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ICConline - octobre 2018

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Corruption et attaques contre les conditions de vie des travailleurs au Pérou

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Nous publions ci-dessous la traduction d’un tract diffusé par nos camarades au Pérou.

Une fois de plus, nous, les ouvriers, sommes victimes et témoins du vrai visage de la classe politique péruvienne, considérée comme l’une des pires dans la région et dans le monde. Cette mafia est composée, entre autres, des voleurs d’ARPA,(1) des Fujimoristes,(2) de ce qui reste des partisans de PPK,(3) de ceux du parti APP(4) qui revendiquent cyniquement “l’argent comme terrain de jeu”, et bien sûr, des ineffables partis de la gauche du capital (qui vont du Frente Amplio et du Nuevo Perú jusqu’aux maoïstes recyclés du Movadef).(5) Tous, sans exception, sont les produits de la décadence du capitalisme et de sa phase actuelle de décomposition. Non seulement ils se sont révélés assoiffés d’argent comme l’a révélé le Lava jato(6) mais maintenant aussi avec la mise à jour des honteuses “conversations enregistrées”, emplies de témoignages sur les privilèges et les pots-de-vin en faveur des juges et des procureurs. Ces scandales sont la preuve la plus grossière du déclin du système capitaliste ainsi que de la démocratie et ses institutions.

La démocratie, avec ses élections et ses caquètements sur les droits des citoyens, n’est rien d’autre que la dictature du capitalisme sur le prolétariat, la légalisation de l’exploitation des ouvriers par les capitalistes ; c’est la vraie et horrible face d’un ordre social que la presse nous vend comme le meilleur du monde.

Toute cette pourriture que nous voyons aujourd’hui fait partie de la décomposition du capitalisme.(7) La fameuse corruption n’est pas un “défaut”, cela fait partie intégrante de l’ordre social bourgeois, et cela ne se “guérit” pas ni ne se “nettoie” avec de nouvelles élections, en réclamant la dissolution du parlement, en demandant “qu’ils s’en aillent tous” ou en organisant des marches citoyennes appelant à réformer la justice, autant de propositions utopiques et petites-bourgeoises que nous vendent les collectifs de citoyens, la gauche, les syndicats, IDL(8) et les ONG, et qui ne vont pas à la racine du problème. Le vrai problème n’est pas quelques “pommes pourries”. C’est le système dans son ensemble qui est bouffé par les mites et qui craque un peu plus à chaque scandale découvert. La seule solution, c’est la destruction du capitalisme par son ennemi historique, la classe ouvrière, les travailleurs conscients et auto-organisés politiquement, porteurs d’une autre société, sans exploiteurs ni exploités, où la pourriture politique cessera enfin d’exister et où prendront fin toutes les souffrances auxquelles l’ordre actuel nous soumet.

L’attaque contre les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière

La bourgeoisie n’a pas laissé échapper l’occasion, à travers le parlement, d’approuver ou maintenir les lois ayant permis de générer tant de profits depuis les années 1990, au détriment de la surexploitation des travailleurs agricoles ou de l’agro-industrie par exemple. Mais comme l’économie ne s’est pas développée comme l’espérait le président Vizcarra, il s’agit maintenant de faire payer aux travailleurs les conséquences de la crise et le déficit fiscal à travers la hausse de l’ISC(9) et du prix de l’essence qui sont une attaque directe de l’État et de la bourgeoisie contre les ouvriers et leurs conditions de vie déjà très mauvaises et précaires. L’inflation et la hausse du chômage sont les conséquences de la crise.

La réponse du prolétariat et le bas niveau de la conscience

À Arequipa, Puno et Cajamarca, la population a bloqué les routes et paralysé les commerces. A Lima des grèves se sont développées dans différents secteurs (éducation, santé, industrie). Dans ce scénario de confrontation, la bourgeoisie péruvienne a mobilisé son appareil d’État et a joué à nous diviser en jetant dans la balance tous les instruments politiques et syndicaux permettant de contenir le mécontentement des travailleurs. Par exemple, tandis que le gouvernement réprimait les manifestations à coups de gaz lacrymogènes, les centrales syndicales se réunissaient au Palais du gouvernement avec Vizcarra. À côté de ça, la lutte s’est poursuivie cependant, bien qu’il n’y ait pas eu de réponse profonde et efficace de la classe ouvrière contre ses exploiteurs. Notre classe, continue d’être la proie de l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise, à travers une situation d’extrême faiblesse et de manque d’organisation consciente non seulement au Pérou mais au niveau planétaire. Mais cette situation ne sera pas éternelle comme le souhaiteraient les hommes politiques et les idéologues du capitalisme. Le cas des ouvriers en Russie et de leurs Soviets en 1917 ou le resurgissement des luttes ouvrières de Mai 1968 sont des exemples historiques dont on peut tirer des leçons, et face à l’épais brouillard de la décomposition sociale, le grand navire de la classe ouvrière mondiale ne peut que continuer à avancer en se battant pour l’avenir.

Ouvriers ! Voici ce qui doit servir de boussole pour nos luttes :

– Mobilisons-nous contre toutes les attaques contre nos conditions de vie et contre le paquet de mesures prises par le gouvernement. Que personne ne reste à la maison ! Gagnons la rue !

– Organisons-nous pour diriger nous mêmes nos luttes à travers des Assemblées générales ouvertes à tous (ouvriers, étudiants, chômeurs, retraités) !

– Solidarité avec tous les travailleurs en grèves, rompons l’isolement et le corporatisme ! Toute lutte ouvrière est aussi la nôtre.

– Non à la xénophobie qui se développe contre nos frères vénézuéliens ! Eux aussi ce sont des ouvriers, des prolétaires, qui sont arrivés en fuyant le cauchemar chaviste et qui sont et seront avec nous dans les luttes contre le capital et son État.

Internationalismo, section du Courant Communiste International au Pérou.

 

1APRA : Alliance populaire révolutionnaire américaine, un parti bourgeois fondé par Victor Haya de la Torre qui dans sa démagogie a flirté avec le stalinisme. Actuellement en train de se décomposer.

2Fujimoristes : membres du parti représenté par Alberto Fujimori, un parti initialement appelé Cambio 90, qui est actuellement dirigé par la fille d’Alberto, Keiko Fujimori.

3PPK : Pedro Pablo Kuzinsky, président du Pérou qui a démissionné pour corruption début 2018 [1].

4César Acuña Peralta, homme d’affaire et politicien péruvien, fondateur du parti APP (Alliance Pour le Progrès), ancien maire de Trujillo (2007-2014) visé par des accusations de blanchiment d’argent. Il est notamment convaincu d’avoir acheté ses élections en payant ses votes et en les recrutant auprès les masses les plus déshéritées. Il revendique lui-même la devise “l’argent comme terrain de jeu” pour la gestion et la transformation du pays. C’est pourquoi il est au centre des campagnes anti-corruption qui le désignent comme bouc-émissaire.

5Movadef : Mouvement pour l’amnistie et les droits fondamentaux, est le bras politique du groupe terroriste Sentier lumineux.

6La Commission Lava Jato est une commission d’enquête nommée au sein du parlement péruvien, qui enquête sur les actes de corruption parmi les hauts fonctionnaires de l’État, par exemple ceux liés à des grandes entreprises brésiliennes comme Odebrecht.

7Voir les Thèses sur la décomposition [2].

8IDL : Instituto de Defensa Legal, association pour la défense des droits de l’homme, qui se présente comme championne de la démocratie et du respect de la légalité et des institutions.

9 ISC : Taxe sélective à la consommation qui est un impôt indirect qui, contrairement à la TVA, ne taxe que certains biens (il s’agit d’une taxe spécifique) ; l’un de ses objectifs est de décourager la consommation de produits supposés générer des “effets négatifs” sur le plan individuel, social et environnemental, comme les boissons alcoolisées, les cigarettes et les carburants.

 

 

Géographique: 

  • Pérou [3]

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Situation internationale

Irak: manifestations contre le rouleau-compresseur de la guerre

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Dans une région marquée par la guerre impérialiste et les divisions sectaires, les manifestations sociales récentes en Iran, Jordanie et Irak mettent en avant la nécessité pour le prolétariat au niveau mondial de construire une autre perspective : celle de la lutte unie des exploités contre le capital et sa violence brutale. Cet article, écrit par un sympathisant proche du CCI, examine les manifestations massives qui ont balayé l’Irak.

Débutant le 8 juillet, un bon nombre de protestations spontanées ont éclaté en Irak central et dans le sud du pays, impliquant des milliers de manifestants. Ce mouvement s’est répandu très rapidement dans huit provinces méridionales et, environ quinze jours plus tard, dans les rues de Bagdad. Il prenait le relais de manifestations significatives en Jordanie et en Iran exactement sur les mêmes questions. Le mouvement en Irak devait être au courant de ces manifestations et inspiré par elles, étant données leurs similitudes fondamentales.

La classe ouvrière en Irak est numériquement et généralement plus faible que dans les deux autres pays et bien qu’il y ait des rapports sur des rencontres de manifestants et d’ouvriers du pétrole, le contenu et le contexte de ces rassemblements ne sont pas connus. Mais les forces motrices des manifestations sont des questions de classe :

  • Le chômage : personne ne fait confiance aux taux officiels de 18% de chômeurs chez les jeunes, alors que plus de 400 000 jeunes débarquent sur le marché du travail chaque année, avec peu de perspective de trouver un emploi;
  • Le manque de service de base : la chaleur de 50°C a encore plus accru la misère suite aux restrictions et aux coupures d’électricité, qui n’est disponible que pendant une petite partie de la journée et cela en dépit des 40 milliards alloués depuis 2003 à la reconstruction du réseau du pays;
  • La santé : les cancers et d’autres graves maladies congénitales du cerveau et du corps chez les enfants s’accroissent en Irak (1). Depuis 2009, l’agence Reuters a rapporté que beaucoup de familles faisaient des choix terribles de laisser mourir leurs enfants. Le manque de moyens face à ces graves situations se manifeste à tous les niveaux de soins de santé en Irak ;
  • L’eau : comme les manifestants en Jordanie et en Iran (où, dans le sud, les militaires siphonnent de grandes quantités pour alimenter leur agribusiness), les manifestants ont réclamé l’accès à l’eau potable. La revendication de cette nécessité fondamentale qu’est l’eau potable, montre une convergence de questions économiques et écologiques dans les manifestations (2) ;
  • Les loyers élevés et les salaires non payés (Rudaw Media, 20 juillet 2018) ;
  • La corruption et le copinage ; comme en Jordanie et en Iran, ce sont des éléments essentiels de l’économie de guerre et ceux qui prospèrent là-dessus encourent l’indignation des masses car les conditions de vie déclinent à travers le pays. Ceux qui protestent ont aussi dénoncé “la fraude électorale”.

Le religieux chiite le plus vieux d’Irak, Ali al-Sistani, a pressé le gouvernement d’accepter les revendications des manifestants. Un “soutien” analogue des protestations est venu du religieux populiste chiite, Muqtada al-Sadri (3), qui a gagné les élections du 12 mai (sujettes à un nouveau décompte) avec l’aide du stalinien Parti communiste iranien. Le premier ministre du Parti islamique Dawa, Haider al-Abadi, a promis des fonds et projette de répondre aux protestataires. Même les Saoudiens, flairant une occasion de contrer l’influence iranienne, ont promis de “l’aide”.

Les bâtiments municipaux et gouvernementaux n’ont pas été les seules cibles des attaques des manifestants, mais l’ont été aussi les institutions chiites, ce qui était un démenti à leur “soutien” hypocrite à la vague de manifestations. Le populiste radical, Al-Sadr, a vu sa délégation auprès des manifestants attaquée et éconduite. Chaque institution chiite majeure a été rejetée et ses bureaux attaqués. Ce qui rend cela même plus important, c’est que les attaques sont venues de leurs propres rangs au cœur des zones chiites, avec les manifestants qui utilisaient ironiquement le terme “Séfévides” pour décrire leurs leaders, une expression se référant aux dynasties chiites du passé souvent utilisée comme une injure par les Sunnites. Les avions iraniens ont été pillés à l’aéroport de la ville sainte chiite, Najaf, et le quartier général de la milice pro-iranienne, y compris les Unités de Mobilisation Populaire ont été ciblées et brûlées en même temps que les bureaux du gouvernement. Selon le Kurdistan News 24, du 14 juillet 2018, l’armée régulière irakienne s’est jointe aux manifestants au moins dans une province. Quand les manifestations ont fait un pas de plus et ont touché Bagdad, le Middle East Eye, du 19 juillet 2018 rapporte que le slogan “ni Sunnite, ni Chiite, laïc, laïc !” venait de foules massives.

Le premier Ministre Al-Abadi a renvoyé un ministre et quelques officiels et a promis des réformes mais la réponse dominante de l’État a été la répression, les encerclements, les arrestations et la torture, alors que des manifestations ultérieures ont vu la libération des détenus. Le gouvernement a déclaré “l’état d’urgence” et a imposé très tôt un blocage d’Internet, et les gaz lacrymogènes, les canons à eau et les munitions réelles ont été utilisées contre les manifestants et des unités anti-terroristes ont été mobilisées contre les manifestants à Bagdad, impensable sans le feu vert du haut commandement américain et britannique dans “la zone verte”. Quatorze personnes au moins ont été tuées, 729 blessées, selon Human Rights Campaign du 20 juillet 2018. Mais les manifestations, qui ont duré pendant trois semaines, ont continué jusqu’au ce week-end du 28/29 juillet, quand les forces de sécurité ont attaqué les manifestants à l’extérieur du conseil provincial et du domaine pétrolier de Qurna, Basra.

Comme en Iran et comme en Jordanie, ces émeutes sont dirigées contre une économie de guerre et tous ses déchets parasites. Comme en Iran et comme en Jordanie, les manifestations de 2018 ont été plus étendues et plus profondes que les explosions précédentes (en 2015 dans le cas de l’Irak), et il est tout à fait clair que les leaders religieux ont un peu moins d’influence. Les promesses du gouvernement et l’influence des leaders religieux perdent de leur emprise quand le prolétariat et les masses combattent pour leurs propres intérêts contre le capital et son économie de guerre.

Baboon, 30 juillet 2018

 

1 Une bonne partie de cet empoisonnement de masse provient des bombardements de la coalition États-Unis/Grande-Bretagne, et particulièrement à travers la propagation d’uranium appauvri. Les niveaux les plus élevés de dommages et de difformités se situent dans les endroits les plus bombardés : Fallujah et Basra. À Londres, le ministre de la défense utilise la vieille ligne de conduite selon laquelle : “il n’y a pas de preuve”, et les politiciens britanniques qui sont prompts à dénoncer les attaques chimiques des autres, n’ont rien à dire sur leurs propres atrocités.

2 Ce n’est pas seulement au Moyen-Orient qu’il y a un manque d’eau potable ; selon l’Agence de protection de l’Environnement américaine, plus de cinq millions d’Américains sont susceptibles de boire de l’eau qui contient des toxines à des taux supérieurs à ceux tolérés. À un niveau plus large, si Trump a en général rejeté la réalité du changement climatique, le Pentagone ne l’a pas fait, et, entièrement dans les intérêts de l’impérialisme américain, il voit cela, y compris les restrictions d’eau, comme un danger potentiel.

3 Al-Sadr a été vendu par l’Occident comme “le nouveau visage de la réforme”. (New York Times, 20 mai 2018)

Géographique: 

  • Irak [4]

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Situation internationale

La terreur d’État s’impose au Nicaragua et étend le chaos dans la région

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Le 8 septembre dernier, le régime sandiniste de Daniel Ortega a mobilisé ses partisans pour célébrer le “septembre victorieux” parce qu’il a pu déjouer, selon lui, une “tentative de coup d’État”. Cette victoire du régime a laissé des séquelles terribles : environ 450 morts,(1) des dizaines de disparus, des milliers de blessés, des centaines de détenus et l’exode de milliers de Nicaraguayens. C’était le corollaire de cinq mois de protestations contre les mesures anti-ouvrières et la répression féroce, similaire ou pire que celles subies sous la dictature de Somoza.(2)

Ces morts ne sont pas seulement imputables au régime d’Ortega et de ses sbires, qui ont fait le sale boulot de pourchasser, blesser, tuer ou emprisonner la population, principalement des jeunes. Ils sont également imputables au clergé et aux capitalistes privés (anciens alliés du régime), ainsi qu’aux forces politiques de l’opposition regroupées dans l’Alliance civique pour la justice et la démocratie, qui ont noyé et contenu le mouvement en encourageant un “dialogue national” avec le gouvernement, tout en armant sa stratégie sanglante de répression. De même, la soi-disant communauté internationale a aussi sa part de responsabilités, puisqu’elle apporte son soutien aux diverses factions bourgeoises en conflit au sein du capital nicaraguayen : certaines, comme l’ONU, l’OEA, l’UE, le Groupe de Lima, les États-Unis, qui ont nourri (et continuent à nourrir) les illusions de solutions démocratiques et électorales à la crise politique ; d’autres, comme la Russie, la Chine, Cuba, la Bolivie et les autres pays se déclarant “ennemis de l’impérialisme yankee” qui cachent leur soutien au sandinisme(3) en prétendant que la situation au Nicaragua est une question de “politique intérieure”.

La situation de la population nicaraguayenne est dramatique ; elle est soumise aux accords qui peuvent être conclus entre les bureaucrates bourgeois sandinistes qui contrôlent l’État et les capitalistes privés. Aujourd’hui, sous la terreur de l’État, le régime sandiniste a la possibilité d’imposer les mesures anti-ouvrières qu’il a tenté d’appliquer en avril dernier. Face à cette barbarie, la seule option qui s’offre au prolétariat nicaraguayen est de combattre sur son propre terrain de classe, d’affronter les factions du capital officiel et de l’opposition et de devenir une référence pour la population exploitée. Sinon, la terreur d’État et l’émigration massive seront imposées ; une situation similaire à celle que connaissent actuellement des pays comme le Venezuela, la Syrie ou plusieurs pays africains.

Les mobilisations anti-gouvernementales récupérées par le clergé et les capitalistes privés

Les manifestations ont commencé le 18 avril 2018 avec l’annonce d’un décret modifiant la loi sur la sécurité sociale qui augmente les cotisations des assurés, augmente les cotisations patronales et réduit les pensions des retraités, qui est entré en vigueur le 19 avril. Dans un article publié sur notre site Internet, nous décrivions et analysions les événements.(4) Nous disions qu’au moment même où les protestations ont commencé, le Conseil supérieur de l’entreprise privée (COSEP) avait fait une déclaration qualifiant la réforme de forme “d’impôt supplémentaire” et garantissant que cette mesure entraînerait une augmentation du chômage et une diminution des salaires…

L’indignation face à l’agression des organes de répression et de l’armée sandiniste contre les étudiants et les retraités a généré un mécontentement général parmi la population exploitée et précaire, qui a réagi spontanément en descendant dans la rue. Dans l’article précité, nous dénoncions comment le capital privé et l’Église s’étaient unis pour contrôler et noyer la mobilisation : le 21 avril, la COSEP avait appelé une marche pour le 23. Il faut rappeler qu’Ortega a annoncé l’abrogation du décret le 22, afin d’apaiser le mécontentement social, mais cela n’a pas empêché la marche appelée par les hommes d’affaires de rassembler des dizaines de milliers de personnes… L’Église catholique, avec sa grande influence, avait joué un rôle encore plus actif dans la “critique” du gouvernement. Elle appelait à participer à une manifestation le 29 avril qui aura été la plus massive enregistrée et où les revendications contre l’attaque sur les pensions ont été laissées à l’arrière-plan pour mettre en avant l’appel à la “réconciliation nationale”, à la “démocratisation”, au “dialogue”, etc.

L’entrée en lice sur le terrain politique des “critiques” du COSEP ou de l’Église catholique n’a pas signifié un renforcement du mouvement mais bien une manœuvre pour y mettre fin. Ce qu’Ortega et ses bandes armées n’ont pas réussi à réaliser avec leur répression sanglante a été réalisé par le COSEP et surtout par l’Église catholique avec ses appels “à l’apaisement des tensions sociales”. On peut dire que le capital a utilisé ses “deux mains” pour briser la protestation : l’une était la main meurtrière du FSLN,(5) l’autre la “main secourable” de l’Église.

L’article montrait aussi les faiblesses du prolétariat nicaraguayen, qui s’est laissé piéger derrière les factions bourgeoises dans leurs luttes entre fractions officielles et d’opposition, et derrière les menées nationalistes de ces factions comme celles de la petite bourgeoisie.

La situation au Nicaragua est un exemple dans la région, avec celle du Venezuela, d’une part de l’incapacité des classes dirigeantes à trouver un terrain d’entente minimum pour gouverner ; et, d’autre part, de l’incapacité de la classe ouvrière à servir de référence aux masses exploitées pour sortir de la barbarie imposée par un capitalisme en décomposition.

L’accentuation de la crise économique en toile de fond

Cette année encore, le régime a réformé le système des pensions en raison de l’aggravation de la crise économique au Nicaragua. Le régime d’Ortega ne bénéficie plus de l’aide économique que le régime de Chavez lui avait fournie depuis 2008, qui était venue apporter un ballon d’oxygène à la faible économie de ce pays, par l’incorporation du Nicaragua aux pays de l’ALBA,(6) une alliance de pays créée à l’initiative de Cuba et du Venezuela pour s’opposer à l’ALCA(7) (promue par les États-Unis pour préserver son influence en Amérique latine). Par le biais de divers accords, le régime Chavez, en plus de fournir du pétrole subventionné, a contribué pour plus de quatre milliards de dollars au régime sandiniste. On estime qu’un tiers de ces ressources a servi à financer des programmes sociaux, qui ont servi au FSLN pour le contrôle social et apporter un soutien massif au régime sandiniste.

À partir de 2014, après la mort d’Hugo Chávez et la chute du prix du pétrole brut, les relations commerciales avec le Venezuela ont commencé à décliner, réduisant les exportations avec ce pays à zéro au cours du premier trimestre de cette année. Jusqu’à la fin de 2016, la dette accumulée par l’intermédiaire de la société ALBANISA, créé avec un apport de 51 % du capital vénézuélien, était de trois milliards de dollars, soit 24 % du PIB. Les relations commerciales ont été fortement affectées par les mesures que l’administration Trump a imposées à PDVSA, une compagnie pétrolière publique que Chávez et Maduro ont d’abord utilisée pour financer les projets impérialistes du Venezuela dans la région. Aujourd’hui, la majeure partie du pétrole est importée des États-Unis et aux prix du marché international, et non avec l’avantage que le régime sandiniste trouvait avec la “révolution bolivarienne” à travers laquelle il payait 50 % de la facture en nature.

La réforme du système des retraites, que le régime a annulée sous la pression des protestations, était un moyen de faire face aux dépenses fiscales et au paiement de la dette extérieure. Les programmes sociaux ne peuvent plus être maintenus, ce qui entraînera une détérioration du niveau de vie des masses appauvries du pays.(8) Les cinq mois de protestations ont accentué la crise économique. Les protestations ont principalement affecté le commerce, le tourisme et la construction ; on estime que le chômage a augmenté d’environ 5 %, ce qui équivaut à environ 85 000 emplois. Les projections de croissance économique ont été revues à la baisse à 1 % et il pourrait même y avoir une récession économique si la crise politique se poursuit. La ressemblance avec la situation au Venezuela n’est pas le fruit du hasard.

Il n’y a pas de différence entre le sandinisme des années 1980 et le sandinisme actuel

Suite aux protestations au Nicaragua et à la répression féroce du régime, la division qui existait déjà dans les rangs du FSLN s’est accentuée. Plusieurs des dirigeants sandinistes qui ont combattu aux côtés d’Ortega contre la dictature Somoza et ont fait partie de son premier gouvernement (1984-1990), le dénoncent aujourd’hui et le considèrent comme un traître aux idéaux du sandinisme original en disant qu’ “il n’est plus un gouvernement progressiste et de gauche”, etc.(9)

En fait, après avoir perdu les élections du FSLN en 1990, Daniel Ortega a mené un processus de lutte qui l’a amené à désorganiser le Front et à ériger une faction dominante, écartant d’autres dirigeants qui l’avaient éclipsé. Il a développé des alliances avec le Parti libéral d’Arnoldo Alemán, avec l’Église et a consolidé un contrôle des organisations sociales sous la bannière du FSLN. Il a ainsi jeté les bases d’une nouvelle présidence en 2006 et s’est maintenu au pouvoir depuis, avec l’appui de Cuba et de la “Révolution bolivarienne” de Chávez.

C’est un gros mensonge de prétendre qu’il y a deux visages du sandinisme.

Certains critiques d’Ortega l’accusent d’avoir pratiqué une vaste opération de “coup de balai” comme l’a fait la dictature de Somoza contre la population. En fait, la gauche et les organisations gauchistes utilisent les mêmes ressources que la droite pour soumettre le prolétariat et la population ; la seule différence réside dans l’utilisation d’un verbiage “révolutionnaire”, au nom du “marxisme-léninisme”, qu’elles déclarent “anti-impérialiste " car elles” sont opposées aux États-Unis, mais en même temps elles s’acoquinent et pactisent avec d’autres puissances ou pays impérialistes, comme l’avait fait le FSLN en 1982 à travers ses accords conclus avec l’URSS.

L’accentuation de la décomposition dans les rangs des partis et organisations de la bourgeoisie au niveau mondial, qu’ils soient de droite ou de gauche, s’exprime dans les régimes de gauche comme ceux du Venezuela, de Cuba, du Nicaragua, de Syrie, de Chine, de Corée du Nord, comme le fait le sandinisme aujourd’hui. Le prolétariat et sa lutte doivent mettre fin au mythe de l’existence d’une prétendue gauche révolutionnaire dont la meilleure définition est d’être la gauche du capital.

L’aggravation du chaos et des migrations forcées

La situation au Nicaragua aggrave la situation régionale. Les mesures américaines contre les hauts dirigeants du régime sandiniste et les blocus financiers, en plus d’être utilisées par le régime pour unifier ses partisans et rejeter la responsabilité de la crise politique et économique sur les États-Unis, se retournent contre la population et deviennent un facteur aggravant de la crise. D’autre part, la menace de ne pas écarter les options militaires (comme c’est le cas au Venezuela) aide plutôt ces mêmes dirigeants à asseoir leur pouvoir en se faisant passer pour des victimes afin d’obtenir un soutien aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Cette situation est mise à profit par des puissances impérialistes comme la Chine, la Russie, Cuba, le Venezuela, l’Iran, etc. pour intervenir, afin de perturber l’arrière-cour des États-Unis.

Le chaos et l’émigration,(10) causés non seulement par la terreur d’État ou les menaces de guerre civile, mais aussi par la crise économique, progressent.

Les perspectives

En raison de l’aggravation de la crise économique et de l’affrontement politique, l’évolution de la situation devient encore plus compliquée. Les accords entre les factions du capital ont été rompus. Les manifestations de force du régime sandiniste le placent dans une situation où il peut imposer des mesures pour tenter d’atténuer la crise économique. D’autre part, comme dans le cas du Venezuela, il existe une forte probabilité que le blocus financier contre le régime s’accentue.

Cette situation représente un énorme défi pour le prolétariat nicaraguayen et mondial, car elle entraînera une accentuation des mesures contre les conditions de vie de la classe ouvrière déjà précaire. La capacité de réponse du prolétariat est minée à la fois par la bipolarisation politique de la bourgeoisie et par sa faiblesse historique. D’autre part, les émigrations sont utilisées par des secteurs de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie pour attaquer la solidarité et en particulier celle qui doit exister entre prolétaires. Nous voyons déjà des manifestations de xénophobie au Costa Rica. Ce scénario terrible signifie une accentuation du chaos dans la région qui ne peut qu’accentuer la pauvreté chronique de la région et risque de déstabiliser ce pays qui, jusqu’à présent, a été le moins agité de la région d’Amérique centrale.

La situation au Nicaragua, qui rejoint celle du Venezuela, de la Syrie et d’autres pays, soulève l’urgence avec laquelle le prolétariat doit reprendre sa lutte sur son terrain de classe à l’échelle internationale pour qu’elle serve d’incitation à développer les conditions qui lui permettront à terme de détruire les conditions d’exploitation de ce système capitaliste en décomposition qui plonge l’humanité dans la misère et la barbarie.

Revolucion Mundial, section du CCI au Mexique (25 septembre 2018)

 

1Selon la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), le nombre de tués au cours de ces cinq mois d’affrontements serait de 322, plus de 450 d’après les organisations humanitaires ; 198 selon le gouvernement.

2Anastasio Somoza Debayle qui a exercé le pouvoir entre 1967 et 1979, est le dernier représentant d’une famille de dictateurs qui a érigé un pouvoir absolu pendant plus de 40 ans sur le pays (depuis 1937) à travers une féroce répression contre l’opposition comme sur l’ensemble de la population.

3Le “mouvement sandiniste” se réclame d’Augusto Sandino (1895-1934) qui avait pris la tête en 1927 d’un petit mouvement nationaliste anti-américain, l’Armée de Défense de la Souveraineté Nationale, après l’intervention militaire des États-Unis, pratiquant la guérilla (recrutant ses troupes parmi les paysans pauvres) et refusant de déposer les armes contre le gouvernement conservateur soutenu par les États-Unis. Son assassinat par la Garde nationale de l’aîné de la dynastie Somoza en a fait un héros des “luttes de libération nationale” du XXe siècle et sa “tactique de guérilla” un modèle de référence pour tous les gauchistes.

4Voir notre article en espagnol “El abril sangriento de Nicaragua : Sólo la lucha autónoma del proletariado puede acabar con la explotación y la barbarie represiva [5]”.

5Front sandiniste de Libération nationale : organisation politico-militaire fondée en 1961 préconisant la lutte armée sous forme de guérilla contre la dictature des Somoza, qui a pris le pouvoir en 1979 puis en a été évincé lors des élections de 1990. Cette coalition regroupant trois grandes tendances rivales a été reprise en mains par Daniel Ortega qui est parvenu à coups d’intrigues et de nouvelles alliances à revenir au pouvoir depuis 2006.

6Alianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique) créée en 2004.

7Área de Libre Comercio de las Américas (Aire de libre-échange des Amériques) en fonction des accords signés en 1994.

8Entre 29,6 %, selon la Banque mondiale et 40 %, d’après la Banque Interaméricaine de Développement (BID) de la population au Nicaragua vit sous le seuil de pauvreté et le dénuement (définie comme extrême pauvreté) affecte 14,6 % d’entre elle, selon la BID.

9Ces “critiques” sont notamment relayées par l’écrivain nicaraguayen Sergio Ramirez.

10Selon l’ONU, 23 000 Nicaraguayens se sont enfuis au Costa Rica depuis avril dernier.

Géographique: 

  • Amérique Centrale et du Sud [6]

Rubrique: 

Situation internationale

Le legs dissimulé de la gauche du capital (I): Une fausse vision de la classe ouvrière

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L’un des fléaux qui affectent les organisations révolutionnaires de la Gauche communiste est le fait que beaucoup de leurs militants sont passés auparavant par des partis ou des groupes de gauche et d’extrême gauche du capital (PS, PC, trotskisme, maoïsme, anarchisme officiel, la soi-disant “nouvelle gauche” de Syriza ou Podemos). Cela est inévitable pour la simple raison qu’aucun militant ne naît avec une clarté d’emblée toute faite. Cependant, cette étape lègue un handicap difficile à surmonter : il est possible de rompre avec les positions politiques de ces organisations (syndicalisme, défense de la nation et du nationalisme, participation aux élections, etc.), mais il est beaucoup plus difficile de se débarrasser des attitudes, des modes de pensée, des façons de débattre, des comportements, des conceptions que ces organisations inoculent de force et qui constituent leur mode de vie.

Cet héritage, que nous appelons le legs dissimulé de la gauche du capital, contribue à provoquer au sein des organisations révolutionnaires des tensions entre camarades, de la méfiance, des rivalités, des comportements destructeurs, des blocages du débat, des positions théoriques aberrantes, etc. qui, combinées à la pression de l’idéologie bourgeoise et de la petite bourgeoisie, leur font beaucoup de mal. L’objectif de la série que nous commençons ici est d’identifier et de combattre ce lourd fardeau.

La gauche du capital : la politique capitaliste au nom du “socialisme”

Depuis son premier congrès (1975), le CCI s’est penchée sur le problème des organisations qui prétendent se revendiquer du “socialisme” et pratiquent une politique capitaliste. La Plateforme adoptée lors de ce congrès [7], dans son point 13 met en avant : “L’ensemble des partis ou organisations qui aujourd’hui défendent, même “conditionnellement” ou de façon “critique”, certains États ou certaines fractions de la bourgeoisie contre d’autres, que ce soit au nom du “socialisme”, de la “démocratie”, de “l’antifascisme”, de “1'indépendance nationale”, du “front unique”, ou du “moindre mal”, qui fondent leur politique sur le jeu bourgeois des élections, dans l’activité anti-ouvrière du syndicalisme ou dans les mystifications autogestionnaires sont des organes de l’appareil politique bourgeois : il en est ainsi, en particulier, des partis “socialistes” et “communistes””.

Notre plateforme se concentre également sur le problème des groupes et des groupuscules qui se placent “à gauche” de ces deux grands partis, qui en font souvent des “critiques incendiaires” et adoptent les poses les plus “radicales”: “L’ensemble des courants, soi-disant révolutionnaires, tels que le maoïsme (qui est une simple variante des partis définitivement passés à la bourgeoisie), le trotskisme (qui après avoir constitué une réaction prolétarienne contre la trahison des partis communistes, a été happé dans un processus similaire de dégénérescence) ou l’anarchisme traditionnel (qui se situe aujourd’hui dans le cadre d’une même démarche politique en défendant un certain nombre de positions des partis socialistes et des partis communistes, comme, par exemple, les alliances antifascistes), appartiennent au même camp que celui du capital. Le fait qu’ils aient moins d’influence ou qu’ils utilisent un langage plus radical n’enlève rien au fond bourgeois de leur programme et de leur nature, mais en fait d’utiles rabatteurs ou suppléants de ces partis”.

Pour comprendre le rôle de la gauche et de l’extrême gauche du capital, il faut se rappeler qu’avec le déclin du capitalisme, l’État “exerce un contrôle toujours plus puissant, omniprésent et systématique sur tous les aspects de la vie sociale. À une échelle bien au-delà de la décadence romaine ou féodale, l’État de la décadence capitaliste est devenu une machine monstrueuse, froide et impersonnelle qui a fini par dévorer la substance de la société civile”.(1) Cette nature s’applique autant aux régimes à Parti unique ouvertement dictatoriaux (staliniens, nazis, dictatures militaires) qu’aux régimes démocratiques.

Dans ce cadre, les partis politiques ne sont pas les représentants des différentes classes et couches de la société, mais les instruments totalitaires de l’État pour soumettre l’ensemble de la population (et principalement la classe ouvrière) aux impératifs du capital national. Ils deviennent également la tête de réseaux clientélistes, de groupes de pression et des sphères d’influence qui mêlent l’action politique et économique et deviennent le terreau d’une corruption inéluctable.

Dans les systèmes démocratiques, l’appareil politique de l’État capitaliste est divisé en deux ailes : l’aile droite, liée aux fractions classiques de la bourgeoisie et responsable de l’encadrement des couches les plus arriérées de la population,(2) et l’aile gauche (la gauche avec les syndicats et une série d’organisations d’extrême gauche) consacrée essentiellement au contrôle, à la division et à la destruction de la conscience de la classe ouvrière.

Pourquoi les anciens partis ouvriers sont-ils devenus des partis de gauche du capital ?

Les organisations du prolétariat ne sont pas exemptes de dégénérescence. La pression de l’idéologie bourgeoise les corrode de l’intérieur et peut les conduire à un opportunisme qui, s’il n’est pas combattu à temps, aboutit à la trahison et à l’intégration dans l’État capitaliste.(3) L’opportunisme fait ce pas décisif lors d’événements historiques cruciaux de la vie sociale capitaliste : les deux moments clés, jusqu’à ce jour, ont été la guerre impérialiste mondiale et la révolution prolétarienne. Dans la Plateforme, nous essayons d’expliquer le processus qui mène à cette étape fatale : “Il en a été ainsi des partis socialistes lorsque, dans un processus de gangrène par le réformisme et l’opportunisme, la plupart des principaux d’entre eux ont été conduits lors de la Première Guerre mondiale (qui marque la mort de la IIe Internationale) à s’engager, sous la conduite de leur droite “social-chauvine”, désormais passée à la bourgeoisie, dans la politique de “défense nationale”, puis à s’opposer ouvertement à la vague révolutionnaire d’après guerre jusqu’à jouer le rôle de bourreaux du prolétariat comme en Allemagne en 1919.

L’intégration finale de chacun de ces partis dans leurs États nationaux respectifs prit place à différents moments de la période qui suivit l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Mais ce processus fut définitivement clos au début des années 1920, quand les derniers courants prolétariens furent éliminés ou sortirent de leurs rangs en rejoignant l’Internationale Communiste.

De même, les Partis communistes sont à leur tour passés dans le camp du capitalisme après un processus similaire de dégénérescence opportuniste. Ce processus, engagé dès le début des années 1920, s’est poursuivi après la mort de l’Internationale Communiste (marquée par l’adoption de la théorie du “socialisme en un seul pays” en 1928), jusqu’à aboutir, malgré la lutte acharnée de leurs fractions de gauche et après l’élimination de celles-ci, à une complète intégration dans l’État capitaliste au début des années 1930 avec leur participation aux efforts d’armement de leurs bourgeoisies respectives et leur entrée dans les “fronts populaires”. Leur participation active à la “Résistance”, durant la Seconde Guerre mondiale et à la “reconstruction nationale”, après celle-ci, les a confirmés comme de fidèles serviteurs du capital national et comme la plus pure incarnation de la contre-révolution”.(4)

En l’espace de 25 ans (entre 1914 et 1939), la classe ouvrière perdit d’abord les Partis socialistes, puis, dans les années 1920, les Partis communistes et enfin, à partir de 1939, les groupes de l’Opposition de gauche de Trotski qui ont soutenu la barbarie encore plus brutale de la Seconde Guerre mondiale. “En 1938, l’Opposition de gauche est devenue la Quatrième Internationale. C’est une aventure opportuniste car il n’est pas possible de constituer un parti mondial en situation de marche vers la guerre impérialiste et donc de défaite profonde du prolétariat. Les résultats seront désastreux : en 1939-40, les groupes de la soi-disant IVe Internationale prirent position en faveur de la guerre mondiale sous les prétextes les plus divers : la majorité soutenant la “patrie socialiste” russe, mais il y même eu une minorité soutenant la France de Pétain (elle-même satellite des nazis).

Contre cette dégénérescence des organisations trotskistes, les derniers noyaux internationalistes restants ont réagi : en particulier la compagne de Trotski et le révolutionnaire d’origine espagnole Munis. Depuis lors, les organisations trotskistes sont devenues des agences “radicales” du capital qui tentent d’attirer le prolétariat avec toutes sortes de “causes révolutionnaires” qui correspondent généralement à des factions “anti-impérialistes” de la bourgeoisie (comme le célèbre sergent Chavez d’aujourd’hui). De même, ils récupèrent les travailleurs qui sont dégoûtés du jeu électoral en les faisant voter de façon “critique” pour les “socialistes” pour ainsi “fermer le chemin à la droite”. Enfin, ils ont toujours le grand espoir de “récupérer” les syndicats par le biais de “candidatures combatives”.(5)

La classe ouvrière est capable de générer des fractions de gauche au sein des Partis prolétariens lorsqu’ils commencent à être affectés par la maladie de l’opportuniste. Ainsi, au sein des partis de la IIe Internationale, les bolcheviques, le courant de Rosa Luxemburg, le tribunisme hollandais, les militants de la Fraction abstentionniste italienne, etc., se sont distingués. L’histoire des combats menés par ces fractions est suffisamment connue parce que leurs textes et leurs contributions se sont concrétisés dans la formation de la IIIe Internationale.

Et, dès 1919, la réaction prolétarienne face aux difficultés, aux erreurs et à la dégénérescence ultérieure de la Troisième Internationale s’est exprimée dans la Gauche communiste (italienne, néerlandaise, allemande, russe, etc.) qui a conduit (avec beaucoup de difficultés et malheureusement très dispersée) à une lutte héroïque et déterminée. L’Opposition de gauche de Trotski est née plus tard et d’une manière beaucoup plus incohérente. Dans les années 1930, l’écart entre la gauche communiste (principalement son groupe le plus cohérent, Bilan, représentant de la gauche communiste italienne) et l’Opposition de Trotski est devenu plus évident. Tandis que Bilan voyait les guerres impérialistes localisées comme l’expression d’une course vers la guerre impérialiste mondiale, l’Opposition s’est empêtrée dans des divagations sur la libération nationale et le caractère progressiste de l’antifascisme. Tandis que Bilan voyait l’enrôlement idéologique pour la guerre impérialiste et l’intérêt du capital derrière la mobilisation des travailleurs espagnols vers la guerre entre Franco et la République, Trotski voyait dans les grèves de juillet 1936 en France et dans la lutte antifasciste en Espagne le début de la révolution… Cependant, le pire, c’est que, même si Bilan n’était pas encore clair sur la nature exacte de l’URSS, il était évident pour lui qu’il ne pouvait la soutenir en aucun cas et que l’URSS était un agent actif dans la guerre en préparation. Trotski, par contre, avec ses spéculations sur l’URSS comme “État ouvrier dégénéré”, ouvrait en grand les portes pour le soutien à l’URSS, ce qui fut un moyen de soutenir la deuxième boucherie mondiale de 1939-1945.

Le rôle de l’extrême gauche du capital contre la résurgence de la lutte ouvrière en 1968

Depuis 1968, la lutte prolétarienne renaissait dans le monde entier. Mai 68 en France, “l’Automne chaud” italien, le “cordobazo” argentin, l’octobre polonais, etc., sont les expressions de ce combat vigoureux. Cette lutte a fait surgir une nouvelle génération de révolutionnaires. De nombreuses minorités de la classe ouvrière surgissaient partout et tout cela constitue une force fondamentale pour le prolétariat.

Cependant, il est important de noter le rôle des groupes d’extrême gauche dans la destruction de ces minorités : le trotskisme dont nous avons déjà parlé, l’anarchisme officiel(6) et, enfin, le maoïsme. En ce qui concerne ce dernier, il faut noter qu’il n’a jamais été un courant prolétarien. Les groupes maoïstes sont nés des conflits et des guerres d’influence de type impérialiste entre Pékin et Moscou qui ont conduit à la rupture entre les deux États et à l’alignement de Pékin sur l’impérialisme américain en 1972.

On estime que vers 1970, il y avait plus de cent mille militants dans le monde qui, bien qu’avec une énorme confusion, se prononçaient en faveur de la révolution, contre les partis traditionnels de gauche (PS, PC), contre la guerre impérialiste et cherchaient à faire avancer la lutte prolétarienne en gestation. Une écrasante majorité de cet important contingent a été récupérée par cette constellation de groupes d’extrême gauche. La présente série d’articles va essayer de démonter minutieusement tous les mécanismes par lesquels ils ont exercé cette récupération. Nous parlerons non seulement du programme capitaliste drapé dans des étendards radicaux et ouvriéristes, mais aussi des méthodes d’organisation, du débat, du fonctionnement, de la morale, qu’ils ont utilisé.

Ce qui est certain, c’est que leur action a été très importante pour détruire le potentiel de la classe ouvrière pour construire une large avant-garde pour sa lutte. Les militants potentiels ont été détournés vers l’activisme et l’immédiatisme, canalisés vers des combats stériles au sein des syndicats, des municipalités, des campagnes électorales, etc.

Les résultats ont été concluants :

– La majorité a quitté la lutte profondément déçue et est tombée dans un scepticisme sur la lutte ouvrière et la possibilité du communisme ; une partie non négligeable de ce secteur est tombée dans la drogue, l’alcool, le désespoir le plus absolu ;

– Une minorité est restée en tant que troupe de base des syndicats et des partis de gauche, propageant une vision sceptique et démoralisante de la classe ouvrière ;

– Une autre minorité, plus cynique, a fait carrière dans les syndicats et les partis de gauche, et même certains de ces “gagnants” sont devenus membres des partis de droite.(7)

Les militants communistes sont un atout vital pour le prolétariat et c’est une tâche centrale des groupes de la Gauche communiste actuels, qui sont aujourd’hui les héritiers de la trajectoire de Bilan, d’Internationalisme, etc. de tirer toutes les leçons de ce qui a permis l’énorme saignée des forces militantes que le prolétariat a dû supporter depuis son réveil historique en 1968.

Une vision fausse de la classe ouvrière

Pour effectuer leur sale travail d’encadrement, de division et de confusion, les partis de gauche et d’extrême gauche propagent une fausse vision de la classe ouvrière. Elle imprègne les militants communistes en déformant leur pensée, leur conduite et leur approche. Il est donc vital de l’identifier et de la combattre.

1- Une somme de citoyens individuels

Pour la gauche et l’extrême gauche, les travailleurs ne forment pas une classe sociale antagoniste du capitalisme mais une somme d’individus. Ils sont la partie “inférieure” de la “citoyenneté”. En tant que tels, les travailleurs individuels devraient aspirer à une “situation stable”, à une “juste rétribution” pour leur travail, à un “respect de leurs droits”, etc.

Cela permet à la gauche de cacher quelque chose d’essentiel : la classe ouvrière est une classe indispensable à la société capitaliste parce que sans son travail associé, elle ne pourrait pas fonctionner, mais en même temps elle est une classe exclue de la société, étrangère à toutes ses règles et normes vitales, et c’est donc une classe qui ne peut se réaliser en tant que telle qu’en abolissant la société capitaliste de bas en haut. À la place de cette réalité, apparaît l’idée d’une classe “intégrée” qui, par des réformes et la participation aux institutions, pourrait satisfaire ses intérêts.

Cette vision dissout ensuite la classe ouvrière dans la masse amorphe et interclassiste de la “citoyenneté”. Dans un tel magma, l’ouvrier est assimilé au petit bourgeois qui l’arnaque, au policier qui le réprime, au juge qui le condamne à l’expulsion, au politicien qui le trompe et même aux “bourgeois progressistes”. Les notions de classes sociales et d’antagonismes de classe disparaissent pour faire place à la notion de citoyens de la nation, à la fausse “communauté nationale”.

Une fois que la notion de classe a été effacée de l’esprit de la classe ouvrière, la notion fondamentale de classe historique disparaît également. Le prolétariat est une classe historique qui, au-delà de la situation de ses différentes générations ou lieux géographiques, a entre les mains un avenir révolutionnaire, l’établissement d’une nouvelle société qui dépasse et résolve les contradictions qui conduisent le capitalisme à la destruction de l’humanité.

En balayant les notions vitales et scientifiques de classes sociales, d’antagonisme de classes et de classe historique, la gauche et l’extrême-gauche du capital ramènent la révolution au rang d’un vœu pieux qu’il faut laisser entre les mains “expertes” des politiciens et des Partis. Ils introduisent la notion de délégation de pouvoir, concept parfaitement valable pour la bourgeoisie, mais absolument destructeur pour le prolétariat. En fait, la bourgeoisie, une classe exploiteuse qui détient le pouvoir économique, peut confier la gestion de ses affaires à un personnel politique spécialisé qui constitue une couche bureaucratique avec ses propres intérêts dans l’enchevêtrement des intérêts du capital national.

Il n’en va pas de même pour le prolétariat, qui est à la fois une classe exploitée et révolutionnaire, qui n’a pas de pouvoir économique, mais dont la seule force est sa conscience, son unité et sa solidarité, sa confiance en soi, c’est-à-dire des facteurs qui sont radicalement détruits s’il s’appuie sur une couche spécialisée d’intellectuels et de politiciens.

Armés de cette délégation, les partis de gauche et d’extrême gauche défendent la participation aux élections comme un moyen de “bloquer le chemin de la droite”, c’est-à-dire qu’ils détruisent dans les rangs des travailleurs l’action autonome en tant que classe pour se transformer en une masse de citoyens votants. Une masse individualisée, chacun enfermé dans ses “intérêts propres”. L’unité et l’auto-organisation du prolétariat est ainsi écrasée.

Finalement, c’est ainsi que les partis de gauche et d’extrême gauche appellent le prolétariat à se réfugier entre les mains de l’État pour “atteindre une nouvelle société”. Ils réalisent ainsi le tour de passe-passe de présenter le bourreau capitaliste, l’État, comme “l’ami des ouvriers” ou “son allié”.

2- Une masse de perdants plongés dans un matérialisme vulgaire

La gauche et les syndicalistes propagent une vision matérialiste vulgaire des travailleurs. Selon eux, les travailleurs sont des individus qui ne pensent qu’à leur famille, à leur confort, à obtenir la meilleure voiture, la maison la plus luxueuse, et, noyés dans ce consumérisme, ils n’ont pas “d’idéal” de lutte, préférant rester à la maison pour regarder le football ou aller au bar avec leurs amis. Pour boucler la boucle, ils affirment qu’étant donné que les travailleurs sont endettés jusqu’au cou pour payer leurs caprices consuméristes, ils sont incapables de mener la moindre lutte.(8)

Avec ces leçons de morale hypocrite, ils transforment la lutte ouvrière, qui est une nécessité matérielle, en un idéal volontariste, alors que le communisme, but ultime de la classe ouvrière, est une nécessité matérielle en réponse aux contradictions insolubles du capitalisme.(9) Ils séparent et opposent la lutte revendicative à la lutte révolutionnaire, alors qu’il y a unité entre les deux, puisque la lutte de la classe ouvrière est, comme l’avait dit Engels, à la fois économique, politique et un combat d’idées.

Priver notre classe de cette unité conduit à la vision idéaliste d’une lutte “sale”, “égoïste” et “matérialiste” pour les besoins économiques et une lutte “glorieuse” et “morale” pour la “révolution”. Cela démoralise profondément les travailleurs qui se sentent honteux et coupables de se soucier des besoins de leur survie, ceux de leurs enfants et de leurs proches, d’être des individus rampants qui ne penseraient qu’à leurs petits sous. Avec ces fausses approches, qui suivent la ligne cynique et hypocrite de l’Église catholique, la gauche et l’extrême gauche sapent de l’intérieur la confiance des travailleurs en eux-mêmes en tant que classe et tentent de les présenter comme la partie la plus “basse” de la société.

Ce faisant, ils convergent avec l’idéologie dominante qui présente la classe ouvrière comme la classe des perdants. Le fameux “bon sens commun” dit qu’un travailleur est un individu qui est resté un travailleur parce qu’il n’est pas assez bon pour autre chose ou qu’il ne s’est pas battu assez fort pour progresser dans l’échelle sociale. Les travailleurs seraient les paresseux, ceux qui n’ont pas d’aspirations, qui n’ont pas “réussi”…

C’est vraiment le monde à l’envers ! La classe sociale qui produit par son travail associé la principale richesse de la société serait composée par les plus mauvais éléments de celle-ci. Puisque le prolétariat regroupe la majorité de la société, il semblerait alors que celle-ci se compose fondamentalement de fainéants, de perdants, d’individus sans culture ni motivation. La bourgeoisie n’exploite pas seulement le prolétariat, mais se moque aussi de lui. Elle qui est une minorité qui vit des efforts de millions d’êtres humains a l’audace de considérer les ouvriers comme de gens indolents, sans réussite, inutiles et sans aspirations.

La réalité sociale est radicalement différente : dans le travail associé mondial du prolétariat, se développent des liens culturels, scientifiques et, simultanément, des liens humains profonds, la solidarité, la confiance et un esprit critique. Ils sont la force qui fait bouger silencieusement la société, la source du développement des forces productives.

L’apparence du prolétariat est celle d’une masse anonyme, insignifiante et silencieuse. Cette apparence est le résultat d’une contradiction subie par le prolétariat en tant que classe exploitée et révolutionnaire. D’une part, c’est la classe du travail mondial associé et, en tant que tel, c’est elle qui fait fonctionner les rouages de la production capitaliste et a entre ses mains les forces et les capacités de changer radicalement la société. Mais d’un autre coté, la concurrence, la marchandise, la vie normale d’une société où prévaut la division et le tous contre tous, l’écrasent comme une somme d’individus, chacun impuissant, avec le sentiment d’échec et de culpabilité, séparé des autres, atomisé, forcé de se battre seulement pour soi-même.

La gauche et l’extrême gauche du capital, en complète continuité avec l’idéologie bourgeoise, veulent qu’on ne voie que cette masse amorphe d’individus atomisés. De cette façon, ils servent le capital et l’État dans leur tâche de démoraliser et d’exclure la classe ouvrière de toute perspective sociale.

Nous retrouvons ici ce que nous avons dit au début : la conception du prolétariat comme une somme d’individu. Cependant, le prolétariat est une classe et agit en tant que telle chaque fois qu’il réussit à se libérer des chaînes qui l’oppriment et l’atomisent avec une lutte conséquente et autonome. Ainsi, nous ne voyons pas seulement une classe en action, mais nous voyons aussi chacune de ses composantes se transformer en êtres qui agissent, se battent, pensent, prennent des initiatives, développent la créativité. On l’a vu dans les grands moments de la lutte des classes, comme les révolutions en Russie de 1905 et 1917. Comme Rosa Luxemburg l’a souligné si bien dans Grève des masses, Parti et syndicats, “… dans la tempête révolutionnaire, le prolétaire, le père de famille prudent, soucieux de s’assurer un subside, se transforme en “révolutionnaire romantique” pour qui le bien suprême lui-même (la vie) et à plus forte raison le bien-être matériel n’ont que peu de valeur en comparaison de l’idéal de la lutte”.

En tant que classe, la force individuelle de chaque travailleur se libère, se défait de ses entraves, développe son potentiel humain. En tant que somme d’individus, les capacités de chacun sont annihilées, diluées, gaspillées pour l’humanité. La fonction de la gauche et de l’extrême gauche du capital est de maintenir les travailleurs dans les chaînes de la citoyenneté, c’est-à-dire la somme des individus.

3- Une classe avec les pendules arrêtées sur les tactiques du XIXe siècle

D’une manière générale, à l’époque ascendante du capitalisme et plus particulièrement à son apogée (1870-1914), la classe ouvrière pouvait se battre pour des améliorations et des réformes dans le cadre du capitalisme, sans envisager immédiatement sa destruction révolutionnaire. Cela impliquait, d’une part, la formation de grandes organisations de masse (partis socialistes, syndicats, coopératives, universités de travailleurs, associations de femmes et de jeunes, etc.) et, d’autre part, des tactiques de lutte, y compris la participation aux élections, les actions de pression, les grèves planifiées par les syndicats, etc.

Ces méthodes ont commencé à devenir de plus en plus inadéquates au début du XXe siècle. Dans les rangs révolutionnaires, il y avait un large débat qui opposait, d’une part, Kautsky, un partisan de ces méthodes, et, d’autre part, Rosa Luxemburg(10) qui, tirant les leçons de la révolution russe de 1905,(11) montrait clairement que la classe ouvrière s’orientait vers de nouvelles méthodes de lutte qui correspondaient à la nouvelle situation qui s’annonçait, avec des guerres généralisées, la crise capitaliste, etc., c’est-à-dire, la chute du capitalisme dans sa décadence. Les nouvelles méthodes de lutte étaient basées sur l’action directe de masse, sur l’auto-organisation du prolétariat dans les Assemblées et Conseils ouvriers, sur l’abolition de l’ancienne division entre le programme minimum et le programme maximum. Ces méthodes se sont heurtées de front au syndicalisme, aux réformes, à la participation électorale, à la voie parlementaire.

La gauche et l’extrême gauche du capital concentrent leurs politiques sur l’enfermement de la classe ouvrière dans ces vieilles méthodes qui sont aujourd’hui radicalement incompatibles avec la défense de leurs intérêts immédiats et historiques. Ils ont arrêté la pendule de l’histoire d’une manière intéressée dans les années “dorées” de 1890 à 1910 avec toutes leurs routines de plus en plus démobilisatrices de participation électorale, d’actions syndicales, de présence passive aux actes du “Parti”, de manifestations programmées à l’avance, etc., un mécanisme qui fait des travailleurs de “bons citoyens travailleurs”, c’est-à-dire des êtres passifs et atomisés qui se soumettent avec discipline à tout ce dont le capital a besoin : travailler dur, voter tous les quatre ans, user leurs chaussures dans les marches syndicales, continuer sans remettre en question les dirigeants autoproclamés.

Cette politique est défendue sans vergogne par les partis socialistes et communistes, tandis que ses annexes “d’extrême gauche” la reproduisent avec des touches “critiques” et des surenchères “radicales”. Tous défendent une vision de la classe ouvrière comme classe pour le capital, qui devrait se soumettre à tous ses impératifs et se contenter de l’attente de quelques miettes hypothétiques qui, de temps en temps, tombent de la table dorée de ses banquets.

C. Mir 18-12-17

 

1 Point 4 de notre Plateforme

2 Les partis classiques de droite (conservateurs, libéraux, centristes, progressistes, démocratiques, radicaux) complètent leur partie du contrôle de la société par des partis d’extrême droite (fascistes, néonazis, populistes de droite, etc.). La nature de cette dernière est plus complexe, voir à cet égard : “Contribution sur le problème du populisme [8]”, Revue Internationale n° 175.

3 Pour une étude sur comment l’opportunisme pénètre et détruit la vie prolétarienne de l’organisation, avec toutes les conséquences néfastes que cela entraîne, voir “Le chemin vers la trahison de la Social-démocratie allemande [9]”, Revue Internationale n° 152.

4 Point 13 de notre Plateforme.

5 Voir l’article en espagnol : “¿Cuales son las diferencias entre la Izquierda Comunista y la IVª Internacional? [10]”

6 Il ne s’agit pas ici des groupes les plus minoritaires de l’anarchisme internationaliste, qui, malgré ses confusions, se revendiquent de beaucoup de positions de la classe ouvrière, se manifestant clairement contre la guerre impérialiste et pour la révolution prolétarienne.

7.Il y a une foule d’exemples. Durão Barroso, ancien président de l’Union Européenne, fut maoïste dans sa jeunesse. Cohn-Bendit est député du parlement européen et conseiller de Macron ; Lionel Jospin, ancien Premier ministre français, fut trotskiste dans sa jeunesse...

8 Il faut reconnaître que le consumérisme (promu depuis les années 1920 aux États-Unis et après la Seconde Guerre mondiale) a contribué à miner l’esprit revendicatif au sein de la classe ouvrière, puisque les besoins vitaux de chaque travailleur sont déformés par le parti pris consumériste, transformant ses besoins en une affaire individuelle où “tout peut être réalisé par le crédit”.

9 Voir notre série : “Le communisme n’est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle”.

10 Voir le livre (en espagnol): “Debate sobre la huelga de masas” (textes de Parvus, Mehring/ Luxemburg/ Kautsky/ Vandervelde [11]/Anton Pannekoek [12]).

11 Voir : “Grève de masse, parti et syndicats [13]” de Rosa Luxemburg.

Courants politiques: 

  • Gauchisme [14]

Rubrique: 

Vie de la bourgeoisie

L’émigration dans le cadre de la décomposition capitaliste

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Un mal se manifeste et se répand dans différents pays du monde et il n’est certainement pas dû au phénomène migratoire. Personne n’est originaire d’aucun lieu. L’humanité, depuis ses origines est migrante, bien que les raisons de l’émigration soient effectivement distinctes à chaque époque et pour des motifs différents ; ce que vivent aujourd’hui des milliers de familles vénézuéliennes, syriennes, nicaraguayennes, du Moyen-Orient… sont les répercussions de la décomposition du système capitaliste au niveau mondial que l’ensemble de la bourgeoisie est incapable d’arrêter. Néanmoins, les États vérolés les utilisent pour attiser la haine, l’arrogance, la xénophobie et le nationalisme. L’humanisme, que tel ou tel gouvernement démocratique tente de manier face aux migrants, comme c’est la cas en Colombie, en Allemagne, en Équateur, en France, au Pérou, etc. est faux, tout comme sont faux les discours des gouvernements dictatoriaux du Venezuela ou du Nicaragua.

Le Venezuela et le Nicaragua sont les expressions les plus désastreuses de la bourgeoisie et un clair reflet de ce qui pourrait arriver à l’ensemble de l’humanité si la décomposition s’accélère et si la force de la classe ouvrière ne l’arrête pas.

Dans les décennies des années 1970 et 1980, l’émigration des Argentins, Chiliens, Uruguayens, Colombiens et de ceux qui vivent en Amérique centrale, a été motivée par la répression des gouvernements militaires, apparus dans le cadre de l’affrontement des blocs impérialistes (URSS-USA) et dans lequel, les USA, en particulier, ont renforcé le contrôle sur la région latino-américaine à travers l’utilisation de dictatures sanguinaires, comme celle de Pinochet. Ces dictatures ont obligé des centaines de personnes à fuir. Mais cette lutte impérialiste quand elle s’est terminée avec des guerres civiles, comme cela est arrivé en Colombie et en Amérique Centrale, a aussi entraîné la mobilisation de populations voulant s’éloigner des centres de conflits. Aujourd’hui, l’émigration de milliers de Vénézuéliens ou de familles originaires du Moyen-Orient, est due à trois facteurs effrayants qui sont inhérents au capitalisme et qui se sont aggravés dans sa phase actuelle de décomposition : la faim, l’insécurité et les maladies.

L’indolence de la bourgeoisie, misant à chaque fois sur le “sauve-qui-peut”, exprime clairement que le capitalisme n’a aucun avenir à offrir à l’humanité. Aucun État n’est intervenu face à ce phénomène, si ce n’est pour obtenir des bulletins de vote ou en se cachant derrière un humanisme factice, ils ont sélectionné des secteurs de populations migrantes pour les utiliser comme force de travail bon marché.

La classe ouvrière étant actuellement dans une situation de faiblesse, la bourgeoisie utilise l’immigration pour relancer des campagnes haineuses et nationalistes, accusant les migrants d’être un danger, une menace pour sa nation et son système.

Face à ce sinistre panorama, les travailleurs des pays sud-américains, européens, nord-américains ou asiatiques, ne peuvent pas tomber dans le piège du “sauve-qui-peut” et se laisser entraîner derrière les campagnes de la bourgeoisie. Il faut comprendre que, bien que la décomposition se manifeste crûment dans des pays comme le Venezuela ou le Nicaragua, c’est un processus dans lequel est embarqué l’ensemble du système capitaliste ; c’est pour cela que la classe ouvrière mondiale est la seule qui puisse stopper son avancée destructrice, en détruisant le capitalisme. Le premier acte authentique, propre à la classe ouvrière, est la solidarité, le travail associé et son organisation indépendante.

Dans ce terrain boueux et putride de la décomposition, le prolétariat devra se ressaisir, et nous sommes sûrs qu’il le fera parce qu’il est l’unique classe révolutionnaire de la société capitaliste ; cependant, pour changer le cours de l’histoire, il ne suffit pas que le prolétariat le veuille ; il doit aussi être convaincu qu’il peut changer le cours de l’histoire comme l’a fait le prolétariat dans la Révolution russe de 1917, lorsqu’il est allé jusqu’à stopper la Première Guerre mondiale. Le prolétariat devra apprendre que l’État, la démocratie, le parlementarisme et le syndicalisme, ne peuvent pas être utilisé pour transformer la réalité bourgeoise ; de même, pour affronter la décomposition capitaliste dans tous les pays, il ne pourra pas le faire en utilisant les formes prostituées de la bourgeoisie. La classe ouvrière doit débattre et s’organiser comme classe indépendante et ainsi élaborer son programme historique et atteindre son unité afin de construire la véritable communauté humaine mondiale, sans États, sans classes sociales, sans exploitation et sans guerre.

Dans n’importe quelle partie du monde, deux frères prolétariens ou plus qui se réunissent pour discuter des problèmes de leur classe, est une avancée significative pour les perspectives de l’humanité.

PROLÉTAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !

 

Internacionalismo Perou

Internacionalismo Venezuela

Internacionalismo Equateur

Noyau du Brésil

Septembre 2018

Géographique: 

  • Amérique Centrale et du Sud [6]
  • Brésil [15]
  • Vénézuela [16]

Rubrique: 

Situation internationale

Mexique: c’est toujours la bourgeoisie qui gagne les élections !

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Nous publions ci-dessous la traduction de larges extraits de l’article paru dans la presse territoriale de la section du CCI au Mexique.

La campagne électorale, menée entre 2017 et juin de cette année, a été si accablante et envahissante qu’elle a réussi à déplacer vers les urnes plus de 56 millions de personnes, soit 63,4 % des électeurs, ce qui représente le taux de participation le plus élevé de l’histoire du pays. Le rite sexennal(1) de promesses de changement pour inciter à voter a cette fois débouché sur la victoire inédite du candidat “de gauche” Lopez Obrador (AMLO, comme il est communément nommé d’après ses initiales). Tout a été fait pour alimenter et recrédibiliser le terrain électoral et la démocratie parmi la population, en particulier parmi les exploités. Pour cela, la bourgeoisie a joué sur la désorientation des travailleurs dans la période actuelle et leurs difficultés à s’exprimer comme classe exploitée avec des intérêts opposés au système capitaliste. Même si la bourgeoisie, elle aussi, a connu davantage de divisions et de problèmes pour parvenir à des accords et pour définir ses choix à la tête de son appareil d’État (comme on peut le voir à travers les fractures au sein du PRI et du PAN, le démembrement du PRD,(2) la virulence des prises de position au sein même des milieux d’affaires, la violence des affrontements entre clans politiques et le grand nombre de candidats menacés ou assassinés pendant la campagne électorale), elle a pu exploiter ses propres difficultés en les retournant contre les exploités, transformant ces mêmes problèmes en arguments supplémentaires pour pousser la population vers les urnes.

Pour cette raison, même si López Obrador n’était pas au départ le candidat le mieux accepté par les clans détenant le pouvoir économique et politique, l’ensemble de la bourgeoisie a profité de son discours anti-corruption et patriotique pour faire miroiter l’illusion d’un changement et ainsi réhabiliter un terrain électoral auprès d’une population excédée par la violence, l’insécurité permanente, la fraude et la corruption.

La bourgeoisie, à travers ses candidats, ses institutions et ses médias, a martelé, à maintes reprises, l’idée que le vote est le moyen de choisir et de faire respecter la volonté individuelle, cherchant ainsi à faire croire qu’un individu dans la solitude de l’isoloir, armé de sa “liberté citoyenne”, peut transformer la société, alors que le travailleur atomisé est ainsi réduit à maintenir le système qui l’exploite. La bourgeoisie prétend que la voix d’un ouvrier aurait autant de poids que celle d’un magnat capitaliste et que, par conséquent, le gouvernement qui en résulte serait le produit d’une décision collective et de la “volonté du peuple”.

C’est précisément à cause de cette image trompeuse que les élections et la démocratie sont les meilleures armes de soumission à la classe dirigeante, cherchant à faire oublier ce que Lénine rappelait au sujet de la république démocratique, à savoir qu’elle n’est rien d’autre qu’ “une machine gouvernementale faite pour opérer l’écrasement du travail par le capital” et que “tous ces cris en faveur de la démocratie ne servent en réalité qu’à défendre la bourgeoisie et ses privilèges de classe exploiteuse” “(Thèses et rapports sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne, 1919).(3)

Chaque discours et chaque appel au vote s’est accompagné d’invocations à la “responsabilité citoyenne” et de phrases faisant allusion à la “patrie”, injectant avec ce langage un poison nationaliste pour chercher à anesthésier les travailleurs et les enfoncer dans une plus grande confusion qui les empêche de se reconnaître non seulement comme une classe affectée par la misère et condamnée à l’exploitation, mais aussi comme le “fossoyeur du capitalisme”. C’est pour cela que le discours nationaliste et l’utilisation des “symboles patriotiques” ont été à la base de la campagne électorale, de Meade (candidat du PRI) et Anaya (candidat du PAN) à Obrador, en passant par tous les autres candidats officiels, et jusqu’aux campagnes les plus marginales comme celle de l’EZLN(4) à travers sa candidate Marichuy.

Le triomphe électoral de Lopez Obrador est le triomphe de la bourgeoisie, pas celui des exploités

Lopez Obrador (se présentant pour la troisième fois à la présidence, cette fois sous la bannière de son nouveau parti MORENA)(5) a donc bénéficié du mécontentement de la population en raison de la violence généralisée, de la précarité des conditions de vie et de la corruption ouverte étendue à tous les niveaux des gouvernements précédents, c’est-à-dire de la lassitude et du ras-le-bol à l’égard des partis traditionnels. Jamais auparavant n’avait autant dominé et pesé un tel état d’esprit sur les élections, ni en 2000 dans le “combat pour l’alternance” qui a amené le PAN au gouvernement, avec Vicente Fox comme président, ni en 2012, avec les mobilisations anti-PRI, qui ont été menées par le mouvement #yosoy132.

Le contexte dans lequel des élections ont eu lieu au Mexique est, comme partout dans le monde, fortement affecté par le poids de la décomposition capitaliste, caractérisé, d’une part, par la tendance de la bourgeoisie à perdre le contrôle de son appareil politique, marqué par de profondes fractures internes et une lutte de concurrence acharnée au sein de chaque grand parti, ce qui rend son unité difficile ; d’autre part, une classe ouvrière déboussolée qui a du mal à retrouver le chemin pour développer sa lutte contre le capital.

Tout cela a été utilisé et exploité par la bourgeoisie contre les travailleurs, renforçant son appareil de gauche et les poussant à s’en remettre à un personnage charismatique et démagogique.

Pour convaincre l’ensemble de la bourgeoisie de son sérieux pour gouverner, il a profité de ces fractures politiques, en tendant la main à divers groupes capitalistes avec lesquels il était en concurrence, obtenant même le soutien de secteurs d’affaires qui, lors des précédentes campagnes électorales auxquelles il participait, l’accusaient d’être “un danger pour le Mexique”. Certains hommes d’affaires, regroupés au sein du Conseil mexicain des affaires (CMN), se sont acharnés jusqu’à récemment, en maintenant de vives attaques contre AMLO, mais ces attaques ont été contre-productives car elles l’ont finalement fait apparaître comme une victime et ont crédibilisé son rôle et son image “d’avocat des pauvres et des opprimés”.

En permettant aux différentes fractions du capital national de parvenir à un consensus, le candidat élu a recherché des accords pour coopérer avec les grandes entreprises et ses concurrents politiques, en mettant l’accent dans ces accords sur la lutte supposée contre la corruption (tout en promettant de “passer l’éponge” sur certains actes délictueux ou sur des malversations passées avérées) et, surtout, la promotion de l’unité nationale. De cette manière, AMLO a non seulement conclu des accords avec une large liste d’employeurs, mais aussi avec des structures de contrôle syndicales telles que la CNTE.(6) Ce n’est évidemment pas une solution durable, mais elle permet à l’État mexicain d’être mieux préparé à mener à bien, par exemple, les négociations de l’ALENA(7) et, dans la perspective d’une intensification de la guerre commerciale, de pouvoir en faire subir les conséquences et de justifier ses attaques à venir contre les travailleurs. La bourgeoisie a donc été majoritairement convaincue qu’un nouveau recours à la fraude électorale était inutile et risqué ; il était plus commode d’accepter son triomphe électoral et celui du nouveau parti de gauche.

Le triomphe électoral de celui qui a été présenté comme une “lueur d’espoir” ne changera pas d’un iota la situation des millions de personnes exploitées qui ont voté pour lui. L’exploitation des travailleurs ne va en aucun cas être modifiée et, au contraire, le nouveau gouvernement, invoquant la défense de l’économie et de la souveraineté nationale, va tenter de justifier des politiques qui aggravent leurs conditions de vie, ou des mesures qui revendiquent la nécessité d’une “austérité républicaine”, justifier des licenciements et d’autres mesures contre les travailleurs. La seule chose qui aura changé, c’est donc le représentant de la bourgeoisie placée à la tête de l’État ; mais le mandat qu’il doit défendre est le même que celui défendu par Peña Nieto et tous les gouvernements du monde, qu’ils soient de droite ou de gauche : maintenir et protéger le système d’exploitation capitaliste.

Comme dans tout scrutin électoral, c’est la bourgeoisie qui a remporté l’élection, mais les résultats de cette élection en particulier ont permis de renforcer les sentiments patriotiques : la prolifération des drapeaux nationaux et des cris patriotards “Vive le Mexique !”, présents tout au long des élections et intensifiés après l’annonce de la victoire d’AMLO, montrent qu’il y a bien une instrumentalisation des émotions derrière la victoire d’une fraction de gauche afin d’impliquer les travailleurs dans la défense du capitalisme, en imposant la défense de l’unité nationale.

A cette occasion, d’une manière particulière, les élections ont approfondi la confusion des travailleurs et la bourgeoisie se prépare à en profiter pour consolider son contrôle et sa domination de classe.

AMLO et MORENA, dans l’opposition ou au gouvernement, toujours les ennemis des travailleurs

Les conditions d’existence subies par les exploités dans les villes et les campagnes, marquées par la violence des mafias, de la police et de l’armée, ainsi que la dégradation de leur niveau leur vie causée par l’avancée de la crise économique mondiale a permis le développement des illusions envers Lopez Obrador ainsi que l’idée mensongère que le capitalisme pourrait être “amélioré” par la simple mise en place d’un nouveau gouvernement.

Les partisans d’AMLO se prétendent “radicaux” en défendant l’affirmation selon laquelle le principal problème du système serait la corruption plutôt que l’exploitation. Il n’est pas surprenant qu’une fraction bourgeoise cherche à masquer que le capitalisme n’est pas autre chose qu’un système d’exploitation ; mais elle masque aussi que la corruption, qui est le thème central de la propagande de MORENA ne peut être éradiquée au sein du capitalisme, parce que la corruption, la fraude et la violence sont le mode de vie permanent du capitalisme et plus particulièrement dans la phase actuelle de décomposition du système capitaliste.(8)

Même les groupes de gauche qui se présentent comme critiques ou sceptiques sur les promesses du candidat vainqueur, collaborent à renforcer cette illusion, parce qu’ils présentent comme contradictoire la devise d’AMLO “les pauvres d’abord” avec le fait qu’il forme une équipe (d’abord pour mener sa campagne et maintenant pour gouverner) avec des hommes d’affaires, pour établir des alliances avec des groupes “conservateurs”, ou pour renforcer les liens avec les personnages les plus pourris du PRI et du PAN comme des syndicats ou pour s’engager à suivre des orientations économiques et politiques “néolibérales”. Ces observations illustrent certes le pragmatisme avec lequel il agit et son recours systématique au mensonge et à l’hypocrisie, mais elles cachent la nature bourgeoise de MORENA et de son représentant AMLO. Si nous nous en tenons là, Lopez Obrador continuerait bien à être un représentant des classes exploités, mais qui s’est avéré être “un renégat” ou “un traître”, alors qu’en réalité, il n’a jamais cessé d’être une expression de la même bourgeoisie exploiteuse et corrompue.

La critique la plus vive contre AMLO était celle de l’EZLN qui, à la mi-juillet, faisait référence au changement d’équipe gouvernementale en ces termes : “le contremaître, les majordomes et les chefs d’équipe peuvent bien être changés, mais le propriétaire de l’hacienda reste le même”. Avec cette déclaration, l’EZLN tente de se démarquer des autres cliques de la politique bourgeoise, mais la guérilla elle-même a été un produit et fait partie intégrante du système qu’il prétend critiquer. Rappelons seulement qu’au milieu des années 1990, l’EZLN voilait son soutien au candidat du PRD, Cuauhtémoc Cárdenas, mais il a aussi exprimé son “respect” pour la chambre des députés (dans l’enceinte duquel il a même pris la parole en 2001) et autres institutions bourgeoises, et a tenté de participer aux dernières élections…

Face aux fausses promesses d’AMLO, le prolétariat n’a pas d’autre voie que celle de la lutte

Alors qu’AMLO, il y a quelques années, prétendait envoyer les institutions au diable, il a confirmé sa position de défenseur du capitalisme, et c’est afin de mieux le défendre, qu’il affirme qu’il est nécessaire de renforcer la démocratie, ses institutions et le gouvernement, parce que cela permet en fait de renforcer les instruments d’exploitation et de contrôle de la bourgeoisie. Quand il parle aujourd’hui de défense de l’économie nationale, il montre sa détermination à perpétuer le capitalisme et pour poursuivre cette tâche, il reprend, en les dépoussiérant un peu, les discours et les promesses que le PRI prononce depuis des années.

Lopez Obrador, avec son discours de gauche, promet une “quatrième transformation” qui n’est rien de plus que des illusions et des promesses derrière lesquelles se cache l’effort pour soutenir et maintenir le système capitaliste, cela derrière un rideau de fumée qui sème davantage de confusion parmi les travailleurs et les exploités.

Mais la confusion répandue parmi les prolétaires aujourd’hui ne signifie pas que leur capacité de réflexion et leur combativité ont été éliminées, bien que la bourgeoisie va tout faire pour que les illusions démocratiques et nationalistes restent dans les têtes et la conscience des ouvriers, nous savons que la crise économique mondiale va se charger de montrer que les discours et les promesses d’AMLO sont de purs mensonges, mais surtout qu’elle devra pousser les travailleurs à se battre, car tant que le capitalisme existera, que ce soit sous un gouvernement de gauche ou de droite, l’exploitation et la misère des prolétaires vont non seulement continuer mais ne peuvent que connaître une aggravation et les pousser vers la reprise de leur combat de classe pour se défendre. Le prolétariat n’a pas d’autre voie face à ce nouveau gouvernement que de retrouver le chemin de la lutte sur son terrain de classe.

D’après Revolucion Mundial, organe du CCI au Mexique), 20 juillet 2018

 

1 Les élections présidentielles ont lieu tous les six ans au Mexique (le président sortant n’a pas le droit de se représenter). En même temps, est procédé à l’élection des députés et des sénateurs, ainsi qu’au renouvellement d’une partie des gouverneurs à la tête des États fédéraux.

2 PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) : fraction au pouvoir presque sans interruption depuis la “révolution nationale” de 1910 ; PAN (Parti d’Action Nationale), de droite, partisan d’une alliance plus étroite avec les États-Unis ; PRD (Parti de la Révolution Démocratique) : scission “de gauche” du PRI mais largement discrédité par le pacte d’union nationale qu’il a signé avec le précédent gouvernement très impopulaire de Pena Nieto (comme le PAN) dès l’investiture de ce dernier.

3 Ce document rédigé par Lénine en mars 1919 a été adopté par le Premier Congrès de l’Internationale Communiste (IIIe Internationale). Nous l’avons republié dans le n° 100 de notre Revue Internationale (1er trimestre 2000) sous le titre : La démocratie bourgeoisie, c’est la dictature du capital.

4 EZLN : Armée zapatiste de libération nationale, animateurs d’une guérilla dirigée par le sous-commandant Marcos qui, après avoir tenté un soulèvement armé infructueux dans le Chiapas, au sud du pays, en 1994 au nom de la prétendue défense des droits des paysans locaux et de la cause indigène, a organisé une marche en 2001 pour signer un accord avec le gouvernement “paniste” de Fox signifiant son retour dans le cadre légal, institutionnel et parlementaire.

5 Ce mouvement est apparu au Mexique dans le cadre des élections de 2012. Il a été lancé par des étudiants d’universités privées, puis rejoint par des étudiants d’universités publiques. Se présentant comme un “mouvement citoyen”, il a revendiqué une “démocratisation des médias” en s’élevant contre la propagande d’Enrique Peña Nieto, candidat du PRI. MORENA est l’abréviation de Mouvement pour la Régénération Nationale, significatif de sa forte connotation patriotique qui montre à quel point il est éloigné des préoccupations et des intérêts de la classe ouvrière et s’identifie au contraire à ceux de la bourgeoisie.

6 Coordination Nationale des Travailleurs de l’Éducation : syndicat enseignant dont l’ex-secrétaire générale (mais aussi ancienne députée et sénatrice du PRI), Alba Esther Gordillo (emprisonnée entre 2013 et 2018 entre autres chefs d’inculpation pour “blanchiment d’argent sale”), a été désignée parmi les dix personnalités les plus corrompues du pays.

7 La remise en cause par Donald Trump et la renégociation en cours des accords de l’ALENA (traité de libre-échange nord-américain) entre les États-Unis, le Canada et le Mexique en vigueur depuis 1994 implique notamment un énorme bras-de-fer engagé entre les États-Unis et le Mexique, en particulier dans le secteur agricole et l’automobile.

8 Par exemple, rappelons-nous que l’opération “mains propres” en Italie qui avait provoqué une crise politique très aiguë entre 1992 et 1994 n’a nullement mis fin à la corruption, mais l’a au contraire approfondie et généralisée. La lutte contre la corruption était aussi l’un des motifs pour lesquels Lula et Dilma Rousseff ont été portés au pouvoir au Brésil, et nous avons vu que ces mêmes personnages ont été plus tard impliquées dans les affaires de corruption.

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  • Mexique [17]

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Situation internationale

Octobre 1968 au Mexique: le Massacre de Tlatelolco (place des Trois Cultures) montre le vrai visage du capitalisme

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On estime qu’entre 300 et 500 personnes ont été massacrées par l’armée le 2 octobre 1968 sur la place Tlatelolco (Place des Trois Cultures). Alors que le nombre exact et, encore moins, la liste officielle des victimes ne sont pas connus jusqu’à aujourd’hui, la bourgeoisie a su utiliser et exploiter ses propres crimes. Quelques années après le massacre, la bourgeoisie mexicaine a commencé à considérer cette date comme le point de départ de l’avancée de la démocratie, comme si le sang versé avait nettoyé les traces de l’existence de ces crimes et relégué l’autoritarisme et la répression dans un passé révolu.

Actuellement, à la suite de ces discours, les célébrations du cinquantenaire du massacre sont utilisées pour relancer la campagne démocratique et, en faisant le lien avec les élections passées, ils prétendent démontrer que l’État mexicain aurait changé de visage parce que la démocratie est arrivée au pouvoir, permettant même l’alternance des gouvernements. La bourgeoisie relance ainsi ses lamentations hypocrites et laisse couler ses larmes de crocodile pour tenter de se démarquer des crimes de 1968 et profiter du souvenir et de l’indignation encore présents chez les exploités.

Les mobilisations que les étudiants mexicains ont menées entre juillet et octobre 1968 sont, sans aucun doute, l’expression du fort mécontentement social qui, même si leurs revendications étaient limitées par le désir de “libertés démocratiques” et si la scène politique était occupée par une masse socialement hétérogène, traduisaient une certaine continuité de la combativité réveillée par la grève des cheminots en 1958 et des médecins en 1965. Ces mobilisations n’ont pas réussi à intégrer des revendications propres au mouvement et à s’orienter sur un terrain prolétarien, mais elles ont réussi à déployer et à éveiller une grande force de solidarité. C’est pourquoi, 50 ans après les événements et le massacre, il est nécessaire d’y réfléchir en cherchant à dépasser la bonne conscience affichée par l’État mexicain pour “célébrer” (1) le massacre de Tlatelolco et la campagne de mystification créée par la bourgeoisie à travers ses “intellectuels” et son appareil politique de gauche.

Comment s’est déclenchée la mobilisation ?

En 1968, l’État mexicain expliquait les mobilisations étudiantes comme le produit d’une “imitation” du Mai 68 parisien, qui devait être propagée par l’incitation et l’activisme d’agents “de l’étranger infiltrés”. Un mois avant que le gouvernement Díaz Ordaz ne procède au massacre des étudiants, la centrale syndicale officielle, CTM, a répété cette idée : “Les étrangers et les mauvais Mexicains, agissant comme des agents actifs du communisme, ont profité des bagarres sans importance de deux petits groupes d’étudiants, pour déclencher l’attaque la plus grave contre le régime et les institutions du pays, adoptant pour la circonstance des tactiques qui sont une imitation des systèmes adoptés par les extrêmistes de ces tendances, dans les autres enceintes et, très récemment dans les émeutes de Paris…” (“Manifeste à la Nation”, 2 septembre 1968). Bien qu’il y ait effectivement eu une tendance mondiale à l’agitation sociale influencée par les mobilisations parisiennes, il est faux de prétendre que les manifestations se sont développées comme “une mode”, et avec une volonté d’imitation.

C’est le retour de la crise économique sur la scène mondiale qui a conduit à la riposte ouvrière de Mai 68 (2) et c’est ce même élément déclencheur qui a ouvert la perspective des ripostes ouvrières en Italie (1969), en Pologne (1970-71), en Argentine (1969) et même au Mexique et qui, sans être une source de mobilisation ouvrière, a suscité des mécontentements sociaux de grande ampleur.

Il est également vrai que dans le cadre de la guerre froide, les factions impérialistes dominantes et concurrentes (États-Unis et URSS) ont utilisé l’espionnage et la conspiration, mais jusqu’à présent aucune preuve n’a été trouvée pour prouver que le gouvernement de l’URSS était impliqué, et encore moins celui de Cuba, qui avait conclu un accord avec le Mexique pour ne soutenir aucun groupe d’opposition ; et le Parti dit “communiste” (PCM), d’obédience stalinienne, bien qu’il soit un pion de l’URSS, n’avait ni la force ni la présence suffisantes pour diriger les mobilisations.

D’autre part, les États-Unis ont gardé un œil sur leur “arrière-cour” et ont pris une part active à la répression,(3) pendant ces années comme pendant toute la période de la guerre froide.

Pour expliquer l’origine des mobilisations et la force qu’elles ont démontrée, il faut aller au-delà des accusations du gouvernement, mais aussi au-delà de l’argument simpliste qui fait référence à un “conflit de générations” ou à l’absence de “libertés démocratiques”.

Les étudiants, en tant que masse sociale dans laquelle diverses classes sociales sont impliquées, mais dans laquelle l’idéologie petite-bourgeoise domine, ont certes été piégés par leurs illusions envers la démocratie.(4) Mais un autre élément a poussé les étudiants, souvent d’origine prolétarienne, vers la politisation : l’incertitude croissante qu’ils ressentaient dans l’avenir qui les attendait. La promesse de “promotion sociale” que l’industrialisation des années 1940 jusqu’aux années 1960 offrait aux étudiants des universités apparaissait de façon de plus en plus évidente comme un leurre, étant donné que, malgré l’augmentation des profits capitalistes, la vie des travailleurs ne s’améliorait pas et menaçait au contraire de s’aggraver sous la pression du ressurgissement d’une crise économique mondiale qui commençait déjà à s’affirmer. Mais en plus de cette incertitude, les ripostes répressives de l’État contre les manifestations des travailleurs qui réclamaient de meilleurs salaires ont exacerbé la colère. Les balles et la prison furent les mêmes ripostes à répétition de l’État face aux ouvriers des mines de Nueva Rosita dans la province de Coahuila (1950-51), aux grèves des cheminots (1948 et 1958), à celle des instituteurs (1958) ou des médecins (1965). Il était évident que même en augmentant les cadences de production, le capitalisme ne pouvait pas offrir des améliorations durables à la nouvelle génération.

Dans ces conditions, les mobilisations étudiantes ont été nourries par le courage et l’indignation des travailleurs qui, les années précédentes, avaient aussi été réprimés par l’État.

Les aspirations démocratiques stérilisent la force de solidarité

Des années 1940 aux années 1970, la bourgeoisie mexicaine a mené une intense propagande pour faire croire que l’industrialisation, moteur de la croissance économique et de la stabilité des prix, allait améliorer le niveau de vie de la population active. Dans ce processus d’industrialisation, l’État a joué un rôle fondamental en prenant en charge une partie des investissements directs et en soutenant le capital privé par la vente, en dessous de leur prix, des ressources énergétiques, mais surtout par une politique de maîtrise des salaires combinée à des subventions pour les biens de consommation des travailleurs, de telle sorte qu’avec ces mesures, il se présentait avec l’image d’un “État providence”, tout en réduisant le coût du travail pour les hommes d’affaires, favorisant ainsi la croissance des bénéfices capitalistes.

Dans ce processus d’industrialisation, il y avait un besoin croissant de main-d’œuvre qualifiée, de sorte que l’État a encouragé l’augmentation des inscriptions dans les universités et les écoles d’enseignement supérieur, ce qui a fait croître la masse des étudiants d’origine prolétarienne, faisant ainsi des universités un pôle de tension sociale.

En ce sens, le mouvement étudiant de 1968 au Mexique, organisé au sein du Comité national de grève (CNH), représentait une force importante, mais il était structuré autour de visions oppositionnelles qui n’ont jamais dépassé le stade des exigences démocratiques, ni pu se libérer de ses liens avec l’idéologie nationaliste. Cependant, il y avait un certain instinct de classe qui avait germé dans le feu des mobilisations et qui poussait les jeunes étudiants à chercher un rapprochement avec les ouvriers par la présence continue de “brigades d’information” dans les zones industrielles et les quartiers ouvriers, réussissant ainsi à éveiller une force de solidarité entre ouvriers ; mais cette force sociale potentielle était contenue et même annulée par le même manque de perspectives politiques du CNH.

Seule la classe ouvrière a une alternative au capitalisme

Dès les premières manifestations étudiantes, fin juillet, les forces anti-émeutes des granaderos et la police ont agi avec une grande férocité. Le chef de la police de Mexico, le général Luis Cueto, dans une conférence de presse a justifié la répression en disant que c’était “un mouvement subversif” qui tendait “à créer une atmosphère d’hostilité envers notre gouvernement et notre pays à la veille des XIXe Jeux Olympiques” (El Universal, 28 juillet 1968).

Une période de combats de rue continus s’est ainsi ouverte, au cours de laquelle la police anti-émeute est numériquement dépassée et les troupes de l’armée sont mobilisées, décuplant ainsi la répression. Dès les premiers jours des mobilisations, l’armée a attaqué avec une grande bestialité, au point que dans la nuit du 30 juillet, elle a tiré un projectile de bazooka sur un lycée. Au fur et à mesure que la police et l’armée intensifiaient la sauvagerie de leurs interventions, la solidarité entre les travailleurs s’accroissait, mais elle ne prenait pas de forme organisée pour affirmer sa présence sur la scène sociale.

Cette sympathie acquise parmi les travailleurs s’est traduite par leur présence individuelle ou en petits groupes dans les manifestations de rue. Ce sont précisément les travailleurs qui, les années précédentes, avaient déjà été réprimés pour avoir manifesté leur soutien ou leur participation directe aux mouvements sociaux. Des tentatives ont également été faites pour exprimer ouvertement leur solidarité avec les étudiants : le 27 août, les médecins de l’Hôpital général ont organisé une grève de solidarité. Le lendemain (28 août), les travailleurs municipaux de la capitale, contraints de participer à un acte officiel visant à discréditer les manifestations étudiantes, ont spontanément exprimé leur rejet du gouvernement en scandant “nous sommes des moutons”, pour faire comprendre qu’ils étaient obligés d’être présents et saboter ainsi leur participation à cette manifestation, ils sont donc réprimés avec vigueur par la police anti-émeute.

Le mouvement étudiant a réussi à susciter la sympathie et la solidarité et bien que de nombreux groupes aient crié dans les rues et peint sur les murs : “nous ne voulons pas des Jeux Olympiques, nous voulons la révolution”, il est vrai que les mobilisations n’ont pas avancé de perspectives réelles. Ce n’est pas à cause d’une “erreur stratégique”, mais à cause de l’absence de la classe ouvrière en tant que telle sur la scène sociale. Il ne suffisait pas d’être présents individuellement ou d’exprimer sa solidarité de manière isolée, en n’occupant que formellement le terrain social, tout en laissant de côté leurs propres perspectives politiques. En 1968, bien qu’une grande masse d’étudiants étaient d’origine prolétarienne et que les ouvriers eux-mêmes aient manifesté leur sympathie envers les jeunes, le prolétariat ne s’est pas retrouvé comme une force organisée, armée de sa conscience, pour affronter le capitalisme.

Le massacre de Tlatelolco, un produit du capitalisme

Au mois de septembre, les ripostes de l’État ont été de plus en plus agressives, le 18 septembre l’armée a occupé les installations de l’UNAM, reportant l’essentiel de l’activité politique sur l’IPN(5) et les quartiers environnants ; pour cette raison, quatre jours après, les installations de l’École polytechnique ont été attaquées, non sans livrer les combats les plus violents qui se sont produits au cours de cette période, dans lesquels la solidarité s’est à nouveau développée, avec même une présence remarquable, en y intégrant des élèves des lycées et avec le soutien renforcé des habitants des quartiers… Le massacre était en préparation.

Le 2 octobre, à l’issue d’une manifestation sur la place Tlatelolco, des escadrons militaires et paramilitaires attaquent les étudiants, montrant dans leur forme la plus crue ce que signifie la domination du capitalisme.

La sauvagerie de cette riposte de l’État est souvent présentée comme un coup de folie du ministre de l’Intérieur de l’époque, Luis Echeverría, qui nourrissait la paranoïa du président Díaz Ordaz, mais cette brutalité dans la répression n’est ni accidentelle ni le produit de la pathologie d’un individu, elle fait partie de l’essence du capitalisme. Les appareils répressifs sont l’un des principaux supports de l’État. Pour nourrir la réflexion nécessaire à ce sujet, il ne faut pas oublier que tant que le capitalisme existera, des massacres comme celui d’il y a 50 ans se répéteront.

La violence étatique n’est pas un problème du passé, elle fait partie de l’essence même du capitalisme, comme l’analysait déjà Rosa Luxemburg : “Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse  ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment”. (“La Crise de la social-démocratie”, 1916)

Bien que la bourgeoisie ait besoin de justifier idéologiquement son existence comme classe dominante et présente son système comme l’expression parfaite de la démocratie, la vérité est qu’elle fonde son existence sur l’exploitation, ce qui implique son usage permanent d’une violence et d’une terreur qui se répète quotidiennement pour pouvoir maintenir son pouvoir et sa domination, mais l’usage de la répression sanglante fait aussi partie de son mode de vie.

Tatlin, septembre 2018 (Revolucion Mundial, section du CCI au Mexique)

 

1) De manière prétentieuse, les autorités de l’Université (UNAM) ont fièrement annoncé qu’elles avaient planifié une série d’événements commémorant le 2 octobre, au cours desquels elles dépenseraient 37 millions de pesos (environ 2 millions de dollars).

2) Voir notre article : “Cinquante ans depuis Mai 68” et notre brochure : “Mai 68 et la perspective révolutionnaire”, disponibles sur notre site Internet.

3) L’ancien agent de la CIA Philip Agee, dans son livre “Inside the Company : CIA Diary”, nomme comme des collaborateurs directs de la CIA les présidents mexicains López Mateos, Díaz Ordaz et Luis Echeverría, mais aussi des membres de la police politique comme Gutiérrez Barrios et Nazar Haro.

4) C’est pourquoi le discours de Barros Sierra, recteur de l’UNAM, dans lequel il appelait à la défense de la Constitution, de l’autonomie et de la liberté d’expression, et injectait des sentiments nationalistes en levant le drapeau en berne et en chantant l’hymne national, a été généralement utilisé comme référence par le mouvement étudiant, le 30 juillet.

5) L’Université nationale autonome du Mexique (UNAM) et l’Institut national polytechnique (IPN) sont les principaux centres d’enseignement supérieur du secteur public.

Géographique: 

  • Mexique [17]

Rubrique: 

Situation internationale

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Liens
[1] https://es.internationalism.org/accion-proletaria/201803/4280/ppk-fujimori-y-la-clase-politica-contra-los-trabajadores-en-peru [2] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm [3] https://fr.internationalism.org/tag/5/242/perou [4] https://fr.internationalism.org/tag/5/59/irak [5] https://es.internationalism.org/accion-proletaria/201805/4304/el-abril-sangriento-de-nicaragua-solo-la-lucha-autonoma-del-proletaria [6] https://fr.internationalism.org/tag/5/52/amerique-centrale-et-du-sud [7] https://fr.internationalism.org/plateforme [8] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201609/9440/contribution-probleme-du-populisme-juin-2016 [9] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201409/9121/chemin-vers-trahison-social-democratie-allemande [10] https://es.internationalism.org/cci-online/200706/1935/cuales-son-las-diferencias-entre-la-izquierda-comunista-y-la-iv-internacional [11] https://www.iberlibro.com/servlet/SearchResults?an=PARVUS%2F+MEHRING%2F+LUXEMBURG%2F+KAUTSKY%2F+VANDERVELDE&cm_sp=det-_-bdp-_-author [12] https://www.google.fr/search?hl=fr&tbo=p&tbm=bks&q=inauthor: [13] https://www.marxists.org/francais/luxembur/gr_p_s/greve.htm [14] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauchisme [15] https://fr.internationalism.org/tag/5/446/bresil [16] https://fr.internationalism.org/tag/5/54/venezuela [17] https://fr.internationalism.org/tag/5/53/mexique