Fascisme & démocratie deux expressions de la dictature du capital

 

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Fascisme & démocratie deux expressions de la dictature du capital - Introduction

Selon la bourgeoisie le fascisme constituerait une espèce "d’aberration historique", une manifestation des forces obscurantistes complètement étrangères au capitalisme et à son mode de vie "civilisé". Il serait à l'origine de la seconde guerre mondiale, et c'est donc tout naturellement qu'elle lui fait endosser la responsabilité de la barbarie sans nom de ce conflit et de l'holocauste.

Un tel mensonge, qui vise en premier lieu la classe ouvrière, n'est égalé que par celui de la nature soi-disant socialiste des pays de l'Est avant l'effondrement du bloc impérialiste russe.

Fascisme et démocratie bourgeoise deux expressions de la dictature du capital

La réalité est tout autre. La propagande bourgeoise s'appuie sur les horreurs bien réelles du fascisme pour escamoter la responsabilité du "camp d'en face" dans les atrocités du deuxième conflit mondial. Ainsi la nature de la seconde Guerre mondiale, qui comme la première était un conflit impérialiste pour le repartage du monde, a-t-elle été travestie par les mensonges bourgeois qui lui ont donné l'apparence d'un combat entre le "bien et le mal".

En mettant sous le boisseau les crimes des alliés pendant ce conflit, la bourgeoisie cherche à innocenter le camp démocratique et à dédouaner le capitalisme de la barbarie sans nom dans laquelle ce système décadent plonge l'humanité depuis le début du siècle.

Le camp démocratique n’a, en vérité, rien à envier à celui du fascisme et aux horreurs des camps de concentration nazis.

L'histoire de ce siècle l'accable : la première guerre mondiale et ses vingt millions de morts, la seconde guerre mondiale (cinquante millions de morts) et ses centaines de milliers de victimes des bombardements alliés sur Dresde et Hambourg, du feu atomique sur Hiroshima et Nagasaki, sa responsabilité dans les centaines de conflits locaux intervenus pendant la guerre froide opposant le bloc de l'Ouest à celui de l'Est, dont la guerre du Viêt-nam, le conflit en Afghanistan, etc., et depuis l'effondrement du bloc de l'Est, la guerre du Golfe et le développement du chaos à une échelle inconnue jusqu'alors.

Etat fasciste, stalinien ou démocratique une expression du capitalisme d'Etat

Loin de constituer une aberration au sein du capitalisme, le fascisme n'est que l'expression, comme la démocratie ou le stalinisme, de la tendance au développement du capitalisme d'Etat propre à la période de décadence du capitalisme. Une telle tendance exprime la réaction de ce système pour faire face à l'irruption des contradictions sur les plans impérialistes, économiques et sociaux qui menacent la cohésion de la société.

L'avènement du fascisme dans certains pays est lié au fait que, la classe ouvrière y ayant subi une profonde défaite, il n'est plus nécessaire de maintenir des institutions démocratiques dont la seule fonction, depuis le début de ce siècle, est justement de mystifier le prolétariat pour le soumettre et le battre. La défaite du prolétariat est donc une condition à l'instauration du fascisme et non pas sa conséquence.

C'est aux fractions de gauche de la bourgeoisie qu'il incombe d'écraser le prolétariat. Une fois cette mission accomplie, la gauche cède sa place, le plus "démocratiquement" du monde, au fascisme.

L'écrasement de la classe ouvrière au niveau international, suite à la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23, rend possible la marche à la guerre dans les années 30.

Dans les principaux pays, poussée inexorablement dans la voie du militarisme par les lois aveugles du capitalisme, la bourgeoisie se prépare à la guerre, l'impasse que constitue la crise économique ne lui laissant d'autre alternative que cette fuite en avant vers un deuxième holocauste mondial.

Dans un pays comme l'Allemagne, où la classe ouvrière a subi plus profondément que partout ailleurs (sauf en Russie) le poids de la défaite idéologique et de la défaite physique -qui lui a été infligée par la social-démocratie- le fascisme s'impose comme étant la forme la plus adaptée pour mener à bien les transformations sociales radicales permettant d'accélérer le renforcement du capitalisme d'Etat requises par la marche accélérée à la guerre.

L'antifascisme, idéologie du capital pour embrigader la classe ouvrière dans la guerre

Ainsi, ce n'est pas le fascisme qui est à l'origine de la seconde guerre mondiale, mais la marche vers la guerre, véritable mode de vie du capitalisme décadent, qui a engendré le fascisme. Quant à l'antifascisme, en offrant aux ouvriers du camp démocratique un prétendu terrain de mobilisation pour se protéger des horreurs du fascisme, il n'est dans la réalité que le moyen utilisé par la bourgeoisie pour les enrôler comme chair à canon dans la guerre, au service d'un camp impérialiste contre un autre. A l'opposé de l'internationalisme prolétarien qui avait constitué le cri de ralliement de la classe ouvrière mondiale pour mettre un terme à la barbarie de la première guerre mondiale, l'antifascisme ne constitue en rien un moyen pour la classe ouvrière de défendre ses intérêts de classe, contrairement au mensonge trotskiste ou stalinien, mais bien le meilleur moyen de la livrer pieds et poings liés à la bourgeoisie "démocratique".

Depuis 68, la bourgeoisie agite le danger fasciste pour affaiblir la lutte de classe

Bien que le resurgissement du prolétariat sur la scène internationale, à la fin des années 60, ait barré la route à un cours vers une nouvelle guerre mondiale, et donc à la nécessité historique d'instauration de régimes de type totalitaire ou fasciste, on a vu néanmoins se succéder depuis lors des campagnes de la bourgeoisie  "démocratique" mettant en avant la nécessité de lutter contre le danger fasciste, notamment face à la montée de l'extrême-droite dans un certain nombre de pays. Ces campagnes sont l'occasion pour les forces démocratiques,  en particulier celles de gauche et d'extrême-gauche, d'appeler la classe ouvrière à se mobiliser pour "faire barrage au fascisme", "afin qu'il ne revienne pas au pouvoir comme dans les années 30". Contrairement aux années trente, ces campagnes n'ont pas pour vocation d'embrigader pour la guerre impérialiste une classe ouvrière non défaite et donc non disposée à accepter les sacrifices de la défense nationale. Elles constituent néanmoins un danger contre lequel il faut mettre en garde les ouvriers. En agitant l'épouvantail du fascisme, il s'agit pour la bourgeoisie de se protéger contre le développement de la lutte de classe. Sa propagande est en réalité destinée à embrouiller la conscience des ouvriers et à dévoyer leur lutte hors du terrain de la défense intransigeante de leurs conditions de vie contre les attaques capitalistes, le seul terrain qui permette l'unité croissante de la classe ouvrière et le développement de sa perspective révolutionnaire. Elle les pousse à soutenir l'Etat démocratique, lequel n'est autre que l'instrument de la dictature du capital. Ainsi, tous ceux qui, aujourd'hui comme hier, appellent les ouvriers à se mobiliser contre le fascisme remplissent la fonction d'affaiblir et désarmer la classe ouvrière, en lui faisant oublier que c'est contre la classe dominante, comme un tout, qu'elle doit diriger son combat, et non pas contre certaines de ses fractions en s'alliant à certaines autres.

Les apports fondamentaux de la Gauche communiste

C'est parce qu'elle a été capable d'élaborer une telle analyse du fascisme, et de son corollaire, l'antifascisme, que la Gauche communiste[1] a pu rester fidèle aux principes internationalistes lors de la seconde guerre mondiale, comme l'avait été avant elle la gauche de la deuxième internationale face à la première guerre mondiale. Confrontée à l'épreuve fatidique que constitue la guerre, elle a ainsi pu se maintenir, seule, dans le camp du prolétariat et ses positions programmatiques inspirent depuis lors l'essentiel des positions politiques du camp révolutionnaire.

Le premier conflit mondial avait été à l'origine de la première vague révolutionnaire mondiale qui obligea la bourgeoisie à mettre fin aux hostilités afin d'endiguer le risque de l'extension de la révolution russe en Europe. Par contre, dans les années 30, la profondeur de la contre-révolution résultant de la défaite du prolétariat mondial, interdit toute possibilité de surgissement révolutionnaire du prolétariat. Néanmoins, pour l'avant-garde révolutionnaire, la modification radicale de la situation ne devait en rien remettre en cause les principes fondamentaux de l'internationalisme prolétarien face à la perspective du prochain conflit mondial. Face à celui-ci, il n'y avait aucun camp à choisir, ce qui signifiait combattre tant la bourgeoisie du camp fasciste que celle du camp démocratique.

Durant cette période tragique contre-révolutionnaire, c'est à la Gauche communiste qu’il revient de maintenir haut et fort le drapeau de l'internationalisme prolétarien et d'oeuvrer à la défense et à l'enrichissement du programme communiste. En effet, les partis communistes (PC), qui dans la première vague révolutionnaire avaient été à l’avant-garde du combat contre l’ordre bourgeois et les partis socialistes traîtres, sont à leur tour en train de trahir. Une fraction de "l’Opposition de gauche" au stalinisme, le courant trotskiste, adopte , quant à elle, des positions du plus en plus opportunistes qui la conduiront à trahir pendant la seconde Guerre mondiale.

Dès 1926 les principes fondamentaux du positionnement politique de la Gauche communiste d'Italie sont déjà définis : rejet de la théorie du socialisme dans un seul pays, de la défense de la démocratie, du front unique et de l’antifascisme[2].

Ainsi que l’indique le nom de sa revue Bilan[3], cette activité se base sur la conviction que "tirer le bilan des événements de l’après-guerre c’est établir les conditions de la victoire du prolétariat dans tous les pays". Après la défaite, il faut "parachever l’oeuvre que nous a léguée la révolution russe". A cette fin, "tout en se basant sur les fondements de l’Internationale Communiste (IC)", elle cherchera la connaissance profonde des causes de cette défaite "sans aucun interdit non plus qu’aucun ostracisme".

Contre ceux qui prétendaient que les prolétaires devaient soutenir les forces bourgeoises démocratiques pour empêcher l’arrivée du fascisme, Bilan démontrait dans les faits comment les institutions et les forces politiques "démocratiques", loin de s’être dressées en Allemagne en rempart contre la montée du fascisme, firent le lit de celui-ci[4].

Quelles perceptives aujourd'hui pour la classe ouvrière ?

L’avenir de l’humanité est entre les mains du prolétariat et de lui seul. C’est bien pour faire obstacle à cette réponse prolétarienne et à la menace bien réelle qu’elle représente contre son ordre, que la classe dominante déploie ses campagnes idéologiques de défense de l’Etat démocratique et ses mobilisations antifascistes. C’est la conscience et la perspective révolutionnaire de la classe ouvrière qu’elle cherche à attaquer en proposant de fausses réponses à la faillite ouverte de son système. Aujourd’hui que les mythes de la "paix" et de la prospérité ont fait long feu, la classe dominante essaie d’entretenir et de faire adhérer les prolétaires à celui qui lui reste : l’illusion de la "démocratie". Ce prétendu rempart à la barbarie n’est en réalité qu’un poison anti-ouvrier qui n’a toujours servi qu’à désarmer les prolétaires.

Si une menace pèse aujourd’hui sur l’humanité, c’est celle du maintien en vie de ce système de misère et de barbarie. Et le danger le plus grand pour la lutte de la classe ouvrière aujourd’hui et pour sa capacité à mener à bien sa tâche de destruction du capitalisme, ce ne sont pas "les fascistes", réels ou supposés, mais bien les pièges "démocratiques" de la classe dominante.


[1] Il existe principalement deux pôles de la Gauche communiste : la gauche italienne et la gauche germano-hollandaise. C'est essentiellement à cette première, nettement plus conséquente sur le plan politique organisationnel, que nous nous référerons dans cette brochure.
La gauche italienne, en exil et fuyant les geôles de Mussolini, se constitue en 1928 à Pantin en Fraction de Gauche du Parti communiste d’Italie et existera comme telle jusqu’à sa dissolution en 1945.
Pour davantage d'information sur les Gauches communistes voir nos livres La Gauche communiste d'Italie et La Gauche hollandaise.

[2] C'est dans des conditions extrêmement difficiles qu'elle va développer son action militante. Arrêtés en Italie, ses militants sont envoyés dans les geôles fascistes ou relégués dans les îles Eoliennes. En France, la plupart de ses membres, des ouvriers immigrés italiens ayant derrière eux une longue expérience militante, trempés par la répression fasciste et le combat politique contre la droite du parti, sont confrontés à des situations précaires. C'est souvent dans l’illégalité, exposés à la répression des forces politiques et policières des différents camps en présence (démocrates, staliniens et nazis) qu'ils développeront leur activité et qui vaudra à certains d'entre eux de finir dans les camps de concentration nazis.
Pour davantage d'information, consulter notre livre La Gauche communiste d'Italie.

[3] Bilan est la publication en français de la Fraction de Gauche italienne en exil entre 1933 à 1938.

[4] Les travaux des courants de la Gauche communiste sur le fascisme et l'antifascisme constituent une référence fondamentale pour toute étude de ces questions se situant en défense des intérêts de la classe ouvrière. C'est la raison pour laquelle, ces courants ont été pendant très longtemps soigneusement et systématiquement ignorés par tous les idéologues au service de la bourgeoisie. Ce n'est que très récemment que ces derniers ont parlé de la Gauche communiste : la campagne contre le "négationnisme" a été le prétexte de tout une opétation  de dénigrement du seul courant qui ait maintenu une position internationaliste durant la seconde Guerre mondiale. Ils n'hésitèrent pas, à cette fin, à amalgamer ses positions à celles de l'extrême droite.

I - La démocratie a fait le lit du fascisme. Elle a été son complice dans l'holocauste

A en croire la bourgeoisie, le fascisme se serait imposé brutalement à la société bourgeoise, à son "corps défendant". Ce mensonge ne tient pas un seul instant à l'épreuve des faits historiques.

L'exemple allemand, qui est de loin le plus significatif, met clairement en évidence que le fascisme est le produit organique du capital. Son avènement à la tête de l'Etat, qui est l'aboutissement de la volonté politique des secteurs les plus typiques, déterminants et lucides du capital national, s'effectue démocratiquement. C'est jusque dans la constitution de ses bandes armées, les SA, que s'exprime cette continuité puisqu'une partie d'entre elles a servi précédemment dans la république et sous la direction de la Social démocratie, à massacrer la classe ouvrière.

Ce dernier élément vient démentir la propagande de la gauche et des trotskistes, visant à enchaîner la classe ouvrière à la démocratie, et selon laquelle la fonction spécifique du fascisme serait de réprimer la classe ouvrière. C'est à la gauche du capital en particulier que cette tâche est confiée et, de sa réalisation, dépend justement la possibilité d'instauration d'un régime totalitaire, autoritaire ou fasciste.

Quant au racisme répugnant, l'hystérie nationaliste ou la barbarie qui, toujours selon la bourgeoisie démocratique caractériseraient en propre les régimes fascistes, ils ne sont pas du tout spécifiques à ces régimes. Ils sont au contraire le produit du capitalisme, en particulier dans sa phase de décadence, et l'attribut de toutes les fractions de la bourgeoise, démocrates, staliniennes ou fascistes. La terrible réalité de l'holocauste est souvent utilisée, en faisant appel à l'émotion plus qu'à l'objectivité, pour étayer l'idée d'une nature du fascisme, qui le différencierait dans le fond, du capitalisme en général et de la démocratie en particulier. Une telle démarche ne résiste pas à un examen objectif des faits eux-mêmes qui montrent que la barbarie n'est pas l'exclusivité du fascisme mais que la démocratie, si prompte à dénoncer les crimes nazis, est directement responsable de millions de morts et de souffrances équivalentes pour l'humanité (cf. infra les massacres et les crimes des grandes démocraties). De plus, cette même démarche se révèle en fait une pure imposture car elle passe sous silence le refus des puissances occidentales de transactions avec le régime hitlérien, organisées par des juifs, et qui auraient permis de sauver la vie à des centaines de milliers d'entre eux.

La transition démocratique au fascisme

En Allemagne

Le mensonge selon lequel la classe dominante ne savait pas quels étaient les vrais projets du parti nazi, en d’autres termes qu’elle se serait fait piéger, ne tient pas un seul instant face à l’évidence des faits historiques. L’origine du parti nazi plonge ses racines dans deux facteurs qui vont déterminer toute l’histoire des années 1930 : d’une part l’écrasement de la révolution allemande ouvrant la porte au triomphe de la contre-révolution à l’échelle mondiale et d’autre part la défaite essuyée par l’impérialisme allemand à l’issue de la première boucherie mondiale. Dès le départ, les objectifs du parti fasciste naissant sont, sur la base de la terrible saignée infligée à la classe ouvrière en Allemagne par le Parti social-démocrate, le SPD des Noske et Scheidemann, de parachever l’écrasement du prolétariat afin de re-constituer les forces militaires de l’impérialisme allemand. Ces objectifs étaient partagés par l’ensemble de la bourgeoisie allemande, au-delà des divergences réelles tant sur les moyens à employer que sur le moment le plus opportun pour les mettre en œuvre. Les SA, milices sur lesquelles s’appuie Hitler dans sa marche vers le pouvoir, sont les héritiers directs des corps francs qui ont assassiné Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht ainsi que des milliers de communistes et de militants ouvriers. La plupart des dirigeants SA ont commencé leur carrière de bouchers dans ces mêmes corps francs. Ils ont été "la garde blanche" utilisée par le SPD au pouvoir pour écraser dans le sang la révolution, et cela avec l’appui des très démocratiques puissances victorieuses. Celles-ci d’ailleurs, tout en désarmant l’armée allemande, ont toujours veillé à ce que ces milices contre-révolutionnaires disposent des armes suffisantes pour accomplir leur sale besogne. Le fascisme n’a pu se développer et prospérer que sur la base de la défaite physique et idéologique infligée au prolétariat par la gauche du capital, laquelle était seule en mesure d’endiguer puis de vaincre la vague révolutionnaire qui submergea l’Allemagne en 1918-19. C’est ce qu’avait compris parfaitement l’état-major de l’armée allemande en donnant carte blanche au SPD afin de porter un coup décisif au mouvement révolutionnaire qui se développait en janvier 1919. Et si Hitler ne fut pas suivi dans sa tentative de putsch à Munich en 1923, c’est parce que l’avènement du fascisme était jugé encore prématuré par les secteurs les plus lucides de la classe dominante. Il fallait, au préalable, parachever la défaite du prolétariat en utilisant jusqu’au bout la carte de la mystification démocratique. Celle-ci était loin d’être usée et bénéficiait encore, au travers de la République de Weimar (bien que présidée par le junker Hindenburg), d’un vernis radical grâce à la participation régulière, dans ses gouvernements successifs, de ministres venant du soi-disant parti "socialiste".

Mais dès que la menace prolétarienne fut définitivement conjurée, la classe dominante, sous sa forme soulignons le la plus classique, au travers des fleurons du capitalisme allemand tels Krupp, Thyssen, AG Farben, n’aura de cesse de soutenir de toutes ses forces le parti nazi et sa marche victorieuse vers le pouvoir. C’est que, désormais, la volonté de Hitler de réunir toutes les forces nécessaires à la restauration de la puissance militaire de l’impérialisme allemand, correspondait parfaitement aux besoins du capital national. Ce dernier, vaincu et spolié par ses rivaux impérialistes suite à la première guerre mondiale, ne pouvait que chercher à reconquérir le terrain perdu en s’engageant dans une nouvelle guerre. Loin d’être le produit d’une prétendue agressivité congénitale germanique qui aurait enfin trouvé dans le fascisme le moyen de se déchaîner, cette volonté n’était que la stricte expression des lois de l’impérialisme dans la décadence du système capitaliste comme un tout. Face à un marché mondial entièrement partagé, ces lois ne laissent aucune autre solution aux puissances impérialistes lésées dans le partage du "gâteau impérialiste" que celle d’essayer, en engageant une nouvelle guerre, d’en arracher une plus grosse part. La défaite physique du prolétariat allemand d’une part, et le statut de puissance impérialiste spoliée dévolu à l’Allemagne suite à sa défaite en 1918 d’autre part, firent du fascisme contrairement aux pays vainqueurs où la classe ouvrière n’avait pas été physiquement écrasée le moyen le plus adéquat pour que le capitalisme allemand puisse se préparer à la seconde boucherie mondiale. Le fascisme n’est qu’une forme brutale du capitalisme d’Etat qui était en train de se renforcer partout, y compris dans les Etats dits "démocratiques". Il est l’instrument de la centralisation et de la concentration de tout le capital dans les mains de l’Etat face à la crise économique, pour orienter l’ensemble de l’économie en vue de la préparation à la guerre. C’est donc le plus démocratiquement du monde, c’est-à-dire avec l’aval total de la bourgeoisie allemande, qu’Hitler arrive au pouvoir. En effet, une fois la menace prolétarienne définitivement écartée, la classe dominante n’a plus à se préoccuper de maintenir tout l’arsenal démocratique, suivant en cela le processus alors déjà à l’œuvre en Italie.

En Italie

En 1919-1920, l’Italie aussi s’embrase, avec le mouvement des occupations d'usines dans le Nord du pays. La première vague de répression sera l’œuvre du très démocratique gouvernement Nitti et de sa Garde Royale, mise en place pour réprimer les grèves et qui fera plusieurs centaines de victimes ouvrières. Mais, bien plus que la répression directe, ce qui brisera l’élan prolétarien c’est son enfermement, grâce aux syndicats et au PSI, dans les fameuses occupations d’usines et dans l’illusoire gestion ouvrière de la production. Le mouvement des occupations ne pouvait que pourrir sur pied et ce n’est qu’après sa défaite à l’automne 1920 que la répression massive s’abat sur la classe ouvrière, répression qui est menée d'abord par les forces légalement constituées de l’Etat démocratique et aussi, mais à un moindre degré, par les escadrons fascistes. C’est seulement après la défaite de la classe ouvrière que les "faisceaux" de Mussolini vont se développer pleinement, avec l’aide du patronat qui les finance, notamment Agnelli, patron de la Fiat, et de l’Etat qui les encouragent. Là comme ailleurs, c’est l’étouffement de la vague révolutionnaire internationale qui permettra au fascisme de prendre le pouvoir.

Il n'y a pas d'antagonisme entre la barbarie nazie et les "valeurs" de la démocratie

"Oui, peut-être..." nous dira-t-on, "mais ne faites-vous pas abstraction de l’un des traits qui distinguent le fascisme de tous les autres partis et fractions de la bourgeoisie, à savoir, son antisémitisme viscéral, alors que c’est justement cette caractéristique particulière qui a provoqué l’holocauste ?" C’est cette idée que défendent en particulier les trotskistes. Ceux-ci, en effet, ne reconnaissent formellement la responsabilité du capitalisme et de la bourgeoisie en général dans la genèse du fascisme que pour ajouter aussitôt que ce dernier est malgré tout bien pire que la démocratie bourgeoise, comme en témoigne l’holocauste. Selon eux donc, devant cette idéologie du génocide, il n’y a pas à hésiter un seul instant : il faut choisir son camp, celui de l’antifascisme, celui des Alliés. Et c’est cet argument, avec celui de la défense de l’URSS, qui leur a servi à justifier leur trahison de l’internationalisme prolétarien et leur passage dans le camp de la bourgeoisie durant la seconde guerre mondiale (non sans avoir traficoté pour certains d'entre eux dans la milice en France au temps du pacte Germano-soviétique, défense de l'URSS oblige). Il est donc parfaitement logique de re-trouver aujourd’hui en France par exemple, les groupes trotskistes la Ligue Communiste Révolutionnaire et son leader Krivine avec le soutien discret, mais bien réel, de Lutte Ouvrière en tête de la croisade antifasciste et "anti-négationniste", défendant la vision selon laquelle le fascisme est le "mal absolu" et, de ce fait, qualitativement différent de toutes les autres expressions de la barbarie capitaliste ; ceci impliquant que, face à lui, la classe ouvrière devrait se porter à l’avant-garde du combat et défendre voire revitaliser la démocratie.

Que l’extrême droite (le nazisme en particulier) soit profondément raciste, cela n’a jamais été contesté par la Gauche communiste pas plus d’ailleurs que la réalité effrayante des camps de la mort. La vraie question est ailleurs. Elle consiste à savoir si ce racisme et la répugnante désignation des juifs comme boucs émissaires, responsables de tous les maux, ne seraient que l’expression de la nature particulière du fascisme, le produit maléfique de cerveaux malades ou s’il n’est pas plutôt le sinistre produit du mode de production capitaliste confronté à la crise historique de son système, un rejeton monstrueux mais naturel de l’idéologie nationaliste défendue et propagée par la classe dominante toutes fractions confondues. Le racisme n’est pas un attribut éternel de la nature humaine. Si l’entrée en décadence du capitalisme a exacerbé le racisme à un degré jamais atteint auparavant dans toute l’histoire de l’humanité, si le 20e siècle est un siècle où les génocides ne sont plus l’exception mais la règle, cela n’est pas dû à on ne sait quelle perversion de la nature humaine. C’est le résultat du fait que, face à la guerre désormais permanente que doit mener chaque Etat dans le cadre d’un marché mondial sursaturé, la bourgeoisie, pour être à même de supporter et de justifier cette guerre permanente, se doit, dans tous les pays, de renforcer le nationalisme par tous les moyens. Quoi de plus propice, en effet, à l’épanouissement du racisme que cette atmosphère si bien décrite par Rosa Luxemburg au début de sa brochure de dénonciation du premier carnage mondial : "(...) la population de toute une ville changée en populace, prête à dénoncer n’importe qui, à molester les femmes, à crier : hourrah, et à atteindre au paroxysme du délire en lançant elle-même des rumeurs folles ; un climat de crime rituel, une atmosphère de pogrom, où le seul représentant de la dignité humaine était l’agent de police au coin de la rue." Et elle poursuit en disant : "Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse, voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est..." (La crise de la Social-démocratie). On pourrait re-prendre exactement les mêmes termes pour décrire les multiples scènes d’horreur en Allemagne durant les années 1930 (pillages des magasins juifs, lynchages, enfants séparés de leurs parents) ou évoquer, entre autres, l’atmosphère de pogrom qui régnait en France en 1945 quand le journal stalinien du PCF titrait odieusement : "A chacun son boche !". Non, le racisme n’est pas l’apanage exclusif du fascisme, pas plus que sa forme antisémite. Le célèbre Patton, général de la très "démocratique" Amérique, celle-là même qui était censée libérer l’humanité de "la bête immonde", ne déclarait-il pas, lors de la libération des camps : "Les juifs sont pires que des animaux" ; tandis que l’autre grand "libérateur", Staline, organisa lui-même des séries de pogroms contre les juifs, les tziganes, les tchétchènes, etc. Le racisme est le produit de la nature foncièrement nationaliste de la bourgeoisie, quelle que soit la forme de sa domination, "totalitaire" ou "démocratique". Son nationalisme atteint son point culminant avec la décadence de son système.

Quand le prolétariat est absent de la scène de l'histoire la barbarie capitaliste ne connaît pas de limite

La seule force en mesure de s’opposer à ce nationalisme qui suintait par tous les pores de la société bourgeoise pourrissante, à savoir le prolétariat, était vaincue, défaite physiquement et idéologiquement. De ce fait, le nazisme, avec l’assentiment de l’ensemble de sa classe, put s’appuyer notamment sur le racisme latent de la petite-bourgeoisie pour en faire, sous sa forme antisémite, l’idéologie officielle du régime. Encore une fois, aussi irrationnel et monstrueux que soit l’antisémitisme professé puis mis en pratique par le régime nazi, il ne saurait s’expliquer par la seule folie et perversité, par ailleurs bien réelles, des dirigeants nazis. Comme le souligne très justement la brochure publiée par le Parti Communiste International, Auschwitz ou le grand alibi, l’extermination des juifs "... a eu lieu, non pas à un moment quelconque, mais en pleine crise et guerre impérialistes. C’est donc à l’intérieur de cette gigantesque entreprise de destruction qu’il faut l’expliquer. Le problème se trouve de ce fait éclairci : nous n’avons plus à expliquer le "nihilisme destructeur" des nazis, mais pourquoi la destruction s’est concentrée en partie sur les juifs."

Pour expliquer pourquoi la population juive, même si elle ne fut pas la seule, fut désignée tout d’abord à la vindicte générale, puis ex-terminée en masse par le nazisme, il faut prendre en compte deux facteurs : les besoins de l’effort de guerre allemand et le rôle joué dans cette sinistre période par la petite bourgeoisie. Cette dernière fut réduite à la ruine par la violence de la crise économique en Allemagne et sombra massivement dans une situation de lumpen-prolétarisation. Dès lors, désespérée et en l’absence d’un prolétariat pouvant jouer le rôle de contrepoison, elle donna libre cours à tous les préjugés les plus réactionnaires, caractéristiques de cette classe sans avenir, et se jeta, telle une bête furieuse, encouragée par les formations fascistes, dans le racisme et l’antisémitisme. Le "juif" était supposé représenter la figure par excellence de "l’apatride" qui "suce le sang du peuple" ; il était désigné comme le responsable de la misère à laquelle était réduite la petite-bourgeoisie. Voilà pourquoi les premières troupes de choc utilisées par les nazis étaient issues des rangs d’une petite-bourgeoisie en train de sombrer. Et cette désignation du "juif" comme l’ennemi par excellence aura aussi comme fonction de permettre à l’Etat allemand, grâce à la confiscation des biens juifs, de ramasser des fonds destinés à contribuer à son réarmement militaire. Au début, il dut le faire discrètement pour ne pas attirer l’attention de ses vainqueurs de la première guerre mondiale. Les camps de déportation, au départ, eurent la fonction de fournir à la bourgeoisie une main d’œuvre gratuite, tout entière dédiée à la préparation de la guerre.

La coresponsabilité des alliés et des nazis dans l'holocauste

Alors que, de 1945 à aujourd’hui, la bourgeoisie n’a eu de cesse de nous exhiber, de façon obscène, les montagnes de squelettes trouvés dans les camps d’extermination nazis et les corps affreusement décharnés des survivants de cet enfer, elle fut très discrète sur ces mêmes camps pendant la guerre elle-même, au point que ce thème fut absent de la propagande guerrière du "camp démocratique".

Les Alliés dissimulent l'existence des camps

La fable que nous ressert régulièrement la bourgeoisie selon laquelle ce n’est qu’avec la libération des camps en 1945 que les Alliés se seraient véritablement rendus compte de ce qui se passait à Dachau, Auschwitz ou Treblinka, ne résiste pas à la moindre étude historique. Les services de renseignement existaient déjà et étaient très actifs et efficaces comme l’attestent des centaines d’épisodes de la guerre où ils jouèrent un rôle déterminant ; et l’existence des camps de la mort ne pouvait échapper à leur investigation. Cela est confirmé par toute une série de travaux d’historiens de la seconde Guerre Mondiale. Ainsi le journal français Le Monde, par ailleurs très actif dans la campagne "anti-négationniste", écrit dans son édition du 27 septembre 1996 : "Un massacre [celui perpétré dans les camps] dont un rapport du parti social-démocrate juif, le Bund polonais, avait, dès le printemps 1942, révélé l’ampleur et le caractère systématique, fut officiellement confirmé aux officiels américains par le fameux télégramme du 8 août 1942, émis par G. Riegner, représentant du Congrès Juif mondial à Genève, sur la base d’informations fournies par un industriel allemand de Leipzig du nom d’Edouard Scholte. A cette époque on le sait, une grande partie des juifs européens promis à la destruction étaient encore en vie." On voit donc que les gouvernements Alliés au travers de multiples canaux, étaient parfaitement au courant des génocides en cours dès 1942. Pourtant les dirigeants du "camp démocratique", les Roosevelt, Churchill et consorts, firent tout pour que ces révélations, pourtant incontestables, ne fassent l’objet d’aucune publicité et donnèrent à la presse de l’époque des consignes d’extrême discrétion sur ce sujet. En fait, ils ne levèrent pas le moindre petit doigt pour tenter de sauver la vie de ces millions de condamnés à mort. C’est ce que confirme ce même article du journal Le Monde : "(...) l’Américain D. Wyman a montré, au milieu des années 1980, dans son livre l'Abandon des juifs (Calmann/Lévy), que quelques centaines de milliers d’existences auraient pu être épargnées sans l’apathie, voir l’obstruction, de certains organes de l’administration américaine (comme le Département d’Etat) et des Alliés en général." Ces extraits de ce très bourgeois et démocratique journal ne font que confirmer ce qu’a toujours affirmé à ce propos la Gauche communiste, en particulier dans la brochure Auschwitz ou le grand alibi. Et c’est ce texte qui est aujourd’hui désigné à la vindicte comme étant, ce qui est un mensonge infâme, à l’origine des thèses "négationnistes"[1]. Le silence de la coalition impérialiste opposée à l’Allemagne hitlérienne montre déjà ce que valent ces vertueuses et tonitruantes proclamations d’indignation devant l’horreur des camps après 1945.

Ce silence s’expliquerait-il par l’antisémitisme latent de certains dirigeants Alliés comme l’ont soutenu des historiens israéliens après la guerre ? Que l’antisémitisme ne soit pas l’apanage des tenants des régimes fascistes est, comme nous l’avons évoqué plus haut, une chose certaine. Mais ce n’est pas là la véritable explication du silence des Alliés dont d’ailleurs certains des dirigeants étaient juifs ou très proches des organisations juives, comme Roosevelt par exemple. Non, là encore, l’origine de cette remarquable discrétion réside dans les lois qui régissent le système capitaliste, quels que soient les oripeaux, démocratiques ou totalitaires, dont il drape sa domination. Comme pour l’autre camp, toutes les ressources du camp Allié étaient mobilisées au service de la guerre. Pas de bouches inutiles, tout le monde doit être occupé, soit au front, soit dans la production d’armements. L’arrivée en masse des populations en provenance des camps, des enfants et des vieillards qu’on ne pouvait pas envoyer au front ou à l’usine, des hommes et des femmes malades et épuisés qu’on ne pouvait immédiatement intégrer dans l’effort de guerre, aurait désorganisé ce dernier. Dès lors on ferme les frontières et on empêche par tous les moyens une telle immigration. Le ministre de sa très gracieuse et très démocratique majesté britannique, A. Eden décida en 1943 (c’est-à-dire à une période où la bourgeoisie anglo-saxonne n’ignorait rien de la réalité des camps), à la demande de Churchill, "qu’aucun navire des Nations unies ne peut être habilité à effectuer le transfert des réfugiés d’Europe." Et Roosevelt ajoutait que "transporter tant de monde désorganiserait l’effort de guerre" (Churchill, Mémoires, T.10). Voilà les sordides raisons qui conduisirent ces "grands démocrates" et "antifascistes" patentés à garder le silence sur ce qui se passait à Dachau, Buchenwald et autres lieux de sinistre mémoire ! Les considérations humanitaires qui étaient censées les animer n’avaient pas leur place devant leurs sordides intérêts capitalistes et les besoins de l’effort de guerre.

Les Alliés ne se contentèrent pas d’entretenir soigneusement le silence durant toute la guerre sur les génocides perpétrés dans les camps ; ils allèrent beaucoup plus loin dans le cynisme et l’abjection. Si d’un côté ils n’ont jamais hésité à faire tomber un déluge de bombes sur les populations allemandes, pour l’essentiel ouvrières, de l’autre ils se sont refusés à tenter la moindre opération militaire en direction des camps de la mort. Ainsi, alors que dès le début 1944 ils pouvaient sans difficultés bombarder les voies ferrées menant à Auschwitz, ils se sont volontairement abstenus. Non seulement cet objectif était à ce moment là à portée de leur aviation mais deux évadés du camp leur avaient décrit en détail le fonctionnement de celui-ci et la topographie des lieux.

Quand le camp démocratique préfère laisser crever les juifs plutôt que de s'en encombrer

Dans l’article cité plus haut, Le Monde rapporte : "des dirigeants juifs hongrois et slovaques supplient les Alliés de passer à l’action, alors que les déportations des juifs de Hongrie ont commencé. Ils désignent même un objectif : le carrefour ferroviaire de Kosice-Pressow. Les Allemands pouvaient, il est vrai, assez rapidement réparer les voies. Mais cet argument ne vaut pas pour la destruction des crématoires de Birkenau, qui aurait incontestablement désorganisé la machine d’extermination. Rien ne sera fait. En définitive, il est difficile de ne pas reconnaître que même le minimum n’a pas été tenté, noyé qu’il a été par la mauvaise volonté des états-majors et des diplomates."

Mais contrairement à ce que déplore ce journal bourgeois, ce n’est pas par une simple "mauvaise volonté" ou "lourdeur bureaucratique" que le "camp démocrate" fut complice de l’holocauste. Cette complicité fut, comme on va le voir, totalement consciente. Les camps de déportation furent au début essentiellement des camps de travail où la bourgeoisie allemande pouvait bénéficier à moindre coût d’une main-d’œuvre réduite à l’esclavage, tout entière consacrée à l’effort de guerre. Même si déjà à l’époque il existait des camps d’extermination, ils étaient jusqu’en 1942 plus l’exception que la règle. Mais à partir des premiers revers militaires sérieux subis par l’impérialisme allemand, en particulier face au formidable rouleau compresseur mis en place par les Etats-Unis, le régime nazi ne pouvait déjà plus nourrir convenablement la population et les troupes allemandes. Il décida de se débarrasser de la population excédentaire enfermée dans les camps, et dès lors, les fours crématoires se répandirent un peu partout et accomplirent leur sinistre besogne. L’horreur indicible de ce qui se perpétrait dans les camps pour alimenter la machine de guerre allemande était le fait d’un impérialisme aux abois qui reculait sur tous les fronts. Cependant bien que l’holocauste fut perpétré sans le moindre état d’âme par le régime nazi et ses sbires, il ne rapportait pas grand chose au capitalisme allemand qui était, comme on l’a vu, lancé dans une course désespérée pour réunir les moyens nécessaires à une résistance efficace face à une avancée de plus en plus irrésistible des Alliés. C’est dans ce contexte que plusieurs négociations furent tentées par l’Etat allemand, en général directement par les SS, auprès des Alliés dans le but de chercher à se débarrasser, avec profit, de plusieurs centaines de milliers, voir de millions de prisonniers.

L’épisode le plus célèbre de ce sinistre marchandage fut celui qui a concerné Joël Brand, le dirigeant d’une organisation semi-clandestine de juifs hongrois. Ce dernier, comme l’a raconté A. Weissberg dans son livre L’histoire de J. Brand et comme cela a été repris dans la brochure Auschwitz ou le grand alibi, fut convoqué à Budapest pour y rencontrer le chef des SS chargé de la question juive, A. Eichmann. Celuici le chargea de négocier auprès des gouvernements anglo-américains la libération d’un million de juifs en échange de 10 000 camions. Eichmann était prêt à réduire ses prétentions, voire à accepter d’autres types de marchandises. Les SS, pour preuve de leur bonne foi et du caractère on ne peut plus sérieux de leur offre, se déclarèrent prêts à libérer sans contrepartie 100 000 juifs dès qu’un accord de principe serait obtenu par J. Brand. Dans un premier temps, celui-ci connut les pires difficultés (jusqu’à subir une incarcération dans des prisons anglaises du Proche-Orient) pour rencontrer des représentants des gouvernements Alliés. Ces difficultés n’étaient pas le fruit du hasard : à l’évidence, une rencontre officielle avec cet "empêcheur de tourner en rond" était à éviter.

Quand il put enfin discuter des propositions allemandes avec Lord Moyne, le responsable du gouvernement britannique pour le Proche-Orient, celui-ci lui opposa un refus catégorique qui n’avait rien de personnel (il ne faisait qu’appliquer les consignes du gouvernement britannique) et qui était encore moins l’expression d’un "refus moral face à un odieux chantage". Aucun doute n’est en effet possible à la lecture du compte rendu que fit Brand de cette discussion : "Il le supplie de donner au moins un accord écrit, quitte à ne pas le tenir, ça ferait toujours 100 000 vies sauvées, Moyne lui demande alors quel serait le nombre total ? Eichmann a parlé d’un million. Comment imaginez vous une chose pareille, mister Brand ? Que ferai- je de ce million de juifs ? Où les mettrai-je ? Qui les accueillera ? Si la terre n’a plus de place pour nous, il ne nous reste plus qu’à nous laisser exterminer, dit Brand désespéré." Comme le souligne très justement Auschwitz ou le grand alibi à propos de ce glorieux épisode de la seconde boucherie mondiale : "Malheureusement si l’offre existait, il n’y avait pas de demande ! Non seulement les juifs mais aussi les SS s’étaient laissés prendre à la propagande humanitaire des alliés. Les alliés n’en voulaient pas de ce million de juifs ! Pas pour 10 000 camions, pas pour 5 000, même pas pour rien."

La propagande démocratique pour mystifier le prolétariat

Une certaine historiographie récente tente de montrer que ce refus était avant tout dû au veto opposé par Staline face à ce type de marchandage. Ce n’est là qu’une tentative de plus pour chercher à masquer et à atténuer la responsabilité des "grandes démocraties" et leur complicité directe dans l’holocauste. C’est ce que révèle la mésaventure survenue au naïf J. Brand dont on ne peut sérieusement contester le témoignage. De plus, durant toute la guerre, ni Roosevelt ni Churchill n’ont eu pour habitude de se laisser dicter leur conduite par Staline. Avec le "petit père des peuples", ils étaient plutôt au diapason, faisant preuve du même cynisme et de la même brutalité. Le très "humaniste" Roosevelt opposera d’ailleurs le même refus à d’autres tentatives ultérieures des nazis, en particulier lorsque, fin 1944, ils essayèrent encore de vendre des juifs à l’ "Organisation des Juifs américains", transférant pour preuve de leur bonne volonté près de 2 000 juifs en Suisse, comme le raconte dans le détail Y. Bauer dans un livre intitulé Juifs à vendre (Editions Liana Levi).

Tout ceci n’est ni une bavure ni le fait de dirigeants devenus "insensibles" à cause des terribles sacrifices qu’exigeait la conduite de la guerre contre la féroce dictature fasciste comme veut le faire croire la bourgeoisie. L’antifascisme n’a jamais exprimé un réel antagonisme entre d’un côté un camp défendant la démocratie et ses valeurs, et de l’autre un camp totalitaire. Il n’a été dès le départ qu’un "chiffon rouge" agité devant les yeux des prolétaires pour justifier la guerre à venir en masquant son caractère classiquement inter impérialiste pour le repartage du monde entre les grands requins capitalistes (c’est ce que l’Internationale Communiste avait mis en avant dès la signature du Traité de Versailles et qu’il fallait absolument gommer de la mémoire ouvrière). Il a été surtout le moyen de les embrigader dans la plus gigantesque boucherie de l’histoire. Si, pendant la guerre, il fallait faire le silence sur les camps et fermer soigneusement les frontières à tous ceux qui tentaient d’échapper à l’enfer nazi pour "ne pas désorganiser l’effort de guerre", après la fin de la guerre il en a été tout autrement. L’immense publicité faite soudain, à partir de 1945, aux camps de la mort représentait une formidable aubaine pour la bourgeoisie. Braquer tous les projecteurs sur la réalité monstrueuse des camps de la mort permettait en effet aux Alliés de masquer les crimes innombrables qu’ils avaient eux-mêmes perpétrés. Ce battage assourdissant permettait aussi d’enchaîner solidement une classe ouvrière (qui risquait de renâcler contre les immenses sacrifices et la misère noire qu’elle continuait de subir même après la "Libération") au char de la démocratie. Celle-ci était présentée par tous les partis bourgeois, de la droite aux staliniens, comme une valeur commune aux bourgeois et aux ouvriers, valeur qu’il fallait absolument défendre pour éviter, à l’avenir, de nouveaux holocaustes.


[1] Cf. intra Campagnes anti-négationnistes, une attaque contre la Gauche communiste, dans le chapitre VI

II - L'analyse marxiste du fascisme

Expression de la tendance générale au développement du capitalisme d'Etat résultant de l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence, le fascisme est aussi le produit de conditions particulières : le cours général des années trente à la guerre et, suite à la défaite de la vague révolutionnaire de 17-23, la profondeur prise par la contre-révolution dans des pays comme l'Allemagne où le prolétariat s'était justement trouvé à l'avant-garde du combat révolutionnaire. Le fascisme a donc constitué l'instrument par lequel la classe ouvrière en Allemagne, cette fraction du prolétariat mondial décisive pour le rapport de force entre les classes au niveau international, après avoir été laminée par les défaites successives infligées par la gauche et la démocratie, se trouvait soumis sous un talon de fer pour endurer les sacrifices de la guerre. En faire l'analyse la plus claire est de la plus haute importance, en particulier pour comprendre la nature même de l'antifascisme qui n'est autre que l'idéologie au moyen de laquelle les pays impérialistes rivaux de l'Allemagne enchaînèrent le prolétariat des pays démocratiques à la défense de l'Etat capitaliste en vue de la guerre impérialiste.

Depuis le début de ce siècle, c'est aux fractions de gauche issues des anciens partis ouvriers (les PS d'abord et ensuite les PC) passés à l'ennemi de classe qu'est revenue la tâche d'assurer la continuité politique, théorique et organisationnelle du mouvement révolutionnaire. Ce sont elles qui ont enrichi la théorie du prolétariat des expériences nouvelles qu'il avait effectuées ainsi que de l'analyse des conditions nouvelles de la lutte de classe. L'analyse du fascisme fait partie du leg des fractions de gauche à l'actuel milieu révolutionnaire. Nous rendons compte, dans ce chapitre, de l'effort et des contributions théoriques réalisées sur cette question par les différentes composantes de la Gauche communiste. Dans ce cadre et pour illustrer la clarté particulière de la Gauche communiste d'Italie, nous republions un article des années trente de Bilan.

La contribution historique des courants de la Gauche communiste

A l'aube du 20e siècle, la plupart des instruments de lutte forgés précédemment par le prolétariat durant des décennies ne lui servent plus à rien. Pire, ils se retournent contre lui et deviennent des armes du capital. Il en est ainsi des syndicats, des grands partis de masse, de la participation aux élections et de l'utilisation du parlement bourgeois pour la défense de ses intérêts. Et cela parce que le capitalisme est entré dans une phase complètement différente de son évolution : celle de sa décadence. C'est la première guerre mondiale qui signe cette coupure entre les deux périodes de la vie du capitalisme. "Une nouvelle époque est née. L'époque de la désagrégation du capitalisme, de son effondrement interne. L'époque de la révolution communiste du prolétariat" proclame en 1919 l'Internationale communiste dans sa plate-forme.

Les gauches qui se sont dégagées de l’Internationale communiste dégénérescente face aux problèmes posés par la décadence du capitalisme

"La période de décadence du capitalisme se caractérise par une absorption de la société civile par l'Etat. De ce fait, le législatif, dont la fonction initiale est de représenter la société, perd tout son poids devant l'exécutif qui est le sommet de la pyramide étatique. Cette période connaît une unification du politique et de l'économique, l'Etat devenant la principale force dans l'économie nationale et sa véritable direction. Que ce soit par une intégration graduelle (économie mixte) ou par un bouleversement brusque (économie entièrement étatisée) l'Etat cesse d'être un organe de délégation des capitalistes et groupes d'intérêts, pour devenir le capitaliste collectif, soumettant à sa férule tous les groupes d'intérêts particuliers. L'Etat en tant qu'unité réalisée du capital national, défend les intérêts de celui-ci sur l'arène impérialiste mondiale et sur le marché mondial. De même il prend directement à sa charge d'assurer la soumission et l'exploitation de la classe ouvrière". (Revue Internationale23, Le prolétariat dans le capitalisme décadent). L'Etat capitaliste démocratique, stalinien ou fasciste, concrétise, sous différentes formes produites par des circonstances différentes, cette évolution de l'Etat de la période de décadence. Lorsque des institutions démocratiques sont maintenues, elles ont en fait perdu leur substance antérieure et n'existent plus uniquement qu'avec la fonction de mystifier la classe ouvrière.

Les conséquences de la dégénérescence opportuniste de l'Internationale communiste

La fondation de l'Internationale Communiste correspondait à cette capacité du prolétariat, se soulevant dans les principaux pays du monde contre la barbarie du capitalisme, à se hisser à la hauteur des nécessités politiques de la révolution. Elle traduisait des avancées du mouvement révolutionnaire dans la compréhension des conditions de la nouvelle période, comme le montrent les travaux des premier et deuxième congrès. Le premier congrès en particulier est celui de la rupture avec la social-démocratie, dont la trahison avait été responsable de l’embrigadement du prolétariat dans la guerre impérialiste, qui avait constitué le fer de lance de l'offensive de la bourgeoisie contre la révolution en Russie et en Allemagne. Cependant, dans leur majorité, les révolutionnaires restent marqués par le poids du passé. L'IC, constatant que "les réformes parlementaires ont perdu toute importance pratique pour les classes laborieuses", n'en continue pas moins de prôner la participation à cette institution. Pire encore, le recul de la vague révolutionnaire à l'échelle internationale s'accompagne de la dégénérescence opportuniste de l'IC et des partis qui la constituent, partis qui, quelques années auparavant, s'étaient trouvés à l'avant garde du combat de la classe ouvrière. Déjà les troisième et quatrième congrès expriment une régression sur un certain nombre de questions et adoptent des positions opportunistes directement responsables de l'affaiblissement de la conscience dans les rangs de la classe ouvrière internationale. En effet, en contradiction avec le premier congrès, le troisième congrès propose, à travers la politique de Front Unique, l’alliance avec la social-démocratie, permettant ainsi la réhabilitation de cette organisation aux yeux du prolétariat, alors qu'elle fait pourtant déjà partie des rouages de l'Etat bourgeois. L'aboutissement d'une telle trajectoire de dégénérescence sera la mort de l'Internationale pour le prolétariat. En effet, en 1927, elle adopte des thèses défendant la possibilité du socialisme en un seul pays. Dans les années 30, ce sera le passage dans le camp de la contre-révolution des PC qui deviendront à leur tour le fer de lance de la bourgeoisie pour l'embrigadement du prolétariat dans la seconde guerre mondiale.

Ce n'est donc pas un hasard si, dans les années 20, la majorité de l'IC développe une analyse erronée du fascisme lors des premières manifestations significatives de son essor en Italie. De telles erreurs résultent d'incompréhensions concernant le mode de vie du capitalisme décadent. De plus, elles sont favorisées par le cours opportuniste pris par l'Internationale, résultant du recul général de la vague révolutionnaire. Cela s'exprime en particulier par une clarté et une fermeté insuffisantes sur la méthode d'analyse marxiste de la réalité, laissant la part belle aux illusions démocratiques.

Le travail de clarification effectué par les gauches restées fidèles au camp prolétarien

En réaction à la dégénérescence de l'IC et pour la combattre, se crée en son sein, au début des années 20, une nouvelle Gauche résultant de l'activité des courants marxistes de gauche actifs en Italie, en Allemagne et en Hollande. Ces fractions, qui vont être exclues tout au long des années 20, poursuivront le combat politique pour assurer la continuité entre l’IC et le "parti de demain" en tirant un bilan de la vague révolutionnaire et de sa défaite. Bilan était précisément le nom de la revue de la Fraction italienne de la Gauche communiste dans les années 1930. Le travail de clarification de ces fractions inclue bien sûr l'analyse du fascisme et de l'antifascisme sur laquelle elles s'opposent radicalement non seulement aux partis staliniens dégénérescents mais également, dans les années trente, à Trotsky.

De notre point de vue, c'est la Gauche communiste d'Italie qui fit la contribution la plus importante sur ces questions et c'est à dessein que nous rapportons de nombreux témoignages de son effort d'analyse à travers la publication d'extraits de textes de sa revue Bilan. Nous nous réfèrerons également à des contributions ou analyses d'autres composantes du mouvement ouvrier, des courants ou éléments apparentés à la gauche allemande ou hollandaise.

Des approfondissements de l'analyse du fascisme seront encore effectués par la suite, par les organisations ou courants présentant une filiation politique ou organisationnelle avec ces fractions. Nous évoquerons en particulier Internationalisme (Revue de la Gauche communiste de France - GCF - publiée dans la seconde moitié des années quarante et au début des années cinquante), l'ancêtre du CCI. Internationalisme, tout en s'appuyant essentiellement sur les acquis de Bilan, a su également mettre à profit certains apports de la Gauche germano-hollandaise sur le capitalisme d'Etat. Nous parlerons également du PCI-Programme communiste, une des deux organisations auxquelles donna naissance en 53 la scission du PCI fondé en 1947 (l'autre organisation étant le PCInt-Battaglia comunista) en particulier à propos de son article important Auschwitz ou le grand alibi.

Pour fondamentaux que soient les apports des Gauches (sans eux le CCI et les autres groupes révolutionnaires n'existeraient pas aujourd'hui), ceux-ci se situent sur différents plans et sont de valeurs inégales. Quelles que soient les forces et les faiblesses des contributions des Gauches, il est néanmoins essentiel de les considérer toutes comme des efforts du prolétariat pour développer, à l'échelle de l'histoire, la conscience des conditions de son combat révolutionnaire pour le renversement du capitalisme. De plus, elles ont toutes en commun la caractéristique de s'inscrire dans la défense intransigeante du terrain de classe du prolétariat. De façon théorique mais aussi pratique et militante puisque c'est à elles qu'il est revenu, dans les années 30/40, dans des conditions extrêmement difficiles, de maintenir haut et fort le drapeau de l'internationalisme prolétarien face à l'hystérie chauvine des anciens partis ouvriers.

Tout autre est la "contribution" du courant trotskiste. Dans les années 30 et jusqu’à l'éclatement de la seconde guerre mondiale, il fait partie du camp prolétarien qu'il n'a pas encore trahi. Mais la guerre venue, en abandonnant l'internationalisme prolétarien, il empruntera à son tour le chemin pris avant lui par la social-démocratie et le stalinisme, qui mène dans le camp de la bourgeoisie contre le prolétariat, en appelant les prolétaires à choisir un camp impérialiste, celui de la défense de l'Etat russe. Jusqu'à ce moment tragique, sa contribution à la compréhension du fascisme et de l'antifascisme est directement en lien avec sa trajectoire opportuniste : elle est un facteur de désorientation de la classe ouvrière la poussant à adhérer aux mots d'ordre antifascistes des partis staliniens et démocrates.

La Gauche Italienne des années 20 face à la montée du fascisme

Dès que la vague révolutionnaire marque le pas et s'engage dans une dynamique de reflux, au début des années 20, on assiste alors à la montée en puissance de mouvements fascistes, en Italie en particulier.
C'est à cette partie de la gauche de l'Internationale, majoritaire au sein du parti italien et dont le chef de file est Bordiga, qu'il revient de faire une contribution fondamentale quant à l'analyse de ce phénomène nouveau et à ses implications pour le prolétariat et pour les orientations politiques de l'avant garde révolutionnaire.

 

Le fascisme n'est pas une réaction des couches féodales

L'analyse de Bordiga s'inscrit dans la caractérisation générale faite par l'Internationale communiste de la période ouverte par la guerre de 14, celle de la décadence du capitalisme, et de l'irruption de la première vague révolutionnaire. C'est dans ce cadre qu'il dénonce les idéologies "nouvelles", dont le fascisme, que secrète la société : "A l’époque de sa décadence, la bourgeoisie est devenue incapable de se tracer une voie (c’est-à-dire non seulement un schéma de l’histoire, mais aussi un ensemble de formules d’actions) ; c’est pourquoi pour fermer la voie que d’autres classes se proposent d’emprunter dans leur agressivité révolutionnaire, elle ne trouve rien de mieux que de recourir au scepticisme universel, philosophie caractéristique des époques de décadence" (Communisme et fascisme ; Editions Programme communiste ; Rapport de A. Bordiga sur le fascisme au IVe congrès de l'Internationale communiste 2e séance - 16 novembre 1922 ; p 58)[1].

Bordiga montre que le fascisme est la forme nécessaire de domination de la société dont se dote la bourgeoisie pour faire face aux tendances à l'éclatement qui la traversent : "Le fascisme, qui ne pourra jamais surmonter l'anarchie économique du système capitaliste, a une autre tâche historique que nous pourrions définir comme la lutte contre l'anarchie politique, c'est-à-dire l'anarchie de l'organisation de la classe bourgeoise en parti politique. Les différentes couches de la bourgeoisie italienne ont traditionnellement formé des groupes solidement organisés qui se combattaient à tour de rôle du fait que leurs intérêts particuliers et locaux étaient concurrents, et qui, sous la direction de politiciens professionnels se livraient à toutes sortes de manœuvres dans les couloirs du parlement. L'offensive contre-révolutionnaire obligea les membres de la classe dominante à s'unir dans la lutte sociale et dans la politique gouvernementale. Le fascisme n'est que la réalisation de cette nécessité de classe. En se plaçant au-dessus de tous les partis bourgeois traditionnels, le fascisme les prive peu à peu de leur contenu, les remplace dans leurs activités et, grâce aux erreurs et aux insuccès du mouvement prolétarien, réussit à exploiter à ses propres fins le pouvoir politique et le matériel humain des classes moyennes." (Ibid p 92).

Comme on le voit, Bordiga se sépare nettement des interprétations qui vont devenir majoritaires au sein de l'IC selon lesquelles le fascisme est une réaction des couches féodales. Il s'y oppose même nettement : "La genèse du fascisme doit, selon nous, être attribuée à trois principaux facteurs : l'Etat, la grande bourgeoisie et les classes moyennes. Le premier de ces facteurs est l'Etat. En Italie l'appareil d'Etat a joué un rôle important dans la fondation du fascisme. Certes, les crises successives du gouvernement bourgeois ont fait naître l'idée que la bourgeoisie avait un appareil d'Etat tellement instable qu'il suffirait d'un coup de main pour l'abattre, mais il n'en est rien. Au contraire, c'est précisément dans la mesure où son appareil d'Etat se renforçait que la bourgeoisie a pu construire son organisation fasciste" (Ibid. p. 88). Il poursuit ainsi : "Le premier facteur est donc l'Etat. Le second est, comme nous l'avons déjà noté plus haut, la grande bourgeoisie. Les capitalistes de l'industrie, des banques, du commerce et les grands propriétaires terriens avaient un intérêt naturel à la fondation d'une organisation de combat capable d'appuyer leur offensive contre les travailleurs. Mais le troisième facteur ne joue pas un rôle moins important dans la genèse du pouvoir fasciste. Pour créer à côté de l'Etat une organisation réactionnaire illégale, il fallait enrôler encore d'autres éléments que ceux des couches supérieures de la classe dominante" (Ibid. p. 91)[2].

La social-démocratie fait le lit du fascisme

Une telle analyse, parfaitement lucide quant au rôle historique du fascisme, est inséparable de la compréhension, d'une part, du rôle que les partis de gauche définitivement passés au service de la bourgeoisie sont spécifiquement amenés à jouer contre le développement de la lutte de classe et, d'autre part, de la fonction de la démocratie au service de la conservation de l'ordre capitaliste. Sur ces deux questions également, Bordiga est à contre courant d'une tendance dominante au sein de l'IC. Pour lui, ce sont les partis de gauche traîtres à la classe ouvrière, et non le fascisme, qui sont utilisés comme fer de lance de l'offensive anti-ouvrière. Bordiga montre clairement, en deux circonstances, comment la bourgeoisie fait en premier lieu appel à ceux-ci, et non pas essentiellement au fascisme.

Au sortir de la première guerre mondiale : "Il est exact qu'immédiatement après la guerre, l'appareil d'Etat a traversé une crise dont la cause fut manifestement la démobilisation. Tous les éléments qui avaient jusque là participé à la guerre furent brusquement jetés sur le marché du travail ; à ce moment critique, l'appareil d'Etat qui, jusque là, avait tout mis en œuvre pour remporter la victoire sur l'ennemi extérieur dut se transformer en un organe de la défense contre la révolution. Cela posait à la bourgeoisie un problème gigantesque. Elle ne pouvait pas le résoudre militairement par une lutte ouverte contre le prolétariat. Elle devait donc le résoudre par des moyens politiques. C'est à cette époque que se forment les premiers gouvernements de gauche de l'après guerre, à cette époque que le courant politique de Nitti et Giolitti accède au pouvoir. (...) Ce fut Nitti qui créa la Garde Royale, qui n'était pas à proprement parler une police, mais bien une organisation militaire de type nouveau". (Ibid. p. 88) ;

Lors du mouvement d'occupation des usines en 1921 : "L'Etat comprit qu'une attaque frontale de sa part aurait été maladroite, que la manœuvre réformiste était une fois de plus tout indiquée et qu'on pouvait encore faire un semblant de concession. Avec le projet de loi sur le contrôle ouvrier, Giolitti obtint des chefs ouvriers qu'ils fassent évacuer les usines" (p. 79). Bordiga explicite alors en quoi le fascisme ne peut être utilisé frontalement pour battre la classe ouvrière : "Dans les grandes villes, il ne fut pas tout de suite possible de recourir à des méthodes violentes contre la classe ouvrière. Les ouvriers urbains constituaient une masse trop considérable pour cela. Il était relativement facile de les assembler et ils pouvaient donc opposer à l'attaque une résistance sérieuse. La bourgeoisie préféra donc imposer au prolétariat des luttes à caractère essentiellement syndical, dont les résultats lui furent généralement défavorables du fait de l'acuité de la crise et de l'augmentation continue du chômage." (Ibid. p. 84).

Le mouvement des occupations de 1921 ayant été défait, il s'ensuit dans la classe ouvrière en Italie une désorientation facilitant le travail de répression de l'Etat à son encontre. C'est alors, mais dans un deuxième temps, que les bandes fascistes coordonnées par l'Etat, entrent en lice en participant de plus en plus activement et massivement à la répression.

Le fascisme est une nécessité du capital face à l'ensemble de la société

Contrairement à une interprétation, développée par la gauche du capital dans les années 30 et encore véhiculée aujourd'hui, attribuant au fascisme le rôle spécifique d'affaiblir et museler le mouvement ouvrier en s'attaquant à ses prétendus acquis démocratiques au sein de la société, Bordiga est parfaitement clair sur le fait que le fascisme s'impose comme nécessité de la bourgeoisie face à l'ensemble de la société : "Les mesures gouvernementales du fascisme montrent qu'il est au service de la grande bourgeoisie, du capital industriel, financier et commercial et que son pouvoir est dirigé contre les intérêts de toutes les autres classes" (Ibid p. 121). Lorsqu'il accède au pouvoir en Italie en 1922, le fascisme doit aussi faire face à toutes les tendances centrifuges au sein de la société, mais aussi à la classe ouvrière qui, à ce moment, bien que très affaiblie, n'est pas encore totalement battue, ni écrasée comme elle le sera dans les années 30. C'est pour cela qu'il doit maintenir les mystifications démocratiques : "Le fascisme n'est pas une tendance de la droite bourgeoise s'appuyant sur l'aristocratie, le clergé, les hauts fonctionnaires civils et militaires et visant à remplacer la démocratie du gouvernement bourgeois et de la monarchie constitutionnelle par une monarchie autoritaire. Le fascisme incarne la lutte contre-révolutionnaire de tous les éléments bourgeois unis ; c'est pourquoi il ne lui est nullement nécessaire et indispensable de remplacer les institutions démocratiques par d'autres. Pour nous, marxistes, cette circonstance n'a rien de paradoxal, parce que nous savons que le système démocratique ne représente rien de plus qu'une somme de garanties mensongères derrière laquelle se dissimule la lutte réelle de la classe dominante contre le prolétariat." (Ibid. p. 93). De ce fait, rien n'indique, dans les circonstances de l'époque, que le fascisme sera amené ultérieurement à se débarrasser de la démocratie : "Les premières mesures du gouvernement montrent qu'il n'entend pas modifier la base des institutions traditionnelles. Naturellement je ne prétends pas que la situation soit favorable au mouvement prolétarien et communiste bien que je prévoie que le fascisme sera libéral et démocratique." (Ibid. p. 99). En fait le fascisme du début des années 20 n'est que l'embryon d'une tendance qui ne pourra être achevée, sous sa forme dictatoriale, que dans les années 30 en Allemagne et en Italie, après que le prolétariat ait été laminé.

Contre le front unique avec la social-démocratie

C'est grâce à son intransigeance vis-à-vis de toutes les fractions de la bourgeoisie que Bordiga et la gauche n'ont pas été entraînés dans la voie de l'opportunisme qu'empruntait la troisième internationale avec la tactique de Front Uni et qui s'est révélée catastrophique pour le mouvement ouvrier. Cette solidité des principes et clarté des analyses les a rendus capables d'adresser une mise en garde, ô combien clairvoyante comme on peut en juger avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, contre la tentation opportuniste de fronts antifascistes : "Nous savons que le capital international ne peut que se réjouir des entreprises du fascisme en Italie, et de la terreur qu'il y exerce sur les ouvriers et les paysans. Pour la lutte contre le fascisme, nous ne pouvons compter que sur l'internationale prolétarienne révolutionnaire. Il s'agit d'une question de lutte de classe. Nous n'avons pas à nous tourner vers les partis démocratiques des autres pays, vers des associations d'imbéciles et d'hypocrites comme la Ligue des Droits de l'Homme, car nous ne voulons pas faire naître l'illusion que ces partis et courants représentent quelque chose de substantiellement différent du fascisme, ou que la bourgeoisie des autres pays n'est pas en mesure d'infliger à sa classe ouvrière les mêmes persécutions et les mêmes atrocités que le fascisme en Italie." (Rapport de A. Bordiga sur le fascisme au Ve congrès de l'Internationale communiste 23e séance - 2 juillet 1924 ; p. 144).


[1] Il faut noter que ce passage tend à montrer que, au contraire de ses théorisations ultérieures et des positions programmatiques de ses épigones bordiguistes, Bordiga ne rejette pas, au moment de la vague révolutionnaire, l'idée que le capitalisme soit entré dans sa phase de décadence.

[2] Parmi tous ceux qui défendaient une analyse du fascisme comme expression d'un mouvement réactionnaire, il y avait aussi Gramcsi pour qui le fascisme était une émanation des couches paysannes arriérées du sud de l'Italie. La réalité confirmera la validité de l'analyse de Bordiga en particulier à travers ceci que, le fascisme, autant que la démocratie, sera capable de développer les forces productives.

Conscience et organisation: 

La gauche germano-hollandaise

Ce courant a été capable d'une grande clarté théorique, parfois plus que la gauche italienne, sur des questions clés liées à l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence. C'est le cas en particulier sur le rôle du parlementarisme et des élections que la classe ouvrière ne peut plus utiliser à son profit mais qui sont des armes de la bourgeoisie. De plus, et contrairement à la gauche italienne, il a été capable de caractériser les syndicats comme des organes intégrés à l'Etat bourgeois ayant la fonction d'encadrer la classe ouvrière. Sur toutes ces questions il s'est opposé ouvertement aux erreurs de l’IC et de Lénine. Cependant, il est caractérisé aussi, à la fin des années vingt et dans les années trente, par une analyse profondément erronée de l’échec de la révolution russe. Celle-ci était même considérée comme une révolution bourgeoise par certaines de ses composantes qui attribuaient ainsi son échec, non pas au reflux de la vague révolutionnaire mondiale, mais à des conceptions "bourgeoises" défendues par le parti bolchevik et Lénine, comme celle de la nécessité du parti révolutionnaire. 

          La gauche allemande

Le fascisme, produit de la décadence du capitalisme et de la crise économique

Une contribution de A. Lehmann, membre des "groupes communistes ouvriers" allemands héritiers du KAPD permet de se rendre compte du degré de clarification théorique à laquelle était parvenue la Gauche allemande sur la question du fascisme qu’elle fait résulter de la décadence du capitalisme et de la crise économique aiguë : "Les possibilités d’une accumulation du capital toujours de plus en plus importantes, qui s’étaient manifestées dans cette première phase, trouvèrent leur fin dans la concurrence de plus en plus acharnée des capitalismes nationaux qui se heurtaient dans les dernières tentatives possibles de conquête de nouveaux terrains d’expansion capitaliste. Ces rivalités causées par la restriction des débouchés aboutirent à la guerre mondiale (…) Les différentes couches du capitalisme perdirent leur caractère spécial (financier, industriel, etc.) pour se fondre dans une masse d’intérêts de plus en plus uniformisés. (…) Avec une telle structure, le capitalisme n’a plus besoin du parlementarisme qui ne subsiste dans une première période que comme une façade derrière laquelle s’accomplit la dictature de ce capital monopoliste" (extrait d'un article publié dans le N° 11 de Masses, en novembre 1933, qui était un mensuel éclectique situé à gauche de la social-démocratie française ; reproduit dans la Revue Internationale du CCI n°3, 1975)

Cependant cette analyse comporte un certain nombre de faiblesses, ayant cours dans une partie de la Gauche allemande, qui la conduisent à considérer que le fascisme allait s’étendre rapidement : "Mais l’aggravation de la crise mondiale, l’impossibilité d’ouvrir de nouveaux débouchés enlèvent peu à peu tout intérêt pour la bourgeoisie dans le maintien de cette façade parlementaire. La dictature directe et avouée du capital monopoliste devient une nécessité pour la bourgeoisie elle-même. Il montre que le système fasciste est la forme du gouvernement la mieux appropriée aux besoins du capital monopoliste. Son organisation économique est la plus favorable pour la solution des contradictions internes de la bourgeoisie, tandis que son contenu politique permet à la bourgeoisie de s’appuyer sur une nouvelle base qui remplace ainsi le réformisme devenu de plus en plus incapable de maintenir les illusions des masses" (ibid.). Ainsi elle ne comprenait pas les conditions particulières qui ont fait apparaître le fascisme en Italie et en Allemagne et pas dans d'autres pays industrialisés. Celles-ci sont de deux ordres : d'une part la défaite particulièrement brutale qu’y a subie la classe ouvrière après un mouvement de lutte puissant et, d'autre part, la nécessité pour la bourgeoisie de ces pays, battus lors de la première guerre mondiale, de prendre l'initiative de préparatifs pour un nouveau repartage, par les armes, du gâteau impérialiste.

Enfin, cette analyse a été capable de mettre en relief ce qui distingue justement les courants de la Gauche communiste du trotskisme ou des courants de la gauche de la bourgeoisie, c'est-à-dire que l’antagonisme au sein de la société ne se situe pas entre fascisme et démocratie mais bien entre prolétariat et capitalisme : "Mais si la classe ouvrière ne se laissa pas, ou presque pas, contaminer par la démagogie fasciste, elle n’en fut pas moins incapable de s’opposer au développement du parti national-socialiste.(...) Surtout le prolétariat ne comprit pas que la partie se jouait non entre la démocratie et le fascisme, mais en réalité entre la révolution prolétarienne et le fascisme. C’est donc l’incapacité révolutionnaire du prolétariat qui permit le développement politique du fascisme et l’avènement d’Hitler. (...)." Néanmoins, une faiblesse importante de cette contribution consiste dans l'absence d'une dénonciation du danger antifasciste. Sur cette dernière question en particulier, le courant de la Gauche italienne sera beaucoup plus clair et conséquent pour mettre en évidence la démarcation entre le camp prolétarien et celui de toutes les fractions de la bourgeoisie.

  • Pannekoek

Une analyse de classe du fascisme et du stalinisme

Anton Pannekoek, une grande figure du mouvement ouvrier et un des chefs de file de la gauche de la social-démocratie, fut de tous les combats contre les manifestations de l'opportunisme au sein de la seconde Internationale. Lors de la première boucherie mondiale, il compte parmi les internationalistes de la première heure, à côté de Lénine et Rosa Luxemburg notamment, au moment où les partis sociaux-démocrates trahissaient le prolétariat en l’appelant à l’union sacrée avec ses exploiteurs. S'il est encore internationaliste pendant la seconde guerre mondiale, il ne sera néanmoins pas capable des mêmes apports qu'au moment de l'épreuve de la première guerre.

Avant que ne prenne fin le second conflit mondial, il est capable d'une clairvoyance remarquable quant aux moyens que la bourgeoisie va mettre en œuvre pour éviter que ne se reproduise un soulèvement révolutionnaire (même si ses formulations démontrent une très grande surestimation de sa part de la facilité avec laquelle s'était opéré le soulèvement prolétarien en Allemagne à partir de 1918) : "L’objectif de la dictature national-socialiste, la conquête et la domination du monde, rend probable le fait qu’elle sera détruite au cours de la guerre même qu’elle a déclenchée dans ce but. Elle laissera alors l’Europe dévastée, en proie au chaos et à la misère, son appareil productif, adapté aux fournitures de guerre, complètement usé, son sol et ses habitants épuisés, ses matières premières ayant disparu, ses villes et usines en ruine, ses ressources économiques pillées et anéanties. Mais contrairement au précédent historique de l’Allemagne de 1918, le pouvoir politique ne tombera pas automatiquement aux mains de la classe ouvrière. Les puissances victorieuses ne le permettront pas : toutes leurs forces serviront à la répression, si besoin est." (Les Conseils ouvriers II p. 97 Edition Spartacus). En fait, l'Allemagne nazie vaincue participera aussi à l'entreprise puisque lui sera délégué le travail d'anéantissement du prolétariat dans les zones qui reviendront au bloc russe après le partage de Yalta.

Tout comme Bordiga avant lui, Pannekoek fait clairement résulter le fascisme, non pas de la montée des classes réactionnaires de la société, mais bien des besoins du capital : "Le nouveau despotisme, au contraire, est un produit du capitalisme hautement développé ; il dispose de toute la puissance de la bourgeoisie et de toutes les méthodes raffinées qui lui fournissent les techniques et les méthodes d'organisation modernes. Il représente un progrès, non une régression, non un retour à une vieille barbarie brutale mais l'annonce d'une barbarie bien plus raffinée" (ibid. p. 68)

Pannekoek, contrairement à Lehmann, ne commet pas non plus l’erreur de penser que le fascisme sera la forme universelle de domination du capitalisme : "aujourd’hui, de manière analogue, il se pourrait que, tandis que dans certains pays s’établissent des dictatures fascistes, dans d’autres les conditions de cette installation fassent défaut". Il entrevoit donc que ce sont des conditions particulières qui permettent son avènement : "On dit souvent que le fascisme est la véritable doctrine du grand capital. Il n'en est rien. L'exemple de l'Amérique est là pour prouver qu'une domination paisible peut être plus facilement assurée par le biais de la démocratie politique. Mais si, dans sa lutte pour s'élever, un capitalisme donné échoue face à une ennemi plus puissant, ou s'il est menacé par une classe ouvrière révoltée, il doit avoir recours à de modes plus violents de domination. Le fascisme est le système politique auquel a recours le grand Capital lorsqu'il se trouve en situation critique". (ibid. p. 66)

Il sait mettre en évidence la tendance au capitalisme d’Etat agissant en tant que garant de la cohésion économique et sociale face aux contradictions qui assaillent la société. Pour lui, tous les régimes, qu'ils soient fascistes ou démocrates, portent le sceau de telles caractéristiques : "Les gouvernements, même ceux qui s’intitulent démocratiques, seront obligés d’intervenir toujours davantage dans la production. Tant que le capital détiendra le pouvoir et aura peur, les méthodes despotiques de gouvernement seront utilisées et se dresseront comme des ennemis formidables face à la classe ouvrière."(ibid. p. 95)

L'Etat en Russie 17, faussement analysé comme expression de la tendance au fascisme

Pannekoek est aussi capable de saisir l'unité du capitalisme d'Etat qui englobe également l'Etat stalinien surgi de la contre-révolution en Russie : "Un examen plus poussé des relations profondes entre les choses montre que non seulement le communisme qui avait donné l'exemple de la dictature d'Etat, mais aussi la social-démocratie avaient préparé la voie du national-socialisme (...) Et, au premier chef l'idée même de socialisme étatique ; d'une organisation de toute la production consciemment planifiée par le pouvoir centralisé de l'Etat. Sans doute entendait-on alors par Etat démocratique l'organe du peuple du travail. Mais les intentions ne pèsent pas lourd face à la réalité. Une organisation qui est maître de la production est maître de la société ; il est maître des producteurs en dépit de tous les textes qui essaient d'en faire un organe subordonné, et il ne peut éviter, et a besoin, de se développer en classe ou groupe dominants" (ibid. p. 51). Pour parvenir à cette caractérisation, Pannekoek s'appuie sur une analyse parfaitement juste selon laquelle la Russie, à ce moment là, n'a effectivement rien de communiste, pas plus que son Etat n'est prolétarien mais correspond à la forme particulière prise par la tendance au capitalisme d'Etat dans ce pays[1]. Ce passage et le reste des travaux de Pannekoek expriment une intuition juste d'un problème réel. L'analyse qui en est donnée par Bilan, qui traitera le problème beaucoup plus en profondeur, est que l'Etat qui surgit au lendemain de la prise du pouvoir par la classe ouvrière n'est pas prolétarien mais exprime les antagonismes de classe qui existent encore dans la société tant que les rapports capitalistes demeurent dominants à l'échelle mondiale. Au moment de la vague révolutionnaire mondiale, l'ensemble du mouvement ouvrier, encore influencé par les vieilles conceptions social-démocrates sur la prise du pouvoir, défend l'analyse erronée identifiant la dictature du prolétariat à l'Etat de la période de transition[2]. Mais, contrairement à ce que pense Pannekoek, cette erreur du mouvement ouvrier - qui aurait été corrigée si la révolution s'était étendue internationalement - n'est pas la cause profonde de l'échec de la vague révolutionnaire. Si cette question n'a pu être clarifiée dans le feu de l'action, à l'épreuve de la réalité, c'est justement parce que le rapport de force international entre les classes est devenu très tôt défavorable au prolétariat, condamnant à la dégénérescence le bastion prolétarien en Russie complètement isolé.

Une vision erronée de la révolution russe qui fausse toute l'analyse des causes du fascisme

Tournant complètement le dos à cette méthode d'analyse, Pannekoek va chercher une origine de la tendance au capitalisme d'Etat, et donc du fascisme, dans des "tares" du mouvement ouvrier lui-même : "Les mots d'ordre, les buts, les méthodes, inventés pour les travailleurs par la social-démocratie, furent repris par le national-socialisme et mis en pratique pour le profit du capital (...) le "principe du chef" n'a pas été inventé par le national-socialisme. Il s'est développé avec la social-démocratie, mais dissimulé sous des apparences démocratiques. Le national-socialisme le fit sortir au grand jour ; il en fit la nouvelle base des rapports sociaux avec toutes les conséquences que cela comportait." On mesure ici toute la régression du grand révolutionnaire qui, face au fascisme n'est pas capable de revenir à la méthode qui avait été celle des révolutionnaires conséquents, et donc la sienne, face à la trahison de la social-démocratie et ensuite face à la victoire de l'insurrection d'octobre. Pannekoek, comme le fait à plus grande échelle la propagande bourgeoise aujourd'hui, assimile le communisme au stalinisme, identifie le parti de la révolution prolétarienne, le parti bolchevik de Lénine, à celui de Staline et de la contre-révolution. Il va même jusqu'à suggérer une assimilation du même ordre entre le parti de Marx et Engels et celui de Noske et Scheideman. A l'inverse de cette méthode qui mettait au cœur de la démarcation entre camp bourgeois et camp prolétarien des questions essentielles telles que l'internationalisme et la défense de la révolution face à toutes les fractions de la bourgeoisie, Pannekoek se polarise sur des faiblesses réelles, mais secondaires au regard du problème posé, comme le culte des chefs dans la social-démocratie, sous l'effet de l'idéologie dominante. Dans son esprit, la problème n'est plus celui de la nécessaire démarcation entre organisations du prolétariat passées à l'ennemi de classe, et les nouvelles à reconstruire, mais celui du rejet de tout parti politique, qui par essence serait nécessairement bourgeois. C'est une des raisons pour lesquelles, à l'instar de Lehman, non seulement il ne fut pas capable de mettre clairement en évidence les contours de l'ensemble du camp ennemi, quels que soient ses habits, staliniens, démocrates ou fascistes, mais surtout sa dénonciation bien pâle de la démocratie ne lui permit pas non plus de pointer l'importance de la force de mystification que constitue l'antifascisme contre la classe ouvrière.

Une analyse qui édulcore le rôle anti-ouvrier de la social-démocratie

S'il est avéré qu'effectivement les partis staliniens et sociaux-démocrates ont été, depuis leur passage à la contre révolution, les plus fervents défenseurs des mesures capitalistes d'Etat, la relation que suggère Pannekoek entre le fascisme et ceux-ci est erronée. En premier lieu, le fascisme n'est pas le produit du stalinisme ou du capitalisme démocratique étatique, mais tous trois sont des expressions de la tendance au capitalisme d'Etat. En outre, le problème essentiel consiste dans la grave erreur d'une analyse qui gomme l'essentiel de la véritable relation de cause à effet entre fascisme et ex-partis de la classe ouvrière passés à l'ennemi : c'est l'écrasement de la classe ouvrière par cette gauche du capital qui ouvre la voie au fascisme.

Voilà pourquoi, malheureusement, Pannekoek ne contribue pas à armer le prolétariat même lorsqu'il dit justement que la social-démocratie a fait le lit du fascisme : "Comment a-t-il pu être possible qu’une classe ouvrière, en apparence aussi puissante que la classe ouvrière allemande, à l’époque de la splendeur de la social démocratie, presque prête à conquérir le monde, ait pu tomber dans une telle impuissance ? Même aux yeux de ceux qui s’étaient rendu compte de la dégénérescence interne du mouvement socialiste, cette reddition obtenue facilement en 1933, sans combat, et la destruction complète de son imposante structure furent une véritable surprise. D’une certaine façon, pourtant, le national-socialisme put être considéré comme le rejeton naturel de la social-démocratie." (ibid. p. 93). Dans ces écrits, non seulement Pannekoek demeure à côté de la dénonciation essentielle de la gauche du capital et attribue finalement, indirectement, à la révolution en Russie un rôle d'impulsion du fascisme. Par ses analyses erronées, il a même participé à développer la confusion dans la classe ouvrière qui, à ce moment-là, en avait moins que jamais besoin.


[1] La forme totalitaire et caricaturale prise par le capitalisme d'Etat en URSS s'explique par les conditions historiques particulières dans lesquelles il s'est constitué. La bourgeoisie en Russie, avec la dégénérescence interne de la révolution, s'est constituée, non pas à partir de l'ancienne bourgeoisie tsariste éliminée par le prolétariat en 1917, mais à partir de la bureaucratie parasitaire de l'appareil d'Etat avec lequel s'est confondu de plus en plus, sous la direction de Staline, le Parti Bolchevik. C'est la bureaucratie du Parti-Etat qui, en éliminant à la fin des années 20 tous les secteurs susceptibles de reconstituer une bourgeoisie privée, et auxquels elle s'était alliée pour assurer la gestion de l'économie nationale (propriétaires terriens et spéculateurs de la NEP) a pris le contrôle de cette économie.

[2] En fait, la position du CCI est que la classe ouvrière doit préserver son indépendance de classe vis-à-vis de ce semi-Etat appelé à dépérir avec le développement de la révolution mondiale mais qui, comme tout Etat, est par essence conservateur. Organisée dans ses conseils, elle doit assumer son œuvre de transformation de la société, par l'exercice de sa dictature sur toute la société et sur l'Etat lui-même.

Conscience et organisation: 

La gauche communiste d'Italie (GCI) - Bilan

Le travail de Bilan se situe en continuité directe avec celui réalisé avant lui par la Gauche en Italie dans les années vingt et dont l'essentiel de ses membres sont issus. C'est donc d'un solide cadre programmatique que la GCI hérite pour développer ses analyses et orientations politiques. Elle saura l'enrichir au feu des situations et à force d'efforts d'approfondissement politique en son sein[1]. C'est ce qui lui permettra de "maintenir le cap" dans un contexte où les minorités révolutionnaires sont de plus en plus à contre-courant et où les bataillons décisifs de la classe ouvrière, après la défaite de la vague révolutionnaire, se trouvent embrigadés dans la défense du capital national.
 

Le cours défavorable à la révolution et le combat contre le front unique

Au début des années trente, Bilan perçoit le changement intervenu dans le rapport de force entre les classes et se montre capable de comprendre que la perspective, à court et moyen terme, n'est plus la prise du pouvoir par la classe ouvrière mais la guerre impérialiste. Cette démarche lui permet de ne pas reproduire les erreurs opportunistes de l'Internationale Communiste préconisant notamment une politique de Front unique avec les partis sociaux-démocrates afin de retrouver une influence sur les masses qui tendaient à se détourner du drapeau de la révolution. C'est ainsi que Bilan poursuivra le combat de Bordiga contre cette politique catastrophique que soutient le trotskisme et ceux qui le suivent. En effet, pour la vision trotskiste, tout au long des années 30, il demeure des potentialités révolutionnaires importantes qu'une direction révolutionnaire appropriée doit pouvoir faire fructifier. A cette époque, Bilan est seul à mener le combat de façon systématique et militante contre une telle orientation : "Ce qui changeait, après les premières défaites, c’était seulement les objectifs immédiats pour cette lutte : en 1917-20, c’était la revendication de la lutte immédiate pour le pouvoir. En 1921, cette revendication devait se concrétiser autour des revendications immédiates tout en mettant très nettement en évidence l’inévitabilité de leur évolution vers la lutte pour la prise du pouvoir.

On sait que l’Internationale Communiste, en 1921-22, s’est posée tout autrement ce problème central : elle s’est assigné pour but celui de garder, à tout prix, les masses autour des partis communistes et, ne pouvant y arriver sur la base des mêmes méthodes politiques, des mêmes positions qu’en 1918-20, car la situation avait changé, s’est vue obligée de modifier substantiellement les positions et les méthodes, entraînant ainsi de nouvelles défaites. Le problème du front unique, dans les différentes formulations qui virent le jour à cette époque et qui altérèrent même le problème de la prise du pouvoir (Saxe, Thuringe) fut donc un produit des circonstances historiques profondément défavorables, un élément qui, mal résolu, troubla profondément la substance de la politique révolutionnaire sur laquelle s’était bâtie l’I.C.

On pose généralement le problème du front unique ainsi : dans la conjoncture défavorable, le programme affiché par les socialistes acquiert une portée révolutionnaire. Le socialiste le proclame dans le but unique de tromper les masses et dans la perspective de ne jamais réaliser de mouvements autour de son programme. Le devoir des communistes consiste à attirer les social-démocrates dans un guet-apens, c’est-à-dire d’établir un accord sur la base des formulations revendiquées par les réformistes, car de leur démasquement ne peut résulter que le déplacement des masses vers le communisme." (Bilan n°6, avril 1943 ; Les problèmes de Front unique).

Même si les circonstances défavorables interdisent provisoirement que la lutte pour le pouvoir soit à l'ordre du jour, ce n'est pas une raison pour brader les principes et composer avec l'ennemi : "Il faut d’abord indiquer que la contingence défavorable signifie que, provisoirement, le problème du pouvoir ne se pose pas comme un objectif réel pour la lutte des ouvriers. Cette contingence n’infirme néanmoins en rien les positions précédemment proclamées par le parti communiste, que le problème du pouvoir ne peut se résoudre que par la voie de l’insurrection, que la seule position du prolétariat envers l’Etat est celle de sa destruction, et qu’enfin pour réaliser ces revendications, il n’y a que le parti communiste, lequel trouvera contre lui et contre les masses, le bloc uni du capitalisme depuis ses formations d’extrême droite jusqu’à celles de l’extrême gauche (austro-marxistes)". (Bilan n°6 ; Les problèmes de Front unique)

La lutte pour la révolution n'étant alors plus à l'ordre du jour, ni à court ni à moyen terme, cela ne signifie pas que la classe ne doit pas lutter. Mais l'échelle de sa lutte se restreint nécessairement à la défense contre les attaques économiques du capital. Tout raccourci artificiel vers la lutte révolutionnaire (le programme minimum des trotskistes) conduit nécessairement à l'opportunisme et à faire le jeu de l'ennemi de classe. C'est cette voie qu'emprunteront les trotskistes à travers leur politique "d'entrisme" dans la social-démocratie et, durant la guerre d'Espagne, leur soutien "critique" au POUM qui participait au gouvernement bourgeois de la Généralité de Catalogne.

La dénonciation des partis socialistes, fers de lance des offensives anti-ouvrières de la bourgeoisie

Le trotskisme, à l'instar des partis staliniens, estompe aux yeux de la classe ouvrière, non seulement la nature anti-prolétarienne des partis socialistes, mais surtout le rôle spécifique qu'ils jouent contre la classe ouvrière au service de l'Etat capitaliste. Tirant systématiquement toutes les leçons de l'épreuve de la période ouverte avec la Première Guerre mondiale, Bilan développe une dénonciation systématique et approfondie de la trahison de ces partis et de leur intégration au sein de l'Etat capitaliste, en mettant en évidence les éléments suivants :

  • Ils ont constitué le dispositif avancé de la défaite de la classe ouvrière et ont servi de marchepied au fascisme. Si par la suite ils ont été persécutés par ce dernier, cela n'absout en rien leurs forfaitures contre la classe ouvrière pas plus que cela ne modifie leur nature anti-ouvrière : "Le capitalisme fait-il recours à une organisation fasciste de la société, s’achemine-t-il vers une telle évolution ? De cela il ne résulte pas que le programme démocratique des socialistes s’étant déjà révélé un bastion formidable de la contre-révolution, change en quoi que ce soit : les événements d’Italie, d’Allemagne et d’Autriche le prouvent d’une façon éclatante. Et ce même programme, qui a sauvé le capitalisme lors des assauts révolutionnaires du prolétariat, gardera encore une fois sa fonction réactionnaire dans la nouvelle phase qui s’ouvre devant le capitalisme. La bourgeoisie faisant appel au fascisme, aura besoin du parti socialiste pour arriver au gouvernement de Hitler, de Mussolini et de Dolfus, pour faciliter l’attaque contre le prolétariat. Et les socialistes italiens, allemands et autrichiens seront, encore une fois, à leur place pour accomplir une fonction qui est indispensable à la bourgeoisie. Qu’ils soient bannis et persécutés par après, cela ne change pas d’un millimètre leur rôle ; depuis toujours, les marxistes ont su que le régime capitaliste est le régime des contradictions, que ce régime, basé sur le profit, ne peut comporter que la lutte à mort entre les capitalistes individuels, les trusts, les Etats, que l’organisation politique du capitalisme comporte une lutte entre les différentes formations de parti, mais il n’est jamais venu à l’idée des marxistes de considérer que les capitalistes, écrasés par leurs adversaires, les partis battus ou mitraillés par les nouveaux maîtres, puissent fournir un appoint à la lutte révolutionnaire du prolétariat." (Bilan n°6 ; Les problèmes de Front unique).
  • Ils s'adaptent aux situations en donnant l'illusion d'embrasser la cause du prolétariat pour mieux le tromper : "Aussi bien que les classes, les partis également ne relèvent pas des programmes qu’ils proclament, mais de la place qu’ils occupent au sein de la société. Le parti socialiste est partie intégrante du régime capitaliste et il s’acquitte de son rôle, même lorsqu’il change son programme. Les modifications qu’il y apporte n’altèrent pas sa fonction, mais, bien au contraire, représentent une nécessité de changement afin de pouvoir continuer son rôle. S’il devient soviétiste comme en 1920, c’est parce qu’il sait que, seulement ainsi, il pourra continuer l’œuvre de défense du régime bourgeois ; s’il entre dans le gouvernement soviétique de Hongrie, c’est parce qu’encore une fois il peut ainsi se construire un retranchement qui lui permettra de remplir sa fonction historique. Dans la contingence défavorable ou même très défavorable et fasciste, le programme que présente le parti socialiste, loin de pouvoir fournir une planche pour le salut de la révolution, représente une planche supplémentaire pour le salut du capitalisme, pour la victoire du fascisme, pour son maintien au pouvoir (...) Les socialistes affirment vouloir défendre telle ou telle conquête ouvrière, nous sommes persuadés par avance qu’ils ne veulent pas, en réalité, atteindre cet objectif, mais qu’ils affirment cette disposition uniquement pour tromper les ouvriers." (Bilan n°6 ; Les problèmes de Front unique)

Tirer les leçons de défaites

Les conditions historiques, à ce moment là, sont complexes car elles résultent de différents facteurs, l'entrée en décadence du capitalisme, la vague révolutionnaire mondiale et son échec ainsi que l'ouverture d'un cours vers la guerre. En vue de celle-ci, la bourgeoisie développe une offensive politique contre le prolétariat prise en charge par l'Etat. L'Etat démocratique alterne mystification et répression, alors que l'Etat fasciste et l'Etat stalinien font essentiellement régner la terreur. Aucun effort ne doit être ménagé pour assimiler ces nouvelles conditions car en dépendent la validité de l'intervention dans la classe et les enseignements à transmettre aux générations futures de révolutionnaires. Tournant le dos à l'immédiatisme et à l'apolitisme ambiants qui dissolvent toute réflexion politique et constituent le creuset au développement de théories et orientations politiques opposées aux intérêts de classe du prolétariat, la Gauche italienne comprend qu'il est nécessaire de s'investir dans un travail théorique d'analyse des conditions historiques présentes : " (...)Il est élémentaire - ou plutôt il l’était auparavant - d’affirmer qu’avant d’entamer une bataille de classe, il est nécessaire d’établir les objectifs que l’on s’assigne, les moyens à employer, les forces de classe qui peuvent intervenir favorablement. Il n’y a rien de "théorique" dans ces considérations, et par-là nous entendons qu’elles ne s’exposent pas à la critique facile de tous ces éléments blasés de "théories", dont la règle consiste, au-delà de toute clarté théorique, à tripatouiller dans des mouvements avec n’importe qui, sur la base de n’importe quel programme, pourvu que subsiste "l’action". Nous sommes évidemment de ceux qui pensent que l’action ne découle pas des "coups de gueule" ou de bonnes volontés individuelles, mais des situations elles-mêmes. En outre, pour l’action, le travail théorique est indispensable afin de préserver la classe ouvrière de nouvelles défaites. Et on doit bien saisir la signification du mépris affecté par tant de militants pour le travail théorique, car il s’agit toujours, en réalité, d’introduire, en catimini, à la place des positions prolétariennes, les conceptions principielles de l’ennemi : de la social-démocratie au sein des milieux révolutionnaires, tout en proclamant l’action à tout prix pour une "course de vitesse" avec le fascisme". (Bilan n°7, L'antifascisme, formule de confusion)." Cette démarche préconisée par Bilan est à l'opposé de celle de l'antifascisme pour qui "les considérations politiques n'entrent pas en jeu. Ce dernier se donne pour but de regrouper tous ceux qui sont menacés par l'attaque du fascisme en constituant un "syndicat des menacés"" (Bilan n°7, L'antifascisme, formule de confusion).

Le fascisme, une expression du capitalisme d'Etat rendue possible par la défaite de la classe ouvrière

Pour Bilan, comme pour le PC d'Italie avant l'élimination de Bordiga de la direction du parti, il ne peut être question de voir dans le fascisme autre chose que le capitalisme, sous une forme adaptée aux nécessités économiques et politiques d'une situation requérant une intervention énergique de l'Etat pour assurer la cohésion de la société : "L’expérience démontre, et cela anéantit la possibilité de distinction entre fascisme et capitalisme, que la conversion du capitalisme en fascisme ne dépend pas de la volonté de certains groupes de la classe bourgeoise, mais répond à des nécessités qui se rattachent à toute une période historique et aux particularités propres à la situation d’Etats se trouvant dans une situation de moindre résistance aux phénomènes de la crise et de l’agonie du régime bourgeois. La social-démocratie, qui agit dans le même sillon que les forces libérales et démocratiques, appelle également le prolétariat à poser comme revendication centrale le recours à l’Etat pour obliger les formations fascistes à respecter la légalité pour les désarmer ou même pour les dissoudre. Ces trois courants politiques agissent sur une ligne parfaitement solidaire : leur source se retrouve dans la nécessité pour le capitalisme d’aboutir au triomphe du fascisme, là où l’Etat capitaliste a pour but d’élever le fascisme jusqu’à en faire la forme nouvelle d’organisation de la société capitaliste" (Bilan n°7, L'antifascisme, formule de confusion).

L'exemple allemand le démontre clairement. Flouée par le traité de Versailles, et manquant de débouchés coloniaux, l'Allemagne est contrainte de se lancer dans une nouvelle lutte impérialiste pour le repartage du monde. Dans ce pays, la défaite physique profonde qu'a subie le prolétariat, rend superflu le maintien du masque démocratique et permet l'instauration de régimes totalitaires.

Ainsi, la maturation des conditions par rapport à la situation analysée par Bordiga au début des années 20, lors de l'arrivée de Mussolini au pouvoir, permet à Bilan de caractériser plus précisément les conditions de l'avènement du fascisme qui "s'est édifié sur la double base des défaites prolétariennes et des nécessités impérieuses d'une économie acculée par une crise économique profonde." (Bilan n°16, mars 1935 ; L'écrasement du prolétariat allemand et l'avènement du fascisme).

La démocratie fait le lit du fascisme et embrigade le prolétariat pour la guerre

Fer de lance de la défense du capitalisme, c'est la social-démocratie qui, en infligeant une série de défaites physiques au prolétariat, a rendu possible une telle forme de domination qui correspond pleinement aux nécessités du capital national : "Ce qui appelait surtout la domination du fascisme c'était la menace qu'avait représenté dans l'après-guerre - et que représentait - le prolétariat, menace dont le capitalisme put se sauver grâce à la social-démocratie mais qui demandait une structure politique correspondante à la concentration disciplinaire effectuée sur le terrain économique (…)Faire appel au fascisme après 1919, le capitalisme allemand se décomposant lamentablement ne le pouvait pas, d'autant plus que le prolétariat était là, menaçant. C'est pourquoi le putsch de Kapp est combattu par les fractions du capitalisme comme d'ailleurs par les Alliés qui comprennent l'aide inappréciable des social-traîtres." (Bilan N° 10, août 34, Les événements du 30 juin en Allemagne).

Dans la même logique Bilan souligne la complémentarité et la différence entre le deux formes de domination du capital, démocratie et fascisme, quant à la nature du contrôle qu'elles permettent sur la classe ouvrière, dans tous les cas pour obtenir sa soumission totale aux intérêts du capital national :

  • "Entre la démocratie, le plus beau fleuron : Weimar, et le fascisme, aucune opposition ne se manifestera : l'une permettra l'écrasement de la menace révolutionnaire, dispersera le prolétariat, brouillera sa conscience ; l'autre, au terme de cette évolution, sera le talon de fer capitaliste consacrant ce travail, réalisant rigidement l'unité de la société capitaliste sur la base de l'étouffement de toute menace prolétarienne." (Bilan n°10, août 34, Les événements du 30 juin en Allemagne).
  • "... la domination démocratique est de beaucoup celle qui s'adapte le mieux au maintien de ses privilèges (de la bourgeoisie) car mieux que le fascisme elle pénètre le cerveau de l'ouvrier, le pourrit intérieurement, alors que le fascisme écrase par la violence une maturation de classe que le capitalisme ne parvient pas à faire disparaître" (Bilan n°22, août 35, Les problèmes de la situation en France).
  • "Sous le signe du Front populaire, la "démocratie" est parvenue au même résultat que le "fascisme" : l'écrasement du prolétariat français et sa disparition de la scène historique : le prolétariat n'existe plus, momentanément, en tant que classe, en conséquence de profondes défaites mondiales" (Bilan n°29, mars-avril 1936 ; L'écrasement du prolétariat français et ses enseignements internationaux).

Le fascisme parachève la défaite du prolétariat

Comme Bordiga l'avait clairement mis en évidence, la raison d'être du fascisme se situe par rapport à l'ensemble de la société, en lui conférant une forme d'organisation appropriée à la préparation accélérée à la guerre. En ce sens, vis-à-vis du prolétariat, cela se traduit par le "besoin d'un appareil de domination qui ne réprime pas seulement les mouvements de résistance ou de révolte des opprimés, mais d'un appareil qui parvienne à mobiliser les ouvriers pour les entraîner à la guerre" (Bilan N° 10, août 34, Les événements du 30 juin en Allemagne). Face à un prolétariat qui avait démontré autant d'aptitude à la révolution, la bourgeoisie devait effectivement se donner le maximum de moyens pour qu'il ne s'éveille pas à la conscience et ne se relève pas durant la guerre impérialiste, malgré l'état de défaite physique et idéologique dans lequel il se trouvait déjà : "La violence n'eut sa raison d'être qu'après l'avènement des fascistes, non en réponse à une attaque prolétarienne, mais pour la prévenir à jamais" (Bilan n° 16, mars 1935, L'écrasement du prolétariat allemand et l'avènement du fascisme). C'est au fascisme qu'il échut d'assumer cette tâche de parachever la défaite du prolétariat, puisque se trouvant à la tête de l'Etat.


[1] Ainsi que nous l'avons dit en introduction de cette brochure, Bilan se donne comme objectif de tirer les leçons de la première vague révolutionnaire et de son échec, comme condition de la victoire du prochain surgissement prolétarien. Néanmoins, ce n'est pas d'emblée et spontanément que la clarté s'imposa sur les questions essentielles de la période, mais à force de travail de réflexion collective et de confrontation de ces analyses à la réalité. Ainsi, dans ses formulations, Bilan parle encore de l’URSS comme d’un "Etat ouvrier" et des Partis Communistes comme des partis "centristes". Il faudra en effet attendre la seconde guerre mondiale pour que la Gauche italienne assume entièrement l’analyse de la nature capitaliste de l’URSS et des partis staliniens. Cependant, cela n’empêcha pas ces révolutionnaires, dès les années 1930, de dénoncer vigoureusement et sans hésitation les staliniens comme des forces "travaillant à la consolidation du monde capitaliste dans son ensemble", "un élément de la victoire fasciste". Ce retard de Bilan par rapport à la situation s'explique par le fait que lui aussi était encore imprégné de confusions liées à l’énorme attachement des révolutionnaires à cette expérience unique.
Néanmoins, pour Bilan, c'est la Russie qui, plus que l'action du capital dans les autres parties du monde, a joué le rôle décisif dans le triomphe de la contre-révolution : "le rôle de la Russie aura plus fait pour tuer l'idée de révolution prolétarienne, de l'Etat prolétarien, qu'une répression féroce du capitalisme". (Bilan N°17, avril 1935, De la commune de Paris à la Commune russe).

Conscience et organisation: 

Les organisations révolutionnaires depuis la seconde guerre mondiale

Dans cette partie nous nous limiterons aux organisations qui puisent leurs origines dans la Gauche italienne, en laissant volontairement de côté la composante conseilliste de la gauche communiste dans la mesure où son existence militante et ses publications sur le sujet qui nous préoccupe demeurent malgré tout marginales.
Ces organisations appartiennent à deux branches de la Gauche communiste d'Italie : celle issue du PCI qui se forme en Italie en 1943, et celle issue de la Gauche Communiste de France qui n'a pas accepté les bases opportunistes de la formation du PCI. La première branche, qui ne se revendique pas explicitement de Bilan, voire rejette certains de ses apports, donnera naissance, suite à une scission en 1952, d'une part aux différentes organisations bordiguistes et, d'autre part, au PCInt Battaglia Comunista. La seconde branche, la Gauche communiste de France, connue d'avantage sous le nom de sa publication Internationalisme, à partir de la deuxième moitié des années 40 jusqu'au début des années 50, est l'ancêtre du CCI.
Ces deux composantes reprennent à leur compte l'héritage de Bordiga et de Bilan quant à l'analyse du fascisme et de la fausse alternative fascisme / antifascisme. Néanmoins, elles ne feront pas preuve de la même intransigeance politique vis-à-vis de groupements ou éléments qui, tout en ayant participé, à un niveau ou un autre, au "combat antifasciste" durant la seconde guerre mondiale, continueront néanmoins de se revendiquer de la Gauche communiste au sortir de la guerre et participeront même pour certains (Vercesi) à la formation du PCI d'Italie. De plus, ces deux composantes ne parviendront pas, de la même manière, à adapter leur cadre d'analyse à la situation ouverte par 1968. En effet, la perspective étant depuis lors au développement de la lutte de classe, l'arrivée au pouvoir du  fascisme n'est plus à l'ordre du jour tant qu'un tel cours aux affrontements de classe se maintient. C'est donc en ayant en vue une telle perspective et non plus celle de la répétition des années trente que doit s'effectuer la dénonciation du danger fasciste que brandit la bourgeoisie. Mais si, contrairement aux années trente, la bourgeoisie ne peut pas embrigader le prolétariat en vue de la guerre impérialiste, de telles campagnes idéologiques actuelles contre le "danger fasciste" ont néanmoins une fonction antiouvrière destinée à renforcer les mystifications démocratiques.

 

Internationalisme

La vigilance d'Internationalisme dans la défense du patrimoine politique légué par Bilan s'illustre à propos du "cas Vercesi". Malgré des théorisations erronées sur la nature de la guerre impérialistes[1] ce militant avait jusqu'alors dénoncé avec fermeté l'antifascisme comme instrument de l'embrigadement du prolétariat dans la guerre impérialiste. Or, pendant la guerre elle-même, il participe au Comité Antifasciste de Bruxelles, sans en référer le moins du monde à la Fraction italienne à laquelle il continue d'adhérer. Après en avoir été avertie, celle-ci l'exclut de ses rangs, le 20 janvier 1945. L'affaire ne vaudrait pas qu'on aille au-delà de déplorer la trahison si Vercesi n'avait participé après la guerre à la formation du PCI et tenté de justifier politiquement son engagement simultané dans le camp du prolétariat et dans celui de la bourgeoisie. La justification en question est en fait une remise en cause des fondements de la position internationaliste de Bilan. A celle-ci le numéro quatre d'Internationalisme, de juin 1945, oppose une cinglante dénonciation dont nous rapportons le passage suivant : "Le trotskisme se réclamera de la IIIe internationale dans le passé, pour adhérer dans le présent au parti socialiste et à la IIè internationale. Le stalinien se réclamera de la position de Lénine contre la guerre dans le passé, pour faire joyeusement la guerre aujourd'hui. L'anarchiste fera appel à Bakounine dénonçant l'oppression de l'Etat, tout en justifiant la participation dans l'Etat capitaliste espagnol et dans la répression antiouvrière en 1936. Vercesi, lui, ne manquera pas à la règle et il "confirmera" la position contre l'antifascisme d'hier pour justifier l'antifascisme d'aujourd'hui. Ecoutons-le : "je confirme donc que nous avons eu raison d'afficher que la tactique indirecte s'exprimant au travers de la formule antifasciste conduisait à la rupture principielle : c'est ce qui est arrivé avec la guerre. Aujourd'hui nous avons encore une fois raison quand en face de l'Etat capitaliste qui est dans l'incapacité de liquider le fascisme et les fascistes, nous exaltons l'opposition violente du prolétariat au fascisme et aux fascistes, et favorisons le heurt entre le prolétariat et l'Etat capitaliste". Pour que la somme de ces mots ne fasse pas oublier au lecteur le fond du débat soulignons qu'il ne s'agit pas d'exalter ou non l'opposition violente du prolétariat au fascisme. Hier comme aujourd'hui, toujours, nous devons et avons exalté l'opposition du prolétariat au fascisme. Le problème est de quelle façon, par quelle méthode, sur quelle base se fait cette exaltation. Est-ce par la lutte de classe, du  point de vue de classe, et sur le terrain indépendant de classe, indépendamment de toutes les formations et organisations politiques du capitalisme, ou est-ce en collaboration avec des groupements qui se sont liés au fascisme par le lien de classe. C'est-à-dire au travers des comités antifascistes groupant ceux-là même qui ont fait le lit au fascisme ? C'est là et uniquement là-dessus que porte le débat, et les mots sur l'exaltation... ne font qu'embrouiller la question " (Internationalisme n° 4, Le néo-antifascisme ; juin 1945)

Si Internationalisme ne participe pas spécifiquement à enrichir les analyses de Bilan sur la question du fascisme et de l'antifascisme, il contribue cependant grandement à renforcer les fondements de ces analyses grâce à des apports théoriques qu'il effectue sur la question du capitalisme d'Etat. Ces apports, qui permettent un renforcement des fondements de l'analyse de la nature capitaliste de la Russie, mettent en particulier en lumière que "Il est un fait indéniable, c'est qu'il existe une tendance qui va vers la limitation de la propriété privée des moyens de production, et qu'elle s'accentue chaque jour dans tous les pays. Cette tendance se concrétise dans la formation d'un capitalisme étatique, gérant les branches principales de la production et la vie économique du pays. Le capitalisme d'Etat n'est pas l'apanage d'une fraction de la bourgeoisie ou bien d'une école particulière. Nous le voyons s'instaurer aussi bien en Amérique démocratique que dans l'Allemagne hitlérienne, dans l'Angleterre "travailliste" que dans la Russie "soviétique"." (Internationalisme n° 10, l'Expérience russe).

L'analyse du capitalisme d'Etat est inséparable de celle de la décadence du capitalisme qui en constitue le cadre historique. En ce sens, Internationalisme et après lui le CCI, par leurs approfondissements sur la question, ont également contribué à renforcer les fondements de l'analyse du fascisme développée par la Gauche italienne.

Le bordiguisme

Grâce au cadre programmatique hérité de la gauche italienne, le PCI pourra produire en 1960 dans le n° 11 de la revue Programme Communiste l'important article Auschwitz ou le grand alibi, republié depuis lors sous forme de brochure. Cet article constitue une brillante application du Marxisme à l'analyse de l'holocauste durant la seconde guerre mondiale et une dénonciation de l'exploitation idéologique des camps de la mort par la démocratie et les vainqueurs de la seconde guerre mondiale. Ce n'est pas par hasard si, au plus fort moment des récentes campagnes démocratiques et antifascistes[2], cet article a cristallisé les attaques de la part de la bourgeoisie, confiant à ses fractions démocrates et d'extrême gauche le soin de la déconsidérer au moyen de la calomnie et du mensonge. En effet, il dénonce "l'hypocrisie de la bourgeoisie qui voudrait faire croire que ce sont le racisme et l'antisémitisme qui sont en eux-mêmes responsables des souffrances et des massacres et en particulier qui ont provoqué la mort de six millions de juifs lors de la deuxième guerre mondiale" ; il "met à nu les racines réelles de l'extermination des juifs, racines qu'il ne faut pas chercher dans le domaine des "idées", mais dans le fonctionnement de l'économie capitaliste et les antagonismes sociaux qu'il engendre" ; il "montre aussi que si l'Etat allemand a été le bourreau des juifs, tous les Etats bourgeois sont co-responsables de leur mort, sur laquelle ils versent maintenant des larmes de crocodile"[3].

Pour éclairant que soit cet article et bien qu'en général les analyses du PCI sur la question du fascisme et de l'antifascisme soient justes, ces dernières présentent néanmoins certaines faiblesses que nous voulons ici signaler. Les passages suivants extraits d'un tract du PCI (intitulé Auschwitz ou le grand alibi : ce que nous nions et ce que nous affirmons), en défense de sa brochure contre les attaques de la bourgeoisie, l'illustrent clairement :

  • "8) Nous nions qu’on puisse lutter contre le fascisme en réclamant le maintien d’une démocratie idéalisée, comme nous nions qu’on puisse lutter contre les monopoles en prônant la libre concurrence. Nous affirmons qu’une lutte véritable contre le fascisme exige qu’on se place sur le terrain d’une lutte véritable contre le capitalisme. Nous affirmons même que la propagande antifasciste ne peut se faire que sur la base d’une sérieuse propagande anticapitaliste.
  • 9) Nous nions que des fractions si-gnificatives de la bourgeoisie puissent lutter effectivement contre le fascisme. Nous affirmons que, si la situation le demande, les centres déterminants du grand capital se rallient au fascisme, entraînant une large majorité de bourgeois et de petits-bourgeois.
  • 10) Nous nions que les larges fronts antifascistes puissent s’opposer sérieusement à la montée fasciste. Nous affirmons qu’ils empêchent en réalité une lutte antifasciste efficace : l’histoire et la théorie - comme la po-lémique actuelle ! - montrent que, sous prétexte de maintenir l’unité et de ne pas faire éclater le "front", on y in-terdit aux éléments les plus radicaux de revendiquer et de mener, ne serait-ce que dans la propagande, une lutte anticapitaliste conséquente."

Malgré toutes les restrictions qu'ils donnent à une lutte contre le fascisme, d'un point de vue de classe, ces passages laissent la porte ouverte à la possibilité et la nécessité d'une telle lutte, ce qui va de pair avec l'idée que le fascisme aujourd'hui pourrait représenter un danger contre la classe ouvrière. Ainsi, et tout à fait sans s'en rendre compte, le PCI participe à donner une certaines crédibilité aux campagnes de la bourgeoisie qui agitent la menace fasciste. Comme nous l'avons montré, non seulement il n'y a pas aujourd'hui de danger fasciste, mais surtout la principale menace contre la classe ouvrière c'est qu'elle se laisse prendre aux campagnes démocratiques. Lorsque celles-ci, animées par la gauche et l'extrême-gauche du capital, désignent l'extrême-droite comme un danger mortel pour la classe ouvrière, c'est justement pour dissimuler la vraie nature de la démocratie. C'est ouvertement que la droite et l'extrême-droite sont anti-ouvrières. C'est de façon beaucoup plus masquée et donc efficace que le sont la gauche et l'extrême-gauche. Ce qui les rend particulièrement dangereuses pour la classe ouvrière. Les PS et PC ont déjà été les bourreaux du prolétariat, ils le seront à nouveau, de même que l'extrême-gauche, si les circonstances le permettent.

Ces faiblesses de l'intervention du PCI ne résultent pas d'une analyse théorique imparfaite mais bien d'une tendance à calquer des mots d'ordre utilisés par la gauche en Italie lorsqu'elle était confrontée au fascisme au pouvoir au début des années 20. Dans ce contexte, différent de celui d'aujourd'hui, ces mots d'ordre de lutte contre le fascisme avaient une autre signification puisqu'ils étaient destinés à mobiliser contre le parti au pouvoir, en charge de la gestion de l'Etat capitaliste, et donc par extension contre le pouvoir lui-même et l'ordre capitaliste comme un tout.



[1] A la veille de la guerre, en 1937, il participe de désarmer politiquement la fraction par sa théorie selon laquelle la guerre mondiale n'était plus à l'ordre du jour de l'histoire, les guerres localisées remplissant la fonction d'en différer l'échéance. De plus, selon cette même théorie, la fonction des guerres n'est plus le repartage du marché mondial, mais le massacre du prolétariat.

[2] Extraits de la présentation de la republication de l'article en question sous forme de brochure, supplément au journal Le Prolétaire du Parti Communiste International (Programme communiste)

[3] Cf. intra notre article Campagnes anti-négationnistes : une attaque contre la Gauche communiste.

Courants politiques: 

Fascisme, démocratie, communisme (Bilan 13, décembre 1934)

La question centrale qui se pose à l’heure actuelle, devant le mouvement ouvrier, est celle de son attitude envers la démocratie ou, pour préciser, la nécessité de prendre ou non la défense des institutions démocratiques que le fascisme menace en même temps qu’il procède à la destruction des organisations prolétariennes. Pour cette question — comme pour d’autres d’ailleurs — la solution la plus simple n’est pas la plus claire, celle-ci ne correspondant nullement à la réalité de la lutte des classes. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, à première vue, le mouvement ouvrier ne parviendra à préserver réellement ses organismes de l’assaut de la réaction, qu’à la seule condition de maintenir intactes ses positions de lutte, de ne pas les relier au sort de la démocratie et de livrer la bataille contre l’attaque fasciste en même temps qu’il poursuit sa lutte contre l’Etat démocratique. En effet, une fois établie la jonction entre le mouvement ouvrier et les institutions démocratiques, la condition politique se trouve être réalisée pour le désastre certain de la classe ouvrière, car l’Etat démocratique trouve, dans l’apport des masses ouvrières, non pas une possibilité de vie ou de persistance, mais la condition nécessaire pour se transformer en un régime d’autorité, ou le signal de sa disparition afin de céder sa place à la nouvelle organisation fasciste.

Si l’on considère la situation actuelle, en dehors de sa connexion avec les situations qui l’ont précédée et qui lui succéderont, si l’on considère la position actuelle des partis politiques sans les relier au rôle qu’ils ont eu dans le passé et à celui qu’ils tiendront dans l’avenir, on déplace les circonstances immédiates et les forces politiques actuelles du milieu historique général, ce qui permet facilement de présenter ainsi la réalité : le fascisme passe à l’attaque, le prolétariat a tout intérêt à défendre ses libertés, et de cela résulte la nécessité pour lui d’établir un front de défense des institutions démocratiques menacées. Maquillée d’une teinte révolutionnaire cette position est présentée sous le vernis d’une prétendue stratégie révolutionnaire se piquant au surplus d’être essentiellement "marxiste". Le problème sera, dès lors, introduit de cette manière : une incompatibilité se manifeste entre la bourgeoisie et la démocratie, par conséquent l’intérêt du prolétariat à défendre les libertés que lui accorde cette dernière se greffe naturellement sur ses intérêts spécifiquement révolutionnaires et la lutte pour la défense des institutions démocratiques devient ainsi une lutte anticapitaliste !

A la base de ces propositions il existe une confusion évidente entre démocratie, institutions démocratiques, libertés démocratiques et positions ouvrières que l’on nomme erronément "libertés ouvrières". Au point de vue théorique, aussi bien qu’au point de vue historique nous constaterons qu’entre démocratie et positions ouvrières il existe une opposition irréductible et inconciliable. Le mouvement idéologique qui a accompagné l’ascension et la victoire du capitalisme se place et s’exprime, au point de vue économique et politique, sur une base de dissolution des intérêts et des revendications particulières des individualités, des groupements et surtout des classes, au sein de la société. Ici l’égalité des composants deviendrait possible justement parce que les individus confient leur sort et le soin de le défendre, aux organismes étatiques représentant les intérêts de la collectivité. Il n’est pas inutile de noter que la théorie libérale et démocratique suppose la dissolution de groupements, de catégories données de "citoyens" lesquels auraient tout intérêt à faire spontanément cession d’une partie de leur liberté pour recevoir en compensation la sauvegarde de leur position économique et sociale. Cette cession se ferait à l’avantage d’un organisme capable de régulariser et de diriger l’ensemble de la collectivité. Et si les Constitutions bourgeoises proclament le "droit de l’homme" et contiennent également l’affirmation de la "liberté de réunion et de presse", elles ne reconnaissent nullement les groupements de catégorie ou de classe. Ces "droits" sont exclusivement considérés comme des attributions accordées à "l’homme", au "citoyen" ou au "peuple" qui devront s’en servir pour permettre l’accès des individualités aux organes de l’Etat ou du gouvernement. La condition nécessaire pour le fonctionnement du régime démocratique réside donc, non dans la reconnaissance des groupes, des intérêts ou des droits de ces derniers, mais dans la fondation de l’organe indispensable pour guider la collectivité qui doit transmettre à l’Etat la défense des intérêts de chaque unité qui la constitue.

La démocratie n’est donc possible qu’à la condition de pouvoir interdire aux "citoyens" le recours à d’autres organismes en dehors de ceux régis et sous le contrôle de l’Etat. On pourrait objecter que les libertés de réunion, de presse et d’organisation perdent toute leur signification du moment qu’il devient impossible de faire triompher, au travers d’elles, une revendication donnée. Mais nous entrons ici dans le domaine de la critique marxiste qui démontre l’oppression de classe se cachant en réalité sous le masque démocratique et libéral et qui a fait si justement dire à Marx que le synonyme de "Liberté, Egalité, Fraternité" était représenté par "Infanterie, Cavalerie, Artillerie". Par contre actuellement on ne s’attache plus à prouver l’inconsistance de la base prétendument égalitaire de la démocratie, mais on prend la défense de cette dernière et on s’attache à démontrer qu’elle permettrait l’épanouissement des organismes ouvriers. Or, ainsi que nous l’avons expliqué, la condition de vie du régime démocratique consiste justement dans l’interdiction du pouvoir des groupements particuliers, au nom de l’intérêt des individualités aussi bien que de la société. La fondation d’une organisation de la classe ouvrière porte directement atteinte à la théorie de la démocratie et, à ce sujet, il est caractéristique de constater, que dans la période actuelle de dégénérescence de la pensée marxiste, le croisement des deux internationales (celle des traîtres et celle des futurs traîtres) se fait précisément sur la base de la défense de la démocratie d’où découlerait la possibilité d’existence et même de développement des organismes prolétariens.

Au point de vue historique l’opposition entre "démocratie" et organismes ouvriers se manifeste d’une façon sanglante.

Le capitalisme anglais se fonde au XVIIe siècle, mais c’est seulement beaucoup plus tard que le mouvement chartiste arrache de haute lutte le droit d’organisation de la classe ouvrière. Dans tous les pays les ouvriers obtiendront cette conquête uniquement au travers de puissants mouvements qui furent toujours l’objet de la répression sanglante des Etats démocratiques. Il est parfaitement exact qu’avant la guerre et, plus précisément, jusqu’aux premières années de notre siècle, les mouvements de masses destinés à fonder les organismes indépendants de la classe ouvrière, étaient dirigés par les partis socialistes, vers la conquête de droits permettant aux ouvriers d’accéder aux fonctions gouvernementales ou étatiques. Cette question fut, certes, la plus débattue au sein du mouvement ouvrier ; son expression la plus achevée se trouve surtout dans la théorie réformiste qui, sous le drapeau de la pénétration graduelle du prolétariat au sein de la forteresse de l’ennemi, a permis en réalité à ce dernier —et 1914 représente la clôture de ce bilan de révision marxiste et de trahison— de corrompre et de soumettre à ses propres intérêts, l’ensemble de la classe ouvrière.

Dans la lutte contre ce que l’on appelle communément le "bordiguisme" on formule souvent, pour les besoins de la polémique (qui sont généralement les besoins de la brouille et de la confusion), que tel ou tel mouvement a eu pour objectif la conquête du suffrage universel, ou bien encore telle ou telle revendication démocratique. Cette façon d’interpréter l’histoire ressemble fort à celle qui consiste à expliquer les événements non pas en déterminant leur cause en fonction des classes antagonistes et des intérêts spécifiques qui les opposent réellement, mais en se basant simplement sur les inscriptions fixées sur les drapeaux flottants au-dessus des masses en mouvement. Cette interprétation qui n’a d’ailleurs qu’une valeur purement acrobatique où peuvent se complaire les fanfarons peuplant le mouvement ouvrier s’évanouit immédiatement si l’on place le problème sur ses vrais fondements. On ne peut, en effet, comprendre les mouvements ouvriers que sur la ligne de leur ascension vers la délivrance du prolétariat. Si, au contraire, on les place sur la voie opposée qui conduirait les ouvriers à conquérir le droit d’accéder à des fonctions gouvernementales ou étatiques, on se place directement sur le chemin qui a déjà conduit à la trahison de la classe ouvrière.

De toute façon les mouvements qui avaient pour objectif la conquête du droit de vote, pouvaient réaliser cette revendication et d’une façon durable, parce qu’en définitive, loin d’ébranler le système démocratique, ils ne faisaient qu’introduire dans ses rouages le mouvement ouvrier lui-même. Les misérables exploits des ouvriers parvenus aux postes gouvernementaux sont connus de tous : les Ebert, les Scheideman, les Handerson, etc., ont lumineusement prouvé ce qu’est le mécanisme démocratique et les capacités qu’il détient en vue de déchaîner les plus impitoyables répressions contre-révolutionnaires. Il en est tout autrement pour ce qui concerne les positions de classe conquises par les ouvriers. Ici aucune compatibilité n’est possible avec l’Etat démocratique ; au contraire, l’opposition inconciliable qu’exprime l’antagonisme des classes s’accentue, s’aiguise et s’amplifie, et la victoire ouvrière sera conjurée grâce à la politique des dirigeants contre-révolutionnaires.

Ces derniers dénaturent l’effort fait par des ouvriers pour se créer des organismes de classe, lesquels ne peuvent être que le fruit d’une lutte sans merci contre l’Etat démocratique. Le succès prolétarien n’étant possible que dans cette direction, les masses ouvrières lorsqu’elles sont gagnées par la politique des dirigeants opportunistes seront enfin charriées dans le marais démocratique. Ici elles se déplaceront comme un simple pion dans le mécanisme qui deviendra d’autant plus démocratique qu’il parviendra à émousser toutes les formations de classe représentant un obstacle à son fonctionnement.

L’Etat démocratique qui actionne ce mécanisme n’arrivera à le faire fonctionner d’une façon "égalitaire" qu’à la seule condition d’avoir devant lui, non pas des catégories économiques antagonistes, groupées dans des organismes distincts, mais des "citoyens" égaux (!) entre eux et qui se reconnaissent une position sociale similaire pour franchir ensemble les multiples chemins accédant à l’exercice du pouvoir démocratique.

Il n’entre pas dans le cadre de cet article de faire la critique du principe démocratique afin de prouver que l’égalité électorale n’est qu’une fiction qui voile les abîmes séparant les classes dans la société bourgeoise. Ce qui nous intéresse ici c’est de pouvoir mettre en évidence qu’entre le système démocratique et les positions ouvrières il existe une opposition irréductible. Chaque fois que les ouvriers sont parvenus à imposer —au prix de luttes héroïques et du sacrifice de leurs vies— une revendication de classe au capitalisme, ils ont par contre coup frappé dangereusement la démocratie, dont le capitalisme seul peut se revendiquer. Le prolétariat trouve au contraire la raison de sa mission historique dans la proclamation du mensonge du principe démocratique, dans sa nature même et dans la nécessité de supprimer les différences de classe et les classes elles-mêmes. Au bout du chemin que parcourt le prolétariat au travers de la lutte de classe, ne se trouve pas le régime de la démocratie pure, car le principe sur lequel se basera la société communiste est celui de l’inexistence d’un pouvoir étatique dirigeant la société, alors que la démocratie s’en inspire absolument et que, dans son expression la plus libérale, elle s’efforce toujours de lancer l’ostracisme contre les exploités qui osent défendre leurs intérêts à l’aide de leurs organisations au lieu de rester soumis aux institutions démocratiques créées à la seule fin de maintenir l’exploitation de classe.

 Après avoir situé le problème de la démocratie dans son cadre normal — et nous ne voyons vraiment pas comment il serait possible pour des marxistes de le situer autrement — il devient possible de comprendre les événements d’Italie, d’Allemagne, de même que les situations connues actuellement par le prolétariat dans les différents pays et plus particulièrement en France. A première vue, le dilemme sur lequel se placent ces événements consiste dans l’opposition "fascisme-démocratie", ou, pour employer une formule courante, "fascisme-antifascisme".

Les stratèges "marxistes" diront, par surcroît, que l’antithèse reste toujours celle des deux classes fondamentalement opposées, mais que le prolétariat a tout avantage à saisir la chance qui lui est offerte et à se présenter comme le pivot de la défense de la démocratie et de la lutte antifasciste. Nous avons déjà mis en évidence la confusion entre démocratie et positions ouvrières qui est à la base de cette politique. Il nous reste maintenant à expliquer pourquoi le front de défense de la démocratie, en Italie — tout comme en Allemagne — n’a représenté, en fin de compte, qu’une condition nécessaire à la victoire du fascisme. Car ce qu’on appelle improprement "coup d’Etat fasciste" n’est, en définitive, qu’un passage de pouvoir plus ou moins pacifique du gouvernement démocratique, au nouveau gouvernement fasciste. En Italie, c’est un gouvernement où se trouvent les représentants de l’antifascisme démocratique qui cède le pas à un ministère dirigé par les fascistes lequel aura une majorité assurée dans ce parlement antifasciste et démocratique, où cependant les fascistes n’avaient qu’un groupe parlementaire d’une quarantaine de représentants sur 500 députés. En Allemagne, c’est l’antifasciste Von Schleicher qui cède le pas à Hitler appelé d’ailleurs par l’autre antifasciste Hindenburg, l’élu des forces démocratiques et social-démocratique. En Italie et en Allemagne, à l’époque de la conversion de la société capitaliste vers le fascisme, la démocratie ne se retire pas immédiatement de la scène politique, mais elle garde une position politique de premier ordre ; elle reste, en effet, au gouvernement afin d’y représenter non pas un centre de ralliement pour briser le cours des situations qui déboucheront dans la victoire fasciste, mais pour permettre le succès de Mussolini et de Hitler. En Italie, au surplus, après la marche sur Rome, et durant plusieurs mois, encore, un gouvernement de coalition se formera où les fascistes siégeront en collaboration avec les démocrates-chrétiens et Mussolini ne renoncera même pas à l’idée d’avoir des représentants de la social-démocratie dirigeant les organisations syndicales.

Les événement actuels en France, où il n’est pas certain que la perspective fasciste représente la seule issue capitaliste aux situations, et où le "Pacte d’action" entre socialistes et centristes a fait, de la classe ouvrière, le pivot de la défense de la démocratie, finiront par éclaircir la controverse théorique qui oppose notre fraction aux autres organisations se réclamant de la classe ouvrière. Car la condition nécessaire à la défaite du fascisme et qui consisterait dans le rassemblement des partis agissant au sein de la classe ouvrière en un front unique arborant le drapeau de la défense de la démocratie, cette condition qui n’existait pas, ni en Italie, ni en Allemagne, se trouve être pleinement remplie en France. Or, à notre avis, le fait que le prolétariat français ait été conduit en dehors de son chemin de classe et aiguillonné, comme il l’est, par centristes et socialistes, dans la voie qui l’immobilise aujourd’hui et le livrera demain au capitalisme, laisse prévoir la victoire certaine de l’ennemi dans la double perspective d’être obligé de recourir au fascisme ou bien à une transformation de l’Etat actuel en un Etat où le gouvernement absorbera graduellement les fonctions législatives essentielles et où les organisations ouvrières devront céder leur indépendance et admettre le contrôle étatique en échange de leur "élévation" au rang d’institutions consultatives collatérales au gouvernement.

Lorsque l’on dit que la situation actuelle ne permet plus au capitalisme de maintenir une forme d’organisation sociale analogue ou identique à celle existant dans la période historique ascendante de la bourgeoisie, on ne fait que constater une vérité évidente et indiscutable. Mais il s’agit aussi d’une constatation de fait qui n’est pas particulière à la question de la démocratie, mais qui est générale et qui s’applique tout aussi bien à la situation économique qu’à toutes les autres manifestations sociales, politiques, culturelles, etc. Cela revient à dire qu’aujourd’hui n’est pas hier, qu’il y a actuellement des phénomènes sociaux qui ne se présentaient nullement dans le passé. Mais cette affirmation banale ne devrait même pas être relevée si elle ne comptait pas ces conclusions politiques au moins bizarres : on ne reconnaît plus la classe d’après le mode de production qu’elle institue, mais d’après la forme de l’organisation sociale et politique dont elle use. Le capitalisme est une classe démocratique s’opposant donc nécessairement au fascisme qui serait la résurrection des oligarchies féodales. Ou bien le capitalisme n’est plus le capitalisme du moment qu’il n’est plus démocratique et le problème consiste à tuer le démon fasciste avec l’aide du capitalisme lui-même. Ou bien encore, puisque le capitalisme a intérêt, dans la situation actuelle, à abandonner la démocratie, il n’y a qu’à le mettre au pied du mur, en reprenant les textes de la Constitution et des lois, et l’on parviendrait ainsi à briser la conversion du capitalisme vers le fascisme, et à ouvrir la voie qui mène à la victoire prolétarienne.

Enfin, l’attaque fasciste nous obligerait provisoirement à mettre en quarantaine notre programme révolutionnaire, pour passer à la défense des institutions démocratiques menacées, quitte à reprendre par après la lutte intégrale contre cette même démocratie qui nous aurait permis, grâce à cette interruption, d’attraper le capitalisme au piège. Une fois le danger écarté, la démocratie pourrait être crucifiée à nouveau.

La simple énonciation des conclusions politiques découlant de la constatation de la différence entre deux époques capitalistes — l’ascendante et la déclinante— permet de voir l’état de décomposition et de corruption des partis et des groupements se réclamant du prolétariat, dans la période actuelle.

Les deux périodes historiques considérées séparément peuvent différer et diffèrent réellement, mais, pour arriver à la conclusion qu’une incompatibilité existe entre le capitalisme et la démocratie ou entre le capitalisme et le fascisme, il faudrait considérer démocratie et fascisme non plus comme des formes de l’organisation de la société, mais comme des classes, ou bien il faudrait admettre que désormais, la théorie de la lutte des classes a cessé d’être valable, et que nous assistons à une bataille que livrerait la démocratie contre le capitalisme, ou le fascisme contre le prolétariat. Mais les événements d’Italie et d’Allemagne sont là pour nous prouver que le fascisme n’est que l’instrument de répression sanglante contre le prolétariat et au service du capitalisme qui voit Mussolini proclamer la sainteté de la propriété privée sur les décombres des institutions de classe que les ouvriers avaient fondé pour mener leur lutte contre l’appropriation bourgeoise des produits du travail.

Mais la théorie de la lutte des classes se vérifie une nouvelle fois dans les cruelles expériences d’Italie et d’Allemagne. L’apparition du mouvement fasciste ne modifie nullement l’antithèse capitalisme-prolétariat en la remplaçant soit par : capitalisme-démocratie, soit par fascisme-prolétariat. Il arrive un moment dans l’évolution du capitalisme déclinant où ce dernier est forcé d’emprunter un autre chemin que celui qu’il avait parcouru dans sa phase ascensionnelle. Avant, il pouvait combattre son ennemi mortel, le prolétariat, en lui faisant miroiter la perspective d’une amélioration progressive de son sort jusqu’à atteindre sa libération et, à cette fin, il ouvrait les portes des institutions démocratiques en acceptant ceux qui gardaient le nom de représentants ouvriers, mais qui devenaient des agents bourgeois dans la mesure même où ils parvenaient à enchaîner les organismes ouvriers dans les rouages de l’Etat démocratique. Aujourd’hui —après la guerre de 1914 et la révolution russe— le problème, pour le capitalisme, est de disperser par la violence et la répression tout foyer prolétarien pouvant se relier avec le mouvement des classes. Au fond, l’explication de la différence entre l’attitude du prolétariat italien et allemand en face de l’attaque fasciste, de la résistance héroïque du premier pour défendre la dernière brique des institutions ouvrières et de l’effondrement du second au lendemain de la formation du gouvernement Hitler-Papen-Hugenberg, dépend uniquement du fait qu’en Italie le prolétariat fondait — par le canal de notre courant — l’organisme pouvant le conduire à la victoire, alors qu’en Allemagne le parti communiste, après avoir été faussé dans ses bases à Halle, par la fusion avec les indépendants de gauche, traversa la défaite de 1923 et, au cours des différentes convulsions de la gauche et l’extrême-gauche qu’il a vécu, une série d’étapes marquant chaque fois un pas en avant dans la corruption et la décomposition du parti du prolétariat allemand qui avait écrit des pages de gloire et d’héroïsme en 1919 et 1920 !

Même si le capitalisme passe à l’offensive contre les positions démocratiques et les organisations qui s’en réclament, même s’il assassine les personnalités politiques appartenant à des partis démocratiques, de l’armée ou du parti nazi lui-même (comme le 30 juin en Allemagne), cela ne signifie pas qu’il doit y avoir autant d’antithèses qu’il y aura d’oppositions fascisme-armée, fascisme-christianisme, fascisme-démocratie. Ces faits prouveront seulement la complication extrême de la situation actuelle, son caractère spasmodique et n’entament nullement la théorie de la lutte de classe. La doctrine marxiste ne présente pas le duel prolétariat-bourgeoisie, dans la société capitaliste, comme un contraste mécanique, à tel point que toute manifestation sociale pourrait et devrait être rattachée à l’un ou l’autre terme du dilemme. Au contraire, l’essence même de la doctrine marxiste consiste dans l’établissement, à la suite de l’analyse scientifique, de deux ordres de contradictions, de contrastes et d’antagonismes, au point de vue économique, aussi bien que politique et social. En dehors de l’antithèse bourgeoisie-prolétariat seul centre moteur de l’histoire actuelle, Marx a mis en évidence la base et le cours contradictoire du capitalisme lui-même, à tel point que l’harmonie de la société capitaliste ne s’établit nullement, même après que le prolétariat a cessé d’exister (comme c’est le cas dans la situation actuelle à la suite de l’action du centrisme et des trahisons social-démocrates) en tant que classe agissant pour l’ébranlement de l’ordre capitaliste et la fondation de la nouvelle société. Actuellement, le capitalisme peut bien avoir amputé provisoirement la société de sa seule force progressive, le prolétariat, mais tant sur le terrain économique que politique, les bases contradictoires de son régime ne cessent pas de déterminer l’opposition inconciliable des monopoles, des Etats, des forces politiques agissant dans l’intérêt de la conservation de sa société, en particulier le contraste entre fascisme et démocratie.

Au fond, l’alternative guerre-révolution signifie qu’une fois écartée, l’issue des situations actuelles vers la fondation de la nouvelle société, il n’apparaîtra point une ère de tranquillité sociale, mais la société capitaliste toute entière (y compris les ouvriers) roulera vers la catastrophe jaillissant des contradictions inhérentes à cette société.

Le problème à résoudre n’est pas d’attribuer autant d’attitudes politiques au prolétariat qu’il y aura d’oppositions, dans les situations, en le reliant à tel monopole, à tel Etat, à telle force politique contre ceux qui s’y opposent, mais de garder l’indépendance organique du prolétariat en lutte contre toutes les expressions économiques et politiques du monde de l’ennemi de classe.

La conversion de la société capitaliste vers le fascisme, l’opposition et le contraste même entre les facteurs des deux régimes, ne doivent donc nullement altérer la physionomie spécifique du prolétariat. Ainsi que nous l’avons remarqué à plusieurs reprises, les fondements programmatiques prolétariens doivent devenir aujourd’hui les mêmes que Lénine mit en lumière, par son travail de fraction, avant la guerre et contre les opportunistes des différentes teintes. En face de l’Etat démocratique, la classe ouvrière doit garder une position de lutte pour sa destruction et non y pénétrer afin de conquérir des positions permettant de construire graduellement la société socialiste : les révisionnistes qui défendirent cette position ont fait du prolétariat la victime des contradictions du monde capitaliste, de la chair à canon en 1914. Aujourd’hui que les situations obligent le capitalisme à procéder à une transformation organique de son pouvoir, de l’Etat, le problème reste le même, c’est-à-dire celui de la destruction et de l’introduction du prolétariat au sein de l’Etat ennemi pour en sauvegarder les institutions démocratiques, ce qui met la classe ouvrière à la merci du capitalisme et, là où ce dernier ne doit pas recourir au fascisme, en fait à nouveau la proie des contrastes inter-impérialistes et de la nouvelle guerre.

Le dilemme marxiste, capitalisme-prolétariat ne signifie pas qu’à chaque situation, les communistes doivent poser le problème de la révolution mais signifie que, dans toutes les circonstances le prolétariat doit se regrouper autour de ses positions de classe. Il pourra poser le problème de l’insurrection quand les conditions historiques existeront pour la bataille révolutionnaire, et dans les autres situations il sera obligé de soulever un programme de revendications plus limité, mais toujours de classe. La question du pouvoir se pose uniquement sous sa forme intégrale et à défaut de prémices historiques nécessaires pour le déclenchement de l’insurrection, cette question ne se pose pas. Les mots d’ordre à soulever alors se rapporteront aux revendications élémentaires concernant les conditions de vie des ouvriers, au point de vue de la défense des salaires, des institutions prolétariennes et des positions conquises (droit d’organisation, de presse, de réunion, de manifestation, etc..).

L’attaque fasciste trouve sa raison d’être en une situation économique qui balaye toute possible équivoque, et où le capitalisme doit passer à l’anéantissement de toute organisation ouvrière. A ce moment la défense des revendications de la classe ouvrière, menace directement le régime capitaliste et le déclenchement des grèves défensives ne peut se situer que sur le cours de la révolution communiste. Dans cette situation —ainsi que nous l’avons déjà dit— les partis et les formations démocratiques et social-démocratiques, gardent une fonction de tout premier ordre, mais à l’avantage du capitalisme et contre le prolétariat, dans la ligne qui débouche dans la victoire fasciste et non dans la ligne menant à la défense ou au triomphe du prolétariat. Ce dernier sera mobilisé pour la défense de la démocratie afin qu’il ne lutte pas pour ses revendications partielles. Les social-démocrates allemands appellent les ouvriers à abandonner la défense de leurs intérêts de classe pour ne pas menacer le gouvernement du moindre mal de Brüning ; Bauer en fera de même pour Dollfuss entre mars 1933 et février 1934 ; le "Pacte d’action" entre socialistes et centristes en France se réalise parce qu’il contient (clause préjudicielle Zyromski) la lutte pour les libertés démocratiques à l’exclusion des grèves revendicatives...

Trotsky écrira dans ses documents sur l’Allemagne tout un chapitre pour démontrer que la grève générale n’est plus l’arme permettant la défense de la classe ouvrière.

La lutte pour la démocratie représente donc un puissant diversif pour arracher les ouvriers de leur terrain de classe et les entraîner dans les voltiges contradictoires où l’Etat opère sa métamorphose de démocratie en Etat fasciste. Le dilemme fascisme-antifascisme agit donc dans l’intérêt exclusif de l’ennemi ; et l’antifascisme, la démocratie chloroformisent les ouvriers pour les laisser ensuite poignarder par les fascistes, étourdissent les prolétaires afin qu’ils ne voient plus le champ et la voie de leur classe. Ce sont ces positions centrales qu’ont marqué de leur sang les prolétaires d’Italie et d’Allemagne. C’est parce que les ouvriers des autres pays ne s’inspirent pas de ces vérités politiques que le capitalisme mondial peut préparer la guerre mondiale. C’est, inspirée de ces données programmatiques que notre fraction continue sa lutte pour la révolution italienne, pour la révolution internationale.

Conscience et organisation: 

Courants politiques: 

L'expérience fasciste du courant trotskiste dégénérescent

A la veille de la seconde guerre mondiale, le courant trotskiste, dans sa très grande majorité, connaît une accélération de la dérive opportuniste qui le marque déjà depuis plusieurs années. Cela va le mener jusqu’à l’abandon du camp prolétarien quand il lui faudra prendre position face à la guerre impérialiste. Si on excepte les quelques réactions saines qui se sont exprimées en son sein comme celle des RKD (Révolutionare Komunistiche Deutschland) en Allemagne, ce courant a ainsi trahi l’internationalisme prolétarien.

Il n’est pas inutile de savoir que certaines de ses parties se sont, dans un premier temps, orientées vers une politique de soutien au camp fasciste. Ces faits sont généralement peu connus et encore moins claironnés dans la mesure où, par la suite, l’ensemble du mouvement trotskiste s’est engagé dans le soutien au camp des "alliés", ce qui va lui donner l’image de l’antifascisme radical qu’il a depuis et qu’il utilise encore aujourd’hui.

Ce sont ces premiers alignements du trotskisme derrière un camp de la bourgeoisie qu’a dénoncé, dans son numéro 4, le journal Rassemblement Communiste Révolutionnaire (publié par le groupe du même nom, lié aux RKD) dans un texte intitulé "La fin du trotskisme français".

LA FIN DU POI (Parti Ouvrier Internationaliste ; fraction officielle de la IVe Internationale). (...)

"Après la débâcle de l’impérialisme français (1940) une partie du POI, sous la direction du secrétaire politique du SI et du BP du POI, Monsieur ROUS ("avocat de Trotski", homme de confiance de Trotski en Europe dans sa lutte contre Molinier, Vereecken, et surtout contre les "ultra-gauches") rompt avec le marxisme et forme un "Mouvement révolutionnaire de libération nationale" tendance fasciste, germanophile et payé par Vichy.

Rous-le-traître devait toucher pour ce groupement 1 million par Vichy (ministre Beaudoin). (…) Rous n'a jamais été exclu du POI; il l'a quitté en 1940, ensemble avec Rousset, Fred Zeller et d’autres. (…) Actuellement Rous –suivant l'évolution internationale- est plutôt gaullisant. Le POI et le PCI ont renoncé à dénoncer publiquement Rous. Ce qu'ils attendent, qu'ils veulent faire oublier les trahisons et regagner Rous, Zeller et Cie à une époque ultérieure.(…)

Quand la police américaine arrête les responsables du SWP, ce n'est pas comme défaitistes révolutionnaires mais comme patriotes "oppositionnels", quand la police française arrête ou ménage des responsables du POI, c'est en les considérant comme des agents d'une autre puissance capitaliste. Ainsi les procureurs généraux de Lyon et de Marseille accusent les trotskistes français d'être des complices du gaullisme et d'être à la solde de l'Angleterre."
 

LA FIN DU PCI (Parti Communiste International ; tendance trotskiste Molinièriste) – CCI (Comité Communiste Internationaliste).

(...) "La trahison pro-fasciste. [publication des révélations d'un militant du PCI encore dans ses rangs]. Je connais un article, celui de Privas (…) [qui] parlait du fascisme allemand et de la révélation qu'avait été la force allemande en juin 1940 pour les Français jusqu’alors obscurcis par la propagande surtout d’origine juive tendant à présenter le fascisme sous un angle faux ou exagéré.

Il disait que le fascisme était un autre stade du capitalisme, moyen de survie du capitalisme dont il supprimait une des contradictions grâce à son contrôle, grâce à sa direction économique. Il voyait donc une nouvelle période progressive du capitalisme fasciste, période pendant laquelle la révolution devenait une perspective plutôt lointaine. Il nous fallait, puisque la révolution était, immédiatement et pour plusieurs années, impossible, ne pas être coupés de la classe, surtout de la jeunesse, et pour cela entrer dans toutes les organisations pour trouver, former des jeunes, les orienter vers le communisme pour plus tard. Mais pour toutes ces organisations, il fallait faire une différence entre celles purement  fascistes qui elles, par rapport aux autres, étaient progressives. Dans ces organisations fascistes, il fallait bien sûr trouver des jeunes, mais aussi faire un travail pour développer pour renforcer les organisations en question; il fallait pousser les fascistes vers la réalisation de leur programme social; il fallait ; je cite : «être l’aile gauche du fascisme dans les groupes fascistes" ; “être les meilleurs agents du fascisme avec le Manifeste Communiste dans la poche" ; "apprendre à saluer à la romaine, ou sans cela., les BL disparaîtront". (…)

Avec cette position, l'organisation à Paris essayait de convaincre Marseille sans y parvenir. (…) Une fois, dans ces groupes, les responsables descendirent. Privas vint dans un groupe pour dire aux jeunes de rentrer immédiatement et dés le lendemain au RNP."

Courants politiques: 

III - Fascisme, Fronts populaires - La bourgeoisie prépare la Seconde Guerre mondiale

En Italie et en Allemagne le fascisme est l'instrument de la transformation brutale du capital national en vue de la guerre. En France, c'est au Front populaire qu'échoit la tâche d'assumer les préparatifs guerriers et d'embrigader la classe ouvrière, au moyen de l'antifascisme. Le "Frente popular" qui, en Espagne, a la même fonction vis-à-vis du prolétariat, envoie les ouvriers se faire massacrer sur le front de la guerre civile contre le franquisme. Cet affrontement guerrier constituera une répétition générale du futur conflit mondial.
Les textes que nous publions dans cette partie illustrent les différents chemins empruntés par le capitalisme dans ces pays pour sa marche à la guerre.

 

Le fascisme des années 20 en Italie : Le début d'une tendance non encore achevée

L'arrivée du fascisme au pouvoir en Italie, dans les années 20, n'est pas aussi pleinement représentative que le nazisme en Allemagne dans les années 30 du phénomène d'instauration du fascisme. En effet, le cours vers une deuxième guerre mondiale n'est pas encore ouvert au niveau international. De ce fait, la prise en charge sous sa tutelle de toute la société pour sa transformation dans le sens d'un renforcement du capitalisme d'Etat, en y assujettissant toutes les fractions de la bourgeoisie et le prolétariat, y est beaucoup plus progressive qu'en Allemagne. Néanmoins, dès cette époque sont perceptibles en Italie les fonctions essentielles de l'Etat fasciste :

  • maintenir la cohésion de la société mise à mal par les conséquences de la première guerre mondiale ;
  • assumer la solution militaire aux problèmes du capital national, en particulier son besoin de revanche par rapport aux impérialismes rivaux. En effet, appartenant au camp des vainqueurs du premier conflit mondial, l'Italie, contrairement à l'Allemagne, n'a pas à subir les humiliations et les conditions draconiennes sur le plan économique et militaire d'un traité de paix en sa défaveur, soldant sa défaite dans la guerre. Cependant, elle n'a pas reçu sa part du butin impérialiste et demeure à ce moment là privée de toute colonie. Seule l'expansion impérialiste préconisée alors ouvertement par le fascisme est à même de lui faire espérer compenser un tel handicap.

La défaite de la vague révolutionnaire ouvre la porte à des offensives anti-ouvrière

Les années 20-30 sont celles d'une longue série de défaites de la classe ouvrière qui impriment une inversion du cours de la lutte de classe et permettent le développement de la contre-révolution. Ses expressions en sont l'instauration du stalinisme en Russie, la dégénérescence de l'IC et des PC, l'opportunisme croissant de ces derniers les conduisant dans le camp de la bourgeoisie. Cette situation de défaite profonde de la classe ouvrière va permettre à la bourgeoisie d'imposer sa solution face au retour en 29 de la crise du capitalisme : attaques profondes et généralisées des conditions de vie de la classe ouvrière et marche vers la seconde guerre mondiale. Chaque recul des luttes ouvrières est suivi à chaque fois d'une offensive encore plus forte de l'Etat capitaliste. Ouverte brutalement en 29, la crise économique se poursuit, entraînant fermetures d'usines et chômage massif qui touche, selon les pays, de 20 à 30 % de la classe ouvrière.

En Allemagne, l'offensive anti-ouvrière avait commencé bien avant la venue de Hitler au pouvoir. Dés 1929, la police du social démocrate Zörgiebel avait tiré sur la foule ouvrière manifestant pour le premier mai.

En Belgique, en 1932, lors de la grève générale des mineurs, le gouvernement envoie des automitrailleuses et des chars d'assaut pour occuper les carreaux des mines. L'aviation de reconnaissance est utilisée pour localiser immédiatement les concentrations de grévistes et dépêcher les gendarmes. La grève est brisée essentiellement par les syndicats et le POB (Parti Ouvrier Belge).

Dans les pays moins industrialisés, comme l'Autriche, l'Espagne, et ceux d'Europe centrale, l'offensive du patronat et de l'Etat prend une forme plus brutale. En Pologne, s'appuyant sur ses "légionnaires", Pidulsky fait un coup d'Etat en 1926 et supprime le régime parlementaire. En Hongrie,  le régime du général Horty se rapproche de l'Allemagne, avec la montée des milices fascistes des "croix fléchées". En Roumanie, la dictature s'appuie sur des milices fascistes appelées les "gardes de fer". En Autriche, c'est l'armée, appuyée par le parti nazi local, qui écrasa en février 1934 l'insurrection désespérée des ouvriers viennois. La même année le gouvernement républicain espagnol envoyait les troupes de Franco écraser dans le sang la farouche résistance des mineurs asturiens.

Le développement du capitalisme d'Etat

L'année 1933 est celle du New Deal aux Etats Unis et du réarmement allemand. Elle initie une longue série de mesures économiques qui relancent peu ou prou la production par l'instauration d'une économie de guerre dans tous les pays. Cette offensive économique du capitalisme mondial se traduit politiquement par une transformation progressive ou brutale des régimes les plus démocratiques en régimes autoritaires ou dictatoriaux. Le législatif, c'est-à-dire le parlement, perd de son importance, au profit de l'exécutif. Un contrôle rigoureux de la vie sociale en est la conséquence. Des lois d'arbitrage sont mises en place pour contrôler et limiter les grèves, qui risqueraient de surgir massivement avec le gel des salaires. Les syndicats, dans des pays comme la Belgique et la France, deviennent, à l'exemple des pays anglo-saxons, les partenaires privilégiés de l'Etat et, en cas de conflits généralisés, sa digue ultime.

L'Etat, dernier recours de l'économie, apparaît comme l'ultime défenseur du système capitaliste. Le "planisme" en France, comme en Belgique (avec A. De Man comme promoteur) commence à se développer. Répondant aux mêmes exigences, l'Etat hitlérien et l'Etat fasciste ont établi un contrôle direct de toute l'économie. En Russie, les plans quinquennaux, puis bientôt le stakhanovisme visent à développer l'industrie lourde de l'acier, de l'énergie dans le but avoué de développer la puissance militaire russe. Partout, en URSS, se développent de véritables camps de travaux forcés qui font surgir des chantiers pharaoniques au prix de l'épuisement, et bientôt de la mort de millions d'hommes.

La préparation à la guerre

Dans un monde qui semblait devenu trop étroit pour contenir l'expansion des appareils de production les plus modernes, après une période de reconstruction qui avait duré à peine six années (1923-1929), la guerre devenait pour chaque Etat l'ultime recours à la faillite de l'économie mondiale. En l'absence de nouveaux marchés à conquérir, il n'y avait désormais de place que pour le repartage du marché mondial, et les Etats capitalistes disposant des moins bonnes parts de celui-ci étaient nécessairement les plus agressifs.

C'était le cas de l'Allemagne. Sanctifiant sa défaite dans la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles l'avait privée de ses maigres colonies et lui avait infligé de lourdes dettes de guerre. Une fois achevée la reconstruction de son économie, se pose à elle la nécessité impérieuse de trouver des débouchés pour ses marchandises. Mais, étouffée au centre de l’Europe, son expansion ne pourra se faire qu’à l’intérieur du cadre européen.

Si la période des années 20 avait été celle de la limitation des armements, celle des années 30 fut placée sous le signe de l'économie de guerre. Celle-ci, surtout en Allemagne et en Russie, fut rapidement mise en place dès 1933-34. En 1933, l’arrivée d’Hitler au pouvoir accélère les événements. Les nécessités économiques qui poussent l’Allemagne vers la guerre trouvent leur expression politique dans l’idéologie nazie : la remise en cause du Traité de Versailles, l’exigence d’un "espace vital" qui ne peut être que l’Europe. Tout cela va précipiter chez certaines fractions de la bourgeoisie d'autres pays d'Europe, la conviction que la guerre ne pourra être évitée et que la Russie soviétique dans ce cas serait un bon allié pour faire échec aux visées pangermanistes. D’autant plus qu’au niveau international, la situation évolue : à la même période où l’Allemagne quitte la Société des Nations, l’U.R.S.S y entre.

A partir de 1936, tous les autres pays suivaient la même voie de l'économie de guerre, quelle que fut la forme de leur régime politique. Le retard qu'ils ont néanmoins pris par rapport à l'Allemagne résulte du fait que d’importantes fractions de la bourgeoisie des pays occidentaux croient très longtemps qu’il est possible d’éviter la guerre avec ce pays, en faisant quelques concessions et surtout en orientant sa nécessaire expansion vers l’Est. Le traité de Munich, en 1938, traduit pour certains cette incompréhension de la situation et de la guerre qui vient, pour d'autres c'est un moyen de retarder les échéances afin de rattraper le retard pris dans le réarmement.

Quand il est "minuit dans le siècle"

La terrifiante image de Victor Serge illustre cette situation où le monde semble en proie à une véritable folie et à une chute dans la barbarie la plus primitive, dissimulée sous les produits les plus sophistiqués de la technique moderne.

Dans tous les pays européens se développent des partis se réclamant soit de Hitler, soit de Mussolini, dont le programme est le renforcement et la concentration du pouvoir politique et économique aux mains d'un parti unique dans l'Etat. Leur développement se conjugue avec une vaste offensive anti-ouvrière de l'Etat, appuyée sur un appareil répressif renforcé par l'armée, et sur les troupes fascistes quand il le faut.

De la Roumanie à la Grèce, on voit se développer des organisations de type fasciste qui, avec la complicité de l'Etat national, se chargent d'empêcher toute réaction ouvrière. La dictature, quelle que soit sa forme constitutionnelle, devenait ouverte, et prenait le plus souvent la forme du modèle mussolinien ou hitlérien.

Néanmoins les prévisions de La Gauche italienne, qui ne pensait pas que ce renforcement du fascisme signifiât une orientation définitive du capitalisme vers le système nazi ou mussolinien, se sont avérées justes. Le maintien du cadre de la démocratie, dont le contenu se vidait progressivement avec le développement vertigineux des organismes étatiques, est néanmoins rendu possible dans les pays industrialisés les moins touchés par la crise. Mais dans tous les cas, le planisme, les nationalisations, manifestaient la même tendance à un renforcement de l'Etat, s'appuyant sur une base économique singulièrement étroite.

Le maintien du cadre démocratique constitue une nécessité pour mystifier le prolétariat. Et le fascisme, en ayant fait naître "l'antifascisme", a renforcé les capacités de mystification des "puissances démocratiques".

Evènements historiques: 

Italie - La naissance du fascisme

Le Parti National Fasciste (PNF) entra au Parlement bourgeois grâce aux élections de mai 1921, autrement dit par la voie la plus légale au monde. Il eut l’appui du très démocratique Giolitti (Président du conseil quasi inamovible pendant 11 ans de 1903 à 1914 - il forme ensuite un nouveau Cabinet ministériel de 1920 à 1921) qui, le 7 avril venait de dissoudre la précédente Chambre. Sur son ordre, les tracasseries administratives et les poursuites judiciaires, visant des gens qu’il protégeait, cessèrent de suivre leur cours. Les fascistes purent alors agir à visage découvert, sûrs de l’impunité en hauts lieux. Ainsi, Mussolini siégeant à l’extrême-droite avec 34 autres députés fascistes disposait d’une tribune parlementaire. Le 21/06/21, il déclara rompre avec l’homme qui lui avait mis le pied à l’étrier électoral : Giolitti. Or, l’homme du Dronero (Mussolini appelait Giolitti : "le bandit du Dronero") restait, par l’intermédiaire du préfet de Milan, Lusignoli, en contacts étroits avec le groupe parlementaire du PNF. De surcroît, cette connivence était double : Nitti ne craignant point de recevoir, au vu et au su de chacun, le baron Avezzana que lui envoyait Mussolini dans la perspective de former ensemble un grand ministère.
 

Le programme fasciste

Ce qui est dit ici par L.Trotsky : "Le programme avec lequel le national-socialisme est arrivé au pouvoir -hélas !- rappelle beaucoup les grands magasins juifs dans une province perdue. Que n’y trouve-t-on pas ?"[1], colle très bien au fascisme italien. A ce moment-là, le fascisme est un invraisemblable pot-pourri empruntant à droite et à gauche des idées absolument traditionnelles en Italie. Les parties constitutives de son programme étaient :

  • l’anticléricalisme axé sur la confiscation des biens des congrégations religieuses. Au premier Congrès des fasci, à Florence le 9 octobre 1919, Marinetti avait proposé la dévaticanisation du pays dans des termes identiques, ou presque, à ceux tenus par Cavour quelque 34 ans plus tôt.
  • le syndicalisme d’inspiration sorélienne, vibrant d’exaltation débridée pour la "morale du producteur". Instruits de l’expérience des occupations, les fasci sentaient qu’il fallait, coûte que coûte, associer les syndicats ouvriers au fonctionnement technique et administratif de l’industrie.
  • l’idéal d’une République éclairée, basant sa légitimité sur le suffrage universel avec scrutin de liste régional et représentation proportionnelle ; droit de vote et éligibilité pour les femmes ; et, rendant un culte bassement intéressé à la jeunesse, le fascisme réclamait l’abaissement de la limite d’âge à 18 ans pour les électeurs, à 25 pour les députés.
  • l’anti-ploutocratisme menaçant de frapper le capital d’un impôt progressif (ce qu’il appelait "authentique expropriation partielle") ; de réviser tous les contrats de fournitures de guerre et, de confisquer 85% des bénéfices acquis pendant celle-ci.

Plus un programme social est éclectique et riche en promesses, plus nombreux sont ses supporters. Dans les fasci commencèrent à affluer et y grouiller des gens de toutes espèces : arditti[2], francs-maçons, futuristes, anarcho-syndicalistes... Tous se trouvent un dénominateur commun dans le refus réactionnaire du capitalisme et de la décadence des institutions parlementaires. Dans la salle du San Sepolcro, mise à la disposition des fascistes par le Cercle des Intérêts Industriels et Commerciaux, le discours de Mussolini fera retentir cette formule : "Nous les fascistes, nous n’avons pas de doctrine préétablie ; notre doctrine c’est le fait" (23/3/19).

Sur le plan électoral, le fascisme adopte, avec une évidente souplesse les tactiques les plus variées. A Rome, il présente un candidat sur la liste de l’Allianza Nazionale ; proclame l’abstention à Vérone et à Padoue ; compose le Bloc National à Ferrare et à Rovigo ; s’allie aux anciens combattants à Trévise ; à Milan il se paye le luxe de dénoncer la revendication de la "reconnaissance juridique des organisations ouvrières" dont les regroupements de gauche ont fait leur cheval de bataille parce que, dit-il, il conduirait à leur "étranglement".

Tel était le premier fascisme qui ne pouvait prétendre, en quoi que ce soit, être une force politique indépendante sur des objectifs propres. Devant le P.N.F se dressait une exigence de taille : se débarrasser des thèmes qui ne conviennent plus du tout aux industriels et que la classe dominante trouvait pour le moins déplacés dans la propagande d’un parti qui aspirait à lui garantir l’ordre social. Elle avait tout lieu de se méfier d’un mouvement qui, pour s’attirer la masse des travailleurs et des paysans, faisait montre d’un spectaculaire mépris pour le conformisme social. Le fascisme devait muer et, il obtempéra aux ordres du capitalisme.

Ainsi, cet anticléricalisme ordurier, hier encore virulent dans ses attaques d’athéisme, fera bénir dans la nef de la cathédrale de Milan ses bannières par le cardinal Ritti, futur pape Pie XI[3]. Dès lors, il n’y eut plus aucune commémoration fasciste, aucune manifestation publique du fascisme qui ne reçut ses gouttes d’eau bénite. Apaisés par le Pacte de Latran (1929) par lequel le régime reconnaît au Saint Siège la pleine propriété de ses biens et le dédommage par une indemnité de 750 millions de lires, plus des titres de rente à 5% d’intérêt pour un capital de 1 milliard de lires, les catholiques seront gré au fascisme d’avoir réintégré l’enseignement religieux dans les écoles publiques et feront de Mussolini, qui avait mis une sourdine à sa furia anticléricale, "l’homme des destinées divines". Dans toutes les églises d’Italie, monteront les Te Deum pour le succès de l’entreprise de salut national fasciste.

Ce républicanisme ralliera la Couronne et la Monarchie ; offrira le 9 mai 1936 au Roi et à ses descendants le titre d’Empereur d’Ethiopie ; donnera des postes officiels dans la diplomatie aux représentants de la dynastie régnante.

De l'antiétatisme au "tout est dans l'Etat"

Cet antiparti anarchisant deviendra le Parti National Fasciste avec sa rigoureuse pyramide de quadrumvirs, de hiérarques et de podestats ; comblera d’honneurs les dignitaires de l’Etat ; enflera la bureaucratie d’Etat de nouveaux mercenaires et parasites.

Cet antiétatisme qui à sa première heure proclame l’incapacité de l’Etat à gérer les affaires nationales et les services publics, déclarera par la suite que tout est dans l’Etat. Le célèbre :

  • "Nous en avons assez de l’Etat cheminot, de l’Etat postier, de l’Etat assureur. Nous en avons assez de l’Etat exerçant ses fonctions aux frais de tous les contribuables italiens et aggravant l’épuisement des finances" du discours prononcé à Udine devant le Congrès des fascistes du Frioul, le 20/09/22, laissera place au :
    "Pour le fasciste, tout est dans l’Etat, et rien d’humain ou de spirituel n’existe, et à fortiori, n’a de valeur en dehors de l’Etat" de l’Encyclopédie Italienne.

Ce pseudo-ennemi des grosses fortunes des bénéfices de guerre et des affaires louches, particulièrement florissantes sous l’ère giolitienne, sera équipé de pied en cap par les commandators de l’industrie et de l’agriculture et ce, bien avant la fameuse "marche sur Rome". Dès son lancement, la propagande du "Popolo d’Italie" fut régulièrement subventionnée par les grandes firmes de l’industrie d’armement et de fournitures de guerre intéressées à voir l’Italie basculer dans le camp interventiste : FIAT, ANSALDO, EDISON. Les chèques patriotiques versés par l’émissaire du ministère Guesde, M. Cachin (futur secrétaire général du PCF), aidèrent eux aussi à sortir les premiers numéros du journal francophile.

Certes, au sein du P.N.F naissaient des conflits allant, parfois, jusqu’à la dissidence comme ce fut le cas -provisoire- de certains faisceaux de province, notamment ceux conduits par Grandi et Baldo commandités, en partie, par la Confragricultura. Contrairement à Bordiga qui, armé de la théorie marxiste, comprend rapidement la nature du fascisme, Gramsci emboîtant le pas au président de l’I.C. -Zinoviev- situera le fascisme : réaction des grands féodaux. D’abord apparu dans les grands centres urbains hautement industrialisés, c’est seulement ensuite que le fascisme a pu faire son entrée dans les campagnes sous la forme d’un syndicalisme rural d’allure plébéienne. Ses expéditions punitives partent bien des villes pour se porter dans les villages dont les squadristes se rendent maîtres après une lutte toujours sanglante. La vérité oblige à dire que ces luttes intestines entre fascistes exprimaient la contradiction entre les composantes petites-bourgeoises et anarchisantes du fascisme ruinées par la guerre et, la concentration économique dans les griffes de l’Etat, réponse adéquate aux intérêts généraux de la classe dominante.

La défaite de la classe ouvrière laisse libre court à l'essor du fascisme

Par dessus la légende démocratique demeure le fait irréfragable que le fascisme n’a pas été une contre-révolution préventive faite avec l’intention consciente d’écraser un prolétariat qui tendait à démolir le système d’exploitation capitaliste. En Italie, ce ne sont pas les chemises noires qui mettent fin à la révolution ; c’est l’échec de la classe ouvrière internationale qui impulse la victoire du fascisme, non seulement en Italie, mais encore en Allemagne et en Hongrie. C’est seulement après l’échec du mouvement des occupations d’usines de l’automne 1920 que la répression s’abat sur la classe ouvrière italienne ; laquelle répression eut deux ailes marchantes : et les forces légalement constituées de l’Etat démocratique et, les escadrons fascistes, fusionnant en un bloc monolithique, pratiquement toutes les ligues anti-bolchevistes et patriotiques.

C’est seulement après la défaite de la classe ouvrière que les faisceaux peuvent se développer pleinement grâce aux largesses du patronat et des facilités rencontrées auprès des autorités publiques. Si à la fin de 1919, les fasci sont sur le point de sombrer dans le néant (30 fasci et un peu moins d’1 millier d’adhérents), dans les derniers six mois de 1920, ils s’enflent jusqu’à atteindre le nombre de 3.200 fasci avec 300.000 inscrits.

C’est bien sur Mussolini que se porta le choix de la Confindustria et de la Confragricultura, de l’Association Bancaire, des députés et des deux gloires nationales, le général Diaz et l’amiral Thaon di Revel. C’est bien lui que le grand capital met en selle et non un d’Annunzio dont la bourgeoisie, unanime, annihilera la tentative nationaliste de Fiume à la Noël 1920. Le poète des "Odes Navales" reçut pour tout salaire celui de chanter en termes lyriques les médiocres conquêtes italiennes en terre africaine, entretenir la flamme nationaliste, et non pour finir de massacrer les travailleurs. A Mussolini ex-athée, ex-libertaire, ex-intransigeant de Gauche, ex-directeur de "l’Avanti", reviendra ce rôle.

Ainsi, pour le marxisme le fascisme ne recèle aucun mystère qu’il ne saurait pénétrer et dénoncer devant la classe.

A partir des dernières semaines de 1920, l’offensive fasciste en direction des organisations et associations sous le contrôle du PSI (Parti Socialiste Italien) redouble d’intensité. De nouveau, la chasse aux bolcheviks fait rage, les dirigeants socialistes sont molestés et, en cas de résistance, sont lâchement assassinés ; les sièges des journaux socialistes, les Chambres du travail, les bâtiments des coopératives et des Ligues Paysannes sont incendiés, mis à sac, toujours avec le concours direct de l’Etat démocratique qui protège de ses propres fusils et mitrailleuses les escouades fascistes.

Investissant l’Etat, le fascisme conquiert du coup les rouages indispensables à cet Etat ; il s’empare, si besoin est par la force, d’institutions étatiques qui précédemment ont satisfait pleinement la politique de la bourgeoisie impérialiste italienne.

Les syndicats de la période fasciste

Le fascisme marquera ostensiblement l’intérêt qu’il porte aux syndicats en signant le 2 août 1921, le Pacte de Pacification. Ce jour là, il y avait réunis à Rome, les représentants du Conseil des Faisceaux, du PSI, des groupes parlementaires fascistes et socialistes, de la C.G.I.L., enfin De Nicola président de la Chambre. Le Pacte aboutit à l’accord suivant : ne plus livrer la rue aux "déchaînements de la violence, ni exciter les passions partisanes extrémistes" (art.2). Les deux parties en présence "s'engagent réciproquement au respect des organisations économiques" (art.4). Chacune reconnaît dans l’adversaire une force vive de la Nation avec laquelle il faut compter ; chacun convient d’en passer par là.

En avalisant le Pacte de Pacification, toutes les forces politiques de la bourgeoisie, droite comme gauche, ressentent la nécessité d’enterrer définitivement la classe ouvrière sous un traité de paix civile. Pas encore tout à fait écrasée, celle-ci refluait sur des positions défensives ; mais la résistance des masses travailleuses devenait au fil des jours plus difficile. Malgré des conditions maintenant défavorables, le prolétariat italien continuait à se battre pied à pied contre une double réaction, légale et "illégale".

Turati (chef de l’aile droite du PSI), continuant à placer ses espoirs en un proche gouvernement de coalition soutenu par les "réformistes" se justifiait : "Il faut avoir le courage d’être un lâche !". Le 10 août, la direction du PSI, celle-là même qui sera pressentie pour renforcer les rangs de la révolution par le Komintern, approuvait officiellement le Pacte de Pacification. Alors, le lecteur du très anti-clérical Avanti eut droit à un feuilleton original, La Vie de Jésus selon Pappini, pour faire passer la pilule.

Le scénario de la comedia dell’arte se distribuait de la façon suivante : les premiers acteurs usent ouvertement de la force militaire contre un prolétariat affaibli et en retrait ; les seconds exhortent celui-ci à ne rien faire qui puisse exciter l’adversaire, à ne rien entreprendre d’illicite qui serve de prétexte à de nouvelles attaques, et plus violentes, des fascistes. Combien de grèves suspendues par la C.G.I.L. en accord avec les instances du PSI ? Impossible à dénombrer. Face à une offensive militaire et patronale faite à coup de licenciements et de réduction des salaires, choses allant de soi pour la F.I.O.M.(Fédération des Ouvriers de la Métallurgie) soucieuse de plier les revendications à l’état objectif de la situation financière des entreprises -tactiques dite de l’"articulation"- la gauche continuait son travail de sabotage des luttes.

Même cette Alliance du Travail portant haut les espoirs du P.C.I. acceptait la programme de sauvetage de l’économie capitaliste, déroutait les grèves, mettait un terme rapide aux agitations, ce que devait reconnaître et dénoncer vigoureusement les militants de la gauche.

Que doit faire alors le prolétariat ? La réponse qui vient des organisations social-démocrates est simple, évidente : se rassembler une énième fois sur le terrain électoral, infliger la défaite des urnes aux fascistes, toutes choses permettant la formation d’un gouvernement anti-fasciste dans lequel pourraient entrer quelques chefs du PSI Assuré d’obtenir un gros succès, Mussolini en personne réclamait cette "pacifique" confrontation : "Ce spectre des élections est plus que suffisant pour aveugler les vieux parlementaires qui sont déjà en campagne pour obtenir notre alliance. Avec cet appât, nous ferons d’eux ce que nous voudrons. Nous sommes nés d’hier, mais nous sommes plus intelligents qu’eux".

La marche sur Rome

Tout était préparé de longue main pour une passation en douceur du pouvoir à Mussolini sous les auspices royaux vers la fin d’octobre 1922. Dans la pantalonnade de la Marche sur Rome... en wagons-lits, marche annoncée depuis les premiers jours de septembre par les meetings et défilés de chemises noires à Crémone, Mérano et Trente, les escadrons fascistes furent salués dans les gares par les représentants officiels de l’Etat. A Trieste, Padoue et Venise les autorités marchent au coude à coude avec les fascistes ; à Rome l’intendance militaire ravitaille et héberge les chemises noires dans les casernes.

Installé, le fascisme demandera la collaboration loyale de la C.G.I.L. Le puissant syndicat des cheminots, bientôt suivi par d’autres fédérations, sera le premier à accepter l’appel à la trêve lancé par les fascistes. Ainsi, sans avoir eu recours à une insurrection armée, le fascisme put occuper les postes dans l’appareil d’Etat : Mussolini à la présidence du Conseil détient, en outre, les portefeuilles de l’Intérieur et des Affaires Etrangères ; ses proches compagnons d’armes les autres importants ministères de la Justice, des Finances et des Terres Libérées.

Economie de la période fasciste

Qu’a fait le fascisme sinon accélérer un processus objectif rapprochant et fusionnant les organisations syndicales avec le pouvoir d’Etat bourgeois ? Tant pour les syndicalistes et social-démocrates que pour les fascistes, la lutte de classe n’était-elle pas une lourde entrave à ceux qui recherchaient de solutionner les problèmes de l’économie nationale ? Aussi le fascisme met les associations syndicales au service entier de la Nation comme elles-mêmes l’avaient fait de leur propre initiative lors de la récession économique d’après guerre. L’évangile social de solidarité entre les classes, c’étaient aussi bien les fascistes que les syndicats qui le professaient.

Formellement, l’économie à l’époque fasciste se fonde sur le principe corporatiste pour lequel les intérêts particuliers doivent se subordonner à l’intérêt général. A la lutte de classe, le corporatisme substitue l’union des classes et le bloc national de tous les fils de la patrie ; il essaie d’amener les travailleurs à se dépenser sans compter pour les intérêts suprêmes de l’Italie. La Charte du Travail, adoptée en 1927, reconnaît à l’Etat seul la capacité d’élaborer et d’appliquer la politique de main d’œuvre ; toute lutte fractionnelle, toute intervention particulière en dehors de l’Etat sont exclues. Désormais, les conditions d’emploi et de salaire sont réglées par le contrat collectif qu’établit la Charte.

Le fascisme voulait bâtir un Parlement Economique dont la composition devait être donnée par élection de membres élus dans les corps de métier. Pour ces motifs, il attira dans sa sphère les principales têtes du syndicalisme d’obédience sorélienne. Dans ce projet, qualifié pour la circonstance d’"audacieux", ils voyaient la justification de leur apolitisme et de l’indépendance syndicale vis-à-vis de tout parti politique.

Aussi, le corporatisme s’applique en pleine période de crise mondiale en tant qu’intervention directe de l’Etat dans l’activité économique nationale, en même temps qu’il impose soumission et obéissance à la classe ouvrière. Est-ce là "l’unique solution pour développer les forces productives de l’industrie sous la direction des classes dirigeantes traditionnelles" se demandera le non-marxiste Gramsci[4]. Il échappe totalement à l’auteur de La révolution contre le capital que le capitalisme est en décadence, que le fascisme n’est que son mode de survie.

L’année 1926 marquera le point de départ des grandes batailles économiques qui se font dans le but avoué de protéger le marché intérieur italien, limiter l’importation de produits alimentaires et d’objets manufacturés, de développer des secteurs jusqu’alors incapables de satisfaire les besoins intérieurs. Or, les résultats sont largement éclipsés par les conséquences négatives : des prix supérieurs à ceux du marché mondial. Ainsi, recourir à des manipulations étatiques ne résolvait aucun des problèmes économiques d’un pays pauvre en ressources naturelles et, n’ayant participé à la curée impérialiste que pour obtenir des territoires qui n’étaient ni des débouchés commerciaux ni le moyen de se débarrasser de son trop plein de main-d’œuvre.

Le renforcement des droits douaniers, le contrôle draconien des changes, l’octroi de subventions, les commandes de l’Etat et, corrélativement le blocage des salaires, poursuivent la tendance prise durant la guerre. Alors, poussé par les nécessités, l’Etat était devenu bâtisseur d’usines, fournisseur de matières premières, distributeur de marchés d’après un plan général, acheteur unique de la production -que dans certains cas il payait d’avance. Sous la pression des contingences, il était devenu le centre de gravité de cet énorme appareil productif impersonnel devant qui s’effacèrent les individus attachés aux règles de la libre concurrence, l’esprit créateur des capitaines d’industrie. Pour ces raisons, les habitudes de la vie "libérale", les pratiques "démocratiques" furent subjuguées par l’activité de cet Etat. De ces prémices pouvait éclore le fascisme.

Y a-t-il une entreprise sur laquelle plane l’ombre obscurcissante de la faillite ? L’Etat rachète la totalité des actions. Y a-t-il un secteur à développer plutôt qu’un autre ? L’Etat donne ses directives impérieuses. Faut-il freiner les importations de blé ? L’Etat oblige de fabriquer un type de pain unique dont il fixe le pourcentage de froment. Faut-il une lire surévaluée ? L’Etat la met à la parité du franc malgré les avertissements des financiers. Il stimule la concentration des entreprises, il rend obligatoire la concentration dans la sidérurgie, il est propriétaire, il bloque l’immigration, il fixe les colons là où il entend "créer un système nouveau, organique et puissant de colonisation démographique en transportant tout l’équipement de (sa) civilisation"[5], il monopolise le commerce extérieur.

A la fin de 1926, la plus importante partie de l’économie italienne va se retrouver entre les mains d’organismes étatiques ou para-étatiques : Istituto per la Ricostruzione (I.R.I), Consiglio Nazionale delle Richerche (C.N.R), Istituto Cotonnière, Ente Nazionale per la Cellulosa, A Ziende Générale Italiane Petroli (A.Z.G.I.P). Nombre de ces organismes ont donc pour raison d’être d’obtenir pour l’Italie des produits de remplacement : laine synthétique, soie artificielle, coton, etc... Tout ce programme d’autarcie économique, sur lequel s’extasièrent les beaux esprits, préparait l’Italie à la IIe guerre mondiale.

L’impérialisme italien

Le capitalisme décadent, l’impérialisme qui ravage l’humanité ne peut, par une logique implacable, que produire des crises et des guerres, comme explosions des contradictions croissantes au sein du système capitaliste. Il suppose donc une bourgeoisie armée jusqu’aux dents. L’Italie fasciste ne pouvait pas renoncer de se jeter dans l’engrenage de la course aux armements sous peine de devoir renoncer à faire triompher ses "droits" impérialistes dans l’arène mondiale. Et ses "droits" forment un épais catalogue de revendications. Dans le droit fil de ses prédécesseurs, Mussolini veut faire de l’Italie une puissance redoutée dans le bassin méditerranéen, s’étendre toujours plus à l’Est, vers les Balkans et l’Anatolie.

L’armement que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou la France intensifiaient, tout en arborant le rameau d’olivier ; le souci majeur de se repartager le monde tout en donnant le change par des mielleuses paroles de "sécurité des nations d’arbitrage international" sous les auspices de la S.D.N. (Société Des Nations organisme existant avant l’ONU), l’Italie fasciste ne craint pas d’annoncer pour sa part, ce qu’ils seront : la mobilisation de "huit millions de baïonnettes", de "beaucoup d’ailes et de beaucoup de torpilles".

"Le devoir précis et fondamental de l’Italie fasciste est précisément de préparer toutes ses forces armées de terre, de mer et d’air (...) Alors quand nous aurons atteint un moment suprême dans l’histoire de l’Europe, nous serons en mesure de faire entendre notre voix et de voir nos droits finalement reconnus." (Discours à la Chambre le 27 Mai 1927 de Mussolini.)

Impérialiste elle-même, l’Italie savait de quoi il ressortait lorsque les autres membres de la S.D.N s’engageaient "solennellement" à réduire leurs armements sous un contrôle international ; quand le gouvernement des Etats Unis essayait d’obtenir que tous les pays condamnent la guerre comme... illégale et s’engageassent à y renoncer pour régler leurs litiges (Pacte Briand-Kellog du 27.8.27). Pour Rome, tout ce pathos n’était que de la foutaise démocratique ; la réalité est différente : le monde entier s’arme, et, l'Italie s'arme pour affronter le tempête qui couve sous les cendres de la première conflagration mondiale.

Les problèmes desquels dépend la vie d’une nation, le fascisme n’ignorait pas qu’ils sont des problèmes de force et non de justice ; qu’ils se dénouent sous le fracas des armes et non par la grâce mythologique que prêtaient certains respectables idéalistes à la doctrine wilsonienne. Sur le "décalogue" qui leur était remis, les jeunes miliciens pouvaient lire à la première phrase : "Qu’on sache bien qu’un véritable fasciste, particulièrement un milicien ne doit pas croire à la paix perpétuelle". Dans les journaux, au cinéma, à une remise des diplômes universitaires, dans les concours sportifs se proclamait qu’après avoir gagné la bataille de 14-18, l’Italie devait reprendre sa marche en avant.

Si l’importance du pouvoir d’Etat se place au centre de toute la vie sociale, le développement de ses bases guerrières (armée, flotte et aviation) s’accuse tout particulièrement à la veille de la seconde guerre. Même si on tient compte de la dévaluation de la lire, en 1939, l’Italie dépense deux fois plus qu’à la veille de la guerre d’Ethiopie[6]. Le Duce a prévenu toute la nation italienne de l’inéluctabilité de la guerre, de l’aggravation des conditions de vie du prolétariat. En sanctionnant d’un embargo commercial l’Italie pour avoir transgressé, dans l’agression de l’Abyssinie, les sacro-saints principes de l’institution genévoise, les 51 nations "démocratiques" permirent à Mussolini d’intensifier sa propre croisade contre les nations "nanties". A une hypocrite application des sanctions ne s’interdisant pas le commerce avec l’Italie du charbon, acier, pétrole, et fer, c’est-à-dire tout ce qui était précisément indispensable à l’économie d’armements, le fascisme put répondre par la mobilisation facilitée des ouvriers autour de son programme[7].



[1] : Qu’est-ce que le National-Socialisme ? Trotsky 10 juin 1933.T.III des Ecrits Suppléments à la Quatrième Internationale. 1959, p.397.

[2] Milices armées nationalistes qui se battirent à la fin de la guerre contre les troupes autrichiennes pour le rattachement de territoires à l'Italie (Fiume, Trieste)

[3] Elu par le conclave du 6/02/22, Pie XI sera tout à son affaire. Nonce apostolique en Pologne en 1918-1921, donc pendant la guerre civile et l’offensive victorieuse de l’Armée Rouge, il vouait une haine inextinguible au prolétariat qui avait porté la main sacrilège sur cet Etat crée, le 11 novembre 1919 par Versailles, pour séparer la Russie des Soviets de la Révolution allemande.

[4] ) : Il materialismo storico e la filosofia di B.Croce.

[5] : Plan du 17 mai 1938. Dès la fin de cette même année 20.000 paysans des Pouilles, de Sicile et de Sardaigne travaillent en Lybie sur 1880 entreprises rurales groupant 54.000 Ha en culture.
En Libye, le nombre total des Italiens atteint 120.000 ; 93.550 en Ethiopie etc... L’Impérialisme colonial italien de 1870 à nos jours. J.L Miège S.E.D.E.S 1968, p.250.

[6] ) : Budget Militaire en Millions de Lires : (mêmes sources que pour (5))

1933.....4.822 - - 1936.....16.357
1934.....5.590 - - 1937.....13.370
1935       12.624 - - 1938     15.030

[7] : "Les ouvriers italiens sont donc mis devant le choix de l’impérialisme italien ou de celui de l’Angleterre qui essaie de se dissimuler au travers de la S.D.N. Ce n’est pas un dilemme qu’il pourrait enfourcher malgré les terribles difficultés actuelles, mais un dilemme entre deux forces impérialistes et, il n’est nullement étonnant qu’empêché du fait de la politique contre-révolutionnaire de ces deux partis (partis "centristes" comme on disait alors dans la Gauche pour désigner le stalinisme et "socialiste") d’entrevoir leur chemin propre, forcés de faire un choix, ils se dirigent vers l’impérialisme italien, car dans la défaite de ce dernier, ils voient compromises leurs vies, la vie de leurs familles aussi bien d’ailleurs qu’ils voient s’accentuer le danger d’une plus forte aggravation de leurs conditions de vie". "Un mois après l’application des sanctions". Bilan.

Géographique: 

Allemagne - L'écrasement du prolétariat allemand et l'avènement du fascisme (BILAN n°16, mars 1935)

C'est par l'analyse critique des évé­nements de l'après-guerre, des vic­toires et défaites révolutionnaires, qu'il nous sera possible d'acquérir une vision historique de la période actuelle, assez vaste cour embras­ser les phénomènes fondamentaux qu'elle exprime. S'il est juste d'affirmer que la révolution russe se trouve au centre de notre critique, de la critique qu'elle-même pré­senta, il faut immédiatement ajou­ter que l'Allemagne est l'anneau le plus important de la chaîne qui aujourd'hui garrotte le prolétariat mondial.

En Russie la faiblesse structurelle du capitalisme,  la conscience du prolétariat russe, représentée par els bolcheviks ne permit pas une concentration immédiate des forces mondiales de la bourgeoisie autour du secteur menacé, alors qu'en Al­lemagne tous les faits de l'après-guerre expriment cette interven­tion, facilitée par un capitalisme fort de ses traditions démocra­tiques, un prolétariat arrivant à la conscience de ses tâches précipi­tamment.

Les événements d'Allemagne (de l'écrasement des spartakistes à l'avènement du fascisme) contien­nent déjà une critique d'Octobre 1917. C'est déjà une réponse du ca­pitalisme à des positions souvent en deçà de celles qui permirent la vic­toire des bolcheviks. Voila pour­quoi une analyse sérieuse de 1’Allemagne devrait débuter par un examen des thèses du 3e et 4e Congrès de l'Internationale Com­muniste  qui  contiennent  des  éléments allant non au delà de la révolution russe, mais l'opposant à l'assaut féroce des forces bour­geoises contre la révolution mon­diale. Ces Congrès ont élaboré des positions de défense du prolétariat groupé autour de l'Etat soviétique alors que l'ébranlement du monde capitaliste nécessitait une offensive sans cesse croissante des ouvriers de tous les pays en même temps qu'une progression idéologique de son organisme international. Les événements de 1923 en Allemagne furent précisément étouffés grâce à ces positions heurtant de front l'effort révolutionnaire des ou­vriers, événements qui, par eux-mêmes, furent le démenti le plus frappant de ces Congrès.

L'Allemagne prouve clairement l'insuffisance du patrimoine idéo­logique légué par les bolcheviks ; non pas que leurs efforts furent in­suffisants, mais ceux des commu­nistes du monde entier, et en parti­culier en Allemagne. Ainsi, quand et où fit-on la critique historique de la lutte idéologique et politique des spartakistes ? A notre avis, sauf de plates répétitions d'appréciations générales de Lénine, aucun effort n'a été fait. On part bien en guerre contre « le luxembourgisme », on verse évidemment quelques larmes sur l'écrasement des spartakistes, on stigmatise les crimes des Noske-Scheidemann, mais d'analyse sé­rieuse, point. Pourtant si octobre 1917 contient une négation catégo­rique de la démocratie bourgeoise, 1919 l'exprime sur un plan plus avancé. Si les bolcheviks prouvè­rent que le parti du prolétariat est un guide victorieux seulement s'il rejette, au cours de sa formation, tout alliage avec des courants op­portunistes, les événements de 1923 prouvèrent que la fusion des spar­takistes et des indépendants à Halle, avait été un appoint dans la confusion du PC devant la bataille décisive.

En somme, au lieu d'élever le ni­veau de la lutte prolétarienne plus loin qu'Octobre, de nier plus pro­fondément les formes de domina­tion du capitalisme, les compro­missions avec des forces ennemies, en prévision d'un assaut révolutionnaire imminent, on ne pouvait que faciliter le regroupement des forces capitalistes dès que l'on ra­menait les positions prolétariennes en dessous de celles qui permirent le triomphe des ouvriers russes. En ce sens la position du camarade Bordiga au 2e Congrès envers le parlementarisme était une tentative de pousser en avant les positions d'attaque du prolétariat mondial et la position de Lénine une tentative d'employer révolutionnairement cet élément historiquement dépassé devant une situation n'exprimant pas encore tous les éléments de cet assaut. Les événements ont donné raison à Bordiga, non sur ce fait mais sur une appréciation conte­nant la critique des faits de 1919 en Allemagne et consistant à élargir l'effort destructif du prolétariat avant des nouvelles batailles devant décider du sort de l'Etat prolétarien et de la révolution mondiale.

Nous essayerons dans cet article d'examiner l'évolution des posi­tions de classe du prolétariat alle­mand, afin de mettre en évidence ces éléments de principe qui peu­vent compléter l'apport des bol­cheviks, critiquer leur décalque dans des situations nouvelles, contribuer à l'oeuvre de critique générale des événements de l'après-guerre.

Dans la constitution de Weimar, article 165, se trouve le passage sui­vant : « Ouvriers et employés y col­laboreront (dans les conseils ouvriers) sur un pied d'égalité, avec les employeurs, a la réglementation des questions de salaire et de tra­vail, ainsi qu'au développement général économique des forces productives. » Ceci caractérise au mieux une période où la bourgeoi­sie allemande comprit qu'elle devait non seulement élargir son organisation politique jusqu'à la démocratie la plus extrême allant jusqu'à la reconnaissance des « Rate » (Conseils ouvriers), mais aussi donner aux ouvriers l'illusion de la puissance économique. De 1919 à 1923 le prolétariat eut l'impression d'être la force poli­tique prédominante dans le Reich. Depuis la guerre, les syndicats incorporés dans l'appareil étatique étaient devenus des piliers soute­nant tout l'édifice capitaliste et les seuls éléments pouvant faire converger les efforts prolétariens vers la reconstruction de l'économie allemande et d'un appareil de domination capitaliste stable. La démocratie bourgeoise revendiquée par la social-démocra­tie s'avéra être ici le seul moyen d'empêcher l'évolution révolution­naire de la lutte ouvrière qui fut aiguillée vers un pouvoir politique dirigé en fait par la bourgeoisie bénéficiant de l'appui des syndicats pour remettre à flot l'industrie. C'est l'époque où fleurit « la pre­mière législation sociale du monde », les contrats collectifs du travail, les cellules d'entreprises qui parfois tendent à s'opposer aux syndicats réformistes ou arrivent à concentrer l'effort révolutionnaire des prolétaires comme par exemple dans la Ruhr en 1921-22.La recons­truction allemande s'effectuant parmi cette efflorescence de liber­tés et de droits ouvriers aboutit, comme on sait, à l'inflation de 1923 où s'exprima en même temps que les difficultés pour un capitalisme vaincu et terriblement appauvri de remettre en marche son appareil de production, la réaction d un prolé­tariat voyant son salaire nominal, sa législation sociale « kolossale », son semblant de pouvoir politique, réduits à moins que rien. Si le pro­létariat allemand fut battu en 1923, malgré les « gouvernements ouvriers » de Saxe, de Thuringe, un PC très influent et non gangrené par le centrisme, dirigé au surplus par d'anciens spartakistes, si malgré toutes les circonstances favorables découlant des difficultés de l'impérialisme allemand la victoire fit défaut, il faut en rechercher les causes à Moscou, dans les thèses des 3e et 4e Congrès acceptées par les spartakistes et qui loin de compléter le « Programme de Spartakus» de 1919, se situent en deçà de celui-ci. Malgré ses rares équivoques, le discours de Rosa Luxemburg contient une négation farouche des forces démocratiques du capitalisme, une perspective économique en même temps que politique et non de vagues « gouvernements ouvriers » et des fronts uniques avec des partis contre-révolutionnaires.

A notre avis, la défaite de 1923 est la réponse des événements à la sta­gnation de la pensée critique du communisme recalquant au lieu d'innover, se refusant à retirer de la réalité des règles programmatiques nouvelles, alors que le capitalisme mondial occupant la Ruhr en ce moment venait objectivement à l'aide de la bourgeoisie allemande en déterminant une vague de na­tionalisme susceptible de canaliser ou du moins de brouiller la conscience des ouvriers et même des dirigeants du PC.

Une fois passé ce cap dangereux, le capitalisme allemand bénéficia en­fin de l'aide financière de pays tels les USA convaincus de la dispari­tion momentanée de tout danger révolutionnaire. C'est alors l'époque d'un mouvement de concentration et de centralisation industrielles et financières sans précédent, sur la base d'une ratio­nalisation effrénée, pendant que Stresemann succède a la série de gouvernements socialistes ou so­cialisant. La social-démocratie ap­puya cette consolidation structu­relle d'un capitalisme cherchant dans son organisation disciplinaire la force de tenir tête à ses adver­saires de Versailles, et agita devant les ouvriers le mythe de la démo­cratie économique, de la sauvegarde de l'industrie nationale, de 'avantage de traiter avec quelques patrons, seulement des prémices socialistes posées par ceux-ci.

En 1925-26, jusqu'aux premiers symptômes de la crise mondiale, le mouvement d'organisation de l'économie allemande va croissant sans cesse. On pourrait presque dire que le capitalisme allemand qui put tenir tête au monde entier grâce à ses forces industrielles et à la militarisation d'un appareil éco­nomique fabuleusement puissant, a poursuivi, après les remous sociaux de l'après-guerre, son organisation économique ultra centraliste indis­pensable dans la phase des guerres inter impérialistes, en reprenant sous le fouet des difficultés mon­diales le chemin de l'organisation économique de guerre. Dès 1926 se constituent les grands Konzerns du Stihlwerein, de l'IG Farben-industrie, le Konzern d'électricité Sie­mens, l'Allgemeine Electrizitât Gesellchaft dont la constitution est d'ailleurs facilitée par l'inflation et la hausse des valeurs industrielles qui en résulta.

Déjà avant la guerre l'organisation économique en Allemagne, les Car­tels, les Ronzerns, la fusion du ca­pital financier et industriel, avait atteint un degré supérieur. Mais dès 1926, le mouvement s'accélère et des Konzerns tels ceux de Thys-sens, la Rheinelbe-Union, Phoenix, Rheinische Stahlwerke, fu­sionnent et forment la Stahlwerein qui contrôlera l'industrie charbon­nière et tous ses sous-produits ; la métallurgie et tout ce qui s'y rat­tache. On substituera aux fours Thomas nécessitant du minerai de fer (que l'Allemagne perd avec la Lorraine et la Haute-Silésie) des fours Siemens-Martin pouvant em­ployer de la ferraille.

Ces Konzerns contrôlent bientôt rigoureusement et sévèrement toute l'économie allemande et s'érigent comme une digue contre laquelle le prolétariat va se casser les reins ; leur développement est accéléré par les investissements de capitaux américains et en partie par les commandes russes. Mais dès ce moment le prolétariat, qui avec 1923 a perdu ses illusions quant à sa puissance politique réelle, va être entraîné dans une lutte décisive. La social-démocratie soutient le capitalisme allemand, démontre que les Konzerns sont des em­bryons socialistes et prône les contrats collectifs liés à la concilia­tion, chemin menant vers une dé­mocratie économique. Le PC subit sa « bolchévisation » qui,  aboutissant au « social-fascisme » coïnci­dera avec la réalisation des plans quinquennaux en Russie, mais le conduira à jouer un rôle analogue -non identique- à celui de la social-démocratie.

Pourtant, c'est dès cette époque de rationalisation, de constitution de gigantesques Konzerns qu'apparaissent en Allemagne les bases économiques et les nécessités sociales de l'avènement du fascisme en 1933. La concentration accentuée des masses proléta­riennes consécutive aux tendances capitalistes, une législation sociale jetée en pâture pour éviter des mouvements révolutionnaires dan­gereux, mais trop coûteuse, un chômage permanent troublant les rapports sociaux, de lourdes charges extérieures (Réparations) nécessitant des attaques continues contre les salaires déjà fort bas de­puis l'inflation. Ce qui appelait surtout la domination du fascisme c'était la menace qu'avait repré­senté dans l'après-guerre - et que représentait - le prolétariat, me­nace dont le capitalisme put se sauver grâce à la social-démocratie mais qui demandait une structure politique correspondante à la concentration disciplinaire effec­tuée sur le terrain économique. De même que l'unification du Reich fut précédée par une concentration et centralisation industrielle en 1865-70, l’avènement du fascisme fut précédé par une réorganisation autrement impérialiste de l'économie allemande nécessaire pour sauver l’ensemble de la classe acculée par Versailles. Quand on parle aujourd'hui des interventions économiques du fascisme, de « son » économie dirigée, « son » autarcie, on défigure passablement la réalité. Il représente seulement la structure sociale qui au terme d'une évolution économique et sociale était nécessaire au capitalisme. Faire appel au fascisme après 1919, le capitalisme allemand se décomposant lamentablement ne le pouvait pas, d'autant plus que le prolétariat était là menaçant. C'est pourquoi le putsch de Kapp est combattu par les fractions du capitalisme comme d'ailleurs par les Alliés qui comprennent l'aide inappréciable des social-traîtres. En Italie, par contre, l'assaut révolutionnaire ne s'effectue pas au milieu d'une décomposition du capitalisme, mais d'une conscience de sa faiblesse qui le fait se retirer lors de l'occupation des usines pour remettre son sort entre les socialistes, mais qui lui permet aussi de réagir immédiatement la rafale passée et d'appeler le fascisme.

En somme, toutes les innovations du fascisme, au point de vue éco­nomique, résident dans une accen­tuation de la « disciplinisation » économique, de la liaison de l'Etat et des grands Konzerns (nomination de commissaires aux diverses branches de l'économie), de la consécration d'une économie de guerre.

La démocratie comme drapeau de la domination capitaliste, ne peut correspondre à une économie ac­culée par la guerre, secouée par le prolétariat et dont la centralisation est une position de résistance dans l'attente du nouveau carnage, une manière de transposer sur le plan mondial ses contrastes internes, d'autant plus qu'elle suppose une certaine mobilité dans les rapports économiques et politiques, une fa­culté de déplacement de groupes et d'individualités qui bien que gravi­tant autour du maintien des privi­lèges d'une classe doit néanmoins donner à toutes les classes la per­ception d'une élévation possible. Dans la période de développement de l'économie allemande d'après-guerre, les Konzerns liés à 'appareil d'Etat, exigeant de celui-ci le remboursement des conces­sions que les batailles ouvrières les obligeaient à consentir, enlevaient toute possibilité de survivance de la démocratie, puisque la perspective n'était pas celle de l'exploitation de colonies aux bénéfices plantureux mais bien d'une lutte dure et âpre contre Versailles et son système de réparations et non pour un droit aux marchés mondiaux. Cette voie était celle de la lutte brutale et vio­lente contre le prolétariat et ici, comme au point de vue écono­mique, le capitalisme allemand montrait le chemin que les autres pays devaient emprunter par de tous autres moyens. Il est évident que sans l'aide du capitalisme mondial la bourgeoisie allemande ne serait jamais parvenue à réaliser ses objectifs. Pour permettre l'écrasement des ouvriers on dût enlever toutes les étiquettes améri­caines entravant l'exploitation ex­clusive des ouvriers par la bourgeoisie allemande ; consentir des moratoires ; finalement enlever la charge des Réparations. Il a aussi fallu l'intervention de l'Etat sovié­tique abandonnant les ouvriers al­lemands pour ses plans quinquen­naux, brouillant leur lutte pour de­venir enfin un élément de la victoire fasciste.

Un examen de la situation qui va de mars 1923 à mars 1933, permet de comprendre que de la Constitution de Weimar à Hitler se déroule un processus d'une continuité parfaite et organique. La défaite des ouvriers se situe après un moment de plein épanouissement de la démocratie bourgeoise et « socialisante » exprimée par Wei­mar et permet la reconstitution des forces capitalistes. Alors progres­sivement l'étau se resserre. Bientôt c'est Hindenburg, en 1925, qui de­vient le défenseur de cette Consti­tution et pendant que le capita­lisme reconstitue son armature toujours plus la démocratie devient plus restreinte, s'élargit dans des moments de tension sociale, voit même encore des gouvernements socialistes de coalition (H. Müller), mais dans la mesure où socialistes et centristes augmentent le désarroi des ouvriers, elle a tendance à disparaître (gouvernement Brüning et ses arrêtés-lois) pour faire place, enfin, au fascisme qui ne rencontrera aucune opposition ouvrière. Entre la démocratie, son plus beau fleuron : Weimar, et le fascisme, aucune opposition ne se manifestera : l'une permettra l'écrasement de la menace révolutionnaire, dispersera le prolétariat, brouillera sa conscience, l'autre, au terme de cette évolution, sera le talon de fer capitaliste consacrant ce travail, réalisant rigidement l'unité de la société capitaliste sur la base de l’étouffement de toute menace prolétarienne.

Nous ne ferons pas comme ces pé­dants et littérateurs de tout acabit, qui après coup essayent de «corriger» l'histoire et s'efforcent de trouver une explication des évé­nements d'Allemagne dans une mauvaise application de telle ou telle autre formulation. Il est évi­dent que le prolétariat allemand ne pouvait vaincre qu'à la seule condi­tion de libérer (par les fractions de gauche) l'IC de la néfaste influence dissolvante du centrisme et se re­grouper autour de formulations niant toutes les formes de la démo­cratie et du « nationalisme proléta­rien » en se raccrochant à ses inté­rêts et à ses conquêtes. A ce point de vue le « social-fascisme » n'était pas une position allant au-delà du marais démocratique puisqu'il n'expliquait pas le déroulement des événements, se contentant de les confondre, mais bien une explica­tion de la scission syndicale faite au nom de l'OSR. Aucun front unique démocratique ne pouvait sauver le prolétariat allemand, mais bien une lutte le niant ; mais cette lutte devait être dispersée, dès lors qu'elle se rattachait à un Etat prolétarien travaillant à la consoli­dation du monde capitaliste dans son ensemble.

Aussi vrai que l'on pourrait au­jourd'hui  parler de  « fascisation » des Etats capitalistes aux « démocraties des pleins pouvoirs » il aurait été juste d'en parler au cours de l'évolution capitaliste en Allemagne, si par là on entendait caractériser la fonction de la dé­mocratie « peau de chagrin » se ré­trécissant graduellement pour aboutir à mars 1933. Dans ce cours historique la démocratie était un élément de poids indispensable et disparut sous les coups fascistes lorsqu'il s'avéra impossible d'étouffer la fermentation des masses sans un autre mouvement de masse. L'Allemagne plus que l'Italie nous montre déjà une tran­sition légale de Von Papen à Schleicher et de ce dernier à Hitler, sous l'égide du défenseur de la Constitution de Weimar : Hinden­burg. Mais comme en Italie, la fermentation des masses nécessitait des vagues de masses pour démolir les organisations ouvrières, déci­mer le mouvement ouvrier. Il est possible que le développement des situations dans nos pays marque encore une certaine progression par rapport à ces expériences et que les démocraties des pleins pouvoirs n'ayant pas en face d'elles des prolétariats ayant livré des as­sauts révolutionnaires d'envergure, jouissant au surplus de situations privilégiées par rapport à l'Italie et l'Allemagne (colonies), puissent parallèlement aux interventions disciplinaires dans l'économie, parvenir à étouffer le prolétariat sans devoir balayer totalement les forces traditionnelles de la démo­cratie qui feront d'ailleurs un effort d'adaptation appréciable (plan CGT en France, plan de Man en Belgique).

Le fascisme ne s'explique ni comme classe distincte du capitalisme, ni comme émanation des classes moyennes exaspérées. Il réalise la forme de domination du capitalisme ne parvenant plus, au travers de la démocratie, à relier toutes les classes de la société au­tour du maintien de ses privilèges. Il n'apporte pas un type nouveau de l'organisation sociale, mais une superstructure adéquate à une éco­nomie hautement développée et devant détruire politiquement le prolétariat pour anéantir tout effort de correspondance entre les contrastes toujours plus aigus qui déchirent le capitalisme et la conscience révolutionnaire des ou­vriers. Le statisticien pourra tou­jours invoquer la masse importante des petits-bourgeois en Allemagne (5 millions pour les intellectuels, fonctionnaires y compris) pour es­sayer de présenter le fascisme comme « son » mouvement. Il reste que le petit-bourgeois, plongé dans une ambiance historique où les forces productives, en l'écrasant et en lui laissant comprendre son im­puissance, déterminent une polari­sation des antagonismes sociaux autour des principaux acteurs : la bourgeoisie et le prolétariat, n'a même plus la possibilité de balan­cer de l'un à l'autre, mais instincti­vement se dirige vers ceux qui lui garantissent le maintien de sa posi­tion hiérarchique sur l'échelle so­ciale. Au lieu de se dresser contre le capitalisme, le petit-bourgeois, salarié au col amidonné ou com­merçant, gravite autour d'une ca­rapace sociale qu'il vaudrait voir assez solide pour faire régner « l'ordre et le calme » et le respect de sa dignité, en opposition à des luttes ouvrières sans issues qui l'énervent et brouillent la situation. Mais si le prolétariat se dresse sur ses jambes et passe à l'assaut, le petit-bourgeois ne peut que se ter­rer et accepter l'inévitable. Lorsqu'on présente le fascisme comme le mouvement de la petite-bourgeoisie on viole donc la réalité historique en dissimulant le terrain véritable où s'élève celui-ci. Le fas­cisme canalise tous les contrastes qui mettent en danger le capita­lisme et les dirige vers sa consolida­tion. Il contient le désir de calme du petit-bourgeois, l'exaspération du chômeur affamé, la haine aveugle de l'ouvrier désorienté et surtout la volonté capitaliste d'éliminer tout élément de pertur­bation d'une économie militarisée, de réduire au minimum les frais d'entretien d'une armée de chô­meurs permanents.

En Allemagne, le fascisme s'est donc édifié sur la double base des défaites prolétariennes et des né­cessités impérieuses d'une écono­mie acculée par une crise écono­mique profonde. C'est sous Brüning, en particulier, qu'il prit son essor, alors que les ouvriers s'avéraient incapables de défendre leurs salaires furieusement atta­qués, les chômeurs leurs alloca­tions réduites à coups de décrets-lois, dans les usines, les chantiers, les nazis créaient leurs cellules d'usine, ne reculèrent pas devant l'emploi de grèves revendicatives, convaincus que, grâce aux socia­listes et centristes, celles-ci ne dé­passeraient pas les cadres voulus ; et c'est au moment où le prolétariat s'avoua à moitié vaincu, en no­vembre 1932, avant les élections de Von Papen qui venait de congédier le gouvernement socialiste de Prusse, qu'éclata la grève des transports en commun à Berlin, di­rigée par fascistes et communistes. Cette grève désagrégea le proléta­riat berlinois parce que les com­munistes s'avérèrent déjà inca­pables d'en chasser les fascistes, de l'élargir, d'en faire le signal d'une lutte révolutionnaire. La désagré­gation du prolétariat allemand s'accompagna, d'une part, d'un développement du fascisme re­tournant les armes ouvrières contre celui-ci ; d'autre part, de mesures d'ordre économique, d'aide crois­sante au capitalisme. (Rappelons à ce sujet que c'est Von Papen qui adopta les mesures de subvention aux industries occupant des chô­meurs avec le droit de diminuer les salaires.)

En somme, la victoire de Hitler en mars 1933 n'eut besoin d'aucune violence : c'était un fruit mûri par socialistes et centristes, un résultat normal d'une forme démocratique périmée. La violence n'eut sa raison d'être qu'après l'avènement des fascistes, non en réponse à une attaque prolétarienne, mais pour la prévenir à jamais. De force désagrégée, dispersée, le prolétariat devait devenir élément actif de la consolidation d'une société toute orientée vers la guerre. C'est pour­quoi les fascistes ne pouvaient se borner à tolérer des organismes de classes dirigés cependant par des traîtres, mais devaient au contraire extirper la moindre trace de la lutte des classes pour mieux pulvériser les ouvriers et en faire des instru­ments aveugles des visées impéria­listes du capitalisme allemand.

L'année 1933 peut être considérée comme la phase de la réalisation systématisée de l'oeuvre de bâil­lonnement fasciste. Les syndicats sont anéantis et remplacés par les conseils d'entreprises contrôlés par le gouvernement. En janvier 1934 apparaît enfin le sceau juridique de cette oeuvre : la Charte du Travail, qui réglemente le problème des salaires, interdit les grèves, institue l'omnipotence des patrons et des commissaires fascistes, réalise la liaison totale de l'économie centralisée avec l'Etat.

En fait, si le capitalisme italien a mis plusieurs années avant d'accoucher son « Etat corporatif», le capitalisme allemand, plus développé, y est arrivé rapidement. L'état retardataire de l'économie italienne, par rapport au Reich, rendit laborieuse l'édification d'une structure sociale comprimant automatiquement tous les sursauts éventuels des ouvriers ; par contre, l'Allemagne possédant une économie de type plus élevé, passa immédiatement à la disciplinisation des rapports sociaux reliés intimement aux branches de la production contrôlées par des commissaires d'Etat.

Dans ces conditions, le prolétariat allemand comme d'ailleurs italien­ n’a plus d'existence propre. Pour retrouver une conscience de classe, il devra attendre que les nouvelles situations de demain déchirent la camisole de force que lui a passée le capitalisme. En attendant, l'heure n'est certes pas à clamer quant à d'utopiques possibilités de travail illégal de masses dans les pays fascistes, ce qui a d'ailleurs jeté bien des camarades héroïques entre les mains des bourreaux de Rome ou de Berlin. Il faut considé­rer les organisations anciennes se réclamant du prolétariat dissoutes par l'emprise des événements capi­talistes et passer au travail théo­rique d'analyse historique, préli­minaire pour la reconstruction d'organismes nouveaux pouvant mener le prolétariat vers la victoire, par la critique vivante du passé.

Bilan

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Questions théoriques: 

France - Le Front Populaire embrigade le prolétariat français dans la guerre

Deux grandes étapes du Front Populaire mettent en évidence son rôle déterminant dans la préparation de la guerre impérialiste en France, à travers un partage du travail au sein des partis de gauche de l’appareil bourgeois national. La première, c’est le désarmement et l’embrigadement idéologique de la classe ouvrière derrière le Front Populaire au nom de l’antifascisme et de "l’union sacrée" à travers la pire hystérie chauvine. Dans ce dévoiement massif du prolétariat dans la propagande nationaliste la plus exacerbée, c’est le PCF et la CGT qui jouent le rôle essentiel. La seconde, c’est la fonction consciente de préparation de la guerre impérialiste au niveau de l’Etat et du capital national effectuée par le gouvernement de Front Populaire lui-même. Ces deux étapes sont indissociables, elles n’ont pas de sens l’une indépendamment de l’autre.

Les deux citations suivantes permettent d’illustrer la réalité de chacune de ces étapes :

  •  "Nous pouvons dire que le Front Populaire (et nous y sommes pour quelque chose, nous les communistes), (...) ce sera vraiment un front français, un front du peuple de France, héritier et continuateur de la grande révolution contre le front des agents de l’étranger, contre le front de Coblentz moderne. Un front français à la tradition héroïque de lutte et de liberté de notre peuple, aux accents de la Marseillaise de 1792 mêlés à ceux de notre Internationale, sous les plis du drapeau de Valmy avec le drapeau rouge de la Commune, un front français contre le front anti-français de trahison. Nous pensons vraiment lutter contre la réaction et le fascisme en lançant un appel au peuple, y compris à ceux qui pourraient maintenant encore être écartés de nous (...) Le Front Populaire, ce n’est pas une tactique occasionnelle, ce n’est pas une opération électorale, c’est l’avenir de notre peuple" (Extrait d’un discours de Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, devant une assemblée générale parisienne le 6 août 1936).
  • "J’ai fait autre chose. J’ai déposé un grand projet fiscal, financier et monétaire, voté par la Chambre et rejeté par le Sénat ce qui a déterminé ma chute. C’est un projet qui vise à tendre toutes les forces de la nation vers le réarmement, et qui fait de cet effort de réarmement intensif la condition même, l’élément même d’un démarrage industriel et économique définitif. Il sort résolument de l’économie libérale : il se place sur le plan d’une économie de guerre. Il vise le contrôle des changes, la création de moyens de paiement intérieurs, un contrôle des devises qu’il permet d’affecter précisément à l’achat des matières premières, des machines-outils et des produits finis nécessaires au réarmement. Il aurait permis de ne pas compter avec les crédits, de ne pas compter avec les difficultés financières, monétaires et économiques pour l’effort de réarmement. Il pose aussi (...) la question des heures de travail" (Extrait d’une déposition[1] de Léon Blum, secrétaire général de la SFIO et ex-chef du gouvernement de Front Populaire, lors du procès de Riom qui lui fut intenté par le gouvernement vichyste en 1941).
Le capital français se trouve confronté lui aussi à la crise économique qui est dévoilée en 1929, mais plus tardivement que d’autres pays eu égard à la part encore très importante de son agriculture (en 1930, 50% de la population française est rurale). Des mesures d’austérité s’imposent qu’il s’agit de faire supporter aux travailleurs. Mais, bien que profondément démoralisée, la classe ouvrière en France  manifeste quand même une certaine combativité et offre une résistance à la politique d’austérité comme le démontrent les événements violents de Brest et de Toulon[2].

D’autre part, le capital français doit faire face à la concurrence sur le marché mondial, concerter son économie encore très archaïque et surtout se préparer et préparer le prolétariat, face à la militarisation de l’Allemagne nazie, aux conséquences qui en découlent : la guerre inéluctable.

Le voyage de Laval en mai 1935 à Moscou est un moment du placement des pions de l’impérialisme sur l’échiquier européen avec le rapprochement franco-russe. Quelques mois plus tard, en août 1935, le 7e Congrès du PC de l’Union Soviétique va tirer au niveau politique les conséquences de la possibilité pour la Russie d’une alliance avec les pays occidentaux pour faire face à l’impérialisme allemand. L’émissaire du Komintern, Dimitrov, désigne le nouvel ennemi qu’il faut combattre : le fascisme ; les socialistes que l’on brocardait violemment la veille deviennent une force démocratique ,parmi d’autres, avec qui il faut s’allier pour vaincre l’ennemi fasciste.

Les partis staliniens dans les autres pays vont suivre dans son tournant politique leur grand frère aîné, le PC russe, se faisant ainsi les meilleurs défenseurs des intérêts impérialistes de la soi-disant "patrie du socialisme". Mais il serait faux de croire que le tournant du PC français, par exemple, ne correspond qu’au changement de la politique internationale de l’U.R.S.S; il correspond aux intérêts du capital national dont la fraction de gauche de l’appareil politique est la plus consciente des échéances qui s’imposent.

La montée de la gauche

L’agitation des organisations d’extrême droite, contre les effets de la crise et la corruption des gouvernements de la IIIe république, culmine avec les violentes manifestations du 6 février 34 auxquelles étaient mêlés Croix de Feu, royalistes et militants du PC. Mais elle constitue aussi le prétexte dont se saisit quelques jours plus tard la gauche pour mettre en avant l'existence d'un danger fasciste en France. En effet, on assiste alors à un brusque revirement de l’attitude du PC, lié à un changement de stratégie émanant de Staline et du Komintern. Il préconisait désormais de substituer à la tactique "classe contre classe" une politique de rapprochement avec les partis socialistes. Le 6 février fut dès lors présenté comme une "offensive fasciste" et une "tentative de coup d’Etat" en France.

La grève générale lancée à la fois par le PC et la SFIO le 12 février 34 intronisait l’antifascisme avec le mot d’ordre "Unité ! Unité contre le fascisme !". Les "frères ennemis" de la gauche bourgeoise pouvaient se réconcilier sur le dos du prolétariat pour mobiliser les travailleurs au nom de l’antifascisme pour la défense de la "démocratie" de préparer ainsi la venue de la gauche au pouvoir avec le Front Populaire.

La nouvelle politique du PCF va rapidement se concrétiser, à la conférence nationale d’Ivry de juin 1934 où Thorez déclare : "Dans le moment actuel, le fascisme constitue le danger principal il faut concentrer contre lui toutes les forces de notre action de masse du prolétariat et gagner à cette action toutes les couches de la population laborieuse", perspective qui aboutit rapidement à la signature d’un pacte commun entre le PC et la SFIO en juillet 1934.

L’anti-fascisme va être le thème qui va permettre, d'une part, de regrouper toutes les forces de la bourgeoisie "éprises de liberté" derrière le drapeau du Front Populaire et, d’autre part, de lier les intérêts du prolétariat à ceux du capital national en constituant l’"alliance de la classe ouvrière avec les travailleurs des classes moyennes" pour éviter à la France "la honte et les malheurs de la dictature fasciste", comme le déclare Thorez.

Un programme économique s’élabore à l’instar du plan du belge De Man, comme le plan Jouhaux, mais lorsque la gauche est élue, c’est avant tout sur un programme de libertés démocratiques, il est très peu question de nationalisations. Quant à lui, le PCF développe surtout le thème des "200 familles qui gouvernent la France et bradent l’intérêt national". Dans ce sens, tout le monde en dehors de ces "capitalistes" subit la crise et est solidaire ; c’est comme ça qu’on "sauve le peuple et la nation en associant, contre une minorité infime de parasites, pour la richesse, la puissance, la prospérité et la gloire du pays, la masse anonyme des ouvriers, des paysans, des artisans, des savants, des artistes et penseurs..." (Cahiers du Bolchevisme). Le prolétariat est atomisé, dilué dans la population, alors que la gauche regroupée derrière le PC, la SFIO et le parti radical (qui avait tenu les rênes de la plupart des gouvernements de la IIIe République), racole son électorat qui finalement amènera, le 5 mai, la victoire du Front Populaire. D’emblée, ce Front Populaire faisait figure de répétition de "l’union sacrée" qui avait entraîné les ouvriers dans la première guerre mondiale en 1914.

La grande vague de grèves qui va suivre la venue du Front Populaire va marquer toutes les limites du mouvement ouvrier encore marqué par l’échec de la vague révolutionnaire et subissant la chape de plomb de la contre-révolution. La vague de grèves démarre avec des occupations spontanées d’usines et témoigne malgré tout de la combativité, mais combien faible, des travailleurs. En effet, dès les premiers jours, la gauche va se servir de cette gigantesque masse à manœuvrer pour imposer à l’ensemble de la bourgeoisie française les mesures nécessaires pour faire face à la crise économique.

S’il est vrai que pour la première fois on assista en France à des occupations d’usines, c’est aussi la première fois qu’on voit les ouvriers chanter à la fois l’Internationale et la Marseillaise, marcher derrière les plis du drapeau rouge mêlés à ceux du drapeau tricolore. L’appareil d’encadrement que constituent le PC et les syndicats est maître de la situation, parvenant à enfermer dans les usines les ouvriers qui se laissent bercer au son de l’accordéon, pendant qu’on règle leur sort au sommet, dans les négociations qui vont aboutir aux accords Matignon. S’il y a unité, ce n’est certainement pas celle de la classe ouvrière mais bien celle de l’encadrement de la bourgeoisie sur la classe ouvrière.

Blum expliqua ultérieurement lors de son procès à Riom en quoi cette occupation des usines allait justement dans le sens de la mobilisation nationale recherchée : "les ouvriers étaient là comme des gardiens, des surveillants, et aussi, en un certain sens, comme des copropriétaires. Et du point de vue spécial qui vous occupe, constater une communauté de droits et de devoirs vis-à-vis du patrimoine national, est-ce que cela ne conduit pas à en assurer et à en préparer la défense commune, la défense unanime ? (...) c’est à cette mesure qu’on crée peu à peu pour les ouvriers une copropriété de la patrie, qu’on leur enseigne à défendre cette patrie".

Pour achever toute résistance ouvrière, les staliniens vont assommer à coups de gourdins ceux qui "ne savent pas terminer une grève" et le gouvernement du Front Populaire va faire massacrer et mitrailler des ouvriers par ses gendarmes mobiles à Clichy, en 1937.

Dès l’origine, le slogan du Front Populaire "Paix, pain, liberté" est placé sous le signe du pacifisme, de la politique des grands travaux, de l’économie de guerre et de l’antifascisme[3]. Le Front Populaire exploite également la préparation de la guerre au niveau international pour montrer que "le péril fasciste est aux portes du pays", organisant par exemple un battage sur l’agression italienne en Ethiopie. Plus nettement encore, la SFIO et le PC se partagent le travail par rapport à la guerre civile espagnole : tandis que la SFIO refuse l’intervention en Espagne au nom du "pacifisme", le PC prône cette intervention au nom de la "lutte anti-fasciste"

La gauche a obtenu ce qu’elle voulait : elle a amené la combativité ouvrière sur le terrain stérile du nationalisme, de l’intérêt national, elle a pu utiliser cette vague de grèves comme moyen de pression sur les forces les plus rétrogrades de la bourgeoisie en imposant les mesures nécessaires à la sauvegarde du capital national tout en faisant passer tout cela pour une victoire de la classe ouvrière.

Mais pour pouvoir diffuser l’idéologie anti-fasciste et être tout à fait crédible dans son rôle de défenseur de la patrie et de l’Etat capitaliste, la gauche devait accorder quelques miettes. Les accords Matignon et les pseudo-acquis de 36  furent des éléments déterminants pour pouvoir présenter l’arrivée de la gauche au pouvoir comme une "grande victoire ouvrière", pour pousser les prolétaires à faire confiance au Front Populaire et à les faire adhérer à la défense de l’Etat bourgeois jusque dans ses entreprises guerrières.

Mais qu’en est-il exactement de ces accords ? Les augmentations salariales vont être rognées par l’inflation quelques mois plus tard, les 40 heures seront remises en cause par Blum lui-même un an après et complètement oubliées lorsque la machine économique sera relancée après la guerre, la reconnaissance des délégués syndicaux, les conventions collectives, cela ne représente en fait que le perfectionnement de l’encadrement syndical que subit la classe ouvrière. D’ailleurs, la plupart de ces "acquis" furent anéantis en 38 par le gouvernement Daladier, une fois le prolétariat mis complètement à genoux et ligoté dans la marche à la guerre. Si on assiste à une victoire, c’est à celle, sinistre, du capital qui prépare la seule solution pour résoudre la crise : la guerre impérialiste.

La gauche prépare la guerre

S’il est une tâche pour laquelle le capital français doit être bien redevable au Front Populaire, c’est bien celle d’avoir préparé la guerre. Ceci de deux manières :
  • En lançant un programme de réarmement qui passe par la nationalisation des industries de guerre. C’est ce programme qui a poussé à l’entente franco-russe, qui dénonce le plus violemment les tendances munichoises dans la bourgeoisie française. Les "solutions" qu’elle apporte à la crise ne sont pas différentes de celles de l’Allemagne fasciste, de l’Amérique du New Deal ou de la Russie stalinienne : développement du secteur improductif des industries d’armement. Quel que soit le masque derrière lequel se cache le capital, les mesures économiques mises en place sont les mêmes. La plus grande "réalisation économique" du Front Populaire fut d’ailleurs incontestablement le nationalisation de l’industrie d’armement.
  • En amenant la classe sur le pire terrain pour elle, celui de sa défaite et de son écrasement : le nationalisme. C'est ce qu'exprime cet aveu empreint d’une complicité toute bourgeoise de Blum à ses accusateurs pétainistes pendant son procès : "Rappelez-vous quelle angoisse on pouvait éprouver alors sur ce que serait l’attitude de la masse ouvrière vis-à-vis d’un ordre de mobilisation". Avec l’hystérie patriotarde que développe la gauche au travers de l’anti-fascisme, le prolétariat est amené à défendre une fraction de la bourgeoisie contre un autre : la démocrate contre la fasciste, un Etat contre un autre : la France contre l’Allemagne. Le P.C.F. déclare : "l’heure est venue de réaliser effectivement l’armement général du peuple, de réaliser les réformes profondes qui assureront une puissance décuplée des moyens militaires et techniques du pays. L’armée du peuple, l’armée des ouvriers et des paysans bien encadrés, bien instruits, bien conduits par des officiers fidèles à la République". C’est au nom de cet "idéal" que les "communistes" vont célébrer Jeanne d’Arc, "grande libératrice de la France", que le PC appel à un Front Français et reprend à son compte le mot d’ordre qui fut celui de l’extrême droite quelques années auparavant : "La France aux français !". C’est sous le prétexte de défendre les libertés démocratiques menacées par le fascisme que l’on amène les prolétaires à accepter les sacrifices nécessaires à la santé du capital français et finalement à accepter le sacrifice de leur vie dans la boucherie de la 2ème guerre mondiale.

 Dans cette tâche de bourreau, le Front Populaire va trouver des alliés efficaces chez ses critiques de gauche : pivertistes[4], trotskistes ou anarchistes. Ceux-ci vont jouer le rôle de rabatteurs des éléments les plus combatifs de la classe et constamment se posent comme "plus radicaux", mais ce sera en fait plus "radicaux" dans la mystification de la classe ouvrière. Les Jeunesses Socialistes de la Seine où les trotskistes tels Craipeau et Rous font de l’entrisme, sont les premiers à préconiser et organiser des milices anti-fascistes, les amis de Pivert qui se regroupent au sein du P.S.O.P. (Parti socialiste ouvrier et paysan : gauche socialiste) seront les plus virulents pour critiquer la "lâcheté" de Munich. Tous sont unanimes pour défendre la République espagnole aux côtés des anti-fascistes et tous participeront plus tard au carnage inter-impérialiste au sein de la Résistance. Tous ont donné leur obole à la défense du capital national, ils ont bien mérité de la patrie !

La bourgeoisie française s’était donnée tous les moyens de conduire à l’abattoir le prolétariat en triomphant de lui non plus physiquement, les armes à la main, comme elle l’avait fait au préalable dans ses bastions les plus décisifs, mais au niveau de sa conscience, en le dévoyant idéologiquement de son terrain de classe, ce qui atteste de la profondeur de la contre-révolution dans les années trente.


[1] Citation tirée de ses mémoires L’Histoire jugera, p. 270 et reprise dans Le Front Populaire : la légende de la gauche au pouvoir, ouvrage de J.Barrot, P. Borczuk, J.Riviale, éd. Tête de Feuille, 1973.

[2] Grèves et bagarres les 6 et 8 août 1935 durant lesquels les ouvriers des arsenaux se retrouvent dans la rue et affrontent la police pour défendre leur emploi débordant l’appareil syndical qui les incite à la sagesse. Le 7 à Brest les combats de rue font 3 morts et de nombreux blessés. Les actions des ouvriers sont condamnées par la SFIO et le PCF. Les ouvriers sont traités de provocateurs qui voudraient faire peur aux radicaux et empêcher la création du Front populaire.

[3] La mystification de cette propagande pacifiste était, dès cette époque, dénoncée avec virulence par la poignée de révolutionnaires qui publiait "Bilan" dans les termes les plus clairs dès 1935 : "Mettre l’enseigne de la "paix" (...), c’est proclamer que l’on garantit à la bourgeoisie de maintenir "dans la paix" la suprématie conquise au Traité de Versailles. Mussolini et Hitler affirment eux aussi leur volonté de "paix", à la condition que, sans la guerre, on puisse arriver à une modification de la répartition du monde. Et l’une et l’autre s’opposent inévitablement : la conception de la "paix" qui s’intitule démocratique à l’autre, fasciste. Dans l’étau de ces tenailles, le prolétariat se trouve déjà entraîné dans les deux girons qui le conduiront à jeter des millions de ses vies pour le sauvetage du régime capitaliste mondial."

[4] Du nom de Marceau Pivert, principal animateur de "l’aile gauche" de la SFIO, qui sous un verbiage radical de "soutien critique" au gouvernement de Front Populaire aura puissamment contribué à mystifier dans l’embrigadement guerrier les prolétaires les plus combatifs derrière la bourgeoisie nationale. C’est lui qui, au lendemain du Front Populaire, avait lancé la fameuse formule : "Tout est possible !", reprise ensuite par les trotskistes et les anarchistes. De même son antifascisme va-t’en-guerre virulent, le poussera à se rallier dès 1940 à un De Gaulle avec qui il entretiendra une correspondance suivie.

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Les problèmes de la situation en France (Bilan n° 22 ; août-septembre 1935)

Les émeutes de Brest et de Toulon[1] contiennent, pour peu qu'on les analyse sérieusement, tous les éléments propres à l'évolution politique de la France. On y retrouve d'une part l'élan désespéré des travailleurs voulant échapper à l'étau des compressions capitalistes, d'autre part les forces sociales du capitalisme laissant d'abord s'abattre la répression féroce et meurtrière de la bourgeoisie pour s'attaquer à leur tour au cerveau de l'ouvrier. Pendant que siègent les tribunaux, la campagne contre les "provocateurs" bat son plein : le front populaire veut combattre dans le "calme et la dignité" !

Malheur aux ouvriers de Brest, de Toulon, qui sous les balles des gardes mobiles, des détachements coloniaux, ont arraché le drapeau tricolore de la sous-préfecture, ont osé clamer leur haine d'une république de famine : ce sont des provocateurs qui veulent diviser le front populaire, séparer les radicaux de la grande famille démocratique. Et le P.C, la S.F.I.O, les syndicats confédérés, unitaires, toute la racaille contre révolutionnaire se mettra en branle contre des ouvriers qui ont craché avec la rage du désespoir sur la réconciliation des classes, scellée le 14 juillet[2]. Qui donc pourrait nier la "provocation" puisqu'elle n'est établie sur aucun fait précis. On peut nier la véracité de certains faits existants, mais lorsqu'on se contente de parler de "provocation", en invoquant la participation incontrôlable de membres d'organisation de droite aux incidents, ou bien lorsqu'on impute -comme l'a fait la commission d'enquête- la responsabilité des émeutes de Toulon à un "mystérieux coup de téléphone" déterminant les ouvriers à transformer la grève de cinq minutes en grève générale, il devient difficile de discuter. Ce n'est pas un hasard si toute la presse du front populaire parle de "provocation" sans donner de preuves : on incrimine ici les grèves spontanées des prolétaires qui contiennent une riposte tardive et isolée à l'oeuvre de corruption capitaliste des traîtres, car au fond, c'est bien une provocation de la part des ouvriers, que de faire déferler de puissants mouvements de grèves heurtant à la face, l'oeuvre de désagrégation du front populaire basé sur l'exclusion des grèves et pour la lutte parlementaire. Mais il s'agit de provocation comme en fécondent les contradictions du système capitaliste et qui portent les travailleurs à porter la main sur les privilégiés. Nous connaissons d'ailleurs la vieille complainte bourgeoise qui voit dans chaque mouvement de classe, une "provocation" à laquelle, malgré leur "bon sens", les ouvriers sont poussés par des "meneurs".

Pour le Front Populaire, Brest, Toulon, ces mouvements d'envergure doivent être l'oeuvre d'obscurs provocateurs, puisque tout marchait si bien avant : les ouvriers avaient assisté nombreux à la fête nationale du 14 juillet ; sous la poussée des dirigeants socialistes et "centristes"[3], ils avaient chanté la "Marseillaise". Puis, lorsque vinrent les décrets de Laval, ils avaient bien participé à la Manifestation "illégale" des fonctionnaires, place de l'Opéra, mais avaient respecté les mots d'ordre du front populaire, demandant du calme et de la dignité, sans oublier une attitude "de délicatesse" envers les agents de police également frappés. Centristes et socialistes espéraient canaliser les masses secouées durement vers de grandes démonstrations où après chaque orateur on chante l'Internationale. Et brusquement, comme un coup de tonnerre éclatent les émeutes des arsenaux (Brest et Toulon). Pourquoi ne pas croire à la provocation quand ces Messieurs avaient pris toutes les dispositions pour maintenir le calme. N'avaient-ils pas envoyé une délégation des gauches chez Laval ? N'avaient-ils pas mis les travailleurs en garde contre les "gestes irréfléchis" pouvant démanteler la République ? N'avaient-ils pas crié aux provocateurs déjà à Bullier lors du meeting des anciens combattants ? Et malgré tout, la lutte s'était déchaînée dans deux secteurs prolétariens. Une fois la répression terminée, Le Temps[4] écrivit démagogiquement que le "fascisme" n'existe pas en France, mais que de tels événements pourraient le créer. Le Front Populaire riposta en accusant le fascisme d'être l'instigateur de ces mouvements ou du moins l'agent de Laval. Quant à lui, il pouvait prouver que l'ordre n'a pas besoin des gardes mobiles ou des fascistes, il suffit. Qui avait assuré la rentrée rapide des ouvriers aux arsenaux si ce n'est la C.G.T et C.G.T.U ? Qui avait maintenu l'ordre lors des démonstrations qui eurent lieu pour l'enterrement des victimes de Brest, de Toulon ? Evidement le front populaire. Et qui donc a décidé de transposer immédiatement cette bataille sur le terrain parlementaire, d'expédier une délégation de gauche sur les lieux, afin de faire comprendre aux masses, sans équivoque, que l'heure des batailles indépendantes de classe était révolue ? Toujours le front populaire. La bourgeoisie pouvait être satisfaite, et malgré ses propos haineux, envers Blum Cachin Daladier, elle le fut certainement. 

En somme, le capitalisme, grâce au front populaire, sera quand même parvenu, malgré les incidents des arsenaux, à faire accepter ses décrets lois. Et c'est cela qui importe. Il n'ignore pas que s'il peut corrompre et se lier des organismes prolétariens, il n'est pas possible d'éviter des sursauts de colère de prolétaires, car une classe ne marche pas allègrement au suicide. Dans le dernier numéro de Bilan, nous mettions déjà en évidence que dans l'état actuel du rapport entre les classes, en France, les seuls mouvements ouvriers qui pourront s'exprimer seront ces sursauts de désespoir qui précèdent de peu la dissolution totale du prolétariat au sein du capitalisme. C'était là une conséquence des nouvelles positions du 11 juillet qui représentaient l'aboutissement logique de la politique dite antifasciste. La République n'était pas le capitalisme, mais le régime de la liberté, de la démocratie qui représentent, comme on sait la plate-forme même de l'antifascisme. Les ouvriers juraient solennellement de défendre cette république contre les factieux de l'intérieur et de l'extérieur, alors que Staline leur recommandait d'approuver les armements de l'impérialisme français au nom de la défense de l'U.R.S.S. Pendant que défilaient radicaux socialistes, centristes, socialistes, démocrates de tous crins, confondant les drapeaux de classes différentes, Laval et des ministres radicaux préparaient les décrets-lois (sous la IIIe République permet au gouvernement de légiférer sans faire appel au Parlement).

Le problème était le suivant : le capitalisme français devait oeuvrer dans une double direction : dissoudre le mouvement prolétarien de classe et faire payer les frais d'une crise économique terrible aux ouvriers en vue de faire face aux nécessités de la guerre. Il ne suffit pas que les ouvriers chantent la "Marseillaise", soient antifascistes tout comme Daladier, il faut encore qu'ils puissent être pulvérisés sur le terrain économique, incapable de s'opposer aux compressions qu'ailleurs la bourgeoisie obtint avec le fascisme. Doumergue et Flandin ont réalisé une partie de ce programme, cela d'autant plus facilement que -dés sa signature en 1931- le pacte d'unité orientait les travailleurs vers un antifascisme basé sur l'abandon des luttes revendicatives. A cette époque la réforme de l'Etat capitaliste, le projet des ententes industrielles de Marchandeau qui signifiaient une consécration de la défaite totale du prolétariat, furent prématurés du fait même que sur le terrain économique la bataille décisive n'était pas encore jouée. L'avènement de Laval, le protagoniste du pacte Franco-russe, témoignait éloquemment que la bourgeoisie allait jouer la carte soviétique pour atteindre ses objectifs. Effectivement, au nom de Staline, le "centrisme" se rallia à la défense nationale, passa directement au service de la bourgeoisie, envisagea le soutien de formations gouvernementales de gauche. Les décrets de Laval pouvaient donc s'abattre sans que des réactions sérieuses se fissent jour : en effet, en tant que force gouvernementale française, le P.C rejoignait la S.F.I.O pour reconduire toute résistance ouvrière vers l'arène parlementaire où devait s'élaborer une solution de gouvernement républicain. Peut-être bien à la rentrée des Chambres, Laval "succombera-t-il" sous la poussée des gauches, car une partie des radicaux avec Daladier, Cot (qui ont cependant soutenu Doumergue et Flandin), Marquet et les néos participent aujourd'hui à la campagne du front populaire contre Laval. De tout façon la manoeuvre du capitalisme français a admirablement bien réussi : il s'agissait de créer des conditions politiques où aucune réaction prolétarienne ne puisse trouver une direction. Grâce à la confusion du 11 juillet, la bourgeoisie y parvint. C'est pourquoi ce n'est vraiment pas un hasard si Laval permit ce cortège, en avertissant que sitôt lancés les décrets-lois, les manifestations seraient interdites. C'est seulement en battant à plate couture le prolétariat sur le terrain de ses revendications, que le capitalisme parviendra à réaliser effectivement ses projets d'incorporation et de transformation des organismes de classe du prolétariat, à en faire des instruments d'administration officielle de ses intérêts.

Le 14 juillet, les arrêtés-lois de Laval, les événements de Brest, Toulon, qui caractérisent si bien l'isolement du prolétariat, incitent à tirer un bilan des événements en France, avant d'aborder les problèmes concrets du mouvement prolétarien.

Il est un fait : la vieille démocratie française se défend -beaucoup mieux que le capitalisme italien ou allemand- avec la force combinée d'une puissance économique qui bénéficie d'un circuit de colonies, d'une structure non super industrialisée et pouvant mieux résister à la crise, et de traditions séculaires contre un prolétariat essayant en vain de se donner une conscience de classe. Pour ceux qui aiment les formules toutes faites, qui estiment qu'il faut apprécier la révolution russe pour la possibilité qu'elle offre de re-calquer ses péripéties dans les pays occidentaux, la France offre bien des surprises, plus encore que l'Allemagne et l'Italie. Dans ces derniers pays l'on essaya d'inventer une opposition entre la démocratie et le fascisme, que le prolétariat aurait pu exploiter en vertu de la fameuse histoire de Kornilov. Mais ici et là, il fut prouvé qu'il s'agissait de deux formes de domination capitaliste, nullement antagonistes, mais successives : l'une préparant les conditions pour l'autre, l'une immobilisant le prolétariat en prévision de l'autre. En France, après l'avènement du fascisme en Allemagne, il fut d'abord proclamé que le seul fait de la crise économique justifiait la venue prochaine du fascisme. Avant même que ce danger se précisât, on proclamait la nécessité d'exploiter le contraste entre la démocratie et le fascisme inexistant. Mais les effets de la crise économique sur le prolétariat ne le portent pas forcément vers des mouvements révolutionnaires. Il faut pour cela des conditions déterminées : un ébranlement général de l'appareil étatique du capitalisme, faisant de chaque mouvement prolétarien un danger direct pour l'Etat capitaliste. Cette situation exista en Italie, après l'occupation des usines : en Allemagne en conséquence du poids qu'avait acquis le prolétariat après ses batailles révolutionnaires de 1919 et 1923. En France, avant même que la crise se fasse sentir, le centrisme avec sa "troisième période", désagrégeait le prolétariat, et en 1932, lors de l'avènement des cabinets de gauche, le livrait impuissant aux louvoiements d'Herriot (chef du parti radical), Chautemps, Daladier (radical) entamant les premières batailles de crise contre les ouvriers. Pourquoi appeler le fascisme quand il était possible de tamponner, grâce aux profits coloniaux, les chocs de classe et que les mouvements révolutionnaires pouvaient être évités grâce au centrisme et à la social-démocratie ? Il est faux de prétendre que la domination par excellence du capital financier est le fascisme et que celui-ci étant la force prédominante en France, comme dans tous les pays, ce dernier serait inévitable. Précisément, parce que le capitalisme financier réalise la puissance de la classe bourgeoise dans son ensemble, il vise avant tout à la destruction du prolétariat. Et la domination démocratique est de beaucoup celle qui s'adapte le mieux au maintien de ses privilèges, car mieux que le fascisme elle pénètre le cerveau de l'ouvrier, le pourrit intérieurement, alors que le fascisme écrase par la violence une maturation de classe que le capitalisme ne parvient pas à faire disparaître.

La France prouve que le sommet de la soi-disant opposition irréductible entre la démocratie et le fascisme -que le prolétariat devrait exploiter- est donné par l'antifascisme qui conduisit au 14 juillet (1935) et aux décrets-lois de Laval, c'est-à-dire à la dissolution au point de vue politique et à la défaite sur le terrain économique. Après le 6 février 1934, ce n'était pas l'heure du fascisme qui sonnait, mais celle des attaques d'envergure du capitalisme auquel le prolétariat ne pouvait s'opposer qu'à la condition de réaliser la capacité de faire de ses luttes partielles un piédestal pour des attaques contre l'Etat capitaliste. Mais dès l'avènement de Doumergue, les travailleurs de l'Etat, les fonctionnaires en premier lieu, puis d'autres catégories furent abandonnés à eux-mêmes, alors que les centristes partaient en campagne pour le "syndicat unique", sorte d'amalgame en dehors de la C.G.T et de la C.G.T.U et que les réformistes se gardaient bien d'appuyer positivement des projets d'unité syndicales, comprenant parfaitement qu'une unité se réalisant alors qu'éclataient encore des mouvements de classe, pouvait nuire aux intérêts du capitalisme. Point n'était même besoin d'une réforme de l'Etat, puisqu'il était possible de réduire à merci tous ceux qui se rattachent à celui-ci, soit salariés, fonctionnaires, soit instituteurs. C'est pourquoi Doumergue put se retirer dans l'indifférence générale pour faire place à Flandin, qui développa, somme toute, le programme de son prédécesseur, en entraînant de plus larges catégories de prolétaires dans le mouvement de "sacrifice national" : c'était là la base d'une véritable réforme de l'Etat.

Par ailleurs, une simple comparaison entre la période de Brüning en Allemagne (1930-1932, homme du parti du "Centre catholique" il est soutenu par Hindenburg, il gouverne grâce à l'article 48 de la constitution allemande qui lui permet de ne pas avoir recours au Parlement) et celles des décrets-lois (ces derniers permettent de gouverner sans faire appel au Parlement) de Laval en France (qui ont la même signification : démembrer le prolétariat et ses organismes de classe) permet d'établir la fonction similaire du fascisme hitlérien et des forces démocratiques agissant dans le front populaire. En face des décrets de famine de Brüning, le centrisme développa la théorie "social-fasciste", allant jusqu'à participer au plébiscite prussien contre le gouvernement socialiste de Braun -provoqué par les fascistes- et agita son opposition syndicale révolutionnaire, isolant les ouvriers communistes des masses. D'autre part, les socialistes, au nom du moindre mal, en raison des postes étatiques occupés par eux, préconisèrent l'acceptation de ces décrets. Ces décrets allaient porter un coup décisif au prolétariat immobilisé par centristes et socialistes, alors que le fascisme passait à l'offensive sans rencontrer la résistance d'un prolétariat qui, s'il avait pu lutter pour ses revendications, en aurait fait le front de la révolution.

En France, par contre, les socialistes passent à l'attaque contre Laval, les centristes agiront afin de pousser la S.F.I.O au pouvoir, pour le soutien de toute formation gouvernementale de gauche (abstraction faite des personnalités) déclarant vouloir lutter pour l'amélioration des conditions d'existence des travailleurs (Thorez), mais établiront le Front populaire sur l'exclusion des grèves, donc sur l'acceptation des mesures de démolition du mouvement prolétarien. Toute l'agitation du Front populaire au lieu d'avoir pour conséquence le renforcement du fascisme, comme ce fut le cas pour les imposantes manifestations et l'agitation des centristes de la Bannière d'Empire socialiste, en Allemagne, se dirigera en France vers une conversion du Front populaire en un gouvernement populaire. Les événements ne se dirigeront pas vers la cristallisation d'une opposition violente entre la bourgeoisie et le prolétariat que le fascisme exprimera victorieusement, mais vers l'opposition entre des formations bourgeoises où le prolétariat sera anéanti. Ainsi, si en France les forces démocratiques auront la fonction qu'eut le fascisme en Allemagne, cela découlera de situations différentes, mais où l'objectif capitaliste sera d'écraser le prolétariat.

Devant les arrêtés-lois de Laval, la position du Front populaire fut la suivante : ce n'est point la république qui frappe c'est Laval le représentant "des Bastilles économiques". Léon Blum partira en guerre contre l'inégalité dans le sacrifice alors que la devise républicaine viserait à l'égalité... Le "centrisme", sous la plume de Duclos, écrira qu'il repousse les décrets qui abaissent le pouvoir d'achat des masses, sous entendant par là son acceptation de ceux des décrets appelés à baisser le coût de la vie : en réalité à donner le change au prolétariat. En tout cas, tous feront une distinction entre les radicaux, membres du gouvernement, et Laval. Ceux-ci seraient les prisonniers de celui-là et c'est au bloc socialo-centriste qu'il reviendrait de les délivrer.

La position du parti radical socialiste, au cours de ces événements manifestera clairement sa conscience hautement capitaliste : c'est lui qui servira de pont entre le centrisme et la bourgeoisie, c'est lui qui présidera au passage des ouvriers sous le drapeau tricolore et préparera dès maintenant les bases pour une formation gouvernementale de demain, pour la continuation de la réalisation du programme du capitalisme sur une perspective de gauche. Le 14 juillet, les ouvriers, à l'instigation des "centristes" (Le PCF dans le langage de Bilan), crieront "Daladier au pouvoir". Pourtant des représentants du parti radical furent les collaborateurs de Doumergue, d'autre part des "antifascistes" actuels appuyèrent ce dernier. C'est donc que la condition de continuer le programme de Doumergue, de Flandin, de Laval, pourrait se trouver momentanément dans une formation du front populaire, qui représente quand même la position du capitalisme français pour mobiliser demain les masses pour la guerre impérialiste, sans que l'on puisse affirmer que c'est là le gouvernement de la boucherie impérialiste, besogne pour laquelle la droite est plus apte.

Si maintenant l'on examine le problème syndical en France, on peut constater que chaque progression des situations s'accompagne d'une étape supérieure de dégénérescence des syndicats. Alors que se succédaient toutes les nuances de la gamme gouvernementale de gauche, attaquant sous l'aiguillon de la crise le prolétariat, ni C.G.T. ni C.G.T.U ne posèrent un seul instant le problème de l'unité syndicale. Ce n'est qu'après la grève générale du 12 février 1934 que l'on parla enfin de réaliser cette fameuse unité, mais c'est plutôt aujourd'hui, après l'écrasement des grèves de Brest, Toulon, que réformistes et centristes posent le problème ouvertement.

Il serait faux de prétendre qu'en luttant pour l'unité syndicale à tout prix, comme on le fait en France, on résolve en même temps les problèmes du programme des luttes prolétariennes. La concentration des masses dans des organisations de classe sous un drapeau qui leur est étranger équivaut à une défaite aussi terrible que la pire des divisions : ce qui ne signifie pas l'apologie de la scission.

L'histoire des derniers rapprochements entre C.G.T. et C.G.T.U. montre les capitulations des centristes, leur acceptation d'un programme contre-révolutionnaire présenté par les réformistes. On sait que le Plan du Travail de la C.G.T. (combattu antérieurement avec acharnement par le P.C. l'apparentant au Plan De Man[5], qui servit de base pour la collaboration ministérielle en Belgique après la dévaluation) est aujourd'hui accepté par la C.G.T.U comme par tous les participants du rassemblement populaire. Il s'avère donc que l'unité syndicale sera ici le couronnement de la paralysie de classe du prolétariat, d'une désagrégation des masses sur le terrain économique aussi forte que celle qui s'est effectuée sur le terrain politique. Pour répondre aux exigences du capitalisme, pour remplacer dans les cadres de la démocratie française le recours au fascisme, il faut que les forces du front populaire parviennent à réaliser elles-mêmes "la réforme de l'Etat" : en tout premier lieu l'encadrement des forces syndicales par l'Etat, afin qu'elles ne puissent servir aux luttes ouvrières, afin que toute tentative de lutte ouvrière soit sporadique, sans issue. Ainsi au dernier Congrès du Syndicat National des Instituteurs (où Jouhaux[6] proclama démagogiquement qu'en cas de coup de force contre les libertés républicaines "nous sommes résolus à donner le mot d'ordre de grève générale sans limite autre que la victoire"). Delmas, son secrétaire, préconisera la formation d'un gouvernement de "Front Populaire" auquel se soumettraient tous les travailleurs de l'Etat, les fonctionnaires. Pour ces catégories il est clair que l'unité syndicale ne pourra s'effectuer que s'il existe des garanties qu'elle se dirigera vers le soutien du capitalisme. Pour l'ensemble du mouvement syndical, l'interdiction des fractions imposées par les réformistes représente l'abandon même de la lutte des classes. La résolution pour la fusion des mineurs du Nord, adoptée par confédérés et unitaires, dit que "les délégués des deux syndicats réunis déclarent qu'ils s'opposeront à tous les partis politiques groupements extérieurs au syndicalisme qui tenteraient de diriger, soit directement par eux-mêmes, soit indirectement par le fonctionnement de fractions constituées par eux, les débats, les décisions de la vie du syndicat". Sur ce point essentiel réformistes et centristes sont donc d'accord : ce qui reste en discussions ce sont les modalités de fusion. Les uns veulent la "fusion préalable à la base" avant le Congrès général, c'est-à-dire la dissolution de la C.G.T.U. dans la C.G.T : la bureaucratie centriste repousse ce système qui la frustrerait de postes vu le rapport des forces entre les deux centrales (près de 700 000 aux Confédérés contre près de 200 000 aux unitaires) et demande un Congrès de fusion où le partage se ferait plus "équitablement". Rappelons que la "fusion à la base" c'est une vieille revendication centriste de la période où il s'agissait de grignoter la C.G.T. (...).

[1] 6 au 8 août 1935.

[2] 14 juillet 1935 au cours duquel les staliniens font marcher les prolétaires derrière le drapeau national et en chantant la Marseillaise suite à la récente signature du Pacte impérialiste franco-russe "Staline-Laval".

[3] Dénonciation par Bilan du PCF qui est qualifié de stalinien. Ils estiment, avant 1935, que le PC n'a pas encore trahi la classe ouvrière. En ce sens il est au "centre" parmi les partis ouvriers.

[4] Journal de la bourgeoisie libérale, remplacé par Le Monde après la Libération.

[5] Le plan De Man en Belgique est de même nature que le "New Deal" aux USA et le Programme de Front populaire en France.

[6] A l'époque la direction de la C.G.T est aux mains de la S.F.I.O.

Situations territoriales: 

Courants politiques: 

Heritage de la Gauche Communiste: 

Espagne - La gauche amène le prolétariat à la boucherie impérialiste mondiale

Le "Front Populaire" en France, à l'opposé de la propagande de la bourgeoisie qui en fait une période de "conquêtes de la classe ouvrière", a constitué un moment de la préparation de la guerre impérialiste mondiale en enrôlant massivement le prolétariat derrière la défense de l'Etat capitaliste au nom de l'antifascisme. La guerre d'Espagne constitue l'ultime étape de cet embrigadement du prolétariat international, toujours principalement réalisé sous la bannière mystificatrice de la "lutte antifasciste" par toutes les fractions de gauche et les syndicats.

Cette terrible tragédie ouvrière, encore aujourd'hui mensongèrement présentée comme "une révolution sociale espagnole" ou "une grande expérience révolutionnaire" marquait au contraire, à travers l'écrasement idéologique comme physique (plus d'un million de morts entre 1931 et 1939 en Espagne) des dernières forces vives du prolétariat européen, le triomphe de la contre-révolution. Cette tuerie fut une répétition générale qui ouvrait une voie royale au déchaînement de la guerre impérialiste.

Les années 30 à 39 sont les années de préparation à la guerre qui s'effectue sur les cendres de la vague révolutionnaire surgie contre la première guerre mondiale. Partout dans le monde, le prolétariat est brisé, défait, pris dans l'étau capitaliste -qui le dévoie de son terrain de classe à travers la fausse alternative fascisme ou démocratie- et soumis à l'hystérie nationaliste qui l'amène inexorablement vers la guerre.

En même temps, suite à la mort de l'Internationale Communiste sanctionnée par la proclamation du "socialisme en un seul pays", la quasi-totalité des organisations ouvrières en pleine dégénérescence sont happées dans le camp de la bourgeoisie ou tendent à se désagréger complètement. Les "partis communistes" deviennent de simples courroies de transmission de "la défense de la patrie socialiste" aux ordres de la contre-révolution stalinienne. Les seules voix qui s'élèvent à contre-courant en se maintenant fermement sur des positions de classe comme "Bilan" (organe entre 1933 et 1938 de la Gauche Communiste d'Italie à l'étranger) sont le produit d'une poignée de révolutionnaires.

La gauche dévoie et soumet le prolétariat à l’Etat bourgeois

L'Espagne, où subsistait une fraction du prolétariat mondial qui n'avait pas encore été écrasée du fait de la non-participation de ce pays à la première guerre mondiale, va se trouver au cœur d'une vaste manœuvre de la bourgeoisie unie pour pousser les ouvriers à abandonner leur terrain de classe et les dévoyer sur le terrain capitaliste d'une bataille exclusivement militaire et impérialiste.

De par sa situation géopolitique de port de l'Europe, fermant une face de la Méditerranée d'un côté, ouvrant les voies sur l'Atlantique et l'Afrique de l'autre, l'Espagne constituait le terrain idéal où les tensions impérialistes exacerbées par la crise allaient s'affirmer, surtout pour les impérialismes allemand et italien qui cherchaient à s'assurer une place forte en Méditerranée et à accélérer le cours vers la guerre.

De plus, les structures archaïques de ce pays, profondément ébranlées par le déferlement de la crise économique mondiale du capitalisme dans les années 30, offraient un terrain favorable au dévoiement du prolétariat. Le mythe d'une "révolution démocratique bourgeoise", à accomplir par les ouvriers, est entretenu pour les engager derrière l'alternative "république contre monarchie" qui prépare la voie à la lutte "antifascisme contre fascisme".

Après la dictature militaire de Primo de Rivera, instaurée en 1923 et qui bénéficiait de la collaboration active du syndicat socialiste, l'UGT, la bourgeoisie espagnole élabore, dès août 1930, le "Pacte de San Sebastian" auquel sont associés les deux grands syndicats, l'UGT et la CNT, cette dernière dominée par les anarchistes, et qui jette préventivement les bases d'une "alternative républicaine" au pouvoir monarchiste. Puis, le 14 avril 1931, elle fait abdiquer le roi Alphonse XIII devant la menace d'une grève des cheminots et proclame la république. D'emblée, lors des élections, une coalition socialo-républicaine est portée au pouvoir. Le nouveau gouvernement "républicain et socialiste" ne tarde pas à donner la véritable mesure de sa nature anti-ouvrière. La répression s'abat violemment sur les mouvements de grève qui surgissent face à la montée rapide du chômage et des prix, faisant des centaines de morts et de blessés parmi les ouvriers, notamment en janvier 33 à Casas Viejas en Andalousie. Au cours de cette vague de répression, le "socialiste" Azana ordonne à la troupe : "Ni blessés, ni prisonniers, tirez au ventre !".

Cette répression sanglante des luttes ouvrières, effectuée au nom de la démocratie et qui va durer deux années, va permettre aux forces de droite de s'organiser et conduire à l'essoufflement de la coalition gouvernementale. En 33, les élections vont donner la majorité à la droite. Une partie du Parti Socialiste, très déconsidéré par la répression dont il s'est fait l'agent, va en profiter pour opérer un tournant à gauche.

La préparation du front de guerre impérialiste, c'est-à-dire la nécessité de dévoyer le prolétariat alors que les grèves se développent, est la réalité au sein de laquelle s'articule l'activité des organisations politiques de gauche. C'est en avril-mai 34 que les grèves prennent le plus d'ampleur. Les ouvriers de la métallurgie à Barcelone, les cheminots et surtout les ouvriers du bâtiment à Madrid, engagent des luttes très dures. Face à ces luttes, toute la propagande de la gauche et de l'extrême-gauche s'axe sur l'antifascisme, pour entraîner les ouvriers dans une politique de "front uni de tous les démocrates", véritable camisole de force pour le prolétariat.

De 34 à 35, les ouvriers sont soumis à un véritable matraquage idéologique en vue des élections, pour la mise en place d'un programme de front populaire et pour "faire face au péril fasciste".

En octobre 34, poussés par les forces de gauche, les ouvriers des Asturies tombent dans le piège d'un affrontement suicidaire avec l'Etat bourgeois qui va les saigner à blanc. Leur insurrection, puis leur héroïque résistance dans les zones minières et dans la ceinture industrielle d'Oviedo et de Gijon s'est trouvée complètement isolée par le PSOE et l'UGT qui ont empêché par tous les moyens que la lutte ne s'étende au reste de l'Espagne, en particulier à Madrid. Le gouvernement déploie alors 30.000 hommes avec chars et avions dans les Asturies pour écraser impitoyablement les ouvriers, ouvrant une période de violente répression dans tout le pays.

Le "Frente Popular" livre les ouvriers au massacre

Le 15 janvier 35, l'alliance électorale de Front Populaire est signée par l'ensemble des organisations de gauche ainsi que par les gauchistes trotskisants du P.O.U.M. Les dirigeants anarchistes de la CNT et de la FAI dérogent à leurs "principes anti-électoraux" pour couvrir cette entreprise d'un silence complice qui équivaut à un soutien. En février 36, le premier gouvernement de Front Populaire est élu. Alors qu'une nouvelle vague de grèves se développe, le gouvernement lance des appels au calme, demande aux ouvriers de cesser les grèves, disant que celles-ci font le jeu du fascisme ; le P.C.E. ira jusqu'à dire que "des patrons provoquent et attisent les grèves pour des raisons politiques de sabotage". A Madrid, où une grève générale éclate le 1er juin, la C.N.T. empêche toute confrontation directe avec l'Etat, en lançant ses fameux mots d'ordre d'autogestion. Cette autogestion va servir à enfermer les ouvriers dans "leur" usine, "leur" campagne ou "leur" village, notamment en Catalogne et en Aragon.

Se sentant assez fortes, les forces militaires se lancent en juillet dans un "pronunciamento" parti du Maroc et dirigé par un Franco qui a fait ses premières armes de général sous les ordres de la république dominée par les socialistes.

La riposte ouvrière est immédiate : le 19 juillet 36, les ouvriers déclarent la grève contre le soulèvement de Franco et se rendent massivement dans les casernes pour désarmer cette tentative, sans se préoccuper des directives contraires du Front Populaire et du gouvernement républicain. Unissant la lutte revendicative à la lutte politique, les ouvriers arrêtent par cette action la main meurtrière de Franco. Mais, simultanément, les appels au calme du Front Populaire -"Le gouvernement commande, le Front Populaire obéit"- sont respectés ailleurs. A Séville par exemple, où les ouvriers ont suivi les consignes d'attente du gouvernement, ils se font massacrer dans un horrible bain de sang par les militaires.

Les forces de gauche du capital déploient alors pleinement leurs manoeuvres d'embrigadement[1].

En 24 heures, le gouvernement qui négociait avec les troupes franquistes et organisait avec elles le massacre des ouvriers cède la place au gouvernement Giral, plus "à gauche" et plus "antifasciste", qui prend la tête du soulèvement ouvrier pour l'orienter vers l'affrontement exclusif avec Franco et sur un terrain exclusivement militaire ! Les ouvriers ne sont armés que pour être envoyés "au front" contre les troupes de Franco, hors de leur terrain de classe. Mieux, la bourgeoisie tend alors le piège criminel d'une soi-disant "disparition de l'Etat capitaliste républicain", alors que celui-ci s'abrite derrière un pseudo-"gouvernement ouvrier" qui dévoie les ouvriers dans une union sacrée contre Franco à travers des organismes comme le Comité Central des Milices Antifascistes et le Conseil Central de l'Economie. L'illusion d'un "double pouvoir" est créée qui livre définitivement les ouvriers aux mains de leurs bourreaux. Les sanglants massacres qui ont lieu par la suite en Aragon, à Oviedo, à Madrid, sont le résultat criminel de la manoeuvre de la bourgeoisie républicaine et de gauche qui a fait avorter les réactions ouvrières du 19 juillet 36. Dès lors, des centaines de milliers d'ouvriers sont directement enrôlés dans les milices antifascistes des anarchistes et des poumistes et sont envoyés se faire tuer sur le font impérialiste "antifranquiste" par le gouvernement de Front Populaire.

Ayant abandonné son terrain de classe, le prolétariat devait subir l'égorgement guerrier et se voir imposer une sauvage surexploitation au nom de l'économie de guerre "antifasciste" par le Front Populaire : réduction des salaires, inflation, rationnement, militarisation du travail, allongement de la journée de travail...

Le prolétariat de Barcelone se soulevait à nouveau, mais désespérément, en mai 37, et se faisait massacrer par le gouvernement de Front Populaire, le PCE et sa succursale catalane du PSUC en tête, tandis que les troupes franquistes arrêtaient volontairement leur avance pour permettre aux bourreaux staliniens d'écraser les ouvriers : "Le 19 juillet 1936, les prolétaires de Barcelone, AVEC LEURS POINGS NUS, écrasèrent l'attaque des bataillons de Franco, ARMES JUSQU'AUX DENTS. Le 4 mai 1937, ces mêmes prolétaires, MUNIS D'ARMES, laissent sur le pavé bien plus de victimes qu'en juillet, lorsqu'ils doivent repousser Franco et c'est le gouvernement antifasciste -comprenant jusqu'aux anarchistes et dont le POUM est indirectement solidaire- qui déchaîne la racaille des forces répressives contre les ouvriers" écrivait Bilan en 1938 dans l'article "Plomb, mitraille, prison : ainsi répond le Front Populaire aux ouvriers de Barcelone".

Dans cette sanglante tragédie toutes les organisations soi-disant ouvrières ont non seulement démontré leur intégration à l'Etat bourgeois, mais ont participé à l'écrasement du prolétariat ; les unes, comme le PCE, le PSUC - consacrés là grands partis de l'ordre bourgeois - le PSOE et l'UGT en assumant directement le rôle de bourreaux, les autres, comme la CNT, la FAI, le POUM, en poussant les ouvriers à quitter leur terrain de classe au nom du "front antifasciste" pour les jeter dans les bras de leurs assassins et dans la mêlée impérialiste. La présence de ministres anarchistes et cénétistes dans le gouvernement de Catalogne puis dans le gouvernement central de Caballero, a représenté un puissant facteur dans la mystification des ouvriers par le Front Populaire. Les anarchistes ont tenu un rôle de premier plan pour le compte de la bourgeoisie et dans sa manoeuvre en trompant les prolétaires sur la nature de classe du gouvernement et du Front Populaire :

  • "Tant sur le plan des principes que par conviction, la C.N.T. a toujours été anti-étatiste et ennemie de toute forme de gouvernement. Mais les circonstances ont changé la nature du gouvernement espagnol et de l'Etat. Aujourd'hui, le gouvernement, en tant qu'instrument de contrôle des organes de l'Etat, a cessé d'être une force d'oppression contre la classe ouvrière, de même que l'Etat ne représente plus un organisme qui divise la société en classes. L'un et l'autre opprimeront même moins le peuple maintenant que des membres de la C.N.T. y sont intervenus" (Federica Montseny, 4 novembre 1936).

Tous les organismes dirigeants de la C.N.T. déclarèrent une guerre féroce contre les éléments des rares courants qui, même dans une terrible confusion, luttaient pour défendre des positions révolutionnaires, en les envoyant sur les positions les plus exposées du front ou en les faisant emprisonner par la police des "forces républicaines".

Les événements d'Espagne ont donné la mesure de ce qu'étaient réellement ceux qui se prétendaient du côté des ouvriers, démocrates en général, socialistes, "communistes" ou anarchistes, et qui, dans la pratique, ont été les défenseurs acharnés de l'Etat bourgeois et du capital national, les pires ennemis de la classe ouvrière.

La guerre d'Espagne se prolongea jusqu'en 39, s'achevant par la victoire de Franco, au moment où les autres fractions du prolétariat mondial, partout vaincues par la contre-révolution, servaient à leur tour de chair à canon dans l'affrontement impérialiste généralisé derrière leur bourgeoisie nationale respective.

[1] La capacité d'adaptation de la bourgeoisie espagnole face au prolétariat peut être illustrée par la trajectoire politique de Largo Caballero : président du syndicat UGT depuis 1914, député du PSOE, il devint conseiller d'Etat du dictateur Primo de Rivera puis ministre du travail du premier gouvernement républicain de "coalition" entre 31 et 33, ensuite il fut l'un des principaux artisans du Front Populaire, avant de s'orienter sur des positions "gauchistes" qui lui permirent de devenir chef du gouvernement entre septembre 36 et mai 37.

Evènements historiques: 

La leçon des évènements d’Espagne (Bilan n°36, novembre 1936)

Il nous importe tout d'abord de bien mettre en lumière quelques éléments de fait. Lorsque le mouvement du 17 Juillet, au Ma­roc, fut connu à Madrid et à Barcelone, la préoccupation première du capitalisme fût d'attendre les réactions du prolétariat pour s'orienter dans une direction ou dans l'autre. Tout d'abord, comme cela a été noté dans l'avant dernier numéro de "Bilan", au gouvernement de Quiroga fut substitue ce­lui de Barrios, afin de tenter d'aboutir à une conversion pacifique de la gauche à la droite. Mais, devant l'ampleur du soulève­ment ouvrier en Catalogne et à Madrid, cet­te tentative échoue lamentablement et Giral vient au pouvoir alors que Barrios part pour Valence, où il tentera, au nom du gouver­nement, de légaliser la révolte ouvrière.

Le déroulement des événements à partir du 17 Juillet confirme notre appréciation : le 17 Juillet, le syndicat des transports maritimes de Barcelone s'était emparé des armes se trouvant dans les navires "Manuel Artus", "Argentina" "Uruguay" et "Marquis de Cornillas" (150 fusils et des munitions). Il les avait transportées à son local. Le 18, veille du soulèvement militaire, la po­lice enleva une partie des armes.

Lorsque les chefs des divers partis ou­vriers allèrent demander, après le 17 des armes à Companys, car il était de notorié­té publique que les militaires descendrai­ent dans la rue à l'aube du dimanche, le chef de la Généralité les rassura en expliquant que la Garde Civile et d'Assaut suffiraient et, qu'en tout cas, si elles reculaient, les ouvriers n'avaient qu'à ra­masser les fusils des morts et à intervenir. Pour Companys, le mieux que les ouvriers avaient à faire le samedi soir et le diman­che, c'était de rentrer chez eux et d'at­tendre l'issue de la lutte.

Mais l'effervescence du prolétariat de Barcelone était à son paroxysme.

Les événements du 19 juillet

Le dimanche au matin tout le proléta­riat, armé avec des moyens de fortune et dans sa majorité sans armes, est dans les rues. A cinq heures la bataille se déclen­che. Entourées par les ouvriers la garde d'Assaut et une partie de la Garde Civile doit marcher contre les militaires. Bien­tôt le courage et l'héroïsme des ouvriers où se distinguent particulièrement les militants de la CNT et de la FAI, ont rai­son des points essentiels du soulèvement car ici et là les soldais fraternisent avec les prolétaires, telle la caserne de Tarragona. Le soir même, les soldats sont vaincus et le général Godet capitule. C’est à partir de ce moment que l'armement du prolétariat devient général.

La Généralité, quant à elle, s'efface peureusement devant l'élan des ouvriers mais ne craint cependant pas que ceux qui lui ont demandé des armes, maintenant que les ouvriers les ont prises par la force, ne se tournent contre elle.

Le Lundi 20, la CNT et à sa suite l’UGT lancent le mot d'ordre de grève géné­rale dans toute l'Espagne. Mais partout les ouvriers sont dans la rue. Ils pren­nent les armes mais posent leurs revendi­cations de classe. Le contraste ancien en­tre CNT  et UGT au sujet de la semaine de 36 heures ou de 40 heures; le problème des salaires, tout cela surgit au cours de la lutte car déjà les ouvriers commencent à mettre la main sur de nombreuses entre­prises. Le 20 apparaissent et se constituent des milices qui nettoieront Barcelo­ne. Le 21 est publié un décret de la Généralité affirmât : "primo : il est crée des milices (ciutadines) citadines pour la défense de la République et la lutte contre le fascisme et la réaction". Le C.C. des milices comprendra un délégué du conseiller Gouvernacion, un délégué du Commissaire géné­ral d'ordre public et des représentants de toutes les forces ouvrières ou politiques luttant contre le fascisme.

Ainsi, la Généralité tente dès le 21, non seulement de mettre son cachet sur les initiatives des ouvriers armés, mais d'enfermer leurs efforts dans les cadres de la légalité bourgeoise.

Le 21 la grève générale continue tou­jours et le POUM (parti d'unification marx­iste) .parle de la faire durer jusqu'à ce que le fascisme soit écrasé partout.

Mais déjà la CNT, qui domine Barcelone, lance ce jour lé mot d'ordre de rentrée pour les industries d'alimentation et de service public. Le POUM publie l'avis mais ne le critique pas. Cependant, l'on continue à parler des revendications de clas­se. Les ouvriers exproprient la Compagnie des Trams, le Métropolitain, tous les mo­yens de transports, y compris les chemins de fer. Ici  aussi la Généralité intervient et légalise en prenant l'expropriation à son compte. Plus tard elle prendra les devants, dans certaines entreprises et les expropriera avant les ouvriers.

Le même jour, le front d'Esquerres, qui groupe tous les partis bourgeois de gauche, reçoit une lettre du POUM où celui-ci invité par Companys, accepte de collaborer avec TOUS LES PARTIS contre le fascisme mais refuse, après délibération de sa C.E. de collaborer à un gouvernement de Front Populaire.

Il semble que dès le 24, sous la pres­sion de la Généralité, la plupart des or­ganisations ouvrières tentent de freiner le mouvement revendicatif. Les socialo centristes de Barcelone sont contre la prolongation des grèves, la CNT a donné le mot d'ordre de rentrée, le POUM s'efforce de maintenir son programme de revendication mais il ne dit pas s'il approuve ou non la rentrée.

Dès le 24 le départ des colonnes de mi­liciens pour Saragosse s’organise. Mais il faut que les ouvriers partent avec la sensation qu’ils obtiennent satisfaction au sujet de la revendication. La Généralité lance un décret : les jours de grève seront payés, Mais, ici aussi, dans la plupart des usines les ouvriers ont déjà, les armes à la main, obtenus des satisfactions partiel puisque, grâce aux partis et aux organisa­tions syndicales se réclamant du prolétari­at, la bourgeoisie est parvenue à faire cesser la grève générale et que, dans les entreprises occupées par les ouvriers, la semaine de 36 heures est instaurée ipso facto, le 26 juillet la Généralité lance un décret instituant la semaine de 40 heures avec augmentation le salaires de 15%.

Et, pendant que la Généralité s'effort ce d'encadrer l'explosion des contrastes sociaux, nous arrivons au 28 juillet, qui marque déjà un important tournant de la si­tuation. Le POUM qui contrôle au travers de la F.OU.S., le "syndicat mercantile" ([1]) et quelques minuscules entreprises, lancent le mot d'ordre de reprise du travail pour les ouvriers qui ne se trouvent pas dans les milices. Il faut créer la mystique de la marche sur Saragosse. Prenons Saragosse, dira-t-on aux ouvriers, puis nous réglerons leur compte à la Généfalité et à Madrid.

Par son mot d'ordre de rentrée, le POUM exprimera clairement le tournant de la situation et la réussite de la manoeuvre de la bourgeoisie parvenant à obtenir la cessa­tion de la grève, générale, puis lançant des décrets pour éviter les réactions des ouvriers et, enfin, poussant les prolétaires en dehors des villes vers le siège de Saragos­se.

Mais à Saragosse, la grève générale avec des phases de recul et d'accélération continue et ce ne sera que bien plus tard que les ouvriers céderont à l'ultimatum de Cabanellas, les mettant devant le choix de reprendre le travail ou d’être massacrés tous.

Dès lors, leur espoir ne sera porté vers un rebondissement des batailles gré­vistes, mais dans la victoire des forces gouvernementales et Cabanellas pourra or­ganiser sa répression féroce et sanguinai­re.

Selon la "Batalle", organe du POUM (29 août), il ressort que les ouvriers de Saragosse auraient mené pendant quinze jours la grève générale. Voici ce que dit ce journal : "Le dimanche matin, 19 juil­let (lorsque les militaires descendirent dans la rue. N.D.L.R.) : "Les ouvriers organisèrent immédiatement la résistance et la lutte dura de nombreux jours. La grè­ve fut absolument générale jusqu'à quinze jours plus tard, et beaucoup plus longtemps durèrent les tirs aux barricades ouvrières. Toujours il y avait quelques héros irréduc­tibles, qui préféraient perdre la vie qu'accepter la domination fasciste.

A partir du 28 juillet; l'aspect du mouvement en Catalogne change. On continue bien à exproprier des entreprises, à nommer des conseils ouvriers, mais, déjà, tout ce­la se fait en accord avec des délégués de la Généralité, qui ne manifestent évidem­ment pas de résistance aux ouvriers armés, mais qui savent que, pour les besoins de la guerre où s1engage le gros du prolétariat, ils obtiendront ce qu'ils voudront.

Déjà, les contours précis de l'attaque générale du capitalisme espagnol se précise. Dans les régions agricoles, où la répression du Front Populaire a déjà passé et où n'e­xiste pas un prolétariat nombreux et dense, le problème agraire sera résolu par l'é­crasement féroce et sanguinaire de Franco qui, à ce point de vue, n'aura rien a envier à Mussolini ou à Hitler. Dans les centres industriels, et surtout en Catalogne, où le problème agraire ne se pose pas, il faut affronter de biais le prolétariat. Le lan­cer dans un guet-apens militaire, désagré­ger son front intérieur, mais arriver coûte que coûte à l'anéantir. A Madrid, se sera le Front Populaire qui s’en  chargera. En Catalogne, la Généralité parviendra, au prix de concessions formelles et non substantiel­les, sur le terrain de la gestion économi­que et de la direction politique, à s'inféoder la CNT  et le POUM, parti opportuniste du bureau de Londres, dont l'un des chefs, l’ex-trotskiste Nin, est aujourd'hui minis­tre de la justice.

A Madrid, après le 19 juillet la grève générale ne sera que le prolongement de la grande grève de la construction qui durait depuis juin et elle ne cessera que quelques jours après sa cessation en Catalogne, du fait de l'extrême confusion qui se dévelop­pe dans la capitale.

Ici les ouvriers sont dans la rue seu­lement le lundi alors qu’à Barcelone les militaires sont déjà écrasés. Le gouverne­ment de Barrios a duré quelques heures et Giral qui lui succède promet tout ce  que l’on veut à l'exception d'armes que les orga­nisations ouvrières lui demandent. Le lun­di, sans armes, les prolétaires madrilaines se ruent vers la caserne de la Montana qu'ils emportent d’assaut. Dès lors, les caser­nes de Madrid fraternisent toutes et c'est une lutte assez brève dans les environs de Madrid d'où les militaires voulaient marcher sur la ville. Le mardi les ouvriers qui font la grève générale cherchent leurs ennemis, et puisque de la CNT aux socialo-centristes, tout le monde a proclamé que le gouvernement était un allié, le bras vengeur du proléta­riat armé, les travailleurs se dispersent dans la province de Madrid et rencontrent les militaires sur le Guadarama où après une lutte sanglante mais confuse, de part et d'autre, on se retira sur ses  positions alors que le gros des ouvriers refluera vers Madrid où à ce moment sera lancé le mot d' ordre de cessation de la grève et de l'or­ganisation des colonnes.

Comme à Barcelone et dans toute l'Espa­gne, les ouvriers, qui, depuis février 36 ont été appelés à considérer le Front Populaire comme un allié sûr, lorsqu'ils se sont jetés dans la rue, le 19 juillet, nf ont pu diriger leurs armes dans une direction qui leur aurait permis de briser l' Etat capitaliste et de battre Franco. Ils ont laissé les Giral à Madrid, les Companys à Barcelone à la tête de l'appareil d'état en se contentant de brûler les églises, de "nettoyer" des institutions capitalistes telles là Sûreté Publique, la police, la Guardia Civile,.la Garded’Assaut. Ils ont bien exproprié, en Catalogne, les bran­ches fondamentales de la production, mais l'appareil bancaire est resté intact et avec son fonctionnement capitaliste antérieur.

D'ailleurs, ces éléments seront examinés minutieusement et sur la base d'une docu­mentation, ultérieurement.

Du 19 au 28 juillet, la situation aurait permis aux ouvriers armés, du moins à Bar­celone, de prendre intégralement le pouvoir sous dès formes confuses, certes, mais qui auraient néanmoins représenté une expérien­ce historique formidable. Le tournant vers Saragosse a sauvé la bourgeoisie. La "Batalla", organe du soi-disant parti "marxiste", proclamait qu'autour de Saragosse se concen­trait l'attention révolutionnaire mondiale. Mais, déjà, à partir du 27 juillet, la bourgeoisie tâte prudemment le terrain. A Figueras, des militants de la CNT  sont désar­més par des gardes civils et des miliciens du Front Populaire, après avoir vaincu les fascistes. La CNT publie à ce moment un ap­pel aux masses, où elle recommande de tirer sur ceux qui voudraient les désarmer. La Généralité est avertie. Elle s'y prendra par d'autres moyens.

Le 2 août, nouvelle tentative de la Géné­ralité de légaliser organiquement la situ­ation : elle décide d'appeler sous les ar­mes plusieurs classes. Les soldats refusent de partir ailleurs que dans les milices. La CNT prend immédiatement position : "des miliciens ? Oui! Des soldats ? Non!" Le POUM lui, demande "la dissolution", non pas la destruction, mais la dissolution de l"armée.

Bien entendu, la Généralité laissera faire en se contentant de relier le C.C. des milices anti-fascistes au Département de la Défense de la Généralité.

La composition du C.C. des milices anti­fascistes sera d'ailleurs la suivante : trois délégués de la CNT, trois délégués de l'UGT, deux délégués de la FAI, un délégué de la Gauche Républicaine, deux socialistes unifiés, un délégué de la Ligue des Rabasseres (petits fermiers sous 1!influence de la gauche catalane), un délégué à la coali­tion des partis républicains, un délégué du POUM et quatre représentants de la Généra­lité (le conseiller de la défense, le colonel Sandino, le commissaire général de l'ordre public, préfet de Barcelone et deux délégués de la Généralité sans charge fixe).

Au point de vue de l'évolution politi­que, le prolétariat de Madrid est rapide­ment poussé sur une plateforme ouvertement bourgeoise, alors qu'à Barcelone il faudra quelques semaines de guerre et des manoeu­vres pour y arriver.

Dès le 30 juillet, à Madrid, la Pasionaria déclare qu'il s'agit de défendre la Ré­volution bourgeoise qui doit être faite complètement. Le 1er août, la police teste­ra active à Madrid et "Mundo Obrero", de­vant la tentative de Giral d'enlever le droit d'arrestation aux milices, parlera de la "confusion" qu'il faut dissiper en con­vainquant le Front Populaire de l'action d'ordre des milices.

Le trois août, "Mundo obrero" proclame qu'il défend la propriété privée des amis de la République. Et il dira : "Pas de grè­ves dans l'Espagne démocratique ". Pas d'ouvriers au repos sur le front arrière. Tout son programme se résumera en ces mots : après avoir écrasé le fascisme, la gauche républicaine se souviendra et ne laissera plus instaurer la situation d'avant le 19 juillet.

Le 8 août, Jésus Hernandos célébrera, dans un discours à grand retentissement, la lutte des ouvriers pour la République dé­mocratique bourgeoise et rien que pour elle, et, le 18 août, les centristes pourront di­re que la lutte, en Espagne, a pris l'aspect d'une guerre nationale, une guerre pour l'indépendance de l'Espagne. Pour eux,  il faudra créer une nouvelle armée du peuple avec les vieux officiers et les milices et, dès lors, ils deviendront les partisans d'une sévère discipline.

Dès la constitution du cabinet Giral, les Caballero, les Prieto demanderont la constitution d'une commission du Front Populaire, près du ministère de la Guerre, où ils participeront. Par ce moyen, ils seront des ministres"officieux".

Pour ce qui est de Barcelone, une fois entré dans la nouvelle phase de la guerre pour Saragosse, condition primordiale pour "résoudre" (?) le problème social, la "Solidaridad Obrero" du premier août salue­ra l'ère nouvelle et l'ouverture de la pha­se menant au communisme libertaire.

Lors de la constitution du gouverne­ment de Casanovas (après la sortie du gou­vernement des délégués du PSUC)([2]), la CNT, bien qu'affirmant que ce gouvernement ne concrétisait pas la réalité de ce que les ouvriers avaient conquis, lui donna cependant son appui total.

Toute la première semaine d'août, la CNT mobilisa les masses autour du départ pour le front d'Aragon, en insistant qu'il ne s’agissait pas d'une armée régulière, mais de bataillons de volontaires où cha­que officier de l'ancienne armée devait être surveillé par un milicien. Enfin, elle mit en évidence une notion totalement incon­nue jusqu'ici par les anarchistes : la dis­cipline militaire.

Mais la CNT sera alors absorbée par la nécessité de contrôler les initiatives ou­vrières sur le terrain économique afin de les maintenir sur la ligne du plus grand rendement pour la guerre.

Le 14 août, la "Solidaridad Obrero" écrira ouvertement que, dans le domaine économique, existent des rapports de guerre.

Mais, cet aspect du problème, nous l’examinerons séparément au cours de l'ana­lyse des réalisations économiques et des organes nouveaux surgis sur le terrain so­cial et politique en Catalogne.

Il nous faut encore marquer la posi­tion du POUM qui, loin d'être un parti pouvant évoluer vers des positions révolutionnaires, représente un amalgame de tendances opportunistes (socialistes de gauche, communistes d'extrême droite, trot­skistes) qui est un obstacle de plus à la clarification révolutionnaire.

Le schéma selon lequel le POUM est in­tervenu dans les événements est à peu près celui-ci : les bolcheviks luttèrent d'abord contre le tsarisme, puis contre la bourgeoisie et ses agents mencheviks. Sans Tcheka et armée rouge, la Russie n'aurait pas vaincu ses ennemis extérieurs, et in­térieurs ("Batalla" du 4 août). Le POUM luttera d'abord contre le fascisme, puis contre la bourgeoisie, comme Nenni combat­tait d'abord Mussolini, puis contre la bourgeoisie; comme Breitscheid luttait d'abord contre Hitler puis contre la bourgeoisie et comme si Lénine n'avait pas apporté, en avril 1917, contre Staline et Kamenev, un programma de lutte contre toutes les formes de la domination bourgeoise, et comme si il était possible de lutter contre le fas­cisme sans entamer une lutte contre l'en­semble du système capitaliste.

Les institutions nouvelles et leur signification

Avant tout, nous voudrions bien mettre en évidence un élément central sur lequel les événements projettent leur lumière. Au moment où l'attaque capitaliste se déchaî­ne avec le soulèvement de Franco, ni le POUM, ni la CNT ne songent à appeler les ouvriers à descendre dans le rue. Ils or­ganisent des délégations près de Companys afin d'obtenir des armes, Le 19 juillet, c'est spontanément que les ouvriers sont dans la rue et la CNT avec l'UGT, lorsqu' ils lancent le mot d'ordre de grève géné­rale, ne font que consacrer une situation de fait.

Puisque les Companys, les Giral sont immédiatement considérés comme les alliés du prolétariat, comme les personnes devant fournir les clefs pour ouvrir les dépôts d’armes, il est naturel que personne, lors­que les ouvriers prirent les armes après avoir écrasé les militaires, ne songea un seul instant à poser le problème de la destruction de l'Etat qui, avec Companys à sa tête, resta intact. On essaya, dès lors, d'accréditer l'utopie, qui revient à affirmer qu'il est possible de faire la révolution en expropriant les entreprises, en prenant les terres, sans toucher à l' Etat capitaliste, ni même à son système bancaire.

La constitution du Comité Central des milices devait donner l'impression de l'ouverture d’une phase de pouvoir prolétarien et la constitution du Conseil Central de l'Economie l'illusion que l'on entrait dans la phase de la gestion d'une écono­mie prolétarienne.

Pourtant, loin d'être des organismes de dualité des pouvoirs, il s'agissait bien d'organismes ayant une nature et une fonction capitalistes, car au lieu de se cons­tituer sur 'la base d'une poussée du prolé­tariat cherchant des formes d'unité de lut­te afin de poser le problème du pouvoir, ils furent, des l'abord, des organes de col­laboration avec l'Etat capitaliste.

Le C.C. des milices de Barcelone sera d'ailleurs un conglomérat de partis ou­vriers et bourgeois et de syndicats et non un organisme du type des soviets surgis­sant sur une base de classe, spontanément, et où puisse se vérifier une évolution de la conscience des ouvriers. Il se reliera, à la Généralité, pour disparaître, avec un simple décret, lorsque sera constitué, en octobre, le nouveau gouvernement de la Catalogne.

Le C.C. des milices représentera l'ar­me inspirée par le capitalisme pour en­traîner, par l'organisation des milices, les prolétaires en dehors des villes et de leurs localités, vers les fronts ter­ritoriaux où ils se feront massacrer impitoyablement, il représentera l'organe qui rétablira l'ordre en Catalogne, non avec les ouvriers, mais contre ceux-ci,  qui seront dispersés sur les fronts. Certes, l'armée régulière sera pratiquement dissou­te, mais elle sera reconstituée graduel­lement avec les colonnes de miliciens dont l'Etat Major restera nettement bourgeois, avec les Sandino, les Villalba et consorts. Les colonnes seront volontaires elles pour­ront le rester jusqu'au moment où finiront la griserie et l'illusion de la révolution et réapparaîtra la réalité capitaliste. Alors on marchera à grands pas vers le ré­tablissement officiel de l'armée régulière et vers le service obligatoire.

Loin de pouvoir être un  embryon d'ar­mée Rouge, les colonnes se constitueront sur un terrain et dans une direction qui  n'appartiennent pas au prolétariat. Pour que cela ne se vérifiât pas, il aurait fallu prendre le pouvoir, en détruisant l'Etat capitaliste, ou tout au moins, que les ouvriers armés, tournent leurs armes contre cet Etat. Et les colonnes de mili­ciens ne se constituèrent pas dans cette direction : ils s'agissait plutôt de par­tir vers Saragosse et Huesca pour ce qui est de la Catalogne, vers Tolède et le Guadarama pour ce qui est de Madrid. Les ouvriers armés furent jetés dans l’anti­fascisme et non dans une lutte contre l'ensemble des formes du capitalisme. Et, dans ces conditions, toutes les formes dé­mocratiques qui, dans un premier moment, se manifestèrent au sein des colonnes, n’avaient qu’une importance insignifiante. Ce qui importait, c'était la direction suivie par les milices, et celle-là était franche­ment celle du Front Populaire; la lutte antifasciste respectant les organes de la domination capitaliste, les renforçant mê­me, par l’appui que leur donneront les an­archistes et le POUM entrant dans les mi­nistères,

A Madrid, les milices seront même pra­tiquement sous le contrôle du Département de la Guerre de Caballero, qui fournira les gradés aux différentes organisations passant à la formation des colonnes.

En définitive, si le gros de l'armée régulière passa à Franco, le Front Popu­laire et ses alliés, par l'organisation des milices, tenta de pousser les ouvriers du terrain de la lutte sociale sur le terrain de la formation d'une nouvelle armée régu­lière, et cela explique pourquoi les ou­vriers, malgré leur courage, seront écra­sés. Sur le terrain militaire, Franco agi­ra avec certitude, alors que Companys, les Caballero et compagnie déploieront une stra­tégie non militaire mais sociale consistant à favoriser le massacre des ouvriers qui, par leur incorporation dans une armée, n'auront plus la force de retrouver le chemin au travers duquel ils vaincurent les militaires à Barcelone, à Madrid,le 19 juil­let.

Passons maintenant à l'examen des autres instruments de la domination capitaliste. La Garde Civile, célèbre pour ses massacres d'ouvriers à l'époque de la monarchie, a été transformée en Garde Nationale Républicaine, Certes, à Barcelone, la CNT a procédé à un nettoyage de cette dernière, mais l'insti­tution est restée debout, embellie par l' entrée des militants anarchistes en son sein,

A Madrid, la Garde Civile est restée intacte et garde jalousement les coffres-forts du capitalisme : les banques.

Il n'y a vraiment qu'à Valence, où des ouvriers de la colonne de Fer (CNT), pas­sant outre à l'accord conclu par leur or­ganisation, demandant à la Garde Civile de remettre seulement les fusils, sont descendus du front pour obliger, avec la menace de leurs mitrailleuses, les gardes civiles à désarmer complètement et sont allés brû­ler les archives de la police, Madrid a d'ailleurs compris qu'ici il val ait mieux retirer Garde Civile, Garde d'Assaut et laisser se constituer, sous la direction du Comité Exécutif Populaire (sorte de Front Populaire), une GPA (Garde Populaire Anti-Fasciste) qui maintiendra tout aussi bien l'ordre à l'arrière, La Garde d'Assaut, que les ouvriers ont affronté sous la Républi­que, est restée intacte et, actuellement, à Barcelone, a été puissamment armée.

Pour ce qui est de la Sûreté Publique; l'on a procédé à un simple nettoyage de cette institution qui est restée intacte. En France, Blum remplace les fonctionnaires par décrets et démocratise l'Etat ; en Es­pagne, c'est avec des fusils que l'on a remplacé des fonctionnaires pour "prolé­tariser" les institutions capitalistes, Les anarchistes ont pris la direction de la Sûreté à Barcelone, d'abord sous la forme de la Section d'investigation du C.C. des mi­lices, aujourd'hui sous la forme du Département de la Sécurité dont le militant de la CNT, Fernandez, est le secrétaire géné­ral.

A Madrid, au commencement d'octobre, après la promulgation du décret sur la mi­litarisation, toutes les sections de vigilance des organisations politiques ou syn­dicales ont été soumises au Département de la Sûreté Publique. Ni à Barcelone, ni à Madrid, l'on a publié les listes des mou­chards entretenus par la police politique dans les organisations ouvrières : et cela est significatif,

Les tribunaux ont été rétablis rapi­dement dans leur fonctionnement avec l'aide de l'ancienne magistrature, plus la participation des organisations"antifascistes". Les Tribunaux Populaires de la Catalogne sous leur première version "extrémiste" (décret du ministre du POUM, Nin), partent toujours de la collaboration entre des magistrats professionnels et des représen­tants de tous les partis, mais Nin a innové en supprimant le jury populaire,

A Madrid le pourcentage des magistrats professionnels sera plus élevé qu'a Barce­lone, mais, dès octobre, Caballero lancera des décrets pour simplifier la procédure au cours du jugement des fascistes et il s'élèvera donc à la hauteur d!un Nin,

Une seule institution sera balayée sérieusement en Catalogne : L'Eglise, et puisqu’il ne s'agit pas d'un instrument essentiel de la domination capitaliste, on don­nera l'impression aux masses, d'un boulever­sement général, alors qu'il est très faci­le de reconstruire des églises, de les peu­pler, de nouveaux prêtres, lorsque le régi­me capitaliste subsiste dans ses fondements.

D'ailleurs, si l'on prend un autre fait, l'on saisira immédiatement que là n'est pas le noeud du problème. Les banques et la Banque d'Espagne sont  restées intactes et partout les mesures de précaution furent prises pour empêcher (même par la force des armes) la main mise des masses. Dans l'extrémisme, pour ce qui est de la démolition des Eglises et la passivité devant les ban­ques, l'on retrouve le fil du déroulement des événements, où les masses ont été pous­sées à démolir en marge du système capita­liste, mais non le système lui-même, :.

Examinons maintenant deux genres d'or­ganismes qui se sont constitués en opposi­tion les uns aux autres. Les Conseils d'U­sine et le Conseil de l'Economie de la Ca­talogne.

Lorsque les ouvriers reprirent le tra­vail, là où les patrons avaient fui ou fu­rent fusillés par les masses, se consti­tuèrent des Conseils d'Usine qui furent l'expression de l'expropriation de ces entre­prises par les travailleurs. Ici intervin­rent rapidement les syndicats pour établir des normes tendant à admettre une repré­sentation proportionnelle là où se trouvaient des membres de la CNT et de l'UGT. Enfin, bien que la reprise du travail s’ef­fectua avec la demande des ouvriers de voir appliquées la semaine de 36 heures, l'aug­mentation des salaires, les syndicats in­tervinrent pour défendre la nécessité de travailler à plein rendement pour l'orga­nisation de la guerre sans trop respecter une réglementation du travail et des salai­res.

Immédiatement étouffés, les comités d’usine, les comités de contrôle des entre­prises où l'expropriation ne fut pas réa­lisée (en considération du capital étran­ger ou pour d'autres considérations) se transformèrent en des organes devant acti­ver la production et, par là, furent dé­formés dans leur signification de classe. Il ne s'agissait pas d'organismes crées pendant une grève insurrectionnelle pour renverser l'Etat, mais d'organismes orien­tés vers l'organisation de la guerre, con­dition essentielle pour permettre la survivance et le renforcement de cet Etat.

De suite contrôlés par les syndicats mobilisant pour la guerre antifasciste, dès le 11 août, les comités d'usine fu­rent reliés au Conseil de l'Economie qui, d'après le décret officiel fut l'organis­me délibératif pour établir des accords en matière économique entre les diverses or­ganisations représentées (Etat Républicain Catalan, 3 ; Parti Socialiste Unifié ,1 ; CNT, 3 ; FAI, 2 ; POUM, 1; UGT, 3 ; Action Catalane, 1 ; Union Républicaine, 1) et "le gouvernement de la Généralité qui exécutera les accords qui résultent de ses délibérations".

Désormais les ouvriers, au sein des usines qu'ils avaient cru conquérir sans détruire l'Etat capitaliste, deviendront à nouveau les prisonniers de ce dernier et bientôt, en Octobre sous prétexte d'oeuvrer pour la réalisation d'une nouvelle ère, de gagner la guerre, on militarisera les tra­vailleurs des usines. Le Conseil de l'Eco­nomie se proposera, dés sa constitution, d'oeuvrer pour le socialisme en accord avec les partis républicains et la Généra­lité. Ni plus, ni moins. Celui qui réali­sera (sur le papier) ce "premier pas du capitalisme au socialisme", sera Monsieur Nin, qui élaborera les 11 points du Conseil. Fin septembre, c'est le nouveau mi­nistère "ouvrier" de là Généralité qui se­ra alors chargé de faire ce premier pas". Mais, alors, la mystification, la duperie, sera plus évidente.

Le fait le plus intéressant dans ce domaine est le suivant : à l'expropriation des entreprises en Catalogne, à leur coordination effectuée par le Conseil de l'Economie en août, au décret d'octobre du gouvernement donnant les normes pour passer à la "collectivisation", succéde­ront, chaque fois, de nouvelles mesures pour soumettre les prolétaires à une dis­cipline dans les usines, discipline que jamais ils n'auraient toléré de la part des anciens patrons. En Octobre, la CNT lancera ses consignes syndicales où elle interdira les luttes revendicatives de toute espèce et fera de l'augmentation de la production le devoir le plus sacré du prolétaire. A part le fait que nous avons déjà rejeté la duperie Soviétique qui consiste à assassiner physiquement les pro­létaires au nom "de la construction d'un socialisme", que personne ne distingue en­core, nous déclarons ouvertement qu'à no­tre avis, la lutte dans les entreprises ne cesse pas un seul moment tant que sub­siste la domination de l'Etat capitaliste. Certainement, les ouvriers devront faire des sacrifices après la révolution prolétarienne, mais jamais un révolutionnai­re ne pourra prêcher la fin de la lutte revendicative pour arriver au socialisme. Même pas après la révolution, nous n'enlèveront l'arme de la grève aux ouvriers et il va de soi que lorsque le proléta­riat n'a pas le pouvoir - et c'est le cas en Espagne— la militarisation de l'usine équivaut à la militarisation des usines de n'importe quel Etat capitaliste en guerre.

Pour devenir des armes révolutionnai­res, les conseils d'usine auraient dû permettre aux ouvriers de déverser leur lutte contre l'Etat, mais puisque leurs organisations s'allièrent immédiatement avec la Généralité, cela était impossible, sous peine de se dresser contre la C.N.T, l'UGT, etc. Il est donc vain de bavarder à leur sujet de dualité de pouvoir avec de la Catalogne. Il est évident que ni à Valence, ni à plus forte raison à Ma­drid, nous retrouverons ces formes d'in­terventions ouvrières. Mais la place nous manque pour examiner de plus près les initiatives ouvrières dans ces deux cen­tres.

Avant de reprendre l'analyse des événements, nous voudrions encore dire quelques mots au sujet du problème agrai­re. Certes, dans ce domaine, se sont pro­duites de nombreuses innovations. En Catalogne a été décrétée la "syndicalisation" obligatoire de diverses activités agricoles (vente des produits, achat du matériel agricole, assurances, etc.). D' autre part, il est évident qu'après le 19 juillet, les rabassaires (petits pro­priétaires) se sont déchargés d'une sé­rie de rentes et de redevances, alors que là où les terres appartenaient à des pro­priétaires suspects de sympathie envers le fascisme, l'on est passé à un partage .sous l'égide des comités antifascistes. Mais, dans la suite, le Conseil de l'Eco­nomie d'abord, le Conseil de la Généra­lité d'octobre ensuite, se sont mis au travail pour encadrer ces initiatives et les diriger vers les besoins de l'écono­mie de guerre que l'on mettait en marche.

Le 11° point du programme du Conseil Economique disait déjà, au mois d'août : " collectivisation de la grande propriété" agraire qui sera exploitée par les syndicats de paysans avec l'aide de la Généralité..."(souligné par nous : N.D.L.R.).

Dans la suite, et plus particulièrement en septembre et en octobre, le mot d'ordre de la C.N.T, et des autres organisations fut : "Nous respectons  la petite propri­été paysanne". Paysans, remettez-vous au travail! Enfin, l'on s'élèvera contre la collectivisation forcée et la Conseillerie de l'Agriculture veillera à rassurer les paysans qui seront simplement encadrés dans des mesures générales concernant la vente des produits et l'achat de matériel, alors que l'on mettra clairement en évidence que "la collectivisation de la terre devait se limiter aux grandes propriétés agricoles confisquées". Pour ce qui est de la pro­vince de Valence, ici aussi l'on tendra, après le reflux des événements, à constitu­er plutôt des comités d'exportation des oranges, du riz, des oignons, etc., alors que les terres appartenant à des proprié­taires fascistes seront confisquées par les paysans qui maintiendront un caractère collectif aux exploitations par suite des nécessités mêmes de la culture (problème de l'irrigation).

A Madrid, Uribe, le ministre communis­te de l'Agriculture, lancera un décret au mois d'octobre où il spécifiera "qu'est  autorisée l'expropriation sans indemnisation et en faveur de l'Etat, des propriétés agricoles, quels que soient leur étendue et leur type appartenant, au 18 juillet 1936, aux personnes naturelles ou juridiques qui sont intervenues de manière directe ou indirecte dans le mouvement insurrectionnel contre la République".

Rien d'autres, en substance, que des mesures de guerre, que, dans tout Etat bourgeois, l’on prend contre les "ennemis". La seule différence, c'est que les Uribe et consorts devront tenir compte de l'in­tervention des masses paysannes qui ont été bien plus loin après le 19 juillet que leurs décrets. Mais même en admettant qu'une "révolution agraire" se soit effec­tuée en Espagne, il faudrait prouver que c'est là l'axe de la situation et non le renforcement de l'Etat capitaliste dans les villes qui rend précisément illusoire tout bouleversement profond et durable des rapports économiques et des bases de l'agriculture dans un sens  révolutionnaire. Nous ne pensons pas en finir avec tous ces problèmes par la brève énonciation que nous devons nous borner à effectuer ici. Dans d'autres études, nous les approfon­dirons, documentation à l'appui.

Le massacre des ouvriers

Pendant le mois d'août, la ruée vers les fronts territoriaux se poursuit, au milieu de l’enthousiasme des prolétaires. Nous menaçons Huesca, nous marchons triom­phalement sur Saragosse, notre encercle­ment: de Teruel s'effectue. Tels seront les leitmotivs que les prolétaires enten­dront, répétés par toutes les organisations pendant deux mois. Mais parallèlement, chaque organisation interviendra, pour subs­tituer aux initiatives des ouvriers à l'arrière-front, les initiatives et décisions prises en commun.

Le 19 août, le POUM interviendra avec un éditorial dont le motif central sera : "Les organes réguliers, créés par la Révolution même, sont les uniques, organes chargés d'administrer la justice révolutionnaire".

A peu près à cette époque, l'Espagne Antifasciste, édition de Barcelone, publie­ra une interview de Companys où celui-ci mettra en évidence que la CNT et la FAI sont aujourd’hui les représentants de l'ordre et que la bourgeoisie catalane n'est pas une bourgeoisie. ... capitaliste mais huma­nitaire, et progressiste. ([3])

Le 22, sous le signe de "Hasta el fin" s'organisera l'expédition vers Majorque où seront jetés dans l'aventure des milliers d'ouvriers catalans dont "une grosse partie devra, par la suite, être évacuée vers Barcelone dans le silence le plus complet de tout le front antifasciste. Cette expérience qui prouvera clairement la volonté de la bourgeoisie "humanitaire" de la Catalogne de jeter les prolétaires dans des massacres militaires trouvera sa répercussion dans une plus grande liaison entre le comité de guerre du C.C. des milices et le département de guerre de la Généralité.

Le 25 l'aggravation de la situation mi­litaire se répercutera dans les rapports entre les diverses organisations. Le POUM s'en fera l'écho en demandant que la cordi­alité des miliciens au front s'exprime aus­si à l'arrière garde. A la CNT, le POUM di­ra que la convergence est complète entre l'élan révolutionnaire de cette dernière et le sien et que l'unité, d'action des masses doit être maintenue à tout prix.

Mais, dès le 25, la "Solidaritad Obrero" écrira qu'à son dernier plénum la CNT a adopté des accords concluant au désarme­ment de 60 % des miliciens appartenant aux différents partis. Ceux-ci appliqueront eux-mêmes ces mesures sans, quoi la CNT se char­gera bien de les faire adopter par ses pro­pres moyens. Le mot d'ordre central du Plé­num était toutes les armes au front.

La CNT faisait ainsi comprendre que, pour elle, la lutte violente à l'arrière— dans les villes— était bien terminée et qu'il ne restait plus qu'un front où les ouvriers devaient se battre : le front militaire.

Tous les partis partagèrent cette fa­çon de voir car, le 29, était publié un dé­cret du C.C. des milices : ceux qui possè­dent des armes doivent les remettre immédia­tement ou se rendre au front. Companys put, dès lors, se frotter les mains avec satis­faction.

En même temps se précisera la comédie de la non-intervention. Tous les Etats ca­pitalistes et la Russie soviétique, se mettront d'accord pour faciliter l'envoi d'armes puissantes à Franco et l'expédition de colonnes d'ouvriers étrangers à Companys et Caballero. Tous les Etats veilleront à intervenir en Espagne pour activer le mas­sacre des prolétaires selon l'accord de "non intervention". L'Italie et l'Allema­gne fourniront des armes à Franco, Blum fa­cilitera la formation de "légions étrangè­res prolétariennes" (Solidaridad Obrero) mais surveillera l'envoi d'armes.

Dès cette époque, le POUM, la CNT, con­cevront l'aide du prolétariat international comme une pression sur leurs gouvernements pour obtenir "des avions pour l'Espagne". Ces avions, ces tanks, viendront de la Rus­sie, quand la militarisation sera appliquée et que les ouvriers espagnols seront mis dans l'impossibilité d'échapper au massacre de Franco. Nous examinerons cela plus loin.

Le 1er septembre, Monsieur Nin, lors d'un meeting du POUM, défendra la thèse que "notre révolution est plus profonde que cel­le faite par la Russie en 1917". Peut-être la raison en sera-t-elle qu'en Espagne on appellera les masses à faire la révolution sans jeter par terre l'Etat capitaliste ? Pour lui, l'originalité de la révolution espagnole consistera en ce que la dictatu­re du prolétariat sera exercée par tous les partis et organisations syndicales (y com­pris les partis de la gauche bourgeoise de Monsieur Companys). Mais le premier septem­bre, alors que l'on entrait dans la phase de la chute d’Irun, les journaux de Barce­lone et la "Batalla" en premier lieu, lan­çaient le cri d'allégresse : "la chute de Huesca est imminente". Demain l'on criera : "nous sommes dans les premières rues de Hu­esca", mais les jours et les semaines se passeront sans résultats et, finalement, l'on chuchotera que le commandant en chef des forces gouvernementales, Villalba, est un traître et que c'est de sa faute..., etc. Le 2, le POUM "approfondira "la révolution en liquidant son organisation syndicale dans l’UGT (Union générale des Travailleurs réformistes) sous prétexte d'in­jecter un vaccin révolutionnaire à cette dernière.

Mais la défaite d’Irun sera bientôt connue avec la trahison d'éléments du Front Populaire. Dans la "Batalla", la "Soli", se déclenchera une campagne contre ceux qui, comme Priéto, voudraient réaliser un compromis avec les fascistes.

Que s'est-il passé à Badajoz, que se passe-t-il à San Sébastian ? Demandera le POUM. Et il répondra lui-même en disant : il faut un gouvernement ouvrier.

La CNT et les Socialo-centristes de Barcelone réagiront à l'aventure de Ma­jorque, à la trahison de Badajoz et d’Irun en déclenchant une forte campagne pour le commandement unique des milices, la centralisation de celles-ci. Mais, à ce moment, l'attention des masses sera reportée vers Huesca, car l'on dira par­tout : "l'encerclement de Huesca est com­plet" et sa chute est imminente.

C'est ici que débute le gouvernement de Caballero qui se présentera avec "un programme constitutionnel" et qui se donnera pour tâche de réaliser le commande­ment unique pour mener la guerre "Hasta el fin". Badajoz, Irun, seront vite oubli­és et lorsque les nationalistes basques remettront San Sébastian aux armées de Franco, l'on constituera un département basque du gouvernement Caballero qui éla­borera un statu juridique pour l'Etat li­bre des pays basques.

Caballero, qui avait tenté d'entraî­ner la CNT dans son ministère, se conten­tera du soutien technique de cette derniè­re et passera à l'organisation de la défai­te de Tolède et de la chute de Madrid.

Avant cela, le POUM avait salué ("Ba­talla" du 11 septembre) le cabinet de Caballero comme un gouvernement progres­sif par rapport à Giral, mais avait décla­ré que, pour être vraiment un gouvernement ouvrier, il aurait dû incorporer tous les partis prolétariens et, en premier lieu, la CNT et la FAI (vraisemblablement aussi le POUM). Pour ces raisons il maintenait, son mot d'ordre d'un gouvernement ouvrier appuyé sur une Assemblée Constituante d'ouvriers et soldats. "Mundo Obrero", l'organe des centristes madrilènes, qui aura plusieurs ministres dans le gouvernement, lancera l'appel : "tout pour le gouvernement et par le gouvernement".

Le 12,  l'on sera "devant les premières maisons de Huesca".

Mais le 13, l'on n'aura pas pris Huesca et il faudra essayer de normaliser la vie de la Catalogne en prévision d'une longue guerre. La CNT s'adressera aux paysans pour affirmer qu’elle, ne voulait collectiviser que les grands domaines, alors qu'elle respectait la petite propriété : "au travail, paysans", tel sera le mot d'ordre. Le POUM exprimera pudiquement son accord et con­tinuera à se traîner lamentablement derriè­re la CNT à laquelle il jettera régulière­ment des fleurs, d'ailleurs méprisées pu­bliquement par cette dernière.

Le 20 de Madrid, partira une campagne en faveur du rétablissement d'une armée ré­gulière. Ce sont les socialo-centristes qui l’entameront,, Le POUM acceptera le principe d'une armée rouge. La CNT se taira dédai­gneusement et passera à l’organisation du plénum national de ses régionales à Madrid.

Les décisions de ce dernier seront les suivantes : entamer une campagne pour obte­nir le, création d’un Conseil National de Défense, appuyé sur des Conseils régionaux, qui auront à mener la lutte contre le fascisme et la lutte pour la construction des nouvelles bases de l'économie. La composi­tion du Conseil National de Madrid devrait être : cinq représentants de la C.N.T., cinq de l'U,G.T., quatre des partis républicains. La présidence du Conseil reviendrait à Lar­go Caballero, alors qu'Azana resterait à la tête de la République. Son programme comporterait la suppression du volontariat, le commodément unique, etc..

Immédiatement, autour de ces proposi­tions se déclenchèrent de vives polémiques. Mais deux faits essentiels étaient acquis : les anarchistes entreraient dans les minis­tères à la condition d'en changer  les noms : ce qui n'est pas très difficile, dira "Claridad", l'organe de Caballero. Enfin, ils acceptent le principe de la militari­sation, eux qui recommandaient le 2 août aux ouvriers de Barcelone de se refuser à faire les soldats, sinon les miliciens du peuple.

Entre temps, la situation militaire s’ aggrave. Tolède va tomber et l'on est toujours "dans les premières rues de Huesca". La menace sur Madrid se précise.

Le 26 septembre s'ouvre la crise du gouvernement de la Généralité. Le lende­main se constitue le nouveau gouvernement où participent la C.N.T, le POUM et les socialo-centristes. Le programme de ce "gouvernement ouvrier", où les partis de la gauche bourgeoise participent comme expression de la "petite bourgeoisie", comporte le commandement unique, la discipline, la suppression, du volontariat, etc..

Quelques jours après, Monsieur Caballero estime le moment venu pour lancer son fameux décret sur la militarisation des milices et l'application du code mili­taire dans cette nouvelle armée régulière. A Madrid, le décret sera appliqué à par­tir du 10 octobre : dans les régions de la périphérie, où il faudra manoeuvrer plus longtemps parmi le prolétariat, c’est seulement le 20 qu'on l'appliquera. La constitution du nouveau Conseil de la Généralité, le décret de Caballero, arriveront à point pour empêcher le pro­létaire de se poser le problème : que s'est-il passé à Tolède? Pourquoi som­mes-nous toujours dans "les premiers jours de Huesca" ? Pourquoi Oviedo, qui allait être prise par les mineurs peut-elle être dégagée facilement par les secours fascistes ? Pourquoi et pour qui nous faisons-nous massacrer ? Les Caballero, les Companys, les Sandino, les Villalba, le grand Etat-Major républicain, auquel se sont joints les Grossi, les Durruti, les Ascasso, ne sont-ils pas les mêmes qu'en 1931, 1932, 1934, lorsqu'ils ont fait avec nos cadavres un tapis pour l'avène­ment des droites. Pouvons-nous, avec des traîtres à la direction des opérations militaires, connaître autre chose que des défaites et des massacres ?.

Les ouvriers n'ont pas le temps de se poser ces problèmes qui signifieraient l'abandon des fronts territoriaux et le déchaînement de la lutte armée autant contre Caballero que contre Franco. Les prolétaires n'ont pas le temps d'entrevoir ce chemin qui, pourtant, était le seul où ils auraient rencontré une possibilité d'en finir avec le fascisme, car ils en auraient fini avec le capitalisme. Le nouveau Conseil de la Généralité les hap­pe en Catalogne : le décret sur la mili­tarisation de Madrid intervient pour les autres régions avec la menace de sanctions graves.

Les événements vont se pour suivre main­tenant avec rapidité. En Catalogne, un sim­ple décret dissout le Comité Central anti­fasciste (qui conservait un aspect "révo­lutionnaire" aux manoeuvres du capitalis­me), car, dira Garcia Oliver, délégué de la C.N.T, nous sommes tous représentés au Conseil de la Généralité. Tous les Comi­tés antifasciste seront dissous et rempla­cés par les "ayuntamientos" (les municipa­lités traditionnelles). Plus aucune ins­titution du 19 juillet ne survivra et un second décret précisera que toute tentati­ve de reconstituer des organismes en mar­ge des municipalités sera considéré comme acte factieux.

Le 11 octobre, paraîtront les "Consi­gnes syndicales" de la C.N.T : le décret de militarisation et de mobilisation pour la Catalogne. Le même jour, le navire soviétique, "Zanianine", fera escale dans le port de Barcelone pour marquer avec pompe que l'URSS avait rompu avec la politique de "non-intervention" et volait enfin au secours de ouvriers espagnols.

Les consignes de la C.N.T. visèrent à interdire absolument "pendant que nous sommes en guerre" la présentation de la revendication de nouvelles bases de travail, surtout si elles devaient aggraver la si­tuation économique. Elles affirmaient que dans les productions qui ont une relation directe ou indirecte avec la lutte anti­fasciste, on ne pourra exiger que soient respectées les bases de travail, ni en salaires, ni en temps de travail. Enfin, les ouvriers ne pourront demander d'être payé pour les heures supplémentaires dans les productions utiles à la guerre anti­fasciste et ils devront activer la produc­tion plus qu'avant le 19 juillet.

Ce seront les syndicats, les comités et délégués de fabriques, d'ateliers et de chantiers, avec "le concours des hommes révolutionnaires", qui devront appliquer ces consignes.

La militarisation des milices substitue­ra au lever de prolétaires et de paysans jetés sur les fronts au nom de la guerre pour le "socialisme", l'appel aux classes, puis à toute la population afin d'opposer au fascisme "la Nation armée" "luttant pour la liberté".

Certes, le POUM, la C.N.T., devront ma­noeuvrer pour jeter de la poudre aux yeux des masses et déguiser la militarisation en une nécessité vitale que leur vigilan­ce de classe (?) empêchera de se transfor­mer en un instrument de l’étranglement des ouvriers. Mais le fait essentiel c’est quelle sera appliquée strictement. Dans sa substance, elle nous montrera le capitalisme parvenant à crucifier le pro­létariat sur des fronts où les Caballero et ses alliés "révolutionnaires" prépare­ront minutieusement les catastrophes mi­litaires. Désormais, le massacre des ou­vriers en Espagne prendra la forme d'une guerre essentiellement bourgeoise où, par deux armées régulières : celle de la démocratie et celle du fascisme, les ou­vriers se feront massacrer.

Et c'est le jour même où le décret sur la militarisation est appliqué à Bar­celone qu'y débarquera le "Zanianine", navire soviétique, marquant symboliquement le tournant de la Russie envers l'Espagne. L'URSS interviendra avec ses apports d'ar­mes et de techniciens seulement après que la constitution de l'armée régulière de Caballero aura marqué ouvertement qu'il s'agit bien d'une guerre bourgeoise. N'ou­blions pas qu'au début des événements, la Russie passait à l'assassinat de Zinoviev, Kamenev et de tant d'autres. Maintenant, elle peut passer directement à l'assassi­nat des ouvriers espagnols pour qui ses avions et ses tanks seront un argument de poids dans leur acceptation ou dans l'ac­ceptation de leur incorporation dans une armée bourgeoise, dirigée par des gens habiles dans le massacre des prolétaires.

A Madrid, jusqu'au moment de la cons­titution du nouveau ministère (ou Conseil comme l'appellent les anarchistes), la C.N.T. s'opposait plutôt à la militarisa­tion. Encore dans le "Frente Libertario" (organe des milices confédérales de la C.N.T. à Madrid) du 27 octobre, nous trou­verons cette position : "Milices ou Armée Nationale? Pour nous autres milices popu­laires!" Mais, ici aussi, la position de la C.N.T. découle d'un honteux opportunis­me. Tant qu'elle n'a pas sa part d'activi­té au sein du gouvernement et qu'elle ne pourra pas contrôler les opérations mili­taires, elle manifestera une opposition farouche.

Comme on sait Caballero est parvenu à faire d'une pierre deux coups,  en remani­ant son cabinet huit jours  avant sa fuite pour Valence. Les  anarchistes sont entrés dans le "Conseil" et ainsi ont non seule­ment sanctionne la militarisation et la création d’une Armée Nationale,  mais  aussi toute l'oeuvre de Caballero qui,   après la chute de Tolède, a permis,  sinon faci­lité,  la ruée des fascistes vers Madrid. Pour chaque bain de sang prolétarien, la bourgeoisie fera un pas vers l'extrème-gauche. De Giral à Caballero à Madrid; de Casanovas à Frabegas-Nin en Catalogne; aujourd’hui Garcia   Oliver est ministre et les représentants des jeunesses socia­listes et libertaires de Madrid sont entrés dans la Junte de Défense.

Et c'est à ce rythme que se poursui­vent les événements. En Catalogne, sous le drapeau du Conseil Révolutionnaire de la Généralité, c'est l'alliance des anar­chistes avec les socialo centristes en vue d'empêcher les ouvriers de lutter pour leurs revendications de classe et de les maintenir sous la pluie meurtrière des balles et des obus "hasta el fin". A Madrid, Caballero part à Valence, mais les prolé­taires devront se faire massacrer jusqu'au dernier afin de payer le prix de l'aberration tragique qui les pousse à con­fier leur sort à des agents du capitalisme et à des traîtres. Ah! Le général Mola avait bien raison lorsqu’il disait : j’ai cinq colonnes qui marchent sur Madrid : quatre autour de la ville et une à l'in­térieur. La cinquième colonne, celle de Caballero et consorts, a fait son œuvre et maintenant elle va poursuivre son oeu­vre fraternellement unie, à la CNT et au POUM, dans les autres régions. Après Madrid c'est au prolétariat de Barcelone, de Va­lence que le capitalisme s'attaquera avec rage.

Nous devons conclure ici notre examen des événements d'Espagne,  bien que nous sentons nettement l'insuffisance de notre analyse de la période que nous qualifions de "massacre des prolétaires". Nous revien­drons sur ce moment dans le prochain numé­ro de "Bilan",  car il nous importe surtout de finir avec l’énonciation brève des po­sitions que notre fraction oppose à la mystification de l'antifascisme.

Nous nous  adresserons avec véhémence aux prolétaires de tous les pays afin qu’ils n’accréditent pas,  par le sacrifice de leur vie, le massacre des ouvriers en Espagne. Qu'ils refusent de partir dans les colonnes internationales pour l'Espa­gne,  mais qu'ils engagent leur lutte de classe contre leur propre bourgeoisie. Le prolétaire espagnol ne doit pas être main­tenu au front par la présence d'ouvriers étrangers qui lui donnent l'impression qu'il lutte vraiment pour sa cause inter­nationale.

Quant aux prolétaires de la péninsule ibérique, ils n'ont qu'une voie aujourd'hui, celle du 19 juillet : la grève dans toutes les entreprises, de guerre ou non ; du coté de Companys, comme du côté de Franco ; contre les ukases de leurs organisations syndicales et du Front Popul­aire et pour la destruction du régime ca­pitaliste.

Et que les ouvriers ne s'effrayent pas si on leur criera qu'ainsi ils font le jeu du fascisme. Seuls les charlatans,  les traîtres,  pourront prétendre qu'en luttant contre le capitalisme, qui se trouve à Bar­celone comme à Séville, l'on fait le jeu du fascisme. Le prolétariat révolutionnaire doit rester fidèle à son idéal de classe, à ses armes de classe et tout sacrifice qu'il fera dans cette direction,  sera fructifié par les batailles révolutionnaires de demain.


[1] Syndicats d'employés.

[2] Parti socialiste unifié de Catalogne adhérant à la Troisième internationale.

[3] "...Question : Est-ce que le rôle quotidien prépondérant de la CNT en Catalogne ne serait pas nocif au gouvernement démocratique ?

Réponse de Çompanys : Non. La CNT prit sur elle les devoirs abandonnés par les bourgeois et les fascistes ensuite  elle établit l'ordre et défend la Société. Elle est mainte­nant la Force,.la Légalité, l'Ordre.

Question : Ne craignez vous pas que le prolétariat révolutionnaire ayant écrasé le fas­cisme extermine à son tour la bourgeoisie ?

Réponse : N'oubliez pas que la bourgeoisie catalane diffère de la bourgeoisie de certains pays démocratiques d'Europe. Le capitalisme est mort, entièrement mort. Le soulèvement fasciste était son suicide. Notre gouvernement, bien que bourgeois, ne défend pas des in­térêts, financiers d'aucune sorte ; il défend les classes moyennes. Aujourd'hui nous marchons vers un ordre prolétarien. Nos intérêts en auront peut-être à pâtir quelque peu, mais nous, nous, sommes donnés comme devoir d'être utiles encore dans le processus de la transformation sociale. Nous ne voulons pas donner des privilèges exclusifs aux classes moyennes,. Nous voulons créer le droit démocratique individuel, sans contraintes sociales ou économiques.

(Interview donné le 21 août par Çompanys au "New Chronicle" et reproduit par "LÀ Vanguardia" de Barcelone, organe du gouvernement catalan, "ainsi que par l'Espagne Antifasciste, organe de la CNT-FAI, le 1er septembre).

Evènements historiques: 

Courants politiques: 

Tract - (extraits de Bilan n° 41 ; juin 1937)

Plomb, mitraille, prison :
ainsi répond le front populaire aux ouvriers de Barcelone
osant résister à l'attaque capitaliste

Prolétaires !

Le 19 juillet 1936, les prolétaires de Barcelone, AVEC LEURS P0INGS NUS, écrasèrent l'attaque des bataillons de Franco, ARMES JUSQU'AUX DENTS.

Le 4 mai 1937, ces mêmes prolétaires, MUNIS D'ARMES, laissent sur le pavé bien plus de victimes qu'en juillet, lorsqu'ils doivent repousser Franco et c'est le gouvernement antifasciste - comprenant jusqu'aux anarchistes et dont le POUM est indirectement solidaire - qui déchaîne la racaille des forces répressives contre les ouvriers.

Le 19 juillet, les prolétaires de Barcelone sont une force invincible. Leur lutte de classe, affranchie des liens de l'Etat bourgeois, se répercute au sein des régiments de Franco, les désagrège et réveilla l'instinct de classe des soldats : c'est la grève qui enraye fusils et canons de Franco et qui brise son offensive.

L'histoire n'enregistre que des intervalles fugitifs au cours desquels le prolétariat peut acquérir son autonomie entière vis-à-vis de l'Etat capitaliste. Quelques jours après le 19 juillet, le prolétariat catalan arrive à la croisée des chemins : ou bien il entrait dans la PHASE SUPERIEURE de sa lutte en vue de la destruction de l'Etat bourgeois ou bien le capitalisme reconstituait les mailles de son appareil de domination. A ce stade de la lutte où l'instinct de classe ne suffit plus et où la CONSCIENCE devient le facteur décisif, le prolétariat ne peut vaincre que s'il dispose du capital théorique accumulé patiemment et avec acharnement par ses fractions de gauche érigées en partis sous l'explosion des événements. Si, aujourd'hui, le prolétariat espagnol vit une aussi sombre tragédie, c'est dû à son immaturité à forger son parti de classe : le cerveau qui, SEUL, peut lui donner force de vie.

En Catalogne, dès le 19 juillet, les ouvriers créent spontanément, sur leur terrain de classe, les organes autonomes de leur lutte. Mais, immédiatement, surgit l'angoissant dilemme : ou engager à fond la BATAILLE POLITIQUE pour la destruction totale de l'Etat capitaliste et parachever ainsi les succès économiques et militaires, ou bien laisser debout la machine oppressive de l'ennemi et lui permettre alors de dénaturer et de liquider les conquêtes ouvrières.

Les classes luttent avec les moyens qui leur sont imposés par les situations et le degré de tension sociale. En face d'un incendie de classe, le Capitalisme ne peut même pas songer à recourir aux méthodes classiques de la légalité. Ce qui le menace, c'est l'INDEPENDANCE de la lutte prolétarienne conditionnant l'autre étape révolutionnaire vers l'abolition de la domination bourgeoise. Le Capitalisme doit donc renouer les fils de son contrôle sur les exploités. Ces fils, qui étaient précédemment la magistrature, la police, les prisons, deviennent, dans la situation extrême de Barcelone, les Comités des Milices, les industries socialisées, les syndicats ouvriers gérant les secteurs essentiels de l'économie, les patrouilles de vigilance, etc.

Ainsi, en Espagne, l'histoire pose à nouveau le problème qui, en Italie et en Allemagne a été résolu par l'écrasement du prolétariat : les ouvriers conservent à leur classe les instruments qu'ils se créent dans le feu de la lutte pour autant qu'ils les tournent contre l'Etat bourgeois. Les ouvriers arment leur bourreau de demain si, n'ayant pas la force d'abattre l'ennemi, ils se laissent à nouveau attirer dans les filets de sa domination.

La milice ouvrière du 19 juillet est un organisme prolétarien. La "milice prolétarienne" de la semaine suivante est un organisme capitaliste approprié à la situation du moment. Et, pour réaliser son plan contre-révolutionnaire, la Bourgeoisie peut faire appel aux Centristes, aux Socialistes, à la CNT, à la FAI, au POUM qui, tous, font croire aux ouvriers que l'ETAT CHANGE DE NATURE LORSQUE LE PERSONNEL QUI LE GERE CHANGE DE COULEUR. Dissimulé dans les plis du drapeau rouge, le Capitalisme aiguise patiemment l'épée de la répression qui, le 4 mai, est préparée par toutes les forces qui, le 19 juillet, avaient brisé l'échine de classe du prolétariat espagnol.

 

Le fils de Noske et de la Constitution de Weimar, c'est Hitler ; le fils de Giolitti et du "contrôle de production", c'est Mussolini ; le fils du front antifasciste espagnol, des "socialisations", des milices "prolétariennes", c'est le carnage de Barcelone du 4 mai 1937.

ET, SEUL, LE PROLETARIAT RUSSE RIPOSTA, A LA CHUTE DU TSARISME, PAR L'OCTOBRE 1917, PARCE QUE, SEUL, IL PARVINT A CONSTRUIRE SON PARTI DE CLASSE AU TRAVERS DU TRAVAIL DES FRACTIONS DE GAUCHE.

Prolétaires !

C'est à l'ombre d'un gouvernement de Front Populaire que Franco a pu préparer son attaque. C'est dans la voie de la conciliation que Barrios a essayé, le 19 juillet, de former un ministère unique pouvant réaliser le programme d'ensemble du Capitalisme espagnol, soit sous la direction de Franco, soit sous la direction mixte de la droite et de la gauche fraternellement unies. Mais c'est la révolte ouvrière de Barcelone, de Madrid, des Asturies, qui oblige le Capitalisme à dédoubler son Ministère, à départager les fonctions entre l'agent républicain et l'agent militaire liés par l'indissoluble solidarité de classe.

Là où Franco n'est pas parvenu à imposer sa victoire immédiate, le Capitalisme appelle les ouvriers à le suivre pour "battre le fascisme". Sanglant guet-apens qu'ils ont payé de milliers de cadavres en croyant que, sous la direction du gouvernement républicain, ils pouvaient écraser le fils légitime du Capitalisme : le fascisme. Et ils sont partis pour les cols de l'Aragon, les montagnes de Guadarrama, des Asturies, pour la victoire de la guerre antifasciste.

Encore une fois, comme en 1914, c'est par l'hécatombe des prolétaires que l'histoire souligne en traits sanglants l'opposition irréductible entre Bourgeoisie et Prolétariat.

Les fronts militaires : une nécessité imposée par les situations ? Non ! Une nécessité pour le Capitalisme afin d'encercler et d'écraser les ouvriers. Le 4 mai 1937 apporte la preuve éclatante qu'après le 19 Juillet, le prolétariat avait à combattre Companys, Giral tout autant que Franco. Les fronts militaires ne pouvaient que creuser la tombe des ouvriers parce qu'ils représentaient les fronts de la guerre du Capitalisme contre le Prolétariat. A cette guerre, les prolétaires espagnols - à l'exemple de leurs frères russes de 1917 - ne pouvaient riposter qu'en développant le défaitisme révolutionnaire dans les deux camps de la Bourgeoisie : le républicain comme le "fasciste", et en transformant la guerre capitaliste en guerre civile en vue de la destruction totale de l'état bourgeois.

La fraction italienne de gauche a été soutenue uniquement, dans son tragique isolement par la solidarité du courant de la Ligue des Communistes Internationalistes de Belgique, qui vient de fonder la fraction belge de la gauche communiste internationale. Seuls, ces deux courants ont jeté l'alarme, alors que, partout, l'on proclamait la nécessité de sauvegarder les conquêtes de la Révolution, de battre Franco pour mieux battre Caballero ensuite.

Les derniers événements de Barcelone confirment lugubrement notre thèse initiale et ils découvrent que c'est avec une cruauté égalant celle de Franco que le front populaire, flanqué des anarchistes et du POUM, s'est jeté sur les ouvriers insurgés du 4 mai.

Les vicissitudes des batailles militaires ont été autant d'occasions pour le gouvernement républicain de resserrer son emprise sur les exploités. En l'absence d'une politique prolétarienne du défaitisme révolutionnaire, les succès comme les échecs militaires de l'armée républicaine n'ont été que les étapes de la sanglante défaite de classe des ouvriers : à Badajoz, Irun, Saint-Sébastien, la République du Front Populaire apporte sa contribution au massacre concerté du prolétariat tout en resserrant les liens de l'Union Sacrée, parce que, pour gagner la guerre antifasciste, il faut une armée disciplinée et centralisée. La résistance de Madrid, par contre, facilite l'offensive du Front Populaire qui peut se débarrasser de son valet d'hier : le POUM et ainsi préparer l'attaque du 4 mai. La chute de Malaga renoue les fils sanglants de l'Union Sacrée, tandis que c'est la victoire militaire de Guadalajarra qui ouvre la période se concluant par les fusillades de Barcelone. Dans l'atmosphère d'ivresse guerrière peut ainsi germer et éclore l'attaque du 4 mai.

Parallèlement, dans tous les pays, la guerre d'extermination du capitalisme espagnol nourrit la répression bourgeoise internationale, et les morts fascistes et "antifascistes" d'Espagne accompagnent les assassinés de Moscou, les mitraillés de Clichy ; et c'est aussi sur l'autel sanglant de l'antifascisme que les traîtres rassemblent les ouvriers de Bruxelles autour du capitalisme démocratique lors des élections du 11 avril 1937.

"Des armes pour l'Espagne" : tel a été le mot d'ordre central qui a résonné aux oreilles des prolétaires. Et ces armes ont tiré sur leurs frères de Barcelone. La Russie soviétique, en coopérant à l'armement de la guerre antifasciste, a aussi représenté la charpente capitaliste pour le récent carnage. Aux ordres de Staline - qui étale sa rage anticommuniste le 3 mars - le PSUC de Catalogne prend l'initiative du massacre.

Encore une fois, comme en 1914, les ouvriers se servent des armes pour s'entre-tuer au lieu de s'en servir pour la destruction du régime d'oppression capitaliste.

Prolétaires !

Les ouvriers de Barcelone ont repris le 4 mai 1937, le chemin qu'ils avaient emprunté le 19 juillet et dont le capitalisme avait pu les rejeter en s'appuyant sur les forces multiples du Front Populaire. En déclenchant la grève partout, même dans les secteurs présentés comme des CONQUETES DE LA REVOLUTI0N, ils ont fait front contre le bloc républicano-fasciste du capitalisme. Et le gouvernement républicain a répondu avec autant de sauvagerie que l'a fait Franco à Badajoz et Irun. Si le gouvernement de Salamanque n'a pas exploité cet ébranlement du front de l'Aragon pour pousser une attaque, c'est parce qu'il a senti que son complice de gauche remplissait admirablement son rôle de bourreau du prolétariat.

Epuisé par dix mois de guerre, de collaboration de classe de la CNT, la FAI, le POUM, le prolétariat catalan vient d'essuyer une terrible défaite. Mais cette défaite est aussi une étape de la victoire de demain, un moment de son émancipation, car elle signe l'arrêt de mort de toutes les idéologies qui avaient permis au capitalisme de sauvegarder sa domination, malgré le soubresaut gigantesque du 19 juillet.

Non, les prolétaires tombés le 4 mai ne peuvent être revendiqués par aucun des courants qui, le 19 juillet les ont entraînés hors de leur terrain de classe pour les précipiter dans le gouffre de l'antifascisme.

Les prolétaires tombés appartiennent au prolétariat et uniquement à lui. Ils représentent les membranes du cerveau de la classe ouvrière mondiale, du parti de classe de la révolution communiste.

Les ouvriers du monde entier s'inclinent devant tous les morts et revendiquent leurs cadavres contre tous les traîtres : ceux d'hier, comme ceux d'aujourd'hui. Le prolétariat du monde entier salut en Berneri un des siens, et son immolation à l'idéal anarchiste est encore une protestation contre une école politique qui s'est effondrée au cours des événements d'Espagne : c'est sous la direction d'un gouvernement à participation, anarchiste que la police a répété sur le corps de Berneri l'exploit de Mussolini sur le corps de Mattéotti !

Prolétaires !

Le carnage de Barcelone est le signe avant coureur de répressions encore plus sanglantes sur les ouvriers d'Espagne et du monde entier. Mais il est encore le signe avant coureur des tempêtes sociales qui, demain, déferleront sur le monde capitaliste.

Le capitalisme, en dix mois seulement, a dû épuiser les ressources politiques qu'il comptait consacrer à démolir le prolétariat, en entravant le travail que celui-ci accomplissait pour fonder son parti de classe, arme de son émancipation, et de la construction de la société communiste. Centrisme et anarchisme en rejoignant la social-démocratie, ont, en Espagne, atteint le terme de leur évolution, comme ce fut le cas en 1914 lorsque la guerre réduisit la Deuxième Internationale à l'état de cadavre.

En Espagne, le capitalisme a déclenché une bataille d'une portée internationale : la bataille entre le fascisme et l'antifascisme qui, au travers de la forme externe des armes, annonce une tension aiguë des rapports de classe sur l'arène internationale.

Les morts de Barcelone déblayent le terrain pour la construction du parti de la classe ouvrière. Toutes les forces politiques qui ont appelé les ouvriers à lutter pour la révolution en les engageant dans une guerre capitaliste sont toutes passées de l'autre côté de la barricade et devant les ouvriers du monde entier s'ouvre l'horizon lumineux où les morts de Barcelone ont écrit avec leur sang de classe déjà tracée par le sang des morts de 14-18 : LA LUTTE DES OUVRIERS EST PROLETARIENNE A LA SEULE CONDITION DE SE DIRIGER CONTRE LE CAPITALISME ET SON ETAT ; ELLE SERT LES INTERETS DE L'ENNEMI SI ELLE NE SE DIRIGE PAS CONTRE LUI, DANS TOUS LES INSTANTS, DANS TOUS LES DOMAINES, DANS TOUS LES ORGANES PROLETARIENS QUE LES SITUATIONS FONT SURGIR.

Le prolétariat mondial luttera contre le capitalisme même lorsque celui-ci passera à la répression contre ses valets d'hier. C'est la classe ouvrière et jamais son ennemi de classe qui est chargée de liquider le compte de ceux qui ont exprimé une phase de son évolution, un moment de sa lutte pour l'émancipation de l'esclavage capitaliste.

La bataille internationale que le capitalisme espagnol a engagé contre le prolétariat ouvre un nouveau chapitre international de la vie des fractions de tous les pays. Le prolétariat mondial qui doit continuer à lutter contre les "constructeurs" d'Internationales artificielles, sait qu'il ne peut fonder l'Internationale prolétarienne qu'au travers de l'ébranlement mondial du rapport des classes ouvrant la voie de la Révolution communiste, et seulement ainsi. Face au front de la guerre d'Espagne, qui annonce l'éclosion de tourmentes révolutionnaires en d'autres pays, le prolétariat mondial sent que le moment est venu de nouer les premiers liens internationaux des fractions de la Gauche communiste.

Prolétaires de tous les pays !

Votre classe est invincible ; elle représente le moteur de l'évolution historique ; les événements d'Espagne en apportent la preuve, car c'est votre classe, UNIQUEMENT, qui constitue l'enjeu d'une lutte qui convulsionne le monde entier.

Ce n'est pas la défaite qui peut vous décourager : de cette défaite vous retirerez les enseignements pour votre victoire de demain.

Sur vos bases de classe, vous reconstituerez votre unité de classe au-delà des frontières, contre toutes les mystifications de l'ennemi capitaliste !

En Espagne, aux tentatives de compromissions tendant à fonder la paix de l'exploitation capitaliste, répondez par la fraternisation des exploités des deux armées pour la lutte simultanée contre le capitalisme !

Debout pour la lutte révolutionnaire dans tous les pays !

Vivent les prolétaires de Barcelone qui ont tourné une nouvelle page sanglante du livre de la révolution mondiale !

En avant dans la constitution du Bureau International en vue de promouvoir la formation des fractions de gauche dans tous les pays !

Elevons l'étendard de la Révolution communiste que les bourreaux fascistes et antifascistes ne peuvent empêcher les prolétaires vaincus de transmettre à leurs héritiers de classe.

Soyons dignes de nos frères tombés !

Vive la révolution Communiste dans le monde entier !

 

Les fractions belges et italiennes de la Gauche Communiste internationale.

 

Quand les partis staliniens soutenaient le fascisme

La propagande démocratique n'a pas l'habitude (et pour cause) de faire beaucoup de publicité à l'enthousiasme avec lequel cette composante du camp antifasciste que furent les staliniens s'était pendant un temps engagée dans la voie du soutien au fascisme. L'extrait que nous reproduisons ci dessous du Manifeste pour le salut de l'Italie et la réconciliation du peuple italien, rédigé de la main même de Togliatti et approuvé en septembre 1936 par le comité central du parti, est publié dans Stato Operaio n° 8 en 1936 :

  • "Nous communistes, adoptons le programme fasciste de 1919, programme de paix, de liberté et de défense des intérêts ouvriers. Chemises noires et Vétérans d'Afrique, nous faisons appel à vous pour nous unir dans la lutte pour ce programme... Nous proclamons que nous sommes prêts à combattre à vos côtés, Fascistes de la Vieille garde et Jeunesse fasciste, pour réaliser le programme fasciste de 1919".

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IV - Démocratie / Fascisme : La même barbarie capitaliste ; La même orgie nationaliste

De même que le nazisme ne doit pas être considéré comme forme d'organisation sociale différente (ou en dehors) du capitalisme, mais bien une des formes qu'a pu secréter celui-ci dans certaines circonstances particulières, de même la barbarie dans laquelle il s'est vautré n'est pas étrangère à celle qui caractérise le système comme un tout, notamment depuis son entrée en décadence au début du siècle, dans ce que le marxisme a appelé "l'ère des guerres et des révolutions".

Comme nous le mettons en évidence ci-dessous dans l'article Les crimes nazis, l'exploitation forcenée dans les camps et l'extermination massive des populations, des juifs en particulier, ne sont en rien des actes gratuits mais ont correspondu fondamentalement aux besoins du capital allemand qui ne s'imposait aucune limite pour développer l'effort de guerre. Ce sont là des traits du capitalisme décadent qui ont marqué les deux guerres mondiales, la multiplication des guerres locales et des génocides, les massacres en série et autres famines dévastatrices. Ces traits se sont encore accentués de façon caricaturale dans la période de décomposition de la société que nous vivons, avec la guerre du Golfe, les guerres dans l'ex-Yougoslavie, au Rwanda, au Timor, en Tchétchénie ...

En ce sens, contrairement aux mensonges colportés par les puisances dites démocratiques, victorieuses lors du deuxième conflit mondial, la barbarie a été au coeur des agissements des deux camps en présence, comme nous l'illustrons dans l'article Les crimes et massacres des grandes démocraties.

Dès la première guerre mondiale, tous les conflits résultent fondamentalement d'une situation où, le marché mondial ayant atteint des limites sévères à son élargissement, les différents capitaux nationaux sont en permanence poussés à se le repartager au moyen de la guerre. Cette réalité, nouvelle par rapport au siècle précédent, se trouve directement à l'origine de deux phénomènes dénoncés par le mouvement ouvrier dès le début du siècle : le militarisme et l'impérialisme, c'est-à-dire la constitution par chaque Etat d'énormes forces militaires sans commune mesure avec celles du passé, et la tendance croissante de leur politique internationale à s'appuyer sur la force des armes, sur la conquête, la rapine et la soumission de l'économie des autres nations. Or, tous les partis traîtres au mouvement ouvrier invoquent, pour le second conflit mondial, une nature différente de celle du premier, pour justifier leur engagement dans un camp impérialiste. En fait, ces partis ont été des acteurs majeurs de l'embrigadement du prolétariat dans la seconde boucherie impérialiste, et également, comme nous le rappelons dans l'article Le PCF parachève l'écrasement du prolétariat, certains d'entre eux ont été en pointe dans la diffusion du nationalisme le plus abject.

Les crimes nazis

L'horreur abominable des crimes du nazisme a été décrite, dépeinte, étalée à satiété depuis la seconde guerre mondiale par la propagande du camp "démocratique" dans le but de dissimuler les propres exactions de ce dernier dans tous les conflits où il a été impliqué. Bien qu'aucune des exactions macabres du nazisme ne soit aujourd'hui inconnue du grand public, contrairement aux crimes des grandes démocraties, les révolutionnaires doivent dénoncer les crimes nazis comme une illustration irréfutable de la barbarie sans limite du capitalisme décadent. La première guerre mondiale avait signé l'irruption violente de cette barbarie avec ses 17 millions de morts. Depuis lors, elle a été surpassée par les exploits de la seconde (50 millions de morts) qui, loin de constituer une parenthèse dans l'histoire de ce siècle, se sont trouvés confirmés par les atrocités dans les guerres locales qui l'ont suivie sans discontinuité jusqu'à aujourd'hui.

Le fascisme n'est pas le produit de ses dictateurs mais le produit d'un système barbare

Selon une certaine interprétation de l'histoire, si le nazisme a été instauré en Allemagne c'est parce qu'il a existé des hommes comme Hitler qui ont su imposer leurs conceptions barbares au pays en gagnant les couches populaires à leurs idéaux macabres. Si effectivement Hitler a été un facteur actif dans l'instauration de ce régime, la raison en est d'abord qu'il était le plus apte à mettre en œuvre le programme correspondant aux nécessités économiques et politiques de la bourgeoisie allemande. La preuve en est, nous l'avons montré, que c'est la démocratie qui cède légalement le pouvoir à Hitler. Et si ce dernier bénéficie de l'appui du grand patronat, c'est bien parce que les sphères dirigeantes de la bourgeoisie pensent qu'il est le plus à même de défendre le capital national.

Un épisode significatif de cette réalité est le processus menant à l'élimination par Hitler des SA (Section d'Assaut) qui signe la volonté du Führer de se débarrasser de cette frange radicale et populiste des forces sur lesquelles il s'était appuyé au cours de son ascension politique, afin d'éviter tout débordement de sa part. Contrairement aux illusions des SA, il n'est nullement question pour Hitler de contester ou de porter atteinte de quelque manière que ce soit aux grandes figures de la bourgeoisie allemande à qui il doit son accession au pouvoir, de même que Mussolini avait dû remiser l'anticléricalisme des professions de foi du fascisme à ses débuts en Italie, afin de présenter une image plus respectable face à la grande bourgeoisie italienne. Le conflit entre les SA et Hitler se cristallise alors que l'aggravation de la situation économique en Allemagne met en situation ce dernier de devoir prouver la valeur de ses engagements populistes.

La population d'Allemagne qui voit cette année là le chômage diminuer, est cependant déçue par les promesses démagogiques d'Hitler non tenues. Hitler ne songe pas à heurter de front les intérêts de la grande industrie et des milieux financiers qui l'ont porté au pouvoir. Dès 1933, en conflit avec Röhm (chef des SA, les sections d'assaut), il déclare : "je réprimerai toute tentative de troubler l'ordre existant aussi impitoyablement que je materai la seconde révolution qui ne mènerait qu'au chaos". Il limoge un certain nombre de chefs nazis qui avaient essayé de prendre en main le contrôle des associations patronales et rétablit Krupp et Thyssen aux postes qu'ils occupaient[1]. Il liquide physiquement les SA et leurs chefs au cours de "la Nuit des longs couteaux" (le 30 juin 1934).

Les idéaux racistes, xénophobes et totalitaires du nazisme sont, du point de vue humain, une pure aberration. Ils sont, par contre, comme on va le voir, d'une grande utilité au service du capital national allemand. Hitler galvanisait le désir de revanche de l'Allemagne vaincue lors du premier conflit mondial et humiliée par le traité de Versailles. Le capital allemand avait besoin d'une main de fer capable de soumettre le pays aux exigences de la militarisation en vue de la prochaine guerre mondiale. De cela, d'autres hommes et formations politiques se réclamant de la démocratie étaient capables[2], mais c'est le programme de Hitler qui correspondait le mieux à la situation. En effet, la classe ouvrière ayant été laminée, il n'était plus nécessaire de l'immobiliser au moyen de la mystification démocratique rendant de ce fait superflu un régime démocratique. De plus, il s'agissait de rassembler par la contrainte toutes les fractions de la bourgeoisie.

Au service de cette entreprise, il fallait une idéologie. Celle-ci, à destination essentiellement de la petite bourgeoisie ruinée, allait prendre corps dans l'exaltation de la race aryenne et dans le racisme. La communauté juive en particulier allait être persécutée et mise hors la loi et bannie de la société. Face à la situation de crise économique aiguë, il fallait trouver des boucs émissaires et, là encore, les juifs furent la cible désignée. En particulier, l'élimination des artisans et petits commerçants juifs permettait de gagner au régime leurs concurrents "aryens" ruinés par la crise. En outre, la confiscation des biens des juifs (dont un nombre significatif appartenait à  la bourgeoisie ou à la petite bourgeoise aisée) permettait de remplir à bon compte les caisses de l'Etat.

La rationalité capitaliste de la xénophobie et de la purification ethnique

Dès le début de sa carrière politique, Hitler affiche la couleur de ses orientations idéologiques racistes, ultra nationalistes et anticommunistes. C'est ce qu'illustre le passage suivant de son discours de Munich du 22 juillet 1922 : "Le juif n'a jamais fondé aucune civilisation, bien qu'il en ait détruit des centaines. Il ne peut rien exhiber qui soit sa propre création (…) En dernier ressort, seul l'Aryen peut créer des Etats et les conduire sur le chemin de la grandeur future. Le Juif en est incapable. Et c'est parce qu'il en est incapable que toutes ses révolutions doivent être internationales. Elles doivent se répandre comme la peste. Déjà il a détruit la Russie ; aujourd'hui c'est au tour de l'Allemagne et, dans son envieux instinct de destruction, le juif cherche à supprimer l'esprit national des Allemands et à polluer leur sang"[3].

En cette période de crise et de contre-révolution, les juifs incarnent tout ce que le petit bourgeois exècre : le bouleversement social et le grand capital. Mais Hitler n'est pas seulement un tribun talentueux des idéaux racistes, il sait surtout faire de ceux-ci une arme idéologique au service de l'Etat. Les propos suivants échangés entre Hitler et Rauschning, après les pogromes de la nuit de Cristal des 9 et 10 novembre 1938, sont tout à fait significatifs de la manière dont il compte utiliser la haine des juifs : "Mes juifs sont les meilleurs otages dont je dispose. La propagande antisémitique est, dans tous les pays, une arme indispensable pour porter partout notre offensive politique. On verra avec quelle rapidité nous allons bouleverser les notions et les échelles de valeur du monde entier, uniquement par notre seule lutte contre le judaïsme. D'ailleurs, les juifs sont nos meilleurs auxiliaires. Malgré leur situation exposée, ils se mêlent partout, quand ils sont pauvres, au rang des ennemis de l'ordre et des agitateurs, et ils apparaissent en même temps comme les détenteurs patents et jalousés de capitaux formidables". Rauschning lui demande alors si la race juive devait être totalement anéantie. Hitler répond : "Non, au contraire, si le juif n'existait pas, il nous faudrait l'inventer. On a besoin d'un ennemi visible et non pas seulement d'un ennemi invisible. L'église catholique ne se contentait pas, elle non plus, d'avoir le diable. Elle avait aussi besoin d'hérétiques pour conserver son énergie combative." [4]

La terreur n'est pas seulement le moyen employé pour faire respecter l'ordre capitaliste et les contraintes du militarisme, elle est également mise au service de contraintes économiques par l'élimination de toute une partie de la population jugée indésirable du point de vue capitaliste. Dès le début du IIIe Reich, des milliers d'opposants au régime avaient été torturés ou supprimés par la Gestapo et les divers services de répression. Mais avec la guerre on en vint à exterminer des groupes d'hommes, de femmes et d'enfants qui n'avaient manifesté aucune opposition au régime. Un texte d'Hitler d'octobre 1939 autorisait certains médecins du IIIe Reich à décider de la mort de leurs patients jugés incurables.

Deux types de "justifications" étaient avancés à l'appui de cette décision. L'une relevait de l'eugénisme : il s'agissait d'améliorer la race en empêchant la propagation de maladies héréditaires. L'autre était d'ordre économique : les médecins devaient tenir compte aussi de la capacité de travail du malade[5].

En temps de crise, il existe toujours une partie de la population qui ne peut être employée pour faire fructifier le capital. D'où l'existence d'une surpopulation par rapport à ce critère de rentabilité. Les différentes méthodes envisagées et employées pour délimiter quelle partie de la population était excédentaire et comment s'en débarrasser montre la gradation dans la spirale sans fin de la barbarie.

Ainsi, la politique d'extermination ne s'est pas appliquée aux seuls juifs, mais également aux Tziganes, aux handicapés mentaux et aux malades incurables, aux populations slaves qu'il fallait éliminer par millions pour faire place aux colons de "bonne race".

Une nouvelle étape fut franchie lorsque, le 24 janvier 1939, Heydrich fut chargé par Hitler "de trouver une solution aussi favorable que possible à la question juive". Les deux méthodes adoptées à ce moment là furent l'émigration et l'évacuation.

Malgré les menaces d'anéantissement de la population juive en Europe en cas de guerre, formulées avec la même netteté dans plusieurs déclarations de Hitler à des diplomates étrangers en janvier-février 1939, les autorités nazies continuent à cette époque à pousser les juifs d'Allemagne à émigrer (contre paiement d'une forte "rançon") tandis que divers services élaborent des plans d'évacuation. En effet, la Grande-Bretagne ayant refusé d'accueillir les juifs en Palestine et les Etats-Unis sur le sol américain[6], les nazis envisagèrent, à partir de 1940, d'évacuer tous les juifs d'Allemagne à Madagascar. Le projet fut vite abandonné et Eichmann, chargé en vertu d'un décret de Goering du 31 juillet 1941 de toutes ces questions, regroupa les juifs des pays conquis en les concentrant dans l'ancienne Pologne.

C'est avec l'invasion de l'URSS qu'est inaugurée la politique d'extermination systématique de toute la population juive. En juin 1941, suivant les instructions de Hitler, Himmler ordonne au commandant du camp d'Auschwitz de construire des chambres à gaz.

Ainsi, 7.820.000 personnes furent déportées dans les camps de concentration. 700.000 seulement survécurent. Les autres furent éliminées volontairement ou succombèrent suite aux mauvais traitements, aux maladies, à l'exploitation forcenée.

La rationalité capitaliste de la terreur et de la barbarie

Le corset de fer sur la société destiné à la faire marcher d'un seul pas au service des objectifs impérialistes de l'Allemagne reposait en bonne partie sur l'utilisation de la terreur ouverte, comme dans les régimes staliniens, (les "démocraties", quant à elles, combinant habilement mystification démocratique et répression). Cette terreur doit s'exercer contre les opposants de tous ordres et être omniprésente afin d'éviter toute réaction de la part de ceux pour qui l'effort de guerre requiert le plus de sacrifices, sur les lieux de production et surtout sur le front.

Au sein du dispositif répressif, les camps de concentration occupent une place essentielle : "Les camps de concentration, créés en 1933, furent placés sous l'autorité de la Gestapo. Le lendemain des élections du 5 mars, selon la déclaration du consul américain à Berlin, la fureur de la populace se déchaîna sous forme d'agression de grand style contre les communistes, les juifs et toutes sortes d'autres personnes. Des bandes de miliciens rôdaient dans les rues, frappant les passants, brisant des vitres pour piller les étalages, allant même jusqu'au meurtre. Quant aux Allemands arrêtés par la Gestapo, "pour leur propre sécurité", on leur appliquait des procédés inqualifiables de brutalité et d'intimidation. Les victimes se chiffraient par centaines de mille"[7].

Avec la guerre et la nécessité pour l'Allemagne de faire régner son ordre sur les territoires occupés, les méthodes employées se sophistiquent et deviennent de plus en plus radicales. Destinés avant 1939 à accueillir les opposants intérieurs, les camps de concentration seront peu à peu transformés durant les hostilités en une gigantesque machine à tuer tous ceux qui sont soupçonnés de résistance en Allemagne ou dans les pays occupés ou vassalisés. Une instruction du général Keitel, du 12 décembre 1941, connue sous le nom de "Nuit et Brouillard", explique : "un effet d'intimidation durable ne peut être obtenu que par des condamnations à mort ou par des mesures telles qu'elles laissent la famille (du coupable) et la population dans l'incertitude quant au sort du détenu". C'est à cet objectif que répondait le transfert des détenus en Allemagne.

Les besoins en main d'œuvre se font sentir d'autant plus expressément que les difficultés militaires de l'Allemagne s'accroissent.

Au cours de l'année 1942, les camps de concentration changent de but. Ils vont acquérir désormais une fonction économique. Les camps deviennent un immense réservoir de matériel humain à bon marché, indéfiniment renouvelable et exploitable à merci. A partir de 1942, la gestion des camps sera remise entre les mains de Pohl, responsable de l'Office d'administration économique et, lors des conférences qui réunissent périodiquement les responsables de l'économie de guerre, la main d'oeuvre concentrationnaire entre en ligne de compte pour l'exécution des tâches fixées. De Mauthausen, de Ravensbrück, de Buchenwald, d'Auschwitz, les déportés sont envoyés dans toute une série de "kommandos", de camps annexes, d'usines souterraines où ils travaillent directement pour l'industrie de guerre.

Ainsi, le tiers au moins des ouvriers employés par les grandes sociétés, tels Krupp, Heinkel, Messerschmitt ou I.G. Farben étaient des déportés.

Le caractère de plus en plus expéditif et radical des moyens employés pour exploiter et se débarrasser de la population concentrationnaire témoigne des contradictions croissantes et insolubles dans lesquelles se trouve le capital allemand, en situation de plus en plus défavorable sur le plan impérialiste. Mais, arrivé à un certain stade, la barbarie acquiert sa propre dynamique qui n'obéit plus à aucune rationalité comme en ont témoigné toutes les expériences scientifiques auxquelles se sont livrés certains médecins allemands sur les déportés dans les camps et dont la description est inimaginable. C'est également ce qu'exprime "le sens artistique de certaines femmes SS qui collectionnaient les peaux de déportés tatoués avec lesquelles on faisait des abat-jour"[8] ou encore les "manies" du "professeur" August Hirt qui s'adressa en décembre 1941 à l'adjoint de Himmler, Brandt, afin d'obtenir, pour sa collection, "les crânes de commissaires bolchéviks juifs qui représentent le prototype de ces êtres inférieurs, repoussants mais caractéristiques"[9].

Les services rendus par le nazisme au camp démocratique : La répression de la classe ouvrière

Lorsque les armées nazies en déroute sont contraintes de reculer, il leur appartient d'assumer leur responsabilité de vaincu dans les territoires qu'elles abandonnent à l'administration de leurs vainqueurs. Ces responsabilités consistent en particulier à affaiblir la classe ouvrière, au moyen de la répression, de manière à ce qu'elle ne se soulève pas contre l'ordre capitaliste, comme ce fut le cas lors de la première guerre mondiale. C'est ainsi que la soldatesque nazie rendra de grands services à ceux qui pourtant étaient encore ses ennemis du camp impérialiste d'en face, et à l'ordre capitaliste comme un tout, en faisant le nettoyage là où existaient des menaces potentielles de soulèvement.

Pour sa part le camp allié s'était acquitté d'une mission équivalente à travers les bombardements massifs des populations civiles, et de la classe ouvrière en particulier, en l'Allemagne. Comme nous le développons dans l'article Les massacres et les crimes des grandes démocraties, "Ce n'est pas un hasard si les bombardements de terreur se sont systématisés au moment même où des grèves ouvrières éclataient en Allemagne et où, depuis la fin 43, les désertions au sein de l'armée allemande tendaient à s'amplifier".

En Italie, fin 42 et surtout en 43, des grèves éclatent un peu partout dans les principaux centres industriels du Nord. Lorsqu'à l’automne 43, après avoir débarqué en Sicile et occupé totalement et solidement tout le Sud de l’Italie, les Etats-Unis, sur les conseils de Churchill décident de "laisser l’Italie mijoter dans son jus", c'est bien pour laisser à l’armée allemande le soin de mater et briser la classe ouvrière, en occupant militairement tout le Nord de l’Italie et toutes ses grandes concentrations ouvrières (cf. Les massacres et les crimes des grandes démocraties). C'est avec tout le zèle dont ils avaient déjà fait preuve que les corps spécialisés nazis s'acquitteront de cette mission à Naples.

C'est un scénario assez semblable qui se joue à Varsovie en juillet 44. Mais cette fois, c'est un autre allié, la Russie qui laisse faire l'armée allemande. Elle s'abstient d'intervenir en soutien au soulèvement de la population de cette ville, pourtant encouragé par les Alliés, contre l’occupation allemande. Le 30 juillet, toute la population se révolte alors que l'armée rouge se trouve aux portes de la ville. Les Alliés et l'URSS laisseront l'armée allemande écraser l'insurrection dans le sang, au terme de 63 jours de combats. Le bilan fut particulièrement lourd : 50.000 tués, 350.000 déportés en Allemagne, un million de personnes condamnées à l’exode et une ville complètement en ruines. Il n'était nullement nécessaire au régime hitlérien, d'un point de vue stratégique, d'inscrire cette "victoire" à son palmarès alors que ses armées étaient en pleine déroute. Ce faisant, en agissant de la sorte, il rendait un double service à l'URSS et au capitalisme comme un tout.

Le futur occupant, l'URSS, ne trouverait en effet devant lui qu’une population décimée et exsangue, et par conséquent peu capable de lui résister efficacement, ce qui n'était pas acquis au départ compte tenu du profond nationalisme anti-russe en Pologne. Par ailleurs, au sein de la population insurgée, la classe ouvrière avait un rôle prépondérant, et c'est elle qui s'est trouvée la plus exposée à la répression. Dans ces événements, elle ne se présentait pas sur le terrain de la défense de ses intérêts de classe, contrairement à la situation en Italie du Nord. Néanmoins, cette saignée dans les rangs ouvriers participait aussi des dispositions nécessaires pour limiter le plus possible les risques de surgissement prolétarien.

La barbarie nazie expression sans fard de la pourriture du capitalisme décadent

Si la barbarie nazie apparaît plus répugnante que celle des autres expressions du capitalisme décadent c'est parce que la barbarie de l'Etat démocratique est entourée de mille artifices et légitimations (défense des droits de l'homme, de la liberté) destinées à la rendre "acceptable". Contrairement à la propagande démocratique, celle du régime nazi revendiquait ouvertement et exaltait la violence barbare au service du nationalisme allemand et d'idéaux racistes. Cela tient au fait que, comme nous l'avons mis en évidence, dans les pays où s'instaure le nazisme, le prolétariat ayant été complètement laminé, la domination capitaliste n'a pas besoin des mystifications démocratiques pour s'exercer et maintenir son joug contre la classe ouvrière, ni ne connaît de limite à la mise en action de ses forces de répression.

C'est la raison pour laquelle le discours officiel des dirigeants nazis exprime on ne peut plus clairement et crûment la pourriture atteinte par le capitalisme décadent. En effet, même si ceux-ci présentent les traits de psychopathes sadiques et tyranniques, ils ne sont, en réalité, que le produit de la société bourgeoise décadente, et surtout ils ont été choisis en toute conscience, par la classe dominante et son "élite" pour diriger l'Etat.



[1] Sources : Guy Richard :"L'histoire inhumaine". L'industrie du meurtre collectif : Hitler et le IIIe Reich.

[2] Le SPD, qui a été le fer de lance de la défaite prolétarienne ouvrant la voie au fascisme, en bon serviteur du capital national, est tout à fait prêt à épouser dans sa propagande et son attitude politique, les thèmes nazis. Ainsi lorsque Hitler arrive au pouvoir en mars 33, donnant le signal dans toute l'Allemagne des violences antisémites, et que le premier camp de concentration destiné aux juifs et aux opposants est ouvert le 20 mars à Dachau, le 3 avril, "le SPD annonce sa rupture avec la IIe Internationale et désavoue les attaques de sa presse contre Hitler (…) Le 19 juin, le comité directeur du SPD décide d'éliminer les juifs de sa direction" (L'histoire inhumaine). C'est peine perdue pour ce parti passé dans le camp bourgeois en 1914. Après avoir rendu tant de services au capital, il ne lui est plus en cet instant d'aucune utilité. C'est pourquoi il sera balayé : "Le 22 juin, le SPD est interdit, tous les autres partis se dissolvent et, le 14 juillet, le NSDAP est érigé en parti unique". (L'histoire inhumaine)

[3] Sources : Guy Richard :"L'histoire inhumaine". L'industrie du meurtre collectif : Hitler et le IIIe Reich.

[4] Sources : Guy Richard :"L'histoire inhumaine". L'industrie du meurtre collectif : Hitler et le IIIe Reich.

[5] Sources : "Histoire de l'Allemagne contemporaine" ; Jean-Marie Argelès / Gilbert Badia ; Weimar – IIIe Reich ; L'extermination des "sous-hommes".

[6] Sources : Guy Richard :"L'histoire inhumaine". L'industrie du meurtre collectif : Hitler et le IIIe Reich.

[7] Une telle situation se reproduira à nouveau,  mais de façon beaucoup plus  cynique et significative de l'hypocrisie du camp impérialiste adverse, lorsque Joël Brandt tentera de faire conclure entre nazis et alliés un marché visant à faire libérer des juifs en échange de camions livrés à l'Allemagne. Preuve de leur intérêt pour la tractation, les nazis étaient disposés à libérer 100.000 juifs "gratuitement" avant toute livraison de camions, ce qui aurait permis aux alliés de sauver 100.000 personnes sans pour cela renforcer le potentiel de guerre ennemi. Les négociations échouèrent uniquement parce que le camp démocrate ne voulait pas s'encombrer de tous ces juifs qui représentaient pour lui le même problème qu'en Allemagne, des bouches inutiles supplémentaires à nourrir en temps de guerre. Comme le souligne notre article La co-responsabilité des "alliés" et des nazis dans "l'holocauste" (Chapitre I), la bourgeoisie "alliée" fut très discrète sur ces mêmes camps pendant la guerre elle-même, au point que ce thème fut absent de sa propagande guerrière. La thèse officielle prévalant encore aujourd'hui est qu'elle ne savait pas. Une telle thèse entre en contradiction évidente avec l'épisode Joël Brandt et le fait qu'il était impossible que les camps de concentration passent au travers des mailles des renseignements alliés, notamment ceux obtenus par son aviation. Il est évident que "les gouvernements alliés avaient été de leur côté informés par divers canaux dès 1942 (révélations faites par Gerstein, un SS, à un diplomate suédois, informations transmises à Allan Dulles en Suisse)." (Histoire de l'Allemagne contemporaine).

[8] Sources : Guy Richard :"L'histoire inhumaine". L'industrie du meurtre collectif : Hitler et le IIIe Reich.

[9] Sources : Guy Richard :"L'histoire inhumaine". L'industrie du meurtre collectif : Hitler et le IIIe Reich.

Les massacres et les crimes des grandes démocraties

Le machiavélisme de la bourgeoisie, son art de la mise en scène, sa capacité à entraîner à la tuerie des centaines de milliers d’êtres humains, ne datent pas d’aujourd’hui. Les horreurs du Golfe ne sont de ce point de vue que la suite d’une longue série macabre.

Tout au long de la décadence du capitalisme, les "grandes démocraties" ont largement expérimenté ce type de scénarios et leur conclusion toujours sanglante, que ce soit à l’occasion de la situation toujours dangereuse qui prévaut dans le cas d’un pays vaincu à la fin d’une guerre, ou pour faire oublier ou tenter de justifier leurs propres crimes, en focalisant toute l’attention sur les crimes des "autres", en les "diabolisant".

De la première à la seconde Guerre mondiale

La liste des crimes et boucheries perpétrés par ces parangons du droit et de la morale que sont les vieilles démocraties bourgeoises est si longue qu’un numéro entier de cette revue y suffirait à peine. Rappelons pour mémoire la première boucherie mondiale où tous les protagonistes étaient des démocraties, y compris la Russie de 1917 du très "socialiste et démocratique" Kérensky et le rôle qu’y a joué la social-démocratie comme grand pourvoyeur de chair à canon. Cette dernière endossant résolument l’habit du boucher lors de la répression sanglante de la révolution en Allemagne en janvier 1919 où des milliers d’ouvriers périrent rien que dans la ville de Berlin. Souvenons-nous encore des corps expéditionnaires anglais, français et américains envoyés pour réduire à merci, par le sang, la révolution d’Octobre ; le génocide des Arméniens par l’Etat turc avec la complicité directe des gouvernements français et britannique ; le gazage des Kurdes par l’armée anglaise en 1925 ; etc. Au fur et à mesure que le système capitaliste s’enfonçait dans sa décadence, sa seule béquille, son seul moyen de survie fut de plus en plus la guerre et la terreur et ce tant dans les Etats "démocratiques" que "totalitaires". Mais dans le cadre forcément limité d’un article, nous nous attacherons tout d’abord à dénoncer ce qui constitue sans nul doute, avec la monstrueuse identification entre communisme et stalinisme, le plus grand mensonge de ce siècle : la nature de la seconde guerre mondiale, soi-disant "guerre de la démocratie contre le fascisme, guerre du droit et de la morale contre la barbarie nazie", comme l’enseignent encore aujourd’hui tous les manuels scolaires. Guerre où la barbarie aurait été essentiellement d’un seul côté, celui des puissances de l’Axe et où, dans le camp de nos vertueuses démocraties, la guerre n’aurait été que défensive et essentiellement, pour reprendre les termes actuels de la propagande bourgeoise, "une guerre propre".

L’étude de la seconde guerre impérialiste mondiale permet non seulement de mesurer l’énormité de ce mensonge, mais encore de comprendre comment, pendant et après la guerre du Golfe, la bourgeoisie démocratique a largement puisé dans l’expérience qu’elle a acquise durant cette période historique cruciale.

Les bombardements de terreur de la seconde Guerre mondiale sur la population allemande

Dès son arrivée au pouvoir en 1940, le chef du gouvernement de la plus vieille démocratie du monde, l’Angleterre, en même temps que le véritable dirigeant politique de la guerre, côté alliés, Sir Winston Churchill, met sur pied le "Bomber Command", noyau central des bombardiers lourds devant aller semer la terreur dans les villes allemandes. Pour justifier cette mise au point d’une véritable stratégie de la terreur, pour couvrir idéologiquement son lancement, Churchill utilisera les bombardements allemands massifs sur Londres et Coventry durant l’automne 1940 et celui sur Rotterdam en exagérant délibérément la portée de ce dernier. Les médias anglo-américains parleront de 30.000 victimes alors qu’il n’y en eut en fait qu’un millier. La couverture idéologique ainsi assurée, Lindemann, conseiller de Churchill peut en mars 1942 lui faire la suggestion suivante : "Une offensive de bombardements extensifs pourrait saper le moral de l'ennemi pourvu qu'elle soit dirigée contre les zones ouvrières des 58 villes allemandes, ayant chacune une population de 100.000 habitants" et il concluait en disant "qu'entre mars 1942 et le milieu de 1943, il devrait être possible de rendre sans abris un tiers de la population totale de l'Allemagne".  La bourgeoisie britannique adopte alors cette stratégie de terreur, mais dans toutes ses déclarations officielles, le gouvernement de sa gracieuse Majesté insistait sur le fait que le "Bomber Command ne bombardait qu'à des fins militaires et ne visait que des objectifs militaires, toute allusion à des attaques contre des zones ouvrières ou civiles étant rejetées comme absurde et attentatoire à l'honneur des aviateurs qui sacrifiaient leur vie pour la patrie" !

Première et sinistre illustration de ce cynique mensonge, le bombardement de Hambourg en juillet 43. L’utilisation massive des bombes incendiaires provoque la mort de 50.000 personnes, fait 40.000 blessés et ce, pour l’essentiel, dans des zones résidentielles et ouvrières. Le centre ville fut entièrement détruit et, en deux nuits, le nombre total de victimes fut à Hambourg égal au nombre de tués sous les bombardements, côté anglais, durant toute la durée de la guerre ! A Kassel, en octobre 43, près de 10.000 civils périrent dans une gigantesque tempête de feu. Face à certaines questions sur l’ampleur des dommages causés aux populations civiles, le gouvernement anglais répondait invariablement "qu'aucune instruction n'avait été donnée pour détruire des maisons d'habitation et que les cibles du Bomber Command étaient toujours des cibles militaires". Début 44, les raids de terreur sur Darmstadt, Könisberg, Heilbronn firent plus de 24.000 victimes chez les civils. A Braunshweig, perfectionnant leur technique au point qu’aucun mètre carré des zones d’habitations ne put échapper aux bombes incendiaires lâchées par les bombardiers, 23.000 personnes furent prises au piège du brasier gigantesque qu’était devenu le centre ville et périrent carbonisées ou asphyxiées. Cependant le black out était total et un général américain (les forces US commençant à participer massivement à ces "bombardements extensifs") déclare à cette époque : "A aucun prix nous ne devrions permettre aux historiens de cette guerre de nous accuser d'avoir dirigé des bombardements stratégiques sur l'homme de la rue". Quinze jours avant cette déclaration, un raid US sur Berlin avait provoqué la mort de 25.000 civils, ce dont était parfaitement au courant ce général. Les mensonges et le cynisme qui ont prévalu pendant toute la guerre du Golfe sont une longue et solide tradition de nos "grandes démocraties".

Cette stratégie de la terreur inspirée et dirigée par Churchill visait trois objectifs : accélérer la chute et la défaite militaire de l’Allemagne en sapant le moral de la population ; étouffer par le feu toute possibilité de révoltes et plus encore de surgissements prolétariens. Ce n’est pas un hasard si les bombardements de terreur se sont systématisés au moment même où des grèves ouvrières éclataient en Allemagne et où, depuis la fin 43, les désertions au sein de l’armée allemande tendaient à s’amplifier. Churchill, qui avait fait ses premières armes de boucher contre la révolution russe, était particulièrement attentif à ce danger. Enfin, en 1945, avant notamment la conférence de Yalta de février, il s’agissait de se placer, grâce à ces bombardements, en position de force face à une avancée de l’armée russe jugée trop rapide par Churchill.

Le déchaînement de barbarie et de mort entraîné par ces raids aériens dont les principales victimes étaient des ouvriers et des réfugiés, trouva son paroxysme à Dresde en février 45. A Dresde, il n’y avait aucune industrie importante, ni installation militaire ou stratégique et c’est cette absence qui fit de Dresde une ville refuge pour des centaines de milliers de réfugiés fuyant les bombardements et l’avancée de "l’armée rouge", aveuglés qu’ils étaient par la propagande démocratique des alliés, persuadés que Dresde ne serait jamais bombardée. Les autorités allemandes se laissèrent elles aussi aveugler par cette propagande puisqu’elles installèrent nombre d’hôpitaux civils dans cette ville. Cette situation était parfaitement connue par le gouvernement britannique, à tel point que certains chefs militaires du Bomber Command, émirent de sérieuses réserves quant à la validité militaire d’un tel objectif. On leur répondit sèchement que Dresde était un objectif prioritaire pour le premier Ministre et tout fut dit.

En bombardant Dresde les 13 et 14 février 45, la bourgeoisie anglaise et américaine savait parfaitement qu’il s’y trouvait alors près d’un million et demi de personnes dont un grand nombre de femmes et d’enfants réfugiés, de blessés et aussi de prisonniers de guerre. 650.000 bombes incendiaires tombèrent sur la ville produisant la plus gigantesque tempête de feu de toute la seconde guerre mondiale. Dresde brûla pendant huit jours, on voyait l’incendie à plus de 250 km. Certains quartiers de la ville étaient si brûlants qu’il fallut attendre plusieurs semaines avant de pénétrer dans certaines caves. Sur 35.000 immeubles d’habitation, seuls 7.000 restèrent debout, tout le centre ville avait disparu et la plupart des hôpitaux furent détruits. Le 14 février, 450 forteresses volantes américaines, prenant le relais des bombardiers anglais, déversèrent encore 771 tonnes de bombes incendiaires. Le bilan de ce qui fut sans conteste l’un des plus grands crimes de guerre de la seconde boucherie mondiale fut de 250.000 morts dont presque tous étaient des civils. A titre de comparaison, cet autre crime odieux que fut Hiroshima fit 75.000 victimes et les terribles bombardements américains sur Tokyo en mars 45 provoquèrent 85.000 morts ! !

Ordonnant le bombardement de Chemnitz les jours suivants, le commandement ne s’embarrasse plus d’aucune précaution oratoire. Il déclare aux aviateurs : "Vos raisons d'aller là-bas cette nuit sont d'achever tous les réfugiés qui peuvent avoir échappé de Dresde". Langage de bouchers s’il en fut, on peut mesurer à travers tout ceci qu’en termes de barbarie, la coalition anti-fasciste n’avait rien à envier aux nazis. Le 1er novembre 45, en 18 mois de bombardements, 45 des 60 principales villes allemandes avaient été quasiment complètement détruites. Au moins 635.000 civils périrent au cours de ces raids de terreur.

De même, en termes de cynisme et de mensonge éhonté, elle n’a pas non plus grand chose à envier à un Goebbels ou à un Staline. Face aux questions suscitées par ces terrifiants massacres, la bourgeoisie anglo-américaine répondit, contre toute évidence, que Dresde était un centre industriel et plus encore militaire très important. Churchill, quant à lui, ajouta d’abord que c’était les Russes qui avaient demandé qu’on effectue un tel bombardement, ce que tous les historiens s’accordent aujourd’hui à considérer comme faux, puis il tenta de rejeter la responsabilité sur les militaires, d’en faire une sorte de bavure ! ! Les travaillistes, ces chiens sanglants, ces tartufes immondes de la démocratie bourgeoise, enfourchèrent le même cheval de bataille pour tenter de se laver les mains d’une telle horreur. Le travailliste C. Attlee, qui avait succédé à Churchill, s’attira cette réponse du chef militaire du Bomber Command : "La stratégie de la force de bombardement critiquée par Lord Attlee fut décidée par le gouvernement de Sa majesté dont lui (Lord Attlee) a été un des chefs pendant presque toute la guerre. La décision de bombarder les villes industrielles fut prise, et prise avec une grande netteté, avant que je ne devienne commandant en chef du Bomber Command." La stratégie de la terreur fut une décision politique prise par l’ensemble de la bourgeoisie anglaise à laquelle s’est pleinement rallié cet autre "grand démocrate" qu’a été Roosevelt, qui, quant à lui, décida la fabrication de la bombe atomique. La barbarie démocratique a été pleinement à la hauteur de la barbarie fasciste et stalinienne. Les petits-fils de Churchill et Roosevelt que sont les Bush, Mitterrand et Major ont bien retenu leurs leçons pendant la guerre du Golfe, que ce soit en terme de massacre, de black out, de mensonges ou du cynisme le plus total[1].

Autre exemple de cette longue tradition démocratique consistant à masquer et justifier ses propres crimes et abominations en braquant tous les projecteurs sur d’autres crimes, d’autres horreurs : l’utilisation qui a été faite des camps de concentration pour justifier la barbarie de la boucherie impérialiste côté alliés. Loin de nous l’idée de nier la sordide et sinistre réalité de ces camps de la mort, mais la publicité obscène qui en a été faite depuis n’a rien à voir avec des considération humanistes et encore moins avec l’horreur légitime provoquée par une telle barbarie. La bourgeoisie, tant anglaise qu’américaine, savait parfaitement ce qui se passait dans ces camps. Et pourtant, chose étrange en apparence, elle n’en parle pratiquement pas pendant toute la guerre et n’en fait pas un thème central de sa propagande. Ce n’est qu’après la guerre qu’elle en fit l’axiome principal de sa justification de la seconde boucherie impérialiste mondiale et plus largement de la défense de la sacro-sainte démocratie.

La "démocratie" complice des massacres contre la classe ouvrière

La répression massive des populations kurde et chiite en Irak et la complicité totale dans ces massacres des "patries des Droits de l’Homme", peut se comparer jusqu’à un certain point avec l’attitude des Alliés durant la seconde guerre mondiale. Il ne s’agit pas ici de comparer des mouvements foncièrement bourgeois, dans lesquels les ouvriers ne jouent aucun rôle, si ce n’est celui de chair à canon, tel le mouvement nationaliste kurde, avec ce qui s’est passé en Italie où, en 1943, les ouvriers tendaient, du moins au début, à se tenir sur un terrain de classe. Mais une fois cette distinction fondamentale opérée, il s’agit de voir ce qu’il y a de commun dans l’attitude de la bourgeoisie démocratique entre hier et aujourd’hui.

En Italie

En Italie fin 42 et surtout en 43, des grèves éclatent un peu partout dans les principaux centres industriels du Nord. Partout on revendique pour un meilleur ravitaillement, de meilleurs salaires, et certains ouvriers appellent même à la constitution de conseils d’usine et de soviets, et ceci contre les staliniens du PCI de Togliatti. Le mouvement est d’autant plus dangereux pour la bourgeoisie que les ouvriers italiens immigrés en Allemagne se mettent eux aussi en grève et rencontrent souvent l’appui de leurs frères de classe allemands. C’est notamment face aux grèves ouvrières que fut prise la décision de renverser Mussolini et de le faire remplacer par Badoglio. Les Alliés, qui avaient appelé le peuple italien à se révolter contre le fascisme, débarquent alors en Sicile et à l’automne 43 occupent totalement et solidement tout le Sud de l’Italie. Mais, inquiets de cette situation potentiellement révolutionnaire, ils stoppent vite, sur la demande de Churchill, leur avance et restent cantonnés dans le Sud. Churchill, fort de son expérience de la vague révolutionnaire qui mit fin à la première guerre mondiale, craint comme la peste le renouvellement d’un semblable scénario. Il convainc alors les USA de "laisser l’Italie mijoter dans son jus", et ralentit sciemment la progression de l’armée alliée vers le Nord. Son but : laisser à l’armée allemande le soin de mater et briser la classe ouvrière, en occupant militairement tout le Nord de l’Italie et toutes ses grandes concentrations ouvrières. Il laisse ainsi délibérément l’armée allemande fortifier ses positions et l’armée alliée mettra 18 mois à conquérir l’ensemble de la péninsule. 18 mois pendant lesquels les ouvriers seront brisés par la soldatesque allemande avec la complicité objective des staliniens qui appellent à l’Union Sacrée derrière Badoglio. La sale besogne accomplie par les Allemands, les armées alliées pourront alors se poser en "libérateurs de l’Italie" et imposer tranquillement leurs vues en imposant la "Démocratie-Chrétienne" au pouvoir.

En Grèce

En Grèce, pays laissé à l’Angleterre dans le grand partage entre requins impérialistes, Churchill va aussi exercer ses talents de "champion de la liberté et de la démocratie". Des grèves et manifestations ouvrières éclatèrent fin 1944, grèves rapidement encadrées et dévoyées par les staliniens qui dominaient, via l’ELAS, toute la résistance grecque. L’ELAS va entraîner la population athénienne à affronter pratiquement à mains nues les tanks britanniques occupant alors la ville. Les tanks démocratiques de Sa Très Gracieuse Majesté rétablirent l’ordre dans le sang, au point qu’Athènes qui, jusqu’alors, vu sa qualité de ville historique, n’avait jamais été bombardée, fut bientôt une ville à moitié en ruine. Churchill dira au général anglais commandant les troupes : "Vous êtes responsable du maintien de l'ordre à Athènes, et devez détruire ou neutraliser toutes les bandes ELAS qui approcheront de la ville... L'ELAS essaiera bien entendu de pousser des femmes et des enfants en avant partout où la fusillade pourra être ouverte. N’hésitez pas cependant à agir comme si vous vous trouviez dans une ville conquise où se serait déclenchée une révolte locale." (A. Stinas Mémoires d’un révolutionnaire). Résultat : pris entre l’enclume stalinienne et le marteau démocratique, des milliers d’ouvriers périront.

En Pologne

Ce qui se passe à Varsovie peut encore plus directement être rapproché de la stratégie cynique employée par la bourgeoisie occidentale à la fin de la guerre du Golfe. L’"armée rouge" est aux portes de Varsovie, à 15 km de la ville le 30 juillet 44 ; éclate alors le soulèvement de la population de Varsovie contre l’occupation allemande. Depuis des mois, les Alliés et l’URSS n’avaient cessé d’exhorter cette population au soulèvement, promettant dans ce cas toute leur aide, et à la veille du soulèvement Radio Moscou appelait Varsovie à l’insurrection armée, en l'assurant du soutien de "L'Armée rouge". Toute la population se révolte alors et, dans un premier temps, cette insurrection populaire, dans laquelle les ouvriers jouèrent un grand rôle, bien que le poids de l’encadrement nationaliste soit très fort, réussit à libérer une bonne partie de la ville de l’occupation militaire allemande. La population se lance d’autant plus massivement dans cette aventure qu’elle est convaincue de recevoir rapidement de l’aide : "L'aide alliée à notre soulèvement paraissait aller de soi. Nous combattions l'hitlérisme, par conséquent nous avions le droit de supposer que toutes les nations unies dans cette lutte nous fourniraient un secours efficace... Nous espérions que les secours viendraient immédiatement." (Z. Zaremba : La Commune de Varsovie). Staline avait initialement prévu de rentrer dans Varsovie au tout début d’août : l’armée allemande était en déroute, et aucun obstacle militaire sérieux ne s’opposait plus à cette entrée. Mais devant l’insurrection et son ampleur, il change de plan et retarde délibérément l’avancée de l’armée russe qui va rester cantonnée aux portes de Varsovie pendant deux mois. Elle ne reprendra son avancée qu’une fois l’insurrection écrasée dans le sang par l’armée allemande, au bout de 63 jours. Il déclare froidement que "cette insurrection était réactionnaire et qu'il se dissociait d'une aventure imprudente et terrible dont les instigateurs étaient des criminels". (Z. Zaremba). Pendant tout ce temps, dans la ville, les troupes allemandes regagnent position après position, il n’y a plus d’eau et d’électricité, et les munitions, côté insurgés, se font de plus en plus rares. Les insurgés attendent toujours une aide de l’armée russe. Non seulement celle-ci ne vient pas, mais encore Staline les dénonce comme des "séditieux fascistes". La population attendait aussi de l’aide côté anglo-américain. Cette aide, au-delà de bonnes paroles affirmant "l’enthousiasme et la solidarité envers l’insurrection" des gouvernements britannique et américain, ne prendra que la forme dérisoire de quelques maigres parachutages d’armes, totalement insuffisants pour permettre de s’opposer à l’avancée des troupes allemandes et ne servant, de fait, qu’à accroître encore le nombre des tués et des blessés et à prolonger les souffrances vaines de la population de la capitale polonaise. En fait, Staline, devant l’ampleur de l’insurrection, décide, comme Churchill en Italie, "de laisser Varsovie mijoter dans son jus", dans le but évident d’avaler la Pologne sans rencontrer d’obstacle sérieux du côté de la population polonaise. En cas de succès de l’insurrection de Varsovie, le nationalisme se serait trouvé considérablement renforcé et aurait pu dès lors mettre de sérieux bâtons dans les roues des visées de l’impérialisme russe. Il inaugurait en même temps le rôle de gendarme anti-prolétarien, face à une menace ouvrière potentielle à Varsovie, qui lui fut dévolu et qu’il remplit avec zèle à la fin de la seconde guerre mondiale pour tout l’Est de l’Europe, Allemagne comprise. En laissant l’armée allemande écraser l’insurrection, il ne trouverait devant lui, ce qui fut le cas, qu’une population décimée et exsangue, donc peu capable de résister efficacement à l’occupation russe et ce sans avoir, de plus, à se salir lui-même les mains puisque les "hordes barbares nazies" faisaient le sale boulot à sa place.

Du côté anglo-américain, où l’on savait parfaitement ce qui se passait, on laisse faire, car Roosevelt avait tacitement laissé la Pologne à l’impérialisme russe, la population de Varsovie fut ainsi froidement sacrifiée sur l’autel des grands marchandages entre requins impérialistes. Le bilan de ce piège mortel lancé aux habitants de Varsovie par Staline et ses complices démocrates fut particulièrement lourd : 50.000 tués, 350.000 déportés en Allemagne, un million de personnes condamnées à l’exode et une ville complètement en ruine[2].

Vis-à-vis des événements de Varsovie, le cynisme de la bourgeoisie apparaît encore plus monstrueux si l’on se souvient que ce fut l’invasion de la Pologne qui décida l’Angleterre et la France à entrer en guerre pour sauver "la liberté et la démocratie en Pologne" !... Lorsqu’on compare la situation d’août 44 à Varsovie avec la situation de l’après-guerre du Golfe, et si on remplace les polonais par les kurdes, Hitler par S. Hussein et Staline par Bush, on retrouve le même cynisme impitoyable de la bourgeoisie et les mêmes pièges sanglants où la bourgeoisie, pour ses sordides intérêts impérialistes, tout en ayant partout à la bouche les mots de liberté, démocratie et Droits de l’Homme, condamne froidement au massacre des dizaines, des centaines de milliers d’êtres humains.

La seconde boucherie mondiale constitua pour la bourgeoisie une formidable expérience, pour tuer et massacrer des millions de civils sans défense, mais aussi pour dissimuler, masquer, justifier ses propres crimes de guerre monstrueux, en "diabolisant" ceux de la coalition impérialiste antagoniste. Au sortir de la seconde guerre mondiale, les "grandes démocraties", malgré tous leurs efforts pour se donner un air respectable, apparaissent plus que jamais maculées des pieds à la tête par le sang de leurs innombrables victimes.

"Démocratie" et massacres coloniaux

"Le capitalisme est né dans le sang et dans la boue" comme le disait Marx, et les crimes et génocides qu’il a accomplis tout au long de la colonisation illustrent de façon saisissante ce monstrueux accouchement. "Transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires", "os des tisserands indiens blanchissant les plaines de l’Inde" (Marx), résultat de la colonisation britannique du continent indien, etc. La liste exhaustive de tous ces génocides serait elle aussi beaucoup trop longue pour le cadre de cet article. Par ailleurs, quelles que soit les terribles souffrances qu’il infligeait à l’humanité, le système capitaliste était pendant toute sa phase ascendante encore progressiste, car, en permettant le développement des forces productives, il développait en même temps, et la classe révolutionnaire, le prolétariat, et les conditions matérielles nécessaires à l’avènement du communisme. Plus rien de tel à "l’ère des guerres et des révolutions" marquant l’entrée en décadence d’un système devenu purement réactionnaire. Désormais, les massacres coloniaux n’étaient plus que le terrible prix du sang dû à la survie d’un Moloch menaçant maintenant jusqu’à la survie de l’espèce humaine. Dans ce cadre, les multiples crimes et massacres coloniaux commis par les "patries des Droits de l’Homme" que sont les vieilles démocraties bourgeoises n’apparaissent plus que pour ce qu’ils sont : de purs actes de barbarie[3].

Au sortir de la seconde boucherie mondiale, les vainqueurs et notamment ces trois vieilles démocraties que sont les USA, la Grande Bretagne et la France, promettaient au monde entier l’avènement partout de la liberté et de la démocratie, car n’était-ce pas pour elles qu’elles avaient consenti tant de sacrifices ? Voyons, puisque l’on a beaucoup parlé auparavant du rôle joué par les anglais et les américains, comment s’est comportée le troisième larron de cet inestimable trio du florilège démocratique, "la patrie par excellence des Droits de l’Homme" : la France.

En Algérie, 1945

En 1945, le jour même de la capitulation de l’Allemagne, le gouvernement très démocratique de De Gaulle, comprenant alors des ministres "communistes", ordonne à l’aviation française, dont le ministre était le stalinien Tillon, de bombarder Sétif et Constantine, où des mouvements nationalistes osaient remettre en cause la domination coloniale de la gracieuse démocratie française. Les victimes et blessés se comptèrent par milliers et certains quartiers populaires furent réduits en cendres.

A Madagascar, 1947

En 1947, le ministre de la France d'Outre-mer, le très "démocrate et socialiste" Marius Moutet, organise la terrible répression du mouvement indépendantiste malgache, en utilisant là encore l’aviation, relayée ensuite par les tanks et l’artillerie. De nombreux villages seront rasés, l’on expérimente là, pour la première fois, la sinistre tactique de jeter des prisonniers du haut des avions pour qu’ils s’écrasent sur des villages, et il y aura au total 80.000 morts ! !...

En Indochine

A peu près à la même époque, le même M. Moutet ordonne le bombardement de Haiphong en Indochine, sans déclaration de guerre préalable. Durant la guerre d’Indochine l’armée française se fait les dents, en systématisant la torture : gégène, baignoire, tout l’arsenal y est. Elle établira une règle des plus démocratiques en ordonnant que pour un soldat français tué, huit villages soient brûlés ! ! Un témoin raconte qu’en Indochine "l'armée française se comportait comme les boches le faisaient chez nous", et il ajoute que "comme à Buchenwald où l'on trouva une tête humaine coupée dans le bureau du commandant du camp, l'on trouvait le même semblable objet, servant de presse-papiers, dans nombre de bureaux d'officiers français." Décidément, encore une fois, la soldatesque galonnée démocratique n’a rien à envier à la soldatesque galonnée nazie ou stalinienne ! ! Et les "Viets" et leurs atrocités, dont la presse de l’époque faisait sa "Une" (rappelons au passage qu’en 1945 Hô Chi Minh aide les "impérialistes étrangers" à écraser la commune ouvrière de Saïgon, cf. notre brochure Nation ou Classe), ou plus tard le FLN en Algérie, étaient à bonne école et appliquaient les leçons fournies par la très démocratique armée française.

La guerre d'Algérie

Lors du début de l’insurrection et rébellion nationaliste algérienne, les "socialistes" étaient au pouvoir en France et le gouvernement comprenait alors Guy Mollet, Mendès-France et le jeune F. Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur. Le sang de tous ces "authentiques démocrates" ne fit qu’un tour et les pleins pouvoirs sont confiés à l’armée en 1957 pour rétablir "l’ordre républicain". Très vite les grands moyens sont employés, en représailles d’un attentat contre des colons ou l’armée, on rase des villages et des douars entiers, l’aviation mitraille systématiquement des caravanes. Deux millions d’algériens, soit près du quart de la population totale, furent chassés de leurs villages et zones de résidence, pour être parqués à la totale merci de l’armée dans des "camps de re-groupements" où, selon un rapport de M. Rocard, alors inspecteur des finances : "Les conditions sont déplorables et au moins un enfant meurt par jour". Très vite le général Massu et son complice Bigeard, devenu ensuite ministre de Giscard, se découvrent des talents de tortionnaires. La torture devient partout systématique et à Alger un mot devient vite célèbre, ce-lui de "disparu". Une bonne partie de ceux qui sont livrés à la soldatesque ne réapparaît plus jamais. Comme le souligne une note de l’inspecteur général Wuilhaume adressée à Mitterrand courant 1957 : "Les coups, la baignoire, le tuyau d'eau, l'électricité sont partout employés." "A Boulemane, comme dans beaucoup de petites villes des Aurès, la salle de torture fonctionnait jour et nuit... et il n'était pas rare qu'au mess des officiers on boive le champagne dans des crânes de fellagas (combattants du FLN)". En 1957 le secrétaire général de la préfecture d’Alger, P. Teitgen, dit à propos des tortures à l’avocat P. Vergès : "(...) Tout cela je le sais hélas et vous comprendrez bien que l'ancien déporté que je suis ne peut le supporter (et il va d'ailleurs démissionner). On se conduit parfois comme les Allemands se conduisaient", et il ajoute qu’il connaît toutes les villas d’Alger où l’on torture...

Cette déclaration d’un haut fonctionnaire est particulièrement intéressante car elle met en lumière, une fois de plus, l’incroyable duplicité de ceux qui nous gouvernent, et particulièrement des sociaux-démocrates. Ainsi G. Mollet dé-clare le 14 avril 57 à la fédération socialiste de la Marne : "Sans doute des actes de violence extrêmement rares ont été à déplorer. Mais ils ont été, je l'affirme, consécutifs aux combats et atrocités des terroristes. Quant aux actes de torture prémédités et réfléchis, je dis que si cela était ce serait intolérable. On a comparé à ce sujet le comportement de l’armée française à celui de la Gestapo. Cette comparaison est scandaleuse. Hitler donnait des directives qui préconisaient ces méthodes, tandis que Lacoste et moi avons toujours donné des ordres dans un sens absolument contraire." Ceux-ci prétendent tout ignorer, alors qu’ils sont parfaitement au courant de la situation, et que ce sont eux qui donnent les ordres. Comme dans toute bande de gangsters, il y a toujours ceux qui commanditent le crime, et ceux qui l’exécutent. On focalise toujours l’attention sur les "flingueurs", qui sont dans ce cas Massu et Bigeard, pour blanchir les véritables responsables, en l’occurrence la canaille social-démocrate qui est au pouvoir. La bourgeoisie française, "socialistes" en tête, a par la suite toujours présenté les massacres et atrocités commises en Algérie (par exemple, de 1957 à l’arrivée de De Gaulle au pouvoir en 1958, 15 000 enfants algériens disparaissaient chaque mois) comme étant l’oeuvre de militaires sanguinaires, outrepassant les ordres, mais celui qui a donné ces ordres est sans conteste le gouvernement "socialiste". Encore une fois, qui est le plus criminel : celui qui exécute le crime ou celui qui l’ordonne ?[4]

La bourgeoisie, dans sa version démocratique, s’est toujours acharnée à présenter ses crimes, dès que ceux-ci sont trop évidents qu’on ne peut plus les cacher, comme une bavure, un accident, ou comme l’oeuvre de militaires outrepassant la mission qui leur était dévolue. On l’a vu en France à propos de l’Algérie, on l’a vu aux USA à propos du Viêt-Nam. Tout ceci n'est que de sinistres tartuferies dont le seul but est de préserver le grand mensonge démocratique.

Pour perpétuer sa domination sur la classe ouvrière, il est vital pour la bourgeoisie de maintenir en vie la mystification démocratique, et elle s’est servie et continue de se servir de la faillite définitive du stalinisme pour renforcer cette fiction. Contre ce mensonge d’une prétendue différence de nature entre "démocratie et totalitarisme", toute l’histoire de la décadence du capitalisme nous montre que la démocratie s’est tout autant largement vautrée dans le sang que le totalitarisme, et que ses victimes se comptent par millions. Le prolétariat doit aussi se rappeler que jamais la bourgeoisie "démocratique" n’a hésité, pour défendre ses intérêts de classe ou ses sordides intérêts impérialistes, à soutenir et encenser les plus féroces dictateurs. Souvenons-nous du temps où les Blum, les Churchill, etc. ..., appelaient Staline "Monsieur Staline" et où celui-ci était nommé "l’homme de la Libération" !  Plus près de nous, rappelons-nous du soutien apporté à Saddam Hussein ou encore à Ceausescu, félicité par De Gaulle et décoré par Giscard d'Estaing. La classe ouvrière doit faire sien le fait que la démocratie, hier, aujourd’hui, et plus encore demain, n’a jamais été et ne sera jamais autre chose que le masque hypocrite avec lequel la bourgeoisie re-couvre le visage hideux de sa dictature de classe, pour mieux l’enchaîner et la réduire à merci.



[1] Les citations de cette partie sont tirées de :

- "La destruction de Dresde" de David Irving, Editions Art et Histoire d’Europe.

- "La seconde guerre mondiale" de Henri Michel, Editions PUF.

[2] "La Commune de Varsovie trahie par Staline, massacrée par Hitler" de Zygmunt Zaremba, Editions Spartacus.

[3] A propos de la différence entre la démocratie bourgeoise dans l’ascendance et la décadence du capitalisme on consultera utilement notre plate-forme et notre brochure "La décadence du capitalisme".

[4] "Les crimes de l’armée française" de Pierre Vidal-Naquet, Editions Maspéro. Alors que la bourgeoisie française essaye de présenter l’Algérie comme son dernier "pêché colonialiste", sous-entendu, elle aurait depuis les mains propres, d’autres massacres ont été perpétués depuis la guerre d’Algérie, notamment au Cameroun où de sanglantes exactions furent commises par l’armée française.

V - Seconde Guerre Mondiale : Le combat internationaliste de la Gauche communiste

Face à la perspective d'une nouvelle guerre mondiale qui se profile, la Fraction italienne de la Gauche communiste est très tôt en mesure de mettre en garde le prolétariat contre les chants de sirène de la bourgeoisie visant à l'embrigader derrière un camp impérialiste ou un autre. Elle lui rappelle que ses intérêts de classe ne sont pas la défense d'une patrie, qu'elle soit «soviétique», fasciste ou démocratique, mais bien dans celle de l'internationalisme prolétarien. Elle n'a de cesse de dénoncer le rôle de sergent recruteur que les partis qui ont trahi en 1914, les partis socialistes, joueront une fois de plus, mais aussi les partis communistes (qu'elle nomme partis centristes) qui trahissent à leur tour le camp du prolétariat. Toutes ses prises de positions et analyses pendant les années trente convergent vers cette défense intransigeantes des positions prolétariennes, et c'est aussi le sens du Manifeste qu'elle publie en 1935 et dont nous reproduisons ci-dessous des extraits.

 

Affaiblie organisationnellement et numériquement, désorientée par le surgissement de la guerre[1], la Gauche communiste italienne se trouve impuissante à développer une intervention face à celle-ci. Se réorganisant sur le plan politique, elle dut néanmoins faire face aux conditions de difficultés accrues de la guerre. Son opposition intransigeante à la guerre et son refus de soutenir quelque camp impérialiste que ce soit, la contraignirent à passer dans la clandestinité dont il résulta une atomisation et un éparpillement des militants. L'occupation de la Belgique et de la France par l'Allemagne, la collaboration entre les polices locales et la Gestapo qui, elle même, travaillait main dans la main avec l'OVRA italienne (police politique) dans la chasse aux réfugiés politiques, eurent un effet désastreux et désagrégateur sur les fractions italienne et belge. Des militants furent déportés et moururent dans des camps de concentration. D'autres, "plus chanceux", après un séjour dans les camps de travail allemands, furent livrés à la police italienne et relégués dans les îles, où les conditions de détention étaient moins dures.

Néanmoins, tout un travail d'intervention ouverte contre la guerre effectué par la Fraction italienne et le Noyau français de la Gauche communiste se traduisit par le développement numérique de leurs forces militantes à Marseille, Paris et dans le Nord de la France, conduisant ainsi à la naissance de la Fraction française de la Gauche communiste[2]. Des affiches dénonçant la guerre impérialiste et tous les camps militaires furent collées dans plusieurs villes françaises. Des tracts rédigés en allemand, anglais, italien et français furent jetés dans les trains partant pour le front. Après le débarquement américain du 6 juin 44, un appel fut lancé à tous les soldats et ouvriers leur demandant de manifester leur solidarité de classe, par-delà les frontières ; de cesser le feu et de baisser les armes ; de s'unir tous contre le capitalisme mondial "sur le front international de classe", en vue de transformer la guerre impérialiste en guerre civile, pour le triomphe de la révolution mondiale.

[1] Après qu'une minorité en son sein soit allée soutenir les milices en Espagne, une majorité d'entre elle, s'appuyant sur des positions influencées par l'opportunisme, pense alors, en contradiction totale avec l'analyse développée pendant les années 30, que la guerre n'aura pas lieu. Ce désarroi se traduit par l'abandon de la publication de la revue Bilan pour lui substituer Octobre, manifestant ainsi la croyance en de proches surgissements de la classe ouvrière.

[2] Qui publie l'Etincelle en 45-46 et Internationalisme jusqu'en 1952.

Evènements historiques: 

Courants politiques: 

Questions théoriques: 

Manifeste de la fraction italienne de la Gauche communiste (Extraits de Bilan n° 23 ; Juin 1944)

(...) L'appel de notre fraction tend à mobiliser vos énergies afin qu'au naufrage de vos institutions de classe et de vos vies dans la guerre, soit opposée la seule réplique que l'histoire et la lutte des classes admettent : le naufrage et la destruction du régime capitaliste au travers de votre victoire insurrectionnelle. Dans ce but, seule la compréhension du passé peut projeter la lumière sur l'avenir et nous faire apercevoir le chemin de la victoire. (...)

Fascistes, démocrates, socialistes et centristes sont arrivés au terme de leur œuvre : après avoir, par des voies différentes, intimement collaboré à l'oeuvre de démantèlement et d'étranglement du prolétariat mondial, ils se rejoignent et fraternisent pour donner à cette oeuvre la seule conclusion que permet un régime basé sur la division en classes : la guerre. Oh! tous, de Staline à Vandervelde, de Mussolini et Hitler à Laval et Baldwin, tous voudraient éviter de tomber dans le précipice, après l'avoir, pendant des années et des années, creusé avec les os des prolétaires massacrés. Ainsi qu'en 1914, de même aujourd'hui, ceux qui - au travers de la guerre civile que le régime capitaliste porte en ses entrailles - ont étranglé, en le prolétariat, la seule force historique capable de construire une société sans classe (...), ceux qui, aujourd'hui, comme en 1914, ont vaincu dans la guerre civile, au nom et pour le compte du capitalisme, consacrent cette victoire dans le déchaînement de la guerre : après la "paix" entre les brigands pour massacrer le prolétariat, la "guerre" entre les brigands pour l'hécatombe de millions d'ouvriers.

Au nom de la "paix", on prépare fiévreusement la guerre. Mussolini voudrait "pacifiquement" conquérir l'Ethiopie et, suivant le chemin que les démocrates d'aujourd'hui, français et anglais, ont battu dans la passé, il veut amasser des monceaux de cadavres en Abyssinie afin de "civiliser" ces territoires, lui qui personnifie le régime d'esclavage et de terreur qui a brisé provisoirement la seule force de la civilisation en Italie : le prolétariat ; (...).

  • "Pacifiquement", le Négus voudrait conserver sa domination sur les populations abyssines soumises à un régime d'exploitation infâme ; ses déclamations sur l'indépendance et l'intégrité de la "nation", dans la phase actuelle où la seule force de progrès est le prolétariat mondial, ces déclamations se révèlent pour ce qu'elles sont : des instruments de tromperie des masses et Hailé Selassié acceptera tous les concours en cette oeuvre d'exploitation des travailleurs abyssins : celui de financiers "étrangers" qui acquerront des concessions pour sucer le sang des populations indigènes, celui des gendarmes "étrangers" qui briseront l'échine de ces travailleurs qui oseraient se dresser en un effort de défense et de rébellion.
  • "Pacifiquement", les impérialismes français et anglais voudraient conserver les positions conquises à Versailles.
  • "Pacifiquement", l'impérialisme allemand voudrait obtenir une révision des frontières établies en 1919.
  • "Pacifiquement", les socialistes voudraient garder les places qu'ils ont pu conquérir dans les organismes que le prolétariat a fondés au prix de la vie des ouvriers et en des batailles où il dut affronter la férocité capitaliste, dans des organismes qu'ils ont pliés au service de l'ennemi ; c'est "pacifiquement" qu'ils voudraient continuer l'orgie dans l'attente tranquille des appointements mensuels et des honneurs dans les ministères, les parlements et les autres institutions capitalistes.
  • "Pacifiquement", les centristes voudraient continuer à maintenir le prolétariat russe en une sujétion économique et politique qui leur permette de pénétrer dans l'aisance, la tranquillité, la débauche où se remuent les exploiteurs capitalistes.

(...) Et déjà la manœuvre qui tend à établir le front unique autour des impérialismes respectifs, déjà cette manoeuvre se profile à l'horizon de la situation actuelle. Au son de "l'Internationale", les prolétaires devraient se faire tuer au nom de l'antifascisme et de la démocratie où se dissimulent aujourd'hui les efforts des vampires capitalistes français et anglais, les gueules des traîtres socialistes et centristes fraternisant après que leur oeuvre ait obtenu son plein succès, l'oeuvre qui a fait de l'Etat russe - qui fut la forteresse de la révolution - une forteresse du régime capitaliste mondial. Contre la dictature des vainqueurs de Versailles et pour les nations "prolétariennes", les ouvriers allemands et italiens devraient se faire tuer. Les cuirassés anglais dans la Méditerranée, voilà le drapeau que tiennent dans leurs mains les socialistes et les centristes. Les armées italiennes en Ethiopie : voilà les étendards des "principes de la justice".

C'est là le panorama de la situation actuelle. La Société des Nations continue son rôle, en couvrant d'un masque qui veut aveugler les masses, l'activité qu'elle déploie pour la formation des constellations pour la guerre. Les principaux vainqueurs de Versailles, France et Angleterre, cherchent fiévreusement le chemin qui peut les conduire à une alliance militaire. La France, incertaine de l'appui anglais, voudrait se garantir contre l'Allemagne par un soutien italien et, dans ce but, elle est disposée à laisser les mains libres à Mussolini afin que celui-ci répète ce qu'elle fit jadis au Maroc, en Tunisie, en Indochine et dans toutes les autres colonies. D'autre part, l'Angleterre voudrait s'opposer à l'hégémonie française, ainsi qu'à l'expansion italienne, par un appui au plan allemand. Enfin, la lutte se déchaîne sur le front italo-allemand pour voir qui des deux pourra prendre la place de premier ordre dans la constellation des Etats qui combattront pour réparer les "injustices" de Versailles. La Russie Soviétique (...) agit au sein même du front des contrastes impérialistes et n'hésite pas à se relier avec celles des constellations où elle considère pouvoir mieux protéger ses intérêts. La Russie Soviétique n'hésite pas à appeler tous les ouvriers à se serrer autour de ces forces de "paix" qui s'appellent aujourd'hui la défense de la voie impériale anglaise, qui pourront demain s'appeler la défense des principes de justice dans l'intérêt des Etats qui furent vaincus à Versailles. (...)

Prolétaires

Le socialisme qui ne peut vaincre que sur un plan de luttes internationales du prolétariat, a été enfreint par les défaites du prolétariat allemand, italien, chinois, de tous les pays. Pour sauver le capitalisme dans l'immédiat après-guerre, les démocrates et les socialistes d'hier et d'aujourd'hui prirent une place de premier ordre et sauvèrent la "civilisation" en massacrant les prolétaires révolutionnaires. Ils représentèrent la force essentielle dont se servit le capitalisme pour sauver son régime. En un second moment, de nouvelles forces prirent cette place. Ces nouvelles forces (le centrisme ayant été engendré par la défaite de 1923 en Allemagne) purent arriver à briser dans la révolution chinoise le bastion que les millions d'exploités d'Asie voulaient élever pour se joindre au prolétariat des pays capitalistes en vue du triomphe de la révolution mondiale et, arrivèrent enfin, en 1928, à expurger les partis communistes de leur aile marxiste, préparant ainsi la trahison actuelle.

En 1922 tomba, en Italie, une forteresse du prolétariat mondial et, à cause de circonstances historiques qui empêchaient au capitalisme italien toute manoeuvre corruptrice au sein du prolétariat, eut lieu le triomphe des hordes fascistes. Successivement en Allemagne, en 1923, fut résolu, au désavantage du prolétariat mondial, le duel entre les classes protagonistes autour du nouvel organisme que la classe ouvrière internationale s'était donnée : l'Etat russe. Ainsi que pour les syndicats au temps de la Deuxième Internationale, la bourgeoisie comprit qu'envers l'Etat prolétarien il n'était pas possible de déchaîner l'attaque violente, mais il fallait recourir à la manoeuvre de la corruption. D'autre part, les bolcheviks qui dirigèrent les batailles de 1923, au travers de l'IC, crurent que le chemin à entreprendre pour la victoire mondiale consistait dans la subordination des batailles de classes allemandes au plan de l'extension et du développement de l'Etat russe. Dans ce but, ils défendirent une tactique insurrectionnelle contre laquelle ils avaient combattu en Russie, où le prolétariat avait conquis le pouvoir parce qu'au lieu de préconiser la collaboration ministérielle avec les ennemis des ouvriers, ainsi qu'on le fit en Saxe et en Thuringe en 1923, ils soutinrent le mot d'ordre de la conquête insurrectionnelle du pouvoir. Des batailles de 1923, en Allemagne, l'Etat prolétarien sortait avec une altération profonde de ses caractères et les prémisses étaient posées pour donner vie au nouveau courant qui devait rejoindre, dans sa fonction historique, le réformisme qui nous avait conduits à la trahison de 1914 et qui, en 1927, en Chine, se révéla digue essentielle de la défense du capitalisme international. (...)

Entre temps, de l'altération organique qui s'était produite en 1923 dans la politique de l'Etat prolétarien, devait se développer la nouvelle force de corruption et de trahison du prolétariat; le centrisme, qui re-calqua les traces laissées par le réformisme entre 1900 et 1914. En Allemagne, en face du plan du capitalisme pour arriver à la victoire fasciste, le centrisme représente, avec le socialisme, une force de premier ordre pour le succès de l'ennemi. En 1933, tombe un autre bastion du prolétariat international : les organismes du prolétariat allemand s'écroulent dans les cendres. Cette défaite emporta dans un tourbillon l'Internationale Communiste et marqua la bifurcation des situations qui se dirigeront désormais vers le déclenchement de la guerre. Ensuite, le capitalisme mondial, qui avait étranglé le prolétariat italien et allemand, dispersé - en s'appuyant sur le centrisme - le prolétariat chinois devait diriger son attaque frontale contre la classe ouvrière de ces pays qui, étant sortis victorieux à Versailles, pouvaient ne pas devoir recourir au fascisme. Durant les mois écoulés, ce plan du capitalisme a obtenu son succès total : Staline recevra en Laval l'ambassadeur du capitalisme et lui signifiera son total appui au plan d'armement pour la guerre. (...) Hitler portera à sa conclusion le plan de Noske et Scheideman en des circonstances historiques différentes. Les centristes ont immobilisé et dispersé le prolétariat chinois, écartelé le prolétariat français, en consacrant dans la personne de Staline, la rupture du front prolétarien.

Aujourd'hui, les centristes ont rejoint les traîtres de 1914 et les bourreaux fascistes, en proclamant la nécessité pour les prolétaires de défendre la patrie. Lénine disait, en 1915, que "les phrases sur la défense de la patrie, sur la résistance à l'agression ennemie, sur la guerre de défense, etc., ne représentent pas autre chose, des deux côtés, qu'une tromperie du peuple". Aujourd'hui, les centristes sont à leur place pour permettre le carnage mondial.

Les socialistes sauvent le régime capitaliste en 1919-20. L'immaturité du prolétariat mondial empêchera les bolcheviks de maintenir sur les rails de la révolution l'Etat prolétarien qui sortira défiguré des batailles de 1923 en Allemagne et engendrera le centrisme: voilà les prémisses de la terrible situation actuelle et de la guerre. (...)

 

PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS

La manoeuvre de 1914 se répète. Vous êtes appelés à vous battre pour la démocratie contre la dictature : en réalité, vous êtes appelés à épouser la cause de vos impérialismes. Vous pourrez vous opposer à la guerre en déclenchant des mouvements de classe sur la base de vos organisations syndicales de masse. De telles batailles ne peuvent se résoudre qu'on opposant la révolution à la guerre. La révolution ne peut triompher qu'on fécondant le parti de classe, le guide des mouvements insurrectionnels. Au cas où vous ne sauriez faire déferler ces mouvements de classe, la guerre est inévitable et sa transformation en guerre civile n'est possible qu'au travers de la reprise de vos mouvements de classe pour la défaite de tous les Etats qui vous auront jetés dans le carnage mondial. Disposez-vous à combattre contre toutes les patries : fasciste, démocratique, soviétique. Votre lutte est la lutte pour l'Internationale, pour la révolution. Pour la victoire révolutionnaire, vous expulserez de vos rangs les traîtres socialistes et centristes qui, brisant votre front révolutionnaire, ont préparé les prémisses pour la guerre et prendront la tête des forces qui vous conduiront à une acceptation de la cause capitaliste : la cause de la guerre.

En Italie et en Allemagne, comme en Angleterre et en France, comme en Russie et en Abyssinie, dans tous les pays, vous lutterez pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. (...)
  • Vive la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile !
  • Vive les fractions de la gauche communiste
  • Vive l'internationale et à bas toutes les patries !
  • Vive la révolution communiste mondiale !
Le congrès de la Fraction Italienne de la Gauche communiste

Conscience et organisation: 

Evènements historiques: 

Courants politiques: 

Manifeste de la Gauche communiste aux prolétaires d'Europe (Juin 1944)

Il y a bientôt cinq années que la guerre impérialiste sévit en Europe, avec toutes ses manifestations de misère, de massacres et de dévastation.

Sur les fronts russe, français, italien, des dizaines de milliers d'ouvriers et de paysans sont en train de s'entre-égorger pour les intérêts exclusifs d'un capitalisme sordide et sanglant qui n'obéit qu'à ses lois : le profit, l'accumulation.

Dans le cours de cinq années de guerre, la dernière, celle de la libération de tous les peuples, vous diton, bien des programmes trompeurs, pas mal d'illusions ont disparu, faisant tomber le masque derrière lequel se cachait l'odieux visage du capitalisme international.

Dans chaque pays, on vous a mobilisés sur des idéologies différentes mais ayant le même but, le même résultat, vous jeter dans le carnage les uns contre les autres, frères contre frères de misère, ouvriers contre ouvriers.

Le fascisme, le national-socialisme revendiquent l'espace vital pour leurs masses exploitées, ne faisant que cacher leur volonté farouche de s'arracher eux-mêmes de la crise profonde qui les minait par la base.

Le bloc des anglo-russo-américains voulait, paraît il, vous délivrer du fascisme pour vous rendre vos libertés, vos droits. Mais ces promesses n'étaient que l'appât pour vous faire participer à la guerre, pour éliminer, après l'avoir enfanté, le grand concurrent impérialiste : le fascisme (...)

La Charte de l'Atlantique, le plan de la nouvelle Europe n'étaient que les rideaux derrière lesquels se cachait la vraie signification du conflit : la guerre de brigandage avec son triste cortège de destructions et de massacres dont la classe ouvrière subit toutes les terribles conséquences.

Prolétaires,

On vous dit, on voudrait vous faire croire que cette guerre n'est pas comme toutes les autres. On vous trompe. Tant qu'il y aura des exploiteurs et des exploités, le capitalisme c'est la guerre, la guerre c'est le capitalisme.

La Révolution de 1917 en Russie fut une révolution prolétarienne. Elle fut la preuve éclatante de la capacité politique du prolétariat de s'ériger en classe dominante et de s'orienter vers l'organisation de la société communiste. Elle fut la réponse des masses travailleuses à la guerre impérialiste de 191418.

Mais les dirigeants de l'Etat russe ont, depuis, abandonné les principes de cette Révolution, transformé vos partis communistes en partis nationalistes, dissous l'Internationale Communiste, aidé le capitalisme international à vous jeter dans le carnage.

Si, en Russie, on était resté fidèle au programme de la Révolution et de l'internationalisme, si on avait appelé constamment les masses prolétariennes à unifier leurs luttes contre le capitalisme, si on n'avait pas participé à la mascarade, la Société Des Nations, il aurait été impossible à l'impérialisme de déclencher la guerre.

En participant à la guerre impérialiste avec un groupe de puissances capitalistes, l'Etat russe a trahi les ouvriers russes et le prolétariat international.

Prolétaires d'Allemagne,

Votre bourgeoisie comptait sur vous, sur votre endurance et sur votre force productive afin de prendre une place d'impérialisme pour dominer le bassin industriel et agraire d'Europe. Après avoir fait de l'Allemagne une caserne, après vous avoir fait travailler pendant quatre années à un rythme forcené pour préparer les engins de guerre, on vous a jetés dans tous les pays d'Europe pour apporter partout, comme dans chaque conflit impérialiste, la ruine et la dislocation.

Le plan de votre impérialisme a été déjoué par les lois du développement du capitalisme international qui avait depuis 1900 achevé toute possibilité d'épanouissement de la forme impérialiste de domination et, encore plus, de toute expression nationaliste.

La crise profonde qui mine le monde et particulièrement l'Europe est la crise mortelle et insoluble de la société capitaliste.

Seul le prolétariat, au travers de sa révolution communiste, pourra éliminer les causes de la détresse, de la misère des masses travailleuses, des ouvriers.

Ouvriers et soldats,

Le sort de votre bourgeoisie est désormais réglé sur le terrain des compétitions impérialistes. Mais le capitalisme international ne peut pas arrêter la guerre, car c'est sa dernière, son unique possibilité de survivance.

Vos traditions révolutionnaires sont profondément enracinées dans les luttes de classe du passé. En 1918, avec vos chefs prolétariens Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, en 1923, malgré l'opportunisme déjà surgissant dans l'IC, vous avez gravé dans l'Histoire votre volonté et votre puissance révolutionnaire.

Le national-socialisme de Hitler et l'opportunisme de la Troisième Internationale vous ont fait croire que votre sort était lié à la lutte contre le Traité de Versailles. Cette fausse lutte ne pouvait que vous rattacher au programme de votre capitalisme qui se traduisait par un esprit de revanche et la préparation de la guerre actuelle.

Vos intérêts de prolétaires sont uniquement liés aux intérêts de tous les exploités d'Europe et du monde entier.

Vous occupez une place primordiale pour imposer la fin du monstrueux carnage. En suivant l'exemple du prolétariat italien, vous devez engager la lutte contre la production de guerre, vous devez refuser de vous battre contre vos frères ouvriers. Votre révolte doit être une manifestation de lutte de classe. Elle doit se traduire dans les grèves et les agitations de masses. Comme en 1918, le sort de la révolution prolétarienne est soumis à votre capacité de briser les chaînes qui vous attachent à la monstrueuse machine de l'impérialisme allemand.

Ouvriers, travailleurs en Allemagne,

On vous a déportés pour vous faire construire des engins de destruction. Pour chaque ouvrier qui arrive, c'est un ouvrier allemand qui part pour le front.

Quelle que soit votre nationalité, vous êtes des exploités. Votre seul ennemi est le capitalisme allemand et international, vos camarades sont les ouvriers allemands et du monde entier.

Vous portez en vous les traditions et les expériences des luttes de classes de votre pays et du monde entier. Vous n'êtes pas des "étrangers".

Vos revendications, vos intérêts sont identiques à ceux de vos camarades allemands. En participant à la lutte de classe dans l'usine, sur les lieux de travail, vous contribuerez efficacement à briser le cours de la guerre impérialiste.

Ouvriers français,

Lors des grèves de 1936, tous les partis ont manoeuvré pour transformer vos justes et légitimes revendications de classe en une manifestation d'adhésion à la guerre qui se préparait. L'ère de prospérité que les démagogues du Front Populaire vous présentaient comme un plein épanouissement n'était en réalité que la crise profonde du capitalisme français.

Vos éphémères améliorations de vie et de travail n'étaient pas la conséquence d'une reprise économique, mais étaient dictées par la nécessité de la mise en marche de l'industrie de guerre.

L'invasion de la France a été exploitée par tous les responsables du conflit, de gauche et de droite, pour entretenir dans vos esprits une volonté de revanche et de haine contre les prolétariats allemand et italien, qui comme vous, n'ont aucune responsabilité dans le déclenchement de la guerre et, comme vous, subissent les terribles conséquences d'une boucherie voulue et préparée par tous les Etats capitalistes.

Le gouvernement Pétain-Laval vous parle de révolution nationale. C'est la tromperie la plus vulgaire. La méthode la plus réactionnaire pour vous faire subir sans broncher le poids de la défaite militaire au bénéfice exclusif du capitalisme.

Le Comité d'Alger vous fait miroiter le retour à l'abondance, à la prospérité d'avant-guerre. Quelle que soit la couleur ou la forme du gouvernement de demain, les masses travailleuses de France et des autres pays d'Europe, ont à payer un lourd tribut de guerre aux impérialistes anglo-russes-américains, en sus des ruines et des destructions causées par les deux armées en lutte.

Prolétaires français,

Trop parmi vous sont portés à croire, à espérer le bien-être importé par les armées, qu'elles soient anglaises, américaines ou russes.

Les intrigues et les contrastes qui se manifestent déjà au sein de cette "trinité" de larrons au sujet du partage de demain font pressentir que les conditions qui seront imposées au prolétariat seront dures si vous n'empruntez pas le chemin de la lutte de classe.

Trop parmi vous se font les auxiliaires du capitalisme en participant à la guerre des partisans, expression du nationalisme le plus exacerbé.

Vos ennemis ne sont ni le soldat allemand ni le soldat anglais ou américain, mais leur capitalisme qui les pousse à la guerre et à la tuerie, à la mort. Votre ennemi, c'est votre capitalisme, qu'il soit représenté par Laval ou par De Gaulle. Votre liberté n'est liée ni au sort ni aux traditions de votre classe dominante, mais à votre indépendance en tant que classe prolétarienne.

Vous êtes les fils de la Commune de Paris, et c'est seulement en vous inspirant d'elle et de ses principes que vous parviendrez à rompre les liens d'esclavage qui vous lient à l'appareil périmé de la domination capitaliste : les Tables de 1789 et les lois de la Révolution bourgeoise.

Prolétaires de Russie,

En 1917, avec votre parti bolchevik et Lénine, vous renversiez le régime capitaliste pour instaurer la première République des Soviets. Votre geste magnifique de classe ouvrant la période historique de la lutte décisive entre les deux sociétés opposées ; l'ancienne, la bourgeoisie, destinée à disparaître sous le poids de ses contradictions ; la nouvelle, le prolétariat s'érigeant en classe dominante pour se diriger vers la société sans classe, le communisme.

A cette époque aussi, la guerre impérialiste battait son plein. Des millions d'ouvriers tombaient sur les champs de batailles du capitalisme. A l'exemple de votre lutte décisive jaillissait au sein des masses ouvrières la volonté d'en finir avec l'inutile massacre. En brisant le cours de la guerre, votre Révolution devenait le programme, le drapeau de la lutte des exploités du monde. Le capitalisme, "rongé" par la crise économique aggravée par la guerre, tremblait face au mouvement prolétarien qui déferlait sur toute l'Europe.

Cernés par les armées blanches et celles du capitalisme international qui voulait vous avoir par la famine, vous avez réussi à vous dégager de l'étreinte contre-révolutionnaire ; grâce à l'apport héroïque du prolétariat européen et international qui, empruntant le chemin de la lutte des classes, empêchait la bourgeoisie coalisée d'intervenir contre la révolution prolétarienne.

L'enseignement était décisif, désormais la lutte des classes se développera sur le terrain international, le prolétariat formera son PC et son Internationale sur le programme raffermi par votre Révolution communiste. La bourgeoisie s'orientera vers la répression du mouvement ouvrier et vers la corruption de votre révolution et de votre pouvoir.

La guerre impérialiste actuelle vous trouve non pas avec le prolétariat mais contre lui. Vos alliés ne sont plus la Constitution soviétique de 1917, mais la patrie "socialiste". Vous n'avez plus de camarades comme Lénine et ses compagnons, mais des maréchaux bottés, gradés, comme dans tous les pays capitalistes, emblèmes d'un capitalisme sanglant, massacreur du prolétariat.

On vous dit qu'il n'y a pas de capitalisme chez vous mais votre exploitation est semblable à tous les prolétaires, et votre force de travail disparaît dans le gouffre de la guerre et dans les caisses du capitalisme international. Votre liberté est celle de vous faire tuer pour aider l'impérialisme à survivre. Votre parti de classe a disparu, vos soviets sont effacés, vos syndicats sont des casernes, vos liens avec le prolétariat international sont brisés.

Camarades, ouvriers de Russie,

Chez vous comme partout ailleurs, le capitalisme a semé la ruine et la misère. Les masses prolétariennes d'Europe, comme vous en 1917, attendent le moment favorable pour s'insurger contre les effroyables conditions d'existence imposées par la guerre. Comme vous, elles se dirigeront contre tous les responsables de ce terrible massacre, qu'ils soient fascistes, démocratiques ou russes. Comme vous elles essaient d'abattre le sanglant régime d'oppression qu'est le capitalisme.

Leur drapeau sera votre drapeau de 1917. Leur programme sera votre programme, que vos dirigeants actuels vous ont arraché : la Révolution communiste.

Votre Etat est coalisé avec les forces de la contre-révolution capitaliste. Vous serez solidaires, vous fraterniserez avec vos camarades de lutte ; vos frères ; vous lutterez à leurs côtés pour rétablir en Russie et dans les autres pays les conditions pour la victoire de la révolution mondiale.

Soldats anglais et américains,

Votre impérialisme ne fait que développer son plan de colonisation et d'esclavage de tous les peuples pour essayer de se sauver de la grave crise qui enveloppe toute la société.

Déjà, avant la guerre, malgré la domination coloniale et l'enrichissement de votre bourgeoisie, vous avez subi le chômage et la misère, les sans-travail ont été des millions.

Contre vos grèves pour des revendications légitimes, votre bourgeoisie n'a pas hésité à employer le moyen le plus barbare de répression : les gaz.

Les ouvriers d'Allemagne, de France, d'Italie et d'Espagne ont des comptes à régler avec leur propre bourgeoisie, responsable au même titre que la vôtre de l'immonde massacre.

On voudra vous faire jouer le rôle de gendarmes, vous jeter contre les masses prolétariennes en révolte.

Vous refuserez de tirer, vous fraterniserez avec les soldats et les travailleurs d'Europe.

Ces luttes sont vos luttes de classe.

Prolétaires d'Europe,

Vous êtes cernés par un monde d'ennemis. Tous les partis, tous les programmes ont sombré dans la guerre ; tous jouissent de vos souffrances, tous unis pour sauver de son écroulement la société capitaliste.

Toute la bande de racailles au service de la haute finance de Hitler à Churchill, de Laval à Pétain, de Staline à Roosevelt, de Mussolini à Bonomi, est sur le plan de la collaboration avec l'Etat bourgeois pour vous prêcher l'ordre, le travail, la discipline, la patrie, qui se traduisent dans la perpétuité de votre esclavage.

Malgré la trahison des dirigeants de l'Etat russe, les schémas, les thèses, les prévisions de Marx et Lénine trouvent dans la haute trahison de la situation actuelle leur confirmation éclatante.

Jamais la division entre exploités et exploiteurs n'a été aussi nette, si profonde. Jamais la nécessité d'en finir avec un régime de misère et de sang n'a été si impérieuse.

Avec la tuerie des fronts, avec les massacres de l'aviation, avec les cinq années de restrictions, la famine fait son apparition. La guerre déferle sur le continent, le capitalisme ne sait pas, ne peut pas finir cette guerre.

Ce n'est pas en aidant l'un ou l'autre groupe des deux formes de domination capitaliste, que vous abrégerez le combat. Cette fois, c'est le prolétariat italien qui vous a tracé le chemin de la lutte, de la révolte contre la guerre.

Comme Lénine l'a fait en 1917, il n'y a pas d'autre alternative, d'autre chemin à suivre en dehors de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile[1].

Tant qu'il y aura le régime capitaliste, il n'y aura pour le prolétariat ni pain, ni paix, ni liberté.

Prolétaires communistes,

Il y a beaucoup de partis, trop de partis. Mais tous, jusqu'aux groupuscules du trotskisme, ont sombré dans la contre-révolution.

Un seul parti manque : le parti politique de la classe prolétarienne.

La Gauche Communiste seule est restée avec le prolétariat, fidèle au programme du marxisme, à la Révolution communiste. Ce n'est uniquement que sur ce programme qu'il sera possible de redonner au prolétariat ses organisations, ses armes aptes à pouvoir le conduire à la victoire. Ces armes sont le nouveau Parti Communiste, la nouvelle Internationale.

Contre tout opportunisme, contre tout compromis sur le terrain de la lutte des classes, la Fraction vous appelle à unir votre effort pour aider le prolétariat à se dégager de l'étau capitaliste. Contre les forces coalisées du capitalisme doit s'ériger la force invincible de la classe prolétarienne.

Ouvriers et soldats de tous les pays !

C'est à vous seuls qu'il appartient d'arrêter le terrible massacre sans précédent dans l'histoire.

Ouvriers, arrêtez dans tous les pays la production destinée à tuer vos frères, vos femmes, vos enfants.

Soldats, cessez le feu, baissez les armes !

Fraternisez au-dessus des frontières artificielles du capitalisme.

Unissez-vous sur le front international de classe.

 

VIVE LA FRATERNISATION DE TOUS LES EXPLOITES !

A BAS LA GUERRE IMPERIALISTE !

VIVE LA REVOLUTION COMMUNISTE MONDIALE !

[1] Ce mot d'ordre de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile fut le mot d'ordre lancé par les révolutionnaires lors de la première guerre mondiale. Il était fondé sur le fait que le prolétariat, s'il avait été trahi et berné idéologiquement par les directions des partis de la seconde Internationale, n'avait pas été battu physiquement par la bourgeoisie, et conservait encore presque intact l'ensemble de ses forces vives. Il n'en était pas de même en 1939, et encore moins en 1944. Aussi, cet appel des révolutionnaires de l'époque fut une erreur, car c'est un prolétariat exsangue, dont la conscience et les organisations de classe avaient été détruites de fond en comble, qui sortaient de la guerre. Cependant cette erreur de jugement sur les capacités du prolétariat de l'époque n'enlève rien au caractère indéfectiblement prolétarien du manifeste que nous publions ci-dessus.

Evènements historiques: 

Courants politiques: 

Manifeste: Contre la guerre capitaliste, il faut répondre par la solution de classe, la guerre civile (l'Etincelle N° 1; Janv45)

La guerre continue.

La "libération" avait pu faire espérer aux ouvriers la fin du massacre et la reconstruction de l'économie, au moins en France.

Le capitalisme a répondu à cet espoir par le chômage, la famine, la mobilisation. La situation qui accablait le prolétariat sous l'occupation allemande s'est aggravée ; pourtant il n'y a plus d'occupation allemande.

La Résistance et le Parti communiste avaient promis la démocratie et de profondes réformes sociales ! Le gouvernement maintient la censure et renforce sa gendarmerie. Il s'est livré à une caricature de socialisation en nationalisant quelques usines, avec indemnités aux capitalistes ! L'exploitation du prolétariat reste et aucune réforme ne peut le faire disparaître. Pourtant la Résistance et le parti communiste sont aujourd'hui tout à fait d'accord avec le gouvernement : c'est qu'ils se sont toujours moqués de la démocratie et du prolétariat.

  • Ils n'avaient qu'un seul but : la guerre.
  • Ils l'ont, et c'est maintenant l'Union sacrée.
  • Guerre pour la revanche, pour le relèvement de la France, guerre contre l'hitlérisme, clame la bourgeoisie.

Mais la bourgeoisie a peur ! Elle a peur des mouvements prolétariens en Allemagne et en France, elle a peur de l'après-guerre !

  • Il lui faut museler le prolétariat français ; elle accroît sa police, qu'elle enverra demain contre lui.
  • Il lui faut se servir de lui pour écraser la révolution allemande ; elle mobilise son armée.

La bourgeoisie internationale l'aide. Elle l'aide à reconstruire son économie de guerre pour maintenir sa propre domination de classe.

L'URSS l'aide, la première, et fait avec elle un pacte de lutte contre les prolétaires français et allemands.

Tous les partis, les socialistes, les "communistes" l'aident :

  • "Sus à la cinquième colonne, aux collaborateurs ! sus à l'hitlérisme ! sus au maquis brun !"

Mais tout ce bruit ne sert qu'à cacher l'origine réelle de la misère actuelle : le capitalisme, dont le fascisme n'est que le fils.

  • A cacher la trahison aux enseignements de la révolution russe, qui s'est faite en pleine guerre et contre la guerre.
  • A justifier la collaboration avec la bourgeoisie au gouvernement.
  • A jeter à nouveau le prolétariat dans la guerre impérialiste.
  • A lui faire prendre demain les mouvements prolétariens en Allemagne pour une résistance fanatisée de l'hitlérisme !

Camarades ouvriers !

  • Plus que jamais la lutte tenace des révolutionnaires pendant la première guerre impérialiste, de Lénine, Rosa Luxemburg et Liebknecht doit être la nôtre !
  • Plus que jamais le premier ennemi à abattre est notre propre bourgeoisie !
  • Plus que jamais, face à la guerre impérialiste, se fait sentir la nécessité de la guerre civile !

La classe ouvrière n'a plus de parti de classe.  Le parti "communiste" a trahi, trahit aujourd'hui, trahira demain.

L'URSS est devenue un impérialisme. Elle s'appuie sur les forces les plus réactionnaires pour empêcher la révolution prolétarienne. Elle sera le pire gendarme des mouvements ouvriers de demain : elle commence dès aujourd'hui à déporter en masses les prolétaires allemands pour briser toute leur force de classe.

Seule la fraction de gauche, sortie de ce "cadavre pourrissant" qu'est devenue la 2ème, la 3ème Internationale, représente aujourd'hui le prolétariat révolutionnaire.

Seule la Gauche communiste s'est refusée à participer au dévoiement de la classe ouvrière par l'antifascisme et l'a, dès le début, mise en garde contre ce nouveau guet-apens.

Seule elle a dénoncé l'URSS comme le pilier de la contre-révolution depuis la défaite du prolétariat mondial en 1933 !

Seule elle restait, au déclenchement de la guerre, contre toute Union sacrée et proclamait la lutte de classe comme la seule lutte du prolétariat, dans tous les pays, y compris l'URSS.

Enfin, seule elle entend préparer les voies du futur parti de classe, rejetant toutes compromissions et front unique, et suivant dans une situation mûrie par l'histoire le dur chemin suivi par Lénine et la fraction bolchevique avant la première guerre impérialiste.

Ouvriers !

La guerre ce n'est pas seulement le fascisme ! C'est la démocratie et le "socialisme dans un seul pays" : l'URSS, c'est tout le régime capitaliste qui, en périssant, veut faire périr la société !

Le capitalisme ne peut pas vous donner la paix ; même sorti de la guerre, il ne peut plus rien vous donner.

Contre la guerre capitaliste, il faut répondre par la solution de classe : la guerre civile !

C'est de la guerre civile, jusqu'à la prise du pouvoir par le prolétariat, et seulement d'elle que peut surgir une société nouvelle, une économie de consommation et non plus de destruction !

Contre le patriotisme et l'effort de guerre !

Pour la solidarité prolétarienne internationale.

Pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.

La Gauche communiste (Fraction française)

Evènements historiques: 

Courants politiques: 

Buchenwald, Maideneck : démagogie macabre (l'Etincelle N° 6 ; Juin 1945)

Le rôle joué par les SS, les nazis et leur camp d'industrialisation de la mort, fut celui d'exterminer en général tous ceux qui s'opposèrent au régime fasciste et surtout les militants révolutionnaires[1] qui ont toujours été à la pointe du combat contre la bourgeoisie capitaliste, quelque forme qu'elle prenne : autocratique, monarchique ou "démocratique", quel que soit leur chef : Hitler, Mussolini, Staline, Léopold III, George V, Victor-Emmanuel, Churchill, Roosevelt, Daladier ou De Gaulle.

La bourgeoisie internationale qui, lorsque la révolution russe d'octobre éclata en 1917, chercha tous les moyens possibles et imaginables pour l'écraser, qui brisa la révolution allemande en 1919 par une répression d'une sauvagerie inouïe, qui noya dans le sang l'insurrection chinoise prolétarienne ; la même bourgeoisie finança en Italie la propagande fasciste puis en Allemagne celle de Hitler ; la même bourgeoisie mit au pouvoir en Allemagne celui qu'elle avait désigné comme devant être pour son compte le gendarme de l'Europe ; la même bourgeoisie aujourd'hui enfin dé-pense des millions "pour financer le montage d'une exposition sur les crimes hitlériens", les prises de vues et la présentation au public de films sur les "atrocités allemandes" pendant que les victimes de ces atrocités continuent à mourir souvent sans soins et que les rescapés qui rentrent n'ont pas les moyens de vivre.

Cette même bourgeoisie, c'est elle qui d'un côté a payé le réarmement de l'Allemagne et de l'autre a bafoué le prolétariat en l'entraînant dans la guerre avec l'idéologie anti-fasciste, c'est elle qui, de cette façon, ayant favorisé la venue de Hitler au pouvoir, s'est servie jusqu'au bout de lui pour écraser le prolétariat allemand et l'entraîner dans la plus sanglante des guerres, dans la boucherie la plus immonde que l'on puisse concevoir.

C'est toujours cette même bourgeoisie qui envoie des représentants avec des gerbes de fleurs s'incliner hypocritement sur les tombes des morts qu'elle a elle-même engendrés parce qu'elle est incapable de diriger la société et que la guerre est sa seule forme de vie.

C'est elle que nous accusons !

C'est elle que nous accusons car les millions de morts qu'elle a perpétrés ne sont qu'une addition à une liste déjà bien trop longue, hélas, des martyrs de la "civilisation", de la société capitaliste en décomposition.

Les responsables des crimes hitlériens ne sont pas les allemands qui ont les premiers, en 1934, payé par 450 000 vies humaines la répression bourgeoise hitlérienne et qui ont continué à subir cette impitoyable répression quand celle-ci se portait en même temps à l'étranger. Pas plus les français, les anglais, les américains, les russes, les chinois ne sont responsables des horreurs de la guerre qu'ils n'ont pas voulues mais que leurs bourgeoisies leur ont imposées.

Par contre, les millions d'hommes et de femmes qui sont morts à petit feu dans les camps de concentration nazis, qui ont été sauvagement torturés et dont les corps pourrissent quelque part, qui ont été frappés pendant cette guerre en combattant ou surpris dans un bombardement "libérateur", les millions de cadavres mutilés, amputés, déchiquetés, défigurés, enfouis sous terre ou pourrissant au soleil, les millions de corps de soldats, femmes, vieillards, enfants.

Ces millions de morts réclament vengeance. Et ils réclament vengeance non sur le peuple allemand qui lui continue à payer mais sur cette infâme bourgeoisie, hypocrite et sans scrupule, qui elle n'a pas payé mais profité et qui continue à narguer les esclaves qui ont faim, avec leurs mines de porcs nourris à l'engrais.

La seule position pour le prolétariat n'est pas de répondre aux appels démagogiques tendant à continuer et à accentuer le chauvinisme au travers des comités anti-fascistes, mais la lutte directe de classe pour la défense de leurs intérêts, leur droit à la vie, lutte de chaque jour, de chaque instant jusqu'à la destruction du régime monstrueux, du capitalisme.

[1] Des membres de la fraction belge de la Gauche communiste ont laissé leur vie dans les camps, ainsi que des membres de la Gauche hollandaise et d'anciens du KAPD.

Evènements historiques: 

Courants politiques: 

VI - Depuis 1968 : La bourgeoisie agite le danger fasciste pour affaiblir la classe ouvrière

La terrible contre-révolution qui a écrasé la classe ouvrière après ses combats glorieux du premier après-guerre s'est prolongée pendant près de quarante ans.
Les partis communistes ayant trahi, ils sont devenus le fer de lance de la contre-révolution. Grâce au prestige de la révolution russe et au nom de la défense de la "patrie socialiste", ils ont saboté les luttes ouvrières provoquées par la crise de 1929 et ont embrigadé les ouvriers dans la Seconde guerre mondiale. La défaite ouvrière était si profonde que le prolétariat n'a pas réussi à réagir contre la guerre impérialiste comme il l'avait fait en 1917-18 notamment en Russie et en Allemagne. A la fin de la guerre, le PCF, par exemple, avait réussi à entraîner les ouvriers derrière les drapeaux tricolores avec des slogans comme : "A chacun son boche". L'Humanité titrait : "Vive la France éternelle !". Par la suite, il y avait eu des luttes ouvrières importantes, mais les partis de gauche et les syndicats avaient réussi à les contrôler et à les canaliser sur des mots d'ordre bourgeois. Et puis le "boom économique" d'après-guerre a endormi pendant un certain temps la combativité ouvrière.

Mai 68 ouvre un cours nouveau aux affrontements de classe

Mais lorsque les derniers feux de la reconstruction du second après guerre se sont éteints et que le capitalisme a de nouveau été confronté à la crise ouverte de son économie, à la fin des années 1960, le prolétariat a redressé la tête. "Mai 1968" en France, le "mai rampant" de 1969 en Italie, les combats de l'hiver 1970 en Pologne et toute une série de luttes ouvrières en Europe et sur d'autres continents : c'en était fini de la contre-révolution.

C'est ainsi que s'est ouvert un cours nouveau avec en perspective, non pas la guerre impérialiste, mais des affrontements décisifs entre prolétariat et bourgeoisie, dont l'issue déterminera la marche de la société vers la révolution ou une troisième guerre mondiale.

En conformité avec cette perspective on a assisté depuis 68, et particulièrement au cours des années 80, au développement de la combativité et de la conscience de la classe ouvrière, cette dernière se manifestant particulièrement à travers une méfiance grandissante envers la gauche et les syndicats et plus généralement les institutions démocratiques. Ce fait est très important puisque ces organisations, qui avaient été les principaux instruments de la bourgeoisie pour maintenir la chape de la contre-révolution sur la classe ouvrière, se trouvent encore être depuis 68 le premier obstacle au développement des luttes ouvrières. Ce sont donc elles qui constituent le principal danger contre la classe ouvrière et non pas le fascisme qui n'est plus à l'ordre du jour.

Les campagnes démocratiques contre la lutte de classe

Pour faire face à cette situation, la bourgeoisie a développé depuis 68 des campagnes idéologiques destinées à faire diversion et à affaiblir la conscience de la classe ouvrière. Parmi celles-ci, les campagnes démocratiques agitant un danger fasciste occupent une place de choix. Présentant l'extrême-droite comme l'ennemi principal, elles ont pour but de rabattre les prolétaires vers la démocratie qui n'est autre que le visage que se donne la dictature du capital pour mystifier la classe ouvrière, et dissimuler ainsi le rôle de premier ordre joué par la gauche dans la défense de l'ordre capitaliste.

Le premier texte que nous publions dans cette partie, "Quand la démocratie prend la relève de la dictature franquiste pour affaiblir la lutte de classe" illustre justement, comme l'indique son titre, que l'arme dont la bourgeoisie a besoin pour affronter le cours montant de la lutte de classe, c'est la démocratie et non pas une dictature.

Le second texte, "l'antifascisme radical de l'extrême-gauche", s'emploie à réfuter tous les arguments que l'extrême-gauche du capital utilisait dans les années 70 pour tenter de faire adhérer les prolétaires aux campagnes antifascistes, en particulier en quoi le cadre démocratique constituerait un atout pour la lutte de classe, méritant en conséquence que la classe ouvrière mobilise ses forces pour le défendre.

La montée de l'extrême-droite dans un certain nombre de pays d'Europe, depuis la fin des années 80, a en effet donné un semblant de vraisemblance aux cris d'alerte de la bourgeoisie contre un danger fasciste et a constitué un facteur de relance des campagnes démocratiques et antifascistes. Là encore il y a utilisation par la bourgeoisie d'une situation qui n'est pas celle des années trente.

La montée de l'extrême-droite n'est pas celle du fascisme

Ce n'est qu'une apparence et il convient de faire la différence entre les circonstances de la montée du fascisme dans les années 30 et celles de l'extrême-droite dans la période actuelle.

L’actuelle plongée de la société capitaliste dans la décomposition nourrit le développement de toutes sortes d’idéologies cherchant des boucs émissaires à la faillite générale de la société et compensant l’absence de perspectives par des programmes populistes et ouvertement xénophobes et racistes. A ce niveau, Le Pen ou les groupuscules néo-nazis en Allemagne font pleinement partie de ces autres manifestations de la décomposition que sont la drogue ou les sectes, expressions d’une société capitaliste qui pourrit littéralement sur pied, privée de perspective, de vision d’avenir et d’espoir.

Mais surtout, même avec son succès populaire et la publicité médiatique qui lui est faite, ce n’est pas cela qui fait de Le Pen un nouvel Hitler, pas plus que le "désespoir populaire" n’explique la prise du pouvoir par ce dernier en 1933.

Contrairement au parti nazi à l’époque, le FN, et les autres partis d’extrême-droite existant en Europe, sont loin d’être les représentants d’un quelconque programme de sortie de la crise pour le capital national. Si Hitler et son parti ont pris le pouvoir, c’est bien parce que leur programme de capitalisme d’Etat et de fuite en avant vers la guerre, constituait la seule issue possible pour le capital allemand et qu’il a effectivement résorbé en quelques années le chômage à travers sa politique de grands travaux et d’économie de guerre. Aujourd’hui, outre le fait que la bourgeoisie n’a pas les moyens de s’engager vers une nouvelle guerre mondiale face à une classe ouvrière qui n’est pas défaite, les politiques de grands travaux, de commandes publiques basées sur un endettement gigantesque des finances publiques sont déjà derrière nous. S'il y a quelque chose d’utilisable dans le programme de Le Pen, c’est la politique de limitation de l’immigration et d’utilisation des travailleurs immigrés comme boucs émissaires, et cela, la bourgeoisie française, de droite comme de gauche, n’a pas eu besoin de nommer un ministre FN pour le mettre en place.

Mais, surtout, la bourgeoisie a bien trop besoin aujourd’hui de son paravent démocratique pour affronter la classe ouvrière. Nous ne sommes pas dans les années 30, années où le prolifératrice payait le prix de la terrible défaite de la vague révolutionnaire. Quelles que soient les difficultés actuelles de la classe ouvrière, c’est une classe qui n’a pas connu la défaite et dont la capacité de résistance sur son terrain de classe aux attaques du capital n’est nullement entamée. Un Le Pen au pouvoir serait bien incapable de contrôler la situation sociale, alors que le mode "démocratique" de domination du capital, avec ses syndicats divers et variés, son parlement, son jeu opposition-gouvernement et ses médias "libres" est d’une bien plus terrible efficacité pour conserver le contrôle social, pour assurer un encadrement serré des luttes ouvrières et pour mener à bien les manipulations idéologiques. Et c’est bien là la seule raison pour laquelle Le Pen existe et qui fait que la bourgeoisie a besoin de lui : il sert de faire valoir à l’Etat démocratique.

Les deux articles suivants, "La gauche utilise l'épouvantail Le Pen pour tenter d'affaiblir la classe ouvrière" et "campagnes antiracistes : la bourgeoisie cherche à ramener les ouvriers derrière l'Etat démocratique" s'attaquent à l'utilisation par la bourgeoisie du phénomène Le Pen en France et de la décomposition en Allemagne pour relancer les campagnes antifascistes.

Par ailleurs, les éléments que nous avons donnés ne suffisent encore pas à expliquer le fameux "phénomène Le Pen". En effet, il est désormais admis, y compris dans les discours bourgeois, que le FN ne serait jamais arrivé là sans la volonté délibérée de la bourgeoisie française qui, de scrutins proportionnels en coups de pouce répétés dans les médias, a fait de lui une véritable vedette nationale. L'importance du Front National en France a servi de faire valoir à la gauche au gouvernement, défenseur des libertés démocratiques, alors que les attaques qu'elle portait sur la classe ouvrière faisaient apparaître de plus en plus ouvertement ses composantes, le PC et surtout le PS, pour ce qu'ils sont réellement à savoir des partis bourgeois comme les autres. La meilleure preuve de cela est la manière dont la bourgeoisie en France a organisé le sabordage du FN, après l'avoir dopé, pour le ramener à une importance politique beaucoup plus modeste, parce que son poids électoral constituait par ailleurs un facteur aggravant de la déroute de la droite. Nous mettons à nu les ficelles de ce coup de la bourgeoisie contre l'extrême-droite dans l'article "Front National : gonflé hier, éclaté aujourd'hui, manipulé toujours".

Une seule voie pour la classe ouvrière : la lutte de classe

Dire que le fascisme n’est pas à l’ordre du jour et que la bourgeoisie lui préfère aujourd’hui la méthode "démocratique", ne veut pas pour autant dire que cette bourgeoisie pétrie de "démocratie" serait incapable de mener à bien, quand nécessaire, la répression des luttes de la classe ouvrière et celle de son avant-garde politique, ni qu’elle ne se servira pas de quelques bandes et milices d’extrême-droite, comme forces d’appoint, l’heure venue. L’histoire est pleine de preuves du contraire, à commencer par la répression de janvier 1919 en Allemagne. Mais au grand jamais, la mobilisation sur le terrain de l’antifascisme n’est une quelconque garantie contre cela. Au contraire, y céder, accepter de faire front derrière une fraction de la bourgeoisie contre une autre, c’est quitter son terrain de classe pour se livrer pieds et poings liés à la classe dominante et subir, à coups sûrs, demain la répression sanglante. De la même façon, c'est seulement en répondant sur son terrain de classe, en tant que classe, et non derrière une de ces mobilisations "citoyennes" orchestrées aujourd’hui par la bourgeoisie, que le prolétariat peut apporter une réponse aux miasmes de la décomposition et au développement des idéologies racistes et xénophobes, qu’elles soient véhiculées par l’extrême-droite, par les staliniens ou, dans sa version "douce" mais tout aussi anti-ouvrière, par la gauche démocratique.

Les campagnes anti-négationnistes : une arme pour discréditer le camp révolutionnaire

"La dénonciation de l’anti-fascisme comme instrument de l’embrigadement du prolétariat dans le pire carnage inter-impérialiste de l’histoire et comme moyen de dissimuler quel est le vrai responsable de toutes ces horreurs, à savoir le capitalisme comme un tout, n’a jamais signifié la moindre complaisance dans la dénonciation du camp fasciste dont les premières victimes furent les militants prolétariens" (Cf. Infra Campagnes anti-négationnistes, une attaque contre la Gauche communiste). C'est cette réalité, que nous rétablissons dans  l'article cité, que les campagnes anti-négationnistes, animées par les secteurs de gauche ou d'extrême-gauche de la bourgeoisie (Le Monde et la LCR étaient en pointe de ces campagnes),  ont tenté de dissimuler, de manière à discréditer le seul courant véritablement internationaliste dans la seconde guerre mondiale, celui de la Gauche communiste, et dont est issu l'actuel milieu révolutionnaire. Après l'effondrement du bloc de l'Est, il s'est agi pour la bourgeoisie de tenter d'éradiquer de la mémoire de la classe ouvrière l'histoire de ses combats révolutionnaires. De telles campagnes qui s'insèrent dans les campagnes démocratiques en général ont pour but d'établir un solide cordon sanitaire entre les minorités révolutionnaires et des éléments que la situation pousse à se poser des questions. On ne peut que déplorer que de telles campagnes aient pu prendre appui sur les divagations d'éléments dit d'ultra-gauche ayant montré quelque complaisance avec le négationnisme. La Gauche communiste n’a aucune espèce de parenté, même lointaine, avec la mouvance "négationniste" rassemblant l’extrême-droite traditionnelle et certains éléments de"l’ultra-gauche". Elle n'a pas d'avantage de parenté avec cette ultra-gauche quel que soit son positionnement dans le débat négationnisme/anti-négationnisme.


Dans ce chapitre

  • Espagne : Quand la démocratie prend la relève de la dictature franquiste pour désamorcer la lutte de classe ; extrait de Révolution Internationale n° 14 ; mars 1975.
  • L'antifascisme radical de l'extrême-gauche de la bourgeoisie ; d’après Révolution Internationale n°21; janvier 1976.
  • Présidentielles de 88 : La gauche utilise l'épouvantail Le Pen pour tenter d'affaiblir la classe ouvrière ;  Révolution Internationale n° 168, mai 1988.
  • Campagnes anti-racistes : la bourgeoisie cherche à ramener les ouvriers derrière l'Etat démocratique, Révolution Internationale n° 219, janvier 1993.
  • Front National : gonflé hier, éclaté aujourd'hui, manipulé toujours. Révolution Internationale n° 287, février 1999.
  • Campagnes anti-négationnistes : une attaque contre la Gauche communiste.
  • Le marais de "l'ultra-gauche" au service des campagnes de la bourgeoisie. D'après Révolution Internationale n° 263 ; décembre 1996.

Vie du CCI: 

Espagne : quand la démocratie prend la relève de la dictature franquiste pour désamorcer la lutte de classe

Actuellement l’Espagne nous offre un exemple particulièrement parlant de la forme dont la bourgeoisie parvient à prendre conscience de la nécessité de mettre sur pied une mascarade de gauche, antifasciste, sans que pourtant on ait vu surgir un "machiavel" méphistophélique de derrière la banque de Bilbao. L’année dernière, l’Espagne fut le pays d’Europe qui connut le plus grand nombre d’heures de grève. Ces grèves ont parfois pris des formes quasi insurrectionnelles, du fait de l’affrontement immédiat avec la police. Dans des régions comme Barcelone et le pays basque, il y a des zones industrielles qui sont en lutte presque permanente. A force d’affronter la police pour la moindre grève, à force de lutter en permanence, la classe ouvrière espagnole a acquis une redoutable confiance en elle-même, et une puissante conscience de ce que classe et solidarité veulent dire. Dans certaines usines les ouvriers font des assemblées générales tous les jours pour s’informer des luttes existantes et préparer de nouveaux combats. Les menaces patronales, les licenciements n’y peuvent rien. Ils servent plutôt de nouveau stimulant à la lutte.

Que peuvent faire les patrons devant une telle situation ? Augmenter la répression ? C’est ce qu’ils ont fait jusqu’à présent. Mais, accompagnée devant les effets de plus en plus violents de la crise sur la condition ouvrière, elle n’a servi qu’à intensifier les luttes de solidarité. La seule solution, les libéraux ont commencé depuis un bon moment à la défendre : il faut créer des syndicats qui ont la confiance des travailleurs, il faut créer une structure "démocratique" à l’européenne, pour que se forge un véritable appareil d’encadrement économique et politique de la classe ouvrière. Devant l’échec répété du gouvernement franquiste pour rétablir l’ordre, les plus grands capitalistes espagnols tels les Barreiros, les plus grands défenseurs de l’exploitation capitaliste, tels le chef d’Etat-major de l’armée franquiste (démis depuis de ses fonctions) ou le cardinal de Madrid lui même, sont devenus des partisans de la "démocratie" et des antifascistes véhéments. Est-ce parce qu’ils seraient devenus fous et auraient décidé du jour au lendemain de se transformer en défenseurs de ceux qu’ils exploitent et oppriment tous les jours ? Non ! Ils comprennent simplement et empiriquement qu’il est de plus en plus difficile de maintenir l’ordre, le leur, que l’ancienne équipe à la tête de l’Etat n’est plus efficace et qu’il faut la changer (...)

A ce niveau la gauche est évidemment en tête de la course. Le parti communiste espagnol, qui a créé avec les monarchistes et autres bourgeois, reconvertis récemment à "l’antifascisme", une "junte démocratique" pour gouverner le pays, ne fait que répéter à tous les partis de la classe dominante qu’il est le seul capable de rétablir l’ordre car il est le seul à disposer déjà sur tout le territoire d’un réseau de concessionnaires du pouvoir : les syndicats illégaux, les "Commissiones Obreras" inféodés au P.C. ; qu’il est le plus antifasciste de tous, puisque le plus réprimé par Franco et que, comme le montre le Portugal actuellement, c’est un argument utile lorsqu’il s’agit de faire terminer une grève. Le Portugal, cette vitrine d’exposition des staliniens, est d’ailleurs la meilleure publicité pour la marchandise "antifasciste" en milieu bourgeois. Regardez, peut dire Carillo, chef du P.C.E aux bourgeois, qui d’autre que nous a permis de remettre au travail les grévistes des postes, des chantiers navals ou des lignes aériennes ? Qui d’autre que nous peut se donner le luxe de publier en pleine grève de la TAP un tract (_)disant :

  • "Que les travailleurs discutent et décident de terminer cette grève ! (...)"
  • "En conduisant à un affrontement avec les forces armées, qui risqueraient de compromettre leur alliance avec les masses travailleuses, en sabotant l’économie nationale, les éléments aventuristes responsables du déclenchement de la grève étaient objectivement en train de faire le jeu des forces les plus réactionnaires." (tract de la cellule du P.C.P à la TAP du 28/8/74).

 L’ordre, pourrait conclure aujourd’hui Carillo, "c’est nous !"

Ce sont des arguments, concrets, précis et simples comme ceux-là que comprend la bourgeoisie. Si elle ne les comprend pas, ce qui arrive parfois, les nécessités de la survie du capital lui-même s’imposent à elle, sous la forme d’une action de l’armée par exemple.

En effet, l’armée cet organe essentiel de l’Etat, est une des institutions de la bourgeoisie qui est le plus apte à comprendre et à ressentir les intérêts généraux, globaux du capital national. Ses organes supérieurs, les gradés, sont simultanément bénéficiaires du système et défenseurs de celui-ci. Chargés de maintenir l’ordre et adorateurs passionnés de celui-ci, ils éprouvent souvent un mépris aussi grand pour les politiciens parlementaires que pour les bourgeois incapables de dépasser les intérêts de leur entreprise ou ceux qui les lient au capital étranger, et de réfléchir et agir en patriotes, c’est-à-dire en hommes du capital national. C’est pourquoi dans les pays à capitalisme faiblement développé, ils apparaissent si fréquemment comme la seule incarnation cohérente des intérêts du capital national.
 

Géographique: 

Heritage de la Gauche Communiste: 

L'antifascisme radical de l'extrême-gauche de la bourgeoisie

Nous dénonçons ici la vacuité des principaux arguments qui sont à la base de l’"antifascisme" version gauchiste et prétendent démontrer que l’opposition fascisme-antifascisme peut, ne fût-ce que momentanément, traduire l’opposition : bourgeoisie-prolétariat.

L’"antifascisme gauchiste" se veut une lutte contre les forces "fascistes" de la bourgeoisie, prises comme ennemi spécifique, distinct, du moins momentanément, des autres forces de la bourgeoisie. Cette tactique a comme fondement principal l’alliance explicite ou implicite du prolétariat avec les forces "antifascistes", "démocratiques" de la bourgeoisie. L"’antifascisme" gauchiste se distinguerait de l’"antifascisme bourgeois" :

  • 1) du fait qu’il ne considère pas la lutte contre le fascisme et pour la démocratie comme le but final, mais uniquement comme une étape nécessaire, un moyen provisoire, pour atteindre le but révolutionnaire ;
  • 2) du fait qu’il ne se cantonne pas aux méthodes légalistes, électoralistes, chères aux démocrates bourgeois.

Cependant, c’est sous cette écoeurante forme "radicale" que l’"antifascisme" est le plus dangereux au sein du prolétariat car la phraséologie révolutionnaire dont il se recouvre rend moins apparente sa nature bourgeoise.

Alors que "l’antifascisme bourgeois" classique, tel celui d’un Churchill ou d’un De Gaulle, fonde sa propagande sur la défense du libéralisme capitaliste et de la démocratie parlementaire "garantie de liberté", "l’antifascisme révolutionnaire" prétend, lui, se fonder sur la défense des intérêts de la classe révolutionnaire. Toute sa mythologie s’appuie sur un mensonge, pourtant démenti des dizaines de fois par l’histoire, à savoir : l’opposition fascistes et fractions démocrates de l’appareil politique de la bourgeoisie peut, à certains moments, recouvrir, traduire, l’antagonisme qui oppose la bourgeoisie au prolétariat. Si les "antifascistes révolutionnaires" appuient momentanément les fractions antifascistes de la bourgeoisie, ce ne serait donc pas pour défendre une partie de la bourgeoisie contre une autre, mais pour défendre le prolétariat, dont les intérêts seraient momentanément portés par une fraction de la bourgeoisie. Ce ne serait qu’une question de tactique momentanée.

Comment ces gens parviennent-ils à expliquer qu’en une période historique où la révolution prolétarienne est à l’ordre du jour, il puisse exister une fraction de la bourgeoisie qui défende, ne fût-ce que partiellement, les intérêts objectifs de son fossoyeur immédiat : le prolétariat ?

Les antifascistes "radicaux", qui prétendent parler au nom du prolétariat, répondent, sans crainte du ridicule :

  • 1) les régimes de droite sont le moyen spécifique dont se sert la bourgeoisie pour écraser les luttes prolétariennes. Il faut donc en combattre les représentants en premier lieu ;
  • 2) le prolétariat ne peut pas être indifférent à l’existence ou non des libertés démocratiques bourgeoises, car elles lui sont nécessaires pour forger les armes de son combat révolutionnaire. Il faut donc, en premier lieu, lutter pour contraindre la bourgeoisie à les accorder.

Si l’on se réfère à l’histoire des luttes ouvrières écrasées par le capital, de telles assertions apparaissent immédiatement comme de vulgaires et ignobles mensonges historiques. Si l’on se réfère à la défense des intérêts historiques du prolétariat, il apparaît tout aussi nettement que de tels arguments ne peuvent provenir que d’un camp totalement étranger aux luttes révolutionnaires du prolétariat.

La droite n’a jamais été l’outil spécifique pour l’écrasement des luttes prolétariennes

Par son nombre, par sa place au centre du processus de production, par sa capacité d’unification mondiale, par le fait qu’il est le porteur de la seule forme de société capable de sortir l’humanité de l’impasse dans laquelle le plonge le capitalisme décadent, le prolétariat possède potentiellement une force gigantesque.

Dans un véritable processus de montée des luttes ouvrières, cette force est telle qu’il est impossible au capital de l’affronter directement. L’histoire l’a démontré des dizaines de fois. Les tentatives de répression brutale dans des périodes de montée des luttes se transforment trop souvent en stimulants unificateurs pour le développement d’un processus révolutionnaire.

Dans la presque totalité des exemples de défaite sanglante du prolétariat, on ne retrouve pas le schéma infantile inventé de toutes pièces par les "antifascistes" : les ouvriers se soulèvent, la droite les écrase. Pour que cet écrasement ait été possible il n’a jamais suffi à la bourgeoisie une force pour frapper brutalement. La répression des grands mouvements prolétariens a toujours nécessité la collaboration d’une deuxième force, chargée, elle, non de réprimer directement mais de désarmer, puis d’immobiliser la classe, avant et au cours de la répression.

Les "gauches démocrates", que les "antifascistes" -version "révolutionnaire"- voudraient ranger dans le camp des non répressifs ont en fait rempli aussi bien une fonction que l’autre. Tantôt elles ont joué le rôle de désarmeur-immobilisateur du prolétariat, tantôt -généralement dans les cas les plus difficiles- elles se sont chargées directement de l’ignoble besogne sanglante, après avoir elle-même désarmé le prolétariat.

Affirmer que la droite est l’organe spécifique de la répression des luttes prolétariennes et présenter les régimes "démocratiques" comme une sauvegarde, une aide, même provisoire, contre celle-ci, c’est se moquer grossièrement de toute l’expérience tragique du prolétariat.

La "gauche démocrate" a joué directement le rôle de "chien sanglant" ; parmi d’autres exemples :

  • contre l’insurrection ouvrière de Berlin en 1919 (c’est le gouvernement social-démocrate d’Ebert-Scheidemann, avec l’ouvrier "socialiste" Noske, qui a fait couler le sang ouvrier dans les rigoles des rues de Berlin).
  • contre les premières révoltes de la classe ouvrière espagnole rapidement déçue par la "démocratie" de 1931 (c’est le gouvernement "social" d’Azana qui a assumé la responsabilité de les réprimer violemment : en juillet 1931 à Séville, en janvier 1932 en Catalogne, en janvier 1933 contre les ouvriers agricoles de Casas Viejas - le gouvernement avait donné l’ordre de raser le village si nécessaire).
  • contre l’insurrection des ouvriers polonais de décembre 1970 (c’est le très "antifasciste" parti ouvrier polonais qui a commandé aux milices et aux blindés de tirer sur les foules de manifestants).

Ce ne sont là que quelques-uns des cas les plus nets car comme nous le verrons, c’est surtout en collaboration avec la droite que la gauche a joué son rôle de répression du prolétariat.

Curieuse "ignorance" que celle des trotskistes, des maoïstes et autres anarchistes, tous ces antifascistes "radicaux" qui "oublient" si facilement que dans tant de cas, et pas des moindres, ce n’est ni la "droite" ni "le fascisme" qui ont constitué l’organe spécifique de la répression bourgeoise contre la classe ouvrière mais bel et bien la très "démocratique" et très "antifasciste" gauche du capital.

Un "oubli" dont le résultat politique est de présenter au prolétariat son bourreau comme un "allié tactique". Un "oubli" qui n’aboutit qu’à jeter les travailleurs entre les mains de leur étrangleur. Un "oubli" qui place d’emblée ses auteurs dans le camp des plus efficaces fusilleurs du prolétariat. (...)

Les antifascistes version "gauchiste", ceux qui critiquent les socialistes et les staliniens, ceux qui sont prêts à rejeter les méthodes légalistes sur lesquelles "ils n’auraient aucune illusion", sont bien placés pour connaître l’histoire de l’éternelle collaboration de la droite et de la gauche du capital contre le prolétariat, puisqu’ils ont à chaque occasion offert leurs bons offices de "supporters critiques" à la fraction démocratique de la bourgeoisie. Ils savent de combien de massacres la classe ouvrière a dû payer ses illusions sur les "forces démocratiques" et "antifascistes" du capital. (...)

Qu’il puisse y avoir une troisième alternative qui renvoie dos à dos ces deux formes du pouvoir politique de la bourgeoisie, voilà qui dépasse totalement l’entendement de ces gens. Et c’est normal. C’est uniquement dans le camp du prolétariat et de son point de vue qu’une telle alternative peut avoir un sens. Or, quand on est incapable de concevoir la classe ouvrière autrement que comme une masse de manoeuvre, quand on ne peut se faire à l’idée que la classe ouvrière puisse avoir une vision propre du monde, qu’elle soit une force révolutionnaire autonome avec son expérience et son programme historique. (...) Ce n’est pas un hasard si pour eux, tout comme pour les fascistes, toute organisation "implantée" dans la classe ouvrière est par définition "une organisation ouvrière" ; que cette organisation sabote systématiquement les luttes, qu’elle participe, armes à la main au massacre d’insurrections prolétariennes, ne change rien pour eux. De toutes façons "les masses ouvrières" ne peuvent exister qu’à travers leurs partis officiels et leurs syndicats. "Par elle-même", la classe ouvrière n’existe politiquement pas. (...)

Si malgré 50 ans de massacres du prolétariat par la gauche ces gens continuent à défendre la nécessité de faire des choix entre les fractions de l’appareil politique de la bourgeoisie[1],si pour eux "l’alternative réaliste" est toujours un choix entre une partie de la bourgeoisie et une autre, et jamais entre le camp de la bourgeoisie comme un tout et celui du prolétariat, c’est tout simplement parce qu’ils ne sont jamais sortis du terrain de la bourgeoisie ; c’est parce qu’ils n’ont jamais du prolétariat d’autre vision que celle de la bourgeoisie, à savoir : une masse impuissante, incapable de savoir ce qu’elle veut, toujours vaincue, toujours manœuvrée.

Les libertés démocratiques bourgeoises ne sont pas des armes pour le prolétariat

Le deuxième argument qui sert de clé de voûte au mensonge antifasciste lorsqu’on prétend le justifier "au nom des intérêts de la révolution", c’est que les libertés démocratiques bourgeoisies seraient des moyens, des conditions nécessaires pour le développement de la lutte révolutionnaire du prolétariat. La liberté de presse et d’organisation, le droit de grève, le droit de vote, la liberté syndicale, tous ces piliers de la démocratie bourgeoise, seraient d’après l’antifascisme gauchiste, des armes fondamentales, indispensables pour la lutte... C’est pourquoi elles doivent, dans un premier temps, constituer un objectif immédiat de la lutte ouvrière.

Ces gens veulent vraiment présenter la bourgeoisie comme une classe stupide ou suicidaire. Si les libertés démocratiques bourgeoises sont des armes pour le prolétariat, comment faut-il comprendre cette curieuse manie de la bourgeoisie de les accorder précisément lorsque le prolétariat la menace ? Comment expliquer que dans beaucoup de pays elle aille même jusqu’à faire de leur utilisation une OBLIGATION ? Nombreux sont les Etats où le vote n’est pas uniquement "un droit", mais une contrainte, l’abstention électorale étant sévèrement punie par la loi. Quant aux syndicats, le système du "close shop", obligation d’être syndiqué pour pouvoir travailler, est de plus en plus généralisé dans le monde. Et dans des pays où l’utilisation de ces "libertés" n’est pas rendue obligatoire par l’Etat, en France par exemple, c’est un éternel concert qu’on entend de la part de toutes les forces politiques de la bourgeoisie pour en recommander l’utilisation. Aux dernières élections législatives[2], le président de la république ne répétait-il pas systématiquement, après avoir fait la propagande de son parti, "ce qui importe le plus ce n’est pas que vous votiez à droite ou à gauche, mais que vous accomplissiez votre devoir civique : voter". Quant aux syndicats, grassement subventionnés par l’Etat, c’est tout aussi régulièrement que gouvernement et patronat (par la bouche de leurs principaux représentants du CNPF) insistent sur "la nécessité d’une plus grande syndicalisation des masses ouvrières".

Quand au Portugal et en Espagne les luttes ouvrières deviennent la préoccupation numéro un de l’Etat, ne voit-on pas une unanimité internationale pour obliger - par des pressions diplomatiques - les bourgeoisies locales à "rétablir les droits de l’Homme" et à accorder les "libertés démocratiques" ?

Dans les pays de l’Est où les libertés démocratiques ne sont que des phrases inscrites sur le poussiéreux livre de la constitution, ne voit-on pas les bourgeoisies locales commencer à réagir de façon analogue face à la montée croissante des luttes ouvrières ? (...) Lors de l’insurrection généralisée des ouvriers polonais en décembre 1970 (c’est la brutalité de la répression des premières luttes qui a provoqué la réaction insurrectionnelle des ouvriers et l’extension de leur lutte à tous les secteurs industrialisés de toute la Pologne), les bourgeoisie de l’Est commencent à parler de mettre en place - de "ranimer" comme ils disent - des structures démocratiques : reconnaissance du droit de grève, appels aux bureaucrates syndicaux pour qu’ils essaient de prêter l’oreille aux revendications ouvrières (Cf. le dernier congrès du P.C. hongrois - en 1974), déclaration en vue de la "ranimation des conseils ouvriers" (Gierek au lendemain de l’écrasement des luttes de 1970 en Pologne) ; et, de façon générale, développement dans tous les pays de l’Est de l’influence des tendances "démocratiques" de la bureaucratie, souvent en conflit violent avec la "vieille garde" attachée aux méthodes dictatoriales de l’époque où le développement des luttes ouvrières ne constituait pas un problème majeur.

Si comme le prétendent les gauchistes, les libertés démocratiques bourgeoisies sont des armes pour le prolétariat, il faut conclure immédiatement que la bourgeoisie mondiale est en train de perdre la raison, car c’est dans tous les pays, et d’abord dans ceux où le prolétariat est le plus fort ou dans ceux où il se bat le plus, que la classe dominante est en train de les accorder généreusement, sous la bienveillante protection du sabre des plus hautes hiérarchies militaires et la bénédiction du Pape et des évêques !

Mais la bourgeoisie est loin d’être folle. Les libertés démocratiques bourgeoises ne sont pas des armes pour le prolétariat, mais contre lui. En ranimant les libertés démocratiques, la bourgeoisie est en train de se préparer à faire face au prolétariat dans une période de montée générale de luttes ouvrières. (...)

Dans le capitalisme décadent, les armes du prolétariat n’ont rien à voir avec les soi-disant "libertés" instaurées par la bourgeoisie. Au 19e siècle, lorsque le prolétariat pouvait réellement combattre pour des réformes au sein du système et que la bourgeoisie, à l’apogée de sa richesse, pouvait objectivement les accorder, les "libertés démocratiques bourgeoises" étaient une condition nécessaire au bon déroulement de l’activité syndicale et parlementaire de la classe ouvrière. Mais dans le capitalisme décadent, lorsque toute réforme réellement en faveur de la classe ouvrière est devenue utopique, lorsque toute lutte ouvrière est contrainte, pour être conséquente, de s’attaquer directement à l’Etat bourgeois lui-même sans qu’il puisse exister de moyen terme, les vieilles libertés démocratiques pour lesquelles la classe ouvrière s’était battue, il y a 100 ans, se sont transformées en simples organes de domination du prolétariat par le capital. Dans cette période historique où seul ce qui est révolutionnaire peut être prolétarien, où la seule alternative qui puisse représenter une amélioration de la condition ouvrière c’est la révolution prolétarienne elle-même, les seules armes ouvrières sont celles de sa révolution.

Il suffit d’envisager le contenu de chacune des libertés bourgeoises pour qu’apparaisse leur nature parfaitement contre révolutionnaire.

La liberté de presse et d’organisation politique ?

A première vue, il paraîtrait logique de dire : c’est tout de même plus simple de développer la presse et les organisations révolutionnaires lorsqu’on ne va pas en prison pour le simple fait d’avoir prononcé les mots de "révolution prolétarienne". En conséquence, pour que les idées révolutionnaires puissent se développer, il serait nécessaire d’"arracher" à la bourgeoisie la liberté de presse et d’organisation. Triste illusion et écœurant mensonge !

Ce n’est pas parce que la bourgeoisie accorde ses libertés démocratiques que se développent les idées révolutionnaires. C’est au contraire parce que les idées révolutionnaires se développent dans la classe que la bourgeoisie a recours aux libertés démocratiques pour avoir les moyens d’en entraver le développement. L’antidote aux idées révolutionnaires, ce ne sont pas les grossières imbécillités idéologiques de la droite et du fascisme prétendant que la lutte de classe n’existe pas et toute lutte ouvrière est l’oeuvre du malin, des juifs ou d’une puissance étrangère. Au contraire. Les véritables "contrepoisons" qui aient quelques chances d’être efficaces contre les idées révolutionnaires ce sont toutes les idéologies et toutes les organisations qui commencent à s’affirmer résolument "prolétariennes", "populaires", "révolutionnaires", tout en affirmant que le prolétariat ne peut pas tout faire SEUL ; qu’il doit tenir compte de.. ici la liste serait trop longue, nommons en passant : l’opinion publique, la nécessité de garder de son côté les secteurs libéraux de la bourgeoisie, la défense des libertés démocratiques, l’incompréhension des paysans, le désaccord des commerçants, le faible niveau culturel des ouvriers, la force des ennemis, la nécessité d’avoir les cadres avec nous, et surtout, surtout... la nécessité de sauvegarder "NOTRE" économie nationale. (...) Les libertés de presse et d’organisation de la bourgeoisie, c’est la liberté pour ses chiens de garde de pénétrer en milieu ouvrier et de remplir leur fonction.

Peut-être, disent les gauchistes, mais les révolutionnaires peuvent tirer profit ! Toujours imbus d’amour pour l’Etat bourgeois, à condition qu’il soit "démocratique", toujours incapables d’envisager les problèmes de la classe ouvrière autrement qu’à travers ceux du développement de leur propre petite organisation, ces antifascistes "radicaux" prétendent nous faire oublier que l’Etat bourgeois, pour être "démocratique" n’en a pas moins des prisons politiques, et qu’en période de montée des luttes prolétariennes, il sait parfaitement les remplir d’"extrémistes", de "partisans de la violence", de "saboteurs de l’économie nationale", de "diviseurs du peuple", de "terroristes", bref, de révolutionnaires. Et généralement la gauche du capital sait mieux reconnaître que quiconque quels sont les vrais ennemis de l’Etat dont elle assume la gestion. Quant à la "liberté de la presse", la démocratie bourgeoise n’a pas plus de ménagements envers la presse des révolutionnaires qu’elle n’en a envers leurs organisations. Lorsqu’envahir la classe ouvrière d’un océan de presse de "gauche" pour noyer toute tentative de clarification révolutionnaire, ne suffit plus pour enrayer le développement des idées révolutionnaires, la démocratie n’hésite jamais à avoir recours à la répression et à l’interdiction.

L’expérience de toutes les organisations révolutionnaires le montre clairement : ce n’est pas sur les libertés bourgeoises qu’elles peuvent compter pour le développement objectif du besoin de leur intervention au sein du prolétariat et la compréhension croissante par celui-ci du caractère historique et mondial de sa lutte.

Le droit de grève ?

Lorsque la bourgeoisie affronte une période de multiplication des grèves, la reconnaissance du "droit de grève", outre qu’il ne fait que reconnaître un état de fait - continuer à proclamer interdites les grèves alors que celles-ci se développent partout, ne peut que ridiculiser l’autorité de l’Etat - n’a évidemment jamais comme but de permettre leur libre épanouissement, mais, au contraire, de créer "démocratiquement", "légalement" toutes les limites possibles, toutes les entraves capables d’empêcher leur transformation en un mouvement susceptible de mettre en question les fondements du système et l’autorité de l’Etat. Le "droit de grève", c’est d’abord le droit pour l’Etat bourgeois de réprimer "démocratiquement" toute grève "illégale", toute forme de lutte qui sort du cadre de la "légalité démocratique" : grèves antisyndicales, invasion d’usine par les ouvriers d’autres usines venant exiger la solidarité de classe, grèves mettant réellement en danger l’économie nationale...

Il est ensuite un puissant moyen pour briser de l’intérieur la force révolutionnaire des grèves, c’est-à-dire leur force réelle. En effet, la grève "démocratique" ne doit pas dépasser les limites au-delà desquelles elle pourrait constituer :

  • 1) un véritable coup de boutoir contre le capital national,
  • 2) une expérience capable de constituer un pas important dans le processus de formation de l’armée prolétarienne. Mais une grève qui attend l’autorisation du patron pour éclater et accepte ensuite de se tenir dans le cadre de la légalité imposée par le capital, est un pétard mouillé d’avance. Une source de démoralisation certaine pour la classe. La gauche du capital le sait bien qui a pour tâche dans la démocratie bourgeoise d’assurer l’encadrement légal de toute tentative de lutte ouvrière.

Dans le capitalisme décadent, la classe ouvrière n’a jamais eu besoin du démocratique "droit de grève" pour se battre. Ses armes, ce ne sont pas les soi-disant "autorisations" de son exploiteur pour se battre contre lui, mais au contraire sa résolution à affronter la légalité des patrons quelque soit le vernis "démocratique", "populaire" dont elle puisse se recouvrir. Moyen pour "légaliser" la répression "démocratique" des grèves, instrument du sabotage de la combativité ouvrière savamment utilisée par la gauche du capital, le "droit de grève" n’est pas une arme du prolétariat mais de la bourgeoisie.

La liberté syndicale ?

Les syndicats ne sont plus, dans le capitalisme décadent, la forme que se donne la classe ouvrière pour combattre le capital, mais l’appareil d’encadrement dont se sert l’Etat capitaliste pour encadrer la classe ouvrière. Plus de cinquante ans d’expérience l’ont montré clairement, les luttes ouvrières de notre époque ce sont les assemblées ouvrières, unitaires et souveraines, se coordonnant entre elles par des conseils de délégués élus et révocables à tout instant. La "liberté syndicale", c’est la lutte du capital contre ces assemblées, c’est la possibilité pour la bourgeoisie de se doter de cet indispensable appareil d’encadrement des travailleurs que sont les syndicats. Ce n’est pas par hasard si les premiers prisonniers politiques libérés par les franquistes "démocrates" au lendemain de la mort de leur fétiche, ce sont justement les responsables des "syndicats démocratiques", les "Commissionnes Obreras".

Le droit de vote ?

Le droit d’élire démocratiquement son bourreau, d’octroyer aux chefs de la "police démocratique" un label de "représentants du peuple".. La "liberté électorale" n’est que le moyen de légaliser par une mascarade vide, la dictature du capital sur la société.

C’est une des principales armes du capital pour briser dans la classe la volonté de s’assumer comme corps distinct dans la société, comme force autonome capable de prendre le pouvoir. Elle s’inscrit directement contre toute organisation de pouvoir de la classe ouvrière : d’une part, en l’atomisant en une poussière de millions d’"individus", de "citoyens" impuissants, isolés les uns des autres devant les urnes ; d’autres part, développant jusqu’à l’extrême au sein de la classe l’idée qu’elle ne pourra jamais rien faire par elle même, qu’elle devra toujours déléguer la défense de ses intérêts à des corps totalement étrangers à elle, "ses partis officiels".

Loin de constituer une arme pour le prolétariat, la "liberté électorale" constitue le fondement même du désarmement de la classe ouvrière. (...)

Le renforcement de la puissance de la classe ouvrière n’a rien à voir avec la "générosité" des fractions les plus intelligentes de la bourgeoisie. Les véritables instruments de son combat : sa conscience, sa capacité à s’organiser et à agir de façon indépendante par rapport à tous les autres secteurs de la société, le prolétariat ne peut les forger qu’en se débarrassant de toute illusion à l’égard de la "démocratie bourgeoise" ; en s’attaquant à la bourgeoisie, dans sa globalité, à ses partis et à ses syndicats c’est-à-dire sans tomber dans l’immonde piège du "choix" entre les différentes formes d’oppression de la bourgeoisie.

La classe ouvrière a payé de dizaines d’échecs sanglants le fait de ne pas avoir compris à temps qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même, sur ses propres assemblées et son programme historique propre. L’antifascisme, ce bavardage qui prétend présenter la gauche du capital comme moins répressive que la droite, amenant par là la classe ouvrière à lier son sort à celui de ses bourreaux ; cette tromperie qui présente les armes de la bourgeoisie comme des armes prolétariennes, poussant ce dernier à faire confiance à l’Etat bourgeois "démocratisé", ce mensonge qui unit aujourd’hui toutes les forces de la bourgeoisie, du Pape jusqu’aux gauchistes, n’a pas d’autre but que de tenter de le lui faire oublier encore une fois.


[1] La collaboration des socialistes italiens avec les fascistes ? L’appel de Togliatti (secrétaire général du P.C. d’Italie) en 1938 aux fascistes italiens ? La collaboration des socialistes et des staliniens à l’armement d’Hitler ? Le pacte Hitler/Staline ? Le désarment du prolétariat espagnol par toute la gauche unie ou celui du prolétariat chilien par l’Unitad Popular. d’Alliende ? Pour l’antifascisme gauchiste, ce ne sont là que des... erreurs ! Curieuse race que celle des démocrates qui se "trompent" toujours dans le même sens et dont on peut prévoir à chaque occasion quand et comment ils vont commettre leur éternelle erreur ! Du point de vue du prolétariat, la seule erreur ici est celle commise par les ouvriers qui, par manque de confiance dans leur propre classe, ont fait confiance à ces organisations bourgeoises travaillant en milieu ouvrier.

[2] celles de 1973

Courants politiques: 

Elections présidentielles de 1988 : La gauche utilise l'épouventail Le Pen pour tenter d'affaiblir la classe ouvrière

Les élections sont terminées. Mitterrand est de nouveau élu pour 7 ans à la tête de l’Etat bourgeois. Mais une chose est sûre : quelles que soient les équipes dirigeantes qui vont être appelées à gouverner, la seule politique qu’elles appliqueront c’est celle de l’austérité renforcée, des attaques toujours plus violentes contre l’ensemble des conditions de vie de toute la classe ouvrière. C’est ce qu’annonçait déjà un économiste bourgeois, à la veille du 1er tour, dans L’Usine Nouvelle du 21/4/88 : "Le réveil sera rude... Des mesures à court terme s’avèrent inéluctables, même si les candidats à l’élection présidentielle gardent un silence prudent".

Aujourd’hui, moins que jamais, la classe ouvrière n’a d’autre choix que de continuer à se défendre, avec encore plus de détermination, en développant ses luttes de façon massive et unie.

Cette riposte d’ensemble de la classe ouvrière, la bourgeoisie la sait inévitable. C’est pour cela qu’elle s’acharne aujourd’hui à tenter d’en reculer l’échéance. C’est pour cela qu’elle se prépare à la miner de l’intérieur.

Une campagne pour diviser, déboussoler, démoraliser la classe ouvrière

Dès le lendemain du 1er tour, on a vu toutes les forces de la bourgeoisie, relayées par les médias, développer un battage intensif autour du score de Le Pen et de l’effondrement électoral du P.C.F. Tous, de la droite à l’extrême gauche, s’efforcent de nous faire croire que ces résultats expriment une crise profonde de la classe ouvrière en France :

  • "Ce scrutin met en évidence le profond bouleversement que le paysage politique français vient de connaître. A gauche, l’effondrement -confirma dimanche- du communisme en France. A droite, l’apparition d’une force extrémiste. A l’origine des deux phénomènes, on trouve la même racine : l’éclatement brutal de la classe ouvrière française sous l’effet de la chute des industries traditionnelles." (J. Boissonnat, La Tribune de l’Expansion, 25/4/88) ;
  • "L’augmentation du score de Le Pen a de quoi inquiéter tous les travailleurs car elle reflète un recul du poids politique de la classe ouvrière et des travailleurs en général." (A. Laguiller, tract de Lutte Ouvrière du 26/4/88).

Ainsi, aux dires de toutes les fractions de la bourgeoisie, la classe ouvrière serait en crise parce que c’est dans les grandes concentrations ouvrières (Lyon, Marseille, banlieue "rouge" de Paris) que le P.C.F. a perdu le plus de voix et que, par contre, le Front National se serait renforcé.

Pire encore, non seulement on nous parle d’"éclatement de la classe ouvrière" mais on affirme que les 2,5 millions d’ouvriers au chômage seraient "l’humus" (pour reprendre l’expression d’un politicien bourgeois) sur lequel se développeraient les suffrages en faveur de Le Pen.

Toute cette campagne étourdissante ne sert qu’un objectif : diviser, déboussoler, démoraliser la classe ouvrière pour tenter de saper sa confiance grandissante en ses propres forces.

  • LA DIVISER : en cherchant à faire croire qu’il existe une opposition de plus en plus profonde entre ouvriers au chômage et ouvriers "actifs", entre ouvriers "français" et ouvriers "immigrés" alors que depuis des années la réalité de la lutte de classe montre que c’est tout le contraire qui est vrai. Elle montre la tendance croissante de la classe ouvrière à s’affirmer, à développer sa solidarité et son unité de classe au-delà des barrières sectorielles, corporatistes, raciales. Elle montre que la classe ouvrière se situe ainsi de plus en plus sur son propre terrain.
  • LA DEBOUSSOLER : en lui faisant porter la responsabilité de l’avance de Le Pen alors que le terrain des élections n’est pas celui de la classe ouvrière. Ce n’est pas elle, en tant que classe qui s’exprime ainsi mais des ouvriers, des citoyens, atomisés, qui se sont laissés piéger sur ce terrain et qui, de toute façon, sont autant mystifiés en votant pour Le Pen que pour n’importe quel autre candidat de droite ou de gauche. Le piège, c’est le terrain sur lequel ils se situent et non la couleur du bulletin qu’ils déposent dans l’urne. Si un petit nombre d’ouvriers s’est tourné aujourd’hui vers Le Pen, c’est l’ensemble des fractions de la bourgeoisie qui en porte l’entière responsabilité. Toutes, pour les besoins de leur propagande, se sont évertuées pendant des années à le monter de toutes pièces, à l’ériger comme un épouvantail.

Et le P.C.F. porte une part importante de cette responsabilité, lui qui, pendant des décennies, n’a cessé de développer une idéologie patriotarde, nationaliste, avec ses slogans depuis le "Plus forts les coups sur le boche chancelant" de la Libération jusqu’au "Produisons français" d’aujourd’hui, lui qui a fait largement ses preuves contre les ouvriers immigrés avec ses bulldozers à Vitry en 79, lui qui a participé activement à la politique d’expulsion des "étrangers" entre 81 et 84.

  • SAPER SA CONFIANCE EN ELLE-MÊME : en faisant croire à la classe ouvrière que l’affaiblissement du P.C.F. reflète son propre affaiblissement. Rien n’est plus faux. L’effondrement électoral du P.C.F., loin de traduire un quelconque affaiblissement de la classe ouvrière, constitue, au contraire, un signe révélateur de son renforcement, de son dégagement croissant de l’emprise du P.C.F. et de sa courroie de transmission dans les entreprises, la C.G.T. L’effondrement du P.C.F., principale force d’encadrement bourgeoise, est le symptôme d’une crise profonde, non de la classe ouvrière mais de la bourgeoisie. C’est au prix fort que le P.C.F. paie aujourd’hui les manœuvres répétées de sabotage des luttes ouvrières par la C.G.T. C’est au prix fort qu’il paie ses 3 années de participation active à la politique d’austérité menée par le gouvernement P.C./P.S. entre 81 et 84.

Une campagne pour dévoyer la classe ouvrière

Mais, plus encore, à travers cette campagne, la bourgeoisie affûte aujourd’hui ses armes pour se préparer à contrer l’inévitable riposte ouvrière contre les attaques à venir. C’est ainsi qu’elle a su exploiter à fond les résultats électoraux du 1er tour pour tenter, en agitant l'épouvantail Le Pen, de redonner un nouveau souffle à une campagne électorale qui suscitait jusqu’alors trop peu d’intérêt. En relançant ainsi sa campagne, il s’agissait pour la bourgeoisie de re-crédibiliser le jeu de ses partis afin de ramener les ouvriers qui s’en écartaient dans la fausse opposition entre droite et gauche, entre racisme et anti-racisme, entre fascisme et anti-fascisme.

Toute cette propagande tapageuse ne visait qu’un seul but : tenter de dévoyer la classe ouvrière de son propre terrain. Voilà le sens qu’il faut donner à la mascarade du 1er mai telle qu’elle fut organisée par la bourgeoisie. D’un côté, une grande manifestation d’extrême-droite, aux couleurs du nationalisme "réactionnaire", de l’autre -et au même moment- une grande manifestation d’union nationale contre le danger du fascisme, rassemblant les démocrates de tous bords, toutes classes confondues, de la CFDT aux nationalistes kurdes en passant par SOS-racisme et l’UNEF-ID. Union nationale justifiée ainsi par la CFDT : "Face au danger majeur que représente la montée de l’extrême-droite, il était nécessaire de modifier nos habitudes" afin que "soient représentés tous les démocrates sans exception." (E. Maire, Libération du 2/5/88).

La classe ouvrière doit déjouer tous les pièges de la bourgeoisie

La classe ouvrière a toutes les raisons d’avoir confiance en l’avenir. Non seulement elle n’est pas en crise mais c’est quotidiennement qu’elle continue à développer sa propre force, sa propre unité sur son propre terrain, celui du combat implacable contre la misère et l’austérité croissantes que lui inflige le capitalisme en crise.

Même pendant la trêve électorale, période traditionnellement plus favorable à la bourgeoisie, la classe ouvrière a continué à maintenir sa pression contre les attaques incessantes du capital : grèves aux usines Chausson et SNECMA, à Michelin, chez les dockers de Marseille, aux magasins Primistère-Félix Potin, dans les hôpitaux de la région parisienne, dans les mines de Lorraine autant de luttes qui, toutes, malgré leur caractère encore minoritaire, encore éparpillé, ont exprimé à des degrés divers le même besoin d’élargissement, de recherche de la solidarité dans la lutte.

Ainsi, ce que traduisent en réalité ces élections, c’est un affaiblissement considérable de la bourgeoisie. Affaiblissement révèlé une nouvelle fois par l’incapacité de la droite française, déchirée par ses querelles de cliques, à reprendre sa place au gouvernement. Affaiblissement renforcé encore par l’arrivée du 3ème larron, Le Pen, dans l’arène électorale. Affaiblissement sanctionné enfin, et surtout, par l’effondrement magistral de la principale force d’encadrement de la classe ouvrière, le P.C.F. (cf. RI 169).

Une telle situation constitue aujourd’hui un atout supplémentaire pour la classe ouvrière. Voilà pourquoi la bourgeoisie, consciente du pétrin dans lequel elle s’est embourbée, a toutes les raisons d’exprimer ainsi son inquiétude : "Le corps social peut avoir des réactions très violentes, et s’il n’est pas encadré socialement, ni par les syndicats qui sont en état de faiblesse, ni par un P.C. qui a perdu son implantation, et qui ne le sera pas par un Front National dont ce n’est pas profondément la nature, vous pouvez avoir des irruptions sociales complètement imprévues et difficiles. Ceux qui exerceront le pouvoir à partir du 9 mai prochain n’auront pas la tâche facile." (J. Boissonnat, cité par L’Humanité du 26/4/88).

C’est parce qu’elle redoute cette riposte d’ampleur de toute la classe ouvrière que la bourgeoisie se prépare dès à présent à la dévoyer et à la saboter. C’est le sens qu’il faut donner à la radicalisation actuelle du P.C.F. et de la C.G.T. telle qu’elle s’est déjà profilée à l’occasion du 1er mai avec l’appel de la C.G.T. à une manifestation séparée non seulement contre le danger du fascisme mais surtout contre l’austérité et le chômage.

C’est face à la perspective d’explosions sociales de grande ampleur que la bourgeoisie réintroduit ainsi le loup dans la bergerie : "Il existe toujours sur le terrain un Parti communiste qui continuera d’assurer son rôle historique d’entraîner à la lutte, de mener bataille contre les idées de fatalité et de résignation, de s’opposer à toute compromission avec la droite et son extrême Le Pen, en un mot un Parti communiste qui poursuivra, dans les conditions de l’après-élection, son œuvre quotidienne au service des travailleurs." (L’Humanité du 26/4/88).

Dans le développement inévitable de ses combats, la classe ouvrière devra nécessairement déjouer tous les pièges que lui tendra la bourgeoisie. Elle doit savoir que tous ceux qui, des syndicats -C.G.T. en tête- aux gauchistes (tels ceux de LO), prétendent défendre ses intérêts, tous ceux qui se placent sur son terrain se préparent, en réalité, à lui mettre des bâtons dans les roues, en se partageant dès aujourd’hui le travail pour saboter ses luttes de l’intérieur et les dévoyer dans la fausse alternative droite/gauche, fascisme/anti-fascisme.

 

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Courants politiques: 

Heritage de la Gauche Communiste: 

Attentats racistes en Allemagne 1993 - Campagnes anti-racistes : la bourgeoisie cherche à ramener...

Campagnes anti-racistes : la bourgeoisie cherche à ramener les ouvriers derrière l'Etat démocratique

 

  • "La criminalité raciste a augmenté de 1700 % en deux ans en Allemagne et ce n'est pas sans la complicité tacite de la population".

Au cours de la réunion d'un front européen antiraciste qui s'est tenue le 12 décembre à Nancy, voilà ce qu'a abruptement lâché l'un des participants, la déléguée du PSD (ex-parti communiste de RDA), en mettant aussi en cause le gouvernement pour faire bon poids de radicalisme. Cette manière de rendre fautive de la montée de l'extrémisme xénophobe la population, et donc (surtout) la classe ouvrière, constitue la pointe avancée, spécialement vicieuse, des campagnes démocratiques actuelles de la bourgeoisie. Il s'agit là d'un piège très dangereux pour le prolétariat et nous le dénonçons avec la plus grande énergie.

Il y a des faits irréfutables. Depuis au moins un an, en effet - et cela s'est accéléré au cours des derniers mois -, la chronique de la xénophobie et du racisme s'accroît presque chaque jour d'une nouvelle page de furie imbécile et de crimes sanglants. Le 2 octobre, par exemple, à Nowa Huta, en Pologne, neuf adolescents arborant la croix gammée molestaient des routiers allemands, provoquant la mort de l'un de ceux-ci. A Rome, début novembre, d'autres nazillons en bande s'en prenaient aux commerçants juifs de la Ville éternelle. A la fin du mois dernier, en Alsace, plusieurs tombes musulmanes étaient profanées tandis que le même vandalisme d'inspiration antisémite s'exerçait à l'est du Rhin notamment contre la sépulture du célèbre dramaturge Berthold Brecht. D'autres violences à relents xénophobes se sont produites à Anvers, Madrid, Munich... Entre toutes, celles de Môlln (près de Lübeck, en Allemagne du nord), le 23 novembre, ont particulièrement inspiré l'horreur, deux fillettes et une jeune femme turques périssant au milieu des flammes d'un incendie criminel et revendiqué au cri de "Heil Hitler !".

 

Racisme, xénophobie :
les produits de la décomposition capitaliste

Comment, pourtant, la bourgeoisie en rend-elle compte ? Sa presse ment déjà quand elle focalise les regards sur la situation en Allemagne tout en suggérant sournoisement de nous rappeler que ce pays est la patrie du nazisme. Le triste tableau que nous avons dressé plus haut suffit à révéler ce truquage de la réalité. Laquelle s'étale, à plus ou moins grande échelle, dans tous les Etats européens et ne représente nullement une spécificité allemande. Quand bien même la question de l'unification et la proximité des anciens territoires socialistes placent aujourd'hui ce pays dans une position sociale singulière. Ensuite, les orchestrateurs des campagnes idéologiques de la bourgeoisie manipulent sans vergogne l'opinion quand ils gonflent outrancièrement le regain du fascisme et braquent tous les projecteurs sur les gesticulations meurtrières des "skinheads" et autres paumés.

Tout cela sert à dissimuler la cause foncière et la responsabilité première de cette explosion de haine qui paraît soulever le coeur de nos bons démocrates bourgeois. La xénophobie, le racisme et l'agitation néo-nazie, c'est bel et bien le capitalisme qui les enfante et les active. Oui, le capitalisme, avec sa crise économique sans issue, qui marginalise des couches de plus en plus nombreuses de la population, les éjecte hors de toute vie collective, laisse les jeunes sans futur, oppose les chômeurs aux travailleurs encore nantis d'un emploi, contraint de larges parties des peuples (comme en Albanie, en Roumanie, en Bosnie, etc.) à fuir leur pays et à émigrer. La peur des "étrangers", la recherche absurde parmi ses compagnons d'infortune de boucs émissaires pour les charger de la faute de la misère que le capitalisme fait subir à tous, le chacun-pour-soi érigé en seule règle de la conduite individuelle, la montée des comportements irrationnels, la floraison des actes désespérés autant que criminels, et pas seulement chez les nazillons, voilà autant de traits qui traduisent sur le fond l'impasse d'une société bourgeoise à l'agonie. A côté des conflits ethniques, des querelles religieuses, des famines, des épidémies et de bien d'autres consternants phénomènes.

Voilà le visage d'un monde sans devenir et désormais complètement voué à la désintégration ainsi qu'au pourrissement sur pied, de par sa propre dynamique. En tout état de cause, ledit réveil des démons fascistes n'est qu'un épiphénomène. Il représente un effet et non la raison de la décomposition capitaliste. Aujourd'hui, la vérité terrible de la situation ne réside pas dans le resurgissement de la bête nazie mais dans l'effondrement sous elle-même de la civilisation bourgeoise, pourvoyeur de tous les dérèglements et destructions qui ruinent maintenant la planète.

Cependant, la bourgeoisie, qui n'a plus rien à offrir aux hommes et qui, dans sa course inconsciente, entraîne tout le monde à crever avec elle, n'est pas près, bien loin de là, de renoncer à son autorité sur la société.

C'est ce qu'illustrent clairement, parmi d'autres signes, les tapageuses campagnes antifascistes et antiracistes qui, en Allemagne surtout, se développent à la suite du déferlement des attaques xénophobes. Outre-Rhin, tout se passe comme si les malheureuses victimes de Mölln avaient dû brûler vives pour permettre l'impulsion de manifestations monstres dans toutes les grandes villes de l'Ouest : Francfort (mégaconcert rock), Munich, Duisburg et Hambourg ("chaînes vivantes", défilés à la bougie...), etc., réunissant chaque fois de une à plusieurs centaines de milliers de personnes. A compter de la mi-décembre, on voit l'ensemble des sphères dirigeantes de la république fédérale impliqué à fond dans le battage démocratique et humanitaire. Depuis la chancellerie (qui promet des poursuites contre les auteurs des crimes xénophobes et s'engage à réformer le point de la constitution de 1945 relatif au droit d'asile politique) jusqu'à la plus humble association caritative en passant par les Michel Drucker et autres Jean-Pierre Foucault de la télévision allemande, les partis politiques et les syndicats. Même le patronat se met de la partie : la direction d'Opel, pour ne citer qu'elle, offre une prime de 100 000 DM (340 000 F) à qui faciliterait l'arrestation des assassins des trois jeunes Turques)... Le barouf est proprement assourdissant.

 

Ouvriers, ne tombez pas dans le piège

Ce front uni démocratique a maintenant un impact non négligeable dans la population et les défilés géants semblent faits pour rassurer les nombreuses voix qui, en novembre encore, s'inquiétaient, tel Thomas Schmidt (un proche de Cohn-Bendit), de "la réaction tardive de la société allemande". A côté de quelques autres déclarations qui n'hésitaient pas à rendre carrément responsable de la flambée raciste le manque de réaction des populations laborieuses aux attentats qui frappaient les travailleurs "étrangers" (y compris, dorénavant, dans la partie ouest du pays). Ailleurs en Europe, les bourgeoisies nationales ne manquent pas, en assurant un large écho à la campagne qui se déploie au sein de la république unifiée et en colportant les thèmes de l'"inconscience" ou de la "passivité des citoyens", d'importer au maximum l'effet de ces démonstrations démocratiques dans leur pays. Notamment en France, où le verdict du tribunal de Reims acquittant la boulangère qui a tué un jeune Beur avait donné lieu à l'amorce d'une croisade antiraciste dans la seconde quinzaine du mois dernier.

A n'en pas douter, c'est une opération d'envergure et d'échelle européenne qu'entreprend la classe bourgeoise. La visée en apparaît claire : entraîner les prolétaires sur le terrain de la défense de la démocratie et lui faire abandonner le sien, celui de la résistance aux attaques capitalistes, dans l'heure précise où celles-ci pleuvent comme jamais sur son dos, en même temps que s'accumulent les effets ravageurs de la décomposition de la société bourgeoise. Et c'est pour mieux armer le piège que les démocrates, de Cohn-Bendit à Kouchner, ont le front de chercher à culpabiliser les prolétaires, eux qui subissent à plein - juifs, noirs, "étrangers" et immigrés ou non - la pourriture capitaliste. L'ignominie suprême de tout ce tapage tient dans la volonté de la bourgeoisie de faire sortir de la bouche même des prolétaires ce discours : "Nous voulons un Etat fort, pour que cessent les violences, afin que les nazillons soient muselés !", c'est-à-dire leur faire demander de leur propre chef le renforcement des moyens de répression de l'Etat, lesquelles, évidemment, ne serviront pas tant contre les extrémistes xénophobes que d'abord et surtout contre la classe ouvrière.

Ouvriers, ne cédez surtout pas à ce chantage démocratique scandaleux. Si vous deviez y succomber, en Allemagne ou ailleurs, non seulement vous n'écarteriez pas un instant de vous, au contraire, la menace du chômage et de la misère, mais vous vous précipiteriez encore dans le gouffre de la décomposition que le système capitaliste aux abois ouvre chaque jour davantage sous vos pieds. En vous trompant de combat, en luttant pour la démocratie et non pour la défense de vos intérêts prolétariens distincts, vous vous rendriez incapables de riposter aux agressions économiques du capitalisme et entraîneriez votre propre perte. De même que celle de toute l'humanité, car celle-ci peut seulement compter sur votre classe pour sortir, par la voie de la révolution communiste, le monde de la chausse-trappe mortelle où le jette la bourgeoisie. Voilà votre véritable responsabilité.

Vie du CCI: 

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Front National : gonflé hier, éclaté aujourd'hui, manipulé toujours

C'est parce que le Front National était devenu une lourde entrave qui compromettait systématiquement toute tentative de recomposition des partis de droite, condition indispensable pour le retour de ces fractions au gouvernement, que l'ensemble de la bourgeoisie a concocté une manœuvre provoquant l'éclatement de ce parti d'extrême droite devenu trop encombrant.

Cela n'est pas nouveau : l’utilisation de Le Pen et de son parti, telle une baudruche que l’on gonfle et que l’on agite selon les nécessités du moment de la vie politique, a déjà constitué un des moyens majeurs de la bourgeoisie française pour limiter les conséquences de la venue de la gauche au pouvoir dans les années 80, face à une classe ouvrière qui développait ses luttes et sa conscience et qui apprenait à reconnaître dans les partis de gauche ses pires ennemis.

De fait, le poids pris par l'extrême droite dans la vie politique française a été le produit direct de la situation créée par l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Cette dernière, confrontée à un discrédit croissant, va trouver dans le prétendu "danger fasciste" une légitimité nourrie par les succès du FN, qui auront été pleinement favorisés par le pouvoir socialiste en place. Il faut rappeler que la baudruche FN a été fabriquée de toutes pièces par les manœuvres de Mitterrand[1]. C’est l’instauration par Mitterrand d’un mode d'élections à la proportionnelle à un seul tour en 1986 qui aura permis au FN de faire son entrée au parlement. Pendant des années, le parti de Le Pen allait canaliser les votes protestataires de rejet de "la classe politique", tout en servant de faire-valoir à la gauche, auréolée, grâce à lui, du statut de champion de la "défense de la démocratie" et des "Droits de l’Homme".

Depuis lors, régulièrement, les scores électoraux du FN servent à alimenter les campagnes de tous les "démocrates" de gauche et d'extrême gauche sur la prétendue "montée de la menace fasciste" qui invitent les prolétaires à se mobiliser, en premier lieu sur le terrain électoral, à s'en remettre à "la défense de la démocratie" ou à se placer sous la bannière "d'un front républicain".

Or, le danger de "montée du fascisme" n'est qu'un leurre, car contrairement à la situation des années trente, sa condition préalable et indispensable : une classe ouvrière vaincue, n'est pas réalisée.

Par ailleurs, le véritable problème pour la classe dominante, n’est nullement le risque d'arrivée au pouvoir du FN. Il est parfaitement clair pour la bourgeoisie française que le programme du FN est totalement inapplicable et contraire aux besoins actuels du capitalisme. Tant ses orientations anti-européennes et isolationnistes que ses prétentions à interdire l'exploitation de la force de travail "immigrée" vont à contre-courant complet des objectifs du capital national.

La seule réelle préoccupation du reste de la bourgeoisie vis-à-vis d'un FN représentant 20% de l'électorat, c'est qu’aujourd’hui cette baudruche était devenue difficilement gérable. Elle était devenue d'autant plus gênante qu'elle se posait en arbitre obligé des querelles et des divisions des partis de droite, contribuant à favoriser leur concurrence et leur dispersion, au point qu’elle tenait littéralement en otage les secteurs de la droite traditionnelle, faisant et défaisant à sa guise ses déboires comme ses succès électoraux. Elle constituait une véritable entrave à tout projet de recomposition de la droite, contraignant la gauche à assumer, seule au gouvernement et pour une longue période indéterminée, un lourd programme d'attaques anti-ouvrières. L’impact négatif pour l’avenir d’une telle situation quant à la capacité de la gauche à mystifier la classe ouvrière était inacceptable pour la bourgeoisie dans son ensemble. C'est pourquoi la bourgeoisie s'est chargée de "casser" le FN. Voilà comment elle s'y est pris :

  • premier acte : Le Pen, qui, en tant que "chef historique" et "leader naturel" de l'extrême droite, n'a jamais caché ses intentions de conduire la liste du FN aux élections européennes de juin 1999, se retrouve condamné par un tribunal pour "avoir fait le coup de poing" (en présence de caméras de la télévision) contre une candidate du PS aux législatives et ses supporters, lors d’une précédente campagne électorale. Il est alors suspendu de ses "droits civiques" pour deux ans et de ce fait, devient inéligible aux élections européennes ;
  • deuxième acte : pendant que Le Pen prépare le terrain pour imposer son remplacement par sa femme, jusque là absente de la vie politique, ce jugement pousse "le loup à sortir du bois", selon l'expression même d'un journaliste avisé. Ce "loup" aux dents longues n'est autre que le n° 2 du FN, Mégret, qui tissait depuis des mois ses propres réseaux pour devenir "calife à la place du calife" et qui croit le moment venu de révéler ses ambitions. En juin 1998, il affiche publiquement son "désaccord" avec le "vieux menhir" et se porte candidat comme tête de liste le plus "représentatif" ;
  • troisième acte : fin septembre dernier, en appel, un autre tribunal ramène la sanction de Le Pen, et donc son inéligibilité, à un an au lieu de deux. Ce "coup de pouce" permet à Le Pen de redevenir tête de liste et de reprendre l'initiative. A partir de là, pouvait se déclencher la "meurtrière guerre des chefs" dont tous les médias nous ont gavés et la scission qui consacre l'implosion du FN.

En n'ayant pas cessé de manipuler le FN, en le faisant gonfler hier par tous les moyens, en s'employant à le casser en deux aujourd'hui pour l'affaiblir et le contrôler plus aisément, la classe dominante démontre ainsi une fois de plus tout le machiavélisme qu'elle est capable de déployer.

Alors que la gauche continuera demain d'agiter devant elle l'épouvantail du "danger fasciste", la classe ouvrière ne devra pas céder à ces campagnes d'intox. L'ennemi le plus dangereux pour elle, ce n'est pas l'extrême droite, mais bien les partis de gauche et leurs syndicats parce qu’ils sont les plus aptes à tromper les ouvriers. Ce sont ces partis de gauche et les syndicats qui chercheront à les dévoyer de leur terrain de classe pour mieux saboter leurs luttes de résistance aux attaques du capitalisme.



[1] Sur ce sujet, il vaut la peine d'illustrer les connivences entre le FN et le PS par un témoignage venu de l'intérieur du parti de Le Pen, celui de Lorrain de Saint Afrique. Au sein d'un livre intitulé Dans l'ombre de Le Pen, il raconte des épisodes de l'histoire des relations Tapie / Le Pen,  édifiantes quant à la stratégie de la gauche mais aussi des mœurs de la bourgeoisie :

  • A l'occasion de diverses consultations locales en 1989 : "Il y a entre les dirigeants de la fédération départementale des Bouches-du-Rhône du Front et l'entourage de Bernard Tapie des contacts permanents pour examiner ensemble tel ou tel cas, se coordonner, s'épauler. Avec la bénédiction de Le Pen."
  • A l'occasion de l'élection de Tapie aux législatives de 93 à Gardanne : " (…) les militants vivent très mal ce maintien et les conditions dans lesquelles Le Pen a pris sa décision [maintenir le candidat du FN au second tour]. Ils flairent quelque chose. On parle d'un accord, d'un volet financier, d'une rencontre sur le Phocéa, le yacht de Tapie. Au cours d'un week-end à Rueil, chez sa seconde

Courants politiques: 

Campagnes anti-négationnistes : une attaque contre la Gauche communiste

Parmi les armes qu'elle déploie à l'heure actuelle contre le développement des combats et de la conscience de la classe ouvrière, la bourgeoisie de certains pays, notamment en France, utilise le thème du "négationnisme", c'est-à-dire de la remise en cause par un certain nombre de publicistes de la réalité des chambres à gaz dans les camps de concentration nazis.

La thèse de la non-existence des chambres à gaz, et donc de la volonté d'extermination par le régime nazi de certaines populations européennes, notamment des populations juives, a été particulièrement diffusée par le groupe de la "Vieille Taupe" qui se réclamait de "l'ultragauche" (qu'il ne faut pas confondre avec la Gauche communiste à laquelle ce courant avait fait un certain nombre d'emprunts). Pour la "Vieille Taupe" et d'autres groupes de la même mouvance, l'existence des chambres à gaz était un pur mensonge des bourgeoisies alliées destiné à renforcer leurs campagnes antifascistes au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ces groupes se donnaient comme mission, en dénonçant ce qu'ils considéraient comme un mensonge, de démasquer le rôle anti-ouvrier de l'idéologie antifasciste. Mais entraînés par leur passion "négationniste" (ou par d'autres forces ?) certains éléments, parmi eux, en sont venus à collaborer avec des parties de l'extrême droite antisémite. Celles-ci également considéraient que les chambres à gaz étaient une invention, mais une invention du "lobby juif international". C'était évidemment pain béni pour les secteurs "démocratiques" et "antifasciste" de la bourgeoisie qui ont donné une publicité considérable aux thèses "négationnistes" afin de renforcer leurs propres campagnes en stigmatisant cette tentative de "réhabilitation du régime nazi". Mais ces secteurs ne se sont pas arrêtés là. Les références faites par les "négationnistes de gauche" aux positions de la Gauche communiste dénonçant l'idéologie antifasciste, et particulièrement au texte tout à fait valable publié au début des années 1960 par le "Parti Communiste International", Auschwitz ou le Grand Alibi, ont servi récemment de prétexte aux souteneurs de la "démocratie bourgeoise" (y compris certains trotskistes) pour déclencher une campagne de dénonciation du courant de la Gauche communiste : "Ultra-Gauche et Ultra-Droite, même combat !", "Comme toujours, les extrêmes se rejoignent".

Pour sa part, le CCI, comme tous les véritables groupes de la Gauche communiste, a toujours refusé de marcher dans les élucubrations "négationnistes". Vouloir amoindrir la barbarie du régime nazi, même au nom de la dénonciation de la mystification antifasciste, revient en fin de compte à amoindrir la barbarie du système capitaliste décadent, dont ce régime n'est qu'une des expressions. Cela nous permet de dénoncer d'autant plus fermement les campagnes actuelles visant à discréditer aux yeux de la classe ouvrière la Gauche communiste, le seul courant politique qui défend réellement ses intérêts et sa perspective révolutionnaire. Cela nous permet de mener avec la plus grande énergie le combat contre les mystifications antifascistes qui prennent appui sur la barbarie nazie pour mieux enchaîner les prolétaires au système qui l'a enfantée et qui n'en finira jamais d'engendrer la barbarie : le capitalisme.

Encore une fois, nous voulons réaffirmer avec force que la Gauche communiste n’a aucune espèce de parenté, même lointaine, avec la mouvance "négationniste" rassemblant l’extrême-droite traditionnelle et "l’ultra-gauche", concept étranger à la Gauche communiste. Aussi, la dénonciation de l’antifascisme comme instrument de l’embrigadement du prolétariat dans le pire carnage inter-impérialiste de l’histoire et comme moyen de dissimuler quel est le vrai responsable de toutes ces horreurs, à savoir le capitalisme comme un tout, n’a jamais signifié la moindre complaisance dans la dénonciation du camp fasciste dont les premières victimes furent les militants prolétariens. L’essence de l’internationalisme prolétarien, dont la Gauche communiste s’est toujours faite le défenseur intransigeant –dans la droite ligne de la vraie tradition marxiste et donc à l’encontre de tous ceux qui l’ont bafouée et trahie, trotskistes en tête– a toujours consisté à dénoncer tous les camps en présence et à démontrer qu’ils sont tous également responsables des horreurs et des souffrances indicibles que toutes les guerres inter-impérialistes infligent à l’humanité.

 

Courants politiques: 

Le marais de "l'ultra-gauche" au service des campagnes de la bourgeoisie

La campagne de la bourgeoisie contre la Gauche communiste autour de "l'affaire négationniste" a trouvé dans le milieu informe dénommé "d'ultra-gauche" non seulement de quoi alimenter ses calomnies mais aussi une caution théorique contre la tradition de la Gauche communiste et les organisations qui s'en réclament.

Comme nous l'avons déjà dit[1], le magma informe appelé "l'ultragauche", n'a rien à voir avec les organisations du milieu prolétarien. Rassemblement hétéroclite d'intellectuels divers au radicalisme petit-bourgeois, sans réelle filiation historique et sans tradition organisationnelle, il a toujours été le lieu de passage de toutes sortes de relectures "modernistes"[2] du marxisme, typiques de l'impatience petite bourgeoise déçue par la classe ouvrière. Fait de personnalités intéressées beaucoup plus à faire parler d'elles qu'à défendre des positions de classe, il est aussi le lieu de tous les aventurismes.

Tel fut le cas du libraire P. Guillaume qui, au début des années 80, vit dans les thèses de R. Faurisson l'occasion de s'offrir un coup de pub et qui déjà à cette époque rendit ainsi un fier service à la classe dominante. D'abord parce que les thèses "négationnistes", avec ou sans l'épithète ou "ultragauche", n'ont jamais servi d'autre but que celui d'affaiblir la condamnation du capitalisme, en niant la vérité historique de ses crimes les plus monstrueux. Ensuite parce que, en remettant à la mode les thèses éculées de l'antisémite Faurisson, "l'ultragauche négationniste" a, déjà à l'époque  et au même titre qu'un Le Pen, bien servi la propagande bourgeoise de la gauche visant à entraîner les ouvriers derrière la défense de l'Etat démocratique au nom du "retour du péril fasciste". Enfin en drainant derrière lui un milieu d'intellectuels dont certains prétendaient "sympathiser" avec les positions de la Gauche communiste, pillant dans les principes de celle-ci pour essayer de les mêler aux délires négationnistes, elle oeuvrait déjà à la traîner dans la boue.

Quant à ceux qui, revenus de l'aventure faurissonienne en question, ont commis l'ouvrage collectif "Libertaires et 'ultragauche' contre le négationnisme" autour duquel s'est centrée la récente campagne de presse, ils contribuent encore plus subtilement à l'opération de dénigrement de la Gauche communiste.

Ces gens-là, après avoir largement pataugé dans la fange douteuse du "révisionnisme" aux relents antisémites, vomissent aujourd'hui des mea-culpa et prétendent se blanchir en multipliant les professions de foi antifasciste et démocratique. Qu'ils le fassent devant leurs procureurs démocrates et trotskistes et se fassent préfacer par Gilles Perrault, animateur du groupement anti-lepéniste "Ras-l'front", n'est pas pour nous étonner de la part de "révolutionnaires" en peau de lapin de cet acabit.

 Mais ils ne s'arrêtent pas là. Pour mieux se disculper de leurs errements passés, ils s'empressent d'en faire porter le chapeau... à la Gauche communiste dont les principes et en particulier l'attitude internationaliste devant la seconde guerre mondiale aurait contenu, en germes, les ingrédients fondateurs de leurs dérives négationnistes !

Nos "radicaux" ultragauche ex-révisionnistes s'en prennent ainsi à l'affirmation par la Gauche communiste que la barbarie nazie participait pleinement de la logique aveugle et meurtrière du capital et de la guerre impérialiste, comme y ont participé les massacres de Dresde et d'Hiroshima. Ce point de vue, qualifié aujourd'hui de "schématisme marxeux" par les anciens amis de P.Guillaume, aurait constitué la racine théorique des errances faurissoniennes ultra gauchistes. Insistant à longueur de page sur le caractère "original" et "à part" de la barbarie nazie, l'argumentaire de ces derniers rejoint sans complexe les attaques du Figaro et du Monde pour hurler avec eux : le pire des négationnismes n'est pas de nier les chambres à gaz, mais d'oser dénoncer, derrière le monstrueux instrument nazi, la main du capitalisme.

Mais le summum est atteint lorsque cette bande de repentis s’attaque à la position des communistes face à la seconde guerre mondiale. Le délire négationniste ultra gauchiste descendrait en droite ligne du "dogme" selon lequel "il n'y a pas plus de différences entre le fascisme et les démocraties qu'il n'y en avait en 1914 entre la France de Clémenceau et l'Allemagne du Kaiser" et serait l'héritage des "groupes issus de la gauche italienne et allemande" qui ont défendu, "qu'on se retrouvait (face à la 2è guerre mondiale) devant le même cas de figure que lors de la Première Guerre mondiale"[3]. Sans le dire ouvertement, on suggère lourdement au lecteur que c'est donc le "dogme borné" de l'internationalisme prolétarien, son refus de choisir un camp dans la boucherie impérialiste de 3945, à l'instar de Lénine en 1914, qui aurait empêché la Gauche communiste de "percevoir l'originalité du nazisme" et, ce faisant, qui aurait ouvert grand la porte aux thèses négationnistes ! Au cas où on n'aurait pas compris, la conclusion du bouquin est encore plus explicite lorsqu'elle taxe de "cheval de bataille néonazi", le "renvoi dos à dos les deux belligérants, les Etats totalitaires et les Etats démocratiques"[4] .

Convertis en défenseurs acharnés de la "normalité démocratique" du capitalisme contre "l'aberration" de sa forme fasciste, les repentis ultra-gauchistes ont donc achevé de rejoindre le camp de tous les va-t-en guerre, ceux qui, à toutes les époques, ont toujours trouvé des mots d'ordre "radicaux" pour entraîner les prolétaires derrière les drapeaux nationaux et justifier la boucherie impérialiste[5].

Vu la complaisance avec laquelle ces gens-là apportent de l'eau au moulin de la campagne de dénigrement contre la Gauche communiste, on pourrait se demander pourquoi la presse bourgeoise s'est acharnée sur ces trois pelés d'intellectuels manipulés au lieu de s'en prendre explicitement aux organisations bien réelles qui se réclament de la Gauche communiste. Il n'y a là aucun mystère. Plutôt que de faire une publicité ouverte à ces dernières et citer leur presse, mieux vaut pour la bourgeoisie montrer du doigt des ersatz inoffensifs (contre le capital tout au moins !) et faire vendre un bouquin qui contribuera d'autant mieux à dénaturer les positions de la Gauche communiste.


[1] Voir Révolution Internationale n°258 et 259.

[2] Voir Révolution Internationale n°17 et 18 : Du modernisme au néant.

[3] Libertaires et ultragauche contre le négationnisme, p.29.

[4] (4) Ibid., p.99.

[5] Qu'un Barrot, coauteur d'un ouvrage sur La Gauche Communiste en Allemagne et surtout responsable de la publication de textes de Bilan (principal représentant des positions défendues par la Gauche Communiste dans les années trente) sur la guerre d'Espagne, se retrouve côte à côte et sans les critiquer le moins du monde avec les tenants de cette entreprise crapuleuse, apporte de fait une caution à toute cette campagne dirigée contre la Gauche communiste.

Courants politiques: 

Bibliographie

Histoire en général

Histoire du fascisme ; Robert Paris, Maspéro - Paris 1962.

France

La légende de la "Gauche" au pouvoir ; Riviale et Barrot, La tête de feuille - Paris 1973 (critique du front populaire).

Espagne

Bilan - Contre révolution en Espagne, (1936-1939) ; 10/18 - Paris 1979 (reprint d'articles de Bilan - revue de la Gauche communiste italienne).

Guerre de classe en Espagne (1936-1937) ; Camillo Berneri, Spartacus - Paris 1977 (reprint d'articles de Berneri qui notamment fait une critique de la participation des anarchistes au gouvernement de Frente Popular Espagne).

Espagne, les fossoyeurs de la révolution ; M.Ollivier et K. Laudau, Spartacus - Reprint 1975.

Les journées sanglantes de Barcelone - 3 au 9 mai 1937 ; M. Ollivier, Spartacus -Reprint 1975.

Chroniques de la révolution espagnole ; H. Chazé, Spartacus - 1979.

Portugal

Portugal, l'autre combat ; Collectif, Spartacus - Paris 1975.

Mise au point ; Brochure sur les luttes ouvrières au Portugal, Bois-Colombes - 1975.

Ouvrages généraux de la Gauche communiste

Communisme et fascisme ; brochure contenant des textes historiques des années 20 de la Gauche communiste italienne, Editions "Programme communiste" - 3 rue Basse Combalot - 69007 Lyon.

Le principe démocratique ; Bordiga, Editions "Programme communiste" - 3 rue Basse Combalot - 69007 Lyon.

Auschwitz ou le grand alibi ; Editions "Programme communiste" - 3 rue Basse Combalot - 69007 Lyon.

L'antifascisme démocratique : un mot d'ordre anti-prolétarien qui a déjà fait ses preuves ; Editions "Programme communiste" - 3 rue Basse Combalot - 69007 Lyon.

Les conseils ouvriers ; A. Pannekoek, Spartacus, 1982 (sur le fascisme et la démocratie voir le tome II).

Index : Hommes politiques cités

France

Adolphe Thiers (1797 1877). Chef des versaillais en 1871, écrase la Commune de Paris. Premier Président de ce qui allait devenir la III° République en août 1871.

Chautemps Camille (1885 – 1963). Radical–socialiste. Président du Conseil, démissionne le 6 février 1934 à la suite de l'assassinat de Stavisky et des émeutes provoquées dans la journée par les Ligues d'extrême droite.

Cot Pierre. Radical-socialiste. Ministre de l'air en 1933-1934 et du gouvernement de Front Populaire de 1936 à 1938. Joue un rôle important dans la Résistance. Dans les années 60 se fait élire avec les voix communistes.

Déat Marcel (1894-1955). Socialiste jusqu'en 1933, "néo-socialiste" avec Marquet. Il fonde le Rassemblement National Populaire (RNP), parti fasciste, en juin 1941. Parti dans lequel des trotskistes du POI et de PCI ont fait de l'entrisme.

Duclos Jacques (1896 – 1975). Stalinien. Membre du comité central du PCF pendant toute la période où Thorez est secrétaire général du parti. En 1969, il fut candidat du PCF à la Présidence de la République.

Edouard Daladier (1884-1970). Radical socialiste. Il est Président du conseil de 1933 à 1934 et ministre de la défense du gouvernement de Front populaire de 1936 à 1937.

Edouard Herriot (1872-1957). Il constitue le "Cartel des gauches" qui triomphe aux élections de 1924 contre Poincaré. Il est Président du conseil de 1924 à 1925.

Flandin Pierre Etienne (1889 - 1958). Président de l'Alliance démocratique (centre droit). Président du conseil de1934 à 1935. Il devient le 13 décembre 1940 deuxième Chef du gouvernement de Vichy après Laval et jusqu'à son retour le 18 avril 1942.

Gaston Doumergue (1863 1937). Président du Conseil de 1913 à 1914, puis Président de la République de 1924 à 1931. Constitue le gouvernement d' "union nationale" après le 6 février 1934.

Georges Clémenceau (1841 1929). Président du conseil de 1917 à 1919. On l'appelle le "Père de la victoire" de la première guerre mondiale.

Jouhaux Léon (1879 – 1954). Secrétaire général de la CGT de 1909 à 1940, puis de la CGT-FO après 1948.

Jules Guesde (1845 – 1922). Principal acteur de la création du parti socialiste en France. D’abord socialiste de gauche condamnant l’entrée de Millerand dans le ministère Waldeck-Rousseau, il se rallie ensuite à l’Union sacrée pendant la guerre de 1914 et entre au gouvernement Viviani puis Briand.

Léon Blum (1872-1950). Leader de la SFIO. Chef du gouvernement de Front populaire de 1936 à 1937 et de décembre 1946 à janvier 1947.

Marceau Pivert (1895-1958). Principal animateur de “ l’aile gauche ” de la SFIO qui, sous un verbiage radical  de “ soutien critique ” au gouvernement de Front Populaire, aura puissamment contribué à mystifier dans l’embrigadement guerrier et derrière la bourgeoisie nationale les prolétaires les plus combatifs. C’est lui qui, au lendemain du Front Populaire, avait lancé la fameuse formule : “ Tout est possible ! ”, reprise ensuite par les trotskistes et les anarchistes. De même son antifascisme va-t’en-guerre virulent, le poussera à se rallier dès 1940 à un De Gaulle avec qui il entretiendra une correspondance suivie, avant de devenir membre du gouvernement Guy Mollet, chef de la SFIO.

Marcel Cachin (1869 1958). Un des fondateurs du PCF.

Paul Marchandeau (1882-1968). Membre du parti radical. Ministre en 1934.

Marquet Adrien (1884-1955). Socialiste puis fondateur, avec Déat, du "néo socialisme" en juillet 1933. Ils abandonnent "l'internationalisme" de la SFIO et se tournent vers les idées de Mussolini. Tient le haut du pavé sous le gouvernement de Vichy. En 1940 devient Ministre de l'Intérieur.

Pierre Laval (1883 - 1945). Deux fois Président du conseil en 1931 - 1932 et 1935 - 1936. De nouveau Président du conseil du régime de Vichy dès 1940 puis, à partir de 1942, premier Ministre du maréchal Pétain. Il est fusillé en 1945.

Thorez Maurice (1900 – 1964). Stalinien. Secrétaire du PCF depuis 1930 et pendant toute la période de la contre révolution jusque dans les années 60. Ministre en 1945 – 46, puis vice-Président du Conseil (1946 - 47).

Zyromsky Jean (né en 1890). "Néo guésdiste", demeure à la SFIO après le Congrès de Tours et y lutte contre le "réformisme". Secrétaire de la Fédération de la Seine, animateur de La Bataille socialiste. Fait partie de la gauche socialiste et dénonce la politique de non intervention en Espagne. Démissionne de la SFIO en 1945 pour rejoindre le PCF.

Allemagne

Bernstein Eduard. Social démocrate, un des principaux défenseur du "révisionnisme" avant la guerre de 1914 contre lequel Kautsky et Rosa Luxembourg polémiquent en défense du marxisme.

Braun Otto (1872-1955). Chef du gouvernement de Prusse en 1929 et, à ce titre, il organise et participe à la répression des manifestations ouvrières.

Brüning Heinrich (1885 – 1970). Chef du "centre catholique", Chancelier du Reich de 1930 à 1932 après la chute du Chancelier social démocrate et avant l'arrivée d'Hitler au pouvoir.

Ebert Friedrich (1871 – 1925).  Président du parti social démocrate. Il assume la charge des affaires courantes de la nouvelle république allemande en 1918. En 1919 il est élu premier président du Reich par la constituante et il le demeure de 1919 à 1925. Il meurt le 28 février 1925.

Von Hindenburg Paul (1847 – 1934). Maréchal, chef de l'Etat Major général allemand avec Ludendorf dès 1916. Dès septembre 1918 ces 2 principaux généraux de l'Etat Major demandent que le gouvernement du Reich signe l'armistice. Président du Reich de 1925 à 1934. Nomme Hitler Chancelier du Reich en 1933.

Noske Gustav (1868 - 1906). Social démocrate, gouverneur de Berlin en 1919 et à ce titre est le boucher de la Commune de Berlin en janvier 1919. Ministre de la Reichswehr en février 1919. Il recrute les corps francs.

Müller. Il fait partie de la droite - "centre catholique", et est soutenu par Hindenburg.

Von Papen Franz (1879 – 1969). Appartient au "centre catholique", Chancelier du Reich du 30 mai 1932 au mois de novembre 1933. Supprime l'interdiction des SS et des SA. Il soutient le nazisme.

Scheidemann.  (1865-1939). Social démocrate. Il proclame avec Ebert la république allemande  le 9 novembre 1918.

Von Schleicher Kurt. Général, gouverne en 1932 avec Von Papen après avoir renversé le gouvernement de Brüning. Puis il devient Chancelier avant la victoire électorale de Hitler en janvier 1933 et sa venue au pouvoir fin janvier 1933. Assassiné par Hitler le 30 juin 1934.

Breitscheid Rudolf (1874-1944). Social démocrate. Ministre de l'Intérieur pendant la révolution allemande de novembre 1918 à janvier 1919.

Zoergiebel. Social démocrate, Prefet de Berlin en 1929 et à ce titre réprime les ouvriers.

Autriche

Bauer Otto. Principal chef de file et théoricien du parti social démocrate autrichien et de "l'austro marxisme".

Dolfus Engelbert (1892 - 1934). Chancelier du gouvernement, appartient au parti catholique.

Espagne

Ascasso Francisco (1901- 1936). Compagnon de Durruti. Il avait animé plusieurs insurrections de 1932 à 1935. Il meurt les premiers jours de la guerre civile à Barcelone.

Azana Manuel. (1880- 1940). Chef du gouvernement espagnol en 1933, en 1936 après la victoire électorale du bloc électoral des gauches, puis Président de la République. Il appartient à la "gauche républicaine" c'est-à-dire les républicains bourgeois.

Barrio Martinez Diego. Chef du deuxième grand parti bourgeois de gauche "l'Union républicaine".

Caballero Largo. Chef du gouvernement républicain, avant le gouvernement Négrin favorable aux staliniens.

Casanovas Juan. Président du parlement catalan.

Companys y Rover Luis (1883 - 1940) Président de la Généralité de Catalogne en 1936; le chef du gouvernement étant Taradellas.

Durutti Buenaventura (1896 - 1936) Membre de la CNT, organisateur de la résistance ouvrière à Barcelone en 1936. Chef de la première co­lonne de miliciens qui marche sur Saragosse. Assassiné à Madrid en 1936, certainement par les staliniens.

Juan Garcia Oliver. Principal dirigeant de la CNT en Catalogne. Ministre de la justice dans le gouvernement Largo Caballero.

Giral Pereira José (1879-1962). Président du Conseil en juillet 36, ministre des affaires étran­gères dans le ministère Négrin en mai 1937.

Cabanellas. Général.

Demandez Jésus. Stalinien. Ministre du Gouvernement Largo Caballero, il va être à l'origine de la chute de ce ministère. Commissaire général de l'armée en 1938.

La Pasionaria", Dolorés Ibarruri (1895-1989). Stalinienne. Dirigeante du PCE dès 1930.

Mola Vidal Emilio (1887 - 1837). Général loyaliste devenu franquiste.

Nin Andrés (1892-1937). Secrétaire national de la CNT en 1921. Membre de l'Internationale Communiste dans les années 20, puis secrétaire Je l'Internationale Syndicale Rouge (ISR). Appartient à l'Opposition de Gauche en Russie. Il est expulsé de Russie en 1930 et rentre en Espagne. Il  est d'abord un des fondateurs de 'Opposition de Gauche espagnole avant de rompre avec Trostky en 1932. Il fonde le 'OUM qui est un regroupement avec le Bloc ouvrier de Catalogne (BOC) de Joaquin Maurin avec de très fortes tendances catalanistes). Il devient ministre de la justice de la Généralité de "Catalogne en 1936, avant d'être assassiné par les staliniens en juin 1937.

Priéto. (1883-1962). Leader de l'aile modérée du PSOE. Ministre de la marine et de l'air dans le cabinet Largo Caballero (août 1936 - mai 193 7) et de la Défense dans celui de Juan Negrin de mai 37 à mars 38.

Quiroga Camerès Santiago (1884-1950). Chef du gouvernement au moment du soulèvement des ouvriers. Il refuse de leur donner des armes. II démissionne aux premières heures du soulè­vement militaire. Il est remplacé par le gouvernement Barrio qui a tenté une conciliation avec le général Mola.

UribeVicente (1902 -1961). Stalinien, ministre de l'agriculture de septembre 1936 à mars 1939.

Italie

Gramsci Antonio (1891 - 1937). Un des fondateurs avec Bordiga du Parti Communiste Italien en 1921 à Livourne.

Nenni. Pietro (1891 -1980). En exil, il devient en 1931 secrétaire général du Parti socialiste italien. Il participe à la guerre d'Espagne (1936 - 1938). Participe à divers ministère de 1945 à 1969.

Berneri Camillo (1897 - 1937). Anarchiste italien qui s'oppose à la participation des anar­chistes au gouvernement de Front populaire. Il est assassiné par les stalinien avant les événe­ments de Mai 1937 de Barcelone, (cf. sa revue Guerra di Classe et ses lettres dans les Cahiers Spartacus n°85).

Grande-Bretagne

Henderson Arthur (1863-1935). travailliste anglais et syndicaliste. Un des leaders du parti travailliste.