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Revue Internationale no 72 - 1e trimestre 1993

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Situation internationale : un tournant

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De la Somalie à l'Angola, du Venezuela à la Yougoslavie, de fa­mines en massacres, de coups d'Etats en guerres « civiles », le tourbillon de la décomposition accélérée de tous les rouages de la société capitaliste n'engendre que des ravages. Partout, non seulement la prospérité et la li­berté promises ne sont pas au rendez-vous, mais de plus, le capitalisme porte partout le fer et le feu, déchaîne le milita­risme, réduit les masses de l'immense majorité de la popu­lation mondiale à la déchéance, la misère et la mort, et porte des attaques massives aux condi­tions d'existence du prolétariat dans les grands centres urbains et industrialisés.

Chaos, mensonges et guerre impérialiste

Que le « nouvel ordre mondial » se révèle n'être qu'un chaos généra­lisé, même les plus ardents défen­seurs de l'ordre existant sont de plus en plus forcés de le recon­naître. Mieux, ne pouvant plus ca­cher la détérioration, dans tous les pays, de tous les aspects de la vie politique, économique et sociale, les journaux, les radios, les télés, porte-voix des classes dominantes, rivalisent désormais pour «dévoiler» la réalité. Scandales politiques, génocides ethniques, déportations, répressions et raton­nades, pogroms et catastrophes en tous genres, épidémies et famines, tout y est. Mais les événements, bien réels, au lieu d'être expliqués pour ce qu'ils sont, au fond, c'est-à-dire la conséquence de la crise mondiale du capitalisme ([1]), sont chaque fois présentés comme une sorte de fatalité.

En montrant la famine en Somalie, les massacres de la « purification ethnique » en Yougoslavie, les dé­portations et martyrs des popula­tions dans les républiques du sud de l'ex-URSS, les magouilles poli­ticiennes, la propagande rend compte du pourrissement actuel. Mais elle le fait en présentant les phénomènes sans aucun lien entre eux, distillant ainsi un sentiment d'impuissance, entravant la prise de conscience que c'est le mode de production capitaliste dans son en­semble qui est responsable de la si­tuation, dans tous ses aspects les plus corrompus, et que, au premier rang, se trouvent les bourgeoisies des grands pays capitalistes.

La décomposition est le résultat du blocage de tous les rouages de la société : une crise générale de l'économie mondiale, ouverte de­puis plus de vingt-cinq ans, et l'absence d'une perspective de sor­tie de cette crise. Et les grandes puissances, qui, avec la fin du sta­linisme, prétendaient ouvrir une « ère de paix et de prospérité » pour le capitalisme, sont entraînées dans un chacun pour soi débridé, qui entretient et amplifie cette désagrégation sociale, sur les plans intérieur et international.

Sur le plan de la situation inté­rieure des pays industrialisés, les bourgeoisies nationales s'efforcent de contenir les manifestations de la décomposition, tout en les utilisant pour renforcer l'autorité de l'Etat ([2]). C'est ce qu'a fait la bourgeoisie américaine lors des émeutes de Los Angeles au prin­temps 1992, dont elle a même pu se permettre d'en contrôler le mo­ment et l'extension ([3]). C'est ce que fait la bourgeoisie allemande qui, depuis l'automne, développe un énorme battage sur la « chasse aux étrangers». Elle contrôle, et pro­voque parfois en sous-main, les événements, pour faire passer des mesures de renforcement du « contrôle de l'immigration », c'est-à-dire en fait sa propre « chasse aux étrangers». Elle essaie d'embrigader dans la politique de l'Etat la population en général, et la classe ouvrière en particulier, par l'orchestration de manifesta­tions en défense de la « démo­cratie».

Sur le plan international, depuis l'éclatement de la discipline du bloc de l'Ouest, qui leur avait été imposée face au bloc impérialiste russe, avec l'accélération de la crise qui frappe en leur sein, au coeur de l'économie mondiale, les pays industrialisés sont de moins en moins des « alliés ». Ils sont en­traînés dans une confrontation acharnée entre leurs intérêts capi­talistes et impérialistes opposés. Ils ne vont pas vers la « paix » mais ai­guisent les tensions militaires.

Somalie : un prélude à des interventions plus difficiles

Depuis plus d'un an et demi, l'Allemagne a mis de l'huile sur le feu en Yougoslavie, rompant le statu quo qui assurait la domina­tion américaine en Méditerranée, par un soutien à la constitution d'une Slovénie et d'une Croatie «indépendantes». Les Etats-Unis cherchent, depuis le début du conflit, à résister à l'extension d'une zone d'influence dominée par l'Allemagne. Après leur appui voilé à la Serbie, avec le sabotage des « initiatives européennes » qui auraient consacré l'affaiblissement relatif de leur hégémonie, les Etats-Unis passent la vitesse supérieure. L'intervention militaire américaine n'apportera pas la «paix» en So­malie, pas plus qu'elle ne permet­tra d'enrayer la famine qui ravage ce pays entre autres, parmi les ré­gions du monde les plus déshéri­tées. La Somalie n'est que le ter­rain d'entraînement d'opérations militaires de plus grande envergure que préparent les Etats-Unis et qui sont dirigées en premier lieu contre les grandes puissances susceptibles de lui disputer sa suprématie sur la scène mondiale, au premier rang desquelles l'Allemagne.

L' « action humanitaire » des grandes puissances n'est encore une fois qu'un prétexte servant à «masquer les sordides intérêts im­périalistes qui animent leur action et pour lesquels elles se déchirent, (...) pour couvrir d'un écran de fu­mée leur propre responsabilité dans la barbarie actuelle et justifier de nouvelles escalades dans celle-ci. » ([4]). Le raid de forces armées des Etats-Unis en Somalie n'a que faire de la misère, de la famine et des massacres qui sévissent dans ce pays, tout comme la guerre du Golfe il y a deux ans n'avait rien à voir avec le sort des populations locales, dont la situation n'a fait qu'empirer depuis cette première « victoire » du « nouvel ordre mon­dial».

La mise au pas qui avait été impo­sée à tous, par la « coalition » sous la férule américaine dans la guerre du Golfe, s'est effritée depuis deux ans, et les Etats-Unis ont du mal à maintenir leur « ordre mondial », qui tourne de plus en plus à la ca­cophonie. Pressée par l'essoufflement et la faillite de pans entiers de son économie, la bour­geoisie américaine a besoin d'une nouvelle offensive d'ampleur, réité­rant sa supériorité militaire, afin de pouvoir continuer à imposer ses diktats à ses anciens « alliés ».

La première phase de cette offen­sive consiste à porter un coup aux prétentions de l'impérialisme fran­çais, en imposant sans partage le contrôle américain dans les opéra­tions en Somalie, en cantonnant dans le rôle de petit comparse in­ efficace les forces militaires fran­çaises de Djibouti sans aucun rôle réel à Mogadiscio. Mais cette pre­mière phase n'est qu'un round de préparation à côté des besoins d'une intervention dans l'ex-Yougoslavie, en Bosnie, qui doit être massive pour pouvoir être efficace comme l'ont déclaré depuis l'été 1992 les chefs d'Etat-major de l'armée américaine, notamment Colin Powell, un des patrons de la guerre du Golfe ([5]). Car si la corne de l'Afrique constitue par sa posi­tion géographique une zone straté­gique d'un intérêt non négligeable, l'ampleur de l'opération US ([6]), et   sa médiatisation à outrance, ser­vent surtout à justifier et préparer des opérations plus importantes, dans les Balkans, en Europe au coeur de tous les enjeux de l'affrontement impérialiste, comme l'ont montré les deux guerres mondiales.

Les USA n'ont pas pour objectif de noyer la Somalie sous un tapis de bombes comme ce fut le cas en Irak ([7]), mais ils ne feront rien pour autant pour arrêter les massacres et endiguer la famine dans la région. L'objectif est d'abord de tenter d'établir une image de « guerre propre», nécessaire pour obtenir suffisamment d'adhésion de la po­pulation à des interventions diffi­ciles, coûteuses et durables. Elle vise ensuite à lancer un avertisse­ment à la bourgeoisie française, et derrière elle à la bourgeoisie alle­mande et japonaise, quant à la dé­termination des Etats-Unis à main­tenir leur leadership. Prévue de longue date, elle sert enfin, comme toute action de « maintien de l'ordre », à renforcer les préparatifs de guerre, en l'occurrence le dé­ploiement de l'action militaire américaine en Europe.

L'alliance franco-allemande ne s'y trompe pas qui réclame, par la voix de Delors notamment, un accrois­sement de la participation de troupes des pays d'Europe à l'intervention en Yougoslavie, ceci non pour rétablir la paix comme il le prétend, mais pour être présent militairement sur le terrain face à l'initiative des Etats-Unis. Quant à l'Allemagne, pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, elle envoie 1 500 militaires hors de ses frontières. C'est en fait, sous couvert de 1'« acheminement des vivres » en Somalie, un premier pas vers une participation directe dans les conflits. Et c'est un message aux Etats-Unis sur la volonté de l'Allemagne d'être bientôt présente militairement sur le champ de ba­taille de l'ex-Yougoslavie. C'est une nouvelle étape que va franchir cette confrontation, notamment sur le plan militaire, mais égale­ment sur l'ensemble des aspects de la politique capitaliste. Et l'élection de Clinton aux Etats-Unis, si elle ne modifie pas les principaux choix de la stratégie de la bourgeoisie américaine, est une manifestation du tournant qui s'opère dans la situation mondiale.

Clinton : une politique plus musclée

En 1991, quelques mois après la « victoire » de la « tempête du dé­sert », malgré une chute de popularité liée à l'aggravation de la crise aux USA, Bush était promis à une réélection sans problème. Clinton a finalement gagné parce qu'il a reçu petit à petit l'appui de frac­tions significatives de la bourgeoi­sie américaine, qui s'est manifesté, entre autres, par le soutien d'organes de presse influents, puis par le sabotage délibéré de la cam­pagne de Bush par la candidature Perot. Cette dernière a été relancée dans un deuxième temps pour s'exercer directement contre Bush. Avec la révélation du scandale de l’« Irakgate » ([8]) et Bush accusé, de­vant des dizaines de millions de té­léspectateurs, d'avoir encouragé l'Irak à envahir le Koweït, la bour­geoisie américaine signifiait son choix au vainqueur de la « tempête du désert » : la porte. Le score rela­tivement confortable que Clinton a obtenu face à Bush, a montré la volonté de changement largement majoritaire au sein de la bourgeoi­sie américaine.

C'est en premier lieu face à l'ampleur de la catastrophe éco­nomique, que la bourgeoisie amé­ricaine dans sa majorité s'est réso­lue, après quelques tergiversations, à remiser son discours idéologique sur un libéralisme impuissant à enrayer le déclin économique, et pire, perçu comme responsable de celui-ci. Avec la récession ouverte depuis 1991, la bourgeoisie a été obligée de prononcer la faillite de cet ultralibéralisme inadéquat pour justifier l'intervention croissante de l'Etat rendue nécessaire pour sauvegarder les restes d'un appareil productif et financier pre­nant l'eau de toutes parts. Elle s'est ralliée dans sa grande majorité au discours sur la nécessité de « plus d'Etat» promu par Clinton, s'accordant mieux à la réalité de la situation que celui de Bush, resté dans la continuité des « reaganomics»([9]).

En deuxième lieu, l'administration Bush n'est pas parvenue à mainte­nir l'initiative des USA sur l'arène mondiale. Elle a pu, au moment de la guerre du Golfe, faire l'unanimité de la bourgeoisie américaine autour du rôle incontesté de super-puissance militaire mondiale joué dans le montage et l'exécution de cette guerre, mais elle s'est essoufflée depuis, et n'a plus pu trou­ver les moyens d'une intervention aussi spectaculaire et efficace pour s'imposer face aux rivaux potentiels des Etats-Unis.

En Yougoslavie, alors que, dès l'été 1992, les Etats-Unis avaient envisagé une intervention de l'aviation en Bosnie, les européens leur ont mis des bâtons dans les roues. Le voyage-« surprise » de Mitterrand à Sarajevo permit no­tamment de couper court au bat­tage « humanitaire » américain préparant les bombardements à ce moment-là. De plus, l'imbroglio des fractions armées et la géogra­phie des lieux, rendent beaucoup plus dangereuse toute opération militaire, en diminuant notamment l'efficacité de l'aviation, pièce maîtresse de l'armée américaine. L'administration Bush n'a pas pu déployer les moyens nécessaires. Et si une nouvelle action en Irak a eu lieu, avec la neutralisation d'une partie de l'espace aérien de ce pays, elle n'a pas pu fournir l'occasion d'une nouvelle démons­tration de force, Saddam Hussein n'ayant cette fois-ci pas cédé à la provocation.

Bush, en perdant les élections, peut ainsi servir de bouc émissaire pour les revers de la politique des Etats-Unis, aussi bien sur le bilan économique alarmant que sur le bilan mitigé du leadership militaire mondial. En étant désigné comme le responsable, il rend un dernier service en permettant de cacher qu'il ne pouvait en fait pas exister d'autre politique et que c'est le sys­tème lui-même qui est définitive­ ment gangrené. Qui plus est, pour la bourgeoisie confrontée à une « opinion publique » désenchantée par les résultats économiques et sociaux désastreux des années 1980, et plus que sceptique sur le « nouvel         ordre                      mondial », l'alternance avec Clinton après douze années de Parti républicain donne un ballon d'oxygène à la crédibilité de la « démocratie » américaine.

Et pour ce qui est d'assumer l'accélération des interventions militaires, la bourgeoisie peut faire pleine confiance au Parti démo­crate qui en a une expérience plus éprouvée encore que le Parti répu­blicain, puisque c'est lui qui a gou­verné le pays avant et pendant la seconde guerre mondiale, qui a dé­clenché et mené la guerre du Viet­nam, et qui a relancé la politique d'armement sous Carter à la fin des années 1970.

Avec Clinton, la bourgeoisie amé­ricaine essaie de négocier un tour­nant, d'abord face à la crise éco­nomique, et pour tenter de garder son leadership mondial, sur le ter­rain impérialiste, face à la ten­dance à la constitution d'un bloc rival emmené par l'Allemagne.

L' « Europe de 1993 » avortée

Avant l'effondrement du bloc de l'Est, les divers accords et institu­tions garantissant un certain degré d'unité entre les différents pays d'Europe étaient cimentés, sous le « parapluie » américain, par un in­térêt commun de ces pays contre la menace du bloc impérialiste russe. Avec la disparition de cette me­nace, P « unité européenne » a perdu ce ciment et la fameuse « Europe de 1993 » est en train d'avorter.

A la place de l’« union économique et monétaire », dont le « traité de Maastricht » devait constituer une étape décisive, regroupant tous les pays de la « Communauté écono­mique européenne » d'abord, pour en intégrer d'autres ensuite, on voit se dessiner une « Europe à deux vi­tesses». D'un côté c'est l'alliance de l'Allemagne avec la France, vers laquelle penchent l'Espagne, la Belgique, en partie l'Italie, qui pousse à prendre des mesures pour affronter la concurrence améri­caine et japonaise et essaye de s'affranchir sur le plan militaire de la tutelle américaine ([10]). De l'autre, ce sont les autres pays, Grande-Bretagne en tête, Hollande également, qui résistent à cette montée en puissance de l'Allemagne en Europe, et jouent l'alliance avec les Etats-Unis, qui sont déterminés pour leur part à s'opposer par tous les moyens à l'émergence d'un bloc rival.

De conférences en sommets euro­péens, de ratifications parlemen­taires en référendums, ce n'est pas une plus grande unité et une plus grande harmonie entre les bour­geoisies nationales des différents pays d'Europe qui se dessine. C'est une empoignade de plus en plus aiguë qu'engendre la nécessité de choisir entre l'alliance avec les Etats-Unis qui restent la première puissance mondiale, et son chal­lenger, l'Allemagne, le tout sur fond d'une crise économique sans précédent et d'une décomposition sociale qui commence à faire sentir ses conséquences désastreuses au coeur même des pays développés. Et si cette empoignade garde l'apparence d'une joute entre « démocraties » soucieuses de « dialogue » pour « trouver une ter­rain d'entente», la guerre meur­trière dans l’ex-Yougoslavie, ali­mentée par l'affrontement entre grandes puissances derrière les ri­valités entre les nouveaux Etats « indépendants» ([11]), fournit une première mesure du mensonge de l’« unité » des « grandes démocra­ties » et de la barbarie dont elles sont capables pour défendre leurs intérêts impérialistes ([12]). Non seu­lement, la guerre se poursuit en Bosnie, mais elle risque de gagner le Kosovo et la Macédoine où les populations là aussi se trouveront emportées dans le tourbillon de cette barbarie.

L'Europe, confluent des rivalités entre principales puissances, tient évidemment une place centrale dans la tendance à la formation d'un bloc allemand, et l’ex-Yougo­slavie en est le « laboratoire » mili­taire européen. Mais c'est la pla­nète entière qui est le théâtre des tensions entre les nouveaux pôles impérialistes, tensions qui contri­buent à attiser les conflits armés dans le « tiers-monde » et dans l'ex-bloc « soviétique ».

La multiplication des « conflits locaux »

Avec l'effondrement de l'ancien « ordre mondial », non seulement les anciens conflits locaux n'ont pas cessé, comme en témoigne la situation en Afghanistan ou au Kurdistan par exemple, mais en­core de nouveaux conflits, de nou­velles « guerres civiles », surgissent entre fractions locales de la bour­geoisie auparavant obligées de collaborer pour un même intérêt national. Mais l'éclatement de nouveaux foyers de tensions ne se limite jamais à la situation stricte­ment locale. Tout conflit attire immédiatement la convoitise de fractions de la bourgeoisie de pays voisins et, au nom d'oppositions ethniques, de contentieux fronta­liers, de querelles religieuses, du « danger du désordre », ou tout autre prétexte, du plus petit poten­tat local aux grandes puissances, tous sont poussés à s'engouffrer dans la spirale de l'affrontement armé. N'importe quelle guerre « civile » ou « locale » débouche inévitablement sur un affrontement entre grandes puissances impéria­listes.

Les tensions ne sont pas toutes au départ nécessairement liées aux in­térêts de ces grandes puissances (capitalistes. Mais celles-ci, par l'enchaînement de cette « logique » de la guerre capitaliste, finissent toujours par s'en mêler, ne serait-ce que pour essayer d'empêcher leurs concurrents de le faire et de marquer ainsi des points pouvant peser sur le rapport de forces géné­ral.

Ainsi, les Etats-Unis interviennent ou suivent de près des situations « locales » qui peuvent servir leurs intérêts face à leurs rivaux poten­tiels. En Afrique, au Libéria, la guerre, entre bandes rivales au dé­ part, est devenue aujourd'hui un fer de lance de l'offensive améri­caine pour évincer la présence française de ses « chasses gardées » que sont la Mauritanie, le Sénégal et la Côte d'Ivoire. En Amérique du Sud, les Etats-Unis ont observé une neutralité bienveillante lors du coup d'Etat au Venezuela, visant à renverser Carlos Andres Perez, ami de Mitterrand et du défunt Willy Brandt, membre de l'Internationale Socialiste, et fa­vorable au maintien d'une in­fluence de la France et de l'Espagne, ainsi que de l'Allemagne. En Asie, les Etats-Unis s'intéressent de près à la politique prochinoise des Khmers rouges, escomptant garder la Chine dans leur orbite, plutôt que de la voir jouer le jeu du Japon.

Les grandes puissances sont éga­lement amenées à s'immiscer dans les confrontations entre des sous-impérialismes régionaux qui, par leur situation géographique, leur dimension et l'armement nucléaire qu'ils possèdent, pèsent dangereu­sement sur le rapport de forces im­périaliste mondial. C'est le cas du sous-continent indien, où règne une situation catastrophique, pro­voquant toutes sortes de rivalités au sein de chaque pays entre frac­tions de la bourgeoisie, comme en témoignent les récents massacres des «musulmans» en Inde. Ces rivalités sont exacerbées par la confrontation entre Inde et Pakis­tan, le Pakistan soutenant les « musulmans » en Inde, l'Inde fo­mentant la révolte contre le gou­vernement pakistanais au Cache­mire. La remise en question des anciennes alliances internationales ; de l'Inde avec l'URSS et du Pakistan avec la Chine et les USA, conduit ces derniers, non à calmer les conflits mais à risquer de les embraser.

Les grandes puissances sont aussi aspirées par les conflits nouveaux, qu'ils n'ont, au départ, ni souhai­tés, ni fomentés. Dans les pays de l'Est, sur le territoire de l'ex-URSS en particulier, les tensions entre républiques ne cessent de s'aggraver. Chaque république est confrontée à des minorités natio­nales qui se proclament « indépen­dantes » et forment des milices, en recevant l'appui ouvert ou déguisé d'autres républiques : les armé­niens d'Azerbaïdjan, les tchétchènes de Russie, les russes de Moldavie et d'Ukraine, les factions da la « guerre civile » en Géorgie, etc. Les grandes puissances répu­gnent à s'immiscer dans le bourbier de ces situations locales, mais le fait que des puissances secon­daires, comme la Turquie, l'Iran, le Pakistan lorgnent sur ces parties de l'ancienne URSS, ou le fait qu'aujourd'hui, c'est la Russie même qui se déchire de plus en plus dans la lutte farouche entre « conservateurs » et « réforma­teurs », ouvrent la voie à l'élargissement des conflits.

A la décomposition qui aiguise les contradictions, engendre rivalités et conflits, les fractions de la bour­geoisie, des plus petites aux plus puissantes,   ne  peuvent  répondre que par le militarisme et les guerres.

Guerre et crise

Les régimes  capitalistes  de type j stalinien, issus de la contre-révolution des années 1920-30 en Russie, qui avaient instauré une forme ri­gide et totalement militarisée du capitalisme, se sont effondrés. Les bureaucrates d'hier repeignent leur   nationalisme de toujours de la phraséologie de « indépendance » et de  la « démocratie »,  mais ils  n'ont, pas     plus aujourd'hui          qu'auparavant, autre chose à offrir que la corruption, le gangstérisme et la guerre.

C'est au tour des régimes capitalistes de type occidental, qui pré­ tendaient avoir fait la preuve, par leur suprématie économique, de la «victoire du capitalisme», de se trouver entraînés dans l'effondrement du système : ralentissement sans précédent de leurs économies,  purge drastique de leurs profits, avec le chômage pour des dizaines de millions d'ouvriers     et d'employés, une dégradation sans cesse grandissante des conditions de travail, de logement, d'éducation, de santé, et de sécurité.

Mais dans ces pays, à la différence de ceux du « tiers-monde » ou de l'ex-« bloc de l'Est », le prolétariat n'est pas prêt à subir sans réagir les conséquences dramatiques de cet effondrement pour ses conditions de vie, comme l'a montré le formidable coup de colère de la classe ouvrière en Italie à l'automne 1992.

Vers une reprise des luttes de la classe ouvrière.

Après trois années de passivité, les manifestations,  les débrayages et les grèves de centaines de milliers d'ouvriers et employés en Italie, à l'automne 1992, ont constitué les premiers signes d'un changement d'une importance considérable. Face aux attaques les plus brutales depuis la seconde guerre mondiale, la classe ouvrière a réagi. Tous sec­teurs et toutes régions confondues, pendant  quelques  semaines, elle est venu rappeler que, non seulement la crise économique loge à la       même enseigne tous les travailleurs en attaquant partout les conditions d'existence, mais surtout que, tous ensemble, au-delà des divisions qu'impose le capitalisme, ceux-ci constituent une force sociale qui peut s'opposer aux conséquences de cette crise.

Les initiatives ouvrières dans les grèves, la participation massive aux manifestations de protestation contre le plan d'austérité du gou­vernement, et la bronca contre les syndicats officiels qui appuient ce plan, ont montré une potentialité de riposte intacte de la part du prolétariat. Même si la bourgeoisie a gardé l'initiative et si le mouve­ment massif de départ s'est ensuite émietté, il reste un acquis de ces premières luttes importantes du prolétariat depuis 1989 dans les pays industrialisés : un retour de la combativité ouvrière.

Les événements en Italie marquent ainsi une étape pour que la classe ouvrière, en reprenant la lutte, sur le terrain commun à tous de résis­tance à la crise, prenne confiance dans sa capacité à répondre aux attaques du capitalisme, et à ouvrir une perspective.

Le black-out de l'information en­tretenu sur les événements en Ita­lie, au contraire de la publicité qu'ont eu la « grève des sidérur­gistes », la « grève des transports », la « grève du secteur public », lors des grandes manoeuvres syndicales en Allemagne du printemps 1992([13]), est significatif d'une vé­ritable poussée ouvrière dans le mouvement en Italie. Lorsque la bourgeoisie allemande parvenait l'an dernier à étouffer toute initia­tive ouvrière, son opération avait la faveur des médias de la bourgeoisie internationale. A l'automne 1992, la bourgeoisie italienne a eu, par le black-out de cette même propa­gande, le soutien de la bourgeoisie internationale, car cette dernière s'attendait et craignait la réaction des ouvriers aux mesures d'austérité, que ne pouvait plus se permettre de reporter l'Etat italien.

Cependant, ce mouvement n'est qu'un premier pas vers une reprise de la lutte de classe internationale. L'Italie est le pays du monde où le prolétariat a la plus grande expé­rience des luttes ouvrières et la plus grande méfiance envers les syndi­cats, ce qui est loin d'être le cas dans les autres pays européens. Sur ce plan, des réactions ouvrières ailleurs en Europe, ou aux Etats-Unis, ne prendront pas immédiate­ment un caractère aussi radical et massif qu'en Italie.

Par ailleurs, en Italie même, le mouvement a trouvé ses limites. D'un côté, le rejet massif des grands syndicats par la majorité des ouvriers dans ce mouvement, a montré que, malgré la rupture des trois dernières années, l'expérience de longue date de la classe ouvrière de la confrontation au syndica­lisme n'était pas perdue. Mais de l'autre, la bourgeoisie aussi s'attendait à ce rejet. Elle en a joué pour focaliser la colère ouvrière dans des actions spectaculaires, contre les dirigeants syndicaux, au détriment d'une riposte plus large contre les mesures et l'ensemble de l'appareil d'Etat et de tous ses ap­pendices syndicaux.

Au lieu de la prise en mains de la lutte dans les assemblées générales où, collectivement, les ouvriers peuvent décider des objectifs et des moyens de leurs actions, les orga­nismes « radicaux», de type syndi­caliste de base, ont organisé un défoulement du mécontentement. En lançant boulons et pierres à la tête des dirigeants syndicaux, ils ont entretenu le piège de la fausse opposition entre le syndicalisme de base et les syndicats officiels, semé le désarroi et cassé la mobilisation massive et l'unité, qui seules permettent de développer une effi­cacité face aux attaques de l'Etat.

Les luttes ouvrières en Italie mar­quent ainsi une reprise de la com­bativité avec les difficultés qui par­tout attendent la classe ouvrière, au premier rang desquelles le syn­dicalisme, officiel et de base, et le corporatisme.

L'atmosphère de déboussolement et de confusion répandu dans la classe ouvrière par les campagnes idéologiques sur la « faillite du communisme », la fin du marxisme et la fin de la lutte de classe, pèse encore, et la combativité n'est qu'une première condition pour sortir de cette atmosphère. La classe ouvrière doit aussi prendre conscience que sa lutte passe par une remise en question générale, que c'est au capitalisme comme système mondial qui domine la planète, qu'elle doit s'affronter, un système en crise, porteur de mi­sère, de guerre et de destruction.

Aujourd'hui, la passivité face aux promesses de « paix » du capita­lisme triomphant commence à s'effriter. La « tempête du désert » a contribué à dévoiler le mensonge de cette « paix».

La participation des armées des grands pays « démocratiques » aux guerres, comme en Somalie et dans l'ex-Yougoslavie, est moins évi­dente à dévoiler. Elle prétend in­tervenir pour « protéger les popula­tions » et « acheminer de la nourri­ture ». Mais la pluie d'attaques sur les conditions de vie de la classe ouvrière crée une ambiance où le prétexte « humanitaire » pour l'envoi de troupes, bardées d'armes les plus coûteuses, sophistiquées et meurtrières, va contribuer à faire comprendre ce mensonge « huma­nitaire », et le vrai « sale boulot » des armées « démocratiques », au même titre que celui de tous les gangs, milices et armées de toutes sortes et de tous horizons, qu'elles prétendent combattre.

Quant à la promesse de « prospé­rité », partout la catastrophe et l'accélération sans précédent de la crise économique sont en train de faire voler en éclats les derniers exemples-refuges où les conditions de vie étaient relativement épargnées, dans les pays comme l'Allemagne, la Suède ou la Suisse par exemple. Le chômage massif se répand maintenant dans des sec­teurs à main d'oeuvre hautement qualifiée, les moins touchés jusqu'à présent, qui viennent rejoindre par dizaines de milliers la cohorte des dizaines de millions de chômeurs dans les régions du monde où le prolétariat est le plus nombreux et groupé.

Le réveil de la lutte de classe en Italie à l'automne 1992 a marqué une reprise de la combativité ou­vrière. Le développement de la crise, avec le militarisme de plus en plus omniprésent dans le climat social des pays industrialisés, vont contribuer à ce que les prochaines luttes d'importance, qui ne vont pas manquer de surgir, débouchent sur un développement de la conscience dans la classe ouvrière de la nécessité de renforcer son unité, et, avec les organisations ré­volutionnaires, de reforger ainsi sa perspective vers un véritable communisme.

OF


[1] Voir l'article  sur la  crise  économique dans ce numéro.

[2] La bourgeoisie essaie de s'opposer à la décomposition qui perturbe son ordre so­cial. Mais elle est une classe totalement in­capable d'en éradiquer la cause profonde, puisque c'est son propre système d'exploitation et de profit qui est à la racine de celle-ci. Elle ne peut pas scier la branche sur laquelle elle est assise.

[3] Voir Revue Internationale n° 71.

[4] Voir Revue Internationale n°71. Et comme le mentionne Libération du 9/12/92: «C'est ainsi que sous couvert d'anonymat, un très haut responsable de la mission des Nations-Unies en Somalie (Onusom) a livré hier le fond de sa pensée : "L'intervention américaine pue l'arrogance. Ils n'ont consulté personne. Ce débarquement a été préparé de longue main, l'humanitaire ne sert que de prétexte. En fait ils testent ici, comme d'autres un vaccin sur une bête, leur doctrine pour là résolution de futurs conflits locaux. Or cette opération coûtera de leur propre aveu, entre 400 et 600 millions de dollars dans sa première phase. Avec la moitié de cette somme, sans un seul soldat, je rendrais sa stabilité prospère à la Somalie''.

[5] Colin Powell s'est prononcé contre l'intervention en Yougoslavie en septembre 1992.

[6] Selon des sources proches de Boutros Ghali, secrétaire de l'ONU, les besoins de l'intervention pour acheminer la nourriture s'élèveraient à 5000 hommes. Les USA en envoient 30 000...

[7] Près de 500 000 blessés et morts sous les bombardements.

[8] Ce scandale, ainsi nommé par analogie avec celui du « Watergate » qui fit tomber Nixon, puis celui de l’« Irangate » qui dé­stabilisa Reagan, dévoile, parmi d'autres révélations, l'importance de l'aide financière consentie par les USA à l'Irak, par l'intermédiaire d'une banque italienne, au cours de l'année précédant la guerre du Golfe, aide utilisée par ce pays pour déve­lopper ses recherches et infrastructures en vue de se doter de l'arme atomique...

[9] Voir dans ce numéro l'article sur la crise.

[10] Voir la constitution d'un corps d'armée franco-allemand ainsi que le projet de for­mation d'une force aéronavale italo-franco-espagnole.

[11] Sur la guerre en Yougoslavie et la res­ponsabilité des grandes puissances, voir les n° 70 et 71 de la Revue Internationale.

[12] Quant aux accords économiques, ils ne sont en rien une manifestation d'une coopé­ration véritable, ou d'une d'entente entre bourgeoisies nationales, tout comme la concurrence économique n'engendre pas mécaniquement des divergences politiques et militaires. Avant l'effondrement du bloc de l'Est, Etats-Unis et Allemagne étaient de très sérieux concurrents sur le terrain éco­nomique, cela ne les empêchait pas d'être totalement alliés sur le terrain politique et militaire. L'URSS n'a jamais été un concur­rent sérieux des Etats-Unis sur le plan éco­nomique et leur rivalité militaire a pourtant fait peser pendant quarante ans la menace de la destruction de la planète. Aujourd'hui, l'Allemagne peut très bien passer des ac­cords avec la Grande-Bretagne sur le plan économique, dans le cadre de l'Europe, y compris parfois au détriment des intérêts de la France, cela n'empêche pas que la Grande-Bretagne et l'Allemagne se trouvent en complète opposition sur le plan politique et militaire, alors que la France et l'Allemagne jouent la même politique.

[13] Voir Revue Internationale n° 70.

 

Questions théoriques: 

  • Décomposition [1]
  • Guerre [2]

Crise économique mondiale : Un peu plus d’Etat ?

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Au lieu de connaître la « reprise » tant annoncée, l'économie mondiale continue de s'enfoncer dans le marasme. Au coeur du monde industrialisé, les ravages du capitalisme en crise se traduisent par des millions de nouveaux chômeurs et par la dé­gradation accélérée des condi­tions d'existence des prolétaires qui ont encore du travail.

On nous annonce pourtant du « nouveau ». Devant l'impuis­sance des anciennes recettes pour relancer l'activité produc­tive, les gouvernements des grands pays industrialisés (Clinton en tête), proclament une « nouvelle » doctrine : le retour au fameux « plus d'Etat ». De « grands travaux », financés par les Etats nationaux, telle serait la nouvelle potion magique qui de­vrait redonner vie à la machine d'exploitation capitaliste décré­pite.

Qu'y a-t-il derrière ce change­ment de langage des gouverne­ments occidentaux ? Quelles chances de réussite ont ces « nouvelles » politiques ?

Nous devrions être eh pleine re­prise de l’économie mondiale. De­puis deux ans, les «experts» nous avaient régulièrement promis celle-ci pour «dans six mois» ([1] [3]). L'année 1992 s'achève cependant dans une situation catastrophique. Au centre du système, dans cette partie de la planète qui avait été jusqu'ici relativement épargnée, l'économie des premiers pays frap­pés par la récession depuis 1990 (Etats-Unis, Grande-Bretagne et Canada) ne parvient toujours pas à se relever réellement ([2] [4]) , alors que celle des autres puissances (Japon et pays Européens) s'effondre.

Depuis 1990, le nombre de chô­meurs a augmenté de trois millions et demi aux Etats-Unis, d'un mil­lion et demi en Grande-Bretagne. Dans ce dernier pays, qui connaît sa récession la plus profonde et la plus longue depuis les années 1930, le nombre de faillites, au cours de Tannée 1992, a augmenté de 40 %. Le Japon vient d'entrer « officiellement » en récession, pour la première fois depuis 18 ans ([3] [5]). Il en est de même pour l'Allemagne, où Kohl vient de reconnaître, lui aussi « officiellement », la réces­sion. Les prévisions gouvernemen­tales y annoncent un demi-million de chômeurs de plus pour 1993, alors qu'on estime que dans l'ex-Allemagne de l'Est 40 % de la population active ne dispose pas d'un emploi stable.

Mais, indépendamment des prévi­sions officielles, les perspectives pour les années qui viennent sont clairement tracées par les suppres­sions d'emplois massives, annon­cées dans des secteurs aussi impor­tants que la sidérurgie et l'automobile, ou dans des do­maines aussi avancés que l'informatique et la construction aéronautique. Eurofer, l'organisme responsable de la sidérurgie dans la CEE, annonce la suppression de 50 000 emplois dans ce secteur au cours des trois prochaines années. General Motors, la première entre­prise industrielle du monde, qui avait déjà annoncé la fermeture de 21 de ses usines dans le monde vient de faire savoir qu'elle portait ce chiffre à 25. IBM, le géant de l'informatique mondiale, qui a déjà supprimé 20 000 emplois en 1991 et avait annoncé la suppression de 20 000 autres au début de 1992, vient d'informer qu'il s'agira en fait de 60 000. Tous les grands constructeurs d'avions civils annoncent des licenciements (Boeing, un des moins touchés par la crise, prévoit la suppression de 9 000 emplois au cours de la seule année 1992).

C'est dans tous les pays ([4] [6]) et dans tous les secteurs, classiques ou de pointe, industriels ou de services, que la réalité de la crise s'impose de façon impitoyable. Le capitalisme mondial connaît bien une récession sans précédent par sa profondeur, son étendue géographique et sa du­rée. Une récession qui, comme nous l'avons développé à plusieurs reprises dans ces colonnes, est qualitativement différente des quatre autres qui l'ont précédée depuis la fin des années 1960. Une récession qui traduit, bien sûr, l'incapacité chronique du capita­lisme à dépasser ses contradictions historiques fondamentales (son im­puissance à créer des débouchés suffisants pour permettre l'écoulement de sa production), mais aussi les difficultés nouvelles, engendrées par les « remèdes » utili­sés au cours de deux décennies de fuite en avant dans le crédit et l'endettement massif ([5] [7]).

Le gouvernement américain s’est efforcé depuis deux ans de refaire partir la machine économique en appliquant la vieille politique consistant à faciliter le crédit par la baisses des taux d'intérêt. Ainsi, aux Etats-Unis, les taux d'intérêt de la Banque fédérale ont été diminués à plus de 20 reprises, au point d'arriver à une situation où, compte tenu de l'inflation, une banque privée peut emprunter de l'argent sans quasiment payer d'intérêts en termes réels. Malgré tous ces efforts, l'électro-encéphalogramme de la croissance reste désespérément plat. L'état d'endettement de l'économie américaine est tel que les prêts « gratuits » ont été utilisés par les banques privées et les entreprises, non pas pour investir, mais pour rembourser un peu de leurs dettes antérieures ([6] [8]).

Jamais les perspectives écono­miques ne sont apparues aussi sombres pour le capitalisme. Ja­mais le constat d'impuissance n'avait été aussi flagrant. Le mi­racle des « reagannomics », le mi­racle du retour au capitalisme « pur », triomphant sur les ruines du « communisme » s'achève dans un fiasco total.

Plus d'Etat ?

Mais voilà que le nouveau prési­dent, Clinton, se présente avec une solution pour les Etats-Unis et pour le monde :

« La seule solution pour le président (Clinton) est celle qu'il a évoquée dans ses grandes lignes, tout au long de sa campagne. A savoir, relancer l’économie en augmentant les dé­penses publiques dans les infra­structures (réseau routier, ports, ponts), dans la recherche et la for­mation. Ainsi des emplois seront créés. Tout aussi important, ces dépenses contribueront à accélérer la croissance de la productivité à long terme et les salaires réels. » (Lester Thurow, un des conseillers écono­miques les plus écoutés dans le parti démocrate américain) ([7] [9]). Clinton promet ainsi de faire injec­ter par l'Etat entre 30 et 40 mil­liards de dollars dans l'économie.

En Grande-Bretagne, le très conservateur Major, aux prises avec les premières manifestations d'un retour de la combativité ou­vrière, confronté lui aussi à la ban­queroute économique, abandonne soudain son credo libéral, « anti­étatique » et entonne le même hymne keynésien en annonçant une « stratégie pour la croissance» et l'injection de 1,5 milliards de dol­lars. Puis, c'est le tour de Delors, représentant de la CEE, qui insiste en outre sur la nécessité d'accompagner cette nouvelle poli­tique d'une forte dose de « coopération entre Etats » : « Cette initiative de croissance n'est pas une relance keynésienne classique. Il ne s'agit pas seulement d'injecter de l'argent dans le circuit. Nous vou­lons surtout envoyer un signal que la coopération entre Etats est à l'ordre du jour. » ([8] [10])

Au même moment, le gouverne­ment japonais décide de fournir une aide massive au* principaux secteurs de l'économie (90 milliards de dollars, soit l'équivalent de 2,5% du PIB).

De quoi s'agit-il exactement ?

La propagande démocrate aux Etats-Unis, tout comme celle de certains partis de gauche en Eu­rope, présente cela comme un changement par rapport aux poli­tiques trop « libérales » du temps des «reagannomics». Après le « moins d'Etat », ce serait un retour à plus de justice par un recours ac­cru à l'action de cette institution qui est supposée représenter «r les intérêts communs de toute la na­tion».

En fait il ne s'agit que de la pour­suite de cette tendance, caractéris­tique du capitalisme décadent, à recourir à la force étatique pour faire fonctionner une machine éco­nomique qui spontanément, laissée à elle-même, est de plus en plus condamnée à la paralysie du fait du développement de ses contradic­tions internes.

En réalité, depuis la première guerre mondiale, depuis que la sur­vie de chaque nation dépend de sa capacité à se faire une place par la force dans un marché mondial de­venu définitivement trop étroit, l'économie capitaliste n'a cessé de s'étatiser en permanence. Dans le capitalisme décadent, la tendance au capitalisme d'Etat est une ten­dance universelle. Suivant les pays, suivant les périodes historiques, cette tendance s'est concrétisée à des rythmes et sous des formes plus ou moins accentués. Mais elle n'a cessé de progresser, au point de faire de la machine étatique le coeur même de la vie économique et sociale de toutes les nations.

Le militarisme allemand du début du siècle, le stalinisme, le fascisme des années 1930, les grands travaux du New Deal aux Etats-Unis au lendemain de la dépression écono­mique de 1929, ou ceux du Front populaire en France à la même époque, ne sont que des manifesta­tions d'un même mouvement d'étatisation de la vie sociale. Cette évolution ne s'arrête pas après la seconde guerre mondiale. Au contraire. Et les «reagannomics», supposées constituer un retour à un capitalisme « libéral », moins éta­tisé, n'ont pas interrompu cette tendance. Le «miracle» de la re­prise américaine au cours des an­nées 1980 n'a pas eu d'autre fonde­ment qu'un doublement du déficit de l'Etat et une augmentation spec­taculaire des dépenses d'armement. Ainsi, au début des années 1990, après trois mandats républicains, la dette publique brute représente près de 60 % du PIB américain (alors que ce chiffre était de 40 % au début des années 80). Et le seul fi­nancement de cette dette absorbe la moitié de l'épargne nationale ([9] [11]).

Les politiques de « dérégulation » et « privatisations », appliquées au cours des années 1980 dans l'ensemble des pays industrialisés, ne  traduisaient  pas  un  recul  du poids de l'Etat dans la gestion éco­nomique ([10] [12]). Ces politiques ont surtout servi de justificatif à une ré­orientation des aides de l’Etat vers des secteurs plus compétitifs, à l'élimination d'entreprises moins rentables par la réduction de cer­taines subventions publiques, à une incroyable concentration de capi­taux (ce qui a entraîné inévitable­ment une fusion croissante, au ni­veau de la gestion, entre Etat et grand capital « privé »).

Sur le plan social, elles ont facilité le recours aux licenciements, la précarisation de l'emploi en géné­ral, ainsi que la réduction des dé­penses dites «sociales». Au bout d'une décennie de « libéralisme anti-étatique», l'emprise de l'Etat sur la vie économique de la société ne s'est pas amoindrie. Au contraire, elle s'est renforcée en devenant plus effective.

A ce niveau, le « plus d'Etat » an­noncé aujourd'hui ne constitue donc pas un retournement, mais un renforcement de tendance.

En quoi consiste alors le changement proposé ?

L'économie capitaliste vient de vivre, au cours des années 1980, la plus grande orgie spéculative de son histoire. Au moment du dégon­flement de « la bulle » que celle-ci a engendrée, un renforcement du corset bureaucratique est néces­saire pour tenter de limiter les effets de la gueule de bois dévasta­trice ([11] [13]).

Mais il s'agit aussi d'un recours ac­cru aux planches à billets des Etats. Puisque le système financier « privé » ne peut plus assurer une expansion du crédit, du fait de son état d'endettement outrancier et du dégonflement de toutes les valeurs spéculatives  dont  il s'était  porté acquéreur, l'Etat se propose de re­lancer la machine en injectant de l'argent, en créant un marché arti­ficiel. L'Etat achèterait des « infrastructures (réseau routier, ports, ponts) », etc. Ce qui oriente­rait l'activité économique vers des secteurs plus productifs que la spé­culation. Et il paierait avec... du papier, avec de la monnaie émise par les banques centrales, sans au­cune couverture.

En fait, la politique de « grands tra­ vaux» proposée aujourd'hui, est dans une grande mesure celle ap­pliquée par l'Allemagne depuis deux ans dans son effort de « reconstruction » de l’ex-RDA. Et l'on peut avoir une certaine idée des effets de cette politique en regardant ce qui s'y est produit. Ces effets sont particulièrement significatifs dans deux domaines : celui de l'inflation et celui du commerce extérieur. En 1989, l'Allemagne fédérale connaissait un des taux d'inflation les plus bas du monde, en tête des pays industrialisés.   Aujourd'hui, l'inflation y est la plus élevée des sept grands ([12] [14]), exception faite de l'Italie. Il y a deux ans, la RFA jouissait du plus important excédent commercial de la planète, dépassant même le Japon. Au­jourd'hui, celui-ci a fondu sous le poids d'un accroissement de plus de 50 % de ses importations.

Mais le cas de l'Allemagne est celui d'une des économies les plus puis­santes et « saines » financièrement du monde ([13] [15]). Dans le cas de pays tels que les Etats-Unis, en particu­lier, une même politique aura, à court ou moyen terme, des effets beaucoup plus dévastateurs ([14] [16]). Le déficit de l'Etat et le déficit com­mercial, ces deux maladies chro­niques de l'économie américaine depuis deux décennies, y atteignent des niveaux beaucoup plus élevés qu'en Allemagne. Même si ces dé­ficits sont actuellement relative­ment inférieurs à ceux du début des politiques « reaganiennes », les accroître aura des répercussions dra­matiques, non seulement pour les Etats-Unis, mais aussi pour l'économie mondiale, en particu­lier au niveau de l'inflation et de l'anarchie des taux de change des monnaies. Par ailleurs, la fragilité de l'appareil financier américain est telle qu'un accroissement des déficits étatiques risque de le faire s'effondrer définitivement. En effet, c'est l'Etat qui depuis des années a pris systématiquement en charge les faillites de plus en plus impor­tantes et nombreuses des banques et caisses d'épargne, incapables de rembourser leurs dettes. En relan­çant une politique de déficits d'Etat, le gouvernement affaiblit le dernier et faible garant d'un ordre financier que tout le monde sait lé­zardé de toutes parts.

Plus de coopération entre Etats ?

Ce n'est pas par hasard si Delors insiste sur la nécessité que ces poli­tiques de grands travaux s'accompagnent d'une plus grande « coopération entre Etats ». Comme le démontre l'expérience alle­mande, de nouvelles dépenses de l'Etat entraînent inévitablement une relance des importations et donc une aggravation des déséqui­libres commerciaux. Au cours des années 1930, les politiques de grands     travaux s'étaient accompagnées d'un violent renforcement du protectionnisme, jusqu'à l'autarcie de l'Allemagne hitlérienne. Ces mêmes tendances se font jour aujourd'hui. Aucun pays ne veut accroître ses déficits pour relancer l'économie de ses voisins et concurrents. Le langage de Clinton et de ses conseillers, réclamant un puissant renforcement du protectionnisme américain, est particulièrement clair dans ce domaine.

L'appel de Delors est un vœu pieux. Devant l'aggravation de la crise économique mondiale, ce qui est à l'ordre du jour ce n'est pas la tendance à plus de « coopération entre Etats » mais, au contraire, la guerre de tous contre tous. Toutes les politiques de coopération, des­tinées pourtant à faire des alliances partielles pour être mieux en me­ sure d'affronter d'autres concur­rents, se heurtent en permanence au renforcement de ces forces cen­trifuges internes. Les convulsions croissantes qui déchirent la CEE, et dont le récent éclatement du SME constitue une des manifestations les plus spectaculaires, en attestent. Il en est de même des tensions au sein du Traité de libre-échange des Etats-Unis avec le Canada et le Mexique ou des tentatives mort-nées de mar­ché commun entre les pays du cône sud de l'Amérique latine ou des pays du « Pacte andin ».

Le protectionnisme n'a cessé de se développer au cours des années 1980. Malgré tous les discours sur « la libre circulation des marchan­dises », ce principe que le capita­lisme occidental a tellement clai­ronné comme concrétisation des « droits de l'homme » (bourgeois), les entraves au commerce mondial n'ont cessé de se multiplier ([15] [17]).

La guerre impitoyable qui oppose les grandes puissances commer­ciales, et dont les « négociations » du GATT ne sont qu'une toute pe­tite partie, n'a pas tendance à s'atténuer mais à s'exacerber. Le renforcement des tendances au ca­pitalisme d'Etat, stimulé par les politiques de « grands travaux », ne pourra que l'aiguiser.

Les gouvernements ne peuvent évi­demment jamais rester inactifs de­vant la situation catastrophique de leur économie. Tant que le proléta­riat ne parviendra pas à détruire définitivement le pouvoir politique de la bourgeoisie mondiale, celle-ci gérera d'une façon ou d'une autre la machine d'exploitation capitaliste, aussi décadente et décomposée soit-elle.

Les classes exploiteuses ne se suici­dent pas. Mais les «solutions» qu'elles peuvent trouver ont inévi­tablement deux caractéristiques majeures. La première c'est qu'elles ont de plus en plus recours à l'action de l'Etat, force organisée du pouvoir de la classe dominante, seule capable d'imposer par la vio­lence la survie de mécanismes qui,  spontanément, tendent à la paraly­sie et l'autodestruction. C'est le «plus d'Etat» d'aujourd'hui. La deuxième c'est que ces « solutions » comportent toujours une part croissante   d'absurdités et d'aberrations. C'est ainsi que l'on peut voir aujourd'hui les différentes fractions du capital mondial s'affronter dans les négociations du GATT, regroupées autour de leurs Etats respectifs, pour savoir com­bien de millions d'hectares de terres cultivables devront être stéri­lisés en Europe (« solution » au pro­blème de la « surproduction » agri­cole), alors qu'au même moment on étale sur tous les écrans du monde, pour les besoins de la pro­pagande guerrière, une des nom­breuses famines d'Afrique, en So­malie.

Pendant des décennies, les idéologies staliniennes et « socialistes » ont inculqué, parmi les travailleurs, le mensonge d'après lequel l'étatisation de l'économie était sy­nonyme d'amélioration de la condi­tion ouvrière. Mais l'Etat, dans une société capitaliste, ne peut être que l'Etat du capital, l'Etat des capita­listes (qu'il s'agisse de riches pro­priétaires ou de grands bureau­crates). L'inéluctable renforcement de l'Etat qu'on nous annonce, n'apportera rien aux prolétaires, sinon plus de misère, plus de ré­pression, plus de guerres.

RV.



[1] [18] En décembre 1991, on pouvait lire dans le n° 50 des Perspectives économiques de l'OCDE : « Chaque pays devrait voir sa de­mande progresser d'autant plus qu'une ex­pansion comparable interviendra de façon plus ou moins simultanée dans les autres pays : une reprise du commerce mondial est en vue (...). L'accélération de l'activité de­vrait se confirmer au printemps de l'année 1992 (...). Cette évolution entraînera pro­gressivement un accroissement de l'emploi et une reprise des investissements des entre­prises... ». Il faut noter que, déjà à cette date, les mêmes « experts » avaient dû constater que «La croissance de l'activité dans la zone de l'OCDE au second semestre de 1991 apparaît plus faible que ne le pré­voyaient les Perspectives économiques de juillet... »

[2] [19] Les quelques signes de reprise qui se sont manifestés jusqu'à présent aux Etats-Unis sont très fragiles, et apparaissent plus comme un ralentissement momentané de la chute, effet des efforts désespérés de Bush pendant la campagne électorale, que comme l'annonce d'un véritable retournement de tendance.

[3] [20] La définition technique d'entrée en réces­sion (suivant les critères américains) est de deux trimestres consécutifs de croissance négative pour le PIB (produit intérieur brut, c'est-à-dire l'ensemble de la production, y compris le salaire de la bureaucratie éta­tique, supposée produire l'équivalent de son salaire). Au 2e et 3e trimestres de 1992, le PIB japonais a baissé de 0,2 et 0,4 %. Mais au cours de la même période, la chute de la production industrielle par rapport à l'année précédente était de plus de 6 %.

[4] [21] Nous ne reviendrons pas ici sur l'évolution de la situation dans les pays du « tiers-monde » dont les économies ne ces­sent de s'enfoncer depuis le début des an­nées 80. Il est intéressant cependant de don­ner quelques éléments sur ce qu'a été l'évolution des pays anciennement dits « communistes », ces pays que l'accès à « l'économie de marché » devait rendre pros­pères et transformer en riches marchés pour les économies occidentales. La dislocation de l'ancienne URSS s'est accompagnée d'une catastrophe économique sans pareil dans l'histoire. A la fin 1992, le nombre de chômeurs y atteint déjà 10 millions et l'inflation y avance à un rythme annuel de 14 000%, un chiffre qui se passe de tout commentaire. Quant aux pays de l'Europe de l'Est, leurs économies sont toutes en ré­cession et le plus avancé d'entre eux, la Hongrie, celui qui avait commencé le pre­mier des « réformes capitalistes » et qui de­vait le plus facilement jouir des vertus du li­béralisme, est balayé par une vague dévasta­trice de faillites. Le taux de chômage y at­teint déjà officiellement 11 % et il est prévu qu'il double au cours de l'année prochaine. Quant au dernier bastion du soi-disant « socialisme réel », Cuba, la production an­nuelle en 1992 y est tombée à la moitié de celle de 1989 ! Seule la Chine fait encore fi­gure d'exception : partant d'un niveau parti­culièrement bas, (la production industrielle de la Chine populaire est à peine supérieure à celle de la Belgique), elle connaît actuelle­ment des taux de croissance relativement élevés, traduisant l'expansion des zones « ouvertes à l'économie capitaliste » où l'on brûle la masse de crédits qu'y déverse le Ja­pon.

Quant aux quatre petits dragons de l'Asie « capitaliste » (Corée du Sud, Taiwan, Hong­kong et Singapour), leurs croissances excep­tionnelles commencent à décliner à leur tour.

[5] [22] Voir, en particulier, « Une récession pas comme les autres » et « Catastrophe au coeur du monde industrialisé » dans Revue Interna­tionale, n° 70 et 71.

[6] [23] L'endettement total de l'économie améri­caine (Gouvernement plus entreprises, plus particuliers) équivaut à près de deux années de production nationale.

[7] [24] Le Monde, 17 novembre 1992.

[8] [25] Libération, 24 novembre 1992.

[9] [26] En termes concrets, le développement de la dette publique, phénomène qui a particu­lièrement marqué cette décennie, veut dire que l'Etat prend en charge la responsabilité de fournir un revenu régulier, une part de la plus-value sociale, sous forme d'intérêts au nombre croissant de capitaux qui s'investit sous forme de « Bons du trésor». Cela veut dire que, de plus en plus, les capitalistes ti­rent leurs revenus, non plus du résultat de l'exploitation d'entreprises leur apparte­nant, mais des impôts prélevés par l'Etat. Il faut noter que, pour la CEE, le montant de la dette publique, en pourcentage du PIB, est supérieur à celui des Etats-Unis (62%).

Revue Internationale n° 72

[10] [27] Même en se situant du point de vue pu­rement quantitatif, si l'on mesure le poids de l'Etat dans l'économie par le pourcentage que représentent les dépenses des adminis­trations publiques dans le produit intérieur brut, ce taux est plus élevé aujourd'hui qu'au début des années 80. Lorsque Reagan est élu, ce chiffre est de l'ordre de 32 %, lorsque Bush quitte la présidence, il dépasse les 37 %.

[11] [28] Les faillites des caisses d'épargne et de banques américaines, les difficultés des banques japonaises, l'effondrement de la bourse de Tokyo (équivalent déjà au krach de 1929), la faillite d'un nombre croissant de compagnies chargées de la gestion de capi­taux en bourse, etc., sont les premières conséquences directes de ces lendemains de folie spéculative. Seuls les Etats peuvent faire face aux désastres financiers qui en dé­coulent

[12] [29] Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Italie, Grande-Bretagne, Canada.

[13] [30] En outre, le gouvernement s'y est appli­qué à financer le déficit de l'Etat par le re­cours aux emprunts internationaux tout en s'efforçant de maintenir sous contrôle l'inflation par la limitation (certes, de moins en moins effective) de l'expansion des masses monétaires et le maintien de taux d'intérêts très élevés.

[14] [31] Dans le cas de pays comme l'Italie, l'Espagne ou la Belgique, l'endettement de l'Etat a atteint de tels niveaux (plus de 100 % du PIB pour l'Italie, 120 % pour la Belgique) que de telles politiques sont tout simplement impensables.

[15] [32] Ces entraves au commerce ne prennent pas tant la forme de tarifs douaniers que de restrictions pures et simples : quota d'importations, accords d'auto-restriction, législations « anti-dumping », réglementa­tions sur les qualités des produits, etc., <r... la part des échanges donnant lieu à des me­sures non-tarifaires s’ est fortement accrue tant aux Etats-Unis que dans la Communauté eu­ropéenne, qui représentent ensemble près de 75 % des importations de la zone OCDE (hors combustibles). » OCDE, Progrès de la ré­forme structurelle : une vue d'ensemble, 1992.

Récent et en cours: 

  • Crise économique [33]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Capitalisme d'Etat [34]

Le communisme n'est pas un bel idéal mais une nécessite matérielle [5°partie]

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Le communisme comme programme politique

Les deux précédents articles de cette série ([1] [35]) ont été en grande partie centrés sur les Manus­crits Economiques et Philoso­phiques de 1844 car ceux-ci constituent un filon très riche sur le problème du travail aliéné et des buts ultimes du commu­nisme, tel que Marx l'envisageait quand il a commencé à adhérer au mouvement prolétarien. Mais bien que, dès 1843, Marx eût déjà reconnu le prolétariat mo­derne comme l'agent de la trans­formation communiste, les Ma­nuscrits ne sont pas encore précis sur le mouvement social pratique qui mènera de la so­ciété d'aliénation à la commu­nauté humaine authentique. Ce développement fondamental dans la pensée de Marx devait se faire jour à travers la conver­gence de deux éléments vitaux : l'élaboration de la méthode ma­térialiste historique, et la politi­sation ouverte du projet com­muniste.


Le mouvement réel de l'histoire
 

Les Manuscrits contiennent diverses réflexions sur les différences entre le féodalisme et le capita­lisme, mais dans certaines parties, ils présentent de la société capita­liste une image quelque peu sta­tique. Parfois dans le texte, le capi­tal et les aliénations qui s'y rattachent, apparaissent simplement comme un état de fait, sans explica­tion réelle de leur genèse. Aussi le processus réel de la faillite du capi­talisme reste-t-il également plutôt nébuleux. Mais, un an plus tard, dans L'Idéologie Allemande, Marx et Engels ont développé une vision cohérente des bases pratiques et objectives du mouvement de l'histoire (et donc des différentes étapes de l'aliénation humaine). L'histoire se présentait maintenant clairement comme une succession de modes de production, depuis la communauté tribale, en passant par la société antique jusqu'au féo­dalisme et au capitalisme ; et ce qui constituait l'élément dynamique de ce mouvement n'était pas les idées ou les sentiments humains, mais la production matérielle des besoins vitaux :

« (...) force nous est de constater d'emblée que la première condition de toute existence humaine, donc de toute histoire, c'est que les hommes doivent être en mesure de vivre pour être capables de "faire l'histoire". Or, pour vivre, il faut avant tout manger et boire, se loger, se vêtir et maintes autres choses encore. Le premier acte historique, c'est donc la création des moyens pour satisfaire ces besoins, la production de la vie matérielle elle-même. » ([2] [36])

Cette vérité toute simple était la base pour comprendre le passage d'un type de société à un autre, pour comprendre « qu'un mode de production ou un stade industriel déterminé est toujours lié à un mode de coopération ou à un stade social bien défini, et ce mode de coopéra­tion est lui-même une "force pro­ductive" ; que la quantité de forces productives accessibles aux hommes détermine l'état social, de sorte que "l'histoire de l'humanité" doit être étudiée et traitée en liaison avec l'histoire de l'industrie et du com­merce. » ([3] [37])

Avec ce point de vue, les idées et la lutte entre les idées, la politique, la morale et la religion cessent d'être les facteurs déterminants du déve­loppement historique :

« (...) on ne part pas de ce que les hommes disent, s'imaginent, se re­présentent, ni non plus de ce que l'on dit, pense, s'imagine et se re­présente à leur sujet, pour en arriver à l'homme en chair et en os; c'est à partir des hommes réellement actifs et de leur processus de vie réel que l'on expose le développement des re­flets et des échos idéologiques de ce processus... Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, c'est la vie qui détermine la conscience. »([4] [38])

L'Idéologie allemande souligne qu'au bout de ce vaste mouvement historique, à l'instar des modes de production            précédents,      le capitalisme, est condamné à disparaître, non pas à cause de sa faillite morale, mais parce que ses contradictions internes le contraignent à s'autodétruire, et parce qu'il a fait surgir une classe capable de le remplacer par une forme supérieure d'organisation sociale :

« A un certain stade de l'évolution des forces productives, on voit surgir des forces de production et des moyens de commerce qui, dans les conditions existantes, ne font que causer des malheurs. Ce ne sont plus des forces de production, mais des forces de destruction (machinisme et argent). Autre conséquence, une classe fait son apparition, qui doit supporter toutes les charges de la société sans jouir de ses avantages, une classe qui, jetée hors de la société, est reléguée de force dans l'opposition la plus résolue à toutes les autres classes ; une classe qui constitue la majorité de tous les membres de la société et d'où émane la conscience de la nécessité d'une révolution en profondeur, la conscience communiste (...) ». ([5] [39])

Le résultat, en contradiction com­plète avec toutes les visions uto­pistes qui voyaient le communisme comme un idéal statique sans au­cun rapport avec le processus réel de l'évolution historique, c'était que « le communisme n'est pas un état de choses qu'il convient d'établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses. » ([6] [40])

Ayant établi cette méthode et ce cadre général, Marx et Engels pu­rent procéder alors à un examen plus détaillé des contradictions spécifiques de la société capitaliste. De nouveau, la critique de l'économie bourgeoise contenue dans les Manuscrits, a fourni beaucoup de matière pour le faire, et Marx devait y revenir sans cesse. Mais une étape décisive fut mar­quée par le développement du concept de plus-value, puisqu'il permettait d'enraciner la dénoncia­tion de l'aliénation capitaliste dans les faits économiques les plus tan­gibles, dans les mathématiques mêmes de l'exploitation quoti­dienne. Ce concept devait évidem­ment préoccuper Marx dans la plupart de ses travaux ultérieurs (les Grundrisse, Le Capital, les Théories de la Plus-Value) qui contiennent d'importantes clarifications sur ce sujet - en particulier la distinction entre le travail et la force de travail. Néanmoins, l'essentiel du concept est déjà élaboré dans Misère de la Philosophie et dans Travail Salarié et Capital, rédigés en 1847.

Les écrits ultérieurs devaient éga­lement se pencher de plus près sur le rapport entre l'extraction et la réalisation de la plus-value, et sur les crises périodiques de surproduc­tion qui ébranlaient, tous les dix ans ou à peu près, la société capi­taliste jusqu'en ses fondements. Mais Engels avait déjà saisi la si­gnification des « crises commer­ciales » dans sa Critique de l'Economie Politique en 1844, et avait rapidement convaincu Marx de la nécessité de les comprendre comme les signes avant-coureurs de l'effondrement du capitalisme - manifestations concrètes des contradictions insolubles de celui-ci.

 L'élaboration du programme : la formation de la Ligue des communistes
 

Puisque désormais, le communisme avait été appréhendé comme mou­vement et non simplement comme but - de façon spécifique comme le mouvement de la lutte de classe du prolétariat - il ne pouvait mainte­nant que se développer comme programme pratique pour l'émancipation du travail - comme programme politique révolution­naire. Même avant qu'il eût for­mellement adopté une position communiste, Marx avait rejeté tous les « nobles critiques » qui refu­saient de se salir les mains dans les sordides réalités de la lutte politique. Comme il le déclarait dans sa lettre à Ruge en septembre 1843 : « Rien ne nous empêche de rattacher notre critique à la critique de la po­litique, et de prendre parti dans la politique, donc de participer à des luttes réelles et de nous identifier à elles. » ([7] [41]) En fait, la nécessité de s'engager dans les luttes politiques, afin de réaliser une transformation sociale plus totale, faisait partie in­tégrante de la nature même de la révolution prolétarienne : « Ne dites pas que le mouvement social exclut le mouvement politique » ([8] [42]), écri­vait Marx dans sa polémique contre l'« anti-politique » Proudhon : «Il n'y a jamais de mouvement politique qui ne soit social en même temps. Ce n'est que dans un ordre de choses où il n'y aura plus de classes et d'antagonismes de classes, que les évolutions sociales cesseront d'être des révolutions politiques. » ([9] [43])

Autrement dit, le prolétariat se différenciait de la bourgeoisie en ce qu'il ne pouvait, en tant que classe exploitée et sans propriété, édifier la base économique d'une nouvelle société dans la coquille de l'ancienne. La révolution qui mettrait fin à toutes les formes de do­mination de classe ne pouvait donc commencer que comme assaut po­litique contre le vieil ordre ; son premier acte serait la prise du pouvoir politique par une classe sans propriété qui, sur cette base, procéderait aux transformations éco­nomiques et sociales menant à une société sans classe.

Mais le programme politique préci­sément défini de la révolution communiste ne pouvait naître spontanément : il devait être éla­boré par les éléments les plus avan­cés du prolétariat, ceux qui s'étaient organisés dans des groupes communistes distincts. Aussi, dans les années 1845-48, Marx et Engels furent-ils de plus en plus impliqués dans la construction d'une telle organisation. Là encore, leur démarche était dictée par la re­connaissance de la nécessité de s'insérer dans un « mouvement réel » déjà existant. C'est pourquoi, au lieu de construire une organisa­tion « ex nihilo », ils cherchaient à se relier aux courants prolétariens les plus avancés, dans le but de les gagner à une conception plus scien­tifique du projet communiste. Cela les a menés, concrètement, à un groupe principalement composé d'ouvriers allemands exilés, la Ligue des Justes. Pour Marx et Engels, l'importance de ce groupe ré­sidait dans le fait qu'à la différence de diverses branches de « socialisme » des couches moyennes, la Ligue était une réelle expression du prolétariat combattant. Formée à Paris en 1836, elle avait des liens étroits avec la So­ciété des Saisons de Blanqui et avait participé, avec cette dernière, au soulèvement défait de 1839. Elle était donc une organisation qui re­connaissait la réalité de la guerre de classe et la nécessité d'une bataille révolutionnaire violente pour le pouvoir. Il est vrai que, tout comme Blanqui, elle tendait à voir la révolution en termes de conspira­tion, comme l'action d'une mino­rité déterminée, et sa nature même de société secrète était le reflet de cette conception. Elle fut également influencée, au début des années 1840, par les conceptions à demi-messianiques de Wilhelm Weitling.

Mais la Ligue avait aussi fait la preuve de ses capacités de dévelop­pement théorique. L'un des effets de son caractère « émigré » devait la confirmer, selon les termes d'Engels, comme « le premier mou­vement ouvrier international de tous les temps ». Ceci signifiait qu'elle était ouverte aux plus importants développements internationaux de la lutte de classe. Dans les années 1840, le principal centre de la Ligue s'était déplacé à Londres et, à tra­vers ses contacts avec le mouve­ment Chartiste, ses chefs avaient commencé à s'éloigner des an­ciennes conceptions conspiratrices pour adopter une vision de la lutte prolétarienne comme mouvement massif, auto conscient et organisé, dans lequel le rôle clé serait joué par le prolétariat industriel.

Les conceptions de Marx et Engels tombèrent donc sur un sol fertile, non sans qu'un dur combat ait dû être mené contre les influences de Blanqui et Weitling. Mais en 1847, la Ligue des Justes était devenue la Ligue des Communistes. Elle avait changé sa structure organisation­nelle, caractéristique d'une secte conspiratrice, en une organisation centralisée aux statuts clairement définis et dirigée par des comités élus. Et elle avait délégué à Marx la tâche de rédiger la prise de position des principes politiques de l'organisation - le document connu comme Manifeste du Parti Com­muniste ([10] [44]), d'abord publié en al­lemand, à Londres en 1848, juste avant l'explosion de la révolution de Février en France.

 
Le Manifeste communiste

L'ascension et le déclin de la bourgeoisie

Le Manifeste du Parti Communiste - ainsi que son premier brouillon les Principes du communisme - repré­sente la première prise de position détaillée du communisme scientifique. Bien que rédigé pour les grandes masses, dans un style en­thousiasmant et passionné, il n'est jamais grossier ou superficiel. Au contraire, il mérite un réexamen continuel parce qu'il condense, en relativement peu de pages, les lignes générales de la pensée marxiste sur toute une série de questions reliées entre elles.

La première partie du texte souligne la nouvelle théorie de l'histoire, annoncée dès le début par la fameuse phrase « l'histoire de toute société jusqu'à nos jours, c'est l'histoire de la lutte des classes. » ([11] [45]) Elle traite brièvement des diffé­rents changements dans les rap­ports de classes, de l'évolution depuis la société antique jusqu'au féodalisme et au capitalisme, afin de montrer que « la bourgeoisie mo­derne est elle-même le produit d'un long processus de développement, de toute une série de révolutions survenues dans les modes de production et d'échange. » ([12] [46]) S'abstenant de toute condamnation morale abstraite du surgissement de l'exploitation capitaliste, le texte souligne le rôle éminemment révolutionnaire de la bourgeoisie qui a balayé toutes les vieilles formes « paroissiales », bornées de société, et les a remplacées par le mode de production le plus dynamique et expansif jamais connu ; un mode de production qui, en conquérant et unifiant la planète si rapidement, et en mettant en mouvement des forces productives si énormes, jetait les bases d'une forme supérieure de société qui soit finalement capable de se débarrasser des antagonismes de classes. Tout aussi exempte de subjectivisme est, dans le texte, l'identification des contradictions internes qui mèneront à la chute du capitalisme.

D'un côté la crise économique : « Les conditions bourgeoises de pro­duction et de commerce, les rapports de propriété bourgeois, la société bourgeoise moderne, qui a fait éclore de si puissants moyens de production et de communication, ressemble à ce magicien, désormais incapable d'exorciser les puissances infernales qu'il a évoquées. Depuis plusieurs décennies, l'histoire de l'industrie et du commerce n'est que l'histoire de la révolte des forces productives modernes contre les rapports de production modernes, contre le système de propriété qui est la condition d'existence de la bour­geoisie et de son régime. Il suffit de rappeler les crises commerciales qui, par leur retour périodique, menacent de plus en plus l'existence de la société bourgeoise. Dans ces crises, une grande partie, non seulement des produits déjà créés, mais encore des forces productives existantes, est livrée à la destruction. Une épidémie sociale éclate qui, à toute autre époque, eût semblé absurde : l'épidémie de la surproduction. Brusquement, la société se voit re­jetée dans un état de barbarie mo­mentané ; on dirait qu'une famine, une guerre de destruction universelle lui ont coupé les vivres ; l'industrie, le commerce semblent anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de vivres, trop d'industrie, trop de com­merce. » ([13] [47])

Les Principes du communisme sou­lignent que la tendance inhérente du capitalisme aux crises de surproduction, non seulement indique le chemin de sa destruction, mais explique également pourquoi celui-ci crée les conditions du commu­nisme dans lequel «Au lieu de créer la misère, la production au-delà des besoins actuels de la société assurera la satisfaction des besoins de tous. » ([14] [48])

Pour le Manifeste, les crises de surproduction sont, bien sûr, les crises cycliques qui ont ponctué toute la période ascendante du capitalisme. Mais, bien que le texte reconnaisse que ces crises peuvent encore être surmontées « en s'emparant de mar­chés nouveaux et en exploitant mieux les anciens » ([15] [49]), il tend aussi à tirer la conclusion que les rapports bourgeois sont déjà deve­nus une entrave permanente au dé­veloppement des forces productives - en d'autres termes, que la société capitaliste a déjà achevé sa mission historique et est entrée dans sa pé­riode de déclin. Immédiatement après le passage où sont décrites les crises périodiques, le texte conti­nue : « Les forces productives dont (la société) dispose ne jouent plus en faveur de la propriété bourgeoise ; elles sont, au contraire, devenues trop puissantes pour les institutions bourgeoises qui ne font plus que les entraver (...). Les institutions bour­geoises sont devenues trop étroites pour contenir la richesse qu'elles ont créée. » ([16] [50])

Cette appréciation de l'état atteint par la société bourgeoise n'est pas complètement cohérente avec d'autres formulations du Manifeste, en particulier sur les notions tactiques qui apparaissent à la fin du texte. Mais elles devaient avoir une très grande influence sur les at­tentes et les interventions de la mi­norité communiste lors des grands soulèvements de 1848, qui furent considérés comme les précurseurs d'une révolution prolétarienne im­minente. Ce n'est que plus tard, en tirant les leçons de ces soulève­ments, que Marx et Engels devaient revoir l'idée que le capitalisme avait déjà atteint les limites de sa courbe ascendante.

 Les fossoyeurs du capitalisme

« Mais la bourgeoisie n'a pas seulement forgé les armes qui lui donne­ront la mort ; elle a en outre produit les hommes qui manieront ces armes - les travailleurs modernes, les pro­létaires. » ([17] [51])

Ceci résume la seconde contradic­tion fondamentale menant au ren­versement de la société capitaliste : la contradiction entre le capital et le travail. Et, en continuité avec l'analyse matérialiste de la dyna­mique de la société bourgeoise, le Manifeste poursuit en soulignant l'évolution historique de la lutte de classe du prolétariat, depuis ses tout débuts rudimentaires jusqu'au présent et au futur.

Il rend compte de toutes les étapes principales de ce processus : la première réponse des « Luddistes » à la montée de l'industrie moderne, quand les ouvriers sont encore en grande partie dispersés dans de pe­tits ateliers et fréquemment « dirigent leurs attaques, non seulement contre le système bourgeois de production, mais contre les instru­ments de production eux-mêmes» ([18] [52]) ; le développement d'une orga­nisation de classe pour la défense des intérêts immédiats des ouvriers (les syndicats) comme condition de l'homogénéisation et de l'unification de la classe ; la parti­cipation des ouvriers aux luttes de la bourgeoisie contre l'absolutisme qui a fourni au prolé­tariat une éducation politique et donc « met dans leurs mains des armes contre elle-même » ([19] [53]) ; le développement d'une lutte politique prolétarienne distincte, menée, au début, pour la mise en oeuvre de réformes - telles que la Loi des 10 heures - mais assumant peu à peu la forme d'un défi politique aux fondements mêmes de la société bourgeoise.

Le Manifeste défend l'idée que la si­tuation révolutionnaire naîtra des contradictions économiques du ca­pitalisme ayant atteint leur pa­roxysme, un point où la bourgeoisie ne pourra même plus « assurer l'existence de l'esclave à l'intérieur même de son esclavage : elle est for­cée de le laisser déchoir si bas qu'elle doit le nourrir au lieu d'être nourrie par lui. » ([20] [54])

En même temps, le texte envisage une polarisation croissante de la société entre une petite minorité d'exploiteurs et une majorité prolé­tarienne appauvrie, toujours crois­sante : « de plus en plus, la société se divise en deux grands camps ennemis, en deux grandes classes qui s'affrontent directement » ([21] [55]), puisque le développement du capi­talisme projette toujours plus la pe­tite-bourgeoisie, la paysannerie, et même des parties de la bourgeoisie elle-même, dans les rangs du prolé­tariat. La révolution est donc le ré­sultat de cette combinaison de mi­sère économique et de polarisation sociale.

De nouveau, il semble parfois, dans le Manifeste, que cette grande simplification de la société a déjà été accomplie ; que le prolétariat constitue déjà la majorité écrasante de la population. En fait, ce n'était le cas que dans un seul pays à l'époque où le texte a été écrit (la Grande-Bretagne). Et puisque, comme nous l'avons vu, le texte laisse la place à l'idée que le capi­talisme a déjà atteint son apogée, il tend à donner l'idée que la confron­tation finale entre les « deux grandes classes » est vraiment pour bientôt. Par rapport à l'évolution réelle du capitalisme, c'était loin d'être le cas. Mais malgré ça, le Manifeste est un travail extraordinairement prophétique. A peine quelques mois après sa publica­tion, le développement de la crise économique globale avait engendré une série de soulèvements révolu­tionnaires dans toute l'Europe. Et, bien que la plupart de ces mouve­ments aient plus constitué les der­niers souffles du combat de la bourgeoisie contre l'absolutisme féodal que les premières échauffou­rées de la révolution prolétarienne, le prolétariat de Paris, en menant son propre soulèvement indépen­dant contre la bourgeoisie, démontrait en pratique tous les arguments du Manifeste sur la nature révolu­tionnaire de la classe ouvrière comme négation vivante de la so­ciété capitaliste. Le caractère « prophétique » du Manifeste est le témoignage de la justesse fondamentale, pas tant des pronostics immédiats de Marx et Engels, que de la méthode historique générale avec laquelle ils ont analysé la réalité sociale. Et c'est pourquoi, dans son essence et contrairement à toutes les affirmations arrogantes de la bourgeoisie sur la façon dont l'histoire aurait prouvé l'erreur de Marx, le Manifeste Communiste ne date pas.

 De la dictature du prolétariat au dépérissement de l'Etat

Le Manifeste prévoit donc que l'être du prolétariat sera poussé à la révolution sous le fouet de la misère économique croissante. Comme on l'a noté, le premier acte de cette ré­volution est la prise du pouvoir po­litique par le prolétariat. Celui-ci devait se constituer en classe domi­nante pour accomplir son programme économique et social.

Le Manifeste envisage explicitement cette révolution comme « le renversement violent de la bourgeoi­sie », la culmination d'une «guerre civile plus ou moins occulte » ([22] [56]). Inévitablement cependant, les dé­tails de la manière dont le proléta­riat renverserait la bourgeoisie, res­tent vagues puisque le texte a été écrit avant la première apparition ouverte de la classe comme force indépendante. Le texte parle en fait du prolétariat qui fait « la conquête de la démocratie » ([23] [57]) ; les Prin­cipes disent que la révolution « établira un régime démocratique et, par là même, directement ou indirectement, la domination politique du prolétariat » ([24] [58]). Si nous regar­dons certains écrits de Marx sur le mouvement Chartiste ou sur la République bourgeoise, nous pouvons voir que, même après l'expérience des révolutions de 1848, il envisa­geait toujours la possibilité que le prolétariat arrive au pouvoir à tra­vers le suffrage universel et le pro­cessus parlementaire (par exemple dans son article sur les Chartistes dans The New York Daily Tribune du 25 août 1852, dans lequel Marx défend l'idée qu'accorder le suf­frage universel en Angleterre signi­fierait « la suprématie politique de la classe ouvrière »). Ceci a, à son tour, ouvert la porte à des spécula­tions sur une conquête totalement pacifique du pouvoir, dans certains pays du moins. Comme nous le ver­rons, ces spéculations furent ensuite saisies par les pacifistes et les réformistes dans le mouvement ou­vrier, dans la dernière partie du siècle, pour prendre et justifier toutes sortes de libertés idéolo­giques. Néanmoins, les principales lignes de la pensée de Marx vont dans un sens tout à fait différent, et surtout l'expérience de la Com­mune de Paris de 1871 qui a démon­tré la nécessité, pour le prolétariat, de créer ses propres organes de pouvoir politique et de détruire l'Etat bourgeois, et non de s'en emparer, que ce soit de façon vio­lente ou « démocratique ». En fait, d'après les préfaces au Manifeste écrites plus tard par Engels, ce fut le changement le plus important que l'expérience historique ait ap­porté au programme communiste : « (...) en face des expériences pra­tiques, d'abord de la révolution de Février, ensuite et surtout de la Commune de Paris, où, pour la première fois, le prolétariat a pu te­nir entre ses mains le pouvoir politique pendant deux mois, ce programme a perdu, par endroits, son actualité. La Commune notamment a démontré que la classe ouvrière ne peut pas simplement prendre posses­sion de la machine d'Etat telle quelle et l'utiliser pour ses propres fins. » ([25] [59])

Mais ce qui reste valable dans le Manifeste, c'est l'affirmation de la nature violente de la prise du pouvoir et la nécessité que la classe ou­vrière établisse sa propre domina­tion politique - la « dictature du prolétariat », telle qu'elle est pré­sentée dans d'autres écrits de la même époque.

Tout aussi valable jusqu'aujour­d'hui est le projet de dépérissement de l’Etat. Depuis ses premiers écrits en tant que communiste, Marx a souligné que l'émancipation véritable de l'humanité ne pouvait se restreindre à la sphère politique. « L'émancipation politique » avait constitué la réalisation la plus haute de la révolution bourgeoise, mais pour le prolétariat, cette

«émancipation» ne signifiait qu'une nouvelle forme d'oppression. Pour la classe exploi­tée, la politique n'était qu'un moyen pour arriver à une fin, à sa voir une émancipation sociale to­tale. Le pouvoir politique et l'Etat n'étaient nécessaires que dans une société divisée en classes ; puisque le prolétariat n'avait aucun intérêt à se constituer en nouvelle classe exploiteuse, mais était contraint de lutter pour l'abolition de toutes les divisions de classe, il s'ensuivait que l'avènement du communisme signifiait la fin de la politique en tant que sphère particulière, et la fin de l'Etat. Comme le dit le Manifeste :

« Lorsque, dans le cours du dévelop­pement, les antagonismes de classes auront disparu et que toute la pro­duction sera concentrée entre les mains des individus associés, le pouvoir public perdra son caractère politique. Le pouvoir politique au sens strict du terme, est le pouvoir organisé d'une classe pour l'oppression d'une autre. Si, dans sa lutte contre la bourgeoisie, le prolétariat est forcé de s'unir en une classe ; si, par une révolution, il se constitue en classe dominante et, comme telle, abolit violemment les anciens rapports de production - c'est alors qu'il abolit en même temps que ce système de production les conditions d'existence de l'antagonisme des classes ; c'est alors qu'il abolit les classes en géné­ral, et, par là même, sa propre do­mination en tant que classe. » ([26] [60])

 Le caractère international de la révolution prolétarienne

Le Manifeste concevait-il la possi­bilité d'une révolution ou même du communisme, dans un seul pays ? Il est certainement vrai qu'il y a des phrases ambiguës ici et là dans le texte ; par exemple quand il dit que « le prolétariat doit tout d'abord s'emparer du pouvoir politique, s'ériger en classe nationale, se constituer lui-même en tant que na­tion. Par cet acte, il est, sans doute, encore national mais nullement au sens de la bourgeoisie. » ([27] [61]) En fait, l'amère expérience historique a montré que le terme national n'a qu'un sens bourgeois et que, pour sa part, le prolétariat est la néga­tion de toutes les nations. Mais ceci est avant tout l'expérience de l'époque décadente du capitalisme, quand le nationalisme et les luttes de nationalités auront perdu le ca­ractère progressiste qu'ils pou­vaient avoir à l'époque de Marx où le prolétariat soutenait encore cer­tains mouvements nationaux comme moment de la lutte contre l'absolutisme féodal et d'autres ves­tiges réactionnaires du passé. En général, Marx et Engels étaient clairs sur le fait que de tels mouve­ments étaient de caractère bour­geois, mais des ambiguïtés se glis­saient inévitablement dans leur langage et leur pensée car c'était une époque où la totale incompati­bilité entre les intérêts nationaux et les intérêts de classe n'avait pas en­core été portée à son terme.

Ceci dit, l'essence du Manifeste n'est pas contenue dans la phrase ci-dessus, mais dans une autre juste avant : « Les prolétaires n'ont pas de patrie. On ne peut leur dérober ce qu'ils ne possèdent pas » ([28] [62]) et dans la conclusion finale du texte : « Prolétaires de tous les pays, unis­sez-vous ! » ([29] [63]) De même, le Manifeste insiste sur le fait que : « Une des premières conditions de son émancipation, c'est l'action unifiée, tout au moins des travailleurs des pays civilisés. » ([30] [64])

Les Principes sont même plus expli­cites là-dessus :

« Question : cette révolution se fera-t-elle dans un seul pays ?

Réponse : Non. La grande industrie, en créant le marché mondial, a déjà rapproché si étroitement les uns des autres les peuples de la terre, et notamment les plus civilisés, que chaque peuple dépend de ce qui se passe chez les autres. Elle a, en outre, uniformisé dans tous les pays civilisés le développement social à tel point que, dans tous ces pays, la bourgeoisie et le prolétariat sont devenus les deux classes décisives de la société, et que la lutte entre ces deux classes est devenue la principale lutte de notre époque. La révolution communiste, par conséquent, ne sera pas une révolution purement nationale ; elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés, c'est-à-dire tout au moins en Angleterre, en Amérique, en France et en Allemagne (...). Elle est une révo­lution universelle ; elle aura, par conséquent, un terrain universel. » ([31] [65])

Donc, dès le départ, la révolution prolétarienne était considérée comme une révolution internatio­nale. L'idée que le communisme, ou même la prise du pouvoir révolutionnaire, puisse avoir lieu dans les limites d'un seul pays, était aussi éloignée des idées de Marx et Engels qu'elle l'était de l'esprit des Bolcheviks qui ont dirigé la révolu­tion d'Octobre 1917, et de celui des fractions internationalistes qui ont mené la résistance à la contre-ré­volution stalinienne qui justement s'identifiait à la théorie mons­trueuse du « socialisme en un seul pays»
 

Le communisme et le chemin pour y parvenir

Comme nous l'avons vu dans l'article précédent, le courant marxiste était, dès ses débuts, tout à fait clair sur les caractéristiques d'une société communiste pleinement développée pour laquelle il luttait. Le Manifeste la définit briè­vement, mais de façon significative, dans le paragraphe qui suit celui sur le dépérissement de l'Etat :

« L'ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses conflits de classes, fait place à une association où le libre épanouissement de cha­cun est la condition du libre épa­nouissement de tous. » ([32] [66])

Le communisme n'est donc pas seulement une société sans classes et sans Etat : il est aussi une société qui a dépassé (et c'est sans précé­dent dans toute l'histoire de l'humanité jusqu'à nos jours) le conflit entre les besoins sociaux et les besoins individuels et qui dédie, de façon consciente, ses ressources au développement illimité de tous ses membres - tout ceci faisant clai­rement écho aux réflexions sur la nature d'une activité authentiquement libre parues dans les écrits de 1844 et 1845. Les passages dans le Manifeste qui traitent des objec­tions de la bourgeoisie au commu­nisme, montrent aussi à l'évidence que le communisme signifie non seulement la fin du travail salarié, mais de toutes les formes d'achat et de vente. La même partie insiste sur le fait que la famille bourgeoise, qui est caractérisée comme une forme de prostitution légalisée, est aussi condamnée à disparaître.

Les Principes du communisme trai­tent, plus longuement que le Manifeste, d'autres aspects de la nou­velle société. Par exemple, ils soulignent que le communisme remplacera l'anarchie du marché par l'organisation des forces produc­tives de l'humanité « d'après un plan établi en fonction des res­sources disponibles et des besoins de toute la collectivité ». ([33] [67]) En même temps, le texte développe le thème selon lequel l'abolition des classes sera possible dans le futur parce que le communisme sera une so­ciété d'abondance :

« Le développement de l'industrie mettra à la disposition de la société une masse de produits suffisante pour satisfaire les besoins de tous. De même l'agriculture » en utilisant les x perfectionnements et les progrès scientifiques déjà réalisés connaîtra un essor tout nouveau et mettra à la disposition de la société une quantité tout à fait suffisante de produits. Ainsi la société fabriquera suffi­samment de produits pour pouvoir organiser la répartition de façon à satisfaire les besoins de tous ses membres. La division de la société en classes différentes, mutuellement hostiles, sera rendue ainsi superflue. » ([34] [68])

De nouveau, si le communisme est consacré au « libre développement de tous », ce doit alors être une so­ciété qui s'est débarrassée de la division du travail telle que nous la connaissons : « La gestion commune de la production ne peut être assurée par des hommes tels qu'ils sont au­jourd'hui, alors que chaque individu est subordonné à une seule branche de la production, enchaîné à elle, exploité par elle, n'ayant développé qu'une de ses facultés aux dépens des autres... L'industrie exercée en commun, et suivant un plan, par l'ensemble de la société suppose des hommes dont les facultés sont déve­loppées dans tous les sens et qui sont en état de dominer tout le système de production. » ([35] [69])

Une autre division qui doit être supprimée, c'est celle entre la ville et la campagne :

« La dispersion dans les campagnes de la population agricole, à côté de la concentration de la population industrielle dans les grandes villes, est un phénomène qui correspond à une étape de développement encore inférieure de l'agriculture et de l'industrie, un obstacle à tout progrès ultérieur qui se fait fortement sentir dès maintenant. » ([36] [70])

Ce point était considéré comme si important que la tâche de mettre fin à la division entre ville et cam­pagne a été incluse comme l'une des mesures de « transition » vers le communisme, à la fois dans les Principes et dans le Manifeste. Et il reste une question brûlante dans le monde d'aujourd'hui avec ses mé­gapoles en croissance constante et la pollution grandissante. (Nous reviendrons sur cette question plus en détail dans un autre article, quand nous devrons considérer comment la révolution communiste traitera la « crise écologique »).

Ces descriptions générales de la so­ciété communiste future sont en continuité avec celles contenues dans les premiers écrits de Marx, et ne requièrent pas beaucoup, sinon pas du tout, de modifications au­jourd'hui. Par contre, les mesures sociales et économiques spécifiques défendues dans le Manifeste en tant que moyens d'atteindre ces buts sont - comme Marx et Engels l'ont reconnu eux-mêmes à leur propre époque - bien plus marquées par la période, pour deux raisons fondamentales et intimement liées :

- le fait que le capitalisme, à l'époque où le Manifeste a été écrit, était encore dans sa phase ascendante et n'avait pas encore jeté les bases des conditions  objectives de la révolution communiste ;

- le fait que la classe ouvrière n'avait pas eu d'expérience concrète d'une situation révolu­tionnaire, ni de ce fait des moyens par lesquels elle pourrait assumer le pouvoir politique, ni des premières mesures économiques et sociales qu'elle devrait prendre une fois au pouvoir.

Voici les mesures que le Manifeste envisage comme pouvant « assez généralement être mises en applica­tion » une fois que le prolétariat aura pris le pouvoir :

«1° Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l'Etat.

2° Impôt sur le revenu fortement progressif.

3° Abolition du droit d'héritage.

4° Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles.

5° Centralisation du crédit entre les mains de l'Etat, au moyen d'une banque nationale à capital d'Etat et à monopole exclusif

6° Centralisation entre les mains de l'Etat de tous les moyens de trans­port et de communication.

7° Multiplication des manufactures nationales et des instruments de production ; défrichement des ter­rains incultes conformément à un plan d'ensemble.

8° Travail obligatoire pour tous, constitution d'armées industrielles, particulièrement dans l'agriculture.

9° Combinaison de l'exploitation agricole et industrielle ; mesures tendant à faire disparaître graduel­lement la différence entre la ville et la campagne.

10° Education publique gratuite de tous les enfants. Abolition du travail des enfants dans les fabriques, tel qu'il existe aujourd'hui ; éducation combinée avec la production maté­rielle, etc. » ([37] [71])

Dès le début, il est évident que la majorité de ces mesures se sont avé­rées, dans sa phase de décadence, tout à fait compatibles avec la survie du capitalisme - en fait beaucoup d'entre elles ont été adaptées par le capital précisément pour survivre dans cette dernière période. L'époque de décadence est celle du capitalisme d'Etat universel : la centralisation du crédit entre les mains de l'Etat, la formation des armées industrielles, la nationalisa­tion des transports et de la commu­nication, l'éducation libre dans des écoles d'Etat ... A un degré plus ou moins grand, et à différents mo­ments, chaque Etat capitaliste a adopté de telles mesures depuis 1914, et les régimes staliniens, ceux qui proclament mettre en oeuvre le programme du Manifeste Commu­niste, les ont pratiquement toutes adoptées.

Les staliniens basaient leurs réfé­rences « marxistes » en partie sur le fait qu'ils avaient mis en pratique la plupart des mesures défendues dans le Manifeste. Les anarchistes, pour leur part, ont également souligné cette continuité, bien qu'évidem­ment, dans un sens totalement né­gatif, et ils peuvent se réclamer de certaines diatribes « prophétiques » de Bakounine pour « prouver » que Staline était l'héritier logique de Marx.

En fait, cette façon de voir les choses est complètement superfi­cielle, et ne sert qu'à justifier des attitudes politiques bourgeoises particulières. Mais avant d'expli­quer pourquoi les mesures écono­miques et sociales défendues dans le Manifeste ne sont, en général, plus applicables, nous voulons souligner la validité de la méthode qui les sous-tend.
 

La nécessité d'une période de transition
 

Des éléments aussi profondément enracinés dans la société capitaliste que le travail salarié, les divisions de classes ou l'Etat, ne pouvaient pas être abolis en une nuit, comme les anarchistes du temps de Marx le prétendaient et comme leurs des­cendants ultérieurs (les diverses branches de conseillisme et de mo­dernisme) le prétendent encore. Le capitalisme a créé le potentiel pour l'abondance, mais cela ne signifie pas que l'abondance apparaisse, de façon magique, le lendemain de la révolution. Au contraire, la révolu­tion est une réponse à une profonde désorganisation de la société et, dans sa phase initiale tout au moins, tendra encore à intensifier cette désorganisation. Un immense travail de reconstruction, d'éducation et de réorganisation at­tend le prolétariat victorieux. Des siècles, des millénaires d'habitudes enracinées, tous les vieux débris idéologiques du vieux monde, de­vront être supprimés. La tâche est vaste et sans précédent, et les colporteurs de solutions instantanées sont des marchands d'illusions. C'est pourquoi le Manifeste a raison de parler du besoin, pour le prolétariat victorieux, d'« accroître le plus rapidement possible la masse des forces productives » ([38] [72]) et, pour ce faire, au début, « (en attentant) despotiquement au droit de pro­priété et aux rapports de production bourgeois, donc (en prenant) des mesures apparemment insuffisantes et inconsistantes du point de vue économique. Mais au cours du mou­vement, ces mesures se dépassent elles-mêmes et sont indispensables comme moyens de bouleverser le mode de production tout entier. » ([39] [73])

 

Cette vision générale du prolétariat mettant en mouvement une dyna­mique vers le communisme, plutôt que d'introduire ce dernier par dé­cret, reste parfaitement correcte, même si nous pouvons, rétrospecti­vement, reconnaître que cette dy­namique ne découle pas du fait de placer l'accumulation du capital entre les mains de l'Etat, mais dans le prolétariat auto-organisé qui renverse les principes mêmes de l'accumulation (c'est-à-dire en soumettant la production à la consommation ; en « attentant de façon despotique » à l'économie de marché et à la forme du travail sala­rié ; à travers le contrôle direct par le prolétariat de l'appareil produc­tif, etc.)

Le principe de centralisation

De nouveau, et contrairement aux anarchistes qui, en épousant la cause de la « fédération », reflètent le localisme et l'individualisme pe­tit-bourgeois de ce courant, le marxisme a toujours insisté sur le fait que le chaos et la concurrence capitaliste ne peuvent être dépassés qu'à travers la centralisation la plus stricte à l'échelle globale - centrali­sation des forces productives par le prolétariat, centralisation des or­ganes économiques et politiques propres du prolétariat. L'expérience a certainement mon­tré que cette centralisation est très différente de la centralisation bu­reaucratique de l'Etat capitaliste ; plus encore, le prolétariat doit se méfier du centralisme de l'Etat post-révolutionnaire. Mais l'Etat capitaliste ne peut être renversé, et les tendances contre-révolution­naires de l'Etat de « transition » contrecarrées, sans la centralisa­tion des forces du prolétariat. A ce niveau encore une fois, la démarche générale contenue dans le Manifeste reste valable aujourd'hui.
 

Les limites posées par l'histoire

Néanmoins, comme Engels le dit dans son introduction à l'édition de 1872, si « les principes généraux énoncés dans le Manifeste gardent aujourd'hui encore, dans leurs grandes lignes, toute leur validité... Ainsi que le déclare le Manifeste lui-même, l'application pratique de ces principes dépend partout et toujours des conditions historiques du mo­ment ; il ne faut donc pas attribuer trop d'importance aux mesures ré­volutionnaires proposées à la fin du chapitre II. A bien des égards, il faudrait aujourd'hui remanier ces passages ». ([40] [74]) Il mentionne ensuite les  « immenses progrès de la grande industrie au cours de ces vingt-cinq dernières années » et, comme nous l'avons déjà vu,            l'expérience révolutionnaire de la classe ouvrière en 1848 et 1871.

La référence au développement de l'industrie moderne est particuliè­rement valable ici, puisqu'elle in­dique que, en ce qui concerne Marx et Engels, le but premier des mesures économiques proposées dans le Manifeste était de développer le capitalisme à une époque où nombre de pays n'avaient pas achevé leur révolution bourgeoise. On peut le vérifier en regardant les Revendications du Parti communiste d'Allemagne que la Ligue des communistes a distribuées sous forme de tract durant les soulève­ments de 1848 en Allemagne. Nous savons que Marx était tout à fait explicite à l'époque sur la nécessité que la bourgeoisie prenne le pouvoir en Allemagne comme pré condition de la révolution prolétarienne. Les mesures proposées dans ce tract avaient donc pour but de pousser l'Allemagne hors de son ar­riération féodale et d'étendre les rapports bourgeois de production aussi vite que possible : mais beaucoup de ces mesures - lourd impôt progressif sur le revenu, banque d'Etat, nationalisation de la terre et des transports, libre éducation - sont exactement les mêmes que celles du Manifeste. Nous examine­rons dans un autre article jusqu'à quel point les perspectives de Marx sur la révolution en Allemagne ont été confirmées ou infirmées par les événements ; mais le fait reste que, si Marx et Engels voyaient les mesures proposées dans le Manifeste comme étant déjà dépassées à leur époque, elles sont encore moins valables dans la période de déca­dence, quand le capitalisme a, depuis longtemps, établi sa domina­tion mondiale et, depuis longtemps, ne s'est plus manifesté comme force de progrès où que ce soit dans le monde.

Ce n'est pas pour dire qu'à l'époque de Marx et Engels, ou dans le mouvement révolutionnaire qui s'est développé après eux, il y ait eu une véritable clarté sur le genre de mesures que le prolétariat victorieux devrait prendre afin d'enclencher une dynamique vers le communisme. Au contraire, les confusions sur la possibilité, pour la classe ouvrière, d'utiliser les na­tionalisations, le crédit d'Etat et autres mesures capitalistes d'Etat comme pas en avant vers le com­munisme, ont persisté durant le 19e siècle et joué un rôle très négatif durant la révolution en Russie. Il a fallu la défaite de cette révolution, la transformation du bastion prolé­tarien en une effrayante tyrannie capitaliste d'Etat et beaucoup d'autres réflexions et débats parmi les révolutionnaires avant que de telles ambiguïtés soient finalement rejetées. Mais nous traiterons aussi de cette question dans d'autres ar­ticles.

Le jugement de la pratique
 

La partie finale du Manifeste concerne les tactiques à suivre par les communistes dans les différents pays, en particulier ceux où ce qui était à l'ordre du jour, ou ce qui semblait l'être, était la lutte contre l'absolutisme féodal. Dans le pro­chain article, nous examinerons comment l'intervention pratique des communistes dans les soulève­ments européens de 1848 a clarifié les perspectives de la révolution prolétarienne et confirmé ou in­firmé les considérations tactiques contenues dans le Manifeste.

 

CDW



[1] [75]  Voir « l’aliénation du travail constitue la prémisse de son émancipation » dans la Revue Internationale n°70 et « Le communisme, véritable commencement de la société humaine » dans la Revue internationale n°71.

[2] [76] L'Idéologie allemande, Ed. La Pléiade, T.III, p. 1058

[3] [77] Ibid. p. 1060

[4] [78] Ibid. p. 1056

[5] [79] Ibid. p. 1122

[6] [80] Ibid. p. 1067

 

[7] [81] Ecrits de Jeunesse, Ed. Spartacus, p. 46

[8] [82] Misère de la philosophie, Ed. La Pléiade, Tome I, p. 136

[9] [83] Ibid.

 

[10] [84] Ici, le terme « parti » ne se réfère pas à la Ligue des Communistes elle-même : bien que le Manifeste fût le travail collectif de cette organisation, son nom n'apparaissait pas dans la première édition de ce texte, essentiellement pour des raisons de sécurité. Le terme « parti », à ce stade, ne se référait pas à une organisation spécifique mais à une tendance ou un mouvement général.

[11] [85] Le Manifeste, Ed. La Pléiade, Tome I, p. 161. Dans les dernières éditions de ce texte, Engels a précisé que cette prise de position s'appliquait à toute « l'histoire écrite » mais pas aux formes communautaires de société qui ont précédé l'apparition des divisions en classes.

[12] [86] Ibid., p. 163

 

[13] [87] Ibid., p. 167

[14] [88] Principes du communisme, Ed. Beijing, p. 19

[15] [89] Le Manifeste, ibid.

[16] [90] Ibid.

[17] [91] Ibid. p. 168

 

[18] [92] Ibid. p. 169

[19] [93] Ibid. p. 171

[20] [94] Ibid. p. 173

[21] [95] Ibid. p. 162

 

[22] [96] Ibid. p. 173

[23] [97] Ibid. p. 181

[24] [98] Principes du communisme, Ed. Beijing, p. 15

[25] [99] Préface du Manifeste Communiste à la réédition allemande, 1872, Ed.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • 1848 [100]

Approfondir: 

  • Le communisme : une nécessité matérielle [101]

Questions théoriques: 

  • Communisme [102]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [103]

Comprendre le développement du chaos et des conflits impérialistes

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Jusqu'à l'effondrement du bloc de l'Est, en 1989, l'alternative posée par le mouvement ouvrier au début du siècle – Guerre ou Révolution – résumait clairement les enjeux de la situation : dans une course aux armements vertigineuse, les deux blocs rivaux se préparaient pour une nouvelle guerre mondiale, seule réponse que le capitalisme puisse apporter à sa crise économique. Aujourd'hui, l'humanité est confrontée, non à un “nouvel ordre mondial”, comme annoncé en 1989, mais à un désordre mondial où le chaos et la barbarie se développent jusque dans les régions qui avaient vu la première révolution prolétarienne de l'histoire, en 1917. Les militaires des grandes puissances “démocratiques”, préparés pour la guerre avec le bloc de l'Est, seraient maintenant sur le terrain au nom de “1'aide humanitaire” dans les pays ravagés par les guerres civiles. Face à ce bouleversement de la situation mondiale et à toutes les campagnes mensongères qui l'accompagnent, la responsabilité des communistes est de dégager une analyse claire, une compréhension en profondeur des nouveaux enjeux des conflits impérialistes. Malheureusement, comme on va le voir dans cet article, la plupart des organisations du milieu politique prolétarien sont bien loin d'être à la hauteur de cette responsabilité.

 

Il est évident que, dans la confusion que la bourgeoisie s'emploie à entretenir, les révolutionnaires ont pour tâche de réaffirmer que la seule force capable de changer la société, c'est la classe ouvrière, que le capitalisme ne saurait être porteur de paix et se soucie fort peu du bien-être des populations, que le seul “nouvel ordre mondial” sans guerre, sans famine, sans misère, c'est celui que peut instaurer le prolétariat en détruisant le capitalisme : le communisme. Cependant, le prolétariat attend de ses organisations politiques, si petites soient-elles, plus que de simples déclarations de principe. Il doit pouvoir compter sur elles pour opposer à toute l'hypocrisie, toute la propagande de la bourgeoisie, leur capacité d'analyse de la situation et des indications claires sur ses véritables enjeux.

 

Nous avons montré dans notre revue (n°61) que les groupes politiques sérieux, qui publient une presse régulière comme Battaglia Comunista, Workers Voice, Programma Comunista, Il Partito Comunista, Le Prolétaire, avaient réagi avec vigueur à toute la campagne sur la “fin du communisme” en réaffirmant la nécessité de celui-ci et la nature capitaliste de l'ex-URSS stalinienne (<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> [104]). De même, ces groupes ont répondu au déchaînement de la guerre du Golfe en prenant position clairement pour dénoncer tout soutien à un camp ou à l'autre et appeler les ouvriers à engager le combat contre le capitalisme sous toutes ses formes et dans tous les pays (voir Revue Internationale n°64). Cependant, au delà de ces positions de principe, de ce minimum que l'on peut attendre de groupes prolétariens, on chercherait en vain un cadre de compréhension de la situation aujourd'hui. Alors que, depuis la fin de l'année 1989, notre organisation a fait l'effort, comme c'était sa responsabilité élémentaire (et il n'y a pas lieu de nous en glorifier comme s'il s'agissait d'un exploit exceptionnel pour des révolutionnaires), d'élaborer un tel cadre, et de s'y tenir (<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]--> [105]), un des traits des “analyses” de ces groupes c'est leur tendance à zigzaguer de façon inconsidérée, à se contredire d'un mois à l'autre.

 

Les zigzags du milieu politique prolétarien

 

Pour se rendre compte de cette inconstance des groupes du milieu politique prolétarien, il suffit, par exemple, de suivre leur presse régulière dans la période de la guerre du Golfe.

 

Ainsi, le lecteur attentif de Battaglia Comunista a pu lire en novembre 90, en pleins préparatifs de l'intervention militaire que « celle ci [la guerre] n'est certainement pas provoquée par la folie de Saddam Hussein mais qu'elle est le produit d'un affrontement entre cette partie de la bourgeoisie arabe qui revendique plus de pouvoir pour les pays producteurs de pétrole et la bourgeoisie occidentale, en particulier la bourgeoisie américaine, qui prétend dicter sa loi en matière de prix du pétrole comme il est advenu jusqu'à présent ». Il faut noter que, au même moment, défilait à Bagdad une multitude de personnalités politiques occidentales (notamment Willy Brandt et toute une brochette d'anciens premiers ministres japonais) venues ouvertement négocier, au grand dam des États-Unis, la libération d'otages. Dès cette époque, il était clair que cette puissance et ses “alliés” occidentaux étaient très loin de partager les mêmes objectifs, mais ce qui était déjà un évidence, le fait que, depuis l'effondrement du bloc de l'Est, il n'existait plus les mêmes convergences d'intérêts au sein de la “bourgeoisie occidentale”, qu'au contraire, les antagonismes impérialistes partageaient de façon croissante celle-ci dès ce moment, échappe complètement à l'analyse “marxiste” de BC.

 

Par ailleurs, dans ce même numéro, il est affirmé, à juste titre, et c'est bien le moins à deux mois de l'éclatement d'une guerre annoncée, que « le futur, même le plus immédiat, sera caractérisé par un nouvel embrasement des conflits ». Toutefois, cette perspective n'est pas le moins du monde évoquée dans le journal de décembre.

 

Avec le numéro de janvier 1991, quelle n'est pas la surprise du lecteur de découvrir, en première page, que « la troisième guerre mondiale a commencé le 17 janvier » ! Cependant, le journal ne consacre qu'un article à un tel événement : on peut se demander si les camarades de BC eux-mêmes sont vraiment convaincus de ce qu'ils écrivent dans leur presse.

 

En février, une grande partie de BC est dédiée à la question de la guerre : il y est réaffirmé que le capitalisme c'est la guerre et que toutes les conditions sont réunies pour que la bourgeoisie en arrive à sa “solution”, la troisième guerre mondiale. « En ce sens, affirmer que la guerre qui a commencé le 17 janvier dernier marque le début du troisième conflit mondial n'est pas un accès de fantaisie, mais prendre acte que s'est ouverte la phase dans laquelle les conflits commerciaux, qui se sont accentués à partir du début des années 70, n'ont plus guère de possibilités de s'arranger si ce n'est en prévoyant la guerre généralisée ». Dans un autre article, l'auteur est beaucoup moins affirmatif et dans un troisième, qui montre “la fragilité du front anti-Saddam”, on s'interroge sur les protagonistes des futurs conflits : « avec ou sans Gorbatchev, la Russie ne pourrait tolérer la présence militaire américaine à la porte de sa maison, chose qui se vérifierait dans le cas d'une occupation militaire de l'Irak. Elle ne pourrait pas plus tolérer... un bouleversement des équilibres actuels en faveur de la traditionnelle coalition arabe pro-américaine ». Ainsi, ce qui était déjà évident dès les derniers mois de 1989, la fin de l'antagonisme entre les États-Unis et l'URSS par KO de cette dernière puissance, l'incapacité définitive de celle-ci de contester la supériorité écrasante de son ex-rivale, et particulièrement au Moyen-Orient, n'apparaît pas encore dans le champ de vision de BC. Avec le recul, alors que le successeur de Gorbatchev est devenu un des meilleurs alliés des États-Unis, on peut constater l'absurdité de l'analyse et des “prévisions” de BC. A la décharge de BC, il faut signaler que, dans ce même numéro, elle déclare que la fidélité aux USA de l'Allemagne devient absolument douteuse. Cependant, les raisons qu'elle donne pour étayer cette affirmation sont pour le moins insuffisantes : il en serait ainsi parce cette dernière puissance serait « engagée dans la construction d'une nouvelle zone d'influence à l'Est et dans l'établissement de nouveaux rapports économiques avec la Russie (grand producteur de pétrole) ». Si le premier argument est tout à fait valable, le second, en revanche, est plutôt faible : franchement, les antagonismes entre l'Allemagne et les États-Unis vont bien au delà de la question de savoir qui pourra bénéficier des réserves de pétrole de la Russie.

 

En mars, et on a envie de dire “enfin” (le mur de Berlin s'est écroulé depuis un an et demi...), BC annonce qu'avec « l'écroulement de l'empire russe, le monde entier sera entraîné dans une situation d'incertitude sans précédent ». La guerre du Golfe a engendré de nouvelles tensions, l'instabilité devient la règle. Dans l'immédiat, la guerre se poursuit dans le Golfe avec le maintien des USA dans la zone. Mais ce qui est considéré comme une source de conflits, ce sont les rivalités autour de la gigantesque “affaire” que serait la reconstruction du Koweït. C'est ce qui s'appelle regarder le monde par le petit bout de la lorgnette : les enjeux de la guerre du Golfe étaient d'une autre dimension que le petit émirat, ou que les marchés de sa reconstruction.

 

Dans le numéro de Prometeo (revue théorique de BC) de novembre 91, un article est consacré à l'analyse de la situation mondiale après la “fin de la guerre froide”. Cet article montre que le bloc de l'Est ne peut plus jouer le même rôle qu'auparavant et que le bloc de l'ouest, lui-même, vacille. L'article fait le point sur la guerre du Golfe et réaffirme que c'était une guerre pour le pétrole et le contrôle de la “rente pétrolière”. Cependant, il poursuit : « Mais cela en tant que tel, ne suffit pas à expliquer le déploiement colossal de forces et le cynisme criminel avec lesquels les USA ont pilonné l'Irak. Aux raisons économiques fondamentales, et à cause de celles ci, on doit ajouter des motifs politiques. En substance, il s'agissait pour les USA d'affirmer leur rôle hégémonique grâce à l'instrument de base de la politique impérialiste (l'exhibition de la force et de la capacité de destruction) aussi face aux alliés occidentaux, appelés tout simplement à coopérer dans la coalition de tous contre Saddam ». Ainsi, même si elle s'accroche encore à “l'analyse du pétrole”, BC commence à percevoir, avec un an de retard cependant, les véritables enjeux de la guerre du Golfe. Il n'est jamais trop tard pour bien faire !

 

Dans ce même article, la troisième guerre mondiale paraît toujours inévitable, mais, d'une part, « la reconstruction de nouveaux fronts est en cours selon des axes encore confus » et d'autre part, il manque encore « la grande farce qui devra justifier aux yeux des peuples la conduite de nouveaux massacres entre les États centraux, aujourd'hui si unis et solidaires en apparence ».

 

L'émotion de la guerre du Golfe passée, la troisième guerre mondiale commencée le 17 janvier devient seulement la perspective qui est devant nous. Après s'être mouillée imprudemment au début de 1991, BC a décidé, sans le dire, d'ouvrir un grand parapluie. Cela lui évite d'avoir à examiner, de façon précise, dans quelle mesure cette perspective est en train de se concrétiser dans l'évolution mondiale et notamment dans les conflits qui embrasent le monde et l'Europe même. En particulier, le lien entre le chaos qui se développe dans le monde et les affrontements impérialistes est loin d'être analysé comme le CCI a essayé de le faire, pour sa part. (<!--[if !supportFootnotes]-->[3]<!--[endif]--> [106])

 

En général les groupes du milieu prolétarien ne pouvaient pas ne pas voir le chaos grandissant et ils en font même des descriptions très justes, mais on chercherait en vain dans leurs analyses quelles sont les tendances à l'oeuvre, soit dans le sens d'une aggravation du chaos, indépendamment même des conflits impérialistes, soit dans le sens de l'organisation de la société en vue de la guerre.

 

Ainsi, en novembre 91, Programma Comunista (PC) n° 6, dans un long article, affirme que les vrais “responsables” de ce qui arrive en Yougoslavie « ne doivent pas être cherchés à Ljubljana ou à Belgrade, mais, le cas échéant, dans les capitales des nations plus développées. En Yougoslavie s'affrontent en réalité par personnes interposées, les exigences, les nécessités, les perspectives du marché européen. Ce n'est que si on voit dans la guerre intestine un aspect de la lutte pour la conquête des marchés, en tant que contrôle financier de vastes régions, qu'exploitation de zones économiques, que nécessité des pays plus avancés du point de vue capitaliste, de trouver toujours de nouveaux débouchés économiques et militaires, ce n'est qu'ainsi qu'aux yeux des travailleurs n'apparaîtra plus "justifiée" une lutte pour se libérer du "bolchevik Milosevic" ou de l'''oustachi Tudjman" ».

 

En mai 92, dans PC n° 3, l'article “Dans le marais du nouvel ordre social capitaliste” fait un constat lucide des tendances au “chacun pour soi” et du fait que le « Nouvel ordre mondial n'est que l'arène d'une explosion de conflits à jet continu », que « l'émiettement de la Yougoslavie a été autant un effet qu'un facteur de la grande poussée expansionniste de l'Allemagne ». Dans le numéro suivant, PC reconnaît que « une fois de plus, on assiste à la tentative américaine de faire valoir l'ancien droit de préemption sur les possibilités de défense (ou d'autodéfense) européenne, conféré à Washington à la fin de la deuxième guerre mondiale, et d'une tentative analogue (en sens inverse) de l'Europe, ou au moins de l'Europe "qui compte", d'affirmer son propre droit à agir par elle même, ou – si vraiment elle ne peut pas faire plus – à ne pas dépendre totalement dans chaque mouvement de la volonté des USA ». On trouve donc, dans cet article, les éléments essentiels de compréhension des affrontements en Yougoslavie: le chaos résultant de l'effondrement des régimes staliniens d'Europe et du bloc de l'Est, l'aggravation des antagonismes impérialistes divisant les grandes puissances occidentales.

 

Malheureusement, PC ne sait pas se maintenir sur cette analyse correcte. Dans le numéro d'après (septembre 92), alors qu'une partie de la flotte américaine basée en Méditerranée croise au large des côtes yougoslaves, on a une nouvelle version : « Il y a deux ans que la guerre fait rage en Yougoslavie : les USA manifestent à l'égard de celle-ci la plus souveraine des indifférences; la CEE se donne bonne conscience avec l'envoi d'aides humanitaires et de quelques contingents armés pour les protéger et avec la convocation de rencontres périodiques, ou plutôt de conférences de paix, qui laissent chaque fois les choses dans l'état où elles les trouvent. (...) Faut-il s'en étonner? Il suffit de penser à la course frénétique, après l'écroulement de l'empire soviétique, des marchands occidentaux, en particulier austro-allemands, pour accaparer la souveraineté économique, et donc aussi politique, sur la Slovénie et, si possible, sur la Croatie ». Ainsi, après avoir fait un pas en direction d'une clarification, PC en revient au thème du “business”, cher au milieu politique prolétarien, pour expliquer les grands enjeux impérialistes de la période actuelle.

 

C'est sur ce même thème que BC intervient à propos de la guerre en Yougoslavie, pour nous expliquer à longueur de pages les raisons économiques qui ont poussé les différentes fractions de la bourgeoisie yougoslave à vouloir s'assurer par les armes « ces quotas de plus-value qui allaient auparavant à la Fédération ». « Le morcellement de la Yougoslavie faisait le jeu surtout de la bourgeoisie allemande d'une part et italienne de l'autre. Et même les destructions d'une guerre peuvent rendre service quand il s'agit ensuite de reconstruire : adjudications lucratives, commandes juteuses qui, ma foi, commencent à se faire rare en Italie ou en Allemagne ». « C'est pourquoi, en contradiction avec les principes de la maison commune européenne, les États de la CEE ont reconnu le "droit des peuples". En même temps, ils ont mis en route leurs opérations économiques : l'Allemagne en Croatie et, en partie, en Slovénie, l'Italie en Slovénie. Parmi les opérations, la vente d'armes et l'approvisionnement en munitions consommées pendant la guerre ». Bien sûr, souligne BC, çà ne plaît pas trop aux USA qui ne voient pas d'un bon oeil les pays européens se renforcer. (BC n° 7/8, juillet-août 92).

 

On ne peut manquer de s'interroger sur les “fabuleuses affaires” que le capitalisme pourrait réaliser en Yougoslavie, dans un pays qui s'est écroulé en même temps que l'empire russe et qui est, de plus, ravagé par la guerre. On avait déjà eu les “grandes affaires” de la reconstruction du Koweït, à l'horizon se profilent celles de la “reconstruction de la Yougoslavie”, avec, en prime, une flèche décochée aux ignobles marchands de canon, fauteurs de guerre.

 

On ne peut pas continuer l'énumération chronologique des prises de position et des méandres du milieu politique prolétarien, ces exemples étant suffisamment parlants et affligeants en eux-mêmes. Le prolétariat ne peut se contenter pour mener son combat quotidien d'actes de foi du style : « A travers des secousses continues, et nous ne savons pas quand, nous arriverons à l'aboutissement que la théorie marxiste et l'exemple de la révolution russe nous indiquent » (Programma). On ne peut même pas saluer le fait que la plupart des organisations du milieu identifient les nouveaux “fronts” potentiels d'une troisième guerre mondiale autour de l'Allemagne d'une part et des USA de l'autre. Comme une montre arrêtée, cela fait des décennies qu'elles voient comme seul possible la situation qui prévalait à l'éclatement des deux premières guerres mondiales. Il se trouve qu'après l'effondrement du bloc de l'est, la situation tend à se présenter comme cela, mais c'est, en quelque sorte, par hasard que ces organisations donnent “l'heure juste” aujourd'hui : une montre arrêtée en fait de même deux fois par jour, mais elle ne sert à rien ! Les raisons de ce bouleversement de l'histoire, la perspective ouverte – ou non – de la troisième guerre mondiale sont floues ou totalement ignorées. Qui plus est, les tentatives d'explication données au déchaînement des guerres, quand elles ne sont pas carrément incohérentes et variables d'un mois à l'autre, sont quasiment surréalistes et dénuées de toute vraisemblance. Comme le dit Programma, c'est bien la théorie marxiste qui doit nous guider, qui doit nous servir de boussole pour comprendre comment évolue le monde que nous devons changer et, notamment, quels sont les enjeux de la période. Malheureusement, pour la plupart des organisations du milieu politique, le marxisme, tell qu'elles l'entendent, ressemble à une boussole rendue folle par la proximité d'un aimant.

 

En réalité, à l'origine de la désorientation qui afflige ces groupes on trouve, pour une bonne part, une incompréhension de la question du cours historique, c'est-à-dire du rapport de forces entre les classes qui détermine le sens d'évolution de la société plongée dans la crise insoluble de son économie : ou bien l'aboutissement bourgeois, la guerre mondiale, ou bien la réponse prolétarienne, l'intensification des combats de classe devant déboucher sur une période révolutionnaire. L'histoire des fractions révolutionnaires à la veille de la deuxième guerre mondiale nous a montré que l'affirmation des principes de base ne suffit pas, que la difficulté à comprendre autant la question du cours que celle de la nature de la guerre impérialiste a profondément secoué et plus ou moins paralysé celles-ci (<!--[if !supportFootnotes]-->[4]<!--[endif]--> [107]). Pour aller à la racine des incompréhensions du milieu politique, il nous faut donc revenir, une fois de plus, sur la question du cours historique et des guerres en période de décadence.

 

Le cours historique

 


 

Il est pour le moins surprenant que BC qui se refusait à voir la possibilité d'une troisième guerre mondiale tant qu'il y avait des blocs militaires constitués, annonce celle-ci comme imminente dès qu'un des deux blocs s'est effondré. Les incompréhensions de BC sont à la base de cette volte-face. Le CCI avait déjà, à plusieurs reprises (Revue Internationale n°50 et 59), démontré la faiblesse des analyses de cette organisation et insisté sur le risque d'en arriver à éliminer toute perspective historique.

 

Depuis la fin des années 60, l'écroulement de l'économie capitaliste ne pouvait que pousser la bourgeoisie vers une nouvelle guerre mondiale et ceci d’autant plus que les blocs impérialistes étaient déjà constitués. Depuis plus de deux décennies, le CCI défend le fait que la vague de luttes ouvrières qui a débuté en 1968 marque une nouvelle période dans le rapport de forces entre les classes, l'ouverture d'un cours historique de développement des luttes prolétariennes. Pour envoyer le prolétariat à la guerre, le capitalisme a besoin d'une situation caractérisée par « l'adhésion croissante des ouvriers aux valeurs capitalistes et une combativité qui tend soit à disparaître, soit apparaît au sein d'une perspective contrôlée par la bourgeoisie » (Revue Internationale n°30, “Le cours historique”).

 

Face à la question : « Pourquoi la troisième guerre mondiale ne s'est-elle pas déclenchée alors que toutes ses conditions objectives sont présentes ? », le CCI a mis en avant, depuis le début de la crise ouverte du capitalisme, le rapport de forces entre les classes, l'incapacité pour la bourgeoisie de mobiliser le prolétariat des pays avancés derrière les torchons nationalistes. Quelle réponse apportait BC qui, par ailleurs, reconnaissait que « au niveau objectif, sont présentes toutes les raisons pour le déclenchement d'une nouvelle guerre généralisée » ? Se refusant à prendre en considération la question du cours historique, cette organisation nous servait toutes sortes “d'analyses” : La crise économique n'aurait pas été suffisamment développée (ce qui contredisait son affirmation sur la présence de toutes les “raisons objectives”), le cadre des alliances encore « assez fluide et plein d'inconnues » et enfin, les armements auraient été... trop développés, trop destructeurs. Le désarmement nucléaire aurait constitué une des conditions nécessaires pour que la guerre mondiale puisse éclater. Nous avons répondu en leur temps à ces arguments.

 

La réalité d'aujourd'hui confirme-t-elle l'analyse de BC pour qu'elle nous annonce qu'on va, cette fois, vers la guerre mondiale ?

 

La crise n'était pas assez développée ? À cette époque, nous mettions en garde BC contre la sous-estimation de la gravité de la crise mondiale. Or, si BC a reconnu que les difficultés de l'ex-bloc de l'Est étaient dues à la crise du système, pendant tout un temps, et contre toute vraisemblance, elle s'est illusionnée sur les opportunités ouvertes à l'Est, la “bouffée d'oxygène” qu'elles étaient sensées représenter pour le capitalisme international... ce qui ne l'empêchait pas, en même temps, de voir l'éclatement de la troisième guerre mondiale comme perspective de l'heure. Pour BC, lorsque la crise capitaliste s'atténue, la guerre mondiale devient plus proche : comme les voies du Seigneur, les méandres de la logique de BC sont impénétrables.

 

En ce qui concerne les armements, nous avions déjà montré en quoi cette affirmation manquait de sérieux, mais aujourd'hui que les armements nucléaires sont toujours présents et, qu'en outre, ils sont entre les mains d'un nombre supérieur d’États, la guerre mondiale deviendrait possible.

 

Lorsque le monde était entièrement divisé en deux blocs, le cadre des alliances, pour BC, était “fluide”. Aujourd'hui que ce partage a pris fin et que nous sommes encore loin d'un nouveau partage (même si la tendance à la reconstitution de nouvelles constellations impérialistes s'affirme de façon croissante) les conditions pour une nouvelle guerre mondiale seraient déjà mûres. Un peu de rigueur, camarades de BC !

 

Notre souci n'est pas de prétendre que BC dit en permanence n'importe quoi (bien que cela lui arrive aussi), mais bien de montrer que, malgré l'héritage du mouvement ouvrier (dont se revendique cette organisation), en l'absence de méthode, de prise en compte de l'évolution du capitalisme et du rapport de forces entre les classes, on en arrive à être incapable de fournir des orientations à la classe ouvrière. N'ayant pas compris la raison essentielle pour laquelle la guerre généralisée n'avait pas eu lieu dans la période précédente : la sortie de la contre-révolution, le cours historique aux affrontements de classe, n'étant pas capable, en conséquence, de constater que ce cours n'avait pas été remis en cause, puisque la classe ouvrière n'a pas subi de défaite décisive, BC nous annonce l'imminence d'une troisième guerre mondiale alors que les bouleversements de ces dernières années en ont justement éloigné la perspective.

 

C'est, en particulier, cette incapacité à prendre en compte le resurgissement de la classe ouvrière, à la fin des années 60, dans l'examen des conditions de l'éclatement de la guerre mondiale qui interdit de voir les réels enjeux de la période actuelle, le blocage de la société et son pourrissement sur pied. « Si le prolétariat avait la force d'empêcher le déchaînement d'une nouvelle boucherie généralisée, il n'avait pas encore celle de mettre en avant sa propre perspective : le renversement du capitalisme et l'édification de la société communiste. Ce faisant, il n'a pu empêcher la décadence capitaliste de faire sentir toujours plus ses effets sur l'ensemble de la société. Dans ce blocage momentané, l'histoire ne s'est pas arrêtée pour autant. Privée du moindre projet historique capable de mobiliser ses forces, même le plus suicidaire comme la guerre mondiale, la société capitaliste ne pouvait que s'enfoncer dans le pourrissement sur pied, la décomposition sociale avancée, le désespoir généralisé... Si on laisse le capitalisme en place, il finira, même en l'absence d'une guerre mondiale, par détruire définitivement l'humanité : à travers l'accumulation des guerres locales, des épidémies, des dégradations de l'environnement, des famines et autres catastrophes qu'on prétend “naturelles”. » (Manifeste du IXe Congrès du CCI).

 

BC n'a malheureusement pas l'apanage de cette méconnaissance complète des enjeux de la période qui s'est ouverte avec l'effondrement du bloc de l'Est. Le Prolétaire l'écrit clairement : « En dépit de ce qu'écrivent, non sans une certaine touche d'hypocrisie, certains courants politiques, sur l'effondrement du capitalisme, le "chaos", "la décomposition", etc., nous n'en sommes pas là. » En effet, « même s'il faut attendre des années pour détruire sa domination (du capitalisme), sa destinée reste tracée ». Que Le prolétaire ait besoin de se rassurer, c'est triste pour lui, mais qu'il masque au prolétariat la gravité des enjeux, c'est beaucoup plus grave.

 

En effet, si la guerre mondiale n'est pas à l'ordre du jour à l'heure actuelle, cela ne retire rien à la gravité de la situation. La décomposition de la société, son pourrissement sur pieds constitue une menace mortelle pour le prolétariat comme nous l'avons mis en évidence dans cette même revue (<!--[if !supportFootnotes]-->[5]<!--[endif]--> [108]). Il est de la responsabilité des révolutionnaires de mettre leur classe en garde contre cette menace, de lui dire clairement que le temps est compté et que, si elle attend trop avant d'engager les combats en vue du renversement du capitalisme, elle risque d'être emportée par la putréfaction de ce système. Le prolétariat attend autre chose qu'une totale incompréhension de ces enjeux, voire une ironie stupide à leur propos, de la part des organisations qui se veulent constituer son avant-garde.

 

Décadence et nature des guerres

 


 

A la racine des incompréhensions des enjeux de la période actuelle par la plupart des groupes du milieu politique, il n'y a pas seulement l'ignorance de la question du cours historique. On trouve également une incapacité à comprendre toutes les implications de la décadence du capitalisme sur la question de la guerre. En particulier, on continue de penser que, à l'image du siècle dernier, la guerre continue d'avoir une rationalité économique. Même si, évidemment, c'est en dernière instance la situation économique du capitalisme décadent qui engendre les guerres, toute l'histoire de cette période nous montre à quel point, pour l'économie capitaliste elle-même (et pas seulement pour les exploités transformés en chair à canon) la guerre est devenue une véritable catastrophe, et pas seulement pour les pays vaincus. De ce fait, les antagonismes impérialistes et militaires ne sauraient recouvrir les rivalités commerciales existant entre les différents États.

 

Ce n'est pas par hasard si BC tendait à considérer le partage du monde entre le bloc de l'Est et celui de l'Ouest comme “fluide”, non achevé en vue de la guerre puisque les rivalités commerciales les plus importantes n'opposaient pas les pays de ces deux blocs mais les principales puissances occidentales. Ce n'est sans doute pas par hasard non plus si, aujourd'hui, les rivalités commerciales, éclatant au grand jour entre les États-Unis et les grandes puissances ex-alliées comme l'Allemagne ou le Japon, BC voit la guerre beaucoup plus proche. Comme les groupes qui ne reconnaissent pas la décadence du capitalisme, BC – qui n'en a pas vu toutes les implications – identifie guerres commerciales et guerres militaires.

 

La question n'est pas nouvelle et l'histoire s'est déjà chargée de donner raison à Trotsky lorsque, au début des années 20, il combattait la thèse majoritaire dans l'IC selon laquelle la deuxième guerre mondiale aurait pour têtes de blocs les États-Unis et la Grande-Bretagne, les grandes puissances commerciales concurrentes. Plus tard, la Gauche communiste de France devait, à la fin de la deuxième guerre mondiale, réaffirmer que « il existe une différence entre les deux phases ascendante et décadente de la société capitaliste et, partant, une différence de fonction de la guerre dans les deux phases respectives. (...) La décadence de la société capitaliste trouve son expression éclatante dans le fait que des guerres en vue du développement économique (période ascendante), l'activité économique se restreint essentiellement en vue de la guerre (période décadente)... La guerre prenant un caractère de permanence est devenue le mode de vie du capitalisme » (« Rapport sur la situation internationale », 1945, republié dans la Revue Internationale n° 59). Au fur et à mesure que le capitalisme s'enfonce dans sa crise, la logique du militarisme s'impose à lui de façon croissante, irréversible et incontrôlable, même si celui-ci n'est pas plus capable que les autres politiques de proposer la moindre solution aux contradictions économiques du système (<!--[if !supportFootnotes]-->[6]<!--[endif]--> [109]).

 

En se refusant à admettre qu'entre le siècle dernier et le nôtre, les guerres ont changé de signification, en ne voyant pas le caractère de plus en plus irrationnel, suicidaire de la guerre, en voulant à tout prix voir dans la logique des guerres celle des guerres commerciales, les groupes du milieu politique prolétarien se privent de tout moyen de comprendre ce qui est réellement à l'oeuvre derrière les conflits où sont impliqués, ouvertement ou non, les grandes puissances et, plus généralement, dans l'évolution de la situation internationale. Au contraire, ils sont amenés à développer des positions à la limite de l'absurde sur la “course aux profits”, aux “gigantesques affaires” qu'offriraient aux pays développés des régions aussi ruinées, ravagées par la guerre que la Yougoslavie, la Somalie, etc. Alors que la guerre est une des questions les plus décisives qu'ait à affronter le prolétariat parce qu'il en est la principale victime, comme chair à canon et force de travail soumise à une exploitation sans précédent, mais aussi parce qu'elle est un des éléments essentiels de la prise de conscience de la faillite du capitalisme, de la barbarie dans laquelle il entraîne l'humanité, il est de la plus haute importance que les révolutionnaires fassent preuve du maximum de clarté. La guerre constitue « la seule conséquence objective de la crise, de la décadence et de la décomposition que le prolétariat puisse dès à présent limiter (à l'opposé des autres manifestations de la décomposition) dans la mesure où, dans les pays centraux, il n'est pas à l'heure actuelle embrigadé derrière les drapeaux nationalistes. » (« Militarisme et décomposition », Revue Internationale, n°64).

 

Le cours historique n'a pas changé (mais encore faut-il, pour s'en rendre compte, admettre qu'il existe des cours historiques différents suivant les périodes), la classe ouvrière, même si elle a été paralysée, déboussolée par les énormes bouleversements de ces dernières années, est de plus en plus contrainte de repartir à l'assaut, comme le démontrent les luttes de septembre-octobre en Italie. Le chemin va être long et difficile et ne pourra se faire sans que toutes les forces de la classe ouvrière ne soient mobilisées dans un combat dont les enjeux sont décisifs. La tâche des révolutionnaires est primordiale, sinon ils seront non seulement balayés par l'histoire mais porteront leur part de responsabilité dans l'anéantissement de toute perspective révolutionnaire.

 

 

Me.

 

 

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<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> [110] Pour une analyse plus détaillée, on peut se reporter à l'article « Le vent d'Est et la réponse des révolutionnaires » dans la Revue Internationale n°61.

 

<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]--> [111] Pour le CCI, « il faut affirmer clairement que l'effondrement du bloc de l'est et les convulsions économiques des pays qui le constituaient n'augurent nullement une quelconque amélioration de la situation économique de la société capitaliste. La faillite économique des régimes staliniens, conséquence de la crise générale de l'économie mondiale, ne fait qu'annoncer et précéder l'effondrement des secteurs les plus développés de cette économie. (...) L'aggravation des convulsions de l'économie mondiale ne pourra qu'attiser les déchirements entre les différents États, y compris et de plus en plus sur le plan militaire. La différence avec la période qui vient de se terminer, c'est que ces déchirements et antagonismes, qui auparavant étaient contenus et utilisés par les deux grands blocs impérialistes, vont maintenant passer au premier plan. Ces rivalités et affrontements ne peuvent, à l'heure actuelle, dégénérer en un conflit mondial (même en supposant que le prolétariat ne soit plus en mesure de s'y opposer). En revanche, du fait de la disparition de la discipline imposée par la présence des blocs, ces conflits risquent d'être plus violents et plus nombreux, en particulier, évidemment, dans les zones où le prolétariat est le plus faible. » (« Après l'effondrement du bloc de l'est, déstabilisation et chaos », Revue Internationale n°60, février 1990). La réalité est venue amplement confirmer ces analyses.

 

 

<!--[if !supportFootnotes]-->[3]<!--[endif]--> [112] Pour le CCI, la guerre du Golfe, « malgré l'ampleur des moyens mis en oeuvre, n'a pu que ralentir, mais sûrement pas inverser les grandes tendances qui s'affirmaient dès la disparition du bloc russe : la dislocation du bloc occidental, les premiers pas vers la constitution d'un nouveau bloc impérialiste dirigé par l'Allemagne, l'aggravation du chaos dans les relations impérialistes. La barbarie guerrière qui s'est déchaînée en Yougoslavie quelques mois après la fin de la guerre du Golfe constitue une illustration particulièrement irréfutable de ce dernier point. En particulier, les événements qui se trouvent à l'origine de cette barbarie, la proclamation de l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie, s'ils sont eux-mêmes une manifestation du chaos et de l'exacerbation des nationalismes qui caractérisent l'ensemble des zones dirigées auparavant par les régimes staliniens, n'ont pu avoir lieu que parce que ces nations étaient assurées du soutien de la première puissance européenne, l'Allemagne). (...) L'action diplomatique de la bourgeoisie allemande dans les Balkans qui visait à lui ouvrir un débouché stratégique sur la Méditerranée via une Croatie "indépendante" sous sa coupe, constitue' le premier acte décisif de sa candidature à la direction d'un nouveau bloc impérialiste. » (« Résolution sur la situation internationale », Revue internationale n°70). « Consciente de la gravité de l'enjeu, la bourgeoisie américaine a tout fait, au delà de son apparente discrétion. pour contrer et briser, avec l'aide de l'Angleterre et des Pays-Bas, cette tentative de percée de l'impérialisme allemand. » (Revue Internationale n°68). On se reportera à la presse du CCI pour une analyse plus détaillée.

<!--[if !supportFootnotes]-->[4]<!--[endif]--> [113] Le lecteur peut se référer à notre brochure Histoire de la Gauche Communiste d'Italie et au bilan tiré par la Gauche Communiste de France en 1945, publié dans la Revue Internationale n°59.

 

 

<!--[if !supportFootnotes]-->[5]<!--[endif]--> [114] Voir en particulier « La décomposition du capitalisme » et « La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme », respectivement dans les n°57 et 62 de la Revue Internationale.

 

<!--[if !supportFootnotes]-->[6]<!--[endif]--> [115] Le lecteur pourra se reporter aux nombreux articles consacrés à ce sujet dans cette même revue (n°19, n°52, n°59).

 

 

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [116]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur la guerre [117]

Questions théoriques: 

  • Le cours historique [118]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [119]

Mémoires d'un révolutionnaire (A. Stinas, Grèce) : nationalisme et antifascisme

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Les extraits du livre de A. Stinas, révolutionnaire communiste de Grèce ([1] [120]), que nous publions ici, s'attaquent à la résistance antifas­ciste de la seconde guerre mon­diale. Ils contiennent ainsi une impitoyable dénonciation de ce qui reste l'incarnation de la fusion de trois mystifications particulièrement meurtrières pour le proléta­riat : la « défense de l'URSS », le nationalisme et « l'antifascisme démocratique ».

L'explosion des nationalismes dans ce qui fut l'URSS et son em­pire d'Europe de l'est, tout comme le développement de gigantesques campagnes idéologiques « antifascistes » dans les pays d'Europe Occidentale, en particu­lier, donnent à ces lignes, écrites à la fin des années 40, toute leur actualité ([2] [121]).

Il est aujourd'hui de plus en plus difficile, pour l'ordre établi, de justifier idéologiquement sa domination. Le désastre que ses lois engendre le lui interdit. Mais face à la seule force capable de l'abattre et d'instaurer un autre type de société, face au proléta­riat, la classe dominante dispose encore d'armes idéologiques ca­pables de diviser son ennemi et de le maintenir soumis à des frac­tions nationales du capital. Le na­tionalisme et « l'antifascisme » sont,   actuellement,   en   première ligne de cet arsenal contre-révolu­tionnaire de la bourgeoisie.

A. Stinas reprend ici l'analyse marxiste de Rosa Luxembourg sur la question nationale, en rappelant que dans le capitalisme, arrivé à sa phase l'impérialiste, «... la nation s'est acquittée de sa mission historique. Les guerres de libération nationale et les révolutions bourgeoises-démo­cratiques sont désormais vides de sens ». A partir de cette base il dénonce et détruit l'argumentation de tous ceux qui ont appelé à participer à la « résistance antifasciste » pendant la seconde guerre mondiale, sous prétexte que sa dynamique propre, « populaire » et « antifasciste » pouvait conduire à la révolution.

Stinas et l'UCI (Union Communiste Internationaliste) font partie de cette poignée de révolutionnaires qui, pendant la deuxième guerre mondiale, surent aller à contre-courant de tous les nationalismes, refusèrent de soutenir « la démocratie » contre le fascisme et d'abandonner l'internationalisme prolétarien au nom de « la dé­fense de l'URSS. » ([3] [122])

Peu connus, même dans le milieu révolutionnaire, en partie du fait que leurs travaux n'existaient qu'en langue grecque, il est utile de donner ici quelques éléments sur leur histoire.

Stinas appartenait à la génération des communistes qui connurent la grande période de la vague révolu­tionnaire internationale qui mit fin à la première guerre mondiale. Il resta fidèle toute sa vie aux es­poirs soulevés par l'Octobre rouge de 1917 et par la révolution alle­mande de 1919. Membre du Parti communiste grec (dans une pé­riode où les Partis communistes n'étaient pas encore passés dans le camp bourgeois) jusqu'à son exclusion en 1931, il fut ensuite membre de l'Opposition léniniste, qui publiait l'hebdomadaire Dra­peau du Communisme et qui se réclamait de Trotsky, symbole international de la résistance au sta­linisme.

En 1933, Hindenburg donne le pouvoir à Hitler en Allemagne. Le fascisme y devient le régime offi­ciel. Stinas soutient que la victoire du fascisme sonne le glas de l'Internationale communiste, tout comme le 4 août 1914 avait signé la mort de la 2e Internationale, que ses sections sont dé­finitivement, et sans retour pos­sible, perdues pour la classe ou­vrière, que d'organes de lutte à l'origine, elles se sont muées en ennemies du prolétariat. Le devoir des révolutionnaires dans le monde entier est donc de consti­tuer de nouveaux partis révolu­tionnaires, hors de l'Internationale et contre elle.

Un débat aigu provoque une crise dans l'organisation trotskiste, et Stinas la quitte, après avoir été en minorité. En 1935, il rejoignit une organisation, Le Bolchevik, qui s’était détachée de l’archéo-marxisme et devait constituer, à partir de celle-ci, une nouvelle organisation qui prit le nom d'Union communiste interna­tionaliste. L'UCI était à l'époque la seule section reconnue en Grèce de la Ligue communiste interna­tionaliste (LCI) - la 4e Internatio­nale ne sera créée qu'en 1938.

L'UCI avait, dès 1937, rejeté le mot d'ordre, fondamental pour la 4e Internationale, de la « défense de l'URSS ». Stinas et ses camarades n'étaient pas arrivés à cette posi­tion à l'issue d'un débat sur la nature sociale de l'URSS, mais après l'examen critique des mots d'ordre et de la politique devant l'imminence de la guerre. L'UCI voulait supprimer tous les aspects de son programme par lesquels le social-patriotisme pouvait s'infil­trer, sous le couvert de la défense de l'URSS.

Durant la deuxième guerre impé­rialiste, Stinas, en internationaliste intransigeant, resta fidèle aux principes du marxisme révolutionnaire, tels que Lénine et Rosa Luxemburg les avaient formulés et appliqués pratiquement dans la première guerre mondiale.

L'UCI était, depuis 1934, la seule section du courant trotskyste en Grèce. Pendant toutes les années de la guerre et de l'occupation, isolé des autres pays, ce groupe était convaincu que tous les trots­kistes luttaient comme lui, sur les mêmes idées et à contre-courant.

Les premières informations sur la position de l'Internationale trots­kiste laissèrent Stinas et ses compagnons bouche bée. La lec­ture de la brochure française Les trotskystes dans la lutte contre les nazis leur apportait les preuves que les trotskistes avaient combattu les Allemands, comme tous les bons patriotes. Puis ils apprirent l'attitude honteuse de Cannon et du Socialist Workers Party aux USA.

La 4e Internationale dans la guerre, c'est-à-dire dans ces conditions qui mettent à l'épreuve les organisations de la classe ou­vrière, était tombée en poussière. Ses sections, les unes ouverte­ment avec la « défense de la pa­trie », les autres sous couvert de la « défense de l'URSS », étaient passées au service de leurs bour­geoisies respectives et avaient contribué, à leur niveau, aux mas­sacres.

L'UCI rompit, à l'automne 1947, tout lien politique et organisationnel avec la 4e Internationale. Dans les années qui suivirent, la pire période contre-révolutionnaire sur le plan politique, alors que les groupes révolutionnaires étaient réduits à de minuscules minorités et que beaucoup de ceux qui res­taient fidèles aux principes de base de l'internationalisme prolé­tarien et de la révolution d'octobre étaient complètement isolés, Sti­nas deviendra le principal repré­sentant en Grèce du courant So­cialisme ou Barbarie. Ce cou­rant, qui ne parvint jamais à clari­fier la nature sociale pleinement capitaliste des rapports sociaux en URSS, développant la théorie d'une sorte de troisième système d'exploitation fondé sur une nou­velle division, entre « dirigeants » et « dirigés », s'écarta de plus en plus du marxisme et finit par se disloquer dans les années 1960. A la fin de sa vie, Stinas n'eut plus de véritable activité politique orga­nisée. Il se rapprocha des anar­chistes et mourut en 1987.

CR.

 

Marxisme et nation

 

La nation est le produit de l'histoire, comme la tribu, la fa­mille, la cité. Elle a un rôle historique nécessaire et devra dispa­raître une fois celui-ci rempli.

La classe porteuse de cette organi­sation sociale est la bourgeoisie. L'Etat national se confond avec l'Etat de la bourgeoisie et, histori­quement, l'oeuvre progressiste de la nation et du capitalisme se rejoi­gnent : créer, avec le développe­ment des forces productives, les conditions matérielles du socialisme.

Cette oeuvre progressiste prend fin à l'époque de l'impérialisme, des grandes puissances impérialistes, avec leurs antagonismes et leurs guerres.

La nation s'est acquittée de sa mis­sion historique. Les guerres de libé­ration nationale et les révolutions bourgeoises-démocratiques sont désormais vides de sens.

La révolution prolétarienne est maintenant à l’ordre du jour. Elle n'engendre ni ne maintient mais abolit les nations et les frontières et unit tous les peuples de la terre dans une communauté mondiale. La défense de la nation et de la pa­trie n’est à notre époque rien d’autre que la défense de l’impérialisme, du système social qui provoque les guerres, qui ne peut vivre sans guerre et qui mène l'humanité au chaos et à la barba­rie. C'est vrai aussi bien pour les grandes puissances impérialistes que pour les petites nations, dont les classes dirigeantes sont et ne peuvent être que les complices et les associés des grandes puissances.

« Le socialisme est à cette heure le seul espoir de l'humanité. Au-dessus des remparts du monde capitaliste qui s'écroulent enfin, brillent en lettres de feu ces mots du Manifeste communiste : socialisme ou chute dans la barbarie. » (R. Luxemburg, 1918)

Le socialisme est l'affaire des ou­vriers du monde entier, et le terrain de son édification, toute l'étendue du globe terrestre. La lutte pour le renversement du capitalisme et pour l'édification du socialisme unit tous les ouvriers du monde. La géographie y fixe une répartition des tâches : l'ennemi immédiat des ouvriers de chaque pays est leur propre classe dirigeante. C'est leur secteur du front international de lutte des ouvriers pour renverser le capitalisme mondial.

Si les masses travailleuses de chaque pays n'ont pas pris conscience qu'elles ne forment que la section d'une classe mondiale, jamais elles ne pourront s'engager sur le chemin de leur émancipation sociale.

Ce n'est pas le sentimentalisme qui fait de la lutte pour le socialisme, dans un pays donné, la partie inté­grante de la lutte pour la société so­cialiste mondiale, mais l'impossibilité du socialisme dans un seul pays. Le seul « socialisme» aux couleurs nationales et à l'idéologie nationale que nous a donné l'histoire est celui de Hitler, et le seul « communisme » national, celui de Staline.

La lutte à l'intérieur du pays contre la classe dirigeante et la solidarité avec les masses travailleuses du monde entier, tels sont à notre époque les deux principes fonda­mentaux du mouvement des masses populaires pour leur libération économique, politique et sociale. Cela vaut pour la « paix » comme pour la guerre.

La guerre entre les peuples est fra­tricide. La seule guerre juste est celle des peuples qui fraternisent par-delà les nations et les frontières contre leurs exploiteurs. La tâche des révolutionnaires, en temps de « paix » comme en temps de guerre, est d'aider les masses à prendre conscience des fins et des moyens de leur mouvement, à se débarrasser de la tutelle des bu­reaucraties politiques et syndicales, à prendre leurs propres affaires en mains, à ne faire confiance à d'autre «direction» que celle des organes exécutifs qu'elles ont elles-mêmes élus et qu'elles peuvent ré­voquer à tout moment, à acquérir la conscience de leur propre res­ponsabilité politique et, d'abord et surtout, à s'émanciper intellectuel­lement de la mythologie nationale et patriotique.

Ce sont les principes du marxisme révolutionnaire tels que Rosa Luxemburg les a formulés et appli­qués pratiquement et qui ont guidé sa politique et son action dans la Première Guerre mondiale. Ces principes ont guidé notre politique et notre action dans la Seconde Guerre mondiale.(...)

 

La résistance anti-fasciste : un appendice de l'impérialisme

 

Le « mouvement de résistance », c'est-à-dire la lutte contre les Alle­mands sous toutes ses formes, du sabotage à la guerre de partisans, dans les pays occupés, ne peut s'envisager hors du contexte de la guerre impérialiste, dont elle est partie intégrante. Son caractère progressiste ou réactionnaire ne peut être déterminé ni par la parti­cipation des masses, ni par ses ob­jectifs antifascistes ni par l'oppression par l'impérialisme al­lemand, mais en fonction du carac­tère soit réactionnaire soit progres­siste de la guerre.

L'ELAS comme l'EDES ([4] [123]) étaient des armées qui continuèrent, à l'intérieur du pays, la guerre contre les Allemands et les Italiens. Cela seul détermine strictement notre position à leur égard. Participer au mouvement de résistance, quels que soient les mots d'ordre et les justifications, signifie participer à la guerre.

Indépendamment des dispositions des masses et des intentions de leur direction, ce mouvement, en raison de la guerre qu'il a conduite dans les conditions du second massacre impérialiste, est l'organe et l'appendice du camp impérialiste allié. (...)

Le patriotisme des masses et leur attitude à l'égard de la guerre, si contraire à leurs intérêts histo­riques, sont des phénomènes très connus depuis la guerre précé­dente, et Trotsky, dans une foule de textes, avait inlassablement pré­venu du danger que les révolutionnaires soient surpris et qu'ils se laissent entraîner par le courant. Le devoir des révolutionnaires interna­tionalistes est de se tenir au-dessus du courant, et de défendre contre le courant, les intérêts historiques du prolétariat. Ce phénomène ne s'explique pas seulement par les moyens techniques utilisés, la pro­pagande, la radio, la presse, les défilés, l'atmosphère d'exaltation créée au début de la guerre, mais aussi par l'état d'esprit des masses, qui résulte de l'évolution politique antérieure, des défaites de la classe ouvrière, de son découragement, de la ruine de sa confiance en sa propre force et dans les moyens d'action de la lutte des classes, de la dispersion du mouvement inter­national et de la politique opportu­niste de sape menée par ses partis. Il n'existe aucune loi historique fixant le délai au bout duquel les masses, d'abord entraînées dans la guerre, finiraient par se ressaisir. Ce sont les conditions politiques concrètes qui éveillent la conscience de classe. Les consé­quences horribles de la guerre pour les masses font disparaître l'enthousiasme patriotique. Avec la montée du mécontentement, leur opposition aux impérialistes et à leurs propres dirigeants, qui en sont les agents, s'approfondit sans cesse et réveille leur conscience de classe. Les difficultés de la classe dirigeante augmentent, la situation évolue vers la rupture de l'unité in­térieure, l'écroulement du front in­térieur et la révolution. Les révolu­tionnaires   internationalistes contribuent à l'accélération des rythmes de ce processus objectif par la lutte intransigeante contre toutes les organisations patrio­tiques et social-patriotiques, ou­vertes ou cachées, par l'application conséquente de la politique du dé­faitisme révolutionnaire.

Les suites de la guerre, dans les conditions de l'Occupation, ont eu une influence entièrement diffé­rente sur la psychologie des masses et leurs relations avec leur bour­geoisie. Leur conscience de classe a sombré dans la haine nationaliste, constamment renforcée par le comportement barbare des Alle­mands, la confusion s'est aggravée, l'idée de la nation et de son destin a été placées au-dessus des diffé­rences sociales, l'union nationale s'est renforcée, et les masses se sont davantage soumises à leur bour­geoisie, représentée par les organisations de résistance nationale. Le prolétariat industriel, brisé par les défaites précédentes, son poids spécifique exceptionnellement di­minué, s'est trouvé prisonnier de cette situation effrayante pendant toute la durée de la guerre.

Si la colère et le soulèvement des masses contre l'impérialisme alle­mand dans les pays occupés étaient «justes», ceux des masses alle­mandes contre l'impérialisme allié, contre les bombardements bar­bares des quartiers ouvriers l'étaient tout autant. Mais cette colère justifiée, qui est renforcée par tous les moyens par les partis de la bourgeoisie de toute nuance, seuls les impérialistes peuvent l'exploiter et l'utiliser pour leurs propres intérêts. La tâche des ré­volutionnaires restés au-dessus du courant est de diriger cette colère contre «leur» bourgeoisie. Seul ce mécontentement contre notre « propre » bourgeoisie peut devenir une force historique, le moyen de débarrasser une fois pour toute l'humanité des guerres et des des­tructions.

Du moment que le révolutionnaire, dans la guerre, fait simplement al­lusion à l'oppression par l'impérialisme « ennemi » dans son propre pays, il devient victime de la mentalité nationaliste étroite et de la logique social-patriotique, et coupe les liens qui unissent la poi­gnée des ouvriers révolutionnaires qui sont restés fidèles à leur dra­peau dans les différents pays, dans l'enfer où le capitalisme en décom­position a plongé l'humanité. (...)

La lutte contre les nazis dans les pays occupés par l'Allemagne était une tromperie et un des moyens qu'utilisa l'impérialisme allié pour tenir les masses enchaînées à son char de guerre. La lutte contre les nazis était la tâche du prolétariat allemand. Mais elle n'était possible que si les ouvriers de tous les pays combattaient contre leur propre bourgeoisie. L'ouvrier des pays oc­cupés qui combattait les nazis combattait pour le compte de ses exploiteurs, pas pour le sien, et ceux qui l'ont entraîné et poussé dans cette guerre étaient, quels que soient leurs intentions et leurs jus­tifications, des agents des impéria­listes. L'appel aux soldats alle­mands à fraterniser avec les ou­vriers des pays occupés dans la lutte commune contre les nazis était, pour le soldat allemand, un artifice trompeur de l'impérialisme allié. Seul l'exemple de la lutte du prolétariat grec contre sa « propre » bourgeoisie qui, dans les conditions de l'Occupation, signifiait lut­ter contre les organisations nationalistes, aurait pu réveiller la conscience de classe des ouvriers allemands enrégimentés et rendre possible la fraternisation, et la lutte du prolétariat allemand contre Hitler.

L'hypocrisie et la tromperie sont des moyens aussi indispensables à la conduite de la guerre que les tanks, les avions ou les canons. La guerre n'est pas possible sans la conquête des masses. Mais pour les conquérir, il faut qu'elles croient combattre pour la défense de leurs biens. Tous les mots d'ordre, toutes les promesses de « libertés, prospé­rité, écrasement du fascisme, ré­formes socialistes, république po­pulaire, défense de l'URSS etc. », visent ce but. Ce travail est surtout réservé aux partis « ouvriers », qui utilisent leur autorité, leur in­fluence, leurs liens avec les masses travailleuses, les traditions du mouvement ouvrier pour qu'elles se laissent mieux tromper et égorger. Les illusions des masses sur la guerre, sans lesquelles elle est im­possible, ne la rendent pas pour au­tant progressiste, et seuls les plus hypocrites social-patriotes peuvent s'en servir pour la justifier. Toutes les promesses, toutes les proclama­tions, tous les mots d'ordre des PS et des PC dans cette guerre n'ont été que des leurres. (...)

La transformation d'un mouvement en combat politique contre le ré­gime capitaliste ne dépend pas de nous et de la force de conviction de nos idées mais de la nature même de ce mouvement. «Accélérer et faciliter la transfor­mation du mouvement de résistance en mouvement de lutte contre le capitalisme» aurait été possible si ce mouvement, dans son dévelop­pement, avait pu de lui-même créer en permanence, à la fois dans les rapports des classes, les consciences et dans la psychologie des masses des conditions plus fa­vorables à sa transformation en lutte politique générale contre la bourgeoisie, donc en révolution prolétarienne.

La lutte de la classe ouvrière pour ses revendications économiques et politiques immédiates peut se transformer, au cours de sa crois­sance, en lutte politique d'ensemble pour renverser la bourgeoisie. Mais elle est rendue possible par la forme même de cette lutte : les masses, par leur opposi­tion à leur bourgeoisie et son Etat et par la nature de classe de leurs revendications, se débarrassent de leurs illusions nationalistes, réfor­mistes et démocratiques, se libèrent de l'influence des classes ennemies, développent leur conscience, leur initiative, leur esprit critique, leur confiance en elles-mêmes. Avec l'extension du champ de la lutte, les masses sont toujours plus nom­breuses à y participer, et plus pro­fondément est creusé le sol social, plus les fronts de classe se distin­guent strictement et plus le proléta­riat révolutionnaire devient l'axe principal des masses en lutte. L'importance du parti révolution­naire est énorme à la fois pour ac­célérer les rythmes, pour la prise de conscience, pour l'assimilation de l'expérience, la compréhension de la nécessité de la prise révolutionnaire du pouvoir par les masses, pour organiser le soulèvement et en assurer la victoire. Mais c'est le mouvement lui-même, de par sa na­ture et sa logique interne, qui donne sa force au parti. C'est un processus objectif dont la politique du mouvement révolutionnaire est l'expression consciente. La crois­sance du « mouvement de résis­tance » eut, également par sa nature même, le résultat exactement in­verse : il ruina la conscience de classe, renforça les illusions et la haine nationalistes, dispersa et atomisa encore plus le prolétariat dans la masse anonyme de la na­tion, le soumit encore plus à sa bourgeoisie nationale, porta à la surface et à la direction les élé­ments les plus farouchement natio­nalistes.

Aujourd'hui, ce qui reste du mou­vement de résistance (la haine et les préjugés nationalistes, les souvenirs et les traditions de ce mouvement qui fut si habilement utilisé par les staliniens et les socialistes) est le plus sérieux obstacle à une orienta­tion de classe des masses. S'il avait existé des possibilités ob­jectives qu'il se transforme en lutte politique contre le capitalisme, celles-ci auraient dû se manifester sans notre participation. Mais nulle part nous n'avons vu une ten­dance prolétarienne surgir de ses rangs, même la plus confuse. (...)

Le déplacement des fronts et l'occupation militaire du pays, comme de presque toute l'Europe, par les armées de l'Axe, ne chan­gent pas le caractère de la guerre, ne créent pas de question nationale et ne modifient pas nos objectifs stratégiques ni nos tâches fondamentales. La tâche du parti prolétarien dans ces conditions est d'aiguiser sa lutte contre les organi­sations nationalistes et de protéger la classe ouvrière de la haine anti­allemande et du poison nationa­liste.

Les révolutionnaires internationa­listes participent aux luttes des masses pour leurs revendications économiques et politiques immé­diates, tentent de leur donner une claire orientation de classe et s'opposent de toutes leurs forces à l'exploitation nationaliste de ces luttes. Au lieu de s'en prendre aux Italiens et aux Allemands, ils expli­quent pourquoi la guerre a éclaté, guerre dont la barbarie dans la­quelle nous vivons est la consé­quence inévitable, dénoncent avec courage les crimes de leur « propre » camp impérialiste et de la bourgeoisie, représentée par les différentes organisations nationa­listes, appellent les masses à la fra­ternisation avec les soldats italiens et allemands pour la lutte commune pour le socialisme. Le parti prolé­tarien condamne toutes les luttes patriotiques, si massives qu'elles soient et quelle que soit leur forme, et appelle ouvertement les ouvriers à s'en abstenir.

Le défaitisme révolutionnaire, dans les conditions de l'Occupation, rencontra des obstacles effrayants et jamais vus auparavant. Mais les difficultés ne peuvent changer nos tâches. Au contraire, plus le cou­rant est fort, plus l'attachement du mouvement révolutionnaire à ses principes doit être rigoureux, plus il doit s'opposer au courant avec in­transigeance. Seule cette politique le rendra capable d'exprimer les sentiments des masses révolution­naires demain et de se trouver à leur tête. La politique de la soumission au courant, c'est-à-dire la politique du renforcement du mouvement de résistance, aurait ajouté un obs­tacle supplémentaire aux tentatives d'orientation de classe des ouvriers et aurait détruit le parti.

Le défaitisme révolutionnaire, la politique internationaliste juste contre la guerre et contre le mou­vement de résistance, montre au­jourd'hui, et montrera toujours plus , dans les événements révolutionnaires à venir, toute sa force et toute sa valeur.

A. Stinas



[1] [124] Tirés de ses Mémoires d'un révolution­naire. Cet ouvrage, qu'il écrivit dans la der­nière période de sa vie, couvre essentielle­ment les événements des années 1912 à 1950 en Grèce, placées sous le signe de la guerre : des guerres balkaniques qui annoncent la première guerre impérialiste de 1914-18 à la guerre civile,   prolongement du deuxième holocauste de 1939-45.

L'ironie de l'histoire veut que ce soit les édi­tions « La Brèche », liées à la IVe Internatio­nale de Mandel, qui ont édité en français ces mémoires. Leur publication est certaine­ment due à celui qui fut le « pape de la IVe Internationale» de 1943 à 1961, Pablo, et à son nationalisme, lui même étant grec. Car le livre dénonce sans ambiguïtés les agisse­ments des trotskistes pendant la deuxième guerre mondiale et après.

[2] [125] La Grèce, le pays de Stinas, est secoué, au moment où nous publions ce texte, par une vague de nationalisme orchestrée par le gouvernement  et  tous  les  grands   partis «démocratiques». Ceux-ci      ont, en décembre 1992, fait défiler un million de personnes dans  les rues  d'Athènes pour défendre le  nom  de  Macédoine  pour la province grecque contre la « reconnaissance »  de  la  Macédoine  dans l'ex-Yougoslavie en décomposition !

[3] [126] Stinas ignora que d'autres groupes que le sien défendirent la même attitude dans d'autres pays : les courants de la Gauche communiste : italienne (en France et en Bel­gique en particulier), germano-hollandaise (le Communistenbond Spartacus, en Hol­lande) ; des groupes en rupture avec le trots­kisme, comme celui de Munis, exilé au Mexique, ou les RKD, composé de militants autrichiens et français.
 

[4] [127] Noms des années de résistance, contrô­lées essentiellement par les partis staliniens et socialistes.

 

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [116]

Approfondir: 

  • La question nationale [128]

Questions théoriques: 

  • Internationalisme [129]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La mystification parlementaire [130]

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Liens
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