Problèmes de la Période de la Transition (1)

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Un résumé de la pensée de l’organisation en 19 72-73 sur le cadre historique général de la période de Transition les problèmes matériels et politiques[1] qui peuvent se poser au sein de cette société instable, complexe et souvent contradictoire.

PROBLÈMES de la PÉRIODE de TRANSITION

Le texte qui suit est un compte-rendu d’une rencontre nationale du groupe R.I. en février 72, dont le sujet de discussion était “le contenu du socialisme”. C’était la première fois, que le groupe dans son ensemble, abordait un tel sujet et que l’objet de la rencontre n’était nullement d’en sortir avec une théorie toute faite, immuable, sur ce que devrait être le contenu du socialisme, mais bien plutôt d’ouvrir la discussion sur ce sujet, de commencer à cerner les problèmes grâce à l’étude des expériences des révolutions passées et des théories énoncées par les révolutionnaires tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier. Ce texte reprend dans les grandes lignes les idées principales qui sont apparues dans la discussion.

Deux tendances se sont dégagées :

  • la première défendant l’idée “classique” que pendant la période transitoire, ce sont les Conseils ouvriers qui se chargent d’accomplir les tâches de l’État, qui est l’État “ouvrier”.
  • la deuxième tendance voyait le besoin et l’inéluctabilité, pendant la période transitoire d’un État qui soit à la fois lié et distinct des Conseils ouvriers. L’État ne pourra être considéré comme un instrument de la transformation révolutionnaire, mais plutôt comme un instrument de consolidation des acquis de la révolution : la lutte victorieuse contre la bourgeoisie. La dictature du prolétariat ne se confond pas avec l’État : pour pouvoir assurer sa marche vers la transformation socialiste, la classe ouvrière doit garder l’indépendance de son action et l’autonomie de ses organes de classe, les Conseils ouvriers qui sont l’instrument de sa dictature.

Il est bien évident que sur cette discussion, le débat reste ouvert et qu’on ne saurait faire d’un sujet aussi difficile à cerner, une “position de principe” du groupe en ce moment. Le débat se situe tout de même à l’intérieur d’un certain cadre ; il n’existe pas -et on ne saurait admettre dans ce groupe- de théories léninistes/capitalistes d’État qui prétendent solutionner les problèmes de la période transitoire à travers un Parti-État.

Évolution historique de la notion du contenu du socialisme

Afin de cerner les problèmes qui se poseront pendant la “phase transitoire”, c’est-à-dire la période qui se situe entre le lendemain de la révolution (prise du pouvoir par la classe ouvrière internationale) et l’avènement définitif du communisme -la société sans classe- il convient de faire un bref rappel de l’évolution qu’a suivi la théorie du socialisme depuis le début du capitalisme.

En effet, l’idée que les révolutionnaires se sont fait du contenu du socialisme a suivi l’évolution de la lutte de classe elle-même. Il n’existe pas pour les révolutionnaires de “théorie immuable” ni de “vérité absolue” ; les théories révolutionnaires ont, par conséquent, évolué grâce à la confrontation constante de ces théories avec la réalité, et l’enrichissement que lui ont apporté chaque pas, chaque expérience de la classe ouvrière.

Ainsi, au début du XIXe siècle, à cause de “l’extrême jeunesse” de la classe ouvrière, et son absence d’expérience, les révolutionnaires pouvaient avoir une conception tout à fait idéaliste du socialisme, qu’ils se représentaient comme un idéal de justice et d’harmonie auquel on pourrait atteindre par une évolution pacifique.

Malgré la justesse de leurs critiques de la société bourgeoise, celles-ci n’étaient portées que sur un plan éthique et moral. La révolution n’étant pour eux qu’une question de “bonne volonté” et de principes moraux, ils croyaient à une évolution harmonieuse du capitalisme au communisme par la création de petites communes ou phalanstères qui se multiplieraient (théories de Owen, Fourier, Cabet, etc., “socialisme utopique”). Par la force des choses, ces théories ont abouti à une impasse, de même que les théories de Proudhon qui voyait l’émancipation des ouvriers de leur exploitation comme pouvant commencer à s’effectuer au sein même de la société capitaliste par des associations de producteurs libres qui produiraient et échangeraient leurs produits “à leur juste prix”. Ces théories se sont révélées utopiques, car elles voyaient le passage du capitalisme comme pouvant être effectué immédiatement parla simple volonté des hommes.

Pour les socialistes “utopiques”, le socialisme restait dans le domaine des idées, une abstraction puisqu’ils ne voyaient pas le sujet réel de la transformation socialiste : la classe ouvrière. Proudhon, en voulant épargner au prolétariat l’esclavage salarié, ne voyait pas le chemin vers l’émancipation : la lutte de classe. Toutes ces théories niaient tout simplement tout problème d’une “période de transition” vers le socialisme.

Le matérialisme historique

Pour la première fois, le matérialisme historique pose le problème de la NÉCESSITE de la disparition du capitalisme et de l’instauration du communisme. Le socialisme cesse d’être considéré comme une simple question de morale et de volonté, pour être conçu et compris comme une NÉCESSITE historique, comme la dernière et inévitable étape de l”histoire des luttes de classes”. Le matérialisme historique a donné une explication et une base scientifique aux “bons voeux” des socialistes utopiques ; pour Marx et les marxistes, ce ne sont pas les idées et la pure volonté des hommes qui déterminent le cours de l’histoire, mais le développement des forces productives : une société ne peut jamais faire autre chose que ce que ses forces productives lui permettent. C’est le développement des forces productives sous la société capitaliste, qui en entrant en conflit avec les rapports de production et les superstructures capitalistes, pose non seulement les bases de la possibilité du surgissement d’une nouvelle société mais aussi sa nécessité.

Avec le matérialisme historique, il devient clair aussi que ce ne sont pas les “hommes de bonne volonté” qui détruiront le capitalisme, mais que c’est une classe, la classe ouvrière, qui sera appelée à accomplir cette tâche, qui sera le sujet de l’histoire, car c’est seulement elle qui aura intérêt à -et la possibilité de- libérer les forces productives de leur carcan capitaliste et instaurer une société qui ne sera plus dominée par les rapports marchands, une société qui éliminera la domination de l’homme par l’homme. Il n’y a pas de continuité entre les sociétés passées et le communisme (celui-ci étant la fin du règne de la nécessité pour le règne de la liberté) et, pour cette raison, le passage du capitalisme au communisme ne pourra se faire du jour au lendemain. La révolution prolétarienne n’instaure pas tout de suite une nouvelle société, mais ouvre une période de transformation économique et sociale et de maturation de la classe : la période de transition -que déjà Marx avait qualifié comme “phase inférieure” du communisme, ou “socialisme”, qui précéderait la “phase supérieure”, le communisme.

Depuis Marx, la théorie sur le contenu du socialisme s’est trouvée enrichie, en particulier par Lénine (l’État et la révolution) par l’expérience russe, par les essais des camarades de la Gauche hollandaise qui ont essayé de faire une étude sérieuse du problème, mais qui ont limité le problème au plan d’un pays industriel isolé, alors que, en fait, les conditions pour la révolution ne peuvent exister et mûrir que sur le plan international.

L’objet de notre discussion aujourd’hui, est de cerner quels sont les problèmes qu’aura à affronter le prolétariat au lendemain de la révolution, pendant la période de transition; nous disons bien cerner les problèmes, car il est évident que nous ne faisons ici qu’essayer de contribuer à la discussion et l’étude de ce problème, qui s’est posé de tous temps aux révolutionnaires, et qui continuera de se poser jusqu’à ce que l’histoire elle-même ait tranché.

Dans la discussion qui anime les révolutionnaires sur la société future, la phase ultime de celle-ci, la société sans classe, soulève peu de discussions; nous ne pouvons, en effet, avec notre vision aliénée, arriver même à imaginer quels seront les problèmes qui se poseront alors ; nous ne savons que quelques lignes générales qui nous servent de phare, de guide :

  • l’économie cesse d’avoir une existence autonome pour devenir soumise à l’homme.
  • le travail cesse d’être une “malédiction”.
  • il n’existe plus d’opposition entre la société et les individus... la société sans classe est la société de l’“homme nouveau”, intégré dans une société toujours plus harmonieuse...

La société transitoire, celle qui doit aboutir à l’instauration de cette “société idéale”, par contre, soulève pour nous une quantité innombrable de problèmes; c’est à elle qu’incombera la tâche de mettre fin au capitalisme et préparer le communisme; et cela, le prolétariat devra le faire en suivant une démarche qui est à l’encontre de tout ce que l’on a pu voir dans l’histoire passée, car comme son nom l’indique, la société transitoire, n’est pas une société fixe, que l’on instaure, mais qui devra subir des transformations permanentes, afin de résoudre les énormes contradictions dont sera la proie la société au lendemain de la révolution.

Principaux problèmes et contradictions au lendemain de la révolution

Comme nous l’avons déjà dit, la prise du pouvoir elle-même par le prolétariat ne fait qu’ouvrir une période pendant laquelle il s’agira pour celui-ci de préparer les conditions en vue d’amener une société sans classe.

Prétendre que la prise du pouvoir par le prolétariat amène immédiatement l’instauration d’une nouvelle société, ou que tous les problèmes seront résolus, -comme le font beaucoup de “révolutionnaires” actuels- c’est s’imaginer qu’en fermant les yeux devant les problèmes on les élimine. C’est ne pas tenir compte des réalités qui se poseront, et, par là même, laisser libre cours aux mille dangers qui guetteront la bonne marche de la révolution.

La classe ouvrière au pouvoir dans un pays donné aura comme tâche primordiale de hâter et aider le processus révolutionnaire dans d’autres pays comme condition sine qua non de sa propre existence. La transformation sociale n’est possible que sur l’échelle internationale et on ne pourrait avoir des “économies socialistes” ou “l’autogestion” dans un seul pays. La tâche fondamentale dans les premiers temps de la guerre civile mondiale sera d’étendre la révolution à d’autres secteurs et pays.

Au lendemain de la révolution, la classe ouvrière se trouve dans une situation pour le moins précaire : il s’agit pour elle de se maintenir au pouvoir alors que :

  • le niveau de conscience en son sein même est loin d’être homogène et uniforme ;
  • la classe ouvrière se trouvera seule à défendre les intérêts de la transformation socialiste ;
  • il existera encore des classes et couches sociales (paysannerie, artisanat, petite bourgeoisie) qui peuvent participer à la lutte contre la bourgeoisie, mais qui n’ont pas un intérêt, en tant que classe, dans la socialisation de la production. Tout en étant des couches non-exploiteuses, elles tendront à s’opposer au prolétariat et à maintenir la petite production individuelle et les rapports marchands ;
  • l’on ne pourra pas simplement “éliminer” ces classes par la violence. Par la force des choses elles auront un rôle à jouer dans la société post-révolutionnaire. Le prolétariat sera obligé dans l’immédiat de composer avec ces classes, afin d’entamer une dynamique de transformation des bases matérielles de la paysannerie et la petite bourgeoisie (la prolétarisation des couches parasitaires, l’intégration des artisans dans la production, l’encouragement de la collectivisation à la campagne). Il s’agira de gagner, intégrer, assimiler ces classes par la lutte idéologique et la transformation des bases économiques que seul le prolétariat peut mener.

Toutes ces transformations ne peuvent pas aboutir du jour au lendemain. Il y aura toute une période avant que ces couches puissent s’intégrer au prolétariat et par là même, éliminer la société de classes. C’est la définition même de la période de transition. Tant que ces classes n’ont pas disparu, persistent des rapports d’échange et le danger du retour en arrière menace la marche de la révolution.

IL faudra résoudre le problème de coordination de la production et la distribution dans la société. Il y aura besoin d’une planification sur une échelle autre que simplement locale.

IL faudra résoudre le problème des deux tiers de l’humanité qui souffre de la famine et de sous-alimentation chronique. IL faudra, en somme, que la révolution soit mondiale, alors que sur le plan mondial la classe ouvrière est minoritaire.

IL ne faut pas non plus négliger le fait que nous ne pouvons pas savoir dans quel état se trouvera l’économie au lendemain de la guerre civile. On sera peut-être dans une période de pénurie à la suite des grandes destructions.

Ceux-ci ne sont que quelques uns des problèmes qui se poseront. Notre but est d’opposer à une tendance utopique de la révolution, une tendance réaliste.

A cause de cette position de faiblesse dans laquelle se trouvera la classe ouvrière au lendemain de la révolution, en proie à des menaces extérieures (situation économique, rapports de force avec les autres classes...), aussi bien qu’internes (poids de l’idéologie du passé, absence d’homogénéité politique...), les dangers d’un retour au capitalisme se trouvent décuplés. Il s’agit pour nous, révolutionnaires, de cerner le mieux possible ces problèmes pour ne pas être pris au dépourvu et tenter d’en éviter les dégâts.

Nous savons que la difficulté essentielle de la période de transition est que nous nous trouverons dans une situation où la classe ouvrière aura manifesté dans les faits sa volonté de détruire le système capitaliste sous toutes ses formes et qu’elle se trouvera dans l’impossibilité de le faire immédiatement, du jour au lendemain, pour les raisons que nous avons énumérées plus haut. C’est là le noeud du problème de la période transitoire : c’est une phase ou la société se verra constamment tiraillée entre une tendance vers l’immobilisme, la conservation du statu-quo ou le retour en arrière, et une tendance -celle que seule une classe ouvrière consciente et organisée dans des organes vivants qui lui sont propres, peut assurer- vers le dépasse ment constant de la situation, vers l’achèvement de la société sans classe.

Pourquoi un état ?

Le propre de la classe ouvrière révolutionnaire n’est nullement d’assurer la survie de cette société hybride, divisée, que nous hériterons de la société capitaliste. Sa mission va bien au delà et ce serait lui couper les mains que de lui assigner ce rôle qui n’est pas le sien. Cependant Cette tâche d’assurer la survie et la marche de la société doit tout de même être assurée.

Au lendemain de la révolution et de la guerre civile, un État surgira qu’on le veuille ou non, car la société transitaire sera encore une société ou il existera des classes (paysannerie, petite bourgeoisie). Le prolétariat doit mener une lutte de classe pour la transformation de cette société, mais en même temps, il est impossible de priver ces couches de toute expression sociale, de toute représentation dans la vie de la société. L’État sera l’expression même des contradictions au sein de la société de transition. Comme tous les États, il consacrera les acquis de la lutte passée (les acquis de la révolution contre la bourgeoisie) et son rôle sera de maintenir la lutte des classes de la société transitoire dans un cadre qui ne mette pas en danger l’existence même de la société. Mais contrairement aux États dans le passé, il ne sera pas un organe pour consacrer une nouvelle domination économique de classe; la classe ouvrière n’est pas une classe exploiteuse et n’a pas d’intérêts économiques privilégiés à défendre.

L’État de la période de transition disparaîtra quand les classes auront disparu. Il est fort possible que le prolétariat doive être vigilant à cet égard pour assurer, par la force si nécessaire, que l’État ne s’autonomise pas par rapport au reste de la société. La classe doit être consciente que le danger du retour au capitalisme viendra en partie de cet État même, ce fléau hérité d’un monde divisé en classes, une arme à double tranchant dont nous devrons nous servir comme on se sert du cobalt pour soigner le cancer.

L’État de la société transitoire n’est en aucune manière le porteur de la révolution, il naît en tant que produit d’une certaine situation et d’un certain rapport de force entre la classe ouvrière et les autres classes qui, elles, ne partagent pas les intérêts de la classe ouvrière dans la révolution (n’oublions pas que nous parlons toujours sur un plan international). Puisqu’il est produit de cet état de fait existant, sa tendance sera à vouloir conserver, perpétuer cette situation, à freiner ou empêcher toute marche en avant vers l’élimination des autres classes. Contrairement à ce qu’en pensait Lénine, sa nature est antinomique à la lutte pour la libération de l’homme.

L’histoire nous a montré qu’au moment même de l’insurrection, l’État s’identifie avec les organes unitaires de la classe ouvrière, les Conseils Ouvriers. C’est lors de la deuxième phase -quand les problèmes de gestion de la société et de maintien de l’ordre public se posent- que le problème État/Conseils Ouvriers se pose : il s’agit de faire vivre tous les membres de la société, alors que dans les Conseils Ouvriers il n’y a que des ouvriers. Si l’on identifie, comme le font les conseillistes et les léninistes, Conseils Ouvriers et État, on ne voit pas que :

  • les tâches historiques du prolétariat ne peuvent pas être identifiées à l’État. Le prolétariat seul est porteur du socialisme, d’un programme communiste qui mène à la disparition des classes. A travers la réalité immédiate, le prolétariat doit toujours défendre le but final du mouvement. L’État n’est qu’un statu-quo provisoire dans une société encore divisée. Le but du prolétariat n’est pas d’assurer l’existence des États, mais de bouleverser le statu-quo pour pouvoir marcher vers le socialisme ;
  • un État ouvrier est une contradiction dans les termes. La classe ouvrière ne construit pas des États parce qu’elle n’est pas une classe exploiteuse. L’État de la période de transition est inévitable, mais il n’est pas une émanation de la classe ouvrière. Cet État peut représenter un danger pour le prolétariat, peut essayer de lier les mains aux prolétaires pour les faire “travailler pour les autres”. La classe ouvrière doit être libre de poursuivre sa politique y inclus le droit de faire grève contre les diktats de l’État. Vouloir confondre prolétariat et État mène à l’aberration d’un “État ouvrier” qui interdit aux ouvriers de s’élever contre lui ;
  • vouloir identifier prolétariat et État ne fait que diluer la force de la classe ouvrière en l’unifiant avec d’autres couches qui ne défendent pas les mêmes intérêts. La dictature du prolétariat s’exerce à travers ses organes autonomes -les Conseils Ouvriers- et le rôle de la classe au sein de l’État dépend des rapports de forces avec les autres couches et du niveau de conscience et de vigilance des ouvriers.

Comme nous le disions plus haut, la grande difficulté de la période de transition réside en ce qu’elle est justement une période de transition. C’est-à-dire qu’elle sera constamment la proie aux plus grandes contradictions à une évolution constante -évolution qui, si elle s’arrêtait, ne manquerait pas d’indiquer une dégénérescence et un retour pur et simple vers le capitalisme. On pourrait dire que la période transitoire se trouvera pendant longtemps dans une distance constamment modifiée entre le capitalisme et le communisme, et cela tant que l’État n’aura pas complètement disparu. Si les révolutionnaires ne saisissent pas bien la dynamique de cette période, ils seront passibles des plus néfastes erreurs.

Bien que l’État de la société transitoire ne soit là que pour accomplir les tâches les plus pratiques afin d’assurer la survie de la société, cela ne l’empêchera pas d’avoir les tendances les plus “immobilistes” et réactionnaires; il peut à tout moment devenir l’organe actif de la contre-révolution ; c’est justement pour lutter contre les tendances contre-révolutionnaires de celui-ci qu’il est absolument nécessaire que la classe ouvrière ne s’“endorme” pas, que son mûrissement, sa radicalisation, son homogénéité, son renforcement, continuent à s’effectuer au sein de ses conseils ouvriers ; c’est à elle d’être en alerte afin de guetter et parer le moindre signe de contre-révolution, c’est à elle de s’assurer que la révolution est en bonne voie, à elle d’être prête, s’il le faut à reprendre les armes contre ce même État.

Afin de s’assurer la soumission de cet État, il semble évident qu’un certain nombre de mesures doivent être prises :

  • les ouvriers organisés en Conseils ont le pouvoir de décision sur toutes les mesures que prend l’État ; aucune mesure n’est prise sans leur consentement et participation active ;
  • les ouvriers ont le monopole des armes, et ils sont prêts à s’en servir contre cet État si nécessaire ;
  • les ouvriers sont représentés dans l’État, dans les proportions maximales (celles que le rapport de force permet) ;
  • tous les membres de l’État sont délégués et révocables à tout instant. Les représentants ouvriers rendent compte aux Conseils de toutes les mesures et démarches qu’ils effectuent ;
  • les Conseils Ouvriers décident des changements qui doivent être effectués au sein de l’État et de la société même, compte-tenu de l’évolution des rapports de force. Leur attitude vis à vis des autres classes est en quelque sorte : “nous faisons des compromis avec vous parce que nous ne pouvons pas pour l’instant faire autrement. Mais notre but est de détruire les conditions de votre existence comme classe le plus rapidement possible”.

Cette destruction des autres couches de la société pourra se faire d’autant plus rapidement que les forces productives seront développées. Le premier souci de la classe ouvrière sera d’intégrer le plus rapidement possible toutes les couches de la société dans le processus de la production socialisée. Il va de soi que cette intégration ne consiste pas à obliger tout le monde à travailler dans les usines telles qu’elles existent actuellement, mais que dès le lendemain de la prise du pouvoir, de profonds changements devront être effectués quant à la nature, les buts, les formes de la production.

Aussi, bien qu’il ne soit pas possible d’instaurer la société sans classe au lendemain de la révolution, qu’il faudra composer avec les classes non révolutionnaires, il sera possible -et nécessaire- de prendre des mesures socialistes, assurant le chemin vers le communisme, immédiatement. Il s’agira de marquer, le plus rapidement possible, autant de “points de non-retour” que la situation le permettra. Par exemple, il se pourra qu’on soit forcé, dans un premier stade, d’effectuer la distribution des produits partiellement sous une forme monétaire quelconque -tant qu’il existera des secteurs extra-socialistes- le premier souci sera de tendre vers la collectivisation de la distribution, vers la suppression des marchés, des salaires et, évidemment, de la loi de la valeur.

Nous critiquons le système des “bons du travail”[2] (forme de “monnaie’ représentant une certaine quantité d’heures de travail avec laquelle un individu se procurerait autant de biens de consommation, calculés également en heures de travail) en ce sens que ce système tend à perpétuer la notion de la classe ouvrière comme une somme d’individus qui reçoivent de quoi vivre en fonction de leur travail individuel. Or, quelles que soient les mesures qui seront prises pendant la période de transition, ce qui importe surtout c’est l’orientation de ces mesures, leur rupture avec le système passé.

L’orientation qui doit guider toutes les mesures prises doit être de tendre vers la production pour la satisfaction des besoins et pas pour l’accumulation comme dans le système capitaliste, vers la hausse constante du niveau de vie de la classe ouvrière, vers la réduction des heures de travail en assimilant d’autres couches dans le travail associé. Le travail doit perdre son caractère de fléau, d’“achat de sa propre vie”, et doit au contraire encourager des rapports de solidarité au sein des ouvriers. Nous pensons qu’il faut au plus vite assurer la gratuité et la collectivisation de tous les biens de consommation qui sont nécessaires à la vie d’un homme (nourriture, habits, etc...) surtout dans les secteurs où la classe ouvrière est forte, des secteurs industrialisés, ou la socialisation de la consommation peut forcément aller plus vite.

Les meilleures garanties contre une éventuelle dégénérescence de la révolution sont des mesures économiques et politiques tendant à asservir chaque fois davantage l’économie, les forces productives, aux besoins immédiats des hommes. C’est le phare qui doit orienter constamment la période de transition, le seul qui puisse nous guider vers le “règne de la liberté”, vers la société de l’homme.

Taly



[1] Pour un article sur la critique du système “ des bons de travail”, voir Révolution Internationale n°8.

[2] Système des bons de travail : énoncé par Marx dans le “programme de Gotha» et repris et élaboré par la Gauche Hollandaise dans Principes de la production et distribution communiste