Soumis par Revue Internationale le
Durant trois semaines, les émeutes dans les banlieues ont fait la Une de l’actualité. Des milliers de jeunes, issus pour une grande part des couches les plus pauvres de la population, ont crié leur colère et leur désespoir à coup de cocktails Molotov et de caillasses (voir article page 1).
Les premières victimes de ces destructions sont les ouvriers. Ce sont leurs voitures qui sont parties en fumée. Ce sont leurs lieux de travail qui ont été fermés, plaçant plusieurs centaines d'entre eux au chômage technique. Un ouvrier interviewé pour le journal de 20h a magistralement résumé la parfaite absurdité de ces actes en ces termes : "Ce matin, j’ai trouvé sur le pare-brise de ma voiture calcinée cette affiche. C’est marqué dessus ‘Nique Sarkozy’. Mais c’est pas Sarkozy qu’on a niqué, c’est moi !"
Même si l'explosion de colère des jeunes des banlieues est tout à fait légitime, la situation sociale qu'elle a créée représente un réel danger pour la classe ouvrière. Comment réagir ? Faut-il se ranger derrière les émeutiers ou derrière l'Etat "républicain" ? Pour la classe ouvrière, il s'agit là d'une fausse alternative car les deux pièges sont à éviter. Le premier serait de voir à travers la révolte désespérée de ces jeunes un exemple de lutte à suivre. Le prolétariat n’a pas à s’engouffrer sur ce chemin auto-destructeur. Mais la "solution" criée partout haut et fort par la bourgeoise est une impasse tout aussi grande.
En mettant à profit la peur que suscitent de tels événements, la classe dominante, avec son gouvernement, son Etat et son appareil répressif, se présente aujourd'hui comme le garant de la sécurité des populations et notamment des quartiers ouvriers.. Mais derrière ses beaux discours qui se veulent "sécurisants", le message qu’elle cherche à faire passer est lourd de menaces pour la classe ouvrière : "Lutter contre l'ordre républicain, c'est-à-dire l'Etat capitaliste, c’est ce comporter en voyou, en racaille".
La bourgeoisie utilise la peur pour renforcer son arsenal répressif…
Incapable de résoudre le problème de fond, la crise économique, la bourgeoisie préfère naturellement le cacher et exploiter à son profit le côté spectaculaire des émeutes : les destructions et les violences… Et là, on peut dire que les journalistes ont su mouiller leur chemise afin d’alimenter au mieux cette propagande de la peur.
Ils sont allés chercher l’information au cœur des cités, livrant par centaines des images de voitures en flammes ou calcinées, multipliant les témoignages de victimes, réalisant des enquêtes sur la haine de ces jeunes pour toute la société.
Les reportages ont fourmillé montrant, dans la nuit, ces bandes de jeunes, casquette vissée sur la tète et recouverte elle-même d’une capuche masquant le visage. C’est en gros plan qu‘on a eu droit aux jets de cocktails Molotov et de cailloux, aux affrontements avec les forces de l’ordre et, de temps en temps, à l’interview d’un des émeutiers exultant en direct sa colère : "On existe, la preuve : les voitures brûlent" (Le Monde du 6 novembre) et aussi "on parle enfin de nous".
La bourgeoisie a ici exploité à merveille la violence désespérée des jeunes banlieusards pour créer un climat de terreur. C’est pour elle une occasion idéale pour justifier le renforcement de son arsenal répressif. La police peut en effet s’octroyer le luxe d’apparaître comme la protectrice des ouvriers, la garante de leur bien-être et de leur sécurité. Le débat entre le PS et l’UMP sur ce point a donné d’ailleurs le "la". Pour la droite, la solution est évidemment de donner plus de moyens aux forces de l’ordre en renforçant les unités d’intervention type CRS. Et pour la gauche c'est la même chose avec un autre enrobage. Le PS a proposé le retour de la police de proximité. Autrement dit, plus de flics dans les quartiers ! C'est bien pour cela que ces deux grands partis bourgeois se sont prononcés en faveur de l’Etat d’urgence.
Toutes ces mesures de renforcement de l'appareil répressif ne pourront mettre fin aux violences dans les banlieues. Au contraire, si elles peuvent être efficaces de façon immédiate et temporaire, à terme, elles ne peuvent qu’alimenter la tension et la haine de ces jeunes envers les forces de l'ordre. Les hommes politiques le savent très bien. En réalité, ce que vise la bourgeoisie avec le renforcement du quadrillage policier des quartiers "sensibles", ce ne sont pas les bandes d'adolescents désœuvrés mais la classe ouvrière. En faisant croire que l'Etat républicain veut protéger les prolétaires contre les actes de vandalisme de leurs enfants ou ceux de leurs voisins, la bourgeoisie se prépare en fait à la répression des luttes ouvrières lorsque celles-ci constitueront une véritable menace pour l'ordre capitaliste. La mise en place de l’Etat d’urgence, par exemple, vise à habituer la société, à banaliser le contrôle permanent, le flicage permanent et les perquisitions légales dans les quartiers ouvriers.
…Et pour diviser la classe ouvrière
La dimension la plus répugnante de la propagande actuelle est celle qui consiste à désigner les immigrés comme boucs émissaires.
Du fait que les émeutiers sont en partie des enfants issus de l’immigration, les ouvriers immigrés ont été insidieusement accusés de menacer "l'ordre public" et la sécurité des populations puisqu'ils sont incapables de tenir leurs enfants, de leur donner une "bonne éducation" en leur transmettant des valeurs morales. Ce sont ces parents "irresponsables" ou "démissionnaires" qui ont été montrés du doigt comme les vrais coupables. Et la palme du racisme affiché est revenue au ministre délégué à l’emploi, Gérard Larcher, pour qui la polygamie serait "l’une des causes des violences urbaines" (Libération du 17 novembre) !
Mais les forces de gauche ont apporté elles aussi leur petite pierre à l’édifice, mettant en avant, sous couvert d’humanisme, les difficultés de la société française à intégrer des populations de "divers horizons culturels" (pour reprendre leur terminologie). Les deux plus grands sociologues actuels sur la question des banlieues, Didier Lapeyronie et Laurent Mucchilie, qui se positionnent à la gauche radicale de l’échiquier politique, insistent ainsi sur le fait qu’aux yeux des jeunes issus de l’immigration "la promotion par l’école est réservée aux ‘blancs’, les services publics ne sont plus du tout des vecteurs d’intégration […] et les mots de la République […] sont perçus comme les masques d’une société ‘blanche’."(Libération du 15 novembre) Les prolétaires immigrés auraient donc un problème spécifique qui n’aurait rien à voir avec le reste de la classe ouvrière.
En désignant les travailleurs immigrés comme les vrais responsables des violences urbaines, la bourgeoisie cherche ainsi à monter les ouvriers les uns contre les autres, à créer une division entre français et immigrés. Elle exploite la révolte aveugle des jeunes des banlieues afin de masquer la réalité : la paupérisation croissante de l’ensemble de la classe ouvrière, quelle que soit sa nationalité, ses origines ou sa couleur. Le problème de la misère, du chômage, de l'absence de perspective ne serait pas la conséquence de la crise économique insurmontable du capitalisme mais se résumerait à un problème "d’intégration" ou de "culture" ! En diabolisant ainsi les parents des jeunes émeutiers, la classe dominante justifie par la même occasion des attaques prétendument ciblées sur les "fauteurs de troubles" d’aujourd’hui mais qui, en réalité, toucheront toute la classe ouvrière demain. C’est par exemple le cas de la suppression des allocations pour les familles de "délinquants". Et que dire des mesures d’expulsion immédiate des étrangers pris dans les émeutes ? Le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, a demandé aux préfets d’expulser "sans délai de notre territoire national" les étrangers condamnés dans le cadre des violences urbaines des treize dernières nuits, "y compris ceux qui ont un titre de séjour" (Libération du 9 novembre). Mais la classe ouvrière ne doit pas se faire d'illusion. Cette mesure ne restera pas une exception réservée aux seuls "petits voyous". Ces expulsions territoriales pour ‘trouble de l’ordre public’, l'Etat républicain n'hésitera pas à les utiliser dans le futur contre l’ensemble de la classe ouvrière lorsque celle-ci développera ses luttes : pour briser une grève et son unité en obligeant les ouvriers qui justement "ont un titre de séjour" à reprendre le travail sous peine de "reconduction aux frontières".
Pawel (17 novembre)