De l'échéance de juillet à la conférence du Palais-Royal ou se trouve : où se trouve la lutte de classe ?

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La grève de Renault se devait, dès la fin avril, de déclencher, dans la presse dite ouvrière, un torrent d'agitation de droite à gauche, tous se faisant un devoir de défendre avec indignation les travailleurs, "artisans de la renaissance française". Quant aux véritables "défenseurs du minimum vital", les titres bien ronflants de la "Vérité" suffisent pour se convaincre de la participation active des trotskistes à ce front commun de défense. CNT et Libertaires se devaient aussi de préparer le chemin à la CGT qui, pour lutter contre "le glissement à droite" de la politique de Ramadier prenait place dans le concert de la défense des opprimés ; et Duclos de s'écrier à la Chambre des députés : "Le chef d'orchestre clandestin, c'est la misère du peuple !"

Ainsi, voyons-nous la fédération des gaziers être mobilisée par Marcel Paul et la boulangerie dire son mot dans cette agitation sociale. Le petit commerce et l'agriculture ne devaient pas rester inactifs. Le gouvernement Ramadier ne pouvait que rétablir en partie la liberté du petit commerce et augmenter le prix du blé de crainte de voir le pays sans ravitaillement.

Mais il y a plus. On a vu récemment les stations de métro fermer autour du Palais Bourbon ; grévistes et manifestants devaient faire le chemin à pied pour apporter leur appui aux députés défendant "le minimum vital devant la politique réactionnaire du plan Schumann". Aux trotskistes de se réjouir...

Nous avons connu cela au moment où nous écrivions : "Doit-on voir là le réveil de la classe ouvrière ? Doit-on constater que l'aggravation du ravitaillement et l'augmentation du coût de la vie ont été déterminantes dans les mouvements qui se succèdent depuis près de 2 mois, ou bien ne peut-on considérer ces mouvements que comme des tremplins pour les staliniens en vue d'atteindre les anciens postes gouvernementaux qu'ils occupaient et, en outre, épuiser les forces encore par trop combattives des travailleurs dans des grèves par paquet, faisant l'effet de piqures de guêpes sur le gouvernement et des saignées abondantes sur la classe ouvrière ?"

Aujourd'hui, nous pouvons profiter de cette atmosphère de "paix sociale" pour affirmer une fois de plus : de cette mascarade de lutte, les travailleurs sortent battus, mécontents et en pleine confusion, tandis que la CGT et le PCF préparent des lendemains qui chantent en vue de la prochaine période électorale. Dans cette conjoncture et avec une grève des cheminots que jamais l'histoire du mouvement ouvrier en France n'avait connue, seule la bourgeoisie sort vainqueur ; et la conférence du Palais-Royal en est le couronnement. On peut se rendre compte que la récente augmentation de salaire acquise est déjà dépassée par la hausse des denrées alimentaires de première nécessité et que, dans ces conditions, l'effort à fournir pour la masse des travailleurs pour tenir une grève ne peut se traduire que par une diminution de sa combativité et l'enfoncer un peu plus dans la confusion.

Chez Renault, les dissidents trotskistes ont déclenché un mouvement de grève sur la base d'une augmentation de salaire ; ils ont ensuite constitué un syndicat autonome avec lequel ils prétendent éduquer les travailleurs en les faisant passer de la lutte sur le plan économique à la lutte sur le plan politique. Se basant sur des individualités, ils considèrent comme progressif chaque cas particulier qu'ils pourront amener à la politique trotskiste ; alors que dans l'ensemble de la masse prolétarienne, de telles manœuvres retardent le processus de clarification au sein de la classe parce qu'elles ne les détachent pas de l'idéologie bourgeoise. Il n'existe pas, aujourd'hui, de processus évolutif entre les luttes économiques et les luttes politiques de la classe ouvrière ; et, bien que les conditions de crise du régime existent, les révolutionnaires ne peuvent chercher des palliatifs aux conséquences de cette crise pour créer le terrain -bien factice- de mouvement de revendications, car axer toute lutte sur une amélioration du minimum vital ne fait qu'entretenir l'illusion d'une possibilité de s'accommoder avec le régime capitaliste décadent. L'axe de toute politique révolutionnaire, dans la période actuelle, ne peut être que le refus de toute collaboration directe ou indirecte avec l'État capitaliste.

La crise permanente du capitalisme -qui se traduit par des guerres successives, conséquences du manque de débouchés commerciaux- est le plus important facteur d'inflation et enlève de plus en plus toute valeur réelle à la monnaie. À MOINS DE DEMANDER AU CAPITALISME DE SE DÉTRUIRE EN TANT QUE CLASSE, CE DERNIER NE PEUT PLUS ACCORDER UNE AUGMENTATION DE SALAIRE SANS INÉVITABLEMENT AUGMENTER LES PRIX. PARLER DE "MINIMUM VITAL", C'EST ENFERMER LES OUVRIERS DANS UNE IMPASSE ET PERMETTRE À LA BOURGEOISIE, AU TRAVERS DE TRACTATIONS ET DE MARCHANDAGES, DE PROLONGER SA VIE, EN ENVOYANT TOUT MOUVEMENT SUR UNE VOIE DE GARAGE.

Il est facile aujourd'hui pour tous nos économistes syndicaux de crier à la trahison de la CGT et du PCF, mais il leur serait beaucoup plus difficile de donner les raisons qui leur permettent d'être toujours les victimes et aux staliniens d'être toujours les vainqueurs de cette situation, laquelle puise ses racines dans les insuffisances théoriques du matériel employé.

Ces néo-économistes n'ont pas compris que le problème ne consiste pas à reconstruire une CGT où leur présence serait une garantie contre l'opportunisme des actuels dirigeants et avec laquelle les méthodes de lutte qui correspondaient à l'époque du capitalisme ascendant seraient reprises. De même qu'il existe une unité interne, un tout inséparable entre le but et les moyens, entre le contenant et le contenu, de même la lutte ouvrière ne peut s'exprimer au travers du parlement bourgeois ou au travers des syndicats dans des luttes économiques d'intérêts et de marchandages capitalistes.

Que nos néo-économistes ne s'agitent plus autant car le stalinisme poursuit sa politique d'avant juillet ; les travailleurs, à leur retour de vacances, viennent encore une fois d'en faire les frais. Le stalinisme entend bien utiliser les masses ouvrières contre toute politique qui se détourne du bloc russe. C'est ainsi qu'après avoir fomenté des grèves et des manifestations contre le patronat "saboteur de la reconstruction", la CGT stalinisée et le CNPF concluent les accords du Palais-Royal par-dessus le gouvernement Ramadier. En agitant le drapeau de "la paix sociale", le PCF et la CGT ne font autre chose que préparer les prochaines élections et placer les socialistes dans une position qui semblerait contrecarrer les intérêts de la classe ouvrière ; ensuite, en tant que parti de gouvernement, faire valoir que les accords tiennent compte de la stabilisation des prix et, par-là, ne pas nuire à "l'intérêt national". Pour le patronat, c'est un moyen légal d'augmenter ses prix à bon compte. Quant au 3ème larron, il n'entend pas voir saper son autorité. Il augmentera les prix pour autant que cette augmentation cadrera avec son plan de politique économique ; en cela il force le patronat pris individuellement à se soumettre au dirigisme dans l'intérêt collectif du capitalisme.

Mais, de toutes ses arlequinades, une question se pose : OÙ SE TROUVE LA LUTTE DE CLASSE ? Quand tous les mouvements de lutte qui ont débuté en avril n'aboutissent, dans la réalité, qu'à la conclusion d'un accord opposé aux intérêts des travailleurs, nous sommes en droit de faire remarquer aux trotskistes de tous poils que la classe ouvrière, en tant que classe politique détachée de toute idéologie bourgeoise, est absente. Au travers de la politique pro-russe du stalinisme et de la politique pro-américaine de Ramadier -toutes deux de même nature capitaliste- se crée un courant entrainant l'humanité vers la 3ème guerre mondiale.

Dans ce chaos, dans cette famine grandissante du capitalisme décadent, aucune lutte de classe ne sera victorieuse sur les plans syndical et parlementaire, où le capitalisme, stalinien ou non, l'a fait parvenir.

Les révolutionnaires se doivent de donner conscience de la situation politique à la classe ouvrière, dans les mouvements de lutte, au travers de ces "comités" qui surgissent et qui devront, faute de doubler et répéter les syndicats, dépasser la lutte économique, rejetant par-là les organismes périmés. Ces "comités" disparaitront après chaque lutte mais ils auront dégagé le chemin de la lutte au fur et à mesure des idéologies opportunistes et déviationnistes. Ils redonneront à cette lutte son véritable sens de classe, portant au maximum son effort contre la guerre et ouvrant ainsi la perspective de la révolution.

Renard

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