Soumis par Revue Internationale le
INTRODUCTION A LA LETTRE A "DIVERSION",
La lettre qui suit fut adressée à un groupe argentin qui, se réclamant de l’essentiel des conceptions de l’"INTERNATIONALE SITUATIONNISTE", nous a fait parvenir des extraits du premier numéro à paraître, de leur revue : "DIVERSION". A travers la critique de ces documents, elle est donc amenée à traiter de ce qu’on a voulu appeler le "situationnisme".
Le "situationnisme" fut l'expression la plus radicale du mouvement étudiant qui, réagissant aux premiers symptômes de la crise économique mondiale secoua les principaux pays occidentaux à la fin des années
Préconisant la "fin de l'université", la destruction radicale de l’Etat bourgeois avec ses syndicats et ses "partis ouvriers" staliniens, trotskistes et autres dérivés, se revendiquant du "pouvoir international des "Consei1s Ouvriers", il tranchait d'avec le gauchisme universitaire qui réclamait "la modernisation de l'université", l'instauration de "gouvernements démocratique" formés par les "partis ouvriers" du capital, et ne mettait derrière le mot révolution que la revendication de capitalisme d'Etat.
Mais 1'"Internationale Situationniste" ne survécut pas au mouvement qui l’avait portée au sommet de sa gloire. Avec la fin de la contestation estudiantine, l’IS se dissout dans une série de scissions et d'exclusions réciproques portant sur la problématique qui lui était en fait la plus spécifique, à savoir les problèmes du petit-bourgeois intellectuel, sincèrement révolté entre la société capitaliste, mais impuissant a envisager les problèmes de 1’humanité autrement qu'à travers ceux de sa petite individualité, ceux de la ''misère de sa vie quotidienne". Incapables tout comme les socialistes utopistes du XIX° siècle dont ils aimaient tant se réclamer, de reconnaître réellement dans la classe ouvrière la seule force révolutionnaire de la société ; les situationnistes ont fini par s'user dans les impasses mesquines et nombrilistes de la recherche de l'auto "désaliénation".
Cependant, par ses positions contre le syndicalisme, le parlementarisme, le frontisme, le nationalisme, le capitalisme d'Etat présenté comme socialisme, le situationnisme fait encore illusion aujourd'hui dans des noyaux cherchant à se transformer en facteurs actifs de la révolution communiste. Mais, tout comme il y a sept ans, son incompréhension des fondements mêmes du marxisme le déterminisme économique et le rejet de toute possibilité d'activité révolutionnaire en dehors de la lutte historique de la classe ouvrière — fait du "situationnisme" cette théorie de la petite bourgeoisie révoltée, une impasse réactionnaire pour toute démarche vers l'activité révolutionnaire.
C'est ce que nous avons voulu mettre en évidence dons cette lettre à "Diversion".
LETTRE A "DIVERSION" (Argentine).
Le texte de Maria Teresa et de Daniel commence par dire :
"La lutte que nous avons engagé contre le vieux monde, la réalisation de moments qui ne soient pas morts entre dans une phase nouvelle. La société spectaculaire-marchande se divise et affaiblit ses forces dans cette période historique. La "diversion" surgit et sa force va grandissante. Et le lecteur attentif constate qu'il ne parvient pas réellement à comprendre ce que les auteurs ont voulu exprimer dans ces lignes. Il lit dans le texte, toujours attentif, jusqu'à la dernière ligne, dans l’espoir d’un éclaircissement. Mais la seule conclusion à laquelle il puisse parvenir en fin du dernier paragraphe, c’est que son incompréhension est due en réalité à l'incohérence des idées qui les rend si obscure.
Voyons point par point :
LE SUJET DE L’HISTOIRE.
"Il est dit, dans 1e dernier paragraphe : "la poursuite cohérente de la réalisation du pouvoir international dés Conseils Ouvriers". Et le texte commence par "La lutte que nous avons engage centre le vieux monde". Qui çà nous? Si l'on considère que "le pouvoir international des Conseils Ouvriers" est l’actuelle finalité historique, un moment de la lutte pour détruire le vieux monde, On doit logiquement admettre que la classe ouvrière seule est le réel sujet de cette lutte. (A moins de supposer que ce pouvoir international soit donné à la classe ouvrière par une autre classe ou par un groupe d’individus, comme le croient, ou croient le croire, les léninistes de tous poils — ce qui est supposé ne pas être votre cas).
On est donc amenés à se demander : pourquoi, dans tout le reste du texte, il n’est jamais plus question ni de la classe ouvrière, ni de 1a lutte quelle mène depuis 150 ans, pourquoi rien n'est déduit, absolument rien, de toutes les expériences que la classe révolutionnaire a dégagé tout au long de sa lutte contre 1e vieux monde, le monde capitaliste, et qu' elle a payé si, cher ?
Si l'on est réellement convaincu que, dans la société actuelle la classe ouvrière est le sujet de l’histoire, il faut écrire, au lieu de "la lutte que nous avons engagé contre 1e vieux monde", "la lutte que la classe ouvrière à engagé contre le vieux monde depuis plus do 150 ans".
Ce qui alors devient incompréhensible, c'est, le passage, sur la "réalisation de moments qui ne soient pas morts". Elle prête à croire que la lutte du prolétariat depuis ses débuts "est faite de la réalisations de moments qui ne soient pas morts". On peut supposer que ces derniers sont des moments de "vie réelle", c’est à dire des moments; dans lesquels l’homme, ou plutôt dans ce cas les ouvriers, ont pu développer sans entraves et harmonieusement leurs capacités. Mais,
— premièrement seuls les réformistes récalcitrants peuvent croire que cela est possible "momentanément" et dans le cadre de cette société. "Réalisé" dans cette société, c’est la mystification de base qu’utilisent les réformistes. La vérité des révolutionnaires, c’est que la destruction de cette société est indispensable pour pouvoir en réaliser une autre plus humaine, et que c’est donc qu’il faut commencer. Une des particularités ode la révolution prolétarienne réside dans le fait que c'est la première fois dans l’histoire qu’une révolution sera faite par une classe exploitée, ce qui implique que pour la première fois dans l’histoire, il est impossible de faire surgir la nouvelle société à l'intérieur de la vieille (comme la féodalité put surgir dans la société esclavagiste, et plus tard la bourgeoisie put apparaître dans le monde féodal. Il n'y a pas aujourd'hui d'arrangement politico-économique possible entre la classe dominante et la classe révolutionnaire, parce que ce ne sont pas deux classes exploiteuses qui s'affrontent, mais bien la classe exploitée et la classe exploiteuse. C'est donc une conception parfaitement réformiste et tristement étriquée que vous défendez en écrivant :
"La fausseté de la séparation entre "travail manuel et travail intellectuel "doit être démontrée en nous mène. Notre expérience nous a démontré que dans le chemin "pour devenir humains, nous devons développer nos aptitudes, été capables de souder un tuyau aussi bien que ranger une cuisine, savoir parler plusieurs langues ou exercer des médecines traditionnelles" (indigènes, massages, herbes, acupuncture, etc.)
La séparation entre travail manuel et intellectuel n'est ni faussé ni juste. Elle est une nécessité de cette société, au "même titre que sa disparition le sera dans la future société. Son élimination n’est pas un problème individuel, pour la bonne raison que son existence ne l'est pas et ne le fut jamais. Nous ne pourrons l'éliminer qu'à l'échelle mondiale uniquement, car ce n’est qu'à l'échelle mondiale que son élimination répondra à une nécessité objective, et donc à une possibilité. C'est une triste et pauvre illusion que de penser que "souder des canalisations" entre deux lectures philosophiques contribue un tant soit peu à éliminer la division entre travail manuel et intellectuel! Le prolétariat ne lutte pas pour créer d'illusoires moments individuels pendant lesquels s'éliminerait cette division. Sa lutte, bien au contraire, a pour but la création des conditions matérielles concrètes (la dictature politique des Conseils Ouvriers dans le monde entier) qui permettront de commencer à établir les bases d'une société nouvelle dans laquelle cette division pourra et devra disparaître, non pas momentanément, mais de façon, définitive.
— deuxièmement : le moteur de l'action des classes, et donc celui de la classe ouvrière, n'est pas constitué spécifiquement par une "critique de la vie quotidienne" ou par la quête de "moments non morts". Dans la société actuelle, comme dans toutes les sociétés du passé, la "vie quotidienne" a toujours été aine vie inhumaine, non seulement pour les classes exploitées, mais aussi pour tous les hommes. Il ne fait aucun doute que tous les hommes, en fin de compte, cherchent des améliorations, l'humanisation de leur vie quotidienne, et cela est aussi vrai pour les bourgeois que pour les prolétaires. Les individus aujourd'hui bourgeois auront une vie plus humanisée, seront plus heureux dans la future société. On se demande alors pourquoi les uns luttent pour la destruction de la société actuelle tandis que les autres œuvrent à sa perpétuation. Considérée du point de vue de la problématique de la vie quotidienne, cette réalité reste incompréhensible. En outre, si l'on pousse de façon cohérente la problématique qui fait de la lutte contre l'aliénation individuelle de la vie quotidienne le moteur de la lutte révolutionnaire, il faut bien vite en arriver aux conclusions suivantes :
1° la révolution n'est pas une question de classé, c'est à dire d'hommes déterminés par leur situation économique au sein d'un mode de production, mais bien plus une question d'individus plus ou moins aliénés (ce n'est pas un hasard, s'il n'est presque jamais parlé de "classes" dans vos textes, pas plus que dans ceux de l'IS).
2° Les individus les plus révolutionnaires seraient les petits-bourgeois intellectuels, parce que leur vie est la plus "irréelle" et aussi parce que leurs préoccupations personnelles sont les plus favorables à la réflexion sur tous ces problèmes d'ennui et "d’absurdité de l'existence" (un groupe social sans position réelle dans le mode de production est bien sûr le plus sujet aux angoisses "existentielles" caractéristiques d’une classe sans passé ni devenir historique). "Ce n'est pas du tout par hasard que vous écrivez : "la possibilité de réalisation de l'histoire de l'humanité se trouve dans l'union indissoluble des luttes des groupes qui veulent être révolutionnaires et du mouvement toujours inachevé — dans cette préhistoire — de la rage des déclassés ; dans, l'addition totale de leurs talents et volonté dans le combat contre le " spectacle dominant".
Si vous voulez croire, avec les anarchistes, que l'histoire humaine est le produit de 1'"addition totale des talents et volonté" d'individus qui "veulent" et d'hommes "déclassés", c'est votre affaire. Mais expliquez alors quel besoin vous avez de parler du "pouvoir international des Conseils ouvriers."
Le pouvoir des Conseils Ouvriers suppose les ouvriers organisés en tant que classe. Dire que ce pouvoir constitue le chemin vers la société sans classe revient à dire que la réalisation de l'histoire de l'humanité sera le fait de la lutte de la classe ouvrière.
La problématique de la vie quotidienne peut sembler permettre la critique globale de tous les Etats actuels, URSS, Chine ou USA, sans avoir à assumer la tache pénible de la démonstration économique, scientifique, qu’ils sont tous des formes que prend le capitalisme à un stade plus ou moins avancé de son évolution vers la forme la plus décadente du système : le capitalisme d'Etat.
Mais la critique de la vie quotidienne, en réalité, à force de tout englober (toutes les classes, toutes les époques de 1’histoire) n'englobe que le vide, elle n’est faite que de mots creux, qui parviennent tout juste à cacher l'essentiel (la lutte des classes), poussant ses adeptes à perdre leur temps dans des traités sur "le parfait self-made free man".
— troisièmement : le "chemin pour devenir humains" dont vous parlez et que tout individu (quelle que soit son origine de classe) peut chercher, ne peut pas être un chemin "d'auto-purification solitaire", d'"auto-désaliénation individuelle"; être humain revient à s'assumer en tant qu'être humain, c'est à dire faisant partie intégrante de l’humanité et implique donc, avant tout, d'assumer l'histoire de l'humanité en s'intégrant en tant que facteur conscient et actif dans cette évolution historique de 1' espèce.
Pour l'instant, au sein de cette dernière étape de la "préhistoire de l'humanité", "règne et domination de la nécessité", 1'"histoire de l'humanité est toujours l'histoire de la lutte des classes"; dans ce contexte, être humain revient à être un facteur actif dans la lutte d'une classe déterminée, la classe-révolutionnaire : la lutte de la classe ouvrière pour la défense de ses propre intérêts, qui aujourd'hui se confondent avec les intérêts de .l'humanité entière.
Les idées ne sont pas le fruit d'autres idées, elles sont, des produits de la vie pratique des hommes et celle -ci ne peut être que sociale. Dans une société divisée en classes, les idées révolutionnaires ne peuvent être que le produit de la pratique historique de la classe révolutionnaire.
Lorsque dans votre texte vous faites référence à ce que doit être l'organisation des révolutionnaires (la quasi totalité du texte traite de ce sujet) et aux convictions qui doivent l'animer, vous ne faites jamais référence à la pratique historique de la classe révolutionnaire. C'est pour cela que votre texte est, dans le pire sens du terme, idéologique, idéaliste. Au lieu de prendre pour point de départ la pratique historique de la classe pour parvenir à définir ce que doit être un de ses instruments —1'organisation des révolutionnaires —, et à partir de son rôle et sa fonction, ensuite, définir comment doivent agir les individus qui y adhèrent, au lieu de prendre ce processus d'analyse réellement matérialiste, vous poursuivez un processus inverse (celui-là même que Marx a critiqué dans les "Thèses sur Feuerbach" et qu'il qualifiait de matérialisme "intuitif", "vulgaire"), prenant pour point de départ et comme ultime point de vue l’individu, considéré hors de la pratique sociale, extérieur aux classes.
Ainsi, alors que la classe ouvrière mondiale réapparaît plus forte que jamais dans tous les recoins de la planète, après cinquante ans de contre-révolution triomphante, alors que cette réapparition est engourdie par un demi-siècle d'obscurantisme stalinien, social-démocrate, qui parle de socialisme de nationalisations et autres pièges que le capital mondial tient toujours tendus, alors que la classe ouvrière affronte la dure tâche de se réapproprier son expérience historique révolutionnaire, vous perdez les 3/4 de votre première publication et de votre temps en bavardages d'auto-désaliénation au moyen de lampes à souder, d'herbes indigènes et autres "diversions" de votre médiocrité quotidienne.
Il est effectivement important de dénoncer tous ceux qui testent de confondre capitalisme d'état et socialisme, tous ceux pour qui "la révolution" n'implique pas une transformation radicale dans tous les rapports humains. Cependant, baser notre critique sur ce dernier aspect est en fin de compte secondaire car permettant trop de confusions du simple fait qu'il épargne et laisse de côté l'essentiel : la lutte de classe et il est révélateur de constater à quel point les sociaux-démocrates européens sont loin de l'ignorer, et en particulier en France, où leurs slogans préférés depuis quelques années sont : "changer la vie" et "socialisme autogestionnaire". Et ce n'est pas pure démagogie : le premier slogan permet de diluer le prolétariat dans le "Peuple", c’est-à-dire 1’ensemble des classes posant problèmes et solutions à l’échelle des INDIVIDUS. Le second mot d'ordre a pour but d’enfermer la classe dans ses usines, en faisant jouer les ouvriers à la "gestion de leur propre exploitation", de leur propre misère, pendant que le Capital conserve les rênes du pouvoir central face à une classe atomisée, auto-divisée, auto castrée. L'expérience de 1920 en Italie, où la classe ouvrière se laissa enfermer dans ses usines en jouant al1 auto-exploitation, pendant que le gouvernement de Giolitti (lequel n'interrompit même pas ses vacances pour mener à nier 1’opération), avec l’appui. des syndicats, s'emparait sans coup férir avec sa police de toute la ville, est un clair, et parfait exemple du contenu et des dangers de toute la mystification autogestionnaire et de la "vie quotidienne".
Dans la période actuelle, le prolétariat — la classe ouvrière — est le seul sujet de 1'histoire. Toute idéologie, toute conception qui ne prend pas la classe ouvrière comme axe essentiel de la lutte révolutionnaire, se situe du fait hors de 1' histoire, hors du terrain réel de la révolution. C'est essentiellement pour cela qu'elles peuvent si facilement devenir des instruments de la contre-révolution.
Là PERIODE HISTORIQUE ACTUELLE
Revenons au premier paragraphe du texte qui, en fin de compte, résume l'essentiel des faiblesses du texte entier.
Il y est affirmé que "la lutte... contre le vieux monde entre dans une nouvelle phase". "La société. spectaculaire—marchande se divise et affaiblit ses forces dans cette période historique". "La DIVERSION surgit et sa force va grandissante".
Laissons de côté ce qui concerne la DIVERSION, que vous définissez comme étant "le dépassement de la séparation entre le jeu et la vie quotidienne", puisque la première partie de cette lettre ébauche la critique de ce genre de concept. Ecartons aussi cette formule qui désigne le Capital :"société spectaculaire-marchande", car le terme "spectaculaire" qu'aimait tant à employer l.'I.S. est des plus confusionniste et l'Association "spectaculaire-marchande", au lieu de préciser la spécificité historique de la société actuelle (ce qui distingue le capitalisme des autres formes sociales dans l’histoire) ne fait que la diluer.
Ces deux points étant écartés, nous sommes totalement d'accord pour dire que la lutte historique de la classe ouvrière entre dans une "nouvelle phase" et que le système capitaliste "se divise et affaiblit ses forces". Il n'empêche que tout ceci, aujourd’hui, ne dépasse pas le stade de la constatation banale telle qu'elle peut apparaître sur la couverture du "Time Magasine". L'important est de dégager :
1° pourquoi se développent ces deux phénomènes et pourquoi aujourd'hui ;
2° en quoi consiste cette nouvelle phase de la lutte révolutionnaire.
Votre texte ne donné aucune réponse suffisante à ces deux préoccupations essentielles.
A la question "pourquoi la société capitaliste se divise et affaiblit ses forces" de façon générale, la seule réponse que vous donnez se trouve dans la bande dessinée qui s’appelle "Dialectique de l'Etat, dialectique de la pourriture". Le "super-héros" de cette historiette dit : "Une légère régression suffit, un grain de sable dans les systèmes, pour qu'éclate la crise; ou pour mieux dire, pour qu'elle révèle sa réalité immédiate. Au moindre prétexte — récession économique, brutalité policière, émeute de football, règlement de comptes — la violence sociale reprendra son escalade !"
Qu'est-ce que la "violence sociale"? Est-elle l'exploitation et l'oppression quotidienne ? Est-elle la lutte révolutionnaire du prolétariat ? Le terrorisme d'individus désespérés ? Celui de factions de la bourgeoisie luttant pour prendre le pouvoir ? Afin que la phrase suivante dans l'historiette — "le moment n'est.pas venu ... de s'engager consciemment dans un travail pour favoriser l'évolution de la révolution internationale" (?) — prenne un sens, nous allons : supposer qu'il s'agit de la lutte de la classe révolutionnaire contre le vieux monde.
Cette idée est alors complètement fausse. Depuis des décennies, les fameux "moindres prétextes" dont vous parlez, se sont produits des dizaines de fois (récessions économiques), des milliers (émeutes de football), des millions de fois (règlements de comptes), sans que la lutte révolutionnaire "reprenne son escalade". En outre, d'où avez-vous pu sortir cette idée qui vous fait dire qu'une "légère régression" SUFFIT pour faire éclater la crise permanente dans laquelle est plongée la société? De quel monde parlez-vous donc ? De celui qui apparaît dans l’historiette de science-fiction ou de celui dans lequel nous vivons ?
Si nous considérons un individu pris isolément, il est juste de dire que sa prise de conscience de la crise dans laquelle vit .l'humanité depuis plus de cinquante ans peut être provoquée par n'importe quelle cause : révolte contre le père, problèmes affectifs, crise de religion, lecture de textes, etc… Mais il serait absurde de confondre le monde personnel de chacun et le monde social réel. La vie individuelle est déterminée par la vie sociale, mais la vie de la société n’est pas le produit de l'addition des vies individuelles— comme le prétend l'idéalisme. La révolution prolétarienne a déjà éclaté plus d'une fois dans l'histoire, et qui n'en a pas une ignorance totale sait que ce qui la fait surgir en tant que mouvement apparent est déterminé par :
1°) une condition nécessaire (ce qui ne signifie pas suffisante) : une crise économique suffisemment profonde. Elle seule peut forcer toutes les classes (couches sociales d'hommes déterminés non par leurs idées, ni par la couleur de leur peau, ni par leurs coutumes, etc., mais avant tout par leur situation à l'intérieur du rapport social de production), et en particulier le prolétariat, à tenter d'agir selon leurs intérêts spécifiques. La crise économique du système, met en évidence la NECESSITE de réorganiser différemment la société, puisque jusqu'à présent, le squelette de la société reste l’économie.
2°) une condition suffisante : la classe ouvrière ne se trouve pas dans une période historique de défaite lorsqu'éclate la crise (comme cela pouvait être le cas dans les années 1929-46, quand la classe ouvrière mondiale gisait sous la botte de la contre-révolution triomphante, de Moscou à Madrid et de Canton à Berlin en passant par Turin).
Voilà les conditions générales qui peuvent être déduites de l'expérience historique d'un siècle et demi de luttes ouvrières. Ce sont les conditions pour qu'éclaté ouvertement lai révolution prolétarienne, mais elles ne suffisent pas pour attester son triomphe. Celui-ci dépend de mille autres facteurs qui influent sur le rapport de force entre le prolétariat et le capital — mais ce n'est pas le sujet de la discussion pour le moment.
On peut en tous cas dégager que les conditions de cette explosion, nécessaires pour que la révolution prolétarienne "reprenne son escalade", n'ont rien de commun avec les "moindres prétextes" dont vous parlez. Selon votre conception de la révolution sociale, la force révolutionnaire est toujours présente, éternellement, toujours prête à détruire le vieux monde au nom du monde à venir. Avouons qu'elle fait étrangement penser au désir de communisme des chrétiens primitifs. Sur quoi vous basez-vous pour affirmer la nécessité et la possibilité de la révolution prolétarienne internationale? Sur l'indignation que peuvent provoquer les injustices? Sur 1’aliénation exagérée de la vie quotidienne? Pensez-vouer réellement que Mai 68 en France et l'Automne 69 en Italie, Décembre 70 en Pologne, les luttes du Ferrol, de Pampelune ou de Valladolid en Espagne, la généralisation de grèves sauvages en Angleterre en 72, le "Cordobazo" et le "Mendozazo" en Argentine etc., soient le produit spontané mondial de la renaissance de l'idée de justice en soi? Pensez-vous que c'est par pur hasard si les luttes ouvrières se sont développé internationalement peu près 1;entrée dans une nouvelle crise de l'économie capitaliste (seconde moitié des années 60), lorsque s'est achevée la "prospérité" de la reconstruction (due aux dégâts produits par la seconde guerre mondiale) aux sons agressifs des clairons des pays "reconstruits" qui cessaient d'être un marché pour les USA, tout en commençant à nécessiter pour eux-mêmes des marchés pour écouler leurs marchandises.
Aujourd'hui, à nouveau, le capitalisme referme le cycle de survie qui est le sien depuis la première guerre mondiale : CRISE-GUERRE - RECONSTRUCTION - CRISE etc.
Pour faire face à la crise dans laquelle s'enfonce toujours plus le capitalisme décadent, l'humanité ne dispose aujourd'hui que de deux solutions :
- la solution prolétarienne, la révolution, qui détruira le système capitaliste et instaurera le socialisme, mettant ainsi fin à la préhistoire de l'humanité ;
- la solution capitaliste, si le prolétariat est vaincu dans sa tentative révolutionnaire, c'est à dire une troisième guerre mondiale qui relancerait le cycle de reconstruction et la perspective d'une nouvelle crise qui reposera le même problème.
Si on peut aujourd’hui dire que 1'alternative est à nouveau "socialisme ou barbarie", ce n'est pas en fonction d'un éternel principe de "justice" qui guiderait 1'évolution de l'humanité, même si on peut 1'opposer au cycle capitaliste. L'histoire nous apprend (et l'actualité nous le confirme) que la crise économique du système capitaliste impose la Barbarie de la guerre impérialiste, la destruction généralisée, et met à l'ordre du jour, d'autre part, la réaction d’une des classes exploitées, la classe ouvrière. Cette dernière, de par sa position de classe EXPLOITEE et ASSOCIEE dans la production, est porteuse, dans son opposition, et sa résistance à l'exploitation et à l'oppression du capital, de la solution socialiste la société nouvelle.
On ne peut comprendre 1es événements mondiaux actuels que sur cette base, et sur elle seule se fonde de façon sérieuse la perspective révolutionnaire internationale.
En fait, l'essentiel de cette discussion se résume, en un point : êtes-vous, oui ou non, marxistes ? "L’Internationale Situationniste", qui héritait pour une grande part de la tradition de "Socialisme ou Barbarie" ne l'était pas: (bien que jamais elle n'osa clairement 1'avouer). Elle se contenta de répondre, comme souvent, par des plaisanteries et des pseudos clins d’œil pour "pseudo-initiés", dans le genre : "Marx a fondé l'IS en 1864" ou "Comme le disait Marx, nous ne sommes pas marxistes".
Tout comme "S ou B", l'IS est une partie du tribut que le mouvement révolutionnaire a du payer à la contre-révolution stalinienne et a la plus gigantesque mystification de l'histoire : celle qui présente le marxisme comme étant le support théorique du capitalisme d'Etat.
Notre tâche aujourd'hui consiste à nous réapproprier l'expérience de notre classe, et le marxisme en fait partie intégrante, essentielle. Pour ce faire, il est nécessaire d'abandonner certaines attitudes puériles, en particulier celle de croire que ce qui est révolutionnaire est défini en réaction inverse à ce qui est contre-révolutionnaire. La théorie prolétarienne, les conceptions révolutionnaires, ne sont pas l'inverse de la contre-révolution, mais bien les résultats de la pratique historique de la classe révolutionnaire.
Rompre avec la tradition révolutionnaire du militantisme parce que les staliniens créèrent un militantisme qui correspondait à leurs fins contre-révolutionnaires, rompre avec l'idée de PARTI parce que les partis actuels sont tous dans le camp de la bourgeoisie, rompre avec les enseignements de l'expérience du prolétariat russe en 17 et du parti bolchevik parce que celui-ci y incarna la contre-révolution, toutes ces ruptures ne font rien d'autre que prendre le contre-pied symétrique de la contre-révolution.
Ce qui distingue la lutte prolétarienne des luttes des autres classes exploitées; c'est précisément que c'est la seule qui puisse s'affirmer POSITIVEMENT, car elle apporte une solution au devenir historique, alors que les autres, (petits-paysans, petits commerçants) ne parviennent difficilement et ce, dans le meilleur des cas, qu'à une REBELLION purement négative : elles s'affirment contre 1'évolution du capitalisme sans être à même d'apporter là perspective d'un autre type d'évolution. Dans ce sens, seul le prolétariat est à même d'engendrer une pensée, une conception du monde réellement autonome, par rapport à l'idéologie dominante. Le prolétariat, SEUL, peut NIER le capitalisme, parce que lui SEUL peut le-dépasser.
C'est à partir de ce point de vue que nous pouvons nous situer, et non à partir de la simple antithèse systématique de la contre-révolution,
Quant à la seconde question : quelle est, cette "nouvelle phase" dans laquelle entre la lutte du prolétariat, c'est encore dans 1'historiette de bande dessinée que nous avons cru devoir trouver la réponse. Il y est dit: Si le prolétariat ne se dissout pas bientôt, mettant ainsi fin à la société de classes, à la société de survie, au système spectaculaire-marchand, à la perspective de pouvoir. S'il n'établit pas l'autogestion généralisée, l'harmonie sociale basée sur les assemblées souveraines, le risque existe que le mal de la survie généralise le réflexe conditionné de la mort.
La question se pose d'abord : qu'entendez-vous par "si le prolétariat ne se dissout pas bientôt" ?
Il est juste dé dire que la disparition de la société divisée en classes, accélérera la disparition, la dissolution du prolétariat. "Ceci n'est cependant pas le début de la lutte révolutionnaire, mais bien son ultime conséquence, car l'élimination des classes n'implique pas seulement la destruction du pouvoir de la bourgeoisie, mais aussi l'élimination de tous les vestiges économiques de la société capitaliste, et en particulier de la marchandise ce qui implique l'élimination AU NIVEAU MONDIAL de toute échange, ce qui à son tour implique que les richesses de la société soient suffisantes PARTOUT DANS LE MONDE, ce qui ne pourra être possible qu'après un certain temps de domination, par les producteurs, des moyens de production.
La période de transition entre capitalisme et communisme n'est rien d'autre que la période durant laquelle le prolétariat va s'étendre à l'ensemble de la population du globe. Non pas en s'auto-dissolvant dans les autres couches sociales, mais au contraire en intégrant en son sein ces dernières. Le prolétariat ne cessera pas d'exister parce que les prolétaire d'aujourd'hui décideront demain de ne plus l'être, mais parce.que 1'ensemble de la population se sera intégré au prolétariat» Le processus de dissolution de la classe ouvrière se confond avec le processus de son extension.
Ce processus est à la fois conscient, politique et économique, et sa fin est celle de la politique et de l'économie.
Afin de pouvoir dissoudre les classes, le prolétariat doit avant tout prendre les moyens concrets de le faire, et le premier de ceux-ci n'est rien moins que la prise de pouvoir politique et l'exercice de sa dictature, Pour pouvoir se nier, le prolétariat doit donc commencer par s'affirmer en tant que classe autonome face à toutes les autres couches de la société, parce qu'il est la seule force réellement révolutionnaire.
La phase dans laquelle entre aujourd'hui la lutte révolutionnaire n'est donc pas celle qui doit conduire le prolétariat à une "dissolution proche", mais au contraire celle qui doit accélérer le processus de prise de conscience de ses intérêts de classe, la nécessité d'agir en tant que classe unie mondialisent et autonome face au reste de là société, la prise de conscience qu'elle est la classe qui porte en elle l'avenir de l'humanité.
Le mouvement ouvrier est aujourd'hui dans la phase d'apprentissage d'auto-organisation, c'est à dire qu'il apprend à s'organiser dans ses propres assemblées et à les coordonner par le moyen des Conseils de délégués élus et révocables, à la plus grande échelle possible, hors des syndicats et contre eux.
Nous avons déjà parlé des dangers qu'impliquent les idéologies du type de "l'autogestion généralisée". Une des principales tâches, des révolutionnaires est aujourd'hui de dénoncer toutes les mystifications que la bourgeoisie tente de faire accepter dans tous lès pays au prolétariat, pour lui faire prendre en charge la gestion de la banqueroute du système, pour le diviser en l'enfermant dans les "usines autogérées", et surtout pour le dévier des impératif s politiques de sa lutte historique, la prise de pouvoir à l'échelle mondiale. .
Toute critique porte en elle le danger de déformation de l'idée critiquée. Nous espérons l'avoir évité dans cette lettre, et nous attendons votre réponse au plus tôt. Les années que nous vivons sont celles dont Marx disait qu'elles résumaient des époques entières. Et, comme vous le dites dans votre texte : "Etre révolutionnaires, c'est marcher au rythme de la réalité".
Saluts communistes, pour le SI du CCI,
R. Victor (cette lettre est traduite de l'espagnol)