Ex-YOUGOSLAVIE : un nouveau cran dans l’escalade guerriere

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Face à l’anarchie et au chaos  grandissant qui caractérisent les rap­ports de la bourgeoisie au niveau in­ternational depuis l’effondrement du bloc de l’Est il y a six ans, on as­siste à une nouvelle pression très forte des Etats-Unis, comme lors de la guerre du Golfe, pour réaffirmer leur leader­ship menacé et leur rôle de gen­darme du « nouvel ordre mondial ». Parmi les expressions les plus signi­ficatives de cette pression, le Proche-Orient reste un terrain privilégié des manoeuvres de la bourgeoisie améri­caine. Les Etats-Unis profitent à la fois de leur solide tutelle sur un Etat israélien isolé dans la région, obligé de marcher derrière eux, et de la si­tuation de dé­pendance d’Arafat, placé sur un siège éjectable, pour accélérer le processus de « pax americana » et renforcer leur contrôle et leur mainmise sur cette zone stra­tégique essentielle, plus que jamais soumise à des convulsions.

De même, le régime affaibli de Sad­dam Hussein se retrouve la cible fa­vorite des manoeuvres de la Maison Blanche. La bourgeoisie américaine se prépare également à accroître sa pression militaire sur « le boucher de Bagdad » au moment où les rats quittent le navire pour rallier la Jor­danie (autre solide base des intérêts américains au Moyen-Orient), en particulier deux de ses gendres dont l’un était le responsable des pro­grammes militaires irakiens. Ce ral­liement permet aux Etats-Unis de ra­viver le souvenir de sa démons­tra­tion de force dans la guerre du Golfe et de justifier le renfort de troupes américaines massées à la frontière koweïtienne, en relançant les ru­meurs d’arsenaux d’armes bac­tério­logiques et de préparatifs d’invasion par l’Irak du Koweït et de l’Arabie Saoudite. Mais la principale réaffir­mation de cette pression reste, après trois ans d’échecs, le rétablis­sement spectaculaire de la situation améri­caine dans l’ex-Yougoslavie, zone centrale de conflits où la pre­mière puissance impérialiste ne peut se permettre d’être absente.

En fait, la multiplication et l’ampleur grandissante de ces opérations de police ne sont que l’expression d’une fuite en avant dans la militarisation du système capitaliste tout entier et de son enfoncement dans la barba­rie guerrière.


Le mythe que la guerre et la barbarie qui se déchaînent dans l’ex-Yougoslavie depuis quatre ans serait une simple affaire d’affrontements interethniques entre cliques nationalistes locales est démenti de façon cinglante par la réalité.

Le nombre de frappes aériennes contre les positions serbes autour de Sarajevo et des autres « zones de sécurité », près de 3 500 « actions » en douze jours d’une opération baptisée « Deliberate Force », fait de cette opération le plus important engagement mi­litaire de l’OTAN depuis sa création en 1949.

Les grandes puissances sont les vrais responsables du déchaînement de la barbarie

Ce sont les mêmes puissances qui n’ont cessé de pousser depuis quatre ans leurs pions les uns contre les autres sur l’échiquier yougoslave. Il n’y a qu’à remar­quer la composition du « groupe de con­tact » qui prétend chercher les moyens de mettre un terme au conflit : les Etats-Unis, l’Allemagne, la Russie, la Grande-Bretagne et la France, pour constater que c’est tout le gratin des grandes puissances impérialistes de la planète (à l’exception du Japon et de la Chine, trop éloignés du théâtre des opéra­tions) qui y sont représentés.

Comme nous l’avons déjà mis en évidence, « c’est l’Allemagne, en poussant la Slovénie et la Croatie à proclamer leur indépendance vis-à-vis de l’ancienne confédération you­goslave, qui a fait éclater ce pays et joué un rôle primordial dans le déclenchement de la guerre en 1991. Face à cette poussée de l’impérialisme allemand, ce sont les quatre autres puissances qui ont soutenu et encou­ragé le gouvernement de Belgrade à mener une contre-offensive (...) particulièrement meurtrière ». Ce sont « la France et la Grande-Bretagne, sous couvert de l’ONU, qui ont alors envoyé les plus importants contingents de Casques bleus et, sous pré­texte d’empêcher les affrontements, se sont systématiquement employés à assurer le maintien du statu quo en faveur de l’armée serbe. En 1992, c’est “ le gouvernement des Etats-Unis qui s’est prononcé pour l’indépendance de la Bosnie-Herzegovine et a soutenu le secteur musulman de cette province, dans une guerre contre l’armée croate (toujours soutenue par l’Allemagne) et l’armée serbe (soutenue par la Grande-Bretagne, la France et la Russie). En 1994, c’est l’administration de Clinton qui est parvenue à imposer un accord pour la constitution d’une fédération entre la Bos­nie et la Croatie contre la Serbie. A la fin de l’année, c’est sous l’égide de l’ex-président Carter, qu’a été obtenue la signature d’une trêve entre la Bosnie et la Serbie (...) Mais malgré des négociations où l’on a retrouvé tous les différends entre grandes puissances, aucun accord n’a été atteint. Ce qui ne pou­vait être obtenu par la négociation, devait donc l’être par la force militaire. Il est clair que l’invasion d’une partie de la Krajina occidentale par la Croatie, au début du mois de mai, ainsi que la reprise des com­bats en divers points du front ou le déclen­chement au même moment d’une offensive de l’armée bosniaque ont été entreprises avec l’accord et à l’initiative des gouvernements américain et allemand. » ([1]). La réaction du camp adverse n’est pas moins significative de l’engagement des autres puissances.

Nous avons largement développé, dans les colonnes de notre précédente revue (1), le contenu et le sens de la manoeuvre franco-britannique de concert avec les forces serbes qui avaient abouti à la création de la FRR et à l’expédition sur place, sous couleur natio­nale, de troupes de ces deux puissances. Cette manoeuvre, à travers une opération de sabotage des forces de l’OTAN, représentait un cinglant camouflet pour la puissance im­périaliste qui prétend jouer le rôle de gen­darme du monde.

Les Etats-Unis avaient besoin de frapper un grand coup pour rétablir la situation à leur profit. Pour cela, ils ont utilisé les popula­tions civiles avec le même cynisme que leurs adversaires.

Tous ces brigands impérialistes se combat­tent les uns les autres, par cliques slaves in­terposées, et poursuivent, chacun de leur cô­té, la défense de leurs sordides intérêts par­ticuliers, au détriment direct des popula­tions, partout transformées en otages perma­nents, en victimes de leurs règlements de compte.

Ce sont en effet les grandes puissances qui sont les véritables responsables des massa­cres et d’un exode qui, depuis 1991, a pré­cipité plus de 4 millions et demi de réfugiés en de longs cortèges d’hommes , de femmes, de vieillards et d’enfants hagards, démunis, ballottés le long des routes, de zones de combat en zones de combat. Ce sont les grandes puissances capitalistes, à travers leurs sanglantes rivalités impérialistes, qui ont encouragé, chacune de leur côté, les opé­rations de « nettoyage » et de « purification ethnique » pratiquées par les cliques natio­nalistes rivales sur le terrain.

C’est ainsi que la Forpronu, sous l’égide de la France et de la Grande-Bretagne, a donné son aval aux Serbes de Bosnie pour éliminer les poches de Srebrenica et de Zepa en juillet 1995. Tandis que ces deux puissances polarisaient l’attention sur leur « mission de protection » autour de Gorazde et de Sarajevo, la Forpronu prêtait main-forte aux Serbes pour vider les enclaves de leurs oc­cupants. Sans cette aide, l’éjection de tous ces réfugiés n’aurait jamais été possible. De fait, la « protection » ces enclaves par l'ONU avait permis aux Serbes de porter leurs efforts militaires sur des zones de con­frontation plus vitales. Et pour que ces en­claves puissent être récupérées par les forces serbes au moment le plus opportun, l’ONU avait même préalablement désarmé leur po­pulation, bien entendu sous couvert de « sa mission pour la paix ». Le gouvernement bosniaque lui-même s’est fait le complice de ce forfait, démontrant le peu de cas qu’il fai­sait aussi de sa chair à canon, en parquant les populations déplacées à l’intérieur des zones de combat.

La bourgeoisie américaine a recouru aux mêmes méthodes crapuleuses. C’est ainsi que, pour couvrir l’offensive croate en Krajina, les Etats-Unis inondaient au même moment les médias de photos prises par sa­tellite montrant de la terre fraîchement re­muée supposés révéler l’existence de char­niers oeuvre des troupes serbes dans la ré­gion de Srebrenica. Ce sont encore les ima­ges d’horreur venant des obus tirés sur le marché de Sarajevo qui ont justifié la riposte de l’OTAN. Le prétexte de la réponse mili­taire apparaît cousue de fil blanc. Il est en effet peu probable que Karadzic ait été assez fou pour aller s’exposer à des lourdes repré­sailles en tirant des obus sur le marché de Sarajevo qui ont fait 37 morts et une cen­taine de blessés. Quand on sait que ces tirs ont été effectués juste sur la ligne de front séparant les armées serbes et bosniaques (chaque camp a rejeté la responsabilité de ce massacre sur l’autre), on peut supposer qu’il s’agissait d’une « provocation » montée de toutes pièces. Une opération de l’envergure des bombardements de l’OTAN ne s’improvise pas et cela servait trop bien les intérêts de la Maison Blanche. Ce ne serait pas la première fois que la première puis­sance impérialiste mondiale organise une telle mise en scène. Il faut se rappeler, entre autres exemples, que le président Lyndon Johnson avait prétexté l’attaque d’un navire américain par un bateau nord-viêtnamien pour déclencher la guerre du Vietnam. On devait apprendre quelques années plus tard qu’il n’en était rien et que l’opération avait été montée entièrement par le Pentagone. Il est donc tout à fait dans les méthodes de gangsters des grandes puissances de créer de toutes pièces de semblables prétextes pour justifier leurs actions.

A la provocation franco-britannique, dont les prétentions de « trouble fête » arrogants et l’ardeur belliqueuse grandissante, deve­naient de plus en plus intolérables, il s’agissait de répliquer par d’autres manoeu­vres, de tendre d’autres pièges, démontrant une capacité impérialiste supérieure, une véritable suprématie militaire.

Face à son échec et à l’enlisement de la si­tuation en Bosnie depuis trois ans, la bour­geoisie américaine était placée devant la né­cessité de réaffirmer son leadership à l’échelle mondiale.

Il ne pouvait être admissible pour la pre­mière puissance mondiale ayant longtemps misé sur le soutien à la fraction musulmane qui s’est révèlée être la plus faible, d’être mise hors jeu dans un conflit primordial, si­tué sur le sol européen et un des plus cru­ciaux pour affirmer son hégémonie.

Cependant, les Etats-Unis sont confrontés à une difficulté majeure qui souligne la fai­blesse fondamentale de leur situation en Yougoslavie. Le recours à des changements de tactique succsssifs qui s’est traduit par leur soutien à la Serbie en 1991, à la Bosnie en 1992 et à la Croatie en 1994 (sous condi­tion de collaboration de celle-ci avec les for­ces bosniaques) démontre qu’ils ne peuvent disposer d’alliés attitrés dans la région.

Derrière l’offensive croate, l’action conjuguée des Etats-Unis et de l'Allemagne

Dans un première phase, elle s’est retrouvée contrainte, pour sortir de l’impasse et se re­mettre en selle au centre du jeu impérialiste, en conservant un rôle de premier plan, de s’appuyer sur la partie la plus forte, la Croatie et d'abandonner son allié d’hier, la Bosnie. La Maison Blanche a utilisé la fédé­ration croato-musulmane et la confédération de cette dernière avec la Croatie qu’elle avait supervisée au printemps 1994. Leur rôle et l’appui logistique du Pentagone ont été déterminants pour assurer le succès de la « guerre éclair » en trois jours de l’armée croate en Krajina (grâce à la localisation précise par satellite des positions serbes). Les Etats-Unis ont d’ailleurs été les seuls à saluer publiquement le succès de l’offensive croate. Ainsi, l’offensive croate dans la Krajina a-t-elle été préparée à l'avance, or­ganisée et dirigée avec maestria à la fois par l’Allemagne et par les Etats-Unis. Car, pour cela, la bourgeoisie américaine a accepté de pactiser paradoxalement avec le « diable » en s’alliant conjoncturellement avec son plus dangereux grand adversaire impéria­liste, l’Allemagne, en favorisant les intérêts les plus véritablement antagoniques à ceux des Etats-Unis.

La constitution d’une véritable armée croate (100 000 hommes pour  investir la Krajina) a été puissamment aidée par l’Allemagne, qui lui a manifesté un soutien discret mais constant et efficace, notamment à travers la livraison de matériel militaire lourd en pro­venance de l’ex-RDA, via la Hongrie. La re­conquête de la Krajina correspond à un suc­cès et à une avancée indiscutables pour l’Allemagne. Elle permet en priorité à la bourgeoisie germanique de faire un grand pas dans la direction de son objectif straté­gique essentiel : l’accès aux ports dalmates sur toute la côte adriatique qui lui libèrent un débouché en eau profonde vers la Médi­terranée. La libération de la Krajina, et de Knin en particulier, ouvre en même temps à la Croatie et à sa vieille alliée, l’Allemagne un carrefour routier comme ferroviaire, re­liant le sud et le nord de la Dalmatie. La bourgeoisie allemande était de même parti­culièrement intéressée comme la Croatie par l’élimination de la menace serbe pesant sur la poche de Bihac, faisant office de verrou à toute la côte dalmate.

En infligeant une première défaite aux trou­pes serbes ([2]), cette stratégie était fonda­mentalement dirigée contre les « seconds couteaux » français et britanniques.). La FRR s’est ridiculisée et son utilité est appa­rue d’autant plus dérisoire qu’elle s’occupait à percer inutilement une étroite voie d’accès vers Sarajevo pendant que le bulldozer croate abattait le mur serbe dans la Krajina. Coincée sur le mont Igman autour de la pseudo-défense de Sarajevo, elle se retrou­vait non seulement momentanément discré­ditée sur la scène internationale, mais aussi auprès des Serbes eux-mêmes, ce qui ne pouvait profiter qu’à un autre rival, la Rus­sie qui se confirmait ainsi dès lors comme un bien meilleur et plus sûr allié à leurs yeux.

Derrière les frappes anti-serbe, le bras-de-fer des Etats-Unis envers les autres puissances impé­rialistes

Dans une autre étape, la réponse de la bour­geoisie américaine s’inscrivait dans un scé­nario qui rappelle la guerre du Golfe. Tou­jours dirigé contre les positions serbes, le bombardement intensif de l’OTAN réaffir­mait la suprématie américaine en s’adressant encore plus directement à toutes les autres grandes puissances.

Il fallait en particulier mettre un terme à tous les stratagèmes guerriers ([3]) et toutes les manigances diplomatiques avec la Serbie du couple franco-anglais.

Cependant, en passant à la deuxième phase de leur initiative, les Etats-Unis prenaient un nouveau risque de se déconsidérer. Le plan de paix, sur lequel débouchait l’offensive en Krajina apparaissait ouverte­ment comme une « trahison de la cause bosniaque », en consacrant le dépeçage du territoire bosniaque avec l’octroi de 49 % aux conquêtes militaires de la Serbie et 51 % à la confédération croato-musulmane qui relègue de fait avec l’aide germano-américaine le reste de la Bosnie au rang de quasi-protectorat de la Croatie. Ce plan, vé­ritable poignard planté dans le dos par ses alliés, ne pouvait que susciter l’hostilité du président bosniaque Izetbegovic. Alors que l’émissaire américain court-circuitait la France et la Grande-Bretagne, seuls interlo­cuteurs accrédités par la Serbie parmi les puissances occidentales depuis trois ans, en allant négocier directement à Belgrade, c’est avec un culot monstre pour des alliés paten­tés de Milosevic ([4]), que la France et la Grande-Bretagne ont cru pouvoir saisir l’occasion de prendre les Etats-Unis à con­tre-pied en se présentent comme les grands et indéfectibles défenseurs de la cause bos­niaque et de la population assiégée de Sara­jevo ([5]). C’est ainsi que le gouvernement français a tenté de se présenter comme un allié inconditionnel d’Izetbegovic en le rece­vant à Paris. Mais c’était là sauter à pieds joints dans un piège tendu par les Etats-Unis pour donner à ces deux larrons une leçon magistrale. En utilisant le prétexte des obus tirés sur le marché de Sarajevo, les Etats-Unis ont immédiatement mobilisé les forces de l’OTAN et ont mis au pied du mur le couple franco-britannique en lui déclarant en substance très probablement  : « Vous voulez aider les Bosniaques ? Très bien. Nous aussi. Alors vous nous suivez, nous sommes les seuls à avoir les moyens de le faire, nous sommes les seuls à pouvoir imposer un rap­port de force efficace aux Serbes. Nous l’avons déjà prouvé en réalisant en trois jours le dégagement de la poche de Bihac, à travers la reconquête de la Krajina, ce que vous n’avez pu accomplir pendant trois ans. Nous allons le prouver encore en libérant Sarajevo de l’étau serbe, ce que votre FRR n’a pas réussi non plus à faire. Si vous vous dégonflez, si vous ne nous suivez pas, vous démontrerez que vous ne faites que du bluff avec vos rodomontades guerrières, que vous n’êtes que des braillards incapables et vous perdrez tout le crédit qui vous reste encore sur la scène internationale. » Ce chantage ne laissait plus le moindre choix au tandem franco-britannique, que de participer à l’opération en étant contraint de bombarder ses alliés serbes, tout en replaçant la FRR sous le patronage direct de l’OTAN. Tout en évitant l’une et l’autre de causer des pertes importantes ou irréparables à leurs alliés serbes, chacune des deux  puissances réagit alors à sa manière. Alors que la Grande-Bre­tagne se fait discrète, la France, au con­traire, ne peut s’empêcher de continuer à jouer les fiers-à-bras militaristes et cherche désormais à se présenter, en faisant de la surenchère antiserbe verbale, comme le plus résolu partisan de la manière forte, le meilleur lieutenant des Etats-Unis et le plus fidèle comme indispensable allié de la Bosnie. Cette forfanterie qui va même jusqu’à se targuer d’être l’artisan essentiel du « plan de paix » ne change rien au fait que le gouvernement français s’est fait pro­prement « moucher » et a dû rentrer dans le rang.

De fait, pour cette deuxième partie de l’opération, les Etats-Unis ont agi pour leur propre compte en contraignant tous ses con­currents impérialistes à se plier à leur vo­lonté. Si l’aviation germanique a participé pour la première fois à une action de l’OTAN, c’est sans enthousiasme et en fai­sant grise mine. Placée devant le fait ac­compli du cavalier seul américain, la bour­geoisie allemande ne pouvait que suivre une action qui ne servait en rien ses projets. De même, la Russie, principal soutien des Ser­bes, malgré ses bruyants renâclements et ses gesticulations (saisie du conseil de sécurité de l’ONU) face à la poursuite des bombar­dements de l’OTAN apparaît comme im­puissante face à la situation qui lui est im­posée.

A travers cette entreprise, les Etats-Unis ont marqué un point important. Ils sont parvenus à réaffirmer leur suprématie impérialiste en affichant leur supériorité militaire écrasante. Ils ont montré une fois de plus que la force de leur diplomatie reposait sur la force de leurs armes. Ils ont démontré qu’ils étaient les seuls à pouvoir imposer une véritable négociation parce qu’ils étaient capables de mettre sur la balance des tractations la me­nace de leurs armes, avec un impressionnant arsenal guerrier derrière eux.

Ce que confirme cette situation, c’est que, dans la logique de l’impérialisme, la seule force réelle se trouve sur le terrain militaire. Quand le gendarme intervient, il ne peut le faire qu’en frappant encore plus fort que les autres puissances impérialistes ne peuvent le faire.

Cependant, cette offensive se heurte à plu­sieurs obstacles et la force de frappe de l’OTAN n’apparaît plus que comme une pâle réplique de la guerre du Golfe.

- L’efficacité des raids aériens ne peut être que limitée et a permis aux troupes serbes d’enterrer sans trop de dommages la ma­jeure partie de leur artillerie. Dans la guerre moderne, l'aviation est une arme décisive, mais elle ne peut permettre, à elle seule, de gagner la guerre. L'utilisation des blindés et de l'infanterie reste indis­pensable.

- La stratégie américaine elle-même est limi­tée : les Etats-Unis ne sont nullement inté­ressés à anéantir les forces serbes en leur livrant une guerre totale, dans la mesure où elle entend préserver le potentiel mili­taire de la Serbie pour pouvoir l’utiliser et se retourner ultérieurement contre la Croatie, dans l’optique de son antagonisme fondamental avec l’Allemagne. De plus, une guerre à outrance contre la Serbie comporterait le risque d’envenimer les frictions avec la Russie et de compromettre leur alliance privilégiée avec le gouverne­ment d’Eltsine.

Ces limites favorisent les manoeuvres de sa­botage des « alliés » contraints et forcés de marcher dans les raids américains, manoeu­vres qui se révèlent quatre jours à peine après l’accord de Genève, qui aurait dû constituer le couronnement de l’habilité di­plomatique américaine.

D’une part, la bourgeoisie française s'est re­trouvée en première ligne de ceux qui de­mandaient l’arrêt des bombardements de l’OTAN « pour permettre l’évacuation des armes lourdes par les Serbes », alors que l’ultimatum américain exige précisément l’inverse : l’arrêt des bombardements con­ditionné par le retrait des armes lourdes des abords immédiats de Sarajevo. D’autre part, alors que les Etats-Unis cherchaient à passer à un degré plus élevé de pression sur les Serbes de Bosnie en bombardant le quartier général de Karadzic à Pale, c’est la Forpronu qui lui a mis des bâtons dans les roues en manifestant des états d’âme et en s’opposant au déclenchement de bombarde­ment prenant pour cible des « objectifs ci­vils » ([6]).

L’accord de Genève signé le 8 septembre par les belligérants, sous l’égide de la bour­geoisie américaine et en présence de tous les membres du « groupe de contact », ne constitue donc nullement un « premier pas vers la paix », contrairement à ce que pro­clamait le diplomate américain Holbrooke. Il ne fait que sanctionner un moment d’un rapport de forces qui, de fait, constitue un pas supplémentaire vers le déchaînement d’une barbarie dont les populations locales vont faire atrocement les frais. Ce sont elles qui paient la note de l’opération par de nou­veaux massacres.

Comme lors de la guerre du Golfe, les mé­dias osent nous parler cyniquement de guerre propre, de « frappes chirurgicales ». Odieux mensonges ! Il faudra des mois ou des années pour lever un coin du voile sur l’ampleur et l’horreur que représentent pour la population ces nouveaux massacres perpé­trés par les nations les plus « démocratiques » et « civilisées ».

Dans leur affrontement, chaque grande puis­sance alimente aussi crapuleusement l’une que l’autre sa propagande belliciste sur la Yougoslavie En Allemagne, de virulentes campagnes anti-serbe sont organisées évo­quant les atrocités commises par les parti­sans tchechniks. En France, au milieu d’une odieuse campagne belliciste à géométrie va­riable, et ailleurs, selon le camp soutenu, tantôt on ne perd pas jamais une occasion de rappeler le rôle joué par les « oustachis » croates aux côtés des forces nazies dans la seconde guerre mondiale, tantôt on évoque la folie sanguinaire des Serbes de Bosnie ou tantôt on vilipende le fanatisme musulman des combattants bosniaques..

L’hypocrite concert international des pleu­reuses et des intellectuels de tout poil qui n’ont cessé de jouer de la corde humanitaire pour réclamer « des armes pour la Bosnie » ne sert qu’à faire avaliser dans la population occidentale la politique impérialiste de leur bourgeoisie nationale. Ce sont ces laquais de la bourgeoisie qui peuvent maintenant se féliciter à travers les bombardements de l’OTAN « d’ajouter la paix à la guerre », selon l’expression du mitterrandien amiral Sanguinetti. Venant renforcer les campagnes médiatiques montrant à la une les images des carnages les plus horribles dans la popu­lation civile, ces bonnes âmes volant au se­cours de la veuve et de l’orphelin ne sont que de vulgaires sergents-recruteurs pour la guerre. Ce sont les plus dangereux rabat­teurs de la bourgeoisie. Ils sont de la même espèce que les antifascistes de 1936 qui en­rôlaient les ouvriers pour la guerre d’Espagne. L’histoire a démontré leur fonc­tion réelle : celle de pourvoyeurs de chair à canon dans la préparation de la guerre im­périaliste.

Une expression de l’enfoncement du capitalisme dans sa décomposition

La situation actuelle est devenue un vérita­ble détonateur qui risque de mettre le feu aux poudres dans les Balkans.

Jamais, avec l’intervention de l’OTAN, l’accumulation et la concentration d’engins de mort n’ont été aussi impressionnantes sur le sol yougoslave.

La nouvelle perspective est celle d’un af­frontement direct des armées serbes et croa­tes et plus seulement de milices formées de bric et de broc.

La poursuite des opérations militaires par les armées croates, bosniaques et serbes le prouve déjà, l’accord de Genève comme ses conséquences ne font qu’aviver et relancer les tensions entre les belligérants qui enten­dent chacun modifier la nouvelle donne à leur profit, en particulier :

- alors que les bombardements massifs et meurtriers de l’OTAN visaient à réduire les ambitions des forces serbes, celles-ci vont chercher à résister au recul qu’elles ont subi et se préparent à disputer de plus belle le sort non réglé des enclaves de Sarajevo, de Gorazde ou du corridor de Brcko ;

- les nationalistes croates, encouragés par leurs succès militaires antérieurs et pous­sés par l’Allemagne, ne peuvent que cher­cher à affirmer leurs visées pour re­con­quérir la riche Slavonie orientale, région située au contact de la Serbie ;

- les forces bosniaques vont tout faire pour ne pas être les laissés pour compte du « plan de paix » et poursuivre leur offen­sive en cours dans le nord de la Bosnie vers la région serbe de Banja Luka.

L’afflux de réfugiés de toutes sortes consti­tue un risque majeur d’entraîner d’autres régions, comme surtout le Kosovo ou la Ma­cédoine, dans l’embrasement guerrier mais aussi d’autres nations sur le sol européen, de l’Albanie à la Roumanie, en passant par la Hongrie.

Par effet de « boule de neige », la situation est porteuse d’une implica­tion impérialiste plus importante des grandes puissances eu­ropéennes, y compris de la part de voisins d’une importance stratégiques majeure, comme surtout la Turquie et l’Italie ([7]).

La France et la Grande-Bretagne, puissances réduites à jouer pour l’heure les mouches du coche, ne peuvent que multiplier les tentati­ves pour mettre des bâtons dans les roues des autres protagonistes, en particulier vis-à-vis des Etats-Unis ([8]).

C’est un nouveau cran qui est franchi dans l’escalade de la barbarie. Loin de s’orienter vers un règlement du conflit, ce sont au con­traire vers des désordres de plus en plus guerriers et sanglants que se dirige l’ex-Yougoslavie, sous l’action « musclée » des grandes puissances. Tous ces éléments con­firment la prépondérance et l’accélération de la dynamique du « chacun pour soi » à l’oeuvre depuis la dissolution des blocs im­périalistes et ils traduisent en même temps une accélération de la dynamique impéria­liste et une fuite en avant dans l’aventure guerrière.

La prolifération, le développement multi­forme de toutes ces entreprises guerrières est le pur produit de la décomposition du capitalisme, comme les métastases d’un cancer généralisé qui gangrène d’abord les organes les plus faibles de la société, là où le prolétariat n’a pas de moyens suffisants pour s’opposer au déchaînement du nationa­lisme le plus abject et hystérique. La bour­geoisie des pays avancés cherche à profiter de l’imbroglio yougoslave, de la brume « humanitaire » dans laquelle elle enrobe son implication pour distiller une atmo­sphère d'union sacrée. Pour la classe ou­vrière, il doit être clair qu’il n’y a pas à choisir, ni se laisser entraîner sur ce terrain pourri.

La prise de conscience par les prolétaires des pays centraux de la responsabilité pri­mordiale des grandes puissances, de leur propre bourgeoisie dans le déchaînement de cette barbarie guerrière, qu’il s’agit d’un règlement de compte entre brigands impé­rialistes est une condition indispensable pour comprendre leurs propres responsabili­tés historiques. C’est bien parce que c’est la même bourgeoisie qui, d’un côté, pousse les populations à s’exterminer entre elles, et qui, de l’autre, précipite la classe ouvrière vers le chômage, la misère ou un seuil d’exploitation insupportable, que seul le dé­veloppement des luttes ouvrières sur leur propre terrain de classe, sur le terrain de l’internationalisme prolétarien peut en même temps s’opposer aux attaques de la bourgeoisie et à ses menées guerrières.

CB, 14 septembre 95.



[1]. Voir Revue Internationale n° 82, 3e trimestre 1995, l’article « Plus les grandes puissances parlent de paix, plus elles sèment la guerre ».

 

[2]. Milosevic a préféré laisser l’armée croate investir la Krajina sans réagir pour pouvoir tenter de mar­chander avec les Etats-Unis l’enclave de Gorazde et surtout négocier la levée des sanctions économi­ques qui pèsent sur Belgrade.

 

[3]. Outre le simulacre de « kidnapping » de soldats et d’observateurs de l’ONU, opération montée début juin par la France et la Grande-Bretagne avec la Serbie, il faut interpréter le bombardement français sur Pale, fief des Serbes de Bosnie, en juillet comme des représailles bidon pour masquer l’action réelle de la FRR, quand on sait que ce bombardement ne visait aucun objectif stratégique et ne gênait nulle­ment les opérations militaires de la Serbie. Au contraire, il devenait un prétexte justifiant le coup de force serbe sur les enclaves de Srebrenica et de Zepa.

 

[4]. Le couple franco-britannique s’est trouvé aux cô­tés de Milosevic pour tenter d’exploiter les dissen­sions qui sont apparues dans le camp des Serbes de Bosnie : leur soutien ouvert au général Mladic face au  « président » Karadzic et la pression qu’ils ont exercée sur celui-ci n’avait pas d’autre sens que de lui signifier que les véritables adversaires de la Serbie n’étaient plus les Bosniaques mais les Croa­tes.

 

[5]. Fait édifiant : c’est un journal anglais, le Times qui a dévoilé, lors de la Conférence de Londres, l’existence du fameux croquis du Croate Tudjman partageant le territoire bosniaque entre la Serbie et la Croatie, excitant ainsi la fureur du camp bosniaque.

 

[6]. Comme le notait Le Monde du 14 septembre, avec de délicats euphémismes : « Les forces de l’ONU, composées essentiellement de troupes françaises, ont le sensation, jour après jour, que les opérations leur échappent au profit de l’OTAN. L’Alliance atlantique mène , certes, des raids aériens sur des cibles déterminées conjointement avc l’ONU. Mais les détails des opérations sont planifiés par les bases de l’OTAN en Italie et par le Pentagone. L’utilisation, dimanche dernier, de missiles Tomahawk contre des installations serbes, dans la région de Banja Luka (sans passer par une consultation préalable de l’ONU ni des autres gouvernements des puissances associées aux raids, NDLR) n’a fait que renforcer ces craintes. »

[7] Il est particulièrement significatif de voir l’Italie réclamer une part plus importante dans la gestion du conflit bosniaque et refuser d’accueillir sur son territoire où sont installées les bases de l’OTAN les bombardiers furtifs F-117 américains pour protester contre sa mise à l’écart du « groupe de contact » et des instances décisionnelles de l’OTAN.

 

[8] En tout premier lieu, pour être capable de riposter à l’offensive américaine au niveau requis, sous peine d’être évincé de cette région, le couple actuel franco-britannique ne peut qu’être poussé dans cet engre­nage guerrier, à renforcer son engagement militaire dans le conflit.

 

 

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