la république bourgeoisie. Elle devait se saisir de cette opportunité pour rassembler ses forces, mûrir politiquement tout en sauvegardant son autonomie de classe. C'est sur la question de l'autonomie de classe que se révélèrent toutes les faiblesses de la politique défendue par Jaurès. Les dreyfusards de la classe ouvrière devaient garder leur indépendance vis-à-vis de leurs alliés, les dreyfusards bourgeois comme Émile Zola et Georges Clemenceau. Du fait de ses positions de fond républicaines, Jaurès s'engagea dans le soutien au gouvernement radical jusqu'à gommer les positions spécifiques de la classe ouvrière. Il soutint le gouvernement sur la loi d'amnistie adoptée par la Chambre le 19 décembre 1900 alors que son but était l'amnistie de tous, surtout des officiers impliqués dans le complot contre Dreyfus. Il refusa de passer à une attaque directe et systématique contre le militarisme à travers la revendication d'une milice populaire, car il y avait un risque de rupture entre les dreyfusards. Et les capitulations se multiplient au nom d'une prétendue "œuvre républicaine d'ensemble" qui porterait "la certitude de victoires futures". Voyons le commentaire de R. Luxemburg : "Cela prouve que, dans la tactique de Jaurès, ce ne sont pas les aspirations propres au parti socialiste qui sont l'élément permanent, l'élément de base, et l'alliance avec les radicaux l'élément variable, accessoire, mais que, au contraire, l'alliance avec les démocrates bourgeois constitue l'élément constant, ferme, et les aspirations politiques, qui parfois se font jour, ne sont que le produit fortuit de cette alliance. Déjà pendant la campagne pour Dreyfus, l'aile fidèle à Jaurès n'a pas su conserver la ligne de démarcation entre les camps bourgeois et prolétarien. Si, pour les amis bourgeois de Dreyfus, il s'agissait exclusivement d'extirper les excès du militarisme, de supprimer la corruption, de l'assainir, la lutte des socialistes devait porter contre les racines du mal, contre l'armée permanente elle-même. Et si pour les radicaux la réhabilitation de Dreyfus et la punition des coupables de l'Affaire étaient le but de l'agitation, le cas Dreyfus ne pouvait être pour les socialistes que l'occasion d'entamer une agitation en faveur de l'armée de milices. C'est en ce cas seulement que l'affaire Dreyfus et les étonnants sacrifices de Jaurès et de ses amis auraient pu, par l'agitation, rendre au socialisme des services énormes."14

Non seulement Jaurès refusa de rompre avec le gouvernement en temps opportun, mais il apporta un soutien sans réserve au cabinet Waldeck-Rousseau et à la participation d'un socialiste à ce gouvernement. S'ouvre alors le chapitre le plus sombre de la vie politique de Jean Jaurès.

L'affaire Millerand

En juin 1899, le socialiste Alexandre Millerand entra, aux côtés du général Gaston de Galliffet, le massacreur des Communards, dans le ministère radical de Pierre Waldeck-Rousseau. Il s'agissait d'une initiative personnelle de Millerand qui appartenait à la mouvance des socialistes indépendants, il ne disposait d'aucun mandat d'un parti socialiste. Il faut bien se rendre compte que nous sommes en plein dans l'affaire Dreyfus alors que l'officier dégradé subit toujours les tourments du bagne en Guyane. Jaurès s'évertue à soutenir la participation socialiste. Il salue le courage des socialistes français qui envoient un des leurs "dans la forteresse du gouvernement bourgeois". Cette affaire représentait un formidable encouragement à toute l'aile droite de l'Internationale qui attendait avec impatience que l'expérience se renouvelle dans d'autres pays, en particulier en Allemagne. Elle approuvait chaudement les arguments de Jaurès selon qui l'évolution de la société capitaliste vers le socialisme engendrait une étape intermédiaire au cours de laquelle le pouvoir politique était exercé en commun par le prolétariat et la bourgeoisie. En Allemagne, Édouard Bernstein venait de publier son œuvre révisionniste où il remettait en cause la théorie marxiste des crises du capitalisme et où il proclamait : "Le but final, quel qu'il soit, n'est rien, le mouvement est tout."

Rosa Luxemburg s'engage avec passion dans la bataille. Elle répond à Bernstein dans une série d'articles qui paraîtront en une brochure au titre célèbre : Réforme ou révolution. Elle s'attaque en même temps aux arguments de Jaurès. Pour commencer, elle rappelle les principes de base du socialisme scientifique : "Dans la société bourgeoise, la social-démocratie, du fait de son essence même, est destinée à jouer le rôle d'un parti d'opposition ; elle ne peut accéder au gouvernement que sur les ruines de l'État bourgeois."15 Elle souligne en particulier la différence fondamentale entre la participation des socialistes au parlement de l'État bourgeois ou aux conseils municipaux, depuis longtemps acceptée, et la participation à l'exécutif de l'État. Pour une raison bien simple : dans le premier cas ils agissent pour faire triompher leurs revendications mais toujours sur la base d'une critique du gouvernement qui sans cesse persécute les ouvriers et tente de rendre inoffensives les réformes sociales qu'il est contraint de mettre en œuvre. C'est ce principe qui motive le refus systématique des socialistes de voter le budget au parlement. Dans le second cas, quel que soit le parti auquel appartiennent les membres du gouvernement, ils sont tenus de se solidariser avec la politique entreprise et ils sont forcément considérés comme responsables de cette politique.

Le Congrès socialiste international tenu à Paris du 23 au 27 septembre 1900 condamna "le socialisme gouvernemental" de Millerand, ce qui démontrait que les conditions pour une offensive de l'opportunisme au sein de l'Internationale n'étaient pas encore réunies. La résolution s'intitulait : "La conquête des pouvoirs publics et les alliances avec les partis bourgeois." Elle avait été adoptée sur la base d'une motion présentée par Kautsky et la majorité des membres de la commission permanente. Le problème c'était que le rédacteur de cette résolution s'était efforcé de lui donner un caractère général, théorique sans aborder le cas Millerand à proprement parler. Toutes les interprétations, les plus tirées par les cheveux soient-elles, étaient permises. C'est pourquoi on nomma cette "Résolution Kautsky" la "Résolution caoutchouc". Jaurès, Vollmar, Bernstein, toute la droite jusqu'aux révisionnistes les plus avérés, s'engouffrèrent dans la brèche. Ils ne se gênèrent pas pour présenter l'issue du Congrès de Paris comme favorable à Millerand.

Ils s'appuyaient en particulier sur une idée présente dans la résolution selon laquelle dans certains cas exceptionnels la participation des socialistes au gouvernement bourgeois apparaîtrait comme nécessaire. En effet, dans tous les programmes socialistes figurait la position, valable à l'époque, qu'en cas de guerre défensive, donc surtout pas en cas de guerre impérialiste, les socialistes pouvaient participer au gouvernement.16 Ou encore lorsqu'une crise politique menaçait de remettre en cause la République et les acquis démocratiques. Rosa Luxemburg répondit que dans ces cas exceptionnels il n'était pas question pour autant d'aller jusqu'à la solidarité en général, sans nuance, avec la politique du gouvernement. Mais l'essentiel c'était de définir si nous étions vraiment dans une situation relevant des cas exceptionnels ci-dessus évoqués. Jaurès répondit par l'affirmative.

Depuis 1885 environ, la France était secouée par des crises constantes, la crise du boulangisme, le scandale de Panama, l'affaire Dreyfus. On pouvait observer alors l'existence d'un nationalisme bruyant, des débordements antisémites, des campagnes de presse haineuses et grossières, des échanges de coups dans la rue. La dernière heure de la République semblait imminente. Mais Rosa Luxemburg réussit à montrer brillamment que tel n'était pas le cas. Simplement la réaction militariste et cléricale et le radicalisme bourgeois se disputaient le contrôle de cette République dans le cadre d'une crise profonde du Parti radical au pouvoir. Il fallait participer à ces luttes politiques mais certainement pas en participant au gouvernement et en flattant la petite bourgeoisie, la clientèle traditionnelle du Parti radical.

Jaurès invoquait certains passages du Manifeste communiste concernant l'alliance des ouvriers avec la bourgeoisie. Tout d'abord, il s'agissait d'une toute autre période historique où, comme en Allemagne par exemple, le pouvoir de la bourgeoisie n'était aucunement assuré face aux forces politiques du féodalisme. Et surtout, il oubliait de citer les passages essentiels sur la préservation de l'indépendance de la classe ouvrière en toutes circonstances. En particulier celui-ci:  "Mais, à aucun moment, ce parti ne néglige d'éveiller chez les ouvriers une conscience claire et nette de l'antagonisme profond qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat, afin que, l'heure venue, les ouvriers allemands sachent convertir les conditions politiques et sociales, créées par le régime bourgeois, en autant d'armes contre la bourgeoisie afin que, sitôt détruites les classes réactionnaires de l'Allemagne, la lutte puisse s'engager contre la bourgeoisie elle-même."17

Enfin, le dernier argument de Jaurès consistait à souligner l'importance pour les ouvriers des réformes mises en œuvre par Millerand. C'était pour lui "des germes de socialisme, semés dans le sol capitaliste, et qui porteraient des fruits merveilleux". Il suffit d'examiner de près la réalité de ces réformes pour contredire l'enthousiasme démesuré qui s'était emparé de Jaurès. Par exemple, l'intention initiale de raccourcir la durée du travail aboutit à un allongement de la durée du travail pour les enfants et de simples espoirs pour le futur. Ou encore, l'intention de garantir le droit de grève aboutit à l'enserrer dans des limites juridiques étroites. On a vu l'hypocrisie de la politique du gouvernement dans l'affaire Dreyfus. Il faut ajouter l'hypocrisie de la lutte pour la laïcité de l'État qui se solda par des dons charitables à l'église catholique et qui était surtout une véritable machine de guerre contre l'influence grandissante des partis socialistes sur les ouvriers. N'oublions pas que durant toute cette expérience Millerand, la troupe continuait de tirer sur les grévistes, comme à Chalons et à la Martinique. L'ère des réformes culminait dans le massacre d'ouvriers en grève.

Rosa Luxemburg voyait juste et loin lorsqu'elle critiquait le "ministérialisme". Ce qui avait commencé en France sous la forme d'une triste farce s'est terminé en Allemagne en tragédie après 1914 avec un gouvernement social-démocrate assumant en pleine conscience son rôle contre-révolutionnaire. Pour l'heure, nous allons nous apercevoir que Jaurès était capable d'apprendre. Dix ans après le début de l'affaire Millerand, il invectivait Millerand lui-même et deux autres ministres socialistes, Briand et Viviani, à qui il reprochait d'être "des traîtres qui se laissent utiliser par le capitalisme".

La fondation d'un parti socialiste unifié

Nous avons vu que Jaurès avait côtoyé Bernstein de près. Il n'est pourtant pas possible de le placer dans le camp du révisionnisme. De même, il n'y avait aucune trace chez lui du philistinisme d'un Kautsky qui succombe aux sirènes centristes vers 1906. Nous avons vu ses liens intimes avec les membres de l'aile droite de l'Internationale ouvrière. Son opportunisme était celui que le mouvement ouvrier de l'époque a dû confronter et qui se caractérise à la fois par une impatience quant aux résultats de la lutte (on préfère sacrifier le but final au profit de réformes immédiates pour une large part illusoires) et une adaptation au monde capitaliste environnant (on se contente de la dynamique progressiste et du contexte pacifique qui permettaient d'augmenter, relativement et illusoirement, la sécurité des ouvriers et on sacrifie les intérêts du mouvement général). Mais sa forte personnalité le plaçait au-dessus des autres opportunistes. Après son adhésion au socialisme, il continua de se consacrer au service du droit, de la liberté et de l'humanité. Mais, comme le notait Trotsky, ce "qui chez les déclamateurs français ordinaires n'est qu'une phrase vide, [Jaurès y] mettait, lui, un idéalisme sincère et agissant." Trotsky le présente à juste titre comme un idéologue au sens positif du terme, quelqu'un qui s'empare de l'idée comme d'une arme terrible dans la lutte pratique quotidienne, et il l'oppose au doctrinaire et au praticien-opportuniste : "Le doctrinaire se fige dans la théorie dont il tue l'esprit. Le praticien-opportuniste s'assimile des procédés déterminés du métier politique ; mais qu'il survienne un bouleversement inopiné et il se trouve dans la situation d'un manœuvre que l'adoption d'une machine rend inutile. L'idéologue de grande envergure n'est impuissant qu'au moment où l'histoire le désarme idéologiquement, mais même alors il est parfois capable de se réarmer rapidement, de s'emparer de l'idée de la nouvelle époque et de continuer à jouer un rôle de premier plan. Jaurès était un idéologue. Il dégageait de la situation politique l'idée qu'elle comportait et, dans son service à cette idée, ne s'arrêtait jamais à mi-chemin."18

Nous avons déjà noté les réticences de Jaurès à l'égard du marxisme. Il y voyait un déterminisme économique froid ne laissant aucune place pour l'individu et pour la liberté humaine en général. Son regard était détourné vers le passé et les grandes heures de la Révolution bourgeoise : "C'est l'honneur de la Révolution française d'avoir proclamé qu'en tout individu humain, l'humanité avait la même excellence native, la même dignité et les mêmes droits", disait-il.19 De par sa formation et de par la situation générale en France à l'époque, il n'arrivait pas à voir que le matérialisme de Marx – souvent mal interprété sous la forme d'un déterminisme économique absolu – contenait une explication cohérente de l'histoire humaine qui, au lieu de les étouffer, donnait au contraire toute leur place – et leur fondement – à l'action des classes, à la force de la volonté et à l'individu qui sous le capitalisme était écrasé au nom du collectif anonyme et de la nation. La glorification de l'individu sous le capitalisme était en réalité le masque de sa négation absolue. Dans sa critique impitoyable de la société bourgeoise, Marx mit en évidence les phénomènes du fétichisme de la marchandise et de la réification. Jaurès ne pouvait pas non plus reconnaître la présence chez Marx d'une authentique éthique prolétarienne.20

Cependant, son dévouement à la cause de l'émancipation prolétarienne lui permit de ne jamais se détourner de la perspective d'une société sans classe, sans propriété, où les moyens de production seraient gérés en commun. Il a lu Marx, il admirait son travail et adhérait à la théorie de la valeur exposée dans Le Capital. Alors qu'en France, la tendance était à la sous-estimation des controverses théoriques, Jaurès participa, avec Jules Guesde et Paul Lafargue, à des discussions publiques sur des sujets traités en profondeur. Le 12 décembre 1894, Jaurès répond à l'invitation du Groupe des Étudiants collectivistes qui organisait une controverse sur "Idéalisme et matérialisme dans la conception de l'histoire". Dans son exposé, on sent qu'il se confronte à ses propres contradictions : "Je ne veux pas dire qu'il y a une partie de l'histoire qui est gouvernée par les nécessités économiques et il y en a une autre dirigée par une idée pure, par un concept, par l'idée, par exemple, de l'humanité, de la justice ou du droit ; je ne veux pas mettre la conception matérialiste d'un côté d'une cloison, et la conception idéaliste de l'autre. Je prétends qu'elles doivent se pénétrer l'une l'autre, comme se pénètrent, dans la vie organique de l'homme, la mécanique cérébrale et la spontanéité consciente."21 Paul Lafargue lui répond le 10 janvier 1895. Il commence ainsi : "Vous comprendrez que c'est avec hésitation que j'ai assumé la tâche de répondre à Jaurès, dont l'éloquence fougueuse sait passionner les thèses les plus abstraites de la métaphysique. Pendant qu'il parlait, je me suis dit et vous avez dû vous dire : il est heureux que ce diable d'homme soit avec nous."22 L'expérience se renouvelle en 1900, lorsque Jaurès et Guesde s'affrontèrent à l'hippodrome de Lille dans une polémique où furent confrontées "Les deux méthodes", la méthode révolutionnaire et celle du réformisme.

Le moment décisif de l'évolution de Jaurès a été le Congrès de l'Internationale à Amsterdam en 1904. Avec toute la conviction dont il est capable, il y défend ses thèses sur le ministérialisme et la défense de la République dans plusieurs discours. L'affrontement avec Auguste Bebel a été acharné, mais il mène sa démonstration avec un tel brio qu'il souleva les applaudissements du Congrès. Jaurès était un adversaire que l'on respecte, R. Luxemburg dut même traduire l'un de ses discours à cause du manque de traducteurs. Le Congrès finalement condamna ses positions, et d'une façon beaucoup plus nette qu'au dernier Congrès international de Paris. Jaurès se soumet à la discipline, parce qu'il est profondément attaché au mouvement international du prolétariat, parce qu'il sentait les pièges que comportait la participation gouvernementale, et aussi parce qu'il voulait éviter à tout prix un nouvel échec de l'unification des socialistes en France. Une motion spéciale du Congrès est votée à l'unanimité et appelle, avec insistance, les socialistes français à réaliser enfin leur unité. L'un des considérants de cette motion disait : "Il ne doit y avoir qu'un seul Parti socialiste comme il n'y a qu'un seul prolétariat."23

L'échec de la Commune de Paris, écrasée dans le sang par la République démocratique bourgeoise d'Adolphe Thiers, a provoqué une période de dépression du mouvement ouvrier en France. Au moment où il a commencé à se ressaisir à la fin des années 1870, il se présentait comme un assemblage incohérent d'éléments disparates. Il y avait les mutuellistes proudhoniens, les utopistes de la vieille école comme Benoît Malon, les anarchistes, des syndicalistes bornés patronnés par le Parti radical, des blanquistes, des collectivistes et enfin les anciens communards portés sur la phrase insurrectionnelle. Dans ces circonstances, l'unification du mouvement ouvrier va prendre des formes différentes en comparaison des autres pays. Avant de se regrouper, il fallait tout d'abord franchir une première étape marquée par un processus de différenciation et d'éliminations progressives des éléments hétérogènes. En 1879 se constitue le premier parti d'obédience marxiste, le Parti ouvrier français de Jules Guesde, et deux ans plus tard, les blanquistes se regroupent derrière Édouard Vaillant dans le Comité révolutionnaire central. Une réelle clarification était apparue sur la base des tâches présentes des socialistes qui soulignaient l'importance de l'action politique et du parlementarisme ouvrier. Malgré un rapprochement, ceux qu'on appelait les "partis de la vieille école" se regardaient en chiens de faïence et étaient incapables, du fait de leur histoire et du fait des erreurs politiques accumulées, de militer pour l'unification du mouvement. Seules des forces neuves et indépendantes pouvaient assumer ce rôle.

Voilà qui offrait tout un champ d'action à des personnalités comme Jean Jaurès. La crise du Parti radical apporta du sang neuf et des nouveaux militants. Mais ils étaient marqués par leur origine petite bourgeoise et se présentèrent comme des socialistes indépendants, au-dessus des partis. Il y avait donc le risque que le mouvement ne perde sa physionomie de classe, seuls les vieux partis socialistes pouvaient éviter ce piège. Rosa Luxemburg décrit ainsi la situation : "Si les vieux partis se révélaient incapables de traduire l'objectif final socialiste en mots d'ordre pratiques applicables à la politique du moment, les "indépendants" ne pouvaient, dans la conjoncture politique présente, préserver l'empreinte de l'objectif final socialiste. Les fautes des indépendants prouvaient avec évidence que le mouvement de masse du prolétariat avait besoin pour le diriger d'une force organisée et éduquée sur des principes solides ; d'autre part, l'attitude des anciennes organisations prouvait qu'aucune d'entre elles ne se sentait capable de mener à elle seule cette tâche."24

L'évolution de la situation avec la montée du militarisme et des tensions impérialistes, avec la crise des gouvernements radicaux successifs, donna la dernière impulsion. Après un échec en 1899, du fait des désaccords sur le ministérialisme, l'unification des socialistes est réalisée au Congrès de la salle du Globe à Paris, en avril 1905. Le Parti socialiste, Section française de l'Internationale ouvrière se constitue sur la base des Résolutions du Congrès d'Amsterdam. Il se présente comme "un parti de classe qui a pour but de socialiser les moyens de production et d'échange, c'est-à-dire de transformer la société capitaliste en société collectiviste ou communiste". Il "n'est pas un parti de réforme, mais un parti de lutte de classes et de révolution". Les députés du parti devront former "un groupe unique en face des fractions politiques bourgeoises" et "refuser au gouvernement tous les moyens qui assurent la domination de la bourgeoisie" c'est-à-dire ne pas voter les crédits militaires, les crédits de conquête coloniale, les fonds secrets et l'ensemble du budget.25 Jaurès domina de toute sa puissance intellectuelle le nouveau parti. Le 18 avril 1904 parut le premier numéro de L'Humanité, le grand quotidien socialiste fondé par Jean Jaurès ; il supplantera bientôt l’organe officiel du parti enfin unifié, Le Socialiste.

La révolution de 1905 en Russie et en Pologne va bouleverser la situation. Les lueurs qui s'élevaient jusqu'au ciel au loin vers l'Est n'apportaient pas seulement de précieuses armes pour la lutte révolutionnaire, la grève de masse et les conseils ouvriers, elles révélaient que la société bourgeoise était en train de passer sur l'autre versant de son évolution historique, le versant descendant, celui de la décadence du mode de production capitaliste. Une époque entière agonisait, une époque marquée par la création de la Seconde Internationale en 1889, une époque où "le centre de gravité du mouvement ouvrier était placé entièrement sur le terrain national dans le cadre des États nationaux, sur la base de l'industrie nationale, dans le domaine du parlementarisme national."26

Le choc mortel de la guerre

La profonde ambiguïté de Jaurès se manifesta encore dans son ouvrage, L'Armée nouvelle. Paru en livre en 1911, ce texte est au départ une introduction à un projet de loi refusé par la chambre des députés. Loin de chercher à comprendre et analyser la montée du militarisme et de l'impérialisme qui inquiétait et mobilisait les socialistes les plus clairvoyants, Jaurès proposait une "organisation vraiment populaire de la défense nationale" fondée sur la "nation armée". Sa conception s'éloignait quelque peu de la revendication de "l'armée des milices" défendue dans la période précédente par les socialistes français et allemands. Elle s'appuyait sur l'idée d'une "guerre défensive", une idée qui avait pourtant perdu tout son sens avec l'évolution des événements. Il suffisait qu'un impérialisme pousse, par une série de provocations, l'ennemi à se lancer dans la guerre pour apparaître d'emblée comme la nation agressée.

Les deux crises marocaines (1905 et 1911), les deux guerres des Balkans (1912 et 1913), la constitution de deux blocs impérialistes, la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) et la Triple Entente (Angleterre, France, Russie), tout cela signifiait que l'ère des guerres nationales était terminée et qu'une guerre d'un type nouveau se profilait à l'horizon : la guerre impérialiste pour le repartage du marché mondial. Totalement sous l'emprise de ses positions républicaines, Jaurès ne voit pas le caractère central des positions internationalistes du prolétariat et le danger que représente la moindre concession à l'intérêt national, il cherche encore à concilier les deux : "C'est dans l'Internationale que l'indépendance des nations a sa plus haute garantie ; c'est dans les nations indépendantes que l'Internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d'internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d'internationalisme y ramène."27

Alors qu'il a parfaitement conscience du danger mortel qui guette le prolétariat mondial, il arpente les couloirs de la Chambres des députés, interpellant tel ou tel ministre avec l'illusion de pouvoir bloquer l'engrenage fatal, ne serait-ce qu'en demandant au gouvernement de condamner les appétits impérialistes de la Russie. Il multiplie les appels à l'arbitrage international entre nations et soutient la cour internationale de La Haye créée par la Russie tsariste et objet des railleries du monde entier. Sur le fond, il partage finalement la position de Kautsky selon laquelle les trusts et les cartels seraient intéressés par le maintien de la paix. Cette position dite du "super-impérialisme" éloignant le danger de guerre mondiale, désarmait totalement le prolétariat et signifiait le ralliement du centrisme à l'opportunisme. Les vieux amis Kautsky et Bernstein étaient enfin réconciliés.

Mais encore une fois, il est très difficile de faire entrer de force Jaurès dans une case. Comme Engels peu de temps auparavant, il comprenait que la guerre mondiale signifierait une profonde défaite pour le prolétariat qui pouvait remettre en cause l'avenir. On se souvient de sa formule condamnant le capitalisme : "Toujours votre société violente et chaotique (...) porte en elle la guerre, comme une nuée dormante porte l'orage."28 En 1913, on l'entendait tonner à la Chambre des députés contre le retour au service militaire de trois ans et il pesa de toutes ses forces pour que des manifestations soient organisées en commun par les syndicalistes révolutionnaires de la CGT et le Parti socialiste. Des démonstrations seront organisées dans de nombreuses villes. À Paris des foules énormes accoururent à la Butte-Rouge, au Pré-Saint-Gervais. Sa condamnation de la guerre n'était pas une simple condamnation morale et c'est pourquoi il reporta tous ses espoirs sur le prolétariat mondial et l'Internationale. Il donna à nouveau toute sa puissance oratoire dans un discours à Lyon-Vaise le 25 juillet 1914 : "Il n'y a plus au moment où nous sommes menacés de meurtre et de sauvagerie, qu'une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c'est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères et que tous les prolétaires français, anglais, allemands, italiens, russes, et nous le demandons à ces milliers d'hommes, s'unissent pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l'horrible cauchemar."29

C'est ce qui lui valut la haine de toute la bourgeoisie. Une véritable campagne de calomnie avec menaces de mort fut lancée contre lui. On réclama le peloton d'exécution. Les vociférations les plus excitées venaient des tendances politiques les plus réactionnaires et ultra-nationalistes, des milieux de la petite bourgeoisie et du lumpenprolétariat qui jouent un si grand rôle dans les mouvements de foule irrationnels. Elles étaient encouragées en sous-main par le gouvernement démocratique. C'était comme dans un pogrom contre les juifs, il fallait trouver un bouc émissaire qui puisse jouer le rôle du coupable, de celui qui était la cause de tous les maux, de toutes les angoisses. Jaurès était une sorte de symbole, de drapeau dont il fallait se débarrasser à tout prix. On réclama la mort de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht à partir de novembre 1918 et on l'obtint en janvier 1919. De la même façon on réclama la mort de Jaurès et on l'obtint le 31 juillet 1914. Raoul Villain, l'assassin de Jaurès, reconnu par les siens comme un "patriote", fut naturellement acquitté le 29 mars 1919 !

Le 29 juillet, Jean Jaurès se rend à la réunion extraordinaire du Bureau socialiste international à Bruxelles. Après la réunion un grand meeting est organisé en présence des ténors du socialisme international. Jaurès prend la parole et parle encore de paix et d'arbitrage entre nations. Il fulmine contre le gouvernement français incapable de raisonner la Russie. Il menace de son poing les dirigeants allemands, français, russes, italiens qui seront balayés par la révolution que la guerre va provoquer comme en 1871 et en 1905. Il désigne R. Luxemburg assise à côté de lui sur la tribune : "Permettez-moi de saluer la femme intrépide dont la pensée enflamme le cœur du prolétariat allemand."30 Toute la salle est bouleversée par le discours de Jaurès et lui fait une ovation qui n'en finit pas. Mais les discours sur la paix révèlent toute leur impuissance. Ce qu'il manquait c'était l'appel à rompre avec la bourgeoisie et avec les opportunistes qui la soutiennent. Tel était le sens du slogan de Karl Liebknecht : "L'ennemi principal est dans notre pays, c'est notre propre bourgeoisie." C'était aussi le sens des appels à la scission vis-à-vis des opportunistes lancés par Lénine et les bolcheviks. Ce n'était pas la paix qu'il fallait opposer à la guerre mais la révolution comme le stipulait le célèbre amendement de R. Luxemburg, Lénine et Martov au Congrès de Stuttgart en 1907 : "Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, [la classe ouvrière et ses représentants dans les Parlements] ont le devoir de s'entremettre pour la faire cesser promptement et d'utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste."31

Il n'est pas question d'épiloguer sur ce que Jaurès aurait fait face à l'épreuve de la guerre s'il avait survécu. Mais selon toute vraisemblance, la bourgeoisie française ou ses services n’ont voulu prendre aucun risque; si elle connaissait ses faiblesses, elle connaissait aussi sa force: sa droiture morale, sa haine pour la guerre, et sa grande réputation parmi les ouvriers. Rosmer raconte que Jaurès commença à se méfier des déclarations pacifiques et mensongères de Poincaré et que quelques heures avant sa mort, la rumeur courrait que Jaurès s’apprètait à rédiger pour l’Humanité une nouvelle “J’accuse!” dénonçant le gouvernement et ses menées guerrières, et appelant les ouvriers à résister à la guerre. Avant de pouvoir écrire l’article redouté, Jaurès est abattu par Raoul Villain dans des circonstances qui n’ont jamais vraiment été éclaircies; l’assassin, après avoir passé la guerre en prison, fut acquitté à son procès dont la veuve de Jaurès a même dû payer les frais.32

Jaurès mort, ceux qui résistèrent à la déferlante chauvine de 1914 furent au départ une minorité. La plupart des dirigeants français, des syndicalistes révolutionnaires aux socialistes, burent jusqu'à la lie la coupe amère de la trahison. Tous proclamèrent que le prolétariat international retiendrait le bras meurtrier de l'impérialisme, mais ils répétaient sournoisement : "À condition que les socialistes d'Allemagne fassent de même ! En effet, si nous renonçons d'avance à la défense de la patrie, cela signifie que nous encourageons extrêmement les chauvins des pays ennemis." Avec de tels raisonnements, l'Internationale ouvrière n'avait aucun sens, ni les résolutions contre la guerre aux congrès de Stuttgart (1907), de Copenhague (1910) et de Bâle (1912). Il est vrai que l'Internationale était minée de l'intérieur et qu'elle devait s'effondrer comme un château de cartes lorsque fut prononcé l'ordre de mobilisation. La Troisième Internationale allait bientôt s'élever sur les ruines de la Deuxième.

Jean Jaurès n'appartient pas à notre tradition, celle de Marx et Engels, celle de la Gauche de la IIe puis de la IIIe Internationale, la tradition de la Gauche communiste. Mais Jaurès appartient par toutes ses fibres au mouvement ouvrier, c'est-à-dire à la seule force sociale qui porte en elle, aujourd'hui encore, la perspective de l'émancipation humaine. C'est pourquoi nous avons voulu lui rendre hommage et nous pouvons conclure avec Trotsky : "Les grands hommes savent disparaître à temps. Sentant la mort, Tolstoï prit un bâton, s'enfuit de la société qu'il reniait et alla mourir en pèlerin dans un village obscur. Lafargue, épicurien doublé d'un stoïcien, vécut dans une atmosphère de paix et de méditation jusqu'à soixante-dix ans, décida que c'en était assez et prit du poison. Jaurès, athlète de l'idée, tomba sur l'arène en combattant le plus terrible fléau de l'humanité et du genre humain, la guerre. Et il restera dans la mémoire de la postérité comme le précurseur, le prototype de l'homme supérieur qui doit naître des souffrances et des chutes, des espoirs et de la lutte."33

Avrom E, 18 août 2014.

1 Léon Trotsky, Ma vie, Paris, éd. Gallimard, 1953, p. 252.

2 Rosa Luxemburg, J’étais, je suis, je serai ! Correspondance 1914-1919, Paris, éd. Maspero, 1977, lettre à Sonia Liebknecht du 14 janvier 1918, p. 325.

3 Cf. Rosa Luxemburg, Le Socialisme en France, Marseille/Toulouse, éd. Agone/Smolny, 2013, p. 163.

4 Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, Paris, éd. Champ Libre, 1983, Chapitre I : Bourgeois et prolétaires, p. 39.

5 Considérants du Parti ouvrier français (1880), dans Karl Marx, Œuvres I, Paris, éd. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1963, p. 1538.

6 Léon Trotsky, "Jean Jaurès", dans Le Mouvement communiste en France, Paris, éd. de Minuit, 1967, p. 25.

7 Léon Trotsky, Ma vie, Op. Cit., p. 252.

8 Jean Jaurès, Le socialisme de la Révolution française (1890), dans Jean Jaurès, Karl Kautsky, Socialisme et Révolution française, Paris, éd. Demopolis, 2010, p. 189.

9 Karl Kautsky, Jaurès et la politique française vis-à-vis de l’Église (1903), dans Jean Jaurès, Karl Kautsky, Socialisme et Révolution française, Op. Cit., p. 228.

10 Cf. les Préfaces au Manifeste communiste et la Préface au livre de Marx, Les luttes de classes en France, 1848-1850 où Engels explique pourquoi "l’histoire nous a donné tort à nous et à tous ceux qui pensaient de façon analogue". L’explication la plus claire, comme quoi les tâches historiques d’une classe ne peuvent être assumées par une autre classe, est donnée par Marx dans Révélations sur le procès des communistes à Cologne (Bâle, 1853) dans Karl Marx, Œuvres VI, Paris, éd. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, p. 635.

11 Voir notre série Le communisme n’est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle, les parties XII à XV dans la Revue Internationale n. 84, 85, 86, 88.

12 Le Parti radical, ou Parti républicain ou Parti radical-socialiste, est né en 1901 et a tenu un rôle central au gouvernement pendant la IIIe République, en particulier en jouant habilement sur l’alliance avec les socialistes (Émile Combes). Il a également su manier la provocation et une répression très dure contre la classe ouvrière sous les auspices de Georges Clemenceau.

13 La crise socialiste en France, article de 1900 dans Rosa Luxemburg, Le Socialisme en France, Op. Cit., p. 116.

14 Ibidem, p. 121.

15 Une question tactique, article de 1899 dans Rosa Luxemburg, Le Socialisme en France, Op. Cit., p. 64.

16 Sur ce sujet voir en particulier notre brochure : Nation ou classe, édition augmentée de 2005.

17 Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, Paris, éd. Champ Libre, 1983, Chapitre IV : Position des communistes vis-à-vis des différents partis d’opposition, p. 71.

18 Les deux dernières citations sont tirées de Jean Jaurès, article de 1915 dans Léon Trotsky, Le Mouvement communiste en France (1919-1939), Op. Cit., p. 32.

19 Cité par la revue L’Histoire n° 397, mars 2014, p. 48.

20 "La critique de la religion s'achève par la leçon que l'homme est, pour l’homme, l’être suprême, donc par l'impératif catégorique de bouleverser tous les rapports où l'homme est un être dégradé, asservi, abandonné, méprisable (…)." Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel. Introduction, dans Karl Marx, Œuvres III, Paris, éd. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1982, p. 390.

21 Cité par la revue L’Histoire n° 397, mars 2014, p. 50.

22 L’exposé se trouve dans Paul Lafargue, Paresse et révolution. Écrits, 1880-1911, Paris, éd. Tallandier, Coll. Texto, 2009, p. 212.

23 Alfred Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale, Paris, éd. d’Avron, 1993, tome I, p. 41.

24 L'unification française, article de 1899 dans Rosa Luxemburg, Le Socialisme en France (1898-1912), Op. Cit., p. 81.

25 Toutes ces citations du Congrès d’unification proviennent de Pierre Bezbakh, Histoire du socialisme français, Paris, éd. Larousse, 2005, p. 138.

26 Manifeste du premier Congrès de l’Internationale communiste, Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste, 1919-1923, Paris, éd. La Brèche-Sélio, 1984, p. 33.

27 Jean Jaurès, L'Armée nouvelle, cité dans Jean Jaurès, un prophète socialiste, Le Monde hors-série, mars-avril 2014, p. 51.

28 Discours de 1895 à la Chambre, cité par la revue L’Histoire n° 397, mars 2014, p. 57.

29 Cité dans Alfred Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale, Op. Cit., p. 487

30 Cité dans Paul Frölich, Rosa Luxemburg, Paris, éd. l’Harmattan, 1991, p. 252.

31 Cité dans Alfred Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale, Op. Cit., p. 93

32 Cf. notre article 1914: le début de la saignée. Il y a cependant une autre version des faits donnée par Pierre Dupuy, député et gérant du Petit Parisien fondé par son père Jean Dupuy qui avait siégé au gouvernement Waldeck-Rousseau. Selon Dupuy, Jaurès lui aurait fait cette confidence quelques heures avant son assassinat : "Il disait qu'une information tout à fait sûre venait, tout juste quelques instants auparavant, de lui apprendre que les socialistes allemands de l'Internationale ouvrière avaient décidé d'obéir sans réserve à la mobilisation générale et que, dans ces conditions, il allait lui-même rédiger dans la soirée, pour paraître le lendemain matin dans son journal l'Humanité, un article intitulé : "En avant". Il estimait en effet qu'en présence de l'échec maintenant définitif de tous ses efforts et de ceux de son parti pour le maintien de la paix, il fallait de toute nécessité éviter de donner à l'ennemi de demain l'impression d'une France désunie et apeurée" (le témoignage est cité dans Le Monde du 12 février 1958). On peut toutefois se poser la question de savoir quelle foi accorder au témoignage d’un allié politique de Poincaré, qui évidemment avait tout intérêt de faire de Jaurès un patriotard posthume. Pour les détails du procès de Raoul Villain, cf Il a tué Jaurès de Dominique Paganelli, aux éditions La Table Ronde 2014.

33 Léon Trotsky, Jean Jaurès, dans Le Mouvement communiste en France (1919-1939), Op. Cit., p. 35.

 

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