Présentation de la Revue internationale n° 159

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Ce numéro de la Revue internationale rassemble quatre documents qui expriment nos préoccupations actuelles concernant la situation mondiale et notre rôle en son sein en tant que révolutionnaires.

Pour commencer, une nouvelle prise de position sur la Catalogne. Elle n'est pas la première de notre part sur les évènements récents comme les lecteurs de nos publications, surtout sur notre site web, l'auront remarqué. En octobre 2017, nous avons distribué un tract "Confrontations en Catalogne: la démocratie et la Nation sont le passé réactionnaire, le prolétariat est l'avenir", traduit en différentes langues. Un certain nombre d'autres articles ont paru, notamment sur notre page en langue espagnole, mais ces événements devront être suivis de près dans la période à venir et cette prise de position ne sera certainement pas la dernière.

Le mouvement indépendantiste en Catalogne est en contradiction directe avec la gestion "rationnelle" de l'État capitaliste et de l'économie au niveau de la Catalogne, de l'Espagne et de l'Union européenne. Les seuls dans les rangs de la bourgeoisie mondiale qui pourraient bénéficier d'un nouvel approfondissement de ce processus seraient des Poutine, rivaux d'une UE forte dans la compétition inter impérialiste mondiale. Mais l'aspect qui doit nous préoccuper le plus, c'est l'impact de ces événements sur le prolétariat. La fièvre nationaliste autour de "l'indépendance" de la Catalogne est un coup dur contre la classe ouvrière non seulement de cette région, mais aussi sur le plan international, étant donné l'importance mondiale de la lutte des classes en Espagne.

Nous voyons que beaucoup de ceux qui ont participé à la révolte des Indignados en 2011 -un mouvement qui s'est orienté vers l'internationalisme, vers les principes prolétariens– abandonnent aujourd'hui toute idée de lutte contre le capitalisme et se joignent aux manifestations en faveur ou contre l'indépendance. Les familles prolétariennes sont déchirées entre ceux qui soutiennent Puigdemont ou d'autres fractions de la cause catalane et ceux qui, soutenant les "Españolistas", pensent que l'Espagne doit rester un seul pays. Et où sont les internationalistes? Ils sont actuellement une minorité assiégée, mais il est plus que jamais nécessaire qu'ils parlent haut et fort.

Le deuxième article porte sur la vie de la bourgeoisie de la puissance économique et militaire la plus puissante, les États-Unis, qui se trouvent au cœur du désordre mondial grandissant. L'analyse qu'il développe fait partie d'une analyse de la classe dirigeante dans les principaux pays occidentaux. L'article souligne les grandes difficultés de la classe dirigeante aux Etats-Unis après presque un an de présidence Trump. Un chapitre important de cet article est consacré aux relations entre les deux anciens leaders de bloc et au rôle que la Russie joue aujourd'hui dans les options stratégiques américaines. Ces analyses doivent être considérées comme une continuation de l'orientation décidée lors du 21ème congrès international en 2015 d'analyser de manière critique la situation internationale, sans exclure une réflexion autocritique sur les erreurs que nous avons pu commettre à ce niveau dans le passé (cf. dans la Revue Internationale 156 : "40 ans après la fondation du CCI, quel bilan et quelles perspectives pour notre activité ?").

Le troisième texte de la présente revue est notre "Manifeste sur la révolution d'Octobre 1917 en Russie", un siècle après la première révolution prolétarienne réussie. Nous l'avons publié en ligne en octobre et nous avons organisé une série de réunions publiques sur ce sujet. Tout d'abord, nous devons défendre le caractère internationaliste de la révolution d'Octobre appartenant à un mouvement de classe mondiale contre le capitalisme. Sans ce point de référence, et sans un examen courageux de toutes les erreurs commises et des faiblesses rencontrées, une nouvelle tentative ne pourra pas être victorieuse à l'avenir. La révolution russe fait partie de notre histoire, de l'histoire du prolétariat, malgré sa dégénérescence et les atrocités commises en son nom par la suite. Le Manifeste ne répond pas seulement aux campagnes bourgeoises actuelles, mais tire aussi les leçons et essaie de donner des indications pour la perspective du communisme d'aujourd'hui. Bien que la révolution ne se soit pas propagée au monde entier et que le processus soit resté isolé et donc sans perspective réelle de vaincre le capitalisme, "l’insurrection d’Octobre est encore à ce jour le point le plus élevé atteint par la lutte de classe prolétarienne – une expression de sa capacité à s'organiser à grande échelle, consciente de ses objectifs, confiante dans son rôle de prise en main de la vie sociale. C'était l’anticipation de ce que Marx appelait "la fin de la préhistoire", de toutes les conditions dans lesquelles l’humanité est à la merci de forces sociales inconscientes ; l’anticipation d’un futur dans lequel, pour la première fois, l’humanité fera sa propre histoire selon ses propres besoins et ses propres desseins".

Le dernier texte de cette revue est la "Résolution sur la lutte de classes internationale", un document du dernier congrès international du CCI au printemps 2017.     

Avec cette analyse globale de la situation, nous commençons à rendre compte des résultats de notre congrès, qui a traditionnellement pour tâche fondamentale de décider des orientations générales de nos activités pour la période à venir. L'analyse de la situation mondiale en est un élément crucial.

La résolution est centrée sur la situation sociale, le rapport de forces entre les deux principales classes de la société capitaliste actuelle - la bourgeoisie et le prolétariat. Près de trois décennies après l'effondrement de l'ancien système des blocs et le début de ce que nous appelons la période de décomposition du capitalisme, nous essayons toujours de mieux comprendre les défis auxquels les révolutionnaires sont confrontés aujourd'hui, d'affiner nos concepts du cours historique et de la décomposition : "Les mouvements de classe qui ont surgi dans les pays avancés après 1968 marquaient la fin de la contre-révolution, et la résistance maintenue de la classe ouvrière constituait un obstacle à la "solution" de la bourgeoisie à la crise économique : la guerre mondiale. Il était possible de définir cette période comme un "cours à des affrontements de classe massifs", et d’insister sur le fait qu’un cours à la guerre ne pouvait s’ouvrir sans une défaite directe d’une classe ouvrière insurgée. Dans la nouvelle phase, la désintégration des deux blocs impérialistes a éliminé la guerre mondiale de l’ordre du jour indépendamment du niveau de la lutte de classe. Mais cela signifiait que la question du cours historique ne pourrait plus être posée dans les mêmes termes. L’incapacité du capitalisme à dépasser ses contradictions signifie toujours qu’il ne peut offrir à l’humanité qu’un futur de barbarie, dont on peut déjà préfigurer les contours dans une combinaison infernale de guerres locales et régionales, de désastres écologiques, de pogromes et de violence sociale fratricide. Mais à la différence de la guerre mondiale, qui requiert une défaite physique directe tout autant qu’idéologique de la classe ouvrière, cette "nouvelle" descente dans la barbarie opère de manière plus lente, plus insidieuse, qui peut embrigader graduellement la classe ouvrière et la rendre incapable de se reconstituer en tant que classe. Le critère pour évaluer l’évolution du rapport de force entre les classes ne peut plus être celui d’empêcher la guerre mondiale, et est devenu en général, plus difficile à prévoir."(Résolution point 11)

De quels critères avons-nous besoin aujourd'hui pour évaluer correctement l'équilibre des forces de classe ?

  • La capacité de la classe ouvrière à résister à la politique d'austérité de la bourgeoisie et le degré de solidarité développé dans ses rangs sont indubitablement des facteurs pertinents pour une telle évaluation.
  • Mais il y a aussi la question des perspectives. Si le prolétariat n'est pas capable de se percevoir comme une classe distincte et de développer une perspective allant au-delà de la société existante qui nous soumet à la logique aliénée du profit pour le profit, il n'y a pas d'avenir à rechercher - et cet état d'esprit affecte la capacité de résistance du prolétariat. "Après 1989, avec l'effondrement des régimes "socialistes", un facteur qualitatif nouveau a surgi : l'impression de l'impossibilité d'une société moderne non basée sur des principes capitalistes. Dans ces circonstances, il est bien plus difficile pour le prolétariat de développer, non seulement sa conscience et son identité de classe, mais aussi ses luttes économiques défensives, dans la mesure où la logique des besoins de l'économie capitaliste pèse beaucoup plus si elle semble n'avoir aucune alternative." (Point 13)
  • Plus précisément, la résolution souligne les effets pernicieux de la perte de solidarité dans les rangs du prolétariat : "Plus particulièrement, nous voyons la montée du phénomène de bouc-émissarisation, une façon de penser qui accuse les personnes – sur lesquelles on projette tout le mal du monde – de tout ce qui va mal dans la société. De telles idées ouvrent la porte au pogrom. Aujourd’hui, le populisme est la manifestation la plus frappante, mais loin d’être la seule, de ce problème, qui tend à imprégner tous les rapports sociaux. Au travail et dans la vie quotidienne de la classe ouvrière, de façon croissante, il affaiblit la coopération, renforce l'atomisation  et le développement de la méfiance mutuelle et du mobbing." (Point 20)

Nous ne pensons pas que le point de non-retour a été franchi, que la classe ouvrière dans les centres de l'essor historique du capitalisme mondial, et avec elle la masse gigantesque du prolétariat en  Chine, ont été vaincues. Nous voyons encore dans cette situation qu’il existe un potentiel pour le développement de ce que nous appelons la dimension politico-morale de la lutte prolétarienne : "l'émergence d'un rejet profond du mode de vie existant de la part de secteurs plus larges de la classe."  (Point 24)

Cette situation difficile a également une conséquence sur nos tâches en tant que minorité de la classe. Les minorités révolutionnaires sont un produit de la classe et ont un rôle spécifique - à l'heure actuelle, elles constituent un pont organisationnel entre les luttes révolutionnaires du passé et celles de l'avenir, même si, entre les deux, la distance est énorme.

Novembre 2017