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La période de transition

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La reconnaissance de la nécessité et de l'inévitabilité d'une période de transition du capitalisme au communisme est caractéristique de l'analyse marxiste, matérialiste, de la révolution sociale qui doit renverser le capitalisme. Cette analyse se base sur la compréhension historique des conditions du passage d'une forme sociale à une autre. Sur le plan de l'expérience pratique, c'est surtout celle du pouvoir ouvrier établi par la révolution d'octobre 1917, et renversé par la contre-révolution stalinienne, qui a legué au mouvement ouvrier d'aujourd'hui des leçons précieuses.

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INTRODUCTION : le dépérissement de l'Etat dans la théorie marxiste

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Le dépérissement de l’État dans la théorie marxiste

INTRODUCTION
“L’État et l’esclavage sont inséparables”.

Marx, l’“Idéologie allemande”

Pourquoi luttons-nous? Qu’est-ce que le socialisme[1] [3]? Qu’arrivera-t-il après la révolution? Comment empêcher que la révolution ne dégénère en totalitarisme, comme cela est arrivé en Russie? Les révolutionnaires et les ouvriers en lutte ont et auront à se poser ces questions. Bien qu’elles ne soient pas simples et n’aient pas de réponses toutes faites, il existe des lignes directrices que nous offre la théorie marxiste, basées sur l’étude de l’histoire de la lutte de classe.

Le but pour lequel nous luttons, -la fin de l’exploitation et la création de la société communiste sans classe-, a fait partie des aspirations de l’humanité depuis des millénaires, depuis que la société de classes existe. Cette recherche d’une communauté égalitaire, sous les diverses formes mystifiées qu’elle a prises à travers la religion ou autre, a constitué un des souffles inspirateurs de tout le génie créateur des hommes à travers l’histoire.

Une société sans classe, sans exploitation, où ce ne seront plus des lois économiques aveugles produites par la situation de pénurie, qui dicteront notre vie; où il n’y aura plus d’argent, plus de rapports marchands, plus de salaires, une société où toute l’humanité sera constituée de “producteurs librement associés” qui décideront ce qui doit être produit, quand et comment, un monde sans pauvreté, un monde d’abondance pour TOUS, où les autres êtres humains cesseront d’être “les autres” pour devenir une partie de la communauté; un monde uni sur toute la planète, et où “le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous.” (Manifeste Communiste)

“Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu I’asservissante subordination des individus à la division du travail, et, avec elle, l’antagonisme entre le travail intellectuel et le travail manuel, quand le travail sera de venu non seulement moyen de vivre, mais même le premier besoin de I’existence; quand, avec le développement en tous sens des individus, les forces productives iront s’accroissant, et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l’étroit horizon du droit bourgeois pourra être complètement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux:

“De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins![2] [4]” (Marx, Critique du Programme de Gotha Ed. Spartacus, p.24)”

C’est en ces termes que Marx et Engels ont tenté de définir le communisme.

Mais ils ont également averti des dangers qui consistent à vouloir dresser des plans précis pour la société future, et mis en garde contre “les recettes pour les marmites de l’avenir”. La méthode marxiste ne peut expliquer quelles motivations exactes domineront l’humanité une fois qu’aura cessé la lutte de classe comme moteur de l’histoire. Tout ce qu’on peut dire se présente surtout négativement le genre humain sortira de la “préhistoire” des sociétés de classes et ses buts ne seront plus déterminés par l’esclavage économique. Nous sommes trop loin de cette situation pour avoir beaucoup plus qu’un aperçu de cet avenir, car notre point de vue est déformé par nos propres limites historiques. De toute façon, l’histoire ne s’achèvera pas dans le communisme:

“Le communisme est la forme nécessaire et le principe énergétique du futur prochain; mais le communisme n’est pas en tant que tel le but du développement humain, - la forme de la société humaine”. (Marx, Manuscrits de 1844 Ed. Sociales, p99)

Bien que la connaissance précise d’où l’on se dirige, ne puisse être atteinte de façon exacte dans tous les détails, une compréhension générale du mouvement est ce pendant essentielle. Sans cette compréhension, nous ne pouvons mesurer quels sont les moyens nécessaires et appropriés pour atteindre ce but. Ceci est d’autant plus vital lorsqu’on connaît de quelle façon le poids du mensonge stalinien a pesé sur la conscience de générations entières d’ouvriers.

Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de restituer son sens au communisme. Il faut également se rendre compte que dans la période actuelle de décadence du capitalisme, ce but n’est plus un “idéal lointain”. Pour la première fois dans l’histoire, c’est une possibilité et une nécessité historiques. Nous sommes les héritiers des ouvriers de La Commune de Paris, de Russie, d’Allemagne, de Hongrie et d’ailleurs qui se sont concrètement attaqués à la tâche révolutionnaire de destruction du capitalisme et de construction d’une nouvelle société. Nous devons réussir là où ils ont échoué. Les contradictions explosives du système capitaliste aujourd’hui en crise créent la possibilité de réagir à l’effondrement de la vieille société en se dirigeant concrètement vers sa destruction, et vers la construction des conditions d’une nouvelle. Cet énorme processus de transformation ne viendra pas de lui-même, pas plus qu’il ne résultera d’une conversion pacifique des exploiteurs. II ne pourra être mis en oeuvre que par l’intervention consciente de la classe révolutionnaire dans la révolution prolétarienne.

La classe ouvrière, la classe exploitée créée par le capitalisme, est la seule classe révolutionnaire car sa lutte contre l’exploitation et sa capacité à abolir toute exploitation répondent à la nécessité historique de l’humanité de libérer les forces productives des entraves des rapports de profit et du terrible cycle: “crise-guerre-reconstruction-crise”, dans lequel le capitalisme en décadence l’a enfermée. Les ouvriers, esclaves salariés du capitalisme, sont les fossoyeurs de tous les esclavages, car ils n’ont pas de nouveau système d’exploitation à mettre en place à leur avantage. Le prolétariat n’a pas d’économie, pas de nation, pas de race, pas de privilèges ni aucune propriété des moyens de production à défendre[3] [5].

La libération de la classe ouvrière ne peut se réaliser qu’en éliminant tout vestige des lois économiques du capitalisme et tout privilège. Le prolétariat est la seule classe qui ait, dans le capitalisme, intérêt à détruire la propriété privée[4] [6] des moyens de production. Plus encore, par son travail collectif associé, il est le seul à pouvoir montrer le chemin de la société future. “En se libérant, le prolétariat libérera l’humanité toute entière”. Le prolétariat transformera les vestiges des sociétés de classes en travail collectif, intégrant en son propre sein tous les producteurs, en les associant librement, jusqu’à ce qu’il disparaisse lui-même en tant que classe distincte et avec lui toute société de classes.

Ce n’est pas chaque ouvrier pris individuellement qui est porteur de cette étincelle, ni même qui se rend compte du potentiel contenu dans la lutte de classe à l’heure actuelle. C’est l’action collective de toute la classe ouvrière internationale, soudée par la solidarité, forgée dans l’unité consciente et combattante, à travers l’expérience de la lutte de classe, et mue par la nécessité de lutter contre l’exploitation pour pouvoir assurer sa survie, c’est cette force-la qui fera la révolution internationale contre le capital.

Pour les marxistes, la classe ouvrière est la classe porteuse de la révolution communiste internationale. Mais la classe ouvrière ne possède pas pour autant une somme de recettes à appliquer qui lui permettrait de construire la nouvelle société par “décret” au lendemain de la révolution. La société, telle qu’elle émerge des entrailles du passé, ne peut être immédiatement transformée en une société harmonieuse et sans classe, à moins d’avoir des illusions sur la possibilité d’une sorte de conversion religieuse faisant du communisme une question de bonne ou de mauvaise “nature humaine”. La pensée et l’action humaines sont déterminées par les conditions matérielles d’existence des hommes, conditions qu’elles transforment à leur tour. C’est à la transformation radicale de ces conditions matérielles que peut et doit avant tout s’attaquer la classe ouvrière.

Pour effectuer toutes ces transformations, il y aura donc inévitablement une période de transition entre le capitalisme et le communisme, entre la domination des rapports de production capitalistes et l’avènement d’une société sans classe. Cette période de transition est par définition une société instable, en constante transformation où tous les vestiges de la contrainte économique doivent être éliminés. La période de transition n’est pas un mode de production stable, puisque le prolétariat n’est pas porteur d’une “économie” mais bien de la fin de l”économie”, c’est-à-dire de la gestion de la pénurie. La période de transition est une ère de bouleversements constants, une révolution de la pratique et de la conscience des hommes; elle sera essentiellement dynamique, une période de mouvement; si elle ne va pas de l’avant, elle dégénérera.

L’histoire a bien sûr connu d’autres “périodes de transition”; de la société esclavagiste au féodalisme, ou bien du féodalisme au capitalisme par exemple. Mais toutes ces périodes de “transition” se résumaient au renversement du pouvoir d’une classe exploiteuse par une autre classe exploiteuse. Par exemple, la bourgeoisie a assis et développé son pouvoir économique au sein de la société des féodaux, et sa révolution politique n’a fait que couronner un pouvoir économique qui s’était déjà affirmé. Elle s’est déroulée pays après pays, avec des degrés plus ou moins grands de réussite.

Le prolétariat, lui, est la première classe révolutionnaire[5] [7] qui ne soit pas une classe exploiteuse. II ne peut développer aucune base de son pouvoir au sein de l’ancienne société. L’acte de la prise du pouvoir politique n’est donc pas, comme pour la bourgeoisie, le couronnement d’un pouvoir économique, mais le point de départ pour que le prolétariat puisse modifier les formes d’organisation de la production sociale. L’insurrection triomphante est donc la première étape et non la dernière de la transformation sociale qu’il est appelé à accomplir.

Cette transformation ne peut se faire progressivement pays par pays, avec des décalages dans le temps sur des décennies, mais nécessite une simultanéité assez étendue à l’échelle mondiale. La révolution communiste sera internationale ou ne sera pas.

La bourgeoisie pouvait se développer au sein du cadre politique du féodalisme, connaître des reculs dans sa progression, subir une certaine fragmentation sur le long chemin qui la menait du Tiers-état du féodalisme à la classe capitaliste moderne. La période de transition que dominera le prolétariat devra par contre rompre d’abord le cadre politique de l’ancienne société. C’est seulement à partir de là qu’il peut commencer à se développer. Tout recul dans son avancée peut lui être fatal parce qu’il est classe exploitée. La révolution prolétarienne doit donc commencer par détruire le bras armé de la bourgeoisie: l’appareil d’État bourgeois et son emprise sur la société. Mais elle ne peut s’arrêter là.

Comment sera la société juste après la victoire politique du prolétariat? Un obstacle énorme aura été éliminé avec le démantèle ment de l’État bourgeois, la défaite des forces politiques exploiteuses, la suppression de toute expression politique de la classe capitaliste et l’expropriation des principales concentrations économiques par la classe révolutionnaire. Mais dans cette étape, la classe ouvrière ne sera pas la seule composante de la nouvelle société, II y aura d’autres classes et couches non exploiteuses: les paysans, les artisans, les petits-bourgeois, les “classes moyennes” des villes, les masses de “sans travail” des pays sous-développés qui n’ont pu être prolétarisées à l’époque du capitalisme décadent[6] [8].

Ces couches non-exploiteuses représentent la majorité de l’humanité qui doit être nourrie et intégrée dans la nouvelle communauté. Mais il y a un long chemin à parcourir avant que cette intégration puisse être totalement réalisée.

Ces couches non-exploiteuses ne seront pas politiquement du côté du grand capital. Au contraire, considérant la misère matérielle et morale dans laquelle ces couches sont et seront réduites par la crise du capitalisme, elle s’identifieront à la révolution anticapitaliste, quoique ni de façon uniforme, ni même de façon réellement active. Mais, elles n’ont aucun intérêt de classe qui les pousse plus loin que ça. Leurs rapports aux forces productives, dans la mesure où elles en ont, sont des rapports individuels, de petite production marchande, de travail essentiellement non associé. Pour certaines d’entre elles, les maigres privilèges dont elles profitent ou pensent pouvoir profiter, avec leurs terres ou instruments artisanaux, ou autre chose, peuvent mener à une résistance à la socialisation ou à une incapacité des générations plus anciennes à s’y adapter. Le prolétariat doit chercher à convaincre ces couches que seul le chemin de la classe ouvrière pourra répondre à leurs besoins matériels et autres. Ce n’est qu’en développant progressivement le travail associé, en particulier dans la difficile sphère de l’agriculture (et à travers la pression cons tante du prolétariat agricole) que des progrès seront faits vers l’élimination de la propriété privée.

Le combat pour empêcher la contre-révolution de la classe capitaliste, la lutte pour extirper les vestiges de la loi de la va leur, pour socialiser l’agriculture, pour changer les conditions et les buts de la production sociale, pour répondre aux besoins des hommes et développer les forces productives tout en élevant le niveau de vie des producteurs, tout en unifiant la société dans des rapports de solidarité et de travail collectif: telles sont les, tâches du prolétariat dans la période de transition. Elles ne seront certainement pas faciles.

On ne peut se contenter d’exhorter les gens à changer pour que tout change. Il faut créer les conditions de ce changement. Malheureusement, l’abondance et la pleine production de tous les biens nécessaires pour transformer les petits producteurs en une collectivité et éliminer les rapports d’échange marchand dans tous les domaines de la vie sociale, ces conditions n’existeront pas au lendemain de la révolution. Le capitalisme ne crée pas l’abondance, mais seulement le potentiel de forces productives capables de générer l’abondance, une fois celles-ci libérées des entraves capitalistes. Ce potentiel se réalisera au fur et à mesure de la transformation socialiste. Bien que beaucoup de souffrances puissent être apaisées relativement rapidement dans les zones où la force prolétarienne est concentrée, le capitalisme nous léguera un monde de crise et de destruction. La nouvelle réalité sociale devra être créée, elle ne sera pas donnée d’avance.

Ainsi, nous avons le prolétariat organisé, au centre d’une société mondiale qui requiert une transformation gigantesque. Eliminer les salaires, socialiser la production et la distribution dépasser la dichotomie entre la ville et la campagne, entre le travail manuel et le travail intellectuel, tous les éléments de cette révolution sociale restent à mettre en oeuvre. Comment?

La clé de ce problème réside dans la politique économique du prolétariat. Il n’y a rien d’autre: aucune loi aveugle, laissée à elle-même, ne peut réaliser cette transformation. Au contraire, toute subsistance de “lois économiques” constitue un danger puis qu’elle signifie la subsistance des rapports marchands et le danger toujours présent de dégénérescence et de retour en arrière au capitalisme. La société de transition ne sera pas capitaliste, pas plus que le prolétariat ne sera exploité par une autre classe. Pourtant, tant que les derniers vestiges d’échange entre les différentes couches, et les différentes méthodes de production ne seront pas éliminés (c’est-à-dire tant que différentes couches sociales subsistent), le socialisme ne sera pas une réalité. Seule la politique économique que le prolétariat mettra en oeuvre en fonction de ses propres intérêts de classe, pourra réaliser cette tâche. La classe ouvrière reste la force motrice de la société après la révolution, comme elle l’a été durant la phase insurrectionnelle, et elle n’a que la conscience de ses buts et sa force organisée pour la guider.

La classe ouvrière ne peut mettre en place sa politique économique que si elle a le pouvoir politique pour le faire et pour l’imposer contre toute résistance, si nécessaire. Bien que la prise du pouvoir politique par le prolétariat ne soit pas suffisante en elle-même pour assurer la victoire du communisme, elle est cependant la pré-condition cruciale et indispensable à toute évolution sociale ultérieure positive. Sans le pouvoir prolétarien fermement établi, il n’y aura rien ni personne pour orienter la société post-insurrectionnelle vers le socialisme.

Quelle est la dynamique de la production socialisée? Comment pouvons-nous lui faire gagner du terrain sur les vestiges de la loi de la valeur? Comment éviter le piège fatal de “la production pour l’accumulation” qui ferait une fois de plus du prolétariat une classe exploitée? Y a-t-il des mesures économiques qu’on puisse prendre quasiment tout de suite et qui mènent dans la bonne direction? Ces questions et bien d’autres sont soulevées dans cette brochure, bien qu’un approfondissement plus poussé reste à réaliser dans d’autres études.

Certains groupes (comme “Revolutionary Perspectives”[7] [9] -voir Revue Internationale n°1) accusent le CCI d’ignorer ces différents aspects de la période de transition. Ce n’est pas vrai. L’objet primordial des investigations du CCI dans ses discussions jusqu’à présent a été de clarifier la question cruciale du pouvoir politique du prolétariat en premier lieu; car nous sommes convaincus que ne pas voir cette question méthodologique fondamentale ne peut que réduire toute discussion sur la période de transition à une spéculation stérile.

Souvent les révolutionnaires se réfèrent à cette question centrale de la primauté du pouvoir politique de la classe ouvrière, en l’appelant “la dictature du prolétariat”. Comme pour beaucoup d’autres termes marxistes, la contre-révolution stalinienne et ses caricatures gauchistes ont tellement galvaudé la signification du terme “dictature du prolétariat” que ces mots semblent corrompus aujourd’hui. Nous sommes tellement habitués à la dictature ouverte ou cachée du capital, sous toutes ses formes horriblement brutales, qu’il est difficile d’utiliser un tel terme sans faire surgir la vision cauchemardesque d’un monde encore pire que le notre aujourd’hui. Mais la dictature du prolétariat implique la violence uniquement parce que les oppresseurs et les exploiteurs utiliseront inévitablement la violence contre la suppression de leurs privilèges. Et nous devons être résolus à réprimer fermement tous ceux qui prennent les armes contre la révolution[8] [10]. Le socialisme naîtra à partir du renversement violent du capitalisme parce que la classe capitaliste luttera bec et ongles contre le prolétariat dans une guerre civile. Aussi, le ternie de dictature du prolétariat contre la bourgeoisie exprime-t-il une réalité historique dans laquelle notre choix est limité.

Après la révolution, une fois que la victoire contre la classe capitaliste aura été établie de façon décisive, la situation changera. Le prolétariat devra guider et orienter la société en extirpant jusqu’à la racine les fondements de l’existence des classes et de la violence de classe. La question devient alors la réduction de la violence au strict minimum nécessaire pour empêcher tout regroupement des forces bourgeoises et pour affronter, si nécessaire, toute résistance année aux mesures de socialisation. Les couches non-exploiteuses ne seront jamais gagnées au socialisme le fusil dans le dos. Dans cette période, la “dictature” signifiera la domination du prolétariat dans son en semble sur le processus de transformation sociale, utilisant la violence seulement si les autres couches lui opposent une résistance armée.

La dictature ne sera pas la domination d’un parti sur le prolétariat. C’est le prolétariat comme un tout, organisé dans ses conseils ouvriers, qui sera détenteur du pouvoir politique. En aucun cas, cette dictature ne peut se traduire par le fait qu’une partie du prolétariat exerce la violence contre une autre partie. Seule la démocratie prolétarienne la plus épanouie, assurant la liberté de presse et de réunion la plus large et les décisions collectives au sein des conseils ouvriers, pourra fournir la vision et la force nécessaires pour mettre en oeuvre le pro gramme communiste. Les ouvriers doivent débattre et définir entre eux la route à suivre. Toute violence au sein de la classe ouvrière est à exclure, car elle paralyserait et détruirait les liens de solidarité et les conditions indispensables à des prises de décision collectives, conditions qui sont les clés du socialisme. Personne ne peut créer le socialisme sans l’auto-activité de toute la classe ouvrière, et personne ne peut l’apporter aux ouvriers sur un plateau. Seules la pratique et la conscience collectives de la classe ouvrière pourront corriger les erreurs.

“La condition qu’implique tacitement la théorie de la dictature selon Lénine et Trotsky est la suivante: un bouleversement socialiste est une chose pour laquelle le parti de la révolution a sous la main une recette toute prête et il n’est besoin que de l’énergie pour la réaliser. Malheureusement, ou si l’on veut heureusement, il n’en est pas ainsi... Le prolétariat a le devoir et l’obligation de prendre immédiatement des mesures socialistes de la façon la plus énergique, la plus inexorable, la plus brutale, donc d’exercer une dictature, mais une dictature de classe, non pas celle d’un parti ou d’une coterie; une dictature de classe, c’est-à-dire une dictature qui s’exerce le plus ouvertement possible, avec la participation sans entraves, très active des masses populaires dans une démocratie sans limites…, parfaitement: dictature! Mais cette dictature réside dans le mode d’application de la démocratie et non dans sa suppression... Cette dictature doit être l’oeuvre de la classe et non pas d’une petite minorité qui dirige au nom de la classe, c’est-à-dire qu’elle doit être l’émanation fidèle et progressive de la participation active des masses, elle doit subir constamment leur influence... La démocratie socialiste ne commence pas seulement en terre promise, lorsque l’infrastructure de l’économie socialiste est créée, ce n’est pas un cadeau de Noël tout prêt pour le gentil peuple qui a bien voulu, entre-temps, soutenir fidèlement une poignée de dictateurs socialistes.” (Rosa Luxemburg, La Révolution g, Ed. Maspero, p83, 87, 88).

Comment la dictature du prolétariat existe-t-elle et réagit-elle dans le contexte de cette démocratie? Démocratie pour qui? Certainement pas pour la classe capitaliste à qui on enlèvera tous droits et toute expression politiques. Pour le prolétariat? Oui. Mais qu’en est-il des couches non- exploiteuses?

D’un côté, nous rejetons la logique du capitalisme, sous ses formes staliniennes, fascistes, ou hypocritement démocratiques bourgeoises, logique qui procède en tuant, brûlant et massacrant tous ceux qui s’opposent potentiellement ou réellement à sa politique d’oppression. Dans la période de transition au contraire, les couches non-exploiteuses doivent être associées au processus de transformation sociale au fur et à mesure que la base matérielle de l’existence de classes distinctes est en train d’être éliminée, En fait, l’intégration de ces individus dans une nouvelle conscience collective est un des moments, un des aspects du processus d’élimination des classes. La nouvelle société ne peut être construite sur la passivité et le silence de millions d’êtres humains.

D’un autre côté, ces classes non- exploiteuses n’ont pas à se regrouper en tant que classes ou couches sociales distinctes, parce qu’en tant que telles, elles n’ont aucun intérêt de classe qui les pousse vers le socialisme. Elles peuvent ressentir de façon positive le statu-quo anticapitaliste comme plus ou moins avantageux pour elles, dans la mesure où ce statu-quo préserve leur subsistance matérielle. Mais la classe ouvrière doit savoir et dire que toute “stabilisation” permanente du statu-quo dans la période de transition stoppera la marche vers le socialisme et condamnera toute la société à la régression. Ce ne sont donc pas ces classes et couches organisées en tant que telles qui participent à la démocratie dans la période de transition. S’il devait en être ainsi, cette démocratie deviendrait une sorte de fourre- tout de différentes classes “votant” pour le socialisme ou non, et la dictature du prolétariat serait condamnée d’avance.

Dans ces conditions, comment la société sera-t-elle organisée de sorte que ces couches soient disloquées en tant que classes sociales en même temps que ses éléments graduelle ment intégrés, en tant qu’individus, dans la société? Cette question nous amène directe ment au sujet principal de cette brochure: l’État de la période de transition.

Pourquoi y aura-t-il un État, et quel État? Bien que le prolétariat doive détruire l’État bourgeois pour affirmer son pouvoir, il ne pourra faire immédiatement disparaître les classes, aussi, il ne pourra pas empêcher qu’un nouvel État, modifié dans sa forme et son contenu, surgisse. Une réalité sociale di visée et conflictuelle trouvera inévitablement son expression dans une superstructure poli tique. La politique ne disparaîtra qu’avec la disparition de l’économie, parce que “le pou voir politique est précisément l’expression officielle des antagonismes qui déchirent la société civile” (Marx, Misère de la Philosophie). Cette nouvelle forme d’État n’est pas, comme telle, une partie du programme communiste: s’il n’y avait que des prolétaires, s’il n’y avait qu’une seule classe dans le monde, il n’y aurait plus de classes, il n’y aurait plus besoin d’un État. Si nous aurons encore à supporter un autre “gouvernement des hommes”, cela ne vient pas d’un choix du prolétariat, mais d’une nécessité historique.

Puisqu’il est historiquement inévitable, cet État devra être utilisé par les ouvriers, puisque c’est la classe ouvrière qui doit donner son orientation à la société. L’État doit être utilisé par le prolétariat pour protéger la révolution contre ses adversaires et pour assurer la cohésion de la société de transition.

Tout comme le prolétariat doit contrôler, guider et orienter l’ensemble de la société en étant en son sein, il devra faire de même avec l’État. Tout comme le prolétariat ne peut se dissoudre par décret dans le reste de la société, au risque de dissoudre sa force de classe, de même il ne peut se dissoudre dans l’État mais doit le contrôler et le dominer de l’intérieur. La classe ouvrière ne peut se passer de l’État parce qu’elle n’est pas seule dans la société et ne peut remplir immédiate ment la totalité de son programme. Cependant, elle ne peut oublier -et cela dès le début de sa dictature- que l’accomplissement de son programme, c’est la suppression de tout État.

“D’après le sens grammatical de ces termes, un État libre est un État qui est libre à l’égard de ses citoyens, c’est-à-dire un État à gouvernement despotique. Il conviendrait d’abandonner tout ce bavardage sur l’État, surtout après la Commune qui n’était plus un État au sens propre. Les anarchistes nous ont assez jeté à la tête l’État populaire, bien que déjà le livre de Marx contre Proudhon, puis le Manifeste Communiste disent explicitement qu’avec l’instauration du régime social socialiste, l’État se dissout de lui-même et disparaît. “L’État n’étant qu’une institution temporaire dont on est obligé de se servir dans la lutte, dans la révolution, pour organiser la répression par la force contre ses adversaires, il est parfaitement absurde de parler d’un État populaire libre; tant que le prolétariat a encore besoin de l’État, ce n’est point dans l’intérêt de la liberté, mais pour réprimer ses adversaires et le jour où il devient possible de parler de liberté, l’État cesse d’exister comme tel”. (Lettre d’Engels à Bebel, 1875, citée par Lénine dans L’État et la Révolution, Ed. de Pékin, p79)

Que veut dire “plus un État au sens propre” ? L’État de la période de transition sera un État débarrassé de “ses côtés les plus nuisibles”, un “demi-État”. Dans la mesure où la classe dominante est une classe non- exploiteuse, elle tentera d’atténuer les effets pernicieux de l’État autant qu’elle le pourra, comme elle l’a fait pendant la Commune: les délégués ouvriers et tous les responsables de la fonction publique sont révocables à tout instant; toute force année séparée de la classe ouvrière est détruite; un contrôle permanent est établi sur le fonctionnement de l’État; les fonctionnaires et les délégués ne sont pas plus rémunérés que les ouvriers; etc.

Mais si l’idée que l’État peut être aboli par décret au lendemain de la révolution est une invention du sentimentalisme anarchiste, les avertissements sur les dangers de l’État, même le demi-État de la période de transition, existent tout au long de l’oeuvre de Marx et Engels:

“Le moins qu’on puisse en dire, c’est que I’État est un mal dont hérite le prolétariat vainqueur dans la lutte pour la domination de classe et dont, tout comme la Commune, il ne pourra s’empêcher de rogner aussitôt au maximum les côtés les plus nuisibles, jusqu’à ce qu’une génération grandie dans des conditions sociales nouvelles et libres, soit en état de se défaire de tout ce bric-à-brac de l’État”. (Engels, 1891, Introduction à I Guerre Civile en France 1871, Ed. Sociales 1969, p.

Nous ne pouvons que dire, avec Lénine, lorsqu’il cherche à redécouvrir et interpréter la position marxiste sur l’État à son époque dans L’État et la Révolution : “Comme on les entendrait crier à l’anarchisme, les chefs du “marxisme” moderne cuisiné à la sauce opportuniste, si on leur proposait un semblable correctif au programme!” (Remplacer le mot “État” par le mot “Gemeinwesen” - Commune).

Si le marxisme a rejeté la formulation anarchiste de “l’abolition de l’État”, ce n’est pas pour chanter les louanges de l’État dans la période de transition, mais pour défendre l’idée du “dépérissement” de l’État, du “demi-État” qui exprime déjà cette dynamique.

Mais dans la situation complexe de la société de la période de transition, comment le prolétariat peut-il pousser cette dynamique jusqu’au bout, jusqu’à son achèvement: la disparition de l’État?

Pour traiter cette question, nous ne dis posons pas d’une grande expérience historique. Il y a eu la Commune de Paris, dans une seule ville, en 1871, et la révolution russe victorieuse, mais isolée dans un seul pays en 1917. Malgré ces limites, il y a d’importantes leçons à tirer de ces premières expériences.

Marx et Engels ont tiré une leçon essentielle de la Commune de Paris et ont modifié en fonction de cette leçon le Manifeste Communiste l’État bourgeois ne peut être “conquis” par la révolution prolétarienne; il doit être détruit. Mais la Commune de Paris a eu affaire essentiellement à une population ouvrière[9] [11] La Commune n’a pas connu les problèmes des rapports entre le prolétariat et la campagne, pour des raisons évidentes. On pouvait donc difficilement y voir une quel conque contradiction entre la dictature du prolétariat et la démocratie, la pleine participation des couches non-exploiteuses à l’État.

En 1918, Rosa Luxemburg dans La Révolution Russe pouvait encore confondre la démocratie ouvrière avec l’Assemblée Constituante! Lénine, écrivant en 1917 sur le futur État, et basant son analyse principale ment sur l’expérience de la Commune, se référait, sans autres précisions indifféremment à “l’État des ouvriers en armes”, à “l’organisation du peuple en armes”, à “l’État de l’immense majorité du peuple” et à “la dictature du prolétariat sans partage”. II ne voyait pas de contradiction possible entre la dictature du prolétariat et la “démocratie la plus large possible”. Dans L’État et la Révolution il n’y a aucun soupçon du fait qu’une opposition puisse se développer entre le prolétariat et “son” État. C’est seulement plus tard que, face à la réalité du nouvel État, il dut admettre que les choses n’étaient pas aussi simples, reconnaissant par exemple la nécessité pour les ouvriers de se défendre, dans une certaine mesure, contre cet “État à déformation bureaucratique” (voir le débat sur les syndicats en 1920-21 dans le parti bolchevik).

Les limites du marxisme sont les limites de l’expérience historique de la classe ouvrière. Les limites de la Commune et de 1905, en termes de temps et d’extension géographique, signifiaient que les problèmes de la dictature du prolétariat ne pouvaient être encore appréhendés dans toute leur profondeur; les contradictions de la société de la période de transition n’étaient pas encore pleinement perçues et ne pouvaient donc être entièrement traitées par la théorie. Mais en pratique, après l’insurrection victorieuse d’octobre 1917, Lénine et les marxistes de l’époque se sont heurtés à ces contra dictions dont les conséquences furent tragiques.

Lénine parlait à cette époque de l’État comme “l’État des ouvriers et des paysans”, une formulation et une réalité qui niaient toute conception de dictature du prolétariat. Pour les bolcheviks, la dictature s’exprimait et était défendue principalement, si ce n’est complètement, par le parti politique du prolétariat, devenu un parti étatique. A travers son parti, le prolétariat se dissolvait lui- même dans l’État. Mais si l’État, ce mal hérité du passé, était destiné à dépérir dans la théorie, en réalité, les seuls organes qui ont “dépéri”, ou plus précisément qui ont été minés par la politique des bolcheviks, ce sont les Conseils ouvriers.

L’État, loin d’être débarrassé de ses pires aspects, s’était renforcé non à travers la démocratie, mais à travers l’absorption graduelle de la société civile. Et il devint, avec l’isolement de la révolution russe, le fer de lance de la contre-révolution capitaliste d’État.

Les bolcheviks ont eu peur que la contre-révolution ne vienne des armées blanches et d’autres expressions directes de la bourgeoisie, et ils ont défendu la révolution contre ces dangers. Ils ont eu peur du retour de la propriété privée à travers la persistance de la petite production, et en particulier de la paysannerie. Mais le pire danger de la contre-révolution n’est venu ni des “koulaks”, ni des ouvriers lamentablement massacrés de Kronstadt, ni des “complots des blancs” que les bolcheviks voyaient derrière cette révolte. C’est sur les cadavres des ouvriers allemands massacrés en 1919 que la contre-révolution a gagné et c’est à travers l’appareil bureaucratique de ce qui était supposé être le “demi État” du prolétariat qu’elle s’est le plus puissamment exprimée.

Si une révolution prolétarienne doit rester isolée longtemps dans un pays, ou même un continent, le mode de production dominant dans le reste du monde, le capitalisme, se réaffirmera inévitablement en son sein.

Qu’une révolution isolée est inévitablement défaite est une leçon aujourd’hui, marquée au fer rouge dans le cerveau de la classe ouvrière. L’internationalisation de la lutte est la principale force vitale. Mais l’expérience russe nous a légué une autre leçon tout aussi précieuse: la contre- révolution ne s’incarnera pas uniquement dans les troupes versaillaises, comme ce fut le cas dans la Commune de Paris. Celle-ci peut aussi venir de l’État, cet appareil qui était supposé représenter la dictature du prolétariat.

Dans une période de pouvoir politique prolétarien, une période de bouleversements constants, si le prolétariat n’a pas la force matérielle d’imposer son programme, de garder le pouvoir, parce qu’il lui manque une extension internationale suffisante, l’État ne pourra que former et reformer une cohésion sociale toujours aliénée sur la seule base autorisée par la réalité prédominante. Ce n’est pas tant le “pourquoi” de cette limite qui est difficile à expliquer, mais le “comment”. L’expérience du prolétariat à l’égard de la question de l’État dans la période de transition est tellement limitée, que cette possibilité n’avait jamais été sérieuse ment soulevée, même théoriquement, avant la révolution russe. La spécificité de l’expérience russe ne se répétera probable ment jamais puisque l’histoire n’opère pas par répétitions identiques. Mais les leçons qu’elle a apportées sur la question des rap ports entre prolétariat et État ne pourront être ignorées qu’au péril de la révolution elle-même. Refuser de prendre ce problème à bras le corps, c’est ignorer une question centrale que le marxisme n’a pas encore complètement élucidée. Quelles que soient les autres conclusions spécifiques qui doivent être tirées de l’expérience russe, le moins qu’on puisse dire sur la façon dont le prolétariat russe traita cette question de l’État dans sa pratique, c’est qu’elle ne lui fut pas favorable. Le prolétariat a été confronté de façon sanglante à des contradictions que la théorie marxiste n’avait pas entièrement prévues.

Comment la dictature du prolétariat s’exprime-t-elle dans une nouvelle “démocratie”? Comment éviter que l’État échappe au contrôle des conseils ouvriers comme c’est arrivé en Russie, jusqu’à devenir la personnification du capitalisme d’État et de la contre-révolution? Comment imposer une dictature du prolétariat sur l’État et s’assurer contre une dictature de l’État sur le prolétariat? Quel est le rôle des conseils ouvriers par rapport à l’État et en son sein? Le demi-État est-il un État “ouvrier”? Comment les conseils ouvriers peuvent-ils limiter les effets négatifs de ce “mal nécessaire”? Tel les sont les questions que cette brochure tente d’explorer.



[1] [12] Dans cette brochure, les termes de socialisme ou de communisme sont utilisés indifféremment pour nommer la société sans classe -cette étape que Marx, dans la Critique du Programme de Gotha a appelé “le stade supérieur du communisme”. La période qui le précède, qui commence avec la première insurrection prolétarienne victorieuse, n’importe où dans le monde, et va jusqu’à la création d’une société communiste à l’échelle mondiale, s’appelle la période de transition.

[2] [13] “Du point de vue bourgeois il est aisé de traiter un semblable régime social de “pure utopie”, et de railler les socialistes qui promettent à chaque citoyen le droit de recevoir de la société, sans aucun contrôle de son travail autant qu’il voudra de truffes, d’automobiles, de pianos, etc. C’est à des railleries de cette nature que se bornent aujourd’hui encore la plupart des “savants” bourgeois, qui révèlent ainsi leur ignorance et leur mentalité de défenseurs intéressés du capitalisme. Leur ignorance, car il n’est venu à l’esprit d’aucun socialiste de “promettre” l’avènement de la phase supérieure du communisme; quant à la prévision de son avènement par les grands socialistes, elle suppose une productivité du travail différente de celle d’aujourd’hui, et la disparition de l’homme moyen d’aujourd’hui capable, comme les séminaristes de Pomialovski, de gaspiller’à plaisir” les richesses publiques et d’exiger l’impossible». (Lénine, L’État et la Révolution Ed. de Pékin 70, p120)

[3] [14] “C’est en cela que, selon Marx le prolétariat diffère des autres classes dans l’histoire qui, dans la victoire, continuaient défendre l’existence de leurs classes antagoniques et complémentaires. Le baron féodal avait besoin du vilain pour être baron; le bourgeois a besoin du prolétariat pour être bourgeois. Seul, le prolétariat, comme véritable “classe universelle” n’a pas besoin de son opposé pour assurer son existence”. (Avineri, Social and Political Thought of Karl Marx traduit par nous).

[4] [15] Par propriété privée, nous voulons dire ce rap port social qui prive les ouvriers de tout pouvoir sur la production. La propriété privée est aussi bien propriété Individuelle, que propriété “collective» de l’État capitaliste.

[5] [16] Il y a certainement d’autres classes exploitées dans l’histoire, mais elles n’étaient pas les classes révolutionnaires de leur temps car elles n’étaient pas et ne pouvaient pas être (étant donné les limites du développement des forces productives) les porteuses d’une nouvelle forme d’organisation sociale. Les esclaves sous la domination romaine se sont révoltés derrière Spartacus, contre leur oppression, mais la nécessité de rendre plus p l’agriculture imposait alors les germes de ce qui allait devenir les rapports féodaux de production. De même, les serfs se sont révoltés; mais qu’ils l’aient fait ou non, n’a rien changé au fait que c’est la classe bourgeoise marchande naissante dans les villes et qui se développait en dehors du cadre féodal (quelle que soit son origine sociologique au départ), qui était destinée à révolutionner la société avec la domination d’un nouveau mode de production dont elle était le porteur et le gérant. C’est essentiellement à cause du degré atteint par le développement des forces productives que la classe exploitée peut et doit être aujourd’hui la classe révolutionnaire, l’antithèse du capital, le porteur de sa propre négation en tant que classe distincte du reste de la société et le moteur du dépassement de toute contrainte économique.

[6] [17] “Nous sommes souvent heurtés à une in compréhension de cette question. Beaucoup de gens qui regardent leur propre pays, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne par exemple, doutent du fait que l’intégration des autres couches se présente comme un problème. Apres tout, il n’y a pas de paysans en Grande-Bretagne ou si peu qu’ils ne comptent pas! Mais la question fondamentale, c’est que la période de transition doit être conçue à l’échelle mondiale. Il n’y a pas de “communisme en un seul pays», ni même sur un continent. C’est en termes de toute la planète qu’on raisonne sur la période de transition, et de toute l’humanité dont les deux tiers aujourd’hui connaissent la faim. Même si l’on suppose que les rapports de propriété pré-capitalistes ne seront pas trop difficiles à détruire, il y a tout un processus d’intégration sociale que le capitalisme n’a pas réalisée et qui ne peut être réalisé sans un développe ment correspondant des moyens matériels de production. Ici, le capitalisme n’a laissé que la misère. De plus, existent tous les vestiges idéologiques de siècles de lutte de classes, qui pèsent sur le cerveau des hommes. Cette force d’inertie doit être surmontée, et sur cette question aucun “continent” ne peut se considérer au-dessus de la question. Ce sont toutes les divisions de l’humanité, raciales, religieuses, sexuelles qui doivent être dépassées, tout comme les déformations psychologiques léguées par la société de classes. Et cela tout en avançant, au fur et à mesure que nous travaillons à la transformation de la réalité matérielle. Celui qui croit qu’on pourra sauter la tête la première dans le communisme, parce qu’il se voit lui-même sur une île, isolé, n’a même pas commencé à saisir le problème.

[7] [18] Revolutionary Perspectives: aujourd’hui “Communist Workers’ Organisation” (CWO) qui publie un journal: Workers’ Voice et une revue: Revolutionary Perspectives en Grande-Bretagne

[8] [19] Il est important de noter cependant que la violence de classe du prolétariat n’est pas semblable à celle de la bourgeoisie, sous certains rapports très importants. Elle n’a pas pour but la création d’une société de terreur, car elle n’a pas de classe à maintenir dans l’exploitation. Sa violence est essentielle ment défensive, et n’a pas pour modèle la terreur mise en oeuvre dans les révolutions bourgeoises. Malgré les exhortations de Trotsky sur la’terreur rouge>) dans Terrorisme et Communisme on ne peut dire que cette expérience qui a culminé dans la création d’une police secrète et le renforcement massif de la Tcheka, soit un exemple pour le futur. Dans la nature des buts mêmes de la révolution prolétarienne, il découle que certains moyens ne peuvent être utiles (comme la terreur bourgeoise des camps de concentration, la torture et le génocide), ni utilisés. Pour une étude plus détaillée de cette question, nous renvoyons le lecteur à l’article “Teneur, terrorisme et violence de classe, dans la Revue Internationale n°14).

[9] [20] “En 1866, cinq ans avant la révolte de la Commune, sur 1.799.980 habitants de Paris, 51% vivaient du travail industriel. Le nombre de ceux qui vivaient d’un salaire ouvrier s’élevait à 729.584 personnes, soit plus de 40% du total de la population de Paris. Ainsi, la population de Paris de 1866 se distingue par le caractère majoritaire des ouvriers par rapport aux autres classes sociales”. Kazem Radjavi, La dictature du prolétariat et le dépérissement de l’État de Marx à Lénine Ed. Anthropos.

AVANT-PROPOS

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Avant-propos

Cette brochure est la première d’une série sur la période de transition au socialisme que le CCI a l’intention de publier. Elle est composée d’articles déjà parus dans notre presse (mais dont les stocks sont aujourd’hui épuisés), ainsi que des documents de discussion interne à l’organisation. Les textes choisis ne représentent qu’une petite partie des documents qui ont circulé au sein du CCI. Ils expriment les positions-clés du débat et donnent une idée de la dimension internationale de la discussion au sein de l’organisation. Pour cette brochure, nous avons choisi des contributions venant de France, de Belgique, de Grande-Bretagne, d’Italie et des USA. Les textes rendent compte des points de vue divergents: il y a des interventions qui défendent la position finalement adoptée par le CCI en 1979 et d’autres qui sont en désaccord partiel ou complet avec cette prise de position. Pour tous les combattants du camp prolétarien partout dans le monde, qui se demandent si des polémiques franches et ouvertes sur des divergences théoriques peuvent avoir lieu au sein d’une organisation politique, nous pensons que cette brochure répondra par elle- même à la question.

La pensée collective du CCI sur la période de transition se base sur les principes de notre plate-forme politique. Les conclusions auxquelles nous sommes arrivés après 10 ans de débats ont leur point de départ dans la plate-forme qui définit notre activité politique:

  • La défense du marxisme connue l’expression la plus cohérente de la lutte ouvrière contre le capital; le rejet de la théorie anarchiste ;
  • La défense de la nécessité d’une révolution prolétarienne contre le capitalisme; le rejet des théories de l’autogestion ouvrière de l’économie tant que le pouvoir de l’État capitaliste subsiste; le rejet de toute forme de “gradualisme” réformiste ;
  • Le rejet de la notion d’États “socialistes” existant aujourd’hui ainsi que des États soi-disant “ouvriers dégénérés”; la défense de l’analyse du capitalisme d’État comme forme de vie vers laquelle tend le capitalisme partout dans le monde dans sa phase de décadence ;
  • La défense de la nécessité des conseils ouvriers, organes unitaires du prolétariat, seuls organes du pouvoir révolutionnaire du prolétariat ;
  • Le rejet de toute prise de pouvoir par un parti politique, quel qu’il soit “au nom de la classe ouvrière”;
  • la défense du rôle du parti au sein des conseils ouvriers ;
  • Le rejet de tout rapport de violence au sein de la classe ouvrière ;
  • Le rejet du “socialisme en un seul pays”; tout acquis prolétarien dans un pays est voué à l’échec ou à la dégénérescence sans la généralisation et l’internationalisation de la lutte; la période de transition est mondiale ou elle n’est rien.

Ces brèves remarques sur la plate-forme donnent une idée de l’orientation de nos études. Le CCI ne ferme pas les yeux sur tous les symptômes de dégénérescence au sein de la révolution russe et du parti bolchevik avant la conquête du pouvoir par Staline. Les questions difficiles posées par la période tourmentée de 1917 à 1923 doivent être prises à bras le corps par les révolutionnaires d’aujourd’hui sans tabou ni religiosité envers la “tradition”.

Nous ne pensons pas non plus que la constatation de l’arriération économique de la Russie et des difficultés qui en découlaient pour la révolution, constitue à elle seule l’essentiel du bilan à tirer: aucun pays, aussi développé soit-il ne peut maintenir en vie une révolution prolétarienne dans l’isolement. Nous sommes convaincus que la révolution russe marque la faillite définitive de la conception suivant laquelle la prise du pouvoir par le prolétariat serait la prise du pouvoir par un parti. Ainsi, nous ne nous faisons aucune illusion sur une quelconque version “new look” de la pratique du parti étatique. Toute tentative dans ce sens abouti rait fatalement à des résultats désastreux et contre-révolutionnaires comme l’a mis en évidence l’expérience prolétarienne en Russie.

Mais au coeur de ces questions et au-delà d’elles-mêmes, reste tout le problème des rapports entre classe ouvrière et État qui sur gira inévitablement dans la période de transition. La plate-forme du CCI souligne “la complexité et la gravité du problème posé par les rapports entre la classe ouvrière organisée et l’État de la période de transition”. Elle affirme que “dans la période qui vient, le prolétariat et les révolutionnaires ne pourront pas esquiver ce problème, mais se devront d y consacrer tous les efforts nécessaires pour le résoudre”. La plate-forme ne va pas plus loin, mais en 1979, le CCI a adopté une Résolution sur cette question (voir la fin de cette brochure).

La Résolution affirme que: “Sur le terrain immédiat, le prolétariat devra s’opposer aux empiétements et à la pression de l’État [...]. Sur le terrain historique, la nécessaire extinction de l’État dans le communisme, déjà mise en évidence par le marxisme, ne sera pas le résultat de sa dynamique propre, mais le fruit d’une pression soutenue de la part du prolétariat, conséquence de son mouvement en avant, qui le privera progressivement de tous ses attributs au fur et à mesure de 1’évolution vers la société sans classe.

Pour ces raisons, si le prolétariat doit se servir de l’État de la période de transition, il doit conserver sa complète indépendance à l’égard de cet organe. En ce sens, la dictature du prolétariat ne se confond pas avec l’État. Entre les deux, existe un rapport de forces constant que le prolétariat devra maintenir en sa faveur: la dictature du prolétariat s’exerce par la classe ouvrière au travers de son organisation générale, uni taire, indépendante et année: les conseils ouvriers qui, comme tels, participent dans les soviets territoriaux (où est représenté l’ensemble de la population non exploiteuse, et d’où émane la structure étatique), sans se confondre, afin d’assurer son hégémonie de classe sur toutes les structures de la société de la période de transition”.

La résolution conclut sur l’explication de l’antagonisme entre le prolétariat et l’État en affirmant: “C’est pour cela qu’on ne peut parler ni d’“État socialiste” ni d’“État ouvrier” ni d’“État prolétarien” durant la période de transition”.

La résolution a pris des années d’élaboration et d’approfondissement avant d’être adoptée; elle n’a pas été votée à la légère, ni dans la précipitation. Sous forme de projet, une résolution fut présentée et discutée au Congrès International de 1977, mais ce n’est que deux ans plus tard, quand l’organisation eût atteint une compréhension suffisamment approfondie de la question qu’une résolution fut formellement adoptée.

Le CCI n’a pas “inventé” la question des rapports entre l’État et la dictature prolétarienne dans la période de transition. Pendant et après l’expérience russe, les révolutionnaires ont essayé de tirer les leçons de l’échec et de la dégénérescence. Il revient aux camarades de la gauche communiste d’avoir été les plus actifs dans ce sens: en Russie même (Cf. Revue Internationale n°8 et 9: “La Gauche Communiste en Russie 1918-1930”), en Allemagne et en Hollande avec le KAPD (Cf. le travail de J. Appel avec Canne-Meiyer et Pannekoek bientôt traduit en français après plus de 50 ans: “Principes fondamentaux de la production et de la distribution communistes”), dans la gauche “italienne” en exil (Cf. leur publication ‘Bilan’ dont nous espérons pouvoir publier des articles sur la période de transition dans des brochures à venir). Mais la faiblesse de ces organisations en leur temps, les années qui nous séparent de ces efforts ont presque effacé ceux-ci de la mémoire collective du mouvement ouvrier. Les militants d’aujourd’hui viennent à L’État et la Révolution de Lénine sans même avoir entendu parler des études ultérieures.

La discussion dans le CCI a commencé à partir du texte publié dans Internationalisme (1945-52): “Thèses sur la nature de l’État et la Révolution Prolétarienne” adoptées en 1946 par la Gauche Communiste de France (republié dans cette brochure). Le texte vient directement de la “tradition” de la Gauche “italienne” et défend sur certaines questions des positions qui ne sont pas aujourd’hui celles du CCI: le document parle de prise du pouvoir par le parti et considère les syndicats comme des organismes de nature prolétarienne, aussi bien dans le cadre du capitalisme que dans celui de la période post insurrectionnelle. Au cours de son évolution politique ultérieure à la rédaction de ce texte sur l’État dans la période de transition, la Gauche Communiste de France a elle-même rectifié ses positions pour défendre la prise du pouvoir par les conseils ouvriers et la reconnaissance des syndicats en tant qu’organes de l’État capitaliste dans la période de décadence. Ces points n’ôtent rien à la valeur de ces “Thèses” qui affirment la nécessité pour la classe ouvrière de se défendre contre l’État dans la période de transition, que ce soit par des grèves ou par d’autres actions de classe si nécessaire.

Les “Thèses” furent présentées comme contribution au cours d’une Conférence organisée par Révolution Internationale sur la période de transition en 1972 en France. Le 2ème texte publié ici “L’État, la Révolution prolétarienne et le contenu du socialisme” fut présenté aussi à cette conférence: il s’érige contre l’idée “d’un État entre les mains du prolétariat, dont la nature reste anti-socialiste” et s’oppose à certains aspects des “Thèses”. Quant au 3ème texte “Problèmes de la période de transition” (Taly), il résume de façon générale ce qu’était la pensée de RI à cette époque sur la question.

L’article “Problèmes de la période de transition” (MC) fut présenté à la Conférence Internationale de 1975 (où le CCI a été officiellement constitué comme organisation internationale unifiée). Le texte est paru ensuite dans la Revue Internationale n°1. Comme tous les documents de cette époque, il tente de clarifier le cadre général du débat. Une autre contribution parue dans ce même numéro de la Revue Internationale soulève des points de désaccords avec le texte précèdent et défend finalement l’idée selon laquelle l’État dans la période de transition est identique aux conseils ouvriers.

“État et dictature” écrit un an plus tard prend aussi la défense de la conception de l”État ouvrier”, mais de façon beaucoup plus nette. Le texte “L’État et la dictature du prolétariat”, présenté au 2ème Congrès de ce qui était déjà devenu la section du CCI en France fait un récapitulatif des efforts du mouvement ouvrier sur cette question et défend la position qui sera par la suite adoptée par l’organisation.

Les documents “internes” publiés, ont été rédigés en 1976 et 1977, à travers ces textes, on voit que le débat dans l’organisation passe du terrain des généralités à celui plus précis de la question spécifique de l’État. Dans une deuxième brochure, nous publierons des textes de ce débat écrits entre 1978 et 1980. Ces contributions traitent essentiellement les questions de l’origine et de l’évolution de l’État dans les sociétés de classes, ainsi que du rôle de la violence dans la révolution.

La question de l’État dans la période de transition et des rapports entre celui-ci et le prolétariat organisé en conseils n’a pas encore été tranchée définitivement par l’expérience historique. On ne peut donc pas considérer la position adoptée par le CCI comme une “frontière de classe” entre la défense de l’ordre bourgeois et les intérêts prolétariens. L’accord sur la résolution adoptée par le CCI n’est pas un critère d’adhésion au CCI. Nous sommes par contre absolument convaincus que les révolutionnaires doivent prendre conscience de l’importance vitale de cette question et la débattre ouvertement et profondément. C’est à notre génération de tirer les leçons du passé. Quel est le “contenu du socialisme”; comment le prolétariat doit s’organiser et organiser la société pour atteindre ce but? Ce sont là des questions d’une importance cruciale pour le mouvement ouvrier aujourd’hui et demain. Les rapports entre les conseils ouvriers et l’État seront une question de vie ou de mort pour la victoire de demain.

Nous sommes conscients qu’il n’est pas facile de lire cette brochure; le style des textes écrits souvent pour des débats internes est parfois lourd et traduit toujours la complexité de la question et nos propres limitations. Nous n’avons aucune illusion sur la Capacité de notre organisation, ou de n’importe quel autre groupe, d’élucider entièrement cette question dans l’isolement. Le mouvement de la pensée révolutionnaire exige la confrontation d’idées pour pouvoir avancer sur ces questions théoriques aussi essentielles. Le CCI a toujours essayé de fomenter un tel débat dansée milieu révolutionnaire. Peut-être avons-nous réussi dans une certaine mesure puisque Programme Communiste, Battaglia Comunista, la Communist Workers’ Organisation, entre autres, ont répondu par des critiques orales ou écrites à nos analyses sur cette question. Mais cela reste encore très insuffisant. Cette brochure est un effort vers un dialogue avec tous les éléments et groupes pour qui le marxisme n’est pas un dogme, pour qui la théorie de la lutte ouvrière est une réalité vivante. Elle est une contribution à un débat qui devrait se dérouler dans tout le milieu révolutionnaire partout dans le monde. Comme hier, dans cette période de confrontation entre prolétariat et bourgeoisie, “il n’y a pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire”. (Lénine).

CCI (Avril 1981)

TEXTES DE BASE

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Thèses sur la nature de l’État et la Révolution Prolétarienne (Gauche communiste de France, 1946)

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Ce texte écrit après la guerre, met en question la notion classique d’un “État ouvrier” en se basant sur la critique de l’expérience russe, et défend la nécessité de l’autonomie du prolétariat dans la défense de ses intérêts de classe pendant la période de transition.

Thèse sur la nature de l’État et la révolution prolétarienne

(Adoptées. par la gauche communiste de France, Mars 1946).

1- L’État apparaît dans l’histoire sur la base de l’existence des intérêts antagoniques divisant la société humaine. II est le produit, le résultat des rapports antagoniques économiques. Tout en jouant un rôle en tant que facteur réagissant au cours de l’histoire, il est avant tout un objet directement déterminé par le processus économique et au cours de celui-ci.

En apparence placé au dessus des classes, il est en réalité l’expression juridique de la domination économique, la superstructure, le revêtement politique du règne économique d’une classe donnée dans la société.

Les rapports économiques entre les hommes, la formation des classes, et la place qu’elles occupent dans la société sont déterminés par l’évolution, le développement des forces productives à un moment donné. La raison être de l’État est exclusivement dans la fonction de codifier, de légaliser un état économique déjà existant, de le sanctionner, de lui donner force de loi dont l’acceptation est obligatoire pour tous les membres de la société. Ainsi, l’État veille au maintien de l’équilibre, à la stabilisation des rapports entre les membres et les classes, rapports issus du processus économique même, en empêchant toute manifestation des classes opprimées contre toute remise en question qui se traduirait par la perturbation et l’ébranlement de la société. Ainsi, l’État remplit une fonction importante dans la société assurant la sécurité, l’ordre indispensable à la continuation de la production, mais il ne peut le faire que par son caractère essentiellement conservatif. Au cours de l’histoire, l’État apparaît comme un facteur conservateur et réactionnaire de premier ordre, il est une entrave à laquelle s’heurtent constamment l’évolution et le développement des forces productives.

2- Pour remplir son rôle double d’agent de sécurité et d’agent de réaction, l’État s’appuie sur une force matérielle, sur la violence. Son autorité réside dans la force de coercition. II possède en monopole exclusif toutes les forces de violence existantes la police, l’armée, les prisons.

De par le jeu de la lutte entre les classes, tout en étant le représentant de la classe dominante, l’État tend à acquérir une certaine indépendance. Avec le développement, la bourgeoisie déterminant des formations nationales, de vastes concentrations d’unités économiques, politiques, par le développement des antagonismes et des luttes des classes sur les échelles toujours plus grandes, par l’opposition aggravée contre les grands États capitalistes, l’État sera amené à pousser au paroxysme le développement de sa force coercitive afin de maintenir l’ordre à l’intérieur, en forçant le prolétariat et les autres classes travailleuses à subir et à accepter l’exploitation capitaliste tout en reconnaissant juridiquement et formellement la liberté de l’individu à l’extérieur, en garantissant les frontières des champs d’exploitation économique, contre la convoitise des autres groupes capitalistes et en tendant à les élargir au dépens des autres États.

Ainsi, à l’époque capitaliste où la division horizontale et verticale de la société, et la lutte engendrée par cette division atteint le point culminant de l’histoire humaine, l’État atteindra également le point le plus haut de son développement et de son achèvement en tant qu’organisme de coercition et de violence.

Ayant son origine dans la nécessité historique de la violence, trouvant dans l’exercice de la coercition, la condition de son épanouissement, l’État deviendra un facteur indépendant et supplémentaire de la violence dans l’intérêt de son autoconservation, de sa propre existence. La violence en tant que moyen deviendra un but en soi, entretenu et cultivé par l’État, répugnant de par sa nature même à toute forme de société tendant à se passer de violence en tant que régulateur des rapports entre hommes.

3- Dans la complexité des contradictions enchevêtrées et inextricables s’épanouissant avec le développement de l’économie capitaliste, l’État est appelé à s’immiscer à chaque instant dans tous les domaines de la vie: économique, social, culturel, politique, aussi bien dans la vie privée de chaque individu que dans ses rapports avec la société sur le terrain local, national et mondial.

Pour faire face à toutes ses obligations sociales immenses, l’État fera appel à une masse toujours plus grande de personnes, les enlevant à toute activité, à toute participation à la production, en créant ainsi un corps social à part, aux intérêts propres, ayant pour spécialité et pour charge d’assurer le fonctionnement de la machine étatique et gouvernementale.

Une fraction importante (10% et peut- être plus) de la société constitue ainsi une couche sociale indépendante (les politiciens, les hauts fonctionnaires, la bureaucratie, le corps juridique, la police et le militarisme ayant des intérêts économiques propres vivant en parasites de la société, ayant pour patrimoine et champ d’exploitation, réservé à eux, l’appareil étatique.

De serviteur de la société, au service de la classe dominante, ce corps social, de par sa masse et surtout de par sa place dans la société, à la direction du gouvernail étatique, tend à s’affranchir de plus en plus pour se poser en maître de la société, et en associé de la classe dominante. II possède en commun et en monopole exclusif les finances publiques, le droit de dicter les lois et de les interpréter, et la force matérielle de la violence pour les appliquer dans son intérêt.

Ainsi naît et surgit une couche sociale privilégiée nouvelle qui tire son existence matérielle de l’existence de l’État, couche parasitaire et essentiellement réactionnaire, intéressée à la perpétuation de l’État, relativement indépendante, mais toujours associée à la classe dont le système économique est basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme, et dont le principe est le maintien et la perpétuation de l’exploitation humaine ainsi que la sauvegarde des privilèges économiques et sociaux.

4- Le développement de la technique et des forces productives ne peut plus être enfermé dans le principe bourgeois de la possession privée des moyens de production. Même la production capitaliste est obligée de porter atteinte à son principe sacro-saint de la possession privée des moyens de production, et de recourir à une nationalisation capitaliste de certaines branches de son économie, comme les Chemins de Fer, les PTT et, partiellement, l’aviation, la marine marchande, la métallurgie et les mines. L’immixtion de l’État se fera de plus en plus sentir dans toute la vie économique, évidemment et dans l’intérêt et pour la sauve garde du régime capitaliste dans son ensemble. D’autre part, dans la lutte de classe entre les forces antagoniques de la société, classes et groupes économiques, l’État ne pourrait assumer son rôle de représentant et de “médiateur” qu’en s’appuyant lui-même sur une base matérielle, économique, indépendante et solide.

Dans cette évolution historique de la société capitaliste, l’État acquerra une figure de plus en pins nouvelle, un caractère nouveau, économique, d’État Patron. Tout en gardant sa fonction politique d’État capitaliste et en l’accentuant, il évoluera sur le terrain économique vers un capitalisme d’État. L’État prélèvera une masse de plus- value en tant que part d’associé dans les branches et secteurs où subsiste la possession privée des moyens de production, au même titre que tout autre capital (bancaire ou foncier), où il exploitera directement les branches ou secteurs étatisés en unique patron collectif, en vue de la création de la plus-value. La répartition de cette plus-value

La période de Transition du Capitalisme au Socialisme se fera entre les membres le composant, (mise à part de la partie qu’il capitalisera en la réinvestissant dans la production) d’après le rang et place privilégiés acquis.

La tendance économique vers le capitalisme d’État tout en ne pouvant pas s’achever dans une socialisation et une collectivisation dans la société capitaliste, reste néanmoins une tendance très réelle affranchissant en quelque sorte l’État d’un rôle strictement instrumental, le fait apparaître dans son caractère nouveau économique d’un patron collectif anonyme exploitant et extirpant collectivement la plus-value.

La possession privée des, moyens de production, tout en ayant été la base fondamentale du système économique du capitalisme et en subsistant encore aujourd’hui, peut parfaitement subir des modifications profondes à la phase finale du capitalisme sans pour cela mettre en danger les principes même de l’économie capitaliste. L’étatisation plus ou moins grande des moyens de production, loin de signifier la fin du système, s’accorde parfaitement avec ce système et peut être même la condition de son maintien, à condition que le principe fondamental du capitalisme persiste, à savoir l’extirpation toujours plus grande de plus- value aux ouvriers se poursuivant au bénéfice d’une minorité privilégiée et puissante. L’opposition fondamentale entre l’économie capitaliste et l’économie socialiste ne réside donc pas dans la possession privée des moyens de production. Si le socialisme est incompatible avec la possession privée des moyens de production, l’absence de cette dernière (tout en étant une condition indispensable pour l’instauration de l’économie socialiste) n’est pas forcément du socialisme, puisque la réalité nous démontre l’accommodation du capitalisme avec l’étatisation des moyens de production en s’acheminant vers le capitalisme d’État.

L’opposition fondamentale entre l’économie capitaliste et socialiste réside :

  • dans le moteur et le but de la production: le principe capitaliste a pour moteur et but la recherche de plus en plus grande de la plus- value, le principe socialiste, au contraire, a pour but la recherche de la satisfaction des besoins de la société et de ses membres ;
  • dans la répartition immédiate des produits et des valeurs créées, le principe capitaliste est caractérisé par une part de plus en plus réduite de la masse des valeurs créées laissées pour la consommation, la plus grande part servant au réinvestissement en vue de l’élargissement de la production, le principe socialiste réside dans l’accroissement proportionnel plus grand de la part des producteurs à la valeur produite pour la jouissance immédiate.

La partie des valeurs produites directement consommables doit tendre à s’accroître par rapport à la partie destinée à être investie dans la production en vue d’une reproduction.

Ainsi la tendance grandissante de l’État à l’indépendance au sein du capitalisme, tendance non seulement politique mais aussi économique, loin de présenter un affaiblissement de la société capitaliste ne fait que transférer la puissance économique du capitalisme à l’État en l’érigeant en la puissance, l’essence même du capitalisme. Face au prolétariat et à sa mission historique d’instauration de la société socialiste, l’État se présente comme le Goliath historique. De par sa nature, il présente toute l’histoire passée de l’humanité, toutes les classes exploiteuses, toutes les forces réactionnaires. Sa nature étant comme nous l’avons démontré conservatisme, violence, bureaucratisme, maintien des privilèges et exploitation économique, il incarne le principe d’oppression irréductiblement opposé au principe de libération, incarné par le prolétariat et le socialisme.

5- Toutes les classes jusqu’à ce jour, n’ont fait que substituer leur domination, dans l’intérêt de leur privilège, à la domination des autres classes. Le développement économique des classes nouvelles se faisait lentement et longtemps avant d’instaurer leur domination politique au sein de l’ancienne société. Parce que leurs intérêts économiques coïncidant avec le développement des forces productives n’étant que les intérêts d’une minorité, d’une classe, leur force s’accroissait au sein de l’ancienne société, économiquement d’abord. Ce n’est qu’à un certain degré de ce développement économique, après avoir économiquement supplanté, en partie résorbé l’ancienne classe dominante, que le pouvoir politique, l’État, la domination juridique, viennent consacrer le nouvel état de fait. La bourgeoisie s’est développée longuement économiquement, le capital marchand s’est affermi, et ce n’est que lorsque la bourgeoisie a dominé économiquement l’ancienne société féodale qu’elle a accompli sa révolution politique. La révolution bourgeoise doit briser la résistance des féodaux, la superstructure idéologique, le droit féodal devenus des entraves au développement des forces productives, mais elle ne brisa pas l’État. Le principe de l’État étant la sauvegarde de l’exploitation de l’homme par l’homme, la bourgeoisie n’a fait que s’emparer et continuer à faire fonctionner la machine de l’État pour son propre intérêt de classe. Le processus des révolutions des autres classes dans l’histoire se présente donc de façon suivante :

  • Édification et affermissement économique de la nouvelle classe au sein de l’ancienne société.
  • Domination économique, révolution économique pacifique.
  • Révolution politique violente consacrant le fait économique.
  • Maintien de l’appareil d’État en le faisant fonctionner dans l’intérêt de la nouvelle classe.
  • Résorption graduelle des anciennes classes dirigeantes qui survivent dans la nouvelle classe dominante.

6- Le prolétariat à l’encontre des autres classes dans l’histoire, ne possède aucune richesse, aucune propriété matérielle. Il ne peut édifier aucune économie, aucune assise économique dans l’enceinte de la société capitaliste. Sa position de classe révolutionnaire réside dans le déroulement objectif de l’évolution, rendant l’existence de la propriété privée incompatible avec le développement des forces productives, d’une part, et de l’impossibilité de la production de la plus-value, d’autre part. Elle se heurte ainsi à l’absence du marché susceptible de réaliser cette plus-value. La nécessité objective de la société socialiste en tant que solution dialectique aux contradictions internes du système capitaliste trouve en le prolétariat la seule classe dont les intérêts s’identifient avec l’évolution historique. La dernière classe de la société ne possédant rien, n’ayant aucun privilège à défendre se rencontre avec la nécessité historique de supprimer tout privilège. Le prolétariat est la seule classe qui peut remplir cette tâche révolutionnaire de suppression de tout privilège, de toute propriété privée, pouvant développer les forces productives libérées des entraves du système capitaliste, au bénéfice et dans l’intérêt de toute l’humanité. Le prolétariat n’a et ne peut avoir, une politique économique au sein du régime capitaliste.

Il n’a aucune économie de classe à édifier avant ou après la révolution. A l’encontre des autres classes, et pour la première fois dans l’histoire, c’est une révolution politique qui précède et crée les conditions d’une transformation sociale et économique. La libération économique du prolétariat est la libération économique de toute entrave d’intérêt de classe, la disparition des classes. II se libère en libérant toute l’humanité, et en se dissolvant dans son sein.

L’État, principe de domination et d’oppression économique de classe, ne peut être conquis dans le sens classique par le prolétariat. Au contraire, les premiers pas vers son émancipation consistent dans la destruction révolutionnaire de cet État. N’ayant aucune assise économique, aucune propriété, le prolétariat puise sa force dans la conscience qu’il acquiert des lois historiques, objectives du processus économique. Sa force est exclusivement sa conscience et son organisation. Le parti de classe cristallisant la conscience de la classe, présente la condition indispensable pour l’accomplissement de la mission historique au même titre que ses organisations unitaires de lutte représentent sa capacité matérielle et pratique de l’action.

Les autres classes dans l’histoire, parce qu’ayant une assise économique au sein de la société, pouvaient plus ou moins se passer d’un parti; elles étaient elles-mêmes à peine conscientes de l’aboutissement de leur action, et elle s’identifiaient avec l’État, principe de privilèges et d’oppression. Le prolétariat se heurte à chaque moment de son action, en tant que classe, à l’État; il est l’antithèse historique de l’État.

La conquête de l’État par une classe exploiteuse dans un pays donné marquait le terme historique, le dernier acte révolutionnaire de cette classe. La destruction de l’état par le prolétariat n’est que le premier acte révolutionnaire de classe ouvrant pour lui et son parti tout un processus révolutionnaire en vue de la révolution mondiale d’abord et ensuite sur le terrain économique en vue de l’instauration de la société socialiste.

7- Entre le degré atteint par les forces productives entrant en opposition avec le système capitaliste, et qui font sauter les cadres de ce système, et le degré de développement nécessaire pour l’instauration de la société socialiste, de la pleine satisfaction des besoins de tous les membres de la société, existe un décalage historique très grand. Ce décalage ne peut être effacé par une simple affirmation programmatique comme le croyaient les anarchistes, mais doit être comblé sur le terrain économique, par une politique économique du prolétariat. C’est en cela que réside la justification théorique de l’inévitabilité d’une phase historique transitoire entre le capitalisme et le socialisme. Phase transitoire ou la domination politique, et non économique, appartient à la classe révolutionnaire qui est la dictature du prolétariat.

La maturation des conditions économiques en vue du socialisme est l’oeuvre politique du prolétariat, de son parti et ne peut être solutionnée sur le terrain national, mais exige des assises mondiales. Le capitalisme, s’il est un système mondial, ne l’est que dans la mesure de la domination mondiale du capital et le développement économique des différents secteurs de l’économie mondiale, de même que celui des différentes branches industrielles ne se fait que dans la limite compatible avec l’intérêt du Capital.

Autrement dit, le développement de différents secteurs et branches de l’économie mondiale a été profondément entravé. Le socialisme, par contre, trouve ses assises dans un très haut degré de développement économique de tous les secteurs de l’économie mondiale. La libération des forces productives des entraves capitalistes dans tous les pays par la révolution prolétarienne sur l’échelle mondiale est donc la première condition d’une évolution économique de la société vers le socialisme.

La politique économique du prolétariat se développe sur la base de la généralisation de la révolution à l’échelle mondiale et est contenue, non dans l’affirmation unilatérale de développement de la production, mais essentiellement dans le rythme harmonieux de développement de la production avec la progression proportionnelle du niveau de vie des producteurs.

La phase transitoire exprime sa filiation économique avec l’ère historique présocialiste, en ce sens qu’elle ne peut satisfaire tous les besoins de la société et contient la nécessité de la poursuite de l’accumulation. Toute politique qui misera sur la plus haute accumulation en vue de l’élargissement de la production n’exprimera pas une tendance prolétarienne, mais ne serait que la suite d’une économie capitaliste. Tandis que la politique économique du prolétariat s’exprimera par l’accumulation nécessaire, compatible et conditionnée avec l’amélioration des conditions de vie des ouvriers, avec l’augmentation relative et progressive du “capital variable”.

Après sa victoire sur la bourgeoisie, le prolétariat, d’une part, devient la classe dominante politiquement, qui à travers son parti de classe assure pendant toute la phase transitoire la dictature de sa classe en vue d’acheminer la société vers le socialisme et, d’autre part, conserve sa position de classe dans la production ayant des intérêts économiques particuliers immédiats à défendre et à faire prévaloir au travers de ses organisations économiques propres, les syndicats et ses moyens de lutte: la grève durant toute la phase transitoire.

8- La destruction révolutionnaire de l’État capitaliste, instrument de la domination de classe est loin de signifier la destruction des positions économiques de l’ennemi, et sa disparition. L’expropriation et la socialisation des principales branches clés de la production sont des mesures premières et indispensables de la politique économique du prolétariat. L’existence des secteurs économiques arriérés dans l’espace comme dans diverses branches de la production, et particulièrement l’agriculture, ne permet pas de passer immédiatement à une économie socialiste et à la disparition totale de la propriété privée. L’édification socialiste ne pouvant surgir d’une affirmation programmatique, est le fruit d’un long processus économique sous la direction politique du prolétariat durant lequel la gestion socialiste doit battre et vaincre la gestion capitaliste sur le terrain économique.

L’existence de ces secteurs économiques arriérés, la subsistance inévitable de la propriété privée présentent un danger redoutable, un terrain économique de conservation, de consolidation et de renaissance des forces sociales s’opposant à la marche vers le socialisme

La phase transitoire est la phase d’une lutte acharnée entre le capitalisme et le socialisme avec l’avantage pour le prolétariat d’avoir conquis une position politique dominante mais non définitive pouvant automatiquement assurer la victoire finale.

L’issue de la lutte, la garantie de la victoire finale réside pour le prolétariat exclusivement dans la force de sa conscience idéologique et dans l’aptitude à la traduire dans la politique pratique.

Toute faute politique, toute erreur tactique devient une position de renforcement de l’ennemi de classe. L’anéantissement des formations politiques de l’ennemi de classe, de ses organes, de sa presse, est une mesure indispensable pour briser sa force. Mais cela ne suffit pas. Le prolétariat doit avant tout veiller à l’indépendance de ses organismes de classe qui lui sont propres et empêcher leur altération en les exposant à des tâches et à des fonctions étrangères à leur nature. Le parti représentant la conscience de la mission historique de la classe et du but final à atteindre exercera la dictature au nom du prolétariat; le syndicat, organisation unitaire de la classe exprimant sa position économique et ses intérêts immédiats qu’il est appelé à défendre ne peuvent s’identifier à l’État, ni s’intégrer à ce dernier.

9- L’État, dans la mesure ou il est reconstitué après la révolution, exprime l’immaturité des conditions de la société socialiste, Il est la superstructure politique d’une structure économique non encore socialiste. Sa nature reste étrangère et opposée au socialisme. De même que la phase transitoire est une inévitabilité historique objective par laquelle passe le prolétariat, de même l’État est un instrument de violence inévitable -pour le prolétariat- dont il se sert contre les classes dépossédées mais avec lequel il ne peut s’identifier et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il (l’état) est un fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe. (Engels, préface à la “Guerre civile en France”)

Dans sa nature en tant qu’institution sociale, l’État instauré après la victoire de l’insurrection prolétarienne, reste une institution étrangère et hostile au socialisme.

L’expropriation et la nationalisation, l’exclusivité de la gestion de l’économie, l’impréparation historique des classes travailleuses et du prolétariat à la direction de l’économie, la nécessité de recourir à des spécialistes techniciens, à des hommes venant des couches et des classes exploiteuses et de leurs serviteurs séculaires, l’état désastreux de l’économie à la sortie de la guerre civile, sont autant de faits historiques concourant à renforcer la machine d’État et ses caractères fondamentaux de conservatisme, de coercition. L’obligation historique pour le prolétariat de s’en servir ne doit nullement entraîner l’erreur théorique et politique fatale, d’identifier cet instrument avec le socialisme. L’État, comme les prisons, n’est pas le symbole du socialisme, ni de la classe appelée à l’instaurer: le prolétariat.

La dictature du prolétariat exprimant la volonté de la classe révolutionnaire de briser les forces et les classes hostiles, et d’assurer la marche vers la société socialiste, exprime également son opposition fondamentale à la notion et à l’institution de 1’État. L’expérience russe a mis particulièrement en évidence l’erreur théorique de la notion de “l’État ouvrier’, de la nature de classe prolétarienne de l’État et de l’identification de la Dictature du prolétariat avec l’utilisation, par le prolétariat, de l’instrument de coercition qu’est l’État.

10- En se rendant maître de la société par la révolution victorieuse contre la bourgeoisie, le prolétariat hérite d’un état social nullement mûr pour le socialisme, et qui ne peut atteindre cette maturité que sous sa direction. Il hérite dans tous les domaines, économique, politique, culturel, sociale, des États et des nations, des structures et des superstructures, des institutions et des idéologies extrêmement variés, arrières qu’il ne peut effacer de par sa simple volonté, avec lesquels il doit compter, dont il doit combattre et atténuer les effets les plus nuisibles. La violence n’est pas le moyen essentiel et ne doit être employée que strictement dans la limite de la violence employée par l’ennemi de classe, et pour la briser. La violence doit être absolument et catégoriquement exclue des rapports du prolétariat avec les classes laborieuses, et dans son sein. D’une manière générale, les moyens employés pour aller vers le socialisme relèvent et découlent du but à atteindre, c’est-à-dire du socialisme même.

Dans les premiers temps de la phase transitoire, le prolétariat sera obligé d’utiliser les instruments qui lui ont été légués par toute l’histoire passée, histoire de violence et de domination de classe. L’État est un des instruments de la force et le plus haut symbole de violence, de spoliation et d’oppression dont le prolétariat hérite, et dont il ne peut se servir qu’à la double condition:

  • De considérer et de proclamer la na- turc anti-socialiste de l’État avec lequel il ne peut jamais et à aucun moment s’identifier; en s’organisant, et lui opposant constamment ses organismes de classe: parti et syndicats, en l’entourant du contrôle vigilant et de chaque instant de toute la classe.
  • “D’atténuer les plus fâcheux effets dans la mesure du possible, comme l’a fait la Commune.” (Engels, préface à la Guerre civile en France).

L’expérience russe nous prouve que la conscience qu’ils avaient du danger à repré senter l’État dans les mains du prolétariat, et les mesures nécessaires à prendre à son égard, préconisées par nos maîtres, n’étaient pas vaines.

Ces mesures: élection de représentants par les masses laborieuses révocables à tout moment; destruction de la force armée détachée du peuple et son remplacement par l’armement général du prolétariat et des classes laborieuses; démocratie la plus large pour la classe et ses organisations; contrôle vigilant et permanent de toute la classe sur le fonctionnement de l’État; un salaire limité et ne dépassant pas celui de l’ouvrier qualifié pour les fonctionnaires de l’État doivent cesser d’être des formules, mais être appliquées à la lettre et renforcées autant que possible par des mesures politiques et sociales complémentaires.

L’histoire et l’expérience russe ont dé montré qu’il n’existe pas d’État prolétarien proprement dit, mais un État entre les mains du prolétariat, dont la nature reste antisocialiste et qui, dès que la vigilance politique du prolétariat s’affaiblit, devient la place forte, le centre de ralliement et l’expression des classes dépossédées du capitalisme renaissant.

Les syndicats après la révolution

11- Les syndicats, organismes unitaires et de défense des intérêts économiques du prolétariat, ont leur racine dans le mécanisme de la production. Ils surgissent de la nécessité ou se trouve le prolétariat d’opposer une résistance à son exploitation économique, à l’extirpation d’une masse toujours plus grande de plus-value, c’est-à-dire à l’augmentation du temps de travail non payé.

Le développement de la technique, en augmentant la productivité diminue le temps de travail nécessaire à l’entretien des producteurs. En régime capitaliste la plus grande productivité n’entraîne pas la diminution du temps de travail ni l’amélioration proportionnelle du niveau de vie des ouvriers, Au contraire le développement de la productivité poursuivi par les capitalistes est fait dans le but unique d’accroître la production de la plus-value.

L’opposition entre Capital et travail, entre le capital constant et le capital variable, entre le capitalisme et le prolétariat, autour du problème économique: la part de chacun dans la production est une opposition fonda mentale engendrant une lutte de classe constante. C’est dans cette lutte contre le capital que le prolétariat donne le sens à son organisation de classe de défense de ses intérêts économiques immédiats, par l’association de tous les exploités: le Syndicat.

Quelle que soit l’influence des agents de la bourgeoisie, c’est-à-dire de la bureaucratie réformiste dans le syndicat et la politique qu’elle fait prévaloir, sabotant et dévoyant la fonction des syndicats, elle ne peut changer sa nature de classe qui reste telle tant que cet organisme reste indépendant, non rattaché à l’État capitaliste.

12- La révolution prolétarienne ne détruit pas d’emblée l’existence des classes dans la société, et les rapports de production entre les différentes classes. La révolution victorieuse n’est que “l’organisation du prolétariat en classe dominante” qui au travers de son Parti ouvre un cours historique, imprime une tendance économique partant de l’existence de classes et de leur exploitation vers une société sans classe.

Cette phase transitoire du capitalisme au socialisme sous la dictature politique du prolétariat se traduit sur le terrain des rap ports post-économiques par une politique énergique tendant à diminuer l’exploitation des classes, d’augmenter constamment la part du prolétariat dans le revenu national, du capital variable par rapport au capital constant. Cette politique ne peut être donnée par une affirmation programmatique du Parti et encore moins être dévolue à l’État, organe de gestion et de coercition. Cette politique trouve sa condition, sa garantie et son expression dans la classe elle-même et exclusivement en elle, dans la pression qu’exerce la classe dans la vie sociale, dans son opposition et sa lutte contre les autres classes.

L’organisation syndicale en régime capitaliste est une tendance au groupement d’ouvriers contre leur exploitation, tendance qui est constamment empêchée, entravée par la pression et la répression de la bourgeoisie dominante. C’est seulement après la révolution que l’organisation syndicale devient réellement l’organisation unitaire groupant tous les ouvriers sans exception, et peut réellement prendre et imposer pleinement la défense des intérêts immédiats du prolétariat.

13- Le rôle de l’organisation syndicale après la révolution ne réside pas seulement dans le fait qu’elle est la seule organisation pouvant assurer la défense des intérêts immédiats du prolétariat, ce qui à lui seul suffirait à justifier la pleine liberté et l’indépendance totale des syndicats, le rejet de toute tutelle et immixtion de L’État, mais encore l’organisation syndicale est un baromètre vivant extrêmement sensible, reflétant instantanément la tendance qui prédomine dans la gestion et émane dans le sens du socialisme (augmentation proportionnelle du capital variable) ou dans le sens capitaliste (accroissement proportionnel plus grand du capital constant).

Dans l’oscillation de la gestion économique vers une politique capitaliste (déterminée par la pression économique de l’immaturité relative et par les classes non prolétariennes subsistantes) le prolétariat, au travers de l’existence de son organisation syndicale indépendante et de sa lutte spécifique, intervient, réagit et représente le facteur social exerçant la contre-pression dans le mécanisme économique en vue d’une gestion socialiste.

Attribuer aux syndicats la fonction de la gestion économique ne fait nullement disparaître les difficultés essentielles issues de la situation économique ni son immaturité réelle, et ne résout aucunement ses difficultés. Par contre, on aliène la liberté du prolétariat et de son organisation, on annihile la capacité de son organisation d’exercer la pression nécessaire dans le processus économique en vue d’assurer simultanément la défense de ses intérêts immédiats et la garantie d’une politique socialiste dans l’économie.

14- En régime capitaliste, l’organisation syndicale reflète très imparfaitement le degré de la conscience de classe. Cette conscience, le prolétariat ne peut l’acquérir pleinement qu’après la révolution, une fois libéré de toute entrave de la bourgeoisie et de ses agents: les chefs réformistes.

Les syndicats après la révolution, reflètent au mieux le degré de conscience atteint par l’ensemble de la classe et présentent le milieu, le terrain de classe où se fait l’éducation politique de la masse. Les communistes s’inspirent de ce postulat: le maintien de la révolution et l’édification du socialisme ne sont pas le fait de la volonté d’une élite mais trouvent uniquement leur force dans le degré de maturité politique des masses prolétariennes. La violence exercée contre ou sur les masses prolétariennes, même si elle a pour but de garantir la marche vers le socialisme, n’offre nullement cette garantie. Le socialisme n’est pas le résultat du viol sur le prolétariat, il est exclusivement conditionné par sa conscience et sa volonté.

Les communistes rejetteront la méthode de violence au sein du prolétariat comme étant en opposition avec la marche vers le socialisme, qui obscurcit et empêche la classe d’atteindre la conscience de sa mission historique. Au sein des syndicats, les communistes s’efforceront de maintenir la plus grande liberté d’expression, de critique, de vie politique. C’est devant le prolétariat organisé dans les syndicats qu’ils tenteront de faire triompher leur politique face aux autres tendances existantes, et traduisant l’influence bourgeoise, petite bourgeoise subsistant encore dans le prolétariat et dans certaines couches arriérées. La liberté de fraction, de tendance au sein des syndicats, la liberté de parole et de presse pour tous les courants à l’intérieur des syndicats, sont les conditions permettant au Parti de la classe de connaître, de mesurer le degré d’évolution de la conscience de la masse, d’assurer la marche vers le socialisme Par l’élévation de cette conscience au travers de l’éducation politique des masses, de vérifier sa propre politique et de la corriger. Le rapport entre le Parti et la classe n’est que le rapport entre le Parti et les syndicats.

15- Toute tendance à diminuer le rôle des syndicats après la révolution, qui sous prétexte de l’existence de “l’État ouvrier” interdirait la liberté d’action syndicale et la grève, qui favoriserait l’immixtion de l’État dans les syndicats, qui, au travers de la théorie en apparence révolutionnaire de remettre la gestion aux syndicats incorpore rait en fait ces derniers dans la machine étatique, qui préconiserait l’existence de la violence au sein du prolétariat et de son organisation, sous le couvert et avec la meilleure intention révolutionnaire du but final, qui empêcherait l’existence de la plus large démocratie ouvrière par le libre jeu de la lutte politique et des fractions au sein des syndicats, exprimerait une politique anti-ouvrière faussant les rapports du Parti et de la classe, affaiblissant la position du prolétariat dans la phase transitoire. Le devoir communiste serait de dénoncer et de combattre avec la plus grande énergie toutes ces tendances et d’oeuvrer au plein développe ment et à l’indépendance du mouvement syndical, indispensable pour la victoire de l’économie socialiste.

La gestion économique

16 - La gestion économique après la guerre civile est le problème le plus difficile, le plus complexe, auquel doit faire face le prolétariat et son Parti. II serait puéril de vouloir donner la solution a priori de tous les aspects pratiques que présentent ces problèmes. Ce serait transformer la doctrine marxiste en un système de préceptes définitifs, valables et applicables à tout moment, et cela sans tenir compte des situations concrètes, circonstancielles, variées se présentant différemment dans divers pays, et dans divers secteurs de la vie économique.

C’est exclusivement dans l’étude pratique que nous dégagerons des situations, au fur et à mesure qu’elles se présenteront, la solution nécessaire contenue et donnée par les situations elles-mêmes. A l’instar de nos maîtres, nous pouvons seulement indiquer aujourd’hui, dans les grandes lignes, les principes généraux devant présider à la gestion économique dans la phase transitoire, et cela à la lumière de la première expérience donnée par la révolution russe.

17- L’avènement du socialisme exige un très haut développement de la technique et des forces productives. Le prolétariat, au lendemain de la révolution victorieuse ne trouve pas achevé le développement de la technique. Il ne résulte nullement de cette affirmation que la révolution soit prématurée, mais au contraire, le degré atteint par le développement se heurte à l’existence du capital isolé, justifiant l’affirmation de la maturité des conditions objectives de la révolution, c’est-à-dire de la nécessite de la destruction du capitalisme devenu une entrave au développement des forces productives. Il appartient au prolétariat de présider à une politique de plein développement des forces productives permettant au socialisme de devenir une réalité économique.

Le développement de la technique et des forces productives est la base de la politique du prolétariat nécessitant l’accumulation d’une partie de la valeur produite en vue d’améliorer, d’intensifier et d’assurer une reproduction élargie. Mais le socialisme n’est pas donné par la vitesse du développe ment des forces productives; le rythme est subordonné et limité aux possibilités concrètes issues de l’état politique et économique existant.

18- La gestion économique ne peut à aucun instant être séparée du développement de la lutte politique de la classe, et cela sur la scène internationale. La révolution victorieuse dans un seul pays ne peut s’assigner comme tâche le développement de son économie, indépendamment de la lutte du prolétariat dans les autres pays. La révolution russe a donné la démonstration historique que la poursuite séparée d’un développement économique de la Russie en dehors de la marche ascendante de la révolution dans les autres pays, a amené la Russie à une politique de compromission avec le capitalisme mondial, politique de pactes et d’accords économiques à l’extérieur qui se sont avérés autant de moyens de renforcement économique du capitalisme en pleine situation de crise, le sauvant de l’écroulement, et d’autre part apportant un trouble profond dans les rangs du prolétariat en pleine lutte révolutionnaire (Accord de Rapallo).

Les accords économiques qui devaient avoir pour seul résultat la recherche du renforcement économique partiel du pays de la révolution, ont en réalité abouti à un renforcement économique et politique du capitalisme, à un renversement du rapport de forces dans la lutte de classes en faveur du capitalisme contre le prolétariat. Ainsi, le pays de la révolution victorieuse a accentué son isolement et perdait sa seule alliée, garantie du développement ultérieur: la Révolution Internationale, et devient une force économique et politique dévoyée et résorbée sous la pression grandissante de son ennemi historique: le capitalisme.

La politique économique du prolétariat dans un pays ne peut donc s’assigner comme but de résoudre les difficultés et de résorber le retard du développement de la technique dans le cadre étroit d’un pays. Le sort de l’économie et son développement sont indissolublement liés et directement subordonnés à la marche de la révolution internationale et doit consister dans une politique en vue de l’attente provisoire à l’intérieur, et d’aide à la révolution internationale.

19- La poursuite du rythme accéléré non en proportion du développement de la capa cité de la consommation aboutit, comme l’a démontré l’expérience russe, au développe ment de la production d’articles destinés à la destruction, suivant sur ce plan la tendance générale du capitalisme mondial qui, dans sa phase décadente, ne peut assurer la poursuite de la production que par l’instauration de l’économie de guerre.

En opposition à cette politique ayant pour but le plus grand rythme de développe ment industriel, sacrifiant les intérêts immédiats du prolétariat culbutant dans l’économie de guerre, la politique prolétarienne consistera dans un rythme proportionnel au développement de la capacité d’absorption des producteurs, et déterminant la production des articles de consommation immédiatement nécessaires pour satisfaire les besoins des travailleurs.

L’accumulation ne suivra pas le critère d’un plus grand rythme de développement industriel, mais exclusivement celui compatible avec la satisfaction progressive des besoins immédiats. La gestion économique aura pour base et pour principe, avant tout, la production des articles de première nécessité, l’harmonisation graduelle des diverses branches de la production, ensuite et particulièrement entre la ville et la campagne, entre l’industrie et l’agriculture.

20- Tant que les forces productives et la technique n’ont pas atteint un développe ment suffisamment haut, supplantant, partout dans toutes les branches de la production, la petite production, il ne pourra être question de la disparition complète des classes moyennes, de l’artisanat et de la petite paysannerie.

Le prolétariat après la révolution ne pourra collectiviser que la grande industrie développée et concentrée, les industries-clés, les transports et les banques, la grande propriété foncière. II expropriera la grande bourgeoisie. Mais la petite propriété privée subsistera et ne sera résorbée que par un long processus économique. A côté du secteur socialiste (collectif) dans l’économie, subsistera un secteur privé de petits producteurs, et les relations économiques entre ces divers secteurs se présenteront d’une façon variée, multiple, allant du socialisme au coopérativisme et à l’échange des marchandises entre l’État et les particuliers, aussi bien qu’entre les producteurs individuels et isolés. Comme dans la production le problème de l’échange, des prix, du marché et de la monnaie aura une grande diversité, la politique économique du prolétariat consistera à tenir compte de cette situation, à rejeter la violence bureaucratique comme moyen de régulariser la vie économique et se basant seulement sur le terrain des possibilités réelles de résorption et de supplantation par le développement de la technique et tendra à liquider progressivement la petite propriété et la production isolée en incorporant ces couches de travailleurs dans la grande famille du prolétariat.

21- La vie et la gestion économique de la société exigent un organisme centralisé. La théorie consistant à laisser à chaque groupe de producteurs le souci de sa propre gestion est le rêve utopique d’un idéal petit bourgeois, réactionnaire. Le développement de la technique exige la participation des grandes masses de travailleurs, leur coopé ration dans la production.

La production de chaque branche est étroitement liée à l’ensemble de la production nationale. Elle exige la mise en mouvement de grandes forces, de grandes puissances, de plans d’ensemble que seule une administration centralisée peut assurer. D’autre part, c’est vouloir transformer chaque membre et chaque groupe de la société en autant de petits propriétaires aux intérêts propres et opposés, et revenir à l’époque marchande que la grande industrie a depuis longtemps rayée de l’histoire. La société socialiste engendrera l’organe de l’administration sociale et de la gestion économique. A l’époque transitoire, cette fonction de gestion économique ne peut être assumée que par le pouvoir issu de la révolution, qui, sous le contrôle de toute la population travailleuse, dirige et gère l’économie de la société.

La participation la plus large, effective, directe de tous les travailleurs à tous les échelons du nouveau pouvoir parait être le seul mode assurant la gestion de l’économie par les travailleurs eux-mêmes. La Commune de Paris nous a donné une première indication de ce nouveau type d’État, et la révolution russe en reprenant et reproduisant cette première ébauche lui a donné sa forme définitive par les organisations de représentants de tous les travailleurs sur leur lieu de travail et de localité: l’organisation des Conseils (Soviets).

22- Dans les élections aux organes de direction et de gestion, dans les conseils, participe tout homme qui travaille, et ne sont exclus que ceux qui ne travaillent pas ou vivent du travail d’autrui. Dans les Conseils se trouve l’expression des intérêts de tous les travailleurs, c’est-à-dire aussi des couches non prolétariennes. Le prolétariat de par sa conscience, sa force politique, la place qu’il occupe au coeur de l’économie de la société, dans l’industrie moderne, par sa concentration dans les villes et les usines, ayant acquis un esprit d’organisation et de discipline, joue le rôle prépondérant dans toute la vie et l’activité de ces Conseils, entraînant, sous sa direction et son influence, les autres couches de travailleurs.

C’est au travers de ces Conseils que les prolétaires, pour la première fois, apprennent, en tant que membres de la société, l’art d’administrer et de diriger eux-mêmes la vie de la société. Le Parti n’impose pas aux Conseils sa politique de gestion de l’économie par décrets ou en se réclamant du droit divin. II fait prévaloir ses conceptions, sa politique en la proposant, la défendant, la soumettant à l’approbation des masses travailleuses s’exprimant dans les Conseils (Soviets), et en s’appuyant sur les Conseils ouvriers et les délégués ouvriers au sein des Conseils supé rieurs pour faire triompher sa politique de classe.

23- De même que les rapports du Parti avec la classe s’expriment au travers de l’organisation syndicale, de même les rapports entre le prolétariat et son Parti avec les autres classes travailleuses s’expriment au travers des Conseils (Soviets). De même que la violence au sein de la classe ne fait que fausser les rapports de celle-ci avec le Parti, de même la violence doit être rejetée dans les rapports entre le prolétariat et les autres classes ou couches travailleuses. Ces rap ports devraient être assurés par la pleine liberté d’expression et de critique au sein des Conseils des députés ouvriers et paysans. D’une façon générale, la violence en tant que moyen d’action entre les mains du prolétariat sera indispensable pour briser la domination du capitalisme et de son État, et pour garantir par la force la victoire du prolétariat contre la résistance et la violence des classes contre-révolutionnaires pendant la guerre civile.

Mais en dehors de cela, la violence n’est d’aucun secours dans l’oeuvre constructive d’édification socialiste et de la gestion économique. Au contraire elle risque de dévoyer l’action du prolétariat, de fausser ses rap ports avec les autres couches laborieuses, et de déformer sa vision des solutions de classe qui sont contenues et garanties exclusive ment par la maturation politique des masses, et de leur développement.
Gauche communiste de France (avril 1946)

L’État, La révolution Prolétarienne, et le contenu du Socialisme (1972)

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Écrit pour une conférence en 1972, cet extrait d’article critique le texte précédent, et considère que la notion de nécessité d’une “vigilance par rapport à l’Etat” est “teintée d’anarchisme ou en tout cas issue d’une analyse trop subjective de la contre-révolution”.

L’État, la révolution prolétarienne et le contenu du socialisme

En période de décadence où la bourgeoisie privée fait place à la bourgeoisie d’État, l’affrontement de la classe ouvrière avec l’État-patron est toujours direct. Et après la guerre de 14-18, pendant les périodes révolutionnaires dans les pays développés de l’Occident, les marxistes ne purent concevoir aucun compromis tactique pour le prolétariat avec les classes moyennes car soit le développement capitaliste les avait prolétarisées, soit en tant que fractions restantes comme propriétaires ou marchands, ils n’étaient que les piliers -comme couches- de la contre- révolution.

Internationalement, au sortir de la guerre impérialiste, la seule alternative était “Dictature du Capital”. II n’y avait pas de place pour la soi-disant troisième voie de l’État démocratique du peuple tout entier. Ce fut la principale erreur de Lénine de théoriser de façon universelle le cas particulier de la Russie. Dans ce pays, si les ouvriers avaient bénéficié de la neutralité -plus que du soutien d’ailleurs- des paysans au moment de l’insurrection d’octobre, c’est uniquement vis-à-vis du problème de la paix que le gouvernement bourgeois de Kerenski s’obstinait à ne pas réaliser.

En effet, dès que les bolcheviks prélevèrent par nécessité l’impôt en nature en vue de ravitailler les ouvriers et l’année rouge, les paysans -en tant que classe- furent les principaux soutiens de la réaction (les armées blanches et l’Entente) ou d’un régionalisme archaïque (le mouvement Makhnoviste). Le remplacement de la dictature du prolétariat par la dictature démocratique des paysans et des ouvriers fut le premier acte de l’abandon de toute extension de la révolution internationale.

Le prolétariat laissait son pouvoir politique se compromettre par les intérêts économiques immédiatistes de la paysannerie, en particulier en concrétisant le mot d’ordre des bolcheviks “la terre aux paysans”. Devant tous ces faux-pas du Parti communiste russe, Gorter au nom de la Gauche européenne, eut raison d’écrire dans sa “Réponse à Lénine”:

“Les ouvriers en Europe occidentale sont tout seuls. Car d’autre part, c’est seulement une couche toute mince de la petite bourgeoisie pauvre qui les aidera. Et celle-ci est économiquement insignifiante. Les ouvriers devront porter tout seuls le poids de la révolution. Voilà la grande différence avec la Russie.”

Si le prolétariat pressé de prendre des mesures économiques (telles que l’impôt en nature) doit évidemment expliquer ses raisons aux représentants des classes moyennes dans les Soviets et tout faire pour trouver des mesures de conciliation, il ne peut être question à aucun moment pour lui de partager ou même de concéder une parcelle de son pouvoir politique garanti par sa majorité et sa conscience au sein des organismes de gouvernement (Soviets) et par organisation propre en Conseils d’usine et Parti. C’est seulement ainsi que la dictature du prolétariat s’exercera pleinement grâce au moyen d’un État “prolétarien”, mais toujours orienté vers les tâches historiques primordiales, donc d’un “demi-État”.

Toutes les clarifications théoriques sur la dictature du prolétariat et la nature de L’État sont nécessaires car il y a une grande confusion actuelle dans les rangs des révolutionnaires en ce qui concerne les rapports dictature prolétarienne-État. Et ce texte se veut une contribution dans la mesure où celui qui fut présenté par des camarades à la réunion de février 1972 n’était pas satisfaisant, et comportait des contradictions. En effet, bien que la reprise de la lutte des classes est certaine depuis Mai 68, le poids idéologique de la contre-révolution pèse encore sur nous. A plus forte raison le texte de la Gauche Communiste de 1946 publié dans “Internationalisme”, scission de la fraction bordiguiste française, fait dans cette période de pleine idéologie stalinienne, ne bénéficiait pas du renouveau prolétarien. C’est là, d’une part, reconnaître toute la valeur historique et révolutionnaire de cet essai de réflexion théorique vu les conditions défavorables, mais c’est aussi, d’autre part, en souligner les erreurs et les faiblesses.

Ainsi le texte a un axe principal de dé monstration qui repose sur l’expérience de la Révolution russe : ce qui en tant que référence historique sur le problème de l’État est bien sur de la plus haute importance politique. Cependant cette référence en dehors des leçons de classe que l’on peut en tirer, est absolutisée avec l’examen de la dégénérescence de la contre-révolution qui s’ensuit. Tout éclairage du texte, toute argumentation souffre du traumatisme causé aux révolutionnaires par l’échec du prolétariat en Russie et par l’installation du capitalisme d’État sous le couvert du socialisme. L’analyse globale s’en ressent donc, et les explications des camarades qui défendent ce texte ont été souvent confuses lors des exposés ou des discussions de la réunion de février.

Par exemple le texte dit : “L’histoire et l’expérience russe ont démontré qu’il n’existe pas d’État prolétarien proprement dit mais un État entre les mains du prolétariat, dont la nature reste anti-socialiste et qui, dès que la vigilance politique du prolétariat s’affaiblit, devient la place-forte, le centre de ralliement et l’expression des classes dépossédées, du capitalisme renaissant”.

Si l’on peut admettre la première constatation par tout ce que nous venons d’expliquer (a savoir que le prolétariat par son but final ne peut pas s’identifier à un instrument fait pour perpétuer la division de la société en classes), il est difficile de comprendre ce que les camarades appellent “un État entre les mains du prolétariat, dont la nature reste anti-socialiste”! En effet, à part la formule qui le nomme “anti-socialiste”, le texte ne nous renseigne pas sur la nature de classe de cet État. Les germes du pouvoir politique de la bourgeoisie ayant été extirpés, on peut se demander sur quoi repose l’existence réelle de cet État, de cette nouvelle forme de gouvernement de la société ?

Il semblerait que le texte penche pour un État représentant plusieurs classes c’est-à-dire pour un abandon de fait de toute expression de la domination politique du prolétariat ! Le terme de “vigilance” par la suite est significatif d’une conception teintée d’anarchisme ou en tout cas, issue d’une analyse ici singulièrement subjective de la contre-révolution. On a l’impression que l’État est presque considéré comme un mal en soi, une malédiction et que l’on oublie sa nécessité historique. C’est en réalité l’identification du Parti bolchevik et de l’État russe et des monstrueuses conséquences qui en découlèrent pour le prolétariat qui joue ici le rôle d’une “épée de Damoclès”, qui provoque des troubles dans l’analyse de nos camarades. L’erreur léniniste et les crapuleries staliniennes ou trotskystes en tous genres sont la cause de ce manque de clarté, de cette confusion théorique.

S’il faut condamner l’identification Parti/État, ou même État/Prolétariat, il s’agit cependant de dire clairement que : le prolétariat pour exercer sa dictature de classe est obligé, par la résistance de l’ancienne classe dominante de créer de nouvelles formes centralisées de “gouvernement des personnes” au sein desquelles il sera majoritaire. Ainsi il dirigera la vie de la société réellement, c'est-à-dire sans partage de son pouvoir politique avec d’autres classes et en imprimant la voie du communisme pendant toute la période de transition à chaque décision prise.

En conséquence, tout en créant une nouvelle forme “d’État” (dans le sens de “gouvernement des personnes”!) qui sera l’expression de la domination politique de la nature prolétarienne et de la nécessité du développement du mode de production socialiste, le prolétariat de par sa nature historique est poussé à transformer la vie politique toute entière (extension de la démocratie, négation de son existence, fin des classes,...) au fur et à mesure de la réalisation économique du communisme à travers la phase de transition. On peut donc parler d’une extinction de toute forme de gouvernement, de l’État.

Ainsi, dès la prise du pouvoir, la domination du prolétariat s’exprime à travers un demi-État; c’est pour cela qu’il est de la plus grande importance de saisir la signification théorique et pratique de ces deux mots, comme le disait Lénine dans l’État et la Révolution avant son assimilation “dictature du prolétariat/dictature du Parti”.

Le danger essentiel provient de l’accaparement au sein du prolétariat par une couche de spécialistes, d’intellectuels du pouvoir politique en s’appuyant sur les tendances non prolétariennes au sein des organismes de gouvernement des travailleurs La dictature du prolétariat en tant que classe s’affaiblit alors et c’est à ce moment là que l’État perd son caractère de forme de gouvernement de la société transitoire, et se renforce pour servir aux mains de la nouvelle bourgeoisie à maintenir fermement la division de la société en classes. La dictature du Parti représente alors la structure politique du capitalisme d’État.

La formation de cette bureaucratie, extension de l’emprise de l’État, sont conditionnées par le recul du développement de la révolution à l’échelle internationale et donc des conditions objectives qui favorisent ce développement (en particulier rôle de l’idéologie bourgeoise dans les pays occidentaux) qui, malgré l’exacerbation de la crise économique aboutissant à 1929, va pousser les ouvriers dans le frontisme, le syndicalisme, le parlementarisme. (Cf. texte de Pannekoek 1920 Révolution mondiale et Tactique communiste)

Ceci était à préciser pour se démarquer des courants “communistes de Conseils” (Mattik, Korsch, puis Socialisme ou Barbarie et Pannekoek lui-même) qui tombèrent dans l’erreur en attribuant à l’intelligentsia toutes les causes de la bureaucratisation. En effet, ils nièrent les conditions favorables offertes par la guerre impérialiste de 1914-18 et donc toute possibilité d’établir une dictature du prolétariat.

Ainsi il y a passage du demi-État prolétarien à un nouvel État capitaliste dans la mesure où le pouvoir détenu par le prolétariat lui est arraché par la force (répression de Petrograd en 1918, “Armée rouge”, militarisation du travail, Cronstadt 1921), dans la mesure où les organisations qui représentaient ce pouvoir et qui garantissaient sa forme transitoire pour la phase du “socialisme inférieur” (Soviets = demi-État) sont détruits ou, réduits au rôle de chambre d’enregistrement. (“Résolution sur le rôle du Parti communiste dans la Révolution prolétarienne” 2ème Congrès de l’I.C., puis constitution stalinienne de 1936).

L’État devient ouvertement l’instrument de domination de la classe possédante : sa force de coercition complète son exploitation “collectivisée” du prolétariat, sa police et ses bandes armées peuvent exterminer physiquement tout germe révolutionnaire en son sein. L’expérience russe nous montre donc le contraire de ce qu’affirme la fin de la citation des camarades. À aucun moment ce n’est parce que simplement “la vigilance politique du prolétariat s’affaiblit”, que brusquement par ce manque de surveillance, l’État qui “était entre ses mains”, devient l’expression des classes dépossédées, du capitalisme renaissant ! II faut donc tout un processus, une lutte interne au sein du prolétariat, dont le danger existera jusqu’à la prise du pouvoir à l’échelle de la planète, pour que l’expression gouvernementale de la classe (le demi-État) se transforme en un État contre le prolétariat.

Ce processus prend deux aspects : d’une part un arrêt de l’homogénéisation de la conscience de classe au sein des Soviets (qui au début comportent des éléments d’hétérogénéité par la présence de couches travailleuses mais non ouvrières), d’autre part un renforcement du pouvoir du Parti communiste -fraction théoriquement la plus consciente- qui de simple fraction se veut être le représentant de toute la classe.

Les thèses “bolcheviques” au 2ème Congrès de l’I.C. sur le rôle du Parti sont particulièrement significatives de l’existence de ce processus : “L’apparition des Soviets, forme historique principale de la Dictature du prolétariat ne diminue nullement le rôle dirigeant du Parti communiste dans la révolution prolétarienne”. Quand les communistes allemands de “gauche” (voir leur Manifeste au prolétariat allemand du 14 avril 1920 signé par le K.A.P.D.) déclarent que : “le Parti doit lui aussi s’adapter de plus en plus à l’idée soviétiste et se prolétariser”. (Arbeiterzeitung n°54), nous ne voyons là qu’une expression insinuante de cette idée que le Parti communiste doit se fondre dans les Soviets et que les Soviets peuvent le remplacer... l’histoire du Parti communiste russe, qui détient depuis trois ans le pouvoir, montre que le rôle du Parti communiste, loin de diminuer depuis la conquête du pouvoir, s’est considérablement accru.

Nous avons dans cette citation l’illustration parfaite non seulement de ce qu’est la substitution du pouvoir du Parti à celui du Prolétariat, mais surtout de ce qu’est l’identification Parti/État aux dépens de l’expression révolutionnaire du pouvoir prolétarien: Soviets demi-État. En effet le K.A.P.D. ne défendait pas l’idée d’une disparition du Parti, mais celle d’un rôle de ce parti équivalent à la praxis et à l’organisation de la classe elle-même (Comités d’usines). C’est pour cela que parallèlement à l’évolution de la conscience dans les Soviets (et à cette seule condition) le Parti devait se prolétariser garantissant ainsi le passage de toute forme gouvernementale transitoire ou demi-État) à une disparition pure et simple de tout gouvernement, de tout État.

En conclusion de cette première partie de notre contribution, nous citons un extrait du texte des camarades que nous estimons en contradiction totale avec leur thèse générale “les Soviets ne sont pas le seul gouvernement de la période de transition : État “entre les mains du prolétariat”.

Nous le revendiquons dans toute sa formulation ce qui montre encore une fois, malgré toutes les erreurs et contradictions, les éléments de valeur historique et révolutionnaire que recèle ce texte de 1946.

“Dans les élections aux organes de direction et de gestion, dans les Conseils participe tout homme qui travaille et ne sont exclus que ceux qui ne travaillent pas ou vivent du travail d’autrui. Dans les Conseils se trouve l’expression des intérêts de tous les travailleurs. C'est-à-dire aussi des couches non prolétariennes

Le prolétariat, de par sa conscience, sa force politique, la place qu ‘il occupe au coeur de l’économie de la société, dans l’industrie moderne, par sa concentration dans les villes et les usines ayant acquis un esprit d’organisation et de discipline, joue le rôle prépondérant dans toute la vie et l’activité de ces Conseils entraînant sous sa direction et son influence les autres couches de travailleurs.

C’est au travers de ces conseils que les prolétaires pour la première fois apprennent en tant que membres de la société, l’art d’administrer et de diriger eux-mêmes la société. Le Parti n’impose pas aux Conseils sa politique de gestion de l’économie par décrets ou en se réclamant de droit divin, Il fait prévaloir ses conceptions, sa politique en la proposant, la défendant, la soumettant à 1’aprobation des masses travailleuses s’exprimant dans les Conseils (Soviets) et en s’appuyant sur les Conseils ouvriers et les délégués ouvriers au sein des Conseils Supérieurs pour faire triompher sa politique de classe”. (Souligné et en gros caractères par nous).

Les Soviets sont donc l’expression à la fois d’un gouvernement (d’une forme d’État) et de la préparation au dépérissement de tout gouvernement: nous devons les qualifier de “demi-État prolétarien” (car le prolétariat est la force dominante et la dernière classe révolutionnaire qui en s’affirmant, prépare sa négation).

Une prise de position sur l’État, dans la perspective prolétarienne ne serait pas complète, et donc éventuellement cohérente, si on n’examinait pas les problèmes du processus d’internationalisation de la Révolution et du contenu économique de la période de transition conditionné par l’état d’arriération des 2/3 de l’humanité qui est le lot de la décadence capitaliste.

G Sabatier Septembre 1972 - BED n°2-

Problèmes de la Période de la Transition (1)

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Un résumé de la pensée de l’organisation en 19 72-73 sur le cadre historique général de la période de Transition les problèmes matériels et politiques[1] [21] qui peuvent se poser au sein de cette société instable, complexe et souvent contradictoire.

PROBLÈMES de la PÉRIODE de TRANSITION

Le texte qui suit est un compte-rendu d’une rencontre nationale du groupe R.I. en février 72, dont le sujet de discussion était “le contenu du socialisme”. C’était la première fois, que le groupe dans son ensemble, abordait un tel sujet et que l’objet de la rencontre n’était nullement d’en sortir avec une théorie toute faite, immuable, sur ce que devrait être le contenu du socialisme, mais bien plutôt d’ouvrir la discussion sur ce sujet, de commencer à cerner les problèmes grâce à l’étude des expériences des révolutions passées et des théories énoncées par les révolutionnaires tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier. Ce texte reprend dans les grandes lignes les idées principales qui sont apparues dans la discussion.

Deux tendances se sont dégagées :

  • la première défendant l’idée “classique” que pendant la période transitoire, ce sont les Conseils ouvriers qui se chargent d’accomplir les tâches de l’État, qui est l’État “ouvrier”.
  • la deuxième tendance voyait le besoin et l’inéluctabilité, pendant la période transitoire d’un État qui soit à la fois lié et distinct des Conseils ouvriers. L’État ne pourra être considéré comme un instrument de la transformation révolutionnaire, mais plutôt comme un instrument de consolidation des acquis de la révolution : la lutte victorieuse contre la bourgeoisie. La dictature du prolétariat ne se confond pas avec l’État : pour pouvoir assurer sa marche vers la transformation socialiste, la classe ouvrière doit garder l’indépendance de son action et l’autonomie de ses organes de classe, les Conseils ouvriers qui sont l’instrument de sa dictature.

Il est bien évident que sur cette discussion, le débat reste ouvert et qu’on ne saurait faire d’un sujet aussi difficile à cerner, une “position de principe” du groupe en ce moment. Le débat se situe tout de même à l’intérieur d’un certain cadre ; il n’existe pas -et on ne saurait admettre dans ce groupe- de théories léninistes/capitalistes d’État qui prétendent solutionner les problèmes de la période transitoire à travers un Parti-État.

Évolution historique de la notion du contenu du socialisme

Afin de cerner les problèmes qui se poseront pendant la “phase transitoire”, c’est-à-dire la période qui se situe entre le lendemain de la révolution (prise du pouvoir par la classe ouvrière internationale) et l’avènement définitif du communisme -la société sans classe- il convient de faire un bref rappel de l’évolution qu’a suivi la théorie du socialisme depuis le début du capitalisme.

En effet, l’idée que les révolutionnaires se sont fait du contenu du socialisme a suivi l’évolution de la lutte de classe elle-même. Il n’existe pas pour les révolutionnaires de “théorie immuable” ni de “vérité absolue” ; les théories révolutionnaires ont, par conséquent, évolué grâce à la confrontation constante de ces théories avec la réalité, et l’enrichissement que lui ont apporté chaque pas, chaque expérience de la classe ouvrière.

Ainsi, au début du XIXe siècle, à cause de “l’extrême jeunesse” de la classe ouvrière, et son absence d’expérience, les révolutionnaires pouvaient avoir une conception tout à fait idéaliste du socialisme, qu’ils se représentaient comme un idéal de justice et d’harmonie auquel on pourrait atteindre par une évolution pacifique.

Malgré la justesse de leurs critiques de la société bourgeoise, celles-ci n’étaient portées que sur un plan éthique et moral. La révolution n’étant pour eux qu’une question de “bonne volonté” et de principes moraux, ils croyaient à une évolution harmonieuse du capitalisme au communisme par la création de petites communes ou phalanstères qui se multiplieraient (théories de Owen, Fourier, Cabet, etc., “socialisme utopique”). Par la force des choses, ces théories ont abouti à une impasse, de même que les théories de Proudhon qui voyait l’émancipation des ouvriers de leur exploitation comme pouvant commencer à s’effectuer au sein même de la société capitaliste par des associations de producteurs libres qui produiraient et échangeraient leurs produits “à leur juste prix”. Ces théories se sont révélées utopiques, car elles voyaient le passage du capitalisme comme pouvant être effectué immédiatement parla simple volonté des hommes.

Pour les socialistes “utopiques”, le socialisme restait dans le domaine des idées, une abstraction puisqu’ils ne voyaient pas le sujet réel de la transformation socialiste : la classe ouvrière. Proudhon, en voulant épargner au prolétariat l’esclavage salarié, ne voyait pas le chemin vers l’émancipation : la lutte de classe. Toutes ces théories niaient tout simplement tout problème d’une “période de transition” vers le socialisme.

Le matérialisme historique

Pour la première fois, le matérialisme historique pose le problème de la NÉCESSITE de la disparition du capitalisme et de l’instauration du communisme. Le socialisme cesse d’être considéré comme une simple question de morale et de volonté, pour être conçu et compris comme une NÉCESSITE historique, comme la dernière et inévitable étape de l”histoire des luttes de classes”. Le matérialisme historique a donné une explication et une base scientifique aux “bons voeux” des socialistes utopiques ; pour Marx et les marxistes, ce ne sont pas les idées et la pure volonté des hommes qui déterminent le cours de l’histoire, mais le développement des forces productives : une société ne peut jamais faire autre chose que ce que ses forces productives lui permettent. C’est le développement des forces productives sous la société capitaliste, qui en entrant en conflit avec les rapports de production et les superstructures capitalistes, pose non seulement les bases de la possibilité du surgissement d’une nouvelle société mais aussi sa nécessité.

Avec le matérialisme historique, il devient clair aussi que ce ne sont pas les “hommes de bonne volonté” qui détruiront le capitalisme, mais que c’est une classe, la classe ouvrière, qui sera appelée à accomplir cette tâche, qui sera le sujet de l’histoire, car c’est seulement elle qui aura intérêt à -et la possibilité de- libérer les forces productives de leur carcan capitaliste et instaurer une société qui ne sera plus dominée par les rapports marchands, une société qui éliminera la domination de l’homme par l’homme. Il n’y a pas de continuité entre les sociétés passées et le communisme (celui-ci étant la fin du règne de la nécessité pour le règne de la liberté) et, pour cette raison, le passage du capitalisme au communisme ne pourra se faire du jour au lendemain. La révolution prolétarienne n’instaure pas tout de suite une nouvelle société, mais ouvre une période de transformation économique et sociale et de maturation de la classe : la période de transition -que déjà Marx avait qualifié comme “phase inférieure” du communisme, ou “socialisme”, qui précéderait la “phase supérieure”, le communisme.

Depuis Marx, la théorie sur le contenu du socialisme s’est trouvée enrichie, en particulier par Lénine (l’État et la révolution) par l’expérience russe, par les essais des camarades de la Gauche hollandaise qui ont essayé de faire une étude sérieuse du problème, mais qui ont limité le problème au plan d’un pays industriel isolé, alors que, en fait, les conditions pour la révolution ne peuvent exister et mûrir que sur le plan international.

L’objet de notre discussion aujourd’hui, est de cerner quels sont les problèmes qu’aura à affronter le prolétariat au lendemain de la révolution, pendant la période de transition; nous disons bien cerner les problèmes, car il est évident que nous ne faisons ici qu’essayer de contribuer à la discussion et l’étude de ce problème, qui s’est posé de tous temps aux révolutionnaires, et qui continuera de se poser jusqu’à ce que l’histoire elle-même ait tranché.

Dans la discussion qui anime les révolutionnaires sur la société future, la phase ultime de celle-ci, la société sans classe, soulève peu de discussions; nous ne pouvons, en effet, avec notre vision aliénée, arriver même à imaginer quels seront les problèmes qui se poseront alors ; nous ne savons que quelques lignes générales qui nous servent de phare, de guide :

  • l’économie cesse d’avoir une existence autonome pour devenir soumise à l’homme.
  • le travail cesse d’être une “malédiction”.
  • il n’existe plus d’opposition entre la société et les individus... la société sans classe est la société de l’“homme nouveau”, intégré dans une société toujours plus harmonieuse...

La société transitoire, celle qui doit aboutir à l’instauration de cette “société idéale”, par contre, soulève pour nous une quantité innombrable de problèmes; c’est à elle qu’incombera la tâche de mettre fin au capitalisme et préparer le communisme; et cela, le prolétariat devra le faire en suivant une démarche qui est à l’encontre de tout ce que l’on a pu voir dans l’histoire passée, car comme son nom l’indique, la société transitoire, n’est pas une société fixe, que l’on instaure, mais qui devra subir des transformations permanentes, afin de résoudre les énormes contradictions dont sera la proie la société au lendemain de la révolution.

Principaux problèmes et contradictions au lendemain de la révolution

Comme nous l’avons déjà dit, la prise du pouvoir elle-même par le prolétariat ne fait qu’ouvrir une période pendant laquelle il s’agira pour celui-ci de préparer les conditions en vue d’amener une société sans classe.

Prétendre que la prise du pouvoir par le prolétariat amène immédiatement l’instauration d’une nouvelle société, ou que tous les problèmes seront résolus, -comme le font beaucoup de “révolutionnaires” actuels- c’est s’imaginer qu’en fermant les yeux devant les problèmes on les élimine. C’est ne pas tenir compte des réalités qui se poseront, et, par là même, laisser libre cours aux mille dangers qui guetteront la bonne marche de la révolution.

La classe ouvrière au pouvoir dans un pays donné aura comme tâche primordiale de hâter et aider le processus révolutionnaire dans d’autres pays comme condition sine qua non de sa propre existence. La transformation sociale n’est possible que sur l’échelle internationale et on ne pourrait avoir des “économies socialistes” ou “l’autogestion” dans un seul pays. La tâche fondamentale dans les premiers temps de la guerre civile mondiale sera d’étendre la révolution à d’autres secteurs et pays.

Au lendemain de la révolution, la classe ouvrière se trouve dans une situation pour le moins précaire : il s’agit pour elle de se maintenir au pouvoir alors que :

  • le niveau de conscience en son sein même est loin d’être homogène et uniforme ;
  • la classe ouvrière se trouvera seule à défendre les intérêts de la transformation socialiste ;
  • il existera encore des classes et couches sociales (paysannerie, artisanat, petite bourgeoisie) qui peuvent participer à la lutte contre la bourgeoisie, mais qui n’ont pas un intérêt, en tant que classe, dans la socialisation de la production. Tout en étant des couches non-exploiteuses, elles tendront à s’opposer au prolétariat et à maintenir la petite production individuelle et les rapports marchands ;
  • l’on ne pourra pas simplement “éliminer” ces classes par la violence. Par la force des choses elles auront un rôle à jouer dans la société post-révolutionnaire. Le prolétariat sera obligé dans l’immédiat de composer avec ces classes, afin d’entamer une dynamique de transformation des bases matérielles de la paysannerie et la petite bourgeoisie (la prolétarisation des couches parasitaires, l’intégration des artisans dans la production, l’encouragement de la collectivisation à la campagne). Il s’agira de gagner, intégrer, assimiler ces classes par la lutte idéologique et la transformation des bases économiques que seul le prolétariat peut mener.

Toutes ces transformations ne peuvent pas aboutir du jour au lendemain. Il y aura toute une période avant que ces couches puissent s’intégrer au prolétariat et par là même, éliminer la société de classes. C’est la définition même de la période de transition. Tant que ces classes n’ont pas disparu, persistent des rapports d’échange et le danger du retour en arrière menace la marche de la révolution.

IL faudra résoudre le problème de coordination de la production et la distribution dans la société. Il y aura besoin d’une planification sur une échelle autre que simplement locale.

IL faudra résoudre le problème des deux tiers de l’humanité qui souffre de la famine et de sous-alimentation chronique. IL faudra, en somme, que la révolution soit mondiale, alors que sur le plan mondial la classe ouvrière est minoritaire.

IL ne faut pas non plus négliger le fait que nous ne pouvons pas savoir dans quel état se trouvera l’économie au lendemain de la guerre civile. On sera peut-être dans une période de pénurie à la suite des grandes destructions.

Ceux-ci ne sont que quelques uns des problèmes qui se poseront. Notre but est d’opposer à une tendance utopique de la révolution, une tendance réaliste.

A cause de cette position de faiblesse dans laquelle se trouvera la classe ouvrière au lendemain de la révolution, en proie à des menaces extérieures (situation économique, rapports de force avec les autres classes...), aussi bien qu’internes (poids de l’idéologie du passé, absence d’homogénéité politique...), les dangers d’un retour au capitalisme se trouvent décuplés. Il s’agit pour nous, révolutionnaires, de cerner le mieux possible ces problèmes pour ne pas être pris au dépourvu et tenter d’en éviter les dégâts.

Nous savons que la difficulté essentielle de la période de transition est que nous nous trouverons dans une situation où la classe ouvrière aura manifesté dans les faits sa volonté de détruire le système capitaliste sous toutes ses formes et qu’elle se trouvera dans l’impossibilité de le faire immédiatement, du jour au lendemain, pour les raisons que nous avons énumérées plus haut. C’est là le noeud du problème de la période transitoire : c’est une phase ou la société se verra constamment tiraillée entre une tendance vers l’immobilisme, la conservation du statu-quo ou le retour en arrière, et une tendance -celle que seule une classe ouvrière consciente et organisée dans des organes vivants qui lui sont propres, peut assurer- vers le dépasse ment constant de la situation, vers l’achèvement de la société sans classe.

Pourquoi un état ?

Le propre de la classe ouvrière révolutionnaire n’est nullement d’assurer la survie de cette société hybride, divisée, que nous hériterons de la société capitaliste. Sa mission va bien au delà et ce serait lui couper les mains que de lui assigner ce rôle qui n’est pas le sien. Cependant Cette tâche d’assurer la survie et la marche de la société doit tout de même être assurée.

Au lendemain de la révolution et de la guerre civile, un État surgira qu’on le veuille ou non, car la société transitaire sera encore une société ou il existera des classes (paysannerie, petite bourgeoisie). Le prolétariat doit mener une lutte de classe pour la transformation de cette société, mais en même temps, il est impossible de priver ces couches de toute expression sociale, de toute représentation dans la vie de la société. L’État sera l’expression même des contradictions au sein de la société de transition. Comme tous les États, il consacrera les acquis de la lutte passée (les acquis de la révolution contre la bourgeoisie) et son rôle sera de maintenir la lutte des classes de la société transitoire dans un cadre qui ne mette pas en danger l’existence même de la société. Mais contrairement aux États dans le passé, il ne sera pas un organe pour consacrer une nouvelle domination économique de classe; la classe ouvrière n’est pas une classe exploiteuse et n’a pas d’intérêts économiques privilégiés à défendre.

L’État de la période de transition disparaîtra quand les classes auront disparu. Il est fort possible que le prolétariat doive être vigilant à cet égard pour assurer, par la force si nécessaire, que l’État ne s’autonomise pas par rapport au reste de la société. La classe doit être consciente que le danger du retour au capitalisme viendra en partie de cet État même, ce fléau hérité d’un monde divisé en classes, une arme à double tranchant dont nous devrons nous servir comme on se sert du cobalt pour soigner le cancer.

L’État de la société transitoire n’est en aucune manière le porteur de la révolution, il naît en tant que produit d’une certaine situation et d’un certain rapport de force entre la classe ouvrière et les autres classes qui, elles, ne partagent pas les intérêts de la classe ouvrière dans la révolution (n’oublions pas que nous parlons toujours sur un plan international). Puisqu’il est produit de cet état de fait existant, sa tendance sera à vouloir conserver, perpétuer cette situation, à freiner ou empêcher toute marche en avant vers l’élimination des autres classes. Contrairement à ce qu’en pensait Lénine, sa nature est antinomique à la lutte pour la libération de l’homme.

L’histoire nous a montré qu’au moment même de l’insurrection, l’État s’identifie avec les organes unitaires de la classe ouvrière, les Conseils Ouvriers. C’est lors de la deuxième phase -quand les problèmes de gestion de la société et de maintien de l’ordre public se posent- que le problème État/Conseils Ouvriers se pose : il s’agit de faire vivre tous les membres de la société, alors que dans les Conseils Ouvriers il n’y a que des ouvriers. Si l’on identifie, comme le font les conseillistes et les léninistes, Conseils Ouvriers et État, on ne voit pas que :

  • les tâches historiques du prolétariat ne peuvent pas être identifiées à l’État. Le prolétariat seul est porteur du socialisme, d’un programme communiste qui mène à la disparition des classes. A travers la réalité immédiate, le prolétariat doit toujours défendre le but final du mouvement. L’État n’est qu’un statu-quo provisoire dans une société encore divisée. Le but du prolétariat n’est pas d’assurer l’existence des États, mais de bouleverser le statu-quo pour pouvoir marcher vers le socialisme ;
  • un État ouvrier est une contradiction dans les termes. La classe ouvrière ne construit pas des États parce qu’elle n’est pas une classe exploiteuse. L’État de la période de transition est inévitable, mais il n’est pas une émanation de la classe ouvrière. Cet État peut représenter un danger pour le prolétariat, peut essayer de lier les mains aux prolétaires pour les faire “travailler pour les autres”. La classe ouvrière doit être libre de poursuivre sa politique y inclus le droit de faire grève contre les diktats de l’État. Vouloir confondre prolétariat et État mène à l’aberration d’un “État ouvrier” qui interdit aux ouvriers de s’élever contre lui ;
  • vouloir identifier prolétariat et État ne fait que diluer la force de la classe ouvrière en l’unifiant avec d’autres couches qui ne défendent pas les mêmes intérêts. La dictature du prolétariat s’exerce à travers ses organes autonomes -les Conseils Ouvriers- et le rôle de la classe au sein de l’État dépend des rapports de forces avec les autres couches et du niveau de conscience et de vigilance des ouvriers.

Comme nous le disions plus haut, la grande difficulté de la période de transition réside en ce qu’elle est justement une période de transition. C’est-à-dire qu’elle sera constamment la proie aux plus grandes contradictions à une évolution constante -évolution qui, si elle s’arrêtait, ne manquerait pas d’indiquer une dégénérescence et un retour pur et simple vers le capitalisme. On pourrait dire que la période transitoire se trouvera pendant longtemps dans une distance constamment modifiée entre le capitalisme et le communisme, et cela tant que l’État n’aura pas complètement disparu. Si les révolutionnaires ne saisissent pas bien la dynamique de cette période, ils seront passibles des plus néfastes erreurs.

Bien que l’État de la société transitoire ne soit là que pour accomplir les tâches les plus pratiques afin d’assurer la survie de la société, cela ne l’empêchera pas d’avoir les tendances les plus “immobilistes” et réactionnaires; il peut à tout moment devenir l’organe actif de la contre-révolution ; c’est justement pour lutter contre les tendances contre-révolutionnaires de celui-ci qu’il est absolument nécessaire que la classe ouvrière ne s’“endorme” pas, que son mûrissement, sa radicalisation, son homogénéité, son renforcement, continuent à s’effectuer au sein de ses conseils ouvriers ; c’est à elle d’être en alerte afin de guetter et parer le moindre signe de contre-révolution, c’est à elle de s’assurer que la révolution est en bonne voie, à elle d’être prête, s’il le faut à reprendre les armes contre ce même État.

Afin de s’assurer la soumission de cet État, il semble évident qu’un certain nombre de mesures doivent être prises :

  • les ouvriers organisés en Conseils ont le pouvoir de décision sur toutes les mesures que prend l’État ; aucune mesure n’est prise sans leur consentement et participation active ;
  • les ouvriers ont le monopole des armes, et ils sont prêts à s’en servir contre cet État si nécessaire ;
  • les ouvriers sont représentés dans l’État, dans les proportions maximales (celles que le rapport de force permet) ;
  • tous les membres de l’État sont délégués et révocables à tout instant. Les représentants ouvriers rendent compte aux Conseils de toutes les mesures et démarches qu’ils effectuent ;
  • les Conseils Ouvriers décident des changements qui doivent être effectués au sein de l’État et de la société même, compte-tenu de l’évolution des rapports de force. Leur attitude vis à vis des autres classes est en quelque sorte : “nous faisons des compromis avec vous parce que nous ne pouvons pas pour l’instant faire autrement. Mais notre but est de détruire les conditions de votre existence comme classe le plus rapidement possible”.

Cette destruction des autres couches de la société pourra se faire d’autant plus rapidement que les forces productives seront développées. Le premier souci de la classe ouvrière sera d’intégrer le plus rapidement possible toutes les couches de la société dans le processus de la production socialisée. Il va de soi que cette intégration ne consiste pas à obliger tout le monde à travailler dans les usines telles qu’elles existent actuellement, mais que dès le lendemain de la prise du pouvoir, de profonds changements devront être effectués quant à la nature, les buts, les formes de la production.

Aussi, bien qu’il ne soit pas possible d’instaurer la société sans classe au lendemain de la révolution, qu’il faudra composer avec les classes non révolutionnaires, il sera possible -et nécessaire- de prendre des mesures socialistes, assurant le chemin vers le communisme, immédiatement. Il s’agira de marquer, le plus rapidement possible, autant de “points de non-retour” que la situation le permettra. Par exemple, il se pourra qu’on soit forcé, dans un premier stade, d’effectuer la distribution des produits partiellement sous une forme monétaire quelconque -tant qu’il existera des secteurs extra-socialistes- le premier souci sera de tendre vers la collectivisation de la distribution, vers la suppression des marchés, des salaires et, évidemment, de la loi de la valeur.

Nous critiquons le système des “bons du travail”[2] [22] (forme de “monnaie’ représentant une certaine quantité d’heures de travail avec laquelle un individu se procurerait autant de biens de consommation, calculés également en heures de travail) en ce sens que ce système tend à perpétuer la notion de la classe ouvrière comme une somme d’individus qui reçoivent de quoi vivre en fonction de leur travail individuel. Or, quelles que soient les mesures qui seront prises pendant la période de transition, ce qui importe surtout c’est l’orientation de ces mesures, leur rupture avec le système passé.

L’orientation qui doit guider toutes les mesures prises doit être de tendre vers la production pour la satisfaction des besoins et pas pour l’accumulation comme dans le système capitaliste, vers la hausse constante du niveau de vie de la classe ouvrière, vers la réduction des heures de travail en assimilant d’autres couches dans le travail associé. Le travail doit perdre son caractère de fléau, d’“achat de sa propre vie”, et doit au contraire encourager des rapports de solidarité au sein des ouvriers. Nous pensons qu’il faut au plus vite assurer la gratuité et la collectivisation de tous les biens de consommation qui sont nécessaires à la vie d’un homme (nourriture, habits, etc...) surtout dans les secteurs où la classe ouvrière est forte, des secteurs industrialisés, ou la socialisation de la consommation peut forcément aller plus vite.

Les meilleures garanties contre une éventuelle dégénérescence de la révolution sont des mesures économiques et politiques tendant à asservir chaque fois davantage l’économie, les forces productives, aux besoins immédiats des hommes. C’est le phare qui doit orienter constamment la période de transition, le seul qui puisse nous guider vers le “règne de la liberté”, vers la société de l’homme.

Taly



[1] [23] Pour un article sur la critique du système “ des bons de travail”, voir Révolution Internationale n°8.

[2] [24] Système des bons de travail : énoncé par Marx dans le “programme de Gotha» et repris et élaboré par la Gauche Hollandaise dans Principes de la production et distribution communiste

Problèmes de la Période de la Transition (2)

  • 1893 lectures
Texte soumis à la Conférence Internationale de 1975; il tente de distinguer la nature des différentes périodes de transition dans l’histoire, et défend la thèse selon laquelle “le Prolétariat tout en se servant de l’État (post-insurrectionnel), exprime sa dictature SUR l’État” Il donne aussi les grandes lignes des mesures économiques qui peuvent être envisagées.

Problèmes de la période de transition

C’est toujours avec une grande prudence que les révolutionnaires ont abordé la question de la période de transition. Le nombre, la complexité et surtout la nouveauté des problèmes que devra résoudre le prolétariat empêche toute élaboration de plans détaillés de la future société, et toute tentative en ce sens risque de se convertir en carcan pour l’activité révolutionnaire de la classe. Marx, par exemple, s’est toujours refusé à donner des “recettes pour les marmites de l’avenir” Rosa Luxembourg, de son côté, insiste sur le fait que sur la société de transition, nous ne disposons que de “poteaux indicateurs et encore de caractère essentiellement négatif’.

Si les différentes expériences révolutionnaires de la classe (Commune de Paris, 1905, 1917-23) et l’expérience même de la contre-révolution ont pu permettre de préciser un certain nombre de problèmes que posera la période de transition, c’est essentiellement sur le cadre général de ces problèmes que portent ces précisions et non sur la façon détaillée de les résoudre. C’est ce cadre qu’il s’agira de dégager ici.

1- Nature des périodes de transition

A- L’histoire humaine se compose de différentes sociétés stables liées à un mode de production et donc à des rapports sociaux stables. Ces sociétés sont basées sur des lois économiques dominantes inhérentes à celles-ci, se composent de classes sociales fixes, et s’appuient sur des superstructures appropriées. L’histoire écrite connaît comme sociétés fixes la société esclavagiste, la société “asiatique”, la société féodale et la société capitaliste.

B- Ce qui distingue les périodes de transition de ces périodes de sociétés stables, c’est la décomposition des anciennes structures sociales, et la formation de nouvelles structures, toutes deux liées à un développement des forces productives et qu’accompagnent l’apparition et le développement de nouvelles classes, idées et institutions correspondant à ces nouvelles classes.

C- La période de transition n’a pas de mode de production propre mais un enchevêtrement de deux modes, l’ancien et le nouveau. C’est la période pendant laquelle se développent lentement, au détriment de l’ancien, les germes du nouveau mode de production jusqu’au point de le supplanter et de constituer le nouveau mode de production dominant.

D- Entre deux sociétés stables, et cela sera aussi vrai entre le capitalisme et le communisme que cela était vrai dans le passé, la période de transition est une nécessité absolue. Cela est dû au fait que l’épuisement des conditions de l’ancienne société ne signifie pas nécessairement et automatiquement la maturation et l’achèvement des conditions de la nouvelle société. En d’autres termes, le dépérissement de l’ancienne société n’est pas automatiquement maturation de la nouvelle, mais seulement condition de sa maturation.

E- Décadence et période de transition sont deux choses bien distinctes. Toute période de transition présuppose la décomposition de l’ancienne société dont le mode et les rapports de production ont atteint la limite extrême de développement. Par contre, toute décadence ne signifie pas nécessairement période de transition, qui est un dépassement vers un mode de production plus évolué.

Par exemple, la stagnation du mode asiatique de production n’a pas ouvert la voie au dépassement vers un nouveau mode de production. De même pour la Grèce antique qui ne disposait pas des conditions historiques au dépassement de l’esclavagisme. De même pour l’ancienne Égypte.

Décadence signifie épuisement de l’ancien mode de production social. Transition signifie surgissement des forces et des conditions nouvelles permettant de dépasser et de résoudre les contradictions anciennes.

2- Différences entre la société communiste et les autres sociétés

Pour pouvoir faire ressortir la nature de la période de transition qui va du capitalisme au communisme et ce qui distingue cette période de toutes les précédentes, il faut s’appuyer sur une idée fondamentale : toute période de transition relève de la nature même de la nouvelle société qui va surgir. Il faut donc d’abord mettre en relief les différences fondamentales qui distinguent la société communiste de toutes les autres.

1) Toutes les sociétés antérieures (à l’exception du communisme primitif qui ap partient à la préhistoire) ont été des sociétés divisées en classes.

  • Le communisme est une société sans classe.

2) Les autres sociétés sont basées sur la propriété et l’exploitation de l’homme par l’homme.

  • Le communisme ne connaît aucun type de propriété individuelle ou collective, c’est la communauté humaine unifiée et harmonieuse.

3) Les autres sociétés dans l’histoire ont pour fondement l’insuffisance du développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes. Ce sont des sociétés de pénurie. C’est pour cela qu’elles sont dominées par des forces naturelles et économico-sociales aveugles. L’humanité est aliénée à la nature, et par suite, aux forces sociales qu’elle-même a engendré dans son parcours.

  • Le communisme est le plein développe ment des forces productives, par rapport aux besoins des hommes, l’abondance de la production capable de satisfaire les besoins humains. C’est la libération de l’humanité de la domination de la nature et de l’économie. C’est la maîtrise consciente de l’humanité sur ses conditions de vie. C’est le monde de la liberté, et non plus le monde de la nécessité de son histoire passée.

4) Toutes les sociétés traînent avec elles des vestiges anachroniques des systèmes économiques, des rapports sociaux, des idées et des préjugés des sociétés passées. Cela est dû au fait que toutes sont fondées sur la propriété privée et l’exploitation du travail d’autrui. C’est pour cela que la nouvelle société de classes peut et doit naître et se développer au sein de l’ancienne. C’est pour cette même raison qu’elle peut, une fois triomphante, contenir et s’accommoder des vestiges de l’ancienne société défaite, des anciennes classes dominantes et même associer celles-ci au pouvoir.

C’est ainsi que dans le capitalisme il peut encore subsister des rapports esclavagistes ou féodaux, et que la bourgeoisie partage, pendant une longue période, le pouvoir avec la noblesse.

  • Toute autre est la situation dans la société communiste. Celle-ci ne supporte en son sein aucune survivance économico sociale de la société antérieure. Tant que de telles survivances subsistent, on ne saurait parler de société communiste: quelle place en effet peut-il y avoir dans une telle société pour des petits producteurs ou des rapports esclavagistes par exemple. C’est cela qui rend si longue la période de transition entre capitalisme et communisme. Tel le peuple hébreu devant errer quarante années dans le désert pour se libérer de l’esprit forgée par l’esclavagisme, l’humanité aura besoin de plusieurs générations pour se libérer des vestiges du vieux monde.

5) Toutes les sociétés antérieures, en même temps que fondées sur la division en classes, sont nécessairement basées sur des divisions géographiques régionales ou politiques nationales. Cela est dû surtout aux lois du développement inégal qui veulent que l’évolution de la société, tout en suivant par tout une même orientation, se fasse de façon relativement indépendante et séparée dans ses différents secteurs avec des décalages de temps pouvant atteindre plusieurs siècles. Ce développement inégal est lui-même dû au faible développement des forces productives : il existe un rapport direct entre ce degré de développement et l’échelle sur laquelle il se réalise. Seules les forces productives développées par le capitalisme à son apogée permettent pour la première fois dans l’histoire, une réelle interdépendance entre les différentes parties du monde.

  • L’instauration de la société communiste a immédiatement le monde entier pour théâ tre. Le communisme, pour être fondé, exige une même évolution, dans le temps, dans tous les pays à la fois. II est universel, d’emblée, ou il ne peut pas être.

6) Pour être fondée sur la propriété privée, l’exploitation, la division en classes et en zones géographiques différentes, la production des sociétés antérieures tend nécessairement vers la production de marchandises avec tout ce qui s’ensuit de concurrence et d’anarchie dans la distribution et la consommation seulement régulées par la loi de la valeur et l’argent.

  • Le communisme ne connaît pas l’échange ni la loi de la valeur. Sa production est socialisée dans le plein sens du terme. Elle est universellement planifiée selon les besoins des membres de la société et pour leur satisfaction. Une telle production ne connaît que des valeurs d’usage dont la distribution directe et socialisée exclut échange, marché et argent.

7) Pour être des sociétés divisées en classes et en intérêts antagoniques, toutes les sociétés antérieures ne peuvent exister et survivre que par la constitution d’un organe spécial, en apparence au-dessus des classes dans le cadre de sa conservation et des intérêts de la classe dominante : l’ÉTAT.

  • Le communisme ne connaissant aucune de ces divisions n’a pas besoin d’État. Plus, il ne saurait supporter en son sein un organisme de gouvernement des hommes. Dans le communisme, il n’y a de place que pour l’administration des choses.

3- Caractéristiques des périodes de transition

La période de transition vers le communisme est constamment imprégnée de la société d’où elle sort (la préhistoire de l’humanité) et de celle vers quoi elle tend (l’histoire toute nouvelle de la société humaine). C’est ce qui va la distinguer de toutes les périodes de transition antérieures.

A- Les périodes de transition antérieures

Les périodes de transition jusqu’à ce jour ont en commun leur déroulement dans l’ancienne société, en son sein. La reconnaissance et la proclamation définitive de la nouvelle société sanctionnée par le bond que constitue la révolution, se situent à la fin du processus transitoire proprement dit. Cette situation à deux causes essentielles:

1) Les sociétés passées ont toutes un même fondement économico-social, la division en classes et l’exploitation qui font que la période de transition se réduit à un simple changement ou transfert de privilèges et non à la suppression des privilèges.

2) Toutes ces sociétés, et ceci est à la base de la caractéristique précédente, subissent aveuglément les impératifs des lois basées sur la pénurie des forces productives ‘(règne de la nécessité). La période de transition entre deux d’entre elles connaît par conséquent un développement économique aveugle.

B- La période de transition vers le communisme.

1) C’est parce que le communisme constitue une rupture totale de toute exploitation et de toute division en classes que la transition vers cette société exige une rupture radicale dans l’ancienne société et ne peut se dérouler qu’en dehors d’elle.

2) Le communisme n’a pas un mode de production soumis à des lois économiques aveugles opposées aux hommes mais est basé sur une organisation consciente de la production que permet l’abondance des forces productives que l’ancienne société capitaliste ne peut atteindre.

C- Ce qui distingue la période de transition vers le communisme.

Comme conséquence de ce qui vient d’être vu, on peut tirer les conclusions sui vantes :

  • La période de transition au communisme ne peut s’ouvrir qu’en dehors du capitalisme. La maturation des conditions du socialisme exige au préalable la destruction de la domination politique, économique et sociale du capitalisme dans la société.
  • La période de transition au communisme ne peut s’engager immédiatement qu’à l’échelle mondiale.
  • A l’inverse des autres périodes de transition, les institutions essentielles du capitalisme: l’État, la police, l’armée, la diplomatie ne peuvent être utilisées telles quelles par le prolétariat. Elles sont immédiatement détruites de fond en comble.
  • Par suite, l’ouverture de la période de transition se caractérise essentiellement par la défaite politique du capitalisme et par le triomphe de la domination politique du prolétariat.

“Pour convertir la production sociale en un large et harmonieux système de travail coopératif: il faut des changements sociaux généraux, changements dans les conditions générales de la société qui ne peuvent être réalisés que par le moyen de la puissance organisée de la société -le pouvoir d ‘État arraché aux mains des capitalistes et des propriétaires fonciers et transféré aux mains des producteurs eux-mêmes.”

Marx, Instructions sur les coopératives aux délégués du Conseil Général au premier Congrès de Genève de l’AIT.

  • “La conquête du pouvoir politique est devenu le premier devoir de la classe ouvrière.”
  • Marx, Adresse Inaugurale de l’AIT.

4- Les problèmes de la période de transition

A- La généralisation mondiale de la révolution est la condition première de l’ouverture de la période de transition. A cette généralisation est subordonnée toute la question des mesures économiques et sociales dans lesquelles il faut particulièrement se garder de “socialisations” isolées dans un pays, une région, une usine ou un groupe d’hommes quelconque. Même après un premier triomphe du prolétariat, le capitalisme poursuit sa résistance sous forme de guerre civile. Dans cette période, tout est subordonné à la destruction de la force du capitalisme. C’est ce premier objectif qui conditionne toute évolution ultérieure.

B- Une seule classe est intéressée au communisme: le prolétariat. D’autres classes peuvent être entraînées dans la lutte que le prolétariat livre au capitalisme, mais ne peu vent jamais, en tant que classes, devenir les protagonistes et porteurs du communisme. C’est pour cela qu’il faut mettre en valeur une tâche essentielle : la nécessité pour le prolétariat de ne pas se confondre ou dissoudre avec les autres classes. Dans la période de transition, le prolétariat, comme classe révolutionnaire investie de la tâche de créer une nouvelle société sans classe, ne peut assurer cette marche en avant uniquement qu’en s’affirmant comme classe autonome et politiquement dominante de la société. Lui seul a un programme du communisme qu’il tente de réaliser et comme tel, il doit conserver entre ses mains toute la force politique et toute la force année : il a le monopole des armes.

Pour ce faire, il se donne des structures organisées, les Conseils Ouvriers basés sur les usines, et le parti révolutionnaire.

La dictature du prolétariat peut donc se résumer dans les termes suivants :

  • le programme (le prolétariat sait où il va)
  • son organisation générale comme classe
  • la force armée

C- Les rapports entre le prolétariat et les autres classes de la société sont les suivantes :

1) Face à la classe capitaliste et aux anciens dirigeants de la société capitaliste (députés, hauts fonctionnaires, année, police, église), suppression totale de tout droit civique et exclusion de toute vie politique.

2) Face à la paysannerie et le petit artisanat, constitué de producteurs indépendants et non salariés, et qui constitueront la majeure partie de la société, le prolétariat ne pourra pas les éliminer totalement de la vie politique, ni d’emblée de la vie économique. II sera nécessairement amené à trouver un modus vivendi avec ces classes tout en pour suivant à leur égard une vie politique de dissolution et d’intégration dans la classe ouvrière.

Si la classe ouvrière doit tenir compte de ces autres classes dans la vie économique et administrative, elle ne devra pas leur donner la possibilité d’une organisation autonome (presse, partis, etc.). Ces classes et couches nombreuses seront intégrées dans un système d’administration soviétique territorial. Elles seront intégrées dans la société comme citoyens et non comme classes.

A l’égard des couches sociales qui dans le capitalisme actuel occupent une place particulière dans la vie économique comme les professions libérales, les techniciens, les fonctionnaires, les intellectuels (ce qu’on appelle la “nouvelle classe moyenne”), l’attitude du prolétariat sera basée sur les critères suivants :

  • ces classes ne représentent pas une homogénéité: dans leurs couches supérieures, elles sont fondamentalement intégrées à une fonction et à une mentalité capitalistes, alors que dans leurs couches inférieures, elles ont les mêmes fonction et intérêts que la classe ouvrière.
  • le prolétariat devra donc agir avec ces couches dans le sens du développement de cette séparation.

D- La société transitoire est encore une société divisée en classes et comme telle, elle fait surgir nécessairement en son sein cette institution propre à toutes les sociétés divisées en classes: l’ÉTAT.

Avec toutes les amputations et mesures de précautions dont on peut entourer cette institution (fonctionnaires élus et révocables, rétributions égales à celle d’un ouvrier, unification entre le délibératif et l’exécutif, etc.) qui font de cet état un demi-État, il ne faut jamais perdre de vue sa nature historique anticommuniste et donc anti-prolétarienne et essentiellement conservatrice. L’État reste le gardien du statu quo.

Si nous reconnaissons l’inévitabilité de cette institution dont le prolétariat aura à se servir comme d’un mal nécessaire

  • pour briser la résistance de la classe capitaliste déchue
  • pour préserver un cadre administratif et politique uni à la société à une époque où elle est encore déchirée par des intérêts antagoniques

Nous devons rejeter catégoriquement l’idée de faire de cet état le drapeau et le porteur du communisme. Par sa nature d’état (“nature bourgeoise dans son essence” - Marx), il est essentiellement un organe de conservation du statu quo et un frein au communisme. A ce titre, il ne saurait s’identifier ni au communisme, ni à la classe qui le porte avec elle : le prolétariat qui, par définition, est la classe la plus dynamique de l’histoire puisqu’elle porte la suppression de toutes les classes y compris elle-même. C’est pourquoi, tout en se servant de l’État, le prolétariat exprime sa dictature non pas par l’État, mais sur l’État. C’est pourquoi également, le prolétariat ne peut reconnaître aucun droit à cette institution à intervenir par la violence au sein de la classe ni à arbitrer de la classe : Conseils et parti révolutionnaire.

E- Sur le plan économique, la période de transition consiste en une politique économique (et non plus une économie politique) du prolétariat en vue d’accélérer le processus de socialisation universelle de la production et de la distribution. Ce programme du communisme intégral à tous les niveaux, tout en étant le but affiné et poursuivi par la classe ouvrière, sera encore dans la période de transition, sujet dans sa réalisation à des conditions immédiates, conjoncturelles, contingentes, qu’il serait du pur volontarisme utopique de vouloir ignorer. Le prolétariat tentera immédiatement d’obtenir le maximum de réalisations possibles tout en reconnaissant la nécessité d’inévitables concessions, qu’il sera obligé de supporter. Deux écueils menacent une telle politique :

  • l’idéaliser: en la présentant comme communiste alors qu’elle n’en a rien.
  • nier sa nécessité au nom d’un volontarisme idéaliste.

5- Quelques mesures de la période de transition

Sans vouloir établir un plan détaillé de ces mesures, nous pouvons dès maintenant en établir les grandes lignes:

  • a) Socialisation immédiate des grandes concentrations capitalistes et des centres principaux pour l’activité productive.
  • b) Planification de la production et de la distribution, les critères de la production devant être la satisfaction maximum des besoins et non plus l’accumulation.
  • c) Réduction massive de la journée de travail.
  • d) Élévation substantielle du niveau de vie.
  • e) Tentative vers la suppression des rémunérations salariales et de leur forme argent.
  • f) Socialisation de la consommation et de la satisfaction des besoins (transports, loi sirs, repas, etc.).
  • g) Orientation des rapports entre secteurs collectivisés et secteurs de production encore individuels (et tout particulièrement à la campagne) vers un échange organisé et collectif au travers de coopératives supprimant ainsi le marché et l’échange individuel.
MC.; Revue Internationale N°1

(Avril 1975)

Problèmes de la Période de la Transition (3)

  • 1921 lectures

Également une contribution à la Conférence Internationale de 1975, ce texte reprend des citations de Marx et Engels et critique la position qui refuse d’identifier totalement la dictature du Prolétariat avec l’État.

Les problèmes de la période de transition

Nous considérons ce texte comme un outil de travail et non comme quelque chose de complet ou d’achevé. Certaines positions sont seulement affirmées, d’autres esquissées. Cependant nous sommes convaincus qu’il pourra constituer une base pour une discussion correcte sur la ‘période de transition’.

Dans l’Idéologie Allemande Marx écrivait : “La révolution n’est pas nécessaire uniquement parce que la classe dominante ne peut pas être abattue autrement, mais aussi parce que c’est seulement dans une révolution que la classe qui l’abat peut réussir à se débarrasser de toute la saleté qu’elle hérite et devenir capable de jeter les bases de la société nouvelle”.

Cependant l’insurrection prolétarienne, l’affrontement et l’attaque armée contre le pouvoir bourgeois, nécessités indispensables, ne sont que les premiers pas inévitables d’un processus dynamique qui doit conduire, en fin compte, au triomphe du communisme de la société sans classe dans laquelle “le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous”.

La révolution prolétarienne est une “révolution politique à âme sociale. La révolution est un acte politique. Le socialisme ne peut être réalisé sans révolution. Il nécessite cet acte politique dans la mesure où il a besoin de détruire et de dissoudre. Mais il se débarrasse de son enveloppe politique dès le début de son activité organisatrice, dès qu’il poursuit son but propre, dès que se révèle son âme”.

L’acte politique est donc l’irruption victorieuse d’une classe née et forgée dans les entrailles même du capitalisme, l’affirmation de cette classe qui en s’émancipant émancipera toute l’humanité.

Le prolétariat, en s’érigeant en nouvelle classe dominante à travers la révolution, ne vise pas à instaurer un nouveau rapport d’oppression d’une classe sur une autre mais à supprimer “toutes les conditions inhumaines de vie de la société actuelle et qu’elle résume dans sa propre condition.”

L’abattement du pouvoir bourgeois n’est pas déjà le communisme, mais est uniquement le premier pas d’un processus plus ou moins long et difficile.

“Entre la société capitaliste et la société communiste il y a la période de la transformation révolutionnaire de l’une en l’autre. Il lui correspond aussi une période politique transitoire dont l’État ne peut être autre que la dictature révolutionnaire du prolétariat”.

(Marx, Critique du Programme de Gotha

Dans l’histoire du mouvement communiste, le prolétariat est parvenu à deux reprises à abattre l’État bourgeois, à mettre sa dictature à l’ordre du jour: la Commune de Paris et la révolution russe.

Ces deux expériences ont été défaites, la première directement par la force des armes dans un massacre généralisé, la seconde dans des bains de sang non moins importants, mais moins “visibles”, dans une lente dégénérescence des objectifs initiaux, étouffée dans sa potentialité par l’absence de la révolution en Occident, condamnée à assumer des tâches qui n’étaient pas les siennes, la combativité prolétarienne se voyant réduite à une résistance toujours plus passive : dans le cas de la Russie, ce fut un recul lent (et donc moins évident que pour la Commune de Paris), réalisée au nom du communisme (et ce fut là la pire tragédie), qui conduisit à la honte du stalinisme. “Il était facile de faire la révolution en Russie. Il était difficile de la continuer”. (Lénine).

La résolution de l’“énigme” russe, des motifs de sa dégénérescence ont amené des groupes de révolutionnaires à tenter de résoudre les problèmes posés par la “période de transition”, mais ils étaient trop liés à l’expérience russe où la question du pouvoir prolétarien et de la voie au communisme ne pouvait être que posée, jamais résolue.

Contrairement à ce que pensaient, en révolutionnaires, Lénine et Trotsky, il était impossible de résister seuls pendant des décennies et des décennies dans les tranchées de la révolution : la dictature du prolétariat est la manifestation de sa combativité ou elle ne représente rien.

Kronstadt et les agitations de Petrograd montrent les premiers signes de la scission qui s’établissait entre les exigences immédiates de la classe et un pouvoir encore prolétarien qui cherchait à résister.

Le drame de la révolution russe ne peut être compris en dehors de ce cadre qui condamnait à l’impuissance le parti bolchevik et un Lénine (qui avait pourtant écrit L’État et la Révolution qui devait maintenant admettre :

“La machine fuit des mains de celui qui la conduit: on dirait qu ‘il y a quelqu’un d’assis au volant et qui conduit cette machine, mais que cette dernière suit une di rection différente à celle voulue, comme si elle était guidée par une main secrète, illégale. Dieu seul sait à qui elle appartient, peut-être à un spéculateur ou à un capitaliste privé, ou à tous les deux ensemble. Le fait est que la machine ne va pas dans la direction voulue par celui qui est au volant, quelque fois elle va plutôt dans le sens contraire.” (Rapport politique du C.C. au parti, 1922)

“Seule la lutte décidera (en fin de compte) de combien nous pourrons avancer, seule elle décidera de quelle part de cette très haute tâche, de quelle part de nos victoires nous pourrons définitivement consolider. Qui vivra, verra.” (1921, Pour le IVe anniversaire de la Révolution d’octobre)

Tout le déroulement des événements en Russie a conduit à parler d’“État Ouvrier” ou d’“État prolétarien”.

Il faut préciser que dans les années 20 ces expressions étaient synonymes de “dictature du prolétariat”. L’État prolétarien dont on parlait alors était un : “…nouvel appareil tout à fait différent de celui actuel, non seulement parce qu’il n’y aura plus besoin de la distinction existante dans l’État bourgeois entre appareil représentant et appareil exécutif, mais surtout du fait des différences fondamentales de structures, conséquences elles-mêmes de l’opposition dans les tâches historiques à accomplir et sur lesquelles les révolutions prolétariennes depuis la Commune de Paris Jusqu’à la république russe des soviets, ont jeté une lumière décisive”. (Il Communista février 1921)

Par la suite, ces “synonymes” sont allés en s’autonomisant jusqu’à ce qu’on parle de “faire à la place de la classe” et d’une classe qui ne “comprenait” pas que “tout était fait dans ses intérêts”.

Les écrits sur le dépérissement de l’État/commune prenaient une résonance sinistre face à la croissance de cette force anonyme représentante du capital.

Marx a laissé, après la Commune de Paris, des écrits mémorables dans lesquels il exprimait, de la meilleure façon possible, l’essence et la nature de la révolution communiste et de la dictature du prolétariat. Nous devons revenir à lui pour fonder sur ces bases notre perspective.

Marx, en corrigeant ce qu’il avait écrit 25 ans auparavant, écrivait: “La classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l’État telle qu’elle est, pour la faire fonctionner à son profit. En fait l’appareil d’État est bourgeois en tant que tel et non uniquement parce que ses rouages sont aux mains de la bourgeoisie. L’État n’est pas un instrument neutre, mais de classe, Cependant, ce qui en fait un appareil bourgeois ce n’est pas l’origine bourgeoise du personnel qui le dirige, mais bien sa propre nature d’appareil opposé au reste de la société”.

La révolution communiste donne vie, au cours de son affirmation, à des institutions qui diffèrent de celles de la bourgeoisie de par leurs principes mêmes : telles sont la Commune et les soviets.

La Commune a été: “La forme politique enfin trouvée dans laquelle pouvait s’accomplir l’émancipation économique du travail”.

La lutte de classe ne finit pas avec la victoire politique de la classe :

“La Commune ne supprime pas la lutte des classes […] Elle crée le climat le plus rationnel dans lequel cette lutte peut se dé rouler à travers diverses phases de la façon la plus rationnelle et la plus en accord avec l’essence humaine […] Elle ouvre la porte à l’émancipation du travail, sa grande finalité”.

La classe à qui on a ôté le pouvoir ne peut pas être abolie par décret; elle survit, elle cherche à se réorganiser politiquement. Le prolétariat ne partagera le pouvoir avec personne, il exercera sa dictature pour combattre tous ceux qui s’opposent aux mesures qui minent le privilège économique.

Le premier pas de la dictature du prolétariat vers l’abolition du salariat consistera dans l’obligation pour tous de travailler (généralisation de la condition du prolétariat) et dans l’action, simultanée, pour une réduction sensible du temps de travail. C’est déjà la fin de la séparation entre travail manuel et travail intellectuel.

L’avancement de ce processus en termes réels, matériels, est vital pour le pouvoir prolétarien ; le renforcement de ce dernier est simultanément prémisse et garantie du progrès vers le but final: le communisme.

“Le communisme, abolition positive de cette aliénation de l’homme par lui-même que constitue la propriété privée, donc conquête effective de l’essence humaine par l’homme et pour l’homme; donc retour complet conscient, atteint à travers l’entière richesse du développement passé, de l’homme pour lui-même en tant qu’homme social, c’est-à-dire en tant qu’homme humain. Ce communisme est [… la véritable solution de la contradiction entre existence et essence, entre réalité objective et conscience subjective, entre liberté et nécessité, entre individu et espèce. Le communisme c’est la solution de l’énigme de l’histoire et il se considère comme tel”.

Sur la base de ce que nous venons d’exposer nous critiquons:

- Aussi bien la position d’après laquelle c’est le parti qui prend le pouvoir, dirige et se confond avec l’État du fait qu’il posséderait une claire vision de la perspective révolutionnaire, etc., etc.

- Que la position qui parle de l’État prolétarien comme d’un instrument, expression de la classe, mais qui conserve toutes les caractéristiques de l’État, et où seul le nom et la direction changent.

- Que la position d’après laquelle, à côté de la dictature du prolétariat est nécessaire un État, compromis provisoire dans une société divisée en classes antagonistes.

Nous revendiquons, après la destruction du pouvoir bourgeois, la dictature du prolétariat, dictature de la classe ouvrière victorieuse qui ôte par la force tout droit aux autres classes et n’admet aucune sorte de médiation, moment politique et social qui vit et s’alimente dans la prise de conscience de masses toujours plus larges.

Rivoluzione Internazionale -Italie (Décembre 1974)

Revue Internationale N°1 (Avril 1975)

État et dictature

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Cet article aussi refuse les mises en garde contre l’État de la Période de Transition , considérant que l’État est forcément révolutionnaire si la classe qui l’utilise est révolutionnaire; il n’accepte pas la position selon laquelle l’identification État-Prolétariat a contribué à la dégénérescence des la révolution russe.

État et dictature

Le texte qui suit à pour but d’énoncer une conception générale de l’État et de la dictature sans intention démonstrative. Ceci pour contribuer à la discussion en cours sur la période de transition qui pose la question fondamentale des formes et du contenu de la dictature prolétarienne. De plus amples explications, notamment sur les points d’achoppement feront l’objet d’une contribution ultérieure.

1- Engels dans les pages désormais classiques de Origines de la famille, de la propriété privée et de l’État dégage la signification et le rôle de l’État. Celui-ci est un produit de la société à un stade déterminé de son développement. Il est le résultat et la manifestation de contradictions de classes inconciliables. L’État surgit afin que les classes aux intérêts économiques opposés ne s’épuisent pas, et avec elles la société, dans une lutte stérile.

2- Si l’État naît pour estomper les conflits de classes, les maintenir dans des limites déterminées, est-il une structure de dialogue entre classes, par l’intermédiaire duquel elles arrivent à des compromis ? Est-il un organisme neutre, extérieur à la société, qui arbitre des antagonismes ? Bien évidemment, non. Encore une fois, l’État ne pourrait surgir, ni se maintenir, si la conciliation de classes était possible. On ne peut se demander dès lors quelle fonction remplit exactement l’État ? Les classes opprimées de toutes les époques ont la réponse à cette question imprimée dans leur longue histoire de misère, d’exploitation et de déportation : l’État est donc, en règle générale[1] [25] l’État de la classe la plus puissante, de celle qui s’est imposée politiquement et militairement dans le rapport de force historique. L’État est l’instrument que la classe dominante utilise en vue d’instaurer et garantir sa dictature.

3- Un principe essentiel du marxisme est que le heurt des classes se décide non sur le terrain de droit, mais sur celui de la force. L’État est un organe spécial de répression : c’est l’exercice centralisé de la violence par une classe contre une autre. L’État politique, même et surtout démocratique et parlementaire, est un outil de domination violente. L’appareil d’État utilise en permanence des moyens coercitifs pour mater la classe dominée, même si apparemment ils constituent non dans l’usage implacable d’une force matérielle, policière ou autre, mais dans la simple menace de sanctions violentes, dans un simple article de loi (même non codifié), sans le fracas des armes et sans effusion de sang.

4- Organe de violence, l’État se caractérise par l’institution d’une force publique. Cette force publique particulière est indispensable parce qu’une organisation armée de la population dans son ensemble est devenue impossible depuis la scission en classes. Chaque État, dès sa formation, crée une force de coercition des ‘détachements spéciaux d’hommes armés’ disposant de prisons etc. Les diverses révolutions nous montrent comment la classe renversée s’efforce de reconstituer ses anciens organismes de domination (ou de les reconquérir) et la force armée qui lui était arrachée, et comment la classe nouvellement dominante se dote d’une nouvelle organisation de ce genre ou perfectionne l’ancienne afin d’empêcher toute restauration de la classe renversée et toute remise en cause des nouveaux rapports dominants.

5- Pour synthétiser ce que nous venons de dire: dans toute société divisée en classes, la classe dominante exerce une dictature ouverte ou camouflée sur les autres classes de la société, en vue de préserver ses intérêts de classe et de garantir ou de développer les rapports de production qui lui sont liés.

II est nécessaire de bien mettre en évidence le fondement de la dictature; une classe déterminée domine par son intermédiaire et s’en sert pour défendre ses intérêts contre les intérêts antagoniques des autres classes (déterminisme économique), pour assurer l’extension, le développement, la conservation de rapports de production spécifiques contre les dangers de restauration ou de destruction. Il est donc faux de considérer que tout État doit être haï et constitue un “fléau dévastateur” (nous ne sommes pas des petits-bourgeois anarchistes). En effet, même l’État bourgeois est, à un moment historique donné, un instrument progressif aux yeux des marxistes : lorsqu’il représente la force organisée contre la réaction féodale intérieure et ses alliés de l’extérieur et favorise la mise en place de structures modernes sur les débris des sociétés pré-capitalistes. II était non seulement utile mais indispensable que la bourgeoisie, au moyen de décrets étatiques et de l’usage de la violence, abattit les obstacles institutionnels qui retardaient l’apparition de grandes fabriques et d’une méthode plus moderne d’exploitation du sol. Si le marxisme a cette vision DIALECTIQUE de l’État, révolutionnaire à certaines époques, conservateur ou contre-révolutionnaire à d’autres, c’est qu’il en fait le PROLONGEMENT et INSTRUMENT des classes sociales qui prennent naissance, mûrissent et disparaissent. L’État est étroitement lié au CYCLE de la classe et s’avère donc PROGRESSIF ou CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE selon l’action historique de la classe sur le développement des forces productives de la société (selon qu’elle concourt à favoriser ou à freiner leur développement).

6- Nous avons relié l’existence de l’État à la division en classes de la société. De la même façon que cette dernière n’est pas la caractéristique immanente des sociétés humaines, l’État n’existe pas de toute éternité. Il y eut des formes sociales sans classe et sans État, et le développement de la production, auquel l’existence des classes est devenue un obstacle, ôtera à l’État toute nécessité et le fera disparaître progressivement. Comme dit Engels: “La société qui réorganisera la production sur la base d’une association libre et égalitaire des producteurs reléguera toute la machine de l’État là où sera dorénavant sa place : au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze.’

Cependant avant la société sans classe et sans État, entre capitalisme et communisme s’insère une période de transition, une phase de transformation économique de la société. La société transitoire est encore une société divisée en classes et comme telle, elle fait surgir inévitablement un État et une dictature.

7- L’État est l’organisation spéciale d’un pouvoir, c’est l’organisation de la violence destinée à tenir en laisse une certaine classe. Le prolétariat a besoin de l’État pour réprimer la résistance de la bourgeoisie. Or, orienter cette répression, l’effectuer pratiquement, il n’y a que le prolétariat qui puisse le faire, en tant que seule classe révolutionnaire jusqu’au bout, seule classe capable d’unir sous les drapeaux de la révolution tous les travailleurs et tous les exploités. L’intelligence de l’action révolutionnaire du prolétariat doit donc aller jusqu’à la reconnaissance de sa domination politique, de sa dictature, c’est-à-dire D’UN POUVOIR QU’IL NE PARTAGE AVEC PERSONNE et qui s’appuie directement sur la force année de la classe elle-même. La bourgeoisie ne peut être balayée que si le prolétariat est transformé en classe dominante à même de noyer la résistance inévitable des classes possédantes, et d’organiser pour la transformation socialiste de l’économie toutes les masses travailleuses et exploitées. Le prolétariat a BESOIN d’un appareil d’État, d’une organisation centralisée de la violence, aussi bien pour RÉPRIMIER la résistance désespérée de la bourgeoisie que pour DIRIGER la grande masse de la population -paysannerie, petite bourgeoisie, “nouvelles couches moyennes”, semi-prolétaires- dans la mise en place du communisme.

8- Si l’État est né parce que les contra dictions de classes sont inconciliables, s’il est un pouvoir qui est devenu “de plus en plus étranger” à la société, il est clair que l’affranchissement de la classe opprimée est impossible, non seulement sans une révolution violente, mais aussi sans la suppression de l’appareil du pouvoir d’État, qui a été crée par la classe dominante et dans lequel est matérialisé ce caractère “étranger”. Il en résulte ceci : la lutte prolétarienne n’est pas une lutte à l’intérieur de l’État et de ses organismes, mais une lutte extérieure à l’État, contre l’État, contre toutes ses manifestations et toutes ses formes. La révolution prolétarienne passe par l’anéantissement de l’État bourgeois. Cependant une forme d’État politique est nécessaire après cette destruction. C’est une des formes nouvelles de la domination prolétarienne, nécessaire à la classe ouvrière placée devant la nécessité de diriger l’emploi de la violence pour extirper les privilèges de la bourgeoisie et organiser de manière nouvelle les forces de production libérées des entraves capitalistes. La révolution russe a démontré, qu’entre les anarchistes qui, tout en ayant l’indéniable mérite de proposer la destruction de l’État bourgeois, s’imaginent pouvoir se passer après cette destruction de toute forme de pouvoir organisé, la nécessité d’un état politique, c’est-à-dire d’une structure de violence sociale, Comme la transformation communiste de la société est un processus de longue durée et non une réalisation immédiate, la suppression de la classe non travailleuse et l’intégration à la production socialisée de l’ensemble des classes et couches travailleuses non prolétariennes ne peu vent l’être non plus et on ne peut réaliser cette suppression et cette intégration par l’intermédiaire d’un massacre physique. Dès lors, pendant la période de transition, l’État révolutionnaire doit fonctionner, ce qui signifie, comme Lénine eut la franchise de dire aux pacifistes et autres petits bourgeois romantiques nostalgiques de la démocratie, avoir une année, des forces de police et des prisons. Ce qui exclut bien évidemment toute confusion quant à la caractérisation de l’État pendant la phase transitoire qui ne peut dé fendre les intérêts de plusieurs classes, mais d’UNE SEULE, et qui ne peut servir d’instrument à un agrégat indifférencié de classes et couches sociales, mais constitue un outil spécifique d’UNE SEULE CLASSE, de la classe dominante. C’est en ce sens qu’on peut et doit parler d’un État prolétarien, ce dernier étant l’UNE DES formes indispensable de la dictature du prolétariat. Avec la réduction progressive du domaine de l’économie privée et mercantile, se réduit celui où il est nécessaire d’appliquer la contrainte politique et l’État prolétarien tend à disparaître progressivement.

9- II reste à examiner les formes déterminées de l’État prolétarien, Il se marque certains traits de similitude entre l’État prolétarien et les États qui le précèdent dans la suite des époques historiques -traits qui permettent dans divers cas de parler d’État et d’autre part, des traits qui le distinguent où se marque la transition vers la suppression de l’État. Nous avons vu que l’État prolétarien est l’instrument dont se dote le prolétariat en vue de réprimer la classe antagonique. L’État du prolétariat donne également à la société le cadre administratif adéquat dont elle ne peut se doter spontané ment du fait de la division en classes. L’État révolutionnaire permet encore, d’une manière ou d’une autre qui n’en fasse pas une structure interclassiste, aux classes et couches prolétariennes de la société d’exprimer leurs intérêts immédiats, à l’exclusion de la bourgeoisie privée de tout droit et de tout moyen d’expression. Ces tâches qui supposent l’existence de détachements armés et de fonctionnaires identifient formellement les tâches de l’État prolétarien aux tâches des États précédents. Cependant, des différences SUBSTANTIELLES distinguent l’État du prolétariat des États des anciennes sociétés divisées en classes, différences qui résultent de l’action spécifique du prolétariat sur les rapports sociaux. Le prolétariat n’exerce pas sa dictature en vue de bâtir une nouvelle société d’oppression et d’exploitation, dans le but de préserver des privilèges économiques. Le prolétariat n’a pas de privilèges économiques et son seul intérêt de classe est la socialisation réelle de la production et l’avènement du communisme. Ces caractéristiques influent sur la forme et le contenu de l’État :

  • l’absence d’appui économique dans la société fait du prolétariat “la classe de la conscience”. Il est impossible que le prolétariat délègue la responsabilité de la dictature politique à un corps de spécialistes. La classe ouvrière dans son ensemble détient le pouvoir politique (et la puissance militaire : armement du prolétariat) au sein de ses propres organismes de classe, organes centralisés de domination politique: les Conseils ouvriers. Le prolétariat exerce donc lui- même en tant que classe une partie des fonctions étatiques. En outre, il modèle son État à son image: il supprime tous les privilèges inhérents au fonctionnement des anciens États (nivellement des traitements, contrôle rigoureux des fonctionnaires: électivité complète et révocabilité à tout moment) ainsi que la séparation réalisée par le parlementarisme entre organismes représentatifs et exécutifs. Pour toutes les raisons que nous venons de mentionner, action étatique des Conseils et contrôle absolu de l’État par la classe dans son ensemble, qui suppriment le caractère “étranger” de l’appareil d’État, nous pouvons parler de DEMI-ÉTAT prolétarien.
  • dès le début de la période de transition, le prolétariat entame la transformation économique de la société. Il y a corrélation entre le développement du communisme et l’extinction de l’État. Engels dit de l’État : “quand il finit par devenir effectivement le représentant de toute la société il se rend lui-même superflu. Dès qu’il n’y a plus de classe sociale à tenir dans l’oppression, dès que, avec la domination de classe et la lutte pour l’existence individuelle motivée par l’anarchie antérieure de la production, sont éliminés également les collisions et les excès qui en résultent, il n a plus rien à réprimer qui rende nécessaire un pouvoir de répression, un État [...]. L’intervention d’un pouvoir d’État dans les rapports sociaux devient superflue dans un domaine après l’autre, et entre alors naturellement en sommeil, Le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses et à la direction des opérations de production”. “L’ÉTAT N’EST PAS ABOLI, IL S’ETEINT” C’est seulement dans la société communiste, lorsque la résistance des capitalistes est définitivement brisée, que les capitalistes ont disparu et qu’il n’y a plus de classe (c’est-à-dire des distinctions entre les membres de la société quant à leurs rapports avec les moyens sociaux de production), c’est alors seulement que l’État cesse d’exister et qu’il devient possible de parler de liberté. Cependant, le processus d’extinction de l’État commence dès que le prolétariat entame l’intégration des autres couches sociales à la production socialisée et la “communisation des rapports sociaux”. C’est pourquoi nous pouvons caractériser l’État prolétarien de demi-État qui s’éteint.

10- Les cris d’alarme que poussent anarchistes et conseillistes dès qu’ils entendent le mot “État”, en invoquant une prétendue impossibilité à freiner “l’appétit de pouvoir” et de nouveaux privilèges des fonctionnaires, présentés comme “nouvelle classe dominante”, relèvent d’une incompréhension des mécanismes historiques et des phénomènes économiques et sociaux. La société et l’État ne sont pas autant d’entités abstraites. Le marxisme démonte magistralement la mystique bourgeoise de l’“essence éternelle” de l’État en analysant cette forme sociale dans le cadre matériel des déterminations économiques et des transformations résultant des confrontations de classes. Ainsi, se dé gage une conception dialectique de l’État révolutionnaire lorsque la classe qui l’utilise l’est également; contre-révolutionnaire s’il est l’instrument de préservation d’une classe décadente. L’État prolétarien, par sa forme et son contenu, directement déterminés par les tâches et le programme du prolétariat, est essentiellement un organe de la classe dominante qui s’en sert en vue d’abolir les contradictions de classes, et par là l’État prolétarien lui-même. Il n’est pas un organisme de statu-quo, pas plus qu’une structure visant à concilier des intérêts de classes antagoniques. il est un instrument de violence sociale utilisé par le prolétariat contre la bourgeoisie et les rapports de production qu’elle personnifie. L’État prolétarien est également un organe dont le prolétariat se sert pour diriger l’ensemble des classes et couches exploitées de la société.

11- Il reste à envisager l’éventuelle dégénérescence de l’État. Il est bien évident qu’en dernière instance, aucune mesure formelle ne peut contrer la dégénérescence de l’État, d’ailleurs de tout autre organe prolétarien. Mais la dégénérescence ne pro vient jamais de soi-disant tares formelles intrinsèques à l’appareil étatique. Une telle conception métaphysique et subjectiviste de l’histoire est étrangère au marxisme. En ce qui concerne la révolution russe, avec les diverses substitutions qui se sont produites au cours d’un processus où s’entrecroisaient étroitement révolution et contre-révolution, les identifications Parti-État, État-prolétariat, Parti-prolétariat, ne sont pas à l’origine d’une dégénérescence de la révolution, MAIS EN CONSTITUENT LA CONSÉQUENCE. S’il est nécessaire de lutter avec énergie contre toutes les tendances substitutionnistes qui identifient diverses formes de la dictature du prolétariat (qui toutes remplissent des fonctions spécifiques), il serait illusoire de croire éviter par ce biais tout risque de dégénérescence. Le mécanisme des Conseils lui-même peut tomber sous des influences contre-révolutionnaires. Il n’existe aucune immunisation formelle ou constitutionnelle contre ce danger, qui se trouve UNIQUEMENT dépendre du développement intérieur et MONDIAL du rapport des forces sociales. La décomposition interne de l’État prolétarien suppose qu’au préalable l’organisation centralisée du prolétariat ait commencé à se disloquer et à se vider du contenu révolutionnaire. Ainsi que le CCI le répète inlassablement, la SEULE garantie réelle contre les risques de recul réside dans la conscience de classe prolétarienne, liée aux progrès de la Révolution.

Sam/Belgique : Revue Internationale N°6 (juillet 1976)


[1] [26] Exceptionnellement il se présente pourtant des périodes où les classes en lutte sont si près de s’équilibrer que le pouvoir de I ‘État, comme pseudo médiateur, garde pour un temps une certaine indépendance vis à vis de l’une et de l’autre. [...] telle la monarchie absolue des XVIIème et XVIIIème siècles, tel le bonapartisme du Premier et du Second Empire en France, tel Bismarck en Allemagne. » Engels

L’État et la dictature du prolétariat

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Ce texte traite du problème du rapport classe-État dans le mouvement ouvrier, pour montrer que la position du CCI à savoir la non identification du Prolétariat et de son but -le Socialisme- avec le “demi-État” de la Période de Transition est fondée sur l’expérience de la lutte, et n’est pas une trouvaille du CCI

L’État et la dictature du prolétariat

Dans la plate-forme du CCI, adoptée au premier congrès du CCI de Janvier 1976, le point concernant les rapports entre prolétariat et État dans la période de transition est resté ouvert :

  • “L expérience de la révolution russe a fait apparaître la complexité et la gravité du problème posé par les rapports entre la classe et l’État de la période de transition. Dans la période qui vient, les révolutionnaires ne pourront pas esquiver ce problème mais devront y consacrer tous les efforts nécessaires pour le résoudre” (plate-forme du CCI, point XV sur la dictature du prolétariat).

C’est dans le cadre de cet effort que s’inscrit la décision du deuxième congrès de RI d’aborder cette question et de tenter de parvenir à une résolution faisant le point de l’état de ces discussions sur ce problème.

Mais la question abordée est d’ordre programmatique. La plate-forme du CCI étant depuis le premier congrès la seule base programmatique pour toutes les sections du Courant, il va de soi que seul le congrès général du CCI a compétence pour décider de l’opportunité et du contenu d’un éventuel changement de la plate-forme.

En se prononçant sur une résolution sur la période de transition, le deuxième congrès de RI ne modifie donc pas les bases programmatiques de RI (pas plus que n’importe quelle section du CCI, RI n’a pas de bases programmatiques distinctes de celles du CCI).

Le congrès ne fait que faire le point sur l’effort réalisé au sein de RI dans la tâche de l’approfondissement de cette question afin de mieux l’inscrire dans l’effort global de l’ensemble du Courant.

Les limites de l’effort possible

Afin de mieux pouvoir se repérer dans la complexité des problèmes de la période de transition, on peut regrouper ces derniers autour de trois sujets de préoccupation, distingués ici uniquement pour tenter de rendre plus commode la présentation de l’analyse :

  • les spécificités générales qui distinguent globalement les fondements de la période de transition du capitalisme au communisme, de ces deux genèses des autres systèmes qui l’ont précédée dans l’histoire.
  • les rapports entre la classe révolutionnaire et le reste de la société au cours de la période de transition, c’est-à-dire les problèmes posés par la compréhension de ce qu’est la “dictature du prolétariat” et, par conséquent ce que doit être le rapport entre la classe révolutionnaire et l’État dans la période de transition.
  • enfin, les questions concernant l’ensemble des mesures “économiques” concrètes de transformation de la production sociale.

Le travail d’analyse des révolutionnaires ne saurait manquer à la tâche d’apporter des réponses à l’ensemble de ces problèmes. Ce pendant, depuis que Marx et Engels jetèrent les basés du ‘matérialisme scientifique’, les révolutionnaires savent que, sous peine de se perdre dans des spéculations à la recherche de ce que Marx appelait avec mépris “des recettes pour les marmites de l’avenir” ils doivent être conscients des limites immenses que leur imposent les limites mêmes de l’expérience prolétarienne dans ce domaine. C’est l’ampleur de ces limites que Marx soulignait en 1875 dans sa Critique du programme de Gotha en écrivant:

  • “Quelle transformation subira l’État dans une société communiste ? Quelles fonctions sociales s’y maintiendront qui soient analogues aux fonctions actuelles de l’État ? Cette question ne peut être résolue que par la science et ce n’est pas en accouplant de mille façons le mot peuple avec le mot État qu’on fera avancer le problème d’un seul saut de puce”.

C’est la même conscience que R. Luxembourg exprimait dans sa brochure sur la révolution russe :

  • “Bien loin d’être une somme de prescriptions toutes faites qu ‘on aurait qu ‘à mettre en application, la réalisation pratique du socialisme comme système économique, social et juridique est une chose qui réside dans le brouillard de l’avenir. Ce que nous possédons dans notre programme, ce ne sont que quelques grands poteaux indicateurs montrant la direction dans laquelle les mesures à prendre doivent être recherchées, indications d’ailleurs surtout de caractère négatif [...]. [Le socialisme] à pour condition préalable une série de mesures violentes contre la propriété, etc. Ce qui est négatif, la destruction, on peut le décréter; ce qui est positif la construction, non. Terre vierge. Problèmes par milliers. Seule l’expérience est capable de faire les corrections et d’ouvrir des chemins nouveaux”.

Outre cette limite d’ordre général, la résolution est consciemment limitée par l’objet qu’elle se donne. Elle ne prétend pas faire une synthèse de tout ce qui a pu être dégagé par les révolutionnaires sur la période de transition. En particulier, la résolution n’aborde pas la question des mesures économiques de transformation de la production sociale. Elle regroupe d’une part des positions acquises de longue date par le mouvement ouvrier (avant l’expérience de la révolution russe) et qui se sont confirmées comme de véritables frontières de classe; d’autres part des positions concernant les rapports entre la dictature du prolétariat et l’État de la période de transition, dégagées principalement de la révolution russe, et qui, si elles ne constituent pas des frontières de classe, n’en reposent pas moins sur une base historique suffisamment développée pour être partie intégrante des bases programmatiques d’une organisation révolutionnaire.

Les positions de classe fondamentales :

  • inéluctabilité de la période de transition ;
  • primauté du caractère politique de l’action du prolétariat comme condition et garantie de transition vers la société sans classe, caractère mondial de cette transformation ;
  • spécificité du pouvoir de la classe ouvrière, en particulier le fait que le prolétariat, contrairement aux autres classes révolutionnaires de l’histoire, au lieu d’affirmer son pouvoir politique afin de consolider une position de classe dominante économiquement, position qu’il ne possédera jamais, agit pour l’élimination de toute domination économique de classe par l’abolition des classes elles-mêmes ;
  • impossibilité pour le prolétariat de se servir de l’appareil d’État bourgeois et nécessité de la destruction de ce dernier comme condition première du pouvoir politique prolétarien ;
  • inéluctabilité de l’existence d’un État pendant la période de transition, bien que profondément différent des États qui ont précédemment existé dans l’histoire.

Toutes ces positions constituent déjà par elles-mêmes un rejet catégorique de toutes conceptions social-démocrates, anarchistes, autogestionnaires et modernistes qui, si elles ont sévi dans le mouvement ouvrier depuis ses premiers temps, ne servent pas moins aujourd’hui de piliers idéologiques de la contre-révolution.

C’est sur la base de ces positions de classe fondamentales que la résolution dégage, principalement à partir de l’expérience de la révolution russe, des indications sur le problème entre prolétariat et État dans la période de transition au cours de la dictature du prolétariat :

  • il en est ainsi de la compréhension du caractère inévitablement conservateur de l’État de transition ;
  • de l’impossibilité d’identification du prolétariat ou de son parti avec son État ;
  • de la nécessité pour la classe ouvrière de concevoir ses rapports avec cet État auquel elle participe en tant que classe politiquement dominante, comme des rapports de force : la domination de la société, c’est aussi sa domination sur l’État ;
  • nécessité de l’existence et du renforcement (armé) des organisations propres et spécifiques à la classe ouvrière (seule classe organisée comme telle dans la société, organisations sur lesquelles l’État ne peut avoir aucun pouvoir de coercition.

Ces indications affirment un rejet des conceptions qui ont pu servir de base mystificatrice à la “contre-révolution qui se développe en Russie sous la direction du parti bolchevik dégénérant” et sont reprises aujourd’hui par l’ensemble des courants staliniens et trotskystes comme fondement théorique de la présentation du capitalisme d’État comme synonyme de socialisme.

Elles constituent donc un véritable garde-fou contre un ensemble de conceptions erronées que devra rencontrer demain le prolétariat dans son assaut mondial contre le capitalisme.

Cependant, aussi importantes que puissent être demain les conséquences de ces positions dans la lutte prolétarienne, il est nécessaire de comprendre les limites réelles de cet apport :

Les expériences historiques sur lesquelles sont fondées ces positions, concernant les rapports classe-État de transition, demeurent encore trop peu nombreuses, trop peu spécifiques, pour que les conclusions qui en sont tirées puissent être considérées aujourd’hui par les révolutionnaires comme des frontières de classe, c’est-à-dire des positions qui constituent des parties clairement définies de la ligne de démarcation qui sépare le camp bourgeois du camp prolétarien. Les frontières de classe ne peuvent être appréhendées et définies par les révolutionnaires en fonction d’une expérience historique insuffisante ou de leur appréciation de l’avenir, mais sur une base expérimentale, fournies par l’histoire même des luttes prolétarienne, qui soit suffisamment nette et claire pour permettre d’en dégager des enseignements indiscutables.[1] [27]

II faut donc souligner ici le caractère expressément limité des points que nous pouvons considérer acquis sur cette question : le rejet de l’identification du prolétariat ou de son parti avec l’État de transition, la définition de la dictature du prolétariat par rapport à l’État comme une dictature de classe sur l’État et en aucun cas de l’État sur la classe ouvrière; la mise en avant de l’autonomie des organisations propres du prolétariat par rapport à l’État comme condition première d’une véritable autonomie et d’un véritable épanouissement de la dictature du prolétariat. Ces points restent abstraits et généraux. Ils ne constituent que “quelques poteaux indicateurs montrant la direction dans laquelle les mesures à prendre doivent être recherchées, indicateurs d’un caractère souvent négatif”. Les formes précises dans lesquelles ils pourront se concrétiser, restent encore “terre vierge” que seule l’expérience permettra de défricher.

C’est une condition d’efficacité de l’organisation révolutionnaire que de savoir appréhender non seulement ce qu’elle sait et peut savoir, mais aussi ce qu’elle ne sait ni ne peut encore savoir. Il y va de sa capacité à savoir élaborer une véritable rigueur programmatique ainsi qu’à savoir faire siens à temps, dans l’action de la classe, les apports fondamentaux que seule la pratique vivante de la classe ouvrière peut fournir.

Le problème du rapport CLASSE-ÉTAT de la Période de Transition dans l’histoire du mouvement ouvrier.

La méconnaissance généralisée du mouvement ouvrier, aggravée par la rupture organique qui sépare les révolutionnaires aujourd’hui des anciennes organisations politiques de la classe, ont pu faire apparaître, dans certains cas, l’analyse sur laquelle nous nous prononçons aujourd’hui comme une “trouvaille”, une “originalité” du CCI. Un rappel, même extrêmement bref et sommaire de la façon dont le problème a été abordé (il faudrait presque dire découvert) par les révolutionnaires depuis Marx et Engels suffira à démontrer la fausseté d’une telle vision.

Dans le Manifeste Communiste de Marx et Engels, qui n’emploie pas encore la formule “dictature du prolétariat”, on trouve : “le premier pas dans la révolution ouvrière est défini comme la montée du prolétariat au rang de la classe dominante”. Cette conquête n’est autre, en fait, que celle de l’appareil d’État bourgeois que le prolétariat devrait utiliser pour “arracher peu à peu toute espèce de capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de la production dans les mains de l’État -du prolétariat organisé en classe dominante- et pour accroître le plus rapidement possible la masse des forces productives”. Même si l’idée de l’inévitable disparition de tout État est déjà établie depuis Misère de la Philosophie même si l’inévitabilité dé l’existence d’un État pendant les “premiers pas de la révolution ouvrière” est présente, le problème même du rapport entre classe ouvrière et État de la période de transition n’est qu’à peine entre vu.

C’est avec la Commune de Paris et son expérience que le problème commence à être perçu réellement au travers des leçons que Marx et Engels en dégagent: nécessité de la destruction de l’appareil d’État bourgeois par le prolétariat, mise en place d’un appareil tout différent qui “n’est plus un État au sens propre du mot” (Engels) dans la mesure où il n’est plus un organe d’oppression de la majorité par la minorité. Un appareil dont le caractère de poids hérité du passé est claire ment souligné par Engels qui en parle comme d’un “fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe mais dont il devra, comme l’a fait la Commune et dans la mesure du possible atténuer les effets, jusqu ‘au jour où une génération élevée dans une société d’hommes libres et égaux pourra se débarrasser de tout ce fatras gouvernemental”. (Préface de La Guerre Civile en France)

Cependant, malgré l’intuition de la nécessité pour le prolétariat de développer toute sa méfiance envers cet appareil hérité du passé (le prolétariat, écrivait Engels “avait des précautions à prendre contre ses propres subordonnés et ses propres fonctionnaires en les déclarant en tout temps et sans exception amovibles”) et du fait de la très courte et circonscrite expérience de la Commune de Paris ne pouvait pas poser le problème des rapports entre le prolétariat, l’État et les autres classes non-exploiteuses de la société, Une des idées majeures qui fut dégagée de la Commune fut celle de l’identification du prolétariat avec l’État de la période de transition. Ainsi trois ans après la Commune de Paris, Marx écrivait dans sa Critique du Programme de Gotha

  • “Entre la société capitaliste et la société communiste, se situe la période de transformation révolutionnaire de l’une en l’autre. A cette période correspond également une phase de transition politique, où l’État ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat”

C’est sur une base théorique que Lénine reformulera dans le concept de “l’État prolétarien” dans l’État et la Révolution c’est sur elle que les bolcheviks et le prolétariat russe instaurèrent la dictature du prolétariat en 1917.

Les conditions dans lesquelles dut se dérouler cette tentative prolétarienne, par le fait même qu’elles cumulaient les plus grandes difficultés pour le maintien d’un pouvoir prolétarien, (écrasante majorité de paysans dans la société, nécessité de soutenir immédiatement une guerre civile impitoyable, isolement international de la Russie, faiblesse extrême de l’appareil productif détruit par la première guerre sociale, puis par la guerre civile), toutes ces conditions eurent pour résultats de faire éclater dans toute son ampleur le problème entre dictature du prolétariat et État.

La dure réalité des faits devait démontrer qu’il ne suffisait pas de baptiser l’État “prolétarien” pour que celui-ci agisse en fonction des intérêts révolutionnaire du prolétariat; qu’il ne suffisait pas de placer le parti prolétarien à la tête de l’État (au point de s’identifier complètement avec lui) pour que la machine étatique suivit le cours que les révolutionnaires les plus dévoués voulaient lui imprimer.

L’appareil d’État, la bureaucratie d’État ne pouvait pas être l’expression des seuls intérêts de la classe prolétarienne. Appareil chargé de la survie de la société, il ne pouvait exprimer que les intérêts de la survie de l’économie russe moribonde. Ce que les marxistes répètent depuis les premiers temps se vérifiait dans toute sa puissance: les impératifs de la survie économique s’imposaient impitoyablement à la politique de l’État. Et l’économie était loin de pouvoir être influencée en quoi que ce soit dans un sens prolétarien.

Lénine devait constater cette impuissance clairement lors du 11ème congres du parti, un an après le début de la NEP :

  • “Apprenez donc, communistes, ouvriers, partie consciente du prolétariat qui s’est chargée de diriger l’État, apprenez à faire en sorte que l’État que vous avez entre vos mains agisse selon votre gré... L’État reste entre vos mains mais est-ce qu’en fait de politique économique il a marché selon vos désirs ? Non!... Comment a-t-il donc marché ? La machine vous glisse sous la main : on dirait qu’un autre homme la dirige, la machine court dans une autre direction que celle qu’on lui a tracée.”

L’identification du parti prolétarien avec l’État n’aboutit pas à la soumission de l’État aux intérêts révolutionnaires du prolétariat, mais au contraire à la soumission du parti aux intérêts de l’État russe. C’est ainsi que sous la pression des impératifs de la survie de l’État russe (dans lequel les bolcheviks voyaient l’incarnation même de la dictature du prolétariat- il s’agissait de la sauvegarde du “bastion prolétarien”), le parti finit par soumettre la tactique de l’IC aux intérêts de la Russie (alliances avec les grands partis social-chauvins européens en vue de tenter de faire relâcher le “cordon sanitaire” qui étouffait la Russie; c’est sur cette pression que fut signé le traité de Rapallo avec l’impérialisme allemand; c’est aussi pour éviter l’affaiblissement du pouvoir de l’appareil d’État “prolétarien” (et en son nom) que furent écrasés les insurgés de Kronstadt par l’armée rouge.

Quant aux masses ouvrières, si l’identification de leur parti avec l’État avait aboutit à les amputer de leur avant-garde, au moment même où elles en avaient le plus besoin, l’idée de l’identification de leur pouvoir avec l’État ne servit qu’à les rendre impuissantes et confuses devant l’oppression croissante de la bureaucratie étatique.[2] [28]

La contre-révolution qui réduisait en cendres la dictature du prolétariat avait surgi de l’organe même que les révolutionnaires avaient pendant des décennies cru pouvoir identifier avec le prolétariat.

Le long processus de dégagement des leçons de l’expérience russe commence dès le début de la révolution elle-même.

Dans une confusion inévitable, en s’attaquant à des aspects parcellaires, sans pouvoir toujours saisir le fond même des problèmes au milieu des tourbillons d’une révolution dont les traits de dégénérescence se développaient à tous ses débuts, surgirent les premières réactions théoriques. Les critiques de Rosa Luxembourg dès 1918 dans sa brochure sur la Révolution Russe contre l’identification de la dictature du prolétariat avec celle du parti, tout comme sa critique de toute limitation par l’État de la vie politique de la classe ouvrière portaient en elles des bases de la critique de l’identification du prolétariat avec l’État de la période de transition. Rosa Luxembourg, malgré le fait de considérer toujours l’État de transition comme un “État prolétarien” malgré la subsistance de l’idée de “la conquête du pouvoir par le parti socialiste” dégage ce qui constitue le seul moyen réel d’atténuer les fâcheux effets du fléau dont parlait Engels:

  • “L’unique moyen efficace que puisse avoir en main la révolution prolétarienne, ce sont, ici comme toujours, des mesures radicales de nature sociale et politique, une transformation aussi rapide que possible, les garanties sociales d’existence chez la masse et le déploiement de l’idéalisme révolutionnaire, qui ne saurait se maintenir durablement que par une vie immensément active des masses dans une liberté illimitée”.

En Russie et au sein même du parti bolchevik, le développement de la bureaucratisation de l’État et donc de l’antagonisme entre prolétariat et pouvoir étatique provoqua dès les premières années la naissance de réactions telles celles du groupe d’Ossinsky ou plus tard “du groupe ouvrier” de Miasnikov qui, en mettant en question la bureaucratie soulevait déjà, même de façon confuse, le problème de la nature entre classe et État de la période de transition.

Mais c’est probablement dans la polémique qui opposa Lénine et Trotsky au Xème congrès du Parti sur la question des syndicats, que la question sur la nature de L’État fut posée de la façon la plus aiguë. En effet, contre Trotsky qui défendait l’idée d’une plus grande intégration des syndicats ouvriers dans l’appareil d’État afin de mieux affronter les difficultés économiques, Lénine opposa la nécessité de sauvegarder l’autonomie de ces organisations de classe afin que les ouvriers puissent se défendre “des abus néfastes de la bureaucratie étatique”, Lénine en arriva jusqu’à affirmer que l’État n’était pas “ouvrier, mais ouvrier et paysan avec de nombreuses déformations bureaucratiques”. Même s’il est certain que ces débats étaient menés au milieu d’une confusion généralisée (pour Lénine, les divergences avec Trotsky ne portaient pas sur des questions de principe mais résultaient de considérations contingentes), ils n’en étaient pas moins d’authentiques expressions de la recherche dans le prolétariat de réponses au problème des rapports entre sa dictature et l’État.

Les Gauches hollandaise et allemande après avoir réagi dans le prolongement de Rosa Luxembourg au développement de la bureaucratie d’État contre le prolétariat en Russie et ayant eu à affronter les problèmes de la dégénérescence de la politique internationale de l’IC, furent aussi amenées à développer la critique de ce qu’elles appelèrent : le socialisme d’État. Cependant le travail d’Appel fait en collaboration avec la gauche hollandaise sur les Principes de Base de la Distribution Communiste aborda surtout la question de la période de transition d’un point de vue économique, les développements sur l’aspect politique demeurant essentiellement une réaffirmation des idées fondamentales de R. Luxembourg.

C’est surtout avec les travaux de la Gauche italienne en Belgique et en particulier les articles de Mitcheli publiés à partir du numéro 28 de mars-avril 1936 de la revue que les bases théoriques pour une compréhension plus profonde du problème ont été posées : tout en restant sur la base théorique “léniniste” de la quasi identité entre parti et classe, Bilan fut le premier à affirmer nettement le caractère néfaste de toute identification de la dictature du prolétariat avec l’État de la période de transition et à souligner parallèlement l’importance de l’autonomie de classe et de son parti par rap port à cet État :

  • “Mais l’État soviétique ne fut pas considéré par les bolchevik, au travers des terribles difficultés contingentes, essentiellement comme un ‘fléau dont le prolétariat hérite et dont il devra atténuer ses plus fâcheux effets’ mais comme un organisme pouvant s’identifier complètement avec la dictature prolétarienne, c’est-à-dire le parti.
    D’où résulta cette altération principale que le fondement de la dictature du prolétariat, ce n’était pas le parti, mais l’État, qui, par le renversement des rapports qui s’ensuivit, se trouva placé dans des conditions d’évolution aboutissant non à son dépérissement, mais au renforcement de son pouvoir coercitif et répressif. D’instrument de la révolution mondiale, l’État prolétarien était inévitablement appelé à devenir une arme de la contre-révolution mondiale.
    Bien que Marx, Engels et surtout Lénine eussent maintes fois souligné la nécessité d’opposer à l’État son antidote prolétarien, capable d’empêcher sa dégénérescence, la révolution russe, loin d’assurer le maintien et la vitalité des organisations de classe du prolétariat, les stérilisa en les incorporant à l’appareil d’État et ainsi dévora sa propre substance.
    ”

L’analyse de Bilan porte encore des hésitations et des faiblesses, en particulier en ce qui concerne l’analyse de la nature de classe de 1’État de la période de transition, considéré comme “État prolétarien”.

Ces hésitations et ces insuffisances normales seront dépassées par les analyses d’Internationalisme en 1945 (voir article La nature de l’État et la révolution prolétarienne republié dans le n°1 du bulletin d’études et de discussions de RI, janvier 1973). Internationalisme affirme déjà de façon nette en se fondant sur des critères d’analyse objective de la nature économique et politique de la période de transition, la nature non prolétarienne et anti-socialiste de l’État de la période de transition :

  • “L’État, dans la mesure où il est reconstitué après la révolution, exprime l’immaturité des conditions de la société communiste. Il est la superstructure politique d’une structure économique non encore socialiste. Sa nature reste étrangère et opposée au socialisme. De même que la phase transitoire est une inévitabilité historique objective, par laquelle passe le prolétariat, de même l’État est un instrument de violence inévitable pour le prolétariat dont il se sert contre les classes dépossédées mais avec lequel il ne peut s’identifier […] L’expérience russe a mis particulièrement en évidence l’erreur théorique de la notion d’État ouvrier, de la nature de classe prolétarienne de l’État et de l’identification de la dictature du prolétariat avec l’utilisation par le prolétariat de l’instrument de coercition qu’est l’État.”

Internationalisme dégage de l’expérience de la révolution russe la nécessité vitale pour le prolétariat de savoir exercer un contrôle strict et permanent sur cet appareil d’État toujours prêt à devenir au moindre recul la force principale de la contre-révolution :

  • “L’histoire et l’expérience russe ont démontré qu’il n’existe pas d’État prolétarien proprement dit, mais un État entre les mains du prolétariat, dont la nature reste anti-socialiste et qui, dès que la vigilance politique du prolétariat s’affaiblit, devient la place forte, le centre de ralliement et l’expression des classes dépossédées du capitalisme renaissant.”

Encore imprégné de certaines des conceptions de la gauche italienne dont il est issu, notamment en ce qui concerne la question du parti et des syndicats, mais se plaçant déjà dans la vision claire de la classe ouvrière comme véritable sujet de la révolution, Internationalisme affirme enfin la nécessité de la plus totale liberté politique de la classe et de ses organes unitaires (qu’il considère encore comme pouvant être les syndicats) par rapport à l’État, soulignant la condamnation de toute violence de ce dernier sur les premiers. II est le premier aussi à établir une véritable cohérence entre les problèmes politiques et les problèmes économiques qui se posent pendant cette période :

  • “Cette phase transitoire du capitalisme au socialisme, sous la dictature politique du prolétariat, se traduit sur le terrain des rap ports économiques par une politique énergique tendant à diminuer l’exploitation de la classe, à augmenter constamment la part du prolétariat dans le revenu national, du capital variable par rapport au capital constant.
    Cette politique ne peut être donnée par une affirmation programmatique du parti et encore moins être dévolue à l’État, organe de gestion et de coercition. Cette politique trouve sa condition, sa garantie et son expression dans la classe elle-même et exclusivement en elle, dans la pression qu’exerce la classe dans la vie sociale, dans son opposition et sa lutte contre les autres classes. […] Toute tendance à diminuer le rôle des syndicats après la révolution, qui sous prétexte de l’existence de l’“État ouvrier” interdirait la liberté d’action syndicale et la grève, qui favoriserait l’immixtion de l’État dans ses syndicats, qui, au travers de la théorie en apparence révolutionnaire de remettre la gestion aux syndicats, incorporerait en fait ces derniers dans la machine étatique, qui préconiserait la violence au sein du prolétariat et de son organisation, sous le couvert de et avec la meilleure intention révolutionnaire du but final, qui empêcherait l’existence de la plus large démocratie par le simple jeu de la lutte politique et des fractions au sein du syndicat, exprimerait une politique anti-ouvrière faussant les rapports du parti et de la classe, affaiblissant la position du prolétariat dans la phase transitoire. Le devoir communiste serait de dénoncer et de combattre avec la plus grande énergie toutes ces tendances et d’oeuvrer au plein développement et à l’indépendance du mouvement syndical, indispensable pour la victoire de l’économie socialiste.
    ”

Il revient à Internationalisme d’avoir su définir le cadre théorique général dans lequel la question des rapports entre la dictature du prolétariat et l’État dans la période de transition pouvait enfin être posée sur des bases solides et cohérentes.

C’est en s’inscrivant entièrement dans ce processus que la résolution présentée au congrès de R.I. se conçoit comme une tentative de réappropriation des principaux acquis du mouvement ouvrier sur cette question et un effort pour continuer l’oeuvre permanente d’approfondissement des bases programmatiques de la lutte révolutionnaire du prolétariat.

C’est dire à quel point cette résolution n’a rien a voir avec une quelconque “trouvaille du CCI”. Mais c’est dire aussi le poids de la responsabilité historique que fait peser sur les épaules de l’organisation révolutionnaire le fait d’assumer cet héritage.

R.V. : Revue Internationale N°8 (décembre 1976)



[1] [29] Les “bases programmatiques” d’une organisation révolutionnaire sont constituées par l’ensemble des positions principales et des analyses qui définissent le cadre général de son action. Les positions “frontières de classe” en font partie et en représentent inévitablement le squelette de base. Mais l’action d’une organisation révolutionnaire ne peut être définie par les seules frontières de classe. La nécessité de la plus grande cohérence de son intervention la contraint à chercher la plus grande cohérence dans ses conceptions et donc à définir le plus profondément possible le cadre général qui relie entre elles les différentes positions de classe en les plaçant dans une vision cohérente et globale des buts et des moyens de la lutte révolutionnaire du prolétariat.

[2] [30] Ces deux éléments expliquent en partie la confusion, parfois extrême, qui caractérise les soubresauts prolétariens contre la contre-révolution étatique (Kronstadt).

DOCUMENTS INTERNES

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Donner le cadre de nos débats

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Cette contribution reprend les données du problème à travers les écrits marxistes et défend la position selon laquelle le Prolétariat, n ‘étant pas une classe exploiteuse, ne peut se fondre dans un État pour créer le Socialisme.

 

Donner le cadre de nos débats

Pour commencer, il faut reconnaître l’importance du problème de la période de transition. La plate-forme elle-même le met en évidence dans la partie concernant la dictature du prolétariat.

  • “De même, l’expérience de la révolution russe a fait apparaître la complexité et la gravité du problème posé par les rapports entre la classe et l’État de la période de transition. Dans la période qui vient, le prolétariat et les révolutionnaires ne pourront pas esquiver ce problème, mais se devront d’y consacrer tous les efforts nécessaires pour le résoudre”.

II est évident que les questions fondamentales de la période de transition seront résolues par le prolétariat dans le cours de la révolution et que les questions débattues par les révolutionnaires aujourd’hui ne peuvent être résolues que pendant la période de transition elle-même. Comme Marx l’a toujours dit, il n’y a pas de recettes pour les marmites de l’avenir ni de plans qui puissent être faits dès aujourd’hui; cependant les révolutionnaires doivent s’efforcer d’atteindre la compréhension la plus claire possible de questions vitales -comme la période de transition- aujourd’hui, et la seule base d’approfondissement de n’importe laquelle des questions sur lesquelles ont été tracées des frontières de classe ou sur les quelles il y a eu d’importants acquis, produits de la lutte des ouvriers, c’est l’expérience historique concrète de la classe ouvrière.

Comme base de la discussion présente, La Révolution Russe de Rosa Luxembourg où elle écrit sur la période de transition à propos de la révolution russe, est très utile :

  • “Bien loin d’être une somme de prescriptions toutes faites qu’on n’aurait qu’à mettre en application, la réalisation pratique du socialisme comme système économique, social et juridique, est une chose qui réside dans le brouillard de l’avenir. Ce que nous possédons dans notre programme, ce ne sont que quelques grands poteaux indicateurs montrant la direction dans laquelle les mesures à prendre doivent être recherchées, indications d’ailleurs surtout de caractère négatif. Nous savons à peu près ce qu’il nous faut supprimer dès l’abord pour ouvrir la voie à l’économie socialiste; mais en revanche, la nature des mille mesures concrètes et pratiques, petites et grandes qu’il faudra prendre pour introduire les principes socialistes dans l’économie, dans le droit, dans tous les rapports sociaux, n’est consignée dans aucun programme de parti socialiste, dans aucun manuel socialiste. Ce n’est pas une lacune mais précisément l’avantage du socialisme scientifique sur le socialisme utopique. Le système socialiste ne peut et ne doit être qu’un produit historique, issu de l’école même de l’expérience, à l’heure de l’accomplissement de l’histoire vivante en train de se faire, tout comme sa nature organique dont elle fait finalement partie, celle-ci a la belle habitude de susciter conjointement les besoins sociaux réels et les moyens de les satisfaire, les tâches et leur solution. S’il en est ainsi, la nature même du socialisme fait que, bien évidemment, il ne peut être octroyé ou introduit par oukase (décret). Il présuppose une série de mesures coercitives contre la propriété, etc. On peut proclamer l’aspect négatif : la destruction, mais pas l’aspect positif : la construction. Terre vierge. Mille problèmes. Seule l’expérience permet les corrections et l’ouverture de nouvelles voies. Seule une vie bouillonnante et sans entraves se développe en mille formes nouvelles, en mille improvisations, illumine la puissance créatrice, corrige elle même toutes les erreurs.”

Seule l’expérience vivante du prolétariat peut donner aux révolutionnaires des poteaux indicateurs pour comprendre la période de transition et cette expression concrète, c’est la révolution russe qui nous a légué certains acquis du prolétariat qui peuvent et doivent être intégrés dans la plate-forme de l’organisation révolutionnaire du prolétariat. Ces acquis ne constituent pas pour autant des frontières de classe qui séparent la bourgeoisie du prolétariat (c’est évident que l’expérience de la classe est trop limitée et fragmentée pour qu’on puisse définir des frontières de classe dans ce cas) mais ce sont les leçons de l’expérience de la classe ouvrière que les révolutionnaires doivent tirer.

Dans le cas de la période de transition, au-delà des frontières de classe qui ont été tracées, certains acquis sont le résultat d’une analyse et d’une discussion approfondies de l’expérience concrète de la révolution russe; et fondamentalement ces acquis constituent pour le prolétariat un avertissement contre de fausses conceptions et des poteaux indicateurs lorsque s’ouvrira une nouvelle période révolutionnaire.

L’un des dangers dans lequel une organisation de révolutionnaires peut tomber et dont il faut se garder, c’est de tout dogmatisme sur la question de la période de transition. Le dogmatisme du CWO qui insiste pour dire que le schéma pour la période de transition se trouve dans la Critique du Programme de Gotha de Marx et que la dictature du prolétariat est l’État prolétarien, bloque toute discussion sur l’expérience concrète de la révolution russe, pour cette organisation, dès qu’on n’accepte pas ce dogme tel quel, on franchit les frontières de classe. C’est de ce type d’approche dont il faut se garder car toute vision dogmatique qui méconnaît l’expérience concrète de la classe ouvrière est condamnée à l’échec, et un échec dans l’une des tâches les plus importantes pour laquelle l’organisation des révolutionnaires existe : avertir le prolétariat lui donner des poteaux indicateurs, défendre au sein des conseils ouvriers un programme révolutionnaire basé sur les acquis du prolétariat.

La première chose que doivent toujours garder à l’esprit les révolutionnaires en commençant cette discussion, c’est qu’il n’y a pas de dogme, pas de recettes, qu’il y a seulement l’expérience du prolétariat.

Entre deux modes de production, il y a toujours eu une période de transition. Pour définir plus clairement cette période :

  • “La période de transition n’est pas un mode de production mais le lien entre deux modes de production, l’ancien et le nouveau. C’est la période pendant laquelle les germes du nouveau mode de production se développent lentement au détriment de l’ancien jusqu’au point où ils supplantent l’ancien mode de production et constituent un nouveau mode d production dominant. Entre deux sociétés stables (et c’est aussi vrai pour la période entre le capitalisme et le communisme que ce le fut dans le passé), la période de transition est une nécessité absolue. Ceci est dû au fait que l’épuisement des conditions nécessaires à l’existence de l’ancienne société n’implique pas automatiquement l’existence et la maturation des conditions de la nouvelle société. En d’autres termes, le déclin de l’ancienne société ne veut pas dire automatiquement maturation de la nouvelle mais est seulement la condition pour que cette maturation ait lieu.” (“Problèmes de La Période de Transition”, Revue Internationale n°1)

La bourgeoisie, pendant la période de transition qui va du féodalisme au capitalisme, a acquis sa base économique au sein de la société féodale et la révolution bourgeoise n’était que le point culminant de cette période de transition. Dans le cas du communisme et pour toutes les raisons que le texte cité plus haut met en évidence, pour toutes les raisons qui constituent la différence fondamentale entre le communisme et les autres sociétés il est clair que la période de transition du capitalisme au communisme ne fait que commencer avec la prise du pouvoir politique par le prolétariat, avec le renversement de l’État bourgeois, et culmine dans la création du communisme.

Les révolutionnaires doivent analyser ce que seront les tâches concrètes de la période de transition du capitalisme au communisme ; non pas d’une façon dogmatique ni à travers une vague notion sur la construction de la communauté humaine, mais concrètement. Et comme base de cette analyse, on peut dire qu’il y a trois tâches fondamentales auxquelles le prolétariat doit faire face après la prise du pouvoir à l’échelle mondiale, et ce sont :

1- Extirper de la société les vestiges de la société de classe et intégrer toutes les couches et classes non exploiteuses à la production socialisée.

2- Développer les forces productives à l’échelle mondiale de sorte qu’elles soient aptes à satisfaire tous les besoins de l’humanité, pas seulement les besoins biologiques mais tous les besoins vitaux.

3- Organiser la production et la distribution de valeurs d’usage sur une base socialisée.

En tout premier lieu, il est important de noter que ces tâches ne peuvent être menées à bien au moyen de la violence. Le renversement de la bourgeoisie, de toutes les bases de son pouvoir est une question de violence et cette leçon a brûlé dans le coeur et l’âme de la classe ouvrière, mais pour entreprendre les tâches herculéennes qui l’attendent pendant la période de transition, la classe ouvrière ne peut pas compter sur des mesures violentes. La conception de CWO selon laquelle le prolétariat intégrera les classes non-exploiteuses et ordonnera le développe ment des forces productives à la pointe du fusil, relève d’une réelle incompréhension du rôle de la violence dans la construction du communisme. L’utilisation de la violence est un mode d’action dans lequel le prolétariat doit s’engager mais toujours avec beaucoup de précaution et de prudence. Il se peut qu’il l’utilise occasionnellement, il peut devoir l’utiliser contre les paysans et le lumpenprolétariat mais ce n’est jamais quelque chose qui constitue une base pour mener à bien les tâches de la période de transition.

Il y a deux caractéristiques fondamentales de la période de transition que les révolutionnaires doivent reconnaître et qui indiquent le cours que le prolétariat doit prendre. La première, c’est que la base de la domination politique du prolétariat -ou la dictature du prolétariat- doit se concrétiser dans une expression institutionnelle ou organisée du prolétariat, une expression de son existence historique et une institution ou organe qui constituera la base même de la marche vers le communisme. Ces organes sont les Conseils Ouvriers qui constituent la dictature du prolétariat, et le parti prolétarien qui joue un rôle indispensable au sein des Conseils.

La seconde caractéristique de la période de transition c’est la persistance de la division de la société en classes, des classes qui ont des intérêts antagoniques et divergents. Sans prendre en considération le poids qu’aura telle ou telle couche de la société, le lendemain de l’insurrection -de la guerre civile- il y aura une société de classe qui persistera pendant la période de transition. Le capitalisme ne peut pas créer de classe universelle comme le disent les modernistes, il ne peut prolétariser tout le monde de sorte que les fonctionnaires du capital deviennent des esclaves salariés et des prolétaires, et c’est à cause de la persistance de classes aux intérêts antagoniques qu’un État surgira. Ce sont les deux caractéristiques fondamentales de la période de transition que le prolétariat et les révolutionnaires devront prendre en considération.

Pour mieux comprendre la nature de l’État de la période de transition, il est très utile de voir ce que les marxistes comme Engels ont écrit sur la question. Son Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État montre que l’État surgit au sein de toutes les sociétés de classes et qu’il a deux fonctions fondamentales.

La première c’est la coercition : il est l’organe pour l’oppression de la majorité sur la minorité.

Deuxièmement, l’État a pour fonction de préserver le statu-quo, d’empêcher la société de s’entre-déchirer et de se désintégrer sous le poids des antagonismes de classe qui existent en son sein. II est important d’insister, comme Engels l’a fait sur le fait que l’État est un organe conservateur l’institution conservatrice par excellence, ce qu’il faut bien distinguer de ses fonctions coercitives.

Quand les marxistes discutent de l’État de la période de transition - depuis l’expérience de la Commune de Paris - ils se référent à lui comme un semi-État. L’État Commune était en fait un demi-État parce que la tâche coercitive de l’État lui était largement retirée dans le sens où il n’était plus l’organe de l’exploitation ou de l’oppression de la majorité par la minorité. L’État-Commune était un demi-État parce que tout l’appareil de coercition passait aux mains de la majorité, parce que ses fonctionnaires étaient élus et révocables et que leur rémunération et leur consommation n’étaient pas d’un niveau plus élevé que celles de la moyenne des ouvriers. Toutes ces mesures créent un État qui est qualitativement différent de tout État ayant existé dans le passé mais néanmoins, même un État-Commune doit mener l’autre fonction historique d’un État : la préservation du statu-quo.

L’État-Commune était une institution élue non seulement par la classe ouvrière mais par tous les citoyens de Paris sur une base géographique, de quartiers. Tandis que la bourgeoisie ne pouvait y participer, la petite bourgeoisie et les artisans le pouvaient et son extension dans toute la France aurait aussi amené la participation des paysans. A partir de là il est clair que l’État-Commune n’était certainement pas la seule expression du prolétariat.

Bien que Marx fasse référence à la dictature du prolétariat, à l’État ouvrier et à l’État-Commune comme étant synonymes, un examen plus attentif révélera que l’État-Commune n’aurait pas pu être la dictature du prolétariat. Ceci est reconnu par Engels dans son introduction à La Guerre Civile en France de Marx dans laquelle il écrivait que l’État était un fléau, un mal hérité de la société bourgeoise. C’est un fléau dont le prolétariat ne peut que s’accommoder, mais un fléau duquel il doit toujours se garder, et Engels n’avait aucun doute sur le fait que l’État n’était pas l’expression des intérêts historiques du prolétariat dans son avancée vers le communisme. Cet avertissement d’Engels est quelque chose que Lénine n’a pas vu lorsqu’il a écrit l’État et la Révolution en se basant directement sur La critique du programme de Gotha et La Guerre Civile en France de Marx et en continuant à faire référence à l’État ouvrier et à la dictature du prolétariat dans les mêmes termes. Les issues possibles de la Commune de Paris et comment l’État-Commune aurait coexisté avec la dictature du prolétariat, nous ne pouvons le dire puisque la bourgeoisie a écrasé la révolution en quelques semaines; mais nous avons cette expérience concrète du prolétariat, et toute la richesse de l’expérience et des leçons de la révolution russe, sur quoi baser nos discussions.

En tirant les leçons de la révolution russe, il ressort un fait incontestable : l’État a été l’instrument et l’organe de la contre- révolution. Ce fait a été reconnu trop tardivement par les révolutionnaires de l’époque -y compris les communistes de gauche. Au sein du mouvement ouvrier, on a toujours vu deux sources à la contre-révolution, et son expression dans deux types d’institutions. Ou bien elle était apportée de l’extérieur à travers les armées blanches, à travers l’invasion des autres États capitalistes, ou bien comme le pensait la Gauche hollandaise et la Gauche allemande et même Lénine : elle venait des paysans ou de la petite-bourgeoise, soit de la NEP, soit de la reconsolidation de la bourgeoisie et de la propriété individuelle, ce à quoi les révolutionnaires étaient familiers.

Au moment où le mouvement révolutionnaire s’attendait à ce que la contre-révolution vienne de ces deux sources, Rosa Luxembourg insistait sur la nécessité pour le prolétariat d’avoir des organes indépendants où s’exprimer, où défendre ses intérêts propres, et certains communistes de gauche en Russie comme Ossinsky ont aussi montré que le prolétariat devait se garder de la bureaucratie et de l’appareil d’État. Malheureusement il n’y a pas eu de développement réel ni d’élaboration de ces mises en garde, et ce n’est qu’au moment où l’État était en train de décapiter la classe ouvrière que les révolutionnaires ont commencé à se rendre compte que l’État crée par la révolution était lui-même l’instrument de la contre- révolution, et ce qui a empêché une prise de conscience plus rapide de ce fait, c’est qu’ils avaient tous accepté l’identification de l’État et du prolétariat.

II existe l’argument selon lequel l’État russe a pu écraser la classe ouvrière parce qu’il n’était pas un État ouvrier mais l’État d’un Parti ; et en même temps qu’il est vrai que l’identification parti-dictature du prolétariat que faisaient les bolcheviks, a été un facteur important dans la dégénérescence de la Révolution russe, il serait prématuré de conclure que le seul problème de la révolution russe et de la future révolution, c’est l’identification du Parti et de l’État. Cet argument qui dit qu’il n’y a pas de possibilité pour l’État de devenir un instrument ou un organe de la contre-révolution si c’est l’ensemble de la classe ouvrière et non un parti révolutionnaire qui s’identifie avec l’État, sous-estime la nécessite pour le prolétariat de maintenir son autonomie par rapport à l’État, nécessité que même Lénine reconnaissait comme on le voit dans son débat avec Trotsky où il établit que s’il ne conserve pas son autonomie propre, s’il n’a pas le droit d’avoir des armes et s’il n’a pas le droit de faire grève, le prolétariat serait sans défense contre l’appareil d’État qui semblait être un organe de la classe ouvrière mais paraissait dirigé par quelqu’un d’autre que le prolétariat.

Comme la dégénérescence de la révolution russe peut être attribuée au fait que le parti s’est constitué en État, il serait facile de conclure, avant de faire une analyse approfondie de cette expérience, que c’était le seul problème. Ce qu’on ne voit pas, c’est qu’un État est par nature une institution conservatrice et doit refléter les intérêts antagoniques qui existent dans la réalité objective. L’État dans la période de transition tend par nature à conserver et préserver les institutions et les rapports sociaux tels qu’ils existent alors que la tâche du prolétariat est de bouleverser constamment ces rapports. Dans cette situation, aucun organe, ne peut exprimer ces deux intérêts contradictoires, préservation du statu-quo et destruction du statu-quo. Ceci amène à conclure que le mouvement historique du prolétariat vers le communisme ne peut être exprimé par l’appareil d’État mais seulement par les organes de sa dictature, et par son parti. Si la dictature du prolétariat ne peut pas empêcher l’État de se constituer en appareil coercitif contre le prolétariat, la révolution russe se répétera et à nouveau une contre-révolution aura lieu à cause du simple fait que la destruction du dernier bourgeois n’est pas une garantie contre la contre-révolution. Le mode de production capitaliste peut surgir du sein de n’importe quelle bureaucratie d’État, du sein de n’importe quelle institution de Parti. Si la société est organisée sur la base de la loi de la valeur et si la destruction de la production basée sur cette loi n’a pas lieu rapidement, alors il y a toujours la possibilité de la contre-révolution et c’est l’État qui serait l’appareil de cette contre-révolution.

Parce que le prolétariat ne peut empêcher l’État de surgir puisqu’il y a un besoin vital de maintenir la cohésion d’une société aux intérêts encore antagoniques pendant la période de transition -un besoin qui existe tout autant que le besoin du prolétariat de détruire constamment les rapports sociaux qui persistent de la société de classes- et parce qu’il est évident aujourd’hui que l’État était l’instrument de la contre-révolution en Russie, les révolutionnaires doivent prendre en considération de façon sérieuse et pleinement analyser la possibilité que le prolétariat et l’État puissent ne pas être identifiés, que le prolétariat doit avoir non seulement son autonomie par rapport aux autres classes, mais par rapport à l’appareil d’État lui même tout en le contrôlant.

Mc Intosh : Internationalism-USA

(Novembre 1976)

Qui dominera l’économie ?

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  • En désaccord avec la position ci-dessus, ce texte défend l’idée que le Prolétariat sera une classe dominante comme les autres, y inclus sur le plan économique.

Qui dominera l’économie ?

Définition : Lorsque le prolétariat international conscient aura renversé l’ordre bourgeois à l’échelle mondiale, quand tous les États auront été renversés, lorsque toutes les années bourgeoises auront été battues, en bref, lorsque la “guerre civile” aura été gagnée, alors, par définition, la période de transition aura commencé.

Avertissement : La période de transition est tellement éloignée de nous que nous ne devrions pas nous attendre à être capables de déduire ses caractéristiques détaillées avec grande précision. Une grande part de notre discussion doit inévitablement être basée sur des suppositions, des conjectures et des présomptions. La nature spéculative de cette question, son éloignement historique et la division qu’elle peut causer dans nos rangs plaident tous pour une approche lente et prudente de la discussion.

Suggestions spécifiques :

1- Une discussion complète de la période de guerre civile est une condition préalable logique à une discussion méthodique de la période de transition. Ceci parce que l’héritage de la période de guerre civile conditionne fortement les possibilités de la période de transition et parce que certains problèmes de cette période seront posés d’une manière embryonnaire pendant la période de guerre civile.

De plus les discussions sur la période de transition qui ont lieu maintenant commencent toutes (comme elles le doivent) avec des hypothèses variées sur l’état du monde (un scénario) au commencement de la période de transition, mais dans la mesure où il n’y a eu aucune discussion méthodique de la guerre civile, ces hypothèses n’ont aucune base.

2- Le processus de discussion prend du temps, (c’est-à-dire, les délais dus à la lenteur du courrier international, le temps nécessaire pour prendre connaissance des éléments et composer une vue cohérente, etc.) et nous oblige donc à éviter la hâte, et à éviter que l’organisation prenne une “position officielle” avant que la discussion n’ait le temps de mûrir.

Heureusement, le déroulement des événements historiques ne force pas encore le prolétariat mondial ou nous-mêmes à définir des positions sur l’État dans la période de transition, immédiatement.

“L’État”: L’institution que nous appelons État a une longue histoire évolutive. La forme précise et la fonction de l’État diffèrent au fur et à mesure de l’évolution de la société et donc il serait a-historique de dire “l’État est toujours ainsi et jamais autrement”. Néanmoins nous savons qu’au coeur de L’État se trouve la notion de domination de classe sur l’ensemble de la société, ainsi, lorsque nous abordons la période de transition, les questions importantes seront : “quel les sont les classes et qui a le pouvoir sur l’ensemble de la société ?

L’État dans la période de transition

Quand le prolétariat aura “gagné” la guerre civile, il semblerait normal de dire que le prolétariat existe en tant que classe, à savoir qu’il a une fonction économique spécifique -(il est la source de toute valeur), il a une mission historique (le plein développe ment des forces productives, l’abolition du “règne de la pénurie”- pour instaurer la production pour l’usage, etc.), il a au moins atteint un certain niveau de conscience de classe (en vertu du fait qu’il a posé la question du pouvoir prolétarien à l’échelle mondiale) et il a une expression organisationnelle (les Soviets ou Conseils, comme le passé le montre mais peut-être que de nouvelles formes vont apparaître au travers de la lutte).

Quels pouvoirs seront entre les mains de la classe ouvrière ? Sûrement le monopole des “moyens de violence” appartiendra au prolétariat victorieux (c’est presque une question de définition, du fait qu’il est admis que toutes les armées opposantes auront été battues).

II semble logique d’admettre que le prolétariat occupera et de là, contrôlera toutes les usines, contrôlera directement la plupart des moyens de transport comme les chemins de fer, les bus, les camions, etc. Le contrôle de la production de carburant, de pièces détachées, de l’entretien et autres contrôles indirects ajouteront largement au pouvoir du prolétariat.

Le télégraphe, le téléphone, la télévision, les grandes stations de radio, et les grands journaux seront aussi dans les mains du prolétariat. Le contrôle du carburant, l’accès aux machines agricoles, aux engrais, aux moyens de transport, aux stocks, au processus de transformation et à la distribution, assurera au prolétariat le contrôle sur la plus grande part de n’importe quelle portion du secteur agricole pas encore contrôlée directement par des salariés agricoles travaillant dans des “fermes industrialisées”.

Qui aura la responsabilité finale et l’autorité pour fermer une usine, pour ouvrir une usine, pour instituer de nouvelles méthodes de travail ou pour créer un nouveau produit ? Sûrement le prolétariat tout seul. Donc, dans la période de transition il semble probable qu’une classe, le prolétariat, qui a une fonction économique objective, une conscience de classe subjective, et une mission historique aura un pouvoir prédominant sur l’ensemble de la société en vertu de sa force économique, politique et militaire, autrement dit : “la dictature du prolétariat”.

Ainsi, à la question : y a-t-il un État dans la période de transition ? Nous répondons :
oui, la dictature du prolétariat exerce le pouvoir d’état.
A la question : existe-t-il un État en dehors des Soviets ? Nous répondons :
NON, la position dominante dans la société est tenue par le prolétariat dont le mode d’organisation est les conseils ouvriers.

Problèmes de la période de transition

Le tableau du pouvoir prolétarien décrit ci-dessus signifie-t-il un “communisme instantané” ? N’y a-t-il pas des menaces pour le pouvoir prolétarien ou de sérieux obstacles sur le chemin du communisme ?

Établir une production pour l’usage est une formidable entreprise. La meilleure volonté du monde ne sera pas suffisante au prolétariat pour réorganiser la production et la distribution de façon à ce que les besoins matériels de tous puissent être satisfaits à un haut niveau et avec une parfaite équité en un clin d’oeil. De telles choses prennent du temps. S’il y a de sérieux délais, des maladresses, des hésitations et des erreurs dans les travaux élémentaires de réorganisation de la production et de l’intégration complète de toutes les couches, alors il y a danger pour que le haut niveau de conscience de classe nécessaire pour un tel travail ne puisse être maintenu et développé. Si la classe ouvrière devient apathique, si les conseils ouvriers sont noyautés par des cliques aux intérêts particuliers ou par des intérêts locaux ou régionaux, si des mesures contraires à la classe ouvrière dans son ensemble et à la mission historique de réorganisation totale de la production sont prises et permises alors il est possible que les conseils ouvriers ces sent d’être en fait des conseils ouvriers et se transforment en organes d’un pouvoir d’État sur le prolétariat, en un développement contre-révolutionnaire.

Au contraire, si le prolétariat victorieux fournit à lui-même et à toute la société de réelles améliorations, si le décuplement des forces productives est ressenti partout, l’optimisme et l’enthousiasme se développeront d’eux-mêmes. L’amélioration des conditions générales après des années d’un long déclin et après les interruptions et convulsions de la période de la guerre civile, coupera l’herbe sous le pied de toutes forces d’opposition encore existantes et ajoutera à la stabilité et à l’énergie du nouveau régime.

En bref, les tâches sont difficiles, les dangers réels, et le meilleur espoir repose sur une réorganisation de la production aussi rapide et complète que possible.

Commentaires de quelques idées en discussion

La notion selon laquelle il doit y avoir un appareil d’État en quelque sorte en dehors de la dictature du Prolétariat est vague, confuse et contradictoire. Elle est vague parce que la constitution, les pouvoirs et les relations d’une telle chose avec la dictature du prolétariat n’est jamais claire. Elle est confuse, parce que cet État hypothétique est parfois vu comme soumis à la dictature du prolétariat et parfois comme son antithèse, quelques fois comme une création du prolétariat, d’autres fois comme une création d’autres classes non précisées. Elle est contradictoire parce que dans une lutte entre deux classes opposées, le pouvoir prépondérant peut appartenir à l’une ou à aucune, mais jamais aux deux, donc l’existence de la dictature du prolétariat exclut un État non prolétarien par le fait même que la guerre civile est terminée.

Un autre problème en discussion est la possibilité que l’appareil de dictature du prolétariat en arrive à un tel degré d’autonomie que cela sape les bases de la révolution. Il y a bien sur un certain degré d’autonomie dans toute institution humaine, la question est quel degré et quels moyens de redresser la situation sont possibles. L’insistance sur la complète démocratie et l’égalitarisme, caractéristiques de la classe ouvrière en mouvement, semble être la forme “enfui trouvée” pour la classe ouvrière d’aborder le problème de garder bien à soi ses organisations. Enfui, aucune règle purement formelle ou aucun expédient bureaucratique ne peuvent se substituer à une conscience de classe hautement développée et enthousiaste.

Ceux qui posent le prétendu danger de l’autonomie institutionnelle, défendent l’idée que la mort de la révolution russe fût le fait, en majeure partie, de la conduite de l’appareil d’État russe considérée comme contraire aux intentions et en dehors du contrôle du parti bolchevik. Quels que soient les mérites de cette remarquable thèse, elle vaut à peine d’être discutée pour elle-même dans le contexte de la révolution russe et pas simplement d’être considérée comme “prouvée”, et collée dans le contexte de l’État dans la période de transition, un niveau que la révolution russe n’atteignit jamais.

Quelques uns disent que dans la période de transition, le prolétariat “sera toujours une classe exploitée et ne tirera aucun pouvoir économique directement du processus de production”. Comment le prolétariat, qui contrôle la production, peut-il ne pas tirer un pouvoir économique du processus de production ? Comment la classe, alors qu’elle détient le monopole des armes, pourrait-elle être exploitée ?

La possession des usines, le monopole des armes et l’organisation consciente de la classe signifient un pouvoir économique et politique énorme dans les mains du prolétariat. Une victime peut être exploitée si elle se trouve face à une force écrasante ou à une ruse supérieure. Certainement que personne n’aura l’avantage sur le prolétariat victorieux dans aucun de ces domaines.

D’autres disent que “l’État” consistera en des “conseils régionaux”... qui n’auront “aucun pouvoir quel qu’il soit dans la société”. Comment une organisation sans aucun pouvoir peut-elle espérer avoir un rôle répressif ou médiateur dans la société, n’est pas expliqué. Pourquoi le terme d’“État” qui d’habitude s’accompagne de notions de domination, s’appliquerait-il à un tel organe sans consistance, n’est pas non plus expliqué.

II est dit que “l’État ne peut appartenir qu’à la classe exploiteuse”. Historiquement, les seuls États qui n’aient jamais existés appartenaient à des classes exploiteuses mais nous faisons l’hypothèse de la domination du prolétariat, classe non-exploiteuse, et pourtant alors classe dominante. L’État, jusqu’à présent, dans la mesure ou ce terme a une définition universellement applicable, est la somme de toutes les formes institutionnelles qui expriment et maintiennent la domination de la classe dominante sur l’ensemble de la société. La somme de toutes les institutions qui expriment et maintiennent la dictature du prolétariat est par définition, l’État du prolétariat.

Réfuter l’existence d’un État prolétarien, c’est ou bien nier la possibilité de la dictature du prolétariat, ou bien redéfinir radicalement le sens du mot “État”.

Y.B./E.M. Intemationalism-USA

(Avril 1977)

La domination économique et politique de la Période de Transition

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  • Une réponse au texte précédent; il définit le cadre de la politique économique du Prolétariat, et expose les limites à sa marge de manoeuvre dans la Période de Transition

 

La domination politique et économique de la période de transition

En opposition au projet de résolution sur l’État dans la période de transition, qui affirme qu’il n’y a pas de mode de production spécifique dans la période de transition, les camarades de Toronto (compte-rendu du 6 juin 1977) déclarent que: “Quand les ouvriers dominent politiquement, ils dominent l’économie puisqu’ils ont déjà les leviers de la production, littéralement, entre leurs mains.” Et : “le mode de production est la production socialisée, c’est-à-dire, la production de valeurs d’usage, le mode de production communiste à l’état embryonnaire”.

Mais la domination de l’économie dont parlent ces camarades, n’ira pas “de soi”. La base matérielle du mode de production communiste est le développement de la technologie et une abondance des forces productives, planifiée à l’échelle mondiale. La “domination politique” n’est que la pré-condition de cette abondance matérielle future, caractéristique fondamentale d’une société communiste. Cette domination économique (et la politique économique qui en découle) ne mène pas automatiquement à un tel développement des forces productives. Il n’y a pas non plus de rapport constant, immédiat entre le contrôle politique de la classe et sa capacité à augmenter la productivité.

En réalité les camarades de Toronto parlent d’une sorte de “contrôle ouvrier” sur l’économie dans la période de transition. Et ils attribuent à ce contrôle, l’étiquette de “mode de production”. Cette conception, cependant, relève d’un certain manque de compréhension, quant à la nature du prolétariat et aux complexités de la période de transition.

Tant que des classes existent, tant qu’il n’y a qu’un secteur socialisé, le prolétariat ne peut avoir de réel pouvoir “économique” dans la société. Le simple fait que la force de travail ne soit plus une marchandise, le simple fait que la bourgeoisie et son État aient été renversés, ne signifient pas que le prolétariat a “le pouvoir économique”. Sa tâche est de développer les forces productives selon les orientations socialistes, et il doit faire face à tous les vestiges des sociétés de classes précédentes avant de pouvoir réellement accomplir cette tâche. Avant que ce but soit réalisé, il est ridicule de présenter l’instabilité économique évidente de la production dans le secteur socialisé comme un “mode de production” comme le “communisme à l’état embryonnaire”.

Même un rapide rythme de développe ment des forces productives dans la période de transition ne nous autoriserait pas à parler d’un “pouvoir économique croissant” du prolétariat. Ce rythme sera lui-même déterminé non pas tant par la volonté de la dictature du prolétariat, mais plutôt par les limites concrètes imposées par une société de transition, par un contexte social encore dominé et déformé par la pénurie, par les dislocations et les ravages de la guerre civile, etc.. Le rythme est donc subordonné à des facteurs externes. Comment parler alors de “domination économique” quand cette “domination” sera elle-même dominée à un moment donné, ou tout au moins conditionnée, par le caractère hybride de la période de transition ?

Bien sûr, il est facile de semer à la ronde des illusions triomphalistes sur le “secteur autogéré”, et même sur “le socialisme” ou le “communisme à l’état embryonnaire” et autres confusions. Mais les révolutionnaires doivent combattre ces illusions sans pitié, car elles ne peuvent qu’obscurcir la vraie nature de la période de transition et de la dictature du prolétariat. Parler de façon irresponsable d’une prétendue “domination économique”, c’est parler en fait du pouvoir économique qu’aurait le prolétariat dans une société encore capitaliste à bien des égards (simple production de marchandises par exemple, énorme fragmentation de la vie sociale, etc..). En réalité, le prolétariat dans le secteur socialisé n’aura qu’un pouvoir matériel en quelque sorte hybride, sans cesse déformé par des pressions extérieures qui échappent à son contrôle purement économique. La potentialité de ce pouvoir aura encore à s’épanouir, principalement à travers une politique économique rationnelle subordonnée aux besoins politiques du prolétariat. Il ne serait d’aucune aide d’appeler cet état de fait “communisme à l’état embryonnaire” quand la réalité pourrait encore ramener tragiquement à un “capitalisme embryonnaire s’il y a la contre-révolution.

La question de savoir si le prolétariat développera suffisamment les forces productives pour s’abolir lui-même et toutes les autres classes, dépendra de sa domination politique sur l’ensemble de la société de transition. Cette conscience proviendra de sa condition historique et réelle, comme classe économique et révolutionnaire, et non pas directement du secteur socialisé instable, ni de décrets vides de sens sur “la domination économique” ou sur le communisme embryonnaire. Les lois ne sont jamais supérieures à la réalité économique qui leur a donné naissance.

Ainsi la capacité du prolétariat à accroître le volume et la qualité des valeurs d’usage pour sa propre consommation, processus qui est lié à l’intégration du reste de l’humanité dans le travail productif, dépend essentiellement de la conscience de classe du prolétariat, c’est-à-dire de sa conscience politique. Cette auto-activité s’exprime en retour dans la capacité du prolétariat à maintenir vivants ses organes de domination de classe, dans un état de vigilance permanente, de débat et de clarification quant aux buts finaux de la révolution prolétarienne. Elle s’exprime aussi dans la capacité de la classe à convaincre, à persuader les autres couches travailleuses de la société que leur avenir repose dans leur identification avec le prolétariat et leur intégration en son sein.

Les ressources matérielles et culturelles du prolétariat vont croître et se déployer dans des dimensions sans précèdent si sa politique économique se développe sans trop d’obstacles. Mais à tout moment particulier dans cette transition, le champ d’activités matériel, “économique”, du secteur socialisé est par définition insuffisant pour l’accomplissement de ces tâches. Parler de “domination économique” du prolétariat dans de telles conditions équivaudrait à considérer soit que le prolétariat a déjà accompli sa tâche de réaliser le communisme, soit que la classe ouvrière a son propre mode de production simplement parce qu’elle a accès au secteur socialisé et que donc “le communisme à l’état embryonnaire” peut coexister avec un océan de simple production marchande et de fragmentation sociale.

L’une et l’autre de ces deux conclusions fausses signifient que le prolétariat devrait donner son assentiment au statu-quo, accepter la permanence de la période de transition et signifie en fait l’affaiblissement de la dictature du prolétariat face à l’État et aux autres couches. Dans la période de transition, la substance du communisme ne se manifeste pas, à travers le “contrôle” des moyens de production par les producteurs. Les nouveaux rapports de production sont encore fondés sur une base matérielle insuffisante, aussi longtemps que le reste de l’humanité ne fait pas partie d’une unité sociale collectivisée. Le règne de liberté que le prolétariat construira sera pour tous, et non pour lui-même en tant que catégorie sociale encore aliénée. Le développement du temps libre, l’élimination de la division du travail, des différences entre travail intellectuel et manuel, entre ville et campagne, toutes ces tâches exigeront dans le futur la participation constante de l’ensemble de la société.

J. Mc Iver ; World Révolution- Grande Bretagne (Juin 1977)

Classe et État dans la Dictature du Prolétariat

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Cette contribution considère l’État de la Période de Transition comme une expression socialiste du Prolétariat et rejette la nécessité de vigilance à l’égard de l’État.

 

CLASSE ET ÉTAT DANS LA DICTATURE DU PROLETARIAT

1. Dans l’enchaînement des diverses phases des modes et formes de production sociale, sitôt la dissolution du communisme simple et grossier des temps primitifs, l’État apparaît à un moment déterminé du développement économique sur un territoire inscrit à l’intérieur de frontières, en lieu et place de la “Gens” consanguine. A la fois, il est l’organisme spécial rendu nécessaire par l’accroissement encore très faible des richesses maternelles, tout autant que de l’insuffisance de cette production incapable de satisfaire les besoins grandissants de la collectivité. A ce titre, il répond aux besoins d’organiser la société, celle-ci divisée en classes antagoniques, et son existence même prouve que les contradictions sociales sont devenues inconciliables. Dès son apparition, l’État s’accompagne de la création d’un corps spécialisé, bande année pour protéger et rendre possible la perpétuation des privilèges de la classe qui s’est appropriée la maîtrise des moyens de production et en contrôle la répartition forcément inégale.

2. Si le rôle de l’État peut provisoirement et de façon exceptionnelle éviter que la société ne se consume en luttes stériles, cela ne signifie pas le moins du monde qu’il parvient à concilier sur le terrain d’entente “démocratique” les antagonismes qui travaillent la société, qu’il a cessé de maintenir l’ordre public au profit de la classe dominante. Constituant une force coercitive de première force, un appareil administratif et militaire distinct du reste de la société, au lieu d’exclure les collisions sociales l’État aiguise toujours davantage les contrastes sociaux, surtout aux époques marquées par le mûrissement de la décadence de la classe régnante. Il n’est pas -et ne saurait devenir le couronnement d’un intérêt collectif. Il reste un instrument oppresseur de classe. En règle générale, l’État est la force et la puissance concentrées de la classe qui s’est imposée politiquement et militairement dans le rapport de forces historique.

3. Ainsi, le statu-quo social s’appuie et reflète la sujétion de toutes les autres formations sociales tenues en laisse. Mais celui-ci ne saurait être stable au sein d’une société continuellement déchirée par les antagonismes et luttes de classes. Dans une société basée sur l’antagonisme entre forces productives et rapports de production, il n’y a pas de statu-quo qui tienne, mais une succession de crises et de convulsions sociales. D’autres classes et couches de la société se disputent la revendication exclusive du pouvoir politique pour la défense de leurs propres intérêts; enjeu de cette lutte, l’appareil d’État devient, du coup, l’agent actif de la guerre civile. Loin de servir de tampon amortissant le choc des classes qui se heurtent de front, l’État remplit parfaitement sa fonction de trique entre les mains de la classe dominante, II est bel et bien l’organe d’une classe dans la mesure où il concrétise et symbolise la conservation des intérêts de celle-ci.

4. Alors que la bourgeoisie avait réalisé d’immenses progrès par une pénétration lente et graduelle de l’État d’Ancien Régime sur la base de la croissance irrésistible du capitalisme commercial à l’intérieur du cadre féodal, à l’inverse le prolétariat ne peut pas se servir des institutions et des organes de l’État issu des révolutions démocratiques libérales pour amener les nouveaux rapports de production. Ne possédant aucune assise économique, la classe dont la vie et la mort dépendent de la vente de sa force de travail, esclave de la classe bourgeoise toute entière, le prolétariat ne combat pas son ennemi de classe pour simplement lui arracher la mainmise sur l’appareil gouvernemental et le faire servir, tel quel, à ses fins propres : la suppression de la propriété en tant que telle. Quelle que soit la forme particulière que se donne l’État pour gouverner les hommes, il doit être réduit en pièces par la première classe de l’histoire qui soit à la fois classe exploitée et classe révolutionnaire, de laquelle seule dépend le départ ascensionnel de la société vers la communauté de l’espèce.

5. Bien qu’unique classe de l’histoire qui ne limite pas sa lutte sur l’objectif borné du pouvoir politique, mais qui s’assigne le grandiose projet de libérer l’humanité par l’établissement de nouveaux rapports de production, le prolétariat a besoin d’un État. Dans sa lutte contre la bourgeoisie, le prolétariat se constitue en classe dominante pour qui l’utilisation d’un appareil d’État reste l’instrument indispensable. Alors que les classes exploiteuses firent usage de l’État pour imposer et maintenir leur régime de violence, à son tour le prolétariat utilise et hérite d’une superstructure pour extirper toute racine d’exploitation et briser les dernières entraves au développement des forces productives. S’il pouvait être possible de supprimer sur le champ la division de la société en classes et d’aller du capitalisme au socialisme d’un bond, au moment de la crise du renversement politique de la bourgeoisie, les marxistes n’auraient jamais introduit la notion de “demi-État” en parlant de la Commune et d’Octobre.

6. La chute de la classe exploiteuse n’est que le premier acte de la révolution prolétarienne. Avant de parvenir au communisme, la société doit traverser une période transitoire encore divisée en classes à cause de l’immaturité des conditions de la société socialiste et qui, comme telle, engendre un État qui n’est rien d’autre que l’organisation d’une classe. Toute classe dominante venant d’être renversée n’est pas pour autant anéantie. Elle continue d’exister à l’état de puissance et, comme telle, constitue une véritable épée de Damoclès. Loin de déposer une fois pour toutes les armes aux pieds du vainqueur, elle cherche à organiser, à tout prix, un front de lutte militaire pour rétablir son ancienne domination sur la société. Ce qui a valu pour la bourgeoisie ayant à briser l’épine dorsale de la coalition des classes et ordres déchus, fomentant complots et Vendée, vaudra tout autant pour le prolétariat.

7. À son tour, le prolétariat utilise un instrument de contrainte sans lequel il ne lui serait pas possible de repousser les attaques et d’écraser les forces de la contre-révolution, de briser la résistance forcenée de la bourgeoisie à son expropriation. Plus la résistance de cette dernière sera grande et désespérée, plus la dictature prolétarienne se devra d’être inflexible et d’aller, dans les cas extrêmes, jusqu’à déclencher la Terreur, telle que nous le montre l’histoire vivante de toutes les révolutions, de la Réforme à Octobre en passant par la Commune. Une loi, valable pour toutes les révolutions, est fécondée par la lutte des classes : plus celles-ci gagnent d’ampleur, plus la guerre civile se fait impitoyable et acharnée. En temps de guerre civile, il est compréhensible que qui ne veut pas être exterminé doit liquider son adversaire. Le but n’est pas de supprimer des vies humaines, mais bien de les préserver dans son propre camp.

8. À la vieille machine qui a été démantelée succède la dictature du prolétariat, autrement dit le nouveau demi-État du prolétariat. La définition marxiste selon laquelle “l’organe central d’une classe dominant toutes les autres c’est l’État” garde toute sa signification historique en ce qui concerne le prolétariat, et ne souffre aucun démenti après les expériences d’Octobre, du nazisme et du fascisme. Cet “État-Commune” caractérise non pas le communisme mais la dictature d’une classe qui ne se déploie nullement dans des conditions de liberté. Cette dictature s’appuie sur le prolétariat en armes et non sur telle ou telle institution issue d’une consultation démocratique de toute la population. Au parlementarisme sénile, la révolution prolétarienne a substitué le système des Soviets; les prolétaires ont expulsé, sous la menace de leurs baïonnettes, les doctes assemblées démocratiquement constituées. La légalité bourgeoise s’est évanouie devant la force du prolétariat.

9. Il n’est pas possible d’envisager que la nouvelle forme de gouvernement dans la période de dictature n’ait aucune nature de classe sans répéter une formule vide de sens, stérile et non marxiste. D’aucune façon, elle n’élève la connaissance des règles programmatiques de la victoire du fait qu’elle renverse toute une vision historique, à savoir qu’État et dictature d’une classe sont synonymes pour lui substituer une pure abstraction. Comme tel, l’État n’a pas une vie propre, autonome, détachée fantastiquement des caractères spécifiques de la classe dominante. Dans le renversement violent de la bourgeoisie, la domination du prolétariat s’exprime à travers un demi-État, un État-Commune. Certes, le demi-État, dans la mesure même où il demeure un instrument de contrainte sur les hommes ne symbolise pas le socialisme, société sans classe, ni État. II n’est qu’une étape transitoire de la marche vers le socialisme, l’expression de la volonté de lutte du prolétariat.

10. En ce sens, l’exigence d’un “demi État” n’est pas la négation du caractère communiste du prolétariat, de même que l’instauration de celui-ci en classe dominante n’est pas synonyme d’émergence d’une nouvelle classe exploiteuse faisant peser sur la société une forme spécifique d’exploitation. A l’opposé de l’anarchiste, dénué de toute vision dialectique pour qui l’État est par principe “dépravateur”, le révolutionnaire doit en admettre la nécessité pour le prolétariat et l’appliquer le cas échéant, s’il ne veut pas échouer, à l’instar du libertaire, devant la question du pouvoir. La destruction de l’État bourgeois supprime un obstacle décisif pour l’avènement des nouveaux rapports de production ; mais comme le socialisme ne saurait se réaliser sans révolution, c’est-à-dire sans intervention de la violence, il faut un État de la classe révolutionnaire pour ouvrir la voie au socialisme en dissolvant par un acte politique conscient les anciennes conditions d’exploitation.

11. Contrairement à la bourgeoisie, classe très partiellement brimée par l’Absolutisme, et dont la révolution consista à rompre l’éloignement du pouvoir politique pour que ses représentants les plus éminents se hissent à la sphère privilégiée des gouvernants, ceci parachevant sa puissance définitive, par sa révolution le prolétariat n’organise pas une partie dominante de la société aux dépens de la société toute entière comme dans la révolution bourgeoise. Classe qui, par sa souffrance possède un caractère universel, le prolétariat ne revendique pas le rétablissement de ses “droits’ particuliers parce qu’il n’en a aucun. Ce qui fait que la révolution prolétarienne est une révolution politique à âme sociale, c’est la nature de son artisan, le Prolétariat, qui se débarrasse de l’enveloppe politique de son mouvement dès que commence son activité constructive. Pour la première fois de l’histoire, c’est une révolution politique qui précède et réunit les conditions de la transformation sociale. Le secret de l’extinction de ce demi-État est contenu dans l’exécution des mesures politiques, économiques et sociales qui réunissent les conditions nécessaires et indispensables pour le dépérissement de l’État : l’épanouissement croissant de la production de richesses sociales. En se libérant, le prolétariat libère toute l’humanité. L’émancipation du prolétariat est l’émancipation de l’humanité. La révolution ne peut se réaliser sans la suppression du prolétariat, le prolétariat ne peut se nier sans la réalisation du communisme.

12. La forme et la représentation politique de l’État du prolétariat se fonderont sur les organismes unitaires nés lors de la période pré-insurrectionnelle. La réponse immédiate et fondamentale que le prolétariat doit apporter au problème de l’organisation de sa propre dictature est de la conserver entre ses mains, et pour la maintenir réellement, la révolution doit s’étendre à plusieurs aires géographiques. Au lieu de constituer un appareil séparé avec son corps de fonctionnaires permanents, le prolétariat fusionne en un tout organique pouvoir législatif et pouvoir exécutif. Tandis que sous la démocratie formelle il est fait abstraction du dualisme existant entre société réelle et société légale, où chaque homme mène une vie double, une en tant que membre de la société réelle, l’autre comme citoyen de l’État, le demi-État réunit la société en un tout unitaire. La participation la plus large, effective, directe de l’immense majorité des travailleurs à tous les échelons de la gestion de l’État-Commune marque un moment décisif du procès de disparition de l’État. Expression de la nécessité de gouvernement, les Soviets préparent la société à se passer de l’État.

13. Prétendre que de tous temps l’État a constitué une force, sinon réactionnaire, du moins conservatrice, c’est reprendre à son compte l’explication anarchiste de l’histoire. Un principe fondamental du marxisme consiste à réfuter l’automatisme économique, négateur du rôle joué dans l’histoire par les superstructures. En face des courants de “lutte économique pure”, l’effort du marxisme a consisté à montrer l’effet des superstructures dans le procès de révolutionnement de la base économique. Marx, qui a reconnu le caractère progressif du féodalisme par rapport à l’esclavagisme, a mis en lumière le rôle de la Monarchie absolutiste du XVIIIème siècle pour son oeuvre de sape des ordres parasitaires, pour son action de développement des manufactures et du commerce extérieur. L’autorité royale a préparé les conditions matérielles de la révolution bourgeoise, tout comme la bourgeoisie a élaboré les prémisses pour la construction du communisme après avoir retiré au travail social son caractère individuel. Aux yeux d’Engels, l’existence de plusieurs États nationaux solidement campés sur leurs bases géographiques, la course aux profits et aux marchés fut un pas énorme de l’évolution de l’humanité. Les grandes découvertes technologiques et l’essor économique, bien qu’asservissant encore plus le travail vivant au capital, ont aplani la voie du progrès humain.

14. À l’aide du suffrage universel, la bourgeoisie propagea la fiction idéologique du principe égalitaire dans la participation de toutes les classes (Peuple) à la marche de l’État. Ainsi, elle réussit à dissimuler aux yeux des classes exploitées la véritable nature de l’État, dans les faits elle écrasait les premiers mouvements autonomes de la classe, prélude immédiat de la révolution du prolétariat moderne.

A la différence, le prolétariat proclame hautement les buts de classe du nouvel État. Ce dernier ne constitue pas une arène parlementaire pour permettre “en toute liberté” les exhibitions politiques de chaque parti. Il ne sanctionne pas un compromis entre eux : il est l’expression d’un rapport de force et s’en revendique pleinement. Aucune autre classe que le prolétariat ne pourra porter les armes, aucun conseil composé de couches ne vivant pas de leur travail ne sera toléré. Dans l’ordre historique, la formation de la classe précède celle de l’État, le droit suit et cristallise le fait. Ces lois édictées par le demi-État mettront hors la loi toutes les couches exploiteuses qui seront considérées comme otage de guerre. Afin de vaincre la contre-révolution, le prolétariat peut parfaitement décider des mesures de conciliation avec les couches paysannes pour leur faire supporter le fardeau de la guerre civile. En ce sens, il ne s’agit jamais d’un partage du pouvoir. Sous ce rapport, le rôle de l’État-Commune consiste à mobiliser tous les exploités dans l’oeuvre générale de l’instauration du communisme. Plutôt que d’utiliser et exercer aveuglément la violence sur celles-ci en cas de résistance de leur part, le prolétariat doit s’efforcer de les élever à la conscience de la nécessité du socialisme.
Tout en dirigeant la grande masse de la population laborieuse non prolétarienne vers le secteur de la production socialisée, la dictature saura rester vigilante et prendra garde à leurs toujours possibles oscillations.

15. Si la violence doit être employée énergiquement contre la bourgeoisie, avec prudence et circonspection sur les couches intermédiaires, elle doit être strictement exclue dans les rapports qui régissent la vie de la classe révolutionnaire, le prolétariat. A l’intérieur de la classe qui défend et incarne la révolution, aucun recours à des méthodes coercitives ne saurait être toléré un seul instant; aucune atteinte ne pourra être admise dans la vie des formations politiques agissant et s’orientant autour du programme de la révolution communiste. Face à un possible éclatement de conflit dressant le prolétariat à l’État, le rôle des communistes ne peut que consister dans l’élévation de toute la classe ouvrière au niveau de l’avant-garde communiste. Le drapeau de la révolution se trouverait souillé de façon indélébile si jamais l’État de la dictature exerçait sa contrainte sur le prolétariat. Dès que le problème de l’emploi de la violence surgit en ces termes, se pose le problème de la dégénérescence de la Révolution. Pour ne pas recommencer la tragédie de Kronstadt, l’issue et la solution des terribles difficultés, la seule garantie de la victoire réside dans le triomphe du prolétariat à l’échelle mondiale.

16. État à caractère transitoire destiné à s’éteindre, celui de la dictature du prolétariat ne peut s’enfermer dans un ensemble de règles stables, dans une constitution immuable. Étant donné que la révolution ne se résume pas à une simple question formelle, il s’ensuit que la contre-révolution ne peut dériver et trouver son origine dans la conception visuelle bolchevique de l’État. Contrairement à ce que croient les anarchistes, l’État n’a aucune nature “inhérente” ou comme chez les réformistes et révisionnistes de la IIème Internationale, ne représente un organe “neutre” au-dessus des classes par vocation, indépendant de leurs luttes. Encore une fois, il est l’organe, le prolongement de cette classe. Aussi, ne sert-il à rien de tergiverser et d’éluder le problème: La dictature du prolétariat constitue un État. Mais, fait sans précédent dans l’histoire autre que la Commune et l’Octobre prolétarien, c’est l’État de l’immense majorité sur une infime minorité d’exploiteurs déchus de tout droit. Pour la première fois, la classe ouvrière se “gouverne” elle-même ; pour la première fois il n’y a non pas participation forcée à la vie sociale, mais adhésion consciente et volontaire.

17. Ce serait par trop simpliste d’imputer la dégénérescence de la révolution de la méthode d’identification “État-prolétariat”. Lors de sa fondation, l’État ouvrier se reliait intimement à la lutte du prolétariat mondial. À cet instant, il ne se pose pas le problème d’édification du socialisme par le triomphe des plans quinquennaux, de conquérir à la sueur du prolétariat, une position économique consolidée sur une arène impérialiste. Pour parvenir à l’État contre-révolutionnaire, pour que l’État surgissant d’Octobre se transforme en une machine de guerre contre la classe, en un État typique de la période de décadence avec son lot de capitalisme d’État, il a fallu passer par tout un processus contre-révolutionnaire au niveau international. Le divorce s’opérant entre le mouvement révolutionnaire international et les tâches spécifiques russes que s’assigne l’État soviétique proviennent de la défaite en 1923. Des défaites sanglantes subies sur le théâtre gigantesque de la révolution mondiale, de l’Allemagne à la Chine, devait naître, d’abord en Russie, le stalinisme. Celui-ci dut s’emparer non seulement de l’État, mais encore et surtout du Parti et de l’Internationale. Toute cette politique contre-révolutionnaire est symbolisée par l’exclusion des fractions de la Gauche et le bannissement des compagnons de Lénine ; elle est marquée par l’introduction, en contrebande, de la théorie frauduleuse du “socialisme en un seul pays”.

18. En définitive, il faut considérer cet État-Commune comme un des instruments de la lutte mondiale du prolétariat ; le subordonner à la seule et unique direction de l’Internationale. Tant que son rôle et son but n’entrent pas en contradiction avec ceux du prolétariat -l’écrasement du capitalisme international- il représente une force d’appui pour la lutte des exploités.
Si la révolution n’éclate et ne se poursuit pas en d’autres pays, aussi bien l’Internationale que l’État ouvrier seront engloutis dans un rapide cours de dégénérescence. Tout comme l’Internationale représente la cristallisation la plus haute, la conscience la plus parfaitement élaborée, l’État ouvrier quant à lui est la “forme enfin trouvée” dans et par laquelle les prolétaires se rassemblent et agissent pour faire valoir leurs intérêts généraux de classe qui sont aussi ceux de l’humanité toute entière. Entre l’Internationale Communiste et l’État ouvrier, il ne s’intercale aucun rapport d’antagonisme principiel. Issu du mouvement révolutionnaire victorieux à l’échelle d’un pays donné, l’État ouvrier est une réalisation de tout le prolétariat international, le premier épisode de l’entrée fracassante de la Révolution Mondiale sur la scène de l’histoire. A ce titre, il est le dépassement des limites nationales imposées au prolétariat par la division du monde en nations, blocs et continents.
Par suite de la contre-révolution, par après la victoire du stalinisme et du changement total d’orientation politique découlant de la funeste théorie du socialisme en un seul pays, il y eut brisure, séparation des rapports reliant l’État ouvrier à l’internationale Communiste; empêchement du contrôle absolu de l’État par celle-ci.
Une véritable reconstitution de l’organisme révolutionnaire d’avant-garde, l’enrichissement réel du patrimoine idéologique exigent et dépendent de la conservation pleine et entière de ces deux acquis fondamentaux que constituent le Parti Mondial et 1’État Ouvrier.

R.C.; Révolution Internationale / France, (Mai 1977)

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [31]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [32]
  • La dictature du prolétariat [2]

Quelques remarques sur l’État dans la Période de Transition

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Cette intervention affirme au contraire la nécessité d’une distinction claire entre les organes révolutionnaires de la classe ouvrière -les conseils ouvriers- et l’État qui reste essentiellement conservateur.

  • Quelques remarques sur l’État dans la Période de Transition

1- INTRODUCTION

Ce texte a pour origine le débat qui est en cours dans tout le CCI, et en particulier dans une réunion récente de la section de Londres de “WR” qui a semblé, tout au moins pour l’auteur de ce texte, mettre particulièrement en relief un certain nombre de points de désaccord.

Jusqu’à présent il a été généralement reconnu qu’il y a 2 positions sur l’État : la position “majoritaire” adoptée dans les ré solutions votées aux Congrès de RI, WR et Internationalisme et la position “minoritaire” défendue par S. et M. d’Internationalisme. Cependant depuis la parution du texte de S. et M., avec de plus amples discussions et la publication d’un texte du camarade YB d’Internationalism, il est devenu clair qu’il existe des points de désaccord plus profonds. Alors que S. et M. insistent sur la nature prolétarienne de l’État dans la période de transition (c’est-à-dire que c’est un “État ouvrier”), YB. semble suggérer que les Conseils ouvriers sont les dépositaires du pouvoir d’État lorsqu’il répond “non” à la question “Y a-t-il un État en dehors des Conseils ouvriers” car “le pouvoir dominant dans la société est détenu par le prolétariat, dont le mode d’organisation est les Conseils ouvriers”. Ce sont deux positions apparemment différentes -l’une proclamant la nature prolétarienne de l’État, l’autre proclamant la nature étatique des Conseils- mais en fait elles sont les deux faces de la même médaille. Elles naissent de la même erreur, qui fut si désastreuse en Russie, de confondre le rôle révolutionnaire de transformation des Conseils ouvriers, avec la nature réactionnaire de conservation de l’État de ta période de transition. Ce texte essaiera de considérer le problème sous trois aspects:

  • Comparaisons historiques avec les États ayant existé dans le passé.
  • Les rapports entre le prolétariat et l’État de la période de transition.
  • Les rapports du prolétariat avec les autres classes et couches de la société de transition.

2- Dans quelle mesure peut-on faire des comparaisons théoriques entre l’État de la Période de Transition et les États ayant existé à d’autres époques ?

Une grande partie de la discussion entre la “minorité” et la “majorité” tourne autour de la question historique de savoir si l’État est par “nature” réactionnaire ou non. Du point de vue de chacune des positions défendues, l’autre semblerait adopter un point de vue mécaniste. Ceux qui disent, par exemple, que l’État “doit être défini concrètement comme l’instrument de la classe dominante qui est soit progressive, soit réactionnaire selon l’époque historique” (Internationalism, Toronto) considérant qu’on ne peut voir l’État comme une “chose en soi”, abstraite, tandis que ceux qui défendent l’idée de la nature conservatrice inhérente de l’État répondent -tout aussi justement- que son rapport à la classe dominante n’est pas suffisant pour le rendre automatiquement “progressif” quand la classe dominante l’est.
Cependant, cette discussion tout en étant intéressante, peut dégénérer très vite et devenir stérile ; elle ne pourra jamais être résolue, et en fait, contribue peu à clarifier la nature de l’État de la période de transition. Nous devons être absolument clairs sur ce point : il n’y a pas de précédent pour la période de transition, et l’État de cette période sera fondamentalement différent de tout autre État.
Tout d’abord en ce qui concerne le rapport de l’État avec le reste de la société. L’État bourgeois trouve ses racines dans la société capitaliste, et il est en harmonie avec elle. Ce sont les rapports sociaux capitalistes qui donnent forme et substance à l’État. En ce sens, il est une expression de l’ensemble de la société, car l’ensemble de la société est organisé autour du mode de production capitaliste. Comme Inter/Toronto l’a dit “le capitalisme est un système social d’exploitation qui est fondamentalement violent” et si l’État bourgeois est essentiellement violent, c’est parce que les rapports de production du capital sont essentiellement violents. Ce n’est pas le cas dans la période de transition, à ce moment là les rapports de production, bien qu’encore dominés par la loi de la valeur au début, ne sont plus soumis à une classe économiquement dominante. Au contraire, pour la première fois dans l’histoire, une classe exploitée détient le pouvoir politique, qu’elle doit imposer constamment, contre la tendance de la loi de la valeur à se ré-établir. Il y a donc une non-unité fondamentale entre les rapports de production existants encore marqués par les vestiges de la loi de la valeur et la classe dominante, comme il n’en a jamais existé dans aucune société du passé. L’État bourgeois par exemple, n’a pas connu de période de transition ; la bourgeoisie ne s’est saisie du pouvoir politique que lorsque son pouvoir économique, son mode de production, était déjà fermement établi.
Étant donné cette non-unité, il est évidemment faux de dire, comme S. et M. que “Par l’intermédiaire de l’État, une classe déterminée domine, et s’en sert pour défendre ses intérêts contre les intérêts des autres classes, en vue d’assurer l’extension, le développement, la conservation de ses rapports de production particuliers, contre le danger de restauration des rapports de production précédents, ou la destruction de ses propres rapports de production” (souligné par nous). La classe ouvrière n’a pas de rapports de production qui lui soient propres. Au contraire, son seul but est de détruire complètement les rapports de production qui déterminent sa propre existence comme classe. Le but des ouvriers, dans une période de transition, loin d’être de consolider et de figer la société sous sa forme immédiatement post-révolutionnaire, est en fait de s’engager dans un processus de révolution permanente contre cette société, de remplacer la domination de la valeur et de l’échange marchand par la libre association des producteurs dans une société sans classe. Ainsi, nous pouvons voir aisément qu’il y a une séparation entre la classe dominante et le reste de la société. Le prolétariat est totalement opposé à la société sur laquelle il exerce un contrôle politique. Les deux tendances trouveront leurs formes appropriées dans l’État et les Conseils ouvriers.

3- Les rapports du prolétariat et de l’État

Bien qu’il faille se méfier des comparaisons historiques simplistes, elles peuvent néanmoins nous donner une idée des fonctions de l’État dans la période de transition. Fondamentalement, on peut dire que l’État de la période de transition, comme tous les États, incarnera les rapports sociaux existant dans une forme juridique concrète. Mais quels sont ces rapports sociaux ? Immédiatement après la révolution ils seront essentiellement ceux de la société capitaliste ; c’est certain, la bourgeoisie n’existera plus comme classe, le prolétariat ne sera plus exploité mais la production sera encore dominée par l’échange et la loi de la valeur, et d’autres classes existeront encore, qui ne seront pas encore intégrées dans le procès de production.
Toutes ces forces tendant à ramener la société en arrière dans le cauchemar du capital trouveront leur expression dans l’État, qui, en vertu du fait qu’il “légalise” des formes existantes, tendra naturellement à les préserver et à les renforcer en d’autres termes à retourner au capitalisme d’État.
Tandis que les Conseils ouvriers agiront pour saper le mode de production capitaliste, pour transmuter sa substance de “plomb en or” communiste, l’État, par contre, cristallisera les nouvelles avancées sous des formes légales appropriées. Mais il est clair que tant que le prolétariat sera capable de maintenir son contrôle politique, il sera toujours en avance sur l’État. Ainsi la classe se trouvera nécessairement en conflit permanent entre là où elle est à un moment donné et là ou elle était juste avant : c’est-à-dire en conflit avec l’État. Puisque les Conseils représentent un principe diamétralement opposé à celui représenté par l’État, il est confus et dangereux à l’extrême de parler d’un État “prolétarien” ou d’attribuer les fonctions juridiques spécifiques de l’État aux Conseils. Cela fige la classe dans ce qui ne peut être qu’un moment passager, la période de transition est instable -il est possible d’aller en avant ou en arrière, mais jamais de rester sur place.

4– Les rapports entre le prolétariat et les autres classes et couches.

Dans beaucoup de textes de la “minorité” les camarades insistent trop sur le rôle de la violence dans les rapports entre les ouvriers et les autres classes. Bien que l’ensemble de la société bourgeoise soit basé sur la violence continuelle des rapports d’exploitation, on ne peut en dire autant du prolétariat. Son but est d’intégrer l’ensemble de la société dans la production et ceci ne peut se faire globale ment avec le fusil dans le dos. La domination politique du prolétariat n’est pas uniquement une question d’armement (après tout, pendant la guerre civile, les Conseils devront dominer politiquement un État avec une Armée rouge bien plus puissante que les milices ouvrières), mais une question de plus grande capacité à envisager et à comprendre le futur et le présent, et à convaincre les paysans et les petits-bourgeois que leurs intérêts vont dans le même sens que celui du prolétariat, (bien que ce soit surtout en tant qu’individus, plutôt que en tant que classes).
Il doit y avoir un endroit où les délégués des Conseils puissent, pour ainsi dire, rencontrer les délégués des autres couches élus territorialement. Les délégués territoriaux ne seront pas organisés en tant que représentants de classes, et l’État ne reconnaîtra pas juridiquement les autres classes, mais néanmoins, il est évident qu’il y aura la présence de membres d’autres classes dans l’appareil d’État représentés sur une base géographique territoriale. Ainsi, malgré la domination des ouvriers sur L’État, encore une fois ce serait trompeur et dangereux d’attribuer à cet État une étiquette prolétarienne.

5 Pourquoi le CCI discute-t-il tellement à fond de ce qui, à première vue, ne pourrait sembler être qu’une simple différence sémantique de définition ?

En fin de compte, c’est parce que la question de “l’État ouvrier” a été d’une importance cruciale dans le mouvement ouvrier, et le sera encore dans le futur. La confusion entre l’État et la dictature du prolétariat n’était qu’une partie du désastre horrible du substitutionnisme dont l’autre facette a été l’identification de la dictature du parti avec cette de la classe. Dans les années à venir, nous verrons une propagande gauchiste de plus en plus frénétique en faveur de l’établissement d’un “État ouvrier” pour, en réalité, consolider le contrôle du capital sur les ouvriers. Dans la période de transition, l’idée de l’“État ouvrier” sera utilisée pour justifier toutes les tentatives de soumettre les Conseils à la domination de l’État. Il est vital que le CCI se montre capable de remplir sa tâche de “montrer la direction” en défendant l’idée d’une distinction claire entre les organes révolutionnaires de la classe ouvrière -les Conseils- et l’État qui est essentiellement conservateur, sur lequel les Conseils doivent exercer leur contrôle et dont ils doivent continuellement saper et détruire les bases, jusqu’au dépérissement de l’État

Len Black, World Revolution (juin 1977)

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [32]
  • La Révolution prolétarienne [33]
  • La dictature du prolétariat [2]

L’État dans la période de transition (S. et M., Internationalisme, Mai 1977)

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Ce texte ne représente pas la position achevée du CCI sur la question de l'Etat dans la période de transition, mais une position dans le débat interne qu'il a eu sur cette question. Pour avoir la vision du CCI, il faut lire dans son ensemble notre brochure  sur la période de transition, ou encore notre article de la série "Le Communisme n'est pas un bel idéal..." sur cette question.

Introduction

Par ce texte nous voulons esquisser une réponse aux objections qui nous sont faites lorsque nous parlons “d’État-organe d’une classe”, “d’État-facteur progressif à certaines époques”et essayer de rendre plus claire et plus concrète notre compréhension de “l’État en général”. Cette dernière nous semble dé couler parfaitement des classiques du marxisme traitant de ce problème  l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État d’une part, L’État et la révolution d’autre part, dont nous nous inspirons largement, étant en accord total sur le fond avec ces deux ouvrages.

Nous pensons que la conception défendue dans ce texte s’inscrit également -de manière critique- en continuité avec les analyses de “Bilan” sur la question de l’État (particulièrement celle intitulée “Parti-État Internationale”), Les conceptions de “Bilan” diffèrent de celles d’Internationalisme 46 -avec lesquelles nous sommes en désaccord- et entre ces deux groupes de la Gauche Communiste, en ce qui concerne la compréhension de l’État, il y a plus un lien d’intention -le souci commun de tirer les leçons de la défaite- qu’une convergence d’explication (réaffirme la doctrine marxiste de l’État qui fait de celui-ci “l’instrument et le prolongement d’une classe”).

Ce texte ne répond pas exactement au développement actuel de la discussion. Il définit cependant l’essentiel de notre position sur “l’État en général” à laquelle nous restons fermement attachés.

Ce texte ne traite pas non plus de la question centrale : l’analyse de l’État ouvrier. Néanmoins, nous pensons que sa discussion se justifie en ce qu’il pose les conditions de cette analyse (le général précède le particulier).

  • L’État en général

1. La genèse historique de l’État ;

Pour éclaircir le problème de l’État, il faut remonter à ses origines. Personne dans le CCI ne met en question l’existence de l’État comme résultat historique et, par conséquent, comme phénomène passager et transitoire. Néanmoins, pour aborder la genèse de l’État, d’autres considérations sont nécessaires. Certains camarades affirment que “l’État surgit spontanément” et donnent à cette approche un caractère d’automatisme (l’État émerge indépendamment de la volonté des classes). Pour eux, l’État “constitue la superstructure reflétant l’infrastructure de La société” (définition qui sera utilisée pour infirmer l’idée que l’État transitoire puisse être prolétarien). Cette conception est, à notre avis, étriquée. Elle ignore notamment ce fait essentiel que la classe précède l’État, que c’est une classe déterminée qui donne corps à la nécessité historique de l’État, conformément à ses intérêts.

Pour démontrer la thèse que l’État est le prolongement d’une classe et non simplement le “produit d’une société”, il nous faut remonter à la dernière phase de la barbarie. Cette dernière pourrait, à première vue, infirmer l’idée que la classe précède l’État (et à plus forte raison que l’État soit l’instrument d’une classe). En effet, à cette époque, la constitution gentilice ne coïncide pas encore avec l’existence d’une classe exploiteuse, bien qu’une certaine réglementation de la vie sociale soit déjà établie, qu’une certaine hiérarchie des fonctions existe au sein de la gens, et qu’il y ait une continuité manifeste dans l’attribution des tâches exercées par les membres de celle-ci. Les fonctions militaires et de direction du travail notamment tendent à se transmettre héréditairement, sans passer par la formalité de l’élection, cette évolution étant liée à la constitution progressive de collectivités familiales, certaines de celles-ci concentrant, grâce à l’accroissement des richesses matérielles, un pouvoir de plus en plus étendu. Il pourrait sembler que nous ayons affaire ici à l’existence d’une forme primaire de l’État, composée des individus qui assument des fonctions d’organisation et qui sont chargés de veiller à la défense et à la gestion de la société au nom de la communauté.

Afin de montrer pour quelles raisons la constitution gentilice ne put donner naissance à un appareil étatique, même rudimentaire, -que ce dernier surgit seulement de la désagrégation des liens consanguins- nous établirons rapidement quelle fut la signification de la constitution gentilice. La gens représentait une unité économique où l’attribution des travaux nécessaires à la collectivité se faisait par la dévolution des charges de direction à des individus qui, loin d’acquérir une position de privilège et d’aisance, se trouvaient exposés aux plus graves dangers alors que le mode de production restait régi par le principe de la propriété commune. Lafargue, dans son ouvrage sur les Origines de la propriété écrivait “qu’on serait dans l’erreur de croire que les fonctions du chef constituaient au début un privilège enviable : elles étaient au contraire des charges lourdes et dangereuses. Les chefs étaient rendus responsables de tout. Une disette était pour les Scandinaves le signe certain du courroux des dieux : ils en faisaient porter la faute au Roi qui était dé-posé et parfois mis à mort. Ces fonctions étaient si peu recherchées que l’élu de l’Assemblée populaire ne pouvait s’y soustraire sans encourir le bannissement et la peine grave de voir démolir sa maison, le bien sacré et inviolable de la famille”. (cité par Bilan qui fournit également les données essentielles de ce chapitre). On le voit, la constitution gentilice n’a rien à voir avec une organisation étatique qui présuppose l’utilisation de cette dernière dans le but de garder et d’accroître une certaine domination au sein de la société. État et organisation gentilice sont incompatibles et le premier ne se développe que sur les ruines de la seconde. Ainsi, lorsqu’avec le développement des forces productives, se développent les germes de destruction de la constitution gentilice, Engels montre que pour que celle-ci se réalise, “il ne manquait qu ‘une seule chose : une institution qui non seulement protégeât les richesses nouvellement acquises par les particuliers contre les traditions communistes de l’ordre gentilice (ndlr : remarquons que l’État ne se limite pas à “légaliser l’état économique existant”, mais, là où l’ordre gentilice oppose des résistances, le brise par la violence), qui non seulement sanctifiât la propriété privée si méprisée autrefois et proclamât cette consécration le but suprême de toute communauté humaine, mais qui mît aussi, sur les formes nouvelles successivement développées d’acquisition de propriété, autrement dit d ‘accroissement toujours plus rapide des richesses, l’estampille de la légalisation par la société en général; une institution qui non seulement perpétuât la naissante division de la société en classes, mais aussi le droit de la classe possédante à exploiter celle qui ne possédait rien, et la prépondérance de celle-là sur celle-ci. Et cette institution vint. L ‘État fut inventé”. (“Origine...”, Ed Soc. p116).

Pour illustrer la genèse de l’État, “nulle part mieux que dans 1’Athènes antique nous ne pouvons suivre, du moins dans sa première phase, comment l’État s’est développé du fait que les organismes de l’organisation gentilice furent soit transformer soit refoulés par l’introduction d’organismes nouveaux, et qu’enfin on les remplaça complètement par de véritables autorités d’État, tandis qu’au véritable “peuple en armes” se protégeant lui-même dans ses gentes, ses phratries et ses tribus se substituait une “publique” année, au service de ces autorités d’État, donc utilisable contre le peuple”. (“Origine...”, p. 117). Engels fait donc remarquer qu’un “caractère essentiel de l’État consiste dans une force publique distincte de la masse du peuple”. Par ailleurs, il montre aussi la nécessité, pour celui-ci, de prendre pour base d’organisation sociale la subdivision du territoire et non plus le groupe consanguin (nous reviendrons plus loin sur ces caractéristiques qui nous paraissent fondamentales). A Athènes, la naissance de l’État, la formation d’une armée et d’une police particulières, la répartition des citoyens selon le territoire, s’effectuèrent progressivement, au travers de codes législatifs successifs. Cette évolution est déterminée par le fait que “des familles puissantes […] par la richesse commençaient à se grouper en dehors de leurs genres en une classe privilégiée distincte” et par cet autre que “la division du travail entre les cultivateurs et les artisans était déjà assez marquée pour disputer le premier rang en importance sociale à l’ancien classement par gentes et par tribus”. (“Origine...”, p. 118/119). L’État apparaît comme constitué lorsque les classes ont acquis une formalisation définitive : “le rapide épanouissement de la richesse, du commerce et de l’industrie, montre combien 1’État dès lors parachevé dans ses traits essentiels, répondait à la nouvelle condition sociale des Athéniens. L’antagonisme de classes sur lequel reposaient les institutions sociales et politiques n’était plus 1’antagonisme entre nobles et gens du commun, mais entre esclaves et hommes libres, entre métèques et citoyens”. (“Origine...”, Ed. Soc. p127). Pour que l’État pût se développer il fallut donc briser les liens gentilices incompatibles avec une économie monétaire et avec la domination de groupes sur d’autres, et c’est à quoi aboutirent les différentes constitutions dans l’Athènes antique. L’époque de la barbarie se trouva ainsi dépassée et avec elle ce mode de production qui permettait de se relier directement aux moyens de travail. La propriété commune de l’époque barbare était le reflet direct de cette situation où le caractère encore primitif des moyens de production (chasse, pêche) ne laissait entrevoir aucun besoin dépassant les nécessités d’une alimentation rudimentaire. C’est en conséquence de l’apparition de l’industrie, de l’échange, de la monnaie, qu’une vision de besoins plus étendus apparut en correspondance avec l’impossibilité d’en faire bénéficier l’ensemble de la société; et parallèlement à la volonté (et à la capacité matérielle) de certaines familles d’abord, de classes ensuite, de monopoliser les moyens de production. Ainsi se fit jour la nécessité de l’État, d’un organe destiné à consacrer la domination de la classe maîtresse et d’assujettir toutes les autres formations sociales.

Entre cet organe et la classe maîtresse devaient se nouer des liens étroits qui ne purent être brisés que par l’affaiblissement de cette classe. En effet, l’émergence de l’État n’est nullement un produit automatique de conditions économiques. “La structure sociale et l’État résultent constamment du processus vital d’individus déterminés ; mais de ces individus non point tels qu’ils peuvent s’apparaître dans leur propre représentation ou apparaître dans celle d’autrui, mais tels qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire tels qu’ils œuvrent et produisent matériellement : donc tels qu’ils agissent sur des bases et dans des conditions et limites matérielles déterminées et indépendantes de leur volonté”. (Marx : l’Idéologie allemande Ed. Soc., p50). En d’autres termes, l’histoire ne fait rien ; ce sont les classes qui concrétisent la nécessité historique et qui créent des institutions. Cette précision est d’importance : elle s’inscrit en faux contre l’évolutionnisme vulgaire qui fait des superstructures d’une société la stricte réflexion de son infrastructure, et qui ne voit dans l’histoire qu’un processus indépendant de l’action des classes. Au contraire, le marxisme affirme que “1’histoire des sociétés jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte des classes.” C’est la division de la société en classes qui impose l’émergence de l’État, et c’est une classe déterminée, la classe la plus puissante (qu’elle tire sa puissance d’une assise économique comme les classes exploiteuses, ou de sa conscience et de son organisation, comme le prolétariat), qui met en place une structure étatique appropriée à la défense de ses intérêts. Ainsi, à Athènes, la noblesse constitue et dirige elle-même l’État naissant, recrutant des mercenaires pour conforter son privilège économique. Et par après, avec la décadence de la puissance aristocratique, les propriétaires d’esclaves vont à leur tour se doter d’un État, non pas en détruisant l’ancien appareil fondé par les nobles, mais en s’en emparant par la corruption et en l’épurant par la violence des éléments restés fidèles aux anciens maîtres. Nous avons en vue ici les deux moyens par lesquels une classe peut conquérir le pouvoir d’État : soit elle créé celui-ci de toute pièce, soit elle “rachète” la structure étatique déjà existante et se l’assimile de l’intérieur.

Ces considérations historiques nous per mettent de fixer deux principes qui nous paraissent fondamentaux dans l’approche marxiste de l’État :

  • c’est l’instrument du travail (le développement des forces productives) qui pose les conditions de la division de la société en classes ;
  • ce sont ensuite les classes qui donnent vie à l’État.

C’est cette approche “hiérarchisée” que Marx avait en vue lorsqu’il abordait la question du droit et de l’État: “Mes recherches aboutirent à ce résultat que les rapports juridiques -ainsi que les formes de 1’État- ne peuvent être compris ni par eux mêmes, ni par la prétendue évolution générale de l’esprit humain, mais qu’ils prennent au contraire leurs racines dans les conditions d’existence matérielles dont Hegel, à l’exemple des Anglais et des Français du XVIIIème siècle, comprend l’ensemble sous le nom de “société civile” et que l’anatomie de la société civile doit être cherchée à son tour dans l’économie politique”. (Introduction à la Contribution… Ed. Soc., p.4). La filiation qui fait découler l’État de la classe n’est donc pas seulement une coïncidence ou une donnée accidentelle, mais, comme nous l’avons vu, la classe précède l’État, la première étant le résultat immédiat de cette phase de l’évolution sociale ou le monopole de production devient une nécessité et permet d’asseoir la domination d’une classe, le second émergeant ensuite pour conformer, dans le sens d’un renforcement de cette domination, l’organisation de la société toute entière. Ainsi, se précise la dé finition de l’État : celui-ci est un instrument qui sert à l’instauration et au maintien d’une classe au pouvoir.

Quelle classe ? C’est une question qu’il nous faut encore nous poser avant d’aller plus loin. Une confusion courante consiste à ne pas faire de distinction -lorsqu’on aborde le problème de la classe dans ses rapports avec l’État- entre les classes appelées à jouer un rôle historique par elles-mêmes et les classes sociales qui, malgré une configuration économique homogène, ne sont pas appelées à jouer un rôle autonome dans l’histoire. Cette confusion se dédouble quand on envisage le rapport de couches non-homogènes vis-à-vis de l’État.

La structure productive donnera naissance à différentes classes et couches sociales, celles-ci résultant à la fois de la division du travail et des formes d’appropriation des instruments de travail. La classe est un produit direct, automatique de l’organisation sociale et des conflits qui en découlent pour le contrôle et la possession des moyens de production. Mais parmi toutes les classes, il en existe qui sont destinées spécifiquement à réaliser une révolution alors que d’autres sont sans destinée particulière. Ainsi les luttes d’esclaves furent sans conséquence au niveau de la succession des formes sociales et c’est l’inutilité économique de l’esclavage qui entraîna sa disparition et son remplacement par le servage. La classe vouée à jouer un rôle dans l’histoire est un produit synthétique où se retrouvent à la fois un élément économique et historique. Économique pour ce qui est de l’identité des positions occupées en face du mécanisme productif par ses composants, historique pour ce qui est de la forme particulière de ses rapports envers l’organisation économique. La bourgeoisie, le prolétariat sont de telles classes parce qu’elles synthétisent une position particulière au point de vue économique et qui correspond avec un type de rapports pour ce qui est des moyens de production: la propriété privée capitaliste ou la socialisation réelle de ceux-ci. C’est donc de telles classes pouvant réaliser la synthèse indiquée qui sont appelées à accéder au stade de classe agissante dans l’évolution historique. Aussi la lutte de classes est-elle avant tout la lutte entre de telles classes fondamentales. A chaque époque historique, la lutte se livre entre deux formes de société radicalement opposées et non entre des classes luttant dans le cadre exclusif limité par leurs intérêts économiques spécifiques. Les deux classes fondamentales antagoniques d’une société ne se disputent pas la domination politique parce qu’une fois conquise, elle leur permettrait d’assurer l’expansion de leurs besoins économiques particuliers, mais la bataille se mène sur un front plus large : la construction d’une nouvelle société ou le maintien de l’ancienne. L’expérience de la domination capitaliste en est la meilleure confirmation:

“Sa société ne résulte pas d’une simple coordination des multiples intérêts économiques des composants de sa classe, mais d’une coordination qui embrasse toute la société et qui oblige des éléments de la classe exploiteuse dominante à refréner 1’expansion de leurs intérêts contingents en vue de la survivance de la société dans son ensemble. Les interventions de 1’État dans le domaine économique ont précisément pour but de sauvegarder la société capitaliste toute entière en contrôlant, pour la discipliner, la liberté d’action économique de certains groupes -et non des moindres- du capitalisme.” (Bilan)

Dans la lutte impitoyable autour du maintien d’une société ou de la fondation d’une nouvelle, les formations intermédiaires, fussent-elles des classes, sont inévitablement balayées et adjointes à l’un des camps en présence. Ainsi, chaque société peut se résumer dans l’idée maîtresse de la classe dominante au point de vue historique, et qui va faire refluer autour d’elle toutes les manifestations de la vie sociale, et cela sur l’échelle mondiale. Envisagée dans ce cadre, la position de l’État ressort de manière limpide : comme l’affirmait Engels, “l’État était le représentant officiel de toute la société, sa synthèse en un corps visible, mais cela, il ne l’était que dans la mesure où il était 1’État de la classe qui, pour son temps, représentait elle même toute la société”. Comme l’on ne peut parler de “classe fondamentale” que là où existe la possibilité historique pour une classe d’identifier son évolution, ses intérêts économiques et sociaux, avec le développement de la société elle-même, l’État qui surgit dans le milieu historique des luttes de classes, comme expression d’une telle identité, est et sera toujours l’organe d’une classe jouant un rôle historique et jamais d’une formation intermédiaire. (Ainsi, on ne pourra jamais accoler le qualificatif de “paysan” à un État, quel qu’il soit. Le fait que l’État soit invariablement le prolongement d’une classe fondamentale donne également une idée du niveau d’incompréhension auquel on se hausse en parlant de l’État “facteur réactionnaire par essence”.)

2. Le rôle et la signification de l’État.

Nous avons déjà indiqué que “l’État était l’organe d’une classe”. Il nous reste à prouver et systématiser cette définition. Dans son livre “l’État et la Révolution” Lénine, s’appuyant sur les enseignements d’Engels, précisait l’idée fondamentale du marxisme touchant à la signification de l’État : “l’État est le produit et la manifestation de ce fait que les contradictions de classes sont inconciliables. L’État surgit là, au moment et dans la mesure où, objectivement, les contradictions de classes peuvent être conciliées. Et inversement : 1’existence de 1’État prouve que les contradictions de classes sont inconciliables.” (Œuvres choisies Ed. Moscou, p.292). Comment un système qui secrète de si fortes contradictions internes peut-il subsister ? Autrement dit, qu’est- ce qui rend possible la stabilité d’une société fondée sur la scission de la totalité sociale en classes irréconciliables ? La réponse est claire : si une telle société existe, il faut aussi qu’existe quelque chose qui cimente les divisions et étouffe le heurt des classes entre elles (d’une façon “rude” sur le plan physique et “subtile” sur le plan idéologique). Bref, une organisation qui domine non seulement les choses, mais surtout les hommes, indispensable à la conservation de cette société. Cette organisation, c’est l’État. Préserver la société de l’explosion, tel est précisément le rôle de l’État. Ceci ne nous donne pas encore la manière dont il va s’y prendre. Favorisera-t-il le dialogue entre les classes ? Cette hypothèse est exclue puisque l’État ne pourrait ni surgir, ni se maintenir, si la conciliation, le “dialogue” des classes étaient possibles. S’érigera-t-il en organisme “neutre”, extérieur à la société, arbitrant par la force les classes antagoniques ? Cette hypothèse mérite un peu plus d’attention que la première. Bien sûr, qui raisonne un tant soit peu en matérialiste, n’admet pas l’existence d’éléments placés au-dessus de la société et au-dessus des classes. Mais certains camarades ne vont-ils pas dégager cette possibilité pour une forme d’État, pour l’État qui succède à l’État capitaliste ? Ainsi cette affirmation selon laquelle il serait “parfaitement vain de vouloir trouver pour l’État transitoire, un qualificatif: populaire, multi-classiste ou prolétarien” (texte proposé en discussion dans Internationalisme -comme l’éventualité que l’État transitoire soit bourgeois a été écartée précédemment- n’avons-nous pas là, la parfaite expression d’un État au dessus des classes. Du point de vue de l’abstraction pure, une “troisième force” pourrait effectivement discipliner les classes en lutte. Mais d’où cette “troisième force” tirerait-elle sa force matérielle, où puiserait-elle ses ressources et sa conscience d’un point de vue déterministe et historique, c’est ce que l’abstraction pure ne pourrait jamais nous dire. A moins de rompre toute référence au marxisme, l’hypothèse d’une “troisième force” est insoutenable. Engels fait justice de “l’État extérieur aux classes” à plusieurs reprises. Et ce n’est pas ce passage, tiré de l’Origine de la famille qui nous démentira : “mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés ne se consument pas, elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s’impose d’un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l’“ordre”; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d’elle et lui devient de plus en plus étranger, c’est l’État”. (Ed. Soc., p.l78)

Engels dit clairement que l’État est placé au dessus de la société seulement “en apparence”, il lui devient “de plus en plus étranger” seulement en apparence. Dans un certain sens, l’État devient également “de plus en plus étranger à la société” d’une manière très réelle. Si on a en vue l’ensemble de la population, si le terme “société” est employé pour désigner cette dernière, l’État lui devient “de plus en plus étranger” dans la mesure où il se fait, avec l’État bourgeois, l’organisation d’une fraction de plus en plus restreinte de la population, contre une majorité de plus en plus large de la population. En aucun cas cependant, Engels ne tend à accréditer l’idée d’une “troisième puissance”. Cette affirmation est vérifiée par l’extrait suivant, situé quelques pages plus loin: “comme l’État est né du besoin de réfréner des oppositions de classes, mais comme il est né, en même temps, au milieu du conflit de ces classes, il est, en règle générale, l’État de la classe la plus puissante, de celle qui domine du point de vue économique, et qui, grâce à lui devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée” (Origine..., Ed. Soc., p.l80).

Bien que cette formulation soit insuffisante pour définir “l’État en général”, elle montre suffisamment le sens de la pensée d’Engels pour qu’il ne soit pas utile de nous étendre sur ce point. L’État est clairement défini comme l’organisation de l’une des classes en lutte qui réprime par tous les moyens la classe adverse -depuis l’utilisation directe de la violence jusqu’à la mise en place d’un tissu idéologique complexe, pourrions-nous ajouter.

Cette vérité parait élémentaire. Pourtant c’est précisément sur une “vérité” aussi simple que se développent les plus grandes confusions. Ainsi la définition suivante : “l’État n’est pas seulement un instrument de violence et de répression […] il est aussi un instrument de médiation entre les classes” (World Révolution: “La question de l’État”, Revue Internationale n°1, p. ou encore : “1’Origine de la famille, de la propriété et de l’État” montre que l’État surgit au sein des autres sociétés de classes et qu’il a deux fonctions fondamentales. La première est de violence […] ; deuxièmement, 1’État a pour fonction de préserver le statu-quo, d’empêcher la société de s’entre déchirer et se désintégrer sous le poids des antagonismes de classes qui existent en son sein. Il est important d’insister, comme Engels l’a fait, sur le fait que l’État est un organe conservateur, l’institution conservatrice par excellence, tout à fait à côté de ses fonctions coercitives.” (Texte de Mc Intosh ci-inclus).

Ainsi, sous la pression de faits historiques incontestables, tout le monde est bien obligé de reconnaître que l’État est un organe de domination de classe, un instrument de violence aux mains d’une classe, destiné à mater les adversaires de cette classe, mais d’autre part, on s’efforce d’atténuer la portée de cette reconnaissance par l’adjonction d’une seconde définition qui, en pratique, est la négation pure et simple de la première. Avec bien des nuances, tous les textes écrits à ce jour dans le C.C.I. qui s’efforcent de démontrer la nature anti-prolétarienne de l’État transitoire, procèdent de la même manière, en donnant une double définition de l’État, d’une part instrument d’une classe, d’autre part organe “médiateur” et “réactionnaire par essence”. Que les deux axes de cette définition soient incompatibles, cela ne semble venir à l’idée de personne. L’État pourrait donc à la fois être l’organe d’une classe et servir de “médiateur” entre les classes ? Or, qu’est-ce qu’un “médiateur” ? Par définition, un médiateur est celui qui s’interpose entre les combattants, les réconcilie, atténue les contradictions et favorise l’établissement d’un compromis. La fonction de médiateur suppose l’extériorité vis-à-vis des camps en présence. Nous avons déjà montré toute l’absurdité de cette façon de voir à propos de l’État. Mais World Revolution semble abonder dans le même sens lorsqu’il dit que l’État ne peut être “neutre au-dessus des classes”. Pour World Revolution, cette contradiction manifeste se résout comme suit : “1’État n’a jamais surgi par la seule volonté d’une classe dirigeante, mais a été l’émanation de la société en général, et par ce fait est devenu 1’instrument de la classe dominante.” (Internationale n°6, “La question de l’État” p.46). Que signifie que l’État soit “l’émanation de la société en général” ? Comme la société est divisée en classes, cela ne peut signifier que ceci : toutes les classes apportent leur contribution à l’État, se retrouvent pour une part dans l’État qui représente en quelque sorte l’“unité de la société”, qui vise à préserver la “société en général”. Ainsi la fonction de l’État serait de protéger cette “société en général”... “de préserver les rapports sociaux existants, de maintenir l’équilibre des forces entre les classes, en un mot le statu-quo”. (R.Int. n°6, p.51)

Or, que sont cette “société en général” et cet “équilibre des forces entre les classes” ? Ce sont précisément une société particulière, qui connaît la prépondérance d’une classe, et un déséquilibre de force entre les classes. Seule la compréhension de ces données nous permet de dégager la signification de l’État et l’on ne peut ignorer dès lors qu’il soit “l’instrument d’une classe”. Quant à 1’“unité de la société”, ce ne peut être qu’une unité illusoire. Du moment qu’il existe des intérêts opposés et des conflits de classes, il n’y a pas d’unité d’organisation possible de tous les citoyens dans l’intérêt de tous les citoyens. La démocratie bourgeoise, par exemple, prétend réaliser cette “unité”. En réalité, elle n’est introduite qu’en tant que forme convenant au pouvoir spécifique de la bourgeoisie et à sa dictature réelle sur la majorité, aux fins de conservation de ses privilèges. Dès qu’on introduit la notion de “médiateur”, on retombe forcément sur la conciliation des classes, même si on s’en défend avec acharnement.

Selon Engels et Lénine, l’État est un organisme d’oppression d’une classe par une autre ; c’est la création d’un “ordre” qui légalise et affermit cette oppression en modérant les conflits de classes. Ce qui se dégage des conceptions de World Revolution, c’est que l’“ordre”, c’est précisément la conciliation des classes, et non l’oppression d’une classe par une autre. Modérer le conflit, c’est concilier et non “retirer certains moyens et procédés aux classes opprimées en lutte pour le renversement des oppresseurs” (Lénine). Que l’État soit l’organisme de domination d’une classe déterminée qui ne peut pas être conciliée avec son antipode (avec la classe qui lui est opposée), que la domination de classe exclut catégoriquement la conciliation des classes, qu’un organe qui permet à une classe de dominer la société ne peut être en même temps un “médiateur” entre les classes, c’est ce que World Revolution refuse d’admettre. Les camarades en arrivent finalement à croire que dans l’État se font jour les intérêts de toutes les classes que l’État aurait pour fonction d’“équilibrer”. De là découle également la notion de “défense du statu-quo”. Comme l’État n’a jamais un pur caractère de classe, mais qu’il présente la “société en général”, il défend forcément “l’état économique existant”. En effet: dans le processus économique, les classes nouent des rapports déterminés; ces rapports se répercutent en rapports politiques, reflet direct des positions économiques respectives des classes. Et pour préserver l’équilibre politique de la société (“stabiliser le conflit entre les classes”), il faut donc bien défendre le “statu-quo économique”. C’est ainsi que l’État est un facteur “réactionnaire par essence”. Si la société progresse néanmoins, c’est malgré l’État. Comme l’infrastructure détermine en dernière instance les superstructures, 1’État est forcé de légaliser chaque modification économique, et particulièrement la progression d’une classe “dans l’infrastructure”. C’est ainsi que l’État ne peut jouer un rôle progressif. Voilà ce que semble nous dire World Revolution. Dans le texte déjà évoqué d’internationalisme, sur la base d’une réflexion identique quant au fond, et tout en se revendiquant d’une résolution qui affirme exactement le contraire, on va jusqu’à admettre que: “1’État peut jouer un rôle progressif [...], mais cela, il ne le fait que dans la mesure où il légalise un état économique existant, où il exprime la progression de la position privilégiée d’une classe dans 1’économie aux dépens d’une autre”.

Que la fonction d’un organe constitue également, pour le marxisme, son essence, qu’un organe qui joue un rôle progressif ne peut être “réactionnaire par nature”, cela semble échapper aux camarades d’Internationalisme. Mais finalement, il ne s’agit pas vraiment d’adopter l’idée que l’État puisse jouer un rôle progressif. Ce dernier est limité à une “légalisation”, une “expression”, c’est-à-dire une réflexion purement passive, non un rôle actif. Quant à l’essentiel, les camarades partagent la vision d’Internationalisme 46 : “...au cours de l’histoire, l’État […] est une entrave à laquelle se heurtent constamment l’évolution et le développement des forces productives”. (Bulletin d’Étude et de Discussion de R.I. n°1, p. 2)

A cette conception, nous opposerons cette autre : dans toute société divisée en classes, la classe dominante exerce une dictature ouverte ou camouflée sur les autres classes de la société, en vue de préserver ses intérêts de classe et de garantir ou développer les rapports de production qui lui sont liés. Tels sont les fondements et les conditions de la dictature : une classe déterminée domine par l’intermédiaire de l’État et s’en sert pour défendre ses intérêts contre les intérêts antagoniques des autres classes, pour assurer l’extension, le développement, la conservation de rapports de production spécifiques contre les dangers de restauration ou de destruction. Dans ce cadre, l’État peut jouer, à certaines phases historiques, un rôle éminemment progressif (et non seulement de manière “passive”, mais également et surtout de manière active). L’État bourgeois, par exemple, est à un moment historique donné, un instrument progressif aux yeux des marxistes : lorsqu’il représente la force organisée contre la réaction féodale intérieure et ses alliés de l’extérieur et favorise la mise en place de structures modernes sur les débris des sociétés pré-capitalistes. II était non seulement utile mais indispensable que la bourgeoisie, au moyen de décrets étatiques et de l’usage de la violence (qui fut celle de l’État) abattit les obstacles institutionnels qui retardaient l’apparition de grandes fabriques et d’une méthode plus moderne d’exploitation du sol. Si le marxisme a cette vision dialectique de l’État, révolutionnaire à certaines époques, conservateur ou contre-révolutionnaire à d’autres, c’est qu’il en fait le prolongement et l’instrument des classes sociales qui prennent naissance, mûrissent et disparaissent. L’État est étroitement lié au cycle de la classe et s’avère donc progressif ou contre-révolutionnaire selon l’action historique de la classe sur le développement des forces productives de la société (selon qu’elle concourt à favoriser ou freiner leur développement).

Ainsi, à chaque phase ascendante d’un mode de production, et particulièrement à la naissance d’une société (lorsqu’elle vient juste d’émerger de l’ancienne), l’État va s’immiscer activement dans l’activité économique, contribuant à détruire les entraves au développement sous une nouvelle forme, participant à l’épanouissement de nouveaux rapports (ainsi que nous l’avions déjà mis en évidence au moment de sa genèse). On peut trouver un exemple extrême de cette situation dans le développement du capital japonais:

“…à l’instar des grands pays industriels d’Europe, le Japon moderne s’est développé à partir d’une structure féodale. Mais tandis que la transformation des nations européennes a duré des siècles, elle ne s’étendit au Japon que sur quelques dizaines d’années. Ce n’est qu’après la Restauration Meiji en 1868 que le Japon commença à abolir la féodalité et à se donner une structure politique et sociale moderne. L’État Japonais lui-même créa la base de l’industrialisation en accélérant, en forçant même son développement. Le Japon n’a jamais traversé une période de capitalisme libéral […]. Dans le cadre de la structure de la société japonaise ainsi caractérisée par la position dominante de l’État, par le degré très élevé de concentration industrielle ainsi que par les survivances féodales dans l’agriculture, l’armée occupait une position clé, l’armée dont l’élément dirigeant tirait son origine des principales familles industrielles, des vieilles couches des seigneurs féodaux et des samouraïs. [...] Les armées japonaises eurent elles aussi un rôle bien plus grand et bien plus direct dans l’expansion impérialiste de leur pays que les armées des impérialismes européens. […] Ainsi le développement précoce du capitalisme d’État et celui de 1’impérialisme japonais se poursuivirent de concert.” (Sternberg : Le conflit du siècle p.266 à 271) -(Nous aurons l’occasion de revenir sur le rôle progressif de l’armée, institution étatique par excellence, dans le développement des rapports de production, lorsque nous examinerons le problème de la violence).

Nous pouvons maintenant synthétiser l’essentiel de notre approche de l’État, au point de vue général.

Un principe essentiel du marxisme est que le heurt des classes se décide non sur le terrain du droit, mais sur celui de la force. L’État est un organe spécial de répression : c’est l’exercice centralisé de la violence par une classe contre une autre. L’État politique, même et surtout démocratique et parlementaire, est un outil de domination violente. L’appareil d’État utilise en permanence des moyens coercitifs pour mater la classe dominée, même si apparemment ils consistent non dans l’usage implacable d’une force matérielle, policière ou autre, mais dans la simple menace de sanctions violentes, dans un simple article de loi (même non codifié), sans le fracas des armes et sans effusion de sang.

“Stirner fait d’abord de l’État une personne, “celle qui détient la force”” Le fait que la classe dominante constitue sa domination collective en force publique, en État, il l’interprète à tort, tout à fait dans le style du petit-bourgeois allemand : il fait de “1’État” vis-à-vis de la classe dominante, une troisième force qui, face à cette classe, absorbe en elle toute puissance.” (Marx : L’idéologie Allemande Ed. Soc.,p.39l). A cette conception, nous opposons celle-ci : “L’État (est) la forme par laquelle les individus d’une classe dominante font valoir leurs intérêts communs et dans laquelle se résume toute la société civile d’une époque”. (Ibid. p106). Et sur l’État bourgeois : “Du fait que la propriété privée s’est émancipée de la communauté, l’État a acquis une existence particulière à côté de la société civile et en dehors d’elle ; mais cet État n’est pas autre chose que la forme d’organisation que les bourgeois se donnent par nécessité, pour garantir réciproquement leur propriété et leurs intérêts, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur” (ibid. p. 105).

La principale caractéristique de l’organisation de la classe exploiteuse dominante, grâce à laquelle cette organisation se distingue d’autres organisations de la même classe, est son universalité. L’organisation d’État est l’organisation de classe la plus large dans laquelle se concentre toute sa force, dans laquelle sont rassemblés les instruments d’oppression et de répression, c’est-à-dire dans laquelle la classe dominante est organisée précisément en tant que classe et non comme fraction ou petit groupe d’une classe. Par suite, si l’État est l’instrument d’une classe, le prolongement de cette classe, un comité de gestion des affaires communes de cette classe toute entière, s’il est précisément cette classe érigée en classe dominante, il s’avère progressif ou réactionnaire, suivant que celle-ci est révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, suivant que la classe organisée en classe pour soi dans l’État, contribue à développer les forces productives ou au contraire s’oppose par la violence à l’expansion de l’humanité.

Cette définition globale n’est qu’en partie valable pour l’État prolétarien transitoire (en raison de ses spécificités historiques) : appliquée à l’État ouvrier et plus générale ment à la dictature du prolétariat, elle devient insuffisante pour nous donner la clé de cette institution et de ce régime politique.

S. et M. Internationalisme (Mai 1977)

 

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [32]
  • La Révolution prolétarienne [33]
  • La dictature du prolétariat [2]

Les origines de l’État et le reste

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Réponse au texte précédent, cette contribution tente d’expliquer le rapport complexe entre société et État, en défendant la thèse que, même le “demi-État” de la Période de Transition gardera des caractéristiques anti-socialistes, par définition de tous les États.
  • Les origines de l’État et le reste 

La discussion qui se déroule à partir de la résolution sur le problème de l’État après la révolution victorieuse du prolétariat ne doit pas être vue comme une spéculation autour d’un thème abstrait. On doit savoir distinguer radicalement l’oeuvre théorique d’un groupe politique de celui d’un Centre de Recherches Scientifiques comme le CNRS. Ce dernier se compose de spécialistes qui étudient telle ou telle discipline en se plaçant en quelque sorte “à l’extérieur”; leur “objectivité” réside dans leur prétendue neutralité. Faire de la recherche est une question de profession ; leurs scrupules scientifiques sont d’ordre professionnel dans la mesure où c’est une activité liée à un intérêt de rémunération. Toute autre est l’élaboration théorique d’un groupe révolutionnaire engagé dans un combat de classe. Il n’est pas “neutre”, mais sa recherche est franchement intéressée, il est partie prenante. Son objectivité n’est pas moins fondée pour autant. Au contraire, car elle apporte aux buts qu’il se propose un fondement de granit venant de la compréhension de la réalité vivante et partant, une plus grande capacité de mener à bien son combat.

L’oeuvre théorique du mouvement ouvrier vient du combat historique même dans lequel la classe se trouve engagée et cette oeuvre n’est jamais achevée car chaque nouvelle expérience apporte des données nouvelles qui permettent et exigent le réajustement indispensable de la théorie, sa re-précision afin de rendre cette arme de classe qu'est la théorie plus efficace et plus décisive dans ses combats ultérieurs.

La question de l’État occupe une place importante dans l’oeuvre théorique du mouvement ouvrier et cela pour trois raisons :

1) La classe ouvrière a déjà atteint un certain développement au moment où la société rentre dans la période de convulsions sociales et des révolutions de la bourgeoisie. Le problème du pouvoir politique, de l’État est au centre de ces révolutions dans lesquelles les ouvriers prennent une part active derrière la bourgeoisie, mais en manifestant déjà aussi, quoique faiblement, leur existence propre comme classe aux intérêts distincts et opposés à ceux de la bourgeoisie (voir les Niveleurs en Angleterre, les Enragés et les Égaux en France, la Ligue Communiste et l’Association Ouvrière en 1848 en Allemagne).

2) C’est dans le capitalisme que l’État achève sa formation et atteint l’apogée de sa fonction historique. C’est donc d’emblée, depuis sa naissance et tout le long de son développement que le mouvement ouvrier sera amené à s’affronter à lui, et confronté au problème plus général de sa nature et de son existence.

3) De ce fait et dès que la classe ouvrière entrevoit la possibilité de son émancipation et l’avènement de la société socialiste, le problème de l’organisation de cette société et celui de l’État va devenir le point central de ses interrogations.

La nécessité de la lutte pour la conquête de l’État sera la première réponse apportée par les Égaux. Cette réponse encore très générale et partiellement ambiguë a le mérite de poser nettement la nécessité de la lutte révolutionnaire armée. Avec les utopistes nous avons une nouvelle approche du problème avec l’affirmation de l’élimination de 1’État dans la société socialiste où le gouvernement des hommes laissera place à l’administration des choses.

Avec l’approche de la révolution bourgeoise en Allemagne aux débuts des années 40 du 19e siècle passé rebondit le débat sur l’État et donne l’occasion au jeune Marx et ses amis en pleine évolution vers le communisme de soumettre à une critique implacable les concepts idéalistes de Hegel pour qui l’État est l’incarnation de l’Idée. Dans leur critique lumineuse, quoique encore développée dans des termes philosophiques, ils feront ressortir que l’État comme toutes les superstructures sociales, politiques ou idéologiques ne sont que les reflets du monde réel, matériel, profane dans lequel vivent les hommes et dans lequel la façon de produire, le mode de production, l’économique constituent en dernière instance la base sur laquelle s’élève tout l’édifice social. Ils montrent l’État comme un produit historique suite à la dislocation de l’ancienne communauté primitive, à la division de la société en intérêts et classes antagonistes. Ils montrent l’État étroitement lié aux modes de production régnants et aux classes les représentant, subissant des modifications et s’adaptant aux changements de modes de production. Chemin faisant, ils dégagent des caractéristiques universelles de cette institution valables dans toutes les sociétés divisées en classes ; la tendance à se séparer et à se hisser au dessus de la société ouvrant un conflit entre l’État et la société civile et sa tendance à créer un corps social particulier et parasitaire : la bureaucratie.

Le cours des événements, des révolutions bourgeoises en 1848, apportera un matériel exceptionnellement riche d’expériences et d’enseignements qui permettra à la Ligue Communiste de dénoncer et de rompre définitivement avec les courants opportunistes comme celui de Louis Blanc et consorts, croyant pouvoir participer au gouvernement bourgeois ; de même de changer complètement, sous le feu de l’expérience, la politique préconisée à l’égard du parti de la démocratie bourgeoise en Allemagne. La lâcheté de cette bourgeoisie démocratique qui semble, en Allemagne, incapable de se hisser et d’assumer sa propre révolution, de même que le coup d’État de Louis Bonaparte en France inciteront et permettront aux révolutionnaires de mieux cerner le problème des rapports entre l’État et les classes économiquement dominantes dans la société et, en même temps ils condamneront catégoriquement les politiques telles que celles de Lassalle qui envisageait pour la classe ouvrière la possibilité de s’appuyer sur ces types d’État, “d’arbitre” -genre Bonapartiste ou Bismarckien dans sa lutte contre la bourgeoisie.

La Commune de Paris sera une expérience de la plus haute importance et ses enseignements vont servir aux révolutionnaires marxistes pour fonder de manière décisive leur théorie sur l’État. Son principal enseignement était que contrairement à l’idée dominante jusque là dans le mouvement de la “conquête de l’État” par la classe ouvrière, celle-ci ne peut conquérir l’État, ne peut l’utiliser mais ne peut et ne doit que le détruire. Avec cette nouvelle notion s’accomplit un pas immense dans la théorie révolutionnaire qui en termine avec une notion floue et une formulation fausse de la conquête de l’État introduite par les Babouvistes et continuée par les Blanquistes et auxquelles sont restés attachés pendant des décennies les Marxistes eux-mêmes. Face aux anarchistes et mises à part leurs élucubrations sur l’anti-autoritarisme etc. la Commune montrera l’invalidité de la conception fédéraliste du socialisme faisant triompher la thèse de l’unité et de la centralisation nécessaire de la nouvelle société. Enfin, la Commune montrera l’inévitabilité dans une première période du resurgissement de l’État, une institution dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle est un fléau dont le prolétariat hérite des sociétés passées comme le disait Engels, et dont le prolétariat aura pour tâche de limiter les plus fâcheux effets.

Suite à cette riche expérience de la Commune, de débats passionnés sur ses enseignements d’une part, d’autre part suite aux récents travaux de Morgan, Marx et Engels en particulier se livreront à de nouveaux travaux théoriques et de recherche sur le problème de l’État, sur ses origines lointaines et son développement dans l’histoire, sur ses rapports avec la société, avec les classes possédantes et les classes exploitées (voir L’origine de la famille, l’Anti-Dühring , La guerre des paysans, de nombreuses préfaces et lettres). Le projet du Programme de Gotha fournira une nouvelle et dernière occasion à Marx de revenir sur ce sujet faisant ressortir, entre autres, l’inévitabilité d’une période plus ou moins longue de transition se situant entre le capitalisme et le communisme, et les problèmes qui lui sont liés : gestion de l’économie, production et distribution, dictature du prolétariat, État. Autant il ressort de ces travaux théoriques une idée extrêmement claire quant à la fonction de l’État toujours lié et s’identifiant aux classes exploiteuses dans l’histoire, et la position absolument antagonique du prolétariat face à lui, autant les problèmes de la nature et de la fonction de l’État dans la période de transition demeurent circonscrits à quelques indications extrêmement importantes, d’ordre surtout négatif et forcément limitées en l’absence de pratique vivante.

C’est la première partie qui constituera l’acquis définitif de la théorie marxiste dont se revendiquera la Gauche de la 2ème Internationale, contre les assauts répétés et envahissants de l’opportunisme : le ministérialisme de Millerand, le révisionnisme de Bernstein, le réformisme des syndicats et la trahison finale de la Social-Démocratie dans la guerre et contre la révolution montante de 1917.

Devant l’annonce de la montée de la révolution et la dénaturation immonde par la Social-Démocratie de la position révolutionnaire-clé du prolétariat face à l’État qu’il doit détruire de fond en comble parce que même sous sa forme la plus démocratique, il est l’instrument de la domination politique de la dictature de la classe bourgeoise, la restauration de la pensée et de la théorie de Marx et d’Engels devenait une tâche d’une urgence brûlante ressentie par tous les révolutionnaires. C’est à cette tâche que va s’atteler Lénine qui, dans son écrit L’État et la Révolution restituant les textes de Marx et d’Engels, résume remarquablement leur véritable pensée sur la position que doit avoir le prolétariat face à la machine d’État capitaliste. Avec L’État et la Révolution de Lénine, aucune ambiguïté n’est plus possible ni tolérable sur le rapport prolétariat et État capitaliste, et ceci marque une frontière de classe infranchissable entre les révolutionnaires et les contre-révolutionnaires. Le livre de Lénine est essentiellement axé sur ce problème concret, pratique, immédiat des besoins de la révolution -comme son titre l’indique d’ailleurs- et non pas une étude générale sur l’État, ses origines et son évolution dans l’histoire ; s’il lui arrive de toucher ces problèmes, c’est uniquement en passant et dans la mesure où cela lui sert pour illustrer sa thèse, l’objectif qu’il se propose, à savoir que l’État capitaliste n’est rien d’autre que la dictature de la classe capitaliste que le prolétariat devrait détruire. Et c’est là le grand et immortel mérite de Lénine.

A la veille de l’insurrection, Lénine est forcément amené à poser le problème de l’État après la révolution. Sur ce plan, il n’a pratiquement rien à ajouter aux généralités déjà énoncées par Marx et Engels à la suite de la Commune et il met en évidence les premières mesures indispensables pour limiter les effets les plus fâcheux : éligibilité à des fonctions, révocabilité et rémunération, mais au fur et à mesure que Lénine tente d’avancer plus avant dans le problème, sa pensée devient de plus en plus floue et ses formulations de plus en plus vagues et même contradictoires. On comprend que Lénine n’ait pas achevé son livre. Non pas seulement à cause du manque de temps, mais pour des raisons bien plus profondes comme il le dit dans son Avertissement à son livre, le 30 novembre 1917 : “Il est plus utile de faire l’expérience d’une révolution que d’écrire sur elle”. Cette expérience ne tardera pas à venir et à sa lumière, combien tragiquement naïves nous paraissent aujourd’hui les pages consacrées par Lénine à décrire le fonctionnement de ce semi-État et ses rapports idylliques avec le prolétariat et la société en général. Autant la notion de dictature du prolétariat paraît claire, autant les différentes définitions de l’État après la révolution qu’on confond parfois avec la dictature du prolétariat : État-Commune, État ouvrier, État de la majorité, État du peuple, État des ouvriers et des paysans, etc. paraissent ambiguës et contradictoires. L’État réduit à sa seule expression de la force armée concentrée est une pensée elle-même réduite qui n’embrasse pas le problème dans son ensemble, dans la complexité de ses différents aspects, une pensée qui aperçoit la paille et non la poutre. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle paraît ignorer et passer par-dessus l’énorme complexité du problème de l’État et la diversité de ses fonctions. Et que dire de cette incroyable simplification de l’appareil d’État au point que la plus modeste cuisinière saurait le diriger comme l’écrivait Lénine ! Toutes ses idées présentant la période de transition en général et le problème de l’État en particulier presque comme une harmonie sociale, sans autres grandes difficultés, devaient rapidement s’avérer comme de la fumée devant la dure réalité. Voilà comment Lénine revenu de ses visions naïves, décrit la réalité du fonctionnement de l’État, cinq ans après :
“... La faute en est à notre propre appareil d’État. Nous avons hérité de l’ancien appareil d’État et ça a été notre malheur. L’appareil d’État fonctionne bien souvent contre nous.”

et plus loin :
“En fait il arrive bien très souvent qu’ici au sommet où nous avons le pouvoir d État, l’appareil fonctionne tant bien que mal, tandis que là-bas à la base où ils commandent, ils font de telle sorte que bien souvent ils oeuvrent contre nos dispositions. Au sommet nous avons je ne sais combien au juste mais de toute façon je le crois, quelques milliers seulement ou, tout au plus, quelques dizaines de milliers des nôtres. Or à la base, il y a des centaines de milliers d’anciens fonctionnaires légués par le tsar et la société bourgeoise et qui travaillent en partie consciemment, en partie inconsciemment contre nous.” (Rapport présenté au 4ème Congrès de l’IC, nov.22).

Ce n’est là pas encore évidemment l’essentiel du problème de l’État ; mais même à ce niveau on peut se demander que sont devenues les simples cuisinières sur qui comptait Lénine en 1917 pour diriger tour à tour L’État. Que s’est-il donc passé ? Les cuisinières ont-elles disparues de la Russie ?

La différence entre les prévisions enchanteresses de L’État et la Révolution et la réalité post-révolutionnaire ne fait qu’éclater chaque jour avec plus de force, ce qui montre toute l’immaturité théorique de la pensée révolutionnaire à la veille d’Octobre 17 concernant le problème de l’État dans la période de transition. Voici en quels termes angoissants Lénine parle de L’État : “Notre appareil d’État... constitue dans une très grande mesure une survivance du passé qui a subi le minimum de modifications sérieuses. Il n’est que légèrement embelli à la surface. Pour le reste, il est le vrai type de notre ancien appareil d’État.” (comment réorganiser l’inspection ouvrière et paysanne, janvier 1923).

Toute la réalité soviétique dès le lendemain d’Octobre, les conflits sans cesse renouvelés et croissants entre des masses d’ouvriers et l’État apportent un démenti cinglant à la thèse idyllique de L’État et la Révolution et montrent que le problème de l’État dans la période de transition, non seulement n’était pas résolu, mais qu’il n’a même pas été posé dans des termes corrects. Le débat sur les syndicats devait révéler à quel point le problème de l’État et de ses rapports à la classe était dangereusement défiguré quand a été émise la proposition -sérieusement avancée et débattue dans un Congrès d’un Parti communiste !- de la militarisation de la classe ouvrière. La redéfinition de Lénine en opposition à la militarisation au nom de l”État ouvrier”, sa définition de l’État comme “État ouvrier et paysan à déformation bureaucratique”, tout en étant plus près de la réalité, constitue bien plus une réaction contre des outrances qu’une véritable analyse de l’État de cette période de transition. La situation évoluant rapidement, nous avons pu constater que la contre-révolution ne s’opère pas forcément contre l’État, mais a pu effectivement se réaliser à travers lui et par la voie de son renforcement au détriment du poids de la classe dans la société.

La mystification de la notion d’État ouvrier et de sa défense jouera un rôle aussi important que celui de l’antifascisme pour entraîner les ouvriers du monde entier dans la deuxième guerre impérialiste. Cette réalité s’imposait tragiquement aux communistes de gauche et devait les obliger à remonter au coeur même du problème de l’État, sa nature, sa fonction dans la révolution prolétarienne.

Nous avons voulu jusqu’ici tracer le long chemin parcouru par les révolutionnaires pour établir les fondements théoriques de la position de classe face au problème de l’État en général, et de l’État de la période de transition en particulier. C’est un chemin extrêmement difficile et ardu et ses contours ne se sont précisés que lentement durant le parcours. Il n’était pas dans notre intention de faire une histoire chronologique et détaillée, mais uniquement d’illustrer sa complexité, son inachèvement et les dangers qu’il présente. Cela contre les camarades qui, par crainte de nouveautés, croient rester sur un terrain solide “marxiste orthodoxe” en s’accrochant à la lettre des textes de Marx Engels-Lénine, plutôt qu’à l’esprit de leur démarche et recherche. Ce faisant, ils se rattachent plus à leur pensée inachevée et à l’inachèvement de leur pensée qu’à la continuation de leurs efforts afin de porter en avant, à leur exemple, l’élaboration de la théorie révolutionnaire de la classe, et ceci à la lumière des nouvelles expériences. Et alors que toute l’expérience tragique de la révolution et de la contre-révolution met en question la notion d’État “prolétarien”, ces camarades pour rester fidèles à la lettre morte préfèrent ne pas s’apercevoir des dangers qu’elle comporte et tendent à les minimiser au point de les estomper, effacer et allant faire l’apologie de cet État.

Dans leur apostolat de l’“État prolétarien”, ils en arrivent à faire de nécessité vertu. Oubliant la mise en garde d’Engels contre ce fléau dont le prolétariat hérite, ils en chantent les louanges et lui découvrent plein de vertus. Leur enthousiasme pour ces vertus nouvellement découvertes est si grand qu’ils en font bénéficier non seulement l’État prolétarien mais l’État en général, tous les États qui à un moment donné étaient les “porteurs du progrès”.

Nous voilà donc ramenés de l’État de la période de transition à l’État en général, à l’État dans le passé, à sa nature et à ses fonctions. Obligés, forcés, nous allons donc les suivre sur ce terrain.

Notons tout de suite en passant avec toutes les réserves et les limites qui s’imposent qu’il y a quelque chose de valable dans la continuité qui existerait entre l’État de la période de transition et l’État en général, mais pas dans le sens des vertus que les camarades croient y découvrir, mais plutôt dans celui d’Engels : l’héritage, la continuité d’un fléau. Ceci dit, leur thèse peut se résumer ainsi :

a) l’État n’est que le pouvoir de coercition et de répression d’une classe dont il est le prolongement ;

b) comme tel, il suit l’évolution de cette classe : progressif quand elle est progressive, répressif quand elle est répressive ;

c) cependant il arrive parfois que l’État devance la classe et est alors le précurseur en quelque sorte préparant le terrain pour la nouvelle classe progressive.

Comme c’est souvent le cas, le faux n’est pas dans ce qu’on dit, mais dans ce qu’on ne dit pas. Une demi-vérité peut autant induire en erreur qu’un mensonge tout entier. C’est ce qui arrive avec la proposition a) de la définition de l’État. Voyons cela de plus près. A la question, l’État est-il un pouvoir de coercition et de répression, tout révolutionnaire marxiste et même non-marxiste répondrait sans hésiter : oui. L’État n’est-il que cela ? Tout marxiste un tant soit peu sérieux répondrait : non. La coercition et la répression sont certes une partie de l’être de l’État qui les contient, mais ne recouvre pas tout l’être de l’État. II arrive avec l’État ce qu’on a pu constater avec la propriété privée. Le développement de cette dernière était une condition fondamentale pour arriver au capitalisme, et s’était tellement confondue avec lui qu’on a fini par habitude de langage à les identifier complètement, les prenant pour se simples synonymes. Longtemps cela ne présentait pas d’inconvénient majeur. Mais il a suffi que la propriété privée tende à diminuer par la formation d’un capital anonyme, impersonnel, pour que certains, figés dans leur orthodoxie de la lettre, l’interprètent comme tendance à la disparition du capitalisme. Il en est de même pour ce qui concerne l’État et la force coercitive. Nous avons tellement mis en évidence contre les démocrates de tous genres le caractère inséparable de l’État et la coercition, que d’aucuns ne voient plus d’une part, que la coercition peut exister et a existé sans État, et d’autre part, font de la coercition et de la violence la totalité de l’État. A l’instar de cette bourgeoisie obtuse que Marx stigmatise avec tant de sarcasmes dans le Manifeste qui, ayant entendu que les communistes veulent instaurer la communauté de biens, concluent qu’ils veulent instaurer la communauté des femmes, certains marxistes, en entendant parler de l’indispensable exercice de la violence par le prolétariat, concluent que le prolétariat “construit” un État et confondent au point d’identifier le prolétariat, sa dictature de classe, avec l’existence et la fonction de l’État.

On pouvait être surpris à première vue de voir M. et S. se donner tant de peine à nous prouver que l’État n’est pas au-dessus ni en dehors de la société et qu’il ne précède surtout pas l’existence des classes. Ce sont là des banalités : contre qui nos Don Quichotte s’attaquant contre des moulins à vent croient-ils s’attaquer ? Car qui parmi nous n’a jamais affirmé ce qu’ils semblent vouloir combattre ? Ce à quoi rime tout ce bruit en réalité, c’est de pouvoir affirmer l’idée que l’État n’est que le prolongement d’une classe : chaque classe créant son État à l’instar de Dieu créant du néant l’homme à son image. Et pourquoi alors le prolétariat se priverait-il de créer lui aussi son État ? Je vous le demande un peu. Et voilà la démonstration faite de l’identité entre le prolétariat et l’État dans la période de transition. CQFD ? Pour appuyer sa démonstration S. nous emmène jusqu’à l’origine de l’État où il jongle avec l’État et la classe, comme avec le dilemme sophiste de la primauté de l’oeuf et de la poule. Il nous emmène jusqu’à la société gentilice où il se promène avec tant de désinvolture qu’on le croirait Place de la Concorde. Pour M. et S. l’histoire n’a pas de secret. Comme sur un papier à musique, les notes sont bien ordonnées, chacune sur sa ligne. Sa vision est à peu près la suivante : dans la société gentilice, il n’existe pas d’État quoiqu’une certaine division de fonction hiérarchique soit déjà présente. Et voilà qu’il se produit une évolution aboutissant à la construction de classes. Entre celles-ci, la classe la plus puissante esclavagiste se réunit et décide la constitution d’un État pour maintenir les esclaves sous le joug. La chose se passe successivement de même pour l’État féodal et l’État capitaliste. C’est simple, net, pas plus compliqué que ça.

Marx et Engels qui connaissaient aussi la place de la Concorde se mouvaient dans l’histoire avec beaucoup plus de prudence. Rappelons pour mémoire la définition devenue classique d’Engels dans L’origine de la famille et de l’État :

“L’État est un produit de la société à une certaine étape de son développement. Il constitue l’aveu que cette société s’est empêtrée dans une insoluble contradiction avec elle-même, qu’elle s’est divisée en antagonismes inconciliables dont elle est impuissante à se débarrasser. Mais pour que ces classes, ayant des intérêts contradictoires, ne se dévorent pas l’une l’autre et ne dévorent pas le société dans une lutte stérile, une force se tenant en apparence au dessus de la société est nécessaire, chargée d’étouffer le conflit, de le maintenir dans les limites de “l’ordre”. Cette force issue de la société, mais se tenant au dessus d’elle et s’en éloignant de plus en plus, c’est l’État”. Engels (Origine de la Famille)

On remarquera avec quelle ampleur de vue Engels aborde le problème du surgissement de l’État. Nous sommes loin ici de cette simplification schématique qui consiste dans la représentation de : Société - classe - classe dominante - État où l’État est le petit-fils, sinon le fils du petit fils. Pour Engels, l’État est directement le “produit de la société à une certaine étape de son développement”. Quand “cette société s’est empêtrée dans une insoluble contradiction avec elle-même”, aucune société ne peut exister et se maintenir dans un tel état : elle court directement à sa perte, si elle laisse les classes “se dévorer l’une l’autre” au risque de dévorer la société toute entière. Pour éviter une telle catastrophe sociale, la société doit trouver une solution; non pas une solution dans le sens d’un vouloir conscient et concerté, mais comme un besoin qui s’impose à elle, non pas venant de l’extérieur mais de l’intérieur, des entrailles mêmes de la société.

Il ne s’agit pas ici de conciliation, ni de médiation entre les intérêts antagoniques qui déchirent la société, il s’agit de se donner un cadre social, un “ordre” social afin de maintenir, ou comme dirait Engels de “réfréner”, les conflits dans les limites de cet “ordre”. Le gardien attitré de cet “ordre” dans le sens le plus large du mot : toutes les superstructures administratives, politiques, juridiques, idéologiques, artistiques, correspondant au stade de développement des forces productives et que la société secrète et dont elle a besoin : c’est l’État.

Quand on étudie l’origine de l’État à la sortie historique de la société gentilice, la question n’est pas : est-ce qu’il précède la formation des classes, mais de ne pas se contenter de faire une liaison mécaniste classe-État, non pas parce que cela n’est pas vrai, mais parce que cette formulation est incomplète, étriquée, et simplifiée à outrance, laissant en marge toute la complexité vivante de la réalité historique. Nous ne voulons pas faire un cours d’ethnographie, mais il faut rappeler ces caractères fondamentaux de la société gentilice : c’est une société fondamentalement naturelle, et cela dans les deux sens ; elle est d’une part dominée à l’extérieur par la nature, des forces naturelles, climat, végétation, gibier, et qu’elle ne fait que subir et suivre, et d’autre part, elle est constituée et organisée à l’intérieur sur la base des liens naturels -liens de sang. Ce sont ces éléments naturels qui fondent sa cohésion et son unité interne. Sa vie et son activité économique sont en vue de la consommation immédiate, cueillette, chasse et pêche. Il n’y a pas ou à peine de division du travail -même si dans ses stades supérieurs commence une division des fonctions- pas de propriété privée, une communauté nécessaire de biens, d’habitat, un lent et long processus de développement des forces productives, la découverte de la domestication et l’élevage, l’agriculture, les développements de la division du travail, l’échange, le stockage, l’accumulation de richesse entraînant la formation de la propriété privée, les guerres de pillage, les besoins de la défense, les nécessités des travaux publics, la fin de la famille matriarcale et la domination de la femme par l’homme, le développement démographique, la possibilité d’utiliser la force de travail produisant plus de travail et donc l’esclavage pour des raisons économiques, la formation de castes et d’intérêts divergents et antagoniques, c’est toute cette évolution que le cadre de la société gentilice ne pouvait contenir qui fait éclater cette ancienne communauté. Cet éclatement est à la fois, et dialectiquement, une libération de l’homme de sa stricte soumission à la nature en produisant par lui-même le nécessaire à sa subsistance, et par la dislocation de sa cohésion, la perte de son unité, l’ouverture d’une nouvelle ère : l’ère de l’aliénation de l’homme par les forces sociales qu’il a lui-même créées.

La perte de l’ancienne cohésion et unité, les conflits des intérêts antagoniques constitués en classes, créent un vide que, tout comme la nature, la société a en horreur et ne peut supporter. Reconstituer au milieu de ces bouleversements une cohésion, une unité sur de nouvelles bases est un besoin impérieux de la société. Ces nouvelles bases sont d’abord l’unité non de sang, mais territoriale, l’admission, la reconnaissance et la soumission de gré ou de force, les structures économiques nouvelles : les classes et l’exploitation ensuite, et enfin le tout encadré dans une superstructure sociale, un pouvoir s’appuyant sur une force matérielle propre, la force armée désormais séparée de la société : en un mot l’État.

Comme on le voit, cette vision est plus ample, plus profonde aussi, embrasse et cerne mieux la complexité de l’évolution que cette vision “l’État est le prolongement d’une classe”, tout en la contenant. Nous pouvons certes rencontrer cette définition lapidaire tout le long de nos lectures dans la littérature marxiste, mais pour la comprendre, il faut toujours la situer dans son contexte, tenir compte des circonstances, de ce qu’on veut prouver, de ce qu’on veut mettre en relief, et encore contre qui, contre quel adversaire on est en train de livrer bataille. Dire, par exemple, “le verre est à moitié plein” nous donne une constatation statique, morte, ça ne nous donne aucune indication sur le mouvement, le sens du mouvement et ce qu’on se propose d’atteindre. Par contre, si nous disons : “le verre est encore à moitié plein ou déjà à moitié plein”, “déjà à moitié vide ou encore à moitié vide”, nous saisissons immédiatement et clairement le mouvement, les préoccupations et les intentions de l’interlocuteur -ce qu’il veut nous démontrer- et jusqu’à quel point il réussit à nous le démontrer. Il ne s’agit pas de lire des mots et de les recopier, il s’agit de savoir lire et le mot-à-mot peut parfaitement faire dire le contraire de ce que l’auteur a voulu dire. Pour rendre fidèlement l’idée du texte qu’on cite, il faut savoir l’interpréter en le restituant dans l’ensemble du contexte, tel que nous allons voir, le définir.

Pour parler de L’État et la Révolution par exemple, on doit comprendre et garder l’esprit ce que Lénine voulait démontrer, se demander s’il a réussi son propos. Lénine ne se propose pas d’enseigner à Kautsky l’histoire de la formation de l’État. Il suppose, et avec raison, que ce dernier la connaît aussi bien que lui. Ce que Lénine se propose de démontrer, c’est que Kautsky est un renégat à sa classe, un renégat du marxisme, qu’il déforme en toute connaissance de cause, et cela Lénine l’a réussi magistralement. Face à Kautsky, Lénine ne cherche démontrer qu’une chose : que l’État est directement lié aux classes possédantes pour mieux assujettir et soumettre les classe exploitées à leur exploitation. Comme un bouledogue, Lénine enserre Kautsky dans cette question entre les mâchoires et ne le laisse pas s’échapper.

Le reste, les autres aspects du problème, il ne les discute avec Kautsky qu’incidemment ; c’est pour cela que ça n’a aucun sens de se référer au Lénine de l’anti-Kautsky dans la discussion, à moins de vouloir faire étalage de sa propre érudition. Que veulent démontrer M. et S.? Que l’État de la période de transition est prolétarien dans le sens qu’ils lui donnent, c’est-à-dire un “prolongement” du prolétariat, et c’est ça que les camarades doivent toujours avoir à l’esprit. Et c’est pour nous le démontrer qu’ils nous ont emmenés gentiment faire un tour... dans la société gentilice (Bilan servant de guide). Nous sortons de ce tour comme le touristes des autocars tour-de-Paris : “ici Notre-Dame, bâtie en... ; là à droite, la Saint Chapelle où a séjourné Marie-Antoinette avant son exécution... ; au fond, notre déjà connue Place de la Concorde...”. Avec S. nous avons appris que la société gentilice donne naissance à une classe, les maîtres d’esclaves, laquelle classe donne naissance une institution qui s’appelle l’État qui a pour raison d’être de garder par la force les esclaves. C’est franchement peu. De tout le drame historique que l’humanité est en train de vivre, la destruction de son “monde naturel’ l’entrée dans l’ère de l’aliénation social avec tout ce que cela comporte de classes, exploitation, luttes et révolutions, et qui est le substrat sur lequel s’élève la superstructure de l’État, S. ne nous dit malheureusement pas grand-chose, le tout se réduit à un tempête dans un verre d’eau, alors que c’est le passage dans l’histoire de la société humaine de la thèse primitive à l’antithèse qui la nie et qui va durer des milliers d’année jusqu’à ce que les conditions se soient développées pour la nier à son tour dans la synthèse de la reconstitution de la communauté humaine !

Avant de répondre à la question de comment se “résout” le problème de ce drame historique dans lequel s’empêtre la société nous voulons d’abord souligner que le porteur de la “solution” n’est pas forcément celui qui pose le problème ; dans le monde social, à l’échelle des grands changements dans l’histoire, c’est généralement le contraire qui est la règle. Et, maintenant, nous pouvons voir avec Engels la réponse au problème posé :

“Comme l’État est né -écrit Engels- de la nécessité de refréner les antagonismes de classes, comme en même temps l’État a pris naissance dans le conflit même de ces classes (à bien méditer sur ces prémisses préalables, MC), il est en principe 1’État de la classe la plus puissante, de la classe économiquement dominante qui, grâce à lui, devient également la classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens d’opprimer et d’exploiter la classe dominée”.

Quelques remarques en passant : premièrement, une classe est une définition économique et c’est un postulat marxiste que seules les classes économiquement dominantes peuvent devenir “la classe politiquement dominante”. C’est à sens unique. Cela pour répondre à Burnham ou à Socialisme ou Barbarie qui prétendaient que la bureaucratie d’État pouvait devenir une classe économiquement dominante, créant une “société bureaucratique” (?). Deuxièmement, le passage de la domination économique d’une classe à la domination politique est une loi pour toute la période historique de la société divisée en classes et dont la superstructure est l’État ! (Quelle que soit la classe dominante). Cette période va de la fin de la société gentilice à la fin du capitalisme. Cette loi n’est plus valable pour le prolétariat parce que sa révolution relève et marque l’ouverture d’une nouvelle ère dans l’histoire humaine qui ne laisse aucune place pour une domination économique de classe. II est donc une profonde erreur théorique de parler comme certains textes “du prolétariat devenant également dominant économiquement”; dominer l’économie et “économiquement dominante” sont deux choses distinctes. Une classe économiquement dominante ne peut avoir qu’une signification “opprimer et exploiter la classe dominée”. Contradiction logique absolue avec le prolétariat. Troisièmement, de la même erreur théorique relève cette autre affirmation faisant l’amalgame entre la source économique ou politique sur laquelle une classe tire sa domination et son pouvoir. Comme nous l’avons vu, les lois qui régissent l’ère pré-socialiste et celle-ci ne sont pas identiques, mais fondamentalement divergentes : dans l’ère pré-socialiste, la loi est celle de la source économique et uniquement celle-la, à l’encontre du prolétariat qui, dans la période de transition, ne peut pas avoir de source économique propre, de domination. C’est donc un non-sens que de vouloir appliquer les lois et leurs implications de l’un à l’autre.

Pour revenir à notre sujet et au texte cité, constatons qu’Engels fait la distinction entre la source du problème (la société) et le porteur de la solution (la classe économiquement dominante), nous reviendrons sur ce point plus loin. Il est intéressant de remarquer qu’après avoir posé avec soin les données du problème et avant de répondre, Engels introduit ces quatre mots : “il est en principe”, qui a un sens éminemment restrictif (ailleurs, sur le même point, Engels emploie le terme “en général” qui a le même sens restrictif).

Pourquoi cette restriction ? Parce que la loi générale et les conditions concrètes réel les de son application ne sont pas forcément identiques, ne se recouvrent que rarement complètement dans la réalité (sans être un scientifique, je crois que nous retrouvons le même phénomène dans toutes les disciplines scientifiques). Nous sommes loin du simplisme qui veut que l’État corresponde toujours à la classe économiquement dominante et à l’image exacte de celle-ci. Comme toutes les superstructures idéologiques, politiques, juridiques, etc., l’État également retarde généralement sur la réalité changeante des structures. Selon les degrés de leur lien avec la structure et les autres facteurs circonstanciels, les superstructures mettent plus ou moins longtemps et se décomposent lentement dans l’histoire avant d’y disparaître dans la nuit des temps. Les superstructures jouent certainement un grand rôle dans la société mais essentiellement négatif, conservateur de par leur nature même. Elles représentent le passé, le temps-mort qui pèse lourdement sur la vie des hommes vivants.

Pour ce qui concerne l’État, ce rôle conservateur est particulièrement fort, parce que ce rôle est étroitement lié à l’appui et à la défense des intérêts de classes qui, ayant perdu leur position dominante, gardent encore des positions économiques très fortes dans la société. Nous pouvons observer des modes de production survivre longtemps et même réapparaître partiellement à nouveau, dans certaines circonstances historiques favorables à eux, et avec eux les classes qui en sont les porteuses. Un exemple : l’esclavage qui avait depuis longtemps disparue en Europe, des pays qui avaient déjà dépassé le féodalisme et étaient en plein développement capitaliste se font les champions et les hérauts de l’esclavagisme telle l’Angleterre -et Liverpool va devenir la place-forte florissante du commerce d’esclaves noirs d’Afrique pour l’Amérique. L’esclavage va jusqu’à la première décade de la deuxième moitié du 19ème siècle, alors que même la Russie arriérée et tsariste venait de s’affranchir du servage.

Si de tels retours en amère sont possibles même au niveau des structures, comment s’étonner de ce qui peut se passer et se passe au niveau de la superstructure qu’est l’État ? Que l’État retarde toujours et tout au plus marche au pas et ne devance jamais les structures sociales, toute l’histoire est là pour l’attester. Nous ne voulons pas faire un cours d’histoire, d’autres camarades développeront ce thème et multiplieront les exemples. Qu’il nous suffise simplement de rappeler l’influence, longtemps prédominante, de la classe des propriétaires fonciers sur l’État en Angleterre, alors que la classe bourgeoise industrielle était depuis long temps la classe économiquement dominante. Qu’il nous suffise de rappeler que la bourgeoisie allemande a subi jusqu’en 1918 la domination politique de junkers prussien et d’un État bismarckien ; les exemples dans le sens contraire se réduisent à la monarchie absolue, ou à Pierre Le Grand et sont tout simplement ridicules.

Pourquoi ce sont les classes économiquement dominantes qui portent “en principe” la “solution” ? La réponse est dans la question même. Citons une fois encore Engels : “l’État (était) est le représentant officiel de la société toute entière, sa synthèse en un corps visible, mais il n’est (était) tel que dans la mesure où il est (était) 1’État de la classe qui elle-même représente (ait) en son temps la société toute entière”. (l’Anti-Dühring)

Il est temps de conclure, quoiqu’il y ait encore bien des aspects laissés dans l’ombre et bien des choses à dire. Nous aurons encore l’occasion d’y revenir. Je voulais répondre uniquement à la question soulevée sur l’origine de l’État, et faire quelques remarques adjacentes. Pour nous résumer :

1) L’État est l’indication qu’une société est déchirée en intérêts antagoniques et irréconciliables, et il est son produit. C’est la fausse unité d’une unité rompue et la condition de sa survie. L’État est une institution incarnant et matérialisant la non-unité et tendant à maintenir, à conserver la société en vie dans ce cadre. Maintenir ce cadre devient la raison d’être, la fonction sociale de cette institution; et cette institution d’État durera tant que la société sera déchirée, quelle que soit la classe qui domine la structure économique de la société.

2) Comme à différents stades, ce sont des modes différents de production et les classes qui y sont indissolublement liées qui dominent la société, ces classes tendent et réussissent à adapter et à dominer les superstructures et en premier lieu la superstructure politique : l’État. Vu à ce niveau historique, l’État se présente comme l’instrument des classes exploiteuses en général[1] [34].

3) Pour pouvoir remplir sa fonction, au milieu des classes et de leurs luttes dans le but de soumettre les classes exploitées, l’État s’appuie sur une force matérielle, la force armée, qu’il monopolise, et partiellement sur des pouvoirs économiques. Il acquiert ainsi une force propre et tend à s’élever au-dessus de la société et à la dominer. D’où une opposition grandissante entre l’État et la société civile. L’État se renforce au moment où la phase historique de l’existence de sociétés de classes tend à sa fin et à décliner. Cela est également vrai pour chaque variété de société de classes prise isolément à l’intérieur de la phase générale (voir la Monarchie absolue, etc.). Le capitalisme d’État est l’apogée de l’existence historique de l’État : c’est un pouvoir politique et économique unifié totalitairement. C’est la domination et l’absorption de la société civile.

La révolution prolétarienne sonne l’heure de la nécessité d’en finir avec le déchirement de la société en classes. C’est le début de la fin de toute société de classes, début de la fin de l’institution qui personnifie ce type de société : l’État.

Toutes les révolutions antérieures s’exprimaient dans le perfectionnement et le renforcement de la machine d’État. La révolution prolétarienne s’inscrit dans le sens contraire, non vers une identification, mais vers une plus grande distinction avec l’État et vers son dépérissement actif et accéléré. C’est là le fond du projet de résolution.

M.C. Révolution Internationale – France (Juin 1977)


[1] [35] De même que les prix ne recouvrent pas la va leur de chaque marchandise prise isolément, mais recouvrent complètement la valeur de l’ensemble des marchandises, de même l’État ne recouvre qu’imparfaitement et partiellement chaque classe économiquement différente isolément, mais recouvre pleinement toute la période historique où existent différentes sociétés de classes.

 

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [31]

Questions théoriques: 

  • Communisme [36]

Réponse à des critiques

  • 2733 lectures

Cette intervention résume le débat jusqu’en 1977 et défend la position qui se dessinait comme “majoritaire” dans le CCI; à savoir, le Prolétariat, tout en utilisant l’État de la Période de Transition, doit sauvegarder son autonomie de classe.

  • Réponse à des critiques

 A coup d’exégèses sur la société gentilice, de dissertations sur l’histoire, et la confrontation scolastique des citations des maîtres, on peut se demander si on ne risque pas de perdre le fil du débat. Pour réellement permettre un approfondissement des idées, il faut se rappeler que le CCI a lancé cette discussion non pas pour faire étalage de ses connaissances (somme toute, limitées) ni pour rivaliser avec les oeuvres universitaires sur l’État mais pour clarifier une question qui sera d’une actualité brûlante et d’une réalité tangible dans un processus révolutionnaire. C’est dans un souci directement militant que nous discutons cette question. Cela ne rend pas nos conclusions a priori plus justes mais donne un cadre au débat pour qu’on puisse cerner l’essentiel.

La résolution pose une question fondamentale : la classe ouvrière s’identifie-t-elle à l’État qu’elle domine dans la période post révolutionnaire ?

Le projet de résolution parle du surgissement inévitable d’un État dans la société transitoire, qui ne sera nullement “séparé” de la classe ouvrière mais au contraire subira la domination de celle-ci. La résolution ne parle pas d’un “État-médiateur” ni d’un “État inter-classiste”. Ces formulations surgies dans la discussion sont fausses et étrangères à la lettre et à l’esprit de la résolution. Ces termes se sont glissés dans le débat parce que des camarades voulaient, avec raison, souligner le fait que les Conseils ouvriers ne seront pas les seuls éléments constituant la nouvelle société et par conséquent le nouvel État. Mais ces formulations nient implicitement la dictature prolétarienne sur l’État; elles ne font qu’obscurcir le fait que seule la classe ouvrière sera représentée en tant que classe dans l’État (les autres membres de la société de transition auront une représentation géographique à travers des conseils territoriaux).

Ces confusions sur les formulations sont significatives parce qu’elles montrent que toute exagération dans un débat théorique complexe peut fausser la base même du débat. Comme d’autres l’ont déjà dit, il y a effectivement une classe dominante dans l’État transitoire -le prolétariat- mais ce n’est pas une classe dominante comme toutes les autres que l’histoire a connues puisqu’elle ne domine pas l’économie mais cherche à détruire toute “économie” séparée de la communauté humaine.

Le prolétariat ne laissera pas l’État agir comme “le médiateur” contre ses propres décisions et ses propres intérêts. Le prolétariat essaiera autant que possible d’utiliser l’État pour avancer ses intérêts et son programme tout en étant obligé de tenir compte de la réalité immédiate de l’organisation sociale. Voilà le noeud du problème : l’État transitoire n’est pas forcément le serviteur fidèle et malléable du prolétariat.

S’il est clair que “l’inter-classisme” et “l’État-mediateur” n’expriment pas la position défendue par la résolution, nous pouvons, d’un côté, cesser d’attaquer des hommes de paille, et de l’autre côté, nous pouvons développer une démarche rigoureuse.

Au coeur de la résolution se trouve la reconnaissance de la différence entre les Conseils ouvriers, organes de la classe ouvrière, indissolublement liés à la réalisation du programme communiste d’une part, et d’autre part, les “soviets” territoriaux, organes de l’État transitoire groupant l’ensemble de la société sans les exploiteurs et dans lesquels les Conseils ouvriers agissent pour imposer la dictature de classe. C’est dans ce sens que se posent les questions suivantes :

  • Faut-il effacer cette distinction en diluant la classe ouvrière dans tous les membres de la société transitoire (ou membres venant de toutes les couches travailleuses non exploiteuses) ?
  • Faut-il exiger, comme face à l’État transitoire, que le prolétariat dise : “l’État c’est nous” ou faut-il au contraire, qu’il mette en garde contre l’identification de ses intérêts de classe avec l’État ;
  • Faut-il que le prolétariat s’efforce de dominer l’État ou la révolution socialiste et l’État sont-ils identiques ?

Ces questions difficiles sont des questions nouvelles dans le mouvement ouvrier depuis l’expérience de la révolution d’Octobre. Bien entendu, les marxistes ont écrit sur l’État et sur l’État dans la période de transition, avant 1917, mais ces questions précises ne sont pas véritablement posées dans la littérature marxiste avant 1917 et ne pouvaient pas l’être ; on y trouvera encore moins une réponse toute faite.

En prenant le projet de la résolution comme point de départ, nous voulons répondre à certaines objections soulevées par les camarades.

  • Les objections

1) Il n’y a pas ici une nouvelle question. Le marxisme “orthodoxe” répond aux problèmes de l’État dans la période de transition.

Marx et Engels ont écrit sur l’État en tant qu’institution sociale dans les différentes étapes de l’histoire pour concrétiser la théorie du matérialisme historique. Leur but principal était de dénoncer les mystifications sur 1’État faisant de lui “la réalité de l’Idée Morale”, l’incarnation de la “Raison” en termes hégéliens, l’incarnation du “Mal” en termes anarchistes, ou plus généralement une abstraction sociale qui obligerait à l’éternelle soumission. Dans L’Origine de la Famille... Engels s’efforce de démontrer que l’État n’est pas éternel mais “le produit de la société à une certaine étape de son développe ment. Il constitue l’aveu que cette société s’est empêtrée dans une insoluble contradiction avec elle-même, qu’elle s’est divisée en antagonismes inconciliables dont elle est impuissante à se débarrasser, l’État est l’expression super-structurelle de l’unité sociale brisée et aliénée ; c’est la sanction officielle, la légalisation des rapports sociaux en faveur de la classe qui domine économiquement”.

Mais Marx et Engels n’ont jamais fait une synthèse systématique sur l’État dans l’histoire (sauf par rapport aux origines de celui-ci) ; la richesse de leur pensée se trouve essentiellement dans les réponses qu’ils apportent ponctuellement aux adversaires politiques et dans leurs analyses des événements historiques de leur époque. Bien qu’une vision générale par rapport à l’État dans les sociétés d’exploitation ressorte de leurs oeuvres (et nous y reviendrons pour répondre aux camarades qui la réduisent à des simplismes unilatéraux), nous ne trouverons que quelques passages concernant l’État dans la période de transition au socialisme, éparpillés dans leur oeuvre ayant pour but essentiel de tirer le bilan des luttes de 1848 et de la Commune.

Au sujet de l’État post-révolutionnaire, Marx et Engels établissent le cadre général de la discussion sans pouvoir éclaircir tous les aspects. Une idée fondamentale ressort de leurs écrits après la Commune : il faut détruire de fond en comble l’État bourgeois ; il faut rejeter l’idée illusoire selon laquelle le prolétariat peut conquérir l’ancien appareil d’État. Cette compréhension “est la condition préalable de toute révolution populaire”, écrit Marx déjà en avril 1871. Marx et Engels posent la nécessité historique d’une période de transition du capitalisme au socialisme, laquelle s’ouvrira avec la révolution prolétarienne. Dans cette période de transition, où la société sera encore déchirée en classes, surgira inévitablement un État qui ne dépérira qu’avec la disparition des classes.

Pendant cette période de transformation sociale, le prolétariat se constitue en classe dominante, “l’État, c’est-à-dire le prolétariat organisé en classe dominante” (“La dictature du prolétariat”). Cependant Engels écrit : “le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il (cet État) est un fléau dont le prolétariat hérite du passé”. (Origine de la Famille...)

Mais cet État n’est qu’un “demi-État”, un “État-Commune” dans la mesure où c’est un État de “l’immense majorité”, la réalisation de la démocratie. Marx et Engels ont été amenés à préciser leurs idées à travers l’analyse de la Commune mais cette courte expérience d’une seule ville n’a pas apporté suffisamment d’éléments pour répondre à toutes les questions. Si la Commune s’était généralisée, ne serait-ce qu’à l’échelle de la France, l’idée vague des “Communes” territoriales aurait sûrement fait place à des précisions théoriques sur le rapport entre le prolétariat, classe minoritaire de la société et l’immense majorité de la population.

Chez Marx et Engels, nous trouverons un cadre général, des idées sur une politique économique, certaines mises en garde par rapport à l’État, mais il est vain de chercher même dans leurs éclairs de pensée les plus formidables une réponse complète sur l’État dans la période post-révolutionnaire.

Lénine dans L’État et la Révolution reprend la pensée marxiste sur l’État telle qu’elle a été formulée jusqu’en 1914, il la résume en mettant en relief certains aspects mais il ne la dépasse pas et n’aurait pas pu la dépasser sans la révolution d’Octobre. Tout le livre est dirigé contre la deuxième Internationale, contre l’idée d’une conquête graduelle et pacifique de l’État bourgeois mais tout en reconnaissant l’importance fondamentale de ce travail. De notre point de vue aujourd’hui ce n’est pas la destruction de l’État bourgeois qui ferait l’objet du débat dans le CCI !

Quant à l’État transitoire, Lénine s’appuie sur Engels pour le voir essentiellement sous l’aspect de la lutte contre la bourgeoisie :
Engels : “Comme 1’État n’est après tout qu’une organisation provisoire dont on se sert dans la lutte, pendant la révolution pour terrasser 1’adversaire par la violence, c’est donc un non-sens que de parler d’un État populaire libre”.
Lénine : “Les travailleurs n’ont besoin de l’État sous la direction du prolétariat que pour terrasser la résistante des exploiteurs” (p39)... “Le prolétariat doit absolument posséder le pouvoir d’État afin de réprimer la résistance des exploiteurs” (p.119).

A la lumière de l’expérience de la vague révolutionnaire de 1917, nous pouvons affirmer que l’État transitoire ne trouve pas sa raison d’être uniquement dans les exigences de la lutte contre la bourgeoisie. Au contraire, en fait, l’insurrection est accomplie par le prolétariat seul, par les conseils ouvriers en armes. Et même si la nécessité d’une guerre civile étendue posait la question de l’État, il serait faux de conclure que pendant cette guerre civile 1’État ne serait qu’une question militaire ou qu’une fois la guerre civile terminée, le problème trouverait une solution toute faite.

Sur les rapports entre le prolétariat et les autres membres de la société transitoire, Lénine n’a que des formulations générales :
“le prolétariat doit organiser toutes les masses laborieuses exploitées pour une forme nouvelle de vie économique”, “la démocratie pour l’immense majorité du peuple...”.

Il dit avec raison que “la suprématie politique, la dictature du prolétariat, c’est-à-dire un pouvoir qui n’est partagé avec personne...” mais ajoute “qui s’appuie directement sur la force armée des masses”, ou encore “... les forces combinées de la majorité du peuple, des ouvriers et paysans”. L’idée erronée de “l’État des ouvriers et des paysans”, de “l’État démocratique” n’est pas abordée à fond dans ce livre de Lénine. La distinction entre le prolétariat et les autres membres de la société n’est pas traitée en théorie parce que la pratique n’en a pas encore révélé l’importance.

A cause des omissions ou plutôt à cause du flou théorique concernant les tenants et les aboutissants de la dictature du prolétariat face à la population générale, Lénine pouvait se faire maintes illusions sur le fonctionnement “facile” de l’État transitoire. Ses idées sur la simplification des fonctions du pouvoir d’État, sur l’État qui perdrait tout caractère privilégié et hiérarchique, nous semblent hélas, très naïves face à l’expérience historique.

De plus, Lénine s’appuie sur Engels de l’Anti-Dühring : “le prolétariat s’empare de la puissance de l’État et transforme tout d’abord les moyens de production en propriété de l’État. Par là, il se détruit lui-même en tant que prolétariat” (!)...“le premier acte par lequel l’État se manifeste réellement comme représentant de la société tout entière, à savoir, la prise de possession des moyens de production au nom de la société est en même temps le dernier acte propre de l’État”.

Lénine ajoute que c’est là une preuve que l’État dépérira de lui-même ! Plus tard, cette même idée erronée servira comme soutien à l’utilisation du capitalisme d’État par l’État “ouvrier” en Russie (comme Lénine le dit déjà dans L’État et la Révolution : “un seul grand trust de l’État”). L’ironie tragique de L’État et la Révolution c’est que les deux principaux dangers de l’État que Lénine souligne dans son livre (en pensant que les quelques mesures de la Commune auraient suffi à les éliminer) -à savoir : l’État en tant que force année d’oppression séparée de la population et la bureaucratisation- sont justement ceux qui se développent le plus dans la révolution d’Octobre.

En somme, le marxisme n’est pas et ne peut pas être une “orthodoxie” surtout sur la question de l’État post-révolutionnaire ; il ne nous servira à rien de prendre à la lettre toutes les formulations de Marx, Engels et Lénine, ni de prétendre que toutes les questions sur la période de transition trouvent dans leurs oeuvres une réponse complète.

Il ne s’agit pas d’innover le marxisme mais de compléter les lacunes théoriques et corriger des erreurs du passé dues aux limites de la période historique avant 1914.

Vouloir se limiter à un marxisme “orthodoxe”, c’est tout simplement nier le débat et de plus, s’enfermer dans une mi- passe stérile qui va à l’encontre de toute la méthode marxiste.

2) Vous êtes trop obsédés par la révolution russe

En effet, le fondement du matérialisme historique est la capacité de synthétiser les enseignements de l’expérience historique. Certains camarades pensent qu’il suffit de répéter, après Marx et Engels, les leçons de la Commune mais on trouve très peu de concret dans les objections qui se référent à la révolution d’Octobre et plus généralement à toute l’expérience de la vague révolutionnaire de 1917-27. On nous parle de “l’État Commune” comme si l’histoire n’avait jamais connu l’État soviétique. Et pour d’autres, il est plus facile de tourner le dos en se réfugiant dans la sphère des abstractions. Obsédés par l’expérience concrète et l’échec de la révolution russe ? Oui, et pour cause.

Quels sont certains des aspects principaux de l’expérience de la Russie, État soviets ?

a) Face à la bourgeoisie, le prolétariat, seul, a mené à bien l’insurrection. Directement après la prise du pouvoir, nous voyons le Congrès des soviets des ouvriers et soldats nommer leur “Comité Central”, essentiellement l’émanation de la classe ouvrière, bien qu’il y ait eu au début des soldats d’origine paysanne. En apparence, ces premiers soviets semblent se rapprocher de l’idée que se font certains camarades, selon laquelle l’État ne serait que l’émanation d’une seule classe. Mais en réalité, ce n’était pas encore véritablement l’État. Rapidement, dès la fin de 1917, des soviets territoriaux se généralisent dans tout le pays et le Congrès des soviets, devant lequel le gouvernement central est responsable, devient un amalgame de toute la population sans distinction effective entre la classe ouvrière et l’ensemble de la démocratie soviétique.

Plus tard, dans la constitution de l’État soviétique, les délégués des paysans sont élus dans la proportion de 1 pour 125000 paysans et les délégués des ouvriers des villes, 1 pour 25 000 ouvriers ; cette mesure n’assure pas véritablement une hégémonie numérique et encore moins, bien entendu, une hégémonie politique, qui est tombée dans les mains du parti étatique. Mais cette mesure, dans son esprit et non pas dans sa formalisation précise, montre le souci et les difficultés de l’État transitoire.

L’État transitoire, celui des conseils territoriaux, de la démocratie pour l’immense majorité ne sera évidemment pas composé uniquement des conseils ouvriers. Les exigences de la formation d’un État se feront sentir rapidement et nécessiteront une distinction beaucoup plus claire des conseils ouvriers au sein des conseils territoriaux pour que la classe ouvrière puisse réaliser son programme.

b) Au cours de la révolution, les organes unitaires de la classe ouvrière (conseils, comités d’usines) tombent de plus en plus en marge de la société, en faveur de l’organisation étatique ; le parti révolutionnaire de la classe ouvrière devient parti étatique, happé par l’engrenage de l’État territorial. Loin de voir L’État et la Révolution se concrétiser, on voit tout le contraire : le renforcement de l’État, de son pouvoir sur les moyens de production en dehors de la classe ouvrière, le développement d’une bureaucratie privilégiée et gestionnaire de l’économie.

c) Les différentes mesures économiques prises pendant la révolution russe témoignent d’une énorme confusion et montrent des zigzags constants. Dans la mesure où une ligne se dégage, c’est le capitalisme d’État, garanti par l’État ouvrier. L’État russe s’embarque dans “l’émulation économique”, la “gestion unique” pour accroître la productivité, et aboutit à la militarisation du travail. La tendance vers le socialisme caractérisée par la production pour satisfaire les besoins immédiats et pour élever le niveau de vie de la classe ouvrière n’a jamais pu se développer et la tendance dominante était de plus en plus la production pour l’accumulation.

L’État soviétique devient l’État national russe et tout ce processus économique, politique et social culmine dans l’affrontement entre l’État issu de la révolution et la classe ouvrière, dans les grèves à Petrograd et à Kronstadt. L’État soviétique avec le parti qui s’y intègre, devient place forte de la contre-révolution.

Face à cette évolution, il y a des camarades qui croient qu’il suffit de dire que la révolution d’Octobre ne s’est pas étendue internationalement et donc était vouée à l’échec à terme. Mais ils ne font qu’enfoncer une porte ouverte ! Nous sommes tous d’accord avec cette analyse générale qui se trouve dans la plate-forme du CCI. Dire que la Russie se trouvait coincée dans une situation trop limitée et donc, impossible à maintenir et s’arrêter là, c’est abandonner tout effort de tirer des leçons de la révolution. C’est escamoter la complexité et la richesse d’une telle expérience. Comprendre comment les contradictions internes de la révolution se sont exprimées dans ce bastion, même isolé, peut nous aider à éviter des pièges demain quand effectivement la révolution aura la possibilité de s’étendre.

D’autres camarades pensent nous répondre en disant simplement : en Russie, le parti bolchevique a pris le pouvoir à la place de la classe. Pourquoi les camarades se croient-ils obliges de nous répéter la plate-forme ! Nous en sommes convaincus mais cette analyse suffit-elle ?

Que le socialisme ne puisse être l’oeuvre d’une minorité de la classe, voilà une autre porte ouverte. La question qu’on se pose du point de vue théorique est la suivante : ce n’est pas tant le parti bolchevique qui a déterminé la dégénérescence de l’État territorial que l’intégration du parti dans l’appareil étatique (de façon à s’identifier avec les exigences étatiques) qui a fait la perte du parti et qui perdrait la classe ouvrière demain

Le fait que le parti était dans l‘État en tirant sur les ouvriers, au lieu d’être avec la classe ouvrière de Kronstadt, a sans aucun doute définitivement affaibli la classe ouvrière et l’Internationale. Le problème reste entièrement posé : est-ce que l’État transitoire =  classe ouvrière, est-ce que “l’État, c’est Nous” ?

Dans le débat sur les syndicats, c’est précisément cette question qui était le véritable enjeu du débat face à Trotsky qui disait clairement : “l’État, c’est la classe”, ou face à l’opposition Ouvrière : l’“État, sera la classe si les syndicats y sont intégrés”, seul Lénine, en dépit d’une analyse complètement inadéquate, pour ne pas dire pire, disait que “l’État avec ou sans les syndicats... ce n’est pas tout à fait nous”. Bien entendu, nous ne pouvons pas reprendre ce débat aujourd’hui dans les mêmes termes qu’hier. Tout le débat était mal orienté depuis le début parce que la classe ouvrière était identifiée aux syndicats et aux conseils ouvriers qui ont été déjà vidés de leur contenu prolétarien et intégrés à l’État. Mais derrière “la lettre” du débat reste l’esprit général : est-ce que “l’État ce sera nous” par définition ou est-ce qu’il faut prendre des mesures de défense de la dictature du prolétariat contre l’État ?

Nous pouvons dire qu’aujourd’hui dans le CCI, nous sommes quasiment tous d’accord sur le fait que la classe ouvrière sera la seule classe armée en tant que classe dans la période de transition ; voilà une idée nouvelle pour “l’orthodoxie”, une distinction nouvelle dans le marxisme qui a toujours parlé vaguement de “l’armement général du peuple”. Pourquoi cette position cruciale de protection de l’autonomie de la classe, si ce n’est face à l’État ? Il faut aller jusqu’au bout d’un raisonnement.

Si, pour résoudre la question, il suffit de s’assurer que le parti ne prendrait pas le pouvoir, pourquoi alors parler d’armement du prolétariat et d’interdiction des rapports de violence entre l’État et la classe ? Si “l’État, c’est nous”, alors Lénine a raison de parler “d’armement général du peuple” sans distinction aucune et nous laisserons ainsi la porte grande ouverte aux Kronstadt de demain.

Seule la résolution sur la période de transition répond de façon cohérente à cette préoccupation de l’autonomie année et poli tique de la classe ouvrière, condition sine qua non de la dictature du prolétariat.

3) “C’est une classe déterminée, la classe la plus puissante (qu’elle tire sa puissance d’une assise économique comme les classes exploiteuses, ou de sa conscience et de son organisation, comme le prolétariat) qui met en place une structure étatique appropriée à la défense de ses intérêts” (texte de M. et S. Internationalisme).>>

Si on suit ce raisonnement jusqu’au bout, on arrive à effacer tout spécificité de l’État transitoire et tout le nouveau cours de l’histoire qui s’ouvre avec la période de transition au socialisme. En effet, pour M. et S. peu importe si une classe dominante est une classe exploiteuse (une classe dominant les structures économiques) ou si c’est une classe qui n’a que sa domination politique sans assises économiques ! Ses rapports avec 1’État restent les mêmes ! Dans la période post-révolutionnaire l’État et les Conseils ouvriers seraient selon eux deux fonctions différentes de la même classe, qui ne pourraient pas par définition être antagoniques. Cette idée est encore plus clairement exposée dans le texte de RC pour qui “l’État est l’organe, le prolongement de la classe.”

“L’État ouvrier est la forme enfin trouvée dans et par laquelle les prolétaires se rassemblent et agissent pour faire valoir leurs intérêts généraux de classe”. (RC)

Voilà à quel point la confusion peut nous amener : jusqu’à l’apologie la plus plate de l’État !

S’il y a forme “enfin trouvée” pour défendre les intérêts immédiats et historiques de la classe ouvrière, elle est et reste pendant toute la période révolutionnaire et transitoire, les Conseils ouvriers et non pas l’État. L’État doit dépérir en cédant la place à l’extension de plus en plus grande des Conseils ouvriers, devenant des organes des “producteurs libres et égaux”. Les Conseils ouvriers ne dépérissent pas, ils s’élargissent pour intégrer la société toute entière, pour devenir un jour “l’administration des choses” dans une société sans classe. La vision de YB/EM selon laquelle les Conseils ouvriers risquent de dégénérer n’est pas tout à fait exacte. La classe ouvrière ne dégénère pas, les Conseils ouvriers peuvent disparaître dans la défaite mais la contre-révolution n’est pas la classe ouvrière. La dégénérescence de la révolution se traduira par le renforcement de l’État et l’affaiblissement de l’autonomie des Conseils ouvriers.

Pour revenir à cette apologie de l’État comme “forme d’organisation du prolétariat”, à cette identification simpliste “classe = État” dans toute circonstance historique, regardons ce qui distingue justement le “demi-État” de la période de transition des autres États dans l’histoire.

Pour la première fois dans l’histoire nous aurons un État dominé par une classe non-économiquement dominante, non-exploiteuse, c’est une contradiction vivante; en effet s’il n’y avait que des prolétaires dans la société post-révolutionnaire, il n’y aurait pas d’État du tout. Mais la société transitoire est encore déchirée en classes, une société dans laquelle subsistent partiellement encore la loi de la valeur, la propriété privée et l’échange. Et c’est une classe qui ne tire aucun privilège des lois économiques subsistantes et dont la mission historique consiste à éliminer toute propriété privée des moyens de production, qui doit dominer politiquement cette société. La classe dominante restera classe révolutionnaire après comme avant sa révolution ! C’est une situation complètement unique dans l’histoire.

Et on pense qu’il suffit de dire : “Historiquement les seuls États qui ont jamais existé appartenaient à des classes exploiteuses mais nous postulons le principe selon lequel le prolétariat est une classe non-exploiteuse bien que dominante” (YBIEM).

Que c’est facile de “postuler” ! Par le passé une classe exploiteuse dominait forcément la superstructure sociale dans la mesure où elle dominait la structure économique par des lois aveugles dont elle était elle-même inconsciente, d’où l’identification entre les intérêts des classes économiquement maîtresses de la société et de l’État. Face à un affaiblissement de sa maîtrise économique, la classe exploiteuse se réfugie dans l’État, dans le renforcement de celui-ci jusqu’à ce que nous voyions l’État de la dernière société d’exploitation arriver à usurper la fonction de gestion économique dans le capitalisme d’État de la décadence actuelle.

Dans l’avenir la classe dominante n’aura pas d’économie propre à instaurer, ni des forces économiques sur lesquelles s’appuyer, ni des lois aveugles qui travailleraient dans son sens ; au contraire, dans la mesure où des lois aveugles de l’économie subsistent, elles travailleront contre cette classe politiquement dominante. La classe dominante ne sera pas maîtresse des structures économiques mais tout de même elle devrait dominer politiquement le cadre social pour pouvoir instaurer une dictature qui aura comme tâche impérative de tout bouleverser. Dans cette situation les intérêts de la classe dominante, la classe ouvrière, ne pourraient pas s’identifier automatiquement avec l’État.

Avant tout, cette classe doit se protéger contre toute erreur de sa politique économique qui se traduira par un renforcement des forces antagoniques à elle, par un renforcement de l’expression de ces forces dans l’État. Cette classe, à l’encontre de toute autre classe dominante dans l’histoire doit se garder de l’usurpation de la gestion économique par l’État “en son nom”. Elle doit lutter pour faire diminuer toujours plus la nécessité et le rôle de l’État.

4) “Qui aura la responsabilité finale, et l’autorité pour fermer une usine, pour ouvrir une usine, d’instituer de nouvelles méthodes de travail ou de créer un nouveau produit ? Sûrement le prolétariat tout seul.” (YB/EM)

Si nous pouvons répondre avec la même heureuse certitude que “le prolétariat seul dominera l’économie”, nous cesserons de nous casser la tête sur la période de transition. D’abord si nous pouvons exproprier immédiatement le grand capital et la plupart des entreprises industrielles, il reste tout un secteur de petite production, de l’artisanat et de l’agriculture encore dominé par la propriété privée qui subsiste. Quelle que soit l’étendue de ce secteur dans tel ou tel bastion, quels que soient les endroits où la révolution éclatera d’abord, ces secteurs subsisteront au niveau global et ils s’opposeront à leur propre suppression, à la suppression de leurs privilèges. De plus, comme les camarades le constatent eux-mêmes, le capitalisme décadent ne crée pas directement la base pour une société d’abondance après la révolution. Il va falloir donc traiter avec ces secteurs étant donné notre incapacité économique de les dépasser immédiatement. Mais pour ajouter encore plus de difficultés là où d’autres ne voient que des fleurs, il faut encore ajouter que le prolétariat ne “possède” pas les usines, les moyens de production ni individuellement ni collectivement en tant que classe. Le prolétariat ne possède rien et ne peut pas faire des socialisations par îlots. Il faut au contraire une planification globale des besoins de la société et ce n’est pas aussi simple que “le monopole des carburants” pourrait nous le faire croire. Le prolétariat doit disposer d’une force de résistance contre les concessions qui pourraient renverser la tendance de la production pour la satisfaction des besoins immédiats de la société vers une économie où on produirait pour développer les forces productives en soi pour en bénéficier... “demain” aux calendes grecques.. La politique économique du prolétariat ne marchera pas “sur des roulettes” si la classe ouvrière ne devait que simplement contrôler les moyens de production tels qu’ils existent, elle ne serait pas porteuse de la socialisation des moyens de production dans les mains de la société tout entière. Elle ne peut se libérer qu’une fois éteintes toutes les lois économiques.

Quand les camarades S. et M. demandent “d’où cette 3ème force (leur façon de voir la contre-révolution à travers l’État) tirerait-elle sa force matérielle, où puiserait-elle ses ressources et sa conscience d’un point de vue déterministe et historique ?” - ils demandent en fait d’où vient le danger de voir l’État s’opposer à la classe ouvrière. Puisque la politique de la classe n’est pas une fatalité, une victoire acquise d’avance mais un cheminement constant, toute erreur se traduirait par un renforcement des structures économiques que le prolétariat cherche à balayer définitivement de l’histoire. L’État se renforcera comme une expression des structures économiques non encore socialisées, des privilèges subsistants, comme expression de la planification d’une économie encore hétérogène. Heureux sont ceux qui nient d’avance tout problème, mais les difficultés de la plus grande transformation sociale de l’histoire ne seront pas résolues par des formulations simplistes.

5) “La classe = État”

Nous avons déjà vu que toute cette identification du prolétariat avec l’État transitoire comme si rien n’avait changé dans l’histoire récente ne tient pas vraiment debout. Même si par le passé les intérêts de la classe dominante se confondaient avec et dans l’État, cette hypothèse n’est pas valable pour l’avenir.

Mais les dernières objections, pour les besoins de la cause, les camarades sont allés les chercher dans de nouveaux axiomes pour les ajouter au matérialisme historique concernant l’État dans l’histoire. Ainsi nous apprenons que l’État est une force motrice de l’histoire -les superstructures déterminant bien entendu le fondement économique dans cette “théorie” qui se tient sur la tête- ou encore que l’État est une force progressive si la classe qui domine l’économie est dans sa phase ascendante. Cette théorie là est en fait liée à la première puisqu’elle prend le rôle actif de l’État comme preuve que l’État connaît des phases ascendantes et décadentes tout comme les classes. Au contraire, bien que telle ou telle forme d’État puisse être plus ou moins appropriée à la domination d’une classe particulière (la république la plus appropriée pour la bourgeoisie ascendante par exemple), l’État de par sa nature suit les bouleversements de la technique et des forces productives. Non seulement l’État reste perméable aux classes rétrogrades même dans une nouvelle phase ascendante, mais il ne regroupe même pas “l’avant-garde” de la classe dominante. Il serait plus juste de dire qu’il subit la pression des secteurs les plus avancés de la classe dominante liés directement au processus de production. En vérité, on voit mal pourquoi aller chercher midi à quatorze heures puisque de toute façon la période de transition ne connaît pas de mode de production stable, ni donc des phases ascendantes et décadentes.

Dans l’espoir que d’autres camarades compléteront ces remarques, nous pouvons conclure en disant que c’est normal de voir que ceux qui identifient classe et État dans la période de transition, ceux qui chantent l’hymne à l’État ou qui ne voient pas le problème, se trompent en considérant nos idées comme celles des “anarchistes”. Au contraire, tout en reconnaissant l’inévitabilité de l’État transitoire et tout en affirmant qu’il devrait être dominé par la classe ouvrière, nous ne faisons pas de l’État le porteur du programme communiste. L’idée que “l’État c’est nous” équivaut à diluer les Conseils ouvriers au sein des Soviets territoriaux, à diminuer l’autonomie de la classe ouvrière sous prétexte de la renforcer, à désarmer la classe face aux dangers de la période de transition. Tout comme il n’y a pas “d’économie prolétarienne”, pas de “société prolétarienne”, pas de “culture prolétarienne”, il n’y a pas d’“État prolétarien”.

Judith Allen ; Révolution Internationale - France

 

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [31]

Questions théoriques: 

  • Communisme [36]

Résolution sur l’État dans la Période de Transition proposée au 2 congrès du CCI (1977)

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La plate-forme du CCI énonce les acquis essentiels du mouvement ouvrier sur les conditions et le contenu de la révolution communiste. Ces acquis peuvent être résumés ainsi :

a) Toutes les sociétés jusqu’à aujourd’hui ont été fondées sur l’insuffisance du développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes. De ce fait, à l’exception du communisme primitif, elles ont toutes été divisées en classes sociales aux intérêts antagoniques. Cette division a provoqué l’apparition d’un organe, l’État, dont la fonction spécifique a été d’empêcher que ces antagonismes ne conduisent à un déchirement et à une destruction de la société elle-même.

b) Par le progrès que le capitalisme a impulsé au développement des forces productives, il a rendu nécessaire et possible son remplacement et son dépassement par une société fondée sur le plein développement des forces productives, l’abondance, la satisfaction de tous les besoins humains : le communisme. Une telle société n’est plus divisée en classes sociales et de ce fait ne connaît ni ne peut supporter l’existence d’un État.

c) Comme par le passé, il existe entre les deux sociétés stables que sont le capitalisme et le communisme, une période de transition pendant laquelle disparaissent les anciens rapports sociaux et se mettent en place les nouveaux. Pendant cette période, subsistent des classes sociales, des conflits entre elles et donc un organe ayant pour fonction d’empêcher que les conflits ne menacent la société : l’État.

d) L’expérience de la classe ouvrière a démontré que cet État ne peut en aucune façon constituer une continuité organique de l’État de la société capitaliste. C’est de fond en comble et à l’échelle mondiale que celui-ci doit être détruit pour que puisse s’ouvrir la période de transition du capitalisme au communisme.

e) La destruction mondiale du pouvoir politique de la bourgeoisie s’accompagne de la prise du pouvoir à cette échelle par le prolétariat, seule classe qui soit porteuse du communisme. La dictature du prolétariat qui s’instaure sur la société est basée sur l’organisation générale de la classe : les Conseils Ouvriers. C’est la classe ouvrière dans son ensemble qui seule peut exercer le pouvoir dans le sens de la transformation communiste de la société : contrairement aux classes révolutionnaires du passé, elle ne peut déléguer son pouvoir à une quelconque institution particulière, à aucun parti politique, y compris les partis ouvriers eux-mêmes.

f) Le plein exercice par le prolétariat de sa dictature de classe suppose :

  • son armement général,
  • son absolue soustraction à toute soumission à des forces extérieures,
  • le rejet de tout rapport de violence en son sein.

g) La dictature du prolétariat exerce sa fonction de levier de la transformation sociale :

  • en expropriant les anciennes classes exploiteuses,
  • en socialisant progressivement les moyens de production,
  • en menant une politique économique dans le sens de l’abolition du salariat et de la production marchande, dans celui de la satisfaction croissante des besoins humains.

La plate-forme du CCI, se basant sur l’expérience de la révolution, souligne la “complexité et la gravité du problème posé par les rapports entre la classe ouvrière organisée et l’État de la période de transition”. Elle estime que “dans la période qui vient, le prolétariat et les révolutionnaires ne pourront pas esquiver ce problème, mais se devront d’y consacrer tous les efforts nécessaires pour le résoudre”. C’est dans un tel effort que s’inscrit la présente résolution.

I- Spécificité de la période de transition du capitalisme au communisme

La période de transition du capitalisme au communisme comporte un certain nombre de points communs avec les autres périodes de transition antérieures. C’est ainsi que, comme par le passé :

  • La période de transition du capitalisme au communisme ne connaît pas de mode de production propre, mais un enchevêtrement de deux modes de production ;
  • Pendant cette période se développent lentement, au détriment de l’ancien, les germes du nouveau mode de production jusqu’au point de le supplanter ;
  • Le dépérissement de l’ancienne société n’est pas automatiquement maturation de la nouvelle, mais seulement condition de cette maturation : en particulier, si la décadence du capitalisme exprime le fait que les forces productives ont atteint leur limite de développement dans le cadre de cette société, ces forces productives sont encore insuffisantes pour permettre le communisme et devront donc poursuivre leur développement pendant la période de transition.

Le dernier point commun qu’il est utile de mettre en évidence, entre toutes les périodes de transition, c’est qu’elles relèvent de la société qui va surgir. Dans la mesure où le communisme se distingue fondamentalement de toutes les autres sociétés, la transition qui y conduit comporte donc toute une série de caractéristiques inédites :

a) Elle ne marque plus le passage d’une société d’exploitation à une autre société d’exploitation, d’une forme de propriété à une autre forme de propriété, mais conduit à la fin de toute exploitation et de toute propriété.

b) Elle n’est plus l’oeuvre d’une classe exploiteuse et propriétaire des moyens de production, mais d’une classe exploitée qui n’a jamais possédé et ne possédera jamais, même collectivement, de moyens de production, d’économie propre.

c) Elle n’aboutit pas à la conquête du pouvoir politique par la classe révolutionnaire ayant au préalable établi sa domination économique sur la société, mais au contraire, commence et est conditionnée par cette prise du pouvoir. La seule domination que le prolétariat pourra jamais exercer sur la société sera de nature politique et non économique.

d) Le pouvoir politique du prolétariat n’aura pas pour fonction de stabiliser un état de choses existant, préserver des privilèges particuliers ou l’existence d’une division en classes, mais au contraire, de bouleverser continuellement cet état de choses, d’abolir tous les privilèges et toute division en classes.

II- L’État et son rôle dans l’histoire

Suivant les propres termes d’Engels :

  • l’État n’est pas un pouvoir imposé du dehors de la société, il est un produit de la société â un stade donné de son développe ment ;
  • il est l’aveu que cette société s’est engagé dans d’insolubles contradictions, s’étant scindée en oppositions inconciliables entre classes aux intérêts économiques antagonistes ;
  • il a pour fonction de modérer ce conflit, de le maintenir dans les “limites de l’ordre” afin que les classes antagonistes et avec elles la société ne se consument pas en luttes stériles ;
  • issu de la société, il se place au-dessus d’elle et tend constamment à lui devenir étranger et à se conserver lui-même ;
  • sa fonction de préservation de l’ordre” identifie l’État aux rapports de production dominants et donc â la classe qui les incarne, la classe économiquement dominante, et qui, par l’intermédiaire de l’État, s’assure la domination politique.

Le marxisme n’a jamais donc considéré l’État comme une création ex-nihilo de la classe dominante, mais bien comme un produit, une sécrétion organique de l’ensemble de la société. L’identification entre la classe économiquement dominante et l’État est fondamentalement le résultat de l’identité de leurs intérêts communs de préservation des rapports de production existants. De même, à partir de la conception marxiste, on ne peut en aucune façon considérer l’État comme un agent révolutionnaire, un instrument de progrès historique.

En effet, pour le marxisme :

1°) la lutte de classe est le moteur de l’histoire ;

2°) L’État a pour fonction de modérer la lutte de classe et tout particulièrement au détriment de la classe exploitée.

La seule conclusion découlant logique ment de ces prémisses est que dans toute société, l’État ne peut être autre chose qu’une institution conservatrice par essence et par excellence. Aussi, si l’État est dans les sociétés de classes un instrument indispensable au processus productif en ce qu’il assure la stabilité nécessaire à sa continuation, il ne peut jouer ce rôle que par sa fonction d’agent de l’ordre social. Au cours de l’histoire, l’État apparaît donc comme un facteur conservateur et réactionnaire de premier ordre, comme une entrave à laquelle se heurte constamment l’évolution et le développement des forces productives.

Afin de pouvoir assurer son rôle d’agent de sécurité et de conservation, l’État s’appuie sur une force matérielle, sur la violence. Dans les sociétés passées, il possède en monopole exclusif toutes les forces de violence existantes : la police, l’année, les prisons.

Ayant son origine dans la nécessité historique de la violence, trouvant dans l’exercice de la coercition la condition de son épanouissement, l’État tend a devenir un facteur indépendant et supplémentaire de violence dans l’intérêt de son auto-conservation, de sa propre existence. La violence, en tant que moyen, devient un but en soi, entretenu et cultivé par 1’État, répugnant de par sa nature même à toute forme de société tendant à se passer de violence en tant que régulateur des rapports entre les hommes.

III- L’État dans la période de transition au communisme

L’existence dans la période de transition d’une division de la société en classes aux intérêts antagoniques fait surgir au sein de celle-ci, un État. Cet État a pour tâche de garantir les bases de la société transitoire à la fois contre toute tentative de restauration du pouvoir des anciennes classes exploiteuses et contre tout déchirement résultant des oppositions entre les différentes classes non exploitées qui subsistent en son sein.

L’État de la période de transition comporte un certain nombre de différences d’avec celui des sociétés antérieures :

  • pour la première fois de l’histoire, ce n’est pas l’État d’une minorité exploiteuse pour l’oppression de la majorité mais au contraire celui de la majorité des classes exploitées et non exploiteuses contre la minorité des anciennes classes déchues ;
  • il n’est pas l’émanation d’une société et de rapports de production stables mais au contraire d’une société dont la caractéristique permanente est le constant bouleversement dans lequel s’opèrent les plus grandes transformations que l’histoire ait connues ;
  • il ne peut s’identifier à aucune classe économiquement dominante dans la mesure où il n’existe aucune classe de ce type dans la période de transition ;
  • contrairement à l’État des sociétés passées, celui de la société transitoire n’a plus le monopole des armes.

C’est pour l’ensemble de ces raisons et de leurs implications que les marxistes ont pu parler de “demi-État” au sujet de l’organe surgissant dans la période de transition.

Par contre, cet État conserve un certain nombre de caractéristiques de ceux du passé. Il reste en particulier l’organe gardien du statu-quo, chargé de codifier, légaliser un état économique déjà existant, de le sanctionner, de lui donner force de loi, dont l’acceptation est obligatoire pour tous les membres de la société. En ce sens, l’État reste un organe fondamentalement conservateur tendant :

  • non à favoriser la transformation sociale, mais à s’opposer à celle-ci ;
  • à maintenir en vie les conditions qui le font vivre : la division de la société en classes ;
  • à se détacher de la société, à s’imposer à elle et perpétuer sa propre existence et ses propres privilèges ;
  • à lier son existence à la coercition, à la violence qu’il utilise nécessairement pendant la période de transition et à tenter de maintenir ce type de régulation des rapports sociaux.

C’est pour cela que l’État de la période de transition a été depuis le début considéré par les marxistes comme un “fléau”, “un mal nécessaire” dont il s’agit de “limiter les effets les plus fâcheux”. Pour l’ensemble de ces raisons, et contrairement à ce qui s’est produit dans le passé, la classe révolutionnaire ne peut s’identifier avec l’État de la période de transition.

D’une part, le prolétariat n’est pas une classe économiquement dominante. Il ne l’est ni dans la société capitaliste ni dans la société transitoire. Dans celle-ci, il ne possède aucune économie, aucune propriété même collective, mais lutte pour la disparition de l’économie, de la propriété. D’autre part, le prolétariat, classe porteuse du communisme, agent du bouleversement des conditions économiques et sociales de la société transitoire, se heurte nécessairement à l’organe tendant à perpétuer ces conditions. C’est pour cela qu’on ne peut parler ni d’“État socialiste”, ni d’“État ouvrier”, ni d’“État du prolétariat” durant la période de transition.

Cet antagonisme entre prolétariat et État se manifeste tant sur le plan immédiat que sur le plan historique.

Sur le terrain immédiat, le prolétariat devra s’opposer aux empiétements et à la pression de l’État en tant que représentant d’une société dans laquelle subsistent des classes aux intérêts antagoniques aux siens.

Sur le terrain historique, la nécessaire extinction de l’État dans le communisme, déjà mise en évidence par le marxisme, ne sera pas le résultat de sa dynamique propre mais le fruit d’une pression soutenue de la part du prolétariat qui le dépouillera progressivement de tous ses attributs au fur et à mesure de l’évolution vers la société sans classe.

Pour ces raisons, si le prolétariat doit se servir de l’État de la période de transition, il doit conserver sa complète indépendance à l’égard de cet organe. En ce sens, la dictature du prolétariat ne se confond pas avec l’État. Entre les deux existe un rapport de forces constant que le prolétariat devra maintenir en sa faveur : la dictature du prolétariat ne s’exerce pas dans l’État ni à travers l’État, mais sur l’État.

  • Moyens concrets des rapports entre dictature du prolétariat et État de la période de transition

L’expérience de la Commune d’une part, et celle de la révolution en Russie d’autre part, au cours de laquelle l’État a constitué l’agent majeur de la contre-révolution en Russie même, ont mis en évidence la nécessité d’un certain nombre de moyens permettant :

  • de limiter les aspects “les plus fâcheux” de l’État ;
  • d’assurer la pleine indépendance de la classe révolutionnaire ;
  • de permettre la dictature du prolétariat sur l’État.

a) la limitation des caractéristiques les plus néfastes de l’État de la société transitoire passe par :

  • le fait qu’il ne se constitue pas sur une couche spécialisée, les partis politiques, mais sur la base de délégués élus par les organisations territoriales, les conseils locaux, et révocables par elles ;
  • que toute cette organisation étatique exclut catégoriquement toute participation des couches et classés exploiteuses qui sont privées de tout droit politique ;
  • que la rémunération de ses membres, des fonctionnaires, ne peut jamais être supérieure à celle des ouvriers.

b) l’indépendance de la classe ouvrière se manifeste par :

  • le programme ;
  • l’existence de ses partis de classe qui, contrairement aux partis bourgeois, ne peuvent comme tels, ni s’intégrer à l’État, ni assumer de fonction étatique sous peine de dégénérer et de perdre complètement leurs fonctions spécifiques dans la classe ;
  • sa propre organisation de classe : les conseils ouvriers, distincts de toute organisation étatique ;
  • son armement propre.

Elle s’exerce contre l’État et les autres classes de la société :

  • en ce qu’elle interdit toute intervention de leur part dans l’activité et l’organisation propre du prolétariat ;
  • en ce qu’elle se réserve toute possibilité de défendre ses intérêts immédiats par l’utilisation de divers moyens de pression dont la grève.

c) La domination de la dictature du prolétariat sur l’État et l’ensemble de la société se base essentiellement :

  • sur l’interdiction de toute organisation propre aux autres classes en tant que classes ;
  • par sa participation hégémonique au sein de l’organisation d’où émane l’État ;
  • sur le fait qu’elle s’impose comme seule classe armée.

Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [37]

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [31]

Questions théoriques: 

  • Communisme [36]

Contre-projet de résolution proposée au 2e congrès du CCI – (1977)

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Contre-résolution

 

“Il faut tenir compte de l’impossibilité d’arriver en une phase qui s’appelle de transition à des notions fixes, complètes, ne souffrant aucune contradiction logique et exempte de toute idée de transition” (Bilan)

A – La période de transition du capitalisme au communisme

1) La succession des modes de production esclavagiste, féodal, capitaliste ne connaissaient pas à proprement parler de période de transition.

Les nouveaux rapports, sur la base desquels s’édifiait la forme sociale progressive, étaient crées à l’intérieur de l’ancienne société. Le vieux système et le nouveau coexistaient (jusqu’à ce que le second supplante le premier) et cette cohabitation était possible parce qu’entre ces diverses sociétés n’existait qu’un antagonisme de forme alors qu’elles restaient par essence des sociétés d’exploitation. La succession du communisme au capitalisme diffère fondamentalement du passé. Le communisme ne peut émerger au sein du capitalisme parce qu’entre ces deux sociétés, il y a non seule ment une différence de forme, mais aussi une différence de contenu. Le communisme n’est plus une société d’exploitation et le mobile de la production n’est plus la satisfaction des besoins d’une minorité. Cette différence de contenu exclut la coexistence de l’un et de l’autre et crée la nécessité d’une phase transitoire au cours de laquelle les nouveaux rapports et la nouvelle société se développent à l’extérieur du capitalisme.

2) Entre la société capitaliste et la société communiste se place donc une phase de transformation révolutionnaire de celle-ci en celle-là. Cette phase transitoire est non seulement inévitable, mais encore nécessaire, pour combler les conditions matérielles et spirituelles léguées par le capitalisme au prolétariat (immaturité qui interdit le règne immédiat du communisme au sortir de la révolution). Cette période se caractérise par la fusion de deux processus sociaux : l’un de décroissance des rapports et catégories appartenant au système en déclin, l’autre de croissance des rapports et catégories qui relèvent du système nouveau.

La spécificité de l’époque de transition réside en ceci : le prolétariat qui a conquis le pouvoir politique (par la révolution) et garanti sa domination (par la dictature) s’engage dans le bouleversement ininterrompu et systématique des rapports de production et des formes de conscience et d’organisation qui en dépendent. Pendant la phase intermédiaire, par des mesures politiques et économiques, la classe ouvrière développe les forces productives laissées en héritage par le capitalisme, en sapant les bases de l’ancien système et en dégageant les bases de nouveaux rapports sociaux fondés sur une répartition de la masse des produits (et des conditions de la production) permettant à tous les producteurs de réaliser la pleine satisfaction, la libre expansion de leurs besoins.

B – Le régime politique de la période de transition

3) le capitalisme, la substitution de son privilège au privilège féodal, l’époque des révolutions bourgeoises pouvait s’accommoder d’une coexistence durable entre États capitalistes et États féodaux, voire même pré-féodaux, sans altérer ou supprimer les assises du nouveau système. La bourgeoisie, sur la base de positions économiques conquises graduellement n’avait pas à détruire l’appareil d’État de l’ancienne classe dominante dont elle s’était progressivement emparée. Elle n’eut à supprimer ni la bureaucratie, ni la police, ni la force armée permanente, mais à subordonner ces instruments d’oppression à ses fins propres, parce que la révolution politique (qui n’était pas toujours indispensable) concrétisait une hégémonie économique et ne faisait que substituer juridiquement une forme d’exploitation à une autre. Il en va tout autrement pour le prolétariat qui, n’ayant aucune assise économique et aucun intérêt particulier, ne peut se contenter de prendre tel quel l’ancien appareil d’État. La période de transition ne peut débuter qu’après la révolution prolétarienne dont l’essence consiste en la destruction mondiale de la domination politique du capitalisme et, en premier lieu, des États bourgeois nationaux. La prise du pouvoir politique général dans la société par la classe ouvrière, l’instauration mondiale de la dictature du prolétariat précèdent, conditionnent et garantissent la marche de la transformation économique et sociale.

4) Le communisme est une société sans classe et, partant, sans État. La période de transition qui ne se développe qu’après le triomphe de la révolution à l’échelle mondiale, est une période dynamique qui tend vers la disparition des classes, mais qui connaît encore la division en classes et la persistance d’intérêts divergents et antagoniques dans la société. Comme telle, elle fait surgir inévitablement une dictature et une forme d’État politique. Le prolétariat ne peut parer à l’insuffisance temporaire des forces productives que lui lègue le capitalisme sans recourir à la contrainte. En effet l’époque de transition est caractérisée par la nécessité de discipliner et de réglementer l’évolution de la production, de l’orienter vers un épanouissement qui permettra l’établissement de la société communiste.

Les menaces de restauration bourgeoise sont également en fonction de cette insuffisance de la production et des forces productives. La dictature et l’utilisation de l’État sont indispensables au prolétariat placé devant la nécessité de diriger l’emploi de la violence pour extirper les privilèges de la bourgeoisie, dominer celle-ci politiquement et organiser de manière nouvelle les forces de production libérées progressive ment des entraves capitalistes.

C -Conditions d’apparition et rôle de l’État dans l’histoire

5) Dans toute société divisée en classe, afin d’empêcher que les classes aux intérêts opposés et inconciliables ne se détruisent mutuellement, et par là même consument la société, surgissent des superstructures, des institutions, dont le couronnement est l’État. L’État naît pour maintenir les conflits de classes dans des limites déterminées. Cela ne signifie nullement qu’il parvient à concilier les intérêts antagoniques sur un terrain d’entente “démocratique”, ni qu’il fasse office de médiateur entre les classes. Comme l’État surgit du besoin de discipliner les antagonismes de classe, mais comme en même temps il surgit au milieu du conflit entre les classes, il est en général l’État de la classe la plus puissante, de celle qui s’est imposée politiquement et militairement dans le rapport de force historique, et qui, par l’intermédiaire de l’État, impose et garantit sa domination.

L’État est l’organisation spéciale d’un pouvoir (Engels), c’est l’exercice centralisé de la violence par une classe contre les autres, destinée à fournir à la société un cadre conforme aux intérêts de la classe dominante. L’État est l’organisme qui maintient la cohésion de la société, non en réalisant un soi-disant “bien commun” (parfaitement inexistant), mais en assurant l’ensemble des tâches de domination d’une classe aux divers niveaux économiques, juridique, politique et idéologique. Son rôle propre est non seulement administratif, mais surtout de maintenir par la violence les conditions de domination de la classe dominante contre les classes dominées, pour assurer l’extension, le développement, la conservation de rapports de production spécifiques contre les dangers de restauration et de destruction.

6) Quelles que soient les formes que prennent la société, les classes et l’État, le rôle de celui-ci reste toujours fondamentalement : assurer la domination d’une classe sur les autres. L’État n’est donc pas “par essence une entité conservatrice”. Il est révolutionnaire à certaines époques, conservateur ou contre-révolutionnaire à d’autres, parce que loin d’être un facteur autonome dans l’histoire, il est l’instrument, le prolongement, la forme d’organisation de classes sociales qui prennent naissance, mûrissent et disparaissent. L’État est étroitement lié au cycle de la classe et s’avère donc être progressif ou réactionnaire selon l’action historique de la classe sur le développement des forces productives de la société (selon qu’elle concourt à favoriser ou à freiner leur développement).

Il faut se garder cependant d’une vision strictement “instrumentaliste” de l’État. Par définition, arme de classe dans les conflits immédiats et de sociétés, l’État est affecté en retour par ces mêmes conflits. Loin d’être simplement tributaire de la volonté (traduction de la nécessité) d’une classe d’assurer sa domination, les appareils d’État subissent les pressions des diverses classes et de divers intérêts. Interviennent dans les déterminations d’action de l’État (et les possibilités de son évolution) aussi bien le cadre économique, le niveau du droit, que les rapports de force politiques et militaires. C’est en ce sens que l’État “n’est jamais en avance sur l’état de choses existant”. En effet, si l’État permet, à certaines époques, aux classes progressives d’exercer le pouvoir politique en vue de l’extension de rapports de production déterminés, il est contraint -à ces mêmes époques et pour poursuivre ce même but- de défendre la société nouvelle contre les menaces internes et externes, de relier les aspects épars de la production, de la distribution, de la vie sociale, culturelle, idéologique et ce avec des moyens (ceux qui existent et dont il peut disposer) qui ne relèvent pas toujours et forcément du programme de la classe révolutionnaire, d’une tendance de la nouvelle société en train de naître. “Ainsi, il faut considérer que la formule “1’État est 1’organe d’une classe” n’est pas, d’un point de vue formel, une réponse en soi aux phénomènes qui se déterminent, la pierre philosophale qui doit être recherchée au travers des faits, mais qu’elle signifie qu’entre la classe et 1’État se déterminent des rapports qui dépendent de la fonction d’une classe donnée”. (Bilan)

D -Nécessité des soviets comme pouvoir d’État du prolétariat

7) L’État qui succède à l’État bourgeois est une forme nouvelle d’organisation du prolétariat, grâce à laquelle celui-ci se transforme, de classe opprimée, en classe dominante et exerce sa dictature révolutionnaire sur la société. Les Soviets territoriaux (des ouvriers, des paysans pauvres, des soldats) en tant que puissance étatique du prolétariat signifient :

  • la tentative par le prolétariat en tant que seule classe porteuse du communisme, de lutter pour l’organisation de l’ensemble des classes et couches exploitées ;
  • la continuation à l’aide du système soviétique, de la lutte de classe contre la bourgeoisie qui reste encore la classe la plus puissante même au début de la dictature du prolétariat, même après son expropriation et sa subordination politique.

Le prolétariat a encore besoin d’un appareil d’État, aussi bien pour réprimer la résistance désespérée de la bourgeoisie, que pour diriger la grande masse de la population dans la lutte contre la classe capitaliste et la mise en place du communisme. Cette situation n’a nullement besoin d’être idéalisée : “L’État n’étant qu’une institution temporaire dont on est obligé de se servir dans la lutte, dans la révolution, pour organiser la répression par la force contre ses adversaires, il est parfaitement absurde de parler d’un État populaire libre ; tant que le prolétariat fait encore usage de l’État, ce n’est point dans l’intérêt de la liberté, mais pour réprimer ses adversaires”. (Engels).

8) Produit de la division en classes de la société, de la nature inconciliable des antagonismes de classes, la dictature du prolétariat se distingue cependant (et avec elle son État) du pouvoir des classes dominantes dans le passé par les caractéristiques suivantes :

a) Le prolétariat n’exerce pas sa dictature en vue de bâtir une nouvelle société d’oppression et d’exploitation. Par conséquent, il n’a nullement besoin, comme les anciennes classes dominantes, de cacher ses buts, de mystifier les autres classes en présentant sa dictature comme le règne de “la liberté, de l’égalité, de la fraternité”. Le prolétariat affirme hautement que sa dictature est une dictature de classe ; que les organes de son pouvoir politique sont des organismes qui servent, par leur action, le programme prolétarien, à l’exclusion du programme et des intérêts de toutes les autres classes. C’est ainsi que Marx, Engels, Lénine, la Fraction parlaient -pouvaient et devaient parler- non d’un État “de la majorité des classes exploitées et non-exploiteuses” (l’encadrement des formations intermédiaires dans l’État n’étant pas synonyme de partage du pouvoir), non d’un État “a-classiste” ou “multi-classiste” (notions idéologiques et aberrantes par définition), mais d’un État prolétarien, d’un État de la classe ouvrière, ce dernier étant l’une des formes indispensables de la dictature du prolétariat.

b) La domination de la majorité, organisée et dirigée par le prolétariat sur la minorité dépossédée de ses prérogatives, rend inutile le maintien d’une machine bureaucratique et militaire, à laquelle le prolétariat substitue, et son propre armement -pour briser toute résistance bourgeoise- et une forme politique lui permettant d’accéder progressivement (et par devers lui l’ensemble de l’humanité) à la gestion sociale. Il supprime tous les privilèges inhérents au fonctionnement des anciens États (nivellement des traitements, contrôle rigoureux des fonctionnaires : électivité complète et révocabilité à tout moment) ainsi que la séparation réalisée par le parlementarisme entre organismes législatifs et exécutifs. Dès sa formation, l’État de la dictature du prolétariat cesse de la sorte être un “État” au vieux sens du terme. A l’État bourgeois se substituent les Soviets, un demi-État, un État-Commune ; l’organe de domination de l’ancienne classe est remplacé par des institutions de principe essentiellement différent.

E -Dépérissement ou renforcement de l’État

9) Tenant compte des considérations que nous avons évoquées quant aux conditions et à l’ambiance historiques dans lesquelles naît l’État prolétarien, il est évident que le dépérissement de celui-ci ne peut se concevoir que comme le signe du développement de la révolution mondiale et, plus profondément, de la transformation économique et sociale. Dans des conditions de combat défavorables (sur le triple plan politique, militaire, économique), l’État ouvrier peut se trouver contraint de se renforcer, à la fois pour empêcher la désagrégation de la société et pour assurer les tâches de défense de la dictature prolétarienne érigée dans un ou plusieurs pays. Cette obligation réagit à son tour sur sa nature même : l’État acquiert un caractère contradictoire : instrument de classe, il est cependant forcé de répartir les biens -les conditions de la production- et les responsabilités sociales selon des normes qui ne relèvent pas toujours et forcément d’une tendance immédiate vers le communisme. En cohérence avec la conception développée par Lénine, Trotsky, et surtout par Bilan nous devons donc admettre -au-delà de préoccupations métaphysiques- que l’État ouvrier, bien qu’assurant la domination du prolétariat sur la bourgeoisie, exprime toujours l’impuissance temporaire à supprimer le droit bourgeois. Ce dernier continue à exister, non seulement dans le déroulement économique et social mais dans le cerveau de millions de prolétaires, de milliards d’individus. L’État menace continuellement même après la victoire politique du prolétariat, de donner vie à des stratifications sociales s’opposant sans cesse davantage à la mission libératrice de la classe ouvrière. Aussi, à certaines époques, “si l’État, au lieu de dépérir, devient de plus en plus despotique, si les mandataires de la classe ouvrière se bureaucratisent, tandis que la bureaucratie s’érige au-dessus de la société, ce n’est pas seulement pour des raisons secondaires, telles que les survivances idéologiques du passé, etc., c’est en vertu de l’inflexible nécessité de former et d’entretenir une minorité privilégiée, tant qu’il n’est pas possible d’assurer l’égalité réelle” (Trotsky). Jusqu’à la disparition de l’État, jusqu’à sa résorption dans une société s’administrant elle-même, celui-ci continue à receler cet aspect négatif : instrument nécessaire de l’évolution historique, il menace constamment de diriger cette évolution non à l’avantage des producteurs, mais contre eux et vers leur massacre.

F -Le prolétariat et l’État

10) La physionomie spécifique de l’État ouvrier se dévoile en ceci :

  • d’une part, comme arme dirigée contre la classe expropriée, il révèle son côté “fort”;
  • d’autre part, comme organisme appelé non pas à consolider un nouveau système d’exploitation, mais à les abolir tous, il découvre son côté “faible” (parce que dans des conditions défavorables, il tend à devenir le pôle d’attraction des privilèges capitalistes). C’est pourquoi, alors qu’entre la bourgeoisie et l’État bourgeois, il ne pouvait y avoir d’antagonismes, il peut en surgir entre le prolétariat et l’État transitoire. Avec la fondation de l’État prolétarien, le rapport historique entre la classe dominante et l’État se trouve modifié. Il faut considérer que :

a) La conquête de la dictature du prolétariat, l’existence de l’État ouvrier sont des conditions nouvelles à l’avantage du prolétariat mondial, non une garantie irrévocable contre toute entreprise de dégénérescence.

b) si l’État est ouvrier, cela ne signifie nullement qu’il n’y ait aucun besoin ou possibilité pour le prolétariat d’entrer en conflit avec lui, de telle sorte qu’il ne faille tolérer aucune opposition à la politique étatique.

c) À l’inverse des États du passé, l’État prolétarien ne peut synthétiser, concentrer dans ses appareils, tous les aspects de la dictature. L’État ouvrier se différencie profondément de l’organisme unitaire de la classe et de l’organisation qui regroupa l’avant-garde du prolétariat, cette différenciation s’opérant parce que l’État, malgré l’apparence de sa plus grande puissance matérielle, possède, au point de vue politique, de moindres possibilités d’action. Il est mille fois plus vulnérable par l’ennemi que les autres organismes ouvriers. Le prolétariat ne peut compenser cette faiblesse que par une politique de classe de son Parti et des Conseils ouvriers, au moyen desquels il exerce un contrôle indispensable sur l’activité étatique, développe sa conscience de classe et préserve la défense de ses intérêts. La présence agissante de ces organismes est la condition pour que l’Etat reste prolétarien. Le fondement de la dictature réside non seulement dans le fait que nulle interdiction ne s’oppose au fonctionnement des Conseils ouvriers et du Parti (proscription de la violence au sein du prolétariat, permanence du droit de grève, autonomie des Conseils et du Parti, liberté de tendance dans ces organes), mais aussi que les moyens leur soient octroyés pour résister à une métamorphose éventuelle de l’Etat, non vers le dépérissement, mais vers le triomphe de son despotisme.

G -Sur la dictature et les tâches de l’État ouvrier

12) Le rôle du capitalisme, son but, suffisaient à indiquer le rôle de ses différentes formes d’Etat : maintenir l’oppression au profit de la bourgeoisie. Pour ce qui est du prolétariat, c’est encore une fois, le rôle et le but de la classe ouvrière qui détermineront le rôle et le but de l’Etat prolétarien. Mais ici, le critère de la politique menée par l’Etat n’est plus un élément indifférents pour déterminer son rôle (comme c’était le cas pour la bourgeoisie et pour toutes les classes précédentes), mais un élément d’ordre capital dont va dépendre sa fonction d’appui -à la révolution mondiale, et, en définitive, la conservation de son caractère prolétarien.

13) Une politique prolétarienne dirigera l’évolution économique vers le communisme seulement si celle-ci reçoit une orientation diamétralement opposée à celle du capitalisme, si donc elle se dirige vers une élévation progressive et constante des conditions de vie des masses et non vers leur abaissement. Dans la mesure où le permet le contexte politique, le prolétariat doit agir dans le sens d’une diminution constante du travail non payé, ce qui amène inévitablement comme conséquence un rythme de l’accumulation suivant un cours extrêmement ralenti par rapport à celui de l’économie capitaliste. Toute autre politique entraînerait inévitablement la conversion de l’Etat prolétarien en un nouvel Etat bourgeois à l’image de ce qui s’est passé en Russie.

14) En aucun cas, l’accumulation ne peut se baser sur la nécessité de l’accumulation pour battre la puissance économique et militaire des Etats capitalistes. La révolution mondiale ne peut résulter que de la capacité du prolétariat de chaque pays à s’acquitter de sa mission, de la maturation mondiale des conditions politiques pour l’insurrection. La classe ouvrière ne peut reprendre à la bourgeoisie sa vision de la “guerre révolutionnaire”. Dans la période de guerre civile, le contraste ne passe pas entre Etat(s) prolétarien(s) et Etats capitalistes, mais entre prolétariat mondial et bourgeoisie mondiale. Dans l’activité de l’État prolétarien, les domaines économiques et militaires sont forcément d’ordre secondaire.

15) L’État transitoire est essentiellement un instrument de domination politique qui ne peut suppléer à la lutte de classe internationale. L’État ouvrier doit être considéré comme un outil de la révolution mondiale et au grand jamais comme le pôle de concentration de cette dernière. Si le prolétariat obéissait au second des deux critères, il serait forcé de passer des compromis avec les classes ennemies alors que les nécessités révolutionnaires réclament impérieusement une lutte sans merci contre toutes les formations anti-prolétariennes, même au risque d’aggraver la désorganisation économique résultant de la révolution. Toute autre perspective qui partirait de soucis soi-disant “réalistes” ou d’une prétendue loi du “développement inégal” ne pourrait que vicier les fondements de l’Etat prolétarien et conduire à sa transformation en Etat bourgeois sous le couvert fallacieux du “socialisme en un seul pays”.

16) La dictature du prolétariat doit veiller à ce que les formes et les procédés de contrôle des masses soient multiples et variés afin de parer à toute ombre de dégénérescence et de déformation du pouvoir des soviets, dans le but également d’arracher sans cesse “l’ivraie bureaucratique”, excroissance qui accompagne inévitablement la période transitoire. La sauvegarde de la révolution est conditionnée par l’activité consciente des masses ouvrières. La véritable tâche politique du prolétariat consiste à élever sa propre conscience de classe comme à transformer la conscience de l’ensemble des couches travailleuses, tâche à côté de laquelle l’exercice de la contrainte se manifestant au travers des organismes administratifs et policiers de l’Etat ouvrier est secondaire (et le prolétariat doit veiller à en limiter les plus fâcheux effets). Le prolétariat ne doit pas perdre de vue ceci : que “tant qu’il fait encore usage de l’Etat, il ne le fait pas dans l’intérêt de la liberté, mais pour avoir raison de son adversaire”.

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Résolution sur l’État dans la Période de Transition adoptée au 3 congrès du CCI (1979)

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Résolution acceptée au 3e congrès du CCI 1979

L’existence, dans la période de transition, d’une division de la société en classes aux intérêts antagoniques, fait surgir au sein de celle-ci un État. Un tel État devra avoir pour tâche de garantir les acquis de la société transitoire, d’une part contre toute tentative intérieure et extérieure de restauration du pouvoir des anciennes classes exploiteuses et, d’autre part pour maintenir la cohésion contre le danger de déchirement résultant des oppositions entre les différentes classes non- exploiteuses qui subsistent en son sein.

L’État de la période de transition comporte un certain nombre de différences d’avec celui des sociétés antérieures :

  • Pour la première fois de l’histoire, c’est un État, non pas au service d’une minorité exploiteuse pour l’oppression de la majorité, mais au contraire au service de la majorité comprenant les classes et couches exploitées ainsi que celles non-exploiteuses, contre la minorité des anciennes classes dominantes déchues ;
  • Il n’est pas l’émanation d’une société et de rapports de production stables, mais au contraire d’une société dont la caractéristique permanente est le constant bouleversement dans lequel s’opèrent les plus grandes transformations que l’histoire ait connues ;
  • Il ne peut s’identifier à aucune classe économique dominante, dans la mesure où il n’existe aucune classe de ce type dans la société de la période de transition ;
  • Contrairement à l’État des sociétés passées, celui de la société transitoire n’a plus le monopole des armes. C’est pour l’ensemble de ces raisons et de leurs implications que les marxistes ont pu parler de “demi-État” au sujet de l’organe surgissant dans la période de transition.

Par contre, cet État conserve un certain nombre de caractéristiques de ceux du passé. Il reste en particulier l’organe du statu-quo, chargé de codifier, légaliser un état économique déjà existant, de la sanctionner, de lui donner force de loi et dont l’acceptation est obligatoire pour les membres de la société. Dans la période de transition, l’État tendra à conserver l’état économique existant et, de ce fait, l’État reste un organe fondamentalement conservateur tendant :

  • non à favoriser la transformation sociale, mais à s’opposer à celle-ci ;
  • à maintenir en vie les conditions qui le font vivre : la division de la société en classes ;
  • à se détacher de la société, à s’imposer à elle et perpétuer sa propre existence et à développer ses propres prérogatives ;
  • allier son existence à la coercition, à la violence qu’il utilise nécessairement pendant la période de transition, et à tenter de maintenir et renforcer ce type de régulation des rapports sociaux ;
  • à être un bouillon de culture pour la formation d’une bureaucratie, offrant ainsi un lieu de rassemblement aux éléments transfuges des anciennes classes et cadres que la révolution avait détruits.

C’est pour cela que l’État de la période de transition a été depuis le début considéré par les marxistes comme un “fléau”, “un mal nécessaire”, dont il s’agit de “limiter les effets les plus fâcheux” (Engels). Pour l’ensemble de ces raisons, et contrairement à ce qui s’est produit dans le passé, la classe révolutionnaire ne peut s’identifier avec l’État de la période de transition.

D’une part, le prolétariat n’est pas une classe économiquement dominante. Il ne l’est ni dans la société capitaliste, ni dans la société transitoire. Dans celle-ci, il ne possède aucune économie, aucune propriété, même collective, mais lutte pour la disparition de l’économie, de la propriété. D’autre part, le prolétariat, classe porteuse du communisme, agent du bouleversement des conditions économiques et sociales de la société transitoire, se heurte à l’organe tendant, lui, à perpétuer ces conditions. C’est pour cela qu’on ne peut parler ni d’“État socialiste”, ni d’“État ouvrier”, ni d’“État prolétarien”, durant la période de transition.

Cet antagonisme entre prolétariat et État se manifeste tant sur le plan immédiat que sur le plan historique.

Sur le terrain immédiat, le prolétariat devra s’opposer aux empiétements et à la pression de l’État en tant que manifestation d’une société dans laquelle subsistent des classes aux intérêts antagoniques aux siens.

Sur le terrain historique, la nécessaire extinction de l’État dans le communisme, déjà mise en évidence par le marxisme, ne sera pas le résultat de sa dynamique propre, mais le fruit d’une pression soutenue de la part du prolétariat, conséquence de son mouvement en avant, qui le privera progressivement de tous ses attributs au fur et à mesure de l’évolution vers la société sans classe.

Pour ces raisons, si le prolétariat doit se servir de l’État de la période de transition, il doit conserver sa complète indépendance à l’égard de cet organe. En ce sens, la dictature du prolétariat ne se confond pas avec l’État. Entre les deux, existe un rapport de forces constant que le prolétariat devra maintenir en sa faveur : sa dictature le prolétariat l’exerce au travers de son organisation générale, unitaire, indépendante et armée : les conseils ouvriers qui, comme tels, participent dans les soviets territoriaux (où est représenté l’ensemble de la population non-exploiteuse, et d’où émane la structure étatique), sans s’y confondre, afin d’assurer son hégémonie de classe sur toutes les structures de la société de la période de transition.

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