Soumis par Revue Internationale le
La classe ouvrière paye la note, en Italie elle commence à répondre.
La Livre anglaise et la Lire italienne obligées de décrocher su Serpent Monétaire Européen et de dévaluer en catastrophe, l'Espagne dans la foulée qui doit dévaluer la Peseta et rétablir, ainsi que l'Irlande, le contrôle des changes, l'Escudo portugais qui flotte, le Franc français qui a son tour présente des signes de faiblesse et ne doit son salut qu'à l'intervention massive de la Bundesbank qui vole au secours de la Banque de France laquelle a du, dans l'affaire, débourser plus de la moitié de ses avoirs. L'onde de choc qui a secoué les monnaies européennes durant le mois de septembre a fait voler en éclat un pilier essentiel du système monétaire international : le SME.
Au moment où la bourgeoisie européenne communiait, avec le processus engagé de ratification des accords de Maastricht, dans l'avenir radieux de l'unification européenne, les yeux fixés sur le résultat, impatiemment attendu, du référendum sur ce sujet en France, la crise est venue apporter sa contribution brutale aux débats et porter un coup terrible aux illusions sur la perspective européenne. De fait, c'est un pilier essentiel de la construction européenne qui s'est disloqué. La moitié des monnaies européennes ont dû décrocher dans la tourmente, et malgré la réaffirmation renouvelée par tous les pays de l'Union européenne lors d'une réunion des ministres des finances, fin septembre, de leur foi à l'égard du SME, elles ne sont pas prêtes, pour la plupart, de s'y réintégrer.
La crise qui s'accélère pousse chaque pays dans la défense prioritaire de ses propres intérêts, dans une concurrence acharnée, dans une dynamique de chacun pour soi qui menace de dislocation l'unification de l'Europe sur le plan où ses acquis étaient les plus importants, le plan économique. Il suffit de constater la polémique venimeuse qui, à la suite de ces événements, s'est développée entre l'Allemagne et la Grande-Bretagne, se reprochant réciproquement leur manque de solidarité et de responsabilité pour mesurer à quel point la perspective future d'une unification économique et politique des douze pays qui ont signé le Traité de Maastricht relève du mythe.
La crise monétaire est le produit de la crise mondiale
La crise économique actuelle, produit insurmontable des contradictions du capitalisme, est un révélateur profondément significatif de la vérité de ce système, de sa faillite, et donc de tous les mensonges de la classe dominante destinés à masquer la banqueroute de son mode de production. Comme la Livre ou le Franc, les autres monnaies phares du marché mondial ne sont pas à la fête : les accès de faiblesse à répétition de la devise reine de l'économie planétaire, le Dollar, montrent l'asphyxie dont l'économie américaine ne parvient pas à sortir, quant au Yen, sa stabilité elle aussi est menacée par le marasme dans lequel le Japon s'enfonce, et si le Mark parait solide c'est uniquement parce que l'Etat allemand maintien des taux d'intérêts élevés attractifs par peur d'une inflation galopante consécutive au coût prohibitif de la réunification. La tempête monétaire à l'échelle mondiale montre que ce n'est pas seulement l'Europe qui est gravement malade mais l'économie mondiale dans son ensemble.
La spéculation : une fausse explication
Jamais avare de mensonges, la bourgeoisie en trouve toujours de nouveaux pour masquer son impuissance. Ainsi, pour elle, la cause de la crise monétaire ce n'est pas la crise mondiale de surproduction généralisée qui s'exprime par la récession, ce sont les méchants spéculateurs internationaux. Il est vrai que c'est sous la pression de la spéculation que les gouvernements ont dû plier et que la Grande-Bretagne ainsi que l'Italie, par exemple, ont dû abandonner le
SME. L'équivalent de 1 000 milliards de dollars sont échangés chaque jour entre les banques et les entreprises capitalistes. Une fraction notable de ce montant se porte sur une monnaie ou une autre selon les fluctuations du marché, bref alimente la spéculation au jour le jour sur le cours des monnaies. Aucune banque centrale ne peut résister à la pression si une proportion importante d'une telle masse de capitaux spécule durablement à la baisse de sa monnaie.
Le développement de la spéculation est le reflet du fait que les investissements industriels, dans la production, ne sont plus rentables, cela était déjà clair durant les années 1980 quand la spéculation boursière et immobilière faisait rage. Aujourd'hui, alors que les valeurs boursières et l'immobilier s'effondrent, les capitaux fuient ces secteurs et en cherchent désespérément où s'investir avec profit, et il y en a de moins en moins. En fait, si la masse de capitaux qui spéculent sur le cours des monnaies s'est ainsi gonflée, c'est parce que la crise mondiale sévit : jouer sur le cours des monnaies devient le seul moyen de préserver la valeur du capital investi. C'est pourquoi, aujourd'hui, tous les capitalistes spéculent, sans exception : des riches particuliers aux banques pour protéger leurs avoirs, des entreprises privées aux Etats pour gérer leur trésoreries. Ceci dit, il serait erroné de croire que la spéculation est aveugle. Lorsque la spéculation mondiale joue à la baisse une monnaie c'est parce que le marché juge que celle-ci est surévaluée, c'est-à-dire que l'économie dont elle est la représentante ne correspond plus à la valeur de sa devise. De fait, la spéculation internationale sur le marché des devises traduit la sanction de la sacro-sainte loi du marché, tant louée par les économistes libéraux, sur les diverses économies nationales en compétition dans l'arène mondiale. En imposant la dévaluation de la Livre et de la Lire, la spéculation internationale a ainsi montré qu'elle considérait les actions "Grande-Bretagne" et "Italie" comme des valeurs à risques. Avec l'enfoncement dans la récession, la masse croissante de capitaux spéculatifs en circulation dans le monde va devenir un facteur de plus en plus fort d'instabilité du marché mondial : d'autres "valeurs" symboles du capitalisme mondial vont se trouver éprouvées comme l'a été le SME. La dynamique d'effondrement de l'économie capitaliste est à l'oeuvre et, sur le plan monétaire, la dislocation du SME n'est que le signe avant-coureur d'autres catastrophes à venir.
Italie : les ouvriers commencent à répondre.
Cette crise du capitalisme, le prolétariat la subit dans sa chair. Les attaques contre son niveau de vie sont de plus en plus fortes. Les derniers événements monétaires ont été le prétexte tout trouvé pour justifier de nouvelles atteintes au niveau de vie des exploités et imposer de nouveaux plans d'austérité au nom de la défense de l'économie nationale. Face à ces attaques, qui sont les plus fortes depuis la seconde guerre mondiale, la classe ouvrière se doit de réagir, de sortir de la passivité qui règne depuis 1989. A cet égard les luttes du prolétariat en Italie montrent le chemin.
Depuis la fin septembre 1992, l'Italie est secouée par des manifestations ouvrières, « les plus importantes depuis 20 ans » reconnaît Bruno Trentin, secrétaire du principal syndicat italien, la CGIL. Dès l'annonce des mesures d'austérité, des débrayages spontanés ont lieu dans différents secteurs. La série de manifestations que les syndicats avaient programmées pour désamorcer d'éventuelles réponses à ces attaques du gouvernement Amato ont été l'occasion d'une expression massive (100 000 personnes à Milan, 50 000 à Bologne, 40 000 à Gênes, 80 000 à Naples, 60 000 à Turin, etc.) et surtout déterminée de la colère ouvrière contre le gouvernement et... contre les syndicats qui ont soutenu ces mesures. Point commun de cette explosion de colère : en même temps qu'ils s'en prennent au gouvernement (« Amato, les ouvriers ont les mains propres et les poches vides ! »), les ouvriers s'attaquent à leurs soi-disant « représentants », les syndicats, en bombardant leurs orateurs de pièces de monnaie, oeufs, tomates, pommes de terre, parfois même des boulons, les insultant, les traitant de « vendus ». Même les travailleurs qui hésitent devant la violence s'expriment ainsi : « Ceux qui jettent des boulons se trompent. Mais moi, je les comprends un peu : il est vraiment difficile de subir et de rester toujours gentils et silencieux ». ([1]) L'ancien maire socialiste de Gênes devant la tournure que prend la manifestation à laquelle il assiste se désole : "Avant de mourir, je devais aussi voir cela : les carabiniers en train de protéger les syndicalistes dans un meeting. ".
Partout, les manifestations que les syndicats voulaient paisibles bien contrôlées, se transforment en un cauchemar pour eux : « Ce qui devait être une journée contre le gouvernement est devenue une journée contre les syndicats » (« Corriere délia Sera » du 24 septembre).
Les syndicats apportent leur soutien aux attaques du capital.
Les ouvriers italiens savent bien à quel point les syndicats ont trempé dans les mesures draconiennes qui les assomment aujourd'hui : gel des salaires dans la fonction publique et annulation des départs à la retraite anticipée pendant un an, augmentation des impôts et création d'une kyrielle de nouveaux prélèvements ; l'âge de départ à la retraite est repoussé : les ouvriers devront consacrer 5 ans de plus de leur vie au travail salarié. Pour ceux qui sont malades, mais dont le revenu dépasse le salaire moyen, les médicaments ne seront quasiment plus remboursés. Bien que prônant quelques aménagements au dernier plan de rigueur, les syndicats affichent, par la voix de B. Trentin, leur plein soutien au gouvernement « Les mesures décidées sont injustes mais dans cette situation grave, nous voûtons montrer que nous avons le sens des responsabilités ». Quant aux ouvriers, ils ont commencé à prendre leurs responsabilités en mettant ces racailles à leur vraie place : dans le camp du capital.
Certes les ouvriers italiens, une fois dépassé l'obstacle des grandes centrales syndicales officielles devront, entre autre, se confronter - et ils se confrontent déjà-, aux annexes « radicales » de celles-ci : les « COBAS » et autres syndicalisme « de base » qui ne les grandes centrales, y compris en prenant la tête des actions "violentes" contre leurs dirigeants, que pour mieux prendre leur place. La polarisation sur cette forme "violente" de la contestation des syndicats a été orchestrée par le syndicalisme de base pour mieux détourner la combativité et affaiblir la riposte ouvrière. Il ne suffit pas de rejeter les formes les plus grossières du syndicalisme, encore faut-il apprendre à développer et à devenir maître de sa force par soi-même.
La signification internationale des combats ouvriers en Italie.
D'ores et déjà ces événements signent la fin d'une période où la bourgeoisie pouvait compter sur la passivité des ouvriers pour asséner ses attaques.
Ce n'est pas un hasard s'il revient aux ouvriers d'Italie d'avoir les premiers surmontés la paralysie imposée au prolétariat mondial par le carcan des campagnes déchaînées par la bourgeoisie depuis 1989. Depuis plusieurs décennies, le prolétariat d'Italie a fait la preuve qu'il était un des secteurs de la classe ouvrière mondiale les plus combatifs et expérimentés. En particulier, les ouvriers de ce pays ont déjà une longue tradition d'affrontements aux syndicats. De plus, le niveau des attaques subies aujourd'hui par ces ouvriers est le plus important de tous les pays industrialisés.
Cependant, les luttes qui se déroulent aujourd'hui en Italie ne sont pas un feu de paille et ne sont pas destinés à rester une « spécialité » des ouvriers de ce pays. Même si ce n'est pas dans l'immédiat, ni dans les mêmes formes, notamment l'affrontement ouvert aux syndicats dés le début de la lutte, les autres secteurs du prolétariat mondial seront nécessairement conduits à prendre le même chemin. Elles doivent être comprises comme un exemple et un appel au combat des ouvriers du monde entier, et en particulier à ses bataillons les plus décisifs et expérimentés, ceux du reste d'Europe occidentale.
CCI / 8.10.92
L'effondrement du SME renvoie l'Europe a son mythe