Soumis par Revue Internationale le
"Le marxisme est une vision révolutionnaire du monde qui doit appeler à lutter sans cesse pour acquérir des connaissances nouvelles, qui n’abhorre rien tant que les formes figées et définitives et qui éprouve sa force vivante dans le cliquetis d’armes de l’autocritique et sous les coups de tonnerre de l’histoire." (Rosa Luxemburg, Critique des critiques)
Le CCI a tenu au printemps dernier son 21ème congrès. Cet événement coïncidait avec les 40 ans d'existence de notre organisation. De ce fait, nous avons pris la décision de donner à ce congrès un caractère exceptionnel avec comme objectif central de jeter les bases d'un bilan critique de nos analyses et de notre activité au cours de ces 4 décennies. Les travaux du congrès se sont donc attachés à identifier de la façon la plus lucide possible nos forces et nos faiblesses, ce qui était valable dans nos analyses et les erreurs que nous avons commises afin de nous armer pour les surmonter.
Ce bilan critique s’inscrit pleinement dans la continuité de la démarche qu’a toujours adoptée le marxisme tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier. Ainsi, Marx et Engels, fidèles à une méthode à la fois historique et autocritique, ont été capables de reconnaître que certaines parties du Manifeste Communiste s’étaient avéré erronées ou étaient dépassées par l’expérience historique. C’est la capacité à faire la critique de leurs erreurs qui a toujours permis aux marxistes de réaliser des avancées théoriques et de continuer à apporter leur contribution à la perspective révolutionnaire du prolétariat. De la même façon que Marx a su tirer les leçons de l’expérience de la Commune de Paris et de sa défaite, la Gauche communiste d'Italie a été capable de reconnaitre la défaite profonde du prolétariat mondial à la fin des années 1920, de faire un "bilan" 1 de la vague révolutionnaire de 1917-23 et des positions programmatiques de la Troisième Internationale. C’est ce bilan critique qui lui a permis, malgré ses erreurs, d'accomplir des avancées théoriques inestimables tant sur le plan de l’analyse de la période de contre-révolution que sur le plan organisationnel en comprenant le rôle et les tâches d’une fraction au sein d'un parti prolétarien dégénérescent et comme pont vers un futur parti quand le précédent a été gagné par la bourgeoisie.
Ce Congrès exceptionnel du CCI s’est tenu dans le contexte de notre dernière crise interne qui avait donné lieu à la tenue d’une conférence internationale extraordinaire il y a un an 2. C’est avec le plus grand sérieux que toutes les délégations ont préparé ce Congrès et se sont inscrites dans les débats avec une compréhension claire des enjeux et de la nécessité, pour toutes les générations de militants, d'engager ce bilan critique des 40 ans d’existence du CCI. Pour les militants (et notamment les plus jeunes) qui n’étaient pas encore membres du CCI lors de sa fondation, ce Congrès, et ses textes préparatoires, leur ont permis d’apprendre de l’expérience du CCI tout en participant activement aux travaux du Congrès en prenant position dans les débats.
Le bilan critique de notre analyse de la situation internationale
La fondation du CCI était une manifestation de la fin de la contre-révolution et de la reprise historique de la lutte de classe qui s’est illustrée notamment par le mouvement de Mai 68 en France. Le CCI est la seule organisation de la Gauche communiste à avoir analysé cet événement dans le cadre du resurgissement de la crise ouverte du capitalisme qui débute en 1967. Avec la fin des "30 glorieuses", et avec la course aux armements pendant la guerre froide, était de nouveau posée l’alternative "guerre mondiale ou développement des combats prolétariens". Mai 68 et la vague de luttes ouvrières qui s’est développée à l’échelle internationale a marqué l’ouverture d’un nouveau cours historique : après 40 ans de contre-révolution, le prolétariat relevait la tête et n’était pas prêt à se laisser embrigader dans une troisième guerre mondiale, derrière la défense des drapeaux nationaux.
Le Congrès a souligné que le surgissement et le développement d’une nouvelle organisation internationale et internationaliste avait confirmé la validité de notre cadre d’analyse sur ce nouveau cours historique. Armé de ce concept (ainsi que de l’analyse que le capitalisme était entré dans sa période historique de décadence avec l’éclatement de la première guerre mondiale), le CCI a continué tout au long de son existence à analyser les trois volets de la situation internationale – l’évolution de la crise économique, de la lutte de classe et des conflits impérialistes – afin de ne pas tomber dans l’empirisme et de dégager des orientations pour son activité. Néanmoins, le Congrès s’est appliqué à faire l’examen le plus lucide possible des erreurs que nous avons commises dans certaines de nos analyses afin de nous permettre d'identifier l’origine de ces erreurs et donc d'améliorer notre cadre d'analyse.
Sur la base du rapport présenté sur l’évolution de la lutte de classe depuis 1968, le congrès a souligné qu'une des principales faiblesses du CCI, depuis ses origines, a été ce que nous avons appelé l’immédiatisme, c’est-à-dire une démarche politique marquée par l’impatience et qui se focalise sur les événements immédiats au détriment d'une vision historique ample de la perspective dans laquelle s'inscrivent ces événements. Bien que nous ayons identifié, à juste raison, que la reprise de la lutte de classe à la fin des années 1960 avait marqué l’ouverture d’un nouveau cours historique, la caractérisation de ce cours historique comme "cours vers la révolution" était erronée et nous avons dû la corriger en utilisant l’expression "cours aux affrontements de classe». Cette formulation plus appropriée n'a pas cependant, du fait d'une certaine imprécision, fermé la porte à une vision schématique, linéaire de la dynamique de la lutte de classe avec une certaine hésitation en notre sein à reconnaitre les difficultés, les défaites et les périodes de recul du prolétariat.
L’incapacité de la bourgeoisie à embrigader la classe ouvrière des pays centraux dans une troisième guerre mondiale ne signifiait pas que les vagues internationales de luttes qui se sont succédées jusqu’en 1989 allaient se poursuivre de façon mécanique et inéluctable jusqu’à l’ouverture d’une période révolutionnaire. Le congrès a mis en évidence que le CCI a sous-estimé le poids de la rupture de la continuité historique avec le mouvement ouvrier du passé et l’impact idéologique, au sein de la classe ouvrière, de 40 ans de contre-révolution, impact qui se manifeste notamment pas une méfiance, voire un rejet, des organisations communistes.
Le Congrès a souligné également une autre faiblesse du CCI dans ses analyses du rapport de forces entre les classes : la tendance à voir le prolétariat constamment "à l’offensive" dans chaque mouvement de lutte alors que ce dernier n’a mené jusqu’à présent que des luttes de défense de ses intérêts économiques immédiats (aussi importantes et significatives soient-elles) sans parvenir à leur donner une dimension politique.
Les travaux du congrès nous ont permis de constater que ces difficultés d’analyse de l’évolution de la lutte de classe ont eu pour soubassement une vison erronée du fonctionnement du mode de production capitaliste, avec une tendance à perdre de vue que le capital est d’abord un rapport social, ce qui signifie que la bourgeoisie est obligée de tenir compte de la lutte de classe dans la mise en œuvre de ses politiques économiques et de ses attaques contre le prolétariat. Le congrès a également souligné un certain manque de maîtrise par le CCI de la théorie de Rosa Luxemburg comme explication de la décadence du capitalisme. Suivant Rosa Luxemburg, le capitalisme a besoin, pour être en mesure de poursuivre son accumulation, de trouver des débouchés dans des secteurs extra capitalistes. La disparition progressive de ces secteurs condamne le capitalisme à des convulsions croissantes. Cette analyse a été adoptée dans notre plateforme (même si une minorité de nos camarades s’appuie sur une autre analyse pour expliquer la décadence : celle de la baisse tendancielle du taux de profit). Ce manque de maîtrise par le CCI de l’analyse de Rosa Luxemburg (développée dans son livre "L’accumulation du capital") s’est répercutée par une vision "catastrophiste", voir apocalyptique de l’effondrement de l’économie mondiale. Le Congrès a constaté que tout au long de son existence, le CCI n’a cessé de surestimer le rythme de développement de la crise économique. Mais ces dernières années, et notamment avec la crise des dettes souveraines, nos analyses avaient en arrière fond l’idée sous-jacente que le capitalisme pourrait s’effondrer de lui-même puisque la bourgeoisie est "dans l’impasse" et aurait épuisé tous les palliatifs qui lui ont permis de prolonger de façon artificielle la survie de son système.
Cette vision "catastrophiste" est due, en bonne partie, à un manque d’approfondissement de notre analyse du capitalisme d’État, à une sous-estimation des capacités de la bourgeoisie, que nous avions pourtant identifiées depuis longtemps, à tirer les leçons de la crise des années 1930 et à accompagner la faillite de son système par toutes sortes de manipulations, de tricheries avec la loi de la valeur, par une intervention étatique permanente dans l’économie. Elle est due également à une compréhension réductionniste et schématique de la théorie économique de Rosa Luxemburg avec l’idée erronée que le capitalisme aurait déjà épuisé toutes ses capacités d’expansion depuis 1914 ou dans les années 1960. En réalité, comme le soulignait Rosa Luxemburg, la catastrophe réelle du capitalisme se trouve dans le fait qu’il soumet l’humanité à un déclin, à une longue agonie en plongeant la société dans une barbarie croissante.
C’est cette erreur consistant à nier toute possibilité d’expansion du capitalisme dans sa période de décadence qui explique les difficultés qu’a eues le CCI à comprendre la croissance et le développement industriel vertigineux de la Chine (et d’autres pays périphériques) après l’effondrement du bloc de l’Est. Bien que ce décollage industriel ne remette nullement en question notre analyse de la décadence du capitalisme 3, la vision suivant laquelle il n’y aurait aucune possibilité de développement des pays du Tiers-Monde dans la période de décadence ne s’est pas vérifiée. Cette erreur, soulignée par le Congrès, nous a conduits à ne pas envisager le fait que la faillite du vieux modèle autarcique des pays staliniens pourrait ouvrir de nouveaux débouchés, jusqu’alors gelés, aux investissements capitalistes 4 (y compris l'intégration dans le salariat d’une masse énorme de travailleurs qui vivait auparavant en dehors des rapports sociaux directement capitalistes et qui ont été soumis à une surexploitation féroce).
Concernant la question des tensions impérialistes, le Congrès a mis en évidence que le CCI a développé en général un cadre d’analyse très solide que ce soit à l’époque de la guerre froide entre les deux blocs rivaux ou après l’effondrement de l’URSS et des régimes staliniens. Notre analyse du militarisme, de la décomposition du capitalisme et de la crise dans les pays de l’Est nous a permis de percevoir les failles qui allaient conduire à l’effondrement du bloc de l’Est. Le CCI a ainsi été la première organisation à avoir prévu la disparition des deux blocs, celui dirigé par l’URSS et celui dirigé par les États-Unis, de même que le déclin de l’hégémonie américaine et le développement de la tendance au "chacun pour soi" sur la scène impérialiste avec la fin de la discipline des blocs militaires. 5
Si le CCI a été en mesure d’appréhender correctement la dynamique des tensions impérialistes, c’est parce qu’il a pu analyser l’effondrement spectaculaire du bloc de l’Est et des régimes staliniens comme manifestation majeure de l’entrée du capitalisme dans la phase ultime de sa décadence : celle de la décomposition. Ce cadre d’analyse fut la dernière contribution que notre camarade MC6 a léguée au CCI pour lui permettre d’affronter une situation historique inédite et particulièrement difficile. Depuis plus de 20 ans, la montée du fanatisme et de l’intégrisme religieux, le développement du terrorisme et du nihilisme, la multiplication des conflits armés et leur caractère de plus en plus barbare, le resurgissement des pogroms (et, plus généralement, d'une mentalité de recherche de "boucs émissaires), ne font que confirmer la validité de ce cadre d’analyse.
Bien que le CCI ait compris comment la classe dominante a pu exploiter l’effondrement du bloc de l’Est et du stalinisme pour retourner cette manifestation de la décomposition de son système contre la classe ouvrière en déchainant ses campagnes sur la "faillite du communisme", nous avons largement sous-estimé la profondeur de leur impact sur la conscience du prolétariat et sur le développement de ses luttes.
Nous avons sous-estimé le fait que l’atmosphère délétère de la décomposition sociale (de même que la désindustrialisation et les politiques de délocalisation dans certains pays centraux) contribue à saper la confiance en soi, la solidarité du prolétariat et à renforcer la perte de son identité de classe. Du fait de cette sous-estimation des difficultés de la nouvelle période ouverte avec l’effondrement du bloc de l’Est, le CCI a eu tendance à garder l’illusion que l’aggravation de la crise économique et des attaques contre la classe ouvrière allait nécessairement, et de façon mécanique, provoquer des "vagues de luttes" qui vont de développer avec les mêmes caractéristiques et sur le même modèle que celles des années 1970-80. En particulier, bien qu’ayant salué à juste raison le mouvement contre le CPE en France et des Indignés en Espagne, nous avons sous-estimé les énormes difficultés auxquelles se confronte aujourd’hui la jeune génération de la classe ouvrière pour développer une perspective à ses luttes (notamment le poids des illusions démocratiques, la peur et le rejet du mot "communisme", le fait que cette génération n’a pas pu bénéficier de la transmission de l’expérience vivante de la génération de travailleurs, aujourd’hui retraités, qui avaient participé aux combats de classe des années 1970 et 1980). Ces difficultés n’affectent pas seulement la classe ouvrière dans son ensemble mais également les jeunes éléments en recherche qui veulent s’engager dans une activité politisée.
L’isolement et l’influence négligeable du CCI (comme de tous les groupes historiques issus de la Gauche communiste) dans la classe ouvrière depuis quatre décennies, et particulièrement depuis 1989, révèlent que la perspective de la révolution prolétarienne mondiale est encore très éloignée. Lors de sa fondation, le CCI n’imaginait pas que 40 ans plus tard, la classe ouvrière n’aurait toujours pas renversé le capitalisme. Cela ne signifie nullement que le marxisme se serait trompé et que ce système est éternel. La principale erreur que nous avons commise et celle d’avoir sous-estimé la lenteur du rythme de la crise aiguë du capitalisme qui a ressurgi à la fin de la période de reconstruction du second après-guerre de même que les capacités de la classe dominante à freiner et accompagner l’effondrement historique du mode de production capitaliste.
Par ailleurs, le Congrès a mis en lumière que notre dernière crise interne (et les leçons que nous en avons tirées), a permis au CCI de commencer à se réapproprier clairement un acquis fondamental du mouvement ouvrier qui avait été mis en lumière par Engels : la lutte du prolétariat contient trois dimensions. Une dimension économique, une dimension politique et une dimension théorique. C’est cette dimension théorique que le prolétariat devra développer dans ses luttes futures pour pouvoir retrouver son identité de classe révolutionnaire, résister au poids de la décomposition sociale et mettre en avant sa propre perspective de transformation de la société. Comme l’affirmait Rosa Luxemburg, la révolution prolétarienne est avant tout un vaste "mouvement culturel" car la société communiste n’aura pas pour objectif la seule satisfaction des besoins matériels vitaux de l’humanité, mais également la satisfaction de ses besoins sociaux, intellectuels et moraux. À partir de la prise de conscience de cette lacune dans notre compréhension de la lutte du prolétariat (révélant une tendance "économiciste" et matérialiste vulgaire), nous avons pu non seulement identifier la nature de notre dernière crise mais également réaliser que cette crise "intellectuelle et morale" que nous avions déjà examinée lors de notre conférence extraordinaire de 2014 7 dure en réalité depuis plus de 30 ans. Et cela du fait que le CCI a souffert d’un manque de réflexion et de discussions approfondies sur les racines de toutes les difficultés organisationnelles auxquelles il a été confronté depuis ses origines, et notamment depuis la fin des années 1980.
Le rôle du CCI comme "fraction d'une certaine façon"
Pour entamer un bilan critique des 40 ans d’existence du CCI, le Congrès a mis au centre de ses travaux la discussion non seulement d’un rapport d’activité générale mais aussi un rapport sur le rôle du CCI "en tant que fraction".
Notre organisation n’a jamais eu la prétention d’être un parti (et encore moins LE parti mondial du prolétariat).
Comme le soulignaient nos textes de fondation, "L’effort de notre courant pour se constituer en pôle de regroupement autour des positions de classe s’inscrit dans un processus qui va vers la formation du parti au moment des luttes intenses et généralisées. Nous ne prétendons pas être un "parti"" (Revue Internationale n° 1, "Bilan de la conférence internationale de fondation du CCI"). Le CCI doit encore faire un travail comportant de nombreuses similarités avec celui d'une fraction, même s’il n’est pas une fraction.
En effet, a surgi après une rupture organique avec les organisations communistes du passé et n’est pas issu d’une organisation pré-existante. Il n’y a donc aucune continuité organisationnelle avec un groupe particulier ou un parti. Le seul camarade (MC) qui venait d’une fraction du mouvement ouvrier issue de la 3ème Internationale, ne pouvait représenter la continuité d’un groupe, mais il était le seul "lien vivant" avec le passé du mouvement ouvrier. Parce que le CCI n’est pas enraciné ou sorti d’un parti qui avait dégénéré, trahi les principes prolétariens et était passé dans le camp du capital, il n’a pas été fondé dans le contexte d’un combat contre sa dégénérescence. La tâche première du CCI, du fait de la rupture de la continuité organique et de la profondeur de 40 ans de contre-révolution, était d’abord la réappropriation des positions des groupes de la Gauche communiste qui nous avaient précédés.
Le CCI devait donc se construire et se développer à l’échelle internationale en quelque sorte à partir de "zéro". Cette nouvelle organisation internationale devait apprendre "sur le tas" dans de nouvelles conditions historiques et avec une première génération de jeunes militants inexpérimentés, issue du mouvement estudiantin de Mai 68 et très fortement marquée par le poids de la petite bourgeoisie, de l’immédiatisme, de l’ambiance du "conflit des générations" et de la peur du stalinisme qui s’est particulièrement manifestée par une méfiance, dès le début, à l’égard de la centralisation.
Dès sa fondation, le CCI s’est réapproprié l’expérience des organisations du mouvement ouvrier du passé (notamment de la Ligue des communistes, de l’AIT, de Bilan, de la GCF) en se dotant de Statuts, de principes de fonctionnement qui font partie intégrante de sa plateforme. Mais contrairement aux organisations du passé, le CCI ne se concevait pas comme une organisation fédéraliste composée d’une somme de sections nationales, ayant chacune des spécificités locales. En se constituant d’emblée en organisation internationale et centralisée, le CCI se concevait comme un corps uni internationalement. Ses principes de centralisation étaient le garant de cette unité de l’organisation.
"Alors que pour Bilan et la GCF – étant donnée les conditions de la contre-révolution – il était impossible de grossir et de construire une organisation dans plusieurs pays, le CCI a entrepris la tâche de construire une organisation internationale sur la base de positions solides (…) En tant qu’expression du cours historique nouvellement ouvert à des affrontements de classe (…), le CCI a été international et centralisé internationalement dès le début, alors que les autres organisations de la Gauche communiste du passé étaient toutes confinées à un ou deux pays." (Rapport sur le rôle du CCI comme "fraction").
Malgré ces différences avec Bilan et la GCF, le Congrès a souligné que le CCI avait un rôle similaire à celui d’une fraction : celui de constituer un pont entre le passé (après une période de rupture) et le futur. "Le CCI se définit lui-même ni comme un parti, ni comme un ‘parti en miniature’, mais comme une ‘fraction d’une certaine façon’" (Rapport sur le rôle du CCI comme "fraction" présenté au Congrès). Le CCI devait être un pôle de référence, de regroupement international et de transmission des leçons de l’expérience du mouvement ouvrier du passé. Il devait aussi se garder de toute démarche dogmatique, en sachant faire une critique, quand c’était nécessaire, des positions erronées ou devenues obsolètes, pour aller au-delà et continuer à faire vivre le marxisme.
La réappropriation des positions de la Gauche communiste dans le CCI a été entreprise relativement rapidement même si son assimilation a été marquée dès le début par une grande hétérogénéité. "Réappropriation ne voulait pas dire que nous étions arrivés à la clarté et à la vérité une fois pour toute, que notre plateforme était devenue ‘invariante’ (…) Le CCI a modifié sa plateforme au début des années 1980 après un débat intense" (Ibid.). C’est sur la base de cette réappropriation que le CCI a pu faire des élaborations théoriques à partir de l’analyse de la situation internationale (par exemple, la critique de la théorie de Lénine des "maillons faibles" après la défaite de la grève de masse en Pologne en 1980 8, l’analyse de la décomposition comme phase ultime de la décadence du capitalisme annonçant l’effondrement de l’URSS) 9.
Dès le début, le CCI a adopté la démarche de Bilan et la GCF qui ont insisté tout au long de leur existence sur la nécessité d’un débat international (même dans les conditions de répression, du fascisme et de la guerre) visant à la clarification des positions respectives des différents groupes en s’engageant dans des polémiques sur les questions de principe. Tout de suite après la fondation du CCI en janvier 1975, nous avons repris cette méthode en engageant de nombreux débats publics et polémiques, non pas en vue d’un regroupement précipité mais pour favoriser la clarification.
Depuis le début de son existence, le CCI a toujours défendu l’idée qu’il existe un "milieu politique prolétarien" délimité par des principes et s’est attaché à jouer un rôle dynamique dans le processus de clarification au sein de ce milieu.
La trajectoire de la Gauche communiste d'Italie a été marquée, du début à la fin, par des combats permanents pour la défense des principes du mouvement ouvrier et du marxisme. Cela a été également une préoccupation permanente du CCI tout au long de son existence que ce soit dans les débats polémiques à l’extérieur ou dans les combats politiques que nous avons dû mener à l’intérieur de l’organisation, en particulier lors de situations de crise.
Bilan et la GCF étaient convaincus que leur rôle était également la "formation des cadres". Bien que ce concept de "cadres" soit très contestable et puisse prêter à confusion, leur principale préoccupation était parfaitement valable : il s’agissait de former la future génération de militants en lui transmettant les leçons de l’expérience historique afin qu’elle puisse reprendre le flambeau et poursuivre le travail de la génération précédente.
Les fractions du passé n’ont pas disparu uniquement à cause du poids de la contre-révolution. Leurs analyses erronées de la situation historique ont également contribué à leur disparition. La GCF s’est dissoute suite à l’analyse, qui ne s’est pas vérifiée, de l’éclatement imminent et inéluctable d’une 3ème guerre mondiale. Le CCI est l’organisation internationale qui a la plus longue durée de vie de l’histoire du mouvement ouvrier. Il existe encore, 40 ans après sa fondation. Nous n’avons pas été balayés par nos différentes crises. Malgré la perte de nombreux militants, le CCI a réussi à maintenir la plupart de ses sections fondatrices et à constituer de nouvelles sections permettant la diffusion de notre presse dans différentes langues, pays et continents.
Cependant, le Congrès a mis en évidence, de façon lucide, que le CCI est encore sous le poids du fardeau des conditions historiques de ses origines. Du fait de ces conditions historiques défavorables, il y a eu en notre sein une génération "perdue" après 1968 et une génération "manquante" (à cause de l’impact prolongé des campagnes anti-communistes après l’effondrement du bloc de l’Est). Cette situation a constitué un handicap pour consolider l’organisation dans son activité sur le long terme. Nos difficultés ont encore été aggravées depuis la fin des années 1980 par le poids de la décomposition qui affecte l’ensemble de la société, y compris la classe ouvrière et ses organisations révolutionnaires.
De la même façon que Bilan et la GCF ont eu la capacité de mener le combat "contre le courant", le CCI, pour pouvoir assumer son rôle de pont entre le passé et le futur, doit aujourd’hui développer ce même esprit de combat en sachant que nous sommes également à "contre-courant", isolés et coupés de l’ensemble de la classe ouvrière (comme les autres organisations de la Gauche communiste). Même si nous ne sommes plus dans une période de contre-révolution, la situation historique ouverte depuis l’effondrement du bloc de l’Est et les très grandes difficultés du prolétariat à retrouver son identité de classe révolutionnaire et sa perspective, (de même que toutes les campagnes bourgeoises pour discréditer la Gauche communiste) a renforcé cet isolement. "Le pont auquel nous devons contribuer sera celui qui passe au-dessus de la génération ‘perdue’ de 1968 et au-dessus du désert de la décomposition vers les futures générations" (Ibid.).
Les débats du Congrès ont souligné que le CCI, au fil du temps (et notamment depuis la disparition de notre camarade MC qui est survenue peu après l'effondrement du stalinisme), a grandement perdu de vue qu’il doit continuer le travail des fractions de la Gauche communiste. Cela s’est manifesté par une sous-estimation que notre tâche principale est celle de l’approfondissement théorique 10 (qui ne doit pas être laissé à quelques "spécialistes») et de la construction de l’organisation à travers la formation de nouveaux militants en leur transmettant la culture de la théorie. Le Congrès a fait le constat que le CCI a échoué à transmettre aux nouveaux camarades, au cours des 25 dernières années, la méthode de la Fraction. Au lieu de leur transmettre la méthode de construction sur le long terme d’une organisation centralisée, nous avons tendu à leur transmettre la vision du CCI comme un "mini parti" 11 dont la tâche principale serait l’intervention dans les luttes immédiates de la classe ouvrière.
À l’époque de la fondation du CCI, une responsabilité immense reposait sur les épaules de MC qui était le seul camarade qui pouvait transmettre à une nouvelle génération la méthode du marxisme, de construction de l’organisation, de défense intransigeante de ses principes. Il y a aujourd’hui au sein de l’organisation beaucoup plus de militants expérimentés (et qui étaient présents lors de la fondation du CCI), mais il existe toujours un danger de "rupture organique" étant donné nos difficultés à faire ce travail de transmission.
En fait, les conditions qui ont présidé à la fondation du CCI ont constitué un énorme handicap pour la construction de l’organisation sur le long terme. La contre-révolution stalinienne a été la plus longue et la plus profonde de toute l’histoire du mouvement ouvrier. Jamais auparavant, depuis la Ligue des Communistes, il n’y avait eu de discontinuité, de rupture organique entre les générations de militants. Il y a toujours eu un lien vivant d’une organisation à l’autre et le travail de transmission de l’expérience n’a jamais reposé sur les épaules d’un seul individu. Le CCI est la seule organisation qui ait connu cette situation inédite. Cette rupture organique qui s'étend sur plusieurs décennies constituait une faiblesse très difficile à surmonter et elle a été encore aggravée par la résistance de la jeune génération issue de Mai 68 à "apprendre" de l’expérience de la génération précédente. Le poids des idéologies de la petite bourgeoisie en révolte, du milieu estudiantin contestataire et fortement marqué par le "conflit des générations" (du fait que la génération précédente était justement celle qui avait vécu au plus profond de la contre-révolution) a renforcé encore le poids de la rupture organique avec l’expérience vivante du mouvement ouvrier du passé.
Évidemment, la disparation de MC, au tout début de la période de décomposition du capitalisme, ne pouvait que rendre encore plus difficile la capacité du CCI à dépasser ses faiblesses congénitales.
La perte de la section du CCI en Turquie a été la manifestation la plus évidente de ces difficultés à transmettre à de jeunes militants la méthode de la Fraction. Le Congrès a fait une critique très sévère de notre erreur consistant à avoir intégré de façon prématurée et précipitée ces ex-camarades alors qu’ils n’avaient pas réellement compris les Statuts et les principes organisationnels du CCI (avec une très forte tendance localiste, fédéraliste, consistant à concevoir l’organisation comme une somme de sections "nationales" et non comme un corps uni et centralisé à l’échelle internationale).
Le Congrès a également souligné que le poids de l’esprit de cercle (et des dynamiques de clans) 12 qui fait partie des faiblesses congénitales du CCI, a constitué un obstacle permanent à son travail d’assimilation et de transmission des leçons de l’expérience du passé aux nouveaux militants.
Les conditions historiques dans lesquelles le CCI a vécu ont changé depuis sa fondation. Pendant les premières années de notre existence, nous pouvions intervenir dans une classe ouvrière qui était en train de mener des luttes significatives. Aujourd’hui, après 25 ans de quasi-stagnation de la lutte de classe au niveau international, le CCI doit maintenant s’attacher à une tâche semblable à celle de Bilan à son époque : comprendre les raisons de l’échec de la classe ouvrière à retrouver une perspective révolutionnaire près d’un demi-siècle après la reprise historique de la lutte de classe à la fin des années 1960.
"Le fait que nous soyons presque seuls aujourd’hui à examiner des problèmes colossaux peut préjuger des résultats, mais non de la nécessité d’une solution." (Bilan n°22, septembre 1935, "Projet de résolution sur les problèmes des liaisons internationales").
"Ce travail ne doit pas porter seulement sur les problèmes que nous avons besoin de résoudre aujourd’hui pour établir notre tactique mais sur les problèmes qui se poseront demain à la dictature du prolétariat" (Internationalisme n°1, janvier 1945, "Résolution sur les tâches politiques")
La nécessité d’une "renaissance" morale et culturelle
Les débats sur le bilan critique des quarante ans d’existence du CCI nous ont obligés à prendre la mesure du danger de sclérose et de dégénérescence qui a toujours menacé les organisations révolutionnaires. Aucune organisation révolutionnaire n’a jamais été immunisée contre ce danger. Le SPD (Parti Social-Démocrate d'Allemagne) a été gangréné par l’opportunisme, jusqu’à une remise en cause totale des fondements du marxisme, en grande partie parce qu’il avait abandonné tout travail théorique au profit des taches immédiates visant à gagner de l’influence dans les masses ouvrières à travers ses succès électoraux. Mais le processus de dégénérescence du SPD a commencé bien avant cet abandon des tâches théoriques. Il a commencé avec la destruction progressive de la solidarité entre les militants. Du fait de l’abolition des lois antisocialistes (1878-1890) et de la légalisation du SPD, la solidarité entre les militants qui était une exigence au cours de la période précédente n’était plus une évidence puisqu’ils ne risquaient plus d’être soumis à la répression et à la clandestinité. Cette destruction de la solidarité (permise grâce aux conditions "confortables" de la démocratie bourgeoisie) a ouvert la voie à une dépravation morale croissante au sein du SPD qui était pourtant le parti phare du mouvement ouvrier international et qui s'est manifesté, par exemple, par le colportage des ragots les plus nauséabonds visant la représentante la plus intransigeante de son aile gauche, Rosa Luxemburg. 13 C’est cet ensemble de facteurs (et pas seulement l’opportunisme et le réformisme) qui a ouvert les vannes d’un long processus de dégénérescence interne jusqu’à l’effondrement du SPD en 1914. 14 Pendant longtemps, le CCI n’avait abordé la question des principes moraux que d’un point de vue empirique, pratique, notamment lors de la crise de 1981 lorsque nous avons été confrontés, pour la première fois, à des comportements de voyous avec le vol de notre matériel par la tendance Chénier15. Si le CCI n’avait pas pu aborder cette question d’un point de vue théorique, c’est essentiellement parce qu’il existait un rejet et une certaine "phobie" du terme "morale" lors de la fondation du CCI. La jeune génération issue du mouvement de Mai 68 ne voulait pas (contrairement à MC) que le mot "morale" figure dans les Statuts du CCI (alors que l’idée d’une morale prolétarienne était présente dans les Statuts de la GCF). Cette aversion pour la "morale" était encore une manifestation de l’idéologie et de la démarche la petite bourgeoisie estudiantine de l’époque.
C’est seulement lors de la répétition, lors de la crise de 2001, des comportements de voyous de la part des ex-militants qui allaient constituer la FICCI que le CCI a compris la nécessité d’une réappropriation théorique des acquis du marxisme sur la question de la morale. Il aura fallu plusieurs décennies pour que nous commencions à réaliser la nécessité de combler cette faille. Et c’est à partir de notre dernière crise que le CCI a commencé une réflexion pour mieux comprendre ce que voulait dire Rosa Luxemburg lorsqu’elle affirmait que "le parti du prolétariat est la conscience morale de la révolution".
Le mouvement ouvrier dans son ensemble a négligé cette question. Le débat à l’époque de la Deuxième Internationale n’a jamais été suffisamment développé (notamment sur le livre de Kautsky "Éthique et conception matérialiste de l’Histoire") et la perte morale a été un élément décisif dans sa dégénérescence. Bien que les groupes de la Gauche communiste aient eu le courage de défendre pratiquement les principes moraux prolétariens, ni Bilan, ni la GCF n’ont traité de cette question de façon théorique. Les difficultés du CCI sur ce plan doivent donc être vues à la lumière des insuffisances du mouvement révolutionnaire au cours du 20ème siècle.
Aujourd’hui, le risque de dégénérescence morale des organisations révolutionnaires est aggravé par les miasmes de la putréfaction et de la barbarie de la société capitaliste. Cette question ne concerne pas seulement le CCI mais aussi les autres groupes de la Gauche communiste.
Après notre dernière Conférence extraordinaire qui s’était attachée à identifier la dimension morale de la crise du CCI, le Congrès s’est donné comme objectif de discuter de sa dimension intellectuelle. Tout au long de son existence, le CCI n’a cessé de signaler régulièrement ses difficultés sur le plan de l’approfondissement des questions théoriques. La tendance à perdre de vue le rôle que doit jouer notre organisation dans la période historique présente, l’immédiatisme dans nos analyses, les tendances activistes et ouvriéristes dans notre intervention, le mépris pour le travail théorique et de recherche de la vérité ont constitué le terreau pour le développement de cette crise.
Notre sous-estimation récurrente de l’élaboration théorique (et particulièrement sur les questions organisationnelles) trouve ses sources dans les origines du CCI : l’impact de la révolte estudiantine avec sa composante académiste (de nature petite-bourgeoise) à laquelle s’est opposée une tendance activiste "ouvriériste" (de nature gauchisante) qui confondait anti-académisme et mépris de la théorie. Et cela dans une atmosphère de contestation infantile de l’"autorité" (représentée par le "vieux" MC). À partir de la fin des années 1980, cette sous-estimation du travail théorique de l’organisation a été alimentée par l’ambiance délétère de la décomposition sociale qui tend à détruire la pensée rationnelle au profit de croyances et préjugés obscurantistes, qui substitue la "culture du ragot" à la culture de la théorie. 16 La perte de nos acquis (et le danger de sclérose qu’elle comporte) est une conséquence directe de ce manque de culture de la théorie. Face à la pression de l’idéologie bourgeoise, les acquis du CCI (que ce soit sur le plan programmatique, de nos analyses ou organisationnels) ne peuvent se maintenir que s’ils sont enrichis en permanence par la réflexion et le débat théorique.
Le Congrès a souligné que le CCI est toujours affecté par son "péché de jeunesse", l’immédiatisme, qui nous a fait perdre de vue, de façon récurrente, le cadre historique et à long terme dans lequel s’inscrit la fonction de l’organisation. Le CCI a été constitué par le regroupement de jeunes éléments qui se sont politisés au moment d’une reprise spectaculaire des combats de classe (en Mai 68). Beaucoup d’entre eux avaient l’illusion que la révolution était déjà en marche. Les plus impatients et immédiatistes se sont démoralisés et ont abandonné leur engagement militant. Mais cette faiblesse s’est également maintenue parmi ceux qui sont restés dans le CCI. L’immédiatisme continue à nous imprégner et s’est manifesté en de nombreuses occasions. Le Congrès a pris conscience que cette faiblesse peut nous être fatale car, associée à la perte des acquis, au mépris de la théorie, elle débouche inévitablement sur l’opportunisme, une dérive qui vient toujours saper les fondements de l’organisation.
Le Congrès a rappelé que l’opportunisme (et sa variante, le centrisme) résulte de l’infiltration permanente de l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise au sein des organisations révolutionnaire nécessitant une vigilance et un combat permanents contre le poids de ces idéologies. Bien que l’organisation des révolutionnaires soit un "corps étranger", antagonique au capitalisme, elle surgit et vit au sein de la société de classes et est donc en permanence menacée par l’infiltration des idéologies et pratiques étrangères au prolétariat, par des dérives remettant en cause les acquis du marxisme et du mouvement ouvrier. Au cours de ces 40 années d’existence, le CCI a dû constamment défendre ses principes et combattre en son sein, à travers des débats difficiles, toutes ces idéologies qui se sont manifestées, entre autres, par des déviations gauchistes, modernistes, anarcho-libertaires, conseillistes.
Le Congrès s’est penché également sur les difficultés du CCI à surmonter une autre grande faiblesse de ses origines : l’esprit de cercle et sa manifestation la plus destructrice l’esprit de clan. 17 Cet esprit de cercle constitue, comme le révèle toute l’histoire du CCI, un des poisons les plus dangereux pour l’organisation. Et cela pour différentes raisons. Il porte en lui la transformation de l’organisation révolutionnaire en simple regroupement d’amis, dénaturant ainsi sa nature politique comme émanation et instrument du combat de la classe ouvrière. À travers la personnalisation des questions politiques, il sape la culture du débat et la clarification des désaccords à travers la confrontation, cohérente et rationnelle, des arguments. La constitution de clans ou de cercles d’amis s’affrontant à l’organisation ou à certaines de ses parties détruit le travail collectif, la solidarité et l’unité de l’organisation. Du fait qu’il est alimenté par des démarches émotionnelles, irrationnelles, par des rapports de force, des animosités personnelles, l’esprit de cercle s’oppose au travail de la pensée, à la culture de la théorie au profit de l’engouement pour les ragots, les commérages "entre amis" et la calomnie, sapant ainsi la santé morale de l’organisation.
Le CCI n’a pas réussi à se débarrasser de l’esprit de cercle malgré tous les combats qu’il a menés au cours de ses quarante années d’existence. La persistance de ce poison s’explique par les origines du CCI qui s’est constitué à partir de cercles et dans une ambiance "familialiste" ou les affects (sympathies ou antipathies personnelles) prennent le pas sur la nécessaire solidarité entre les militants luttant pour la même cause et rassemblés autour d’un même programme. Le poids de la décomposition sociale et la tendance au "chacun pour soi", aux démarches irrationnelles, a encore aggravé cette faiblesse originelle. Et surtout, l’absence de discussions théoriques approfondies sur les questions organisationnelles n’a pas permis à l’organisation dans son ensemble de surmonter cette "maladie infantile" du CCI et du mouvement ouvrier. Le Congrès a souligné (en reprenant le constat déjà fait par Lénine en 1904 dans son ouvrage "Un pas en avant, deux pas en arrière") que l’esprit de cercle est véhiculé essentiellement par la pression de l’idéologie de la petite bourgeoisie.
Pour affronter toutes ces difficultés, et face à la gravité des enjeux de la période historique actuelle, le Congrès a mis en évidence que l’organisation doit développer un esprit de combat contre l’influence de l’idéologie dominante, contre le poids de la décomposition sociale. Cela signifie que l’organisation révolutionnaire doit lutter en permanence contre le routinisme, la superficialité, la paresse intellectuelle, le schématisme, développer l’esprit critique en identifiant avec lucidité ses erreurs et insuffisances théoriques.
Dans la mesure où "la conscience socialiste précède et conditionne l’action révolutionnaire de la classe ouvrière" (Internationalisme, "Nature et fonction du parti politique du prolétariat"), le développement du marxisme est la tâche centrale de toutes les organisations révolutionnaires. Le Congrès a dégagé comme orientation prioritaire pour le CCI, le renforcement collectif de son travail d’approfondissement, de réflexion en se réappropriant la culture marxiste de la théorie dans tous nos débats internes.
En 1903, Rosa Luxemburg déplorait ainsi l’abandon de l’approfondissement de la théorie marxiste : "C’est seulement dans le domaine économique qu’il peut être plus ou moins question chez Marx d’une construction parfaitement achevée. Pour ce qui est, au contraire, de la partie de ses écrits qui présente la plus haute valeur, la conception matérialiste, dialectique de l’histoire, elle ne reste qu’une méthode d’enquête, un couple d’idées directrices générales, qui permettent d’apercevoir un monde nouveau (…) Et pourtant, sur ce terrain aussi, à part quelques petites recherches, l’héritage de Marx est resté en friche. On laisse rouiller cette arme merveilleuse. La théorie même du matérialisme historique est encore aujourd’hui aussi schématique, aussi peu fouillée que lorsqu’elle nous est venue des mains de son créateur. (…) Penser que la classe ouvrière, en pleine lutte, pourrait, grâce au contenu même de sa lutte de classe, exercer à l’infini son activité créatrice dans le domaine théorique, serait se faire illusion." ("Arrêt et progrès du marxisme")
Le CCI est aujourd’hui dans une période de transition. Grace au bilan critique qu'il a engagé, à sa capacité à examiner ses faiblesses, à reconnaître ses erreurs, il est en train de faire une critique radicale de la vision de l’activité militante que nous avions jusqu’à présent, des rapports entre les militants et des militants à l’organisation, avec comme ligne directrice la question de la dimension intellectuelle et morale de la lutte du prolétariat. C’est donc dans une véritable "renaissance culturelle" que nous devons nous engager pour pouvoir continuer à "apprendre" afin d’assumer nos responsabilités. C’est un processus long et difficile, mais vital pour l’avenir.
La défense de l’organisation face aux attaques contre le CCI
Tout au long de son existence, le CCI a dû mener des combats permanents pour la défense de ses principes, contre la pression idéologique de la société bourgeoise, contre les comportements anti-prolétariens ou les manœuvres d’aventuriers sans foi ni loi. La défense de l’organisation est une responsabilité politique et aussi un devoir moral. L’organisation révolutionnaire n’appartient pas aux militants, mais à l’ensemble de la classe ouvrière. C’est une émanation de sa lutte historique, un instrument de son combat pour le développement de sa conscience en vue de la transformation révolutionnaire de la société.
Le Congrès a porté l’insistance sur le fait que le CCI est un "corps étranger" au sein de la société, antagonique et ennemi du capitalisme. C’est justement pour cela que la classe dominante s’intéresse de près à nos activités depuis le début de notre existence. Et cette réalité n’a rien à voir avec de la paranoïa ou la "théorie du complot". Les révolutionnaires ne doivent pas avoir la naïveté des ignorants de l’histoire du mouvement ouvrier et encore moins céder aux chants de sirène de la démocratie bourgeoise (et de sa "liberté d’expression"). Si aujourd’hui, le CCI n’est pas soumis à la répression directe de l’État capitaliste, c’est parce que nos idées sont très minoritaires et ne représentent aucun danger immédiat pour la classe dominante. Tout comme Bilan et la GCF, nous nageons "à contre-courant". Cependant, même si le CCI n’a aujourd’hui aucune influence directe et immédiate dans le cours des luttes de la classe ouvrière, en diffusant ses idées, il sème les graines pour le futur. C’est pour cela que la bourgeoisie est intéressée à la disparition du CCI qui est la seule organisation internationale centralisée de la Gauche communiste ayant des sections dans différents pays et continents.
C’est aussi ce qui attise la haine des éléments déclassés 18 qui sont toujours à l’affût des "signes annonciateurs" de notre disparition. La classe dominante ne peut que jubiler de voir toute une constellation d’individus se réclamant de la Gauche communiste s’agiter autour du CCI (à travers des blogs, sites, forum Internet, Facebook et autres réseaux sociaux) pour colporter des ragots, des calomnies contre le CCI, des attaques ordurières et des méthodes policières ciblant, de façon répétée et ad nauseam, certains de nos militants.
Le Congrès a souligné que la recrudescence des attaques contre le CCI de ce milieu parasite 19, qui cherche à récupérer et dénaturer le travail militant des groupes de la Gauche communiste, est une manifestation de la putréfaction de la société bourgeoise.
Le Congrès a pris toute la mesure de la dimension nouvelle qu’a prise le parasitisme depuis le début de la période de décomposition. Son objectif, avoué ou non, vise aujourd’hui non seulement à semer le trouble et la confusion, mais surtout à stériliser les forces potentielles qui pourraient se politiser autour des organisations historiques de la Gauche communiste. Il vise à constituer un "cordon sanitaire" (notamment en agitant le spectre du stalinisme qui sévirait encore à l’intérieur du CCI !) pour empêcher les jeunes éléments en recherche de se rapprocher de notre organisation. Ce travail de sape vient compléter aujourd’hui les campagnes anticommunistes déchainées par la bourgeoisie lors de l’effondrement des régimes staliniens. Le parasitisme est le meilleur allié de la bourgeoisie décadente contre la perspective révolutionnaire du prolétariat.
Alors que le prolétariat a d’énormes difficultés à retrouver son identité de classe révolutionnaire et à renouer avec son propre passé, les calomnies, les attaques et la mentalité nauséabonde des individus se réclamant de la Gauche communiste et qui dénigrent le CCI ne peuvent que faire le jeu et défendre les intérêt de la classe dominante. En assumant la défense de l’organisation, nous ne défendons pas notre "chapelle". Il s’agit pour le CCI de défendre les principes du marxisme, de la classe révolutionnaire et de la Gauche communiste qui risquent d’être engloutis par l’idéologie du "no future" que le parasitisme draine avec lui.
Le renforcement de la défense publique et intransigeante de l’organisation est une orientation que le Congrès a dégagée. Le CCI a parfaitement conscience que cette orientation peut conduire momentanément à ne pas être compris, a été critiqué pour son manque de "fair play", et donc à un isolement encore plus grand. Mais le pire serait de laisser le parasitisme faire son travail destructeur sans réagir. Le Congrès a mis en avant que, sur ce plan là aussi, le CCI doit avoir le courage de "nager contre le courant", comme il a eu le courage de faire une critique implacable de ses erreurs et difficultés pendant ce Congrès et d’en rendre compte publiquement.
"Pour le mouvement prolétarien, l’autocritique, une autocritique sans merci, cruelle, allant jusqu’au fond des choses, c’est l’air, la lumière sans lesquels il ne peut vivre (…) Mais nous ne sommes pas perdus et nous vaincrons pourvu que nous n’ayons pas désappris d’apprendre. Et si jamais le guide actuel du prolétariat, la social-démocratie, ne savait plus apprendre, alors elle périrait "pour faire place aux hommes qui soient à la hauteur d’un monde nouveau"" (Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie)
CCI (décembre 2015)
1 Bilan était, entre 1933 et 1938, le nom de la publication en langue française de la Fraction de Gauche du Parti communiste d'Italie devenue, en 1935, la Fraction italienne de la Gauche communiste.
2 Voir notre article "Conférence internationale extraordinaire du CCI : la "nouvelle" de notre disparition est grandement exagérée!" (Revue Internationale n° 153) ()
3 Voir notamment notre article "Ressorts, contradictions et limites de la croissance en Asie de l’Est"
4 Cette analyse fait l'objet à l'heure actuelle d'une discussion et d'un approfondissement au sein de notre organisation.
5 Voir notamment notre article "Après l'effondrement du bloc de l'est, déstabilisation et chaos" dans la Revue Internationale n° 61
6 MC (Marc Chirik) était un militant de la Gauche communiste né à Kichinev (Bessarabie) en 1907 et décédé à Paris en 1990. Son père était rabbin et son frère ainé secrétaire du parti bolchevique de la ville. C’est à ses côtés que Marc a assisté aux révolutions de février et octobre 1917. En 1919, pour échapper aux pogroms antijuifs des armées blanches roumaines, toute la famille émigre en Palestine et Marc, âgé d’à peine 13 ans, devient membre du Parti communiste de Palestine fondé par ses frère et sœurs plus âgés. Très vite, il entre en désaccord avec la position de l’Internationale communiste de soutien aux luttes de libération nationale ce qui lui vaut une première exclusion de celle-ci en 1923. En 1924, alors que certains membres de la fratrie reviennent en Russie, Marc et un de ses frères viennent vivre en France. Marc entre dans le PCF où, très vite, il mène le combat contre sa dégénérescence et dont il est exclu en février 1928. Membre pendant un temps de l’Opposition de Gauche internationale animée par Trotski, il engage le combat contre la dérive opportuniste de celle-ci et participe en novembre 1933, en compagnie de Gaston Davoust (Chazé), à la fondation de l’Union Communiste qui publie l’Internationale. Au moment de la Guerre d’Espagne, ce groupe adopte une position ambigüe sur la question de l’antifascisme. Après avoir mené le combat contre cette position, MC rejoint, début 1938, la Fraction italienne de la Gauche communiste avec laquelle il était en contact et qui défend une position parfaitement prolétarienne et internationaliste sur cette question. Peu après, il engage un nouveau combat contre les analyses de Vercesi, principal animateur de cette organisation, qui considère que les différents conflits militaires qui se déroulent à l’époque ne sont pas des préparatifs d’une nouvelle guerre mondiale mais qu’ils ont pour but d’écraser le prolétariat afin de l’empêcher de se lancer dans une nouvelle révolution. De ce fait le déclenchement de la guerre mondiale en septembre 1939 créée une débandade au sein de la Gauche italienne. Vercesi théorise une politique de retrait politique pendant la période de guerre alors que Marc regroupe dans le Sud de la France les membres de la Fraction qui refusent de suivre Vercesi dans son retrait. Dans les pires conditions qui soient, Marc et un petit noyau de militants poursuivent le travail mené par la Fraction italienne depuis 1928 mais en 1945, apprenant la constitution en Italie du Partito comunista internazionalista qui se réclame de la Gauche communiste italienne, la Fraction décide son autodissolution et l’intégration individuelle de ses membres dans le nouveau parti. Marc, en désaccord avec cette décision, qui va à l’encontre de toute l’orientation qui avait distingué la Fraction italienne auparavant, rejoint la Fraction française de la Gauche communiste (dont il inspirait déjà les positions) qui deviendra, peu après, la Gauche communiste de France (GCF). Ce groupe va publier 46 numéros de sa revue Internationalisme, poursuivant la réflexion théorique menée par la Fraction auparavant, notamment en s'inspirant des apports de la Gauche communiste fermano-hollandaise. En 1952, considérant que le monde s'acheminait vers une nouvelle guerre mondiale dont l'Europe serait à nouveau le principal champ de bataille, ce qui aurait menacé de destruction les minuscules forces révolutionnaires ayant subsisté, la GCF décide la dispersion de plusieurs de ses militants sur d'autres continents, Marc allant vivre au Venezuela. C'était là une des principales erreurs commises par la GCF et par MC dont la conséquence fut la disparition formelle de l'organisation. Cependant, dès 1964, Marc regroupe autour de lui un certain nombre de très jeunes éléments avec qui il va former le groupe Internacionalismo. En mai 1968, dès qu'il apprend le déclenchement de la grève généralisée en France, Marc se rend dans ce pays pour recontacter ses anciens camarades et il joue un rôle décisif (avec un élément qui avait été membre d'Internacionalismo au Venezuela) dans la formation du groupe Révolution Internationale qui va impulser le regroupement international dont sera issu, en janvier 1975, le Courant communiste international. Jusqu'à son dernier souffle, en décembre 1990, Marc Chirik va jouer un rôle essentiel dans la vie du CCI, notamment dans la transmission des acquis organisationnels de l'expérience passée du mouvement ouvrier et dans ses avancées théoriques. Pour plus d'éléments sur la biographie de MC, voir nos articles dans les numéros 65 et 66 de la Revue Internationale.
7 Voir notre article sur cette conférence extraordinaire dans la Revue Internationale n° 153
8 Voir nos documents publiés dans la Revue Internationale : "Les conditions historiques de la généralisation de la lutte de la classe ouvrière" (Revue n° 26); "Le prolétariat d'Europe occidentale au centre de la généralisation de la lutte de classe" (Revue n° 31); "Débat : a propos de la critique de la théorie du 'maillon le plus faible'" (Revue n° 37).
9 Voir dans la Revue Internationale n° 62, "La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", point 13
10 Cela ne signifie nullement que cet approfondissement ne soit pas d'actualité lors d'une période révolutionnaire ou de mouvements importants de la classe ouvrière où l'organisation peut exercer une influence déterminante sur le cours des combats de celle-ci. Par exemple, Lénine a rédigé son ouvrage théorique le plus important, L'État et la révolution au cours même des événements révolutionnaires de 1917. De même, Marx a publié Le Capital, en 1867, alors que depuis septembre 1864 il était pleinement engagé dans l'action de l'AIT.
11 Cette notion de "mini parti" ou "parti en miniature" contient l'idée que même dans les périodes où la classe ouvrière ne mène pas des combats d'envergure une petite organisation révolutionnaire pourrait avoir un impact du même type (à une échelle plus réduite) qu'un parti au plein sens du terme. Une telle idée est en contradiction totale avec l'analyse développée par Bilan qui souligne la différence qualitative fondamentale entre le rôle d'un parti et celui d'une fraction. Il faut noter que la Tendance communiste internationaliste, qui pourtant se réclame de la Gauche communiste italienne, n'est pas claire sur cette question puisque sa section en Italie continue aujourd'hui de s'appeler "Partito comunista internazionalista".
12 Sur cette question, voir en particulier notre texte "La question du fonctionnement de l'organisation dans le CCI" publié dans la Revue Internationale n° 109, et plus particulièrement le point 3.1.e, Les rapports entre militants.
13 Ces campagnes abjectes contre Rosa Luxemburg constituaient, en quelque sorte, les préparatifs de son assassinat sur ordre du gouvernement dirigé par le SPD lors de la semaine sanglante à Berlin en janvier 1919 et plus globalement les appels au pogrom contre les spartakistes lancés par ce même gouvernement.
14 Voir notre article "Le chemin vers la trahison de la Social-démocratie allemande" dans le numéro spécial de la Revue Internationale consacré à la Première Guerre mondiale
15 Sur "l’affaire Chénier" voir notre article de la Revue Internationale n° 28 "Convulsions actuelles du milieu révolutionnaire", notamment les parties "Les difficultés organisationnelles" et "Les récents événements".
16 "Les différents éléments qui constituent la force du prolétariat se heurtent directement aux diverses facettes de cette décomposition idéologique :- l'action collective, la solidarité, trouvent en face d'elles l'atomisation, le "chacun pour soi", la "débrouille individuelle" ; - le besoin d'organisation se confronte à la décomposition sociale, à la déstructuration des rapports qui fondent toute vie en société ;
- la confiance dans l'avenir et en ses propres forces est en permanence sapée par le désespoir général qui envahit la société, par le nihilisme, par le "no future" ;
- la conscience, la lucidité, la cohérence et l'unité de la pensée, le goût pour la théorie, doivent se frayer un chemin difficile au milieu de la fuite dans les chimères, la drogue, les sectes, le mysticisme, le rejet de la réflexion, la destruction de la pensée qui caractérisent notre époque." (Revue Internationale n° 62, "La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", point 13).
17 Voir la note 12.
18 Voir notre texte "Construction de l'organisation des révolutionnaires : thèses sur le parasitisme" (et notamment le point 20) publié dans la Revue Internationale n° 94
19 Voir nos "Thèses sur le parasitisme", cf. note précédente.