La contribution de "Lutte Ouvrière" à la mystification électorale (2004)

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Dans un éditorial signé Arlette Laguiller et titré "Un vote qui fait plaisir, mais qui n'est pas suffisant", l'hebdomadaire trotskyste Lutte Ouvrière du 26 mars lâche deux ou trois petites phrases qui soulèvent pour le moins quelques questions. Après avoir clamé sa satisfaction suite au deuxième tour des élections régionales : "Au bout de deux ans de gouvernement, les électeurs ont dit son fait à Raffarin. Et c'est bien réjouissant!", LO explique sa conception de l'électoralisme : "Les élections ne peuvent apporter le bonheur, elles ne peuvent que redonner le moral. Espérons que celles-ci le feront. En tout cas, ni LO ni la LCR ne sont des partis électoralistes, même s'ils se présentent aux élections. Car ils ne cherchent aucune place dans l'appareil d'État, qui ne peut être qu'au service de la bourgeoisie."


Ces quelques extraits laissent interrogateur : d'abord, qu'entend-on par "un vote qui fait plaisir" ? Cette notion purement morale sous-entend tout de même que ce plaisir vient d'un gain quelconque. Mais qu'a pu donc gagner la classe ouvrière dans les dernières élections ? Que peut, plus largement, gagner la classe ouvrière dans une quelconque élection bourgeoise?

 

A cela, LO nous répond qu'à défaut d'en avoir tiré du bonheur, le prolétariat a gagné le plaisir de retrouver le moral. On est en plein dans la nuance de vocabulaire. Mais surtout, on est en plein mensonge ! En effet, les élections ne sont certainement pas un moyen de redonner le moral à la classe ouvrière, bien au contraire ! Les élections enferment les ouvriers dans l'illusion d'un quelconque pouvoir, à laquelle succèdent des attaques toujours plus fortes, de la droite comme de la gauche. Appeler les ouvriers à exprimer leur mécontentement sur le terrain électoral, comme le font les trotskystes, ne peut que servir les intérêts de la bourgeoisie. Même si cela fait plaisir à LO que le gouvernement Raffarin ait été sanctionné aux dernières régionales, cela ne change strictement rien pour la classe ouvrière. Les attaques vont continuer à tomber et ce n'est certainement pas le vote sanction du dernier scrutin qui va empêcher la bourgeoisie de mettre en application ses plans d'attaques contre les retraites et la sécurité sociale. Et cela, LO le sait pertinemment !
Mais surtout, qu'est-ce qui fait tant plaisir aux trotskistes dans ces élections ? Est-ce le fait que les "électeurs" se soient assez bien déplacé vers les isoloirs ? Ou est-ce le fait que ces mêmes électeurs ont infligé à la droite une cuisante et "réjouissante" défaite ?
Il n'y a rien d'étonnant à ce que LO se réjouisse que les ouvriers se soient rendus aux urnes en tant que citoyens au lieu de déserter le terrain pourri du cirque électoral pour manifester leur colère sur leur propre terrain de classe, en développant leurs luttes contre les attaques du gouvernement. Les électeurs, cette espèce chère à la bourgeoisie et à ses médias, n'est que l'addition d'individus pêle-mêle, sans distinction de classe, faisant des prolétaires, atomisés dans les isoloirs, l'exact opposé d'une classe unie dans la solidarité et la défense d'intérêts communs contre le capitalisme. Après avoir saboté les luttes du printemps 2003 contre la réforme du système des retraites, LO parachève aujourd'hui son sale travail d'isolement et de dévoiement de la classe ouvrière sur le terrain bourgeois des élections. Et c'est bien cela qui lui a tant fait "plaisir" dans les résultats des régionales.
Une telle joie peut étonner de la part d'une organisation qui répète à l'envi que droite et gauche se valent, qu'il ne peut être question en critiquant la droite d'oublier ce que la gauche a fait à la même place. Pourtant, LO se réjouit bien de ce que la droite a subi lors de ces élections. Droite et gauche identiques ? LO tranche : "Beaucoup se sont dit que la droite est pire que la gauche. C'est vrai !". Une fois encore, LO ne se contente pas seulement de faire croire aux ouvriers qu'ils peuvent se battre sur le terrain électoral. Elle continue à semer l'illusion que la gauche serait moins pire que la droite. C'est avec cet argument que LO a toujours joué son rôle de rabatteur des partis de gauche, comme elle l'a fait en appelant à voter Mitterrand en 1974 et en 1981.
Enfin, quand LO nous dit ne pas être électoraliste, même si elle se présente aux élections, nous devons nous tenir solidement pour ne pas bondir ! Si ce n'est pas par électoralisme, pourquoi se présenter aux élections avec tant de constance (Arlette Laguiller est ainsi la plus ancienne et plus fidèle candidate aux présidentielles depuis trente ans) ? La réponse n'est pas donnée ici, mais on la connaît : LO utiliserait les élections comme une "tribune pour les idées révolutionnaires" et un moyen de comptabiliser leur audience dans l'électorat ouvrier.
Explication séduisante, mais complètement fausse. Depuis le début du 20e siècle, l'idée suivant laquelle le terrain électoral serait une tribune pour défendre les intérêts de la classe ouvrière est devenue caduque. Une organisation qui, comme LO, appelle les ouvriers à voter ou soutenir les partis de la gauche du capital (PC et PS), sous prétexte qu'ils seraient "moins pires" que la droite, n'est pas une organisation révolutionnaire, mais une organisation bourgeoise dont l'objectif n'est pas de renverser le capitalisme mais de semer l'illusion que ce système pourrait encore être réformé (par exemple par une meilleure gestion ou, selon le slogan cher à LO, "en prenant l'argent dans la poche des riches").
De plus, cette fois-ci, LO ne s'est même pas donné la peine, pendant sa campagne électorale de ressortir son vieux slogan suivant lequel le vote permettrait aux ouvriers combatifs de "se compter". Ce qu'elle a mis en avant, c'est qu'il fallait aller voter avant tout, et voter trotskiste pour "protester fort" (dernier slogan entendu avant le premier tour) ! Jamais LO n'est aussi tonitruante, omniprésente, que lors des élections ! Il fallait voir les militants trotskistes sur les marchés accrocher le passant en lui disant : "il faut voter Dimanche ! Il faut voter Dimanche !". Il faudra enfin expliquer pourquoi, si les élections ne sont qu'un moyen de se faire entendre, les élus de LO aux précédentes élections régionales et européennes ont tenu à siéger dans les assemblées. LO nous répond que c'était pour surveiller et dénoncer les magouilles de la bourgeoisie. Mais dans ce cas, pourquoi participer aux votes de ces assemblées (souvenons-nous de ce vote très médiatisé contre la Taxe Tobin de Laguiller et Krivine au parlement européen) et, surtout, pourquoi se plaindre aujourd'hui que le nouveau mode de scrutin, en écartant les petites listes, "[prive] de représentation des millions d'électeurs" ?
Pour LO, les élections sont donc un moyen de représenter politiquement ses électeurs, elles sont aussi en l'occurrence un moyen de battre la droite et de faire gagner la gauche… Bref, les élections ne sont donc pas qu'une tribune, et pour cause : elles peuvent même "redonner le moral" !
Finalement si LO se présente aux élections, c'est tout simplement parce qu'elle est une organisation électoraliste bourgeoise comme les autres !
Tout son travail ne vise qu'à rabattre les ouvriers sur le terrain électoral de l'Etat démocratique bourgeois. Il s'agit là d'un fondement idéologique essentiel du trotskisme. Tout doit être fait pour détourner la classe ouvrière de la lutte sur son propre terrain de classe, pour l'empêcher de comprendre que le jeu démocratique droite/gauche est une fausse alternative. Ainsi, en affirmant que la droite est pire que la gauche, LO s'est bien gardée de rappeler que les attaques massives portées par la droite aujourd'hui ont été préparées par les gouvernements de gauche précédents et qu'elles se situent dans la continuité de toutes les mesures anti-ouvrières prises par le PS lorsqu'il était au gouvernement.
Dans la logique bourgeoise du trotskisme, tout doit être fait pour que le prolétariat ne prenne pas conscience que le seul terrain sur lequel ses intérêts peuvent être défendus est celui de la lutte de classe. Tout est bon, y compris le pire culot, d'une démagogie flirtant avec le populisme, qui amène à se dire non électoraliste, à peine après avoir rangé ses slogans agressifs en faveur d'une mobilisation massive dans les bureaux de vote pour "sanctionner le gouvernement".
Ces quelques phrases disséminées dans cet éditorial d'Arlette sont un petit chef-d'œuvre de synthèse. On ne pouvait pas mieux, en effet, en si peu de mots, résumer le caractère fondamentalement mensonger de LO, et sa capacité à manier le double langage pour tromper la classe ouvrière.

G (18 avril)

 

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