Effondrement du Stalinisme - Introduction

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Depuis deux ans la bourgeoisie déchaîne contre la classe ouvrière, dans le monde entier, une attaque idéologique d’une rare violence. S’appuyant sur un déploiement médiatique considérable et au moyen d’un bourrage de crâne intensif, elle cherche à faire passer l’idée mensongère selon laquelle l’effondrement des régimes staliniens serait celui du communisme.

Si la bourgeoisie s’attaque ainsi directement et spécifiquement à la classe ouvrière c’est parce que celle-ci constitue la seule force dans la société qui représente un danger mortel pour sa domination. Face à la faillite avérée et insoluble du système capitaliste, qui entraînera l’humanité à sa destruction totale s’il n’est pas renversé avant, la classe ouvrière est la seule force qui soit capable de proposer une issue, une alternative.

L’ignominieuse assimilation du stalinisme au communisme, qui est faite depuis toujours, et surtout, aujourd’hui, le battage écœurant qui nous est assené sur « la mort du communisme » constituent, pour la bourgeoisie, les fondements d’une gigantesque entreprise d’affaiblissement de la classe ouvrière et d’anéantissement de sa conscience. La bourgeoisie cherche ainsi à tuer dans l’œuf toute velléité de remettre en cause radicalement et définitivement sa domination et toute idée qu’il puisse exister une alternative à son système barbare. En bref, elle cherche à anéantir la perspective prolétarienne. Voilà pourquoi elle ne cesse de traîner dans la boue le mouvement ouvrier, ses heures de gloire (octobre 1917), ses organisations révolutionnaires (le parti bolchevique) et ses grandes figures (Marx, Lénine).

Et si « le communisme est mort », par contre, toujours selon la bourgeoisie, on assisterait aujourd’hui au « triomphe de la démocratie et du capitalisme libéral ». Pour tenter de nous en convaincre, lors de la chute du mur de Berlin, elle a exploité à fond les scènes de liesse de ces masses libérées du joug stalinien ainsi que les images de ces ouvriers de l’Est déambulant dans les rues de Berlin Ouest, ivres d’illusions sur le « paradis occidental ». A propos de la Roumanie, elle a même poussé jusqu’à falsifier la réalité des évènements, à travers des informations montées de toutes pièces pour appuyer sa campagne idéologique : souvenons-nous de la grossière mise en scène du charnier de Timisoara et de la chute de Ceausescu qu’elle a fait passer pour une « révolution populaire », alors que ce ne fut qu’un vulgaire putsch de palais. En août 1991, elle a continué à exploiter le même type de procédé : elle a présenté comme un « formidable mouvement populaire » « pour la démocratie contre le communisme » le coup d’état en URSS -un épisode supplémentaire du chaos inextricable dans lequel s’enfonce ce pays- qui a mis aux prises deux fractions rivales de la bourgeoisie au sein de l’Etat soviétique. Enfin elle se délecte des manifestations légitimes de haine contre tout ce qui symbolise aux yeux des populations à l’Est l’oppression stalinienne. Elle jubile sans retenue lorsque ces mêmes populations, trompées sur la cause de leurs souffrances, déboulonnent les statues de Lénine.

Si la bourgeoisie est capable de conférer à ses campagnes actuelles une efficacité redoutable c’est parce que, une fois de plus, elle a recours à l’une des supercheries les plus énormes de l’histoire, celle que toutes ses fractions, des PC à l’extrême droite en passant par les sociaux-démocrates, ont de façon complice montée et entretenue depuis plus de 60 ans (sans oublier le courant trotskiste qui apporte sa contribution depuis la seconde guerre mondiale) : le stalinisme serait la continuité du régime politique issu de la révolution de 1917 en Russie. Le stalinisme serait donc du communisme.

La bourgeoisie récrit ainsi l’histoire de façon falsificatrice, mais la réalité est toute autre:

  • Le stalinisme, en tant que régime politique, n’est que la forme particulière prise par le pouvoir du capital en Russie, suite à la défaite de la grande vague révolutionnaire qui a secoué le monde au début de ce siècle. C’est la bourgeoisie de tous les pays qui a réussi à vaincre la révolution mondiale, avant qu’elle ne se généralise, en liguant contre elle les forces de ses différentes fractions nationales qui, la veille encore, s’affrontaient dans la première guerre mondiale. C’est elle qui, en étouffant la révolution russe par le blocus de ses frontières, a hâté son processus de dégénérescence et la perte progressive, par le prolétariat, de son pouvoir politique. C’est ainsi qu’objectivement elle a favorisé la victoire en Russie du stalinisme.
  •  Le stalinisme a été l’artisan de la contre-révolution en Russie où il s’est imposé par la répression systématique et massive de la classe ouvrière, par l’élimination au sein du parti bolchevique, de ceux qui avaient été les principales figures d’Octobre 1917. Loin de représenter une continuité avec le mouvement révolutionnaire, le stalinisme a été, au contraire, son principal bourreau. Dans les années 30, partout dans le monde il a été, à travers les PC, le bras armé de la contre-révolution au sein du prolétariat, se chargeant de la répression et de l’élimination des militants révolutionnaires et surtout de l’embrigadement des masses ouvrières sur le terrain bourgeois du nationalisme pour les mener à s’entretuer dans la deuxième guerre mondiale. Depuis, ces partis qui se disent « communistes » n’ont cessé de figurer partout parmi les plus ardents défenseurs des intérêts de leur capital national contre la classe ouvrière.
  • Le stalinisme n’est qu’une forme particulière et caricaturale du capitalisme d’Etat et s’est distingué dès le début par une exploitation forcenée de la force de travail. La classe dominante qui s’est développée à partir de la bureaucratie de l’appareil d’Etat, s’y est appropriée, tout comme dans tout autre pays capitaliste, la plus-value résultant de l’exploitation de la classe ouvrière. Ce qui diffère avec d’autres pays capitalistes, c’est que cette appropriation s’y effectue collectivement à travers l’appareil d’Etat, du fait de la disparition de la propriété individuelle.
  • Le stalinisme n’a rien à voir avec le communisme, il en est même une négation. Le communisme ne peut exister qu’à l’échelle mondiale. Ainsi parler de « patrie socialiste » ou revendiquer « le socialisme dans un seul pays » est non seulement une aberration du point de vue du prolétariat mais surtout un mensonge et une mystification bourgeoise. Les Etats dits socialistes qui se sont créés et maintenus sur une base nationale ne sont que des Etats capitalistes.De plus, alors que le communisme, en tant que société sans classe, exige l’abolition de l’Etat, les régimes staliniens, eux, n’ont connu qu’un développement hypertrophique de ce même état, et sa domination par la terreur sur l’ensemble de la société.

Enfin, alors que le communisme c’est l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme, c’est la pleine satisfaction des besoins humains, le stalinisme n’a été, en particulier pour la classe ouvrière, qu’exploitation féroce, pénurie, rationnement et misère noire.

Si aujourd’hui, la bourgeoisie démocratique n’a pas de mots assez durs pour dénoncer le stalinisme, c’est pour mieux souiller le communisme, mais aussi pour mieux nous faire croire qu’elle a toujours été son ennemi juré. L’hypocrisie et le mensonge atteignent ici des sommets. Ces mêmes démocraties n’ont jamais répugné à collaborer avec Staline et les siens quand leurs intérêts fondamentaux le leur commandaient. Souvenons-nous que, durant les années 20 et après, elles l’ont soutenu dans la traque et l’élimination de tous les opposants (« vieille garde bolchevique », « opposition de gauche », « gauche communiste ») à son régime. Souvenons-nous que, durant la deuxième guerre mondiale, ils se sont alliés à lui pour la défense de leurs intérêts impérialistes contre le bloc d’Hitler. Souvenons-nous comment, à la fin de la guerre, ils ont favorisé l’occupation russe partout où avaient surgi des révoltes ouvrières (notamment à Varsovie et Budapest après les massacres commis par les troupes hitlériennes) pour mieux assurer la répression et le maintien l’ordre. Souvenons-nous comment Roosevelt et Churchill ont récompensé Staline à Yalta pour tous les services rendus.

Dans le mouvement ouvrier le combat contre le stalinisme -en tant que falsification de la perspective prolétarienne et en tant qu’ennemi mortel de la classe ouvrière- n’est pas une "nouveauté" Il s’est développé dans le parti bolchevique même et au sein des PC dès les années 20. Ensuite, il s’est poursuivi dans les groupes de la Gauche communiste en particulier. C’est un combat d’une importance capitale pour le prolétariat et, le CCI, en tant qu’héritier de cette gauche, l’a repris, dés sa fondation, en le plaçant au centre de ses positions programmatiques : « Les soi-disant « pays socialistes » (Russie, Bloc de l’Est, Chine, Cuba, etc.) sont une expression particulière de la tendance universelle au capitalisme d’Etat, lui-même expression du déclin du capitalisme. Il n’y a pas de « pays socialistes » dans le monde; ces pays ne sont que des bastions capitalistes que le prolétariat devra détruire, tout comme n’importe quel autre Etat capitaliste. »[1]. Dans ce combat le CCI a toujours trouvé, et trouve encore, face à lui, les groupes trotskistes qui présentent la Russie comme un « Etat ouvrier dégénéré », c’est à dire un état non capitaliste, pour la défense duquel la classe ouvrière devait se battre afin de préserver de soi-disant acquis « socialistes ».

Le stalinisme en crevant rend un dernier grand service à la bourgeoisie en lui permettant de développer son ignoble campagne sur la « mort du communisme ».

Par cette campagne idéologique sans précédent -pour laquelle elle a mobilisé toutes ses forces, de l’extrême droite à l’extrême gauche- elle attaque la classe ouvrière en profondeur au niveau de sa conscience, cherchant ainsi à la soumettre définitivement à sa domination. Voilà pourquoi elle s’évertue à lui faire renier sa propre histoire et à l’écarter de sa propre perspective. Voilà pourquoi elle veut faire croire que le capitalisme est le seul système viable et que la démocratie bourgeoise est le régime politique idéal. La classe ouvrière n’a pas d’autre choix que de tout faire pour repousser cet assaut redoutable de l’ennemi. En mettant en relief la réalité profonde du stalinisme, de son effondrement, en combattant la campagne et les mensonges assenés par la bourgeoisie, c’est à cette tâche prioritaire que veut contribuer cette brochure[2].

Face au chaos grandissant et à la barbarie qu’engendre le capitalisme partout dans le monde -dont l’effondrement des Etats staliniens a été une manifestation et un puissant facteur d’accélération- il est de la première importance que le prolétariat prenne conscience des responsabilités immenses qui sont les siennes pour sauver l’humanité de l’anéantissement vers où l’entraîne ce système en décomposition. Les enjeux sont plus clairs que jamais et se résument toujours ainsi : « SOCIALISME OU BARBARIE », « REVOLUTION PROLETARIENNE MONDIALE OU DESTRUCTION DE L’HUMANITE ».

Pour mener ce combat vital et le mener jusqu’à la victoire, la classe ouvrière doit prendre conscience de ses capacités gigantesques notamment en se réappropriant sa propre histoire, en se souvenant qu’à travers sa mobilisation internationale sur le terrain révolutionnaire, elle a contraint la bourgeoisie, au début de ce siècle, à mettre un terme à la première boucherie mondiale, et elle a ébranlé son système jusque dans ses fondements. Elle doit en particulier se revendiquer de l’expérience inestimable qu’a constitué la prise du pouvoir d’Octobre 1917 en Russie qui n’a rien à voir avec la contre révolution stalinienne.

En rejetant les mensonges que déverse aujourd’hui la bourgeoisie, elle doit affirmer haut et fort, avec Rosa Luxembourg[3], que « l’avenir appartient partout au bolchevisme ».

CCI. Novembre 91

 

[1] Extrait du résumé de nos positions, dans la forme qu’il avait avant son actualisation récente, nécessitée par l’effondrement des régimes staliniens, et figurant au dos de toutes les publications di CCI

[2] constituée à partir d’articles ou d’extraits d’articles des différentes presses territoriales du CCI ou de sa Revue Internationale.

[3] In "la révolution Russe"