Guerre au Proche-Orient : comment le trotskisme diffuse son poison nationaliste

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Durant tout l’été, les deux principales organisations trotskistes en France, Lutte Ouvrière (LO) et la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), ont aligné déclaration sur déclaration pour condamner ce qu’ils nomment "la sale guerre d’Israël" 1. LO, par la voix d’Arlette Laguiller, a décrit l’horreur des populations écrasées sous les bombes de Tsahal  : "On ne peut que ressentir un immense sentiment d’indignation devant les images venues du Liban, montrant ces cadavres d’enfants écrasés par des bombes israéliennes dans la cave où ils avaient cru trouver un abri". Et la LCR a organisé des manifestations pour réclamer la fin de la guerre : "Criez stop, arrêtez le massacre […]. Ensemble, faisons-nous entendre pour dire stop à la guerre, stop à l’horreur. Pour qu’enfin le Moyen-Orient connaisse la paix".

Il est évident que ces hécatombes d’hommes, de femmes et d’enfants innocents sont purement insupportables. Pourtant, il ne faut pas s’y tromper, derrière les protestations pour la paix de ces officines trotskistes se cache en fait l’idéologie nationaliste, cette idéologie de la classe dominante qui partout engendre et justifie les guerres.

 

LO et la LCR soutiennent un camp impérialiste…

La énième boucherie impérialiste de cet été est le produit de l’affrontement des bourgeoisies israélienne, palestinienne, libanaise, syrienne et iranienne, chacune soutenue et armée dans l’ombre par les plus grandes puissances de la planète, des Etats-Unis à la France, de la Chine à la Russie 2.

C’est cette réalité de la politique guerrière de tous les Etats qui est niée et dissimulée par LO et la LCR. Car encore une fois, ces organisations ont pris fait et cause pour un camp impérialiste contre un autre, soutenant sans réserve les Etats libanais et palestinien. Pour la LCR par exemple, "Israël a lancé contre le Liban une guerre totale […]. Palestine et Liban sont les deux victimes d’une même logique impériale."

Pour justifier leur soutien à certaines nations, ces organisations nous servent encore et toujours la même rengaine. Liban et Palestine seraient de pauvres petits Etats opprimés par de grands Etats riches et impérialistes. Dans la bouche de LO, cela donne : "Cette guerre est bien une guerre de pays riche contre des populations pauvres." Tout est là ! Par un tour de passe-passe terminologique, la guerre ne se déroule plus entre deux nations capitalistes qui utilisent leur population comme chair à canon, mais entre "pays riches" et "populations pauvres". Lors de chaque conflit, LO et la LCR distinguent ainsi deux camps, celui des nations impérialistes et celui des nations victimes et opprimées. Et c’est au nom de cette théorie que dans les guerres qui ensanglantent la planète depuis plus d’un demi-siècle, ces organisations ont successivement pris parti pour l’Indochine, l’Algérie, le Vietnam, l’Irak, la Serbie, la Tchétchénie… et aujourd’hui, le Liban et la Palestine.

Poussant à la caricature cette logique d’analyse, la LCR ne semble voir sur cette planète qu’une seule nation impérialiste, les Etats-Unis (et son vassal, l’Etat d’Israël). Cette organisation crache en effet à longueur de colonnes sa haine vis-à-vis de la première puissance mondiale. A l’en croire, seuls les Etats-Unis alimenteraient la guerre au Moyen-Orient alors que le tort de l’Etat français et de l’ONU serait de ne pas avoir le courage de se dresser contre l’ogre militaire américain et de ne pas suffisamment œuvrer pour la paix ! La LCR ose même affirmer que "seule la solidarité internationale arrêtera le bain de sang". Comme si une quelconque "solidarité internationale" pouvait exister entre requins capitalistes ! Comme si les Etats français, allemand, italien ou russe pouvaient tous se donner la main dans un élan humaniste et désintéressé et œuvrer collectivement pour la paix au Moyen-Orient ou ailleurs !

 

et légitiment la barbarie guerrière

Cette politique de soutien à un camp armé a une conséquence directe et concrète, celle de légitimer la haine nationaliste et la barbarie guerrière. En soutenant les Etats libanais et palestinien, Lutte Ouvrière et la Ligue justifient et encouragent l’enrôlement des ouvriers les plus désespérés dans des combats meurtriers où ils n’ont rien à gagner et que la vie à perdre.

La LCR appelle sans vergogne à la résistance, n’hésitant pas à nommer les milices ou les organisations terroristes tel le Hezbollah de "mouvement de résistance libanais". S’acoquinant avec les fractions de la bourgeoisie libanaise spécialiste de l’oppression et de la répression ouvrière, Rouge 3 est même allé jusqu’à ouvrir ses colonnes aux militants du Parti Communiste Libanais (PCL) et à reproduire des déclarations communes desquelles émane une idéologie des plus va-t-en guerre et chauvine : "la résistance libanaise, bien qu’elle soit à caractère confessionnel (avec le Hezbollah notamment) est une résistance entièrement légitime et elle a le soutien politique du Parti Communiste Libanais". Par "soutien politique", il faut bien sûr entendre que ce parti stalinien participe activement à l’embrigadement des ouvriers à cette boucherie nommée "résistance" et qui justifie les tirs de roquettes totalement aveugles sur les populations terrorisées vivant sur le territoire israélien. Rappelons que les actes barbares de ces milices ont fait plus d’une centaine de victimes civiles en l’espace de trois semaines.

Le discours de LO est quant à lui fidèle à sa tradition, c’est-à-dire plus alambiqué, portant de-ci de-là des critiques envers les organisations terroristes, le PCL ou la politique de l’Etat libanais en général. Mais, au final, le résultat est évidemment le même, un soutien à peine voilé aux fractions bourgeoises et va t-en guerre. Ainsi, tout en portant le fer contre le Hezbollah, LO n’oublie pas d’affirmer cependant que "son désarmement par le gouvernement libanais ou les troupes de l’ONU laisserait la population du sud encore plus sans défense face aux attaques d’Israël".

Les discours pour la paix et les larmes sur les morts versées par ces organisations trotskistes, à la lumière de leur politique nationaliste et guerrière, ne peuvent donc que susciter la colère et le dégoût. Pourtant le pire reste encore à venir. Au nom de cette distinction mensongère entre Etats impérialistes et Etats opprimés, entre Etats colonialistes et Etats résistants, Lutte Ouvrière va jusqu’à prôner l’égalité des "droits" à l’armement nucléaire : "Cette question se pose aussi dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, où quelques grandes puissances impérialistes dictent leur loi à tous les peuples des pays sous-développés [la notion de ‘puissance’ d’un côté et de ‘peuples’ de l’autre réapparaît ici soudainement]. Ces peuples ont bien évidemment le droit, s’ils veulent s’émanciper de cette dépendance, d’utiliser tous les moyens militaires qui sont à leur disposition […]. Par exemple, si Cuba, qui fut si longtemps menacé d’une intervention militaire directe par l’impérialisme américain, avait possédé une bombe atomique, et l’avait utilisé contre une flotte d’invasion, qui aurait eu le droit de le lui reprocher, au nom du ‘caractère inhumain’ de l’arme nucléaire… ou des risques de pollution de l’Atlantique ?" 4. Et cette politique meurtrière et barbare, ce "droit" à la possession et à l’utilisation de cette arme dévastatrice qu’est la bombe nucléaire, LO l’applique aussi à l’Iran ou à la Corée du Nord.

 

 

Tous les Etats sont impérialistes

 

Voilà ce qui se cache derrière la soi-disant défense des Etats et des peuples opprimés : la défense de l’idéologie nationaliste qui attache les ouvriers à un territoire, à un Etat et finalement… à une fraction de la bourgeoisie. Au nom de la défense des Etats "opprimés, au nom de la résistance nationale à l’envahisseur impérialiste,  les trotskistes justifient les pires atrocités, les pires crimes : des attentats suicides du Hamas aux roquettes aveugles du Hezbollah, des armes chimiques de l’Irak à la bombe nucléaire de l’Iran.

Toute cette phraséologie partisane est construite sur un mensonge, une pure mystification. Car dans le capitalisme décadent, il n’existe pas d’Etat qui ne soit pas impérialiste. "La politique impérialiste n’est pas l’œuvre d’un pays ou d’un groupe de pays. Elle est le produit de l'évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C’est un phénomène international par nature, un tout insécable qu’on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun État ne saurait se soustraire". Voilà ce qu'affirmait, il y a déjà près d'un siècle, Rosa Luxembourg dans sa célèbre brochure de Junius 5. Quelle que soit la taille de leurs armées, qu'ils mènent les guerres à la machette, à la roquette ou aux chars d'assaut ultra-sophistiqués, tous les Etats sont impérialistes. Tous tentent de s'imposer sur l'arène mondiale ou régionale, l'arme à la main, en utilisant les prolétaires comme simple chair à canon et en prenant en otage les populations civiles. C'est pourquoi le 20e siècle fut le siècle le plus barbare de l'histoire de l'humanité. Toutes les nations, sans distinction, portent le masque de l'impérialisme et sèment la mort.

La classe ouvrière n’a donc certainement pas à choisir un camp impérialiste contre un autre. C’est ici un piège mortel tendu par la bourgeoisie en général et le trotskisme en particulier. Les prolétaires n’ont pas de patrie et seul le développement de leurs luttes contre leur propre bourgeoisie nationale, dans tous les pays, pourra entraver la dynamique guerrière de l’ensemble du capitalisme.

Derrière leur propagande "pacifiste, les trotskistes ne font encore que semer l’illusion que la paix serait possible dans le capitalisme et qu’une "solidarité internationale" entre les Etats toutes classes confondues pourraient mettre fin à la barbarie guerrière. La seule solidarité qui puisse mettre fin à toutes les guerres, c’est la solidarité de classe du prolétariat mondial contre la classe capitaliste dans tous les pays. Contrairement aux groupes du courant trotskiste, les véritables organisations communistes et révolutionnaires, doivent, dans cette guerre comme dans celles du 20e siècle, rejeter tous les drapeaux nationaux et brandir celui de l’internationalisme prolétarien en appelant les prolétaires à refuser de faire cause commune avec leurs propres exploiteurs et de prendre parti dans une guerre qui n’est pas la leur et qui ne sert que les sordides intérêts de la classe dominante. "Cette folie, cet enfer sanglant cesseront du jour où les ouvriers […] se tendront une main fraternelle, couvrant à la fois le chœur bestial des fauteurs de guerre impérialistes et le rauque hurlement des hyènes capitalistes en poussant le vieil et puissant cri de guerre du travail : prolétaires de tous les pays, unissez-vous !" (R. Luxemburg, Brochure de Junius)

Pawel (26 août)

 

1 Toutes les citations sont extraites d’articles mis en ligne sur les deux sites Internet de ces organisations (www.lutte-ouvriere.org et www.lcr-rouge.org) .

2 Lire notre article : « Guerre au Proche-Orient… ».

3 Organe de presse de la LCR.

4 Ces lignes qui font froid dans le dos, le lecteur pourra les trouver dans l’organe de presse plus ‘théorique’ et surtout confidentiel de LO, Lutte de Classe n°15, septembre-octobre 1995, sous le titre « Contre les essais nucléaires français… et contre le pacifisme ! ».

5 Pseudonyme de Rosa Luxembourg pour ces écrits de prison.

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