La contestation ouverte du leadership américain

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Depuis la Seconde Guerre mondiale, jusqu'à l'effondrement du bloc de l'Est la presque totalité des conflits dont la planète a été la théâtre ont résulté de la rivalité entre le deux blocs ennemis se faisant face, le bloc russe et le bloc américain. Avec la dissolution du bloc de l'Ouest, les enjeux des conflits ont changé. Dans ceux-ci, ce qui s'exprime c'est une tendance au chacun pour soi où chaque pays, en dehors des Etats-Unis, délié de toute contrainte de discipline de bloc, cherche à défendre ses intérêts impérialistes au jour le jour (ce qui est à relativiser pour l'Allemagne candidate à la tête d'un bloc impérialiste rival des Etats-Unis), au gré d'alliances changeantes. Seuls les Etats-Unis suivent une ligne totalement cohérente sur l'arène impérialiste : maintenir leur leadership mondial à travers une politique offensive sur le plan diplomatique mais surtout sur le plan militaire en mettant à profit l'énorme supériorité qu'ils ont dans ce domaine par rapport à n'importe quel autre pays. En fait, les démonstrations de force américaines de la dernière décennie, Guerre du Golfe, interventions en Somalie, en Bosnie, au Kosovo et dernièrement en Afghanistan s'adressaient fondamentalement à leurs anciens alliés du bloc de l'Ouest, les principales puissances occidentales qui, n'ayant plus à redouter la menace du bloc de l'Est, n'étaient de ce fait plus disposées à se soumettre à l'autorité des Etats-Unis qu'elles ont d'ailleurs contestée de plus en plus fortement. Et si les Etats-Unis ont dû enchaîner les démonstration de force, c'est parce que tout relâchement de la pression qu'il exercent sur le monde est immédiatement mis à profit par leur rivaux pour remettre en question leur leadership.
Ce faisant, les Etats-Unis sont entraînés, et le monde avec eux, dans une spirale guerrière qui n'a pas de solution dans le capitalisme sinon la ruine de l'humanité. Chaque nouvelle démonstration de force qu'ils effectuent, si elle parvient effectivement à remettre leurs rivaux à leur place rend en retour de plus en plus insupportable, pour beaucoup de pays, l'hégémonie américaine et en favorise la remise en question. Et cela d'autant plus que chaque croisade des Etats-Unis est l'occasion pour eux d'exercer une présence directe sur des positions stratégiques : en Europe même (au Kosovo et en Bosnie) ; en Asie centrale (Afghanistan, Ouzbékistan et Tadjikistan) permettant d'exercer une pression sur la Russie, la Chine, l'Inde, le Pakistan mais surtout d'encercler l'Europe. Avec l'occupation de l'Irak, enjeu de la prochaine guerre programmée, les Etats-Unis escomptent exercer une pression renforcée sur l'Europe et le Moyen- Orient.

Les enjeux de la guerre

Les opérations de police du gendarme mondial ne s'improvisent pas. Il faut créer un prétexte, leur fabriquer une légitimation idéologique. C'est ainsi que l'opération Tempête du Désert en 1991 a été réalisée au nom de la défense du droit international pour bouter Saddam Hussein hors du Koweït qu'il venait d'envahir (avec l'autorisation tacite des Etats-Unis qui lui ont ainsi tendu un piège). L'intervention au Kosovo s'est abritée derrière l'alibi humanitaire, contre l'épuration ethnique des Kosovars qui, jusque là, ne dérangeait pas outre mesure les Etats-Unis et qui s'est considérablement aggravée avec la guerre. De même, c'est l'attentat contre les Twin Towers (dont la préparation par les terroristes a bénéficié d'un bienveillant laisser faire de la part des services secrets américains) qui a légitimé la guerre déclarée au terrorisme international par les Etats-Unis, leur servant de prétexte pour frapper en tout point de la planète supposé abriter des terroristes ou tout Etat soupçonné de les soutenir. Ainsi, dans tous ces conflits, et contrairement à ce que la réalité immédiate peut laisser apparaître, l'antagonisme de fond ne réside pas entre un dictateur local ou un leader islamiste fanatisé, d'une part, et les grandes puissances démocratiques, d'autre part. Il oppose les Etats-Unis à tout ou partie de ces puissances démocratiques. Et c'est bien un tel antagonisme qui s'affiche aujourd'hui de façon à peine masquée sur la scène internationale. Les Etats-Unis avaient réussi à imposer que l'intervention dans le Golfe en 1991 soit conduite sous les auspices de l'ONU. Ils avaient par contre subi un revers en 1998 lorsque, sous le l'impulsion de la France et de la Russie, cet organisme avait mis en échec les plans de Clinton prévoyant une nouvelle intervention en Irak sous prétexte du non respect par Saddam Hussein des résolutions de l'ONU (lequel s'était alors judicieusement empressé d'écouter les bons conseils pour qu'il accepte la venue des enquêteurs de l'ONU). Cette institution leur étant devenue trop difficilement utilisable à leur gré ils semblaient désormais décidés à s'en passer.

C'est la raison pour laquelle, afin de déclencher la guerre au Kosovo, ils ont fait fi, de façon tout à fait illégale du point de vue du droit bourgeois international, de l'organisation internationale et placé leur entreprise sous le patronage de l'OTAN, un organisme militaire sur lequel ils ont un plus grand contrôle. Quant à l'opération en Afghanistan c'est de façon tout à fait unilatérale qu'elle a été décidée et dirigée par les Etats-Unis.

C'est selon les mêmes modalités qu'en Afghanistan, une partie de la bourgeoisie américaine avait décidé l'intervention consistant à renverser Saddam Hussein. Aujourd'hui, même si ce n'est pas de façon définitive, cette option est écartée du fait de l'isolement international auquel elle risque de conduire les Etats-Unis.

Les difficultés des Etats-Unis

Il est évident que les Etats-Unis seraient largement en mesure d'assumer seuls militairement une opération destinée à renverser Saddam Hussein. Par contre, une telle opération pose un autre problème bien plus difficile qui est celui de la gestion de l'après Saddam Hussein dans un contexte de possible déstabilisation totale de la région, les Etats-Unis risquant de devoir prendre en charge, seuls ou presque, l'administration du pays dans un environnement hostile. Peu de pays ont intérêt à rallier une nouvelle entreprise guerrière américaine en Irak et ils se laisseront d'autant moins imposer une bienveillante neutralité que la justification idéologique américaine sera faible. Or c'est aujourd'hui manifestement le cas comme le traduisent ces propos tenus par l'ambassadeur d'Afrique du Sud (qui dirige le groupe des 77) lors de la séance du 15 octobre à la tribune de l'ONU : "Voilà un pays, l'Irak, qui dit : 'je veux me soumettre aux résolutions du conseil de sécurité'. Et on ne saisirait pas cette occasion ? Si elle fait cela, l'ONU entre dans un territoire inconnu". Le même orateur dénonce sans détour la tentative des Etats-Unis d'utiliser l'ONU pour leurs objectifs propres en Irak : "Tout se passe comme si les Nations Unies étaient invitées à déclarer la guerre à l'Irak".

Et pourtant, malgré l'hostilité que suscite la position américaine dans l'institution internationale, en dépit du fait que le congrès américain a donné son autorisation le 11 octobre au président Bush pour déclarer une guerre contre l'Irak sans l'aval des Nations Unies, la bourgeoisie américaine s'obstine à tenter de faire parrainer son projet par cette institution. Cela est révélateur du point auquel elle estime difficile la voie du cavalier seul ou en compagnie de la Grande-Bretagne. L'obstacle que rencontrent les Etats-Unis à l'ONU n'est pas tant représenté par les déclarations tonitruantes que nous venons de citer, émanant de pays du "tiers monde", mais bien par l'attitude de la France, et aussi de la Russie, deux membres permanents du conseil de sécurité qui font obstacle à l'adoption d'une résolution qui permettrait aux Etats-Unis de s'emparer du moindre faux pas de Saddam Hussein pour attaquer l'Irak. De même, les prises de position récentes en défaveur des Etats-Unis, comme celle de l'Allemagne, ne peuvent pas être ignorées par le Etats-Unis.Si c'est aujourd'hui la tribune de l'ONU qui constitue l'arène principale de la contestation du leadership américain, elle n'en est cependant pas le seul théâtre. Chirac dans sa visite en Egypte du 20 octobre plaçait quelques peaux de banane sous les pas de l'oncle Sam en déclarant : "Cette région n'a pas besoin d'une guerre supplémentaire". Jusqu'aux Emirats Arabes Unis qui expriment une timide réprobation à la politique américaine à laquelle ils seraient néanmoins contraints de se plier si elle s'imposait. C'est ce qu'illustrent ces paroles du ministre des affaires étrangères s'adressant le 7 octobre à son homologue irakien : "Les Emirats sont pour le retour de inspecteurs et ne voient pas la nécessité d'une nouvelle résolution." (référence à la résolution demandée par les Etats-Unis permettant des représailles automatiques contre l'Irak en cas de non respect des modalités décidées pour le travail des inspecteurs de l'ONU).

Dans une autre région du monde où l'hégémonie des Etats-Unis est aussi contestée, le Japon prend ses marques : le récent processus de normalisation des relations avec la Corée du Nord est accléléré, ce qui constitue un défi aux Etats-Unis qui placent ce pays au banc de la communauté internationale. Parallèlement à cela, le Japon est actuellement le théâtre d'une vague d'antiaméricanisme, à gauche comme à droite. Un porte parole, le gouverneur de Tokyo, déclarait : "Les Etats-Unis sont en train de devenir un autre empire mongol dont l'ambition est moins de gouverner le monde que de le dominer par la force."Loin de constituer un rééquilibrage à l'échelle du monde porteur de paix, le développement tous azimuts de la contestation du leadership américain, de même que la reprise en main de la situation par ces derniers qui suivra, sont l'expression de l'aggravation inexorable des tensions impérialistes dans la situation mondiale héritée de l'effondrement du bloc de l'Est. Seul le renversement du capitalisme peut mettre un terme au chaos croissant qui en résulte, menaçant de plus en plus la survie même de l'humanité.

F (22 octobre)

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