Le mythe du Père Noël remonte à la nuit des temps. Noël fut autrefois une fête païenne destinée à célébrer le solstice d’hiver, avant que le christianisme n’en fasse le jour de la naissance du petit Jésus.
C’est à partir du XVIIIe siècle qu’est laïcisé en Europe, (d’abord en Allemagne, puis en France au début du XXe siècle), ce personnage joufflu et débonnaire qui, chaque année, descend du Ciel pour offrir des “joujoux” aux enfants. En 1863, aux Etats-Unis, Saint Nicolas (le Santa Claus des Flamands) endosse le costume rouge pour donner naissance à la figure du Papa Noël, avec sa hotte remplie de jouets. Il va partir à la conquête du monde avec son traîneau tiré par ses rennes nordiques (le Père Noël résidant en Laponie, paraît-il).
En France, l’exploitation commerciale du Père Noël commence avec le développement du capitalisme, à partir du milieu du XVIIIe siècle. Noël devient le jour sacré de la famille dans l’aristocratie, la bourgeoisie et la petite bourgeoisie (notamment chez les artisans).
À la fin du XIXe siècle, l’arrivée des grands magasins, (comme Le Bon Marché à Paris – “Au bonheur des Dames” d’Émile Zola), va propulser le Père Noël en star du capitalisme. Aux États-Unis, de nombreux patrons vont aussi récupérer ce personnage légendaire pour faire du profit (Colgate, Waterman,… et à partir des années 1920, Coca-Cola).
Au début des années 1920, le Père Noël devient le symbole des pères de famille tués sur le front pendant la Première Guerre mondiale. La bourgeoisie a ainsi introduit dans le monde imaginaire des enfants orphelins, ce gros Barbu joufflu censé prendre la place du papa “Poilu” disparu. De même, en 1946, la chanson populaire “Petit Papa Noël”, interprétée par Tino Rossi (un tube qui a fait le tour du monde en plusieurs langues), fut dédiée aux enfants dont les pères ont été sacrifiés sur l’autel du Capital pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le Père Noël serait-il une ordure (comme l’affirme la célèbre pièce de théâtre) ?
C’est dans l’entre-deux guerres que le Père Noël devient véritablement populaire et commence à s’intéresser vraiment aux enfants de prolétaires en mettant dans leurs chaussons une orange (qui restera la friandise des pauvres jusque dans les années 1950). Le cynisme de la classe dominante n’a pas de limite : non seulement la bourgeoisie a envoyé au massacre des millions de très jeunes pères de famille, mais elle n’a eu aucun scrupule à les “récompenser” post mortem en offrant une aumône à leurs orphelins comme cadeau de Noël.
Après la guerre, grâce au plan Marshall, la bourgeoisie américaine a envoyé en France son Père Noël “made in USA” en remplissant sa hotte de bouteilles de Coca-Cola (symbole du développement économique de la première puissance mondiale et de l’expansion de son impérialisme).
Grâce au grand boom de l’industrie du jouet, le Ministre des PTT en France, Jacques Marette, a pu créer le “secrétariat du Père Noël” en 1962. Tous les enfants de France et de Navarre sont ainsi invités à écrire chaque année, dans leur fameuse Lettre au Père Noël, une liste de cadeaux dont ils rêvent et ce sont des fonctionnaires des PTT qui sont chargés de leur répondre.
À la fin de la période de reconstruction et des Trente Glorieuses, grâce aux mass media et au développement de la publicité, puis à la vente massive de télévisions en couleur, le Père Noël devient une vedette dont la hotte dégorge de cadeaux-marchandises.
Mais, là encore, le bon Papa Noël ne récompensera que les “enfants sages”, les plus “sages” étant bien sûr les enfants aisés de la petite et grande bourgeoisie. Ces inégalités se manifestent à l’école : les enfants pauvres des familles ouvrières côtoient des “enfants sages” qui ont eu la “chance” d’avoir été plus gâtés qu’eux par le Père Noël.
Le sentiment d’injustice se transmet ainsi, dès l’âge de 3 ans, grâce au Père Noël.
Aujourd’hui, malgré sa longue carrière au service de la classe exploiteuse, ce bonhomme rondouillard à la barbe blanche n’a même pas le droit de prendre sa retraite. Avec l’aggravation de la crise économique et de la guerre commerciale, le Capital lui impose encore plus de cadences infernales. Il est maintenant obligé d’aller jusqu’en Chine, le mythe du Père Noël ayant fait un tabac chez les enfants de l’Empire du Milieu. Fort heureusement, avec le décalage horaire, il pourra arriver à temps ! Le Père Noël est devenu une institution et un symbole du capitalisme décadent, y compris en Chine.
Ce n’est pas un pur hasard si, à moins de trois semaines de Noël, sur un rond-point occupé par des “gilets jaunes” (qui n’arrivent plus à boucler les fins de mois), on a pu voir une petite fille brandir une pancarte affichant le slogan : “Bonbons trop chers !”.
Marianne, 17 décembre 2018
Dès le départ, le mouvement des “gilets jaunes” s’est proclamé “apolitique”. Aucune représentation officielle, aucune reconnaissance de ce que la bourgeoisie nomme les “corps intermédiaires” (partis ou syndicats), n’ont eu le droit de se proclamer les porte-paroles du mouvement. Aucune forme de représentation traditionnelle ne s’y est d’ailleurs vraiment risquée. Lorsque le Premier ministre a cherché des “interlocuteurs”, il s’est retrouvé devant un vide… vite comblé par quelques individus autoproclamés dont le gilet n’était plus reconnu et faisant l’objet d’intimidations, voire de menaces sérieuses. Les “gilets jaunes” s’exprimant de plus en plus sur les plateaux de télévision n’osaient généralement pas aller plus loin que quelques déclarations “en leur propre nom”.
Comment expliquer une telle méfiance ? Totalement dégoûtés par des décennies de mensonges de la part des partis bourgeois officiels, par des tas de promesses jamais tenues suivies d’attaques systématiques bien réelles, par des affaires en tous genres et une corruption croissante, sans parler de la langue de bois des démagogues et la froideur des technocrates, cette partie de la population qui compose les “gilets jaunes” s’est sentie non seulement paupérisée mais aussi méprisée. Par un rejet quasi instinctif vis-à-vis des “politiques”, les “gilets jaunes” entretiennent finalement l’illusion qu’ils ne sont animés d’aucun “parti pris” politique, et se considèrent seulement comme de simples “citoyens” excédés par la misère et les taxes en tous genres. Ils ne chercheraient uniquement qu’à se défendre et à manifester leur colère. Au sein même des “gilets jaunes”, la moindre allusion à une idée politique est en général immédiatement suspectée, d’une volonté de “récupération” pour le compte d’intérêts qui ne seraient pas les leurs. C’est ce qu’on peut nettement ressentir, par exemple, dans les propos d’un des porte-paroles du mouvement à Obernai, Dominique Balasz [2] (employé chez Peugeot), à propos des figures politiques qui tentent de les courtiser (FO, France insoumise, Rassemblement national, etc.) : “Ils peuvent venir, mais on ne montre aucune étiquette, les gilets jaunes sont apolitiques”. Autrement dit, on ne se laissera pas “embobiner”, ils peuvent toujours “causer”.
Pourtant, malgré l’illusion “apolitique” largement répandue en leur sein, le mouvement est en réalité… très politique ! Derrière tous les chevaliers jaunes de “l’apolitisme” se cache en fait une “Union sacrée” respectueuse de la “citoyenneté” bourgeoise, par définition très conformiste et attachée aux valeurs du capitalisme. Derrière “l’apolitisme” affiché se cache traditionnellement les idées les plus conservatrices de la droite et de l’extrême-droite. Les slogans accompagnant les revendications diverses autour du “pouvoir d’achat” sont en fait très grandement portés sur des questions relatives au pouvoir politique : “Macron démission !”, “dissolution de l’assemblée !”, “le peuple veut la chute du régime !”, etc.
Qui peut sérieusement prétendre que ces slogans sont “apolitiques” ? En réalité, dans le mouvement composite et interclassiste des “gilets jaunes” n’existe pas une, mais des expressions politiques diverses et variées, un véritable kaléidoscope reflétant les nuances multiples provenant des couches intermédiaires que forment notamment la petite bourgeoisie et dans laquelle se sont égarés beaucoup d’ouvriers qui, en raison du vide laissé par la classe ouvrière, sont réduits à rester de simples “citoyens” attachés à la “nation”.
Si certains gilets jaunes sont d’ardents défenseurs de la démocratie bourgeoise, réclamant comme ils l’ont fait symboliquement le 13 décembre à Versailles la légalisation “du référendum d’initiative citoyenne” (le fameux “RIC”, revendication qu’on a vu fleurir après le discours de Macron en pancartes sur les ronds-points comme lors des derniers actes de gilets jaunes), d’autres, comme Maxime Nicolle, alias “Fly Rider”, propagent toutes sortes de théories fumeuses et réactionnaires typiques de l’extrême-droite : ses visions nationalistes ou bien sa manière de fustiger le récent “pacte de Marrakech” sur les migrations, etc.
En fait, on voit bien que le mouvement lui-même a fait surgir des figures qui, par la parole et par le geste, jouent les apprentis politiciens !
D’Eric Drouet, le sans-culotte, appelant à envahir le palais du monarque républicain, à Christophe Chalençon et ses prises de paroles labellisées extrême droite, en passant par Jacline Mouraud, l’accordéoniste hypnothérapeute, dont les discours “insurrectionnels” ont laissé la place à l’appel au “respect des institutions de la Ve République, de l’ordre public, des biens et des personnes” ! Désormais tout ce beau monde se trouve à l’aise comme un poisson dans l’eau dans le bocal médiatico-politique et ambitionne même de monter une liste aux élections européennes. “On a envie d’investir le champ politique” lançait Hayk Shahinyan. “Sans structure, on ne sera jamais entendu. Il faut respecter les institutions et investir la sphère politique”, surenchérit l’accordéoniste hypnotiseur. Cette évolution, fruit de la fragmentation des “gilets jaunes”, est activement encouragée par l’ensemble de l’appareil d’État qui voit ici un bon moyen de faire barrage à une probable nouvelle percée du Rassemblement national.
Une chose est certaine, le prétendu “apolitisme” n’a malheureusement pas d’autre effet que de déposséder les ouvriers mobilisés et de les diluer dans un magma informe, allant du lumpen proletariat aux petits patrons, en les privant de leur autonomie de classe et de leurs propres moyens de lutte. Comme elle n’est pas un mouvement de la classe ouvrière, cette protestation n’a pu prendre que la forme disséminée de piquets, d’attroupements, de poussées violentes et aveugles, de guérillas urbaines, de casse et de pillages sur fond de chants nationalistes et même parfois de propos xénophobes. Qu’un tel mouvement puisse s’accommoder d’expressions politiques réactionnaires et xénophobes de la pire espèce, de chants patriotiques et nationalistes sur les Champs-Élysées notamment, sans s’en démarquer ni les rejeter fermement de manière explicite, témoigne de la souillure morale qu’un tel mouvement, au-delà de sa colère légitime, peut véhiculer. Même si la période est totalement différente aujourd’hui, le prolétariat ne doit pas oublier que c’est au nom de “l’apolitisme” que le fascisme s’est imposé dans les années 1930.
Dans un contexte où la classe ouvrière a perdu pour l’instant son identité de classe, sans pour autant avoir subi une défaite, de telles effluves nauséabondes ne peuvent que présenter de très grands dangers : naturellement, ceux de la division entre les fractions qui cèdent aux pires sirènes nationalistes et xénophobes d’un côté, et de l’autre, ceux qui s’accommodent de l’idéologie démocratique, c’est-à-dire du masque hypocrite de la dictature capitaliste, un système qui n’a d’autre possibilité à offrir qu’une barbarie croissante.
La réalité, c’est que la classe ouvrière a besoin d’une réelle politisation de sa lutte ! Elle a besoin de renouer avec ses propres méthodes de combat, son propre projet politique révolutionnaire. Comme nous le soulignions au sujet du mouvement des “Indignés” en Espagne : “Oui, il faut s’intéresser à la “politique” ! Confronter les idées politiques dans les assemblées générales est le seul moyen de démasquer nos faux amis, de déjouer leurs pièges et de ne pas se laisser confisquer nos luttes par des politicards “spécialistes” de la négociation et de la magouille. C’est dans la confrontation et le débat politique, notamment au sein des assemblées souveraines, que les exploités en lutte peuvent faire la distinction entre les groupes politiques qui défendent vraiment leurs intérêts et ceux qui jouent le rôle de “chiens de garde du Capital”. La lutte de la classe exploitée contre la classe exploiteuse est toujours un combat politique. C’est uniquement dans ce combat, à travers le débat le plus large possible que les exploités peuvent construire un rapport de force en leur faveur face à l’ignominie du Capital et de ses politiciens de tous bords. C’est dans ce combat politique, dans la rue et au sein des assemblées massives, qu’ils peuvent retrouver leur identité de classe, développer leur solidarité, leur unité, et retrouver confiance en leur propre force” (voir RI n° 424 juillet-août 2011). Cela ne peut se faire, bien évidemment, que par le biais d’une lutte réellement autonome, clairement distincte des autres couches de la société. Le prolétariat ne doit donc pas se fourvoyer dans des pratiques de guérilla urbaine enfermée par les slogans nationalistes de la petite bourgeoisie haineuse et révoltée, mais au contraire s’ouvrir sur un mouvement massif à vocation internationale, un mouvement unitaire dont la perspective est l’abolition consciente des rapports sociaux capitalistes. Un combat historique et mondial dont l’objectif politique est l’abolition des classes sociales et la réunification de l’humanité.
WH, janvier 2019
Parmi les “gilets jaunes”, les syndicats n’ont pas la cote. Malgré les innombrables et souvent vaines tentatives de la CGT ou de Solidaire pour “soutenir” le mouvement, l’hostilité envers ces derniers ne s’est jamais démentie. Mais loin d’assister à une riposte de la classe ouvrière contre le sabotage systématique des luttes, le profond mécontentement des citoyens en “gilet jaune” envers les syndicats s’est entièrement confondu avec l’idéologie réactionnaire de ceux qui ont lancé le mouvement : petits patrons, commerçants, artisans et toutes les couches intermédiaires appauvries et aveuglées par leur haine revancharde de l’ “assistanat” et des syndicats qui défendraient, selon eux, les prétendus privilèges des salariés du privé et, pire encore, des fonctionnaires qui bénéficieraient d’un statut ou de contrat “protecteur” et ne prendraient aucun “risque” pour gagner leur vie. Il n’y a donc rien d’étonnant à voir la droite et l’extrême droite soutenir depuis le début ce mouvement “antisyndical”.
Contrairement à ce que pensent les petits patrons en gilets jaunes, les syndicats ne sont pas les ennemis de la propriété privée et de l’exploitation. Au contraire, depuis la Première Guerre mondiale et avec l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, les syndicats sont devenus de véritables chiens de garde de l’État bourgeois, des organes destinés à encadrer la combativité ouvrière, à diviser et pourrir chaque lutte pour empêcher la classe exploitée de les prendre elle-même en main et de se dresser ainsi contre ses exploiteurs. (1)
Le mouvement des “gilets jaunes” est venu conclure une année (après tant d’autres !) de sabotage systématique des luttes marquées par d’innombrables petites grèves que les syndicats ont isolées les unes des autres, par de nombreuses “journées d’actions” stériles et démoralisantes. La division corporatiste et la dispersion ont d’ailleurs commencé à questionner dans les rangs des travailleurs : face aux attaques du gouvernement, ne devrions-nous pas lutter tous ensemble ? C’est pourquoi, lors des grèves contre la réforme du statut des cheminots, au mois de mai, les syndicats ont sorti de leur chapeau le simulacre de la “convergence des luttes” où, en réalité, chaque secteur, chaque branche, chaque entreprise étaient soigneusement cloisonnés et enfermés derrière “sa” banderole et “son” mot d’ordre avec la sono syndicale à fond pour empêcher un peu plus toute discussion. Surtout, avec la trouvaille de la “grève perlée” de la SNCF, les syndicats ont épuisé les grévistes dans une lutte longue et stérile, coupée des autres secteurs de la classe ouvrière, tout en présentant les travailleurs de la SNCF comme le secteur le plus combatif capable de faire, à lui seul, reculer le gouvernement, cela pour mieux démoraliser l’ensemble du prolétariat. C’est aussi pour isoler et démoraliser que la CGT a mis en place sa “caisse de solidarité” qui n’est rien d’autre qu’un appel à lutter par procuration.
C’est justement à cause de ce sabotage syndical des luttes ouvrières que le prolétariat n’a pas été en mesure de se mobiliser pour riposter massivement aux attaques du gouvernement Macron. C’est à cause de la paralysie du prolétariat et sa grande difficulté à briser le carcan syndical que le mouvement citoyen et interclassiste des “gilets jaunes” a pu surgir en occupant tout le devant de la scène sociale. Cette situation de substitution momentanée de la révolte populaire des “gilets jaunes” à la lutte de classe ne pouvait que renforcer le désarroi du prolétariat et créer un rideau de fumée venant obscurcir sa conscience. C’est à cause de cet affaiblissement politique du prolétariat que les syndicats, CGT en tête, peuvent continuer à lancer des appels à des journées d’action stériles.
Quant à la gauche “radicale” de l’appareil politique bourgeois, elle n’a cessé, tout au long de l’année, de distiller son poison mystificateur avec le slogan ouvriériste hérité des staliniens : “De l’argent, il y en a dans la poche du patronat !” Il n’est à ce titre pas étonnant de voir que les pancartes “Macron, rend l’argent !” étaient présentes partout où un groupe de “gilets jaunes” se mobilisait. Oui, il y a de l’argent “dans la poche” du patronat, dans celle des actionnaires et dans les caisses de l’État. Suffirait-il alors de “redistribuer les richesses” pour que tout aille mieux ? Quelle fumisterie ! Le problème, ce n’est pas la distribution “équitable” des richesses, c’est l’exploitation de la force de travail, l’existence même de la marchandise, de la monnaie et de la propriété privée, celle d’une classe exploitée par une classe exploiteuse. Comme l’écrivaient déjà Marx et Engels dans le “Manifeste du Parti communiste” à propos des “socialistes bourgeois” : “Une autre forme de socialisme bourgeois (…) essaya de dégoûter les ouvriers de tout mouvement révolutionnaire, en leur démontrant que ce n’était pas telle ou telle transformation politique, mais seulement une transformation des conditions de la vie matérielle, des rapports économiques, qui pouvait leur profiter. Notez que, par transformation des conditions de la vie matérielle, ce socialisme n’entend aucunement l’abolition du régime de production bourgeois, laquelle n’est possible que par la révolution, mais uniquement la réalisation de réformes administratives sur la base même de la production bourgeoise, réformes qui, par conséquent, ne changent rien aux rapports du Capital et du Salariat et ne font, tout au plus, que diminuer pour la bourgeoisie les frais de sa domination et alléger le budget de l’État”. (2)
En soutenant le mouvement des “gilets jaunes” et en appelant les lycéens à y participer, les partis de la “gauche radicale” (Besancenot a notamment soutenu le mouvement lors de son passage dans l’émission télévisée de Laurent Ruquier), les ont sciemment envoyés au casse pipe et se faire tabasser par les flics.
Depuis 1914, les syndicats ne correspondent plus au besoin du prolétariat et sont devenus de véritables rouages de l’État capitaliste, des organes d’encadrement des luttes et de police dans les entreprises. Dès la Première Guerre mondiale, les syndicats se sont tous rangés derrière les intérêts de leur État national au nom de “l’Union sacrée” dans l’effort de guerre. Pendant la révolution allemande, en 1918-1919, main dans la main avec les sociaux-démocrates du SPD, ils s’emploient partout à briser les grèves et empêcher le prolétariat de développer sa lutte révolutionnaire en faisant tout pour semer la division et détruire l’unité de la classe ouvrière.
En 1979, en France, face à l’éclatement de grèves dans de nombreux secteurs, particulièrement dans la sidérurgie, les syndicats entreprennent un habile travail de division et d’isolement. Ils font d’abord reprendre le travail dans d’autres secteurs en lutte (postes, hôpitaux, banques, SFP...) avant d’organiser, sous la pression des ouvriers, la marche des sidérurgistes sur Paris, le 23 mars, qui sera sabotée par l’alliance des forces de l’ordre et des syndicats.
En 1983, en Belgique, c’est de la même façon que les syndicats sont parvenus à empêcher toute unification entre les ouvriers du secteur public et du secteur privé, en organisant un quadrillage du mouvement grâce à la vieille tactique de la division entre les différents syndicats en organisant, dans le même temps, des manifestations par secteur, par région, par entreprise, par usine.
Autre exemple : en 1986, en France, face au discrédit des syndicats lors de la lutte des cheminots de la SNCF, les organisations trotskistes Lutte ouvrière et l’ancêtre du NPA (la LCR) mettent aussitôt en avant le piège du “syndicalisme de base” qui a alors accompli le même sale boulot que les syndicats traditionnels en enfermant les cheminots dans la corporation ou le secteur pour empêcher toute extension de la lutte, notamment au moyen de services d’ordre musclés qui interdisaient l’accès des AG aux “éléments extérieurs à la SNCF”.
Voilà plus d’un siècle que pèse sur le prolétariat le poids des méthodes et de l’idéologie des prétendus “amis” de la classe ouvrière que sont les syndicats et les partis de gauche et d’extrême gauche de l’appareil politique de la bourgeoise. C’est ainsi qu’en dépit d’un rejet quasi unanime des syndicats, le mouvement des “gilets jaunes” n’a fait que… reproduire toutes les impasses dans lesquelles les syndicats, et notamment la CGT, plongent les luttes depuis des décennies : blocage des routes ou des sites prétendument stratégiques avec les éternels pneus incendiés et autres barrages filtrants. Ces blocages ne servent à rien d’autre qu’à diviser les prolétaires entre ceux qui luttent et ceux qui sont contraints d’aller bosser. Ils ne sont qu’une piqûre de moustique sur la peau d’éléphant du capitalisme et ces méthodes n’ont jamais constitué une réelle menace pour le gouvernement et encore moins pour l’État.
Le sabotage permanent des syndicats n’a fait que préparer le terrain au dévoiement de la combativité d’une partie de la classe exploitée sur le terrain du patriotisme “citoyen” des “gilets jaunes”. Grâce à leurs bons et loyaux services, la bourgeoisie, son État et son gouvernement, ont pu jusqu’à présent paralyser le prolétariat et maintenir la “paix sociale” pour défendre l’ordre du Capital. Cet ordre ne peut engendrer que toujours plus de misère, d’exploitation, de répression, de chaos social et de barbarie si le prolétariat se laisse confisquer sa lutte par les syndicats et par la petite bourgeoisie.
EG, 18 décembre 2018.
1) Voir la brochure du CCI : “Les syndicats contre la classe ouvrière”.
2) Si un “socialiste bourgeois” comme Proudhon avait l’avantage, en dépit de ses errements politiques et ses conceptions réformistes, d’avoir été un combattant sincère de la classe ouvrière, les partis gauchistes du NPA et de LO ne sont que des organisations de l’extrême gauche du Capital dont la fonction est de mystifier la classe ouvrière, d’encadrer ses luttes et de la dévoyer sur le terrain bourgeois et réformiste des élections.
La révolte populaire des “gilets jaunes” n’appartient pas au combat de la classe ouvrière. Au contraire, ce mouvement interclassiste, n’a pu surgir et occuper tout le terrain social, pendant plusieurs semaines, que sur le vide laissé par les difficultés du prolétariat à engager massivement la lutte, sur son propre terrain de classe, avec ses propres méthodes de lutte, face aux attaques économiques du gouvernement et du patronat.
Dans la révolte des “gilets jaunes”, se sont mobilisés, derrière les mots d’ordre dont se revendiquent aussi des petits patrons et des artisans, les secteurs les plus périphériques et inexpérimentés de la classe ouvrière, vivant dans les zones rurales et périurbaines. Le fait que de nombreux travailleurs salariés parmi les plus pauvres se soient embarqués dans ce mouvement interclassiste, initié sur les réseaux sociaux, les a rendus particulièrement vulnérables aux idéologies les plus réactionnaires et anti-prolétariennes : le nationalisme patriotard, le populisme de l’extrême droite (avec son programme politique “franchouillard” et anti-immigrés), et finalement la revendication du Referendum d’Initiative Citoyenne (RIC). Ce n’est pas un pur hasard si le parti du Rassemblement National de Marine Le Pen (de même que toute la droite) a soutenu les “gilets jaunes” depuis le début !
Le prolétariat n’a rien à gagner à se rallier à ce mouvement de “citoyens français”, défendant le drapeau tricolore et chantant La Marseillaise. Il ne peut que perdre encore plus son identité de classe révolutionnaire en se mobilisant à la remorque des couches sociales sans devenir historique, telle la petite bourgeoisie paupérisée et “révoltée” par l’augmentation des taxes sur le carburant et la baisse de son pouvoir d’achat (petits patrons, artisans, agriculteurs, etc.).
Ce mouvement des “gilets jaunes” n’est, au mieux, rien de plus que la manifestation la plus visible et spectaculaire de l’énorme colère qui gronde au sein de la population et particulièrement dans toute la classe exploitée face à la “vie chère” et aux mesures d’austérité du gouvernement Macron. Il n’est, au mieux, rien d’autre qu’un signe annonciateur des futurs combats de classe du prolétariat.
La révolte populaire des “gilets jaunes”, du fait qu’elle véhicule en son sein les stigmates nauséabonds de la décomposition de la société capitaliste (les préjugés xénophobes, la peur de l’invasion des migrants qui viennent “manger le pain des Français” et “profiter de nos impôts”…), constitue un appel à la responsabilité du prolétariat face à la gravité des enjeux de la situation historique actuelle.
Si la classe exploitée ne parvient pas à surmonter ses difficultés à s’affirmer sur la scène sociale, avec ses propres mots d’ordre (y compris la solidarité avec les immigrés), avec ses propres méthodes de lutte (notamment les Assemblées générales massives et souveraines), si elle ne parvient pas à desserrer l’étau des manœuvres de sabotage syndical, la société ne pourra que s’enfoncer dans le chaos, continuer à pourrir sur pied, avec une misère sans fond et une répression implacable pour les exploités.
C’est seulement lorsque la classe des prolétaires se reconnaîtra, dans la lutte, comme classe distincte et indépendante, qu’elle pourra intégrer dans son combat contre le capitalisme les autres couches sociales non exploiteuses. Ce phénomène d’ “inclusion” ne peut se développer que si le prolétariat, en prenant la tête d’un vaste mouvement contre l’exploitation et la misère, est capable d’exclure et de rejeter, sans concession, toute idéologie et toute méthode de lutte qui tournent le dos à ses principes, hérités du mouvement ouvrier.
Le rejet du nationalisme et l’affirmation de l’internationalisme sont la pierre angulaire qui doit ouvrir la voie à la politisation des luttes futures du prolétariat.
Le mouvement interclassiste, nationaliste et réformiste des “citoyens” en “gilets jaunes” est une impasse ; il ne peut ouvrir aucune perspective pour la société. Seule la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat est porteuse d’avenir pour l’humanité. Le but ultime de la lutte de la classe exploitée n’est ni une répartition “plus juste” des richesses, ni une amélioration de la démocratie bourgeoise, mais l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme et de la dictature du capital dans tous les pays du monde.
Contre toutes les formes de nationalisme, contre la xénophobie et la mentalité de “bougnat maître chez soi”,
VIVE LA LUTTE DE CLASSE INTERNATIONALISTE DU PROLETARIAT !
55 compagnies de CRS, 100 escadrons de gendarmerie, la brigade anticriminalité, la police des transports, la police pour la lutte contre l’immigration irrégulière et de la sécurité de proximité, des dizaines de milliers de fonctionnaires des commissariats et de la police judiciaire. Au final, près de 90 000 fonctionnaires du maintien de l’“ordre public” ont été mobilisés, samedi 8 décembre, pour “sécuriser” la manifestation des “gilets jaunes” à Paris et dans toute la France. Tout cela pour 125 000 manifestants ! Ce gigantesque déploiement de CRS, de gendarmes, de policiers… a même été protégé par une quinzaine de véhicules blindés de la gendarmerie destinés à déblayer les barricades. Un dispositif “exceptionnel” et inédit dans l’histoire de la République française.
Le gouvernement a donc mobilisé la quasi-totalité de ses forces de répression disponibles en s’imaginant que le mouvement des “gilets jaunes” avait déclenché une situation “insurrectionnelle”. Les scènes d’émeute et de pillage qui ont explosé une semaine plus tôt dans la capitale étaient une curiosité française pour les touristes étrangers. La “plus belle Capitale du monde” avec ses illuminations de Noël sur les Champs-Élysées, s’est transformée en champ de bataille et en véritable zone militarisée. Pendant une semaine, les médias nous ont inondés d’images du déchaînement de la violence des “insurgés”. Sur la scène internationale, le gouvernement Macron donne une image peu reluisante de la France : son ordre public fait plutôt désordre !
La haine était dans les deux camps de ce match entre l’équipe des “casseurs” en “gilet jaune” et celle des matraqueurs en uniformes. Les “casseurs” en gilet jaune ont seulement marqué un but face aux CRS. L’heure de la revanche est arrivée après le retour d’Emmanuel Macron de son voyage en Argentine. “Tolérance zéro pour les casseurs ! Il faut intervenir plus vite, plus fort”, a vociféré le chef du syndicat UNSA-Police. Tout au long de la première semaine de décembre, les médias n’ont d’ailleurs cessé d’entretenir la peur d’affrontements mortels si la manifestation des “gilets jaunes” prévue pour le 8 décembre n’était pas annulée.
La mobilisation de cette armada républicaine n’avait pas d’autre but que de mettre en scène une impressionnante démonstration de force de “dissuasion”, après les violences policières contre de jeunes lycéens dont la grande majorité ne faisaient “rien de mal”, et n’avait pas du tout envie de mettre le feu ni aux poubelles, ni aux voitures, ni à leur lycée ! À Mantes-la-Jolie, 148 jeunes âgés de 12 et 20 ans ont été alignés à genoux, mains derrière la tête, gardés par des policiers comme de véritables prisonniers de guerre. Face à la pénurie de menottes, les “keufs” (“verlan” des gamins “pauvres” des banlieues défavorisées) ont trouvé cette astuce pour les immobiliser et les empêcher de fuir (en attendant l’arrivée des “paniers à salades” ?). Plusieurs adolescents ont écopé de 6 mois de prison ferme. Le même jour, plusieurs mineurs étaient défigurés par des tirs de flash-ball. Dans le Loiret, un lycéen grièvement blessé s’est trouvé entre la vie et la mort. Finalement, le proviseur du lycée est passé à la télévision pour annoncer que sa vie n’était plus en danger.
S’agit-il de simples “bavures” ou d’ordres reçus par les “dignes” représentants de la classe dominante et son gouvernement ? Ce gouvernement n’a pas hésité à employer les grands moyens. Il a fait preuve de la plus grande “fermeté” (comme l’a également exigé notre blafarde Ministre de l’Injustice) suite aux violences qui ont traumatisé les fonctionnaires de l’Ordre Public obligés de battre en retrait, sous l’Arc de Triomphe, face à la fronde des “gilets jaunes”. C’est cette “reculade” qui est “intolérable” pour le “Président des riches” et son Sinistre de l’Intérieur. Quand on choisit d’entrer dans la police ou dans l’armée, ce n’est pas pour le plaisir de porter un uniforme. Le passage à tabac d’un CRS fait partie des risques du métier. Monsieur Castaner ne nous fera pas pleurer après les 10 000 grenades lacrymogènes balancées sur les “citoyens” en “gilet jaune” (et aussi sur des adolescents rebelles atteints par la “fièvre jaune”).
Le Président Macron et ses sbires se sont posés en défenseurs de la République, après la “profanation” de l’Arc de Triomphe, un des temples sacrés de la Nation française, construit pour commémorer les victoires de Napoléon Bonaparte. Heureusement qu’un groupe de “gilets jaunes” a protégé la tombe du Soldat Inconnu, en chantant toujours la Marseillaise. (Quel “sang impur” doit encore “abreuver nos sillons” ?). Qui est donc ce mystérieux Soldat Inconnu ? Quel âge avait-il ? Peut-être à peine 18 ans ? S’il avait survécu, peut-être aurait-il été une de ces “Gueules Cassées” de la Première Guerre mondiale à qui la “Patrie reconnaissante” a offert un orgue de barbarie pour qu’elles puissent faire la manche dans la rue après leur retour du front ? À l’époque, il n’y avait pas de “gilets jaunes” pour demander au Président Raymond Poincaré d’accorder une pension d’invalidité à ces prolétaires en uniforme, embrigadés comme chair à canon et sacrifié sur l’autel du Capital. Ce qu’ils ont vécu dans les tranchées à Verdun était autrement plus “intolérable” que le match entre les CRS et les “gilets jaunes” ; les uns ont le droit de lancer des grenades lacrymogènes et les autres n’ont pas le droit d’apporter des boules de pétanque ! Il n’y a décidément aucune Justice dans cet État de droit.
Surtout, les représentants de la bourgeoisie et de la “patrie reconnaissante” ont célébré (quelques semaines avant le cassage de gueule du “samedi noir”), le centenaire de la fin de la Première boucherie mondiale, avec tambours et trompettes. Pure hypocrisie ! Le combat au corps à corps des deux camps (à cause de la suppression de l’Impôt sur la Fortune et, surtout, des violences et provocations policières) est quelque peu indécent. Dommage que la tombe du Soldat Inconnu n’ait pas été déplacée au Cimetière du Père-Lachaise, au milieu des Communards fusillés et de la fille de Karl Marx, Laura Lafargue .
Après le fiasco, le 1er décembre, du maintien de l’“ordre public” devant la tombe du Soldat Inconnu, l’objectif du déploiement de la nouvelle armada républicaine était clair : essayer de contenir la violence des “casseurs” en “gilets jaunes” et montrer que “nous sommes les plus forts” face à tous ceux qui seraient tentés de troubler encore l’Ordre Public : “gilets jaunes”, “casseurs”, black-blocks, groupes extrémistes d’ultra-droite, “maximalistes bobo” d’ultragauche, etc. Au total, la police a procédé à l’arrestation de 2000 personnes, pour 1700 gardes à vue. Mais les bandes de “black-blocks” ont réussi à échapper à cette pêche miraculeuse. Qui sont-ils et d’où viennent-ils ? La police qui veille sur le “peuple” ne le sait pas !
La nouvelle stratégie du Ministère de l’Intérieur a été plus efficace pour tenter de reprendre la situation en main. Et aussi venger l’orgueil blessé d’Emmanuel Macron qui, contrairement à Edouard Philippe et Christophe Castaner, ne peut pas reconnaitre avoir commis lui aussi des “erreurs” de gestion du capital national. Le Napoléon de la République en marche a fait un parcours sans faute depuis 18 mois !
Le 8 décembre, les forces de rétablissement de “l’ordre public” ont réussi à éviter que la situation ne dégénère. Malgré “quelques heurts” et blessés, nous étions loin du chaos du samedi précédant. Tout le monde a bien compris que seul le renforcement de l’État policier peut protéger la population, les monuments historiques et les commerces contre les “casseurs” et les pilleurs. Aujourd’hui tout est propre et net pour l’arrivée du Père Noël sur les Champs-Élysées. Mais la trêve des confiseurs ne signifie pas que toutes les brèches ont été colmatées. Les “gilets jaunes” ont annoncé qu’ils étaient prêts à tenir jusqu’au bout (comme la petite chèvre de Monsieur Seguin) même s’ils doivent passer Noël sur les ronds-points.
La bourgeoisie et son gouvernement ne baisseront plus la garde. Les mesures “exceptionnelles” déployées par le Ministère de l’Intérieur ne peuvent que devenir la règle. Puisque la fonction de l’État est de maintenir la cohésion de la société face aux antagonismes de classes. La bourgeoisie, son patronat, son gouvernement, ses syndicats, et tous les lèches-bottes et valets du Capital veillent sur le “peuple” pour que chacun puisse fêter Noël et le Nouvel An en famille et entre amis.
Si les quelques milliers de “gilets jaunes” s’imaginent que leur fronde pourra faire “dégager Macron” ils se font des illusions. “Capitalisme dégage !” était un slogan du mouvement des Indignés en Espagne en 2011. Ce n’est pas parce que deux ex-ministres Nicolas Hulot et Gérard Colomb ont préféré démissionner plutôt que de continuer à gouverner avec Macron que le Président va “dégager”. Et encore moins si les “pauvres” adoptent les mêmes mœurs que les “riches”. La classe ouvrière n’a jamais pu obtenir satisfaction de ses revendications avec des boules de pétanque et autres projectiles de ce genre.
Les plus fidèles chiens de garde de l’Ordre capitaliste, ce sont les médias qui n’ont cessé de nous inonder d’images tournant en boucle sur toutes les chaînes, pour rassurer la classe exploiteuse et intimider la classe exploitée. Ce que redoute la bourgeoisie, ce n’est pas le mouvement “citoyen” des “gilets jaunes” mais la lutte de classe du prolétariat, de tous les travailleurs salariés, précaires ou au chômage qui “réfléchissent” et ne savent pas encore comment défendre leurs conditions de vie et l’avenir de leurs enfants. Tout le monde a pu assister au déferlement ad nauseum de la propagande “sécuritaire” sur les chaînes de télévision ! Sauf ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter une télévision, un smartphone ou un ordinateur (ou préfèrent lire Le Canard Enchaîné que Le Figaro).
Les médias n’ont cessé d’exhiber la “fermeté” du gouvernement Macron et sa majorité parlementaire. Tous ces défenseurs irréductibles des Institutions républicaines et démocratiques ne vont pas rater l’occasion de déchaîner encore leur campagne idéologique contre un prétendu “péril révolutionnaire”, justifiant le blindage de l’État policier. La violence exercée par les forces de répression lors du mouvement contre la loi Travail en 2016 ou lors du 1er mai 2018 participait de la même logique. Il s’agit de donner aux troupes d’intervention davantage de liberté dans l’exercice de la répression, de réduire la possibilité de se rassembler pour discuter et réfléchir, et aussi d’accroître le contrôle et le fichage de tous ceux qui préfèrent s’intéresser aux débats politiques plutôt qu’aux matchs de football. Évidemment, les organisations révolutionnaires marxistes sont aussi la cible de cette propagande contre le “péril révolutionnaire” (qui n’est pas du tout imminent !). Les journalistes de la Presse officielle devraient lire le reportage écrit par un journaliste américain, John Reed, qui a été un témoin direct de la Révolution prolétarienne d’Octobre 1917 en Russie. Il a donné comme titre à son reportage : “Dix jours qui ébranlèrent le monde”. Rien à voir avec les dix jours qui ont ébranlé le pouvoir macronien où il n’y avait aucun “péril révolutionnaire” !
Grâce aux médias, notre Ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a pu, comme le Gaulois Obélix, mener la “guerre psychologique” avec son gros gourdin. Il aura donc le droit de manger du sanglier à Noël ! (Cf. la collection de BD “Astérix le Gaulois”)
L’usage de la violence aveugle et débridée des blacks-blocks et des “casseurs” a toujours été du pain béni pour la classe dominante et son appareil de répression. En amalgamant la violence des “gilets jaunes” (excités par les provocations et violences policières) avec les grandes luttes historiques du prolétariat, la propagande des médias n’a cessé de chercher à discréditer la classe ouvrière. Les idéologues de l’intelligentsia petite-bourgeoise (historiens, sociologues, philosophes, économistes, etc.) s’imaginent que la révolution prolétarienne est le fruit d’un complot, ourdi dans l’ombre, par des groupuscules ou “petite secte” de soixante-huitards retraités.
Ce n’est pas un hasard si, au cours des débats télévisés qui ont rythmé les dernières semaines, les références et les parallèles douteux se sont multipliés entre les barricades des “gilets jaunes” avec celles des journées de juin 1848, des insurgés de la Commune de Paris en 1871, des “enragés” de Mai 1968. Ces étudiants “enragés” (la “chienlit”, dixit le gaulois Charles De Gaulle) n’ont fait qu’annoncer le mouvement prolétarien de 9 millions de travailleurs salariés dont la mobilisation massive avait permis que le SMIC soit augmenté de 35 % et tous les autres salaires de 10 %. Mais les beaux jours des Trente Glorieuses sont terminés depuis longtemps. L’État Providence a cédé la place à l’État Policier.
Une fois de plus, la bourgeoisie française, grâce à ses médias aux ordres, veut nous rappeler que “ce n’est pas la rue qui gouverne” (comme le disait si bien le Sinistre Raffarin). Emmanuel Macron est prêt maintenant à reprendre le gouvernail. Même si (par orgueil ou conviction ?) il ne veut pas changer de cap. Tant pis si la République française devient le radeau de la Méduse !
On nous a fait voir aussi un “gilet jaune” présenter aux CRS un bouquet de roses jaunes, sans aucun commentaire. Petit cadeau pour remercier les CRS d’avoir bien fait leur travail le samedi 8 décembre ? Ou pour s’excuser de les avoir terrifiés lors du “cassage de gueule” devant la tombe du Soldat Inconnu ? Ce “gilet jaune” est peut-être tout simplement un marchand ambulant qui vend des roses à l’unité dans la rue, dans les bistrots et restaurants de Paris pour gagner quelques euros ? Les Restaurants du Cœur et l’Armée du Salut n’ont pas assez de soupes populaires pour faire face à la misère croissante dans certains arrondissements de la “plus belle Capitale du monde”. Les médias vont-ils nous montrer des clochards et autres sans abri en “gilets jaunes” défiler dans les quartiers où vivent les “riches” ? Maintenant que les “gilets jaunes” sont devenus pacifistes et ont des représentants, ils pourraient organiser un grand carnaval sur les Champs-Élysées pour favoriser “l’industrie du tourisme” ou monter une troupe de théâtre avec les différents “Actes” d’Éric Drouet ? La Révolution prolétarienne a besoin d’artistes et d’humoristes car “l’humour et la patience sont les principales qualités des révolutionnaires” (disait l’abominable “fomenteur d’insurrections” Lénine).
Les médias bourgeois ont également passé en boucle les images des “gilets jaunes” agenouillés les mains sur la tête devant les cordons de CRS, comme les gamins de Mantes-la-Jolie le 6 décembre. Les appareils d’intoxication idéologique de la classe dominante ont tenté, dans un premier temps, de cacher et censurer les images des jeunes de Mantes-la-Jolie. Mais comme elles avaient déjà circulé sur tous les réseaux sociaux, les chaînes de télévisions ont été obligées de les diffuser avec toutes sortes de commentaires essayant de justifier cette exaction et, notamment, les commentaires de deux sommités du monde de la Presse :
– Christophe Barbier : ex-directeur de l’hebdomadaire L’Express, puis chroniqueur politique à BFMTV : “Ce qui s’est passé (à Mantes-la-Jolie), c’est tout-à-fait normal. Et c’est même pour protéger les lycéens qu’il faut les traiter comme ça. Il faut vraiment être un cœur d’artichaut et bien-pensant pour s’offusquer de ce qui s’est passé à Mantes-la-Jolie” (matinale de BFMTV le 7 décembre) ;
– Franz-Olivier Giesbert, ex-directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, puis du quotidien Le Figaro, et ensuite directeur de l’hebdomadaire Le Point :“Il n’y a pas eu de blessés ! Ils auraient pu être massacrés… ! C’est pas parce que c’est des lycéens qu’ils ont le droit de faire n’importe quoi” (matinale de LCI du 7 décembre).
Effectivement, ces grands patrons de la médiasphère ne sont pas des “cœurs d’artichaut” ni des “bien-pensants”. Ils sont les “dignes” représentants médiatiques “d’un monde sans cœur” et de “l’esprit d’une époque sans esprit” (selon l’expression de Karl Marx, à propos de “l’opium du peuple”, dans son livre “Contribution à la critique de la Philosophie du Droit de Hegel”).
On ne peut que conseiller à tous les “cœurs d’artichaut” de lire la prose d’un journaliste français, Prosper Olivier Lissagaray, qui a raconté, jour après jour, les événements de la “semaine sanglante” lors de la répression de la Commune de Paris en 1871. Le “citoyen” Lissagaray rapporte dans son livre, “Histoire de la Commune de 1871”, une scène où le 26 mai 1871, sur les marches du Panthéon, un Député sympathisant de la Commune, Jean-Baptiste Millière, a été forcé de se mettre à genoux, avant d’être fusillé par la soldatesque du gouvernement de la République française siégeant à Versailles. Beaucoup de “citoyens” de la Commune de Paris (qui n’ont même pas osé toucher à l’argent de la Banque de France alors que la bourgeoisie les a traités de “voleurs” !) ont été contraints par la force de se mettre à genoux avant d’être fusillés par les hordes sanguinaires des troupes républicaines “tricolores”. Simplement parce qu’ils crevaient de faim et avaient osé monter à “l’assaut du Ciel” !
Les jeunes du lycée de Mantes-la-Jolie n’ont pas été “massacrés”, mais simplement obligés eux-aussi de se mettre à genoux comme leurs ancêtres de la Commune de Paris. “C’est tout à fait normal” : la mise à genoux des Gavroche des temps modernes exprime la haine revancharde de la bourgeoisie et son besoin d’humilier toute cette “racaille” (comme disait l’ex-Président Nicolas Sarkozy) qui ne respecte pas les privilèges des “riches”.
Les manifestations des lycéens sur tous les territoires français (sans gilet jaune ni drapeau tricolore, ni hymne national) ont été étrangement très peu médiatisées. Il y eu très peu de “casse” et d’affrontements violents. On a pu quand même entendre à la télévision une prolétaire, enseignante de l’Éducation Nationale, affirmer que ce qu’il faudrait faire c’est une “grève générale” et pas des journées d’action (comme celles organisées par les pompiers sociaux que sont les syndicats : CGT, CFDT, FO, Solidaire…).
Voilà pourquoi la bourgeoisie, son gouvernement, son Parlement, son patronat, et ses médias, ont tout intérêt à ne pas identifier qui sont ces “black-blocks” et autres “casseurs” : pour pouvoir justifier le blindage de l’appareil policier contre la lutte massive du prolétariat qui, un jour ou l’autre, va resurgir face à la généralisation de la pauvreté.
Ce jour-là, il n’y aura pas assez de prisons pour enfermer tous les “gaulois réfractaires” à la suppression de l’ISF et autres injustices. Il vaudrait mieux reconstruire des camps de concentration : ça coûtera moins cher à l’État et on pourra y parquer beaucoup de monde !
L’Ordre Public de la bourgeoisie, avec son “État de droit” policier, et sa “paix sociale”, c’est l’ordre de la Terreur !
Hans, 10 décembre 2018
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Le Président de la République Emmanuel Macron est sorti de son silence en s’adressant aux Français, le 10 décembre à 20h, sur toutes les chaînes de télévision : “Françaises, français, nous voilà ensemble au rendez-vous de notre pays et de l’avenir. Les événements de ces dernières semaines (…) ont mêlé des revendications légitimes et un déchaînement de violences inadmissibles. (…) Ces violences ne bénéficieront d’aucune indulgence. Aucune colère ne justifie qu’on s’attaque à un policier, à un gendarme ; qu’on dégrade un commerce ou des bâtiments publics. (…) Quand la violence se déchaîne, la liberté cesse. C’est donc désormais le calme et l’ordre républicain qui doivent régner. Nous y mettrons tous les moyens. (…) J’ai donné en ce sens au gouvernement les instructions les plus rigoureuses.
Mais, au début de tout cela, je n’oublie pas qu’il y a une colère, une indignation. Et cette indignation, beaucoup d’entre nous, beaucoup de français peuvent la partager (…) Mais cette colère est plus profonde, je la ressens comme juste à bien des égards, et elle peut être notre chance (…) Ce sont quarante années de malaise qui resurgissent.
Sans doute n’avons-nous pas su, depuis un an et demi, y apporter une réponse rapide et forte. Je prends ma part de responsabilité. Je sais qu’il m’est arrivé de blesser certains d’entre vous par mes propos. (…) Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies, comme trop souvent par le passé lors des crises. Nous sommes à un moment historique de notre pays. Je veux aussi que nous mettions d’accord la nation avec elle-même sur ce qu’est son identité profonde. Que nous abordions la question de l’immigration”.
Aucun “maintien de l’ordre républicain” ne justifie, en effet, que des policiers tirent avec des balles de flashball sur des adolescents (sans casque ni bouclier) mineurs, scolarisés, et dont les traumatismes sont autrement plus profonds que ceux des policiers agressés, le samedi 1er décembre, devant la tombe du Soldat inconnu. Aucun “maintien de l’ordre républicain” ne justifie que des policiers bombardent de grenades lacrymogènes des manifestants marchant paisiblement sur l’avenue des Champs-Élysées, des manifestants parmi lesquels il y avait des personnes âgées (dont beaucoup de femmes). Aucun “maintien de l’ordre républicain” ne justifie que des adolescents soient estropiés, la main arrachée par l’explosion d’une grenade offensive (une arme non utilisée dans les autres pays d’Europe).
Quand la violence policière se déchaîne contre des adolescents, cela ne peut que provoquer des émeutes urbaines (comme en 2005), cela ne peut qu’aggraver le chaos social. La violence ne peut engendrer que la violence ! Tirer sur des adolescents est un crime. Si les fonctionnaires du maintien de “l’ordre républicain” tuent les enfants (comme cela a failli arriver avec ce lycéen grièvement blessé dans une commune du Loiret), cela signifie que cet ordre républicain n’a aucun avenir à offrir à l’humanité ! Ces violences policières infanticides sont ignobles et révoltantes ! Ce n’est certainement pas avec l’intimidation et les menaces que le “calme” et la “paix sociale” vont revenir.
Le discours du Président de la République ne s’adresse qu’aux “Françaises et aux Français” alors que beaucoup de travailleurs et travailleuses qui paient leurs impôts ne sont pas “Françaises ou Français”. Nos ancêtres n’étaient pas des “Gaulois” mais des Africains (n’en déplaise à la Gauloise Madame Le Pen !) : l’Afrique est le berceau de l’espèce humaine, comme le savent les scientifiques, anthropologues et primatologues. Il n’y a que les Églises qui affirment encore que Dieu a créé l’homme. Comme le disait le philosophe Spinoza : “l’ignorance n’est pas un argument”.
Tous les indicateurs économiques sont de nouveau dans le rouge. Dix ans après la crise financière de 2008 qui a davantage aggravé la dette souveraine des États, les menaces d’une nouvelle crise financière se profilent à nouveau avec le risque d’un nouveau krach boursier. Mais voilà que le “peuple” se révolte ! Car, c’est au “peuple” que tous les gouvernements ont fait payer la crise de 2008 avec des plans d’austérité dans tous les pays. On a exigé des prolétaires d’accepter des sacrifices supplémentaires pour sortir “tous ensemble” de la crise (depuis 2008, la perte moyenne du pouvoir d’achat des travailleurs est de 440 euros par ménage). L’État devait nous “protéger” du risque de faillites en chaîne des banques où le “peuple” a placé ses petites économies pour pouvoir assurer ses vieux jours. Ces sacrifices, notamment sur le pouvoir d’achat des ménages, devaient permettre un retour de la croissance et protéger les emplois.
Après dix ans de sacrifices pour sauver les banques de la faillite et éponger le déficit budgétaire de l’État national, il est normal que le “peuple” ne puisse plus joindre les deux bouts et soit indigné de voir les “riches” vivre dans le luxe alors que les “pauvres” n’ont plus assez de sous pour remplir le frigidaire ou acheter des jouets pour leurs enfants à Noël.
Le Président a donc tout-à-fait raison de décréter l’ “État d’urgence économique et social”. Il a absolument besoin de nouveaux “pompiers sociaux” pour éteindre l’ “incendie” de la lutte de classe, les grandes centrales syndicales ayant soigneusement fait leur sale travail pour saboter les luttes revendicatives des travailleurs salariés afin d’aider le gouvernement et le patronat à faire passer leurs attaques contre nos conditions de vie.Les “riches”, ce sont ceux qui exploitent la force de travail des “pauvres” pour faire du profit, de la plus-value, et maintenir leurs privilèges. C’est ce que Karl Marx avait clairement expliqué en 1848 dans le “Manifeste du Parti communiste”.(1)
Pour sortir de la crise du pouvoir exécutif et ouvrir le “dialogue”, “notre” Président a annoncé les mesures suivantes : augmentation du SMIC de 100 euros par mois, annulation de l’augmentation de la CSG pour les retraités qui touchent moins de 2 000 euros par mois, défiscalisation des heures supplémentaires. Il a aussi demandé aux patrons qui le peuvent, de verser des primes de fin d’année à leurs salariés (prime qui sera aussi défiscalisée). “Notre Président de La République En Marche” a donc fait “un pas en avant”. La leçon à tirer serait donc que seules les méthodes de lutte “modernes” (et pas “ringardes”) des citoyens en “gilet jaune” payent et peuvent faire “reculer” le gouvernement !
Pour notre part, nous restons des “ringards”, convaincus que les boules de pétanque et autres projectiles pour riposter aux bombardements intensifs de grenades lacrymogènes, sont totalement inefficaces et ne peuvent que contribuer à l’escalade de la violence, au chaos social et au renforcement de l’État policier. La lutte de classe du prolétariat n’est pas une fronde. Les principales armes du prolétariat demeurent son organisation et sa conscience. Car “lorsque la théorie s’empare des masses, elle devient une force matérielle”, disait encore Karl Marx. Contrairement au mouvement des “gilets jaunes”, notre référence “Gauloise” n’est pas la Révolution Française de 1789 (avec sa guillotine, son drapeau tricolore et son hymne national “ringard”), mais la Commune de Paris.
Depuis le “samedi noir” du 1er décembre, les médias nous ont fait vivre en direct, sur tous les écrans de télévision et les réseaux sociaux, un véritable feuilleton à suspense : le “Président des riches”, Emmanuel Macron, va-t-il finir par “reculer” sous la pression du mouvement des “gilets jaunes” ? Va-t-il céder face à la détermination des “gilets jaunes” qui campent sur les ronds-points et ont suivi les mots d’ordre d’Éric Drouet, figure de proue et initiateur du mouvement ?
La marche des “gilets jaunes” sur les Champs-Élysées, le samedi 1er décembre s’était transformée en véritable guérilla urbaine tournant à l’émeute avec des scènes de violence hallucinantes sous l’Arc de triomphe comme dans les avenues Kléber et Foch du 16e arrondissement. Deux semaines plus tôt, le 17 novembre, les “forces de l’ordre” n’avaient déjà pas hésité à envoyer des gaz lacrymogènes et à foncer sur des groupes de “citoyens”, hommes et femmes en gilets jaunes, marchant tranquillement sur les Champs-Élysées en chantant La Marseillaise et en brandissant le drapeau tricolore. Ces provocations policières ne pouvaient qu’attiser la colère des citoyens en “gilet jaune” contre le citoyen en costard cravate du Palais de l’Élysée. L’appel à l’ “Acte III” des “gilets jaunes” a ainsi provoqué une émulation parmi les éléments déclassés du “peuple” français. Les bandes organisées de casseurs professionnels, black blocs, nervis d’extrême-droite, “anars” et autres mystérieux “casseurs” non identifiés ont profité de l’occasion pour venir semer la pagaille sur la “plus belle avenue du monde”.
Mais ce qui a mis le feu aux poudres, c’est une erreur de “stratégie” du Ministère de l’Intérieur dans le maintien de l’ordre : la mise en place d’une “fan zone” sur une partie des Champs-Élysées, pour sécuriser les beaux quartiers. Au lendemain du “samedi noir”, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner a reconnu son erreur : “On s’est planté !”. Autre erreur reconnue également : le manque de mobilité des CRS et des gendarmes, complètement dépassés par la situation (malgré leurs canons à eau et les tirs incessants de grenades lacrymogènes), terrorisés par le passage à tabac de l’un d’entre eux et par les jets de projectiles qui les ont assaillis. Les médias n’ont cessé pendant toute la semaine de passer en boucle sur les écrans de télévision cette scène ubuesque de CRS obligés de battre en retraite face à des groupes de “gilets jaunes” autour de l’Arc de Triomphe. Les propos enregistrés et très peu diffusés par les médias : “Samedi prochain, on revient avec des armes !”, de même que la colère des commerçants et habitants des beaux quartiers contre l’incurie des forces de l’ordre ont été clairement entendus par le gouvernement et l’ensemble de la classe politique. Le danger d’enlisement de la République française dans le chaos social a encore été renforcé par la volonté d’une partie de la population des 16e et 8e arrondissements de se défendre elle-même si la police n’était pas capable de la protéger de l’engrenage de la violence lors de la quatrième “manifestation” des “gilets jaunes” prévue le samedi 8 décembre (l’Acte IV avec le mot d’ordre puéril : “Tous à l’Élysée !”).
L’événement le plus spectaculaire de la crise du pouvoir exécutif est la perte de crédibilité de l’ “État protecteur” et de son appareil de “maintien de l’ordre”. Cette faille du pouvoir macronien (et la sous-estimation de la profondeur du mécontentement qui gronde dans les entrailles de la société) ne pouvait que donner des ailes non seulement aux “gilets jaunes” “radicaux”, mais aussi à tous ceux qui veulent “casser du flic”, mettre le feu partout face à l’absence d’avenir, notamment parmi les jeunes générations confrontées au chômage et à la précarité. Beaucoup de jeunes sortant des universités avec des diplômes ne trouvent pas d’emplois et sont obligés de faire des “jobs alimentaires” pour survivre.
Face au risque de perte de contrôle de la situation et de débandade du gouvernement, le Président Macron, après être venu constater les dégâts (y compris sur le plan du “moral des troupes” des CRS choqués par la guérilla urbaine à laquelle ils n’étaient pas préparés) a pris la décision de s’enfermer dans son bunker élyséen pour “réfléchir” en mouillant toute la classe politique et en envoyant “au front” son Premier ministre, Edouard Philippe, épaulé par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner.
En plus de la morgue affichée par le plus jeune Président de la République française, celui-ci est apparu comme un lâche qui se “planque” derrière son Premier ministre et se trouve incapable de sortir de l’ombre pour “parler à son peuple”. Les médias ont même répandu la rumeur qu’Emmanuel Macron allait utiliser Edouard Philippe, voire le Ministre de l’Intérieur comme “fusibles”, c’est-à-dire leur faire porter le chapeau pour ses propres fautes.
Dans toute la classe politique, après le “samedi noir”, c’était la curée contre son bouc émissaire, Jupiter Macron, désigné comme seul et unique responsable du chaos social. Le “Président pyromane” aurait allumé le brasier avec son “péché originel” : la suppression de l’impôt sur la fortune et son attitude arrogante et provocatrice. L’annonce des dernières mesures d’austérité (augmentation des taxes sur le carburant, du gaz et de l’électricité) n’aurait été que l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. De l’extrême droite à l’extrême gauche, toutes les cliques bourgeoises ont crié à hue et à dia et ont cherché à se dédouaner. Toutes les cliques de l’appareil politique bourgeois qui ont “soutenu” le mouvement citoyen des “gilets jaunes” ont lâchement abandonné le petit Président et l’ont appelé à enfin entendre le cri du “peuple” qui n’arrive plus à joindre les deux bouts. Certains ont réclamé un référendum, d’autres la dissolution de l’Assemblée nationale. Tout le monde a appelé le Président à assumer sa responsabilité. Les chefs d’État des autres pays (Trump, Erdogan, Poutine…) ont également commencé à tirer à boulets rouges sur le jeune Président de la République française en lui mettant un bonnet d’âne pour avoir fait preuve de trop grande répression contre son peuple. C’est vraiment l’hôpital qui se moque de la charité, le déchaînement du chacun pour soi et Dieu pour tous !
Dès le mardi 3 décembre, le Premier ministre avait annoncé trois mesures pour sortir de la crise, “apaiser” la tension sociale et éviter l’escalade de la violence : la suspension pour six mois de la taxe sur les carburants, la suspension pendant trois mois de l’augmentation du prix du gaz et de l’électricité et la réforme du contrôle technique des véhicules qui, au nom de la “transition écologique”, condamnait beaucoup d’entre eux à la casse. Mais ce “scoop” n’a fait qu’aggraver la colère des travailleurs pauvres en gilets jaunes. Personne n’était dupe : “Macron cherche à nous entuber !” “Il nous prend pour des cons !”. Même le PCF a entonné son couplet : “On n’est pas des pigeons à qui on donne des miettes !” On n’éteint pas un incendie avec un compte-gouttes (ni avec des canons à eau).
Face au tollé provoqué par cette “annonce”, le Premier ministre Edouard Philippe, est revenu le lendemain, avec un remarquable sang-froid, parler au “peuple” français pour annoncer que, finalement, les hausses des taxes sur les carburants ne seraient pas suspendues mais carrément annulées. Après l’annonce du dernier “pas de côté” du gouvernement de la République en marche (la défiscalisation des primes sur les heures supplémentaires), le “gilet vert” Benoit Hamon a affirmé que “le compte n’y est pas !”. Le gouvernement n’avait pas d’autre alternative que de lâcher du lest pour “apaiser” les esprits et éviter que la guérilla urbaine qui s’est déroulée sur les Champs-Élysées ne s’intensifie encore, alors même que cette violence ne parvenait pas à discréditer le mouvement des “gilets jaunes”.
Depuis le “samedi noir”, le gouvernement a manié le bâton et la carotte. Ces petites concessions diplomatiques ont été accompagnées d’un gigantesque battage médiatique sur le déploiement “exceptionnel” des forces de l’ordre pour l’“Acte IV” des “gilets jaunes”, le samedi 8 décembre. Pour ne pas écorner la “démocratie” bourgeoise, le gouvernement n’a pas interdit le rassemblement. Pas question non plus de décréter l’État d’urgence (comme cela avait été envisagé et même réclamé par certains secteurs de l’appareil politique).
Après avoir examiné le “problème” avec tous les hauts fonctionnaires chargés de la sécurité du territoire, notre débonnaire Ministre de l’Intérieur a cherché à rassurer “tout le monde” en annonçant qu’une autre stratégie de maintien de l’ordre public avait été élaborée avec la collaboration du Ministère de la Justice. Les forces de l’ordre ne devaient plus battre en retraite dans la capitale comme sur tout le territoire. L’État d’urgence n’était pas nécessaire : il n’y avait pas de “péril imminent” pour la République.
Ce qui s’est passé dans les beaux quartiers de Paris, notamment les pillages, s’apparente davantage aux émeutes de la faim, comme celles en Argentine en 2001, et aux émeutes des banlieues comme celles de 2005 en France. Le slogan “Macron démission !” est de même nature que le “dégagisme” du Printemps arabe de 2011 qui a circulé sur tous les réseaux sociaux. C’est pour cela qu’on a pu lire aussi sur des pancartes en carton : “Macron dégage !”.
Ce déploiement exceptionnel des forces de l’ordre n’est pas parvenu à rassurer “tout le monde”, à tel point que le ministre de l’Intérieur a dû expliquer patiemment sur les écrans de télévision que les blindés de la gendarmerie ne sont pas des chars d’assaut mais simplement des véhicules destinés à déblayer les éventuelles barricades et à protéger les forces de l’ordre dans leur mission. Objectif d’un tel dispositif : éviter les morts tant du côté des manifestants que de celui des forces de l’ordre, même s’il y a eu de nombreux blessés et 1 723 arrestations (sans compter les dégâts matériels).
Le Président a donc beaucoup “réfléchi” avec le soutien de sa garde rapprochée de “spécialistes” et “conseillers” et, en coulisse, avec celui de tous les “corps intermédiaires” et pompiers sociaux professionnels que sont les syndicats. La grève illimitée des routiers appelée par la CGT a été annulée 48 heures plus tard, la ministre des Transports ayant immédiatement accordé aux chauffeurs routiers la garantie du maintien de la majoration des heures supplémentaires avant même qu’il ne se soient mis en grève !
Le Président de la République était devant un “casse-tête” chinois. En étant obligé de lâcher (trop tardivement !) du lest face au “cri du peuple”, il a ouvert une boîte de Pandore : tout le “peuple” risque de se mobiliser, comme on l’a vu aussi avec les manifestions massives des lycéens (sans “gilets jaunes” ni drapeau tricolore) contre la réforme du Bac et le Parcours Sup. Mais si Emmanuel Macron continuait à refuser de lâcher du lest, il prenait le risque d’un raz de marée de “gilets jaunes” réclamant sa démission.
Comment le gouvernement va-t-il maintenant fermer cette boîte de Pandore ? Le gouvernement s’est trouvé face à un autre dilemme qu’il devait résoudre rapidement pour endiguer le danger d’un engrenage de la violence, avec des morts, lors de la manifestation du 8 décembre. Après les attaques des CRS obligés de reculer devant l’Arc de triomphe, la priorité était de montrer que “force doit revenir à la loi” et rétablir la crédibilité de l’État “protecteur” et garant de “l’unité nationale”. Le gouvernement Macron ne pouvait pas prendre le risque de faire apparaître l’État démocratique français comme une vulgaire république bananière du “tiers monde” qui ne tient qu’avec une junte militaire musclée au pouvoir.
Cette focalisation sur le jour “J” et sur le problème de la violence devait permettre au gouvernement de ne pas “reculer” sur une des questions centrales : celle de l’augmentation des salaires. Surtout, le “Président des riches” est resté “droit dans ses bottes” concernant la suppression de l’Impôt sur la Fortune vécue comme une injustice profonde. Il est hors de question de “détricoter ce que nous avons fait pendant 18 mois !”, selon ses propres mots relayés par les médias.
Ce qui a permis, à la veille du jour “J”, à Marine Le Pen de faire une nouvelle déclaration pour parler encore de Macron, “cet homme” dont la fonction “désincarnée” montre qu’il est “dénué d’empathie pour le peuple”. Pure hypocrisie ! Aucun chef d’État n’a d’ “empathie pour le peuple”. Si Madame Le Pen (qui aspire à être un jour “cheftaine d’État”) a tant d’ “empathie pour le peuple”, pourquoi a-t-elle déclaré devant les plateaux télévisés qu’elle n’était pas favorable à l’augmentation du SMIC pour ne pas pénaliser les petits patrons des PME (qui constituent une partie de sa clientèle électorale) ? Tous ces partis bourgeois qui soutiennent les “gilets jaunes” et focalisent toute l’attention sur la personnalité détestable de Macron veulent nous faire croire que le capitalisme est personnifié par tel ou tel individu alors que c’est un système économique mondial qu’il faut abattre. Cela ne se fera pas en quelques jours, vu la longueur du chemin qu’il reste encore à parcourir (nous ne croyons pas au mythe du “grand soir”). La démission de Macron et son remplacement par un autre “guignol de l’info” ne changera rien à la misère croissante des prolétaires. La misère ne peut que continuer à s’aggraver avec les secousses d’une crise économique mondiale sans issue.
Le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” ne pouvait que se fractionner, entre les “extrémistes” et les “modérés”. Éric Drouet, initiateur du mouvement sur les réseaux sociaux, a cru pouvoir monter une pièce de théâtre avec ses différents “Actes”. Invité sur les plateaux télévisés, il a clairement affirmé que son appel à l’ “Acte IV” du samedi 8 décembre était destiné à entraîner les “gilets jaunes” à se rendre au Palais de l’Élysée pour un face à face avec le “Roi” Macron. Ce petit aventurier mégalomane s’imaginait peut-être que les “gilets jaunes” pourraient faire le poids face à la Garde républicaine qui protège le palais présidentiel. On n’entre pas à l’Élysée comme dans un vieil immeuble où il n’y a ni concierge ni digicode ! Les pendules ayant été remises à l’heure, le “Roi” allait pouvoir donner la fessée au leader des “sans culottes”.
À la veille de la manifestation du 8 décembre, on a appris que ce jeune chauffeur routier allait faire l’objet d’une enquête judiciaire pour “provocation à la commission d’un crime ou d’un délit”, ce qui pourrait lui coûter cinq ans de prison ! Les méthodes aventuristes et activistes d’Éric Drouet (et ses “amis” virtuels) sont typiques de la petite bourgeoisie. Elles révèlent le désespoir des couches sociales “intermédiaires” (situées entre les deux classes fondamentales de la société : la bourgeoisie et le prolétariat) frappées aussi par la paupérisation.
Le gouvernement a également essayé de reprendre le contrôle de la situation grâce à la constitution d’un collectif des “gilets jaunes libres” qui se sont démarqués des “radicaux” ralliés derrière le drapeau du “mauvais citoyen” Éric Drouet. Les trois principaux représentants de ce “collectif” de gilets jaunes “modérés” se sont désolidarisés de leurs “camarades” après avoir assisté ou participé au “samedi noir”. Qui sont ces trois nouvelles stars en “gilet jaune” ?
— un artisan forgeron, Christophe Chalençon qui avait appelé à la démission du gouvernement et suggéré de nommer le général De Villiers comme Premier ministre (après avoir annoncé le 28 juin 2015 sur Facebook, qu’il était contre les immigrés et avait songé à adhérer au Front National, avant de devenir “macroniste”, puis candidat malheureux aux dernières élections législatives) ! ;
— une femme, Jacline Mouraud, hypnothérapeute libérale et accordéoniste ;
— un cadre dynamique et proche de l’extrême-droite, Benjamin Cauchy.
Ces “gilets jaunes libres” sont devenus plus royalistes que le roi. Alors que le gouvernement n’avait pas interdit la manifestation du 8 décembre à Paris, ce triumvirat autoproclamé a appelé les “gilets jaunes” à ne pas y participer (pour ne pas faire le “jeu de l’Éxécutif” !). Ces trois porte-paroles du mouvement ont été reçus (avec quatre autres) par le Premier ministre comme interlocuteurs privilégiés des “gilets jaunes libres”. Ils ont montré leur patte blanche de “bons citoyens”, responsables, ouverts au dialogue et prêts à collaborer avec le gouvernement pour qu’ “on puisse se parler”. Comme l’a déclaré Jacline Mouraud après avoir rencontré Edouard Philippe à Matignon : le Premier ministre “nous a écoutés”, a reconnu que le gouvernement a fait des erreurs et “on a pu parler de tout”.
On a pu voir également à la télévision, après le “samedi noir”, des “gilets jaunes” affirmer vouloir maintenant protéger les CRS contre les “casseurs”. C’est le monde à l’envers ! Sur les écrans de télévision, a également été diffusé le spectacle pitoyable d’un groupe de “gilets jaunes” venu offrir des croissants au poste de police de Fréjus et à la gendarmerie pour faire “ami-ami” avec les forces de l’ordre. Le gendarme qui les a accueillis a été interloqué d’entendre ces “gilets jaunes”, penauds et repentis, s’excuser pour les violences du “samedi noir” : “on aurait bien voulu que vous soyez avec nous, mais comme ce n’est pas possible, on a voulu vous dire (avec des croissants) qu’on est avec vous et qu’on se bat aussi pour vous”. Que dans un mouvement social, les manifestants essaient de démoraliser les forces de répression, voire de les appeler à changer de camp, c’est de bonne guerre, comme le confirment de nombreux exemples dans l’Histoire. Mais jamais on a vu les réprimés s’excuser auprès des répresseurs ! La police s’est-elle déjà excusée pour les multiples bavures qu’elle a commises, comme celle qui a grièvement blessé d’une balle de flashball un jeune lycéen dans le Loiret, sans parler de la mort de deux enfants à l’origine des émeutes des banlieues à l’automne 2005 ?
Ce sont ces bavures policières qui ont attisé la haine du flic et l’envie des adolescents de venir “casser la gueule aux keufs”, en mettant le feu non seulement aux poubelles mais aussi aux établissements scolaires. Ces émeutes du désespoir contiennent l’idée que “ça ne sert à rien d’aller à l’école” pour pouvoir avoir un métier puisque papa est au chômage et que maman est obligée de faire des ménages pour pouvoir faire bouillir la marmite et mettre un peu de beurre dans les épinards. Un marché parallèle continue à se développer dans certains quartiers populaires de Paris avec les petits trafics en tous genre, les vols, et maintenant les pillages de magasins ! Sans compter ces enfants migrants qui vivent à la rue dans le ghetto de la “Goutte d’Or” (sic !) du 18e arrondissement de Paris, sans famille, sans pouvoir être scolarisés et qui sont de vrais “délinquants” (mais ce n’est pas “génétique” comme se l’imaginait l’ex-Président Nicolas Sarkozy).
Alors que certains secteurs de la petite bourgeoisie paupérisée plongent dans les actes de violence, d’autres ont maintenant le doigt sur la couture du pantalon. En fin de compte, dans les circonstances actuelles, cette couche sociale intermédiaire instable et opportuniste ne bascule pas du côté du prolétariat, comme elle a pu le faire à d’autres moments de l’Histoire, mais du côté de la grande bourgeoisie.
C’est justement parce que le mouvement des “gilets jaunes” est interclassiste qu’il a été infiltré non seulement par le poison idéologique du nationalisme patriotard mais aussi par les relents nauséabonds de l’idéologie populiste anti-immigrés. On peut en effet, trouver au milieu de la liste (à la Prévert !) des “42 revendications” des “gilets jaunes” celle de la reconduction aux frontières des immigrés clandestins ! C’est d’ailleurs pour ça que “notre” Président s’est permis dans son discours du 10 décembre de faire une petite gâterie aux “gilets jaunes” membres ou sympathisants du Rassemblement national (ex-FN) de Marine Le Pen en évoquant la question de l’immigration (alors que ce parti a gagné 4 % dans les sondages depuis le début du mouvement).
Cette “révolte populaire” de tous ces “pauvres” de la “France qui travaille” et n’arrivent plus à “joindre les deux bouts” n’est pas, comme tel, un mouvement prolétarien, malgré sa composition “sociologique”. La grande majorité des “gilets jaunes” sont effectivement des travailleurs salariés, exploités, précaires dont certains ne touchent même pas le SMIC (sans compter les retraités qui n’ont pas même droit au “minimum vieillesse”). Vivant dans les zones péri-urbaines ou rurales, sans aucun transport en commun pour se rendre à leur travail ou accompagner leurs enfants à l’école, ces travailleurs pauvres sont obligés d’avoir une voiture. Ils ont donc été les premiers frappés par la hausse des taxes sur le carburant et la réforme du contrôle technique de leurs véhicules.
Ces secteurs minoritaires et dispersés du prolétariat des zones rurales et périphériques n’ont aucune expérience de la lutte de classe. La grande majorité d’entre eux sont, pour la plupart, des “primo manifestants” n’ayant jamais eu l’occasion de participer ni à des grèves ni à des assemblées générales ni à des manifestations de rue. C’est pour cela que leur première expérience de manifestations dans les grandes concentrations urbaines, et notamment à Paris, a pris la forme d’un mouvement de foule, désorganisé, errant à l’aveuglette sans aucune boussole et découvrant pour la première fois in vivo les forces de l’ordre avec leurs grenades lacrymogènes, canons à eau, tirs de flashball ainsi que les blindés de la gendarmerie. Ont-ils vu aussi ce snipper armé d’un fusil à lunette et posté sur le toit d’un immeuble, le jour du “samedi noir” ? (image diffusée par l’agence Reuters)
L’explosion de colère parfaitement légitime des “gilets jaunes” contre la misère de leurs conditions d’existence a été noyée dans un conglomérat interclassiste d’individus-citoyens prétendument libres. Leur rejet des “élites” et de la politique “en général” les rend particulièrement vulnérables à l’infiltration des idéologies les plus réactionnaires, notamment celle de l’extrême droite xénophobe. L’histoire du XXe siècle a largement démontré que ce sont les couches sociales “intermédiaires” (entre la bourgeoisie et le prolétariat), notamment la petite-bourgeoisie, qui ont fait le lit des régimes fasciste et nazi (avec l’appui des bandes du lumpen, haineuses et revanchardes, aveuglées par des préjugés et des superstitions qui remontent à la nuit des temps).
C’est uniquement dans les situations de luttes massives et pré-révolutionnaires, où le prolétariat s’affirme ouvertement sur la scène sociale comme classe autonome, indépendante, avec ses propres méthodes de lutte et d’organisation, sa propre culture et morale de classe, que la petite-bourgeoisie (et même certains éléments éclairés de la bourgeoisie) peut abandonner son culte de l’individualisme et “citoyen”, perdre son caractère réactionnaire en se ralliant derrière la perspective du prolétariat, seule classe de la société capable d’offrir un avenir à l’espèce humaine.
Le mouvement des “gilets jaunes”, de par sa nature interclassiste, ne peut déboucher sur aucune perspective. Il ne pouvait que prendre la forme d’une fronde désespérée dans les rues de la capitale avant de se fracturer en différentes tendances, celles des radicaux, “amis” d’Éric Drouet, et celle des modérés du “Collectif des gilets jaunes libres”. En endossant le gilet jaune, les prolétaires pauvres qui se sont engagés à la remorque des mots d’ordre de la petite-bourgeoisie se trouvent maintenant comme les dindons de la farce (ou les cocus de l’histoire, dont le jaune est aussi la couleur). Ils ne voulaient pas de représentants qui négocient dans leur dos avec le gouvernement (comme l’ont toujours fait les syndicats) : le gouvernement a refusé tout enregistrement des discussions avec les “porte-parole” des “gilets jaunes”.
Maintenant, ils ont des représentants (qu’ils n’ont pas élus) : notamment le “Collectif des gilets jaunes libres”. Ce mouvement informel, inorganisé, initié par les réseaux sociaux, a commencé à se structurer après le 1er décembre. Les principaux représentants autoproclamés de ce mouvement prétendument apolitique ont envisagé de présenter une liste aux élections européennes. Voilà donc la petite-bourgeoisie en “gilet jaune” qui rêve de pouvoir jouer dans la cour des grands !
Avant même que l’ “ordre public” ne soit revenu, était mise en avant (par Emmanuel Macron lui-même), l’idée d’organiser des conférences “pédagogiques” en province sur la “transition écologique”. Les citoyens des “territoires” pourront apporter leurs idées dans ce vaste débat démocratique qui doit contribuer à remettre la République en marche, après une période de “blocage” du pouvoir exécutif. Ce mouvement citoyen soi-disant apolitique est truffé de syndicalistes, de membres d’organisations politiques et toutes sortes d’individus pas très nets. N’importe qui peut mettre le gilet jaune (y compris des casseurs). La majorité des citoyens en “gilet jaune” constitue la clientèle électorale de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. Sans compter les trotskistes, notamment le NPA d’Olivier Besancenot et Lutte ouvrière. Ces organisations trotskistes nous racontent toujours la même fable : “il faut prendre l’argent dans la poche des riches”. Le prolétariat n’est pas une classe de pickpockets ! L’argent qui se trouve dans “la poche des riches”, c’est le fruit de l’exploitation du travail des “pauvres”, c’est-à-dire des prolétaires. Il ne s’agit pas “de faire les poches” des riches, mais de lutter aujourd’hui pour limiter ce véritable vol que signifie l’exploitation capitaliste et, ce faisant, de ramasser les forces pour abolir l’exploitation de l’homme par l’homme.
Lors de la Marche pour le climat à Paris, le 8 décembre, de nombreux “gilets jaunes” se sont mêlés au cortège des “gilets verts” avec une prise de conscience, surtout parmi les jeunes manifestants, que “les fins de mois et la fin du monde”, “tout ça, c’est lié”. Dans la marche des “gilets jaunes”, certains ont décidé de mettre le feu à leur gilet et à leur carte d’électeur. Il est vrai que les fins de mois difficiles et la fin du monde sont liés, ce sont les deux faces d’une même réalité, celle d’un système qui est basé sur le profit d’une petite minorité et nullement sur les besoins de l’espèce humaine.
Après le “samedi noir”, un syndicat de la police nationale a évoqué une “grève illimitée” des fonctionnaires de la police qui veulent aussi endosser l’uniforme jaune ! Ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts et en ont marre des “cadences infernales”, du burn-out dû au stress et à la peur de se prendre une boule de pétanque sur la tête. Il fallait donc que le gouvernement débloque des fonds pour offrir une prime de Noël aux CRS et autres catégories professionnelles chargées du maintien de l’ordre. Le gouvernement va devoir créer de nouveaux emplois dans ce secteur totalement improductif, et donc creuser encore les déficits, pour tenter de maintenir l’ordre dans une société en pleine décomposition où les fractures sociales ne peuvent que s’aggraver avec la détérioration des conditions d’existence et le renforcement de la répression. Tout le monde sait que les flics Gaulois ne font pas dans la dentelle : ils cognent d’abord et ils “discutent” après !
Ce qui a inquiété le gouvernement et toute la classe bourgeoise, c’est le fait que, malgré le déchaînement de violence des casseurs en gilets jaunes lors du “samedi noir”, la cote de popularité de leur mouvement n’a pas faibli : après le 1er décembre, les sondages ont annoncé que 72 % de la population française continuait à soutenir les “gilets jaunes” (même si 80 % condamnent les violences et que 34 % les comprennent). Les “gilets jaunes” sont même devenus une star mondiale : en Belgique, en Allemagne, au Pays-Bas, en Bulgarie et même en Irak, à Bassorah, on a enfilé le gilet jaune ! Quant au gouvernement égyptien, il a décidé de restreindre la vente de gilets jaunes par peur de la “contamination” ; pour en acheter un, il faut l’autorisation de la police !
Une telle popularité s’explique essentiellement par le fait que toute la classe ouvrière, qui constitue la majorité du “peuple”, partage la colère, l’indignation et les revendications économiques des “gilets jaunes” contre la vie chère, contre l’injustice sociale et fiscale. Après avoir fait ses classes avec l’ex-Président de gauche, François Hollande, notre Président de la République a exposé avec sa langue de bois une théorie totalement incompréhensible pour le “peuple” : la théorie du “ruissellement”. D’après cette “théorie”, plus les “riches” ont de l’argent, plus ils peuvent le faire “ruisseler” vers les “pauvres”. C’est l’argument des dames patronnesses qui font bénéficier les miséreux de leur générosité en puisant un tout petit peu sur leur magot. Ce qu’on oublie de dire, c’est que la richesse des nantis ne tombe pas du ciel. Elle provient de l’exploitation des prolétaires.
Cette théorie macroniste s’est concrétisée par la suppression de l’ISF : ce cadeau fiscal permettrait aux “riches” (en fait à la grande bourgeoisie), d’utiliser l’argent qui leur a été restitué pour qu’ils fassent des investissements qui, finalement, créeront des emplois, résorberons le chômage et, donc, profiteront aux prolétaires. Ainsi, ce serait dans l’intérêt de la classe ouvrière que l’ISF aurait été supprimé ! Les “pauvres” en gilet jaune ont parfaitement compris, en dépit de leur “illettrisme” de “gaulois réfractaires”, que le macronisme cherche à les “entuber” (comme l’a dit une retraitée en gilet jaune interviewée à la télévision). En attendant que la suppression de l’ISF profite aux prolétaires, il faut encore leur demander de se serrer la ceinture pendant que la classe capitaliste continue à se vautrer dans le luxe. Il n’est pas surprenant qu’on ait pu lire, sur une pancarte en carton, dans la manifestation du 8 décembre : “Nous aussi on veut payer l’ISF ! Rends l’argent !”
Malgré la colère générale de tout le “peuple” de la “France qui travaille”, les prolétaires, dans leur grande majorité, ne veulent pas rejoindre les “gilets jaunes” même s’ils peuvent avoir de la sympathie pour leur mobilisation. Ils ne se reconnaissent pas dans les méthodes de lutte d’un mouvement soutenu par Marine Le Pen et par toute la droite. Ils ne se reconnaissent pas dans les violences aveugles des black blocks, les menaces de mort, la mentalité pogromiste, les agressions verbales xénophobes et homophobes de certains “gilets jaunes”.
La popularité de ce mouvement, y compris après les violences du “samedi noir”, est significative de l’immense colère qui gronde dans les entrailles de la société. Mais, pour le moment, la grande majorité des prolétaires (ouvriers de l’industrie, des transports ou de la grande distribution, travailleurs de la santé ou de l’enseignement, petits fonctionnaires des administrations ou des services sociaux…) sont encore paralysés par la difficulté à retrouver leur identité de classe, c’est-à-dire la conscience qu’ils appartiennent à une même classe sociale subissant la même exploitation. La grande majorité en a assez des “journées d’action” stériles, des manifestations balades appelées par les syndicats et autres grèves “perlées”, comme celle des cheminots au printemps dernier. Tant que le prolétariat n’aura pas retrouvé le chemin de sa lutte et affirmé son indépendance de classe autonome, développé sa conscience, la société ne peut que continuer à s’enliser dans le chaos. Elle ne peut que continuer à pourrir dans le déchaînement bestial de la violence.
Le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” a révélé au grand jour un danger qui guette aussi le prolétariat en France comme dans d’autres pays : la montée du populisme de l’extrême-droite. Ce mouvement des “gilets jaunes” ne peut que favoriser une nouvelle poussée électorale, notamment aux prochaines élections européennes, du parti de Marine Le Pen, principale et première supporter du mouvement. Cette avocate plaide la cause d’un “protectionnisme hexagonal” : il faut fermer les frontières aux marchandises étrangères et surtout aux “étrangers” à la peau sombre qui fuient la misère absolue et la barbarie guerrière dans leurs pays d’origine. Le parti de Marine Le Pen avait déjà annoncé que pour augmenter le pouvoir d’achat des français le gouvernement doit faire des “économies” sur l’immigration. Le parti du Rassemblement national va pouvoir trouver un autre argument pour refouler les migrants : notre “peuple” qui n’arrive pas à joindre les deux bouts “ne peut pas héberger toute la misère du monde” (comme l’avait dit le Premier ministre socialiste Michel Rocard, le 3 décembre 1989, à l’Émission “7 sur 7” animée par Anne Sinclair) !
Les agressions verbales xénophobes, la délation aux forces de police de migrants clandestins cachés dans un camion-citerne (car c’est encore avec nos impôts qu’on va payer pour ces “enculés”, dixit un “gilet jaune” !), la revendication de certains “gilets jaunes” de reconduire les migrants clandestins hors de “nos” frontières, ne doivent pas être banalisées ! L’empathie que tout le monde ressent pour ce mouvement social ne doit pas aveugler le prolétariat et ses éléments les plus lucides.
Pour pouvoir retrouver son identité de classe, et le chemin de sa propre perspective révolutionnaire, le prolétariat en France comme partout ailleurs ne doit pas fouler au pied (ou enfouir sous le drapeau tricolore) le vieux mot d’ordre “ringard” du mouvement ouvrier : “Les prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”.
Dans l’atmosphère de violence et d’hystérie nationaliste qui a pollué le climat social en France, une petite lueur a pu néanmoins surgir après le “samedi noir”. Cette petite lueur, ce sont les étudiants pauvres, obligés de faire des petits boulots, qui l’ont allumée en mettant en avant, dans leurs mobilisations et assemblées générales, la revendication du retrait de l’augmentation des frais d’inscription pour leurs camarades étrangers n’appartenant pas à la communauté européenne. À la faculté de Paris Tolbiac on a pu lire sur une pancarte : “Solidarité avec les étrangers !”. Ce slogan, à contre-courant du raz de marée nationaliste des “gilets jaunes” montre au prolétariat la voie de l’avenir.
C’est grâce à leur “boite à idées” que les étudiants en lutte contre le Contrat première embauche du gouvernement de Dominique de Villepin, ont pu, en 2006 retrouver spontanément les méthodes du prolétariat. Ils se sont organisés pour ne pas être agressés par les petits “casseurs” des banlieues. Ils ont refusé de se laisser happer dans l’engrenage de la violence qui ne peut que renforcer l’ordre de la Terreur.
Face au danger du chaos social en plein cœur de l’Europe, aujourd’hui plus que jamais, l’avenir appartient à la lutte de classe des jeunes générations de prolétaires. C’est à ces nouvelles générations qu’il reviendra de reprendre le flambeau de la lutte historique de la classe exploitée, celle qui produit toutes les richesses de la société. Non seulement les richesses matérielles, mais aussi les richesses culturelles. Comme le disait Rosa Luxemburg, la lutte du prolétariat n’est pas seulement une question “de couteaux et de fourchettes” pour remplir les estomacs.
Les prolétaires en France ne sont plus des “sans culottes”. Ils doivent continuer à donner l’exemple à tous leurs frères et sœurs de classe des autres pays, comme leurs ancêtres l’avaient fait pendant les Journées de Juin 1848, pendant la Commune de Paris de 1871, ainsi qu’en Mai 1968. C’est le seul moyen de retrouver leur dignité, de continuer à marcher debout pour regarder loin, et non pas à quatre pattes comme les bêtes fauves qui veulent nous imposer la loi de la jungle.
Face au danger du chaos social provoqué par l’ “union sacrée” de tous les exploiteurs et casseurs:
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Marianne, 10 décembre 2018
1) Ouvrage dans lequel se trouve un chapitre intitulé : “Bourgeois et Prolétaires”.
Nous invitons nos lecteurs à participer à nos réunions publiques sur le thème :
« Mouvement des « gilets jaunes » : Pourquoi les prolétaires doivent défendre leur autonomie de classe ? ». Ces réunions publiques se tiendront au mois de janvier (les dates seront annoncées ultérieurement sur notre site).
Nous encourageons également nos lecteurs à nous adresser des courriers de prise de position et critiques de notre premier article d’analyse du mouvement des « gilets jaunes » ainsi que de notre tract réalisé à partir de cet article. Ces courriers de lecteurs seront publiés dans notre presse accompagnés de notre réponse. Bonne réflexion à tous !
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L’ampleur de la mobilisation des “gilets jaunes” témoigne de l’immense colère qui gronde dans les entrailles de la société, et notamment au sein de la classe ouvrière, face à la politique d’austérité du gouvernement Macron.
Selon les données officielles de la bourgeoisie, le revenu annuel disponible des ménages (c’est-à-dire ce qui reste après impôts et cotisations) a été rogné de 440 euros en moyenne entre 2008 et 2016. Ce n’est là qu’une toute petite partie des attaques subies par la classe ouvrière. À la hausse généralisée des taxes en tous genres, s’ajoutent la montée du chômage, la généralisation des emplois précaires, y compris dans la fonction publique, l’inflation touchant particulièrement les denrées de première nécessité, le prix inabordable du logement, etc. La paupérisation s’aggrave inexorablement et, avec elle, la peur de l’avenir pour nos enfants. Les plus touchés par cette misère croissante, ce sont les travailleurs actifs, les précaires, les retraités qui n’arrivent plus à boucler les fins de mois.
Les médias et le gouvernement ont mis en avant les destructions et les actes de violences sur les Champs-Élysées pour faire croire que toute lutte contre la vie chère et la dégradation des conditions d’existence des exploités ne peut mener qu’au chaos et à l’anarchie. Les médias aux ordres de la bourgeoisie, spécialistes des amalgames, veulent faire croire que les “gilets jaunes” sont des “extrémistes” qui veulent aussi “casser du flic”, alors que ce sont, en réalité, les forces de répression qui, avant tout, agressent et provoquent ! À Paris, le 24 novembre, les tirs de grenades lacrymogènes ont été incessants, comme les charges des CRS sur des groupes d’hommes et de femmes marchant calmement sur les Champs-Élysées.
Malgré la colère légitime de nombreux prolétaires qui n’arrivent pas à “joindre les deux bouts”, ce mouvement, en tant que tel, n’a aucune perspective et ne peut pas faire reculer les attaques du gouvernement et du patronat. Une partie de la classe ouvrière s’est, en fait, engagée à la remorque des petits patrons et des auto-entrepreneurs (chauffeurs de camions, taxis, ambulanciers) en colère face à l’augmentation des taxes et du prix du carburant, avec des méthodes de lutte totalement inefficaces, menant dans des impasses (telle la pétition lancée par Priscillia Ludosky, le blocage et l’occupation des ronds-points préconisés par Éric Drouet). Ce n’est pas un hasard si, parmi les huit porte-paroles des “gilets jaunes” désignés le 26 novembre, on compte une écrasante majorité de petits patrons ou d’auto-entrepreneurs.
Mais, pire encore, ceux qui ont lancé le mouvement ont embarqué les ouvriers derrière l’idéologie bourgeoise du nationalisme et de la “citoyenneté”. Les travailleurs parmi les plus pauvres se sont mobilisés en tant que “citoyens” du “peuple de France”, “méprisés” et “pas entendus” par “ceux d’en haut” et non pas en tant que membres de la classe exploitée.
Le mouvement des “gilets jaunes” est à ce titre très clairement un mouvement interclassiste où sont mélangées toutes les classes et couches intermédiaires et exploitées de la société, qui ne défendent pas les mêmes intérêts. Se retrouvent, ensemble, prolétaires (travailleurs, chômeurs, précaires, retraités) et petit-bourgeois (artisans, professions libérales, petits entrepreneurs, petits commerçants, agriculteurs asphyxiés par les taxes). Les ouvriers les plus pauvres se sont mobilisés contre leur misère croissante, contre la pauvreté, les attaques économiques incessantes, le chômage, la précarité de l’emploi, tandis que les petits patrons protestent seulement contre l’augmentation du carburant et des taxes. Focalisée sur l’augmentation des taxes, la colère des petits bourgeois est uniquement motivée par le fait que le gouvernement les a laissés pour compte, Macron ayant favorisé la grande bourgeoisie avec, notamment, la suppression de l’impôt sur la fortune. Bon nombre de petits patrons ne sont pas intéressés par l’augmentation des salaires, en particulier du SMIC ! Les petits patrons utilisent ainsi la colère des ouvriers en gilets jaunes pour faire pression sur le gouvernement et obtenir gain de cause : la baisse des taxes qui asphyxient leur entreprise. C’est pour cela que Marine Le Pen, tout en soutenant de façon spectaculaire le mouvement depuis le début, a clairement affirmé sur les plateaux de télévision qu’elle était contre l’augmentation du SMIC pour ne pas pénaliser les PME !
Ce mouvement de révolte “citoyenne” est un piège où la plupart des partis de l’appareil politique de la bourgeoisie se retrouvent bien sûr comme “supporters”. De Marine Le Pen à Olivier Besancenot, en passant par Mélenchon et Laurent Wauquiez (et même Brigitte Bardot !), “tout le monde” est là pour soutenir ce mouvement interclassiste et son poison nationaliste. Les ouvriers doivent refuser l’union sacrée de toutes les cliques politiques “anti Macron” ; ces partis bourgeois manipulent la colère des “gilets jaunes” pour rafler le maximum de voix aux élections et défendre le capital national en appelant les prolétaires à se rallier derrière le drapeau tricolore de leurs exploiteurs ! Si tous ces partis utilisent les “gilets jaunes” pour affaiblir Macron, c’est qu’ils savent parfaitement que ce mouvement ne renforce en rien la lutte du prolétariat contre son exploitation et son oppression.
Dans ce mouvement soi-disant “apolitique” et “non syndical”, les méthodes de lutte de la classe ouvrière sont totalement absentes. Il n’y a aucun appel à la grève et à son extension dans tous les secteurs ! Aucun appel à des assemblées générales souveraines dans les entreprises pour que les travailleurs puissent discuter et réfléchir ensemble aux actions à mener afin de développer et unifier la lutte contre la dégradation de leurs conditions de vie, discuter et réfléchir à des mots d’ordre unitaires et à l’avenir ! Pourtant, seules ces méthodes de lutte de la classe ouvrière peuvent freiner les attaques et faire reculer le gouvernement et le patronat !
La lutte des ouvriers n’est pas la lutte de “tous les pauvres” contre les “riches”. C’est la lutte d’une classe exploitée, qui vit de la vente de sa force de travail, contre la classe bourgeoise qui réalise ses bénéfices en exploitant la force de travail des prolétaires. C’est cette exploitation qui est à l’origine de l’appauvrissement croissant de la classe laborieuse !
La classe ouvrière doit défendre ses conditions de vie sur son propre terrain, en tant que classe autonome, indépendante des autres classes et couches sociales comme la petite bourgeoisie. Quand la classe ouvrière s’affirme comme classe autonome en développant une lutte massive, elle entraîne derrière elle une partie de plus en plus large de la société, derrière ses propres méthodes de lutte, ses propres mots d’ordre unitaires et, finalement, son propre projet révolutionnaire de transformation de la société.
En 1980, en Pologne, un immense mouvement de masse était parti des chantiers navals de Gdansk suite à l’augmentation des prix des denrées de première nécessité. Pour affronter le gouvernement et le faire reculer, les ouvriers s’étaient regroupés, ils s’étaient organisés massivement en tant que classe face à la bourgeoisie “rouge” et son État stalinien. Les autres couches de la population avaient largement rejoint cette lutte massive de la classe exploitée.
Quand le prolétariat développe sa lutte comme classe indépendante, ce sont les assemblées générales massives, souveraines et ouvertes à “tout le monde” qui sont au cœur du mouvement. Il n’y a alors pas de place pour le nationalisme. Au contraire, les cœurs vibrent pour la solidarité internationale car “les prolétaires n’ont pas de patrie” comme l’affirme le mouvement ouvrier depuis ses origines au XIXe siècle. Les ouvriers doivent donc refuser de chanter la Marseillaise et d'agiter le drapeau tricolore, le drapeau des versaillais qui ont assassiné 30 000 prolétaires lors de la Commune de Paris en 1871 !
Aujourd’hui, les prolétaires veulent exprimer leur profonde colère mais ils ne savent pas comment lutter efficacement pour défendre leurs conditions d’existence face aux attaques croissantes de la bourgeoisie et son gouvernement. Beaucoup d’ouvriers retraités ont oublié leurs propres expériences de lutte, leur capacité à s’unir et s’organiser sans attendre les consignes des syndicats, comme ils l’avaient fait en Mai 1968. Les jeunes ouvriers n’ont pas encore assez d’expérience de la lutte de classe et ont encore des difficultés à déjouer les pièges des défenseurs du système capitaliste.
Beaucoup d’ouvriers en “gilets jaunes” reprochent aux syndicats leur “inertie”, ils leur reprochent de ne pas “faire leur boulot”. C’est pour cela que la CGT, pour faire concurrence aux “gilets jaunes”, essaie de rattraper le coup en appelant à une nouvelle “journée d’action” pour le 1er décembre, le même jour que le troisième rassemblement des “gilets jaunes” sur les Champs-Élysées. Face à la méfiance envers les syndicats qui commence à resurgir dans la classe ouvrière, on peut être sûr que la CGT, et les autres syndicats, vont encore “faire leur boulot” (avec la complicité des trotskistes du NPA et de “Lutte Ouvrière”) : encadrer, éparpiller, diviser, saboter et épuiser la combativité ouvrière pour empêcher tout mouvement spontané et unitaire des prolétaires sur leur terrain de classe.
N’oublions pas toutes les manœuvres syndicales de sabotage des luttes, comme on l’a encore vu avec la longue “grève perlée” à la SNCF dirigée par les syndicats. N’oublions pas leurs multiples “journées d’actions” stériles et leurs manifestations ballades dans la dispersion et la division, comme la plate mobilisation contre la politique du gouvernement du 9 octobre dernier, suivie, la semaine suivante, par celle des retraités et, trois jours plus tard, par la grève dans l’Éducation nationale.
Le profond mécontentement de nombreux ouvriers envers les syndicats a été récupéré par ceux qui ont lancé le mouvement des “gilets jaunes”, avec le soutien actif de tous les partis politiques bourgeois. Le message que tous les “supporters” hypocrites des ouvriers en “gilet jaune” veulent faire passer, c’est que les méthodes de lutte de la classe ouvrière (grève, manifestations massives, assemblées générales souveraines avec des délégués élus et révocables à tout moment, comités de grève…) ne mènent à rien. Il faudrait donc faire confiance maintenant aux petits patrons pour trouver d’autres méthodes de lutte prétendument radicales et rassembler “tout le monde”, tous les “citoyens”, tout le “peuple de France” contre le “dictateur” et “Président des riches”, Macron.
La classe ouvrière ne doit pas déléguer et confier sa lutte ni à des couches sociales réactionnaires, ni aux partis qui prétendent la soutenir, ni aux syndicats qui sont ses faux amis. Tout ce joli monde, chacun avec son credo, occupe et quadrille le terrain social pour empêcher les ouvriers de se mobiliser massivement, de développer une lutte autonome, solidaire et unie contre les attaques de la bourgeoisie, derrière des mots d’ordre communs à tous : contre la “vie chère”, contre le chômage et la précarité, contre l’augmentation des cadences, contre la baisse des salaires et des pensions de retraite, etc.
Pour pouvoir développer sa lutte, construire un rapport de forces capable de freiner les attaques de la bourgeoisie et la faire reculer, la classe ouvrière ne doit compter que sur elle-même. Elle doit retrouver son identité de classe et ne pas se dissoudre dans le “peuple français”. Elle doit reprendre confiance en ses propres forces, en engageant la lutte, sur son propre terrain, au-delà de toutes les divisions corporatistes, sectorielles et nationales.
Pour préparer les luttes futures, tous les ouvriers combatifs qui ont conscience de la nécessité de la lutte prolétarienne doivent essayer de se regrouper pour discuter ensemble, tirer les leçons des derniers mouvements sociaux, se repencher sur l’histoire du mouvement ouvrier. Ils ne doivent pas laisser le terrain libre aux syndicats ni se laisser endormir par les chants de sirènes des mobilisations “citoyennes”, “populaires” (et populistes !) et interclassistes de la petite-bourgeoisie !
Malgré toutes les difficultés du prolétariat, l’avenir appartient toujours à sa lutte de classe !
Révolution Internationale, Section du Courant Communiste International en France
29 novembre 2018
Le 10 octobre dernier, deux chauffeurs routiers de Seine-et-Marne lancent sur Facebook un appel à manifester pour le 17 novembre intitulé : “Blocage national contre la hausse du carburant”. Rapidement, leur message est relayé sur tous les réseaux sociaux, rassemblant jusqu’à 200 000 personnes “intéressées”. Les initiatives et appels se multiplient. Sans syndicat ni parti politique, de façon spontanée, s’organise la programmation de toute une série d’actions, de rassemblements et de blocages. Résultat : le 17 novembre, selon le gouvernement, 287 710 personnes, réparties sur 2 034 points, paralysent carrefours routiers, ronds-points, autoroutes, péages, parkings de supermarchés… Ces chiffres officiels (et d’une précision admirable !), émanant du ministère de l’Intérieur, sont largement et volontairement sous-estimés. Les “gilets jaunes” estiment, quant à eux, qu’ils sont deux fois plus nombreux. Les jours suivants, certains blocages sont maintenus, d’autres se font plus ponctuels et aléatoires, mobilisant quelques milliers de personnes chaque jour. Une dizaine de raffineries Total sont perturbées, par une action simultanée de la CGT et des “gilets jaunes”. Une nouvelle grande journée d’action est lancée pour le 24 novembre, baptisée : “Acte 2 : toute la France à Paris”. L’objectif est de bloquer les lieux prestigieux et de pouvoir de la capitale : l’avenue des Champs-Élysées, la place de la Concorde, le Sénat et, surtout, l’Élysée. “Il faut mettre un coup de grâce et tous monter sur Paris par tous les moyens possibles (covoiturage, train, bus, etc.). Paris, parce que c’est ici que se trouve le gouvernement ! Nous attendons tout le monde, camion, bus, taxis, VTC, agriculteurs, etc. Tout le monde !”, proclame ainsi Éric Drouet, le chauffeur routier de Melun, co-initiateur du mouvement et figure de proue de la mobilisation. Finalement, ce grand rassemblement unitaire n’aura pas lieu, de nombreux “gilets jaunes” préférant manifester sur le plan local, souvent à cause du coût des transports. Surtout, la mobilisation est en forte baisse. Seulement 8 000 manifestants à Paris, 106 301 dans toute la France et 1 600 actions. Même si ces chiffres émanant du gouvernement sous-estiment fortement la réalité de la mobilisation, la tendance est clairement à la décrue. Pourtant, dans le mouvement, nombreuses sont les voix affirmant être en train de remporter une victoire. Le plus important pour les “gilets jaunes”, ce sont ces images des Champs-Élysées “tenus, occupés durant toute une journée”, témoignant de “la force du peuple contre les puissants”.(1) Ainsi, le soir-même, est lancée, toujours via Facebook, l’appel à une troisième journée d’action, prévue pour le samedi 1er décembre : “Acte 3 : Macron démissionne !”, en mettant en avant deux revendications “La hausse du pouvoir d’achat et l’annulation des taxes sur le carburant”.
Tous les journalistes, les politiciens et autres “sociologues” mettent en avant la nature inédite du mouvement : spontané, hors de tout cadre syndical ou politique, protéiforme, organisé essentiellement via les réseaux sociaux, relativement massif, globalement discipliné, évitant généralement les destructions et les affrontements, etc. Ce mouvement est qualifié, à longueur de colonnes des journaux et de plateaux de télévision, “d’ovni sociologique”.
Initié par des chauffeurs routiers, ce mouvement mobilise, comme l’écrit son initiateur Éric Drouet, “camions, bus, taxis, VTC, agriculteurs”, mais pas seulement. De nombreux petits-entrepreneurs “écrasés par les taxes” sont également présents. Des ouvriers salariés, précaires, chômeurs ou retraités, endossent le “gilet jaune” et constituent le contingent le plus important. “Les “gilets jaunes”, c’est plutôt une France d’employés, de caissières de supermarchés, de techniciens, d’assistantes maternelles, qui entendent défendre le mode de vie qu’ils se sont choisi : vivre un peu à l’écart, au calme, avec des voisins qui leur ressemblent, dans un pavillon avec jardin et pour qui toucher à la voiture, en augmentant les taxes sur le gazole, c’est comme remettre en cause leur espace privé”, analyse Vincent Tiberi. Selon ce professeur de Sciences Po. Bordeaux, les “gilets jaunes” ne “représentent pas seulement la France périphérique, la France des oubliés. Ils incarnent davantage ce que le sociologue Olivier Schwartz appelle les petits moyens. Ils travaillent, paient des impôts et gagnent trop pour être aidés et pas assez pour bien vivre”.(2)
En réalité, l’ampleur de cette mobilisation témoigne avant tout de l’immense colère qui gronde dans les entrailles de la société, et notamment dans la classe ouvrière, face à la politique d’austérité du gouvernement Macron. Officiellement, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, le revenu annuel disponible des ménages (c’est-à-dire ce qui reste après impôts et cotisations) a été rogné de 440 euros en moyenne entre 2008 et 2016. Ce n’est là qu’une toute petite partie des attaques subies par la classe ouvrière. À cette hausse généralisée des taxes en tous genres, s’ajoutent la montée du chômage, la systématisation des emplois précaires, y compris dans la fonction publique, l’inflation touchant particulièrement les denrées de première nécessité, les prix inabordables du logement, etc. La paupérisation s’aggrave inexorablement et, avec elle, la peur de l’avenir. Mais, plus encore, ce qui nourrit cette immense colère selon les “gilets jaunes”, c’est “le sentiment d’être méprisés”.(3)
C’est ce sentiment dominant d’être “méprisés”, ignorés par les gouvernants, l’envie d’être entendus et reconnus par “ceux d’en haut”, pour reprendre la terminologie des “gilets jaunes”, qui explique les moyens d’action choisis : être vus en portant des gilets jaunes fluo, en bloquant les routes, en allant au Sénat ou à l’Élysée sous les fenêtres des grands bourgeois, en occupant “la plus belle avenue du Monde”.(4)
Les médias et le gouvernement mettent en avant les destructions et les violences pour faire croire que toute lutte contre la vie chère et la dégradation des conditions d’existence des exploités ne peut mener qu’au chaos et à l’anarchie avec des actes de violence aveugle et de vandalisme. Les médias aux ordres de la bourgeoisie, spécialistes des amalgames, veulent faire croire que les “gilets jaunes” sont des “extrémistes” qui veulent aussi “casser du flic”.(5) Ce sont les forces de répression qui, avant tout, agressent et provoquent ! À Paris, le 24 novembre, les tirs de grenades lacrymogènes ont été incessants, comme les charges des CRS sur des groupes d’hommes et de femmes marchant calmement sur les Champs Élysées. D’ailleurs, il y a eu très peu de vitrines brisées,(6) contrairement à la célébration de la Coupe du monde de football, au même endroit, quatre mois plus tôt. Même si certains “gilets jaunes” masqués étaient des excités qui veulent en découdre avec les forces de l’ordre (“black-blocks” ou nervis “d’ultra-droite”), la grande majorité ne veut pas casser ou détruire. Ils ne veulent pas être des “casseurs”, mais seulement des “citoyens” “respectés” et “entendus”. C’est pourquoi l’appel à “l’Acte 3” met en avant qu’il “faudra faire ça proprement. Aucune casse et 5 millions de Français dans la rue”. Et même : “Pour sécuriser nos prochains rendez-vous, nous proposons de mettre en place des “gilets rouges”, qui auront la responsabilité de sortir les casseurs de nos rangs. Il ne faut surtout pas se mettre la population à dos. Faisons attention à notre image, les amis”.
Le mouvement des “gilets jaunes” a, en revanche, un point commun, révélateur, avec la célébration de l’équipe de France de football championne du monde : la présence partout du drapeau tricolore et des drapeaux régionaux, de l’hymne national entonné régulièrement, de la fierté palpable d’être “le peuple français”. Un “peuple français” qui, uni, serait capable de faire ployer les puissants. La référence dans beaucoup de têtes est la Révolution française de 1789 ou même la Résistance de 1939-1945.(7)
Ce nationalisme exacerbé, cette référence au “peuple”, cette imploration adressée aux puissants, révèlent la nature réelle de ce mouvement. La très grande majorité des “gilets jaunes” sont des travailleurs actifs ou à la retraite et paupérisés, mais ils sont là en tant que citoyens du “peuple de France” et non pas en tant que membres de la classe ouvrière. Il s’agit très clairement d’un mouvement interclassiste où sont mélangées toutes les classes et couches non exploiteuses de la société. Se retrouvent ensemble ouvriers (travailleurs, chômeurs, précaires, retraités) et petit-bourgeois (artisans, professions libérales, petits entrepreneurs, agriculteurs et éleveurs). Une partie de la classe ouvrière s’est engagée à la remorque des initiateurs du mouvement (les petits patrons, chauffeurs de camions, taxis, ambulanciers). Malgré la colère légitime des “gilets jaunes”, parmi lesquels de nombreux prolétaires qui n’arrivent pas à “joindre les deux bouts”, ce mouvement n’est pas un mouvement de la classe ouvrière. C’est un mouvement qui a été lancé par des petits patrons en colère face à l’augmentation du prix du carburant. Comme en témoignent ces mots du chauffeur routier qui a initié le mouvement : “Nous attendons tout le monde, camion, bus, taxis, VTC, agriculteurs, etc. Tout le monde !”. “Tout le monde” et tout le “peuple français” derrière les camionneurs, chauffeurs de taxi, agriculteurs, etc. Les ouvriers se retrouvent là, dilués dans le “peuple”, atomisés, séparés les uns des autres comme autant d’individus-citoyens, mélangés avec les petits patrons (dont beaucoup font partie de l’électorat du Rassemblement national – ex-FN – de Marine Le Pen).
Le terrain pourri sur lequel un grand nombre de prolétaires, parmi les plus paupérisés, a été embarqué n’est pas celui de la classe ouvrière ! Dans ce mouvement “apolitique” et “anti-syndical”, il n’y a aucun appel à la grève et à son extension dans tous les secteurs ! Aucun appel à des assemblées générales souveraines dans les entreprises pour discuter et réfléchir ensemble des actions à mener pour développer et unifier la lutte contre les attaques du gouvernement ! Ce mouvement de révolte “citoyenne” est un piège pour noyer la classe ouvrière dans le “peuple de France” où toutes les cliques bourgeoises se retrouvent comme “supporters” du mouvement. De Marine Le Pen à Olivier Besancenot, en passant par Mélenchon et Laurent Wauquiez, “tout le monde” est là, de l’extrême droite à l’extrême gauche du capital, pour soutenir ce mouvement interclassiste, avec son poison nationaliste.
C’est en effet la nature interclassiste du mouvement des “gilets jaunes” qui explique pourquoi Marine Le Pen salue un “mouvement légitime” du “peuple français” ; pourquoi Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, soutient ce mouvement : “Il faut bloquer toute la France (…), il faut que la population française dise à ce gouvernement : maintenant ça suffit !” ; pourquoi Laurent Wauquiez, président de Les Républicains qualifie les “gilets jaunes” de “personnes dignes, déterminées, et qui demandent juste qu’on entende les difficultés de la France qui travaille” ; pourquoi le député Jean Lassalle, à la tête de Résistons, est l’une des figures du mouvement et arbore son gilet jaune à l’Assemblée nationale comme dans la rue. La droite et l’extrême-droite reconnaissent clairement dans les “gilets jaunes” un mouvement qui ne met nullement en péril le système capitaliste. Elles y voient surtout un moyen très efficace d’affaiblir leur principal concurrent pour les prochaines élections, la clique de Macron, dont l’autorité et la capacité à gérer la paix sociale sont grandement mises à mal.
Quant à la gauche et l’extrême-gauche, elles dénoncent la récupération de la droite et de l’extrême droite, rejettent les “fachos qui polluent le mouvement”, et soutiennent, elles aussi, plus ou moins ouvertement, le mouvement. Après s’être montré frileux, Jean-Luc Mélenchon, à la tête de La France insoumise, y va maintenant de toute sa gouaille en saluant “Le mouvement révolutionnaire en jaune”, mouvement “populaire” et de “masse”. Il faut dire qu’il est là comme un poisson dans l’eau, lui et sa “FRANCE insoumise”, ses drapeaux bleu-blanc-rouge, son écharpe tricolore sortie à chaque occasion, et sa volonté de “fédérer le peuple contre l’oligarchie” par les urnes.
Le soutien de tous les bords de l’échiquier politique bourgeois,(8) et surtout de la droite et de l’extrême-droite, montre que le mouvement des “gilets jaunes” n’est pas de nature prolétarienne et n’a rien à voir avec la lutte de classe ! Si tous ces partis de l’appareil politique de la bourgeoisie utilisent les “gilets jaunes” afin d’affaiblir Macron, espérant en cueillir les fruits électoraux, ils savent que ce mouvement ne renforce en rien la lutte du prolétariat contre son exploitation et son oppression.(9)
Dans ce type de mouvement interclassiste, le prolétariat n’a rien à gagner car c’est toujours la petite-bourgeoisie qui donne sa couleur au mouvement (le jaune est d’ailleurs la couleur des briseurs de grève !). D’ailleurs, parmi les huit porte-paroles qui ont été désignés le 26 novembre, on compte une écrasante majorité de petits patrons ou d’auto-entrepreneurs.
Ainsi, ce sont les objectifs de la petite-bourgeoisie, ses mots d’ordre, ses méthodes de lutte qui s’imposent à tous. En apparence, cette couche sociale affiche une très grande radicalité. Parce qu’elle est écrasée, déclassée par le Capital, sa colère peut exploser violemment, en dénonçant l’injustice et même la barbarie de la grande bourgeoisie et de son État. Mais au fond, ce à quoi elle aspire c’est de pouvoir être “reconnue”, et ne pas être “méprisée” par les élites d’“en haut”, ou mieux, pour certains de ses membres, elle rêve de s’élever vers les couches supérieures de la bourgeoisie, et pour cela il faut que leur affaire puisse être florissante. Voilà ce qui explique ses revendications à travers le mouvement des “gilets jaunes” : un gazole moins cher et moins de taxes pour que leurs entreprises fonctionnent et se développent, des actions de blocage des routes tout de jaune vêtue pour être vue et honorée, une focalisation sur la personne de Macron (“Macron démissionne !”) symbolisant l’envie d’être Calife à la place du Calife, et une occupation de “la plus belle avenue du monde”, véritable vitrine du luxe capitaliste.
Ce mouvement des “gilets jaunes”, est aussi infiltré, même si ce n’est pas massivement, par l’idéologie du populisme. Un mouvement “inédit”, “protéiforme”, qui se dit contre les partis politiques, dénonçant l’inertie des syndicats et… soutenu depuis le début par Marine Le Pen ! Ce n’est pas un malheureux hasard, ou le fruit d’un petit groupe d’individus à contre-courant du mouvement, si, le 20 novembre, des “gilets jaunes”, en découvrant des migrants cachés dans un camion-citerne, les ont dénoncés à la gendarmerie. Certains manifestants ont voulu sauver ces migrants qui risquaient leur peau ainsi enfermés ; mais d’autres les ont sciemment “balancés”. Les propos tenus par certains “gilets jaunes” lors de l’arrestation filmée et diffusée donnent la nausée : “T’as le sourire enculé !”, “Quelle bande d’enculés !”, “Ça va encore être pris sur nos impôts !”, etc.
L’ampleur de ce mouvement interclassiste s’explique par la difficulté de la classe ouvrière à exprimer sa combativité du fait de toutes les manœuvres syndicales de sabotage des luttes (comme on l’a encore vu récemment avec la longue “grève perlée” à la SNCF).. C’est pour cela que le mécontentement contre les syndicats qui existe au sein de la classe ouvrière est récupéré par ceux qui ont lancé le mouvement. Ce que beaucoup de supporters du mouvement des “gilets jaunes” veulent faire passer, c’est que les méthodes de lutte des salariés (grève, assemblées générales souveraines et manifestations massives, comités de grève…) ne mènent à rien. Il faut donc faire confiance maintenant aux petits patrons (qui protestent contre les taxes et l’augmentation des impôts) pour trouver d’autres méthodes de lutte contre “la vie chère” et rassembler tout le “peuple de France” !
Beaucoup d’ouvriers en “gilets jaunes” reprochent aux syndicats de ne pas “faire leur boulot”. Maintenant on voit la CGT essayer de rattraper le coup en appelant à une nouvelle “journée d’action” pour le 1er décembre. On peut être sûr que la CGT et les autres syndicats vont encore “faire leur boulot” d’encadrement de la combativité ouvrière pour empêcher tout mouvement spontané sur un terrain de classe.
De nombreux ouvriers se sont mobilisés contre la pauvreté, les attaques économiques incessantes, le chômage, la précarité de l’emploi… Mais en rejoignant les “gilets jaunes”, ces ouvriers se sont momentanément égarés, ils se sont mis à la remorque d’un mouvement menant dans une impasse.
La classe ouvrière doit défendre ses conditions de vie sur son propre terrain, en tant que classe autonome, contre l’union sacrée de tous les “anti-Macron” qui manipulent la colère des “gilets jaunes” pour rafler le maximum de voix aux élections ! Elle ne doit pas déléguer et confier sa lutte ni à des couches sociales réactionnaires, ni aux partis qui prétendent la soutenir, ni aux syndicats qui sont ses faux amis. Tout “ce joli monde”, chacun avec son credo, occupe et quadrille le terrain social pour empêcher la lutte de classe autonome des prolétaires de s’affirmer.
Quand la classe ouvrière s’affirme comme classe autonome en développant une lutte massive, sur son propre terrain de classe, elle entraîne derrière elle une partie de plus en plus large de la société, derrière ses propres méthodes de lutte et ses mots d’ordre unitaires, et finalement son propre projet révolutionnaire de transformation de la société. En 1980, en Pologne, un immense mouvement de masse était parti des chantiers navals de Gdansk suite à l’augmentation des prix des denrées de première nécessité. Pour affronter le gouvernement et le faire reculer, les ouvriers s’étaient regroupés, ils s’étaient organisés en tant que classe face à la bourgeoisie “rouge” et son État stalinien.(10) Les autres couches de la population avaient largement rejoint cette lutte massive de la classe exploitée.
Quand le prolétariat développe sa lutte, ce sont les assemblées générales massives, souveraines et ouvertes à “tout le monde” qui sont au cœur du mouvement, des lieux où les prolétaires peuvent ensemble s’organiser, réfléchir aux mots d’ordre unitaires, à l’avenir. Il n’y a alors pas de place pour le nationalisme mais, au contraire, les cœurs vibrent pour la solidarité internationale car “Les prolétaires n’ont pas de patrie”.(11) Les ouvriers doivent donc refuser de chanter la Marseillaise et d’agiter le drapeau tricolore, le drapeau des versaillais qui ont assassiné 30 000 prolétaires lors de la Commune de Paris en 1871 !
Aujourd’hui, la classe exploitée a une difficulté à se reconnaître comme classe, et comme seule force de la société capable de développer un rapport de force en sa faveur face à la bourgeoisie. La classe ouvrière est la seule classe de la société capable d’offrir un avenir à l’humanité, en développant ses luttes, sur son propre terrain, au-delà de toutes divisons corporatiste, sectorielle et nationale. Aujourd’hui, les prolétaires bouillent de colère mais ils ne savent pas comment lutter pour défendre leurs conditions d’existence face aux attaques croissantes de la bourgeoisie. Ils ont oublié leurs propres expériences de lutte, leur capacité à s’unir et s’organiser sans attendre les consignes des syndicats.
Malgré la difficulté du prolétariat à retrouver son identité de classe, l’avenir appartient toujours à la lutte de classe. Tous ceux qui ont conscience de la nécessité de la lutte prolétarienne doivent essayer de se regrouper, discuter, tirer les leçons des derniers mouvements sociaux, se repencher sur l’histoire du mouvement ouvrier et ne pas céder aux sirènes, en apparence radicales, des mobilisations “citoyennes”, “populaires” et interclassistes de la petite-bourgeoisie !
“L’autonomie du prolétariat face à toutes les autres classes et couches de la société est la condition première de l’épanouissement de sa lutte vers le but révolutionnaire. Toutes les alliances, et particulièrement celles avec des fractions de la bourgeoisie, ne peuvent aboutir qu’à son désarmement devant son ennemi en lui faisant abandonner le seul terrain où il puisse tremper ses forces : son terrain de classe” (Plateforme du CCI)12
Révolution Internationale, Organe de presse du CCI en France, 25 novembre 2018
1Témoignage recueillis par les militants du CCI sur les Champs-Élysées.
2“Les gilets jaunes, un mouvement inédit dans l’histoire française”, Le Parisien (24 novembre 2018).
3Cette idée est omniprésente sur les réseaux sociaux.
4Titre décerné aux Champs-Élysées.
5Il faut souligner que ce n’est, en général, pas de façon directe qu’un tel message est passé mais de façon “subliminale” : sur BFM-TV, par exemple, pendant que les journalistes et “spécialistes” insistent sur le fait qu’il faut distinguer les “vrais gilets jaunes” des “casseurs”, on passe en boucle les images des dégradations sur les Champs Élysées.
6Les détériorations sont surtout liées à la construction de barricades de fortune à partir du mobilier urbain et aux projectiles tirés par la police.
7Sur les Champs-Élysées, on a pu même entendre un “gilet jaune” affirmer qu’il “faut faire avec Macron comme la Résistance avec les Boches, le harceler tous les jours jusqu’à son départ”.
8Y compris le NPA et LO.
9Seul le monde syndical a fortement critiqué les “gilets jaunes”, tout comme les “gilets jaunes” rejettent pour une très grande partie toute emprise syndicale.
10Voir notre article dans la Revue Internationale n° 27, “Notes sur la grève de masse [8]”.
11L’un des principaux slogans des Indignés en 2011 était ainsi “De la place Tahrir à la Puerta del sol”, soulignant ainsi le sentiment des manifestants en Espagne d’être liés à ceux qui se mobilisaient quelques semaines auparavant dans les pays arabes, au péril de leur vie.
12Plateforme du CCI : https://fr.internationalism.org/plateforme-cci [9]
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/gilets-jaunes
[2] https://www.francebleu.fr/infos/societe/gilets-jaunes-en-alsace-portrait-du-porte-parole-d-obernai-1543593239
[3] https://fr.internationalism.org/files/fr/18-12-12_-_violences_policieres_emeutes.pdf
[4] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france
[5] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[6] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract.pdf
[7] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/interventions
[8] https://fr.internationalism.org/rinte27/greve.htm
[9] https://fr.internationalism.org/plateforme-cci