Situation internationale : guerres, barbarie, lutte de classe

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La seule solution à la spirale des guerres et de la barbarie est la lutte de classe internationale

Depuis le début de « l'ère de paix et de prospé­rité pour l'humanité » ouverte avec la chute du mur de Berlin, la disparition du bloc de l'Est et l'éclatement de l'URSS, jamais les guerres et conflits locaux n'ont été si nombreux. Jamais le militarisme n'a été si présent, jamais les ventes d'armes de toutes sortes n'ont pris une telle ampleur, jamais la menace de dissémination nucléaire n'a été si dangereuse, jamais les pro­jets, la planification de nouvelles armes, n'ont été aussi loin, y compris dans l'espace. Jamais autant d'êtres humains n'ont souffert de la faim, de la misère, de l'exploitation, des guerres et des massacres, jamais, depuis que le capitalisme existe, une telle proportion de la population mondiale n'a été rejetée de la pro­duction, condamnée définitivement pour sa plus grande part au chômage, à la paupérisa­tion absolue, à la mendicité, aux "petits bou­lots" de survie, souvent aussi à la délinquance, à la guerre et aux massacres nationalistes, interethniques.

La récession économique ouverte s'approfon­dit dans les pays industriels, les grandes puissances mondiales, et tout particulièrement la première d'entre elles les USA, précipitant des centaines de milliers d'ouvriers dans les affres du chômage et dans la misère. Une « ère de paix et de prospérité » promise par le président US Bush, par l'ensemble de la bour­geoisie mondiale, se révèle être l'ère des guerres et de la crise économique.

 

Chaos et anarchie dans tous les coins et recoins de la planète

L'URSS n'est plus. Exit Gorbat­chev. La CEI est mort-née. Les tensions entre Républiques s'aiguisent et prennent chaque jour un tour plus agressif. Les Etats naissants s'arrachent les dépouilles de l'ex-Union. Le principal enjeu : les restes de l'armée rouge, ses armes conventionnelles bien sûr, mais aussi nucléaires (33 000 à 35 000 « têtes » !). Il s'agit de consti­tuer des armées nationales les plus redoutables possibles afin d'assurer les intérêts impéria­listes de chacun contre les voisins. C'est le règne sanglant du chacun pour soi qui domine sans fard dans l'ex-URSS, où le chantage au nu­cléaire est employé à tour de rôle par les uns et les autres : malgré les pressions internationales (occiden­tales), le Kazakhstan se refuse à dire s'il va rendre ou non les armes nucléaires tactiques et surtout stra­tégiques qui sont sur son territoire ; l'Ukraine s'empare d'une division de bombardiers nucléaires (le 17 février) et essaye de garder pour elle la flotte de la mer Noire. La Russie d'Eltsine aux commandes pourtant de l'armée « unifiée » de la CEI, c'est à dire en position de force par rapport aux autres, va même jusqu'à craindre l'éventualité d'un conflit nucléaire avec l'Ukraine dans le futur ([1]) ! C'est dire la nature, l'état des rela­tions, et le rôle joué par le militaire et la force entre les nouveaux Etats : les relations sont impéria­listes et antagoniques ; le rapport de force s'établit sur la puissance militaire et spécialement nucléaire.

Cette situation conflictuelle est d'autant plus aiguë que la situation économique est catastrophique. 90 % de la population russe vit sous le seuil de pauvreté. La famine guette malgré l'aide occidentale. La production industrielle baisse brutalement alors que la libération des prix provoque une inflation à trois chiffres, une inflation à la sud-américaine. Cette faillite complète vient à son tour jeter de l'huile sur le feu des oppositions entre les nouveaux Etats. «La guerre éco­nomique entre les Républiques a déjà commencé» affirme Anatoli Sobtchak, le maire de St. Peters Bourg le 8 janvier dernier.

Cette opposition d'intérêts tant politiques qu'économiques vient accélérer le chaos, et multiplier les tensions, les conflits, les guerres locales et les massacres de populations, entre les différentes nationa­lités composant ce que nous pou­vons déjà appeler Pex-CEI. Les ré­publiques s'opposent sur l'héritage militaire laissé par la défunte URSS. Presque toutes s'affrontent sur le tracé des frontières qui les séparent : l'appartenance de la Crimée à l'Ukraine ou à la Russie, est le cas le plus connu. Chaque république est aux prises avec une ou des minorités nationales qui dé­clarent leur indépendance, par les armes, constituant des milices : le Haut-Karabakh et la minorité ar­ménienne en territoire azéri; les Tchétchènes en Russie qui atta­quent les casernes afin de se procu­rer des armes ; et partout des mino­rités russes qui s'inquiètent, en Moldavie, en Ukraine, dans le Caucase et dans les républiques d'Asie centrale. Et puis la Géorgie déchirée par les combats meur­triers entre partisans du président Gamsakhourdia «démocratique­ment élu» d'un côté, et ses princi­paux ministres et leurs milices ar­mées. Partout des morts, des bles­sés, des massacres de civils, des destructions, la haine et la terreur nationalistes de petites peuplades qui vivaient jusque là ensemble, qui, ensemble, avaient souffert de la terreur du capitalisme d'Etat, version Staline. Aujourd'hui, partout la désolation et le chaos rè­gnent sans partage.

Cette situation d'explosion de l'ex-URSS, cette situation d'anarchie sanglante, a réveillé des appétits impérialistes locaux longtemps contenus par la toute-puissance «soviétique», qui sont porteurs d'affrontements encore plus larges. L'Iran et la Turquie se sont livrés à une véritable course de vitesse pour établir les premiers des am­bassades dans les ex-républiques musulmanes. La presse iranienne accuse la Turquie de vouloir «imposer le modèle occidental» à ces républiques en leur faisant perdre leur «identité musulmane ». La Turquie appuyée par les USA, utilise des nationalités turcophones (Ouzbeks, Kazakhs, Kirghiz, Turkmènes) pour prendre le pas sur l'Iran qui essaye de s'appuyer sur le Pakistan dans cette lutte impéria­liste...

La disparition de la division du monde en deux grands blocs impé­rialistes a signifié la fin de la disci­pline imposée et des règles éta­blies, «stables», qui régissaient les conflits impérialistes locaux. Au­jourd'hui, ils éclatent en tous sens et partout. L'explosion de l'URSS n'a fait qu'aggraver encore ce phé­nomène. Partout, sur tous les continents, de nouveaux conflits éclatent, se développent, alors que les vieux foyers de guerre ne dispa­raissent pas, bien au contraire.

Les Philippines et la Birmanie souffrent de guérillas sanglantes et permanentes (la Chine a vendu pour plus d'un milliard de dollars d'armes à la Birmanie !). L'état d'anarchie se développe en Asie centrale. Les affrontements mili­taires de toutes sortes (Kurdistan, Liban) continuent au Moyen-Orient malgré «l’accalmie » dans la région depuis le terrible écrase­ment de l'Irak lors de la guerre du Golfe.

L'Afrique est un continent à la dé­rive : répressions sanglantes d'émeutes de populations affa­mées, coups d'Etat, guérillas et af­frontements interethniques se mul­tiplient au milieu du désastre éco­nomique. Les tensions impéria­listes s'exacerbent entre l'Egypte et le Soudan. Le chaos social gagne l'Algérie, les combats se poursui­vent au Tchad, Djibouti est gagné par les affrontements entre Afars et Issas.

«L’Afrique n'en finit pas de se débattre avec le spectre de l'insécurité alimentaire. (...) Il faudra des aides d'urgence pour l'Ethiopie, le Sierra Leone et le Libéria, et même pour le Zaïre. Guerres civiles, dé­placements massifs des popula­tions, sécheresse, telles sont les causes invoquées par la FAO »([2]) Est-il besoin de préciser qu'«insécurité alimentaire» évite, avec quelle élégance, l'emploi brutal du mot famine.

L'Amérique Latine semble être un havre de paix en comparaison. Il faut dire qu'elle bénéficie de l'attention particulière du grand voisin du Nord. Le sous-continent reste l'arrière-cour des USA. Pour­tant si les antagonismes, nom­breux, entre l'Argentine et le Chili, entre le Pérou et l'Equateur qui a encore donné lieu à des escar­mouches militaires, pour ne citer que deux des multiples différents frontaliers, sont contenus, le continent n'en est pas moins mar­qué par la violence. Violence des guérillas (Pérou, Colombie, Amé­rique centrale), violence de la ré­pression étatique face à des popu­lations là aussi affamées (émeutes au Venezuela), violence due à la décomposition avancée qui touche ces Etats (guerres des gangs de la drogue en Colombie, au Pérou, au Brésil, en Bolivie ; les assassinats massifs par la police et les milices des gosses des rues, abandonnés par millions (!), souffrant de la faim et de la drogue, livrés à eux-mêmes dans les immenses bidon­villes, véritables cloaques, qui ceinturent les villes).

Cette liste du chaos et des guerres, cette liste des tueries et de la ter­reur sur les populations, ne serait pas complète sans mentionner la Yougoslavie. Cette dernière n'est plus. Elle explose dans un fracas de feu et de sang. Durant des mois, Croates et Serbes se sont entre­tués, et les tensions s'exacerbent entre les trois nationalités diffé­rentes qui composent la Bosnie-Herzégovine. De nouveaux affron­tements se préparent à quelques centaines de kilomètres des grands centres industriels de l'Europe ! Tout comme l'explosion de l'URSS, l'explosion de la Yougoslavie réveille de vieilles tensions, et en crée de nouvelles : la volonté d'indépendance de la Macédoine, par exemple, ravive dange­reusement les antagonismes entre la Grèce et la Bulgarie. Et surtout elle vient accroître encore plus les tensions entre grandes puissances, Allemagne, USA, et au sein de l'Europe.

Voilà en un court raccourci une photo instantanée et incomplète, effroyable et dramatique, du monde (nous excluons pour l'instant la situation dans les grands pays industrialisés, les USA, le Japon et l'Europe occiden­tale, situation sur laquelle nous allons revenir). Voilà en quelques mots la réalité du monde capita­liste. Du monde capitaliste qui pourrit et se décompose. De la so­ciété capitaliste qui n'offre que mi­sère et guerres à l'humanité.

Les ventes d'armes tous azimuts

Douterait-on encore de cette pers­pective guerrière que l'explosion des ventes d'armes finirait par nous convaincre complètement.

Les ventes d'armes de tous ordres, des plus simples jusqu'aux plus so­phistiquées et les plus meurtrières, échappent maintenant à tout contrôle. La planète n'est plus qu'un immense supermarché d'armes où les vendeurs se font une âpre concurrence. La disparition du bloc de l'Est et la catastrophe économique qui touche les pays d'Europe centrale et de la CEI (ex­ URSS) ont jeté sur le marché l'incroyable arsenal militaire de feu le Pacte de Varsovie, cassant ainsi les prix : des centaines de blindés vendus au poids, 10 000 dollars la tonne ! ([3])

En 1991, l'ex-URSS aurait vendu pour 12 milliards de dollars d'armes. La Russie et le Kazakhs­tan ont vendu 1000 tanks T-72 et des sous-marins à l'Iran. «Des in­formations recueillies par les ser­vices occidentaux donnent à croire que la société Glavosmos qui est commune à ces deux Etats, propose à des clients étrangers des propul­seurs de missiles balistiques SS-25, SS-24 et SS-18 pour qu'ils servent, le cas échéant, de lanceurs spa­tiaux. »([4])

La Tchécoslovaquie de F« huma­niste » Vaclav Havel a livré la plus grande partie des 300 tanks vendus à la Syrie. Cette dernière, l'Iran et la Libye achèteraient à la Corée du Nord des missiles Scuds « beaucoup plus précis et efficaces que les mis­siles Scuds soviétiques que l'Irak a lancés durant la guerre du Golfe. »([5])

Bien qu'inquiètes de ces achats massifs et tous azimuts, les grandes puissances participent à cette gi­gantesque braderie. Les Etats-Unis veulent vendre plus de 400 chars à très bas prix à l'Espagne. «L'Allemagne a promis de livrer à la Turquie, pour environ 1 milliard de dollars, des matériels qui pro­viennent des stocks de l'ancienne armée "orientale"».{[6])

Tous les Etats étant impérialistes, les achats par les uns obligent les autres à suivre, renforçant encore plus les tensions: «L'Iran achète au moins deux sous-marins d'attaque neufs construits par les Russes. L'Arabie Saoudite veut acheter 24 avions de chasse F-15E McDonnell Douglas pour transfor­mer ses forces aériennes de façon à pouvoir s'opposer à ces sous-marins iraniens». ([7])

Tous les Etats capitalistes, grands ou petits, puissants ou faibles, sont entraînés dans les rivalités impé­rialistes, dans les tensions crois­santes, dans la course à l'armement, dans le gouffre du mi­litarisme.

Bien que la peur du chaos pousse a l'action commune des grandes puissances derrière les USA ...

Il existe une réelle préoccupation face au chaos croissant qui a gagné le monde capitaliste. Celle-ci pousse les bourgeoisies nationales les plus puissantes à essayer de li­miter l'expression de leurs diffé­rents impérialistes.

Avec l'éclatement du bloc de l'Est, les USA, l'Allemagne, les autres pays européens, ont d'abord pris garde de ne pas accélérer le désordre dans les pays de l'ex-Pacte de Varsovie. En particulier, tous ont soutenu les efforts de Gorbat­chev pour tenter de maintenir l'unité et la stabilité de l'URSS, et pour qu'il se maintienne lui-même au pouvoir. Le pire est pourtant ar­rivé venant confirmer leurs craintes. Leur préoccupation maintenant est le chaos écono­mique et social qui se propage, les conséquences des risques de fa­mines telle l'émigration massive, les risques de dérapages militaires de tous ordres, et, particulière­ment, la question brûlante du contrôle des armes nucléaires tac­tiques et stratégiques. Il y a un risque extrêmement grave de dis­sémination nucléaire. De fait, quatre nouveaux Etats instables, au lieu d'un seul, sont en posses­sion de ces armes de destruction massive. Et s'il est facile pour les USA de surveiller les armes «stratégiques», il n'en va pas de même pour les armes «tactiques». En clair, les «petites» bombes atomiques sont très mobiles, dis­persées, et n'importe qui peut s'en emparer, les utiliser ou les vendre, vu l'état d'anarchie et de chaos qui règne. Voilà le pourquoi des confé­rences d'aide à la CEI, des propo­sitions de démontage des armes nucléaires, des accords entre les USA et l'Allemagne pour assurer l'emploi des savants atomistes de l'ex-URSS : essayer de maintenir un contrôle minimum sur le nu­cléaire et limiter l'extension du chaos.

... les antagonismes impérialistes chaque fois plus forts aiguisent les tensions

Présentant devant le Congrès les scénarios de guerre que les USA pourraient affronter dans l'avenir, le chef du Pentagone, le Général Powell, précise que «la menace réelle à laquelle nous nous confrontons maintenant est la me­nace de l'inconnu, de l'incertain».{[8]) C'est en fonction de cet inconnu que les USA changent de stratégie militaire et mettent en place une version de la guerre des étoiles de Reagan adaptée à la nouvelle donne internationale, et à leur crainte d'éclatement de guerres nu­cléaires surprises et incontrô­lables : le GPALS, «système de protection globale contre les lancements accidentels ou limités» (Global Protection Against Limi­ted Strikes), qui aurait pour but de neutraliser complètement tout lan­cement de missile nucléaire d'où qu'il vienne, et où qu'il aille.

Les USA défendent leur hégémonie

Les USA sont les premiers intéres­sés à la lutte contre le chaos en gé­néral, et contre la dissémination nucléaire et le risque de conflits lo­caux atomiques incontrôlables en particulier, car cela pourrait re­mettre en cause leur position impé­rialiste dominante. Nous l'avions vu lors de la guerre du Golfe([9]), lors des Conférences de paix sur le Moyen-Orient desquelles les pays européens étaient exclus.([10]) Nous venons de le voir encore dernière­ment lors de la Conférence sur l'aide à la CEI réunie à Washing­ton, et où les USA ont tout orga­nisé, dictant les ordres du jour, nommant les commissions et leurs présidences à leur convenance, ré­duisant une fois de plus les autres pays européens, l'Allemagne et surtout la France, au rôle de com­parses impuissants, et ridiculisés lors de la mise en scène médiatique des premiers envois aériens de l'aide alimentaire à la Russie.

Le programme GPALS, qui, soit dit en passant, en dit long sur la croyance qu'a la bourgeoisie mon­diale, américaine en particulier, sur «l'ère de paix» qui devait ré­gner avec le nouvel ordre mondial de Bush, ce nouveau programme de «guerre des étoiles» est aussi la dernière expression, et de taille, de la volonté hégémonique des USA. En effet, il assurerait la «sécurité collective de Vancouver à Vladivos­tok (from V. to V.) ». Traduction : il assurerait, sans doute définitive­ment, en tout cas pour un long moment, la suprématie militaire américaine «de V. à V» sur l'Eu­rope et le Japon.

Quant aux «réductions» des dé­penses d'armement, aux «dividen­des de la paix», pour la bourgeoi­sie américaine, il ne s'agit pas de réduire son effort d'armement et de guerre, mais simplement de mettre au rancart tout ce qui ne sert plus. C'est à dire en gros la partie de l'arsenal qui était braquée sur l'URSS et qui a moins de raison d'être. On va essayer d'en vendre une partie à des prix défiant toute concurrence. Le reste ? Une mon­tagne de ferraille qui a coûté une fortune (la plus grande partie de l'immense déficit américain). Par contre, le budget de programme de guerre des étoiles (SDI) augmente de 31 %. Le coût total du pro­gramme serait de 46 milliards de dollars... La course aux armements continue.

L'Allemagne de plus en plus présente sur la scène impérialiste mondiale

Toute une série d'éléments vien­nent confirmer la tendance, inévi­table à ce que l'Allemagne appa­raisse comme la principale puis­sance impérialiste rivale des USA ([11]). Et la bourgeoisie améri­caine ne s'y trompe pas. Dès le mois de septembre 1991, quelques mois après la démonstration de force US dans le Golfe, le Washington Post relevait les élé­ments de la nouvelle «arrogance» («assertiveness») allemande :

«L'Allemagne menace de recon­naître la Croatie et la Slovénie ; elle amène l'Europe à entériner l'indépendance des Etats baltes; elle fustige ses alliés occidentaux pour leurs hésitations sur la ques­tion de l'aide à l'URSS ; elle ap­pelle à une interdiction rapide des missiles à courte portée, propose que la CSCE crée sa propre force de maintien de la paix, et somme ses alliés de lui donner plus de contrôle sur les troupes stationnées sur son sol.»([12])

«En décembre, l'Allemagne a forcé la main à ses partenaires européens en reconnaissant les deux Répu­bliques à peine un mois après le sommet de Maastricht où le prin­cipe d'une politique étrangère et de défense commune avait été accepté, à la demande de Bonn ; la Bundes­bank a relevé unilatéralement ses taux d'intérêt d'un demi point, dix jours après ce même sommet, où avait été entériné un processus d'union monétaire ; l'Allemagne n'a pas facilité la discussion du GATT, malgré la promesse formu­lée par Helmut Kohl de céder sur les subventions aux agriculteurs. Enfin, les diplomates de RFA adoptent une attitude de plus en plus impérieuse en Europe et aux Etats-Unis : on le sait, Kohl souhaite imposer l'allemand comme langue de travail communautaire... »{[13])

Les bourgeoisies américaine, an­glaise, et française aussi, même si c'est à divers titre, s'offusquent de la nouvelle «assertiveness» alle­mande. Elles n'y étaient plus habi­tuées. L'apparence d'unité qui pré­valait, se lézarde chaque fois un peu plus, l'Allemagne étant inévi­tablement poussée à défendre ses intérêts impérialistes propres, qui sont antagoniques à ceux des USA. En particulier, la révision de la Constitution qui lui interdit d'envoyer des troupes à l'étranger devient urgente : «L'engagement de moyens militaires pour réaliser des objectifs politiques en Europe et dans les régions voisines ne (devrait) pas être exclu.» ([14])

En effet, après la guerre du Golfe, l'Allemagne a aussi révélé ses li­mites actuelles dans l'affaire you­goslave : sans poids militaire, et surtout absente du Conseil de sécu­rité de l’ONU, elle n'a pu aider, comme il aurait été nécessaire, la Croatie. Les USA, paralysant les efforts de cessez-le-feu de la CEE, et retardant la décision d'envoi des casques bleus de l'ONU, ont laissé les mains libres à l'armée fédérale, tenue par la Serbie, pour mener une guerre sanglante et repousser les ambitions territoriales de la Croatie.

L'impérialisme français, entre deux maux, choisit le moindre

La bourgeoisie française qui ne se console pas d'être une puissance de second ordre sur la scène impéria­liste mondiale, se trouve prise entre son désir de s'affranchir de la tu­telle pesante des USA, et sa crainte «éternelle» depuis l'instauration du capitalisme, de la puissance alle­mande.

Elle croit avoir trouvé la solution à son problème dans l'Europe, dans la CEE. Dans le cadre d'une Eu­rope Unie, elle pourrait rivaliser avec les USA, et en même temps, parmi douze nations, elle pourrait juguler et contrôler l'Allemagne.

Pour l'instant, elle joue donc la carte allemande et se fait agui­cheuse : elle propose de mettre sa force nucléaire au service d'une défense européenne. Le ministre des affaires étrangères allemand a réagi avec «intérêt» à cette propo­sition. Alors que les Etats-Unis s'attribuaient tous les bons rôles dans la Conférence sur l'aide à la CEI - que Mitterrand avait jugée superfétatoire - et l'organisation de I’«Opération Espoir» (Provide Hope) d'acheminement de vivres à la Russie, la France proposait que ce soit le G7 qui organise cette opération. Le G7 est actuellement présidé par... l'Allemagne.

Cette dernière ne reste pas insen­sible aux charmes français : après la création de la brigade franco-allemande, des accords de coopé­ration militaire se constituent pour la construction d'un « eurocopter » (militaire évidemment) et l'Allema­gne songe à acheter l'avion de chasse français, le Rafale.

Mais si mariage il doit y avoir, il sera de raison. Il ne s'agit pas d'un coup de foudre comme on a pu le constater dans la question yougo­slave, où la France, «puissance mé­diterranéenne», penchait au début du côté américano-anglais, redou­tant que l'Allemagne gagne les rives de la Méditerranée par Croa­tie interposée et de voir ainsi amoindrie une partie de la valeur de sa dot. Toujours est-il que pour l'instant, l'idylle continue. Mais elle ne va pas sans poser des pro­blèmes à la France.

Les tensions entre USA et Europe s'accentuent

En fait, la France se trouve au centre d'une bataille qui la dé­passe. «Le regain de tension entre la France et les Etats-Unis marque l'avènement d'une nouvelle ère où les anciens alliés semblent s'apprêter, à devenir de nouveaux rivaux dans des domaines tels que le commerce, la stratégie militaire et le nouvel équilibre mondial, selon certains hauts fonctionnaires améri­cains et français.»([15])

Le point faible de l'alliance franco-allemande sur lequel tape la bourgeoisie américaine est bien sûr la France. Elle tape d'autant plus fort que la France pourrait aider l'Allemagne à accéder à l'arme nu­cléaire.

Les événements en Algérie, au Tchad et à Djibouti, l'instabilité sociale et politique de ces pays, sont mis à profit par les USA pour faire pression sur la France, remet­tant en cause la présence de celle-ci dans ses zones d'influence histo­riques, après l'avoir expulsée du Liban. Que se soit le FIS qui est fi­nancé par l'Arabie Saoudite, le gouvernement de Djibouti qui, sous l'influence de l'Arabie Saou­dite, met en question la présence de l'armée française sur son terri­toire, ou Hissene Habré le protégé des américains. La main des USA est présente qui vient s'appuyer sur le chaos effroyable qui prévaut dans ces pays, et du coup l'aggraver encore plus, pour ses in­térêts impérialistes, tout comme la défense des intérêts impérialistes allemands en Yougoslavie n'a fait qu'accroître la décomposition qui régnait.

La pression américaine se fait très forte aussi sur le plan économique dans le cadre des négociations du GATT avec la CEE. Là encore, c'est la France qui est la principale visée sur la questions des subven­tions agricoles. Liant les questions de sécurité, l'engagement améri­cain en Europe, au règlement des différents sur le GATT ([16]), les USA exercent un véritable chantage sur les pays européens visant à les divi­ser. Comme le dit un journal bul­gare, Douma : «alors que l'Europe construit "la maison commune eu­ropéenne de l'Atlantique à l'Oural" brique par brique, les Etats-Unis la détruisent, brique par brique, sous le mot d'ordre "de Vancouver à Vladivostok"» ([17])

Le Japon, autre grande puissance Impérialiste montante

De plus en plus, le Japon joue un rôle politique international qui, certes, n'est pas encore à la hau­teur des ses ambitions, mais qui s'en rapproche petit à petit. Le voyage de Bush en Asie, et au Ja­pon, et qui a eu pour objet fondamental le redéploiement des forces militaires américaines du Pacifique (base militaire à Singapour), a donné suite à des déclarations ré­pétées des dirigeants japonais sur «l'analphabétisme des ouvriers américains» et sur leur «manque d'éthique», suite aux pressions US pour l'ouverture du marché japo­nais aux produits américains. Au delà de ces péripéties secondaires, mais révélatrices du climat et du réveil de 1' «assertiveness» de la bourgeoisie japonaise, le Japon re­vendique de plus en plus de jouer un rôle politique de premier plan sur la scène impérialiste : il pose de plus en plus la question de la re­composition du conseil permanent de l'ONU ; il est à la tête de la force de l'ONU au Cambodge ; il intervient de plus en plus sur le continent asiatique (Chine, Corée) ce qui ne va pas sans inquiéter les USA([18]); et il réclame chaque jour avec plus d'insistance la restitution par la Russie des îles Kouriles (avec le soutien de l'Allemagne).

Le Japon va beaucoup plus vite que l'Allemagne sur les questions mili­taires. La révision de la Constitu­tion limitant l'envoi de forces ar­mées à l'étranger est beaucoup plus avancée. Et surtout, «il amasse d'énormes quantité de plutonium. Une centaine de tonnes. Beaucoup plus qu'il ne peut en consommer dans ses 39 centrales nucléaires actuelles (...). Alors la perspective d'un Japon stable et pacifiste trans­formé en puissance nucléaire n'a à priori rien d'alarmant. Pourtant, le Japon se donne les moyens de fabri­quer des armes nucléaires, et chaque pas de plus peut-être lourd de conséquences internatio­nales» {[19])

Il faut se rendre à l'évidence, le nouvel ordre mondial qui devait apporter la paix à l'humanité, est lourd de menaces. D'un côté le chaos et la décomposition envahis­sent la planète et exacerbent les conflits locaux de toutes sortes, les rivalités et les guerres impérialistes régionales, de l'autre, les antago­nismes impérialistes entre les grandes puissances prennent une tournure chaque fois plus aiguë et tendue. Leur développement, en­core relativement «soft», mesuré, poli, courtois si l'on peut dire, en surface du moins, va s'approfondir et venir accélérer et aggraver les effets de la décomposition du monde capitaliste, le chaos et la catastrophe sociale et écono­mique. Et il les accélère et aggrave déjà.

Une seule alternative a la barbarie capitaliste : le communisme

Face à la barbarie du monde capi­taliste, où le tragique le dispute à l'absurde, la seule force capable d'offrir une alternative à cette im­passe historique subit encore le contrecoup des événements qui ont marqué la fin du bloc de l'Est et de l'URSS. Les campagnes idéologiques internationales que la bourgeoisie a lancées sur «la fin du communisme» (en l'assimilant mensongèrement au stalinisme), sur «la victoire définitive du capita­lisme», ont réussi momentanément à gommer des consciences des grandes masses d'ouvriers toute perspective de possibilité quel­conque d'une autre société, d'une alternative à l'enfer capitaliste.

Ce désarroi qui touche le proléta­riat et la baisse de sa combativité ([20]) sont venus s'ajouter aux difficultés croissantes dues à la décom­position sociale qu'il rencontre. La lumpénisation, le désespoir et le nihilisme qui touchent déjà de grandes fractions du prolétariat mondial (à l'Est), représentent un danger pour les couches d'ouvriers (particulièrement les jeunes) rejetés de la production et au chômage. L'utilisation cynique de ce déses­poir par la bourgeoisie, représente aussi une difficulté supplémen­taire. En particulier, elle déve­loppe et attise des sentiments anti­-immigrés et racistes, ce qui risque d'être encore plus alimenté par les vagues massives d'immigration à venir (spécialement des pays de l'Est). Les fausses oppositions ra­cisme et antiracisme, totalitarisme et démocratie, fascisme et anti­fascisme, sont des tentatives de détourner les ouvriers de leurs luttes, du terrain anti-capitaliste de défense de leurs conditions de vie et d'opposition à l'Etat bourgeois, que les révolutionnaires doivent dénoncer implacablement.

Néanmoins, les temps changent et la crise économique, la récession ouverte qui touche les plus grandes puissances mondiales, USA en tête, reviennent au premier plan des préoccupations ouvrières. Les attaques contre la classe ouvrière sont en train de s'accélérer bruta­lement dans les principaux pays industrialisés. Les salaires sont bloqués depuis longtemps et aux USA «les salaires réels moyens des ouvriers (sont) plus bas qu'il y a 10 ou 15 ans»([21]). Mais surtout, les li­cenciements se multiplient drama­tiquement, et tout particulièrement dans les branches centrales de l'économie mondiale. IBM pour l'informatique a supprimé 30 000 emplois en 1991 et en prévoie au­tant en 1992; General Motors, Ford et Chrysler dans l'automobile ont accumulé les pertes (7 milliards de dollars) et licencient massive­ment ; les industries d'armement (General Dynamic, United Tech­nologies) aussi. Des milliers d'emplois sont supprimés dans ces secteurs. Des milliers d'autres le sont dans les services (banques, as­surances) : «Le nombre de de­mandes d'allocations chômage laisse à penser que 23 millions de personnes ont perdu leur emploi Vannée dernière.»

Sur une population de 250 millions d'habitants aux USA, 9 % de la po­pulation, 23 millions de personnes, vivent des «food stamps», c'est à dire des bons de nourriture. Plus de 30 millions vivent sous le seuil de pauvreté, et, à ce titre, bénéficient d'une protection de santé, le «Medicaid». Mais 37 millions, qui ont un niveau de vie au dessus de ce seuil, ne bénéficient d'aucune cou­verture de santé, qu'ils ne peuvent se payer. Ces gens sont dans l'impossibilité de se soigner... et la moindre maladie se transforme en catastrophe pour ces familles. C'est-à-dire qu'au bas mot 70 mil­lions de personnes vivent dans la misère ! Voilà ce qu'il en est de la «prospérité» tant vantée du «capitalisme triomphant».

Bien évidemment, les licencie­ments massifs ne touchent pas que les ouvriers américains. Les taux de chômage sont particulièrement élevés dans des pays comme l'Espagne, l'Italie, la France, le Canada, la Grande-Bretagne. Par­tout, ils s'envolent dans les secteurs centraux de l'économie, dans l'automobile, dans la sidérurgie, dans les industries d'armement. Même le fleuron de l'industrie al­lemande, Mercedes (tout comme BMW), va licencier.

C'est une attaque terrible que la classe ouvrière des pays industriali­sés commence à subir, une attaque qui vise à ramener ses conditions d'existence au plus bas.

Les licenciements, les baisses de salaires, la détérioration générale des conditions de vie, vont contraindre la classe ouvrière à re­prendre le chemin du combat et des luttes massives. Ces luttes vont devoir de nouveau se confronter aux impasses politiques des partis de gauche et des gauchistes, aux manoeuvres syndicalistes, tel le corporatisme, et rechercher l'extension et l'unification des luttes. Dans ce combat politique, les groupes révolutionnaires et les ouvriers les plus combatifs et conscients auront un rôle crucial d'intervention pour aider au dé­passement des pièges posés par les forces politiques et syndicales de la bourgeoisie.

Parallèlement, ces attaques contre les conditions de vie ouvrière vien­nent démentir le mythe de la pros­périté du capitalisme, et révèlent aux yeux des grandes masses d'ouvriers l'état de faillite du capi­talisme, sa banqueroute historique sur le plan économique. Cette prise de conscience va les pousser à rechercher de nouveau une alterna­tive au capitalisme et gommer ainsi petit à petit les effets des campagnes bourgeoisies sur «la fin du communisme» et accélérer la re­cherche d'une perspective de lutte plus large, plus ample, d'une lutte historique et révolutionnaire. Dans ce processus de prise de conscience, les groupes commu­nistes ont un rôle indispensable de rappel des expériences historiques du passé, de réaffirmation de la perspective du communisme, de sa nécessité et de sa possibilité histo­riques.

Le futur va se jouer dans les affron­tements de classes qui vont inévi­tablement intervenir. Seuls la révolution prolétarienne et la destruction du capitalisme peuvent sortir l'humanité de l'enfer qu'elle subit quotidiennement. Seuls, ils peuvent éviter l'approfondissement de la barbarie capitaliste jusqu'à ses ultimes et dramatiques consé­quences. Seuls, ils peuvent permettre l'établissement d'une communauté humaine où l'exploitation, la misère, les fa­ mines et les guerres seront éradiquées à jamais.

RL, 23/2/92

 

 

« Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l'asservissante subordination des individus à la division du travail et, par suite, l'opposition entre travail intellectuel et travail corporel; quand le travail sera devenu non seulement le moyen de vivre, mais encore le premier besoin de la vie; quand avec l'épanouissement universel des individus, les forces productives se seront accrues, et que toutes les sources de la richesse coopérative jailliront avec abondance - alors seulement on pourra s'évader une bonne fois de l'étroit horizon du droit bourgeois, et la société pourra écrire sur ses bannières : "De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins".»

Marx. Critique du Programme de Gotha



[1] Le Monde, 31/1/1992.

[2] Le Monde 19/1/1992.

[3] Selon la presse Tchécoslovaquie traduite dans Courrier International n 66, et Le Monde du 11/2/1992.

[4] Le Monde, 16/2/1992.

[5] International Herald Tribune, 21/2/1992.

[6] Le Monde, 16/2/1992.

[7] Baltimore Sun  repris  par International Herald Tribune du 12/2/1992.

 

[8] International Herald Tribune, 19/2/1992.

[9] Voir Revue Internationale n° 63, 64, 65.

[10] Voir Revue Internationale n° 68.

[11] Voir  "Vers le plus grand chaos de l'histoire, Revue Internationale n° 68.

[12] Washington Post, 18/9/1991, traduit par Courrier International n° 65.

 

[13] Editorial de Courrier International n° 65, 30/1/1992.

[14] Déclaration du Ministre allemand de la Défense, G. Stoltenberg, Le Monde, 18/1/1992.

[15] Washington Post repris par Y International Herald Tribune, 23/1/1992.

[16] Voir les déclarations du vice-président américain, Dan Quayle, Le Monde 11/2/1992.

[17] Cité par Le Monde, idem.

[18] International Herald Tribune, 3/2/1992.

[19] Financial Times,  traduit par Courrier International n° 65.

 

[20] Voir Revue Internationale, n° 67, "Résolution sur la situation internationale" du 9 Congrès du CCI.

[21] International Herald Tribune,

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