Soumis par Révolution Inte... le
Après huit années d'une campagne de propagande intensive dédiée à la prétendue « mort du communisme », la bourgeoisie mondiale a répondu au 80e anniversaire de la révolution russe d'octobre 1917 en simulant une grande indifférence et un désintérêt pour les évènements révolutionnaires de l'époque. Dans la plupart des pays, y compris en Russie même, cet anniversaire a été relégué à la seconde ou à la troisième place des informations télévisées. Le lendemain, la presse commentait l'événement en déclarant que la révolution russe avait perdu toute valeur pour le monde actuel et ne comportait désormais d'intérêt que pour les historiens. Et les mouvements de protestation ouvriers qui avaient lieu à peu près au même moment fournissaient aux médias une occasion de souligner avec une satisfaction notable que la lutte de classe elle-même était maintenant « libérée de la confusion idéologique et de la poursuite de buts finaux dangereusement utopiques. » ([1])
En fait, cette indifférence feinte pour la révolution prolétarienne, qui n'aurait d'intérêt que pour la « science historique » bourgeoise « dépassionnée », représente une nouvelle étape, qualitativement supérieure de l'attaque capitaliste contre l'Octobre rouge. Sous couvert d'étudier les résultats des recherches de ses historiens, la classe dominante a lancé, à travers un « débat public », une nouvelle campagne à l'échelle mondiale contre « les crimes du communisme ». Ce « débat » fait porter à la révolution russe et au parti bolchevik non seulement la responsabilité des crimes de la contre-révolution capitaliste stalinienne mais également indirectement celle des crimes du nazisme puisque « la dimension et les techniques de la violence de masse ont été inaugurées par les communistes et que (...) les nazis s'en sont inspirés » ([2]). Pour les historiens bourgeois, le crime fondamental commis par la révolution russe, c'est d'avoir remplacé la « démocratie » par une idéologie « totalitaire » menant à l'extermination systématique de l'« ennemi de classe ». Le nazisme, nous dit-on, a surgi en s'inspirant de cette tradition non démocratique de la révolution russe : il n'a fait que remplacer la « guerre de classe » par la « guerre de races ». La leçon que la bourgeoisie tire de la barbarie de son propre système décadent, c'est que la démocratie bourgeoise, précisément parce qu'elle n'est pas un « système parfait » mais laisse une place à la « liberté individuelle », constitue ce qu'il y a de plus adapté à la nature humaine et que toute tentative de la mettre en question ne peut que mener à Auschwitz ou au Goulag.
Depuis 1989, l'efficacité de l'attaque de la bourgeoisie contre le communisme et la révolution russe s'appuyait principalement sur l'impact réel qu'avait eu l'effondrement des régimes staliniens à l'Est avec l'énorme propagande présentant cet effondrement comme celui du communisme. La bourgeoisie n'avait même pas à chercher des arguments historiques pour défendre ce mensonge. Aujourd'hui l'impact de ces campagnes s'est affaibli avec l'incapacité du capitalisme et de la démocratie bourgeoise « style occidental », prétendument victorieux, à mettre un terme au déclin économique et à la paupérisation de masse ni à l'est, ni à l'ouest. Bien que la combativité et surtout la conscience du prolétariat aient été sévèrement atteintes par les événements et la propagande qui ont suivi la chute du mur de Berlin, la classe ouvrière n'a pas adhéré massivement à la défense de la démocratie bourgeoise et reprend lentement le chemin de la lutte et de la combativité contre les attaques capitalistes. Au sein de petites minorités politisées dans le prolétariat se manifeste un renouveau d'intérêt pour l'histoire de la classe ouvrière en général et pour celle de la révolution russe et de la lutte des courants marxistes contre la dégénérescence de l'Internationale en particulier. Aussi, même si la bourgeoisie contrôle relativement facilement la situation sociale au niveau immédiat, ses inquiétudes face à l'effondrement progressif de son économie et face au potentiel de combativité et de réflexion toujours présent au sein du prolétariat l'obligent à intensifier ses manoeuvres et ses attaques idéologiques contre son ennemi de classe. C'est pourquoi la bourgeoisie a organisé des manoeuvres comme celle de la grève du secteur public en décembre 1995 en France ou celle de la grève d'UPS, la principale société de courrier privé aux Etats Unis en 1997, dans le but spécifique de renforcer l'autorité de son appareil de contrôle syndical. C'est aussi pourquoi la classe dominante a répondu au 80e anniversaire de la révolution d'octobre par un flot de livres et d'articles visant à la falsification de l'histoire et au discrédit de la lutte du prolétariat.
Loin de bannir ces questions des universités, ces « contributions » sont devenues le sujet de « débats publics » et de « controverses » intenses ayant pour but de détruire la mémoire de la classe ouvrière. En France, Le livre noir du communisme, qui assimile les victimes de la guerre civile post-révolutionnaire (imposée au prolétariat par l'invasion de la Russie par les armées blanches contre-révolutionnaires) à celles de la répression stalinienne (une contre-révolution capitaliste subie par le prolétariat et la paysannerie) dans une liste indifférenciée de 100 millions de « victimes des crimes du communisme », a même été discuté à l'Assemblée nationale ! En même temps que les mensonges habituels sur la révolution russe, comme celui d'un prétendu « putsch bolchevik », ce Livre noir a été utilisé pour lancer une calomnie qualitativement nouvelle avec pour la première fois un « débat » tapageur sur la question de savoir si oui ou non le « communisme » était pire que le fascisme. Les co-auteurs de ce livre pseudo-scientifique, pour la plupart des ex-staliniens, font tout un barouf sur le désaccord entre eux sur la question. Dans les pages du journal Le Monde ([3]), l'un d'entre eux, Courtois, accuse Lénine de crime contre l'humanité et déclare : « le génocide de "classe" rejoint le génocide de "race" : la mort par la famine de l'enfant d'un koulak ukrainien délibérément affamé par le régime stalinien "équivaut" à la mort de famine d'un enfant juif dans le ghetto de Varsovie sous le régime nazi ». D'un autre côté, certains de ses collaborateurs mais aussi le premier ministre français Jospin considèrent que Courtois va « trop loin » en mettant en question le « caractère unique » des crimes du nazisme. Au Parlement, Jospin a « défendu » l' « honneur du communisme » (identifié à l'honneur de ses collègues ministres du Parti communiste français stalinien), sur le thème que même si le « communisme » avait tué plus de gens que le fascisme, il était moins barbare car motivé par de « bonnes intentions ». Toutes les polémiques internationales provoquées par ce livre – depuis la question de savoir si ses auteurs exagéraient le nombre de victimes en « arrondissant » leur chiffre à 100 millions, jusqu'à la difficile question « éthique » de savoir si oui ou non Lénine était « aussi mauvais » qu'Hitler –, toutes servent à discréditer la révolution d'octobre 1917, l'expérience la plus importante sur le chemin de la libération du prolétariat et de l'humanité. Les protestations, à travers l'Europe, des vétérans staliniens de la Résistance en lutte contre l'Allemagne pendant la deuxième guerre mondiale ne servent pas d'autre but aujourd'hui que celui de renforcer le mensonge selon lequel la révolution russe aurait été responsable des crimes de son ennemi mortel, le stalinisme. Courtois le « radical » comme Jospin le « raisonnable », à l'image de l'ensemble de la bourgeoisie, ont en commun les mêmes mensonges capitalistes qui constituent le fondement du Livre noir. En font partie le mensonge, constamment asséné sans la moindre preuve, selon lequel Lénine serait responsable de la terreur stalinienne, et la mystification selon laquelle la « démocratie » constitue la seule « sauvegarde » contre la barbarie. En réalité, tout ce déploiement du pluralisme démocratique d'opinion et d'indignation humanitaire ne sert qu'à cacher la vérité historique : tous les grands crimes de ce siècle ont en commun la même nature bourgeoise de classe, pas seulement les crimes du fascisme et du stalinisme mais aussi ceux de la démocratie, depuis Hiroshima et le bombardement de Dresde ([4]) jusqu'aux famines infligées à un quart de l'humanité par le capitalisme « libéral » décadent. En réalité, tout ce débat moraliste pour savoir quels crimes du capitalisme sont les plus condamnables est en lui-même aussi barbare qu'il est hypocrite. Tous les participants à ce débat bourgeois truqué sont là pour prétendre démontrer la même chose : toute tentative d'abolir le capitalisme, de défier la démocratie bourgeoise, aussi « idéaliste » ou « bien intentionnée » soit-elle au départ, est vouée à finir dans la terreur sanglante.
En fait, selon Jospin et le chancelier docteur en histoire Helmut Kohl, les causes du « plus long et plus vaste règne de la terreur » et de la « tragédie paradoxale » du communisme résideraient dans la vision utopique de la révolution mondiale qu'avaient les bolcheviks de la période originelle de la révolution d'octobre. Dans la presse bourgeoise allemande, Le Livre Noir français a donné lieu à une défense du caractère responsable de l'antifascisme stalinien, en opposition à la « folle utopie marxiste » de la révolution d'octobre 1917 et de la révolution mondiale. Cette « folie » consistait à vouloir dépasser la contradiction capitaliste entre le travail internationalement associé sur un marché mondial unique et la concurrence mortelle des Etats nationaux bourgeois pour les produits du travail : tel serait le « péché originel » du marxisme, sa violation de la « nature humaine » dont la bourgeoisie se préoccupe tant.
La bourgeoisie ressort les vieux mensonges sur la révolution russe
Alors que pendant la « guerre froide », beaucoup d'historiens occidentaux réfutaient la continuité entre stalinisme et révolution d'octobre 1917 afin d'empêcher leur rival impérialiste oriental de profiter du prestige de ce grand événement, aujourd'hui, la cible de leur haine n'est plus le stalinisme mais le bolchevisme. Si la menace constituée par la rivalité impérialiste de l'URSS a disparu, ce n'est pas le cas pour la menace de la révolution prolétarienne. C'est contre cette menace que les historiens bourgeois raniment aujourd'hui tous les vieux mensonges inventés pendant la révolution elle-même par la bourgeoisie frappée de panique selon lesquels les bolcheviks étaient des « agents payés par les allemands », Octobre un « putsch bolchevik », etc. Ces mensonges développés à l'époque par les adeptes de Kautsky ([5]) pouvaient exploiter le black-out de la bourgeoisie sur ce qui se passait réellement en Russie. Aujourd'hui, alors qu'ils disposent plus que jamais de preuves documentaires, les plumitifs à la solde de la bourgeoisie déversent les mêmes calomnies que celles de la Terreur blanche.
Aujourd'hui, ce ne sont pas seulement les ennemis ouverts de la révolution russe qui reproduisent ces mensonges mais aussi ses soi-disant défenseurs. Dans le cinquième numéro des Annales sur le communisme produit par l'historien stalinien Hermann Weber et dédié à la révolution d'Octobre ([6]), la vieille idée menchevique selon laquelle la révolution était prématurée est remise au gout du jour par Moshe Lewin qui vient de découvrir que la Russie en 1917 n'était pas mûre pour le socialisme, ni même pour la démocratie bourgeoise, à cause de l'arriération du capitalisme russe. Cette explication de la supposée arriération et de la barbarie du bolchevisme nous est également servie dans le nouveau livre A people's tragedy de l'« historien » Orlando Figes qui a provoqué un débordement d'enthousiasme bourgeois en Grande-Bretagne. Il y est affirmé qu'Octobre était fondamentalement l'oeuvre d'un seul et méchant homme, un acte dictatorial du parti bolchevik, lui-même sous la dictature personnelle du « tyran » Lénine et de son acolyte Trotsky : « Ce qui est remarquable dans l'insurrection bolchevique, c'est que quasiment aucun de ses dirigeants ne voulait qu'elle ait lieu quelques heures encore avant qu'elle ne commence » ([7]). Figes « découvre » que la base sociale de ce « coup d'Etat » n'était pas la classe ouvrière mais le lumpen prolétariat. Après des remarques préliminaires sur le bas niveau d'éducation des délégués bolcheviks des soviets (dont la connaissance de la révolution n'a pas été acquise, il faut bien l'admettre, à Oxford ou à Cambridge !), Figes conclut : « C'était plus le résultat de la dégénérescence de la révolution urbaine, et en particulier du mouvement ouvrier en tant que force constructive et organisée, avec le vandalisme, le crime, la violence généralisée, le pillage d'alcooliques comme expressions principales de cette rupture sociale. (...) Les participants à cette violence destructrice n'étaient pas la ’classe ouvrière‘ organisée, mais les victimes de l'éclatement de cette classe et de la dévastation des années de guerre : l'armée croissante des chômeurs urbains ; les réfugiés des régions occupées, les soldats et les marins qui s'aggloméraient dans les villes, les bandits et les criminels relâchés des prisons ; et les travailleurs non qualifiés de la campagne qui ont toujours été les plus enclins à des explosions de violence anarchique dans les villes. C'étaient des gens de type semi-paysans que Gorki a rendu responsables de la violence urbaine au printemps et au soutien desquelles il a attribué la fortune croissante des bolcheviks. » Voilà comment la bourgeoisie « réhabilite » la classe ouvrière et la lave de l'accusation d'avoir une histoire révolutionnaire. Par sa façon d'ignorer froidement les faits incontournables prouvant qu'Octobre 1917 a été le fait de millions d'ouvriers révolutionnaires organisés en conseils ouvriers, les fameux soviets, c'est la lutte de classe d'aujourd'hui et de demain qui est la cible des falsifications de la bourgeoisie.
Plus que jamais auparavant les dirigeants de la révolution d'Octobre sont devenus l'objet de la haine et des dénigrements de la classe dominante. La plupart des livres et des articles récemment parus sont avant tout des condamnations de Lénine et de Trotsky. L'historien allemand Helmut Altrichter par exemple commence son nouveau livre Russland 1917 par les mots suivants : « Au début n'était pas Lénine ». Tout son livre, tout en prétendant montrer que les masses et non les chefs font l'histoire, se présente comme une « défense passionnée » de l'initiative autonome des ouvriers russes, jusqu'à ce que, hélas, ils s'enthousiasment pour les mots d'ordre « fourbes » de Lénine et Trotsky qui rejetaient la démocratie dans ce qu'ils appelaient scandaleusement « les poubelles de l'histoire ».
Des milliers de pages sont remplies pour « prouver » que, bien qu'il ait dirigé la dernière grande lutte de son histoire contre Staline et la couche sociale des bureaucrates d'Etat qui soutenait ce dernier, appelant à sa destitution dans son fameux « testament », Lénine avait désigné Staline comme son « successeur ». Particulièrement frappante est l'insistance sur l'attitude « antidémocratique » de Trotsky. Alors que le mouvement trotskiste a rejoint les rangs de la bourgeoisie pendant la deuxième guerre mondiale, la figure historique de Trotsky est restée particulièrement dangereuse pour la classe dominante. Trotsky symbolise à la fois le plus grand « scandale » de l'histoire humaine : une classe exploitée qui renverse ses dirigeants en octobre 1917, qui tente d'étendre sa domination à travers le globe avec la fondation de l'Internationale Communiste, qui organise la défense militaire de cette domination avec l'Armée rouge pendant la guerre civile et qui entame la lutte marxiste contre la contre-révolution stalinienne bourgeoise. C'est ce que la bourgeoisie maudit plus que tout et qu'elle veut éradiquer à tout prix de la mémoire collective de la classe ouvrière :
– le fait que la classe ouvrière a renversé la bourgeoisie et est devenue la classe dominante en octobre 1917 ;
– le fait que le marxisme était le fer de lance de la lutte prolétarienne contre la contre-révolution stalinienne soutenue par la bourgeoisie mondiale.
C'est grâce aux efforts des contre-révolutionnaires occidentaux que la révolution allemande a fini par être vaincue en 1923 et grâce à leurs efforts combinés avec ceux des staliniens que le prolétariat a été écrasé en 1933. C'est grâce à eux que la grève générale en Grande-Bretagne en 1926, que la classe ouvrière chinoise en 1926-1927, que la classe ouvrière espagnole pendant la guerre civile des années 1930, ont été défaites. La bourgeoisie mondiale a soutenu la destruction par le stalinisme des vestiges de la domination prolétarienne en Russie et de ceux de l'Internationale Communiste. Aujourd'hui, la bourgeoisie cache le fait que les 100 millions de victimes, ce chiffre horrifiant compilé à la sauce de l'ouvrage capitaliste Le livre noir du communisme, ont été des victimes des crimes de la bourgeoisie, de la contre-révolution capitaliste dont fait partie intégrante le stalinisme, et que les véritables communistes internationalistes furent les premiers touchés par cette barbarie.
Les intellectuels démocrates bourgeois qui se sont maintenant portés à la pointe de l'attaque contre la révolution d'Octobre, à part faire avancer leur carrière et augmenter leurs revenus, ont un intérêt spécifique propre à faire table rase de l'histoire. C'est leur intérêt de cacher la servilité méprisable de l'intelligentsia bourgeoise aux pieds de Staline depuis les années 1930. Ce sont non seulement les écrivains staliniens comme Gorki, Feuchtwanger ou Brecht ([8]) mais également tout le gotha des historiens et des moralistes démocrates bourgeois, des Webbs jusqu'au « pacifiste » Romain Rolland, qui ont mis Staline sur un piedestal, défendu bec et ongles les procès de Moscou et soutenu la chasse aux sorcières contre Trotsky. ([9])
Une offensive contre la perspective de la lutte du prolétariat
La falsification de l'histoire révolutionnaire de la classe ouvrière est en réalité une attaque contre la lutte de classe actuelle. En tentant de détruire la perspective historique du mouvement du prolétariat, la bourgeoisie déclare la guerre au mouvement de classe lui-même. « Le but final socialiste est le seul moment décisif qui distingue le mouvement social-démocrate de la démocratie bourgeoise et du radicalisme bourgeois, transformant l'ensemble du mouvement ouvrier d'un futile travail de réparation pour le sauvetage de l'ordre capitaliste en une lutte de classe contre cet ordre, pour abolir cet ordre. » ([10])
Déjà la séparation, par Bernstein, du but et du mouvement de la lutte de la classe ouvrière au tournant du siècle avait constitué la première attaque à grande échelle pour liquider le caractère révolutionnaire de la lutte de classe prolétarienne. Dans l'histoire du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat, les périodes de surgissement de la lutte et de développement de la conscience ont toujours été des périodes de clarification difficile mais réelle concernant le but final du mouvement ; les périodes de défaite ont été des moments d'abandon de ce but par les grandes masses.
La période présente qui s'est ouverte en 1968 a été caractérisée dès le début par l'apparition de débats sur le but final de la révolution prolétarienne. La vague internationale de luttes ouverte en mai-juin 1968 en France était caractérisée précisément par rien moins que la contestation, par une nouvelle génération d'ouvriers qui n'avaient pas connu la défaite et la guerre, à la fois de l'appareil de gauche du capital (syndicats et partis de « gauche ») et de la définition bourgeoise du socialisme donnée par cet appareil. La fin de 50 années de contre-révolution stalinienne était donc nécessairement et inévitablement marquée par l'apparition d'une nouvelle génération de minorités révolutionnaires. La campagne de propagande actuelle contre le communisme, contre la révolution d'Octobre, loin de constituer une question académique, est une question centrale de la lutte de classe en général aujourd'hui et qui requiert en particulier la réponse la plus déterminée des minorités révolutionnaires de la Gauche communiste dans le monde entier. Et cette question est d'autant plus importante dans la période actuelle de décomposition capitaliste qui se caractérise par le fait que, depuis 1968, aucune des classes décisives de la société n'a été capable de faire un pas décisif vers son but historique : pour la bourgeoisie vers la guerre mondiale, pour le prolétariat vers la révolution. Le résultat le plus spectaculaire et important de ce blocage historique, qui ouvre une phase d'effroyable pourrissement du système capitaliste, a été l'effondrement interne du bloc impérialiste de l'est dominé par le stalinisme. Cet événement, à son tour, a apporté à la bourgeoisie des « arguments » inattendus pour discréditer la perspective de la révolution communiste calomnieusement identifiée au stalinisme.
En 1980, dans le contexte d'un développement international de la combativité et de la conscience mené par le prolétariat occidental, les grèves de masse en Pologne avaient ouvert la perspective qui devait amener le prolétariat lui-même à s'affronter au stalinisme et balayer donc cet obstacle à la perspective de classe de la révolution communiste. Au contraire la chute des régimes staliniens dans la décomposition en 1989 a eu l'effet opposé : brouiller la mémoire historique et saper la perspective de classe : en minant la confiance en soi du prolétariat et en affaiblissant sa capacité à organiser sa propre lutte vers de réelles confrontations avec les organes de contrôle de la gauche du capital ; en affaiblissant l'impact immédiat de l'intervention révolutionnaire dans les luttes.
Ce recul a rendu la perspective révolutionnaire plus éloignée et plus difficile qu'elle ne l'était déjà, mais il ne l'a pas pour autant fait disparaître. La bourgeoisie n'a pas été capable de mobiliser la classe ouvrière dans la défense des intérêts et des objectifs de la classe capitaliste comme dans les années 1930. Le fait même qu'après huit années de célébration de la « mort du communisme », la bourgeoisie soit obligée d'intensifier sa campagne idéologique pour attaquer directement la révolution d'octobre 1917 en constitue une preuve a contrario. Le flot de publications sur la révolution russe, s'il représente d'abord et avant tout une mystification contre les ouvriers, est aussi une manière d'avertissement des idéologues bourgeois envers leur propre classe, l'avertissement de ne plus jamais sous-estimer l'ennemi de classe. Aujourd'hui, le capitalisme approche inexorablement de la plus grande crise économique et sociale de son histoire, en fait de l'histoire de l'humanité, et la classe ouvrière n'est pas défaite. Rien d'extraordinaire à ce que les publications bourgeoises érudites soient pleines du genre d'avertissement : « Jamais plus la classe ouvrière ne doit devenir la proie de dangereuses "utopies" révolutionnaires ! »
La perspective révolutionnaire reste à l'ordre du jour
L'impact idéologique des calomnies et des mensonges contre la révolution prolétarienne est important, il n'est pas définitif. Après des décennies de silence, la bourgeoisie est aujourd'hui obligée d'attaquer l'histoire du mouvement marxiste, et donc d'en admettre l'existence. Aujourd'hui, elle n'attaque pas seulement la révolution russe et les bolcheviks, elle n'attaque pas seulement Lénine et Trotsky, elle attaque aussi la Gauche communiste. Elle est obligée d'attaquer les internationalistes qui ont défendu le défaitisme révolutionnaire de Lénine pendant la 2e guerre mondiale. L'accusation que ces internationalistes ont été des apologues du fascisme ([11]) est un mensonge aussi monstrueux que ceux qu'elle répand sur la révolution russe. Le réveil actuel d'un intérêt militant pour la Gauche communiste ne concerne qu'une minuscule minorité de la classe. Mais le bolchevisme, ce « spectre qui hante » toujours l'Europe et le monde, n'était-il pas lui-même, pendant des années, qu'une infime minorité de la classe ?
Le prolétariat est une classe historique, sa conscience est une conscience historique. Son caractère révolutionnaire n'est pas une lubie momentanée comme celui de la bourgeoisie qui fut, par le passé, révolutionnaire par la place décisive qu'elle occupait dans le mode de production capitaliste face à la féodalité. Les décennies de luttes et de réflexion du prolétariat qui se profilent, précisément parce qu'elles vont être difficiles, seront des années de développement fluctuant mais réel de la culture politique du prolétariat. Poussée à avancer dans sa lutte face à des attaques économiques de plus en plus insupportables, la classe ouvrière sera forcée de se confronter à l'héritage de sa propre histoire et de se réapproprier la véritable théorie marxiste. L'offensive de la bourgeoisie contre la révolution russe et le communisme rend ce processus plus long et plus difficile. Mais en même temps, il rend ce travail de réacquisition d'autant plus important, en fait obligatoire, pour les secteurs avancés de la classe. La perspective ouverte en octobre 1917, celle de la révolution prolétarienne mondiale, n'est pas morte. C'est la reconnaissance de ce fait qui motive la campagne bourgeoise actuelle.
KR.
[11] Voir « Campagnes contre le négationnisme », « L'antifascisme justifie la barbarie » et « La co-responsabilité des "alliés" et des "nazis" dans l' "holocauste" »", Revue internationale n° 88 et 89.