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ICConline - 2009

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1968 en Allemagne (II) : au-delà du mouvement de protestation, la quête d'une société nouvelle

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L’espoir déçu

Dans la première partie de notre article sur Mai 68 en Allemagne, nous avons montré que l’on pouvait voir au-delà de ce mouvement celui plus vaste d’une nouvelle génération qui recherchait une alternative au capitalisme. Le rejet de la guerre au Vietnam, le refus de se soumettre sans résistance aux besoins du capital, la montée d’un espoir pour une nouvelle société, tout cela constituait des facteurs importants qui motivaient beaucoup de jeunes, étudiants et ouvriers, à manifester. Mais quelle que fut la force de cet espoir pour une nouvelle société, la déception et la perplexité furent tout aussi fortes quand la première vague de contestation recula au cours de l’été 1968.

Alors qu’en France la grève massive des ouvriers avait fait naître un sentiment de solidarité, de cohésion entre étudiants et ouvriers dans leur lutte contre le gouvernement, les ouvriers en Allemagne n’étaient pas encore entrés en scène de façon massive au printemps 1968. Après la vague de protestations contre la tentative d’assassinat du célèbre leader étudiant Rudi Dutschke en avril, et après les manifestations contre l’adoption des lois d’urgence pendant l’été 1968, le mouvement, essentiellement étudiant, s’étiola. Contrairement à ce qui s’était passé en France, les étudiants en Allemagne ne furent pas immédiatement remplacés par la classe ouvrière comme fer de lance dans les luttes. C’est seulement après les grèves de septembre 1969 que la classe ouvrière en Allemagne entra en scène à une plus grande échelle.

Des centaines de milliers de jeunes cherchaient un point de référence, une orientation et un levier pour renverser cette société. C’est une tragédie de l’histoire que cette jeune génération, au sein de laquelle beaucoup avaient commencé à se considérer comme des opposants au système capitaliste, ait été récupérée et que son mouvement de contestation initial ait été réduit à l’impuissance. Nous voulons essayer d’expliquer ce qui s’est passé.

La classe ouvrière avait refait surface mais la lutte de classe ne jouait pas encore son rôle unificateur

Même si la classe ouvrière en France avait mis en place la plus grande grève de l’histoire en mai 1968, cette première réaction massive de la classe ouvrière n’était pas encore capable de repousser tous les doutes la concernant qui avaient prévalu pendant des années.

Peut-être encore plus que Paris pour la France, Berlin était le centre de la contestation étudiante en Allemagne. Pas la ville de Berlin telle qu’elle est aujourd’hui, mais l’enclave de Berlin-Ouest au milieu de l’Allemagne de l’Est. De nombreux protagonistes à l’époque étaient motivés par des idées vagues telles que l’instauration d’une sorte de république conseilliste à Berlin-Ouest qui aurait servi d’étape transitoire pour transformer à la fois Berlin-Est et Berlin-Ouest.

Mais en examinant la situation particulière de l’enclave pendant la Guerre froide, on peut voir combien cette idée était irréaliste car cette enclave constituait en un certain sens un microcosme des difficultés que devait affronter la résurgence de la classe ouvrière.

D’un côté Berlin-Ouest était une scène centrale pour les gauchistes. Etre résidant à Berlin-Ouest signifiait que l’on était exempté de conscription militaire. D’un autre côté, les secteurs Ouest de Berlin avaient toujours été des centres anti-communistes, qui tiraient parti encore à l’époque de l’aspect romantique du pont aérien de Berlin. Par-dessus tout, nulle part ailleurs dans le monde occidental on ne connaissait aussi bien la face inhumaine du stalinisme par l’expérience même de la population. Dans une telle ambiance, le fait même d’entendre de la bouche d’un étudiant des mots tels que ‘socialisme’ et ‘communisme’ provoquait de vives méfiances, particulièrement de la part des ouvriers les plus âgés. Contrairement à ce qui se passait en France, les étudiants n’étaient pas tant regardés avec de la sympathie ou de l’indifférence, mais plutôt avec de l’hostilité. Le résultat est que les contestataires de la première vague se sentaient profondément dans l’insécurité.

Par conséquent, on peut comprendre que beaucoup d’entre eux aient commencé à chercher des forces révolutionnaires alternatives hors de l’Allemagne, et même hors des pays industrialisés. Cette réaction n’était en aucun cas spécifique à l’Allemagne mais elle y a développé une forme spécifique.

1968/69 ont également constitué le pic du mouvement de protestation contre la guerre du Vietnam impliquant des centaines de milliers de jeunes dans le monde entier. Les formes de nationalisme « anti-impérialiste », telles que le « Black Power » aux Etats-Unis, étaient de façon erronée présentées comme faisant partie d’une solidarité internationale et même comme « une lutte de classe révolutionnaire ». Cela nous aide à comprendre le paradoxe qui a fait qu’un mouvement qui, à l’origine, était dirigé contre le stalinisme se tourne partiellement à nouveau vers lui. Parce que la première apparition de la classe ouvrière n’avait pas encore attiré suffisamment de monde dans son orbite, beaucoup de jeunes devinrent réceptifs à des idées qui étaient une véritable déformation perverse de leurs motivations originelles. L’influence des organisations gauchistes a eu alors un effet négatif, désastreux et destructeur, et un grand nombre des victimes de ces organisations se trouvaient parmi la jeune génération.

Le rôle désastreux de la gauche et des gauchistes

Les dirigeants du mouvement de 1967-68 pensaient qu’une révolution était là juste au coin de la rue. Mais quand le changement rapide attendu échoua, ils durent admettre que leurs forces avaient été trop faibles pour l’entraîner. L’idée leur est venue de fonder ‘le’ parti révolutionnaire, quasiment comme une sorte de panacée. En tant que telle, l’idée n’était pas mauvaise. Les révolutionnaires doivent unir leurs forces et s’organiser pour avoir un impact maximal. Le problème était qu’ils étaient coupés de l’expérience historique de la classe ouvrière à cause de la contre-révolution, quelles que soient ses formes d’expression : démocratique, stalinienne et fasciste, qui avaient duré pendant des décennies. Ils ne savaient ni ce qu’était un parti prolétarien, ni comment et quand il devait être créé. Au lieu de cela, ils voyaient le parti comme une sorte d’église, un mouvement missionnaire, qui convertirait les ouvriers embourgeoisés au socialisme. De plus, le poids très lourd de la petite-bourgeoisie avait un impact considérable sur les étudiants. Comme Mao en Chine au cours de la révolution culturelle, pensaient-t-ils, ils voulaient ‘purger’ les travailleurs de leur ‘embourgeoisement’. Rudi Dutschke, comme les autres leaders de l’époque, a décrit comment, au début du mouvement, les étudiants révolutionnaires et les jeunes travailleurs se rencontraient et établissaient des contacts dans les centres de jeunesse de Berlin-Ouest, et comment les jeunes ouvriers par la suite ont refusé de participer à ce tournant sectaire, étrangers à ce monde-là.

Le déboussolement de la nouvelle génération fut également exploité par les groupes gauchistes, que l’on appelait en général les ‘groupes K’ (Kommunist groups) qui se développaient alors. Les divers et multiples groupes gauchistes, en nombre croissant en Allemagne –il y avait des dizaines d’organisations allant des trotskystes et des maoïstes aux ‘spontanéistes’- agissaient comme un gigantesque piège servant à stériliser politiquement la jeune génération.

Même si en Allemagne, après 1968, plus d’une demi-douzaine de groupes trotskistes ont jailli, ces groupes attiraient moins de monde en Allemagne qu’en France, principalement parce que la classe ouvrière en Allemagne n’avait pratiquement pas fait sa réapparition. Le trotskisme n’est pas moins bourgeois que le maoïsme. Mais comme il était apparu à l’origine comme un mouvement prolétarien d’opposition au stalinisme, la classe ouvrière en était plus proche que du maoïsme, qui s’inspirait plutôt d’un certain romantisme envers la paysannerie.

En Allemagne c’était surtout les groupes maoïstes qui prospéraient. A la fin des années 1968/69, le KDP, Parti Marxiste Léniniste a été fondé ; à Berlin Ouest, un autre KPD fut créé en 1971 comme rival du premier. En 1971, la Ligue Communiste (KB) a de même vu le jour dans le nord de l’Allemagne ; en 1973 le KBW (Ligue Communiste, Allemagne de l’Ouest) se mettait en place à Brême. Ces groupes ont réussi à attirer plusieurs centaines de jeunes. Les groupes maoïstes reflétaient un phénomène qui avait pris une forme particulière en Allemagne. Parce qu’en Allemagne, beaucoup de jeunes reprochaient à leurs aînés d’avoir été responsables des crimes nazis et de la Seconde Guerre mondiale en général, les maoïstes pouvaient tirer profit de ce complexe de culpabilité. De plus, le maoïsme agissait comme organisateur et fervent propagateur de la ‘guerre des peuples’. Le maoïsme prétendait être le défenseur des paysans opprimés du Tiers Monde et voulait les mobiliser dans des guerres de ‘libération nationale’ contre « l’impérialisme américain ». Etant donné que les paysans étaient considérés comme étant la principale force révolutionnaire de la société, le maoïsme agissait comme un agent recruteur de chair à canon pour la guerre.

Cependant, le fait que le mépris pour leurs propres pères les avait conduits à idéaliser les nouveaux leaders (Mao, « l’Oncle Ho », le « Che », Enver Hoxha) n’avait pas beaucoup troublé les supporters des groupes maoïstes car cela correspondait à un besoin d’une partie d’une génération ‘d’avoir quelqu’un à admirer’, de chercher un ‘modèle’, et même une ‘image du père’ afin de remplacer la vieille génération rejetée. Le maoïsme a donné naissance à de telles monstruosités, comme la révolution culturelle au milieu des années 1960 en Chine, où des millions de travailleurs que l’on estimait appartenir à ‘l’intelligentsia’ ou qui avaient une qualification supérieure quelconque étaient envoyés à la campagne pour apprendre auprès des paysans. Tout cela signifiait une terrible humiliation et un grand avilissement. Le maoïsme se distinguait également par un rejet profondément ancré de toute approche théorique. Sa caractéristique principale était le culte des leaders et la psittacose du slogan avec le « petit livre rouge » de Mao comme une Bible entre les mains.

De plus, les maoïstes ont ranimé le "Proletcult" (les cols bleus érigés en icônes) à la manière de ce que prônait Staline dans les années 1920.Le mot d’ordre était d’aller dans les usines pour apprendre auprès des ouvriers et d’instaurer une organisation d’avant-garde. C’était le côté pile de la même pièce qui, sur le côté face, reprochait à la classe ouvrière d’être ‘embourgeoisée’.

Alors qu’avec une longueur d’avance, beaucoup de jeunes avaient commencé à se confronter à l’histoire et aux questions théoriques, maintenant les « groupes K » faisaient tout leur possible avec l’aide des ‘écoles de marxisme’ pour détruire cette soif d’approfondissement théorique en corrompant la relation entre théorie et pratique. Le dogmatisme des gauchistes aura des conséquences désastreuses.

D’un côté, les « groupes K » ont conduit leurs adhérents à un activisme effréné et, de l’autre, ils les ont endoctrinés avec de soi-disant cours sur la théorie marxiste. Ainsi, après 1968, des dizaines de milliers de jeunes ont vu leur opposition première au système être déformée et entraînée dans des activités qui en réalité contribuaient au maintien du capitalisme. Il était difficile de résister à cette pression sectaire. Finalement, beaucoup de jeunes ont été détournés de la politique et en ont été complètement écœurés. On a estimé qu’entre 60 000 à 100 000 jeunes d’Allemagne de l’Ouest étaient impliqués d’une manière ou d’une autre dans des groupes gauchistes. Nous devons les considérer comme des victimes recrutées par les organisations gauchistes pour une politique bourgeoise, et comme des gens qui ont eu les ailes brûlées par ces groupes.

Ce fut l’un des paradoxes de l’histoire de cette époque que les staliniens ‘officiels’, qui combattaient ouvertement les aspirations révolutionnaires de 1968, aient été encore capables de saisir l’occasion d’établir une certaine présence en Allemagne. Au printemps 1969, le Parti Communiste Allemand (DKP) fut créé, composé dans une certaine mesure avec d’anciens membres du KPD qui avaient été bannis au début des années 1950. Au début des années 1970, ce parti, incluant ses nombreuses ramifications, comprenait quelques 30 000 membres. Une des raisons expliquant cet afflux d’adhésions était que beaucoup de ses membres croyaient que le parti, qui était soutenu et financé par l’Allemagne de l’Est, serait capable d’agir comme un contrepoids à l’Etat ouest-allemand ; et ils croyaient également que soutenir Moscou renforcerait une position ‘anti-impérialiste’ dans le monde contre les Etats-Unis. Après un rejet initial des sociétés totalitaires et staliniennes de l’Europe de l’Est par les jeunes générations, nous étions maintenant face à la récupération paradoxale d’une partie d’entre eux par un DKP ultra-stalinien.

De plus, les très rares voix de la Gauche communiste qui existaient à l’époque se voyaient furieusement bâillonnées par les différents groupes gauchistes. Par exemple, si vous dénonciez les mouvements de ‘libération nationale’ comme étant des guerres par procuration entre les blocs impérialistes et si vous prôniez l’expansion de la lutte de classe par l’extension et l’auto-organisation des luttes ouvrières, c’est-à-dire si vous défendiez un point de vue résolument internationaliste, ou si vous vous dressiez contre l’antifascisme et qualifiez la Seconde Guerre mondiale de guerre faite de part et d’autre par des gangsters impérialistes, non seulement vous violiez un tabou, mais vous vous heurtiez de front à l’attitude hostile de tous les gauchistes réunis.

Même s’ils n’étaient pas exposés de la même manière à l’influence des gauchistes, un milieu très hétérogène de ‘spontanéistes’ développait lui aussi ses activités : squattant dans les maisons vides, faisant campagne pour des crèches ou contre les centrales nucléaires. Cela voulait dire qu’une grande partie de la jeune génération était engagée dans des luttes partielles. La perspective qui découlait de ces luttes et les conséquences de ces activités étaient que la contestation du capitalisme devint très limitée et fut réduite à un aspect partiel, au lieu de la compréhension de la nature globale et interactive de ces problèmes à l’intérieur du système capitaliste. Plus tard, ces mouvements partiels constituèrent un terreau fertile aux activités du Parti des Verts qui, par l’intermédiaire de projets pour une réforme écologique, avait un fort impact sur beaucoup de jeunes, ce qui a conduit à l’intégration de bon nombre d’entre eux dans des ‘projets’ voulant réformer d’Etat de l’intérieur.

Le terrorisme – une autre voie sans issue

Un autre cul-de-sac dans lequel s’est précipitée une partie de la génération en plein questionnement de l’époque a été le terrorisme. Conduits par un mélange de haine et de révolte contre le système, prisonniers de leur propre impatience et de la croyance que des actions exemplaires pouvaient ‘secouer les masses’, certains de ces éléments furent entraînés à se livrer à des attaques violentes contre les représentants du système, mais ils étaient également infiltrés par des provocateurs à la solde de l’Etat qui les utilisaient pour le compte des intérêts sordides du gouvernement. A partir de mars 1969, de petites bombes ont commencé à circuler, distribuées par les agents provocateurs. A Berlin-Ouest, le 9 novembre 1969, il y eu une première attaque contre un Centre de réunion juif : pour quelques membres de ces mouvements, cela faisait partie de la lutte contre le sionisme en tant que nouvelle forme de fascisme. Réceptifs à la manipulation, des fractions de ce mouvement furent transformées en propagandistes pour soutenir les mouvements de libération nationale (souvent des terroristes palestiniens) qui étaient prêts à les entraîner dans leurs camps militaires et qui exigeaient une soumission et une discipline totales. En mai 1970, la Fraction Armée Rouge (RAF) fut créée ; les ‘Cellules Révolutionnaires’ « combattantes » commencèrent leurs activités après 1973. Le nombre de leurs supporters et de leurs adhérents semble avoir été assez conséquent, le journal underground Agit 883 prétend avoir imprimé 10 000 à 12 000 copies par semaine.

Cependant, pour le capitalisme et l’Etat, ces gens n’ont jamais constitué le danger mortel qu’ils avaient espéré être. Au lieu de cela, l’Etat a systématiquement utilisé leurs activités pour justifier le renforcement de son appareil de répression.

La Social-Démocratie et « l’Etat providence » : un nouveau piège

Au milieu des années 1960, le long boom d’après-guerre, vanté comme étant un miracle économique, arriva à son terme. Peu à peu, la crise refit son apparition. Parce que le boom avait pris fin d’une façon soudaine, les premiers symptômes de la crise ne furent pas encore trop explosifs et brutaux, et il y eut encore beaucoup d’illusions sur une intervention énergique de l’Etat qui permettrait à l’économie d’être secouée un bon coup et de redémarrer.

S’appuyant sur ces illusions, le SPD a commencé à promettre qu’avec l’aide de mesures keynésiennes (énormes dépenses de l’Etat s’appuyant sur l’endettement, etc.), la crise pourrait encore être maîtrisée. Le SPD plaça même cette propagande au centre de sa campagne. Beaucoup avaient placé leurs espoirs dans cette ‘aide providentielle’ de l’Etat, conduite par la sociale-démocratie. De plus, les premières mesures d’austérité étaient encore assez modérées si on les compare à celles d’aujourd’hui. Ces circonstances nous aident également à comprendre que la contestation ait été vue par l’un des courants du mouvement à l’époque comme la manifestation du rejet de la société « de consommation », de la « société du spectacle » (une idée répandue par les situationnistes)1. Tout cela aide à comprendre un certain retard dans le développement de la lutte de classe en Allemagne et a contribué au fait que la classe ouvrière en Allemagne était encore ‘en sommeil’ jusqu’en septembre 1969. En outre, l’Etat pouvait encore se permettre pas mal de ‘réformes’, en particulier après le retour au pouvoir du SPD dans le gouvernement socio-libéral formé à l’automne 1969 qui injecta de l’argent dans l’économie. Le mythe de « l’Etat providence », largement répandu à l’époque, a contribué à enchaîner les étudiants (beaucoup d’entre eux recevaient des bourses) et les travailleurs à l’Etat, et ainsi leurs velléités de résistance face au pouvoir furent brisées.

Au niveau politique, en 1969, le SPD faisait campagne pour la participation aux élections qui approchaient. Alors qu’auparavant, les mouvements de contestation avaient orienté leurs activités vers « l’opposition extra-parlementaire », la social-démocratie réussit à attirer une partie considérable de la jeune génération vers les urnes. Comme en 1918/19, cinquante ans plus tard, la social-démocratie aidait à étouffer les tensions sociales. Le SPD avait encore une forte influence à l’époque, réussissant à accroître le nombre de ses adhérents de 300 000 (et parmi eux, de nombreux jeunes) entre 1969 et 1972. Beaucoup considérèrent le SPD comme un ‘moyen de pénétration’ à l’intérieur des institutions (l’entrisme dans les institutions d’Etat). Pour beaucoup, la participation dans sa section pour la jeunesse, le JUSO, signifiait en réalité le début d’une carrière dans l’appareil d’Etat.

Une tâche qui unit les générations

Quarante ans après les événements de Mai 68, un simple coup d’œil à la presse internationale montre que ces évènements ont reçu une importante couverture médiatique bien au-delà des frontières de la France. Si les médias ont traité aujourd’hui ces évènements de 1968 avec autant d’intensité, c’est parce que quelque chose est en train de couver dans notre société. Même si ceux qui ont pris part à ces événements et qui depuis ont fait une belle carrière dans l’appareil d’Etat ou dans le business ont honte de leurs activités ou veulent garder le silence à ce sujet, ceux qui à l’époque avaient déjà pour but une société nouvelle, libérée de l’exploitation, peuvent constater par eux-mêmes que leur projet originel est toujours valable et que cette nécessité reste toujours actuelle.

Aujourd’hui, une nouvelle génération est en train de remettre en question les bases de la société capitaliste. Depuis 1968, la société s’est enfoncée dans une crise beaucoup plus profonde et une barbarie qui ne peut plus être ignorée. Ceux qui ont participé à Mai 68 et qui n’ont pas été récupérés par le système, et dont beaucoup ont l’âge de la retraite, ont toutes les raisons et aussi toutes les possibilités d’offrir leur aide à la jeune génération d’aujourd’hui et de se joindre à la lutte pour le renversement du capitalisme. C’est une lutte qui doit englober toutes les générations. En 1968, le conflit entre les générations a eu de graves conséquences. A l’heure actuelle, ce serait une double tragédie pour la génération la plus âgée si elle ne réussissait pas à soutenir la jeune génération d’aujourd’hui dans sa lutte.

TW, 11/07/08

 

1 La prolétarisation chez les étudiants n’était pas si avancée à l’époque. En comparaison, la proportion d’enfants d’ouvriers parmi les étudiants est beaucoup plus grande aujourd’hui. Alors qu’à l’époque l’influence bourgeoise et petite-bourgeoise était plus importante, aujourd’hui ce sont les conditions d’existence prolétariennes qui dominent chez les étudiants. Chose presque inconnue à l’époque, les étudiants sont maintenant presque tous confrontés au chômage des jeunes et à celui de leurs parents, à la paupérisation, à la perspective d’un emploi dans des conditions précaires etc. Tandis qu’à la fin des années 1960 beaucoup pouvaient espérer une carrière dans leur emploi, aujourd’hui la plupart craignent le chômage et l’insécurité de l’emploi.

Géographique: 

  • Allemagne [1]

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Mai 1968 [2]

A Vigo, en Espagne : les méthodes syndicales mènent tout droit à la défaite

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Nous publions ci-dessous un article rédigé par Accion Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne et publié sur notre site en langue espagnole dès le 19 juin.

Il y a trois ans, les métallurgistes de Vigo ont été les protagonistes d’une lutte qui a obtenu satisfaction pour une bonne partie de ses revendications, en particulier, des augmentations de salaire égales pour tous, une mesure unitaire et solidaire qui a amélioré les salaires de tous, tout en favorisant les ouvriers les plus mal payés.

Le « secret » de ce succès temporaire est dû au fait que les ouvriers ont utilisé des méthodes prolétariennes de lutte : la grève est partie d’une petite usine de métallurgie et les travailleurs sont parvenus à gagner la solidarité active de leurs camarades des grandes entreprises voisines des chantiers navals et de l’automobile. Cette solidarité s’est développée grâce à des manifestations massives qui se sont rendues aux portes des usines, en organisant des assemblées communes où chacun pouvait participer et où l’on décidait de comment maintenir l’unité et comment poursuivre la lutte. ensemble. En même temps, la grève était dirigée au jour le jour par des assemblées dans la rue ou devant les portes des usines ouvertes à tous où près de 10 000 personnes ont pu participer et dans lesquelles des travailleurs d’autres secteurs étaient invités à donner prendre la parole. La bourgeoisie, à travers le gouvernement de Zapatero, autoproclamé champion de la « tolérance », a employé des méthodes exemplaires de tolérance telles que le passage à tabac, l'utilisation de gaz lacrymogènes et toutes sortes de provocations policières pour essayer d’en finir avec cette lutte. Mais les ouvriers ne sont pas tombés dans le piège. Et quand deux de leurs camarades furent placés en garde-à-vue, plus de 15 000 personnes se sont réunies devant les bâtiments où ils étaient emprisonnés et elles sont arrivées à obtenir leur libération1.

Trois ans plus tard, les ouvriers de Vigo reprennent la lutte

Depuis la fin avril, la lutte de classe est de retour à Vigo. Comme nous l’avons fait à l’époque, notre premier souci est d’exprimer notre ferme solidarité avec les travailleurs en lutte. Aujourd’hui, cependant, les conditions ne sont pas les mêmes qu’en 2006.

D'abord sur le plan de la crise. En 2006, on était en pleine euphorie expansive de « la brique et du béton » et il semblait qu’avec tant de « prospérité », on pouvait bien obtenir quelques miettes supplémentaires, tombées de la table d’un banquet si fastueux. Aujourd’hui, ce doux rêve s’est transformé en un cruel cauchemar qui va surtout hanter le sommeil des ouvriers. Les quelques miettes obtenues en 2006 ont été balayées par la bourrasque de la crise. Un travailleur le disait : « Ça va très très mal. Soit on lutte, soit on meurt ». Les soucis, les tensions, l’anxiété, sont palpables, le futur est plus que sombre, « je finirai au chômage et alors qu’est-ce que j’aurai pour mes quatre enfants ?», se demandait un autre ouvrier.

Mais le changement principal se trouve dans la politique menée par les syndicats.

En 2006, l’élan impulsé par une majorité de jeunes ouvriers avait surpris les syndicats. Dans les assemblées, ceux-ci rejetaient les propositions ouvrières, ce qui provoqua de l’indignation et de nombreuses cartes syndicales furent déchirées. Les manifestations massives n’ont pas pu être arrêtées par les syndicats, malgré leurs tentatives de les « recycler » en actions violentes ou en « arrêts de travail de 24 heures » qui leur auraient permis de contrôler fermement le terrain et d’empêcher les initiatives autonomes et le contact direct entre ouvriers de différents sites.

En 2009, par contre, les syndicats ont pris les devants. Au lieu d’une grève qui surgit des petites entreprises et qui se propage de proche en proche vers les grandes entreprises, les syndicats ont imposé la camisole de force des « journées de lutte » qu’ils dosent, contrôlent et convoquent à leur convenance. Enfermés dans ce corset, les ouvriers éprouvent, au moment où nous écrivons, de grandes difficultés pour développer leurs initiatives, leur solidarité, leurs actions.

Lors de la journée de lutte du 5 mai. « les piquets de grève sont partis de différentes usines de Vincios, de Porriño, de Mos et de Ponteareas.2 La place d’Espagne à Vigo a été le grand point de rencontre. De là, des milliers de travailleurs ont parcouru la Gran Vía jusqu’à la place des Amériques, où se sont joints d’autres manifestants du même secteur d’activité »3. Voilà de nouveau les méthodes classiques : manifestation massive et convergence entre travailleurs de différentes entreprises. À la fin de la manifestation, les ouvriers se sont regroupés dans une assemblée générale sur la place Do Rei. Mais à la différence de 2006, sous prétexte de laisser la parole aux représentants de chaque usine, les syndicats ont empêché l’expression libre qui s’est développée en 2006 et seuls les Comités d’entreprise prirent la parole.

La grève s’est poursuivie le 6 mai, mais au lieu d’aller vers les grandes entreprises, l’action proposée par les syndicats fut d’occuper la Foire Expo. Cela apparaissait comme quelque chose de spectaculaire qui était censé avoir une « forte répercussion médiatique », mais il s’agissait, en réalité, d’isoler les ouvriers, de s’opposer à ce qui peut les renforcer et empêcher ce qui aurait pu avoir un véritable écho social : l'intégration dans la lutte de leurs frères de classe des grandes entreprises.

Le 7 mai, les syndicats ont ouvert des négociations avec le patronat. En fait, il s’agissait pour eux de gagner du temps en noyant le poisson pour écoeurer les ouvriers, mais ce sont l’impatience et l’inquiétude qui ont commencé à se répandre chez les ouvriers. Des assemblées spontanées ont commencé à se produire dans certaines zones industrielles. Pour éviter tout débordement, les syndicats ont convoqué une nouvelle journée de lutte pour le 20 mai. Cette fois-ci, les grévistes sont allés vers les chantiers navals pour y chercher la solidarité et les travailleurs de chez Vulcano se sont joints à eux. Les arrêts de travail étaient programmés par les syndicats pour durer deux jourss, mais le 21 une charge brutale de la police contre une manifestation qui se dirigeait vers le chantier naval Barreras a ravivé la colère. Le lendemain, les ouvriers ont décidé de poursuivre la grève en débordant les syndicats, lesquels ont été contraints d’appeler à un nouvel « arrêt de travail de… 4 heures (!) ». ABC, journal de droite auquel on ne peut attribuer une folle sympathie envers les ouvriers, décrivait ainsi les événements dans son édition du 23 mai : « Près de 5000 manifestants, en tenue de travail, se sont lancés dans la rue pour protester contre les charges policières de la journée précédente, des charges que les syndicats, d’une seule voix, ont qualifiées de ‘disproportionnées’. Aux cris de ‘Vigo, la métallurgie est en grève’, les manifestants ont parcouru les rues principales en demandant le soutien des habitants. La manifestation de ce matin a été la plus puissante, celle qui a rassemblé le plus de gens pour la même cause, à laquelle se sont même joints des travailleurs de quelques entreprises qui jouissent de leur propre convention collective et qui n’ont pas hésité à rejoindre la lutte. »

Lors de l’assemblée qui s’est déroulée sur la place Do Rei, les syndicats proposèrent une trêve de 4 jours pour que « le patronat fasse une proposition sérieuse ». A la fin, ils ont réussi à convaincre les ouvriers rassemblés en proposant, en cas d’échec, une « grève générale illimitée », un mot d’ordre apparemment « radical » mais vide de sens qui s’opposait de fait à la poursuite concrète de la grève, maintenant que les forces, la conscience et l’élan étaient là.

Comme il fallait s’y attendre, il n’y a pas eu la moindre offre sérieuse de la part du patronat, ce qui a contraint les syndicats à lancer un nouvel appel à des journées de lutte pour le 3 et le 4 juin, en reportant le projet de « mobilisation générale » au 15 juin si le patronat ne donnait pas de réponse satisfaisante.

Le 3 juin, il y a eu une mobilisation massive avec la participation de travailleurs de Vulcano et de Metalship. Le 4, les syndicats ont organisé une de leurs actions-spectacle dont ils ont le secret : il s’agissait d’aller au Club Nautique de Vigo et d'empêcher l’accès des passagers au navire de croisière Independent of The Sea . D’un point de vue superficiel, un tel acte peut apparaître comme le summum du radicalisme « révolutionnaire » : est-ce que les croisières ne sont pas par hasard le symbole le plus parfait du luxe capitaliste ? Mais analysée sérieusement, il s’agit là d’une action non seulement inutile mais avec des effets tout simplement contraires. Les travailleurs s’isolent, s’affrontent à des gens qui ne connaissent en rien leurs revendicationsou qui sont dans les plus mauvaises dispositions pour les comprendre et, en fin de compte, ils fournissent les meilleures images pour que la presse et la TV s’en donnent à cœur joie pour les traiter des « vandales » ou les accuser rien de moins que de « faire du mal à l’image touristique de Vigo ». Alors que la méthode prolétarienne de lutte consiste dans le ralliement à la lutte des autres travailleurs à travers l’envoi de délégations massives aux autres usines et l’appel à des assemblées générales ouvertes (dans lesquelles tous les ouvriers y compris les chômeurs peuvent discuter ensemble, comprendre comment développer leur lutte, manifester leur solidarité,, en construisant donc un rapport de force réel et efficace contre l’Etat et le capital), la méthode des syndicats consiste à faire des actions vides, qui attisent les affrontements entre ouvriers, qui les isolent entre eux, les discréditent facilement et qui les exposent, comme ce fut le cas, à la répression policière la plus brutale.

Le show devant le bateau de croisière s’est achevé par une charge brutale de la police qui a dispersé les travailleurs. Mais parmi ceux-ci s’est répandue la consigne de se retrouver devant les portails de Barreras, le plus grand chantier naval de Vigo. Quelques 500 ouvriers sont arrivés à se regrouper sur une place devant l’entrée, même si immédiatement après une quantité impressionnante de fourgons de police ont occupé cette place et les policiers ont commencé à attaquer violemment les ouvriers regroupés. De l’autre coté de la place, dans un centre commercial, des jeunes d’un lycée se sont rassemblés spontanément, avec des clients de ce centre ainsi que d’autres travailleurs qui arrivaient au fur et à mesure. Cette foule criait contre la violence policière et encourageait en applaudissant les actions défensives des travailleurs massés de l’autre coté de la place. Ceci entraîna une violente charge policière qu’un photographe amateur décrit ainsi dans son blog : « À un moment donné donc, la police s’est jetée sur tous ceux qui y étaient rassemblés, d’abord en nous lançant des balles en caoutchouc que nous entendions siffler à nos oreilles et, de suite, en chargeant. Tout cela parce que nous n’étions pas favorables à ses agissements brutaux, injustifiés et disproportionnés. Nous avons couru nous réfugier dans le parking du centre commercial, mais avant d’y entrer un fumigène lancé par les flics est tombé en flammes sur nos têtes. La panique s’est emparée de nous tous et nous avons fermé la grille du parking au cas où l’idée leur viendrait de nous charger à l'intérieur. Soudain, les brigades anti-émeute ont rouvert les grilles et nous ont fait sortir en nous laissant partir avec l’obligation de nous disperser. »4

L’assemblée générale put enfin se dérouler parce que les ouvriers sont arrivés à briser l’encerclement policier et, d’après un témoignage, une autorité quelconque aurait donné l’ordre à la police anti-émeute de partir. L’assemblée lança un appel à une manifestation, en demandant à tous les travailleurs, de quelque secteur que ce soit, de s’y rendre avec leurs familles. La manifestation eut lieu le lendemain et rassembla 7000 personnes.

Pour ne pas rallonger cette chronique5, disons que les jours suivants se sont déroulés entre une succession d’appels à la grève, de poursuite de négociations infructueuses, de tentatives pour gagner la solidarité des travailleurs des autres grandes entreprises, comme à Barreras, à Vulcano et très minoritairement à Citroën. Au moment où nous écrivons ces lignes, mardi 16 juin, la situation est toujours fluctuante ; les travailleurs semblent fatigués parce que leur lutte parait sans perspective. Les syndicats ont proposé une série de mobilisations très compliquées, un véritable casse-tête : « L’action des manifestants et des piquets se focalisera aujourd’hui sur les concessionnaires d’automobiles, pour ainsi paralyser les ventes (...) Les centrales syndicales ont élaboré un programme de mobilisations pour cette semaine dont le contenu général consistera dans la réalisation d’arrêts de travail ‘partiels’ de quatre heures, entre 9. heures et 13 heures, lors du service du matin dans les chantiers navals. Pour les services du soir et de nuit, l’arrêt de quatre heures se fera à la fin de la journée de travail. Cependant, les garages de réparation automobile seraient exclus de ce programme et leurs arrêts de travail seraient réalisés à partir de 12h30 jusqu’à la fin de la journée. Pendant ce temps, les entreprises d’installation du gaz, les plombiers, le chauffage et l’électricité s’arrêteront toute la journée » 6

Les méthodes syndicales de lutte ne conduisent qu’à la défaite

Un des arguments majeurs utilisés par les syndicats pour justifier leur existence, c’est que, eux, « sont des professionnels de la lutte », qu’ils ont l’expérience de l’organisation, des négociations, des appels, etc. Face à de tels « experts », les ouvriers sont présentés comme des éléments malléables et apathiques, qui ne savent pas comment lutter, qui se bagarrent entre eux, qui agissent et pensent chacun pour soi, etc.

Mais la réalité des faits ne cadre pas du tout avec ces clichés. En 2006, les ouvriers laissant parler leur propre initiative ont été capables d’obtenir une forte solidarité, ce qui leur a donné un petit répit dans l’attaque de leurs conditions de vie. Par contre, ce que nous voyons aujourd’hui, en 2009, maintenant que les syndicats semblent avoir réussi à imposer leur marque de « professionnels chevronnés », c’est la fatigue, l’impasse, la démoralisation. On est forcé de conclure que la démarche et les méthodes syndicales ne développent pas la lutte ouvrière, mais qu’au contraire, elles la détruisent.

• Les assemblées générales : en 2006, les assemblées ouvertes permettaient la libre discussion la plus large, de telle sorte que les ouvriers pouvaient réfléchir et décider ensemble en s’appuyant sur l’aide et l’opinion des camarades d’autres secteurs. En 2009, sous la férule des syndicats, les assemblées sont une caisse d’enregistrement ennuyeuse, où il faut supporter de longs discours des leaders syndicaux, où tout est bien réglé pour qu’il n’y ait que les délégués syndicaux qui parlent. Il n’y a aucune vie, les assemblées ressemblent à une caricature du cirque parlementaire. Comme à Vigo en 2006, comme lors des assemblées massives en Grèce, en décembre 2008, les travailleurs ont besoin de retrouver leur authentique tradition des assemblées ouvertes, avec la libre participation de tous, avec des discussions sur tout ce qui tient à coeur, avec des interventions concrètes et brèves. Rappelons-nous de ce que proclamait l’hymne de la Première internationale : «Il n’est pas de sauveurs suprêmes : Ni Dieu, ni césar, ni tribun, Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes !». Les assemblées sont les moyens concrets pour que l’émancipation des travailleurs puisse être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, sans aucun « sauveur » politique ou syndical.

• La solidarité ouvrière : en 2006, les ouvriers rejoignaient massivement les autres entreprises, ils improvisaient des assemblées ensemble, on y créait un contact direct entre travailleurs, on pouvait y parler, établir des liens, dépasser l’atomisation et l’isolement, apprendre à se comprendre, à développer l’estime mutuelle, bref on mettait en avant les moyens pour se sentir en tant que partie de la classe ouvrière, en « se vivant », en s’affirmant comme telle. Et qu’avons-nous en 2009 grâce aux « mains expertes » des syndicats ? Il y a eu de nombreuses tentatives de reprendre les méthodes de 2006, mais les syndicats ont privilégié une action d’après eux « plus efficace » : les blocages ou coupures des voies de circulation et d’axes routiers. Ces coupures ont eu effectivement « un grand succès ». Chaque fois qu’il y a eu une « journée de lutte », Vigo était totalement paralysée, il était impossible d’arriver au travail à l’heure, de faire les livraisons, des affaires, de transporter des marchandises. C'était comme si on avait asséné un coup très dur à l’économie capitaliste.

Mais ce sont les patrons eux-mêmes qui reconnaissent que leur économie a été très peu touchée et les bouleversements, au-delà des situations ponctuelles, ont permis de dégager des stocks énormes et ils en ont même profité pour demander aux ouvriers des petites entreprises de rester chez eux sans être payés « par la faute des grévistes ».

Mais il y avait un autre « grand avantage » suivant les arguments syndicaux : les autres travailleurs « apprendront que le conflit existe », la répercussion sociale est « énorme », « tout le monde parle de ce qui se passe dans la métallurgie de Vigo ».

Dans un barrage de la circulation on impose manu militari la « solidarité » avec les grévistes, il n’y a pas de discussion possible, pas le moindre contact direct ni de rencontre, la seule chose que ça génère c’est l’intimidation, l’énervement contre les grévistes, l’atomisation, chacun enfermé dans « sa bagnole », avec l’angoisse d’arriver en retard au boulot. Aucune solidarité ne peut se développer de cette façon ; seule peut se manifester l’hostilité envers les grévistes. Les automobilistes « apprennent » l’existence du conflit, mais dans des conditions qui ne peuvent favoriser que l’antipathie et le rejet. Peut-être va-t-on parler « des métallos de Vigo », mais comme d’une affaire particulière, comme quelque chose d’étranger, des gens qui sont peut-être forts, mais dont on ne sait pas ce qu’ils veulent ni ce qu’ils revendiquent.

Autrement dit : ces méthodes n’aident en rien ni à l’unité ni à la solidarité, mais, au contraire, provoquent l’affrontement et la division entre travailleurs, elles ne font qu’augmenter encore plus l’atomisation et l’isolement caractéristiques de cette société.

• Les actions-commandos spectaculaires : en 2006, les ouvriers ont réussi à développer une force collective basée sur la solidarité, les manifestations et les assemblées générales massives. Ceci provoqua une certaine alarme au sein du gouvernement qui, après avoir essayé la méthode de la matraque et des provocations policières, encouragea finalement des augmentations salariales pour en finir rapidement avec le conflit.

Aujourd’hui que la lutte est tombée dans les mains si compétentes des syndicats, nous observons tout le contraire : la lutte dure depuis plus de 2 mois et on ne voit pas la moindre issue, tout est en train de pourrir sur pied. Alors qu’en 2006, les autres couches non exploiteuses de la population de Vigo exprimaient une sympathie indubitable envers le mouvement de lutte, aujourd’hui alors que, paradoxalement, le conflit est bien plus connu et trouve un écho sur les écrans de la TV espagnole7, les comportements le plus courants chez « les citoyens » est celui de la lassitude et de l’hostilité vis-à-vis des grévistes. Aujourd’hui que la lutte de Vigo a eu une certaine « répercussion sociale », les travailleurs se retrouvent plus isolés qu’en 2006 alors que leur lutte était à peine connue.

Il faut se poser la question d’un tel paradoxe. Et là, le rôle crucial est joué par la manière avec laquelle le syndicalisme établit le rapport de force avec le système capitaliste. Les syndicats veulent faire croire que les ouvriers renforcent leur lutte contre le capital s’ils mènent des actions spectaculaires qui « s’attaquent au cœur du système » en obtenant un « fort impact social ». On a pu voir à Vigo  trois illustrations de cette conception: « l’occupation » de la Foire Expo, le petit numéro sur le port devant le bateau de croisière de luxe et, maintenant, ces actions « de force » programmées pour que les voitures ne soient pas vendues chez les concessionnaires.

Cette radicalité n’est en fait qu’une façade. On prétend s’attaquer aux « temples du capitalisme » telles que la Foire Expo et les croisières, on empêche la vente de voitures, symbole s’il en est du « capitalisme ». On pourrait penser que les bourgeois « ont une trouille bleue » devant de telles actions ; la « circulation des marchandises » est perturbée ou interrompue; pourrait-on imaginer une plus forte attaque aux fondations du système ?

Il est possible que tel ou tel bourgeois individuel ait peur, il est possible aussi que tel ou tel chef concessionnaire perde sa commission à cause de la casse provoquée, il se peut encore qu’un patron perde une affaire juteuse. Mais de telles actions ne laissent pas la moindre griffure sur la peau du mammouth capitaliste.

La base du capitalisme n’est pas un rapport personnel, mais un rapport social. Le capitaliste individuel est, comme le disait Marx, un fonctionnaire du capital, ce qui s’est énormément intensifié aux 20e et 21e siècles avec la présence toute puissante de l’État dans tous les domaines. Le sang empoisonné que charrie ce rapport social est fait d’atomisation, de division, de concurrence entre ouvriers. Si les ouvriers agissent chacun enfermé dans la prison de son entreprise, de son secteur, de sa région ; si chaque lutte ouvrière n’est pas considérée comme la sienne propre par les autres ouvriers, le capital en tant que système peut dormir bien tranquille.

Les actions spectaculaires montées par les syndicats ne rendent pas les ouvriers plus forts ; au contraire, elles les affaiblissent.

Premièrement, parce qu’elles offrent une image lamentable et repoussante des ouvriers impliqués vis-à-vis de leurs propres camarades et des autres couches non-exploiteuses de la société. Quand un groupe d’ouvriers organise le boycott d’une croisière ou une intervention coup de poing dans une Foire Expo, il apparaît comme une bande de gamins capricieux et chahuteurs qui trépignent. On ne les voit pas comme faisant partie d’une classe sociale capable d’avoir sa propre initiative, mais comme de petits vauriens qui viennent saboter une fête. C’est là une vision humiliante de la lutte de la classe ouvrière, qui la ridiculise et la discrédite à ses propres yeux et qui rend plus faciles les campagnes qui se sont multipliées à Vigo présentant les ouvriers comme des « vandales », des « antisociaux », des nouveaux fauteurs de « kale borroka »8.

Deuxièmement, et surtout, parce que les ouvriers sont ainsi dévoyés de la seule chose qui puisse les renforcer : la solidarité, l’action commune avec les autres ouvriers et aussi la sympathie –ou du moins la neutralité bienveillante- des couches sociales non-exploiteuses. Le rapport social capitaliste, le fonctionnement du système, commence vraiment à être bloqué quand face à lui surgit une force sociale capable de lutter de façon unitaire et solidaire, ouvrant ainsi une perspective bien différente de la sinistre réalité quotidienne du capitalisme.

Vigo 2006, Vigo 2009.

Certains répètent jusqu’à la nausée que les ouvriers sont passifs, qu’ils ne veulent pas lutter, que chez eux domine le « chacun pour soi ». Une vision que Zapatero se charge de rendre plus « crédible » quand il proclame que « les travailleurs sont plus responsables que le PP [Parti populaire, droite] car ils renoncent à la grève générale, laissant ainsi de la marge au gouvernement pour sortir de la crise ».

Autant Vigo 2006 que Vigo 2009 montrent tout le contraire : la combativité, la recherche de la solidarité, sont en train de mûrir dans des secteurs encore minoritaires de la classe ouvrière. C’est la pointe de l’iceberg d’un processus profond qui reste encore sous la surface. Pour que tout ce qui est en train de couver jaillisse, il est nécessaire de rompre avec les méthodes syndicales qui étouffent la lutte et celles de Vigo en sont un témoignage éloquent. Il nous faudra reprendre les méthodes prolétariennes de lutte comme celles de Vigo 2006.

CCI (16 juin)

 

1 Internationalisme n° 326, Juin 2006 "Grève de la métallurgie à Vigo en Espagne : une avancée dans la lutte prolétarienne [3]".

2 Vigo, et son port transatlantique et de pêche situé sur un profond estuaire (ría), est le centre de la région la plus industrielle du Nord-ouest de l’Espagne. S’y trouvent, en particulier, concentrées les usines de Peugeot-Citroën ainsi que des chantiers navals importants.

3 Note de l’agence EFE du 6-5-09

4 Crónica del metal en Vigo, la guerra empezó bien de mañana, (video-fotos-crónica) [4]

5 Un dossier avec des informations reprises de certains journaux ainsi que des blogs et des commentaires de différentes personnes publiés sur Internet est disponible sur le blog « lieu de débat » appelé ESPAREVOL. (groups.google.com/g/esparevol/c/xGf-i8A7rHg?hl=es [5])

6 El Faro de Vigo, 16-6-09

7 En 2006 il y a eu une censure rigoureuse : il n’y a eu que quelques rares images sur la TV et la presse de niveau national.

8 C’est le nom de la guérilla urbaine menée au Pays Basque par les nationalistes radicaux pro-ETA.

Géographique: 

  • Espagne [6]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

A propos d'un bilan de la révolte de décembre 2008 et janvier 2009 en Grèce

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Nous publions ci-dessous la traduction d’un article paru en octobre dans World Revolution, organe de presse du CCI en Angleterre.

En décembre 2008, suite à la mort par balle d’un gamin de 15 ans, des luttes ont marqué la Grèce et ont révélé la combativité des étudiants prolétarisés et d’une partie des ouvriers. Des centaines de lycées et un certain nombre d'universités ont été occupés. Les protestataires ont investi des stations de télévision de l’Etat. Le bâtiment de la principale fédération syndicale ainsi que quelques bâtiments de l’université d’Athènes ont été occupés dans le but de les utiliser pour des assemblées générales de salariés, d’étudiants et de chômeurs.

Si nous revenons aujourd’hui sur ces événements, c’est parce qu’un texte très intéressant écrit par des éléments de cette lutte vient de paraître. La Paida Tis Galarias (TPTG, Les Enfants de la Galerie) est un groupe grec qui existe depuis le début des années 90 dont il n'est pas facile de résumer en une simple phrase son histoire pourtant relativement courte. Il a participé aux dernières luttes de Décembre et a publié un bilan provisoire des événements de Février de cette année. Une analyse plus approfondie est apparue sur libcom.org début Septembre, intitulée « Le passage d'une minorité prolétarienne rebelle pendant une brève période de temps" (datée du 30/6/09). Même si son langage peut être parfois obscur, il met en évidence quelques aspects importants du mouvement de l'année dernière.

Un mouvement prolétarien

La première chose à établir est que « La rébellion a été une claire expression de colère prolétarienne contre un mode de vie qui se dévalue de plus en plus, qui est de plus en plus sous surveillance et aliéné. » Bien que les marxistes ne soient pas des sociologues, « Pour autant que la composition de classe de la rébellion soit en cause, celle-ci s'est étendue des étudiants des grandes écoles et universités à de jeunes travailleurs, essentiellement en situation précaire, de divers secteurs comme l’éducation, le bâtiment, les services du tourisme et du spectacle, le transport, et même les médias. Quant à la participation des ouvriers qui sont dans une situation moins précaire, d’après notre connaissance empirique, ces ouvriers qui peuvent être décrits comme des ouvriers ayant un travail stable ou non-précaire, ont participé à la rébellion de façon très limitée. Pour ceux d’entre eux qui ont réellement participé à la rébellion, tenter de l’étendre à leur lieu de travail aurait signifié s'engager dans des grèves sauvages en dehors et contre les syndicats, puisque la plupart des grèves sont appelées et contrôlées par eux."

Ceci est un témoignage important du rôle que les syndicats jouent pour entraver les luttes ouvrières. Bien qu'il y ait eu des luttes en Grèce au cours des vingt dernières années, en particulier dans le secteur public, ces " luttes passées ont révélé que les ouvriers ne pouvaient pas créer des formes autonomes d'organisation ni permettre l’apparition de nouvelles formes qui seraient allées au-delà de la forme syndicaliste."

TPTG perçoit que ceux qui ont un emploi plus ‘stable' ont une participation plus limitée dans les luttes, et que les luttes ne sont pas allées au-delà des limites de la demande syndicale. Il proclame expressément que « la communauté prolétarienne de la lutte » se caractérise par « une négation complète de la politique et du syndicalisme. ». Il va jusqu’à dire qu’ "il était impossible d’être représenté, coopté ou influencé par un appareil politique qui est en cheville avec l’Etat". Bien qu'il ait admis que cette revendication a été temporaire, elle n’en a pas moins été authentique. Pour autant, si l'organisation de la lutte n'était pas aux mains des syndicats ou des gauchistes, mais des participants et si le désir d'appeler à des assemblées générales pour discuter, contrôler et étendre la lutte a sans aucun doute montré une dynamique absolument saine, ce n’était guère "une négation complète de la politique et du syndicalisme.", même si ce fut un pas fondamental dans la bonne direction .

Il viendra certainement un temps où nous verrons « une éruption violente de délégitimisation des institutions capitalistes de contrôle », mais comme TPTG le reconnait, « ce fut juste une rébellion passagère d'une minorité prolétarienne au cours d'une brève période et non une révolution." ; TPTG dit : "le sentiment qu’il y a ‘quelque chose de plus profond’ dans tout ça, l'idée que les questions soulevées par les rebelles concernent tout le monde était si dominante qu'elle seule explique l'impuissance des partis d'opposition, des organisations gauchistes, et même de quelques anarchistes comme on l’a mentionné plus haut » S'il y a eu une moindre participation de la part de ces forces d’encadrement, cela n’a été que de très courte durée. Les idéologies syndicalistes et gauchistes sont très élastiques et en Grèce il y a aussi des illusions sur les actions militaires de ‘l’avant-garde armée’

Contre le militarisme terroriste

Pendant trente ans, les attaques terroristes du 17 novembre et de l'ELA ont été une caractéristique de la situation en Grèce. Et tandis que l'activité de ces groupes semble s'être réduite sous la pression d''un certain nombre de procès et de condamnations, d'autres groupes ont poursuivi cette tradition. Dans la perspective des dernières élections générales grecques, par exemple, on peut lire que « Les cellules anti-terroristes étudient les témoignages recueillis chez des membres présumés de la Conspiration des Cellules du Feu par rapport à ses liens possibles avec le groupe plus brutal de guérilla urbaine, la Secte des Revolutionnaires" ; (Kathimerini 28/9/09). Un des points forts de TPTG est leur rejet de l'avant-garde armée.

Voici ce qu'ils ont écrit à propos des attaques armées de Décembre 2008 et Janvier 2009 : « D'un point de vue prolétarien, même si ces attaques n'ont pas été organisées par l'Etat lui-même, le fait qu'après un mois nous sommes tous devenus les spectateurs de ces 'actes exemplaires' qui ne faisaient pas partie de notre pratique collective, était en soi une défaite ». Ils sont directs dans leur critique: "Ce n'est pas important pour nous maintenant d'avoir des doutes sur la véritable identité de ces tueurs à gage à l'appellation ridicule mais révélatrice de 'Secte Révolutionnaire'; ce qui nous inquiète quelque peu c'est la tolérance politique à leur égard dans quelques quartiers, compte tenu du fait que c'est la première fois que dans un texte de 'l'avant-garde armée' grecque il n'y a même pas la moindre trace de la bonne vieille idéologie léniniste, mais à sa place un nihilisme antisocial et assoiffé de sang ».

Le syndicalisme et les idées réformistes n'ont pas disparu

L'occupation du siège social du syndicat a été l'un des moments forts du mouvement. TPTG y a vu deux tendances: "Pendant l'occupation il est devenu évident que même la version de base du syndicalisme n'a pas pu se rapprocher de la rébellion. Il y avait deux tendances, bien que non clairement définies, même dans la conception de celle-ci : l'une d'un syndicalisme ouvriériste et l'autre prolétarienne. Pour ceux qui appartenaient à la première, l'occupation aurait dû avoir un caractère distinctement 'ouvrier' en opposition à la soi-disant jeunesse ou un caractère de « guerilla urbaine » tandis que ceux appartenant à la seconde ne la voyaient que comme un moment de la rébellion, comme une opportunité pour attaquer l'une des principales institutions du contrôle capitaliste et en tant que lieu de rassemblement et de réunion des étudiants des grandes écoles, des étudiants d'université, des chômeurs, des ouvriers salariés et des immigrés, ce qui en fait une plus grande communauté de lutte contre le malaise général. En fait, la tendance syndicaliste-ouvriériste a essayé d'utiliser l'occupation essentiellement comme instrument indépendant au service de l’influence du syndicalisme évoquée ci-dessus et du syndicalisme de base en général." La 'tendance syndicaliste' aurait pu échouer dans sa tentative pour utiliser l'occupation dans ce cadre particulier, mais les idées du syndicalisme de base restent parmi les plus pernicieuses auxquelles les ouvriers sont confrontés, non seulement maintenant, mais également dans les luttes à venir.

De même, TPTG a compris que d'autres idées étaient dangereusement illusoires pour les ouvriers. « En mettant sur un même plan la sous-traitance ou la précarité en général avec `l’esclavage', la majorité de ce mouvement de solidarité, principalement composé d’activistes de syndicats gauchistes, essaye de mettre sur un même plan certaines luttes contre la précarité - une des formes principales de la restructuration capitaliste dans ce moment historique - avec des revendications politiques générales au contenu social-démocrate concernant l'Etat en tant qu'employeur ‘digne de confiance’ et préférable aux sous-traitants privés et donc mettant de côté la question de l'abolition du travail salarié »

Parfois il y a un certain triomphalisme dans ce que dit TPTG. Mais quand le texte se termine sur « les craintes des patrons du monde entier par rapport à la rébellion de Décembre comme prélude à une explosion prolétarienne généralisée dans le contexte de la crise globale de reproduction", il pose ce qui est en jeu dans la situation actuelle. Les luttes d'aujourd'hui ne sont pas en elles-mêmes une menace pour le pouvoir capitaliste, mais tout mouvement qui met l'accent sur la solidarité et l’auto-organisation pour l’extension du mouvement vers une lutte généralisée, montre qu’il existe un potentiel bien présent pour la perspective des luttes futures.

Car, 28 septembre

Géographique: 

  • Grèce [8]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

A propos d’un article de la CNT-AIT : Que signifie la crise économique du capitalisme ?

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Dans Anarchosyndicalisme n° 110 (janvier-février 2009), la revue de la Confédération Nationale du Travail - Association Internationale des Travailleurs (CNT-AIT), un article traite une question d'une très grande importance pour le combat de la classe ouvrière actuellement : ‘’la crise de 2008 : systémique sans aucun doute mais conjoncturelle ou structurelle ?’’1 De par sa volonté de faire la clarté sur cette question essentielle qui taraude toutes les consciences actuellement, et de l'orientation qu'il se donne de comprendre la situation du capitalisme qui détermine la condition du prolétariat pour savoir quel sens donner à sa lutte, cet article répond à un besoin vital. Ce sont les questions brûlantes dont doivent débattre tous ceux qui veulent oeuvrer à l'émancipation du prolétariat.

En affirmant, à juste raison, la nature ‘’systémique’’ de la crise économique, c’est-à-dire que la cause de la crise économique réside dans le système capitaliste lui-même et non dans de prétendus “abus’’, dans “l'immoralité de spéculateurs’’ et de “patrons-voyous’’ ou dans les “excès du néolibéralisme’’, cet article se distingue nettement du discours de la gauche et de l'extrême gauche (anarchistes, trotskistes ou NPA) et de leurs recettes à la sauce ‘’capitaliste d'Etat’’. Il dénonce la mystification que tous, à divers degrés, véhiculent au sein du prolétariat, de l'Etat comme recours régulateur du système capitaliste et comme soi-disant garant, “au-dessus des classes’’, des conditions de vie et de travail pour les ouvriers. ‘’La critique social-démocrate du libéralisme pense que ce n'est pas l'économie capitaliste adossée au marché qui est mauvaise, c'est son côté excessif, trop brutal : l'Etat et le politique doivent cadrer l'économie et pacifier les antagonismes sociaux, afin d'obtenir une société stable. Il ne faut pas toucher à la structure même du système mais agir sur les effets conjoncturels. (...) La gauche et l'extrême gauche chantent le retour à l'Etat et à ses lois gouvernementales, sa fiscalité, ses douanes, ses nationalisations, son protectionnisme et ses relances économiques (tout en faisant abstraction de sa nature autoritaire : armée, police, prisons...) Le futur nouveau parti anticapitaliste ne propose même pas un nouveau mode économique, ni la suppression de la plus value, mais, comme n'importe quel réformisme le plus plat, de réduire le taux d'exploitation en distribuant davantage au profit des salaires. Or, qu'il y ait ou non croissance et hausse des salaires, il faudra rembourser le crédit, régler les déficits, être compétitifs sur les marchés, juguler les conflits sociaux, mater les révoltes et assumer les éventuels conflits militaires. C'est là que l'Etat intervient comme le produit des sociétés inégalitaires, la fonction de sa machinerie institutionnelle étant de la pérenniser. Refuser la critique de l'Etat, c'est renforcer sa légitimité et en faire la religion civile, c'est tenter d'empêcher les opprimés de le contester...’’

L'article donne sur la crise une série d'observations que nous partageons pleinement, notamment l'idée centrale qu'elle attise les guerres et les conflits impérialistes, le chaos généralisé, ce que nous appelons le ‘’chacun pour soi’’, où chaque Etat, petit ou grand, défend sa place sur l’arène mondiale. Comme le dit l’article : ‘’Les rapports internationaux sont soumis aux desideratas impérialistes de chaque Etat. Toute la géostratégie et politique s’élabore sur le fait que chaque Etat en tant que puissance économique, militaire, technologique… défende ou impose ses intérêts. Les USA veulent garder la première place alors que l’Europe et la Chine la convoite. La Russie espère son retour impérial de feu l’URSS. L’inde, le Brésil, la Turquie et les différents blocs (d’Amérique du Sud, d’Afrique, du Moyen Orient et d’Asie) veulent leur part du gâteau. (…) Les rivalités intestines des capitalistes et des Etats ont et continuent de déboucher sur des conflits sanglants.’’

Il est assez surprenant en revanche qu’il ne s'attache pas à la signification du chômage de masse. Ce phénomène constitue pourtant un concentré de la crise capitaliste. Partout dans le monde, la destruction des emplois marginalise un nombre toujours plus grand de travailleurs. Cette incapacité d’intégrer dans le procès de production leur force de travail, la ‘’marchandise’’ la plus importante pour le capital dont la consommation constitue à la fois la source de la production des richesses et de son profit, est hautement significative de l'impasse et de la faillite du système capitaliste. C'est une illustration majeure de la nature de la crise capitaliste, une expression de la surproduction : il y a trop de bras à vendre sur le marché du travail ! La marchandise force de travail est en surabondance, parce que le capitalisme ne parvient plus à l'exploiter de façon profitable !

La spirale de la descente aux enfers du capitalisme en crise

L’article pose une question fondamentale : ‘’S’agit-il de la crise finale du capitalisme maintes fois annoncée par les tenants du marxisme ? Ou bien est ce la nième crise cyclique nécessaire aux ajustements du capitalisme ?’’ Ses auteurs ont raison de ne pas vouloir donner une réponse précipitée ou superficielle. Mais si l'article s'abstient de trancher nettement cette question, c'est aussi, à notre avis, parce qu'il ne réussit pas à aller tout à fait au fond de la nature de la crise du capitalisme et à la caractériser. L'article s'en tient plus à une description qu'à une véritable explication de ses racines.

Pour répondre à la question posée, nous pensons qu’il est nécessaire de mettre en garde contre deux écueils auxquels ont été régulièrement confrontés les révolutionnaires :

  • Le premier, c’est de penser que la ‘’crise finale du capitalisme’’, prendrait la forme d'un effondrement brutal sous ses propres contradictions. Cette conception, formulée par une partie de la Gauche Communiste allemande dans les années 20, conduit de facto à minimiser les capacités réactives de ce système, même moribond, pour continuer à se maintenir coûte que coûte, sur des bases de plus en plus étroites. 
  • Le second danger consiste à s’imaginer qu’il n’y a "rien de neuf sous le soleil", à sous-estimer la profondeur de la crise en épousant l'angle de vue de l'idéologie bourgeoise selon lequel après toute récession ‘’ça repart forcément’’, parce que le système serait constamment soumis à des cycles, à des "ajustements salvateurs" et autres "purges nécessaires".

Néanmoins, nous soutenons la méthode employée par les camarades consistant à s'appuyer sur des fondements théoriques et à examiner la question de la crise dans sa dimension historique. Ainsi, l'article fait-il référence à l'importance de la plus-value : ‘’Les aléas de l'économie capitaliste (croissance, décroissance, récession, expansion, choix de production, taux d'exploitation...) ne sont que les contradictions liées à la plus-value et ses déclinaisons.’’ Outre que celle-ci mériterait une définition plus précise, l'article pointe la question de fond. Mais, tout en étant dans la bonne direction, il ne parvient pas, selon nous, à prendre en compte le caractère central de la plus-value dans l'explication de la crise du capitalisme, ni à l'articuler avec les formes concrètes prises par le développement des crises dans l'histoire. Nous ne pouvons qu'encourager les camarades à creuser cette importante intuition2. Le capitalisme produit plus de marchandises que ne peut absorber le seul marché formé par les ouvriers et les bourgeois. Il doit trouver une part de ses acheteurs solvables en dehors de ceux qui se trouvent soumis au rapport travail-capital pour réaliser son profit. C'est pourquoi, dans toute l'histoire du capitalisme, les crises économiques se manifestent comme des crises de surproduction et trouvent, au fond, toujours leur origine dans la sous-consommation des masses à laquelle est contrainte la classe ouvrière par l’exploitation du travail salarié qui diminue constamment la part de la production sociale revenant au prolétariat.

Au XIXème siècle, l’existence de larges secteurs de production précapitaliste (artisanale et surtout paysanne) relativement prospères, fournissait les marchés et le sol nourricier indispensables à la croissance capitaliste. Au plan mondial, le vaste marché extra-capitaliste des pays coloniaux en cours de conquête, permettait de déverser le trop plein des marchandises produites dans les pays industrialisés.

La Première Guerre mondiale ouvre brutalement la phase de déclin du capitalisme caractérisée par l'existence d'une entrave désormais permanente au développement des forces productives. Ce conflit trouve son origine dans une des contradictions fondamentales du capitalisme, le caractère nécessairement limité des marchés extra-capitalistes. Bien qu'à cette époque, il n'existait globalement pas encore une pénurie de tels marchés (la Guerre éclate au faîte de la prospérité capitaliste), se garantir l'accès à ceux-ci était néanmoins une nécessité vitale pour toutes les puissances capitalistes, dont le prix devait être payé dans la guerre pour le repartage du monde, du contrôle des colonies en particulier. En effet, il était intolérable pour l’Allemagne, à l’époque en pleine expansion économique mais dépourvue de colonies, de dépendre du bon vouloir de l’Angleterre pour pouvoir exploiter les terres de l’Empire britannique comme débouchées à sa production. C’est pourquoi cette nation ouvrira les hostilités la première. A mesure que se manifestera l'insuffisance des marchés extra-capitalistes, en regard des besoins croissants des grandes puissances industrielles d'écouler la production, les convulsions prendront la forme de crises de surproduction chroniques (de 1929 à la catastrophe actuelle) et de guerres dévastatrices, dont en particulier la Seconde Guerre mondiale.

L'observation des camarades que ‘’le capitalisme est en crise permanente et que les épisodes aigus s’accélèrent : 1929 (crash de Wall Street aux Etats-Unis), 1987 (caisses d’épargnes aux Etats-Unis), 1987 (krach boursier mondial), 1989 (crise japonaise), 1990 (crise immobilière européenne)…’’ pointe justement une des réalités de la décadence du capitalisme.

Et si le système a évité un effondrement fracassant depuis les débuts de son déclin, c’est que les Etats ont eu recours de plus en plus massivement au crédit pour créer un marché artificiel, offrant plus ou moins un débouché à une surproduction qui ne cessait d'augmenter. Ce lissage de la crise dans une spirale descendante a permis à la bourgeoisie de nier l’existence même de la crise et de la faillite de son système, mais au prix de l’accumulation de contradictions de plus en plus dangereuses.

Mais aujourd’hui, nous assistons à un changement de rythme, à une accélération de la crise. La chute actuelle est bien plus brutale et plus abrupte que les précédentes. La fragilisation extrême de l'économie mondiale témoigne de l'affaiblissement de la capacité de l'État capitaliste à "accompagner" la crise et de l’usure des palliatifs basés sur l'endettement utilisés à grande échelle par la bourgeoisie depuis 1929 et surtout après 1945.

C’est cela même que souligne l'article : ‘’Le recours aux prêts, emprunts, capitalisations et déficits pour soutenir le capitalisme fut judicieux en 1945 mais ne l’est plus actuellement. Le taux d’endettement est tel qu’il pénalise par son coût la rentabilité du capital et les possibilités budgétaires des états (…) pour éviter la faillite du crédit, on recrée du crédit.’’3

La réalité confirme que le déclin du capitalisme prend la forme d'un l’enfoncement dans une spirale catastrophique d'un système qui ne se maintient que sur des bases toujours plus étroites en générant mille fléaux aux conséquences toujours plus destructrices sur le prolétariat et l'humanité : prolifération des guerres impérialistes, baisse des salaires, accroissement du chômage massif et de la précarité, redoublement de la misère, émeutes de la faim...

L'alternative de la lutte de classe du prolétariat

Nous partageons complètement la perspective que ‘’tant que le capitalisme ne sera pas supprimé, crises, exploitations, guerres, misères et pollutions prospéreront’’ tout comme l'affirmation de la nécessité, comme unique alternative au capitalisme, de l'instauration d'une nouvelle société ‘’dont les bases seraient une économie au service de l'humain et non l'inverse, sa planification suivant l'intérêt collectif’’, la société communiste.

De même, tout à fait à propos, l'article fait la prévision que ‘’les conflits sociaux qui rendent instables les jeux politiques et économiques des pays ont de grandes chances de s’amplifier, voir d’être déstabilisateurs par le manque de réponses positives du système.’’ L'aggravation vertigineuse de la crise ne peut que former le terreau pour le développement de la lutte de classe.

A propos de la nécessité de développer la lutte, l'article avance la ‘’résistance populaire autonome’’. La formulation nous semble obscure. Que faut-il entendre par-là ? La résistance des différentes couches de la société victimes de la crise, y compris les artisans, les pêcheurs ou autres ? Ou alors, s’agit-il de l’autonomie de la classe ouvrière par rapport aux autres couches de la société ? Il est difficile de se faire une idée des forces motrices de la lutte. De notre point de vue, seul le prolétariat est à même d’offrir une réelle perspective dans la lutte contre le capitalisme. Pourquoi?

De ce que nous avons indiqué plus haut à propos des rapports sociaux capitalistes à l'origine, in fine, de la crise de surproduction et compte tenu de la place du prolétariat au sein de ces rapports sociaux comme classe créatrice de toutes les richesses sociales mais subissant en même temps tous les affres de l'exploitation, nous pouvons affirmer que la seule solution à la crise de surproduction, c'est l'abolition de ces rapports de production capitalistes basés sur la marchandise et l'échange - et donc du salariat. Et que l'agent de cette gigantesque transformation ne peut être autre que le prolétariat, c’est-à-dire la classe de la société capitaliste qui subit spécifiquement l'exploitation salariée et qui seule peut trouver intérêt à l'abolition du salariat et du règne de la marchandise qui l'asservit. Le seul véritable dépassement du capitalisme, à bout de souffle, ne peut s’effectuer que par la révolution du prolétariat. En s'émancipant, il libère également toutes les autres couches qui subissent l'exploitation.

Dans cette perspective, la formulation sur les objectifs immédiats des luttes nous paraît recéler un certain danger : ‘’Dans l’immédiat, les objectifs de la résistance populaire autonome seraient de reprendre l’argent de la spoliation des travailleurs (gros salaires, traders, banquiers …), de saisir les biens des spéculateurs. Faire payer les riches, c’est un moyen de garantir à tous les besoins fondamentaux (santé, éducation, logement, nourriture, transport…). Mais soyons lucide : si cela peut soulager à court terme, le système reprendra ce qu’il a concédé et ce sera le retour à l’état antérieur.’’ Reprendre le mot d’ordre ‘’faire payer les riches’’ (qui fait partie de l'attirail idéologique des gauchistes, comme LO, le NPA...), même avec des restrictions critiques, comporte le danger de se retrouver pris au piège des gauchistes qui cherchent à affaiblir la lutte des classes en la détournant de son but. En répandant l'idée qu’il y aurait un simple problème de "répartition" ou de "distribution des richesses" dans la société, les gauchistes cherchent à enfermer le prolétariat dans l'illusion qu'il existerait une issue au sein du système capitaliste. C'est pourquoi le mot d'ordre ‘’faire payer les riches’’ ne peut en rien constituer un mot d’ordre valable pour le prolétariat.

La perspective lointaine du communisme, le constat d'une classe qui a du mal à se politiser et à développer son combat révolutionnaire ne doivent pas conduire à mépriser les luttes revendicatives immédiates. Si la plupart des luttes sont loin d'être révolutionnaires, nous ne devons pas perdre de vue qu'historiquement toutes les luttes révolutionnaires ont commencé par des luttes revendicatives. Le communisme n'est pas seulement le but, mais également le mouvement qui y mène, le ‘’mouvement d'abolition de l'ordre existant des choses’’ (Manifeste Communiste). Chaque lutte ouvrière représente déjà de facto et par elle-même une contestation de l’ordre établi dans la société et porte en elle le spectre de la révolution. C’est la résistance à la dégradation de ses conditions d’existence qui pousse en grande partie la classe ouvrière à développer son combat. C'est dans cette lutte d'abord contre les effets de l'exploitation que la classe prolétarienne accède à la conscience de la nécessité de la lutte contre les causes de l'exploitation : les rapports sociaux capitalistes. La révolution communiste et la lutte pour l'abolition de l'exploitation forment à notre époque de décadence du capitalisme la seule manière de défendre rationnellement les revendications prolétariennes et constituent le dénouement final de la lutte revendicative du prolétariat.

Parce que la classe ouvrière est de plus en plus attaquée aujourd’hui, elle développe son combat et sa conscience. Le développement actuel de la lutte des classes au plan mondial ouvre une porte sur le futur : celui d’une confrontation généralisée entre les classes antagoniques de la société pouvant déboucher sur une nouvelle vague révolutionnaire. De l’issue de ce conflit dépendra le sort de l’humanité.

La gravité des enjeux exige que tous ceux qui se revendiquent vraiment de la révolution sociale débattent et clarifient les questions que pose cette perspective.

WH/Scott (05/07/09)

1 Les citations proviennent toutes de cet article.

2 Cette question possède une très importante portée. D'une part, parce que la plus value est au cœur des rapports sociaux capitalistes, de l'exploitation du prolétariat par la bourgeoisie (elle correspond à la quantité de valeur produite par le prolétariat et appropriée par le capital après défalcation du salaire) En même temps, la production de la plus value (contenue et enfermée dans les marchandises produites) et sa réalisation (par la vente des marchandises sur le marché pour que le capital empoche la plus value sous sa forme argent) se trouvent au cœur de l'explication de toute crise capitaliste. Pour poursuivre la réflexion, nous encourageons les camarades à examiner en particulier les apports des travaux de Rosa Luxembourg sur cette question. 

3 Les hypothèses de la bourgeoisie faisant état « que le PIB du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine pourrait dépasser en 2040 le PIB du Royaume-Uni, d’Allemagne, d’Italie, des USA, du Japon et France » sont fantaisistes. La possible réorganisation de la hiérarchie entre les puissances impérialistes pouvant résulter des effets de la crise actuelle ne doit aucunement donner l'illusion que le système capitaliste va trouver un second souffle grâce à des zones encore ‘jeunes et dynamiques’, opposées à d'anciennes zones de développement devenues ‘séniles’. Déjà, les effets de la crise se font brutalement sentir dans des pays comme la Chine et l’Inde, pourtant promis à un avenir radieux ! Il est plus raisonnable, avec la réalité, de penser que les ‘pays émergents’, déjà plombés, ne seront jamais les nouvelles ‘locomotives’ du capitalisme dont rêve la classe dominante. Aucune partie du monde n’est épargnée et c’est comme un tout que le système capitaliste sombre dans la faillite.

Récent et en cours: 

  • Crise économique [9]

Courants politiques: 

  • L'anarchisme Internationaliste [10]

Antilles - La lutte massive nous montre le chemin : solidarité avec les travailleurs aux Antilles !

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La grève qui se déroule depuis le 20 janvier en Guadeloupe, a fait tâche d’huile en Martinique à partir du 5 février et menace de s’étendre prochainement à la Réunion et à la Guyane, les autres DOM (départements d’Outre-mer). Elle n’a rien d’un conflit identitaire ou exotique. C’est bien d’une véritable, d’une authentique expression de la remontée internationale de la lutte de classe qu’il s’agit, qui témoigne d’une montée générale de la colère et de la combativité des ouvriers face à la vie chère et à la dégradation des conditions de vie et des salaires.

Aux Antilles, les prix sont en moyenne de 35 à 50% plus chers qu’en métropole  (les carottes de 164%, les endives de 135%, les poireaux de 107%, la viande ou le poulet de plus de 50% et les pommes par exemple sont aussi à un tarif double), alors que le chômage touche officiellement plus de 24% de la population- et 56% parmi les jeunes de moins de 25 ans - (ce territoire compte aussi plus de 52 000 RMIstes).  Malgré le poids du caractère nationaliste de l’encadrement syndical (autonomiste ou indépendantiste), les 146 revendications mises en avant par les grévistes sont toutes liées à la question des attaques du niveau de vie : baisse immédiate du prix des carburants, baisse des prix de tous les produits de première nécessité, des impôts et taxes, gel des loyers, augmentation des salaires de 200 euros net pour tous les travailleurs, ainsi que pour les pensions de retraites et les minima sociaux, baisse du prix de l’eau et des transports publics, titularisation des contrats pour tous les emplois précaires aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. La popularité de ces revendications comme l’obstination de la lutte à faire reculer le gouvernement témoignent aussi de l’ampleur de la mobilisation et de la combativité des ouvriers, au même titre que les manifestations du 29 janvier dernier en France, que les récentes émeutes de la jeunesse prolétarisée en Grèce, que les manifestations en Islande, que les récentes grèves ouvrières en Grande-Bretagne (voir notre article sur notre site Web).

Malgré la propagande diffusée par les médias mettant en avant le folklore local animé par les associations culturelles (manifestations et chants rythmés par le tambour traditionnel), et surtout avec leur battage autour de la revendication de la « créolité » face aux « békés » blancs et une tonalité nationaliste « anti-coloniale », ces caractéristiques traditionnelles du mouvement aux Antilles ont été constamment reléguées au second plan. Le collectif LKP (Lyannaj kont profitasyon, Union contre le surprofit) regroupant 49 organisations syndicales, politiques, culturelles et associatives et son charismatique leader Elie Domota ont cherché à canaliser une lutte remettant clairement en cause les conditions d’exploitation des ouvriers.

Nous devons saluer le caractère massif, unitaire et solidaire de cette grève qui montre la voie dans laquelle l'ensemble de la classe ouvrière doit aujourd'hui s'engager face à la dégradation générale de ses conditions de vie.

Depuis le début de la grève, les bus ne circulent plus, les établissements scolaires, l’université, les hypermarchés, des administrations et la plupart des entreprises et commerces sont fermés. Le port, le centre commercial et la zone industrielle de Pointe-à-Pitre sont désertés. Là encore, face à la pénurie alimentaire ou d’essence, une véritable solidarité de classe s’y est exprimée, s’exerçant à tous les niveaux entre parents, amis ou voisins. Les mouvements de protestation contre la vie chère avaient commencé dès les 16 et 17 décembre 2008 avec des manifestations dans les rues de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre alors que le préfet avait refusé de recevoir une délégation de grévistes jugée trop nombreuse et interdit leur accès à la préfecture par le déploiement de nombreuses forces de police.

En Guadeloupe, la manifestation du 30 janvier à Pointe-à-Pitre partie à quelques milliers de personnes a rapidement rallié 65 000 manifestants en atteignant le centre ville ; c’était la plus grande manifestation jamais réalisée dans l’archipel (en rapport à la population de l’île). Une telle mobilisation équivaut à près de 10 millions de personnes sur les pavés de Paris.

Un millier de lycéens et d’étudiants se sont joints aux ouvriers en grève. Le palais de la Mutualité de Pointe-à-Pitre est devenu un lieu de ralliement, d’expression, de débats où de nombreux travailleurs et en particulier des ouvrières ont pu prendre la parole pour parler de leur colère ou de leur désarroi face à leurs conditions d’existence. Dans une des premières séances de négociations, le 26 janvier, des journalistes et techniciens grévistes de Radio-France Outre-mer (RFO) avaient placé des caméras à l'intérieur de la salle de réunion et des hauts-parleurs à l'extérieur du bâtiment pour permettre à tout le monde de connaître et de suivre en direct toutes les négociations.

Il y a également eu plus de 20 000 manifestants dans les rues de Fort-de-France le 9 février autour des mêmes revendications et des mêmes mots d’ordre qu’en Guadeloupe.

La venue d’Yves Jégo, secrétaire d'État à l’outre-mer sur l’île a permis de faire redémarrer la plupart des 115 stations de carburant (dont les petits patrons étaient également en grève) en promettant la limitation de création de nouvelles stations-service automatiques par les grands groupes pétroliers. Le sous-ministre a multiplié d’autres promesses pour tenter de désamorcer le conflit (baisse des taxes sur les produits pétroliers, sur les produits laitiers, réduction des taux de la taxe d’habitation et la taxe foncière), s’engageant même à favoriser la négociation auprès du patronat d’exonérations diverses équivalant à 130 euros par salarié. Alors que la négociation sur les 200 euros d’augmentation salariale mensuelle était elle-même en cours entre patrons et syndicats, sous l’égide du préfet, Jégo se faisait rappeler à l’ordre par le premier ministre Fillon et rappeler tout court à Paris. Son départ précipité, ses déclarations contradictoires (il a ensuite affirmé qu’il n’avait jamais rien promis en matière d’augmentation salariale : « C’est au patronat et aux syndicats seuls de négocier en ce domaine »), son retour-éclair dans l’île, cette fois quasiment dessaisi du dossier, flanqué de deux « médiateurs » pour l’encadrer, sa nouvelle dérobade, n’ont fait qu’attiser de plus belle la colère de la population, choquée par un tel mépris et par de tels « mensonges ».

Sous la pression de la colère des grévistes excédés et de la population en général, les syndicats et le LKP ont été contraints de radicaliser leurs positions. L’appel était lancé à des AG dans toutes les entreprises, les « délégations marchantes » d’une entreprise à l’autre se sont multipliées, le renforcement des piquets de grève était décidé. La proposition (soutenue par le PS local) pour désamorcer le conflit du versement d’une  prime mensuelle de 100 euros pendant 3 mois par le conseil régional a été refusée par les grévistes.

Le 14 février, une manifestation rassemblant plus de 10 000 personnes avait lieu à Moule en commémoration des événements de 1952 où les CRS avaient tiré sur les manifestants, tuant 4 ouvriers travaillant dans la canne à sucre et blessant 14 autres, après une grève qui avait duré 3 mois et demi. Ce lieu abrite encore l’usine de canne à sucre Gardel qui, à proximité d’une centrale thermique, fait vivre encore aujourd’hui plus de 9000 personnes. En mai 1967, une répression encore plus sanglante d’une manifestation d’ouvriers du bâtiment et des travaux publics avait fait plus d’une centaine de morts à Pointe-à-Pitre.

Pendant des semaines, les innombrables manœuvres et les ficelles utilisées pour pourrir et diviser la grève et désamorcer le mouvement, en le dévoyant sur un terrain purement nationaliste, n’ont pas abouti. Le 16 février, alors que le LKP faisait dresser à nouveau des barrages sur les routes pour « dénoncer le blocage des négociations », le gouvernement français haussait le ton, déclarant « intolérable la poursuite de la situation » et la police a commencé à charger les manifestants (alors que jusque là, il n’y avait pas eu le moindre heurt), blessant deux d’entre eux et procédant à une cinquantaine d’arrestations même si tous étaient relâchés 3 heures plus tard.

Aux Antilles, comme en métropole et comme ailleurs, a commencé à souffler cette « tempête sociale » qui effraie tant la bourgeoisie. Partout, à travers la dure expérience de sa confrontation à l’aggravation de la crise et de la faillite du capitalisme, malgré tous les pièges et les obstacles que lui dressent ses ennemis irréductibles, la classe ouvrière est en train de se réapproprier son identité de classe et de s’éveiller à la lente prise de conscience de la force que représente l’unité et la solidarité dans ses rangs. Elle se prépare à entrer dans une période historique où rien ne peut plus être comme avant, « où ceux d’en haut ne peuvent plus et ceux d’en bas ne veulent plus », comme l’affirmait déjà Lénine il y a près d’un siècle.

W. (17 février)

 

Géographique: 

  • France [11]

Situations territoriales: 

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Récent et en cours: 

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  • Yves Jego [16]

Commémoration du débarquement : derrière les discours de paix, la barbarie capitaliste

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Même si cette année la commémoration du 6 juin n’a pas connu l’ampleur hystérique de celle de l’anniversaire du cinquantenaire du Débarquement, la cérémonie du mois dernier s’est déroulée avec une relative publicité encensant le grand invité Obama. C’est dans le sillage de cette prétendue « nouvelle Amérique » qu’ont été, une nouvelle fois encore, vantés les mérites de la « démocratie » et de la « paix ».

A Colleville-sur-Mer, le nouvel hôte de la Maison Blanche a vénéré comme il se doit la « bravoure » des soldats sur le sol de Normandie, soulignant : « On ne pouvait savoir alors que tant de progrès qui façonneraient le XXème siècle sur les deux rives de l'Atlantique découleraient de cette bataille »1. Sarkozy, vantant « l’héroïsme », « l’honneur » et la « gloire » des vainqueurs, celle de se faire trouer la peau à 20 ans (même si « il est bien trop tôt pour mourir »), vantait lui aussi « l’Amérique qui se bat pour la démocratie et les droits de l’homme », ponctuant son discours par un « nous avons fait la paix et nous avons fait l’Europe pour que la paix dure toujours. » Toutes ces paroles ne sont que mensonges ! Car ces faiseurs de cérémonies, qui s’extasient devant les défilés d’engins de mort, vantant la paix dans de beaux discours émouvants, ne sont en réalité que les mêmes politiciens qui font la course aux armements, déclarent la guerre et finissent toujours par programmer des massacres qu’ils mettent à exécution. Ce qu’oublient de dire ces beaux parleurs de l’ancien bloc militaire allié, c’est qu’à peine vaincue, l’Allemagne était déjà convoitée par ces mêmes vautours, déchirés par des intérêts impérialistes divergents. L’après-Yalta plongeait alors le monde dans la terreur de ce qui allait devenir la Guerre froide, avec son cortège de conflits localisés, de massacres coloniaux, sans compter la menace thermonucléaire permanente. Seul le fait que la classe ouvrière n’ait pu être de nouveau embrigadée dans une troisième guerre mondiale par ces charognards de la démocratie, nous vaut le fait que l’Europe et le reste du monde ne soient pas encore complètement un champ de ruines fumantes jonchées de cadavres ! Après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, libérant les forces centrifuges contenues par le corset de fer des blocs militaires rivaux, éclatait la première guerre du Golfe, au nom de la « démocratie », contre le « boucher de Bagdad » ! Une guerre dite « chirurgicale » faisant au bas mot 500 000 morts ! Puis ce fut la seconde guerre du Golfe, au nom d’une mensongère menace par des « armes de destructions massives », dont l’objet barbare était en réalité de priver les puissances européennes rivales d’un accès au Proche-Orient et aux matières premières stratégiques comme le pétrole, afin de les isoler du reste du globe. En Europe même, épicentre des tensions, l’horreur s’était rapidement invitée en ex-Yougoslavie dès 1992, avec sa guerre et ses charniers, impliquant les mêmes grandes puissances démocratiques rivales par nations interposées. A l’initiative de l’Allemagne d’ouvrir un accès à la côte Dalmate en soutenant la Croatie, répondait l’appui de la France à la Serbie pour faire barrage à cette entreprise, le tout cerné par le gendarme américain positionné centralement en terre bosniaque pour défendre ses intérêts sordides.

Ce sont ces mêmes rivalités qui se poursuivent toujours aujourd’hui et s’expriment ailleurs sur tous les points chauds de la planète, par puissances ou cliques rivales interposées, notamment en Afrique et au Proche-Orient, mais aussi en Asie. La publicité autour du prétendu « homme de paix » que serait le nouveau président Obama n’est que de la poudre aux yeux. Derrière le masque des beaux discours éduqués et son physique de gentleman, il y a les mêmes pratiques barbares de la bourgeoisie : il a conservé les tribunaux militaires, rationalisé ses forces armées, poursuivi la croisade guerrière de l’Amérique en repositionnant ses forces en Afghanistan. Tous ces prétendus « hommes de paix », au moment même de leur discours en Normandie, étaient positionnés ailleurs et armés jusqu’aux dents sur de multiples terrains d’opérations militaires ! Comme par le passé, les discours de paix d’aujourd’hui ne sont que les mêmes mensonges qui préparent d’autres crimes à venir.

La Libération : un épisode de la barbarie impérialiste

C’est pourquoi la « gloire » du débarquement ne doit pas occulter que les alliés ont pris une large part aux massacres. Des massacres qu’ils ont su longtemps dissimuler, d'une part en exhibant les horreurs du camp adverse et d'autre part en mystifiant le « Jour le plus long », le "D-Day", par des images aseptisées et une plastique cinématographique s’imposant comme l’antithèse des camps de la mort. Dans la réalité, des jeunes ont été tués, des civils bombardés et massacrés en masse. Cette « grande victoire » des Alliés préparait ainsi ce qu’on a appelé la « Libération » et son hystérie nationaliste, son atmosphère de pogrom haineusement exhalée par toutes les composantes de la bourgeoisie, jusqu’au journal L’Humanité qui osait titrer sa Une : « A chacun son boche ! » Cette même atmosphère glorieuse de carnage s’était partout prolongée quelques mois après le débarquement par une barbarie revancharde, au nom de « l’efficacité militaire » : « A partir de l’automne 1944 (…) avec une technique parfaitement rodée, le Bomber command2 (…) entreprend l’attaque et la destruction systématique de villes moyennes ou même de petites agglomérations (allemandes NDLR) sans le moindre intérêt militaire ou économique. (…) Cette volonté de destruction systématique qui prend des allures de génocide se poursuit jusqu’en avril 1945(…) »3. A ces bombardements massifs des alliés s’ajoutent « les raids répétés de l’aviation tactique, bimoteurs et chasseurs-bombardiers. Ces raids visent les trains, les routes, des villages, des fermes isolées, voir des paysans dans leurs champs. Les allemands ne pratiquent plus les travaux agricoles que le matin à l’aube, ou le soir au crépuscule. Des mitraillages interviennent à la sortie des écoles (…). Lors du bombardement de Dresde, les chasseurs alliés s’en prennent aux ambulances et au voitures de pompiers ». Les partenaires soviétiques du camp allié ne sont pas en reste, puisque à cette même période, leurs soldats s’adonnent impunément à des « viols, pillages, incendies de villages. (…) Le soldat soviétique devient l’instrument d’une volonté froide, délibérée, d’extermination. Des colonnes de réfugiés sont écrasées sous les chenilles des chars, mitraillées par l’aviation. La population est massacrée avec des raffinements de cruauté (Il s’agit évidemment de populations allemandes des provinces de l’est NDLR). Des femmes nues sont crucifiées sur les portes de granges. Des enfants sont décapités où ont la tête écrasée a coup de crosse (…) le nombre de victimes peut être évalué à 3 ou 3,5 millions. Comme par hasard, les massacres systématiques cessent dans les régions de l’Allemagne destinées à constituer la zone d’occupation soviétique. » Le même auteur ajoute que « dès le départ, ces crimes font l’objet d’une volonté d’oubli des occidentaux (…) le souvenir se cristallise sur le système concentrationnaire et le génocide, il est vrai effroyable ».

En réalité, ce n’est pas tant un « oubli » qu’une volonté délibérée des alliés de masquer leurs propres crimes à des fins de propagande démocratique. Voilà ce que cachent les retrouvailles et les commémorations, les beaux sourires d’un Obama et les trémolos théâtralisés d’un Sarkozy ! Comme le soulignait Rosa Luxembourg il y a presque un siècle : « Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment. »4

WH

1 Extraits des discours de Obama et Sarkozy à Colleville sur Mer.

2 Centre de commandement des bombardements alliés sous la direction politique de Churchill et d’officiers supérieurs (dont le commandant Harris a été un des plus zélés fanatiques).

3 Cette citation et les suivantes sont extraites de Une guerre totale, coll. Pluriel ( P612 à 614), PH. Masson.

4 Rosa Luxembourg, La crise de la social-démocratie, Spartacus, p.28

Evènements historiques: 

  • Deuxième guerre mondiale [17]

Compte-rendu des journées de discussion de Lille (I)

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En octobre, le CCI a organisé à proximité de Lille un week-end de discussions destiné à ses contacts et lecteurs. Ces réunions se distinguent de nos traditionnelles réunions publiques et permanences par trois éléments essentiels. D'abord, il ne s'agit pas en soi de réunions du CCI mais de réunions organisées par le CCI afin que les participants développent des discussions. C'est ainsi que souvent, par exemple, et ce fut le cas ici, les discussions sont introduites par des participants qui sont volontaires pour le faire. De même, les sujets abordés sont proposés par les participants potentiels en amont de la rencontre.

Ensuite, ces réunions se distinguent par le temps qu'elles laissent à la discussion. En général, deux sujets sont abordés chacun sur une demi-journée, et le temps est laissé pour prolonger les discussions dans les moments conviviaux qui suivent.

Car, et c'est là leur troisième aspect singulier, le but de ces rencontres est aussi de rapprocher les personnes qui partagent les même préoccupations et les mêmes questionnements, à défaut de partager les mêmes positions. C'est pourquoi nous organisons aussi des moments de rencontre plus informels, notamment des repas qui prolongent et offrent un cadre différent à la discussion.

A Lille, nous avions choisi de répartir les deux discussions sur un week-end, le samedi après-midi et le dimanche matin, afin que, grâce à la restauration et l'hébergement sur place, le maximum de temps soit laissé aux échanges entre participants. Nous souhaitions également permettre à des personnes plus éloignées géographiquement de pouvoir nous rejoindre avec le moins de désagrément possible.

C'est finalement une trentaine de participants qui participèrent à la rencontre, venant de toute la France (Lille bien sûr, Paris, Rouen, Nantes, Toulouse, Marseille, Lyon), de Belgique et de Hollande.

Nous reviendrons ultérieurement sur la discussion du samedi après-midi à Lille, consacrée à Darwin, au darwinisme, aux instincts sociaux et à la nature humaine. Cette discussion très riche s'est prolongée jusque tard dans la soirée et continuait même au petit-déjeuner du dimanche matin !

Nous voulons dans le cadre de cet article, nous pencher sur la discussion du dimanche matin consacrée à l'écologie et à la capacité du capitalisme à éviter les catastrophes liées au réchauffement climatique, à la pollution, etc.

L'introduction de la discussion

Cette session a été introduite par un sympathisant du CCI. Son exposé, très clair, a posé d'emblée les questions essentielles auxquelles la discussion allait devoir tenter d'apporter des réponses. D'abord, les faits parlent d'eux-mêmes : « Les niveaux atmosphériques en dioxyde de carbone (CO2) et en méthane (CH4) ont atteint le niveau le plus élevé depuis 650 000 ans, ce qui implique que la température moyenne sur terre devrait augmenter les cent prochaines années entre 1,1 et 6,4 degrés Celsius avec toutes les catastrophes qui en découleront. Pour le moment, la pire des sécheresses de ces 10 dernières années sévit dans sept pays de l’Afrique de l’Est, tels l’Ethiopie, le Kenya et la Somalie. Des dizaines de milliers d’animaux périssent à cause du manque d’eau. 23 millions d’êtres humains sont en danger par le fait qu’à cause de récoltes ratées répétées, ils n’ont plus de réserves de nourriture. A titre de comparaison, la sécheresse de 1984 en Ethiopie a entraîné la mort de 250 000 à 1 million de morts. Avec la hausse des températures liées aux changements climatiques, ces phénomènes devraient continuellement augmenter dans le futur. Une espèce sur six de mammifères européenne est menacée d’extinction et toutes les espèces marines pêchées pourraient s’effondrer vers 2050. La réduction du nombre des abeilles, des chauves-souris et d’autres espèces butineuses cruciales met en danger les espèces agricoles et les écosystèmes en Amérique du Nord. Ce n’est donc pas un hasard si l’année 2010 est placée sous le signe de la biodiversité, on devrait plutôt dire « bio-homogénéité » ? La pollution a également un impact direct. Ainsi, la pollution de l’air dans les villes est la cause de 2 millions de décès prématurés par an. Ensuite, il y a la misère et la guerre : 2,5 milliards d’êtres humains sur un total de près de 7 milliards vivent avec moins de 2 dollars par jour et nous pouvons affirmer que, depuis la seconde guerre mondiale, il n’y a pas eu un moment sur terre sans guerre, des guerres qui ont d’ailleurs eu un impact gigantesque sur la situation écologique de la planète. »

Tous les discours, les sommets et les accords passés n'ont pas permis d'inverser la tendance. Pour cela, il faudrait au moins, selon le camarade, que tous les États se rangent derrière la même politique de « développement durable ». Est-ce possible dans le capitalisme ?

L'exposé apporte une réponse : « La conférence qui aura lieu à Copenhague devrait mener à une meilleure coopération entre les États dans leur lutte contre la décadence écologique. Mais, sont-ils capables de coopérer ? Sont-ils capables de pousser collectivement le marché mondial dans une direction durable ? Raisonnons dans le cadre des frontières du système. Imaginons que le capitalisme accumule du capital d’une manière écologiquement responsable, on serait alors confronté à un capitalisme écologiquement durable. Toutefois, pour transformer ce capitalisme en une société ‘verte’, des changements profonds s’imposent dans l’industrie, les infrastructures, l’aménagement du territoire... qui exigeront d’énormes investissements en recherche, en technologie, en forces de travail... Si de tels investissements ne sont pas rentables suffisamment à court terme, l’ensemble de l’économie ne se risquera pas à franchir le pas vers la durabilité. Sur un marché sursaturé, avec une concurrence impitoyable, la menace de la faillite plane constamment. C’est alors l’État qui doit intervenir avec des primes, des législations contraignantes, afin de pousser le marché dans un sens ‘vert’.

Une telle logique perd cependant de vue que le capitalisme est divisé en économies nationales qui se concurrencent mutuellement pour s’approprier une partie aussi grande que possible du marché mondial. Par ailleurs, l’État ne se positionne pas au-dessus du marché ‘libre’ mais est une partie intégrante du système. En conséquence, les conflits d’intérêts entre États sont permanents, tant sur le plan économique que stratégique. C’est cette concurrence qui rend l’avènement d’un monde durable impossible. Ceci est apparu clairement lorsque G. W. Bush, lors d’un discours (juin 2001), a rejeté le traité de Kyoto pour deux raisons : (1°) cela aurait un impact négatif sur l’économie américaine, avec pour conséquences le licenciement d’ouvriers et des hausses de prix pour les consommateurs ; (2°) le traité n’impose rien à la Chine et l’Inde, deux des principaux responsables du réchauffement climatique. Nous pouvons même nous demander si le traité de Kyoto a vraiment pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre ou si ce n’est pas plutôt une forme de guerre visant à limiter le développement économique de certains États à travers des lois et des interdictions, et à maintenir ou au contraire faire évoluer certains rapports impérialistes. »

Mais au-delà de ces aspects importants dans la compréhension de la question, le camarade estime qu'une autre question mérite d'être évoquée, en lien avec une certaine « privatisation de la nature ». Certains théoriciens bourgeois estiment en effet que la solution se trouve justement dans une meilleure intégration de l'environnement aux lois capitalistes. Il suffirait de comptabiliser les coûts indirects de la pollution (maladies des riverains, dégâts causés à la fertilité des sols, etc.) pour en faire la base du « prix de la pollution », que chaque activité polluante devrait alors payer. Les mécanismes du marché ainsi engagés permettraient de réduire l'impact négatif de la pollution sur l'homme et la nature.

Cette théorie soulève évidemment des questions : « La nature est-elle vraiment une marchandise ? La nature est-elle un marché encore à exploiter ? Et son intégration dans le marché, qui constitue en fait une privatisation, est-elle vraiment aussi inéluctable que les économistes le prétendent ? Les forêts destinées à l’industrie du bois font incontestablement déjà partie de l’économie capitaliste. La plupart de ces forêts sont caractérisées par une division et une simplification extrêmes de ce qu’une forêt était avant. Il en va de même de l’agriculture moderne, où les champs gigantesques de maïs, de riz, de canne à sucre constituent la norme. Même si des végétaux y poussent, ces monocultures sont en fait des déserts : aucune autre plante, aucun autre animal ne peut y vivre. Ces végétaux agricoles ne sont-ils pas aussi des exemples d’intégration de la nature dans le marché ? De plus, le marché discernera-t-il les bonnes priorités ? Pourra-t-il protéger une espèce d’oiseaux menacée (et très rentable) par la disparition de son habitat précisément à cause de l’extension du secteur agricole ? Les nombreuses règles et lois que l’État impose au marché soulignent combien artificielle et forcée est la mise en accord des « besoins écologiques, sociaux et économiques ». La pression sur ces nécessités et besoins est constante. Non, la privatisation constante et l’intégration de la nature dans le marché mondial n’auront selon moi aucun effet positif sur elle, mais elles la soumettront encore plus à la véritable force motrice du capitalisme : l’accumulation du capital. C’est cette recherche de profit qui a poussé le capitalisme à conquérir le monde et à exercer une pression constante sur l’écosystème. La soif de bénéfices toujours plus importants dans un monde aux ressources limitées constitue une contradiction fondamentale du capitalisme, qui s’exprime tout particulièrement dans la phase de décadence de la société. C’est aussi cette contradiction qui rend tout développement durable au sein des frontières du capitalisme impossible. »

C'est sur cette conclusion que la discussion s'est engagée. Elle fut très riche et marquée par la participation de la plupart des personnes présentes. L’ensemble des interventions a souligné un accord avec l’exposé introductif et avec les orientations dégagées.

La discussion

Il a d'abord été soulevé que la manière dont la bourgeoisie répond au problème écologique montre très bien qu’elle ne peut se soustraire aux exigences de son mode de production. En créant un « droit à polluer », elle fait immédiatement de la nature une marchandise, dont le prix est fixé sur un marché où elle peut être achetée et vendue. Cette « cotation en bourse » de la pollution s'exonère de prendre en compte que la nature n’est pas la propriété de l’homme.

De la même façon, la toute récente taxe carbone ne répond pas à la problématique de la pollution et du réchauffement climatique. Elle permet surtout de remettre de l’argent dans les caisses des États plus ou moins au bord de la banqueroute.

Ensuite, la question a été posée de savoir le degré de conscience et de sincérité de la bourgeoisie par rapport au désastre écologique. Après tout, son sort est lié à celui de l'humanité, dont la survie est mise en jeu ici. La discussion a permis de mettre en avant que globalement, la bourgeoisie se moque des dégâts causés par son économie, même si au sein de celle-ci il existe des personnes plus sensibilisées. Mais même ces personnes, réellement conscientes du danger couru et sincères dans leur volonté d'y trouver une solution, sont instrumentalisées par toutes les campagnes sur la possibilité de mettre en place un système « propre ». Leur sincérité est même dangereuse car elle donne du crédit aux solutions qu'elles proposent, qui sont évidemment totalement inefficaces.

Cependant, il faut insister sur le fait que de façon générale, il n’y a pas de prise de conscience réelle du problème écologique par la bourgeoisie, il y a plutôt beaucoup d'illusions, même les plus extrêmes : l'écologie pourrait être un nouveau marché qui, tout en sauvant la planète, sauverait aussi l'économie !

Au-delà des illusions, il y a aussi le cynisme d'une classe aveuglée, symbolisé par les rejets massifs des déchets polluants et sensibles dans la mer ou dans des zones reculées de la planète, ou son recyclage dans l'armement.

Toutefois, la bourgeoisie n'est plus totalement inconsciente quand c'est le profit qui est en jeu. Par exemple, elle a parfaitement conscience de l’épuisement de certaines de ses ressources comme le pétrole et elle se prépare à cette adaptation nécessaire, même si les solutions les plus probables sont aussi les plus polluantes (le charbon, par exemple).

Finalement, on peut comparer l’attitude de la bourgeoisie avec celle qu’elle a vis-à-vis de la crise économique : une des causes de la crise financière est l’économie de casino. La bourgeoise tente alors de « moraliser » son système et on voit concrètement que c’est impossible. C’est la même impossibilité pour la question d’une production propre.

La discussion a ensuite continué sur la question de la classe ouvrière. Un axe essentiel de la campagne idéologique sur l'écologie passe par l’individualisation du problème et la culpabilisation individuelle qui en découle en faisant croire entre autres que si tout le monde y met du sien cela ira mieux ; voire même que les comportements individuels sont essentiellement les seuls à modifier. La discussion a mis en avant que l’éthique individuelle qui est en nous fait qu’en tant qu’être humain nous n'avons pas envie de dégrader notre environnement proche : même si nous avons conscience de notre responsabilité limitée, nous n'allons pas jeter nos déchets dans la nature, par exemple. C’est en même temps pour cela que la campagne de la bourgeoisie a un impact certain.

Le catastrophisme sur les dégâts utilisé par certaines fractions de la bourgeoisie tend à rendre encore plus désemparés, voire désespérés les individus, se traduisant en fait par le renforcement de la chape de plomb qui pèse sur la classe ouvrière. Le poids de cette culpabilisation d’ailleurs est d’autant plus fort que le niveau de la lutte de classe est actuellement faible. Il y a une fonction idéologique fondamentale dans cette culpabilisation quotidienne qui joue sur le même ressort que celui de la religion pesant d’un grand poids sur les individus. Après les curés rouges, nous voyons arriver les « curés verts » !

Il apparaît de plus en plus clairement qu’on ne pourra pas se sortir de ce désastre écologique sans remettre en cause le système. Le danger de la prise de conscience de cela par la classe ouvrière fait peur à la bourgeoise, même s’il ne faut pas se faire d’illusion sur le fait que le danger écologique suffise à la prise de conscience de la classe. La question de l’écologie pose le problème à l’échelle de la planète en même temps que celui de ce qu’on produit et pourquoi. Cela amène à la question de quels sont les besoins humains planétaires et de comment ils se posent par rapport aux besoins particuliers : c’est une question que devra résoudre de toute façon le prolétariat. Le capitalisme a développé le marché mondial et c’est sur cette base que les forces productives se développeront dans le communisme. La science aujourd’hui est l’otage du capitalisme. Demain, elle devra être une aide pour dépasser l’irrationalité et les contradictions du système.

D’autre part, il faut rétablir la réalité par rapport aux écrits du marxisme sur la question du rapport avec la nature, que la contre-révolution stalinienne a obscurci. Au début de la révolution en Russie, la question était vue différemment qu’en 1923-1924. Tout développement productif était envisagé dans ses impacts avec le milieu naturel, la révolution avait changé la réflexion sur le lien entre l’homme et la nature. 90 ans de « marxisme productiviste », comme la bourgeoisie aime présenter le stalisnime, a dénaturé la conception matérialiste de ce rapport. L’homme n’est pas en dehors de la nature comme veut le faire croire le capitalisme. Les « écolos » qui font un faux procès au marxisme « productiviste » et qui veulent donner une valeur à la nature sont à l’opposé de la conception marxiste. Nous devons restaurer les idées marxistes relatives au rapport de l’homme avec la nature.

Finalement, il y a une impossibilité pour la bourgeoisie de mettre en accord les trois aspects écologiques, sociaux et économiques des besoins humains. Dès lors, elle élabore ses campagnes de façon à cacher cette impossibilité. Des exemples ont été donnés, comme le « referendum » organisé au sujet de la desserte du port d'Anvers. Le choix était laissé entre un tunnel sous la ville et les installations industrielles ou un immense viaduc au-dessus. En d'autres termes, la présence du trafic n'est pas mise en question, c'est seulement le moindre mal qu'il convient de mesurer... et de choisir.

De même, l'idéologie de la décroissance se développe. Il s'agit de faire croire que la diminution de la consommation amènerait à supprimer le problème environnemental. C'est juste oublier que cette idée est en contradiction directe avec le mode de production capitaliste !

Et le plus grand danger est bien dans ce mode de production dont une des caractéristiques, accentuée par la période, est sa totale irrationalité. Ce dernier aspect, et non un des moindres, a été illustré par différents exemples concrets qui montrent clairement en quoi cette irrationalité amène inexorablement à une aggravation du désastre écologique. L'élevage des porcs en est une illustration flagrante : les bêtes sont élevées en Asie, abattues en Europe du sud pour être vendues en Europe du Nord. Les kilomètres parcourus dans le processus de fabrication d'une marchandise jusqu'à sa vente répondent à des « logiques » industrielles qui ignorent l'impact environnemental. A l'inverse, la réponse de certains passe par une concentration extrême du processus (des tours d'élevages immenses au-dessus de l'eau dans le port d'Anvers, qui prévoient même l'utilisation des déchets pour la nourriture des poissons), mais là encore, l'objectif reste la réduction maximale des coûts, et non celle de la pollution.

Cette irrationalité est une entrave à la mise en oeuvre de solutions techniques qui existent aujourd'hui. De manière plus générale, aujourd’hui l’influence de l’homme sur la nature se caractérise par un mode de production en décomposition ce qui ne fait qu’augmenter dangereusement les dégâts de ce système sur la nature, dégâts déjà dénoncés par Marx à l’époque du développement explosif du capitalisme. Mais aujourd’hui, il y a urgence, l’avenir de l’humanité et peut-être de la vie sur terre est en jeu ! Le capitalisme a une technologie très avancée mais est un mode de production qui entrave le développement des techniques qui pourraient répondre en partie au problème.

C'est sur cette conviction largement partagée, qui pose aussi l'enjeu de la responsabilité des révolutionnaires et de tous ceux qui sont conscients de la nécessité de mettre fin au capitalisme, que s'est achevée cette session de discussion. Bien évidemment, il s'agissait d'une étape dans la réflexion qui doit maintenant continuer.

GD (18 novembre)

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Derrière les discours de paix d’Obama, une stratégie impérialiste

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Le 4 juin dernier, dans la ville du Caire en Egypte, le président des Etats-Unis a tenu un discours que l’ensemble des capitales occidentales se sont empressées de qualifier d’historique. Il faut dire qu’Obama a prononcé des paroles et des analyses qui apparaissent, à première vue, comme étant en rupture complète avec la politique agressive et va-t-en guerre de l’ancien chef d’Etat américain G.W. Bush. Il a lui-même présenté sa politique internationale. Pour Obama, il faut tourner la page et mettre les erreurs de Bush et de son administration sur le compte du traumatisme du 11 septembre 2001. A l’en croire, « la guerre des civilisations », chère à l’ancienne administration américaine, c’est terminé. Dans son discours du 4 juin, Obama a fait clairement passer le message que les Etats-Unis ne sont pas l’ennemi des musulmans, mais un partenaire légitime. Il a parlé sans détour de « l’occupation » et de « l’aspiration des palestiniens à la dignité, à l’égalité des chances et à un Etat indépendant ».1

Il a présenté pratiquement les Etats- Unis comme l’ami des Palestiniens, sur lequel ceux-ci peuvent compter. Il a demandé au Hamas de reconnaître l’Etat israélien mais il n’a pas qualifié cette organisation de terroriste. Et plus remarquable encore, il a comparé le combat des Palestiniens à celui des esclaves noirs d’Amérique ou encore au combat des Noirs d’Afrique du Sud au temps de l’apartheid.

Du point de vue d’un président des Etats-Unis, de telles affirmations publiques sont tout simplement inédites. Et celles-ci viennent faire suite à la politique d’ouverture diplomatique que les Etats-Unis semblent vouloir mener à l’égard de l’Iran, pays présenté, il y a encore peu de temps, comme un danger potentiel pour la sécurité du monde.

Que de changements en si peu de temps ! Hier encore tout particulièrement agressifs, les Etats-Unis seraient-ils devenus tout à coup les chantres du dialogue et de la paix ?

Nous avons au contraire des raisons toutes particulières de nous méfier. L’expérience dramatique nous a appris à ne pas prendre au pied de la lettre les beaux discours bourgeois. En effet, l’histoire nous a démontré que lorsque le capitalisme parle de paix, c’est qu’il prépare en réalité la guerre.

La nécessaire réorientation de la politique américaine

Depuis l’effondrement du bloc russe en 1989, les Etats-Unis sont devenus la seule superpuissance de la planète. Maintenir à tout prix leur domination est l’orientation donnée à leur politique guerrière tout au long des années qui se sont écoulées depuis lors. Mais à partir de 2001, avec la guerre en Afghanistan et en Irak, une réalité s’est progressivement révélée au grand jour, celle de l’affaiblissement accéléré des Etats-Unis. L’enlisement dans les bourbiers irakiens et afghans en sont des manifestations concrètes et particulièrement tragiques. Partout dans le monde, les autres grandes puissances sont venues contester la suprématie américaine et afficher ouvertement leurs propres intérêts. Tel est le cas de la Chine en Afrique par exemple ou de l’Iran au Moyen- Orient. Chaque nation, chaque clique, chaque bourgeoisie étaient ainsi encouragées à défendre ses propres intérêts dans un désordre et un chaos croissants. La politique de l’administration Bush qui consistait à vouloir affirmer la puissance américaine, seul contre tous, n’a en rien enrayé ce phénomène d’affaiblissement. Bien au contraire, cette politique a accéléré le processus d’isolement et d’affaiblissement. Elle a poussé à la montée de la contestation et du mécontentement anti-américain, notamment dans le monde musulman, y compris de la part d’alliés tels que l’Egypte ou l’Arabie Saoudite. Cette politique du cavalier seul des Etats-Unis ne pouvait pas être poursuivie. C’est ce qu’a compris une grande partie de la bourgeoisie américaine, le Président Obama et son administration dépassant ainsi au moins momentanément le traditionnel clivage existant entre les démocrates et les républicains en la matière. Cependant, cette politique orchestrée par l‘administration Obama n’empêchera pas le développement d’un processus croissant d’isolement des Etats-Unis. L’affaiblissement américain et la montée du « chacun pour soi » sont aujourd’hui des réalités irréversibles. Un des aspects de cette réalité se retrouve dans l’impossibilité croissante des Etats-Unis à s’investir militairement et simultanément dans plusieurs guerres régionales dans lesquelles ils sont totalement enlisés. Non seulement leurs ressources militaires ne sont pas inépuisables, notamment en « moyens humains », mais encore la crise économique qui commence à ravager maintenant le monde entier, leur pose un véritable problème. Ce sont des millions de dollars qui sont engloutis chaque jour par l’armée américaine, alors que le pays s’appauvrit de manière accélérée, que le chômage explose, que la couverture santé est inexistante… Au moment où la pauvreté frappe une partie grandissante de la population, comment faire accepter sans rechigner des dépenses militaires toujours en hausse ? De plus, même en augmentant les primes et la solde, il est de plus en plus difficile de trouver des jeunes prêts à s’engager pour aller se faire trouer la peau dans des guerres qui apparaissent de plus en plus néfastes. Cette nouvelle orientation de la politique impérialiste des Etats Unis n’a donc rien à voir avec un humanisme retrouvé de la part d’Obama. Cette politique s’impose de fait comme une nécessité à la bourgeoisie américaine. Elle traduit simplement que l’Amérique doit faire des choix plus ciblés en matière d’interventions guerrières. Et leur choix s’est porté sur le développement de la guerre en Afghanistan et au Pakistan. Ceci implique par conséquent de tenter de calmer au moins momentanément le jeu en direction de l’Iran et de la Palestine. En effet, pour les Etats-Unis, tenter de maîtriser la situation en Afghanistan devient impératif s’ils veulent retrouver une réelle influence au Pakistan. Le Pakistan est une véritable plaque tournante en direction de l’Iran à l’Ouest, du Caucase au Nord et donc de la Russie, et surtout à l’Est en direction de l’Inde et de la Chine. Ce dernier pays ne cessant de montrer ses appétits impérialistes grandissants. Voilà le choix obligé que doivent faire actuellement les Etats-Unis et qui expliquent le sens profond du discours d’Obama au Caire.

Quand Washington fait pression sur Israël

Israël est depuis des décennies le plus fidèle allié des Etats-Unis au Moyen-Orient. Le lien entre la bourgeoisie de ces deux pays est très fort et l’armée israélienne est totalement soutenue par Washington. Du temps de G.W. Bush, les Israéliens avaient acquis de fait une latitude très importante dans le domaine de leur politique impérialiste. Tel-Aviv et Washington étaient pratiquement sur la même longueur d’ondes. Tel n’est plus le cas. L’administration américaine demande à présent à la bourgeoisie israélienne de se plier à ses exigences, à la défense de ses propres intérêts du moment. Ce qui a fait immédiatement monter la tension entre les deux capitales. Les divergences entre Nétanyahou, le chef du gouvernement israélien, et le président Obama sont claires et nettes. Cependant, sous l’importance de la pression américaine, Nétanyahou a dû modérer ses propos dans son discours de Tel-Aviv en réponse à celui d’Obama au Caire. Pour la première fois, Nétanyahou a dû lâcher les mots  « Etat palestinien » même s’ils les associent à la démilitarisation de celui-ci et au rejet de tout partage de Jérusalem comme capitale. Ceci démontre que pour le chef du gouvernement israélien, les pressions américaines doivent être très fortes et constantes. En ce sens, il lui fallait gagner du temps et c’est ce qu’il a fait. Mais soyons certains que ceci ne changera rien sur le fond. Il est facile de s’en apercevoir lorsque l’on apprend que Nétanyahou a demandé aux Palestiniens, comme préalable, de reconnaître l’Etat israélien comme un Etat juif. Le chef du gouvernement a fait de cette exigence un élément central conditionnant toutes avancées dans les négociations de « paix », alors qu’il sait pertinemment que ceci est irrecevable pour la bourgeoisie palestinienne.

Nous allons donc très certainement vers la poursuite de la montée des tensions entre Israël et les Etats-Unis. Et il n’est pas certain que cette nouvelle politique américaine ne pousse pas, à terme, Israël dans une fuite en avant guerrière de la part de la fraction bourgeoise au pouvoir.

Le Premier ministre Benjamin Nétanyahou considère en effet la menace nucléaire iranienne comme une menace insupportable pour Israël. Ces derniers temps, l’escalade verbale entre Mahmoud Ahmadinejad, le leader iranien, et le gouvernement israélien concrétisait cette montée des tensions entre les deux pays. Il n’est pas sûr en ce sens que les événements actuels en Iran rassurent beaucoup la bourgeoisie israélienne. La tentation pour l’Etat israélien, peut alors devenir forte de mettre au pied du mur le gouvernement Obama par une action militaire violente en direction de l’Iran.

Même si une telle perspective ne se réalisait pas, la bourgeoisie israélienne ne peut pas rester sans réactions face à la montée des exigences américaines à son égard. Cette montée des tensions est en fait paradoxalement le résultat de l’affaiblissement américain. La guerre et la barbarie vont continuer, inexorablement, à se développer dans cette région du monde.

Tino (le 2 juillet)

1 Courrier International du 16 juin 2009.

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Deuxième réunion de discussion à Marseille : comprendre la crise

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La dynamique de débats et de discussions, soutenue par le CCI, a trouvé une deuxième concrétisation le 18/10/2008 où une trentaine de participants venant de diverses villes du Sud de la France et du Nord de l’Italie se sont réunis. Dans la continuité de la précédente rencontre, qui portait sur « Quelle société voulons-nous ? » (voir sur notre site dans la rubrique ICC Online l’article « Journée de discussion à Marseille : un débat ouvert et fraternel), il a été décidé d’aborder le thème de la guerre. Souvenons-nous : les troupes russes, en plein été 2008, envahissaient la Géorgie, semant la mort et les destructions. Mais très vite la crise financière, avec sa soudaine et spectaculaire aggravation, reléguait au second plan les sinistres bruits de bottes. A l’initiative de contacts, sympathisants et lecteurs de notre presse, le thème de cette rencontre se devait d’être modifié, les événements planétaires que nous vivions déclenchaient une réflexion, un questionnement. Comment comprendre cette crise ? Quelles sont ses conséquences ? Qui en est responsable ? Comment réagir contre ses effets qui ne manqueront de tomber sur toutes les couches de la population, et en particulier sur les travailleurs ?

Un débat sur la crise ? Cela pourrait en rebuter plus d’un. Ce n’était pas le cas pour les participants de cette rencontre. Comme le soulignait une des participantes : « ... j’ai constaté que la réunion de Marseille était un moment de réflexion qui était comme une bouffée d’air frais. Il y avait une ouverture et une interrogation générale, un désir d’aller au fond des choses par rapport à ce qui arrive autour de nous, et en particulier, à regarder ce qu’il y a derrière l’explication des médias sur le dernier et très dramatique tournant dans la crise économique. Cette réunion a prouvé qu’il existe le courage de faire face à des réalités désagréables au sujet de la société dans laquelle nous vivons et de réfléchir sur la façon de la changer ».

C'est le système capitaliste qui est en crise

La crise des « subprimes » qui a entraîné la faillite des grandes banques américaines et européennes est la conséquence d’un endettement colossal généralisé. Par le jeu de spéculations sur des crédits contractés par des ménages pour l’achat de biens de consommation, en l’occurrence ici pour obtenir des biens immobiliers aux Etats Unis, les institutions financières se sont échangé des sommes astronomiques afin d’en retirer des bénéfices immédiats. Il a suffi que ces ménages, souvent des travailleurs, ne puissent plus rembourser, du fait d’un affaiblissement de leur revenu, a eu comme effet que tout cet édifice s’est écroulé comme un château de cartes, révélant au grand jour l’endettement généralisé, non seulement des organismes bancaires et des ménages, mais aussi des entreprises et des Etats, impliqués eux aussi dans des opérations douteuses. Premières conséquences ? Nombre de travailleurs américains, qui ont vu du jour au lendemain leur maison perdre de la valeur, se sont retrouvés à la rue. Alors d’où vient cet argent qui est parti en fumée (des milliards de dollars) ? Il est très difficile d’y répondre, la bourgeoisie elle même ne peut pas donner une réponse claire, ceci dit toute cette masse d’argent qui se promène au niveau planétaire, du fait de la spéculation, a une valeur factice. Qui est responsable de cette situation ? La bourgeoisie, incapable de maîtriser son système, trouve des boucs émissaires : les Etats Unis, les investisseurs sans scrupules, les banquiers affairistes. Et de déclarer qu’il faut moraliser le capitalisme. En fait c’est dans le système lui même que se trouvent les raisons fondamentales de sa crise.

Comprendre le fonctionnement du capitalisme devient l’enjeu central. Son objectif n’est pas de produire pour satisfaire les besoins humains, mais pour permettre de faire des bénéfices qu’il réalise en écoulant sa production sur un marché mondial. Le capitalisme est un système qui a besoin de s’élargir sans cesse, d’accumuler du capital à une échelle toujours plus large, c’est un besoin vital. Trouver des marchés pour écouler le surplus de marchandises que ni l’ensemble des capitalistes ni l’ensemble des ouvriers ne peuvent consommer est le problème fondamental. Si au 19e siècle, il pouvait s’étendre dans des zones où il n’existait pas, au 20e siècle, la tendance est inverse, il domine la planète. Après la grave crise de 1929 qui a abouti à la Seconde Guerre mondiale, nous assistons depuis les années 1970 à une aggravation inexorable de la crise. Pour pallier à la raréfaction des marchés solvables, le capitalisme doit recourir au crédit à outrance, créer un marché artificiel dont la conséquence est une accumulation de dettes qui, à un certain niveau, ne peuvent plus être remboursées. La perspective donc est à une profonde récession dont les conséquences seront dramatiques pour la classe ouvrière, car c’est principalement elle qui va en faire les frais, avec une hausse vertigineuse du chômage, des baisses des salaires et une exploitation accrue sur les lieux de travail.

Alors pourquoi la bourgeoisie ne se lancerait-elle pas dans une politique des grands travaux, comme cela a été le cas dans les années 1930 ? Comme le disait une intervention « des grands travaux il y en a tous les jours, l’Etat intervient déjà beaucoup dans l’économie concrètement. Il faudrait donc que les Etats interviennent plus pour faire baisser le chômage et donc pour trouver des emplois. Or ces Etats sont endettés, sur endettés. Et pour mener une politique de grands travaux à une plus grande échelle, ils doivent s’endetter encore plus, ce qui n’est pas possible car la crise qui se déroule actuellement a pour base un surendettement des Etats » Et un autre participant d' ajouter : « Pourquoi on choisit de sauver les banques et on ne choisit pas d’investir dans les hôpitaux, les écoles... ? Car il faut faire un choix : pour qu’il y ait un marché solvable il faut échanger une marchandise contre de l’argent ; or quel est le rôle des banques ? C’est de faire circuler l’argent, voire d’en créer. Si on laisse s’écrouler les banques, on détruit la circulation de l’argent, on bloque complètement le système. »

Est-ce que la bourgeoisie a provoqué cette crise des « subprimes » pour mieux attaquer la classe ouvrière ? Cette question a son importance puisqu’en effet la bourgeoisie a mené une grosse campagne médiatique dans le but de faire peur et tenter par là de paralyser la classe ouvrière. Ceci dit, la bourgeoisie n’utilise pas la crise comme stratégie dans l’objectif de porter atteinte aux conditions de vie et de travail de la classe ouvrière. Il y a bien une chose que la classe dominante ne maîtrise pas, c’est bien son système économique et les contradictions qui l’assaillent ; en ce sens, l’appauvrissement du prolétariat est la conséquence d’une crise économique que la bourgeoisie est incapable de résoudre.

Tout ceci montre que nous entrons dans une période de plus en plus marquée par de violents soubresauts économiques et en réaction à cela, il faudra s’attendre à un développement de la lutte de classe.

Que faire ?

Alors se pose la question de que faire ? Réforme ou révolution ? Là est la question fondamentale, et que le mouvement ouvrier s’est toujours posé, et a tranché : socialisme ou barbarie. Nous sommes loin de faire la révolution, en attendant ne faut-il pas lutter pour des réformes ? La lutte est nécessaire et il ne faut pas s’y tromper, pas pour obtenir des réformes durables, impossibles à arracher aujourd’hui, mais pour se défendre, résister aux attaques du capitalisme et pour que chaque action soit le résultat d’une réflexion collective afin d’oeuvrer au renforcement de la classe ouvrière, non dans un cadre national, mais dans un cadre international. Quel est le rôle des minorités révolutionnaires ? Doivent-elles se concevoir comme des chefs ? La réponse est non. Les minorités ont une responsabilité: donner une direction politique à la lutte : dénoncer les pièges que nous tend la bourgeoisie et mener un débat au sein de la classe ouvrière pour l’amener à se clarifier sur ses perspectives révolutionnaires. Cette discussion doit continuer, le développement de la lutte de classe va amener les minorités les plus conscientes à agir. Approfondir cette question doit être le thème central d’une prochaine rencontre.

Vie du CCI: 

  • Réunions publiques [18]

Récent et en cours: 

  • Crise économique [9]

Débat sur la violence (II) : il est nécessaire de dépasser le faux dilemme : pacifisme social-démocrate ou violence minoritaire

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[Nous continuons ici le débat sur la violence qui s’est déroulé sur notre site web en espagnol et en français suite à notre article sur les sabotages des voies ferrées de la SNCF1.]

Le 12 décembre dernier, un de nos lecteurs écrivait un commentaire2 qu’on peut lire, en espagnol, à la suite de notre article « Sabotage des lignes SNCF : des actes stériles instrumentalisés par la bourgeoisie contre la classe ouvrière ». Ce camarade pense que la seule motivation d’un tel article de notre part ne peut être que « de se démarquer de ces actions, en attaquant ceux qui ont été arrêtés et en adressant un message haut et clair à l’État : ce n’est pas nous, nous ne sommes pas des terroristes, pourvu qu’on ne prenne pas des coups » et que nous aurions agi comme « un regroupement de vieilles femmes terrorisées par le bruit des bottes des chiens de l’État ».

Contrairement à ce que pense cet intervenant, le but de l’article n’était pas du tout « d’attaquer les inculpés », mais de dénoncer l’infâme manœuvre de l’Etat français qui a utilisé les 10 personnes inculpées pour déchaîner une de ses habituelles campagnes contre la lutte ouvrière et l’activité des révolutionnaires. L’article se proposait, en particulier, d’alerter sur des pratiques parfois menées avec toute la meilleure foi du monde, mais que l’État instrumentalise en sous-main pour des objectifs qui sont à l’opposé des intentions de ceux qui mènent ces actions3

Ce camarade affirme « Je ne m’attends pas à ce que le CCI laisse tomber ses positions sur la violence, mais qu’il les expose avec clarté et soit prêt à en débattre ». Nous sommes pleinement d’accord avec cette proposition. Nous allons donc exposer notre position avec la volonté d’ouvrir un débat qui ne doit pas rester un échange entre nous et ce camarade mais qui, au contraire, est ouvert à tous avec l’objectif de dégager une synthèse qui nous permette de chasser les confusions et les insuffisances d’explication.

La situation actuelle et le faux dilemme dans lequel la bourgeoisie voudrait piéger les luttes ouvrières : pacifisme social-démocrate ou violence minoritaire.

Le débat sur la violence est une question brûlante, pleinement à l’ordre du jour. La lutte du prolétariat est violente, mais quels sont les moyens qui la servent ? Comment se construisent ces moyens ? Est-ce que toutes les formes de violence sont valables ? Et pour être plus concrets : les actions de violence minoritaire menées par des groupes isolés et spécialisés représentent-elles une contribution à la lutte prolétarienne ? 4

La situation actuelle est caractérisée par une maturation lente et difficile de la lutte ouvrière. Même si on est en train de vivre des expériences significatives dont il faudra tirer les leçons – en Grèce, en France, en Allemagne - nous n’avons pas encore assisté à des mouvements massifs de lutte où des expériences concrètes de violence prolétarienne aient pu se produire, pour pouvoir vraiment se prononcer sur ces expériences et bien les différencier de la violence venant d’autres couches sociales. Cependant, contribuer à la préparation de ces mouvements massifs et, plus concrètement, à ce qu’en leur sein, la violence de classe soit posée dans le sens de la classe, implique la réappropriation de l’expérience historique du prolétariat sur ce terrain, débat auquel nous invitons ce camarade mais aussi tous ceux que cela intéresse5.

La combativité ouvrière se déploie lentement et péniblement au milieu d’un énorme dispositif de la bourgeoisie – et surtout des syndicats – pour la saboter. Plus concrètement, nous assistons à une tentative idéologique de la bourgeoisie pour piéger les ouvriers dans un faux dilemme que nous pourrions formuler ainsi : « Si tu veux lutter massivement, va aux manifestations pacifistes et légalistes des syndicats, toutes bien situées sur le terrain réformiste, de soutien aux alternatives bourgeoises de gestion de la crise, avec des slogans tels que "les banquiers doivent payer", etc. Mais, attention, si tu es contre ça, il ne te reste que le moyen des actions minoritaires radicales d’affrontement isolé avec la police ».

On pourra rétorquer qu’il est faux de prétendre que la bourgeoisie ait monté un tel dilemme : elle montre une « grande indignation » vis-à-vis des « actes de vandalisme » des jeunes prolétaires grecs en les montrant du doigt comme des ennemis pires que les terroristes. Mais, au-delà des réactions subjectives de tel ou tel bourgeois, n’est-il pas suspect que la bourgeoisie grossisse et souligne à grands traits chaque fois les actes d’affrontements minoritaires avec la police, en occultant soigneusement l’iceberg dont ils ne sont que la pointe : l’existence d’une agitation sociale exprimée dans des manifestations massives de travailleurs, de jeunes, d’étudiants, d’enseignants etc., les assemblées générales, les grèves, les initiatives spontanées des groupes d’ouvriers ?

Et au-delà de ce que voudrait la bourgeoisie, devons-nous, ouvriers, choisir entre ces deux termes ? Le choix serait-il : manifestation pacifique massive ou action radicale minoritaire ? N’est-ce pas là un piège que le prolétariat devra faire sauter pour retrouver son propre chemin de lutte de classe qui n’a rien à voir ni avec le pacifisme social-démocrate ni avec la violence minoritaire ? 6

Il existe beaucoup de formes de violence

Pour comprendre de quelle manière le prolétariat peut développer sa propre violence de classe, il est nécessaire d’aborder la question de la violence, sans prétendre ici en faire une analyse générale7. Nous allons exposer quelques réflexions que nous pensons nécessaires pour entamer un débat.

La violence est un élément de base dans la société de classe. Celle-ci ne peut pas fonctionner sans violence, de la même manière qu’elle ne pourra être abolie que par la violence. La paix est impossible dans les sociétés de classe. Quand on parle de « paix sociale », on parle, en vérité, de la soumission et de l’atomisation des travailleurs livrés à la violence de l’État bourgeois et des rapports capitalistes de production.

Cependant, de cette vérité, valable pour toutes les sociétés de classe, on tire souvent une conclusion erronée : on met la violence au niveau d’un concept abstrait, intangible, indépendant de l’histoire et des classes sociales. Comme nous le disions dans la Revue Internationale nº 14 « Dire et redire cette tautologie “violence = violence” et se contenter de démontrer que toutes les classes en usent, pour établir sa nature identique, est aussi intelligent, génial, que de voir une identité entre l’acte du chirurgien faisant une césarienne pour donner naissance à la vie et l’acte de l’assassin éventrant sa victime pour lui donner la mort, par le fait que l’un et l’autre se servent d’instruments qui se ressemblent : le couteau exerçant une action sur un même objet : le ventre, et recourant à une même technique apparemment fort semblable : celle d’ouvrir le ventre. »

Nous devons faire la différence. La violence des classes exploiteuses n’est pas la même que celle des classes exploitées. Tout au long de l’histoire, la violence et ses formes ont évolué, ont eu des expressions différentes. Et une même classe sociale adopte tout au long de sa trajectoire historique des moyens et des formes de violence différents.

Faire cette analyse est essentiel pour mener à bien le débat qui nous occupe, parce qu’autrement on s’embarquerait dans une discussion stérile et totalement éloignée des vrais problèmes, du genre « tout est violence », « à la violence, il faut répondre par la violence », « si tu n’est pas pour la violence en soi, c’est parce que tu est un pacifiste » et ainsi de suite avec des arguments qui ne mènent nulle part.

La violence de la bourgeoisie et la violence du prolétariat sont radicalement différentes. Non seulement elles ne poursuivent pas les mêmes buts, mais elles n’utilisent pas les mêmes moyens, elles n’ont pas les mêmes formes ni la même expression. C’est une erreur de les identifier parce que dans les deux cas, on pourrait toujours isoler le même élément chimique dans leur composition : la violence en général.

La violence du prolétariat et la violence de couches petites bourgeoises ne sont, elles non plus, pas identiques, ni même comparables. Le prolétariat n’identifie pas la violence de ces couches avec la violence de la bourgeoisie et, par ailleurs, il ressent de la sympathie et de la solidarité pour elles en essayant de les gagner à sa cause. Mais cela n’empêche que le prolétariat rejette catégoriquement les formes et les moyens de violence de ces couches, qui n’ont rien à voir avec sa propre violence de classe.

Violence de la bourgeoisie et violence du prolétariat

La violence de la bourgeoisie est basée sur la terreur. Il est évident que la terreur des États ouvertement dictatoriaux n’est pas la même que celle des États démocratiques. Dans ces derniers, l’État donne la primauté aux moyens politiques et psychologiques sans pour autant renoncer à un vaste arsenal de répression physique aussi bien légale qu’illégale, aussi bien en les confiant à des corps d’État spécialisés qu’à des bandes « privées ». Il va de soi, en plus, que la bourgeoisie n’hésite pas à recourir au terrorisme comme arme pour régler ses conflits internes ou impérialistes, mais aussi comme moyen pour intimider et réprimer le prolétariat. La violence de la bourgeoisie est prise en charge par des corps spécialisés, elle est minoritaire, elle cherche à diviser et à affronter les prolétaires, elle essaye de provoquer chez eux des sentiments de paralysie, de soumission et de docilité ; elle encourage les sentiments les plus destructeurs et irrationnels : le nationalisme, le racisme, la xénophobie, la haine...

La violence du prolétariat peut-elle être de la même nature ? Le camarade souligne d’ailleurs : « Est-ce que cela veut dire que toute forme de violence utilisée par des prolétaires, est en elle-même bonne ? NON. La violence en tant que tactique doit être en accord avec la fin qu’elle sert. Le but des révolutionnaires est celui de renverser l’État capitaliste, et la seule manière réelle d’y parvenir, c’est de rendre possible le changement dans le rapport de forces entre les classes. Pour cela, le prolétariat doit, à travers sa lutte, prendre conscience de ce qu’il est historiquement et agir en conséquence. Ce processus ne peut être mené à bien qu’en élargissant l’auto-organisation et l’unité de la classe ouvrière. Toute tactique qui contribue à l’auto-organisation et à l’unité de la classe ouvrière est par conséquent révolutionnaire. Est-ce que la grève et le sabotage, par exemple, peuvent être révolutionnaires ? : Oui, s’ils contribuent à une telle fin et s’ils ne la bloquent pas. »

Le camarade reconnaît que la violence du prolétariat ne peut pas être en contradiction avec la fin révolutionnaire pour laquelle il lutte. Il affirme aussi que la violence prolétarienne doit contribuer à son auto-organisation et son unité. Nous sommes pleinement d’accord avec cela. Le problème, cependant, c’est quand ce camarade réduit la violence à une question de tactique ou quand il met sur le même plan la grève et le sabotage.

Présenter la violence comme une tactique, c’est la transformer en une espèce d’instrument que nous pourrions utiliser de façon optionnelle, ça signifie qu’on la considère sous l’angle le plus superficiel : on voit le pistolet, le couteau, le heurt physique, mais pas qui s’en saisit et l’empoigne et dans quel contexte général il le fait. Voilà la question essentielle qui permet de comprendre la nature radicalement différente et totalement antagonique entre la violence des autres classes et celle du prolétariat : « La lutte du prolétariat, comme toute lutte sociale, est nécessairement violente mais la pratique de sa violence est aussi distincte de la violence des autres classes comme sont distincts leurs projets et leurs buts. Sa pratique, y compris la violence, est l’action d’immenses masses et non de minorités ; elle est libératrice, l’acte d’accouchement d’une société nouvelle harmonieuse, et non la perpétuation d’un état de guerre permanent, chacun contre tous et tous contre chacun. Sa pratique ne vise pas à perfectionner et perpétuer la violence mais à bannir de la société les criminels agissements de la classe capitaliste et l’immobiliser. (...) Sa force invincible ne réside pas tant dans sa force physique et militaire et encore moins dans la répression, que dans sa capacité de mobiliser ses larges masses, d’associer la majorité des couches et classes travailleuses non prolétariennes à la lutte contre la barbarie capitaliste. Elle réside dans sa prise de conscience et dans sa capacité de s’organiser de façon autonome et unitaire, dans la fermeté de ses convictions et dans la vigueur de ses décisions. Telles sont les armes fondamentales de la pratique et de la violence de classe du prolétariat ».8

Sabotage et grève ne sont pas la même chose et partent de pratiques de classe différentes9. La grève contient deux éléments qui ne sont pas comparables. D’un coté, elle possède un potentiel libérateur qui donne au prolétariat une force considérable : l’union, la solidarité, l’initiative commune, le dépassement de la concurrence et de la division entre ouvriers. D’un autre coté, elle possède un élément de pression, l’arrêt de la production. Ce deuxième élément est inévitable, fait partie de la société de classe de laquelle le prolétariat ne peut pas s’abstraire.

Mais le plus important est le premier élément. Le camarade critique comment les syndicats dénaturent les grèves et il a tout à fait raison. Mais d’où vient ce détournement ? Justement, il réside dans le fait qu’on nie et qu’on détruit le premier élément, celui qui donne la force du prolétariat, et on n’admet que le second, de sorte que les syndicats réduisent la grève à une simple paralysie de la production, que les travailleurs partent chez eux ou au bar du coin. Ils la transforment en un simple instrument tactique destiné à « faire pression » sur les patrons. La bourgeoisie octroie le « droit de grève » pour le frelater en le rabaissant à une simple protestation, à une simple pression contractuelle « entre associés qui négocient ».

Avec cette amputation, la grève finit par ressembler au sabotage. Les deux sont des moyens de pression. Mais la pression ou la nuisance des uns envers les autres ne sont pas des moyens révolutionnaires ni libérateurs mais des aspects les plus quotidiens de la vie sous le capitalisme et qui participent activement à sa reproduction. Les États sont des maîtres en matière de sabotage pour contrer les rivaux, les entreprises exécutent des coups bas en tout genre. La violence du prolétariat veut dire force, imposition, coups, mais par d’autres moyens radicalement différents et qui contiennent en eux-mêmes une perspective de libération de l’humanité : c’est la violence de la massivité, de l’unité, de la solidarité, de l’exercice de la capacité à réfléchir ensemble et de prendre des décisions collectivement, d’agir en tant que classe auto-organisée qui sait imposer avec force ses objectifs.

La conception mécaniciste, parfaitement superficielle, ne voit de la violence que quand il y a des heurts physiques, des cocktails Molotov, des assauts, des destructions... Par contre, la massivité, la solidarité de classe, l’auto-organisation, tout cela ne leur apparait pas comme de la « violence » parce qu‘en apparence c’est « pacifique », ce serait une espèce de « pacifisme genre Gandhi ».

La violence est bien plus que des tirs, des affrontements ou des bombes, c’est essentiellement un changement dans le rapport de forces entre les classes. La violence pour le prolétariat est une question politique : comment établir un rapport de force contre la classe capitaliste et son État de telle sorte qu’il puisse résister à leurs attaques et passer à l’offensive jusqu’à leur abolition définitive ?

Lorsque les ouvriers parviennent à s’unir, ils dépassent la violence du capital qui les réduit à l’atomisation, ils imposent la violence de leur action en tant que classe unie. Lorsque les ouvriers arrivent à étendre leur lutte, ils sont en train de vaincre la division avec laquelle le capital les enchaîne par entreprise, secteur, catégorie ; ils mettent en avant ce qui remet le plus en cause cette société bâtie sur la concurrence et sur les coups portés les uns contre les autres : la solidarité. Lorsque les ouvriers s’organisent en Assemblées générales et développent leurs propres réseaux d’unification, ils font éclater le carcan de fer des syndicats qui les maintiennent dans la passivité, la dispersion et la désorganisation, et ils expriment le défi d’une classe organisée. Lorsque les ouvriers discutent, réfléchissent et décident collectivement, ils sont en train de vaincre la violence quotidienne qui fait d’eux des êtres perdants, grégaires, enfermés dans leurs problèmes, ils soulèvent une force qui oppose à l’Etat sa propre alternative.

Ce processus n’a rien de pacifique. Premièrement, parce qu’il implique l’existence d’initiatives d’affrontement, de défense et d’attaque, ce qui requiert à tout moment des moyens adéquats. Deuxièmement, parce qu’on doit affronter la répression de l’Etat bourgeois, qui emploie toute sorte de moyens, des balles et des gaz lacrymogènes jusqu’aux provocations et les pièges en tous genres, en passant par les plus destructrices : les campagnes de calomnie, de lynchage moral et physique, la haine... Face à cela, la plus grande violence que le prolétariat puisse exercer contre le capital, c’est sa capacité à s’affirmer en tant que masse unie, solidaire, consciente de sa mission et de sa force, prête à lutter jusqu’au bout et à accueillir en son sein les autres classes non exploiteuses de la société. Cette détermination, cette fermeté est celle qui crée les bases pour mener à bien la tâche de détruire l’État, où l’insurrection joue un rôle décisif.

Dans le prolétariat, ce n’est pas la violence qui produit la conscience mais c’est la conscience qui utilise et recourt à des moyens violents, en fonction de l’évolution de la lutte.

La violence du prolétariat est consciente. Le camarade croit que, parce que nous mettons en garde le prolétariat face au danger de provocation et à la présence des provocateurs, nous lui nierions son « droit à se défendre » : « Si demain mes camarades de travail et moi-même, nous sortons manifester dans la rue et nous répondons aux provocations policières ou à l’attaque directe de la police, serions-nous qualifiés par le CCI de provocateurs policiers ? Est-ce que nous, les ouvriers, n’avons pas le droit de nous défendre face aux attaques de l’Etat bourgeois et de sa police ?, Est-ce que nous n’avons pas le droit de contre-attaquer nos ennemis ? Parce que si le CCI ou n’importe quelle autre organisation nous refusent ce droit, elle ne fait que nous livrer pieds et poings liés à la répression ».10

Bien sûr qu’il faut se défendre ! Et que ce soit clair, bien sûr qu’il faut passer à l’offensive ! Mais ceci doit se faire consciemment et non pas en agissant comme un taureau qui court derrière tout ce qui bouge.

Le camarade dit : « je ne crois pas que nous devrions nous préoccuper autant de ce que l’État fait (nous savons très bien comment il va riposter), mais nous devrions nous occuper surtout de ce que notre classe fait ou ne fait pas ». Nous ne sommes pas d’accord avec cette idée : le prolétariat a besoin de connaître la politique de la bourgeoisie et d’avoir pleinement conscience de ses manœuvres, de ses campagnes, etc., pour ainsi apprendre à les anticiper et les démonter. Nous ne devons pas tomber dans les mêmes souricières dans lesquelles l’État essaye continuellement de nous faire tomber ! Cette capacité à comprendre comment la bourgeoisie agit et manœuvre est une des composantes de base de l’action consciente du prolétariat. Le prolétariat est une classe historique. Il n’est pas comme ses frères en souffrance qui l’ont précédé, les esclaves et les serfs qui étaient capables de se révolter, mais qui ne pouvaient pas mener à leur terme une lutte consciente.

L’histoire du prolétariat est remplie de provocations que la bourgeoisie a tendues à notre classe et qui ont été parfois un facteur important de défaite. En Autriche en 1919, au moment où il y avait une possibilité d’extension de la révolution depuis la Hongrie où elle avait triomphé, la bourgeoisie envoya un agent provocateur qui entraîna une partie du jeune parti communiste dans une insurrection prématurée et mal préparée qui contribua à arrêter la maturation d’une possible insurrection massive. La bourgeoisie allemande provoqua le prolétariat de Berlin en janvier 1919 pour l’amener à un affrontement prématuré qui lui permit de défaire les travailleurs paquets par paquets, d’abord à Berlin, puis à Brême, plus tard à Hambourg, en Bavière ensuite, etc.

Pour paraphraser notre camarade, oui, le prolétariat « a le droit » de connaître et de se réapproprier sa propre histoire pour ainsi éviter de retomber dans les pièges et les provocations que la bourgeoisie lui a déjà tendus dans le passé.

Violence des couches petites-bourgeoises et violence du prolétariat

Le prolétariat cohabite avec d’autres couches sociales : petite-bourgeoisie, marginaux urbains, etc. Ces couches sociales ne sont pas des ennemis du prolétariat. Celui-ci doit les gagner à sa cause, parce que cela peut rendre plus efficace la violence qu’il peut opposer à l’État en l’isolant socialement, ce qui est une condition préalable pour mener à bien l’assaut contre lui et sa destruction révolutionnaire.

Or, pour gagner ces couches, il est crucial que le prolétariat affirme son propre terrain de classe, ses propres méthodes de lutte, sa propre organisation et sa propre perspective révolutionnaire.

Ce n’est pas le prolétariat qui doit descendre sur le terrain confus, désespéré et interclassiste de ces couches sociales, mais ce sont celles-ci qui doivent être hissées sur le terrain de classe, révolutionnaire et libérateur, propre au prolétariat.

Cette position n’est pas seulement valable pour ce qui concerne les revendications sociales et politiques, elle concerne aussi les méthodes de violence et l’action de ces couches sociales. Les couches marginalisées urbaines expriment leur violence par le biais d’explosions massives de rage et de désespoir telles des flambées spectaculaires qui s’éteignent rapidement. Les couches petites-bourgeoises désespérées, quant à elles, tendent à faire des actes de sabotage et de terrorisme organisés en groupes minoritaires.

Le prolétariat n’a pas à se perdre dans ce genre de violence stérile qui n’est que l’expression des couches sans avenir historique. Il doit faire le contraire : gagner ces couches sociales non exploiteuses à la violence révolutionnaire, massive et consciente.

Le prolétariat doit exprimer de la sympathie et de la solidarité aussi bien vis-à-vis des couches petites-bourgeoises désespérées que des marginaux des villes. Mais cela ne doit jamais le porter à accepter comme siennes les méthodes de combat chaotiques et sans avenir pratiquées par ces couches sociales. Ceci est particulièrement important vis-à-vis des groupes et des mouvements – comme cette mouvance « autonome » - qui se revendiquent de « principes » fumeux, qui, dans le meilleur des cas se trouvent à osciller entre la bourgeoisie et le prolétariat et qui, en fait, brandissent comme le « principe des principes » la pratique d’une violence minoritaire radicale11.

D’habitude, on donne trois arguments pour spéculer sur une prétendue « contribution » à la lutte ouvrière de la part de ces mouvements pratiquant la violence minoritaire :

1) ils « cassent la paix sociale », ce qui aiderait le prolétariat à prendre conscience et à se lancer dans la lutte ;

2) ils peuvent livrer les combats « préliminaires » dans l’affrontement violent avec l’État bourgeois ;

3) ils développent un travail « d’avant-garde », sur le terrain militaire, en ce qui concerne l’organisation de la violence armée.

Examinons ces arguments.

1º) Ces actions « ne brisent pas la paix sociale », mais, au contraire, elles la renforcent. Au-delà de la sympathie possible que le prolétariat pourrait ressentir pour certains de ces éléments qui se révoltent contre l’oppression existante, le caractère minoritaire et isolé de ce genre d’actions renforce les sentiments d’atomisation, d’isolement, répandent davantage l’impuissance et la passivité que la révolte et la mobilisation. Par ailleurs, quel genre de conscience peut développer ces « actions exemplaires de force » ? La conscience prolétarienne vient de l’expérience collective de lutte, de la compréhension, par le débat, de la situation, de la préoccupation de l’avenir et aucunement du « bruit » que de telles actions pourraient faire. Est-ce que le prolétariat est une masse de moutons à laquelle quelques « héros » doivent montrer « comment lutter » ?

2°) Tout le processus qui va des luttes de résistance jusqu’à l’insurrection révolutionnaire internationale doit être assumé collectivement par le prolétariat et personne ne peut le remplacer dans aucun de différents aspects ou phases. Le substitutionnisme est la vision qui consiste à prétendre qu’une minorité peut livrer et préparer les combats armés « préliminaires » à la révolution. Le substitutionnisme –dans toutes ses manifestations12- ne fait que fomenter la passivité et la démobilisation du prolétariat en le menant à une subordination à une minorité qui se prétend « éclairée », quand elle n’est pas « illuminée », ou « armée ».

3º) La violence, encore une fois, ce n’est pas quelque chose de technique, spécifique, extérieur à la lutte de classe du prolétariat, mais c’est son expression-même face à l’Etat bourgeois, c’est la classe elle-même en lutte, massive et auto-organisée, ce qui veut dire déjà violence contre l’État bourgeois, ce qui implique un défi contre l’ordre établi. De ce point de vue, même si le prolétariat crée des détachements « spécialisés », tels que les piquets de lutte, les patrouilles de contrôle, la garde rouge dans le cas des révolutions russes de 1905 et 1917, il le fait après une décision collective et sous contrôle collectif des assemblées générales et des Conseils ouvriers. Ainsi, par exemple, le Comité militaire révolutionnaire qui dirigea l’insurrection d’Octobre 1917 était un organe créé par les Soviets en septembre 1917 et dans lequel participaient des bolcheviques, des anarchistes internationalistes, des socialistes-révolutionnaires et même des mencheviques !

Le prolétariat n’a rien à espérer de la pratique, et moins encore des principes - généralement inexistants - des couches sociales sans avenir. Ce sont, au contraire, les éléments individuels se détachant de ces couches qui doivent se joindre à la lutte du prolétariat s’ils veulent avoir un avenir.

CCI 23-12-08

 


1 "Débat sur la violence (I) [22]", Révolution Internationale n° 398 - février 2009.

2 Voir ce commentaire et d’autres aussi bien sur les pages en espagnol qu’en français de notre site.

3 Sans aller chercher bien loin, les lecteurs peuvent s’en convaincre en lisant dans notre article la reproduction d’une partie de l’interview faite à un expert en manipulations et provocations bourgeoises : l’onorevole Cossiga, plusieurs fois ministre (notamment de l’Intérieur et de la Défense), premier ministre et ancien président de la République italienne.

4 Il faut préciser que des affrontements avec la police des groupes de travailleurs ou d’étudiants – même minoritaires - et l’organisation d’actions de violence de la part des groupes minoritaires spécialisés ne sont pas du tout la même chose.

5 Ce camarade dit « Lors de la révolution russe, les révolutionnaires n’ont pas pris d’assaut le palais d’hiver avec des sucettes, et lors de la révolution allemande, les ouvriers ne défendaient pas les barricades à Berlin avec des bonbons ». Il a tout à fait raison. Aussi, nous l’invitons à réfléchir sur les différentes contributions que nous avons faites sur ce sujet. Entre autres, par exemple, « La révolution d'Octobre 1917 : oeuvre collective du prolétariat [23] », Revue internationale nº 72, en particulier le chapitre « L'insurrection, oeuvre des soviets », et aussi « La révolution russe : l'insurrection d'Octobre, une victoire des masses ouvrières [24] » (plus spécialement le chapitre « Le prolétariat prend le chemin de l'insurrection ») Revue internationale nº 91.

6 Quand on parle de manifestation massive, on pense immédiatement à quelque chose de légal, pacifique, bien ordonné, parfaitement contrôlé. Rien de plus faux : les véritables manifestations ouvrières requièrent la rupture avec l’encadrement syndical, l’organisation des piquets de vigilance et, le cas échéant, l’affrontement avec la police. Tout ça n’a rien à voir avec une quelconque « paix » ou légalisme. Et de la même manière, une assemblée ouvrière n’est pas une mer calme. Il faut y affronter la police syndicale, organiser des actions de défense, la réquisition de locaux, etc. L’initiative récente d’un secteur d’ouvriers et d’étudiants grecs estsont là pour le démontrer. Voir « Grèce : une déclaration de travailleurs en lutte [25] »

7 Nous avons déjà fait des analyses générales sur cette question : voir Revue internationale nº 14 « Terreur, terrorisme et violence de classe [26] » et Revue Internationale nº 15 « Résolution sur la terreur, le terrorisme et la violence de classe [27] ». Sauf indication particulière, les citations dans la suite de cet article sont tirées de ces deux articles.

8 “Résolution sur : TERRORISME, TERREUR et VIOLENCE de CLASSE [27]”, dans Revue internationale nº 15, 1978.

9 Pour éviter tout malentendu nous voulons faire trois éclaircissements préalables : 1 : , le sabotage n’a rien à voir avec le terrorisme ; 2, ,: nous n’excluons pas qu’à certains moments de la lutte prolétarienne, des moyens de sabotage soient nécessaires contre ses ennemis; 3: , nous comprenons que certains éléments ouvriers minoritaires le pratiquent comme expression de désespoir et de rage, surtout individuels.

10 Récemment -–en 2007- les ouvriers égyptiens nous ont donné une démonstration de défense consciente contre la police : ils avaient occupé une usine ; on les a avertis que la police arrivait pour les en déloger ; ils ont téléphoné avec des portables à des ouvriers d’autres usines, aux voisins de leurs quartiers, aux femmes, etc. Une heure après l’arrivée de la police, celle-ci, surprise, s’est retrouvée encerclée par une foule de gens que ne faisait que grandir... Lors de la grève générale de Vigo en 2006, en apprenant que des camarades étaient arrêtés dans le palais de justice, plus de 10 .000 ouvriers s’y sont concentrés tout autour avec la menace de le prendre d’assaut. Voir Révolution Internationale n° 380, juin 2007 : "Grèves en Egypte : la solidarité de classe, fer de lance de la lutte [28]", Internationalisme n° 326, juin 2006 : "Grève de la métallurgie à Vigo en Espagne : une avancée dans la lutte prolétarienne [3]".

11 Ce camarade affirme « qu’il faut savoir différencier ; ou alors, est-ce qu’on mettrait sur le même plan l’ETA et le MIL, Max Hölz et Michael Collins ? Sincèrement, je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un de si borné. Et j’imagine que même le CCI se serait assis avec le MIL et Max Hölz, et il aurait mis les autres dans le camp qui est le leur, celui de la bourgeoisie». Pour rester dans le cas du MIL, Révolution Internationale, parmi les groupes initiaux du CCI, discuta avec les camarades du MIL et il montra sa solidarité envers Puig Antich, lorsque celui-ci fut assassiné par l’Etat franquiste. Le MIL était animé par des positions prolétariennes, mais celles-ci étaient contaminées par des positions erronées comme celle de la violence substitutioniste. Avec le MIL, le débat était possible. Ceci dit, le camarade a raison de différencier : le MIL ou Max Hôlz n’ont effectivement rien à voir avec l’ETA ou d’autres groupes terroristes qui ne sont, eux , que des représentants nationalistes d’une fraction de la bourgeoisie luttant avec ces moyens-là contre une autre. D’ailleurs, le terrorisme est fondamentalement, comme nous le disons, une méthode typiquement utilisée dans la lutte entre fractions nationalistes de la bourgeoisie.

12 On a souvent une vision bien restrictive et réductionniste du substitutionnisme, qui se limiterait à l’idée de la social-démocratie selon laquelle c’est le parti qui prend le pouvoir au nom de la classe ouvrière et lui “injecte” la consciente de l’extérieur. Il y a d’autres substitutionnismes tout aussi nuisibles comme celui des minorités « armées » qui prétendent « réveiller » la classe ou, de l’extérieur aussi, « préparer son combat armé ».

Récent et en cours: 

  • Terrorisme [29]

Epreuves de force dans le Caucase : une voix internationaliste en provenance de Russie

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Une série de réunions publiques sur la guerre en Géorgie a eu lieu mi-février en Allemagne. Vadim Damier du KRAS (Fédération des Travailleurs de l'éducation, de la science et de la technique), de Moscou, a présenté des exposés à Völklingen, Landshut, Kirchheim, Offenbach sur le Main, Mayence, Nottuln, Münster, Neu-Isenburg, Trèves et Hanovre. La réunion publique à Hanovre du 13 février 2009 était organisée par le DFG-VK (Deutsche Friedensgesellschaft – Vereignite KriegsdienstgegnerInnen). (association d’objecteurs de conscience). Environ une cinquantaine de participants étaient présents à cette réunion pour s'informer de la situation, poser ses questions et pour écouter une voix internationaliste en provenance de Russie contre la guerre.

Dans le texte d'introduction, le KRAS de Moscou a expliqué que « comme partout et comme toujours dans les conflits entre États, il n'y a pas de côté juste dans cette nouvelle guerre au Caucase. » Et les organisateurs de la réunion publique ont ajouté que « Vadim Damier et sa fédération s'opposent au nationalisme de toutes les parties en présence. »

La situation dans le Caucase

Dans son exposé, Vadim Damier a caractérisé la situation au Caucase comme une poudrière pouvant exploser à tout instant. Il a rappelé comment l'URSS jusqu'en 1989 a constamment cherché à entretenir et simultanément à geler les conflits en ce lieu, afin de monter les différentes communautés nationales les unes contre les autres pour les maintenir sous son contrôle. La pacifique concorde des républiques soviétiques formait ainsi plus une apparence qu'une réalité. L'effondrement de l'Union soviétique au début des années 1990 a ranimé les vieux conflits nationalistes en sommeil. La Géorgie a déclaré son indépendance et a adopté une nouvelle constitution en tant qu'État unitaire, ce qui a poussé en retour les minorités non-géorgiennes, soutenues par la Russie, à réclamer la leur. Cela a fourni l'occasion à Moscou de se poser comme « médiateur » entre le gouvernement de Tiflis et les séparatistes et d’imposer la présence des « troupes de paix » russes stationnées en Géorgie. Le Kremlin considère le Caucase comme un point décisif pour la stabilisation de sa propre fédération. Sa présence en Ossétie du Sud et en Abkhazie renforce aussi sa position par rapport à la Tchétchénie et au Caucase du Nord.

De plus, il y va dans ce conflit d'intérêts liés à l'énergie, parce qu'il passe là, ou sont en construction, des pipelines qui contournent la Russie. Ce qui correspond aux intérêts de l'Europe occidentale dont les gouvernements veulent éviter une dépendance trop forte et unilatérale par rapport à des livraisons énergétiques russes. Pour les États-Unis, il s'agit encore de son hégémonie mondiale. En outre, beaucoup d'argent est en jeu pour toutes les parties. La Russie a ainsi intérêt à faire apparaître les voies de transports traversant des pays comme la Géorgie comme trop dangereux.

Enfin, il y a dans ce conflit des intérêts stratégiques plus globaux. La Russie veut donner un coup d'arrêt à son refoulement hors de ses propres sphères d'influence. À l'époque de la présidence de Chevardnadze dans les années 1990, la Géorgie commençait déjà à jouer franchement la carte pro-occidentale. Tout en visant l'affiliation à l'OTAN, elle était en même temps prête à tolérer la présence des troupes russes sur le territoire national. Cela a été présenté par l'opposition de l'actuel chef d'État Saakaschvili comme une faiblesse. Cela prépara ainsi sa propre prise de pouvoir sur la base d'une position nationaliste radicale. Du fait de la crise économique, de la misère et de la division au sein de son propre parti, la fuite en avant de Saakaschvili s'est accélérée au cours de l'été 2008. En cherchant la confrontation militaire avec la domination russe, il tablait sur le soutien de la puissance protectrice de la Géorgie, l'Amérique. Mais cette puissance protectrice, aux prises à ce moment-là avec ses problèmes particuliers, n'était pas prête à chercher un conflit militaire ouvert avec la Russie. Celle-ci, comptant sur l'aventurisme militaire du gouvernement de Tiflis, s'y était préparée au mieux, de même que les enclaves séparatistes qu'elle soutient.

Toutes les parties en présence ont poursuivi leurs propres intérêts de puissance impérialiste. Il n'y a aucun « côté juste ». Et comme partout dans toute guerre impérialiste, c'est la population de chaque région qui en est la victime.

Les participants de la réunion publique ont voulu savoir, entre autres, quel rôle a joué la constellation des composantes religieuses et ethniques dans la région. Vadim a expliqué que les Géorgiens sont majoritairement des chrétiens orthodoxes, mais avec leur propre église nationale traditionnelle. Les Abkhazes comme les Ossètes sont mixtes religieusement, mais ne sont pas des Géorgiens. Les dirigeants de tous les bords jouent pleinement sur ces différences. Il existe des villages géorgiens dans les enclaves, et inversement, aussi bien que des villages mixtes et de nombreux mariages mixtes. Il a comparé l'actuelle situation tragique à l'ancienne Yougoslavie pendant les guerres des années 1990, où « des nettoyages ethniques » ont également eu lieu et où beaucoup de familles explosèrent pour des raisons ethniques. Il a indiqué que le gouvernement Poutine, critiqué par les occidentaux, a donné exactement la même justification à la guerre que l'OTAN en son temps en Yougoslavie : empêcher le génocide d'un peuple. La partie géorgienne a utilisé de son côté le même argument pour la guerre que celle avancée par Moscou par rapport à la Tchétchénie auparavant : la garantie de l'unité et de l'intégrité nationales.

Le mouvement anti-guerre

En Russie, on ne dispose que de peu d'informations concernant la situation en Géorgie, d'après le camarade. Certes, il y a en Géorgie des pacifistes connus tels « War Resistance Informations ». Cependant, une considérable hystérie guerrière semble y avoir régné parmi la population pendant les opérations militaires. En Russie, ce n'était pas non plus différent. Il y prédomine, comme Vadim Damier l'a appelé, une sorte de « syndrome de Weimar » : la légende d'une « URSS trahie, mais jamais vaincue » qui aurait subi une injustice historique comme l'Allemagne avec le Traité de Versailles à la fin de la Première Guerre mondiale et que « la nouvelle Russie » aurait à venger. Ainsi y a-t-il eu en Russie pendant la guerre une recrudescence des agressions contre des « étrangers » caucasiens.

Parmi la très petite « opposition à la guerre » en Russie se sont trouvés des groupes de l'opposition libérale extraparlementaire qui souhaitent « de bonnes relations avec l'ouest », des vieux staliniens qui « protestent » contre tout ce que fait le gouvernement, tout comme quelques trotskistes peu nombreux qui ont amorcé un rapprochement avec les positions internationalistes. Il a mentionné le forum Internet « Nouveau Zimmerwald ». Le milieu anarchiste a réagi de façon plus ou moins internationaliste. Quelques actions de protestation se sont déroulées dans des villes comme Moscou et Saint-Petersbourg. Celles-ci n'ont attiré que quelques centaines de participants, où à plusieurs reprises des groupes de défense des droits de l'homme surtout ont focalisé l'attention, comme ceux par exemple qui se sont déclarés en faveur du « plan de paix » du président français Sarkozy.

La situation dans l'armée russe

Actuellement, l'armée est réduite à un million de soldats, le service militaire a été ramené de 2 ans à 1 an. L'opposition libérale réclame une armée professionnelle. Vadim Damier a pris position autant contre la professionnalisation de l'armée que contre le service militaire, et rappelé que l'armée professionnelle peut, le cas échéant, être une arme encore plus sûre dans les mains de la classe dominante, surtout contre sa propre « population ». Il a rappelé que lors de la grève des travailleurs de Novotscherkask, en 1962, beaucoup de conscrits avaient refusé de tirer. Le camarade a également décrit le règne des brimades dans l'armée qui sont tolérées, au moins comme moyen de division et de discipline des appelés du contingent. En revanche, les comités des « Mères des soldats » essayent de faire quelque chose contre cela.

Le travail du KRAS

Enfin, le camarade a présenté le travail de son groupe, le KRAS, qu'il a présenté comme un syndicat anarcho-syndicaliste de Moscou, membre de l'Association Internationale des Travailleurs, éditant la revue en russe « Action directe ». Vadim Damier a caractérisé son groupe comme « a-national » et « antimilitariste ». Ainsi, il a déjà adopté une position internationaliste conséquente par rapport aux guerres en Tchétchénie. Par rapport à la guerre en Géorgie, le KRAS a publié une prise de position internationaliste qui a été traduite par d'autres groupes en de nombreuses langues dans le monde (et aussi par le CCI [30]). Tandis que le KRAS représentait jusqu'à présent un groupe interprofessionnel, il essaye maintenant de se développer comme un syndicat pour les scientifiques. En outre, il essaye d'intervenir dans la lutte des classes et de tirer les enseignements des luttes internationales.

L'importance de l'internationalisme et la question de la lutte des classes

Le CCI a salué à cette réunion publique la position internationaliste conséquente du KRAS par rapport à la guerre impérialiste. Nous avons souligné la fermeté de principe des camarades par rapport à cette question, ainsi que leur courage d'être restés fidèles à ce principe fondamental du prolétariat contre toute agitation chauvine depuis autant d'années au vu et au su de tout le monde. Nous avons souligné, comme il est important pour les internationalistes de tous les pays eu égard à la prolifération des conflits militaires et à la domination de l’idéologie impérialiste pro-russe sur ce plan, d'entendre une voix internationaliste en provenance de là-bas. Nous avons souligné que dans cette attitude, ce n'est pas le succès immédiat qui importe. Il s'agit plutôt de parvenir à rester fermement à contre-courant de l’opinion publique y compris de l'atmosphère empoisonnée régnant au sein de sa propre classe, pour être capable de s’opposer la guerre et surtout de se lier aux réactions de classe du prolétariat. Nous avons aussi rappelé comment la révolution s'est développée justement de cette manière à la fin de la Première Guerre mondiale, en Russie mais aussi par exemple en Allemagne. Séparée de la lutte des classes, la lutte contre la guerre menace de glisser dans un mouvement anti-guerre interclassiste et donc impuissant. Par conséquent, nous avons soulevé la question de l’impact de la crise économique pour le développement de la lutte des classes, en Russie aussi bien qu'au niveau international. La lutte internationale de la classe ouvrière par rapport à la crise de l'économie mondiale possède le potentiel de devenir un mouvement en mesure, par un processus de politisation croissant, d'intégrer la question de la lutte contre la guerre.

Vadim Damier a répondu que le chômage s'élève actuellement officiellement à 1,5 million, mais à 7 millions en réalité. D'ici à la fin de l'année, on prévoit officiellement jusqu’à 7 millions de chômeurs. La misère produite par le non-versement des salaires du temps du gouvernement d'Eltsine au début des années 1990 fait en outre une réapparition massive. Ainsi, la population se trouve-t-elle actuellement en état de choc. Il y a eu des « révoltes sociales » dans les États baltes, et il est probable qu'il s'en produira aussi en Russie à l'avenir. Mais en Russie l'idée d'une alternative manque justement, puisque des décennies de stalinisme ont discrédité toute idée d'une possible société sans classes. Ainsi, le danger d'un nationalisme croissant ne peut pas non plus être écarté.

CCI

Vie du CCI: 

  • Correspondance avec d'autres groupes [31]

Géographique: 

  • Russie, Caucase, Asie Centrale [32]

Gaza : la solidarité avec les victimes de la guerre, c'est la lutte de classe contre tous les exploiteurs

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Nous publions ci-dessous la traduction de la prise de position sur les massacres au Proche-Orient et dans la bande de Gaza parue sur notre site internet en anglais dès le 31/12/2008. Les événements ont évolué depuis dans le même sens que notre dénonciation : l'usage systématique d'une terreur brutale contre le population bombardée par les voies terrestres, maritimes et aériennes et l'entrée des troupes israéliennes à Gaza depuis le 3 janvier au soir. Mais nous avons vu aussi, d'un autre côté, se manifester de façon croissante l'indignation de la population mondiale devant le déchaînement de ces atrocités et face à l'hypocrisie des grandes puissances. Un sentiment de solidarité s'est également affirmé envers la population palestinienne qui sert d'otage dans ce conflit entre fractions de la classe exploiteuse. En tant que révolutionnaires, nous dénonçons tous ceux qui prétendent dévoyer cette solidarité de classe sur le terrain pourri du nationalisme, de la défense d'une patrie contre une autre, alors que l'unique moyen pouvant libérer l'humanité de l'impérialisme de la guerre et de la barbarie, est, au contraire, le développement de l'internationalisme révolutionnaire jusqu'à l'abolition de toutes les nations, de toutes les frontières et l'édification d'une véritable communauté humaine : le communisme.

Après deux ans d’étranglement économique de Gaza – sans essence et sans médicaments, bloquant les exportations et empêchant les ouvriers de quitter Gaza pour trouver du travail de l'autre côté de la frontière israélienne–, après avoir transformé l’ensemble de la bande de Gaza en un vaste camp de prisonniers, duquel des Palestiniens désespérés ont tenté de s’enfuir en cherchant vainement à passer la frontière avec l’Egypte, la machine militaire israélienne est en train de soumettre cette région très peuplée, appauvrie, à toute la sauvagerie des ses bombardements aériens. Des centaines d’entre eux sont déjà morts et les hôpitaux déjà débordés ne peuvent faire face au flot continu et sans fin des milliers de blessés. Les déclarations d’Israël disant que l’Etat essaye de limiter les morts civils sont une farce sinistre alors que chaque cible « militaire » est située près des quartiers d’habitations ; et alors que les mosquées et l’université islamique ont été ouvertement sélectionnées comme cibles, que reste-t-il de la distinction entre civils et militaires ? Le résultat est là : des cibles civiles, la plupart des enfants, tués et estropiés, et un plus grand nombre terrifiés et traumatisés à vie par les raids incessants. Au moment où cet article a été écrit, le premier ministre israélien, Ehud Olmert décrivait cette offensive comme une première étape. Les tanks attendaient donc à la frontière et une invasion totale de la bande de Gaza n’était pas exclue.

La justification d’Israël pour cette atrocité –soutenue par l’administration Bush aux Etats-Unis – est que le Hamas ne cesse de tirer des roquettes sur les civils israéliens en violation d’un prétendu cessez-le-feu. Le même argument a été utilisé pour soutenir l’invasion du Liban il y a deux ans. Et il est vrai qu’à la fois le Hezbollah et le Hamas se cachent derrière les populations palestinienne et libanaise et les expose cyniquement à la revanche israélienne, présentant faussement le meurtre d’une poignée de civils israéliens comme un exemple de la « résistance » à l’occupation militaire israélienne. Mais la réponse d’Israël est absolument typique de toute puissance occupante : punir la population entière pour l’activité d’une minorité de combattants armés. L’Etat israélien le fait avec le blocus économique, imposé après que le Hamas ait chassé le Fatah du contrôle de l’administration de Gaza ; il l’a fait au Liban et il le fait avec les bombardements sur Gaza. C’est la logique barbare des guerres impérialistes, dans lesquelles les civils servent pour les deux côtés de boucliers et de cibles, et finissent presque invariablement par mourir en plus grand nombre que les soldats en uniforme.

Et comme dans toutes les guerres impérialistes, les souffrances infligées à la population, la destruction des maisons, des hôpitaux et des écoles, n’a pour résultat que de préparer le terrain à de futurs épisodes de destructions. Le but proclamé d’Israël est d’écraser le Hamas et d’ouvrir la porte à un leadership palestinien plus « modéré » à Gaza, mais même les ex-officiers des services secrets israéliens (au moins un des plus… intelligents) peuvent voir la légèreté d’un tel argument. Au sujet du blocus économique de Gaza, l’ex-officier du Mossad Yossi Alpher déclarait : « Le siège économique de Gaza n’a amené aucun des résultats politiques attendus. Il n’a pas orienté les Palestiniens vers une haine anti-Hamas, mais a été probablement contre-productif. Ce n’est qu’une punition collective inutile. » Cela est encore plus vrai des raids aériens. Comme le dit l’historien israélien Tom Segev : « Irsaël a toujours cru que faire souffrir les civils palestiniens les rendrait rebelles à leurs leaders nationaux. Il est démontré que cette affirmation s'avère encore et toujours fausse. » (les deux citations sont extraites du Guardian daté du 30 décembre 2008). Le Hezbollah au Liban s’est vu renforcé par les attaques israéliennes de 2006 ; l’offensive contre Gaza aura probablement le même résultat pour le Hamas. Mais qu’il soit renforcé ou affaibli il ne pourra continuer à répondre que par d’autres attaques contre la population israélienne, et si ce n’est pas avec des roquettes, ce sera avec des bombes humaines.

La spirale de la violence exprime la décadence du capitalisme

Les leaders mondiaux « concernés » comme le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, ou comme le pape, nous ont ressassé que de telles actions d’Israël ne servent qu’à enflammer la haine nationaliste et à alimenter la « spirale de la violence » au Moyen-Orient. Rien n’est plus vrai : le cycle du terrorisme et de la violence d’Etat en Israël/Palestine brutalise les populations et les combattants des deux côtés et crée encore de nouvelles générations de fanatiques et de « martyrs ». Mais ce que le Vatican et les Nations Unies ne nous disent pas, c’est que cette descente aux enfers dans la haine nationaliste est le produit d’un système social qui est partout en pleine décadence. L’histoire n’est pas différente en Irak où Chiites et Sunnites s’entr'égorgent, dans les Balkans où les Serbes font de même contre les Albanais et les Croates, en Inde et au Pakistan avec les conflits entre Hindous et Musulmans, ou encore en Afrique où la myriade de guerres avec les divisions ethniques les plus violentes serait trop nombreuse à énumérer. L’explosion de ces conflits à travers le monde est l’expression d’une société qui n’a plus de futur à offrir à l’humanité.

Et ce qu’on ne nous dit pas non plus, c’est l’implication des puissances mondiales démocratiques et humanitaires dans ces conflits, et c’est à peine si on entend parler de division entre elles. La presse britannique n’a pas gardé le silence sur le soutien de la France aux gangs meurtriers hutus au Rwanda en 1994. Elle est moins éloquente sur le rôle joué par la Grande-Bretagne et les services secrets américains dans les divisions Chiites/Sunnites en Irak. Au Moyen-Orient, le soutien de l’Amérique à Israël et celui de l’Iran et de la Syrie au Hezbollah et au Hamas sont évidents, mais le rôle de soutien « en sous-main » joué par la France, l’Allemagne, la Russie et d’autres puissances pour leur propre compte n’est pas moins réel.

Le conflit au Moyen-Orient a ses propres caractéristiques et ses causes historiques particulières, mais il ne peut être compris que dans le contexte global d’une machine capitaliste qui est dangereusement hors de tout contrôle. La prolifération de guerres sur toute la planète, la crise économique incontrôlable, et la catastrophe environnementale accélérée font de toute évidence partie de cette réalité. Mais alors que le capitalisme ne nous offre aucun espoir de paix et de prospérité, il existe une source d’espoir dans le monde : la révolte de la classe exploitée contre la brutalité du système, une révolte exprimée en Europe ces dernières semaines dans les mouvements de jeunes prolétaires en Italie, en France, en Allemagne et surtout en Grèce. Ce sont des mouvements qui, par leur nature même, ont mis en avant le besoin de la solidarité de classe et le dépassement de toutes les divisions ethniques et nationales. Ils ont été un exemple qui peut être suivi dans d’autres régions de la planète, celles qui sont ravagées par les divisions au sein de la classe exploitée. Ce n’est pas une utopie : déjà dans les récentes années passées, les ouvriers du secteur public de Gaza se sont mis en grève contre le non-paiement de leurs salaires presque simultanément avec ceux du secteur public en Israël en lutte contre les effets de l’austérité, elle-même produit direct de l’économie de guerre d’Israël poussée à son paroxysme. Ces mouvements n’étaient pas conscients l’un de l’autre, mais ils montrent la communauté objective d’intérêts dans les rangs ouvriers des deux côtés de la division impérialiste.

La solidarité avec les populations qui souffrent dans les zones de guerre du capitalisme ne signifie pas choisir « le moindre mal » ou soutenir la clique capitaliste « la plus faible » comme le Hezbollah ou le Hamas contre les puissances plus agressives comme les Etats-Unis ou Israël. Le Hamas a déjà montré qu’il était une force bourgeoisie d’oppression contre les ouvriers palestiniens –spécialement lorsqu’il a condamné les grèves dans le secteur public comme étant contre les « intérêts nationaux » en quand, main dans la main avec le Fatah, il a soumis la population de Gaza au combat d’une faction meurtrière contre l'autre pour le contrôle de la région. La solidarité avec ceux qui sont pris dans la guerre impérialiste signifie le rejet des deux camps belligérants et le développement de la lutte de classe contre tous les dirigeants et les exploiteurs du monde.

World Revolution, organe du CCI en Grande-Bretagne (31 décembre 2008)

Géographique: 

  • Israel [20]
  • Palestine [33]

Récent et en cours: 

  • Guerre [34]

Grèves en Angleterre : les ouvriers du bâtiment au centre de la lutte de classe

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Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par World Révolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.

On nous dit tous les jours que nous devons nous serrer la ceinture, accepter les suppressions de poste, les diminutions de salaire et de pension de retraites, les cadences accélérées au travail, pour le bien de l’économie nationale, pour l’aider à faire face à la récession qui s’approfondit. A British Airways, ils ont même poussé les ouvriers à travailler pour rien pendant tout un mois, en brandissant la menace du chômage. L’idée de lutter contre ces attaques incessantes se heurte à la peur terrible du chômage et à la campagne médiatique sans fin qui nous dit que la lutte ne peut empêcher nos conditions de vie et de travail d’empirer.

Mais, dans les premières semaines de juin, un événement est venu clairement démontrer que le poids de la passivité et de la peur n’était pas une fatalité. Les travailleurs du métro londonien ont fait grève pour défendre 1000 emplois menacés. Les ouvriers de la Poste à Londres et en Ecosse ont lancé des luttes contre les licenciements, les contrats rompus et les suppressions de postes. Et surtout, au même moment, 900 travailleurs du bâtiment de la raffinerie de Lindsey arrêtaient le travail par solidarité avec 51 de leurs camarades qui étaient licenciés. Cette lutte a explosé dans une série de grèves sauvages par solidarité dans les plus grands sites de construction du secteur énergétique en Grande-Bretagne, quand Total a jeté 640 grévistes le 19 juin. Ces luttes montrent que nous ne devons pas accepter notre « destin ».

Le nationalisme contre les ouvriers et les ouvriers contre le nationalisme

Au début de l’année, les ouvriers de la raffinerie de Lindsey avaient été au cœur d’une vague semblable de grèves sauvages, à propos de licenciements d’ouvriers sur le site. Cette lutte, à ses débuts, était freinée par le poids du nationalisme, symbolisé par le slogan « des jobs anglais pour les ouvriers anglais » et par l’apparition de drapeaux de l’Union Jack dans les piquets de grève. Quelques-uns des ouvriers en grève disaient qu’on ne devait pas employer d’ouvriers étrangers alors que les ouvriers anglais étaient licenciés. La classe dominante a utilisé ces idées nationalistes à plein, exagérant leur impact et en présentant cette grève comme étant contre les ouvriers italiens et polonais employés sur le site. Cependant, il a été mis soudainement et de façon imprévisible fin à cette grève, quand ont commencé à apparaître des banderoles appelant les ouvriers portugais et italiens à rejoindre la lutte, affirmant « Ouvriers du monde entier, unissez-vous » et que les ouvriers polonais du bâtiment ont rejoint les grèves sauvages à Plymouth. Au lieu d’une défaite ouvrière longuement préparée, avec des tensions croissantes entre ouvriers de différents pays, les ouvriers de Lindsey ont obtenu 101 emplois de plus, les ouvriers portugais et italiens gardant leur emploi, gagné l’assurance qu’aucun ouvrier ne serait licencié et sont rentrés unis au travail.

La nouvelle vague de luttes, s’appuyant sur cette bonne dynamique, a pu éclater sur une base d’emblée beaucoup plus claire : solidarité avec les ouvriers licenciés. 51 ouvriers étaient licenciés ou, plus exactement, leurs contrats n’étaient pas renouvelés. Au même moment, un autre employeur embauchait des ouvriers. Les ouvriers licenciés ont été avertis qu’on n’avait plus besoin d’eux par des post-it sur leur carte de pointage ! Cela a suscité une réponse immédiate de la part de centaines d’ouvriers, arrêtant le travail par solidarité. Il y avait le sentiment que ces ouvriers étaient attaqués à cause du rôle qu’ils avaient joué dans la grève précédente. Le 19 juin, Total, le propriétaire du site, prenait la mesure inattendue de licencier 640 grévistes. Il y avait déjà eu des grèves de solidarité dans d’autres usines, mais avec ces nouvelles de nouveaux licenciements, des grèves ont éclaté dans tout le pays. « Environ 1200 ouvriers en colère se rassemblaient aux principales entrées hier, agitant des panneaux qui fustigeaient ‘ les patrons cupides’. Des ouvriers des centrales électriques, des raffineries, des usines dans le Cheshire, le Yorkshire, le Nottinghamshire, l’Oxfordshire, en Galles du Sud et Teesside arrêtaient le travail pour montrer leur solidarité ». (The Independent du 20 juin). Le Times rapportait « qu’il y avait aussi des signes que la grève s’étendait à l’industrie nucléaire, puisque EDF Energy disait que les ouvriers contractuels du réacteur de Hickley Point dans le Somerset avaient arrêté le travail. »

Face à ce mouvement, il est plus difficile pour les médias de jouer la carte nationaliste. Ce serait surprenant que le nationalisme ne pèse pas sur quelques ouvriers et les médias savent comment concentrer l’attention sur eux. Le website de la BBC montre une photo d’un piquet avec des ouvriers tenant une banderole disant : « Mettez les ouvriers anglais d’abord, pas en dernier », tandis que le Guardian du 20 juin interviewait un gréviste qui disait : « Nous n’avons rien contre les ouvriers étrangers en tant que tels, mais nous avons le sentiment qu’ils devraient venir en complément de ce que nous ne pouvons fournir. » Mais les journaux de droite tels que le Times et le Daily Telegraph qui d’habitude utilisent à plein ce genre de sentiments, n’en faisaient aucune mention et se concentraient plutôt sur l’action engagée par Total et le danger que ces luttes ne s’étendent. La classe dominante est extrêmement préoccupée par cette lutte, justement parce qu’elle ne peut pas la dévoyer si facilement dans une campagne nationaliste. Elle a peur qu’elle puisse s’étendre à tout le secteur de la construction en général et peut-être même au-delà. Les ouvriers peuvent voir que si Total arrive à licencier des ouvriers en grève, d’autres patrons prendront la suite. La question de la grève est clairement posée comme une question de classe, qui concerne tous les travailleurs.

La vision de la solidarité avec les travailleurs étrangers confirme la nature de classe évidente de cette lutte. Comme le dit clairement un ouvrier licencié : « Total réalisera bientôt qu’ils ont libéré un monstre. C’est honteux que cela soit arrivé sans aucune consultation. C’est aussi illégal et ça me rend malade. S’ils (Total) s’en tirent, le reste de l’industrie s’écroulera et fera du dégraissage. Les travailleurs seront décimés et les ouvriers non qualifiés étrangers seront embauchés au moindre coût, traités comme de la merde et renvoyés quand le travail sera fini. Il y a une sérieuse possibilité que l’électricité soit coupée à cause de cela. Nous ne pouvons pas rester passifs et voir des ouvriers jetés comme des habits sales. » (The Independent du 20 juin).

Cette indignation des ouvriers est celle de toute la classe ouvrière. Pas seulement à cause de ce que fait Total, mais de toutes les autres attaques qu’ils subissent ou voient. Des millions d’ouvriers sont en train d’être jetés tout à fait comme des déchets par la classe dominante. Les patrons s’attendent à ce que les ouvriers acceptent des réductions de salaire ou même travaillent gratis et qu’ils en soient contents ! Le mépris de Total est celui de toute la classe capitaliste : « Comment les ouvriers osent-ils être si arrogants ? Ils doivent être défaits ! »

La nécessité d’une lutte commune

Quoiqu’il arrive dans les prochains jours, cette lutte a démontré que les ouvriers n’ont pas à accepter les attaques, qu’ils peuvent résister. Plus que cela, ils ont vu que la seule façon de nous défendre nous-mêmes est de nous défendre les uns les autres. Pour la deuxième fois cette année, nous avons vu des grèves sauvages de solidarité. Il y a des rapports qui disent que les grèves de Lindsey ont envoyé des piquets volants au Pays de Galles et en Ecosse. Il y a des sites de construction dans tout le pays, en particulier dans la capitale, où les sites olympiques regroupent un grand nombre d’ouvriers de plusieurs nationalités. Envoyer des délégations sur ces sites, appelant à l’action solidaire, serait le message le plus clair que c’est une question qui concerne le futur de tous les travailleurs, quelle que soit leur origine. Les ouvriers de la poste et du métro de Londres essaient aussi de se défendre contre des attaques similaires et ont tout intérêt à former un front commun.

Le vieux slogan du mouvement ouvrier – travailleurs du monde entier, unissez-vous – est souvent tourné en ridicule par les patrons qui ne peuvent pas voir plus loin que leurs intérêts nationaux. Mais la crise mondiale de leur système rend de plus en plus évident le fait que les ouvriers ont les mêmes intérêts partout : nous unir pour défendre nos conditions de vie et pour mettre en avant la perspective d’une autre forme de société, basée sur la solidarité à l’échelle mondiale et la coopération.

Phil. (21 juin)

Géographique: 

  • Grande-Bretagne [35]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

Honduras: le prolétariat n’a pas de camp à choisir dans un affrontement entre brigands

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Nous publions ci-dessous la traduction d'une prise de position (en date du 12 juillet 2009) d'Internacionalismo, notre section au Venezuela, sur l’affrontement auquel on assiste actuellement au Honduras.

La crise politique qui s’est déchainée au Honduras avec le coup d’État contre le président Manuel Zelaya dimanche 28 juin n’est pas « un coup d'État de plus » dans cette pauvre et petite « République bananière » de 7,5 millions d’habitants. Cet événement a des répercussions géopolitiques importantes et aussi au niveau de la lutte de classe.

Les faits

Zelaya, patron et membre de l’oligarchie hondurienne, a commencé son mandat début 2006. Il était le candidat du parti Liberal du Honduras, la droite. Depuis l’an dernier il a commencé un rapprochement pour obtenir le « label » chaviste du « Socialisme du 21e siècle » ; en aout 2008, avec le soutien de son parti, il a obtenu que la chambre des députés approuve l’incorporation du Honduras à l’ALBA (Alternative Bolivarienne pour l’Amérique Latine et les Caraïbes), mécanisme créé par l’administration de Chavez pour contrecarrer l’influence de l’ALCA (Association de Libre échange pour les Amériques) promue par les États-Unis. Cet accord, très critiqué par certaines fractions politiques et patronales, rendrait plus aisé le paiement d’une facture pétrolière qui représente un poids très lourd sur l’économie hondurienne.

En entrant dans l’ALBA, le Honduras pourrait bénéficier d’un crédit de 400 millions de dollars pour acheter du pétrole au Venezuela qui serait remboursé dans des conditions très avantageuses ; voilà une « aide » importante pour un pays avec un PIB de 11 milliards de dollars selon les données les statistiques de la CEPAL pour 2006, avec un paiement pour l’importation d’hydrocarbures qui a dépassé 30% du PIB, selon la même source. Mais le « Socialisme du 21e siècle » n’est pas un simple label commercial : il exige que les gouvernements qui achètent cette « franchise » appliquent une série de mesures populistes à tendance de gauche ; il faut que l’Exécutif contrôle ouvertement les institutions de l’État et les pouvoirs publics, il faut qu’il s’attaque de front aux vieilles « oligarchies » nationales. Et c’est ainsi que Zelaya a fait un virage politique à 180º en quelques mois : il était un libéral de droite et il est presque devenu un gauchiste défenseur des pauvres et du « socialisme ».

Les élections étant proches (novembre 2009), à partir du mois de février, Zelaya met la pression sur les institutions de l’État pour promouvoir sa réélection, ce qui provoque des conflits entre l’exécutif et les autres pouvoirs publics et même au sein de son propre parti. En mai dernier, en s’appuyant sur des organisations populaires et syndicales, il fait pression sur les forces armées pour l’organisation d’un référendum sur la réforme de la constitution en vue d’une réélection ; le Haut-commandement militaire refuse. Le 24 juin, Zelaya révoque le chef de l’État major, qui est immédiatement rétabli dans ses fonctions par la Cour suprême de Justice, ce qui devient l’amorce du coup d’État du 28 juin, date initialement prévue par l’Exécutif pour le référendum. Ce jour-là, Zelaya est contraint par des militaires de quitter « en pyjama et sans chaussettes » Tegucigalpa (capitale du Honduras) pour San José (capital du Costa Rica). Avec le soutien de l’armée et de la Cour suprême, le Congrès désigne Roberto Micheletti (président du Congrès) nouveau Président de la République.

Notre analyse

Il est évident qu’à la racine de la crise politique au Honduras se trouvent les desseins impérialistes du Venezuela dans la région. Dans la mesure où le chavisme s’est consolidé, la bourgeoisie vénézuélienne a fait des avancées au profit de ses intérêts géopolitiques, ce qui n’est pas du tout nouveau, afin de faire du Venezuela une puissance régionale ; c’est avec cet objectif qu’elle brandit la bannière idéologique du « Socialisme du 21e siècle », qui s’appuie sur les couches les plus paupérisées et utilise le pétrole et l’argent du pétrole en tant qu’arme pour convaincre et pour contraindre. La croissance de la paupérisation, la décomposition des vieilles classes dirigeantes et l’affaiblissement géopolitique des États-Unis dans le monde ont permis à la bourgeoisie vénézuélienne de faire progresser son projet auprès de plusieurs pays de la région : Bolivie, Équateur, Nicaragua, Honduras et quelques autres pays de la zone caraïbe.

Ses caractéristiques populistes et son anti-américanisme « radical » exigent que le projet chaviste ait un contrôle total des institutions de l’État, exige le montage d’une polarisation politique autour de « riches contre pauvres », « une poignée d’oligarques contre le peuple », etc., ce qui le transforme en une source permanente de tension et d’instabilité pour le capital national lui-même. Pour que ce projet puisse être un tant soit peu réalisé, il requiert en plus le changement des Constitutions par la création d’Assemblées constituantes qui donnent une base légale aux changements nécessaires pour consolider les nouvelles élites « socialistes » au pouvoir, en faisant la promotion de la réélection présidentielle entre autres mesures. Cette recette cuisinée par le chavisme est bien connue par toutes les bourgeoisies de la région.

Le Honduras est un objectif de grande valeur pour le chavisme : ce pays lui permettra de posséder une tête de pont en Amérique centrale sur l’Atlantique par le port de Cortés, qui sert aussi pour le commerce extérieur du Salvador et du Nicaragua; de cette manière, le Venezuela disposerait d’un « canal » terrestre qui unirait l’Atlantique et le Pacifique, au travers le Nicaragua. D’un autre coté, le fait de contrôler le Nicaragua et le Honduras, favoriserait le contrôle de la part du chavisme sur le Salvador, ce qui entraverait le développement du Plan-Puebla-Panama 1 proposé par le Mexique et les États-Unis.

D’un autre coté, le Honduras possède les conditions « naturelles » pour le développement du projet populiste de gauche de Chavez, car c’est le pays le plus pauvre des Amériques après Haïti et la Bolivie. La masse des pauvres que la crise ne fait qu’augmenter inexorablement est la principale consommatrice des faux espoirs pour sortir de sa situation de misère, des espoirs qui font partie du livre des recettes du « Socialisme du 21e siècle ». C’est à ces masses que le message chaviste est adressé, des masses dont il a besoin d’une mobilisation permanente avec le soutien des syndicats et des partis de gauche et gauchistes, des organisations sociales paysannes, les indigénistes, etc.

Le chavisme, résultat de la décomposition de la bourgeoisie vénézuélienne et mondiale, utilise et accentue les expressions de décomposition au sein des classes dominantes de la région. La nécessité de polariser au maximum l’affrontement entre ces fractions bourgeoises ne fait qu’accélérer encore plus la difficile gouvernance qui est déjà une caractéristique même de la décomposition. La crise récente au Honduras, qui ne fait que commencer, signifie une aggravation de la situation dans ces « Républiques bananières » de l’Amérique centrale, qui ne connaissaient pas de crise comme celle d’aujourd’hui depuis les années 1980, lorsque les conflits au Guatemala, au Salvador et au Nicaragua, laissèrent une séquelle de presque un demi million de morts et des millions de déplacés.

Le bal des hypocrites

Peu de temps avant le coup d’État, Chavez avait déjà mis en marche sa stratégie géopolitique, en alertant les présidents « amis », en dénonçant les militaires « gorilles », etc. Une fois le putsch consommé, il convoqua tous les pays appartenant à l’ALBA où il annonça l’arrêt des envois de pétrole au Honduras et menaça d’envoyer des troupes au cas où l’ambassade vénézuélienne à Tegucigalpa serait attaquée. Il mit aussi à la disposition de Zelaya les ressources de l’État vénézuélien : le ministre des Affaires étrangères est devenu le conseiller personnel du président destitué et il l’accompagne dans ses voyages dans plusieurs pays ; les médias d’État, surtout le canal international TV-Telesur, transmet sans arrêt des informations sur Zelaya, le présentant comme une victime, grand humaniste et défenseur des pauvres ; Le discours de Zelaya à l’ONU fut retransmis au Venezuela sur la radio et la télé nationales.

Chavez ne cesse de faire des appels insistants aux « peuples des Amériques » pour défendre la démocratie menacée par ces « gorilles militaires putschistes », peut-être pour qu’on oublie le fait que lui-même fut l’un d’eux quand il s’est mis à la tête d’un putsch au Venezuela contre le président social-démocrate Carlos Andrés Pérez, en 1992. Et ce sont justement ces « militaires gorilles », cette police de l’État chaviste et ses troupes de choc qui répriment non pas seulement les manifestations des opposants au régime, mais surtout les luttes mêmes des travailleurs au Venezuela, tel qu’Internacionalismo l’a dénoncé 2.

Mais dans ce bal des hypocrites il y a aussi évidemment l’autre partenaire : le reste de ce qu’on appelle la « communauté internationale ». L’OEA, l’ONU, l’UE et bien d’autres pays ont condamné le putsch et ont demandé le retour de Zelaya ; beaucoup d’entre eux ont retiré leurs ambassadeurs du Honduras. Mais ce n’est là que de la pure comédie à usage médiatique pour la galerie, pour essayer de faire présentable une démocratie bourgeoise bien mal en point, et ces organisations en perte constante de crédibilité.

Comment expliquer le comportement de l’administration des États-Unis face à cette crise ?

A la surprise de la « gauche » et de ses appendices « gauchistes », les États-Unis aussi ont condamné le putsch et ont demandé la remise en place de Zelaya. D’après la Secrétaire d'État elle-même, Hillary Clinton, l’ambassade des États-Unis à Tegucigalpa et Tom Shannon, sous-secrétaire d'État pour l’hémisphère occidental, ont pris une part active dans les tentatives de médiation pendant les mois précédant le putsch, pour, selon eux, éviter que la crise n’éclate. On peut se demander : est-ce que les États-Unis ont perdu le contrôle du problème ? Est-ce que la diplomatie étasunienne a perdu autant la main dans la région depuis l’administration Bush ?

L’hypothèse n’est pas à écarter qu’en effet les États-Unis ne soient pas arrivés à contrôler les différentes factions de la bourgeoisie qui s’affrontent, ce qui serait l’expression du degré de décomposition dans les rangs de la bourgeoisie et des faiblesses géopolitiques des États-Unis dans leur propre « arrière cour », au point de leur rendre difficile la possibilité de contrecarrer les effets du néo-populisme de gauche des gouvernements où les présidents ont été élus par les voies « démocratiques » (souvent à une large majorité), mais qui, dès qu’ils sont installés au pouvoir, deviennent ouvertement des dictatures en maintenant seulement une très mince couche de vernis démocratique.

Cependant, nous ne pensons pas que cela corresponde à la réalité. En condamnant le putsch et en exigeant le retour de Zelaya, les États-Unis utilisent la crise hondurienne pour essayer de « redorer leur blason » vis-à-vis des États de la région, blason bien terni par l’administration Bush. Si Obama avait agi comme Bush (lorsque, par exemple, celui-ci soutint le putsch raté contre Chavez en avril 2002), il aurait fourni des arguments pour rallumer l’anti-américanisme dans la région et affaiblir la stratégie d’ouverture diplomatique adoptée la nouvelle administration.

Il n’est pas à écarter que les États-Unis aient laissé « suivre son chemin » à la crise hondurienne pour l’utiliser contre le chavisme dans la région. En agissant ainsi, les États-Unis forcent Chavez à se découvrir et à défendre son « élève et protégé » Zelaya, en montrant son rôle patent de pyromane dans la crise hondurienne. Cela permet, par ailleurs, de mettre en avant que l’OEA et d’autres dirigeants de la région essayent de régler une crise où les États-Unis ne seraient « qu’un des participants au milieu des autres ». Ainsi, c’est la « communauté des États américains » 3 tout entière qui serait responsable du dénouement malheureux de la crise, alors même qu’il apparaît de plus en plus évident que la responsabilité de la crise incombe à Chavez et Zelaya. Le rejet du nouveau gouvernement hondurien de la demande de l’OEA de remettre Zelaya à son poste, « l’échec » de la démarche d’Insulza lors de son voyage du 3 juillet à Tegucigalpa et les actions du gouvernement de Micheletti pour empêcher l’atterrissage de l’avion vénézuélien qui transportait Zelaya depuis Washington dimanche 5 juillet, ont aggravé la crise et ont mis Chavez hors de lui, qui a dénoncé derrière ces événements la main de « l’impérialisme yankee » et a exigé d’Obama, « victime de cet impérialisme », qu’il intervienne plus énergiquement au Honduras !

Il est certain que la situation est assez compliquée pour les États-Unis. D’un coté, il leur faut donner une leçon à Chavez et à ses alliés ; et d’un autre coté, cette situation pourrait dégénérer vers une situation explosive maintenant que la puissance nord-américaine a d’autres priorités géopolitiques telles que l’intervention en Afghanistan, la crise avec l’Iran, la Corée du Nord, etc. Par ailleurs, la décomposition de la bourgeoisie hondurienne elle-même et de toute la région en général, Venezuela inclus, pourraient générer une situation incontrôlable.

On vient d’apprendre que Zelaya avait accepté la médiation du président du Costa-Rica Oscar Arias, à la demande de la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton ; ce qui donne une idée du rôle central des États-Unis dans cette crise.

Une réflexion sur la géopolitique régionale

La crise au Honduras est bien plus importante que la crise récente entre la Colombie, d’un coté, et l'Équateur et le Venezuela de l’autre, sur la question des FARC, dans laquelle le gouvernement de Chavez a aussi joué un rôle de premier plan. Le Nicaragua, allié de Chavez, est en conflit avec la Colombie au sujet de l’archipel de San Andrés dans les Caraïbes. On parle de mobilisation de troupes dans ces conflits, le Venezuela concentrant même les siennes sur la frontière avec la Colombie lors du conflit avec l’Équateur. Même si ces mobilisations ont un rôle médiatique pour « distraire » le prolétariat et la population, la réalité est surtout que la bourgeoisie de ces États, face à la crise et la décomposition, utilise de plus en plus le langage et les moyens de guerre.

De même, l’influence de Chavez et de ses alliés se retrouve dans les dernières crises et affrontements en Bolivie, dans la fraude électorale que l’opposition a dénoncée lors des dernières élections municipales au Nicaragua ; le gouvernement péruvien dénonce, quant à lui, l’ingérence de la Bolivie et du Venezuela lors des affrontements à Bagua. Le gouvernement Chavez, à la fois produit et facteur de la décomposition, ne dispose pas d’autres moyens que la fuite en avant dans des aventures bellicistes. Il s’est associé avec des États et des organisations qui pratiquent un anti-américanisme radical : l’Iran, la Corée du Nord, le Hamas, etc. D’un autre coté, la situation au Venezuela est relativement grave du fait de la crise qui affecte les revenus pétroliers (essentiels pour la géopolitique menée par l’État vénézuélien), du fait également du surgissement de luttes ouvrières, tout ceci poussant le gouvernement à maintenir un climat de tension à l’intérieur et à l’extérieur.

Les États-Unis ont des difficultés pour remettre de l’ordre dans leur arrière cour. Certaines classes dirigeantes régionales, la bourgeoise mexicaine ou colombienne, par exemple, pourraient contrecarrer l’action du chavisme et exploiter les crises politiques à l’œuvre dans leur zone d’influence, comme c’est le cas pour le Mexique en Amérique centrale. Mais ce pays est lui-même plongé dans des crises internes de plus en plus aiguës, dans un affrontement sans fin avec les cartels de la drogue, au point qu’un sénateur nord-américain a pu affirmer il y a quelque mois que l'État mexicain n’existait pas. La Colombie, bastion des États-Unis dans la région, n’a pas les moyens de contrecarrer l’offensive de Chavez, avec lequel elle a réussi à maintenir un équilibre assez fragile. Le Brésil, qui a des intérêts économiques en Amérique centrale (forts investissements pour la production de biocombustibles) et qui mène des actions géopolitiques qui l’ont renforcé en tant que puissance régionale, parait ne pas vouloir, comme les autres pays mentionnés, se mêler d’une crise promue par Chavez, qui est son concurrent dans la région, et sans doute le Brésil va-t-il laisser Chavez « mijoter dans son propre jus » ; le Brésil fait des efforts pour amener quelque stabilité à la région, mais il le fait en tant que puissance qui veut se construire son propre domaine impérialiste et c’est dans ce sens qu’il est aussi en concurrence avec les États-Unis.

Les perspectives dans cette région du monde sont dirigées vers des tensions et des conflits de plus en plus aigus, ce qui, sans le moindre doute, va exiger la mise en place des campagnes pour embrigader le prolétariat. La propagande politique bourgeoise s’inscrit dans cette perspective. Nous pensons que le milieu internationaliste tout entier devrait débattre en profondeur sur ces questions qui s’inscrivent dans notre vision sur les tensions impérialistes.

Quelles sont les conséquences pour le prolétariat ?

Il est clair que cette crise renforce la bourgeoisie contre le prolétariat. Que Zelaya rentre ou pas dans son pays, il est clair que l’affrontement politique entre fractions bourgeoises rivales s’est déjà installé au Honduras et qu’il va se renforcer. En ce sens, c’est une source de division et de confrontation au sein de la classe ouvrière elle-même, tel que nous le voyons au Venezuela, en Bolivie, au Nicaragua et en Équateur.

Par ailleurs, la bourgeoise utilise et va utiliser la situation au Honduras pour renforcer la mystification démocratique ; du fait que celle-ci serait capable de s’autocritiquer pour assainir les institutions de l’État. Ainsi, la mystification électorale va se renforcer au niveau régional avec les prochaines élections au Honduras.

La crise va accentuer la pauvreté dans l’un des pays les plus pauvres d’Amérique centrale : l’argent que les émigrés honduriens envoient à leurs familles (autour de 25% du PIB !) a commencé à diminuer. Par ailleurs, la décomposition sociale qui condamne des milliers de jeunes à « vivre » d’agressions en bande, des crimes et de la drogue, va inévitablement s’accélérer avec la crise et la décomposition politique dans les rangs de la bourgeoise. Cette masse paupérisée est un bouillon de culture qui favorise le surgissement d’autres Chavez locaux et régionaux qui sèment de faux espoirs au sein des masses paupérisées, mais dont nous savons très bien qu’ils ne présentent pas la moindre issue.

C’est pour cela que le prolétariat hondurien, régional ou mondial et le milieu internationaliste avec lui doivent rejeter clairement tout soutien aux forces bourgeoises nationales ou régionales en lutte ; ils doivent rejeter cette confrontation induite par des conflits entre fractions bourgeoises, qui ont déjà pris pas mal de vies dans la région, des vies prolétarienne entre autres. L’affrontement au Honduras est l’expression du fait que le capitalisme s’enfonce de plus en plus dans la décomposition qui amène à des affrontements entre factions de la bourgeoisie sur le plan intérieur et entre les grandes, les moyennes et les petites puissances sur le plan régional ; ces affrontements vont être exacerbés par la crise.

Malgré sa faiblesse numérique, seule la lutte du prolétariat hondurien sur son terrain de classe, soutenu par la lutte du prolétariat régional et mondial pourra mettre un terme à toute cette barbarie.

Internacionalismo

 

1 Ce PPP est une proposition de “développement socio-économique” du Sud mexicain et des sept pays d’Amérique centrale pour renforcer l’intégration régionale.

2 lire, en espagnol, « El Estado "socialista" de Chavez nuevamente reprime y asesina proletarios [36] »

3 L’OEA est l’organisation des États américains, un organisme continental crée au début de la guerre froide sous le contrôle des Etats-Unis contre le bloc de l’URSS. L’adjectif « américain » doit être évidemment compris dans son sens propre, continental. Le secrétaire général de cette OEA est le chilien J.M. Insulza.

Géographique: 

  • Amérique Centrale et du Sud [37]

La classe ouvrière fait face à la crise économique partout dans le monde

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Le Fonds Monétaire International, dans ses perspectives économiques mondiales 2009, s’attend à ce que le déclin continue dans tous les pays les plus avancés. Il ne prévoit la croissance que dans des pays comme l'Inde et la Chine, mais, globalement, selon les économistes en chef : "Nous attendons maintenant que l'économie mondiale parvienne à un quasi-arrêt." Déclarer que les perspectives n’ont jamais été aussi mauvaises depuis la Seconde Guerre mondiale peut paraître assez abstrait. L'Organisation Internationale du Travail (un organisme des Nations-Unies) est très concrète dans ses dernières prévisions. En octobre dernier, elle prévoyait que 22 millions d'emplois seraient perdus dans le monde entier en 2009. En janvier, elle a révisé ce chiffre, affirmant que dans le monde entier c’est plus de 51 millions de travailleurs qui pourraient perdre leur emploi cette année. C'est un calcul simple pour visualiser sur ce que cela signifie : en moyenne, près d'un million de personnes chaque semaine se retrouvera sans travail !

Il n'y a pas d'exception. Aux États-Unis, 4 millions de salariés ont perdu leur emploi l'an dernier, près de 600 000 en janvier dernier, et 2 millions ces trois derniers mois. En Chine, au cours de la dernière année, 15,3% des 130 millions de travailleurs migrants de l’ouest vers les usines des zones côtières sont retournés dans leur foyer rural. A ces 20 millions, il convient d'ajouter tous ceux qui sont restés dans les villes pour chercher du travail. La classe dirigeante chinoise continue d'avertir de la possibilité de troubles sociaux et, plus récemment, a ajouté le danger de «violence» comme une autre issue possible de la situation économique.

Aucun travailleur n'est hors de danger, et même quand ils ont du travail, les salaires sont réduits et les conditions de travail détériorées.

Mais les travailleurs du monde entier manifestent leur refus d'accepter ces attaques : il y a chaque jour des grèves et des manifestations en Chine ; fin janvier, 2,5 millions de travailleurs en France ont manifesté, les étudiants et les jeunes travailleurs en Italie, en France, en Allemagne et surtout en Grèce sont allés dans la rue, démontrant leur rage contre une société qui ne leur offre aucun avenir. La colère exprimée par les grèves sauvages en Grande-Bretagne, dans les raffineries et les centrales électriques, ne sont pas spécifiques au Royaume-Uni, mais sont en partie une réponse internationale à l'aggravation de la catastrophe économique.

La classe dirigeante sait très bien que la classe ouvrière n’est pas restée sans répondre face aux attaques résultant de la crise économique. D'après le Daily Telegraph du 23 janvier : "La Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, la Grèce et l'Islande ont dû tous faire face aux troubles sociaux et aux émeutes puisque le chômage grimpe et que de nombreux pays européens ont été contraints d'imposer de sévères restrictions budgétaires. Les hauts responsables de l'UE ont déclaré au Daily Telegraph que le sommet de mars des dirigeants européens examinera de plus près les troubles que le chômage engendre dans toute l'Europe et les réductions dans les programmes sociaux."

Le fait d’apprendre que nos exploiteurs ont coordonné leur réponse à donner à notre combat doit nous rappeler que quelles que soient les causes immédiates de nos luttes, nous devons les organiser et les élargir, entraîner d’autres travailleurs dans la lutte, discuter des moyens et des objectifs de notre combat, voir si nous sommes en mesure de créer une force capable d’affronter le capitalisme.

Traduit de World Revolution, section du CCI en Grande-Bretagne

Evènements historiques: 

  • Crise économique [38]

La défaite à Ssangyong (Corée du Sud) montre la nécessité de l’extension de la lutte

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Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.

L’une des manifestations de lutte de classe les plus significatives en Corée du Sud, depuis de nombreuses années, a été l’occupation de l'usine de construction de voiture Ssangyong, à Pyeongtaek près de Séoul, qui s’est terminée début août.

Après avoir occupé l'usine pendant 77 jours dans des conditions de siège où la nourriture, l'eau, le gaz et l'électricité leur étaient refusés, et avoir résisté à des assauts répété de la police soutenue par une unité de rangers, de nervis et de briseurs de grève, les ouvriers ont été obligés d'abandonner leur occupation avec beaucoup de leurs revendications principales non satisfaites, et ils ont été immédiatement soumis à une vague de répression sous forme d'arrestations, d'interrogatoires et dans certains cas d’amendes exorbitantes.

L'économie sud-coréenne ne s’est jamais vraiment remise de l’atterrissage en catastrophe des ‘Tigres et Dragons', en 1997 - un précurseur de l’actuel krach du crédit. Depuis lors, l’ensemble de l'industrie automobile est une crise profonde. La Ssangyong Motor Company, qui est maintenant sous le contrôle d’un conglomérat de véhicules automobiles chinois, a graduellement réduit sa main d’œuvre et a proposé un plan pour offrir l'usine en garantie afin de s’assurer les prêts dont elle avait besoin pour échapper à la faillite. Ce plan impliquait beaucoup plus de licenciements - 1700 ouvriers contraints à une retraite anticipée et la mise à la porte de 300 travailleurs occasionnels - ainsi qu’un transfert de technologie vers la Chine avec l’objectif éventuel de s’approvisionner sur le marché de gros du puissant voisin de la Corée où la main d’œuvre est disponible à prix réduit.

La grève et l’occupation d'usine, qui ont commencé au matin du 22 mai, étaient accompagnées de la demande de ne licencier personne, de ne précariser personne et de ne pas s’approvisionner à l'extérieur. Pendant l’occupation, le millier d’ouvriers qui occupait l'usine a fait preuve d’un courage et d’une ingéniosité exemplaires pour se défendre contre des forces de police équipées d’hélicoptères, de gaz lacrymogènes, de pistolets paralysants et autre matériel militaire. Cette résistance a exigé non seulement la fabrication d’armes improvisées (tubes en métal, cocktails Molotov, frondes) mais également le sens de la stratégie et de la tactique de défense - par exemple, ils ont répliqué à la supériorité écrasante des forces de répression par un repli vers le département de la peinture, calculant (correctement) que les matériaux inflammables qui y étaient entreposés dissuaderaient la police d'utiliser les gaz lacrymogènes, particulièrement à la suite d'une tragédie récente à Séoul où cinq personnes sont mortes dans un incendie allumé au cours d’une confrontation avec la police.

Ces actions réclament un sens aigu de l’initiative et de l’auto-organisation. Il semble que les ouvriers s’étaient organisés en 50 ou 60 groupes de dix membres chacun, chacun de ces groupes choisissant un délégué pour coordonner l'action.

L’occupation a également inspiré des actes de solidarité de la part d'autres ouvriers, beaucoup d’entre eux de trouvant face au même avenir incertain. Les ouvriers de l'usine voisine d'automobiles de Kia-Hyundai ont été particulièrement actifs, avec des centaines d'ouvriers venant à l'usine pour la défendre contre l'attaque concertée de la police. Des tentatives pour atteindre les grilles de l’usine, et apporter de la nourriture et diverses provisions aux occupants, se sont heurtés à une violence aussi brutale que celle exercée contre les ouvriers à l'intérieur. Il n'y a aucun doute que l’occupation a été considérablement soutenue par toute la classe ouvrière coréenne - un fait qui s’est reflété dans la position de la fédération syndicale nationale, le KCTU, qui a appelé à une grève générale de deux jours et à un rassemblement de solidarité nationale fin juillet.

Quelles leçons tirer de cette défaite ?

Mais bien que certaines des mesures proposées à l’origine par les patrons aient été annulées à la fin de la grève, l’occupation s’est achevée dans la défaite. Les ouvriers sont sortis de l’occupation vaincus et meurtris, certains sérieusement blessés, et avec une certaine recrudescence des suicides parmi les salariés ou leurs familles.

« Dans les négociations finales, le secrétaire du syndicat local était d'accord avec la retraite anticipée proposée (c’est-à-dire licenciement avec concession d’une indemnité de licenciement) pour 52% des travailleurs, et avec un congé pour 48% d’entre eux pendant une année sans salaire, après quoi ils seraient réembauchés si les conditions économiques le permettaient. La société paierait également une indemnité mensuelle de 550 000 wons pendant une année à quelques ouvriers transférés sur des postes commerciaux.

Les jours suivants aux insultes se sont ajoutés les coups au cours de la période de détention, à l’encontre de nombreux d'ouvriers emprisonnés, en attendant le dressage des actes d'accusation et un procès intenté par la société contre le syndicat KMWU pour lui réclamer 500 000 000 de wons (45.000.000 $ US). Comme on l’a indiqué, la législation du travail coréenne autorise en ce cas des procès individualisés et des poursuites qui ont déjà par le passé laissé certains ouvriers sans aucune rerssource. La société réclame en la circonstance un dédommagement de 316 milliards de wons (258.6 millions de $) équivalant à une perte de production estimée à 14 600 véhicules, à cause de la grève. »1.

Ce que cette défaite démontre surtout, c’est que même si on organise au mieux la défense et l’occupation d’une usine, si la lutte ne s’étend pas, celle-ci échouera dans la grande majorité des cas. Le besoin central de tout groupe d'ouvriers confrontés aux licenciements est d'aller à la rencontre d'autres ouvriers, de se rendre dans d'autres usines et bureaux, et d’expliquer la nécessité d’une action commune, afin d'établir un rapport de forces qui peut contraindre les patrons et l'Etat à reculer. La solidarité active montrée par les ouvriers de Kia-Hyundai et d'autres à l’extérieur des grilles de l’usine prouve que ce n'est pas utopique, mais que le mouvement doit aller prioritairement vers l’extension plutôt que d’opposer une simple résistance aux attaques de la police contre une usine occupée, quelle que soit la nécessité de cette dernière. Les ouvriers qui réfléchissent à propos de cette défaite doivent poser la question : pourquoi ces authentiques expressions de solidarité ne se sont-elles pas traduites par une extension directe de la lutte, à Kia et dans d'autres lieux de travail ? Plus que cela : ces minorités militantes qui se trouvent en train de remettre en cause la stratégie des syndicats doivent se réunir dans des groupes ou des comités afin de pousser à l’extension et à l'organisation indépendante de la lutte.

Pour nous, la clef du problème est que la question de l’extension a été laissée aux mains des syndicats, pour lesquels le déclenchement de la grève fait partie d'un rituel bien rodé, avec des actions symboliques qui n’avaient absolument pas pour objectif de mobiliser un grand nombre d'ouvriers, y compris à travers leur soutien à l’occupation de Ssangyong, laissant de côté l’extension de la lutte pour mettre en avant leurs propres revendications. A l’intérieur de l'usine, le syndicat (le KMWU) semble avoir maintenu un contrôle global de la situation. Loren Goldner, qui était en Corée quand la lutte a commencé et a pu se rendre dans l'usine, raconte sa discussion avec un ouvrier qui a participé à l’occupation : « J'ai parlé à un ouvrier qui participait activement à l’occupation et qui critiquait le rôle du syndicat. D’après lui, le KMWU gardait le contrôle de la grève. Cependant, contrairement au rôle des syndicats dans la lutte de Visteon au Royaume Uni et dans le démantèlement de l'industrie automobile aux Etats-Unis, le KMWU a soutenu les actions illégales d’occupation de l'usine et de préparation à sa défense armée. D'un autre côté, dans les négociations avec la société, il s'est concentré sur la demande de ne licencier personne et il a mis la pédale douce par rapport aux demandes de sécurité d'emploi pour tous et contre l'externalisation. »

L’extension de la lutte ne peut pas être laissée entre les mains des syndicats. Elle ne peut être prise en charge effectivement que par les ouvriers eux-mêmes. Quand les syndicats soutiennent des actions illégales et quand leurs représentants locaux participent à une lutte, cela ne prouve pas que les syndicats puissent parfois être du côté de la lutte. Cela montre au mieux que les dirigeants syndicaux subalternes, comme dans le cas du secrétaire local de KMWU, sont souvent aussi des ouvriers et peuvent encore agir en tant qu'ouvriers ; mais au mieux cela sert à maintenir l'illusion que les syndicats, au moins au niveau local, sont encore des organes de lutte du prolétariat.

Goldner tire les conclusions suivantes de la défaite :

« La défaite de Ssangyong ne peut pas être seulement attribuée au rôle bancal de l'organisation nationale du KMWU, qui, dès le début, a permis aux négociations d'être canalisées vers l’objectif étroit du ‘aucun licenciement’ … La défaite ne peut non plus être entièrement expliquée par l'ambiance de la crise économique. Ces deux facteurs ont assurément joué un rôle majeur. Mais au-dessus et au-delà de leur impact indéniable, c’est le recul, année après année de la classe ouvrière coréenne, surtout à travers la précarisation, qui affecte maintenant plus de 50% de la main-d’œuvre. Des milliers d'ouvriers des usines voisines ont à plusieurs reprises apporté leur aide à la grève de Ssangyong, mais cela n’a pas été suffisant. La défaite des grévistes de Ssangyong, en dépit de leur héroïsme et de leur ténacité, ne fera qu’approfondir la démoralisation régnante jusqu'à ce qu'une stratégie se développe qui puisse mobiliser un plus large soutien, non pour livrer simplement des batailles défensives mais pour pouvoir passer à l'offensive".

Nous sommes assurément d’accord sur le fait que l'atmosphère de crise économique a certainement un effet paralysant sur de nombreux ouvriers, qui peuvent voir que l'arme de la grève est souvent inefficace quand l'usine ferme de toutes façons, et qui ont vu tellement d’occupations contre les fermetures étranglées après un siège prolongé. Le processus de précarisation joue également un rôle en atomisant la main d’œuvre, bien que nous ne pensions pas que ce soit le facteur décisif et qu’il ne s'applique certainement pas seulement à la Corée. En tous cas, c'est en lui-même un aspect de la crise, une des nombreuses mesures que les patrons utilisent pour réduire le coût de la main-d’œuvre et pour disperser la résistance.

Finalement, Goldner a raison de dire que les ouvriers devront passer à l'offensive, c'est-à-dire se lancer dans la grève de masse qui a pour objectif, à terme, de renverser le capitalisme. Mais c'est précisément la prise de conscience naissante de l’ampleur de la tâche qui, dans un premier temps, peut également inciter les ouvriers à hésiter à s'engager dans la lutte.

Une chose est certaine : la question du passage des luttes défensives aux luttes offensives ne peut pas être posée seulement en Corée. Cela ne peut qu’être le résultat d'une maturation internationale de la lutte de classe, et dans ce sens, la défaite chez Ssangyong et les leçons à en tirer peuvent apporter une véritable contribution à ce processus.

Amos (1er septembre).

 

1 Cette citation est de Loren Goldner qui est un intellectuel engagé d’origine américaine ayant longuement résidé en Corée du Sud. Il est l’auteur de nombreux articles traitant souvent de manière très pertinente la crise économique du capitalisme et la lutte de classe, en particulier en Corée du Sud. Il a notamment dressé ce bilan détaillé de la lutte à l’usine de Ssangyong consultable sur libcom.org. dont est extraite cette citation et les suivantes.


Géographique: 

  • Corée du Sud [39]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

La lutte et la solidarité ouvrières en Inde face aux attaques et à la répression

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Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par Communist Internationalist, section du CCI en Inde.

Dans la soirée du dimanche 18 octobre 2009, les ouvriers de RICO Auto, à Gurgaon, qui étaient en grève depuis le 3 octobre 2009, ont essayé d’arrêter les briseurs de grève. Les gardiens de la compagnie de sécurité et les briseurs de grève, le plus souvent des éléments criminels amenés pour intimider les ouvriers, ont répondu en attaquant violemment les grévistes. La police, qui avait été déployée aux portes de l’usine depuis le début octobre pour contrôler la grève, a ouvert le feu sur les ouvriers. Un ouvrier a été tué dans la fusillade et quarante autres blessés.

Cette répression violente a créé une vague de colère parmi les ouvriers dans la ceinture industrielle de Gurgaon-Manesar, 30 000 d’entre eux se sont engagés dans des luttes contre leurs patrons.

Cette colère s’est exprimée par le blocage des villes jumelles de Gurgaon et de Manesar le 20 octobre 2009, qui était la première journée ouvrable après le meurtre d'un ouvrier à RICO Auto. Bien que les syndicats aient appelé à la grève, les ouvriers des entreprises qui luttaient contre leur direction ont fait le tour des usines pour inviter les ouvriers à arrêter le travail. Très tôt le mardi matin, les ouvriers de RICO Auto et ceux de Sunbeam Casting ont commencé leur mouvement et ont bloqué la route nationale 8. Ils ont été rejoints par des vagues d’ouvriers d'autres sociétés comme Sona Koyo Steering System, TI Metals, Lumax Industries, Bajaj et Hero Honda MotorsLdt. Selon les déclarations officielles de l'administration locale, près de 100 000 ouvriers de 70 usines de pièces détachées dans Gurgaon-Manesar les ont rejoints le jour de la grève.

Bien que les ouvriers de la plupart des entreprises soient retournés au travail le 21 octobre 2009 et que la lutte ne se soit pas étendue, ces événements constituent une avancée significative de la lutte ouvrière en Inde. C'est le résultat de l’extension de la lutte de classe dans différentes régions de l'Inde incluant Gurgaon-Manesar, qui avait vu les ouvriers se confronter à l'Etat en juillet 2005 pendant la grève des ouvriers de Honda Motorcycles. Depuis lors, à travers de nombreuses luttes, les ouvriers ont renforcé leur résolution de combattre les patrons et ils le font de plus en plus de façon simultanée.

Les fruits amers du boom économique

Pendant toutes les ‘années du boom’ conduisant à 2007 où l'économie indienne a vu une expansion significative, la condition de la classe ouvrière n’a fait qu’empirer. L'expression la plus grave en a été la perte de la sécurité d'emploi. En dépit de l'expansion de l'économie pendant les ‘années de boom’, les patrons ont effectué la destruction massive des emplois permanents et leur remplacement par une main-d’œuvre contractuelle, accompagné de salaires très inférieurs et d’aucun salaire social. C'est le cas d'entreprises comme Hero Honda, Maruti et Hyundai, dont la production est montée en flèche de nombreuses fois pendant ces années. A Hero Honda, par exemple, la production est passée de 2 Lakhs1 à plus de 36 Lakhs, et les emplois permanents ont diminué puis disparu, remplacés par l’embauche de travailleurs temporaires. C'est la même chose dans la plupart des entreprises en Inde. Les usines d'automobiles et de pièces détachées, étant donné la concurrence à couteau tiré dans cette industrie, ont été à l'avant-garde de ces attaques sur les ouvriers. En dépit de ces attaques, pendant la plus grande partie de cette période, les ouvriers ont rencontré des difficultés pour développer leurs luttes. Les attaques impitoyables des patrons et l'incapacité de se battre, telle a été l’amère réalité pour la classe ouvrière du monde entier ces dix dernières années.

Avec l’arrivée de l'effondrement économique en 2007, la situation n’a fait qu’empirer. Tous les secteurs ont vu des suppressions massives d'emplois et des coupes franches dans les salaires et prestations. En outre, il y a eu une croissance massive des prix de tous les biens de première nécessité. Le prix des marchandises essentielles comme les légumes, les légumineuses et autres articles d’épiceries ont plus que doublé. Cette tendance n'a pas été une pointe saisonnière mais elle persiste maintenant depuis plus de deux ans. Avec la montée des prix et le gel des salaires, les conditions de vie des ouvriers ne sont devenues que plus précaires et désespérées.

Aujourd'hui, alors que les patrons parlent de la fin de la récession et de la croissance rapide de l'économie indienne, la situation ne change pas pour les ouvriers. La précarisation du travail et le gel des salaires se poursuivent.

La classe ouvrière développe sa lutte

Face aux crises et aux attaques des patrons, la classe ouvrière tente de se battre. Il y a eu des grèves importantes dans le secteur public, la grève des employés de banque, toute l’Inde a été touchée par la grève des ouvriers du secteur pétrolier en janvier 2009, par la grève des pilotes d'Air India, la grève des employés d'Etat au Bengale Occidental, la grève du personnel gouvernemental en janvier 2009 dans l’Etat de Bihar. Certaines d’entre elles ont été d’âpres conflits où l'Etat a essayé de frapper durement les ouvriers et de les écraser. Ça a été le cas avec la grève des ouvriers du pétrole en janvier 2009 quand l'Etat a utilisé ESMA2 et d'autres lois pour écraser les employés et a pris des mesures répressives. Ça a également été le cas avec la grève du personnel gouvernemental au Bihar où le gouvernement a voulu donner une leçon aux employés. Pour ce qui est des ouvriers du pétrole, le gouvernement s’est montré encore plus répressif car il y avait une menace d’extension de la grève à d'autres entreprises de secteur public.

Comme leurs camarades des secteurs publics, les ouvriers de nombreux autres secteurs ont combattu. Une des luttes massives et radicales a été celle des ouvriers diamantaires au Gujarat en 2008. La majorité de plusieurs centaines de milliers d’ouvriers diamantaires est employée dans des petites entreprises où les syndicats n'ont aucun contrôle. La grève y a débuté et s’est étendue comme une révolte massive qui a submergé plusieurs villes : Surat, Ahmedabad, Rajkot, Amerli etc. Systématiquement, l'Etat a recouru à la répression pour maintenir l'ordre dans toutes ces villes.

En outre, toutes les principales unités automobiles en Inde - Tamilnadu, Maharashtra, et Gurgaon-Manesar ont été témoins des efforts répétés et tenaces des ouvriers pour lutter pour leur travail et leurs conditions de vie.

Les ouvriers de la deuxième plus grande fabrique de voitures en Inde, Hyundai Motor à Chennai, ont fait grève à plusieurs reprises en avril, mai et juillet 2009 pour de meilleurs salaires. Les patrons tentent depuis longtemps de réprimer les luttes des ouvriers et menacent souvent de fermer leurs usines en Inde. Près de Coïmbatore, les ouvriers du fabricant de pièces auto Pricol India ont combattu les patrons depuis plus de deux ans contre les licenciements planifiés et répétés des ouvriers permanents et leur remplacement par des contractuels ou des travailleurs temporaires. La lutte ouvrière a pris récemment un tour violent quand la direction a licencié 52 ouvriers permanents supplémentaires et a décidé de les remplacer par des travailleurs précaires en septembre 2009. Au cours d’une violente confrontation, un cadre supérieur de Pricol a été tué le 22 septembre 2009. Les ouvriers des usines de pneus de MRF et des usines Nokia à Tamilnadu se sont aussi engagés dans des luttes contre leurs patrons à peu près au même moment.

Dans l’Etat de Maharashtra, les ouvriers, de Mahindra à Nasik, ont fait grève pour de meilleurs salaires en mai 2009. Les ouvriers de l’usine Cummins India et ceux de la fabrique de pièces auto Bosch à Pune ont été en grève à partir des 15 et 25 septembre 2009 pour de meilleurs salaires et contre la précarisation.

Simultanéité des luttes et du développement de la solidarité de classe

Ce que nous voyons aujourd'hui, c’est que de plus en plus d’ouvriers sont disposés à entrer en lutte contre les attaques des patrons. Les luttes, tout en étant plus nombreuses dans une grande partie du pays, ont aussi tendance à aller vers la simultanéité dans un même secteur géographique. Ceci ouvre la possibilité de liens entre les luttes et de leur extension. On a pu le voir avec la grève massive des ouvriers diamantaires au Goudjerate où se sont simultanément développées des grèves sauvages dans plusieurs villes. On a pu le voir aussi dans les grèves des ouvriers de l’automobile à Tamilnadu, Pune et Nasik où plusieurs grèves dans le même secteur géographique se sont produites en même temps. Dans d'autres cas, la bourgeoisie a pu sentir cette menace et anticiper sa répression. Cette simultanéité est le résultat d’attaques identiques auxquelles tous les secteurs ouvriers se confrontent aujourd'hui.

Avant les derniers événements, les ouvriers d'un certain nombre d'usines de Gurgaon-Manesar avaient mené la lutte contre leurs patrons. A Honda Motorcycles, les ouvriers se sont agités depuis plusieurs mois pour de meilleurs salaires et contre le travail contractuel. Pour ce qui est de la direction, cette agitation a réduit la production de 50% et a bloqué le démarrage d'une nouvelle série. Pour intimider les ouvriers, le 10 octobre 2009 la direction de Honda Motorcycles a émis la menace d'arrêter ses usines en Inde ou de les déplacer dans d'autres régions. 2500 ouvriers de RICO Auto se sont mis en lutte contre le renvoi de 16 ouvriers et pour de meilleurs salaires depuis la fin septembre 2009. Ils ont commencé la grève à partir du 3 octobre 2009. 1000 ouvriers de Sunbeam Casting se sont aussi mis en grève pour de meilleurs salaires à partir du 3 octobre 2009. Bien que tous ne se soient pas mis en grève, plus de 25 000 ouvriers des métaux de TI Metals, Microtech, FCC Rico, Satyam Auto et de plusieurs autres entreprises ont fait de l’agitation depuis septembre 2009 pour de meilleurs salaires.

Selon un bulletin de Business Line3, daté du 2 octobre 2009, « avec un total d’environ 30 000 ouvriers des unités auxiliaires automobiles dans la ceinture de Gurgaon-Manesar qui s’agitent maintenant depuis environ six jours, les principaux constructeurs automobiles dépendant de ces unités pour leur approvisionnement en composants traversent une dure période. » Exprimant le souci des patrons, Economics Times4 rend compte sur son site Web le 11 octobre 2009 : « Les problèmes récurrents du travail dans la ceinture de Gurgaon et de Manesar est en effet un souci pour toute l'industrie. Les problèmes actuels à certains… des fournisseurs... ont affecté les approvisionnements des principaux constructeurs automobiles comme Hero Honda et Maruti Suzuki... »

Le fait que les ouvriers de plusieurs usines se soient mis en grève et que plusieurs milliers d'ouvriers d'autres usines se soient activement agités a ouvert la possibilité de l’extension et de l'unification des luttes, la seule façon pour les ouvriers de pouvoir combattre et repousser les attaques des patrons. C'est la possibilité que la bourgeoisie craint et que les syndicats veulent éviter. Dans les luttes de Gurgaon, face à la violence faite à la classe ouvrière avec le meurtre d'un ouvrier de RICO, le rôle des syndicats a été de prévenir et de bloquer cette tendance à l’extension et à l'unification. En appelant à une journée d’action, les syndicats ont essayé de stériliser l’impulsion des ouvriers de se rassembler et d’exprimer leur solidarité de classe. Malgré cela, la grève du 20 octobre de 100 000 ouvriers a été une manifestation de solidarité. Elle a également exprimé leur détermination et leur volonté de combattre et de se confronter à la bourgeoisie.

D'un autre côté, dans les luttes actuelles de Gurgaon, pendant les luttes chez Hyundai, Pricol, M & M et d’autres luttes pour de meilleurs salaires et contre les pertes d’emploi, les syndicats ont clairement essayé de les faire dérailler et de les convertir en luttes pour la défense des droits syndicaux.

Sans aucun doute, il existe une puissante dynamique pour le développement de la lutte de classe, pour son extension et pour le développement de la solidarité. Mais pour la réalisation de cette dynamique, il est important que les ouvriers comprennent les machinations des syndicats et prennent les luttes en leurs propres mains.

AM, 27 octobre 2009


1 Unité de mesure indienne (1 Lakh est égal à 100 000 roupies, soit 1700 euros).

2 Loi sur le maintien des services essentiels.

3 Journal financier et des affaires.

4 Idem

Géographique: 

  • Inde [40]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

Le Front “Farabundo Marti de Libération Nationale” (FMLN), de la guérilla stalinienne au gouvernement du Salvador

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Le texte publié ci-dessous est une traduction de Revolución Mundial, organe de presse du CCI au Mexique.

 

Depuis la signature des accords de paix entre le FMLN 1 et le gouvernement du Salvador en janvier 1992 qui certifia la reconversion de ce mouvement de guérilla, autrefois très connu, en parti politique légal d’opposition, avec à la clé une large participation au sein de la police nationale, cette fraction de la bourgeoisie s’est employée à fond dans la construction d’une démocratie « plurielle » si nécessaire pour contrôler la classe ouvrière, et qui était inexistante au Salvador, à l’instar d’une grande partie de l’Amérique Latine. Maintenant, les ex-guérilleros avec leur candidat Mauricio Funes 2 se présentent comme la meilleure alternative électorale pour les prochaines élections présidentielles du 15 mars 2009 face au candidat Rodrigo Ávila du parti de droite Alianza Republicana Nacionalista (ARENA) 3. Un marketing coloré, des discours pleins d’espoir, des actes massifs de prosélytisme, avec des milliards à la clé, voilà le cadre qui doit servir à cette gauche électorale à entraîner le plus grand nombre de travailleurs vers les urnes avec l’illusion que “leur voix” réussisse le miracle d’améliorer leurs conditions de vie et de travail. Le contexte économique et social du pays (avec une population d’un peu plus de 7 millions d’habitants) 4 est similaire à celui des autres pays de cette région du monde ; la dégradation des conditions de vie des travailleurs n’est pas seulement insupportable à cause de la misère matérielle et de la réduction alarmante des ressources et l’augmentation imparable du chômage, mais aussi à cause d’une décomposition sociale qui dépasse l’entendement, qui affecte la société tout entière : une violence quotidienne entre bandes, des assauts et des kidnappings, des abus de la part de la police et de l’armée, etc. 5 Devant un tel panorama, la bourgeoisie prétend que, grâce au vote de tous les secteurs du pays, un engagement national va naître pour travailler coude à coude vers une solution.

Après s’être occupé des tâches de pacification et de réorganisation de l’économie, de la politique, de l’appareil répressif, maintenant les ex-guérilleros se lancent à la conquête du fauteuil présidentiel pour boucler l’engagement qu’ils ont signé il y a dix-sept ans au château de Chapultepec 6 dans la ville de Mexico ; selon les mots de Schafik Handal, le rôle du FMLN était de : « ...moderniser l’État et l’économie, construire un pays pluraliste... qui permette aux salvadoriens d’utiliser à fond leur proverbial goût du travail et leur créativité pour ainsi faire décoller le développement... » (16 janvier 1992). Autrement dit, renforcer l’économie bourgeoise grâce à l’exploitation peut-être « créative », mais surtout impitoyable de la classe ouvrière, en prenant la charge de garde chiourme principal du système d’exploitation capitaliste.

Le FMLN, hier et aujourd’hui, un instrument au service du capital

Le FMLN « n’a pas trahi ses origines et ses objectifs révolutionnaires ». Son action actuelle est en effet en continuité avec celle de ses origines, son idéologie et sa pratique de guérilla durant près de douze ans. Son origine et son idéologie sont celles des « Forces populaires de Libération nationale », et d’autres organisations qui, avec le Parti communiste salvadorien, stalinien pur sucre, construisirent un cocktail d’organisations paysannes et urbaines très influencées et inspirées par la prétendue « révolution cubaine » ; leurs étendards étaient celles de la « récupération » de la terre ou la démocratisation du gouvernement contre la fraude électorale ou la dictature militaire. Déçues par la légalité et réprimées par l’État, elles décidèrent d’assumer la lutte de guérilla. En fin de compte, leur action est celle de la petite bourgeoisie qui, en Amérique latine, a essayé de « remettre en place un projet de développement national contre les fractions nationales apatrides et l’impérialisme américain ». Leur naissance se trouve complètement en dehors du terrain du mouvement ouvrier : leur programme est la lutte pour le « renversement de la dictature néo-fasciste ». Même s’ils veulent établir un « gouvernement de type socialiste-révolutionnaire », ce n’est, concrètement dans la réalité des faits, que le même scénario que celui écrit par le sandinisme au Nicaragua : la défense pure et simple du régime bourgeois et de l’économie nationale. 7

La pratique politique du FMLN est pleinement celle de la bourgeoisie : la guérilla exprimait l’action typique des couches et des classes sans avenir, des actions armées minoritaires qui prétendent, souvent en désespoir de cause mais aussi aux ordres d’un camp impérialiste qui veut affaiblir le camp dominant dans la région, remplacer l’action des travailleurs, une action consciente et massive. Le rôle actuel du FMLN, en tant que parti de gauche au sein de l’appareil d’État, est parfaitement cohérent avec son passé. Il n’existe ni « trahison » ni « dévoiement » de son « essence » ; le FMLN n’a fait que s’adapter aux temps nouveaux pour continuer à servir le capital.

Le FMLN, comme les Sandinistes au Nicaragua, a négocié son futur politique pour ne pas disparaître de la scène

La chute du bloc impérialiste de l’URSS laissa dans un état d’abandon une multitude de mouvements de guérilla en Amérique Latine, ainsi qu’ailleurs dans le monde et même des pays entiers comme Cuba. Voilà le contexte qui explique les négociations de paix entre le FMLN et le gouvernement du Salvador avec la médiation des pays comme le Mexique qui essayent aussi de jouer un rôle de premier plan dans la nouvelle configuration du monde et dans l’arrière cour de l’Oncle Sam. 8 Avec la disparition du sponsor économique, militaire et idéologique du bloc russe, les farabundos décidèrent de négocier pour ainsi s’assurer leur survie dans la recherche de la prise du pouvoir, même si, alors, cela devait se faire dans un cadre d'une participation au jeu parlementaire. En fait, à quelques différences près, c’est le même schéma qui s'est produit avec les Sandinistes au Nicaragua : ceux-ci ont instauré un gouvernement de gauche à la suite d’un putsch militaire (1979), mais ils décident de s’entendre avec leurs rivaux à travers la négociation d’un processus électoral, à la suite d’une décennie de « guerre de basse intensité » (1980-1990) et d’être passés dans l’opposition. 9

Les luttes de libération nationale ou l’affrontement entre les grandes puissances par groupes interposés pendant la Guerre froide

L’auréole romantique des guérillas en Amérique latine, surgies en particulier pendant la période de la Guerre froide après la Seconde Guerre mondiale, pâlit face à l’évidence historique : elles n’ont été que des simples pions sous la coupe du bloc stalinien. L’ancienne URSS, tête de bloc, avait toujours voulu planter quelques lances dans l’arrière-cour des États-Unis, pour renforcer le rôle de Cuba qui était sa tête de pont. Même s’il était impossible pour l’URSS de disputer sérieusement le leadership à la puissance américaine, il lui était toujours avantageux de maintenir une certaine instabilité dans sa chasse gardée, pour ainsi l’obliger à prélever des ressources, des efforts militaires, etc., des zones stratégiques du monde où se jouaient véritablement les intérêts géopolitiques des blocs impérialistes. La politique extérieure des États-Unis pendant toute cette période leur a été pleinement favorable en faisant échouer toutes les tentatives et en réduisant le risque à la seule île « mythique » de Castro.

Pour la classe ouvrière, ces affrontements ne furent qu’une suite de sacrifices monstrueux, enfermée qu'elle était entre deux factions de la bourgeoisie, utilisée systématiquement comme chair à canon pour la défense des intérêts de ses propres exploiteurs. Et lorsque certaines de ces forces de libération nationale ont réussi à atteindre le pouvoir d'État, l’expérience fut tout aussi tragique. Ces champions du nationalisme organisèrent les institutions de l’État derrière un masque socialiste et populiste pour convaincre les ouvriers d’accepter encore plus de sacrifices sur l’autel de l’économie nationale. Et quand les travailleurs ont pu se mettre en lutte contre ces conditions de surexploitation, ces régimes se sont chargés de l'en empêcher et de la briser avec la pire violence.

C’est une longue histoire que celle de ce genre d’organisations prétendument « amies » des travailleurs. Ce que nous voyons aujourd’hui au Salvador est l’énième démonstration du caractère bourgeois non seulement de l’idéologie de ces organisations, mais aussi de leur programme et de leur pratique « guérillériste ». Pendant des années cette pratique a stérilisé les énergies ouvrières, de tant de jeunes paysans et prolétaires qui se sont enrôlés dans leurs rangs, sur un terrain complètement pourri. Et aujourd'hui, ils jouent toujours le même rôle de promoteurs de la démocratie électorale bourgeoise, et redorent le blason du vote grâce à leur « passé glorieux » d’héritiers de la vieille « voie armée », devant l’épuisement accéléré des vieux partis qui fait que la bourgeoisie connaît le plus grand mal à entraîner les travailleurs vers les urnes.

Tous ces éléments de réflexion doivent être présents chez les prolétaires du monde entier. Les masses exploitées d’Amérique centrale ont été prises pendant toutes les années 1980 dans l’étau économique, militaire et idéologique formé par des gouvernements de droite et la guérilla. Les générations qui ont subi ce joug contre-révolutionnaire, ainsi que les ouvriers des générations plus jeunes, doivent tirer les leçons de ce passé, en reconnaissant le caractère bourgeois du FMLN, avec tout son masque et ses discours radicaux, avant et aujourd’hui, en tant que parti d’opposition et, peut-être de gouvernement.

 

Revolución Mundial, section du CCI au Mexique, février 2009

 

1 Ce “Front” fut fondé à la fin de 1980, prenant le nom d’Agustín Farabundo Martí, un des organisateurs du soulèvement paysan et indigène de 1932 dans lequel participa aussi le stalinisé Parti communiste du Salvador.

2 C’est un journaliste “indépendant” très populaire qui n’appartient pas au FMNL. C’est un fait très répandu et pratiqué par tous les partis, de droite, de centre ou de gauche, qui mettent en avant des comiques, des vedettes en tout genre, des très respectables leaders d’opinion, etc., pour essayer de convaincre de leurs meilleures intentions.

 

3 Ces élections du 15 mars (au moment où nous traduisons cet article), ont été remportées par le candidat du FMLN. (NDT).

4 En fait, près de 3 millions des salvadoriens vivent aux USA. Les envois de ces émigrants représentent la deuxième ressource dans le PIB d’un des pays les plus pauvres de l’Amérique Latine. Dans le contexte actuel, cette ressource va se contracter.

5 C’est bien simple : Le Salvador est le pays latino-américains avec le taux le plus élevé de morts violentes.

6 Les Accords de Paix de Chapultepec furent signés le 16 janvier 1992 entre le Gouvernement pro-américain du Salvador et le FMLN qui ont mis fin à douze années d’une guerre civile particulièrement sanglante (100 000 morts).

7 Voir dans Revolución Mundial nº 19, 1994, « Guerrillas en América Latina. Un instrumento de la burguesía, no del proletariado ».

8 On peut rappeler le groupe « Contadora » né en 1983, au sein duquel il n’y avait pas que les intérêts impérialistes des grandes puissances qui comptaient, mais aussi ceux des petits requins de la région comme le Mexique, la Colombie, le Venezuela et même le Panama.

9 À la suite des élections en 2006, ces mêmes sandinistes sont revenus au pouvoir. Voir Revolución Mundial nº96 (2007). « Nicaragua: regresan los sandinistas al gobierno para dar continuidad a la explotación y opresión ».

Géographique: 

  • Amérique Centrale et du Sud [37]

Le boom économique indien : Illusion et réalité

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Ce texte est la traduction d’un article publié en langue anglaise sur notre site web et réalisé par Communist Internationalist, organe du CCI en Inde.

Il a été rédigé en novembre 2008, c’est-à-dire juste avant que la crise économique mondiale ne vienne frapper à son tour de plein fouet toute l’Asie. Néanmoins, en expliquant quels sont les ressorts du fameux “boom économique indien”, cet article montre à quel point cette croissance était bâtie sur du sable et qu’elle ne faisait que participer à la préparation de la brutale récession mondiale actuelle.

 

La partie indienne de l’économie capitaliste est en train de se développer de manière éblouissante, nous disent la bourgeoisie en Inde et dans le monde ainsi que les professeurs d’économie. Il existe bien sûr une certaine réalité derrière ces lueurs aveuglantes. L’économie indienne a connu un taux de croissance de 9,6% selon les estimations de 2006/2007 faites par la CIA dans le World Fact Book. Il est presque équivalent à celui de l’économie chinoise. Selon un rapport paru sur Indianbooming.com, « les principaux secteurs de croissance en l’Inde sont la technologie d’information (IT), l’ITES et le BPO1, l’industrie pharmaceutique, la technologie, l’immobilier et la vente au détail de même que les secteurs de la chimie et de l’alimentaire. La mode du shopping, les grands magasins, les hypermarchés, et le commerce de détail se développent en Inde et la présence de marques provenant du monde entier montrent leur vif intérêt à implanter des usines de fabrication en Inde ». Selon un rapport paru dans Business World du 12 mars 2008, journal populaire largement répandu de la bourgeoisie indienne, « l’augmentation des produits manufacturés et des services était de plus de 11% en 2006/2007. L’agriculture n’a augmenté que de 2 à 3%”. Le rôle le plus important dans cette croissance a été joué par le secteur des services qui compte pour plus de la moitié du Produit Intérieur Brut de l’Inde. C’est aussi le secteur de l’économie qui croît le plus vite. Les services d’affaires (IT, ITES – Information Technologie Enabled Service – et BPO – Business Processing Outsourcing) sont parmi les secteurs qui connaissent la croissance la plus rapide, contribuant au tiers de la poussée totale des services. IT compte à son actif pour 1% du PIB ou 1/50e des services. Selon le World Fact Book de la CIA, ce secteur se partageait 55% du PIB en 2007 contre 15% en 1950. Il emploie 23% de la force de travail totale. D’après la même source, l’agriculture et les secteurs affiliés ne représentaient que 16,6% du PIB en 2007 en employant 60% de la force de travail totale. Ce rapport établit que la production industrielle a représenté 27 ,6% du PIB la même année pour 17% des salariés.

Si la croissance du PIB mondial était comparée avec celle du PIB indien, ce dernier présenterait évidemment un aspect très brillant comparé à la baisse de la croissance mondiale, qui est estimée à 3,7/3,8% pour 2008/2009. Business Work du 5 mai 2008 rappelle que “les dernières estimations de 3,7 ou 3,8% de croissance prévues pour 2008/2009 sont plus basses d’un point depuis janvier de cette année ».

Il y a eu une croissance très rapide de l’automobile et des deux roues. L’Inde a encore connu un essor dans les secteurs des composants automobiles, de la chimie, de l’habillement, des produits pharmaceutiques et de la joaillerie. On a aussi vu un développement considérable de la construction et de l’immobilier, ainsi que des infrastructures et l’expansion du réseau ferroviaire. De nombreuses autoroutes et voies expresses ont été construites ces derniers temps.

Les causes de la croissance :

1) L’afflux de capitaux étrangers

Selon l’économiste en chef de la Kotak Mahindra Bank dont les propos ont été rapportés dans Business World du 12 février 2008 : « Une grande partie de la récente croissance de l’Inde a été due aux les liquidités fournies par les FII (Foreign Institutional Investors). » Ce point de vue est renforcé par l’affirmation d’un grand patron des opérations indiennes de la Morgan Stanley, pour lequel un facteur clé dans cette croissance accélérée a été l’augmentation en flèche des apports de capitaux en réponse à l’appétit global pour les investissements à risque). Il affirme : « Sur les cinq dernières années, les ménages et le gouvernement ont bu cette liquidité comme du petit lait, augmentant la dette du PIB de 20% qui ont soutenu l’accélération de la croissance du PIB. » L’afflux d’investissement étranger direct (FDI : Foreign Direct Inverstissement) en Inde a atteint un record de 19,5 milliards de dollars durant l’année fiscale 2006/2007. Cela représentait plus du double de l’année précédente. Et ce flux de capitaux serait de 25 milliards de dollars pour 2007/2008.

Les réformes de la politique industrielle des années 1990 ont substantiellement simplifié les règles en matière de licenciements, levé des restrictions à l’expansion et facilité l’accès à la technologie étrangère et à l’investissement venant de l’extérieur. En mars 2005, le gouvernement a autorisé 100% d’investissement venant de l’étranger dans le secteur de la construction et dans d’autres secteurs.

2) La croissance du secteur des services

La croissance exceptionnelle du secteur des services a été alimentée par une augmentation de la demande des consommateurs étrangers intéressés à l’exportation des services vers l’Inde et ceux qui cherchent à externaliser et sous-traiter leurs opérations. « L’Inde a émergé comme une importante destination de ’back office’ (ceci est une référence à toutes les fonctions administratives d’une entreprise) pour l’externalisation globale de services à la clientèle et d’aide technologique. » (BW du 12 février 25007). Selon une étude publiée dans The Statesman du 6 octobre 2008, « L’Inde, qui accueille six des centres d’externalisation principaux du monde, continue d’être une destination d’externalisation globale majeure pour la technologie d’information face à une volonté déterminée de la Chine de la concurrencer dans ce domaine. » Comme le secteur des services compte pour plus de la moitié du PIB total (entre 53 et 55%) et que l’IT, l’ITES et le BPO jouent le plus grand rôle dans la croissance du secteur des services, le récent boom indien est significatif de la montée phénoménale de la « révolution de la technologie de l’information ». C’est ce qui a fait dire au précédent président de la direction générale de Procter and Gamble India que « la croissance indienne est unique. » (BW du 12 février 2007). D’après le directeur de la recherche globale des marchés de la Deutsche Bank, « la trajectoire de la croissance de l’Inde a été unique. La voie traditionnelle asiatique est de démarrer avec des produits de basse technologie comme des jouets et des matériaux tout faits et ensuite de monter en complexité avec des produits comme l’automobile ou l’électronique. La trajectoire de l’Inde a consisté à utiliser les compétences de la classe moyenne éduquée pour « booste »r les services informatiques l’aviation, les banques, les hôtels, les télécommunications, etc. (BW du 12 février 2007) Différentes explications ont été mises en avant par les économistes en vue. Un économiste en chef à CRISIL (Credit Rating and Information Services of India Ltd., principale société indienne de conseils en matière d’investissements en tous genres) a montré que lorsque l’Asie de l’Est a commencé à se développer, il n’y avait aucun instrument significatif pour exporter des services et les pays de cette partie du monde étaient contraints de mettre l’accent sur la manufacture. Selon lui, l’Inde a manqué ce train et ouvert son économie au moment où la demande pour les services augmentait. « La fixation sur les services fut l’effet d’une coïncidence et il n’y avait pas de stratégie économique planifiée dans le sens de l’augmentation du poids des services. » (ibid.) Cela est très significatif dans la compréhension de l’explosion tout à fait soudaine de ce secteur dont on peut dire qu’il a joué le rôle de locomotive de la croissance indienne.

Une économiste spécialiste des marchés globaux de la Standard Chartered Bank a montré que le manque d’infrastructure a été un facteur conduisant les entrepreneurs à préférer les services à la manufacture. Pour elle, « le secteur privé a découvert qu’il pourrait mieux faire dans les services ». Cela est aussi très important pour comprendre la réalité interne actuelle de l’économie indienne et son boom impressionnant.

Tout ceci peut amener à penser que ces développements frappants et le haut niveau des services dans le PIB annonce l’ouverture d’une économie développée ; et certains secteurs de la bourgeoisie indienne et de l’appareil politique y souscrivent avec suffisance et arrogance. Mais le conseiller économique du groupe Tata vient apporter une ombre au tableau. Pour lui, « l’expansion de la part du secteur des services n’indique pas que l’économie est évoluée. La part des services au Bengladesh est de 52% et de 66% au Sénégal ». (ibid.)

Une force de travail compétente et efficace mais pauvre se trouve à la racine de cette croissance dans la sphère des services et de l’externalisation. Elle est aussi à l’origine de la demande grandissante en informatique, en technologie d’information de nombreux pays ; et l’Inde a maintenant un avantage compétitif dans ce domaine. Comme dans celui de la fabrication, « la capacité de produire de petites voitures à des prix plus bas qu’en Corée a aidé l’usine Chennai de Hyundai Motor India à devenir le pivot de production de la Santro de Hyundai Motor. Maruti Suzuki s’est établi comme producteur concurrentiel et exporte des véhicules comme l’Alto et la Switch vers l’Europe et d’autres marchés mondiaux. » (BW du 20 août 2007) Cela indique clairement la validité d’un réservoir de main d’œuvre compétente, efficace et pauvre en Inde ; tout cela attire les capitaux étrangers pour venir exploiter cette source d’extraction de plus-value qui les rendra compétitifs et fournira des profits. Le directeur général de la banque ICICI souligne la « tendance parallèle au nombre grandissant de compagnies choisissant l’Inde comme centre global de fabrication et de sourcing2(…) Elles ont très bien vu l’avantage de l’Inde comme base manufacturière » Il affirme plus loin que “l’aspect important de notre développement économique est l’émergence de capital connu comme le facteur clé de la croissance... C’est une clé de la réalité économique et a résulté dans l’augmentation du revenu des foyers et a stimulé la croissance dans la demande des consommateurs qui a son tour a fouetté la production industrielle. (ibid.)

Ceci renforce de plus l’idée d’un vaste champ de main d’œuvre compétente et pauvre à l’origine de la croissance dans cette partie du monde. Un point de vue similaire s’exprime dans le World Fact Book de la CIA qui affirme que la population de la classe moyenne comptant 300 millions de personnes représente un puissant marché pour la consommation. Il ajoute que l’Inde possède un vaste bassin d’experts techniques et managériaux compétents. Cela a constitué un facteur important de la croissance très impressionnante du secteur immobilier.

3) L’utilisation de la dette

La baisse des taux d’intérêts par la Reserve Bank (la banque centrale du gouvernement indien) de 12/12,5 en 2001 à 8,5 en 2004/2005 a accéléré la demande de construction et de crédits à la propriété, ainsi que du crédit à la consommation comme les réfrigérateurs, les automobiles, les motos et autres deux roues. Il est bien connu que lorsqu’il y a un manque de demande suffisante pour les produits capitalistes, indiquant une crise à venir, l’Etat capitaliste intervient dans l’économie avec différentes mesures comme une action à la baisse ou à la hausse du coût du crédit, sauvant des pans financiers importants de la faillite grâce à une provision d’énormes masses de crédit bon marché provenant des banques centrales, modifiant les taux de change monétaires, ou par la mise en œuvre de différentes prescriptions keynésiennes. La création artificielle de la demande par le crédit bon marché est un moyen très largement utilisé dans cette période de décadence du système capitaliste.

La croissance de l’économie américaine des années précédentes a été soutenue à bout de bras par des crédits venant à la fois de fonds privés et du gouvernement. Le gouvernement indien a aussi suivi les traces de la bourgeoisie américaine et d’autres bourgeoisies développées du cœur du capitalisme. Il revient au crédit bon marché d’avoir joué un rôle important dans la croissance de la demande et donc dans la croissance de l’économie. L’augmentation des dépenses d’Etat, à la fois dans les sphères productives et non productives, contribue à l’augmentation future de la consommation. Ces dernières années, le gouvernement indien a dépensé des sommes énormes dans le secteur du développement d’infrastructures. Certains rapports estiment que les dépenses improductives ont été multipliées par dix depuis 1985/1986 et que les dépenses militaires l’ont été par quatre au cours de la même période. Dans l’année fiscale présente, le gouvernement a annoncé une dette de 700 000 roupies, soit presque 15,6 milliards de dollars, pour les paysans en raison de considérations politico-économiques. Tout cela a bien sûr ajouté à la taille du marché mais aussi à la taille du déficit du budget année après année. Il en est résulté une élévation de la dette publique qui « aujourd’hui est de 31 070 510 millions de roupies (soit 690,5 milliards de dollars) ». (BW du 20 août 2007)

Selon un professeur d’économie de la plus prestigieuse université de l’Inde, « le pays se trouve aujourd’hui dans le piège de l’endettement (où la plupart de ses emprunts est consacré au paiement des intérêts mais pas au principal ». (BW du 4 juin 2007) Aussi, bien que cette croissance de l’économie indienne soit impressionnante, elle est très différente de la nature de celle de l’économie capitaliste au 19e siècle.

La politique agressive de marketing des entreprises produisant des biens de consommation durables, permettant d’acheter avec des traites acceptables, a aussi été un facteur d’accélération de la demande qui, en retour, a conduit à une accélération de la croissance. Cela constitue un marché massif et toutes les fractions du capital national et international sont impliquées dans une compétition à mort pour exploiter ce marché.

La taille du marché indien de détail est de 230 milliards de dollars (BW du 9 avril 2007). En 2008, elle est de 295,6 milliards de dollars. D’après un rapport publié dans The Stateman du 29 septembre 2008, « il est prévu que le secteur de détail du pays va augmenter jusqu’à 700 milliards de dollars en 2010, tandis que celui des affaires atteindra 20% du marché mondial en 2010 ». Les grandes entreprises, nationales aussi bien que les multinationales, ne laissent aucune pierre non retournée pour faire sentir leur présence et dominer ce marché. Les confrontations entre les détaillants et les grandes entreprises sont en augmentation. La majorité écrasante des gens engagés dans ce commerce de détail partout en Inde sont des petits-bourgeois propriétaires de commerces et de magasins, et constituent un marché de taille pour les produits capitalistes.

4) L’expansion aux marchés ruraux

De plus, l’Inde rurale a une population de 700 millions. Un rapport de BW du 20 août 2007 considère que « la capacité de faire des affaires dans l’Inde rurale est en train d’augmenter radicalement. Les villages deviennent liés à des changements dans la technologie de la production agricole et à ce qui s’y rattache ». Il s’est produit une intégration presque générale et une interdépendance entre l’industrie, la finance et l’agriculture. La production agricole est à présent devenue de façon prédominante une production pré-capitaliste de biens. Le développement de l’infrastructure rurale et l’intégration aux centres commerciaux augmente. Le gouvernement indien a porté une attention particulière à la construction de voies ferrées dans les zones agricoles. Il a amené les banques à proposer des crédits peu chers pour ce secteur et mis en œuvre un cadre de garantie de l’emploi pour cette population. Comme le directeur de la recherche en marché global de la Deutsche Bank l'a signalé au monde des affaires : "il faut penser à des salons de beauté à la campagne et à des projets d’infrastructure de transport plutôt qu’aux logiciels dernier cri de l’industrie des jeux informatiques." (BW du 12 février 2007)

L’importance du marché rural qui est restée de façon prédominante pré-capitaliste a été comprise par l’élite capitaliste.

Il existe en outre un nombre grandissant d’agents de grandes entreprises de l’assurance, de la banque, de produits pharmaceutiques et d’autres secteurs. Selon certaines estimations, il y aurait près de 1,1 million d’agents de la Life Insurance Corporation of India (la plus grande compagnie d’assurance de l’Inde) à elle seule. La plupart des gens tirent leurs revenus des services de transport comme producteurs pré-capitalistes et vendeurs de services. Un nombre très important d’hommes de loi ont un mode de vie petit-bourgeois. Il existe de nombreux agents à la fois dans le marché de gros et dans d’autres tels que l'immobilier, en quête de maisons à louer dans les centres urbains, etc. Tout cela réuni constitue un marché considérable pour le secteur capitaliste. Le marché total disponible à l’intérieur des frontières nationales indiennes a joué un rôle très important dans la réalité actuelle du boom indien.

Certains économistes et chercheurs en économie affirment qu’une grande partie de la demande dans les pays de l’Asie de l’Est vient des exportations vers le monde développé, alors qu’en Inde la plus grande part de cette demande est basée sur la croissance de la consommation domestique. Le rapport de la World Bank sur les indicateurs du développement mondial montre que l’exportation des marchandises et des services ne constitue que 19% du PIB alors qu’elle est de 34% pour la Chine et de 44% pour la Corée.

Les limites inhérentes au capitalisme

Le système capitaliste mondial peut augmenter la production autant qu’il veut mais il ne peut pas augmenter de la même façon et au même niveau un marché indispensable. Marx a affirmé que la production s’accroît en progression géométrique mais que le marché augmente dans une progression arithmétique. Aussi il y a toujours une cassure entre le volume de la production capitaliste et le volume du marché capitaliste disponible. Le capitalisme est intrinsèquement incapable de combler ce décalage lui-même. L’environnement pré-capitaliste lui procure cet indispensable secours. Mais à mesure que le capitalisme avance, il intègre les secteurs pré-capitalistes dans sa propre sphère les uns après les autres, et coupe ainsi la branche sur laquelle il est assis. De vigoureux efforts pour une exploitation future des marchés extra-capitalistes accompagnent cette situation mais au cours du temps le marché devient relativement saturé, ce qui a été le cas depuis les années 1960..

La production capitaliste est dirigée essentiellement vers le marché, le profit et l’accumulation. Mais le marché devient de plus en plus incapable d’absorber la production capitaliste globale. Ceci conduit inévitablement à une intensification ultérieure de la compétition et des conflits entre toutes les fractions nationales. Chaque pays capitaliste sans aucune exception devient impérialiste pour sa survie comme fraction du capital. Chaque pays recourt à différentes mesures capitalistes d’Etat pour rester à flots : la dette publique et privée, la tricherie avec la loi de la valeur, le contrôle du marché, la manipulation des réserves monétaires, les taux des prêts bancaires, les taux d’échange, etc. Récemment, les pays capitalistes principaux ont appelé et imposé la globalisation sur le monde pour ouvrir leurs marchés à leurs produits, technologie et capital. La création de l’OMC et de ses activités montre clairement l’intensité de la crise, le conflit et la ruée vers les marchés disponibles qui en découlent. De l’autre côté, les pays développés, les puissances capitalistes principales, usant d’un prétexte ou d’un autre, ont imposé différentes restrictions dans l’exportation des marchandises des pays en développement vers les pays développés. Chaque pays capitaliste est appelé selon ses forces et sa capacité à recourir à toutes les mesures politiques, militaires, diplomatiques et économiques possibles pour s’assurer du marché indispensable à ses produits et donc à sa propre survie comme fraction capitaliste au détriment des autres. Chaque pays, chaque corporation capitaliste fait les plus grands efforts pour être plus compétitif que les autres. La rentabilité est devenue le mot d’ordre du capitalisme d’aujourd’hui et cela nous aide à voir clairement l’essence réelle du capitalisme mondial dans sa phase avancée de décadence.

La vraie nature du capital est de se ruer vers tel secteur ou telle partie du monde où la possibilité de faire le profit maximum existe. Aussi, en cete période de globalisation, les diverses fractions du capital font de fréquentes incursions dans ces secteurs et régions qui assurent au maximum et le plus rapidement du profit. Ces incursions ont ainsi été faites vers les marchés financiers et les marchés boursiers étrangers partout dans le monde. Le capitalisme devient de plus en plus une économie de casino. La somme de tels « capitaux volatiles » qui passent rapidement d’un pays à un autre, là où est possible un profit maximum et rapide, augmente et devient prédominante sur le capital employé dans la production de biens industriels et agricoles et dans d’autres services socialement nécessaires. On la retrouve bien plus dans les secteurs de l’assurance et de la banque dans les différentes parties du monde. Il existe également une claire préférence pour la technologie d’information en lien avec le secteur des services. Dans cette sphère, les fractions développées du capital global ont trouvé dans l’Inde une destination très profitable. Diverses fractions du capital indien telles que Tata Consultancy Services, Reliance, etc., s’efforcent d’en tirer le maximum. Du fait de la politique éducative particulièrement élitiste de l’Etat indien, portant plus l’accent sur l’éducation supérieure que sur le primaire et le secondaire, l’Inde possède une importante force de travail bien formée et efficace tout à fait à l’aise en langue anglaise. Celle-ci est aussi plutôt bon marché en comparaison avec le monde développé. Aussi, les parties du capital international et national se sont attachées à exploiter cette source de travail jeune, compétente mais peu chère, au moment où la demande globale en services de technologie d’information est devenue très forte. Cela a donné naissance au boom de la technologie d’information liée au secteur des services. Nous avons déjà vu que les géants de la fabrication et les grandes compagnies indiennes exploitent elles aussi cette main d’œuvre et les matières premières, et ont fait de l’Inde un centre manufacturier compétitif sur le marché mondial. Un géant des téléphones cellulaires, Nokia, a déjà mis sur pied une unité de production près de l’aéroport de Chennai, et un grand nombre de ses fournisseurs ont aussi ouvert leurs équipements de production dans l’énorme « zone économique spéciale » (en anglais SEZ3) privée appartenant à Nokia. Les produits Nokia sont destinés aussi bien aux consommateurs indiens qu’au reste du monde. Hyundai Motors, Maruti Suzuki, etc., font d’ailleurs de même. Tous ont donné un élan très fort à la relocalisation d’activités industrielles et à l’externalisation de services et de soutien technique. Les établissements industriels et les centres de service ont été fermés dans les pays centraux et établis dans des pays comme l’Inde ou la Chine. Cela conduit inévitablement à une désindustrialisation dans les pays développés. C’est la particularité du modèle grandissant du capital mondial dans cette phase historique de décadence et qui est fondamentalement différent de la phase ascendante.

28% de la population indienne travaille dans le secteur des services (CIA Fact Book) et la part de ces derniers dans le PIB indien était de 53,6% en 2005, selon le rapport de l’Asian Development Bank. On peut avoir ainsi facilement une idée des salaires relativement plus élevés de ceux qui sont employés dans ce secteur. Cela est également vrai pour le secteur manufacturier qui contribue à hauteur de 27,4% du PIB (rapport de l’Asian Development Bank) et emploie 12% de la population (CIA Fact Book). Ces deux secteurs ont représenté un marché de 300 millions de personnes en Inde. En plus de cela, il y a encore un vaste marché extra-capitaliste comme on l’a dit plus haut. Cette demande ne peut qu’attirer à la fois les capitaux locaux et étrangers pour agrandir leurs activités productives et leurs établissements commerciaux.

Mais c’est la création d’une phase historique particulière dans la vie du capitalisme. Dans cette phase, la demande et la croissance de certaines parties ont lieu au détriment des mêmes dans d’autres parties du monde, plus particulièrement au cœur du capitalisme. Nous avons déjà vu qu’alors que la croissance en Inde a atteint deux chiffres ces dernières années ainsi qu’en Chine depuis une période importante, celle des pays développés a fait triste figure, estimée de 3,7 à 3,8% en 2008/2009. Cette grande différence dans le taux de croissance entre les pays centraux et la périphérie en développement en dit long sur la santé du capital global dans cette phase historique de décadence du capitalisme. Cette croissance anormale dans certaines parties périphériques s’accompagne d’une décroissance similaire dans les parties centrales du système doit être considérée comme un cancer, révélant l’état malade, sénile de ce système.

Les gens sont très souvent pris par la propagande de la bourgeoisie mondiale sur le miraculeux boom économique de l’Inde. La bourgeoisie cherche à mystifier la classe ouvrière mondiale et à la convaincre de chanter les louanges de la croissance en Inde et en Chine, et de lui faire croire que tout va bien dans le système capitaliste, qu’il possède un remarquable pouvoir de résilience et qu’il peut revenir à la normale malgré la crise et les explosions financières. Mais nous devons affirmer avec force qu’en dépit des roulements de tambour sur la croissance indienne, la participation de l’Inde au commerce mondial n’est que d’un maigre 1,2% d’après un rapport de l’OMC de 2006 (CIA Book Fact). Cela ne fait qu’une petite bosse dans la courbe vers la baisse de croissance.

D’un côté, il y a toute cette poussée, un marché grandissant de plus de 300 millions de consommateurs. De l’autre, il y a une pauvreté et une misère illimitées. Un rapport de 2007 de la Commission Nationale pour les Entreprises dans le secteur Non-organisé (National Commission For Enterprises in the Unorganized Sector, NCEUS) précise que 65% des Indiens, soit 750 millions de personnes, vivent avec moins de 20 roupies par jour, un peu moins d’un demi-dollar, la plupart travaillant dans « le secteur du travail informel sans sécurité du travail ou sociale, vivant dans une pauvreté abjecte ». (CIA Fact Book) On a aussi vu que 60% des ouvriers sont employés dans les secteurs de l’agriculture, ne contribuant que pour 16,6% du PIB. Le revenu de ces masses de travailleurs est très bas. Ces dernières années près de 25 000 petits paysans se sont suicidés car ils n’arrivaient plus à rentrer dans les frais engagés pour leurs productions. Ce taux de suicide ne cesse d’augmenter. De nombreux économistes bourgeois et d’universitaires reconnaissent aussi un sérieux sous-emploi et un chômage déguisé dans le secteur agricole. La fameuse croissance et ce boom n’ont pas réussi à réduire de façon drastique le pourcentage d’ouvriers employés dans l’agriculture. L’économie indienne est donc à des milliers de kilomètres d’avoir évolué vers une économie développée. La World Bank a classé l’Inde comme un pays à bas revenu.

Bien sûr, un grand nombre de jeunes diplômés se retrouve dans le secteur de la technologie d’information et constitue une base importante effective de consommateurs, mais il n’y a eu aucune réduction du chômage, qui était de 7,6% en 2006

Au contraire, le pourcentage de chômeurs augmente chaque jour. Comme dans les pays développés, la pratique capitaliste est ici de réduire les emplois et de geler les postes. Les départs en retraite ne sont pas remplacés et la charge de travail pour ceux qui restent augmente constamment. C’est un fait admis généralement que le chômage augemente. Ce chômage est cependant totalement différent de celui qui pouvait apparaître dans la phase ascendante du capitalisme, alors que celui-ci intégrait de plus en plus de gens au fur et à mesure que l’activité productrice augmentait. Mais aujourd’hui, aussi formidable que soit une croissance, elle exclut des gens en nombre grandissant. Celle récente de l’Inde n’est pas une exception à cette règle générale de cette phase du capitalisme.

Le contexte impérialiste

L’Inde a commencé à ouvrir son économie autour de 1991/1992. Cette jonction historique est d'une importance cruciale. Les relations internationales parmi les Etats capitalistes partout dans le monde étaient particulièrement tendues. L’ordre impérialiste mondial dominé par les deux blocs impérialistes, l’un conduit par les Etats-Unis, l’autre par l’ex-URSS, était en pièces après la chute du bloc de l’Est et celle de l’URSS. Cette situation a engendré un nouveau désordre mondial, une situation d’instabilité et d’indiscipline. La seule super-puissance restante, les Etats-Unis, s’est trouvé dans une incapacité grandissante à préserver son hégémonie. Tout ce processus a conduit à son affaiblissement actuel. Dans une telle situation internationale, la tendance au « chacun pour soi » et au chacun contre tous est devenue toujours plus affirmée. Et elle a sonné l’ouverture de la phase avancée de la décomposition du système capitaliste. Les bourgeoisies plus faibles des pays en développement ont aussi commencé à remettre en question le diktat de la bourgeoisie militairement la plus puissante, les Etats-Unis. Ceci est la toile fond de la récente croissance indienne. L’aspect stratégique et politique du développement économique a atteint des nouvelles proportions dans ce contexte. La rationalité économique et la recherche de profits énormes ont joué un rôle dominant dans les guerres de la phase ascendante du capitalisme. Mais le souci d’obtenir des gains politiques et stratégiques a joué le rôle principal dans les guerres qui ont surgi en décadence. De même, la poursuite de super-profits n’est pas en soi le facteur déterminant dans le mouvement et l’investissement de capitaux, de technologie, de relocalisation de l’industrie, etc. On connaît le Plan Marshall après les dévastations sans précédent de la Seconde Guerre mondiale et son importante contribution au développement économique remarquable de l’Allemagne, de la France et d‘autres pays européens dans la période d’après-guerre. La participation américaine au développement du Japon et de la Corée a aussi été tout à fait significative. Mais la force motrice derrière ce soutien actif des Etats-Unis tenait dans l’intérêt stratégique, politique impérialiste de l’Amérique dans le nouvel ordre mondial qui émergeait de cette guerre.

Dans le nouvel ordre impérialiste qui naît de la disparition des blocs,, de nouvelles alliances politiques, stratégiques et militaires se sont formées. Dans une telle phase historique, l’importance stratégique et politique de la bourgeoisie indienne a été comprise par les Etats américains et de l’Europe de l’Ouest. La bourgeoisie indienne est d‘ailleurs devenue plus à même d’affirmer son poids, sa force et sa confiance. Elle a commencé à s’éloigner du modèle stalinien de développement capitaliste d’Etat longuement chéri pour se retrouver sur une ligne politique de réformes économiques et d’ouverture de l’économie. Elle a commencé à s’engager vers une forme démocratique de capitalisme d’Etat.

D’un autre côté, la nécessité de contenir la puissance émergente politique, militaire et économique de la Chine a fait que les Etats-Unis et d’autres puissances occidentales ont réalisé qu’il fallait se servir de l’Inde comme d’un contrepoids et donc la développer. Cela a contraint les bourgeoisies de ces pays à utiliser tous les moyens possibles pour pousser en avant le développement économique de l’Inde.

Les raisons économiques mentionnées ci-dessus sont, bien sûr, importantes mais dans le monde d’aujourd’hui, ce sont des facteurs politiques et stratégiques de premier ordre. Le capital de n’importe quelle partie du monde n’est pas aussi libre qu’il pouvait l’être dans la phase d’ascendance pour aller vers une autre partie. Cela dépend aussi de l’Etat vers lequel il veut aller. Ce dernier est non seulement guidé par les calculs économiques mais aussi et surtout par des calculs politiques et stratégiques. C’est nécessairement le cas dans cette période de conflits impérialistes intenses entre tous les pays sans exception. Toute entreprise engagée dans la production d’équipement militaire sensible ne peut aller construire une unité de production sans la permission de son Etat d‘origine. D’après les rapports de journaux bourgeois, certaines entreprises américaines n’ont pas eu l’autorisation de leur gouvernement de vendre des super-ordinateurs à la Chine. Dans de tels cas, les relations militaires ne jouent pas seulement un rôle très important mais déterminant. Ainsi, la position géostratégique, le poids politique et militaire de la bourgeoisie indienne dans la « communauté internationale » dans les années 1990 et après a été un facteur important de son évolution comme destination favorable pour l’investissement étranger.

La croissance indienne et la classe ouvrière

Pour un membre de longue date du parlement indien et dirigeant syndicaliste gauchiste, « les attaques sur les masses ouvrières indiennes se sont dangereusement et diaboliquement intensifiées dans la récente période. La réforme économique n’est pas seulement destinée à accélérer l’industrialisation, elle encourage également l’utilisation de méthodes rigoureuses pour tromper la classe ouvrière et lui renier ses droits de base… près de 95% de la force de travail se trouve dans le secteur non-organisé. La plupart d’entre eux sont de façon lamentable en-dehors de tout cadre de sécurité sociale et sont à la merci des pires exploiteurs. La contractualisation et l’externalisation du travail ont profondément affecté les conditions de travail. Tandis que les heures de travail ont augmenté jusqu’à plus de dix heures par jour dans les petites et moyennes entreprises, surtout dans les usines « nouvelle vague »… le salaire est généralement en dessous du minimum sans aucun bénéfice de statut… Tout cela pour baisser substantiellement le coût du travail et maximaliser les profits… D’un côté, il existe une augmentation frappante des profits dans des unités spécialisées et, de l’autre, on voit une baisse constante du salaire réel. » (The Stateman du 5 septembre 2008) Il faut aussi mentionner que « les petites et moyennes entreprises comptent pour 40% de la production industrielle et pour 45% de ses exportations ». (Business Week du 20 août 2007)  « Les petites et moyennes entreprises qui ont grossi de 35% ces deux dernières années enregistrent un taux de croissance de 40%… ce qui contribue à la production manufacturière à hauteur de 46%… la contribution des petites et moyennes entreprises au PIB est prête de toucher les 22% pour 2012, selon une étude de la chambre de Commerce et de l’Industrie. » (The Statesman du 29 septembre 2008)

Ce secteur grandit rapidement et devient de plus en plus important pour les grandes entreprises, qui sous-traitent leurs diverses activités de production avec ces PME. Ces dernières se soucient comme d‘une paille des lois du travail : elles sont les réelles baraques à sueur basées sur l’exploitation maximum et sur la répression contre les explosions ouvrières.

L’inflation a été liée de façon inséparable avec la croissance de l’Inde et a atteint depuis 16 ans un haut niveau. L’économie « au noir », la politique du gouvernement sur les taux d’emprunt, la création d’une demande artificielle grâce à des crédits peu chers, l’augmentation du déficit public, les énormes dépenses d’armement, la politique de subsides et autres mesures capitalistes d’Etat destinées à tricher avec la loi de la valeur – ce sont tous des facteurs importants de la croissance actuelle et qui poussent à une accélération de l’inflation (qui est de 12% actuellement). Ce qui rend les conditions de vie ouvrière beaucoup plus précaires. Elle s’ajoute indirectement à l’exploitation déjà intense de la classe ouvrière. Les mesures du gouvernement ont raté leur but et aggravé le taux d’inflation. Le gouvernement est incapable de prendre des mesures très fortes car elles pourraient remettre en cause le taux de croissance.

Les croissances indiennes et chinoises sont une arme très puissante de mystification de la bourgeoisie mondiale. Elle envoie à travers les vantardises sur ces dernières un message à toute la classe ouvrière : qu’en dépit des crises répétées et des chutes boursières, le système est en bonne santé et que la lumière est au bout du tunnel. Elle avait de même avec les Tigres et les dragons du Sud-Est asiatique avant qu’ils ne boivent le bouillon. Tout cela n’est qu’un piège politique, idéologique pour la classe ouvrière mondiale.

Conclusion

Le système capitaliste est un système plein de contradictions. La splendeur et la brillance apparentes cachent l’horreur de la réalité intérieure inhumaine. Ce n’est pas et ne peut être autrement avec les croissances et les booms indien ou chinois. Dans un article intitulé « Nouveau rendez-vous avec le destin » publié dans The Stateman du 15 août 2008, l’ex-gouverneur de la province la plus troublée politiquement et militairement de l’Inde écrit : « Nous continuons à nourrir des illusions et nous satisfaire de gains à court terme et d’un éclat à l’extérieur. On entend souvent ces jours-ci des propos sur les réserves impressionnantes de capitaux étrangers de l’Inde, ses performances en matière de technologie de l’information… Mais on en dit peu en comparaison sur le fossé s’élargissant toujours plus entre les riches et les pauvres, sur les problèmes aggravés du chômage et du sous-emploi, de l’existence sans fin d’une pauvreté aiguë, de l’augmentation rapide de squatters, de clochards et de bidonvilles dans les zones urbaines, et d’une détérioration profonde de l’environnement à la campagne comme à la ville… L’Inde a aujourd’hui le plus grand nombre de pauvres, le plus nombre d‘illettrés et le plus grand nombre de gens mal nourris dans le monde. Plus de 250 millions d’hommes, de femmes et d’enfants vont se coucher le ventre vide chaque jour. Une femme indienne sur trois est sous-alimentée. Près de 40% des enfants de moins de 5 ans en dessous du poids normal dans le monde sont Indiens. 57 millions d’enfants de ce groupe d’âge sont dénutris ; ce pourcentage (48%) est même pire que celui de l’Ethiopie (47%). Six femmes sur sept sont illettrées. Dans les villes, les bidonvilles et les installations de squatters ont proliféré de 250% plus vite que l’ensemble de la population. Bombay avec presque 12 millions de gens vivant dans de tels baraquements est devenue la capitale mondiale des bidonvilles. L’Inde est encore reconnue comme une des nations les plus corrompues du monde. »

Cette horrible réalité derrière l’éclat extérieur de croissance impressionnante et de boom économique est encore noircie par le fait que “l’économie parallèle représente presque la moitié de l’économie officielle… et le poids de l’argent cash qu’elle génère joue un rôle énorme dans l’aggravation de l’inflation… La plupart de l’argent venant en Inde en tant qu’investissement étranger n’est rien à côté de l’argent du marché noir ». (Business Week du 4 juin 2007) Le professeur d’économie de JNU, l’université la plus élitiste de New Dehli, considère que l’économie “au noir” de l’Inde vaut 500 milliards de dollars.

La brillance de la récente croissance économique de l’Inde est basée sur une intensification de l’exploitation et une aggravation des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, non seulement en Inde mais aussi dans les autres parties du monde.

Communist Internationalist, novembre 2008

1 L’externalisation de conduite d’affaires (Business process outsourcing - BPO) est proche de la sous-traitance. Elle signifie la contractualisation des opérations d’affaire spécifique à un service fournisseur externe. Cette BPO est dépendante de la technologie d’information (IT), donc elle est aussi liée aux services de technologie d’information (information technology enabled services ou ITES). Source Wikipedia (notre traduction).

2 Sourcing (ou identification en français), est un terme utilisé en gestion des ressources humaines pour décrire un processus qui a pour objectif d'identifier des candidats correspondant aux profils recherchés par le client. Le Sourcing est aussi employé dans le monde des affaires pour qualifier l'acte visant à réduire le coût général des achats, en automatisant les processus concernés. Expression anglo-saxonne utilisée pour désigner l’action de recherche, localisation et évaluation d’un fournisseur, afin de répondre à un besoin identifié (en matière de biens ou de services) formulé par une entreprise ou par un service ou un département de cette entreprise.

3 Une « special economic zone »,SEZ, est une région géographique qui se dote de lois commerciales plus libérales que celles auxquelles est astreint un Etat.

 

Géographique: 

  • Inde [40]

Les universités prennent le parti de la répression de l'État

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En Iran, une des premières réponses du régime islamique aux manifestations massives qui ont suivi le résultat des élections truquées a été d’envoyer ses milices Basij de ruffians dans l’université de Téhéran, pour cogner et assassiner des étudiants sélectionnés pour faire un exemple envers tous les autres.

En France, pendant les mobilisations plus récentes contre la « réforme » de l’université (destinée à accentuer les divisions entre l’élite universitaire et le reste de la population), plus d’un campus occupé a été attaqué par la police armée de chiens et a essayé d’empêcher les étudiants de tenir des débats politiques dans les amphithéâtres.

En Grèce, durant la révolte de décembre 2008, les campus universitaires, particulièrement à l’École Polytechnique d’Athènes, ont servi de base pour des assemblées générales ouvertes aux étudiants, aux ouvriers et aux chômeurs. La police a là aussi été utilisée pour briser les occupations et frapper ainsi les efforts de cette révolte à devenir consciente de ses buts et de ses méthodes.

Dans nombre de ces cas, il y a eu des signes clairs de complicité entre la police et les autorités universitaires.

L’Iran, bien sûr, est une théocratie rigide, les polices française et grecque ont une longue histoire de violence contre l’opposition sociale. Mais les choses sont-elles différentes dans la libérale Grande-Bretagne, avec sa tradition d’universités indépendantes et de tolérance envers les penseurs non-orthodoxes ?

Peut-être pas !

En juin, des étudiants de SOAS (School of Oriental and African Studies) de Londres ont occupé l’université après que des policiers de l’immigration lourdement armés ont organisé un raid pour identifier, arrêter, et dans certains cas expulser, des ouvriers immigrés employés au nettoyage des locaux qui avait été impliqués dans une grève. Ici encore, la police a agi de conserve avec les autorités universitaires :

« Les brigades policières de l’immigration ont été appelés par la société de nettoyage ISS, quand bien même certains employés étaient à son service depuis des années. Il avait été dit à l’équipe de nettoyage qu’une ‘réunion d’urgence de l’équipe’ allait avoir lieu à 6h30 du matin le vendredi (12 juin) ».

Il s’agissait d’un prétexte pour piéger les salariés dans un espace clos où les policiers traquant l’immigration clandestine étaient cachés pour les arrêter.

Plus de 40 policiers en tenue anti-émeutes ont procédé à un interrogatoire musclé et agressif avant de les escorter jusqu’au centre de détention. Aucun représentation légale ni aucun soutien syndical n’étaient présents du fait du secret entourant l’action. La plupart des interpellés étaient incapables de communiquer et incapables de comprendre ce qui se passait du fait du refus de la présence de traducteurs.

« La direction de SOAS était complice du raid de la brigade de répression de l’immigration en donnant aux policiers la possibilité de se cacher dans le local par avance et ne lançant aucun avertissement préalable aux employés grévistes. » 1

A l’Université d’East London, le professeur d’anthropologie Chris Knight a été suspendu de son poste et risque le renvoi pour « grave inconduite ». Il lui est reproché de s’être fait remarquer à la tête d’un « sommet alternatif au G20 » sur le campus (bien qu’au fond, aucune action à l’intérieur des bâtiments n’ait été planifié d’avance) après que les autorités universitaires ont interdit cette manifestation à la dernière minute. Il doit être rappelé que, dans la période qui a conduit au sommet du G20 à Londres, les médias et la police ont organisé une campagne hystérique sur la menace de violence dans la capitale – une menace qu’ils ont eux-mêmes mise à exécution avec un étalage de violence hystérique qui ont provoqué l’excitation de centaines de manifestants et la mort d’un passant, Ian Tomlinson. Il ne fait aucun doute que les autorités universitaires craignaient que le campus de l’UEL ne se transforme en quartier général des manifestations anti-G20. Les journaux ont été fort discrets cependant sur la raison principale de la suspension de Knight et ont donné une publicité maximum aux propos imagés de Knight sur les banquiers à pendre aux réverbères, déclarant que c’était la véritable raison de sa suspension.

Nous ne pensons pas que le sommet alternatif, largement dominé par des gauchistes comme Tony Benn et Lindsay Germain, pouvait offrir une alternative révolutionnaire au G20, comme nous ne sommes pas d’accord avec la focalisation de Knight sur le style de protestation « théâtre de rue ». Mais cela ne nous arrêtera pas dans la dénonciation de la complicité de l’UEL avec les forces de répression, tout comme nous condamnons SOAS pour avoir lâché les mouchards de la répression de l’immigration sur leur propre équipe de nettoyage.

Les visiteurs de notre site web savent que nous avons initié une discussion [41] autour des idées de Chris Knight sur l’origine de la culture humaine.

Celui-ci est un intellectuel original et stimulant qui ne craint pas de sortir des sentiers battus de l’orthodoxie académique. En le suspendant, et en refusant d’abriter le « sommet alternatif », l’UEL a créé un précédent lourd de menaces : dans la période actuelle de crise sociale et économique grandissantes, les lignes de pensée non-orthodoxes ne seront pas permises.

Cette sorte de stalinisme intellectuel allant de pair avec l’allégeance complice des universités aux exigences de la police, il est chaque fois nécessaire de se mobiliser contre cette dynamique ; mais la meilleure méthode pour faire revivre les universités comme centres réels de réflexion est celle mise en œuvre par les étudiants grecs et français qui firent ouvrir les portes des campus et organisèrent leurs assemblées générales de telle façon que tout un chacun intéressé à résister au capitalisme puisse prendre part à une véritable culture du débat prolétarien.


Amos (26 juin 2009)

1 https://libcom.org/forums/announcements/support-soas-occupation-cleaners-risk-deportation-russell-square-london-430 [42]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

Lutte dans les chantiers navals de Sestao (Pays Basque espagnol) : L’accusation de racisme, une calomnie contre les ouvriers

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Le journal El País1 du 25 avril présente la lutte de travailleurs des chantiers navals de Sestao2 avec le titre suivant en première page “Les licenciements font naître à Sestao la première manifestation à caractère raciste”. Simultanément, à la SER (radio qui appartient au même groupe médiatique qu’El País), dans les infos du matin, les journalistes spéculaient sur le danger fasciste qui pourrait naître de la crise.

Est-ce que les travailleurs ont réagi d’une façon raciste comme les accusent El País et la SER ?

“La Navale” de Sestao embauche directement 400 ouvriers et un millier par le biais d’entreprises sous-traitantes. Ces derniers temps, une vingtaine de travailleurs y sont licenciés chaque semaine. L’inquiétude a commencé à se rependre. Mais cette inquiétude est devenue indignation quand les licenciés ont été remplacés par des camarades polonais, roumains ou portugais qui étaient payés avec des salaires beaucoup plus bas que ceux établis lors de la convention collective.

Ce fut l’origine de la protestation qui éclata jeudi 23 avril avec une manifestation qui a parcouru Sestao et Baracaldo et à laquelle ont participé des travailleurs du personnel fixe qui n’étaient en rien touchés par les licenciements. Vendredi 24, les ouvriers ont coupé les accès au chantier lors d’une manifestation massive.

Que revendiquaient-ils ? Demandaient-ils l’expulsion des travailleurs étrangers et l’exclusivité des embauches aux espagnols, comme le prétendent des groupes xénophobes de l’engeance d’España 2000 ?3

Non, absolument pas ! « Les travailleurs en sous-traitance embauchés par ‘La Navale’ au Pays Basque touchent en moyenne 14 € de l’heure, alors que les Portugais ou les Roumains en perçoivent entre 3,5 et 6 euros. La main-d’œuvre « moins chère » et la « concurrence déloyale » ont fait bondir les personnes affectées, qui ont décidé de se mobiliser pour exiger qu’on applique aux étrangers les mêmes conditions qu’aux employés locaux».4

La revendication des ouvriers de Sestao est donc solidaire avec leurs camarades du Portugal, de la Roumanie ou de Pologne ; ils demandent que ceux-ci aient les mêmes conditions, ils s’opposent au fait que les entreprises tirent profit de la diminution du prix de la main d’œuvre, qu’elles imposent une nouvelle détérioration des conditions de travail, ce qui est finalement préjudiciable pour tous. Les ouvriers de Sestao luttent pour l’intérêt commun, pour le leur et pour celui de leurs frères roumains, polonais ou portugais. Où est le racisme avec lequel El País et la SER les ont stigmatisés ?

Miguel Fonda Stefanescu, président de la Fédération des Associations Roumaines d’Espagne, déclare à l’agence d’information, Servimedia (26 avril) : « Le problème ici réside dans le fait que nous avons une classe patronale qui est disposée à utiliser la main d’œuvre immigrée pour détruire des heures et des heures de concertation sociale. Les ouvriers ont bien raison de protester. Cela n’a rien à voir avec la xénophobie».

Lundi 27, tous les accès à l’usine étaient coupés par les travailleurs réunis en assemblée. Pour éviter que la protestation continue, « La direction de ‘La Navale’, des représentants syndicaux et des gestionnaires de plusieurs entreprises sous-traitantes qui travaillent pour ce chantier naval biscaïen sont arrivés ce matin à un accord de principe sur les conditions d’embauche des travailleurs étrangers. Dans cet accord, d’après des sources syndicales, est inscrit l’engagement selon lequeli les travailleurs étrangers seront embauchés non pas sous les conditions du pays ‘d’origine’, mais sous les conditions du pays ‘d’arrivée’, autrement dit, selon la convention du secteur de la métallurgie de Biscaye, c'est-à-dire qu’ils auront les mêmes conditions que les autres employés» (Agence EFE 27 avril)

Les raisons de la calomnie et comment la combattre

Les ouvriers de Sestao ont été bassement calomniés par El País et la SER qui se présentent comme très différents des radios et journaux de droite, considérés comme les champions de la démagogie et de la déformation5.

Il faut savoir que ce n’est pas la première fois que les médias bourgeois mènent une telle campagne médiatique nauséabonde de dénigrement. En janvier, des ouvriers de l’énergie en Grande-Bretagne ont été eux aussi présentés comme des racistes parce qu’ils auraient adopté ironiquement au début de leur lutte, le slogan électoral de Brown, premier ministre travailliste, « des emplois britanniques pour des travailleurs britanniques » 6. Il y a eu un grand trouble et un grand battage autour de cette déformation alors que ouvriers étaient soumis au même chantage qu’à Sestao de l’embauche d’ouvriers étrangers dans de plus mauvaises conditions. Cependant, la presse britannique, qui avait fait tout un barouf à ce sujet, avec la participation active de la presse espagnole, El País et la SER7 en première ligne, a gardé un silence assourdissant quand les travailleurs ont reconnu leur erreur et ont lutté avec ces camarades polonais dans un mouvement solidaire où les pancartes des manifestations du 5 février proclamaient « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous »8.

Un autre exemple édifiant de la calomnie et de la déformation s’est produit avec les mobilisations ouvrières et estudiantines en Grèce à la fin de 2008. Cette lutte fut systématiquement présentée comme étant l’action minoritaire de quelque « 400 vandales » dont l’activité principale serait de casser des vitrines, quand, en fait, il y a eu des manifestations massives de parents, d’étudiants, de retraités, etc., avec des assemblées générales ouvertes à toute la population, avec des appels à la solidarité internationale…9

Pourquoi les moyens de « communication » se livrent à de telles calomnies ? El País, la SER, la COPE et consorts, au delà des différences de style et des intérêts qui les séparent, coïncident tous dans la défense inconditionnelle du soi-disant « ordre » social actuel, le capitalisme, un système basé sur l’exploitation de la grande majorité au bénéfice d’une minorité. Pour maintenir ce système, l’Etat et les sbires à sa solde dans les médias n’hésitent pas à employer les moyens les plus ignobles.

Le rabâchage de l’accusation de racisme contre les travailleurs, l’insinuation selon laquelle leurs protestations pourraient être le bouillon de culture du fascisme, est un moyen de décrédibiliser leur lutte, de créer un coupe-feu fait de suspicion et de les isoler socialement de leur environnement. C’est aussi une manière de semer dans les rangs ouvriers un sentiment de méfiance envers leurs propres forces, de leur inoculer le virus destructeur de la culpabilisation.

La lutte ouvrière n’est pas que le simple reflet des conditions objectives. Les ouvriers ne sont pas comme les chiens de Pavlov qui réagiraient à l’aiguillon de la crise dardant leurs chairs. Nous sommes des êtres humains, avec nos sentiments, nos doutes, nos peurs, nos rêves et nos désirs… Le développement de la lutte naît d’une fusion complexe entre les facteurs objectifs (la crise) et les facteurs subjectifs (la solidarité, la volonté de conquérir un futur différent, la combativité).

Des calomnies comme celle utilisée contre les ouvriers de Sestao – ou celles concernant des ouvriers de Grande-Bretagne ou de Grèce - cherchent à empêcher la maturation des conditions subjectives. Nous vivons dans une société où l’humanité en général souffre d’un manque de confiance en elle-même. Aujourd’hui, beaucoup de personnes pensent que le problème n’est pas le capitalisme, mais qu’il se trouve dans les hommes eux-mêmes, l’homme serait « un loup pour l’homme » comme le pensait Hobbes au 17e siècle. Les travailleurs subissent cette ambiance et cela a des répercussions dans le développement de leurs luttes qui, pour s’étendre et se radicaliser, ont besoin des sentiments libérateurs de la solidarité, de l’unité, de la conscience et la confiance dans le futur.

Pour combattre ces mensonges, la presse prolétarienne est encore très minoritaire et d’une diffusion très restreinte. Il est bien évident que l’effort doit être fait pour l’étendre, pour que sa volonté d’offrir une vision véritable et critique atteigne les plus grand nombre possible de camarades. Mais c’est en premier leiu aux travailleurs eux-mêmes, dans leurs luttes, de se préoccuper de créer les canaux de discussion et d’information autonomes et indépendants. La première préoccupation doit être de faire connaître ces luttes à d’autres ouvriers du même pays et d’ailleurs, en les étendant pour que, d’une façon ou d’une autre, ils la rejoignent.

Est-ce que pour cela, nous pouvons compter sur la presse bourgeoise ? Est-ce qu’il s’agit de monter des processions spectacles pour que la protestation sociale soit vue dans les journaux et les JT ? Nous ne le pensons pas, ce serait comme laisser le renard surveiller un poulailler. Au-delà de la bonne volonté ou non des journalistes envoyés sur le terrain (qu’il faut par ailleurs essayer de convaincre), les moyens dits de « communication » ne sont pas là pour livrer une information impartiale, mais pour contribuer aux campagnes de la classe dominante et aux nécessités du pouvoir en place.

L’alternative, c’est, au cours d’une lutte, de communiquer directement avec les autres travailleurs à travers des assemblées générales ouvertes à tous les ouvriers, comme aux chômeurs, aux précaires, aux jeunes générations étudiantes, à travers l’envoi de délégations massives vers les autres entreprises, de proche en proche, en créant des moyens d’information et de débat indépendants, en développant des réseaux de contacts, par Internet et par des rencontres directes, en faisant circuler les nouvelles, les analyses et les discussions…

Nous pouvons pour cela nous inspirer des expériences historiques du prolétariat. En 1905, lors de la première révolution russe, les ouvriers organisèrent des assemblées générales qui unissaient tous les lieux de travail de la ville ; c’étaient les Soviets. Une décision du Soviet de Saint Petersburg – à ce moment là, capitale politique de la Russie - fut de créer son propre organe de presse, les Izvestia (Les Nouvelles). En Grèce, en décembre 2008, les ouvriers et les étudiants, dégoûtés par les manipulations du pouvoir, occupèrent des stations de radio d’où ils émettaient des communiqués en expliquant les véritables raisons de leur lutte. Et dans le même sens, soucieux de dépasser l’isolement international, ils firent un appel aux jeunes de toute l’Europe. La créativité et l’initiative ouvrière doivent nous donner des moyens pour résoudre ce problème de la calomnie et pour mettre en avant la vérité de notre lutte.

 

Acción Proletaria (29 avril), organe du Courant Communiste International en Espagne
 

 

1 El País, journal de « centre-gauche », est sans doute le journal le plus influent d’Espagne. Et la chaîne de radio SER la plus écoutée.

2 Sestao est une ville de la banlieue industrielle de Bilbao (dans la province de Biscaye), au nord de l’Espagne. Cette banlieue a été historiquement marquée comme un centre de l’industrie sidérurgique et des chantiers navals qui ont été largement démantelés pendant les années 1980, ce qui a fait de Sestao la ville où le taux de chômage est un des plus élevés en Espagne, ce qui n’est pas peu dire. « La Navale » est un des seuls chantiers navals qui restent dans la région de Bilbao.

3 Il s’agit d’un groupuscule d’extrême-droite, similaire au FN en France.

4 www.larioja.com/20090425/economia/paro-naval-sestao-protesta-20090425.html [43].

5 En particulier, la COPE, radio appartenant à l’Église catholique et son speaker-vedette qui manie insulte à tout va.

6 Le cynisme et la déformation de la presse ont ici été significatifs. Elle a mis la faute sur ceux qui sont victimes de ce slogan, c'est-à-dire les ouvriers, alors qu’aucune voix s’est élevée contre son instigateur, le si « démocrate » Mister Brown.

7 Carlos Fancino, chef des programmes matinaux de la SER, répétait jour après jour sa condamnation des « comportements xénophobes » des ouvriers britanniques.

8 Voir “Grèves en Grande Bretagne : les ouvriers commencent à remettre en cause le nationalisme » https://fr.internationalism.org/node/3690 [44]

9 Voir « Les révoltes de la jeunesse en Grèce confirment le développement de la lutte de classe [45] » et d’autres articles.

Géographique: 

  • Espagne [6]

Lutte de classe en Ukraine : contre la revendication de nationalisation

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Nous publions ci-dessous de larges extraits d'un article de l’Union des Révolutionnaires Socialistes (ARS)1 présent essentiellement en Russie et en Ukraine. Récemment scissionné de l’Union des Révolutionnaires Prolétariens Internationalistes Collectivistes (IUPRC), l’ARS condamne la participation aux élections bourgeoises et la démocratie bourgeoise comme forme déguisée de la dictature du capital. Il refuse tout soutien aux syndicats existants, instruments aux mains de la bourgeoisie afin de soumettre le prolétariat aux intérêts du capital, ainsi qu’à la création de nouveaux syndicats radicaux. Il se prononce en faveur de l’action des assemblées générales ouvrières et de la nécessité de la révolution mondiale.

Outre les informations que cet article apporte sur la réalité de la lutte de classes dans les pays de l’ex-URSS et sans nécessairement partager l'ensemble des points de vue qu’il développe, nous saluons et soutenons les arguments qu’il présente contre les mystifications anti-ouvrières sur la « nationalisation » et et sur le « contrôle ouvrier » avancées par les gauchistes. Ces arguments critiques ne peuvent qu’intéresser tout élément préoccupé par la lutte des classes et le renforcement politique de la lutte ouvrière.

La crise mondiale actuelle du capitalisme est à l’origine d’une vague de protestations de la part du prolétariat qui va inévitablement se prolonger dans le futur. Dans la CEI (Communauté des Etats Indépendants2), les premiers signes annonciateurs sérieux de ce qui va arriver se trouvent dans la révolte ouvrière de l’usine de construction de machines de Kherson qui a eu lieu en février dernier. Maintenant que le réactionnaire Parti des Régions a vaincu la lutte ouvrière, il est l’heure d’analyser les raisons de cette défaite. Nous devons apprendre de nos erreurs et, afin d’éviter un destin similaire aux futurs combats qui approchent dans la CEI et dans le monde entier, nous devons savoir reconnaître quels sont les facteurs clé de la défaite.

La révolte de Kherson : ce qu’elle a été et comment elle a fini

Le 2 février, des ouvriers de l’usine de construction de machines de Kherson ont fait une marche dans la principale rue de la ville (la rue Ushakov) en direction de l’administration régionale, où ils ont présenté leurs requêtes aux autorités. Parmi celles-ci se trouvaient :

  • la liquidation de la dette salariale (d'un total de 4,5 millions de grivnas3) ;

  • la nationalisation de l’usine sans compensation ;

  • un marché garanti pour le produit, qui est un outil complexe pour l’agriculture.

Ayant vu que leur demande était ignorée, les ouvriers sont entrés par la force dans l’enceinte de l’usine et ont occupé le bâtiment administratif le 3 février. Différents trotskistes et staliniens ont proclamé qu’il s’agissait d’une occupation totale de l’usine, mais en réalité le personnel de sécurité des propriétaires est resté et il semble qu’au mieux cela ait été une situation de partage du travail.

Le 9 février, un syndicat indépendant a été créé à l’usine de Kherson, pour remplacer l’ancien syndicat qui était une cellule du FPU. Le nouveau syndicat, appelé Petrovets, a rejoint la structure de la Confédération des Syndicats Indépendants d’Ukraine, dirigée par Wolynets, ce qui signifie qu'il est entré de façon effective dans la structure confédérée qui sert couramment d’outil au bloc de Timoshenko. A ce propos, nous devons expliquer quelle est la situation politique au sein de la ville. La bourgeoisie ukrainienne est habituellement divisée entre le groupe « orange » (l’alliance perdante Yushenko et Timoshenko) et le groupe « bleu-blanc » (le Parti des Régions dirigé par Yanukovich). Le propriétaire de l’usine de construction de machines de Kherson, A. Oleinik, est aussi un membre important du Parti des Régions ; et, alors que la domination du Parti des Régions sur l’administration régionale de Kherson se chiffre à presque 60%, celui qui se trouve à la tête de l’administration (placé à ce poste par Yushenko) est Boris Silenko, un « orangiste ». Ceci nous donne quelques indices sur les luttes internes entre les cliques bourgeoises de Kherson, et les deux cliques ont essayé de tirer avantage de la révolte ouvrière de Kherson. Finalement, le Parti des Régions, plus puissant, a établi son contrôle sur les ouvriers, conduisant la révolte ouvrière à sa fin en brisant son indépendance et en la transformant en un outil à son service.

L’intérêt d'Oleinik dans tout cela est clair : utiliser les ouvriers comme levier pour obtenir des ressources de l’Etat et l'accès au trésor des commandes d’Etat, du crédit et des subsides. Et il y a réussi. Le matin du 13 février, les représentants du Parti des Régions ont parqué deux moissonneuses en face de l’immeuble de l’administration régionale, inaugurant ainsi un « Maidan bleu »4 dans le but de déplacer Silenkov. La cellule syndicale de l’usine de construction de machines de Kherson se déclara d’accord pour y participer !

Voila maintenant ce qu’écrivent les trotskistes de « Résistance Socialiste" 5:

« Le 13 févier, 2 millions de grivnas ont été donnés à Mr. Oleinik par l’autorité régionale… Ainsi, jusqu’à présent, le seul gagnant a été le propriétaire qui, grâce à l’action des ouvriers, a obtenu une somme confortable de la part des autorités. Il faut noter que la somme donnée ne vient pas du fonds de réserve, et qu’elle a donc été prélevée sur les fonds destinés au ouvriers du secteur public, aux pensions, allocations, etc. »

Le « compromis social », objet de tellement de soins de la part de la bourgeoisie, a été atteint : Oleinik a obtenu l’argent et les ouvriers ont obtenu la promesse qu’ils pourraient, dans une certaine mesure, en avoir quelques miettes.

Après ce « compromis », la demande de nationalisation fut retirée de la part des ouvriers, ou du moins de la part des représentants syndicaux parlant en leur nom.

Le 14 février, UKRinform6 cite Oleinik : « Le collectif ouvrier a annulé la demande de nationalisation et a été d’accord avec moi pour reprendre le contrôle de l’entreprise. Maintenant, je vais me battre pour le droit au travail et pour le fonctionnement de l’entreprise de concert avec le collectif ouvrier ».

Ce que les trotskistes et les staliniens ont presque pris pour l’étincelle qui allait mettre le feu à l’Ukraine, et qui était en réalité une authentique protestation ouvrière, malheureusement basée sur des revendications et des perspectives erronées, s’est finalement transformé en une entreprise de gain d’argent pour les capitalistes. Et cela est arrivé précisément à cause de la perspective fausse (souligné par nous).

La demande de nationalisation n’était pas initialement une demande de révolution sociale, mais pour un soutien de l’Etat à une entreprise capitaliste, pour son sauvetage par l’Etat bourgeois. Et il en est allé ainsi, de la seule façon possible : en donnant aux capitalistes une somme d’argent des impôts, précisément, « la somme qui ne provenait pas du fond de réserve et qui était donc prélevée sur les fonds destinés aux ouvriers de service public, aux pensions, allocations, etc. ». Si les trotskistes et les staliniens espéraient sincèrement que l’Etat bourgeois pouvait agir d’une autre façon, ils ne peuvent blâmer que leur propre myopie.

Nous pouvons ainsi tirer des conclusions. Des ouvriers privés de ressources pour plusieurs mois se sont dressés pour un combat collectif. Au cours de la lutte, ils ont fait quelques revendications erronées ; mais ils ont au moins acquis le soutien total des marxistes en défendant leur position à leurs dépens. Une clique bourgeoise s’est immédiatement emparée de ce slogan bourgeois qui est censé faire trembler de peur les néolibéraux. En l’espace de deux journées, les ouvriers ont courbé le dos, ayant compris les erreurs de leurs revendications et n’ayant à leur disposition aucune idée alternative.

Pendant les événements de l’usine de construction de machines de Kherson, les staliniens et les trotskistes ont défendu l’idée de « la nationalisation sous le contrôle ouvrier ». Nous devrions vérifier la compatibilité de cette position avec la croissance de la conscience de classe du prolétariat et avec l’action révolutionnaire et si, oui ou non, elle conduit à la subordination du prolétariat à la bourgeoisie et à son Etat.

Quelle est la principale différence entre, d’un côté, la demande de nationalisation et, de l’autre, une lutte pour des revendications concrètes et matérielles ? La demande de nationalisation, c'est-à-dire du transfert de l’entreprise dans la propriété de l’Etat (l’Etat bourgeois : il n’y a pas d’autre Etat) implique une lutte pour une stratégie capitaliste alternative, pour le renforcement du capital d’Etat contre le capital privé. Ceux qui se hasardent à conseiller à la bourgeoisie d’adopter une telle stratégie deviennent effectivement de purs conseillers du capital et rien de plus.

Cependant, comme on pourrait le dire, pourquoi ne pas lutter pour une variété de capitalisme qui est matériellement plus avantageux pour les ouvriers ? Devons-nous être de véritables idéologues et coller à une vision utopique d’une révolution socialiste globale tout en ignorant les besoins immédiats des gens qui souffrent ? Bon, nous devons dire que nous ne sommes pas des idéologues et que nous sommes opposés au réformisme. Ceci n’est pas la conséquence d’une quelconque vision utopique, mais de la compréhension claire que le concept d’un type de capitalisme matériellement avantageux pour les ouvriers est en soi utopique.

Pour comprendre que la politique de nationalisation de l’Etat bourgeois ne peut pas être bénéfique pour les masses ouvrières, on n’a qu’à simplement observer la Russie moderne. Le règne de Poutine a vu le développement de l’interventionnisme, l’avancée de la bureaucratie qui a dompté les pseudo- oligarques, la domination des corporations lourdement possédées par l’Etat, comme des secteurs clé du profit économique, où la bureaucratie et le monde des affaires ont prospéré de concert sur le dos de la pauvreté des masses. Cependant, tout cela n’a pas conduit à l’amélioration des conditions matérielles des ouvriers, pas plus qu’au progrès de la bourgeoisie : après 8 années de croissance, l’économie russe n’a même pas atteint son niveau de 1990. Il est maintenant évident que l’interventionnisme du règne de Poutine n’a pas servi les intérêts des masses ouvrières (ce à quoi on ne pouvait que s’attendre) et n’a même pas servi à la réalisation d’une modernisation progressive de l’économie russe ; elle a plutôt servi seulement la consommation parasitaire de la classe exploiteuse, l’hydre bicéphale des bureaucrates et des hommes d’affaire.

De plus, en se référant à l’exemple classique du trotskiste biélorusse Razumovskiy, défenseur de la nationalisation de « Résistance Socialiste », on peut voir à coup sûr à quel point les éléments du capitalisme privé et ceux du capitalisme d’Etat peuvent s’entrelacer autour de l’exploitation du prolétariat. La Biélorussie même est un pays où un vaste secteur de capitalisme d’Etat n’a pas fait barrage à l’intervention de l’Etat en faveur de réformes néolibérales. 7

Malgré les concepts marxiens "classiques"8, l’Etat, après tout, n’est pas un instrument neutre, n’est pas un champ de bataille entre les dominants et les dominés mais, de par sa nature propre, il est lui-même exploiteur. Il n’est pas une entité étrange, mystérieuse, avec ses propres intérêts séparés, mais il est constitué de chefs, de bureaucrates et de flics bien concrets qui sont en soi des exploiteurs et des dominateurs, eux-mêmes attachés aux intérêts capitalistes privés d’autres exploiteurs et dominateurs. Par rapport à la pression des masses prolétariennes sur eux, ce gang exploiteur ne peut jamais cesser d’être ce qu’il est : même lorsqu’il fait quelques concessions aux masses en lutte, il le fait dans l’objectif de vaincre l’esprit révolutionnaire, de le remplacer par des illusions pour, plus tard, rejeter les concessions. L’impératif du mouvement communiste n’est pas de mettre la pression sur l’Etat bourgeois, mais de le détruire. Ce but n’est pas une vision utopique, mais un moyen d’assurer la survie de l’humanité (souligné par nous).

Nous ne soutenons que des exigences qui ne contredisent pas l’impératif révolutionnaire. Nous soutenons les ouvriers qui luttent pour l’amélioration de leurs conditions matérielles, à condition que leurs luttes soient fondées sur un contrôle direct et l’auto-organisation, à partir desquelles les ouvriers forment de nouveaux types de relations sociales, sans compter sur les syndicats intégrés à l’Etat9, sans compter sur l’Etat lui-même ! Ce n’est que dans une telle lutte que les ouvriers peuvent acquérir l’expérience de l’auto-organisation qui est nécessaire pour la destruction du vieux monde et la création d’un monde nouveau.

Staliniens et trotskistes, qui ne sont après tout pas si différents, se font tous deux les avocats de la nationalisation, la justifiant par la restauration d’une entreprise qui fonctionne et qui permettrait aux ouvriers de survivre. Cependant, la nationalisation peut avoir pour résultat la revente de l’entreprise à différents propriétaires privés, comme cela a été montré dans notre premier article. Il n’est en aucune façon certain que l’Etat bourgeois ukrainien actuel, qui est dans une situation de crise permanente, puisse entrevoir une quelconque restauration de l’entreprise.

Le contrôle ouvrier : pourquoi ce n’est pas suffisant

Les « léninistes-bolchevicks » justifient leur défense de la nationalisation en la décrivant comme un cas spécial, une sorte de « bonne » nationalisation, celle qui est sous le contrôle ouvrier. Ils décrivent ce "contrôle ouvrier" comme une miraculeuse goutte de vin qui peut transformer un plein seau de poison bourgeois en un doux breuvage communiste.

Nous avons déjà abordé la question du contrôle ouvrier dans notre article « Le mouvement ouvrier : que doit-il être ? »10.

Par exemple, considérons la demande pour un « contrôle ouvrier sur les comptes de l’entreprise ». La demande pour le contrôle ouvrier suppose que le propriétaire et l’autorité qui s’exerce sur l’entreprise (et l’ensemble de la société) restent du côté de la bourgeoisie, alors que les ouvriers contrôlent simplement le fonctionnement de cette autorité dans sa réalité immédiate. Il est certain qu'aussi longtemps que la bourgeoisie maintiendra son emprise sur l’autorité, elle ne permettra aucun contrôle ouvrier véritable sur cette autorité. Cependant, quand les ouvriers ont suffisamment de pouvoir pour évincer le monopole bourgeois du contrôle, cela n’a pas beaucoup de sens de s’arrêter à mi-chemin. Pourquoi mettre en place le contrôle ouvrier sur l’autorité bourgeoise quand cette dernière peut être complètement évincée ? Donc, la demande d’un contrôle ouvrier dans les conditions d’un capitalisme absolutiste n’est pas réaliste dans la majorité des cas et elle est nuisible dans des conditions de révolution.

La bourgeoisie ne sera favorable à la demande de contrôle ouvrier que dans les circonstances exceptionnelles et précisément alors, les illusions de ses protagonistes seront durement ébranlées. Les propriétaires de l’entreprise dresseront des barrières secrètes autour de leur commerce et ouvriront les livres de comptes dans le but de convaincre les ouvriers de la cruelle situation financière de l’entreprise et de la nécessité de laisser de côté la lutte de classe afin d’éviter la banqueroute. La bourgeoisie, habile dans l’art de la double comptabilité et dans diverses autres manipulations, atteindra sans aucun doute son objectif, et la réalisation du « contrôle ouvrier » ne deviendra plus qu’un instrument au service de la réaction et de l’exploitation.

Par-dessus tout, ce concept trotskistes d’un capitalisme de « transition » contrôlé par les ouvriers n’est qu’une pure utopie, nuisible, parce qu’elle détourne le prolétariat de la lutte authentique pour ses intérêts de classe et pour la révolution.

Nous devons à nouveau mettre l’accent sur ceci : les revendications « transitoires », comme le contrôle ouvrier et la nationalisation, ne sont pas de simples méthodes pour améliorer les conditions matérielles des exploités. De tels petits cadeaux de la part de l’Etat sapent en fait l’autonomie de l’action ouvrière en l’intégrant dans le système d’exploitation.

Dans le cas d’un contrôle ouvrier déjà mis en place, avec l’existence d’une sorte de double pouvoir sur le lieu de travail, nous devons absolument démontrer aux ouvriers l’instabilité et la courte potentialité de vie d’une telle pratique de partage du pouvoir, en expliquant les transformations inévitables de tels arrangements, soit par la restauration de la totalité du pouvoir du capital, soit par l’établissement du plein pouvoir aux assemblées ouvrières. Mais le fait de soutenir les revendications pour le contrôle ouvrier est simplement une idéalisation d’une situation instable et insoutenable, et constitue donc un égarement criant des masses prolétariennes.

La crise ukrainienne et nos tâches

Nous ne pouvons pas encore dire comment se conclura cette crise. Est-ce que l’élite ukrainienne stabilisera la situation ? Est-ce que l’Ukraine s’embrasera dans un feu de guerres impérialistes entre cliques bourgeoises ? Ou est-ce qu’une révolte sociale va s’enflammer et se répandre, se transformant en une révolution sociale ? Nous ne pouvons le dire, mais une chose est claire : pour que la révolution réussisse, les masses ouvrières ne doivent avoir confiance en aucune des cliques bourgeoises, en aucun groupe de pouvoir, en aucun syndicat officiel, parti, Etat ou capitaliste, ils ne doivent pas se transformer en instrument d’un quelconque regroupement bourgeois ; ils doivent préserver leur propre indépendance de classe, ils doivent combattre pour leur propre émancipation. Notre tâche, la tâche des protagonistes de la révolution sociale, est de populariser une telle conscience.

Nous comprenons parfaitement que le « socialisme dans une seule usine » n’est pas possible, qu’il est condamné à l’échec quand il est isolé. Cependant, la lutte prolétarienne ne peut réussir qu’après une série de défaites ; même après une défaite douloureuse, les ouvriers de Kherson ont acquis une expérience inestimable, qui n’est pas seulement la leur, mais que les ouvriers d'Ukraine et l’ensemble du prolétariat doivent s’approprier.

La défaite pendant une lutte farouche donne au prolétariat des leçons de classe inestimables, à l’opposé de la défaite pendant un compromis. Ceci est aussi vrai pour le mouvement de grève. Si une grève est brisée après que les ouvriers se soient permis d’être dupés, le seul résultat est une démoralisation complète. Mais si la grève est vaincue après une lutte farouche à cause d’un manque de forces, le résultat est une leçon apprise, celle qui montre qu’avec des forces suffisantes, la force de tout un collectif, de toute une ville ou même d’un pays, la victoire est vraiment à l’ordre du jour.

Habituellement, la lutte de classe prolétarienne se produit dans deux dimensions faiblement interactives. Dans l’une, il y a la spontanéité, la révolte prolétarienne « sauvage », où les ouvriers qui protestent ont une compréhension très vague de comment et pourquoi lutter ; celle-ci est facilement trompée et réprimée par la classe ennemie. Dans l’autre, il y a une multitude de petits groupes révolutionnaires, qui sont plutôt faiblement reliés aux masses. Etant donné le relatif isolement des deux dimensions de la lutte prolétarienne, il n’y a pas de véritable perspective d’une révolution sociale victorieuse. Ce n’est que lorsque les masses ouvrières comprennent l’impossibilité d’éliminer leur misère dans le cadre du système capitaliste, et lorsqu’ils comprennent la nécessité d’une révolution sociale absolue, qu’alors, et seulement alors, cette révolution, conçue avec les idées de quelques petits groupes, deviendra une pratique révolutionnaire régulière du prolétariat. Ce n’est que lorsque la lutte sera développée sous le contrôle des masses en lutte elles-mêmes, que leurs éléments les plus progressistes se trouveront intégrés dans une organisation révolutionnaire, que pourra se combiner la lutte pour des revendications concrètes avec la lutte pour une révolution sociale plus large. Seulement alors, arrivera la dernière heure du capitalisme…

 

ARS

1 Voir leur site revolt.anho.org, quelques textes en anglais (adresse mail : [email protected] [46]).

2 La Communauté des États indépendants est une entité intergouvernementale [47] composée de 11 anciennes « républiques » de l’ex-URSS. Dépourvue de personnalité juridique internationale, elle recoupe cpendant des accords de coopération entre ces Etats en matière .

3 Monnaie nationale ukrainienne : 100 grivnas = 13 US $. (note du CCI)

4 Allusion aux rassemblements de masse pendant la « Révolution Orange » pour faire chuter le gouvernement, Place de l’Indépendance (Maidan Nezalezhnosti [48]), la place centrale de Kiev [49]. (Note du CCI)

5 www.socialism.ru/article/reporting/herson-who-will-win-the-labor-collect... [50].

6 National News Agency of Ukraine.

7 voir : « Bannissement d’un paradis social » par F. Sanczenja.

8 Note du CCI : c'est-à-dire les concepts staliniens.

9 Note du CCI : rappelons que pour nous, syndicats officiels ou non, bureaucratisé ou de "base"… tous les syndicats sont, de part leur nature, des armes aux mains de la bourgeoisie pointées dans le dos de la classe ouvrière (Lire "Dans quel camp sont les syndicats ? [51] ")

10 « Le mouvement ouvrier : que doit-il être, révolutionnaire ou trade-unioniste ?», publié le 30 août 2008. Disponible en russe sur revolt.anho.org/archives/50.

 

Géographique: 

  • Russie, Caucase, Asie Centrale [32]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

Manifestations de lycéens et d'étudiants en Allemagne : « Nous manifestons parce qu'on nous vole notre avenir »

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Du 15 au 20 juin 2009 a eu lieu en Allemagne une grève dans le secteur de l’éducation. Il s’agissait d’une tentative de bloquer par la grève les lycées et les établissements d'enseignement supérieur pour protester contre la misère croissante de l'éducation capitaliste. Par rapport à l’ambition de ses objectifs, ce mouvement n'a obtenu qu'un succès très modéré. Il est resté l'oeuvre d'une minorité. Précisément dans les plus centres universitaires , il n'est pas parvenu à mobiliser un nombre important d'étudiants. Même dans les établissements scolaires des grandes villes, il y a eu peu d’informations à l’avance sur les mobilisations prévues. Au milieu de la semaine d'action, ce mouvement est tout de même parvenu à rassembler près de 250 000 manifestants dans plus de 40 villes. L'importance de ce mouvement réside d'abord dans le fait qu'une partie de la nouvelle génération a fait son entrée sur la scène politique et a connu ses premières expériences de lutte.

La semaine de “grève de l'éducation”

La semaine d'action a commencé le lundi 15 juin par la tenue d'assemblées générales surtout dans les universités. Comme dans la phase préparatoire, C'est plutôt dans les établissements d'enseignement supérieur les plus petits comme par exemple à Potsdam, que la mobilisation a été la plus forte et la plus remarquée. Ailleurs, les AG siégeaient, tandis qu'à côté, les cours continuaient. Ce n'est même que rarement que le blocage des établissements d'enseignement supérieur, l'objectif visé à l'origine, a pu avoir lieu. En revanche, le travail dans les AG même est politiquement significatif. Un débat collectif a pu s’engager autour des formulations des revendications qui sont en partie allées au-delà des intérêts purement estudiantins pour exprimer ceux des travailleurs dans leur ensemble. Telles la demande d'engagement de dizaines de milliers d'enseignants dans les écoles et les établissements d'enseignement supérieur, la transformation immédiate de tous les contrats à durée limitée en contrats à durée illimitée ou l'appel à une garantie de prise en charge pour tous les apprentis. En outre, en beaucoup d'endroits, ont été rédigées des déclarations de solidarité en direction d'ouvriers en grève ou confrontés à des licenciements massifs. Mais même les demandes centrales de mouvement, comme le refus de payer des droits d'entrée à l'université, de la contrainte accrue de la rentabilité et de la sélection d'une élite par le système d'éducation, résumées dans le mot d'ordre de la “formation pour tous” et volontiers interprétées de façon réformiste par la classe dominante, comme un désir “d'amélioration du système existant”, sont aussi indubitablement l'expression de revendications prolétariennes. Le fait que le capitalisme se souhaite des esclaves salariés stupides et sans culture, et ne leur accorde que le minimum de formation absolument indispensable pour le fonctionnement du système, a depuis longtemps été reconnu par le mouvement ouvrier socialiste. A l'inverse du slogan “We don't need no education” « (Nous n’avons pas besoin d’être éduqués » répandu autrefois par Pink Floyd, la classe ouvrière a combattu dès le début pour l'éducation. Cette tradition est ravivée aujourd'hui, avec les assemblées générales elles-mêmes où tous les présents participent activement et également à la formulation et à l'adoption des revendications et des objectifs du mouvement.

La question de la liaison avec les ouvriers

En France, en 2006, le mouvement dans les lycées et les établissements d'enseignement supérieur a réussi à imposer des revendications essentielles au gouvernement, parce qu'il a placé très tôt au centre des revendications prolétariennes exprimant les intérêts de la population laborieuse dans son ensemble ; en particulier le rejet du CPE, le projet de loi de précarisation de tous les emplois pour les jeunes.

Alors qu'en Allemagne au sein de la jeunesse active grandit visiblement la conviction de la nécessité de la solidarisation avec tous les salariés, le mouvement reste jusqu'à présent centré sur l'éducation en particulier. Ce qui signifie qu'il ne se perçoit pas encore comme partie d'un mouvement beaucoup plus large de la classe ouvrière dans son ensemble. Cependant, il y a les premiers indices d'un potentiel qui conduit le mouvement au-delà du cadre des écoles et de l'éducation. L'immaturité momentanée du mouvement, mais également le potentiel de maturation, se sont déjà manifestés le premier jour de la semaine d'action. L'un des points de cristallisation de cette situation contradictoire a été la manifestation nationale des employés des jardins d'enfants dans le centre-ville de Cologne le 15 juin. La grande assemblée générale estudiantine de l'université de Wuppertal a décidé d'envoyer à Cologne une délégation, afin de se solidariser avec les employés des jardins d'enfants. Cette action n'a pas pu être réalisée uniquement par manque de temps suffisant. À Cologne en revanche l'assemblée générale estudiantine n'était toutefois pas si consciente qu'à quelques kilomètres de là 30 000 grévistes se trouvaient rassemblés dans la rue. Lorsque ensuite cet état de fait s’éclaircit, l'assemblée générale en train de se disperser décida d'envoyer une délégation qui parvint finalement à être mandatée pour s'adresser aux grévistes et à les appeler à la lutte commune.

On constate ainsi que l'idée d'une lutte commune est certes largement répandue, mais qu'elle ne joue toutefois pas encore partout un rôle central. A Wuppertal par exemple, l’université est relativement petite. La proportion de prolétaires parmi les étudiants y est par contre particulièrement grande. Là, le mouvement s'est organisé très fortement sur la base de l'initiative propre des étudiants eux-mêmes. Ainsi, Wuppertal a été un des endroits, peu nombreux, où il s'est produit, au moins au début, un grand mouvement de grève avec blocage du centre d'enseignement supérieur. L'université de Cologne, inversement, est l'une des plus importante d’Allemagne. Un mécontentement plus profond et plus large y serait nécessaire pour provoquer une fermentation générale. En outre, les grandes villes sont les citadelles des milieux réformistes de gauche qui freinent, avec leurs tentatives de produire artificiellement des mouvements, l'auto-initiative des étudiants et les rend méfiants par rapport à d'éventuelles mesures combatives. La grève du secteur de l'éducation y a été de façon prononcée une action minoritaire. La lutte pour s'affirmer sur le terrain et même pour se faire remarquer effectivement, a pu contribuer à rétrécir le champ de vision à la situation immédiate dans l'université.

Les manifestations de rue et le manque de mobilisation dans les lycées

La deuxième journée d'action importante a été le mercredi 17 juin, où des manifestations des étudiants, des lycéens et des apprentis ont eu lieu dans toute l'Allemagne. Les mobilisations les plus importantes se sont déroulées à Hambourg, Cologne et surtout à Berlin avec 27 000 participants. Le nombre de participants aurait pu être de loin plus élevé, si on avait réussi à mobiliser de façon plus large les lycées. En novembre dernier, il y avait déjà eu une journée d'action portée principalement par les lycéens et les lycéennes - souvent activement soutenus par des enseignants et des parents d’élève. On a alors en général remarqué que le mécontentement et la combativité parmi les lycéens étaient souvent beaucoup plus grands que parmi les étudiants. Il s'avérait maintenant que l'action de la semaine de l'éducation a été beaucoup trop peu prise en charge par les lycées. Ceci est lié au fait que pendant cette semaine ceux qui se sont activé ont utilisé pour ainsi dire un cadre donné à l'avance par un collectif d'action bigarré. Si l'action était partie des concernés eux-mêmes, on peine à croire qu'ils auraient choisi d’agir à un moment en plein milieu de la période d'examen à la fin de l'année scolaire ! On ne doit toutefois pas omettre que ces manifestations - parfois décidées par les assemblées générales, parfois spontanées - ont été occasionnellement utilisées pour rendre visite à des lycées et même à des entreprises menacées de licenciements ou de fermeture et d'appeler à la lutte commune.

La fin du mouvement

La semaine d'action s’est terminée par une manifestation dans la capitale du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, Düsseldorf, à laquelle ont participé quelques milliers de personnes des villes environnantes. Cette manifestation a été marquée par deux choses :

D'une part, par l'attitude, en quelque sorte martiale et provocatrice, de la police. Il faut encore ajouter que les médias bourgeois ont agité en permanence tout au long de cette semaine d'action le thème de la violence. La violence, dont on s'est manifestement efforcé de faire un thème de discussion, afin de discréditer le mouvement comme douteux. La volonté de falsification du mouvement par les médias a été si loin que certaines assemblées générales ont décidé de donner des interviews uniquement si le montage de la discussion recevait leur propre autorisation pour être diffusé. Exigence qui a été systématiquement écartée par les médias. D'autre part, le déroulement de cette manifestation s'est trouvé naturellement beaucoup moins dans les mains des assemblées générales que le mercredi précédent. Il s'est trouvé dans celles d'un collectif se composant de différentes forces agissant sans aucun contrôle de la base, et représentant en outre une sorte de compromis entre différentes approches de pensée – qui n'ont fait l'objet d'aucun débat préalable. Si nous mentionnons ces faits ce n'est pas pour défendre d'en rester au niveau d'actions locales. Nous voulons plutôt souligner que l'extension et le regroupement géographiques d'un mouvement rendent nécessaire la maturation correspondante de son mode d'organisation, et doivent aller de pair avec l'auto-organisation par les assemblées générales. Lorsque cela n'est pas le cas, certains dangers menacent.

En tout cas : lorsque le cortège a atteint la Königsallee - le boulevard du luxe le plus tapageur d'Allemagne - l'action s'est dispersée. Une partie est restée occuper le carrefour et voulait convertir ainsi l'action en blocage de la circulation aussi longtemps que possible. Parmi ceux-ci ne se trouvaient pas seulement des représentants des Black blocks, tenants de la vision, à notre avis erronée, que la violence en tant que telle est révolutionnaire. Il y avait aussi beaucoup de jeunes frustrés qui ne voulaient pas non plus avoir manifesté en ville sans qu'on les remarque. C’est-à-dire qu'ils étaient déçus le faible niveau de résonance immédiate de la semaine de grève de l'éducation. En outre, ils se sont sentis provoqués par l'attitude des forces policières. L'autre partie, dont le mérite consistait à ne pas consentir à s'embarquer dans le jeu de la violence des forces du pouvoir d'État, exhortait les occupants du carrefour à les accompagner, mais se rendit finalement seule au lieu de rassemblement à la Schlossplatz, loin du danger, en plein secteur touristique. La manifestation se divisa ainsi en deux. Lorsqu'ensuite, l'information que la police allait intervenir contre le blocage de la Königsallee parvint au rassemblement, celui-ci fut également dissous, une partie courant porter assistance à ceux qu'on agressait.

La nécessité d'un processus collectif de prise de décision

Cet incident révèle – a contrario- l’importance des assemblées générales. Nous n’en faisons pas un fétiche. La question n’est pas la forme des assemblées générales en soi, car si elles restent passives,,elles peuvent aisément devenir une coquille vide. Le problème est celui de sa capacité à dynamiser une culture des débats et à prendre des décisions de façon collective et autonome. Le désaccord à Königsallee par exemple aurait probablement pu être résolu de façon positive s’il avait été débattu sur place de ce qu’il fallait faire. Dans de telles situations, c’est la sagesse collective qui aurait permis une décantation et qui aurait réussi à trouver une solution pour rester unis ensemble sans s’exposer à la répression.

Le contexte général des grèves dans le secteur de l’éducation

Il reste encore du chemin à faire – et la semaine de manifestations dans le secteur de l’éducation est un petit pas dans cette direction. La plupart des participants sont conscients de leurs limites. Cependant, nous sommes convaincus pour notre part que ce pas, aussi minime qu’il ait été, n’était pas insignifiant. Parce qu’il signifie que les jeunes prolétaires d’Allemagne ont commencé à répondre aux vibrants appels de la jeunesse en France et en Grèce. Parn comparaison au mouvement dans ces pays, les actions en Allemagne restent très modestes. Mais elles doivent être comprises dans le contexte du besoin pour le prolétariat en Allemagne de combler son retard (au 20e siècle, l’Allemagne a été un maillon fort de la contre-révolution bourgeoise et cela a encore un impact aujourd’hui). Cela est également lié au fait que la lutte ouvrière en Allemagne se heurte à un ennemi de classe particulièrement puissant et habile. En 2006 en France, le gouvernement a boosté la généralisation de la résistance en adoptant contre la volonté des étudiants une loi (le CPE) qui était une véritable attaque générale dirigée contre toute la jeunesse prolétarienne. Le gouvernement de Merkel, qui avait les mêmes plans que le gouvernement français, a retiré immédiatement les siens quand il a vu que les proportions que prenait le mouvement en France. La bourgeoisie en Grèce a employé l’arme de la répression avec zèle, si bien que moyen d’intimidation est devenu l’élément qui a mis le feu aux poudres pour la lutte. C’est l’assassinat d’un jeune manifestant à Athènes qui a fait que le mouvement atteigne une telle ampleur, et donné l’impulsion à une vague de solidarité dans la classe ouvrière.

Les premières luttes de la nouvelle génération en Allemagne sont plus modestes et apparaissent souvent moins radicales que dans d’autres pays. Mais il est significatif que là où elles prennent un caractère prolétarien, elles suivent la même trajectoire qu’ailleurs. Les expressions d’initiative, de culture du débat, de capacité d’organisation, de créativité et d’imagination pendant les derniers jours ont aussi été surprenantes.

La lutte pour le futur

Il est enfin important pour la classe ouvrière dans son ensemble que sa jeunesse ait repris le chemin de la lutte. A l’heure actuelle, les secteurs centraux traditionnels de la classe ouvrière sont frappés par une vague de faillites d’entreprises et de licenciements massifs jamais vu depuis 1929. Cette vague effraie et paralyse momentanément ces fractions de la classe ouvrière. Les ouvriers fièrement combatifs d’Opel, qu,i naguère, réagissaient avec des grèves sauvages et des occupations d’usines contre les menaces de licenciements, sont à présent poussés à faire les mendiants auprès de l’Etat bourgeois. Les employés de la chaîne de magasins Karstadt qui sont sous la menace de la liquidation de l’entreprise sont amenés à soutenir leurs patrons qui prennent maintenant la parole eux-mêmes lors de meetings de protestation et font de l’agitation au mégaphone, mais qui ne cherchent qu’à entraîner les employés derrière eux pour réclamer de l’argent à l’Etat. Au milieu de cette situation tourmentée dans laquelle les ouvriers concernés ne peuvent trouver de réponse immédiate, il est important que les parties de la classe ouvrière qui sont moins directement menacées par la faillite de leur employeur entrent en lutte. Aujourd’hui, c’est la jeunesse étudiante ou et en apprentissage, mais aussi les employés des crèches qui non seulement se défendent mais qui ont commencé plus offensivement à exiger de dizaines de milliers d’embauches. Ils le font tous non seulement pour résister à des conditions de travail et d’enseignement de plus en plus intolérables mais aussi en tant qu’expression d’un lent mûrissement de la conscience que l’enjeu aujourd’hui n’est pas seulement le futur immédiat mais le devenir de la société toute entière. Lors des manifestations de la semaine dernière, les étudiants scandaient : « Nous faisons du bruit parce qu’on nous vole notre éducation. » Et les lycéens proclamaient  : « Parce qu’on nous vole notre avenir. »

Weltrevolution (21 juin)



Géographique: 

  • Allemagne [1]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

Manifestations massives en Iran : « Tanks, balles, gardes : rien ne peut nous arrêter »

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Nous publions ci-dessous la traduction d’une courte prise de position sur les événements qui frappent actuellement l’Iran, prise de position réalisée par Dünya Devrimi1, organe de presse du CCI en Turquie, et publiée en langue anglaise dès le 16 juin sur notre site.

Al-Jazerra a bruyamment proclamé que les protestations en Iran constituent le « le plus grand trouble depuis la révolution de 1979 ». Ces « protestations » qui ont débuté dans Téhéran le samedi 13 juin sont, au fur et à mesure des annonces de résultats, devenues de plus en plus violentes. Dans trois universités de Téhéran, les manifestations ont rapidement été confrontées à la répression, et les protestataires ont attaqué la police et des gardiens de la révolution. La police a isolé les emplacements importants et à leur tour les protestataires ont attaqué des magasins, des bureaux du gouvernement, des commissariats de police, des véhicules de police, des stations service et des banques. Des rumeurs sortant de Téhéran suggéraient que quatre personnes ou plus étaient déjà mortes. L'Etat a également réagi en arrêtant quatre éminentes "figures anti-gouvernementales" et, plus important, en interrompant le réseau Internet, qui avait été utilisé, par l'intermédiaire des messageries SMS et des sites Web pour organiser les manifestations. Les journalistes occidentaux ont dit que « Téhéran ressemblait déjà presque à une zone de guerre ».

Que les gens ne soient pas satisfaits avec ce que la société a à leur offrir et qu’il y ait une volonté croissante de lutter est une chose très claire, non seulement au vu de ces événements, mais également à celui des luttes récentes en Grèce, en Egypte ou en France. Le simple fait de tourner les pages des journaux nous montre que la classe ouvrière est en train de retrouver sa volonté de lutter malgré les craintes provoquées par la brutalité de la crise économique.

Cependant, les communistes ne doivent pas se contenter de simplement encourager de loin les luttes. Il est nécessaire d'analyser, d’expliquer et de proposer une perspective. Jusqu’à présent, ce mouvement est d'un caractère très différent de celui de 1979. Dans les luttes qui ont conduit à la ‘révolution islamique’, la classe ouvrière a joué un rôle énorme. D'après tous les discours des gens dans les rues qui renversaient le régime, ce qui était clair en 1979 était que les grèves des ouvriers iraniens étaient l’élément politique majeur qui conduisait au renversement du régime du Shah. En dépit des mobilisations massives, quand le mouvement ‘populaire’, regroupant presque toutes les couches opprimées en Iran, a commencé à s'épuiser, l'entrée en lutte du prolétariat iranien au début d'octobre 1978, particulièrement dans le secteur pétrolier, a non seulement ravivé l'agitation, mais a posé un problème pratiquement insoluble pour le capital national, en l'absence d'un remplacement possible de la vieille équipe gouvernementale. La répression a été suffisante pour provoquer la retraite des petits négociants, des étudiants et des sans travail, mais elle a prouvé qu’elle était une arme inefficace de la bourgeoisie lorsqu’elle est confrontée à la paralysie économique provoquée par les grèves des ouvriers.

Ce n'est pas pour dire que le mouvement en cours ne peut pas se développer et ne peut pas entrainer la classe ouvrière en tant que classe dans la lutte. La classe ouvrière en Iran a été particulièrement combative ces dernières années, particulièrement avec la grève non officielle forte de 100 000 enseignants qui a eu lieu en mars 2007, à laquelle se sont joints des milliers d'ouvriers d’usines en signe de solidarité. 1 000 ont été arrêtés pendant cette grève. Ca a été la plus grande lutte ouvrière enregistrée en Iran depuis 1979. Cette grève a été suivie durant quelques mois de luttes faisant participer des milliers d'ouvriers dans les industries de canne à sucre, de pneus, des véhicules à moteur et de textiles. Aujourd’hui, bien entendu, il y a des ouvriers dans les rues, mais ils sont maintenant engagés dans la lutte en tant qu’individus et non comme force collective. Il est cependant important de souligner que le mouvement ne peut pas progresser sans cela, sans cette force collective de la classe ouvrière. Une grève nationale d'un jour a été réclamée pour Mardi [16 juin]. Ceci peut donner une indication sur le niveau de soutien dans la classe ouvrière.

Récemment, les discours des médias bourgeois nous ont abreuvé de soi-disant « révolutions » baptisées du nom de diverses couleurs ou plantes. Il y a eu la révolution ‘orange', la révolution des ‘roses', la révolution des ‘tulipes’ et la révolution des ‘cèdres’ etc, pendant tout ce temps, les médias ont bêlé comme des moutons au sujet de la ‘lutte’ pour la démocratie.

Ce mouvement a commencé en tant que protestation au sujet de la fraude dans les élections et les protestataires se sont à l'origine mobilisés en soutien à Mousavi. Cependant, les slogans se sont rapidement radicalisés. Il y a une différence énorme entre les faibles protestations de Mousavi auprès du chef suprême au sujet de l’injustice des élections et des chants de la foule qui criait « mort au dictateur et au régime ». Naturellement la clique de Mousavi est maintenant prise de panique et a décommandé une manifestation prévue pour Lundi [15 juin]. Il reste à voir si les gens respecteront cette décision. Par ailleurs, les appels au calme de Mousavi ont jusqu'ici suscité des slogans contre lui.

Contrairement à ce type de ‘révolutions' colorées, le communisme pose la possibilité d'un type complètement différent de révolution, et d’un type complètement différent de système. Ce que nous préconisons n'est pas simplement un changement de gestion de la société avec de nouveaux patrons ‘démocratiques’, jouant exactement le même rôle que les vieux patrons ‘dictatoriaux’, mais une société de producteurs libres et égaux créée par la classe ouvrière elle-même et basée non sur les besoins du profit mais sur les besoins de l'humanité, une société dans laquelle les classes, l'exploitation et l'oppression politique seront éliminées.

Sabri, le 15 juin

1 Lire notre article « Salut aux nouvelles sections du CCI aux Philippines et en Turquie! [52] »

Géographique: 

  • Russie, Caucase, Asie Centrale [32]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

Poste, secteur public, transports en Grande-Bretagne : éviter le piège de l'isolement

  • 2525 lectures
Nous publions ci-dessous le tract diffusé par nos camarades de World Revolution, section du CCI en Grande-Bretagne, lors des récentes grèves qu’a connu ce pays.

Malgré les discours incessants sur la "fin de la récession", tous les indicateurs disent que le capitalisme est dans sa crise la plus profonde et qu'il n'y a pas de sortie du tunnel en vue. Devant des profits en baisse et une compétition sauvage au sein des marchés, la classe dominante a une seule réponse : faire payer les exploités, les réels "créateurs de valeur", par des licenciements, des gels de salaires, des conditions de travail "modernisées" (c'est-à-dire nous faire travailler plus dur pour gagner moins) et des réductions massives du salaire social par des coupes dans les services publics. Tories, travaillistes, libéraux-démocrates et le reste sont tous d'accord sur la nécessité de coupes pour le secteur public – leur seul souci porte sur comment y aller et comment les faire passer.

Pour la grande majorité d'entre nous, il ne peut y avoir qu'une seule réponse : résister à ces attaques sur nos conditions de vie, qui ne nous conduisent pas vers un futur prospère mais vers toujours plus d'appauvrissement et de misère. Et les signes sont que les ouvriers commencent à résister, partout dans le monde, des grèves massives en Egypte, à Dubaï et au Bangladesh, aux luttes des ouvriers, au chômage et étudiants, s'organisant eux-mêmes dans des assemblées générales en France, en Espagne et en Grèce, en passant par le déploiement de grèves et les révoltes des fermiers en Afrique du Sud. En Grande-Bretagne aussi, les mêmes signes sont là : par les grèves sauvages dans les raffineries de pétrole l'hiver dernier, où les ouvriers ont étendu la lutte contre les lois anti-grèves et commencé à dépasser les idées nationalistes qui avaient au début distordu le sens de la grève, ou par les occupations à Visteon et Vestas, qui ont connu un large soutien au sein de la classe ouvrière. Et à présent, ce sont les luttes qui couvent ou qui éclatent dans de nombreux secteurs. Les éboueurs de Leeds, les chauffeurs de bus de l'Essex, du Yorkshire et du Nord-Est, tous confrontés à des baisses de salaires, les pompiers manifestant contre leurs nouveaux roulements d'équipe, les ouvriers du métro et de British Airways votant pour la grève, et bien sûr, les ouvriers de la poste.

L'attaque sur les ouvriers de la poste

Parmi toutes les grèves récentes, la lutte à Royal Mail a polarisé l’attention des politiciens et des médias. Au gouvernement, le secrétaire à l'économie, Peter Mandelson, a exprimé son "grand courroux" à l’égard de ces grèves, tandis que Cameron, leader du parti conservateur, accusait le gouvernement de Brown d'être trop tendre avec les employés des postes. Les patrons de Royal Mail ont fait de la provocation en virant des milliers d'employés vacataires pendant les grèves. La presse et la télé ont organisé tout un battage autour de la nature prétendument suicidaire des grèves et des dégâts qu'elles devaient occasionner pour l’économie nationale, proclamant même que ces grèves allaient mettre des vies en danger dans la mesure où les vaccins contre la grippe A devaient être envoyés par la poste.

Cette focalisation n'est pas un hasard. La bourgeoisie est parfaitement consciente qu'il existe une énorme poussée de mécontentement dans la classe ouvrière. Elle sait que ce mécontentement ne pourra que grandir lorsqu'elle va commencer à accélérer les nouvelles séries de coupes claires imposées par la crise économique, surtout dans le secteur public qui est le plus gros employeur du pays. Et elle sait que les ouvriers des postes ont une réputation de combativité et d'auto-organisation. Ils sont en particulier fidèles à une longue tradition d'ignorer les lois anti-grèves et de décider de faire grève en assemblées générales plutôt que d'attendre que les syndicats organisent des votes. C'est pourquoi l'Etat et les patrons prennent aujourd’hui les employés des postes comme boucs-émissaires. Ils veulent les affaiblir avant de s’en prendre à d'autres secteurs – pour les isoler, les écraser, et ensuite les soumettre, pour tenter de prouver au reste de la classe ouvrière que se battre pour la défense de ses conditions de vie ne peut mener qu’à la défaite.

Les syndicats renforcent l'isolement

Il existe dès maintenant un danger que les employés des postes se retrouvent isolés – alors même que les syndicats renforcent cet isolement. Lorsque le patron du syndicat CWU Bill Hayes a dit qu'il était en meilleure position que Scargill1 en 1984, il renforçait de fait une illusion qui a directement conduit à la défaite des mineurs à l’époque : l'idée selon laquelle si on se bat assez longtemps et durement dans un seul secteur, on peut repousser une attaque concertée contre toute la classe ouvrière. C'est l'inverse qui est vrai : plus on combat dans notre coin, plus on est à même d'être battus et défaits. Plus nos dirigeants sentent le danger de luttes qui s'étendent au sein de la classe ouvrière, plus ils sont prêts à reculer et à faire des concessions.

Dans chaque secteur, les syndicats font comme si chaque lutte était confrontée à un problème différent, dont les intérêts seraient séparés du reste, réservés à "leurs" membres. Dans les postes, le CWU – qui s’était déclaré d'accord avec l'essentiel du projet de "modernisation" des services postaux à la fin de la grève de 2007 – présente le problème comme celui de la "consultation" et des plans particulièrement "diaboliques" de la direction de Royal Mail. En fait, la direction de Royal Mail, comme toutes les directions, ne fait que son travail pour la classe capitaliste et l'Etat qui le protège. Ailleurs, les syndicats des transports, des pompiers et d’autres font voter leurs membres sur leurs problèmes particuliers, et préparent des grèves qu'ils veulent voir être contrôlées étroitement par l’encadrement syndical et qui ne connaissent pas de liens avec les autres luttes, même lorsqu'elles ont lieu en même temps.

Comment dépasser l'isolement syndical ?

Le problème n'est pas choisir entre se battre ou ne pas se battre. Le problème est comment se battre. Mais pour cela, nous ne pouvons pas nous en remettre aux syndicats, qui sont les flics chargés de faire respecter les lois des patrons et qui divisent la classe ouvrière en multiples secteurs et catégories.

Au lieu de cela, nous avons besoin de suivre l'exemple des ouvriers de la poste et de leurs luttes passées, ou de celles des ouvriers des raffineries de pétrole l'hiver dernier, en ignorant les lois anti-grève et en faisant des assemblées générales des endroits où les réelles décisions sont prises (comme continuer la grève ou retourner au travail), et où les délégations ou les comités soient élus et responsables devant l'assemblée générale. Nous avons besoin d'assemblées générales comme centres des débats et des discussions, où les ouvriers d'autres secteurs puissent venir, non seulement pour apporter leur soutien, mais pour discuter de comment étendre la grève. Il en va de même pour les piquets de grève et les manifestations : ils doivent être ouverts à tous les ouvriers – au travail, au chômage, à plein temps ou à temps partiel, et quelle que soit leur affiliation ou non à un syndicat – et essayer d'attirer autant de secteurs différents vers un front commun.

Même si, au début, ce ne sont que des petits groupes d'ouvriers qui voient cette nécessité d'auto-organisation et d'unité de classe, ces groupes peuvent faire le lien les uns avec les autres et essayer de répandre leurs idées aussi largement que possible. Le futur est entre nos mains.

World Revolution,, section en Grande-Bretagne du Courant Communiste International (26 octobre 2009)

1 Scargill était le patron du syndicat des mineurs qui fut avec Margareth Thatcher le maître d'œuvre de la défaite de ce secteur réputé combatif et qui servit "d'exemple" pour toute la classe ouvrière en Grande-Bretagne mais aussi internationalement (voir les différents articles qui traitent de ce sujet sur notre site internet en anglais mais aussi en français).

Géographique: 

  • Grande-Bretagne [35]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

Prise de position d’Internasyonalismo en tant que nouvelle section du CCI aux Philippines

  • 2372 lectures

Guerre ou révolution. Barbarie ou socialisme. A notre époque, ce sont les seuls choix auxquels est confronté le mouvement prolétarien international.

Puisque nous choisissons révolution et socialisme, nous choisissons de nous intégrer au CCI. Pour faire de la révolution prolétarienne mondiale une réalité et arriver au communisme, les communistes doivent avoir une organisation qui soit mondiale de par son but et son ampleur. Plus encore, une organisation qui ait une plate-forme marxiste claire et cohérente.

Nous avons entrepris un long processus collectif sérieux de clarification théorique en nous basant sur l’expérience du mouvement ouvrier international et sur notre propre expérience aux Philippines en tant que militants d’un mouvement prolétarien. Ce n’est pas facile pour nous quand on considère qu’il n’y a eu aucune influence de la Gauche communiste aux Philippines depuis 80 ans. Pendant presque un siècle, on nous a inculqué, à nous et à tout le mouvement ouvrier, que le stalinisme-maoïsme était la « théorie du communisme ».

Pour nous, la chose la plus importante est la clarification théorique et la discussion pour le regroupement des révolutionnaires. Etre nombreux dans une organisation ne sert à rien si celle-ci n’est pas construite sur des fondements théoriques clairs et solides, basés sur plus de deux cents ans d’expérience du prolétariat dans le monde.

C’est un grand pas pour les minorités révolutionnaires de comprendre la théorie de la décadence du capitalisme de façon à maintenir le marxisme vivant à l’époque de l’impérialisme. La théorie de la décadence est la base de ce qui nous a convaincu que le CCI a la position la plus correcte et la plate-forme marxiste la plus solide dans le cadre de l’évolution réelle du capitalisme et de par la synthèse des leçons de la pratique du prolétariat international depuis plus de deux siècles.

Cependant la plate-forme du CCI n’est pas une plate-forme figée, c’est une plate-forme vivante, à l’épreuve de la dynamique réelle de la lutte de classe et de l’évolution du capitalisme. C’est pourquoi il est très important de continuer et d’étendre le débat interne non seulement au sein du CCI mais aussi dans le camp prolétarien en général. Nous avons vu comment le CCI suscite et pratique ce débat.

Notre compréhension de la Gauche communiste n’est peut être pas aussi profonde que celle de nos camarades en Europe où réside la classe ouvrière qui a la plus longue et la plus riche expérience. Mais nous sommes confiants dans le fait que notre clarification théorique est suffisante pour intégrer une organisation communiste internationale.

En tant que nouvelle section d’une organisation internationale centralisée et unitaire – le CCI –, la poursuite de discussions vivantes et de débats avec les communistes pour analyser et étudier les questions cruciales pour l’avancée de la révolution communiste mondiale sera plus organisée, plus centralisée et plus large. Et surtout, les interventions des minorités révolutionnaires seront plus efficaces.

Nous savons que nous allons courir un grand risque aux Philippines parce que nous défendons fermement la révolution communiste et l’internationalisme. La droite et la gauche de la bourgeoisie aux Philippines, avec leurs organisations armées, haïssent l’une toute autant que l’autre les révolutionnaires marxistes parce que nous sommes un obstacle face à leurs mystifications et à leurs mensonges pour dévoyer les luttes du prolétariat philippin du chemin de la révolution prolétarienne internationale. Les communistes de gauche sont les ennemis mortels de toutes les fractions de la bourgeoisie philippine.

C’est cela le défi pour les communistes internationalistes aux Philippines : surmonter toutes les difficultés et continuer la clarification théorique, les interventions dans les luttes ouvrières aux Philippines et être en contact avec tous les camarades communistes, en particulier en Asie.

Nous voulons aussi envoyer tous nos saluts les plus chaleureux aux camarades en Turquie (EKS) qui s’intègrent au CCI comme nouvelle section dans ce pays. La formation de deux nouvelles sections du CCI, aux Philippines et en Turquie – au moment où le système est dans une crise très profonde et où il y a une résistance de la classe ouvrière largement répandue – est une indication concrète qu’à travers le monde, des éléments et des groupes en recherche d’une alternative révolutionnaire au capitalisme décadent et en décomposition se développent ; des éléments qui sont conscients que le nationalisme, la démocratie, le parlementarisme et le syndicalisme ne sont que des tromperies et des mystifications.

Internasyonalismo (13 février 2009).

Vie du CCI: 

  • Prises de position du CCI [53]

Géographique: 

  • Philippines [54]

Prises de position depuis le Pérou : le massacre de Bagua est une manifestation du pourrissement du capital !

  • 3357 lectures

Des voix prolétariennes se sont élevées contre le massacre de Bagua 1. Les camarades du Noyau Prolétarien du Pérou (également nommé Cercle scientifique d'analyse sociale) nous ont envoyé une prise de position dénonçant le brutal massacre d’indigènes perpétré par l’Etat péruvien dans un conflit lié à l’expropriation de terres d’anciennes communautés amazoniennes sous le prétexte « d’apporter le progrès », d’implanter de nouvelles exploitations à grande échelle pour extraire les hypothétiques ressources naturelles de cette région.

Dans le même temps, nous avons reçu, sous la forme de commentaire sur notre site, un tract signé d’un groupe de Lima se réclamant de l'anarchisme, « Jeunes Prolétaires », qui contient également des positions très valables.

Ces deux tracts ne sont pas qu’une simple prise de position ; ils ont été activement diffusés dans la manifestation qui a eu lieu le 11 juin dernier à Lima contre cette répression.

Nous saluons chaleureusement ces deux initiatives. Nous apprécions beaucoup le courage et l’engagement prolétarien que cela exprime. Face à des événements comme le massacre de Bagua, il est nécessaire que se fassent entendre des voix qui expriment des analyses et qui montrent des perspectives prolétariennes clairement opposées aux visions nationalistes, en défense du capitalisme d’Etat ou de l’inter-classisme comme au nom de la « citoyenneté » ainsi que de la « lutte pour la démocratie », que mettent en avant Ollanta2, les syndicats et tous les adorateurs du « Socialisme du XXIe siècle », cette grande escroquerie montée par Chavez et ses disciples.

Nous publions ci-dessous une nouvelle prise de position internationaliste provenant également de camarades du Pérou qui rejoint les deux précédentes et contient la même vision internationaliste. 3

Le point commun de ces trois documents réside dans le fait qu’ils abordent les événements du point de vue du prolétariat :

  • Comment développer la lutte ? Comment manifester sa solidarité envers les victimes du massacre ?
  • Comment maintenir l’autonomie de classe des prolétaires ?
  • Comment dénoncer non seulement la répression barbare du gouvernement mais aussi les pièges et les fausses orientations des partis d’opposition ?

Ce qu’ont en commun les trois documents c’est, en définitive, la défense des positions internationalistes et prolétariennes et en même temps la dénonciation des positions nationalistes, capitalistes d’Etat, interclassistes, etc., qui amènent avec elles la division, la dislocation et, en fin de compte, la défaite du prolétariat avec, pour finir, celle de l’ensemble de l’humanité.

Ce cadre commun est le plus important et c’est ce qui unit tous les internationalistes.

Ceci étant dit, il existe un thème qui est posé dans les trois textes et qui, à notre avis, devrait être objet d’un débat du plus grand intérêt.

Ce thème nous pourrions le résumer de la façon suivante : quelle attitude doit adopter le prolétariat face aux luttes des autres couches sociales non exploiteuses mais dont la condition sociale n’est pas prolétarienne ?

Ce problème s’est posé de façon brûlante dans la Russie de 1917 dans laquelle il y avait à peine 3 ou 4 millions de prolétaires immergés dans une masse hétérogène de 100 millions de paysans. Le prolétariat avait réussi à rallier à son combat ce gigantesque secteur social. Nous pensons qu’il a réussi à le faire à partir de son propre terrain de classe : la lutte pour en finir avec la guerre impérialiste, la révolution mondiale, la lutte pour réclamer tout le pouvoir aux soviets ou conseils ouvriers. Ceci étant dit, face aux revendications paysannes, il y avait eu un débat très large, tant dans les rangs bolcheviques que dans le mouvement révolutionnaire international, débat dans lequel ressortait notamment la position critique adoptée par Rosa Luxembourg vis-à-vis de la politique bolchevique envers la paysannerie .

Nous pensons qu’il serait très important de reprendre ce débat pour qu’il nous aide à nous orienter dans la situation actuelle qui ne se déroule cependant pas dans le même contexte. Par exemple, le poids de l’agriculture s’est considérablement réduit durant les 40 dernières années dans la majorité des pays, notamment en Amérique latine où, alors qu’au début des années 1960 la population paysanne représentait plus de la moitié de la population totale, elle atteint aujourd’hui à peine 20 %.

Les paysans ont été arrachés à leurs communautés ancestrales dans la montagne ou dans les forêts par la voracité de l’expansion capitaliste. Cela s’est réalisé à travers l’introduction de la production marchande, principalement à travers le rôle de l’Etat, au moyen d’une brutale pression fiscale comme à travers le développement du mouvement coopératif 4, les contraignant à abandonner le travail de la terre qui avait l’inconvénient de l’archaïsme, de l’isolement et de la pauvreté endémique mais qui offrait l’avantage de préserver encore un certain équilibre économique et communautaire.

Et cela, pour quelle perspective ? Soit celle de l’émigration vers l’Europe et l’Amérique du Nord, soit la fuite désespérée vers les grandes villes qui se sont vues inondées de terribles ceintures de misère dans lesquelles s’entassent des millions de personnes dans des conditions de survie épouvantables.

Ce problème nous devons l’aborder au moyen du débat en nous posant des questions telles que :

  • Est-ce que le processus de dépeuplement qui continue à se développer dans les zones agraires spoliées par l’aiguisement de la crise capitaliste pourrait s’arrêter ?
  • Est-ce qu’il y aurait des revendications qui garantiraient une stabilité minima à ces communautés ?
  • Sur quel terrain et sur quelles bases la solidarité du prolétariat peut elle s’exprimer ?

CCI (23 juillet 2009)

 

 


Prise de position depuis le Pérou :

 

Bagua est une manifestation du pourrissement du capital !

Le capitalisme nous confronte actuellement aux pires moments de son existence et les évènements de Bagua en sont une tragique expression. Quand le capitalisme s’exprime à travers des faits comme ceux de Bagua avec à leur suite des rivières de sang partout, on a là un symptôme de plus qui manifeste qu’il traverse son pire moment historique de décadence. Cette décomposition de la société est la caractéristique la plus importante et la plus saillante de cette décadence capitaliste.

Bagua est une manifestation qui montre que le capitalisme traverse actuellement ce processus d’effondrement et les scènes de tuerie et de barbarie en sont les conséquences permanentes. Les guerres sont une menace constante, les grands massacres comme celui de Bagua aujourd’hui, ne sont qu’une manifestation de la barbarie capitaliste qui peut être tout près et mettre en danger l’ensemble de l’humanité à n’importe quel moment.

Il est possible que cela n’apparaisse pas clairement de prime abord, et beaucoup diront que le capitalisme continue à être tout puissant et, malgré sa crise, à être un système qui va de l’avant. Mais ce n’est pas le cas ; depuis la Première Guerre mondiale, le capitalisme est entré dans sa période de décadence et, aujourd’hui, il est dans cette nouvelle phase de la décadence capitaliste qu’est la décomposition, phase qui a pris son plein essor à partir de la fin des années 1980 5.

Pour quelle raison luttaient les communautés indigènes de Bagua ?

Le motif principal de la lutte a été la défense de la petite propriété (indigène, paysanne), laquelle était une revendication juste pour ces secteurs exploités, condamnés à la misère et à la marginalisation. S’il est bien clair que le caractère prolétarien n’était pas présent dans cet affrontement, il appartient au prolétariat en tant que classe de faire son possible pour se joindre à ces secteurs vu que beaucoup d’indigènes et de paysans sont condamnés à la prolétarisation uniquement en tant que force de travail. Nous sommes d’accord avec la nécessité pour le prolétariat d’être solidaire avec ces luttes des communautés indigènes de Bagua et de n’importe où ailleurs.

Ces couches sociales doivent être gagnées par le prolétariat dans sa lutte finale contre le capital. Pour autant, nous ne devons pas mélanger cela avec l’idée que ces secteurs pourraient être les protagonistes d’une lutte similaire à celle du prolétariat, ou que tous nous serions une masse égale et indistincte de prolétaires. Seulement la lutte du prolétariat 6, avec ses revendications de classe, avec ses méthodes de classe, avec la perspective qu’elle porte en elle, peut offrir un avenir, un futur aux autres couches sociales exploitées et à l’humanité dans son ensemble et, pour cela, le prolétariat doit créer une plate-forme dans laquelle les communautés indigènes doivent intégrer leurs problèmes et leurs revendications.

Par contre, si nous prenions les choses à l’envers, si nous prenions comme point de départ une lutte indifférenciée dans laquelle le prolétariat se diluerait dans d’autres couches sociales, nous courrions le risque que ni le prolétariat ne puisse développer sa force, pas plus que ces couches sociales, c’est-à-dire que les deux s’affaibliraient et seraient défaites et écrasées.

L’antagonisme entre la petite et la grande propriété est mis en relief ici à travers le fait que la grande propriété s’impose pour extraire les ressources de la zone, arrachant « leurs terres » aux habitants des forêts et aux paysans. Pour le prolétariat, il ne s’agit pas de défendre la propriété, mais de l’abolir pour mettre toutes les ressources de la nature à la disposition de l’ensemble de l’humanité.

La lutte pour l’abrogation des décrets et pour la demande d’aides budgétaires, pour les écoles, les routes, l’eau, la lumière, pour le développement de cette région, cache que le problème de fond est le capitalisme. Mais, plus particulièrement, cela crée une illusion, celle que le capitalisme à travers l’Etat pourrait être l’agent du progrès (et il ne s’agit pas ici d’une dichotomie modernité contre arriération, comme le prétend le président Alan Garcia 7). Non. Ce que nous mettons en évidence avec ce qui est arrivé à Bagua, c’est la perspective désespérante du capitalisme qui mène à la destruction environnementale et à de grands massacres de populations, dont la perspective n’est pas le travail salarié mais la disparition des vieilles communautés poussant ces populations à s’entasser dans les grandes villes et dans leurs banlieues dans des conditions misérables.

Mais l’idéologie dominante du capitalisme est ici présente avec « l’indigénisme », la « culture de l’ancestralité », le nationalisme, et cette idéologie remplit un rôle de dévoiement des tentatives prolétariennes au moment de se solidariser avec les protestations des communautés indigènes. Cette idéologie, nous l’avons vue quand ils portaient des drapeaux du « tahuantinsuyo » ou le chiffon bicolore. Ils ne comprennent pas non plus que lorsque le gouvernement les massacre, ce n’est pas un acte « autoritaire », « génocidaire » ou « antidémocratique » mais que c’est précisément LA DEMOCRATIE ELLE-MEME QUI LES MASSACRE.

Face à ce qui est arrivé avec la tuerie de Bagua, il est nécessaire que se fassent entendre des voix qui expriment l’analyse et les perspectives prolétariennes en claire opposition avec les prises de position nationalistes, l’idéologie du capitalisme d’état, de l’inter-classisme, du pacifisme et de la « citoyenneté », de « la lutte pour la démocratie », que mettent en avant Ollanta, les syndicats, les ONG, les fronts et tous les adorateurs du « Socialisme du XXIe siècle », la grande escroquerie de Chavez et de ceux qui adoptent sa politique. Ceci implique de dénoncer radicalement la gauche et l’extrême gauche du capital.

Finalement, nous devons réaffirmer clairement que, pendant que le capitalisme est dans ce processus d’effondrement, il entraînera avec lui toujours davantage de massacres, de guerres, et de manifestations de barbarie propres à cette phase de décomposition qui le traverse aujourd’hui. Le prolétariat est appelé à dépasser tout cela en mettant en avant sa perspective de futur, en la montrant à toute l’humanité, alors que sa force, actuellement, est en train de se développer.

Socialisme ou barbarie !


1 Au matin du 5 juin, la police péruvienne s'est déchaînée contre les populations indigènes de la province d'Amazonas (représentant une communauté indienne de plus de 600 000 personnes) qui bloquaient une route en appui à leurs revendications pour défendre leur territoire. Depuis le 15 avril, les communautés indiennes du Pérou amazonien s’étaient soulevées contre des mesures d’expropriation de leurs terres au profit des entreprises minières ou pétrolières dans le Nord-Est du pays. A la mi-mai, ils étaient considérés en « état d’insurrection ». Le bilan des affrontements, extrêmement lourd, est de plusieurs morts, sans doute plus d’une trentaine, peut-être des centaines de blessés et une quarantaine d’arrestations. Les informations sont restées confuses, la zone est depuis bouclée par la police.

2 Ollanta Moisés Humala Tasso est un homme politique et militaire (commandant en retraite) péruvien. Il est membre fondateur et président du parti nationaliste péruvien.

3 Pour les deux prises de position précédentes, voir sur notre site en espagnol : Perú : Voces proletarias contra la matanza de Bagua. [55]

4 Des projets monstrueux de « développement » comme celui projeté par l’Etat péruvien à Bagua nous en voyons dans beaucoup d’autres pays. Par exemple, au Brésil et en Argentine, le développement d’une production « verte » de combustibles « écologiques » conduit à des cultures extensives gigantesques qui non seulement provoquent l’émigration des communautés qui habitent ces terres mais qui, de plus, entraînent de terribles désastres écologiques.

5 pour une analyse plus détaillée de ce phénomène, lire es.internationalism.org/revista-internacional/200510/223/la-descomposicion-fase-ultima-de-la-decadencia-del-capitalismo [56]

6 Nous rejetons la vision réductrice et partielle du prolétariat réduit uniquement aux ouvriers des usines. Le prolétariat est une classe sociale qui regroupe des couches très larges tant à la ville que dans les campagnes.

7 Seize ans après avoir terminé un premier mandat catastrophique (1985-1990), le chef de file de l’APRA (social-démocrate) Alan Garcia a été réélu président du Pérou en 2006 dans le duel qui l’opposait au candidat nationaliste Ollanta Humala.

Géographique: 

  • Pérou [57]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

Réunion publique du CCI au Pérou : un débat internationaliste

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En août dernier, s’est tenue à Lima une réunion publique du CCI sur le thème : « Face à la crise du capitalisme, une seule alternative : la lutte du prolétariat ».

L’assistance à cette réunion a été nombreuse mais, surtout, le débat a été profond et dynamique. Deux groupes internationalistes du Pérou ont participé à cette réunion publique : le Noyau Prolétarien du Pérou (Núcleo proletario de Perú-NPP) et le Groupe de la Lutte Prolétarienne (Grupo de Lucha Proletaria-GLP) ; un camarade délégué par les Noyaux Internationalistes de l’Equateur (Núcleos Internacionalistas de Ecuador-NIE) a aussi participé et Opposition Ouvrière (Brésil, Oposiçao Operaia), qui aurait voulu être présente, n’a pas pu assister pour des raisons diverses1. Tout cela, nous y reviendrons, a donné un caractère nettement prolétarien à cette réunion2.

Après une courte présentation dont le rôle n’était en rien de « semer la bonne parole », mais de donner les bases au débat3, il y a eu beaucoup d’interventions sur différents sujets que nous allons essayer de synthétiser et parfois de retranscrire4.

Il s’y est exprimé un plein accord des participants pour insister sur la gravité de la crise et sur le terrible coût humain qu’elle représente pour le prolétariat et les autres couches sociales non-exploiteuses. Ainsi un camarade du NPP a affirmé : « Nous sommes face à la crise la plus profonde du capitalisme et on n’avait jamais vu aux époques des systèmes précédant le capitalisme ce qu’on voit sous celui-ci : des famines non pas parce que la production serait insuffisante, mais parce qu’elle est excessive. »

La crise n’est pas –comme on nous le dit- le résultat « d’une mauvaise gestion financière » ou « le manque d’intervention de l’État », mais elle est due au fait que le capitalisme se fonde sur le travail salarié et la production marchande et ne peut déboucher que sur une surproduction irrémédiable qui entraîne barbarie, destruction et misère pour le plus grand nombre.

« La crise est comme un trou noir qui avale des vies et des illusions » a dit un camarade. La crise ne peut pas se réduire à quelques chiffres macro-économiques ni à des bilans financiers ; ce qui est le plus important, ce sont ces visages pleins de souffrance de millions de personnes qui, malgré leurs efforts surhumains, sont entraînés par le tourbillon de la misère, de la marginalisation et de la destruction. Un exemple suffit : au Guatemala on est face à une « crise alimentaire sévère qui s’abat sur plus de 54 000 familles pauvres de ce pays et qui, depuis janvier, a emporté 462 personnes ». (El País du 9 septembre 2009)

Est-ce que l’internationalisme et le nationalisme sont compatibles ?

Cependant, la plus grande partie de la discussion n’a pas traité de la crise et de sa nature, mais de comment lutter contre elle : le prolétariat est-il la seule classe révolutionnaire capable de proposer une solution à la crise du capitalisme ? Quels sont les moyens dont dispose cette classe pour ce combat-là ? A quelle société aspire-t-elle ?

Mais c’est là où s’est posée une question de principe, un principe sur lequel un important effort d’éclaircissement a été porté : est-il possible d’être à la fois nationaliste et internationaliste ?

Cette question a été posée par un camarade de tendance trotskiste qui a participé activement à la réunion. D’un coté, il a dit que « le prolétariat est une classe internationale qui doit être solidaire avec les luttes qui se produisent dans le monde », mais de l’autre, il a dit qu’« on est en train de vendre le Pérou à la bourgeoisie chilienne », renchérissant sur ce qu'avait dit un autre participant en disant : « Le Pérou est en train d’être envahi par le capital chilien ».

Diverses autres interventions ont répondu à ces dernières, précisant que le prolétariat au Pérou a, entre autres, un frère : le prolétariat du Chili5, et que seule la solidarité de classe, par-delà les frontières, les races et les secteurs économiques, pourra fournir au prolétariat la force nécessaire pour et dans la lutte. Un camarade du NPP a apporté cet argument fondamental : « Le capitalisme est un système de production mondial parce que le travail du prolétariat est une collectivité mondiale. »

On ne peut pas mélanger nationalisme et internationalisme, c’est l’eau et le feu. Pendant les années 1930, un des symboles les plus évidents du triomphe de la contre-révolution, c’est d’avoir vu lors des grèves en France de 1936, dans les usines occupées, à coté du drapeau rouge, flotter le drapeau tricolore de la « France éternelle » et les ouvriers chantant aussi bien la Marseillaise (hymne national de la bourgeoisie française) que l’Internationale.

Est-il exagéré de parler du prolétariat comme classe révolutionnaire ?

En plus des éclaircissements sur l’internationalisme, la discussion a aussi représenté un effort d’argumentation sur la nature révolutionnaire du prolétariat.

Un camarade de tendance anarchiste a considéré que « nous ne pouvons pas tomber dans le fétichisme du prolétariat, étant donné que celui-ci s’est réduit et a souffert de grands changements qui l’ont diminué et lui ont fait perdre sa conscience de classe ».

Il est vrai que, tout au long de plus de trois siècles d’histoire, le prolétariat a beaucoup changé dans sa composition sociologique, dans les formes du travail, dans le degré de concentration, dans sa formation technique et culturelle, etc. Au milieu du 19e siècle, le trait dominant de la plus grande partie des travailleurs était le travail de métier, alors que à la fin du 19e et début du 20e dominait le travail hautement mécanisé. Si autour des années 1970, ce qui dominait, c’étaient les grandes usines, aujourd’hui, ce qui domine, c’est le travail associé au niveau mondial, de telle sorte qu’on ne peut vraiment pas dire d’un produit qu’il ait été fabriqué par les ouvriers de tel pays ou de telle entreprise. Ce qui est important, c’est le caractère coopératif mondial de la production, ce qui renforce les bases objectives pour l’unité internationale du prolétariat.

Les camarades du NPP ont insisté sur le fait que ces changements n’altèrent pas l’essentiel : « Le prolétariat est la classe productrice de plus-value, il est la classe exploitée », en ajoutant un argument supplémentaire : « Qui peut changer la société ?, Seul le prolétariat peut le faire, parce qu’il est la classe productrice, mais surtout parce qu’il est une classe associée avec une histoire. » Le prolétariat est le producteur collectif de l’essentiel des richesses mondiales. Mais il n’est pas que cela, il est aussi une classe capable d'atteindre une conscience collective tout au long de ses différentes générations. Sa lutte a une continuité historique à travers les générations successives, ce qui lui permet de tirer des leçons de son combat, d’apprendre de ses erreurs, de formuler avec plus de clarté ses principes et ses objectifs. C’est en cela que le prolétariat est différent des classes exploitées du passé -les esclaves et les serfs – qui étaient aussi les classes productrices mais dont la lutte n’avait ni continuité, ni avenir. Le prolétariat est la première classe exploitée de l’histoire qui est aussi la classe révolutionnaire.

Les moyens de lutte du prolétariat

Mais la situation actuelle ne permet pas de vérifier cette réalité d’une façon empirique et immédiate. Les luttes actuelles montrent des aspects très importants de recherche de la solidarité, de prise de conscience, mais elles n’atteignent pas le caractère massif et général qui puisse permettre aux prolétaires de comprendre la force sociale et historique qu’ils possèdent et ne permet pas non plus à l’ensemble de la population de concevoir le prolétariat comme classe ayant sa propre perspective.

Ceci fait surgir des doutes sur la capacité du prolétariat, sur les moyens dont il dispose, et comment va-t-il arriver à vraiment en être maître, etc. Ces doutes se sont exprimés ouvertement et largement lors de cette réunion.

Un camarade a posé la question : « Si les ouvriers travaillent 12 et 14 heures, quel temps leur reste-t-il pour le débat et la mobilisation ? » En voyant les ouvriers intimidés par la crise, encore très atomisés, il est difficile d’imaginer qu’ils seront un jour capables d’agir collectivement et massivement comme une classe autonome représentant une alternative propre. Cependant, Rosa Luxemburg, en analysant la révolution russe de 1905, a montré comment, dans les conditions générales de la grève de masse, « le prudent père de famille chargé d’enfants devient un révolutionnaire passionné ».

La discussion a tenté de comprendre par quels chemins on peut arriver à cette transformation psychologique qui aujourd’hui pourrait paraître un miracle. Un des moyens, c’est l’unité croissante entre lutte revendicative et lutte révolutionnaire. C’est une question qui n’a pas pu être approfondi lors de cette réunion. A notre avis, il n’y a pas d’opposition entre les deux aspects : la lutte revendicative contre l’exploitation et la lutte révolutionnaire pour abolir l’exploitation6.

Un camarade du NPP a mis en avant que « La lutte de classe n’est pas une lutte des minorités, mais une lutte des masses » : c’est à cela que correspond la nécessité pour le prolétariat de se donner une organisation massive et générale capable de l’unifier, de servir de lien pour le débat et la prise de décision. Dans cette discussion, on a réaffirmé que cette organisation est, historiquement, celle des conseils ouvriers, depuis les expériences en Russie en 1905 et 1917. Une camarade du GLP a dit que les conseils ouvriers sont « cette organisation unitaire où tous peuvent participer ».

À ce moment-là, un camarade de tendance anarchiste a demandé : « Sur les conseils ouvriers, est-ce que vous proposez donc le modèle russe ? » La discussion a pu clarifier qu’il ne s’agit pas de prendre les conseils ouvriers de 1905 et 1917 comme un modèle infaillible. Les conseils ouvriers de 1917-23 en Russie –et dans d’autres pays d’Europe et d’Amérique- sont une expérience qu’il faut analyser en la passant au crible de la critique, en essayant de voir leurs faiblesses et leurs insuffisances, voilà des leçons qui seront vitales pour les nouvelles luttes que le prolétariat développera.

Aussi, à la question du même camarade : « Est-ce que vous êtes partisans du modèle léniniste du parti ? » notre réponse, et celle d’autres participants, est allée dans le même sens : il n’y a pas de modèles à imiter, ce que nous possédons, c’est des expériences qui nous fournissent des leçons pour l’époque historique présente. Le bolchevisme a apporté un internationalisme intransigeant qui l’a mis à la tête de la lutte contre la guerre, il a compris le rôle des conseils ouvriers « forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat », ce qui s'est concrétisé dans le mot d’ordre clair de « Tout le pouvoir aux Soviets ! ». Mais il a aussi défendu des positions erronées –cependant partagées par d’autres courants prolétariens d’alors : la position sur le parti qui doit exercer le pouvoir au nom de la classe ouvrière par exemple, ce qui a contribué à la défaite et à la dégénérescence de la révolution russe7.

Le communisme et la perspective révolutionnaire

Comme une camarade l’a dit : « Quel est le but de l’organisation du prolétariat ? Quel est l’objectif des conseils ouvriers ? Je crois qu’il n’y en a qu’un seul : le communisme. » Cette réunion a débattu sur l’objectif historique de la lutte prolétarienne en réponse à une réflexion faite par un camarade de tendance anarchiste : « Quand l’URSS existait, un modèle existait. Il y avait aussi le modèle de la lutte de guérilla qui créait des zones libérées. Mais, maintenant, tous ces modèles sont tombés. Un nouveau modèle pourrait être l’autogestion, elle pourrait créer de véritables zones (quartiers, entreprises) libérées par les exploités. »

La discussion a pu éclaircir que l’URSS n’était pas un modèle, mais une des formes que prend le capitalisme d’Etat. La guérilla ne l’est pas non plus, parce qu’elle est une des expressions des affrontements sanglants entre fractions de la bourgeoisie qui prennent en otages des prolétaires et des paysans.

Mais en observant avec plus de profondeur : le but du prolétariat peut-il être « un modèle de nouvelle société ? » Plusieurs interventions ont insisté sur le fait que l’erreur consiste précisément à chercher un « modèle » qui ne pourrait être qu’une imposition sectaire et doctrinaire à l’ensemble du prolétariat. La Révolution russe et toute la vague révolutionnaire mondiale qui l’a suivi (1917-23) ne furent aucunement une « expérience sociale de laboratoire », mais la réponse du prolétariat à la terrible situation de barbarie et de destruction créée par la Première Guerre mondiale, qui a signifié l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, c’est-à-dire l’époque dans laquelle il devient une entrave au développement social et où, après avoir été un facteur de croissance et de progrès, il devient son contraire : un facteur de barbarie et de destruction, une menace pour la survie même de l’humanité8.

Le communisme n’est pas une heureuse Arcadie, un état idéal. La base du communisme, c’est le dépassement et la résolution des contradictions qui, sous le capitalisme, mènent l’humanité vers l’abîme et la destruction. Ainsi, la surproduction qui, sous le capitalisme, mène à la faim et au chômage, doit être, dans le communisme, la base pour la satisfaction des besoins de toute l’humanité. Le caractère social et mondial de la production qui, sous le capitalisme, stimule la concurrence et la guerre entre nations, est dans le communisme la base de la coopération fraternelle de tous les travailleurs, pour l’organisation d’une communauté humaine mondiale.

La discussion a mis en avant que le communisme sera mondial ou ne sera pas. C’est dans ce sens que plusieurs interventions ont rejeté le modèle stalinien de « socialisme dans un seul pays » ou le modèle de la guérilla des « zones libérées ». Mais la discussion a aussi mis en avant que l’autogestion ne sortait pas de ce même schéma nationaliste : ni le « socialisme dans une seule usine », ni « le socialisme dans un seul quartier » ne sont une alternative au « socialisme dans un seul pays » du stalinisme9.

La perspective de nouveaux débats

Une camarade a dit que « Ce débat est très bien. Il sert à ce que chacun comprenne ce que l’autre dit parce que, autrement, on a tendance à parler son propre jargon ». Nous pensons que l’intense débat qu'il y a eu lors de cette réunion publique a servi à mieux se comprendre, à approfondir les préoccupations de chacun, à fournir des réponses, à essayer de dépasser les particularismes qui nous enferment : les jargons, la méfiance mutuelle, l’incompréhension ...

Une camarade du NPP a proposé une orientation que nous partageons : « Notre tâche majeure est celle de développer le débat, de créer des cercles de discussion. Voilà notre fonction à court terme. Il s’agit de mettre en place des moyens pour le changement révolutionnaire. Le changement révolutionnaire ne peut pas être forcé, il faut que les conditions pour le mener à bien soient présentes. »

Nous pensons qu’il est devenu nécessaire de refaire d’autres réunions publiques pour y aborder de nouveaux sujets et explorer les différents chemins que la discussion a ouverts. Le débat que nous avons vécu au Pérou fait partie d’une tendance internationale qui est en train d’émerger et à laquelle la récente Rencontre de communistes internationalistes d’Amérique latine10 a donné une impulsion et un moyen d’expression. En ce sens, la réunion publique au Pérou et les nouvelles discussions qui pourront avoir lieu font partie de ce milieu international et constituent une contribution active dans son développement. Comme nous l’avons dit lors de la première réunion publique qui a eu lieu au Pérou en 2007 : « Lutter pour la construction d’un milieu où le débat prolétarien soit au centre de la vie politique, est une perspective qui au Pérou, comme dans le reste du monde, préparera la future révolution mondiale. »

CCI (10 septembre 2009)

On peut lire en espagnol le texte introductif présenté à cette réunion, ainsi que la lettre de salut envoyé par le groupe brésilien Opposition Ouvrière (OpOp) qui n’a pu y assister, sur notre site : https://es.internationalism.org/node/2655 [58]

 


 

1 Il y a eu plusieurs rencontres avec ces deux groupes ainsi qu’avec un camarade d’Equateur. Lors de ces rencontres, ont été abordés de très importants sujets : les Conseils ouvriers, le prolétariat, le Parti mondial, la période de transitions entre le capitalisme et le communisme. Lors de ces rencontres, on a lu la lettre des camarades d’Opposition Ouvrière du Brésil.

2 En 2007 et 2008, nous avons eu deux réunions publiques au Pérou. Voir en espagnol : « Reunión Pública en Perú: hacia la construcción de un medio de debate y clarificación » (https://es.internationalism.org/node/2107 [59]) ainsi que « Réunion Publique au Pérou sur la crise ; un débat passionnant et passionné » https://fr.internationalism.org/icconline/2008/reunion_publique_du_cci_au_perou_sur_la_crise_un_debat_proletarien_passionnant_et_passionne.html [60]

3 Voir annexe dans la version espagnole de cet article.

4 Nous avons essayé de refléter fidèlement ce que les participants ont dit, mais si quelqu’un pense qu’il y a déformation ou mauvaise interprétation, nous l’invitons à nous écrire et nous rectifierons si c’est le cas.

5 En 1879 s’est déroulée la guerre du Pacifique où le Pérou a été défait par son ennemi chilien dont l’armée est arrivée jusqu’à Lima. Depuis lors, le nationalisme péruvien brandit l’étendard de « l’invasion chilienne ». Les syndicats et les partis de gauche sont des anti-chiliens, parfois encore plus féroces que la droite. Face à cette phobie nationaliste, le prolétariat doit se rappeler qu’à Iquique, en 1907, les ouvriers chiliens, péruviens et boliviens luttèrent ensemble lors d’une grève solidaire écrasée par l’Etat chilien avec la complicité de ses rivaux du Pérou et de la Bolivie.

6 Pour être plus précis, disons que la lutte revendicative n’a pas grand-chose à voir avec la lutte syndicale, laquelle a une vision déformée des luttes économiques des ouvriers, une vision soumise aux impératifs du capital.

7 Pour connaître notre position sur le Parti, voir « Sur le parti et ses rapports avec la classe » https://fr.internationalism.org/rinte35/orga.htm [61], (1983) et "Le parti défiguré : la conception bordiguiste [62]" (1980). Sur le bolchevisme : « Question d'organisation : sommes-nous devenus "léninistes"? (1999) sur https://fr.internationalism.org/rinte96/leninistes.htm [63]

8 On peut le vérifier aujourd’hui de façon dramatique avec la crise, les guerres –celle d’Afghanistan ou le frénétique réarmement qui sont en train de mettre en place une grande partie des gouvernements sud-américains -, pour ne pas parler de la destruction de l’environnement dont les ravages de la forêt amazonienne sont un terrible exemple.

9 Nous n'avons pas eu le temps de discuter de l’expérience tragique de 1936 en Espagne et le sens réel des collectivités autogérées dont l’anarchisme se revendique.

10 Cf. sur notre site web : « Une rencontre de communistes internationalistes en Amérique latine [64] » (2009),

Vie du CCI: 

  • Réunions publiques [18]

Géographique: 

  • Pérou [57]

Salut aux nouvelles sections du CCI aux Philippines et en Turquie!

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Lors des derniers congrès du CCI, nous avons pu mettre en évidence une tendance à l'émergence à l'échelle internationale de nouveaux éléments ou groupes s'orientant vers les positions de la Gauche communiste et nous avons souligné l'importance historique de ce processus de même que la responsabilité que cela impliquait pour notre organisation :

"Les travaux du 16e congrès (...) ont placé au centre de leurs préoccupations l'examen de la reprise des combats de la classe ouvrière et des responsabilités que cette reprise implique pour notre organisation, notamment face au développement d'une nouvelle génération d'éléments qui se tournent vers une perspective politique révolutionnaire." ("16e congrès du CCI - Se préparer aux combats de classe et au surgissement de nouvelles forces révolutionnaires [65]", Revue Internationale n° 122)

"La responsabilité des organisations révolutionnaires, et du CCI en particulier, est d'être partie prenante de la réflexion qui se mène d'ores et déjà au sein de la classe, non seulement en intervenant activement dans les luttes qu'elle commence à développer mais également en stimulant la démarche des groupes et éléments qui se proposent de rejoindre son combat." ("17e congrès du CCI - Résolution sur la situation internationale [66]", Revue Internationale n° 130)

"Le congrès a... tiré un bilan extrêmement positif de notre politique en direction des groupes et éléments se situant dans une perspective de défense ou de rapprochement des positions de la Gauche communiste. (...) l'aspect le plus positif de cette politique a été sans aucun doute la capacité de notre organisation d'établir ou de renforcer des liens avec d'autres groupes se situant sur des positions révolutionnaires et dont l'illustration était la participation de quatre de ces groupes au 17e congrès." ("17e congrès du CCI : un renforcement international du camp prolétarien [67]", Ibid.)

Ainsi, lors de notre dernier congrès international, nous avions pu y saluer la présence, pour la première fois depuis un quart de siècle, de délégations de différents groupes se situant clairement sur des positions de classe internationalistes (OPOP du Brésil, le SPA de Corée, l'EKS de Turquie, Internasyonalismo des Philippines [1], même si ce dernier groupe n'avait pu être présent physiquement). Le contact et la discussion se sont poursuivis non seulement avec ces quatre groupes mais également avec d'autres groupes et éléments dans d'autres pays du monde (notamment en Amérique latine ce qui a permis à notre organisation de tenir plusieurs réunions publiques au Pérou, à Saint Domingue et en Equateur [2]). La discussion avec les camarades de Turquie et des Philippines les a conduits à prendre la décision de poser leur candidature au CCI compte tenu de leur accord croissant avec nos positions. Elle s'est donc poursuivie, depuis un bon moment, dans le cadre d'un processus d'intégration tel que nous l'avons défini dans notre article publié sur notre site Internet : "Comment devenir militant du CCI ? [68] [3]

Au cours de la dernière période, ces camarades ont ainsi mené des discussions approfondies sur notre plate-forme et nous en ont adressé les comptes-rendus. D'autre part, plusieurs délégations du CCI se sont rendues sur place pour discuter avec eux et ont pu vérifier la profondeur de leur volonté d'engagement de même que la clarté de leur accord avec nos positions et nos principes organisationnels. A l'issue de ces discussions, la dernière réunion plénière de l'organe central du CCI a pu prendre la décision d'intégrer ces deux groupes comme nouvelles sections de notre organisation.

La plupart des sections du CCI sont basées en Europe [4] ou en Amérique [5] et, jusqu'à présent, en dehors de ces deux continents, il n'y avait qu'une section en Inde. L'intégration de ces deux nouvelles sections au sein de notre organisation élargit de façon importante l'extension géographique de celle-ci.

Concernant les Philippines, il s'agit d'un très vaste pays qui se trouve dans une région du monde ayant connu récemment une croissance très rapide de son industrie et, partant, du nombre d'ouvriers. Cette croissance a engendré au cours de la dernière période de nombreuses illusions sur un "nouveau souffle" du capitalisme mondial" mais il est maintenant clair que, pas plus que les "vieux" pays capitalistes, les pays "émergents" ne seront épargnés par la crise aigüe qui se développe à l'heure actuelle. C'est donc une zone géographique où les contradictions du capitalisme vont s'exacerber de façon violente dans la période à venir, provoquant inévitablement des mouvements sociaux, non seulement des émeutes de la faim comme on l'a vu au printemps 2007 mais aussi des luttes de la classe ouvrière.

La constitution d'une section en Turquie vient renforcer la présence du CCI dans le continent asiatique, et plus particulièrement dans une région proche d'un des lieux les plus critiques dans les tensions impérialistes actuelles, la région du Proche-Orient. D'ailleurs, nos camarades d'EKS ont été amenés à intervenir l'an dernier pour dénoncer les opérations militaires de leur bourgeoisie au nord de l'Irak (voir le "tract d'EKS contre l'opération de l'armée turque" publié sur notre site Web [69]).

A plusieurs reprises, le CCI a été accusé d'avoir une vision "européo-centriste" du développement des luttes ouvrières et de la perspective révolutionnaire parce qu'il avait mis en évidence le rôle décisif des secteurs du prolétariat des pays d'Europe occidentale :

"Ce n'est qu'au moment où la lutte prolétarienne touchera le cœur économique et politique du dispositif capitaliste :

  • lorsque la mise en place d'un cordon sanitaire économique deviendra impossible, car ce seront les économies les plus riches qui auront été touchées ;
  • lorsque la mise en place d'un cordon sanitaire politique n'aura plus d'effet parce que ce sera le prolétariat le plus développé qui affrontera la bourgeoisie la plus puissante ;

 

c'est alors seulement que cette lutte donnera le signal de l'embrasement révolutionnaire mondial.

Ce n'est qu'en l'attaquant à son cœur et à son cerveau que le prolétariat pourra venir à bout de la bête capitaliste.

Ce cœur et ce cerveau du monde capitaliste, l'histoire l'a situé depuis des siècles en Europe occidentale. C'est là où le capitalisme a fait ses premiers pas que la révolution mondiale fera les siens, l'un et l'autre étant d'ailleurs liés. C'est là en effet où sont réunies sous leur forme la plus avancée, toutes les conditions de la révolution énumérées plus haut. (...)

Ce n'est donc qu'en Europe occidentale, là où le prolétariat a la plus vieille expérience des luttes, où il est confronté d'ores et déjà depuis des décennies à ces mystifications "ouvrières" les plus élaborées, qu'il pourra développer pleinement sa conscience politique indispensable à sa lutte pour la révolution." ("Le prolétariat d'Europe occidentale au centre de la généralisation de la lutte de classe [70]", Revue Internationale n° 31)

Notre organisation a déjà répondu à cette critique "d'européo-centrisme":

"Ce n'est nullement là une vision ‘européo-centriste'. C'est le monde bourgeois qui s'est développé à partir de l'Europe, qui y a développé le plus vieux prolétariat, lequel a été doté de ce fait de son expérience la plus grande." (Ibid.)

En particulier, il n'a jamais considéré que les révolutionnaires n'avaient pas un rôle à jouer dans les pays de la périphérie :

"Cela ne veut pas dire que la lutte de classe, ou l'activité des révolutionnaires, n'a pas de sens dans les autres régions du monde. La classe ouvrière est une. La lutte de classe existe partout où se font face prolétaires et capital. Les enseignements des différentes manifestations de cette lutte sont valables pour toute la classe quel que soit le lieu où elles prennent place ; en particulier l'expérience des luttes dans les pays de la périphérie influencera la lutte des pays centraux. De même, la révolution sera mondiale et concernera tous les pays. Les courants révolutionnaires de la classe seront précieux dans tous les lieux où le prolétariat s'affrontera à la bourgeoisie, c'est-à-dire dans le monde entier." (Ibid.)

Cela vaut, évidemment, pour des pays comme les Philippines ou la Turquie.

Dans ces pays, le combat pour la défense des idées communistes est très difficile. Il s'affronte aux mystifications classiques que la bourgeoise met en avant pour faire obstacle au développement de la lutte et de la conscience du prolétariat (les illusions démocratiques et électorales, le sabotage des luttes ouvrières par l'appareil syndical et le poison du nationalisme). De plus, la lutte de la classe ouvrière et la lutte des révolutionnaires se heurtent de façon directe et immédiate, non seulement aux forces de répression du gouvernement officiel, mais également à des groupes armés qui s'opposent à ce gouvernement comme le PKK en Turquie et les différents mouvements de guérilla aux Philippines dont l'absence de scrupules et la brutalité n'ont rien à envier aux gouvernements, pour la simple raison qu'ils ne défendent rien d'autre que le capitalisme, même si c'est sous des formes différentes. Cette situation rend ainsi l'activité des camarades des deux nouvelles sections du CCI plus dangereuses que dans les pays d'Europe et d'Amérique du Nord.

La section aux Philippines qui avait déjà, avant son intégration au CCI, fait un travail de publication sur Internet dans la langue officielle des Philippines (le tagalog), de même qu'en anglais dont l'usage est très répandu dans ce pays, ne pourra pas encore publier une presse papier régulière (sinon de façon ponctuelle). Notre site Internet va donc devenir le support principal de la diffusion de nos positions aux Philippines.

La section en Turquie pourra disposer de la revue Dunya Devrimi, qui était jusqu'à présent l'organe de l'EKS et va devenir l'organe de presse du CCI dans ce pays. Dans la Revue Internationale n° 122 nous écrivions :

"Nous saluons ces camarades qui se tournent vers les positions communistes et vers notre organisation. Nous leurs disons : 'Vous avez fait le bon choix, le seul possible si vous avez la perspective de vous intégrer dans le combat pour la révolution prolétarienne. Mais ce n'est pas le choix de la facilité : vous ne connaîtrez pas des succès rapides, il faudra de la patience et de la ténacité et ne pas être rebutés lorsque les résultats obtenus ne seront pas à la hauteur de vos espérances. Mais vous ne serez pas seuls : les militants actuels du CCI seront à vos côtés et ils sont conscients de la responsabilité que votre démarche représente pour eux. Leur volonté, qui s'est exprimée au 16e congrès, est d'être à la hauteur de cette responsabilité.'" ("16e Congrès du CCI - Se préparer aux combats de classe et au surgissement de nouvelles forces révolutionnaires [65]") Ces mots qui s'adressaient à tous les éléments et groupes qui ont fait le choix de s'engager dans la défense des positions de la Gauche communiste s'appliquent évidemment au premier chef aux deux sections qui ont rejoint notre organisation.

A ces deux nouvelles sections, et aux camarades qui les constituent, l'ensemble du CCI adresse un salut chaleureux et fraternel.

Le CCI


[1] OPOP : Oposição Operária (Opposition Ouvrière) ; SPA : Socialist Political Alliance (Alliance Politique Socialiste) ; EKS : Enternasyonalist Komünist Sol (Gauche Communiste Internationaliste) ; Internasyonalismo (Internationalisme). Pour plus de précisions sur ces groupes, voir notre article "17e congrès du CCI : un renforcement international du camp prolétarien [67]" dans la Revue Internationale n° 130.

[2] A propos de ces réunions publiques, voir notamment sur notre site Internet "Débat internationaliste en République dominicaine [71]", "Réunion publique du CCI au Pérou sur la crise : un débat prolétarien passionnant et passionné [60]".

[3] Le CCI a toujours accueilli avec enthousiasme les nouveaux éléments qui veulent s'intégrer dans ses rangs. (...) Cependant, cet enthousiasme ne signifie nullement que nous ayons une politique de recrutement pour le recrutement, comme les organisations trotskistes.

Notre politique n'est pas celle non plus des intégrations prématurées sur des bases opportunistes, sans clarté préalable. (...) Le CCI n'est pas une auberge espagnole. Il n'est pas intéressé à faire de la pêche à la ligne.

Nous ne sommes pas non plus des marchands d'illusion. C'est pour cela que nos lecteurs se posant la question 'comment fait-on pour adhérer au CCI ?' doivent comprendre que l'adhésion au CCI prend du temps. Tout camarade qui pose sa candidature doit donc s'armer de patience pour engager un processus d'intégration dans notre organisation. C'est d'abord un moyen pour le candidat de vérifier lui-même la profondeur de sa conviction afin que sa décision de devenir militant ne soit pas prise à la légère ou sur un 'coup de tête'. C'est aussi et surtout la meilleure garantie que nous puissions lui offrir pour que sa volonté d'engagement militant ne se solde pas par un échec et une démoralisation.

[4] Allemagne, Belgique, Espagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas, Suède, Suisse.

[5] Brésil, États-Unis, Mexique, Venezuela.

Vie du CCI: 

  • Prises de position du CCI [53]

Géographique: 

  • Philippines [54]
  • Turquie [72]

Solidarité avec les anarcho-syndicalistes de Belgrade emprisonnés

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Nous avons reçu de la part de la CNT-AIT de Toulouse, la communication que nous publions ci-dessous.

Nous sommes entièrement d'accord avec les camarades qu'il s'agit là d'une tentative d'intimidation par l'Etat contre des militants et contre la class ouvrière en général. Le contraste entre la sévérité des peines demandées et la silence bienveillante et complice qui a couvert des criminels de guerre comme Karadzic et Mladic pendant tant d'années depuis la guerre en ex-Yugoslavie est on ne peut plus parlant quant à l'hypocrisie de l'accusation de ‘terrorisme'.

Nous exprimons toute notre solidarité envers les militants emprisonnés et leurs familles, et nous encourageons nos lecteurs de faire diffuser le plus largement possible la déclaration de la CNT-AIT.

CCI, 27/10/2009


Vous êtes certainement au courant que des militants anarcho-syndicalistes serbes, dont l'actuel secrétaire de l'AIT, sont détenus dans la prison de Belgrade. La procédure engagée à leur encontre est celle de « terrorisme ». A l'heure actuelle nous ne savons pas jusqu'où elle ira. L'accusation repose sur des allégations de dégâts matériels minimes qui auraient été commis par un groupe anarchiste à l'encontre de l'ambassade grecque de Belgrade en solidarité avec un compagnon grec toujours emprisonné. Les accusés nient les faits, ils encourent de 3 à 15 ans de réclusion.

Cette disproportion entre les faits reprochés et l'accusation nous fait penser que la volonté du pouvoir serbe est de museler nos compagnons dont l'activité militante gêne visiblement.

Nous vous demandons par la présente de diffuser le plus largement possible le communiqué de l'ASI suivant :

"Le 4 septembre 2009 le Tribunal local de Belgrade a décidé que les militants de l'ASI seront incarcérés durant 30 jours. Nos compagnons sont accusés d'un acte de "terrorisme international".

La Confédération de Syndicats "Initiative Anarchosyndicaliste" a été informé par les médias de l'attaque contre l'ambassade grecque et de l'organisation qui l'a revendiquée. Nous en profitons pour rappeler encore une fois à l'opinion publique que ces moyens de lutte politique individualiste ne sont pas ceux de l'anarchosyndicalisme, au contraire : nous affirmons publiquement nos positions politiques et cherchons à attirer les masses vers le mouvement syndicaliste et les organisations libertaires et progressistes à travers notre action.

L'État veut faire taire nos critiques avec ses moyens de répression, il le fait avec sa logique absurde, en déclarant suspects ceux qui expriment publiquement leur point de vue libertaire et conclue l'affaire en les enfermant pour donner une fausse image à l'opinion publique. On peut remarquer les formes peu scrupuleuses d'action des institutions du régime et ce dès les premiers moments de la détention, la perquisition illégale des appartements, l'intimidation des familles et les accusations disproportionnées de terrorisme international.

Bien que nous ne soutenions pas les actions du maintenant célèbre groupe anarchiste "Crni Ilija", nous ne pouvons pas les caractériser comme du "terrorisme international" puisque le terrorisme, par définition, est une menace contre la vie de civils, alors que dans ce cas personne n'a été blessé et que les dégâts matériels furent symboliques. Il est clair que cette farce de l'État est un moyen d'intimider ceux qui dénoncent l'injustice et le désespoir de cette société.

En ces temps d'endormissement social il y a des individus qui font le choix d'actions incroyables, quelquefois auto-destructives, pour rompre le blocage médiatique et attirer l'attention sur leurs demandes (souvenons-nous des travailleurs qui se sont coupés les doigts et se les ont mangés, ou par exemple, de cet homme désespéré qui a menacé de faire exploser une grenade dans l'édifice de la Présidence Serbe), cela pour que leurs problèmes soient connus plus largement.

Nous ne laisserons pas convaincre qu'un tel acte symbolique de solidarité, bien qu'exprimé de façon erronée, puisse être considéré comme un acte antisocial ou terroriste, cela comme n'importe quel acte de rébellion de ceux qui ont été dépossédés de leurs droits.

Nous exprimons notre solidarité avec les compagnons incarcérés et leurs familles et demandons qu'on établisse la vérité sur cette affaire.

¡LIBERTE POUR LES ANARCHOSYNDICALISTES!

INITIATIVE ANARCHOSYNDICALISTE

5 septembre 2009

Récent et en cours: 

  • Militants emprisonnés [73]

Solidarité avec les conducteurs de bus de Sydney en grève

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Nous publions ci-dessous un article que nous venons de recevoir de la part de camarades en Australie sur la récente grève de conducteurs de bus à Sydney.

Le lundi 24 août, 130 chauffeurs de bus de Sydney ont mis en place une grève sauvage défiant les patrons, les bureaucrates d’Etat et également les syndicats, grève dénoncée par tous. Les ouvriers de Busways au dépôt de Blacktown à l’est de Sydney ont arrêté le travail à 3h30 du matin, provoquant l’annulation des services de période de pointe dans les zones de Blacktown, Mount Druitt et Rouse Hills.

La décision des ouvriers de se mettre en grève a été prise après la rupture de la négociation entre les syndicats et l'administration de Busways sur la réforme des horaires qui devait être mise en application en octobre. Face à une économie en ruines et à un système de transports en commun à la dérive, les dirigeants des autobus privés, de concert avec le gouvernement, essayent de réduire radicalement les coûts et d'imposer des accélérations de cadence. Les conducteurs ont protesté contre les nouveaux horaires, invoquant le fait que ces derniers représentent une attaque contre les conditions de travail des conducteurs et qu’il sera impossible de les mettre en application car elles sont un empiètement sur les périodes de repos et font pression sur les conducteurs pour qu’ils dépassent des limites de vitesse, mettant en danger la vie des passagers et des autres automobilistes. "Le nouvel horaire signifie moins de temps pour accomplir nos itinéraires. Nous courrons après le retard et serons blâmés par le public. Puisque nous courrons après le retard, il y aura aussi moins de temps de repos.» expliquait un travailleur.1

Depuis des mois, le TWU (le Syndicat des Travailleurs du Transport) et la compagnie font trainer en longueur les négociations sur ces nouveaux horaires qui ne peuvent déboucher sur le moindre résultat positif pour les conducteurs. Pire encore, le TWU a également été complice des attaques contre les conditions de vie et de travail de ces dernières années, notamment à travers les divers accords pour accroître la ‘flexibilité’. Après la rupture complète des négociations, les ouvriers, irrités par le manque de soutien et par la trahison pure et simple du syndicat, ont pris la décision d’arrêter le travail sans consulter le TWU et la direction de Busways tout en se défiant d’eux. Un ouvrier déclare : " Nous n’en pouvons plus. Nous avons essayé, à travers le système, d'obtenir des changements et rien ne s’est jamais produit. Nous ne pouvons strictement rien obtenir avec le syndicat Le but des syndicats était censé être d'améliorer les conditions, pas de les aggraver"2 et un autre que "le syndicat a dénoncé les ouvriers pour ce qu'ils ont fait. Nous avons décidé que nous ne pouvions plus rien attendre du syndicat. Le syndicat ne s’inquiète que des 60 $ mensuels que nous devons lui verser".

La réponse des patrons et du syndicat devant cette grève était de faire en sorte qu'elle se termine le plus rapidement possible. Concernant la gestion des horaires de Busways, la direction et le TWU ont fait volte-face, se déclarant d'accord dans les négociations sur les horaires proposés par les chauffeurs, les conducteurs ayant pris la décision au bout de 6 heures de discussions de retourner au travail à 9h30 du matin, après avoir attendu la fin des services de pointe du matin. Malgré cette décision, les conducteurs ont exprimé leur intention de déclencher de nouvelles actions de grève si la compagnie refusait de revoir à la baisse son programme de réformes. Cependant, l’évocation de cette perspective a provoqué la décision d’interdire d'autres actions de grève ainsi que des menaces de répression, de la part de la Commission des Relations Industrielles.

La réaction rapide du syndicat pour contenir et arrêter la grève confirme que c’est seulement si les ouvriers prennent leur lutte dans leurs propres mains, comme l’ont fait les conducteurs, que la défense des conditions de vie et de travail peut être efficace. Cependant, le résultat de la grève n'a pas encore été une victoire pour les conducteurs. Le nouveau round de négociations entre le TWU et la direction de Busways s’est conclu sur un accord pour procéder à la réforme des horaires, ce qui était déjà cyniquement prévu dès le début, c’est-à-dire de suivre les décisions de la direction de la compagnie..

Nous apportons notre entière solidarité aux ouvriers de Busways et nous considérons cette grève comme un moment important du développement de la lutte de classe en Australie. En réponse à la faillite du système capitaliste et aux attaques contre des ouvriers par le capital, la classe ouvrière doit prendre confiance en sa propre force et en celle de sa lutte, à la fois pour se défendre au quotidien et finalement, pour affirmer ouvertement ses propres intérêts de classe. Pour cet objectif, il est absolument essentiel que les ouvriers prennent la lutte dans leurs propres mains, et plus encore, qu’ils se battent pour étendre et généraliser cette lutte. L’isolement dans lequel les conducteurs se sont trouvés, combiné au spectacle hystérique de la dénonciation des conducteurs qualifiés dans cette ignoble campagne de « bolchos »,, de « brutes », par tous les médias aux ordres de la classe dirigeante, est une cause fondamentale de l’étouffement de la lutte. C’est seulement en prenant directement leur lutte en mains, en dehors du cadre syndical, et en la généralisant, contre toutes les divisions sociales, sectorielles et géographiques, que la classe ouvrière peut trouver la force nécessaire pour développer son combat.

NIC (9 septembre)

 

1 WSWS, Australie : Grève des chauffeurs de bus au mépris du syndicat [74] , 26 août 200.

2 Idem.

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

Solidarité avec les travailleurs de "Luz y Fuerza del Centro" au Mexique

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Nous publions ci-dessous un texte signé par 3 organisations au Mexique (Revolución Mundial-CCI au Mexique, Grupo Socialista libertario - et Proyecto Anarquista Metropolitano) sur la mise en liquidation d’une entreprise d’État et deux prises de position solidaires faites par deux groupes du Pérou à la suite de ce texte.

 

 

Mise en liquidation de « Luz y Fuerza del Centro » :
licenciements et attaques supplémentaires…

Il faut lutter, mais pas derrière les syndicats !

 

Samedi 10 octobre au soir, la Police fédérale occupait tous les centres et les postes de la LyFC1, en parallèle avec le décret de la Présidence de la république ordonnant la mise en liquidation de cette entreprise et le licenciement de près de 44 000 ouvriers qui, affirme le gouvernement, seront indemnisés « au-delà ce ce que la loi autorise». Ce coup de force a provoqué un désarroi plein de rage et de sentiment d’impuissance, c’est un coup supplémentaire porté par l’État à la classe ouvrière. Cette situation nous oblige à nous poser le problème des méthodes et des réponses que doit apporter notre classe pour manifester son unité,.

Cette attaque nous concerne tous et c’est tous unis que nous devons nous défendre !

La crise généralisée qui frappe le capitalisme mondial contraint la bourgeoisie de chaque pays à prendre des mesures de plus en plus brutales, en faisant porter les pires effets de la crise sur le dos du prolétariat. Avec toutes ces politiques de réajustement, les conditions de vie de tous les ouvriers ne font que s’aggraver : attaques sur les pensions de retraite, les salaires, les prestations sociales… C’est la seule manière que les capitalistes connaissent pour se maintenir la tête hors de l’eau, de sorte que dans tous les pays on « réforme les pensions » (autrement dit, on les baisse !), on augmente les années pour pouvoir « jouir » d’une retraite ; partout les salaires sont laminés, les journées d’exploitation sont de plus en plus insupportables et, au bout d’une vie de misère quotidienne, c’est le chômage qui nous attend.

Ce que nous voyons aujourd’hui au Mexique n’est donc pas une espèce de particularisme folklorique imputable aux erreurs du capitalisme national. L’État, représentant de la classe dominante, la bourgeoise, a pour tâche d’en défendre les intérêts, aussi bien avec des gouvernements de droite comme de gauche. Liquider la LyFC était depuis longtemps un vieux projet de la bourgeoisie, et s’il avait été retardé, c’était pour remercier les centrales syndicales, en particulier le Syndicat mexicain des électriciens (SME) qui, entre autres, rappelons-le, avait apporté son soutien à la candidature présidentielle de Carlos Salinas [en 1988], un soutien que celui-ci honora avec la reconstitution de l’entreprise.

Mais la crise a placé la bourgeoisie dans une situation sans issue, où elle ne peut plus occulter la réalité catastrophique qu’elle-même avait favorisée. À ceci, il faut ajouter la nécessité pour le capital de reformer ses syndicats et non pas de les détruire comme l’appareil de gauche du capital le prétend. Les travailleurs sont en train de connaître dans leur chair le chantage et le joug du syndicalisme pour contrôler et saboter la mobilisation qui puisse les amener vers leurs véritables aspirations. Malgré tous leurs beaux discours, dans les faits les syndicats sont les ennemis du prolétariat, dont la bourgeoisie a besoin pour mettre au pas et soumettre adroitement les exploités.

L’énorme campagne qui s’est déclenchée il y a quelques mois contre ce secteur de la classe ouvrière (les électriciens) en les montrant devant « l’opinion publique » comme des « privilégiés » des « incapables », etc. à tel point que certains travailleurs n’arrivent pas à comprendre qu’on doit lutter contre l’attaque que subissent les électriciens parce qu’aujourd’hui c’est leur tour, mais demain ce sera tous les autres.

Nous, travailleurs, ne pouvons pas cautionner les mensonges de la bourgeoise et ses acolytes : la fermeture de la LyFC n’est pas faite « pour le bien du peuple mexicain », mais il s’agit bien d’une attaque frontale contre le prolétariat comme un tout. Les nouveaux contrats (pour combien de ces 44 000 travailleurs ?) auront sans le moindre doute des conditions de travail bien pires, tandis que beaucoup d’autres ouvriers seront condamnés au chômage tout court.

La bourgeoise et son appareil politique nous assomment pour nous faire accepter le message suivant : les électriciens n’ont rien pu faire malgré la présence d’un « syndicat puissant » ; par conséquent, tous les travailleurs nous devrions nous plier devant les projets du capital et de son État et nous résigner à voir comment nos conditions de vie empirent encore... Non, le prolétariat ne peut pas abandonner la lutte contre le capitalisme ! Les attaques d’aujourd’hui ne sont que le signe avant-coureur de ce qui nous attend si on ne réagit pas en tant que clase. Il devient donc indispensable, face aux attaques qui se reproduisent sans cesse depuis quelques années, auxquelles s’ajoutent la hausse des prix et une répression de plus en plus dure (avec le renforcement de l’appareil militaro-policier), que tous les secteurs du prolétariat –ouvriers au travail et chômeurs, travailleurs déclarés et « au noir » - reconnaissent leur besoin d’unité et la réalisent. Pour y arriver il est indispensable d’identifier nos ennemis.

Syndicats, gouvernement et partis politiques : ce sont tous nos ennemis !

Pour mener à bien cette attaque sans la moindre entrave, toutes les forces de la classe dominante se sont partagé les tâches : les uns en créant une division chez les électriciens dans une lutte stérile entre fractions syndicales au moyen d’élections. Les autres ont déguisé les attaques contre les conditions de vie en les présentant comme des « attaques contre le syndicat et les libertés démocratiques » et d’autres encore ont créé une ambiance de lynchage en présentant les électriciens comme des privilégiés. Ce jeu de rôles a permis la mise en place d’une stratégie pour entraîner beaucoup d’ouvriers dans une lutte irréfléchie « pour la défense du syndicat » ou, aussi, « pour la défense de l’entreprise et de l’économie nationale », des mots d’ordre liés à la meilleure stratégie de dévoiement de la lutte pour que n’importe quel secteur du prolétariat oublie ses revendications en tant que classe exploitée.

Après le coup de force [du 10 octobre], cette campagne s’est accentuée et on a profité de la surprise pour étendre la défaite et la démoralisation. Dans cet intense matraquage, les syndicats ont joué un rôle réactionnaire de premier plan. C’est pour cela qu’essayer de lutter derrière le syndicat, c’est aller tout droit à la défaite...c’est le syndicat en lien avec les autres forces de l’État qui ont enfermé les travailleurs dans cette impasse. Ce ne sont pas les syndicats qui vont les pousser au combat, mais bien au contraire. Un exemple : maintenant le syndicat SME met en avant l’idée que tout pourrait s’arranger en livrant une bataille « légale, sur le terrain juridique devant les tribunaux de justice », en fourvoyant encore une fois les ouvriers dans la voie de l’encadrement derrière la protection bureaucratique et la défense juridique. Rappelons-nous comment la structure syndicale, face à la modification de la loi sur l’ISSSTE2, a tout fait pour créer la dispersion, pour dévoyer le mécontentement et, enfin, elle a contrecarré la mobilisation avec des arguties juridiques ! Le terrain juridique et légaliste vers lequel le syndicat cherche à enfermer le mécontentement est un terrain d’usure stérile : là, les prolétaires n’agissent pas en tant que classe, mais en tant que citoyens qui respectent et défendent « le système légal », celui-là même qui légitime leur condition de précarité et de ruine.

Le rôle des syndicats n’est pas celui de conduire l’unité et d’impulser la solidarité réelle, mais celui de nous diviser ; le fait que le gouvernement puisse aujourd’hui frapper un tel coup sur la tête des électriciens n’est pas l’éclat d’un coup de tonnerre dans un ciel d’azur, mais cela a été rendu possible grâce au travail de division et d’érosion mené par les syndicats depuis tant d’années.

La stratégie de la bourgeoise pour faire passer définitivement cette attaque est celle de dévoyer le réel mécontentement existant chez les ouvriers de l’électricité et d’empêcher que leurs frères de classe puissent exprimer leur solidarité. Pour cela, elle mettra toutes ses forces en action pour orienter toutes les ripostes vers le terrain de la défense de la nation et des syndicats, autrement dit, on voudra nous enfermer dans un combat qui ne mette pas en question le système d’exploitation capitaliste et, finalement, on nous dira qu’on peut bien exprimer notre mécontentement grâce au vote lors du prochain cirque électoral...

Lutter unis, chercher la solidarité de classe... il n’existe pas d’autre voie !

La solidarité na rien à voir avec ces pantomimes syndicales où un cacique se pointe pour proclamer son soutien à un autre hiérarque et ce n’est pas non plus un « soutien moral » factice. La véritable solidarité se fait dans et par la lutte. Aujourd’hui, comme à n’importe quel autre moment ou face à une situation semblable, le secteur des électriciens est attaqué et le reste du prolétariat doit exprimer la véritable solidarité, qui n’est autre que l’impulsion vers un combat où il n’y ait pas de distinction entre chômeurs et actifs, entre secteurs, entre régions. Pour que la véritable solidarité puisse s’exprimer, les travailleurs doivent impulser des assemblées générales ouvertes à tous les prolétaires (actifs, chômeurs et d’autres secteurs) où l’on puisse discuter largement sur la situation que nous affrontons tous et que le mécontentement se concrétise en mobilisations contrôlées par les ouvriers eux-mêmes et non pas par la structure syndicale.

Le syndicat, pour parachever le coup va chercher à isoler les électriciens de leurs frères de classe et à les enrôler dans des mobilisations comme celle qui est menée par López Obrador3. La seule chose qu’ils cherchent, c’est à encadrer les travailleurs pour éviter qu’ils ne retrouvent leurs propres moyens de lutte, en les piégeant dans le faux dilemme : entreprise d’Etat-entreprise privée ; c’est pour cela que face aux attaques qu’ils encaissent de partout, les ouvriers doivent réfléchir ensemble, en marge et contre les syndicats, pour organiser une réponse de lutte et essayer de stopper les attaques. Si nous laissons cela aux mains de syndicats et des partis politiques, nous serons condamnés, un secteur après l’autre, à la défaite. Le cri de guerre du prolétariat parcourt de nouveau le monde : « L’émancipation de la classe ouvrière sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » et il faut rappeler que les exploités n’ont rien d’autre à perdre que leurs chaines !

Octobre 2009

Grupo Socialista libertario https://webgsl.wordpress.com/ [75]

Revolución Mundial, section au Mexique du Courant Communiste International [email protected] [76]

Proyecto Anarquista Metropolitano proyectoanarquistametropolitano.blogspot.com

 

oOo

 

Message de soutien du Núcleo Proletario en Perú
(Noyau prolétarien du Pérou), reçu le 24 octobre 2009.

 

 SOLIDARITÉ DEPUIS LE PEROU AVEC LES TRAVAILLEURS AU MEXIQUE

Chers camarades de classe au Mexique,

Nous avons appris avec indignation ce qui est arrivé ce samedi dernier 10 octobre. C’est encore une preuve de la putréfaction et de la deshumanisation dans lesquelles est en train de nous entraîner le système capitaliste.

Au Mexique comme au Pérou, les conditions de vie des travailleurs sont misérables, les entreprises privées ou d’État payent des salaires minables, qui n’arrivent pas à subvenir les besoins de base pour vivre ; les licenciements sont, par contre, le pain quotidien, le chômage est une plaie qui sévit dans les grands centres urbains ; le vol, la délinquance, la prostitution sont devenus monnaie courante dans nos vies, c’est comme si on nous avait habitués, nous les travailleurs, à vivre dans un dépotoir. Les medias, aussi bien au Mexique qu’au Pérou ne servent qu’à attaquer la moindre protestation du prolétariat, quand on exige quelque « droit » que la bourgeoisie nous a promis, alors ils disent de nous qu’on est des révoltés, et quand nous luttons pour exiger ce qui nous revient vraiment parce qu’on est la classe productrice de la société, alors ils nous appellent des terroristes ; dans le meilleur de cas, la presse sert à distraire et à embrouiller les esprits des nôtres. Nous avons pu voir clairement que les medias au Mexique ont élaboré toute une campagne pour discréditer le secteur de l’électricité où travaillent beaucoup d’entre vous. Ce n’est pas un hasard si ces mêmes médias ont évidemment préparé le terrain social pour que les autres secteurs du prolétariat restent résignés et soumis au moment où la répression policière s’est déclenchée pour vous chasser des lieux que vous aviez construits, de vos lieux de travail où vous pouviez assurer vaille que vaille votre subsistance. Frères ! : nous sommes une même classe sociale, là-bas au Mexique ou ici, au Pérou, nous vous apportons notre totale solidarité dans ces moments si difficiles que vous êtes en train de vivre ; nous sommes conscients que l’emploi, le travail, est un maudit mal nécessaire ; nous sommes contre l’exploitation, autant contre celle de l’Etat que celle des patrons privés. Nous savons très bien qu’il faudra lutter pour abolir cette exploitation commune, parce qu’elle est à l’origine de la misère, de la faim et de l’avilissement dans ce monde ; mais jusqu’à ce moment, il faut travailler et, sur cette base, s’organiser pour ne pas se laisser écraser et manipuler par des « leaders » qui se pointent en se prétendant être vos représentants. Ici, au Pérou, beaucoup d’ouvriers, de professeurs, d’étudiants, de chômeurs…ont vécu dans leur chair la tromperie toujours maniée par les syndicats : il est vrai que nous sommes très jeunes et peut-être certains d’entre vous nous diront qu’il existe des syndicats de classe qui luttent véritablement pour vos droits ; eh bien camarades, pour une fois nous vous demandons de faire confiance à la jeunesse, parce que cette jeunesse ne fait confiance qu’à vous-mêmes, à votre force, à votre solidarité et votre unité ; nous sommes avec vous et non pas avec le syndicat, ni avec un quelconque prétendu leader de gauche ou de droite ; nous espérons que vous vous organiserez en tant que travailleurs, que vous débattrez, que vous discuterez, que vous convoquerez des assemblées avec tous les secteurs prolétariens et que vous déciderez vous-mêmes que faire de votre futur. L’isolement serait le poison contre votre lutte ; il faut qu’elle se généralise vers tous les autres secteurs prolétariens ; il ne faut pas que vous ayez peur de demander aux autres camarades qu’ils rejoignent votre cause, qui est la même que la leur. C’est seulement ainsi que la grève, les arrêts de travail ou les manifestations de rues ou tout ce que vous paraîtra efficace, pourront atteindre leur objectif.

Nous vous demandons de nous écouter parce que nous avons vécu les mêmes problèmes que vous et non pas seulement dans le secteur de l’électricité, mais dans tous les secteurs de l’économie. Pour nous c’est clair que le problème n’est pas que celui de la branche de l’électricité, le problème n’est pas que mexicain, il n’est pas que latino-américain ; le problème n’est pas le gouvernement, ni les USA…, le problème c’est le système d’exploitation. Le capitalisme est un système inhumain par nature, ses lois et son État légalisent l’exploitation, les licenciements et le chômage, légalisent les syndicats pour vous tromper, pour que vous vous bagarriez pour la défense deleurs intérêts, qui ne sont autres que les intérêts de la bourgeoisie de réaliser ses profit sur nos vies.

Nous savons que beaucoup d’entre vous ont une famille, des enfants à nourrir, que vous ne voulez évidemment pas vous retrouver sans emploi, que certains voudraient rendre les armes…, mais nous, fils de la classe prolétarienne, qui voyons reflétée chez vous l’image de nos parents et de nos grands frères, nous vous demandons de continuer à lutter, de nous apprendre, de nous éduquer en défendant ce qui vous revient de droit, en ne vous laissant pas marcher dessus par une poignée de bourgeois, par un groupe d’entrepreneurs imbus de vanité et pleins d’argent, eux qui n’ont jamais travaillé. Nous vous demandons, camarades, de continuer la lutte, de vous solidariser, de vous unir jusqu’à exiger le rétablissement des emplois, de mener la lutte contre ceux qui, jour après jour, font que ce monde soit ce qu’il est. Un monde de misère et de pauvreté sur la terre, dans les airs et dans les eaux.

Nous espérons que vous obtiendrez une victoire à cette occasion, nous sommes des milliers d’ouvriers pour un bourgeois, la police voudra freiner votre courage et votre solidarité, de même que les syndicats qui, eux, défendent une patrie qui ne leur appartient pas davantage qu’à vous, défendent des hommes qui les exploitent, défendent ce système vieux et pourri, alors que vous, nos frères, vous défendez la vie, une nouvelle société, un nouvel avenir ; un avenir qui devient chaque jour de plus en plus possible dans l’union serrée de vos poings.

Depuis le Pérou, nous sommes un groupe de jeunes prolétaires, de professeurs, d’ouvriers, de lycéens et d’étudiants et nous vous envoyons notre fraternel salut de classe, nous nous retrouvons avec vous dans votre haine du capital, nous nous joignons à vous dans votre indignation contre les licenciements massifs que vous avez subis et les tâches épuisantes que vous devez subir jour après jour pour ramener du pain sur la table de votre foyer. Nous sommes solidaires avec les luttes que vous menez et que, nous le savons, vous allez continuer à mener. Ne vous rendez pas camarades ! Unissez-vous !, c’est là que réside la force dont vous avez besoin et si elle vous manque, nous sommes là, nous, vos frères prolétariens qui ferons ce qui est dans notre pouvoir pour mener des actions ici et maintenant. Il faut que les grandes masses des exploités se prononcent avec des faits et des mots contre la menace de l’État bourgeois mexicain qui est la même que nous pouvons subir ici au Pérou ou ailleurs dans le monde. Votre douleur est la notre, vos larmes contre l’injustice sont les mêmes que les nôtres, vos poings et votre courage sont les nôtres. D’ici nous vous demandons d’organiser des assemblées générales ouvertes, des débats, des discussions entre vous pour pouvoir vous organiser et affronter les exploiteurs.

Enfin, nous sommes conscients du fait que gagner cette bataille sera un grand succès pour vous, mais une fois l’objectif atteint, il ne faudrait pas s’en contenter, il ne faut pas se contenter de pouvoir retourner au travail. On doit aller plus loin, voir le problème de fond, considérer que le problème est et sera toujours le système capitaliste, et non pas un quelconque Président ou une nouvelle politique. C’est pour cela que nous avons aucune confiance ni dans le Parti nationaliste d’Ollanta au Pérou, ni dans Chavez, ni dans Evo Morales, ni dans le PRI, ni dans le PRD4, ni dans aucun de tous ces partis de gauche de la bourgeoise, quel que soit le radicalisme avec lequel ils se présentent. Nous ne faisons confiance qu’au Parti des travailleurs, le véritable parti du prolétariat qui ne lutte pas seulement contre l’exploitation, les abus et l’oppression du système, mais qui lutte aussi pour la destruction de ce système : nous voulons parler du Parti communiste, le seul qui nous appartient dont la formation est la tâche du moment au niveau mondial, parce que justement c’est dans le monde entier que l’exploitation existe et c’est le rôle du Parti communiste de lutter pour l’abolir et la détruire. Le pouvoir de décider que faire avec la production, que faire du travail que chacun réalise, doit appartenir au producteur, au prolétariat et à personne d’autre.

Camarades : organisation, solidarité et lutte autonome de notre classe avant tout, c’est là que réside notre espoir dans notre lutte contre le capital et sa clique de suiveurs. Stop aux abus, stop à l’humiliation ! La lutte est la seule voie, non pas pour reformer le système, non pas seulement pour obtenir une quelconque revendication nécessaire, mais une lutte pour abolir ce système, parce que tout va continuer toujours pareil, et nos enfants devront continuer à lutter pour ne pas être licenciés par les bourgeois. Allons, camarades, vers la nouvelle société que nous seuls pouvons construire, tous unis vers la révolution prolétarienne mondiale.

A bas les groupes réformistes sociaux-démocrates !

A bas les syndicats qui négocient la vie des travailleurs !

Vive la lutte du prolétariat international !

Prolétaires mexicains, péruviens et du monde entier unis contre le capital

Seule l’union mondiale de classe pourra libérer l’humanité de la misère !

En avant pour la lutte, camarades !

 

Núcleo Proletario en Perú (Noyau prolétarien du Pérou)

[email protected] [77]

 

oOo

 

Le texte ci-dessous est arrivé à notre e-mail le 30 octobre 2009, rédigé par les camarades d’un autre groupe du Pérou, le Grupo de Lucha Proletaria (Groupe de Lutte Prolétarienne),

 

L’ÉTAT MEXICAIN ATTAQUE LES TRAVAILLEURS DE « LUZ Y FUERZA »

 

L’État bourgeois chaque fois qu’il veut vendre, privatiser ou déclarer en faillite une entreprise d’État, met toujours en avant des arguments tels que : « c’était une entreprise qui perdait de l’argent », « qui n’était pas rentable », qui « était une charge pour l’État », …enfin toute une série de mensonges mis en avant aussi cette fois-ci par la bourgeoisie du moment, la mexicaine. Beaucoup des spécialistes mexicains ont, cependant, dit le contraire (Voir TV Azteca 22/10/09), d’autres ont confirmé les arguments mentionnés, comme quoi l’entreprise électrique Luz y Fuerza était un boulet de pertes pour l’État.

Ce qui est certain c’est que tous les désavantages tomberont sur le dos ouvriers, sous la forme du chômage. Plus de 44 000 postes de travail vont disparaître avec la mise en liquidation de l’entreprise « Eléctrica Luz y Fuerza ».  Tous les travailleurs sont menacés par cette plaie du chômage, la seule chose qu’aujourd’hui peut garantir le capitalisme. En effet, le capitalisme, dans cette dernière crise, a déjà condamné des milliers d’ouvriers, partout dans le monde, à la faim, à la misère et au chômage. Et c’est maintenant le tour de la bourgeoisie et de l’État mexicain, mis sous la pression de la crise mondiale, de prendre des mesures de réajustement et de réduction de personnel. Mais c’est loin d’être un fait isolé : la même chose arrive au Pérou et ailleurs dans le monde. C’est un raz de marée, une attaque massive et dirigée contre le prolétariat au niveau mondial, qui rend encore pires et plus précaires les conditions de travail et de vie de ce dernier. Toutes les bourgeoisies du monde le savent bien, elles savent qu’il leur faut agir en faisant appliquer ces mesures, si elles veulent sortir la tête de l’eau dans cette crise brutale. Et la seule manière est celle qui consiste à frapper encore et encore sur les conditions de vie des ouvriers du monde entier.

Ce qui apparaît certain, c’est que le capitalisme ne peut plus rien garantir à l’humanité. Et ce que l’État capitaliste mexicain est en train de faire contre les travailleurs de « Luz y Fuerza » le montre très bien.

Ce que les ouvriers ne doivent jamais oublier c’est que les politiciens et les syndicats ne sont pas une solution mais une partie du problème, ce sont eux qui se chargent de la continuité du système d’exploitation capitaliste ; leurs appels à la défense de la paix sociale, de la démocratie, de la patrie et de l’ordre ne sont pas les nôtres. Ils ne feront jamais quoi que ce soit pour nous aider, ils sont là pour que les instructions de la classe dominante se réalisent. La lutte des ouvriers n’a de l’avenir qu’en dehors des syndicats et tout autre opportunisme politique. Le prolétariat doit s’organiser et maintenir son unité de classe pour essayer de dépasser ce moment qu’il est en train de vivre au Mexique.

Ce que les travailleurs du Mexique et d’ailleurs doivent bien avoir en tête, c’est que ces attaques contre leurs conditions de vie vont continuer, de plus en plus rapprochés et intenses jusqu’à ce que la situation devienne insoutenable. La classe ouvrière devra comprendre qu’elle possède des armes pour lutter contre cette situation à laquelle le capitalisme l’entraine aujourd’hui ; ces armes sont sa solidarité de classe, sa confiance en elle-même et ses luttes au niveau local et mondial.

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

GLP (24/10/2009)

 

1 Luz y Fuerza del Centro (LyFC): entreprise publique de distribution d’électricité opérant surtout dans la capitale mexicaine. L’Etat mexicain l’a mise en liquidation à la suite de grosses pertes, le 11 octobre 2009 en faisant occuper par sa police tous les locaux le 10 octobre.

2 Sécurité sociale pour les travailleurs de l’État

3 Candidat de la gauche lors des dernières élections présidentielles au Mexique (2006), dénoncées comme ayant été truquées, ce qui a lancé ce candidat dans une campagne de « désobéissance civile » contre le gouvernement.

4 Ollanta est le dirigeant de ce parti ultranationaliste de gauche au Pérou. Le PRI est le parti « révolutionnaire » qui a gouverné le Mexique pendant 70 ans, le PRD, qui est une ancienne scission du PRI, est aujourd’hui le parti de la gauche mexicaine.

Vie du CCI: 

  • Correspondance avec d'autres groupes [31]

Géographique: 

  • Mexique [78]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

Tract d’Internasyonalismo (section du CCI aux Philippines) : Résistons aux attaques capitalistes ! Etendons la lutte !

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Ce qui arrive aux travailleurs de Giardini del Sole se produit aussi dans beaucoup d’usines, pas seulement à Cebu, pas seulement aux Philippines, mais dans le monde entier. En fait, nos frères et sœurs d’Amérique sont les premiers à souffrir des attaques du capitalisme – restrictions, travail en 3x8, chômage partiel, réduction de salaire et d’indemnités.

Pourquoi cela ? Parce que le système capitaliste qui régit les pays et le monde est actuellement dans une crise aiguë de surproduction. En bref, il y a trop de marchandises invendues de par le monde. Il y a surproduction parce que, dans le capitalisme, nous produisons bien au-delà de ce que nous pouvons consommer, bien au delà de ce que nous permettent nos salaires d’esclaves.

Le capitalisme a réduit nos salaires pour faire plus de profit. Résultat : nous sommes submergés de dettes qui rendent encore plus difficile pour nous d’acheter les denrées de base nécessaires que avons produites. La surproduction n’en devient que plus grande.

Pour empêcher la mort lente que le capitalisme nous impose au travers de ses restrictions, des rotations au travail, des réductions de salaire et d’indemnités, nous devons lutter. Pour empêcher les attaques du capitalisme, nous devons nous unir et nous soutenir les uns les autres, dans les différentes usines et entreprises. Personne ne peut nous aider, si ce n’est notre propre classe, nos frères et sœurs. Nous ne pouvons rien attendre du gouvernement, de l’inspection du travail et des politiciens. Ce sont tous des instruments au service de la classe capitaliste. Nous ne pouvons rien attendre du TIPC,1 ou de n’importe quelle réunion tripartite entre nous, les capitalistes et le gouvernement. Nous ne pouvons pas attendre qu’un gouvernement corrompu, couvert de dettes, pro-capitaliste jusqu’au bout, renfloue quoi que ce soit.

Notre seul espoir, c’est notre unité et l’extension de nos luttes à plusieurs usines !

Le gouvernement et les capitalistes voudraient que nous nous sacrifiions, que nous acceptions les restructurations, la précarité, le chômage partiel, la baisse des salaires et des indemnités et que nous souffrions plus pour sauver le système d’exploitation ! C’est une défaite parce que ce dont nous avons besoin, en tant qu’esclaves du capitalisme, c’est d’un travail permanent, de salaires « décents » et de conditions de travail HUMAINES !

S’il y a des luttes ouvrières dans plusieurs usines, il y a une grande possibilité pour que nous puissions défendre nos emplois et nos salaires. NOUS NE DEVONS PAS FAIRE DE SACRIFICES POUR SAUVER LE CAPITALISME DE SA CRISE !

Mais si nous sommes divisés, si nous agissons de façon isolée dans nos différentes entreprises, si nous laissons nos frères et sœurs de classe se battre tout seuls dans une ou deux usines, les capitalistes peuvent gagner et nous serons obligés de subir la crise qu’ils ont eux-mêmes provoquée.

Nous devons tenir des assemblées ouvertes à tous les travailleurs, titulaires, contractuels, syndiqués ou non, nous sommes tous des membres des ASSEMBLEES OUVRIERES. Elles sont la seule forme d’organisation de notre combat. Nous devons discuter et décider nous-mêmes de notre avenir, pas une minorité !

Même si nous acceptions les sacrifices, ils ne pourraient résoudre la crise de ce système pourri. Au contraire, cela irait encore plus mal. Le problème vient de la nature même du capitalisme et il n’y a aucune solution à la crise de surproduction. La solution finale, c’est de RENVERSER le capitalisme et de le remplacer par un système où nous ne serons plus jamais les esclaves du capitalisme.

Internasionalysmo.

 

1 Conseil tripartite pour la paix industrielle.

Vie du CCI: 

  • Prises de position du CCI [53]

Géographique: 

  • Philippines [54]

Un courrier de lecteur sur l'analyse de la crise actuelle

  • 3888 lectures

Nous livrons à la connaissance et à la réflexion de nos lecteurs une contribution sur la crise économique1 que nous a fait parvenir un participant de très longue date aux réunions publiques du CCI. Ce camarade ayant assisté plus fréquemment à nos réunions depuis plus d'un an, il a pu notamment participer à animer des discussions sur des thèmes tels que la signification historique des événement de Mai 68 (et dont c'était l'année dernière le 40e anniversaire), l'analyse de la manifestation actuelle et particulièrement brutale de la crise historique du capitalisme ou encore la signification des mouvements de la jeunesse prolétarisée tels qu'ils se sont récemment manifestés dans certains pays d'Europe et en Grèce en particulier.

Outre la mise en évidence de l'inconsistance des explications et "solutions" couramment avancées par différents secteurs de la bourgeoisie face à l'impasse du système, l'intérêt de ce texte réside en ceci qu'il se base sur des présupposés théoriques ("difficulté croissante du capital à se valoriser") différents de ceux qui constituent la position majoritaire au sein du CCI pour expliquer les contradictions insurmontables du capitalisme (essentiellement l'insuffisance historique des débouchés extra-capitalistes). En ce sens, ce texte peut également être utilement utilisé tant dans la discussion de nos articles d'analyse de la phase actuelle de la crise mortelle du capitalisme2 que dans le débat interne au CCI qui s'est développé autours de l'étude de la période dite des "Trente Glorieuses" pour comprendre les contradictions fondamentales de l'accumulation capitaliste et dont nous avons entrepris la publication à l'extérieur de notre organisation3.


La première crise mondialisée

Confondre les effets et les causes, les conséquences et l’origine, est une des formes les plus fréquentes de la fausse conscience. La crise financière et économique présente en est une illustration parfaite, dans son analyse, son explication et les remèdes proposés. Rien en cela de surprenant tant les « experts », les gouvernements et les agents économiques eux-mêmes ne peuvent aller au delà des apparences et de la description empirique des faits.

Les faits, il est vrai, s’imposent avec une violence inédite et se déroulent avec la rigueur d’une tragique fatalité. Non pas que cette crise soit dans ses modalités originale, mais outre sa gravité, elle se singularise par son extension et par le paradoxe d’éclater et de se développer en raison même de ce qui visait à la prévenir. N’a-t-on pas assez dit que Ben Bernanke, successeur à la FED4 du « génie » Alan Greenspan, était un spécialiste de la crise de 1929 qu’il avait étudiée si intensément qu’il savait quelles erreurs ne pas commettre et comment la résoudre ? Quant à son génial prédécesseur il se vantait d’avoir découvert le secret d’une croissance ininterrompue, même si mezzo voce il s’était parfois inquiété de « l’exubérance irrationnelle des marchés »

Pourtant à partir de défaillances assez localisées, les crédits hypothécaires à risque (« subprime ») et d’une technique financière banalisée (« titrisation »), se sont succédés crise immobilière, crise bancaire, crise boursière, hausse puis effondrement des matières premières, chute des profits, de la consommation, du commerce international, puis récession et chômage, et ce n’est encore qu’un début.

Comment comprendre cet enchaînement implacable ? Tout ce que la bourgeoisie compte de politiques, économistes, universitaires, journalistes, s’essaye à cette tâche, chacun partant d’une partie des faits constatés, et brouillant à l’occasion les frontières idéologiques et politiques.

Les plus véhéments sont ceux qui dénoncent les « dérives » de la financiarisation, de l’économie financière opposée à l’économie réelle, au fond le bon capitalisme, celui qui produit, contre le mauvais, celui qui spécule. Même Sarkozy a embouché ces trompettes. Et en effet la financiarisation est une réalité. Le secteur financier, aux États Unis d’abord puis dans l’ensemble des pays industrialisés, a pris une place majeure. Il a pu représenter un poids apparemment disproportionné dans les profits des entreprises (30% aux USA) et a multiplié les « innovations financières » au travers de modèles mathématiques aussi raffinés qu’incompréhensibles. La titrisation si souvent citée en étant une, mais pas des plus complexes, même si par la mutualisation des risques elle a provoqué la panique (à retardement !) des investisseurs en raison de l’opacité de certains de ses montages. La rentabilité (apparente) de ces « produits financiers » (terme révélateur du fétichisme monétaire !) a justifié les salaires, bonus, stock options et autres parachutes dorés que se sont généreusement attribués dirigeants et acteurs de ces marchés, que seule la crise a fait, hypocritement, juger « immoraux ». Qui peut croire que le rôle et les mobiles des activités financières n’outrepassent pas la cupidité des individus et ne participent pas d’une unité fonctionnelle du capital ?

D’autres critiques, non moins virulents, vilipendent la politique irresponsable des États-Unis qui ont laissé s’accroître un endettement inconsidéré en contrepartie de déficits abyssaux. Nul en effet ne peut douter ni des dettes ni des déficits. Encore faut-il y regarder de plus près. L’endettement est général, pas seulement américain, et dans ses masses globales peu différent d’un pays à l’autre, bien que le rapport entre endettement public et privé puisse s’inverser, le premier l’emportant en France ou en Allemagne, le second en Grande-Bretagne ou en Espagne. Et par ailleurs il ne faut pas oublier qu’à tout déficit correspond un excédent et à toute dette une créance (ce qui est rarement rappelé quand on affirme laisser aux générations futures des dettes en omettant les créances, et sans dire que ceux qui remboursent ne sont pas ceux qui perçoivent les intérêts). Aussi tout dépend du point de vue. L’énorme déficit américain serait le signe d’un déclin de l’hégémonie des États-Unis. Mais on peut tout aussi bien affirmer en regardant la balance des paiements par l’autre côté que le non moins énorme excédent de la balance des capitaux exprime la domination maintenue et la confiance persistante des investisseurs dans cette même hégémonie. La preuve en serait que dans cette période de crise, d’origine si évidemment américaine, les capitaux continuent à s’investir dans les Bons du Trésor US, et que le dollar se renforce, à la surprise de tous les observateurs superficiels qui ne voient pas que la géopolitique commande la finance. Ainsi tous les excédents, certes chinois et moyen-orientaux, mais aussi russes, vénézuéliens, algériens ou ceux de tout ce qui dénonce « l’impérialisme américain », viennent contribuer à accroître sa dette et ne craignent rien tant qu’un affaiblissement du dollar ! Et ce alors même qu’ils ne peuvent douter que leurs créances qui se chiffrent en milliers de milliards de dollars sont une épargne forcée qu’ils thésaurisent sans grand espoir de pouvoir un jour la convertir en valeurs réelles…

Autre thème qui rejoint le précédent par la référence anglo-saxonne, les méfaits du néo ou ultralibéralisme, coupable de ne se fier qu’aux « anticipations rationnelles », à « l’autorégulation des marchés » et à la bonté infinie de la « main invisible »5. Mais qu’en est-il vraiment ? Jamais les réglementations (la « régulation ») n’ont été aussi larges et précises dans l’histoire du capitalisme. Les marchés boursiers sont contrôlés, les banques sont soumises à des batteries de ratios, les normes comptables ont été renforcées et presqu’unifiées, la création monétaire est sous l’emprise de banques centrales indépendantes, l’OMC veut discipliner le commerce et même ces agences de notation si souvent montrées du doigt ont été soutenues, célébrées comme outils indispensables, par ceux là mêmes qui les vouent aux gémonies. Que ces réglementations n’aient pas été efficaces ou aient été contournées, peut-être, mais les poser, en plus ou en moins, comme origine de la crise est pure mystification. Cela permet de développer deux argumentations contraires (mais au fond complémentaires), l’une dominante sur la nécessité du retour de l'État, du retour du politique, l’autre, plus discrète mais certainement appelée à plus de séduction dans le futur, sur l’excès et l’inefficacité de l’État.

L’État sauveur suprême, incarnation de la raison dans les marchés, est, des keynésiens revendiqués aux tenants inavoués du capitalisme d’État, la chanson partout entonnée. Les milliers de milliards de dollars ou d’euros, des États-Unis à l’Asie, de l’Europe à la Russie, soudainement sortis d’un chapeau magique, se répandent pour sauver les banques, les assurances et demain les industries stratégiques. Tous deviendraient « socialistes », voire reconstitueraient le Kremlin soviétique sur les rives du Potomac. Et les partis de gauche (là où ils ne sont pas au pouvoir) hésitent entre l’approbation honteuse et l’irritation de voir leurs « idées » pillées.

Sur le revers de la médaille les vrais libéraux se lamentent d’un injuste procès. Non sans arguments, ils désignent les interventions de l’État, alors même qu’il était prétendu absent. La financiarisation a été nourrie et soutenue par l’émission de titres d’État qui en forment le compartiment le plus sûr, le plus actif, celui sur lequel s’appuie l’extension des innovations dont ils sont le socle et la garantie. Si les financiers ont usé et abusé des effets de levier et des crédits à risque c’est que la politique monétaire des banques centrales maintenait artificiellement bas les taux d’intérêt. Pour que les subprime se multiplient, il a fallu la volonté délibérée des Pouvoirs publics d’étendre la propriété aux populations les plus modestes, ainsi aux États–Unis, le Community Reinvestment Act et les garanties accordées par ces institutions parapubliques Fanny Mae et Freddy Mac, qui ont dû être ensuite sauvées (d’autant que les chinois y avaient investi une part considérable de leurs dollars !). Et c’est sur cette base que les crédits aux ménages ont pu, grâce au système dit HELOC (Home Equity Line of Credit ) qui adosse la dette aux prix croissants de l’immobilier, prendre une ampleur explosive (près de 95% du PIB, plus de deux fois le niveau français). Enfin les réglementations comptables et bancaires, si contraires selon les libéraux au sens de la responsabilité et à la crainte des sanctions naturelles du marché, ont eu pour effet pervers d’exciter l’imagination toujours fertile des financiers à trouver des techniques de contournement tout en se sentant protégés par le si étrangement nommé « aléa moral », c’est-à-dire la certitude d’être couvert par l’État (les contribuables !) des conséquences éventuelles des erreurs commises. Ce qui, à l’exception de Lehman Brothers sacrifiée sans doute non à la morale mais à l’intérêt bien compris de ses concurrents, s’est entièrement vérifié.

Car l’État, n’en déplaise à nos sociaux-démocrates ou sociaux-libéraux qui font semblant de croire qu’il représente l’intérêt général, n’est que l’instrument chargé d’assurer la pérennité de l’ordre existant. Selon les circonstances et les époques, il adapte son action, modeste ou arrogante, aux besoins des rapports sociaux, capable d’être pompier après avoir été pyromane, autoritaire après avoir été laxiste, se donnant même parfois la prétention de bousculer ses mandants quand les troubles sociaux menacent. Si quiconque en doutait encore, les acrobaties idéologiques de MM Paulson, Sarkozy ou autres Brown, nationalisant à qui mieux mieux, devraient convaincre les plus incrédules. En dépit des apparences et des discours, ce sont les financiers qui imposent leur stratégie et non les politiques qui affirmeraient leur autorité et leur détermination

Comment dans cette grande confusion des idées (et encore aurait-il été bon de dire un mot des ricardiens6 qui ne cessent de dénoncer un « capitalisme sans capital », qui savent qu’il n’y a de valeur que du travail, mais ne voient nulle part l’exploitation), remettre un semblant d’ordre, essayer de remonter la chaine des causes ? Pour cela il faut reconstituer le puzzle de ces pièces dispersées et en découvrir le principe d’organisation, ce qui implique analyse formelle et rappel historique

Directement ou indirectement toute crise se révèle par une surabondance de crédit, ou différemment dit, par un excès de création monétaire par rapport à la production marchande. Mais le crédit n’est pas une aberration, il est consubstantiel au capitalisme et indispensable à son accumulation. De la monnaie au crédit et du crédit au capital financier mondialisé la trajectoire fut aussi logique que nécessaire. La monnaie a cette spécificité d’un caractère double, d’où, au fond, tout découle. Elle est moyen de l’échange, donc équivalent immédiat entre les biens dont elle n’exprime que les valeurs relatives, et instrument de conservation de la valeur, donc équivalent dans le temps où elle doit assurer le maintien absolu de la valeur. Dès lors que le temps intervient dans l’échange, le crédit apparaît, et avec le crédit sa matérialisation sous forme de traites, billets à ordre, lettres de crédit, etc.., chacune de ces matérialisations pouvant servir auprès de prêteurs ou de banques, de garantie pour un nouveau crédit. Ainsi sur une même valeur produite se multiplient les titres de créances qui sont une anticipation sur une valeur future, potentielle. La généralisation de ce système de crédit, qui est une création monétaire, conduit dans le cours historique du capitalisme, par étapes successives vers l’autonomisation de la monnaie, sous des formes de plus en plus virtuelles et au travers de crises récurrentes, à la financiarisation généralisée. Ce caractère double de la monnaie expliquera aussi les politiques monétaires, apparemment concurrentes, mais qui ne font que mettre l’accent sur l’une ou l’autre de ses fonctions.

En moins d’un siècle la monnaie se libérera de sa matérialité métallique, or et argent, d’abord après la Première Guerre mondiale, puis définitivement en 1971 quand Nixon supprimera toute référence du dollar en or et toute possibilité de conversion. Alors seront créées les conditions d’une multiplication illimitée des titres, de toutes formes, de toutes durées, de toute liquidité, qui, avec l’aide des technologies de l’information, assureront une presque parfaite fluidité et flexibilité du capital. Dès lors la monnaie apparaitra comme une richesse en soi, capable de s’auto-valoriser, indépendamment du travail et de la production sociale. Le capital financier devient dominant et s’unifie dans un même fétichisme. Les taux d’intérêt, la valeur actualisée des placements, semblent déterminer l’ensemble des évolutions et des équilibres économiques. Les banques et les institutions financières, publiques, privées ou internationales, répartissent le capital entre les différentes activités, les différents pays, en fonction des rendements attendus, des risques estimés, le déplaçant quasi instantanément, non sans, à l’occasion provoquer des crises brutales et localisées (Asie en 1997) ou des bulles dévastatrices (internet en 2001).

Mais malgré ses limites, cette mobilité du capital, expression de la prééminence du capital financier, est à la fois condition et produit de la mondialisation. Financiarisation et mondialisation ont partie liée, résultats d’un même développement historique. Ils forment un ensemble structuré qui tend à réaliser l’allocation des ressources la mieux adéquate à l’accumulation. Mais ce système, dans lequel il serait vain de chercher une frontière entre « économie réelle » et financière, est affecté d’un vice constitutif. La faculté du crédit à se gonfler démesurément, d’une façon qui apparaît rationnelle tant que l’ensemble des titres, actions, obligations, produits dérivés et autres signes des dettes entassées continuent à percevoir leur rémunération , alors même qu’ils se détachent de la production réelle de valeur, aboutit au développement d’un capital fictif. Et ce caractère fictif ne se révèle que lorsque, à un point quelconque de la chaîne des créances et des dettes, un débiteur insolvable, un investissement sinistré, inverse les anticipations et entraîne ventes précipitées et panique. Rien d’autre ne s’est produit avec les subprime et l’enchaînement qui s’en est suivi. Si la crise est à la fois bancaire, boursière et monétaire c’est que le capital financier a unifié la monnaie et le capital. Aussi se manifestant dans la sphère de la circulation, les mesures proposées pour réduire la crise dans sa racine ne dépassent pas la surface des choses et restent cantonnées à la simple énumération de réglementations, contrôles et autres moralisations.

Mais dans l’urgence il faut bien colmater les brèches. Un des effets les plus singuliers de la financiarisation est l’inversion des qualités : tout doit être fait pour sauver les banques, perpétuer les échanges monétaires, mais des secteurs industriels productifs peuvent être abandonnés ! La représentation abstraite et virtuelle importe plus que le travail humain concret. Aussi faut-il aller au delà des phénomènes monétaires et financiers. Que s’est-il passé pour que ce « modèle » du capitalisme s’instaure ? Habituellement le point d’inflexion est posé au début des années 80, quand les « trente glorieuses » s’achèvent avec ce que les économistes appelaient le compromis fordiste, époque bénie du keynésianisme. Ces années, cela est bien connu et largement décrit, avaient vu s’articuler une forte croissance de la productivité du travail, un taux de profit élevé, des salaires nominaux en progression et une inflation persistante. Cependant une telle configuration ne pouvait être durable. La productivité du travail déclinant, donc les prix réels exprimés en heures de travail augmentant, la croissance nominale des revenus ne suffisait plus à soutenir le niveau de vie des salariés. Le taux d’inflation tendait alors à s’élever au delà de ce qui était supportable en terme de masse de profit accumulable. Car l’inflation n’est pas seulement, comme il est parfois dit, un « impôt sur la monnaie », elle est aussi une sorte de faillite étalée dans le temps. La question de la valorisation du capital se posait donc de façon aiguë. Le temps était venu, celui de Reagan et Thatcher, de reconstituer, au prix d’une violente attaque contre la classe ouvrière, les taux et la masse des profits. Le « coût du travail » a été brutalement réduit, et bien au delà de ce qu’indique le partage salaires/profit de la valeur ajoutée : le rendement du capital, par toute une série d’innovations, a pris la forme privilégiée de plus values qui en comptabilité nationale s’inscrivent en patrimoine. Des théories financières dites « modernes » ont été élaborées qui ne distinguaient plus fonds propres et dettes et qui, grâce à une politique monétaire de taux d’intérêt sous évalués, ont justifié effets de levier, OPA hostiles ou non, rachat de leurs actions par les sociétés. Car évidemment, et contrairement à l’opinion répandue, la rentabilité effective du capital n’atteignit jamais les 15% « exigés » par les investisseurs. Il s’agissait de pures manipulations qui permirent de concentrer la richesse en un nombre toujours plus réduit de mains. Concentration de richesse mais aussi concentration du capital et constitution de groupes monopolistiques, dont moins de 500 contrôlent les deux tiers du commerce mondial. Dans le même temps la mondialisation devenait le thème à la mode. Non que ce soit une nouveauté pour le capitalisme, mais sa mise en avant permettait de masquer sa réalité profonde : une redoutable division internationale du travail. La mobilité du capital, les techniques de production de masse, la réduction du prix des transports, la rapidité des communications, autorisèrent de déplacer vers des pays à prix du travail misérable la production matérielle à faible valeur ajoutée. Et non tant par délocalisations d’industries existantes que par développement de produits nouveaux imposés à coup de campagnes mondiales de marketing.

Les pays du centre du capitalisme, les États-Unis en premier lieu, trouvèrent dans les pays d’Asie, d’Amérique Latine des complices consentants. Complices qui acceptèrent de dévaloriser leur travail national autant par une exploitation forcenée que par le dumping monétaire. Il ne faut pas en effet s’y tromper : les milliers de milliards de dollars accumulés en Chine, Russie ou autres ne sont pas le signe d’un enrichissement mais d’un appauvrissement. Ces excédents sont la contrepartie de la sous-valorisation de leurs produits et du sacrifice de la consommation et de l’investissement imposé à leur population. Il en est de même, bien que ce soit contre intuitif, pour les pays producteurs de pétrole ou de matières premières, qui gaspillent leur richesse et la vendent au dessous de son prix réel de rente (prix de substitution). Par cela s’effectue un transfert massif de valeur vers les pays industrialisés, et c’est bien leur capacité à capter une part majeure de la richesse mondiale qui fonde l’hégémonie des USA et du dollar, donc qui en font, et sans doute pour longtemps encore, le centre directeur du marché mondial. La crise, si surprenante par l’étroitesse de sa cause et l’extension de ses conséquences, est le résultat circonstanciel (toute autre cause aurait pu en être l’origine) de cette organisation du capital.

La financiarisation, c’est-à-dire l’autonomie de la monnaie comme indifférente à la production des biens tout en restant dépendante des valeurs réelles, qui permet à la fois création monétaire privée indéfinie et fluidité internationale du capital, articulée sur un procès de valorisation toujours plus difficile, produit un mélange explosif au moindre incident dans la chaine des crédits. Que l’endettement soit celui des États, des banques, des ménages ou des entreprises a peu d’importance, au bout du compte c’est l’ensemble du capital qui doit être dévalorisé, quel que soit le lieu où la crise prend naissance.

Aussi la « sortie de crise » est-elle problématique. Une simple socialisation des pertes, donc un ajustement par la baisse des salaires, le chômage, l’impôt, ne saurait être suffisant, si loin d’être à la mesure la globalité et de l’internationalisation de la crise. L’injection de « liquidités », par les États nationaux dans les banques, par le FMI dans les de plus en plus nombreux pays insolvables, ne sauraient que repousser les solutions recherchées, puisque la crise ne provient pas d’un manque de liquidités mais au contraire d’un excès, liquidités qui ne circulent plus (la « trappe à liquidités » de Keynes) et qui ne sont que le symptôme d’un capital qui ne peut se valoriser. Les réponses sont toujours les mêmes. Les économistes « classiques » libéraux défendent que la « purge » doit aller à son terme, que l’urgence est de préserver la stabilité et la valeur de la monnaie (son rôle de conservation) et donc d’en détruire le surplus sans contrepartie. Mais la brutalité du remède tuerait le malade, disent les « anti-monétaristes » keynésiens. Pour éviter que la crise ne devienne sociale, il faut des plans de relance, du déficit budgétaire et au bout du compte l’inflation, qui aboutit aussi à une dévalorisation du capital, mais de façon dissimulée et indolore.

En l’absence de toute perspective politique radicale (peut être faudra-t-il encore quelques crises majeures pour qu’elle s’ouvre) le retour de l’État keynésien, ou dit tel car il est douteux que Keynes s’y reconnaisse, est le plus probable. Outre les conséquences internationales -sans doute une nouvelle répartition des forces mais toujours contrairement à ce qui s’écrit partout sous direction américaine, fut-elle plus subtile-  dans chaque pays l’État deviendra plus interventionniste, dans la répression et non dans la providence, la politique monétaire plus active et l’inflation acceptée. L’Europe pourrait en exploser et l’euro vivre des jours difficiles. L’hétérogénéité économique des pays européens devrait leur imposer de retrouver une liberté monétaire pour compenser les inévitables différentiels d’inflation. Les banques centrales de chaque pays entreraient en contradiction avec la BCE, qui en tout état de cause ne serait plus capable de définir et de mener une politique commune. Avec le retour au seigneuriage monétaire, le triomphe des souverainistes accompagnerait le renforcement du rôle du dollar et une période d’incertitudes politiques dont nul ne peut dire si elle serait favorable ou défavorable à une lutte des classes qui serait paradoxalement plus encore internationalement déterminée.

Galar

 

1 Toutes les notes qui apparaissent dans le texte ont été ajoutées par le CCI et consistent à expliciter certaines références en vue d'en faciliter la compréhension par le lecteur.

2 La plus grave crise économique de l'histoire du capitalisme [79]

3 Débat interne au CCI : les causes de la prospérité consécutive à la Seconde Guerre mondiale (III) [80]

4 La Fed (pour "Federal Reserve") est la banque centrale des États-Unis.

5 Ce terme de "main invisible" est employé à plusieurs reprises dans trois ouvrages d'Adam Smith (1723-1790), un philosophe du "siècle des lumières", professeur à l'université de Glasgow, qui est aussi le père fondateur de l'économie politique "classique", du temps où la bourgeoisie était encore une classe révolutionnaire. Par la suite, certains de ses épigones ont repris ce terme pour avancer l'idée que la "main invisible" du marché se charge, au delà des intérêts opposés de ses différents protagonistes, d'établir un équilibre économique dont tous ces derniers sont bénéficières et d'assurer une prospérité pérenne à la société.

6 Les économistes qui se réclament des théories de David Ricardo (1772-1823), un des grands noms de l'économie politique classique, dont la thèse que le travail est la seule source de valeur pour une marchandise a été reprise et développée par Marx.

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [81]

Récent et en cours: 

  • Crise économique [9]

Une contribution au débat sur la crise économique actuelle

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Fin février, nous avons reçu le message suivant : « J'ai écrit un texte d'analyse marxiste sur la crise actuelle et je pense qu'il pourrait vous intéresser, vous et vos lecteurs. Il est sur mon blog www.papamarx.wordpress.com [82] et peut être librement copié pour usage non-commercial. Si vous pensez qu'il serait pertinent pour votre site, cela me ferait un grand plaisir de le voir publié chez vous. »

La gravité de la crise qui marque, comme le nomme « papamarx », « un changement d'époque », et le tombereau de mensonges déversé par la bourgeoisie pour cacher les véritables racines de la faillite du capitalisme, obligent les révolutionnaires à approfondir leur compréhension des ressorts économiques de ce système. Pour cela, rien de mieux que le débat, la confrontation saine et fraternelle des idées, en luttant contre tout esprit boutiquier. Nous livrons donc à la connaissance et à la réflexion de nos lecteurs cette contribution qu'effectivement nous pensons «pertinent[e] pour [notre] site ».

En particulier, l'intérêt de ce texte réside en ceci qu'il se base sur des présupposés théoriques (« la baisse tendancielle du taux de profit ») différents de ceux qui constituent la position majoritaire au sein du CCI pour expliquer les contradictions insurmontables du capitalisme (essentiellement l'insuffisance historique des débouchés extra-capitalistes). En ce sens, ce texte peut également être utile tant à la discussion de nos articles d'analyse de la phase actuelle de la crise mortelle du capitalisme (Lire notre article « La plus grave crise économique de l'histoire du capitalisme [79] ») qu'au débat au sein du CCI qui s'est développé autours de l'étude de la période dite des "Trente Glorieuses" pour comprendre les contradictions fondamentales de l'accumulation capitaliste et dont nous avons entrepris la publication à l'extérieur de notre organisation (Lire notre article « Débat interne au CCI : les causes de la prospérité consécutive à la Seconde Guerre mondiale (III) [80] » ).

Nous ne pouvons ici, dans le cadre de cette courte présentation, répondre en profondeur à l'analyse de « papamarx ».  Nous nous contenterons de poser une seule question. Cet article qui décrit avec justesse l'évolution de la crise économique depuis la Seconde Guerre mondiale veut mettre au centre de son analyse la question de la baisse tendancielle du taux de profit. Et pourtant, à chaque récession, ce qui est mis en avant concrètement comme cause de la crise est la saturation des marchés. Le terme « surproduction » est ainsi répété 6 fois et « papamarx » affirme même finalement « comme toute crise sous le capitalisme, la crise de 2008 est une crise de surproduction ». S'en suit une tentative d'explication, « Ce qui crée la possibilité d'une crise de surproduction, c'est l'écart qui existe entre le moment où la décision d'investissement est prise et le moment de la réalisation (vente) de ce même investissement. Entre ces deux moments, il est en effet possible que la demande solvable ait été satisfaite, car il n'existe aucun moyen de limiter la quantité des investissements dans un secteur donné. On peut donc décider d'investir dans un marché en demande, et arriver à offrir notre marchandise seulement au moment où la demande se contracte. Si plusieurs agents économiques font de même, on a une crise de surproduction, avec éffondrement des prix, comme en 2006. ». Mais, même si cet écart « entre le moment où la décision d'investissement est prise et le moment de la réalisation (vente) de ce même investissement » existe effectivement, n'y a t'il pas quelque chose de bien plus profond qui explique que « comme toute crise sous le capitalisme, la crise de 2008 est une crise de surproduction » ?[1]


L'article de « papamarx »[2] : Crise économique : un changement d'époque

Le fruit de la misère ne tombe jamais loin de l'arbre de l'exploitation.

La crise économique commencée en 2008 a maintenant pris des proportions mondiales, et laisse désemparés les capitalistes et les États qui n'avaient pas su ou voulu en mesurer l'importance.

Partout le chômage explose alors que des mobilisations sociales de plus en plus radicales et violentes se manifestent. De l'Europe de l'est à la Grèce, de l'Islande aux Antilles françaises, des États-Unis à la Chine, les troubles sociaux fusent en réaction à la crise qui prive les travailleurs de revenus, de logement, de nourriture.

Manifestants exigeant et obtenant la libération d'un prisonnier en Islande

Les classes dominantes tentent tant bien que mal de prendre la mesure d'une crise de plus en plus profonde et qui ne semble pas vouloir se résorber, alors que les plus populistes d'entre eux, Nicolas Sarkozy en tête, mettent la faute de la crise sur les excès du capitalisme, sur la finance immorale, sur un manque de réglementations. Bercés par l'espoir d'un rapide retour à la normale qui serait la conséquence de nouvelles réglementations et d'une moralisation du capitalisme, les politiciens et opportunistes de tout acabit peinent à voir ce que de plus en plus d'observateurs constatent: la crise actuelle marque la fin d'une époque.

Cette crise est le résultat d'une évolution normale et naturelle du capitalisme. Le fruit de la misère ne tombe jamais loin de l'arbre de l'exploitation. Du néolibéralisme caractéristique des trente dernières années à la financiarisation de l'économie, des hypothèques à risques américaines à la crise du papier commercial, de la crise alimentaire mondiale à la crise actuelle, il y a un enchaînement causal indéniable, propre au système capitaliste.

Comprendre la situation actuelle est le préalable à une action efficace. Ce texte veut en conséquence contribuer à une essentielle renaissance de la critique de l'économie politique.

 

Des « Trente Glorieuses » à la « stagflation »

 

Pour bien comprendre la crise actuelle, il nous faut faire un retour en arrière jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale, en 1944, dans une petite ville du New-Hampshire nommée Bretton Woods. Se souvenant des soubresauts provoqués par la crise de 1929, que seule la guerre mondiale avait pu résorber, les dirigeants des principaux pays alliés mettent alors sur pied un nouveau système économique international destiné à être implanté à la fin de la guerre.

Les accords de Bretton Woods mettent sur pied un nouveau système monétaire international, fondé sur le dollar américain, dont la convertibilité avec l'or au prix de 35$ l'once garanti la stabilité du système international de change. On établi aussi des institutions chargées de garantir et « d'aider », au besoin, les pays en rupture de paiement par l'octroi de prêts destinés à stabiliser et à garantir les échanges internationaux, de même que des prêts à plus long terme servant à financer des infrastructures économiques permettant à des pays en retard de produire pour l'exportation. Ces institutions, le Fonds monétaire international pour les prêts à court terme aux pays en rupture de paiement, et la Banque mondiale pour le financement des infrastructures, vont jouer un rôle prépondérant dans la réorganisation du commerce international et aideront largement les états impérialistes à conserver leur position dominante dans l'économie mondiale.

Le nouveau système monétaire international va permettre au capitalisme d'entamer la plus grande période de croissance de son histoire, de 1945 à 1971, sur des bases solides. La croissance de cette période tire sa source dans une nouvelle organisation du travail et de nouvelles technologies qui vont relancer la croissance, elle-même stimulée par des destructions sans précédant en Europe et en Asie causée par la Seconde Guerre mondiale.

En même temps, la division internationale du travail et les institutions fondées pour en garantir la fluidité (BM et FMI) vont permettre le drainage des ressources des pays en voie de développement vers les métropoles impérialistes, assurant du même coup des surprofits coloniaux juteux aux oligopoles transnationaux. C'est cette nouvelle stabilité dans les échanges internationaux - fondamentalement inégalitaire - qui placera de plus en plus les oligopoles transnationaux dans une position de force face à un nombre grandissant d'États et de communautés. Cette nouvelle force constituera la base sur laquelle, à partir des années 1980, s'édifiera un régime d'accumulation du capital véritablement international.

La plupart des États industrialisés adoptent dans cette période une politique économique d'inspiration keynésienne, ce qui veut dire qu'on intervient beaucoup dans l'économie: on prends en charge les grands travaux d'infrastructures que le secteur privé est incapable de financer, on construit des routes, des écoles, des hôpitaux, on élargi l'accès aux études supérieures, on instaure l'aide sociale, on modernise l'agriculture, on subventionne les entreprises pour stimuler le développement économique.

En même temps, on garantit une relative paix sociale en instaurant des lois sur les relations de travail qui vont officialiser la place des grands syndicats bureaucratiques dans l'économie, on va adopter des lois d'utilité sociale pour protéger les travailleurs contre les abus les plus criants des patrons, la sécurité d'emploi va s'étendre et les salaires vont s'élever sensiblement.

À partir du milieu des années 1960, toutefois, des signes d'affaiblissement de la croissance commencent à se faire voir, et en 1971, la crise éclate ouvertement. Incapable de supporter plus longtemps le système de change international alors que leur balance commerciale est lourdement déficitaire, les États-Unis abandonnent la convertibilité du dollar en or, instaurant ainsi de facto un système monétaire international basé sur des cours de change flottant.

En 1974, les graves problèmes que subissent les économies mondiales se transforment en la plus grave crise économique depuis la fin de la guerre. Les patrons tentent d'abord de répondre à la crise par les moyens habituels : extension du crédit, politiques inflationnistes, dépenses gouvernementales et politique de relance. Bien vite, ces solution apparaissent limitées et la fin des années 1970 est marquée par une inflation galopante et par des taux d'intérêts qui grimpent en flèche pour juguler l'inflation, alors que la croissance stagne. Ce phénomène, inflation élevée et stagnation économique, sera nommé stagflation. Un des facteurs d'aggravation de la crise fut la combativité de la main-d'œuvre et les luttes radicales, souvent très dures, des années 1970. Alors que les taux de profits baissent et que les gouvernements se lancent dans des politiques de stimulation économique débouchant sur l'inflation, le prolétariat refuse de payer seul le prix de la crise et réclame par ses luttes des hausses de salaires conséquentes avec la hausse des prix. C'est la fin du modèle de développement économique qui a cours depuis 1945, les politiques de relance keynésienne causant désormais une inflation si élevée qu'elle en annule les effets bénéfiques, et la forte combativité ouvrière exigeant que le patronat casse violemment les syndicats les plus combatifs[I].

Les causes de la crise

Les causes de cette crise généralisée du régime d'accumulation du capital propre aux Trente Glorieuses sont caractéristiques de l'impasse fondamentale dans laquelle le capitalisme tardif se trouve. En effet, le capital social total, c'est-à-dire l'ensemble du capital dans toute la société, est constamment soumis à des impératifs d'accumulation. L'accumulation du capital implique qu'une partie de la plus-value[II] produite par le travail soit réinjectée dans le capital pour que celui-ci grandisse. Or ce processus d'accumulation cause une chute des taux de profits[III], chute qui sera à la base de la crise structurelle des années 1970.

La tendance à l'accumulation du capital développe les forces productives par un processus qui alloue les capitaux aux diverses branches d'industries en fonction des taux de profits[IV] que chacune d'entre elle offre. Quand une branche d'industrie offre des profits intéressants, les capitaux y affluent à la recherche de profits supérieurs à la moyenne. Comme chaque capitaliste cherche à baisser ses coûts de production pour être à même de baisser ses prix et d'avoir un avantage sur la concurrence, les investissements se font donc dans de nouvelles machines, de nouveaux équipements et de nouveaux procédés de production qui auront pour effet d'augmenter la productivité du travail, et donc réduiront les coûts de production. Cette affluence de capitaux amène donc des transformations dans la structure du capital de ladite branche d'industrie, en faisant augmenter la composition organique du capital[V].

À un certain moment, par la suite de la saturation de la demande et de la stabilisation de la concurrence, les taux de profits de la branche d'industrie en question se réalignent vers le taux de profit moyen. Quand cet alignement est pleinement réalisé, ou quand suite à une surproduction les taux de profits chutent en bas de la moyenne, les capitaux cessent d'être attirés vers cette branche d'industrie et migrent vers une autre branche, répétant le même processus d'élévation de la composition organique du capital de branche en branche, jusqu'à avoir fait le tour de tous les secteurs profitables.

Ainsi, poussé par la recherche des taux de profits les plus élevés, le capital est constamment dans une dynamique d'accumulation qui constitue pour lui une question de vie ou de mort. Mais ce mouvement d'accumulation comporte lui-même une contradiction importante, qui sera à la source de la crise des années 1970. En effet, ce mouvement d'accumulation conduit à une réduction toujours plus prononcée de la part du travail vivant dans la production des marchandises. Comme seul le travail vivant est producteur de valeur[VI], et donc de la plus-value à la base du profit, il en résulte que le taux de profit a tendance à diminuer à chaque cycle d'accumulation du capital.

Dans les années 1970, l'accumulation du capital atteint un point tel que les contre-tendances à la baisse du taux de profit n'opèrent plus. Le résultat est une crise de valorisation du capital, celui-ci ayant de plus en plus de difficultés à continuer à croître et à générer des profits. En même temps, un capital ayant une composition organique très élevée est plus vulnérable aux crises, parce que les crises menacent la reproduction du capital constant. La main-d'œuvre est en effet flexible à souhaits, et le capitaliste peut rapidement mettre au chômage les travailleurs quand les choses vont mal, mettant ainsi le poids de la reproduction de la force de travail sur le dos des travailleurs eux-mêmes. Mais il en va autrement avec les machines, le capital constant, pour lequel le capitaliste n'a d'autre choix, qu'il y ait production ou non, d'en assumer l'achat. La part grandissante du capital constant par rapport au capital total ne fait qu'aggraver le problème.

La crise auquel fait face le capitalisme vers la fin des années 1970 le place donc devant des difficultés de nature structurelles, alors que des événements de nature conjoncturelles, comme le choc pétrolier, viennent aggraver la crise, sans toutefois la causer comme le veut la légende populaire.

Le néolibéralisme: la croissance par l'endettement

La solution pour répondre à la crise devient rapidement évidente : il faudra attaquer directement les acquis des travailleurs pour relancer les profits. Dès lors, le cycle que nous connaissons bien est commencé. Il sera marqué par une série d'attaques contre le prolétariat que certains nommeront néolibéralisme.

Le néolibéralisme est basé sur le contrôle maximal des coûts de main-d'œuvre et la lutte à tout prix contre l'inflation salariale (c'est-à-dire contre l'augmentation des salaires). Il se caractérise par plusieurs délocalisations de la production vers le Tiers-Monde, des compressions dans les programmes sociaux, des diminutions de salaires, l'élagage de la fonction publique, le retour au travail précaire, des licenciements massifs et l'instauration de la concurrence mondiale entre travailleurs. Puis, dans une deuxième phase, il sera marqué par une extension des domaines de valorisation du capital : on veut ouvrir la santé, l'école, l'eau potable et tout une série d'activités productives au capital. On palliera, en partie, la baisse des taux de profit en s'appropriant de manière privée une plus-value autrefois distribuée plus ou moins socialement. C'est une nouvelle configuration du capitalisme qui voit le jour dans les années 1980, le néolibéralisme

Mais les coupes drastiques dans les salaires ont l'effet de faire diminuer la demande solvable, c'est-à-dire la capacité de consommation des masses. Les licenciements massifs, les délocalisations, les coupes dans la fonction publique tirent vers le bas les revenus des ménages, alors qu'en termes absolus la production mondiale continue son ascension et sa croissance. Aux États-Unis - pays qui par son poids économique et politique peut être considéré comme baromètre - le revenu médian réel des ménages n'a augmenté que de 13% entre 1979 et 2005[VII]. Encore pire, selon le Bureau of Labor Statistics, le salaire horaire moyen des travailleurs non-superviseurs a diminué depuis 1970[VIII]. Au Canada, le salaire médian réel n'a augmenté que de 0,1%, ce qui veut dire que les salaires des 50% les plus pauvres n'ont pas augmentés depuis 30 ans[IX]. des Et ces chiffres sont certainement en deçà de la réalité: étant donné que les statistiques de l'inflation sont fortement biaisées[X], l'augmentation du revenu médian des ménages est probablement négative.

C'est donc dire que durant la période « néolibérale » (1980-2008), les salaires réels ont baissés, ou au mieux stagnés. À cette tendance lourde d'abaisser les salaires et les avantages sociaux directs, il faut ajouter une autre tendance systématique de cette période qui fut la diminution du salaire social, c'est-à-dire des prestations, en argent ou en services, offerts par l'État aux travailleurs et travailleuses. Ces années sont les années de vaches maigres pour les services publics, et sont accompagnées en bruit de fond par un discours ultralibéral à saveur économique qui devient rapidement omniprésent dans des média de masses de plus en plus concentrés dans les mains des plus riches. Il faut dire que ces média ont fort justement servi les intérêts de leurs propriétaires, les revenus du 0,1% des américains les plus riches ayant augmentés de 296% durant la période 1979-2005[XI] !

Dans les économies des pays industriels avancés, la consommation des ménages compte pour environ les 2/3 du PIB. C'est dire toute l'importance pour le système d'avoir un bassin de population capable d'absorber l'offre en consommant suffisamment. La diminution des revenus réels durant la période néolibérale aurait en conséquence dû mener à un effondrement de la croissance, voire vers une dépression extrêmement grave. S'il est vrai que la croissance de la période a été anémique, et que 3 récessions (1982, 1990, 2001) l'ont traversée, la demande ne s'est pas brutalement effondrée parce que le recours au crédit s'est considérablement accru durant la même période.

Alors que l'endettement des ménages dans les années 1970 était relativement faible, il n'a cessé de croître depuis, atteignant 96% du revenu annuel des ménages américains en 1996, pour grimper à 129% en 2001. Au Canada, l'endettement des ménages est passé de 80% en 1990 à 130% en 2008, alors que le taux d'épargne a chuté de 13% à 3% durant la même période[XII]. Et ces chiffres sont généralisables à la plupart des pays industrialisés. L'extension du crédit est telle qu'elle est maintenant responsable de toute la croissance économique, tant en Europe qu'en Amérique[XIII]. On a donc compensé les diminutions de salaires, et la baisse de la demande qui y correspond, avec un endettement privé massif.

La croissance chinoise elle-même, nouvelle vedette du capitalisme, est basée sur l'endettement massif des États-Unis et sur des excédants commerciaux fantastiques, correspondant de l'autre côté de la transaction avec des déficits de la balance commerciale américaine de plus en plus abyssaux. Mais la Chine paiera chèrement sa dépendance vis-à-vis la consommation américaine par l'endettement. D'abord parce que la limitation du crédit et les multiples défauts de paiements actuels tariront la demande pour ses produits d'exportations. Ensuite parce que ses exportations étant payées en dollars US, la Chine - qui a constitué avec ce magot des réserves de change considérables - s'expose fortement a une plus que probable dévaluation du dollar US[XIV].

La configuration néolibérale du capitalisme a vu le jour pour tenter de résoudre les difficultés croissantes de valorisation du capital, qui s'exprimaient dans une baisse de profitabilité des investissements et dans des épisodes de surproduction de plus en plus violents, comme en témoignent les crises de 1974 et de 1982. Cette tendance à la baisse des taux de profits s'est paradoxalement accompagnée d'une hausse fulgurante des liquidités disponibles, qui a elle-même permis le modèle de relance de la consommation basé sur la maximisation du crédit. En effet, il est typique des crises économiques de voir la quantité de liquidités augmenter, les capitaux disponibles ne souhaitant pas risquer des investissements aux rendements incertains et aux risques trop élevés. Cette tendance est elle-même renforcée par la diminution des profits, qui décourage les investissements.

 

L'explosion de la finance

 

C'est pourquoi, parallèlement aux attaques contre les travailleurs et à la restructuration néolibérale de l'économie productive, la finance va devenir prédominante à partir des années 1980. Cette prédominance s'explique par plusieurs facteurs, dont la naissance d'un système de production de plus en plus mondialisé, phénomène favorisé par l'extension de la sous-traitance et la libéralisation des lois et règlements régulant les échanges internationaux. De plus, il faut voir que la crise systémique commencée dans les années 1970 a dégagé une masse importante de capitaux qui ne trouvent plus des taux de profits suffisant dans l'économie productive et qui vont tenter de se valoriser dans une sphère financière de plus en plus déconnectée de l'économie réelle.

La sphère financière a bercé les illusions de plusieurs sur la capacité du capital à produire de l'argent avec de l'argent, sans passer par l'étape de la production réelle. Le capital fictif se transige sur un marché distinct de celui des marchandises, selon des lois distinctes, renforçant ainsi l'illusion qu'il est un véritable capital à côté de celui qu'il représente. Dans le monde de la finance, même une montagne de dettes peut passer pour de la richesse, puisqu'on peut vendre et acheter des titres de dettes. Mais la déconnexion croissante de la finance et de la capitalisation boursière vis-à-vis du PIB a tranquillement fait évoluer les marchés financiers vers un sommet, dans lequel les valeurs boursières sont sans commune mesure avec la valeur réelle des actifs.

Ainsi dans les années 1990, les cours boursiers ont progressé de façon spectaculaire, alors que la croissance était plutôt limitée, et malgré de nombreuses fermetures d'entreprises. Les entreprises qui annonçaient des mises à pied massives, vu la contraction de la demande, se voyaient récompensée par des hausses importantes de la valeur de leurs titres. Des transnationales achetèrent leurs concurrents, non dans le but de réaliser des économies d'échelle ou de mettre la main sur des capacités de production qu'elles n'avaient pas, mais dans le simple objectif de réduire la concurrence, et ceci à des coûts nettement plus élevés que la valeur réelle des actifs ainsi acquis.

Cette déconnexion existe parce que la sphère financière a ceci de particulier qu'elle est le royaume du capital fictif, capital constitué de titres comme des actions, des obligations, des options, des titres de dettes, titres qui sont en fait des revenus futurs anticipés, qui ne sont pas encore réalisés.

Or, comme le capital fictif est une anticipation de revenus futurs, de la richesse future, il est en quelque sorte un modèle « d'économie casino », qui attire naturellement les manipulations comptables diverses, les fraudes[XV] et les schémas de Ponzi[XVI]. Les gouvernements ont favorisé cet état de fait en libéralisant les normes comptables[XVII] et en permettant une circulation sans limite des capitaux, ce qui a rendu toute surveillance absolument vaine.

La croissance du capital fictif, de la sphère financière, a suivi une courbe ascendante proportionnelle avec l'offre de crédit aux ménages et aux États. La raison en est toute naturelle: si les détenteurs de capitaux estiment que la croissance future sera considérable - et c'est ce que veut dire, en définitive une croissance boursière considérable - il est donc logique et sécuritaire d'augmenter l'offre de crédit, puisque la croissance escomptée fournira aux emprunteurs les moyens futurs de remboursement de leur dette.

En même temps, en l'absence d'investissements productifs gratifiant le capital de taux de profits conséquents, provoque, depuis les années 1980, une crise de suraccumulation des capitaux, c'est-à-dire qu'il y a trop de capitaux disponibles pour ce qu'il est effectivement possible d'investir dans la production. Ces capitaux seront naturellement attirés par les rendements promis par les banques, les sociétés de financement hypothécaires, les compagnies de cartes de crédit, de financement automobile, et autres société spécialisées dans l'offre de crédit.

 

Les subprimes

 

Après l'éclatement la bulle des technologies nouvelles en 2000, les capitaux en manque de valorisation ont cherché un terrain fertile pour continuer à rapporter des dividendes à leurs propriétaires. Le secteur de l'immobilier leur offrira l'occasion d'investir leurs capitaux, stimulé par des taux d'intérêts très bas, vu l'abondance de capitaux disponibles. Une politique de dérèglementation du marché hypothécaire, comprenant l'autorisation de prêts sur 40 ans et de prêts représentant 110% de la valeur de la maison achèvera de préparer le terrain à l'invasion de la finance dans l'immobilier.

Les institutions de crédit américaines vont développer tout un système pour attirer dans leurs filets les ménages américains à qui on fait subitement miroiter des maisons luxueuses et accessible facilement, vu le relâchement des règles sur le crédit hypothécaire. Les banques et les institutions de crédit hypothécaire, comme Freddy Mac et Fannie Mae, vont se mettre à financer toute une série de prêts à haut risques à des ménages normalement insolvables. Entre 1994 et 2003, la valeur de ces prêts à risque passera de 35G$ à 332G$[XVIII].

Parallèlement à cela, les ménages déjà propriétaires de leur maison mais qui disposent de revenus de plus en plus limités, comme nous venons de le voir, se verront offrir des marges de crédits hypothécaire, donc un crédit garanti par la valeur résiduelle de la maison.

Tout ce beau système fonctionne tant que les prix immobiliers augmentent et que les taux d'intérêts restent bas. Mais à partir de 2006, la valeur de revente des maisons commence à diminuer, alors que les maisons neuves se vendent de moins en moins bien. C'est que poussés vers le haut par les emprunts pour financer la guerre en Irak, les taux d'intérêts US passent de 1% en 2004 à 5,25% en 2006.

Ces changements sont aggravés par la structure même des subprimes, les hypothèques à risque américaines. En effet, les hypothèques « subprimes », ou hypothèques à surprime, sont consenties à des taux flottants, laissant l'emprunteur à la merci d'une hausse des taux d'intérêts, et incluent aussi une surprime de risque encaissée par le prêteur pour « compenser » le risque représenté par l'éventuelle insolvabilité des ménages. De plus, les subprimes sont ainsi conçus pour que la surprime ne soit pas payable au début du terme de 5 ans, mais selon un ordre croissant d'année en année. Ainsi, l'année 1 est au taux normal, l'année 2 au taux normal assorti d'une surprime de 1%, l'année 3 au taux normal assorti d'une surprime de 2%[XIX], et ainsi de suite. Donc plus on avance dans le temps, plus les taux d'intérêts payés par les emprunteurs montent, autant à cause de la prime de risque qu'à cause de la hausse des taux officiels.

En 2006, le système se met à avoir des ratés, et les premières vagues de défauts de paiement commencent à apparaître. En 2007, c'est 1,3 millions de ménages qui perdent leur logement, et la croissance des saisies immobilière progressera jusqu'à ce jour de près de 100 000 par mois[XX]. Quand on sait le peu de filet de sécurité sociale dont les américains disposent, et si on ajoute que le marché locatif est proportionnellement beaucoup moins important qu'au Canada, on comprends à quel point une telle hécatombe immobilière a pu toucher les travailleurs et les pauvres aux États-Unis.

 

Des « subprimes » au « PCAA »

 

Mais les malheurs des pauvres vont, pour une fois, faire aussi le malheur des riches, car la crise immobilière américaine se transmettra à l'ensemble de la finance mondiale par le biais d'un instrument financier complexe, le PCAA (papier commercial adossé à des actifs).

Le PCAA est un titre financier qui regroupe plusieurs créances différentes comportant des niveau de risques différents, que l'on vend sur les marchés financiers pour pouvoir financer de nouveaux prêts, et dont l'échéance est très courte. En échange de son capital, l'acheteur de PCAA se voit attribuer une part des intérêts perçus par les prêteurs. C'est par l'émission de PCAA que les prêteurs hypothécaires américains vont financer leurs prêts à risque, et ils y incluront toutes sortes d'autres créances comme des prêts auto, des créances de cartes de crédit, etc.

Quand les acheteurs de PCAA se rendent comptent que ces titres sont adossés à de mauvaises créances - les subprimes - ils refusent de renouveler leur achat à l'échéance, très courte comme nous l'avons vu, forçant ainsi les émetteurs de PCAA à diminuer drastiquement leurs liquidités pour racheter les titres. De même, beaucoup de banques, de fonds de pension[XXI] et d'investisseurs majeurs restèrent « pris » avec des PCAA, refusant de les vendre aux prix dérisoires qu'ils avaient atteints[XXII].

Les spéculateurs qui avaient réussi à se dégager à temps des PCAA ont évidemment trouvé de nouveaux horizons pour tenter de valoriser tant bien que mal leurs capitaux. La récente crise alimentaire mondiale, épisode de famine paradoxal dans un monde où règne de façon générale la surproduction, s'explique en partie par le déplacement de ces capitaux vers les marchés des matières premières[XXIII], alimentaires et pétroliers principalement. Cet épisode de spéculation fut de courte durée car les fonds spéculatifs durent faire face à la crise des liquidités bancaires, et virent leurs crédits coupés.

 

La crise financière

 

La crise du PCAA débouchera sur une crise des liquidités bancaires, certaines des plus grosses banques du monde éprouvant de sérieuses difficultés[XXIV] à financer leurs opérations courantes alors que d'autres feront faillite[XXV]. Refusant de se prêter entre elles et refusant de plus en plus de prêts aux particuliers et aux entreprises, les banques tariront le crédit facile et peu coûteux qui avait été à la base de la croissance des dernières années.

Cette crise bancaire provoquera un effet domino sur les marchés financiers, et les détenteurs de capitaux qui tentent tant bien que mal d'encaisser en liquide leur capital sont mis devant le caractère largement fictif de celui-ci. Les compagnies d'assurances, dangereusement exposées au PCAA parce qu'elles en avaient garantie le capital, sont mise en danger par des réclamations de plus en plus élevées. La plus grande compagnie d'assurances au monde, l'American Insurance Group (AIG) devra se résigner à la nationalisation partielle de ses actifs, à la hauteur de 80G$, faute de quoi elle se retrouverait en situation de défaut de paiement vis-à-vis ses assurés. Les fonds spéculatifs et les fonds de couverture, utilisant leurs marges de crédit pour spéculer, se voient obligés de liquider en catastrophe leurs positions suite aux rappels de leurs marges provenant de banques cherchant des liquidités. Comme nous l'avons vu plus haut, cette situation eu pour effet de faire reculer les prix des matières premières, pétrole et nourriture en premier lieu.

En septembre 2008, les marchés boursiers, déjà en baisse depuis octobre 2007, plongent de plus belle, et pour longtemps. La situation ne se stabilisera que tranquillement à partir de novembre, mais avec une chute de 43% de la valeur des capitalisations boursières par-rapport à leur sommet de 2007. Depuis, les marchés boursiers stagnent, le Dow Jones oscillant au gré des nouvelles économiques autour de 8000 points.

 

La crise économique de 2008

 

Le fait que la crise éclate dans l'immobilier peut être considéré comme un facteur aggravant, étant donné que ce secteur est caractérisé par un temps de circulation du capital relativement long. En effet, comme toute crise sous le capitalisme, la crise de 2008 est une crise de surproduction, dans ce cas-ci de maisons. Ce qui crée la possibilité d'une crise de surproduction, c'est l'écart qui existe entre le moment où la décision d'investissement est prise et le moment de la réalisation (vente) de ce même investissement. Entre ces deux moments, il est en effet possible que la demande solvable ait été satisfaite, car il n'existe aucun moyen de limiter la quantité des investissements dans un secteur donné. On peut donc décider d'investir dans un marché en demande, et arriver à offrir notre marchandise seulement au moment où la demande se contracte. Si plusieurs agents économiques font de même, on a une crise de surproduction, avec effondrement des prix, comme en 2006. Contrairement à d'autres secteurs, où une forte demande peut être satisfaite rapidement parce que les capacités productives sont sous-utilisées, l'immobilier se caractérise par un cycle de circulation du capital plus long, ce qui fait que les quantités de capitaux ayant trop produit sont beaucoup plus élevés.

Le tarissement du crédit a débouché, en 2008, sur une baisse de la demande solvable au niveau mondial, avec toutes les conséquences économiques que cela amène. Les secteurs les plus touchés au départ sont ceux de l'automobile et de l'immobilier, largement dépendants de l'offre de crédit à rabais. Mais l'importance relative de ces secteurs dans l'économie capitaliste, couplé à un ralentissement général de la consommation, conduit déjà plusieurs autres secteurs à faire des mises à pieds massives[XXVI].

Comme toujours ce sont les travailleurs qui paieront la facture de la crise. Les mises à pieds massives des derniers mois ont fait exploser le chômage un peu partout, encore une fois beaucoup plus que dans les statistiques officielles, étant donné qu'elle ne font pas la différence entre un emploi à temps partiel et un emploi à temps plein.

Il est aussi certain que l'on demandera aux travailleurs et aux travailleuses de travailler encore pour moins cher, les plans de relance américain dans l'automobile étant conditionnels à des concessions salariales de la part des syndiqués, qui verront leurs salaires diminuer de moitié. La flexibilité de la main-d'œuvre, devant une demande anémique, sera augmentée, pour permettre aux patrons de diminuer les coûteux « temps morts » durant lesquels les travailleurs bien que sur les lieux de travail, disponibles et payés, ne travaillent pas.

Enfin, l'arrivée massive des déficits dans les budgets d'États, déficits engrangés pour relancer l'économie et permettre de nouveau aux patrons de faire des profits faramineux sur notre dos, constitueront à terme, surtout si on les couple avec des baisses d'impôts, le prétexte tout trouvé pour diminuer de nouveau la part des impôts des travailleurs qui leur est distribuée sous forme de services ou de prestations sociales. Il s'agit ici d'une baisse de salaire - le salaire social - plus difficile à voir que la baisse du salaire disponible, mais non moins réelle. Les pressions se feront d'autant plus fortes que certains secteurs d'État ont des potentiels de rentabilité élevées et que les capitalistes voudront certainement profiter de ces secteurs pour se refaire une santé[XXVII].

Le taux d'endettement spectaculaire des États et des entreprises auront aussi un impact majeur sur l'inflation, déjà suffisamment élevée avant l'éclatement de la crise[XXVIII], car de telles dettes sont virtuellement impossibles à rembourser[XXIX]. L'État n'aura donc d'autre choix que d'avoir recours à la création monétaire, ce qui veux dire que les prix augmenteront substantiellement, alors que la crise rendra difficile toute progression salariale.

Enfin, tout le modèle des pensions par capitalisation est en danger. Les travailleurs qui ont cotisés toute leur vie dans un fonds de pension en pensant protéger leurs vieux jours avec les rendements boursiers en sont maintenant quitte à se résigner à une retraite plus qu'appauvrie, certains fonds de pension ayant perdu jusqu'à 30%, voire 40% de leur valeur de 2007. Il est à prévoir que les pressions patronales se feront de plus en plus forte sur les salariés pour que ceux-ci acceptent de transformer leurs régimes de retraite à prestations déterminées (on reçoit à la retraite des prestations déterminées) en régime à cotisation déterminée (on sait ce que l'on cotise, mais on ignore ce que l'on aura le jour de la retraite).

 

Une nouvelle époque commence

 

La crise qui commence marque la fin d'une époque, celle dans laquelle la croissance et les revenus peuvent être assurés par l'augmentation de l'endettement. La crise exprime aussi les difficultés croissantes du capitalisme à se valoriser, à produire de la nouvelle richesse et à continuer son accumulation. Bien qu'elle ait été transmise sur toute la planète par une finance internationale au poids démesuré, la crise dépasse les horizons de la simple finance et révèle au monde que le capitalisme est un système désuet, suranné, au bout du rouleau, et que toute tentative de réforme ne fera que repousser l'ultime limite à un moment où la situation sera encore plus grave et plus incontrôlable.

D'autres facteurs viennent s'ajouter à la crise actuelle pour aggraver encore la situation. Le tarissement du pétrole menace les rendements agricoles, largement dépendants des combustibles fossiles, alors que les bio-carburants pourraient monopoliser une part de plus en plus importante des terres cultivables, aggravant ainsi le problème alimentaire. Le réchauffement climatique menace la survie même de l'humanité, et des actions majeures devront être entreprises rapidement pour tenter d'en limiter les effets. Des alternatives énergétiques, particulièrement l'énergie solaire, sont disponibles dès maintenant, et pourraient l'être à une large échelle si ce n'était de leur rentabilité.

Mais le capitalisme n'est pas intéressé par les effets sur l'environnement de sa course effrénée à l'accumulation et aux profits, c'est un système dans lequel seuls les profits comptent, et ce peu importe les conséquences. Le capitalisme, parce qu'il n'a d'autre choix que de croître indéfiniment ou bien de disparaître, ne peut pas être soutenable écologiquement. De plus, les ressources étant limitées, la croissance à l'infinie, nécessité du capitalisme, est strictement impossible. Maintenir le capitalisme indéfiniment est donc mathématiquement inconcevable. Sa disparition est impérative.

Déjà des premières secousses et une nette flambée des luttes marquent un possible réveil du prolétariat. Face à la crise, le prolétariat n'aura pas de fuite possible: ce sera l'appauvrissement, la dégradation des conditions de vie et de travail, la perte du logement et de l'emploi, la diminution de la couverture sociale, l'augmentation de la faim[XXX]; ou bien la lutte pour construire un système différent, dans lequel chacun produira selon ses moyens, et chacun consommera selon ses besoins.

Un système dans lequel les travailleurs et les travailleuses auront un contrôle total sur ce qui doit être produit, et sur comment ça doit être produit. Un système qui répondra directement aux besoins des gens, sans avoir besoin de passer par un marché chaotique qui surproduit des biens de luxe et nous inonde de marchandises invendables, alors que des humains, des enfants, meurent de faim, de froid, de maladies bénignes ou évitables. Un système dans lequel les classes sociales et l'exploitation seront abolis, et dans lequel l'État sera détruit et remplacé par l'administration des choses.

Ce système, c'est le communisme.

Les bases matérielles du communisme existent déjà, le capitalisme ayant socialisé la production et jeté les bases d'une appropriation directement sociale des forces productives. Les procès de production sont le fait d'un travail collectif impliquant l'interconnexion et la collaboration d'un nombre de plus en plus grand de travailleurs, dont on peut de plus en plus difficilement discerner le caractère privé, et qui mettent en œuvre des moyens tels qu'il ne sont qu'à l'échelle de la société entière. La propriété privée des moyens de production entre donc de plus en plus violemment en contradiction avec le caractère social de celle-ci, alors que la prolétarisation a ramenée la structure de classe à l'essentiel: prolétariat contre bourgeoisie.

Seul l'avenir nous dira si le prolétariat sera à la hauteur de sa tâche historique, celle de détruire le joug de l'exploitation sans scrupules, pour donner enfin à l'humanité le plein contrôle sur les forces productives incroyables qu'elle a fait naître. Dans un monde où la majorité de notre temps et de notre énergie est consacrée aux activités productives, ce plein contrôle est aussi la condition préalable à toute forme de véritable liberté, et est devenu une question de vie ou de mort pour l'humanité toute entière.


I. En Angleterre, Madame Thatcher cassera les mineurs, aux USA Reagan cassera les contrôleur aériens, et au Québec, le PQ cassera les syndicats du secteur public.

II. La plus-value, c'est la portion du travail qui n'est pas payée au salarié et que le capitaliste s'approprie. Elle découle de la double nature du travail, qui en tant que valeur d'échange procure un salaire au travailleur, et en tant que valeur d'usage procure du travail au capitaliste. Dès lors que le travail est plus productif que ce qu'il en coûte, le capitaliste dégage une plus-value de l'usage de la force de travail qu'il a achetée.

III. Il existe des contre-tendances à la baisse du taux de profit. Leur analyse dépasse toutefois le cadre de ce texte.

IV. Le taux de profit est la plus-value divisée par le capital total engagé, alors que le taux de la plus-value est calculé par-rapport au capital variable, c'est-à-dire la portion du capital affectée aux salaires.

V. La composition organique du capital est le rapport entre le capital constant (les moyens de production et les matières premières) et le capital variable (les salaires). L'augmentation de la composition organique du capital veut donc dire qu'on investit de plus en plus d'argent dans les moyens de production par rapport aux salaires.

VI. Les machines ne produisent pas de valeur, mais elles transmettent la valeur qu'elles perdent en usure dans la marchandise produite.

VII. Paul Krugman, Introducing this blog [83], ,

VIII. Bureau of Labor Statistics, cité par Paul Krugman, The Great Wealth Transfer,

IX. Statistique Canada, n˚ 97-563-X au catalogue, mai 2008, cité dans Bernard Élie, L'origine de la crise,

X. John Williams, Annual consumer inflation - CPI vs SGS alternate, graphique in Pouvoir d'achat : Les gouvernements nous mentent pour nous voler [84],

XI. Paul Krugman, Introducing this blog [83], ibid

XII. Nicolas Duguay, Quand l'endettement pèse sur tout l'édifice [85],

XIII. Pierre Larrouturou,cité dans:L'hyperlibéralisme nous conduit dans le mur,

XIV. Mei Xinyu, It's US dollar, not yuan, that's the global problem, Shangai Daily du 21 avril 2008,

XV. Nortel, Enron, Worldcom, Norbourg, Parmalat, etc...

XVI. C'est-à-dire une pyramide économique, dans laquelle on paie les dividendes avec de nouveaux appels publics à l'épargne. Le cas de Bernard Madoff est le plus récent, mais durant les années 1990, quelques pays de l'ancien bloc soviétique s'étaient signalés par des schémas de Ponzi généralisés. L'Albanie s'est complètement écroulée sous la colère populaire en 1997 suite à l'effondrement d'une pyramide du genre, et la situation ne pu être « rétablie » que grâce à une intervention militaire italienne.

XVII. Voir Jacques Richard, Une comptabilité sur mesure pour les actionnaires, Manière de voir no102, page 30-33, décembre/janvier 2008

XVIII. Louis Gill, La réalité contemporaine à la lumière de l'analyse marxiste [86],

XIX. Ces chiffres sont hypothétiques

XX. Ce chiffre pourrait bien être sous la réalité, voir Diana Olick, Banks Sitting On An Inventory Time Bomb [87]

XXI. Denis Lessard et André Noël, La caisse de dépôt appauvrie de 38 milliards

XXII. Au Canada, le marché des PCAA a été gelé, la vente ou l'achat de ces titres étant interdite.

XXIII. L'autre facteur majeur de cette crise étant l'augmentation des surfaces cultivées pour le biocarburant, au détriment des terres utilisées pour l'alimentation.

XXIV. HSBC, Macquarie, Goldman Sachs, Bear Stearns, Morgan Stanley, Merrill Lynch, Citigroup, UBS, Crédit Suisse, Deutsche Bank, PNB Paribas, Crédit agricole, Dexia, Royal Bank of Scotland, IKB, Northern Rock, Alliance & Leicester, Dresdner Bank, Hypo Real Estate, etc.

XXV. Lehman Brothers

XXVI. À ce jour (13 février 2009), des mises à pieds importantes ont eu lieu dans l'acier, l'aluminium, les services financiers, les mines, l'aéronautique, l'industrie chimique et l'électronique, et les pertes d'emplois se multiplient - autant en Chine (20 millions !) qu'en Europe, aux USA (500 000 par mois) et au Canada .

XXVII. Au Canada, la santé étant justement un de ces secteurs convoités.

XXVIII. John Williams, Annual consumer inflation - CPI vs SGS alternate [84], ibid note 7

XXIX. À elle seule, la dette publique totale des USA est estimée à 10.718 milliards, et elle croît sans cesse.

XXX. Au Canada, les banques alimentaires sont de plus en plus sollicitées, même par des gens qui on un emploi. Aux USA, on estime que 40 millions d'américains sont en situation d'insécurité alimentaire, voir: Ministère de l'Agriculture, cité in Des millions d'Américains sont "en situation de très faible sécurité alimentaire", selon la terminologie officielle, https://dndf.org/?p=2643 [88]


1. Nous devons aussi apporter une autre précision. En marge de cette analyse économique, cet article laisse entrevoir une vision des syndicats qui n'est pas celle du CCI. En effet, il semble que « papamarx » distingue deux types de syndicats, les syndicats « bureaucratisés » (et donc traîtres à la classe ouvrière) et les syndicats combatifs (défendant vraiment la classe ouvrière). C'est ce que laissent penser les deux passages suivants : « on garantit une relative paix sociale en instaurant des lois sur les relations de travail qui vont officialiser la place des grands syndicats bureaucratiques dans l'économie » et plus loin « C'est la fin du modèle de développement économique qui a cours depuis 1945, [...] la forte combativité ouvrière exigeant que le patronat casse violemment les syndicats les plus combatifs. » Pour le CCI, si « les grands syndicats bureaucratiques » ont effectivement officiellement toute « leur place [...] dans l'économie », ce n'est pas un hasard, cela renvoie là aussi à une dimension bien plus profonde : à la nature du syndicalisme. Il ne peut plus y avoir, en période de décadence, de syndicats authentiquement ouvriers. Ceux qui se présentent comme plus « combatifs » ne sont là, eux aussi, que pour fourvoyer les ouvriers et les entraîner dans des impasses (actions violentes mais isolées par exemple). Lire notre article "Dans quel camp sont les syndicats ? [51]".

2. Source : https://papamarx.wordpress.com/2009/02/20/crise-economique-un-changement-depoque/ [89] Toutes les notes de bas de page ci-dessus sont celle de « papamarx ».

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [81]

Récent et en cours: 

  • Crise économique [9]

Une nouvelle réunion publique en République dominicaine : crise et décadence du capitalisme

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Le 25 juin dernier s’est tenue une réunion publique à Santiago, deuxième ville de la République dominicaine, organisée par le Noyau de discussion internationaliste de République dominicaine (NDIRD). C'est la seconde fois que le noyau organise une réunion publique et qu’il invite le CCI à faire la présentation du thème, qui était cette fois « Crise et décadence du capitalisme » (1).

Les camarades du NDIRD ont présenté la réunion, en soulignant l'importance de ce type d'événements pour faire connaître les positions de la Gauche communiste à travers un débat ouvert et fraternel. Précisément pour favoriser le débat, la présentation du sujet n’a duré que vingt minutes.

La réunion a rassemblé plus de 25 personnes. Le nombre de jeunes participants a été remarquable (presque la moitié des assistants), caractéristique que nous observons aussi dans les réunions publiques tenues dans d'autres pays d'Amérique latine où nous avons pu intervenir. Les participants ont manifesté un intérêt réel à l’écoute de la présentation ; et le débat qu’elle a suscité a exprimé une préoccupation authentique en ce qui concerne les inquiétudes provoquées par la crise du capitalisme, non seulement pour le prolétariat mais bien pour l'ensemble de l'humanité.

Voici un bref rapport de cette réunion, et des questions qui furent posées dans le débat.

Comment peut-on expliquer la création de marchés artificiels par l'endettement ?

Cette intéressante question d'un jeune participant répondait à une affirmation de la présentation, où nous disions que le capitalisme requiert pour son développement des marchés solvables ; c'est-à-dire des secteurs ayant une réelle capacité de consommer les marchandises produites. Avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, période ouverte avec la Première Guerre mondiale, s’est développé un épuisement progressif de ces marchés solvables. C’est ainsi que « Pour pallier à cet épuisement des marchés solvables extérieurs à la sphère capitaliste, la bourgeoisie a utilisé le crédit comme palliatif ; c’est ce même palliatif qui est utilisé massivement à partir des années 1960 ; en ce sens, le capitalisme décadent pour survivre avait créé un marché artificiel basé sur le crédit » (texte de présentation).

C’est précisément à partir des années 1970 que les pays de la périphérie, et parmi eux ceux d'Amérique latine, entament un recours massif à l’endettement, en grande partie pour acquérir les biens et les services produits dans les pays centraux, eux-mêmes bailleurs de ces crédits. C’est ainsi que pendant les dernières quatre décennies du siècle dernier, les pays de la périphérie ont accumulé des dettes pratiquement impossible à rembourser, qui ne cessent de croître et dont le paiement dilapide un important pourcentage du PIB de ces États.

Nous avons donné comme exemple récent de ces marchés artificiels la croissance du secteur immobilier aux États-Unis, qui s'est fondé sur la vente à crédit des immeubles. La « bulle immobilière » explose « quand les crédits n'ont pas pu être remboursés parce que la crise s’était développée dans le monde, et que les taux d'intérêt avaient augmenté, ce système de crédit a explosé. Mais ce qui explose, sont les contradictions internes de l'économie capitaliste ; celles de la saturation des marchés solvables. C'est aussi la crise du crédit comme palliatif » (idem).

S’il y a eu une reprise après la crise de 1929, pourquoi n'y a-t-il pas à présent une réactivation du type de celles des années 1950 et 1960 ?

Nous avons répondu que la crise de du 1929 a été la première grande crise du capitalisme décadent, dont les effets ont été ressentis pendant la décennie des années 1930 et qui eut comme corollaire la Seconde Guerre mondiale. Nous avons dit qu'après cette crise, il y eut l’importante reprise économique d’après-guerre, qui s’appuyait sur l'application de politiques keynésiennes, sur l'augmentation de la productivité du travail et sur une meilleure exploitation tant des économies pré-capitalistes des pays de la périphérie que des vestiges pré-capitalistes des pays les plus industrialisés. Mais ce sont précisément ces mécanismes qui montrent leur épuisement à la fin des années 1960, quand le capitalisme entre de nouveau en crise ; pour faire face à cette nouvelle crise, la bourgeoisie a recouru à l'utilisation massive de ce palliatif qu’est le crédit, ce qui permit que le capitalisme repousse de plus de quarante années la chute brutale de l'économie, telle que nous le voyons actuellement.

Nous disons que la crise actuelle est plus brutale que celle de 1929. Comme nous l'avions dit dans la présentation, la crise actuelle est une crise du crédit. La « sortie » que propose la bourgeoisie mondiale est celle d’un plus grand endettement, qui prépare inévitablement des crises de plus grande envergure dans le futur.

Comment peut combattre le prolétariat si le chômage tend à le faire disparaître ?

Cette préoccupation d’un des camarades présents donnait comme exemple la situation de la « zone franche » de Santiago, une des plus importantes concentrations d'usines et d'entreprises de sous-traitance du pays, où s’est développé avec la crise un fort niveau de chômage. Nous avons répondu qu'en effet, un des fléaux de la crise du capitalisme est la croissance accélérée du chômage ; mais ceci ne signifie pas la disparition du prolétariat, parce qu'une bourgeoisie sans prolétaires à exploiter est inconcevable. D'une part, le travailleur ne perd pas sa condition de prolétaire quand il se retrouve au chômage ; on commence déjà à voir des mobilisations de chômeurs dans quelques pays. De l’autre, non seulement les travailleurs du secteur manufacturier ou d’usine font partie du prolétariat, mais on peut aussi compter dans ses rangs bon nombre des employés du secteur public ainsi que les enseignants, les travailleurs de la santé, etc., secteurs qui ont un poids quantitatif important dans les pays d'Amérique latine.

Il est indubitable que la crise frappe durement les travailleurs, car ce sont eux qui finissent par payer les pots cassés ; c’est toutefois aussi cette situation qui les propulse inévitablement à la lutte, tant en République dominicaine qu’au niveau mondial.

Pourquoi, au niveau des conséquences de la crise, le CCI parle-t-il du développement d'impérialismes régionaux et locaux ?

Dans notre présentation, nous avons dit que cette crise, une étape de plus dans l'effondrement du capitalisme, avait des conséquences non seulement au niveau économique, mais aussi sur la lutte du prolétariat et au niveau des conflits entre nations. Dans l'histoire du capitalisme, la lutte pour les marchés a été une constante entre nations ; et la crise actuelle ne sera pas une 'exception. Par ailleurs, cette crise intervient dans un contexte où les blocs impérialistes qui ont existé jusqu'à la fin des années 1980 ont disparu, et que se confirme l’effondrement du bloc russe ainsi que l'affaiblissement progressif de l'impérialisme américain. Cette situation a provoqué une anarchie dans les relations internationales, qui s’exprime dans la tendance que tente de renforcer chaque bourgeoisie nationale dans la géopolitique régionale et mondiale. Ces comportements, pour ne mentionner que deux parmi les plus récents, se sont exprimés de façon pathétique en Iran, qui tente de s’ériger en puissance au Moyen-Orient, et au Venezuela, qui se renforce au niveau géopolitique en Amérique latine en utilisant comme armes de pénétration le pétrole et l'idéologie du "socialisme du xxie siècle".

La confrontation entre nations, qui s’est déchaînée après la chute du bloc russe, va inévitablement être exacerbée avec l'avancée de la crise. Le prolétariat doit rejeter tout appui aux fractions de la bourgeoisie nationale ou régionale dans ces conflits qui ne profitent qu’aux classes dominantes.

Devant cette barbarie, quelles sont les perspectives pour l'humanité ?

Cette question exprime de façon limpide ce que nous disions dans l'introduction de ce compte-rendu : « une préoccupation authentique en ce qui concerne les inquiétudes provoquées par la crise du capitalisme non seulement au prolétariat mais bien à l'ensemble de l'humanité ».

Le CCI a affirmé qu’aujourd’hui plus que jamais le futur de l'humanité est menacé par les contradictions internes du capitalisme, ce qui nécessite la réponse de la seule classe révolutionnaire : le prolétariat. Bien que la crise génère toujours plus de misère et de paupérisation, elle pousse aussi le prolétariat à se battre. Il est vrai que les conditions de la lutte sont aujourd'hui difficiles, quand on ne sait pas trop comment lutter ou que faire quand les usines ferment leurs portes. Il est vrai aussi que le prolétariat doute de ses propres capacités. Mais le développement de la crise, notamment à travers des attaques contre l'ensemble des conditions de vie des prolétaires et impliquant ouvertement l'Etat, va de plus en plus attiser la lutte de classe au sein de l'ensemble du prolétariat mondial. Dans cette dynamique, le prolétariat va développer sa réflexion et, peu à peu, reprendre confiance en ses forces.

Le CCI, en tant qu’organisation révolutionnaire, travaille, dans la mesure de ses forces, à accélérer cette dynamique. L’enjeu est tout simplement l’alternative ; société communiste ou barbarie qui anéantirait l’humanité. Face à ces enjeux, des groupes comme le NDIRD qui se développent avec une vision internationaliste, jouent un rôle de premier plan pour le prolétariat de la République dominicaine et le prolétariat mondial. De la même façon, tous ceux, comme les camarades qui assistent à cette réunion, qui se posent des questions sur un terrain internationaliste, doivent débattre entre eux.

Le souci de débattre et d’écouter

Malgré le peu de temps qu’a duré la réunion (à peu près une heure et demie) car il fallait libérer le local, un débat a pu se développer, qui a pu se poursuivre quelques instants tandis que nous partagions un moment de convivialité autour d’un verre.

Plusieurs des participants ont montré leur enthousiasme et leur intérêt à participer à ce genre de réunions. Comme l’a dit un des camarades du NDIRD, les participants ont montré un réel intérêt à débattre et à écouter des positions internationalistes.

Nous saluons chaleureusement cette réunion, ainsi que la capacité politique et organisationnelle dont a fait preuve le NDIRD dans sa préparation. Nous les invitons à poursuivre cet effort, pour lequel le CCI apportera tout son soutien.

Cette réunion a été un moment très réconfortant, puisqu'elle est une manifestation de la capacité de l'internationalisme d'unir les forces du prolétariat dans n’importe quel pays, aussi "petit" puisse-t-il être.

CCI (14 juillet 2009)

 

1 Voir sur notre site : « Réunion publique en République dominicaine : à la rencontre des positions de la Gauche Communiste [90] ».

Vie du CCI: 

  • Réunions publiques [18]
  • Correspondance avec d'autres groupes [31]

Récent et en cours: 

  • Crise économique [9]

Villes-fantômes aux États-Unis : des milliers d'ouvriers expulsés

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Lorsqu’on consulte un dépliant touristique des Etats-Unis, il n’est pas rare de se voir proposer un circuit de découverte des fameuses villes-fantômes du Désert de la Mort ou d’autres régions d’où la nature a chassé les hommes et de celles que les soubresauts des crises capitalistes, en particulier des années de l’entre-deux guerres, ont réduites à néant. Il existe même des fanatiques  de ces visites morbides et déprimantes. Ces derniers pourront se réjouir.

Car la crise immobilière qui frappe la population américaine a fait apparaître des dizaines de nouvelles villes ou de quartiers-fantômes. En 2007, 1,3 millions de foyers ont fait l’objet d’une procédure de saisies. Faute de pouvoir payer leur crédit, des centaines de milliers de familles se sont donc retrouvées brutalement jetées à la rue par la police. Et ce phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur. En 2008, 3,1 millions de procédures de saisies ont été engagées (soit une famille sur 54 aux Etats-Unis !) 1.

Pour la seule ville de Cleveland, « plus de 24 000 personnes ont perdu leurs maisons. Plus de 10 000 maisons sont abandonnées » en 2007, selon un journal de la ville, sinistre dont l’ampleur est considérée comme comparable aux dégâts de l’ouragan Katrina de 2005 à La Nouvelle Orléans. Ce sont de véritables cités-fantômes qui naissent sur le territoire des grandes villes, avec des hordes de familles sans abri ou survivant dans leur voiture. Dans la ville-dortoir de Stockton en Californie, une maison sur trente est à l’abandon. Sur 300 000 habitants, 12 000 familles ont été expulsées entre le début et la mi-2008. Dans la capitale mondiale de l’automobile, Détroit, il y a en ce moment plus d’une centaine d’expulsions par jour. Depuis plus d’un an, 70 000 maisons ont été vidées de leurs habitants, dont plus de 55% les avaient achetés avec des crédits à taux variables au cours de la seule année 2006.. C’est dire la rapidité et la violence de la crise immobilière qui s’est abattue, et la rapacité des organismes de crédit.

Des centaines de milliers d’ouvriers, souvent précaires, qui ont fait confiance aux promesses des banques et au miroir aux alouettes du crédit « pas cher », sont devenus tout à coup « insolvables », suite à l’augmentation drastique des prêts hypothécaires calculés sur des taux variables 2. Ils ont donc été impitoyablement jetés sur le trottoir comme des malpropres.

Aujourd’hui, crise économique oblige, ces mêmes banques bradent ces maisons à des prix trois ou quatre fois moins cher que leur prix initial ! Signe de ces délires typiques du système capitaliste, des maisons aujourd’hui pillées et mises à sac sont revendues pour une bouchée de pain. Et ce n’est pas une image ; car à Détroit toujours, certaines sont vendues… un dollar pièce !

Ce dollar symbolique nous montre une fois de plus que, dans le capitalisme, il n’y a pas de petits profits, pas plus qu’il n’y a d’humanité.

Wilma

 

1 Source : www.e24.fr/economie/monde/article44695.ece [91]

2 2,5 millions de ménages américains se sont vus accorder ces dernières années (avant 2007) des crédits dits « à risque » (pour la banque évidemment) car attribués à des ménages peu « solvables ». En échange de ce risque, l’emprunteur accepte un taux de remboursement élevé et à taux variable. De plus, le crédit est gagé sur le bien acheté. Tant que les prix de l’immobilier sont en hausse, donc que le bien augmente, cela marche et, en cas de défection de l’emprunteur, la banque se paie sur la vente de la maison, ayant théoriquement acquis une plus grande valeur. Cependant, les taux directeurs de la banque centrale ont augmenté de 1 à 5% entre 2004 et 2007, augmentant les remboursements de foyers déjà justes, puis les prix de l’immobilier se sont mis à chuter, phénomène alimenté par la mise en vente des maisons saisies.

Récent et en cours: 

  • Crise économique [9]

Vu à la télévision : Charles Darwin et l'arbre de la vie

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La contribution de David Attenborough pour le bicentenaire de Darwin à la BBC (Charles Darwin et l’arbre de la vie, 1/2/09) était une défense magistrale de la théorie de l’évolution qu’il a assurée avec sa capacité habituelle de faire passer des idées scientifiques complexes en utilisant un langage direct et d’abondantes illustrations magnifiquement filmées, avec son enthousiasme contagieux habituel et son respect pour le monde de la nature.
En replaçant les idées de Darwin dans leur contexte historique, Attenborough a fait ressortir les implications subversives de la théorie de la sélection naturelle, étant donné que le monde de la science auquel Darwin était obligé de se confronter, était encore, dans les années 1840-1850, profondément influencé par une vision statique de la nature, selon laquelle les espèces avaient été créées une fois pour toute par décret divin, et dans laquelle l’étendue de l’histoire passée de la Terre commençait seulement à apparaître avec le développement des études de géologie. Attenborough a montré très clairement comment l’élan donné par ce pas en avant dans la connaissance par l’homme de sa place dans la nature a inspiré Darwin, malgré sa réticence à offenser sa dévote épouse et à causer un scandale dans la bonne société ; la formulation simultanée d’une théorie de la sélection naturelle par Alfred Wallace, mis à part le fait qu’elle ait grandement encouragé Darwin à publier ses résultats, a été le signe de l’irrésistible puissance de l’évolution des idées quand les conditions sous-jacentes sont mûres.
En passant en revue les objections contemporaines à la théorie de Darwin, Attenborough ne les a pas traitées avec mépris ; il les a simplement situées dans leurs limites historiques et démontré avec une grande conviction comment les nouvelles recherches en paléontologie et en zoologie démolissaient leurs fondements – en prenant, à cette occasion, un plaisir particulier à raconter l’histoire de l’Archéopteryx et du Platypus à bec de canard, les formes intermédiaires entre les reptiles et les oiseaux, entre les reptiles et les mammifères, qui donne une solide réponse à la question « si les espèces évoluent, où sont les chaînons manquants ? ».
Darwin était bien sûr le produit d’une bourgeoisie qui était encore vraiment dans sa phase ascendante. Un signe clair que cette phase est bien loin derrière nous, c’est le fait qu’aujourd’hui, au 21e siècle, des fractions de la classe dominante ayant une grande influence  - que ce soit la droite chrétienne aux Etats-Unis ou les différents partis islamiques sur la planète - ont régressé jusqu’à en venir à défendre à la lettre la version de la bible et du coran, et continuent à vilipender Darwin, bien qu’une masse de preuves en faveur de ses idées fondamentales se soit accumulée depuis un siècle et demi. Mais, comme Pannekoek et d’autres l’ont souligné, la tendance de la bourgeoisie à se réfugier dans la religion et à abandonner les visions audacieuses et iconoclastes de sa jeunesse a été perceptible dès que le prolétariat s’est affirmé ouvertement comme force dangereusement antagonique au sein de la société capitaliste (surtout après les émeutes de 1848). Du même coup, le mouvement ouvrier s’est immédiatement saisi de l’implication révolutionnaire d’une théorie qui montrait que la conscience pouvait surgir de couches inconscientes du vivant en réponse à des circonstances matérielles, et non pas à travers la médiation d’un dirigeant supérieur ; l’implication évidente étant que les masses largement inconscientes pouvaient aussi devenir conscientes au travers de la lutte pour la satisfaction de leurs besoins matériels.
Il n’est pas vrai, bien sûr, que la bourgeoisie toute entière ait sombré dans le créationnisme ; il y aussi un consensus bourgeois qui voit la science et la technologie comme facteurs de progrès et qui, en faisant abstraction des rapports sociaux qui leur permettent de se développer, est incapable d’expliquer pourquoi une bonne partie de la recherche scientifique et des avancées technologiques a été utilisée pour créer un chaos complet dans la société et dans la nature. C’est précisément cette réalité qui conduit un bon nombre de ceux qui ne profitent pas du système social actuel à chercher des réponses dans la mythologie du passé. Le même phénomène de répulsion s’applique aussi à la vision de la place de l’homme dans l’univers élaborée par tant de bourgeois « défenseurs » de la science, une façon de voir qui est constamment attristante parce qu’elle donne libre cours à une conception profondément aliénée de la séparation essentielle de l’homme d’avec une nature hostile. Mais Attenborough ne peut être mis dans cette catégorie. S’émerveillant devant des oiseaux en vol ou riant des singes en train de jouer, Attenborough a conclu sa présentation en nous rappelant une autre implication de la théorie de Darwin – son défi à la vision biblique de l’homme comme un être qui « domine » la nature et sa confirmation, au contraire, du profond rapport entre nous et le reste du vivant, de notre interdépendance totale avec celui-ci. A ce point, Attenborough avait des accents qui ne ressemblaient  pas qu’un peu à ceux d’Engels dans ce passage de « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme » qui contient une mise en garde contre les prétentions démesurées mais aussi une perspective pour le futur : " Cependant, ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d'elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. Les poulations qui, en Mésopotamie, en Grèce, en Asie mineure et autres lieux essartaient les forêts pour gagner de la terre arable, étaient loin de s'attendre à jeter par là les bases de l'actuelle désolation de ces pays, en détruisant avec les forêts les centres d'accumulation et de conservation de l'humidité. Les Italiens qui, sur le versant sud des Alpes, saccageaient les forêts de sapins, conservées avec tant de soins sur le versant nord, n'avaient pas idée qu'ils sapaient par là l'élevage de haute montagne sur leur territoire; ils soupçonnaient moins encore que, ce faisant, ils privaient d'eau leurs sources de montagne pendant la plus grande partie de l'année et que celles ci, à la saison des pluies, allaient déverser sur la plaine des torrents d'autant plus furieux. Ceux qui répandirent la pomme de terre en Europe ne savaient pas qu'avec les tubercules farineux ils répandaient aussi la scrofule. Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu'un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein, et que toute notre domination sur elle réside dans l'avantage que nous avons sur l'ensemble des autres créatures, de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement." 

Amos (6/2/09)


Personnages: 

  • Darwin [92]

Questions théoriques: 

  • Religion [93]

ll y a 90 ans, des grèves générales en Amérique

  • 2884 lectures
[94]

Les combats de classe du prolétariat en Amérique du Nord au cours de la grande vague révolutionnaire de 1917-1923 sont en général ignorés, mal connus ou déformés. Ils démontrent pourtant le caractère mondial essentiel de cette vague révolutionnaire. Ils témoignent également des potentialités d’une classe ouvrière dans cette région du monde dont on nous renvoie encore aujourd’hui l’image faussée d’une classe ayant toujours été intégrée et minée par le réformisme. C’est pourquoi nous publions la traduction d’une série d’articles parus dans Internationalism, organe de notre section au Etats-Unis sur les luttes les plus marquantes de cette période.

 

La grève générale de Seattle en 1919

Avec en toile de fond l’effervescence prolétarienne sans précédent de 1919, la classe ouvrière américaine n’a pas hésité à développer la lutte de classe au niveau de la production à travers tout le pays, industrie après industrie. Il y eut 3 630 grèves impliquant 4 160 000 ouvriers tout au long de l’année 1919 :

  • une grève générale à Seattle en février ;

  • une grève nationale dure dans la métallurgie avec 375 000 ouvriers luttant contre les 68 heures de travail hebdomadaires et les conditions de travail sans sécurité, en septembre ;

  • une série de « grèves sauvages » culminant dans une grève nationale de 400 000 mineurs ;

  • une grève générale dans l’industrie de l’habillement à New York qui s’acheva victorieusement par la limitation de la semaine de travail à 44 heures  ;

  • des grèves dans les tramways à Chicago, Denver, Knoxville, Nashville, Kansas City ;

  • une grève dans le textile de 32 000 ouvriers à Lawrence, dans le Massachusetts.

Dans cette vague de grèves, la participation militante d’ouvriers immigrants, en particulier originaires de l’Europe de l’Est, était spécialement significative. Afin de diviser et d’affaiblir le mouvement, la Fédération Américaine du Travail (AFL) réactionnaire a longtemps dénigré les ouvriers immigrés, en soutenant la législation raciste pour bloquer le flux des migrants venant de l’Europe du Sud et de l’Est et en insistant sur le fait que les ouvriers immigrés étaient inorganisables et indisciplinés. Cependant, sous le souffle des événements secouant le continent européen, les ouvriers immigrés se mirent eux-mêmes à l’avant-garde des luttes à la fois dans les usines et dans le Parti Socialiste, démontrant la véritable nature internationaliste du prolétariat.

La grève générale surgit malgré les syndicats, pas grâce à eux

L’année 1919 commence avec la grève générale de Seattle. Les ouvriers y étaient particulièrement radicalisés, spécialement à travers leur sympathie envers la révolution en Russie et c’est cette radicalisation qui a stimulé la dynamique de la grève. Alors que ce qui a été retenu de Seattle a été le cadre formel d’une grève générale organisée par les syndicats, ce qu’elle révèle en réalité, ce sont moins les caractéristiques d’une puissante grève orchestrée d’en haut par la bureaucratie syndicale que celles d’une grève de masse, dans laquelle les ouvriers de tous les secteurs et de toutes les industries rejoignirent la lutte autour de leurs propres revendications et dans laquelle le contrôle de la lutte était entre les mains d’un comité de grève contrôlé par les masses ouvrières.

La lutte a démarré à l’initiative des métallurgistes de l’industrie navale, qui constituaient une force dominante au sein du prolétariat de Seattle. Pendant la guerre, les leaders syndicaux avaient fiévreusement travaillé à dissuader les ouvriers de la construction navale mécontents de se mettre en grève en utilisant à la fois des appels patriotiques exacerbés et des avertissements menaçants disant que de telles actions étaient une violation de leur contrat et donc illégales. Mais dès que l’armistice fut signé en novembre 1918, les ouvriers exigèrent des augmentations de salaires. Les patrons voulaient ne concéder des augmentations qu’aux ouvriers les plus productifs mais pas pour les autres. Cependant, à cause de la guerre, le secteur était placé sous l’autorité directe du gouvernement et la Corporation de la Flotte d’Urgence gouvernementale ordonna aux compagnies de ne rien accorder à aucun ouvrier et menaça de supprimer la part de bénéfices des patrons si des augmentations étaient accordées. Les ouvriers se trouvèrent rapidement confrontés à une caractéristique centrale de la lutte de classe en période de décadence capitaliste : la lutte économique se transforma très rapidement en rapport de forces directement avec l’Etat capitaliste.

Cela ne fut pas limité aux seuls ouvriers de la construction navale. Les ouvriers d’autres industries perçurent l’intervention du gouvernement comme une attaque dirigée contre toute la classe ouvrière. Le 21 janvier, les 35 000 ouvriers de la construction navale arrêtèrent le travail. Répondant à un appel en soutien de la part des syndicats de la métallurgie, le Conseil Syndical de Seattle adopta une résolution le 22 appelant à une grève générale en solidarité avec les grévistes, qui fut immédiatement relayée par les ouvriers de la base de 24 syndicats, comprenant les peintres, les barbiers, les maréchaux-ferrants, les chaudronniers, les ouvriers de la construction, les charpentiers, les fabricants de cigares, les cuisiniers, les ouvriers du vêtement, les dockers, les distributeurs de lait. En deux semaines, 110 syndicats locaux avaient voté une motion pour rejoindre la grève, y compris même parmi les secteurs réputés les plus conservateurs du syndicat AFL. Mais, alors que ces différentes catégories exprimaient leur solidarité, en grève par « sympathie » envers les ouvriers de la construction navale, la lutte abandonnait le terrain corporatiste car les ouvriers, usine après usine, tout en discutant ouvertement le fait qu’ils avaient aussi des revendications à apporter contre leurs propres patrons, tendaient à transformer la grève en lutte généralisée contre le capital. Ceci illustre encore une autre caractéristique centrale de la lutte de classe dans le capitalisme décadent : la solidarité active et la généralisation des luttes montrait des ouvriers rejoignant la lutte d’ensemble sur la base de leurs propres revendications, et pas seulement par « sympathie ».

Cette poussée vers la grève de masse se développa alors que les 25 leaders syndicaux principaux de Seattle siégeaient lors d’une conférence à Chicago. En bons syndicalistes officiels, ils étaient inquiets de la tournure que prenaient les évènements. Ces prétendus syndicalistes « progressistes » rejoignirent rapidement les chefs de l’AFL pour travailler à bloquer et mettre fin à la grève. Aussi, contre la tendance des gauchistes et des historiens à mettre en avant le rôle des syndicats, la grève de Seattle surgit bel et bien malgré les syndicats, et pas grâce à eux, ce qui met en avant une autre caractéristique importante de la lutte de classe dans le capitalisme décadent : la nature contre-révolutionnaire des syndicats et leur utilisation par la bourgeoisie pour contrôler et saboter les luttes ouvrières.

Le comité de grève générale et la situation de double pouvoir

La grève était prévue pour le mois de février . Un comité de grève générale fut mis sur pied afin de coordonner la lutte. Ce comité était composé de 300 ouvriers – la plupart des ouvriers de la base, avec peu d’expérience de la direction d’une grève – 3 délégués de chaque syndicat se joignant à la grève. Le comité général et un comité exécutif plus restreint composé de 15 membres, dénommé « le comité des quinze », se réunirent chaque jour dès le 2 février, au début pour planifier la lutte, ensuite pour la diriger. Chaque après-midi, une session ouverte du comité était tenue de façon à ce que chaque ouvrier puisse y assister, suivre les débats et participer à la discussion. Le comité prit rapidement les caractéristiques d’une concurrence ouvrière avec le gouvernement de la ville, un exemple embryonnaire de double pouvoir, étant donné que les ouvriers organisèrent la sauvegarde du bien-être générale de la communauté pendant la grève. Des décisions prudentes étaient prises par les sous-comités du comité des 15 pour faire en sorte que les services vitaux ne soient pas touchés par la grève. Par exemple, il fut décidé que les éboueurs ramasseraient les poubelles qui posaient un risque pour la salubrité publique. Les blanchisseurs furent autorisés à garder une boutique ouverte pour assurer la maintenance hospitalière. On demanda aux pompiers de rester à leur poste. Une force ouvrière de 300 vétérans de guerre fut recrutée pour assurer la paix et la sécurité. Ces gardes ouvriers ne portaient pas d’armes mais seulement un brassard blanc en signe de reconnaissance. Ils se servaient de leur pouvoir de persuasion et de l’autorité du comité de grève générale pour régler les situations difficiles et préserver l’ordre.

Reflétant l’existence de cette authentique dualité du pouvoir, les employeurs, les officiels du gouvernement, y compris le maire, ainsi que des groupes d’ouvriers, venaient rencontrer le comité de grève pour demander des exemptions de grève. Une requête des représentants du comté pour que l’équipe des portiers des bureaux gouvernementaux reste à leurs postes fut rejetée. Une demande du syndicat des camionneurs pour acheminer du carburant pour un hôpital fut acceptée. Une proposition des employés des pharmacies pour que les ordonnances puissent être délivrées pendant la grève le fut également. Chaque pharmacie eut l’ordre d’afficher : « Aucun produit vendu durant la grève. Seules les ordonnances seront acceptées. Le comité de grève générale.» Les livreurs de lait pouvaient acheminer le lait pour les enfants de la ville ; chaque camion était porteur d’une affiche précisant : « Exempté de grève par ordre du comité de grève générale ». Les cuisiniers des restaurants, les serveurs et d’autres employés de l’industrie alimentaire mirent sur pied 21 salles de restauration afin de nourrir 30 000 personnes par jour pendant toute la durée de la grève. On demanda aux employés de la téléphonie de se mettre à la disposition des forces de sécurité du comité de grève et de poursuivre le service des communications pour la grève. Le service de l’électricité fut maintenu, sauf dans les entreprises commerciales. Lorsque la grève commença à 10 heures le 6 février, la ville s’arrêta ; au total, 100 000 ouvriers se mirent en grève dont 40 000 non-syndiqués. Les tramways cessèrent de rouler, les magasins fermèrent, rien ne bougeait sans l’autorisation de ce gouvernement ouvrier embryonnaire. L’ordre était maintenu. Les ouvriers du Seattle Union Record, le journal tenu par la Bourse du Travail rejoignirent la grève, et laissèrent malheureusement la lutte sans bulletin quotidien pour garder les grévistes informés et pour contrer les rumeurs et les faux rapports répandus par la bourgeoisie. Cherchant à éviter de fournir un prétexte au gouvernement d’envoyer des troupes ou la police armée contre eux, le comité appela les gens à n’organiser aucune manifestation de masse. Ainsi, les troupes disséminées dans Seattle à la demande du maire dès le deuxième jour de la grève, trouvèrent une ville calme où le taux de criminalité avait baissé de 66%.

Les syndicats brisent la grève

Les forces de la réaction s’organisèrent rapidement pour contrer les ouvriers. Le maire loua les services d’une police supplémentaire, des truands assermentés pour l’occasion, requis davantage de troupes fédérales, et posa aux grévistes l’ultimatum de reprendre le travail. Cependant, ce n’est pas la menace d’usage des forces de répression qui fut décisive pour faire cesser la grève, car le comité de grève ignora l’ultimatum du maire. C’est en réalité l’intervention des syndicats contre les ouvriers qui fut l’élément-clé de la contre-offensive bourgeoise. Dès le début de la grève, les syndicats de l’AFL bombardèrent les grévistes de télégrammes insistant sur l’illégalité du mouvement, les menaçant de suspensions et les pressant de mettre immédiatement fin à la grève. Dès qu’ils purent atteindre Seattle, les leaders syndicaux, tantôt menaçants, tantôt flagorneurs, les mettaient en garde contre des « conséquences terribles ». A un moment donné, le comité sembla fléchir sous la pression, et vota par 12 voix contre 2 et une abstention la fin de la grève. Ses membres apportèrent ensuite cette résolution devant le comité plénier, où la plupart des délégués étaient hésitants. Lors de la pause-déjeuner, les débats furent arrêtés. Les délégués consultèrent les ouvriers qu’ils représentaient durant ce break et, forts de la combativité militante de la base, revinrent vers le comité de grève général pour rejeter la résolution de fin de la grève. Ceci illustre une autre caractéristique de la lutte ouvrière dans le capitalisme décadent : la nécessité pour les ouvriers de contrôler la lutte eux-mêmes à travers des délégués révocables, pour s’assurer d’une véritable représentation dans les organes délibératifs qu’ils ont mis en place pour coordonner la lutte.

Ayant échoué dans leur tentative pour faire cesser la lutte, les centrales syndicales, en quête d’un maillon faible, concentrèrent leur attention sur les syndicats de métier,. Les premiers craquements vinrent des conducteurs de tramway, qui furent remis au travail par leur bureau exécutif sous pression des leaders nationaux, puis ce fut le tour des camionneurs. Sentant que le vent avait tourné, le comité de grève optait à présent pour un repli en bon ordre, et la grève s’acheva le 11 février. Seuls, les travailleurs de la métallurgie des chantiers navals continuèrent la grève.

Trois faiblesses politiques en particulier avaient pesé lourdement sur la grève. La première fut l’incapacité à comprendre la question syndicale, à reconnaître clairement que les syndicats qui les pressaient de saborder la lutte faisaient partie de l’appareil d’Etat capitaliste, c’est-à-dire une arme dirigée contre eux. Les syndicats, pour leur part, étaient parfaitement clairs sur leur rôle contre-révolutionnaire. La Fédération Américaine du Travail se réclamait ouvertement de son sale travail dans l’intérêt de l’ordre capitaliste : « Ce fut l’attitude avertie, avisée et décidée des leaders syndicaux des American International Trade Unions et pas des troupes américaines ou bien les décrets du maire, qui mirent fin à cette brève perturbation du Nord-Ouest. » (American Fedemtiouist, mars 1919)

La deuxième fut l’impossibilité à saisir le danger de rester isolés. Du fait qu’ils étaient entrés en lutte sans comprendre qu’ils se trouvaient face à une attaque généralisée de la classe capitaliste, les ouvriers restèrent confinés à Seattle. On demanda aux grévistes de rester chez eux et pas dans les rues, alors que des délégations ouvrières auraient dû sillonner le nord-ouest et le reste du pays en appelant d’autres ouvriers à rejoindre le combat. En restant isolés, les prolétaires de Seattle ont laissé la porte ouverte à l’offensive des syndicats. Ces derniers purent concentrer leur contre-offensive sur une seule ville, plutôt que d’avoir à faire face à une traînée de poudre à travers tout le pays. Les milliers d’autres grèves qui surgirent cette année-là démontrèrent que la base pour un élargissement de la grève de Seattle était bel et bien présente.

La troisième faiblesse fut l’absence d’une avant-garde révolutionnaire organisée. L’identification émotionnelle avec la Révolution russe n’était pas suffisante pour relever le défi. La lutte avait besoin d’une minorité révolutionnaire capable de montrer les réelles leçons des Soviets et de la grève de masse de Russie. La gauche socialiste était alors empêtrée dans une bataille pour gagner le contrôle du parti socialiste, et repoussa la formation d’un parti communiste à la fin de l’été 1919. Sur les évènements de Seattle, la gauche était en retard. La lutte s’était déroulée sans l’intervention d’une minorité révolutionnaire.

Les leçons de la grève générale de Seattle

La grève de Seattle ne dura que 6 jours, mais elle regorge de leçons. Pour récapituler celles qui sont centrales :

  • dans la période de décadence capitaliste, les luttes économiques sont rapidement transformées en confrontations politiques avec l’Etat ;

  • les luttes ouvrières peuvent et doivent se généraliser, tirant les autres ouvriers autour de leurs revendications propres ;

  • les luttes qui restent isolées géographiquement, comme les luttes qui sont isolées dans une seule industrie sont condamnées ; contrairement au dénigrement idéologique du prolétariat effectué par la propagande bourgeoise, les ouvriers de Seattle ont démontré clairement que le prolétariat a la capacité de s’auto-organiser et de contrôler la société, et peut le faire de façon vraiment rapide et efficace ;

  • les syndicats ne sont plus des organes de l’auto-défense ouvrière, mais des agents de la bourgeoisie au sein du prolétariat, fonctionnant pour contrôler, dévoyer et désarmer les luttes ouvrières ;

  • l’existence de l’organisation révolutionnaire, non pour contrôler la lutte, mais pour y intervenir comme minorité active dans la classe, pour montrer la perspective de la marche vers le communisme, pour tirer les leçons des autres luttes, spécifiquement quant au besoin d’étendre le combat aux autres villes et aux autres industries, est essentielle ;

  • la nécessité pour les ouvriers de contrôler la lutte eux-mêmes et de maintenir les moyens d’une communication avec toute la classe ouvrière (la publication de bulletins quotidiens, les meetings et manifestations de masse quotidiens, etc.)

Nous ne cultivons aucune illusion sur le brève flambée de Seattle. Il n’est pas besoin de montrer sous des couleurs séduisantes, d’exagérer ou de faire du romantisme de la grève générale de Seattle. Les révolutionnaires ne doivent pas un instant hésiter à la saluer comme un magnifique moment dans l’histoire de notre classe, et d’apprendre l’expérience qu’elle représente. Aujourd’hui, toute la classe ouvrière se trouve face à des attaques continues de la classe dominante contre leur niveau de vie et cherche des chemins pour répondre collectivement. Les révolutionnaires doivent donc insister sur la nécessité pour les ouvriers de repousser les syndicats, de prendre le contrôle des luttes dans leurs propres mains, et de travailler à la généralisation du combat. Ce ne sont pas des propositions abstraites, mais les leçons très concrètes de la lutte du prolétariat au siècle dernier, comprenant l’expérience de Seattle.

JG (10 mai 2009), Internationalism n° 109

 

 

90 ans depuis la grève générale de Winnipeg

 90 ans après la grève générale de Winnipeg, les lecteurs se rappelleront que nous avons réimprimé dans notre dernier numéro un article antérieur sur la grève de Seattle de 1919, qui  signalait l'importance de cet événement dans le développement de la lutte de classe en Amérique du Nord, qui analysait ses forces et ses faiblesses et montrait comment, en dépit du mythe persistant de la passivité de la classe ouvrière en Amérique du Nord, la vague révolutionnaire de la fin de la 1° Guerre Mondiale, qui a remis en question les rapports sociaux capitalistes, n'a pas épargné l'Amérique du Nord.

Dans cet article, nous poursuivons notre regard sur l'histoire de la vague révolutionnaire en Amérique du Nord avec un nouvel article sur les événements au nord du 49° parallèle, où la classe ouvrière du Canada a lancé sa propre offensive contre le système capitaliste dans une série de luttes à travers l'année 1919, aboutissant à la grève générale de Winnipeg en Mai et Juin de cette année qui aurait menacé l'ordre social capitaliste et aurait, sous la forme d'assemblées ouvrières massives et spontanées, préfiguré un nouvel ordre social au-delà du capitalisme.

Au printemps 1919, Winnipeg était une ville animée, la plus grande ville de l'ouest canadien et le siège des plus grands buildings de l'Empire Britannique de l'époque. Carrefour de communications important reliant le Canada occidental au Canada oriental aussi bien que sur une route vers les Etats-Unis, Winnipeg se présentait comme un centre important de la vie de la classe ouvrière dans la partie occidentale du continent. Au printemps de 1919, Winnipeg se trouvait isolé sur les immenses prairies nordiques, à presque 500 milles du plus proche centre métropolitain, ce qui ne l'a pas empêché de servir de point focal d'une vague de luttes de la classe ouvrière qui a balayé le Canada occidental.

La classe ouvrière dans Winnipeg a dû surmonter de nombreux obstacles pour s'unifier dans la lutte massive qu'elle  avait déclenchée cette année. Ethniquement diverse, avec des ouvriers d'origine anglaise, écossaise, française, juive, allemande, mennonite, ukrainienne et d'ailleurs, la classe ouvrière de Winnipeg  était loin d'être homogène. Des différences de métiers, de genre et de langue ont divisé la classe ouvrière, bien que la fracture la plus importante de l'époque ait  probablement été celle entre les ouvriers qui avaient servi sur les champs de bataille d'Europe pendant la Première Guerre Mondiale et ceux qui avaient travaillé chez eux dans des usines, des ateliers et sur les voies ferrées. La situation était si mauvaise qu'en janvier 1919, la classe dirigeante a manipulé avec succès les tensions qui existaient entre les vétérans de retour de la guerre, qui avaient à faire face au chômage et à l'insécurité, et les ouvriers immigrés, provoquant des émeutes anti-immigrés. Des soldats de retour du front ont marché sur une usine d'emballage de viande exigeant que les étrangers soient renvoyés de leur travail. Les vétérans ont également attaqué une réunion socialiste en commémoration aux révolutionnaires allemands martyrisés, Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg. Pendant plusieurs jours des immigrés ont été attaqués dans les rues et même dans leurs maisons.

Malgré tous leurs efforts, la bourgeoisie et son appareil d'Etat n'ont pas pu tirer profit de ces divisions pour empêcher les  protestations de la classe ouvrière de Winnipeg, car ils ont dû faire face à l'agitation sociale et économique qui a accompagné la guerre et lui a apporté sa conclusion. Tout au long du printemps 1919, la classe ouvrière de Winnipeg a démontré une capacité énorme de dépasser ces diverses divisions et d'agir de façon unifiée en tant que force qui défendait ses propres intérêts de classe. Dans ce qui a peut-être été un des épisodes les plus importants de la lutte de Winnipeg, les vétérans de la classe ouvrière qui, à peine quatre mois plus tôt, avaient été aspirés dans l'émeute anti-immigrés, ont triomphé de l'idéologie bourgeoise xénophobe et ont apporté énergiquement leur appui à la grève.[1] Même les policiers subalternes ont essayé de rejoindre la rébellion.

Ces événements se sont produits dans le cadre d'un soutien et d'une sympathie manifestés en faveur de la révolution prolétarienne en Russie, largement répandus dans la classe ouvrière dans l'ensemble de l'Amérique du Nord et dans Winnipeg en particulier où, par exemple, une assemblée massive de 1700 ouvriers, incluant des ouvriers immigrés et autochtones, en décembre 1918, a exprimé son soutien en adoptant des résolutions qui approuvaient les luttes révolutionnaires en Russie et en Allemagne. L'exemple de la grève générale de Seattle est lui aussi resté clairement dans les esprits des ouvriers. Les événements de Winnipeg ont pris d'autant plus d'élan que s'est tenue à Calgary, en Mars 1919, la Conférence Occidentale du Travail. Pendant cette conférence, les délégués des syndicats de l'Ouest ont fait sécession avec le Conseil des Métiers et du Travail du Canada (TLC) pour proposer une nouvelle organisation appelée One Big Union (OBU), partageant beaucoup de points communs avec les principes du syndicalisme révolutionnaire défendus par les International Workers of the World (IWW). Beaucoup de délégués qui ont formé l'OBU se sont ouvertement identifiés avec la Révolution Russe et ont appelé la classe ouvrière à commencer une révolution au Canada pour renverser l'Etat bourgeois et pour créer une nouvelle société sur le modèle de la Russie Soviétique. Alors que la vie de l'OBU lui-même se montrait éphémère, sa formation en Mars  1919 a conduit à deux conséquences principales. D'abord, elle a mis la classe dirigeante canadienne au pied du mur, la poussant à mettre en place une Red Scare (alarme rouge) au Canada et faisant réagir les autorités à chaque lutte de la classe ouvrière avec un niveau élevé de paranoïa et de peur. En second lieu, il a imprégné la classe ouvrière d'un esprit de lutte et a apporté l'idée qu'une nouvelle société était vraiment possible et que la classe ouvrière pourrait la faire apparaitre.

En Mai, avec le pays déjà sous tension, les ouvriers du bâtiment et de la métallurgie se sont mis en grève contre l'intransigeance des employeurs peu disposés à négocier. En réponse à la grève de ces ouvriers, le Conseil des Métiers et du travail de Winnipeg (WTLC) a décidé de faire voter par tous les syndicats affiliés une proposition pour déclarer une grève générale. En l'espace d'une semaine, le vote était conclu avec plus de 11.000 ouvriers votant pour la grève générale contre seulement 524 voix contre. Le 15 mai 1919, les usines, les magasins et les chantiers du rail de la ville sont devenus silencieux. La réponse à l'appel à la grève était bien plus impressionnante que ses organisateurs ne l'avaient prévue. Non seulement les ouvriers des syndicats affiliés sont sortis dans la rue, mais des milliers d'ouvriers non organisés ont également rejoint les rangs des grévistes. Pendant les six semaines suivantes, les industries de la ville se sont arrêtées, avec 30.000 grévistes remplissant les rues, les parcs et les salles de la cité pour protester, exprimer leurs revendications et organiser la direction de la lutte. Suivant l'exemple de la grève de Seattle, le comité de grève a autorisé la continuation des services essentiels, démontrant ainsi l'existence embryonnaire d'une situation de double pouvoir dans la ville. Le comité de grève a même donné la permission que le théâtre local reste ouvert pour que les ouvriers puissent avoir un lieu où se réunir pendant la grève.

Presque dès le début, le radicalisme de la classe ouvrière de Winnipeg était évident. La grève s'est étendue, comme un feu de forêt, de secteur au secteur et les ouvriers ont très rapidement pris la grève dans leurs propres mains en formant spontanément des assemblées massives et en nommant des comités pour s'assurer que la ville était alimentée et que les services essentiels étaient assurés. Dans les assemblées massives, les ouvriers débattaient  des buts de la grève, prenant les choses dans leurs propres mains, même lorsque cela les mettait en  conflit avec les hiérarchies syndicales. Déployant une fantastique unité face à tout ce qui  semblait les diviser, la classe ouvrière de Winnipeg a rejeté de façon conséquente le  barrage idéologique intense et les efforts de la presse jaune des journaux bourgeois pour les diviser suivant les lignes de démarcation de l'appartenance ethnique, du genre ou du statut de combattant. Un historien a estimé qu'au moins 171 réunions massives distinctes d'ouvriers ont eu lieu au cours des six semaines de la grève.[2]

La classe dirigeante locale dans Winnipeg, tout comme l'Etat fédéral canadien lui-même, n'est pas restée oisive, alors que la classe ouvrière régnait sur ce que la classe dirigeante considérait comme « sa » ville. En plus du barrage idéologique haineux, qui étiquetait les grévistes comme étant des « chiens Bolchevicks » et des « traîtres à la couronne », la bourgeoisie locale s'est organisée dans le Comité des Citoyens des 1000 (CC 1000) dans le but avoué de détruire la grève et de retourner à l'ordre chrétien sous le gouvernement du roi. Fermement convaincu qu'une révolution était en cours, le CC 1000 s'est rapidement assuré de la coopération du gouvernement fédéral en écrasant la grève. Le 26 Mai, le gouvernement fédéral a ordonné aux travailleurs de la poste de Winnipeg de reprendre le  travail ou d'être licenciés. Sur les conseils d'un membre supérieur du CC 1000, le gouvernement fédéral a adopté de nouvelles lois d'immigration dures pour permettre l'arrestation et la déportation des étrangers préconisant la subversion ou la destruction de la propriété.

La classe ouvrière de Winnipeg est restée forte, rejetant les ordres de retour au travail. Les soldats de retour du front, bien disposés à l'égard de la grève, ont organisé des défilés dans la ville, autre inquiétude pour les autorités. Le CC des 1000 et les autorités fédérales n'ont pas osé employer la violence pour écraser la grève. Par peur des conséquences d'une fin violente de la grève, les autorités ont joué au jeu délicat du « wait and see », restant tout le temps campés sur leur appel à une fin de la grève et à l'arrestation de ses chefs. Néanmoins, les autorités préparaient constamment les moyens de la répression pour lorsque le moment serait venu, de plus en plus désespérées au fur et à mesure que les enjeux devenaient plus terribles pour leur ordre social dans Winnipeg et que le radicalisme de la classe ouvrière menaçait de s'étendre, étant donné qu'une série de grèves de solidarité éclatait à Saskatoon, à Calgary, à Edmonton et dans d'autres villes du Canada occidental.

Cependant, c'est précisément au moment où les grèves étaient à leur apogée,  dirigeant fondamentalement la ville par leurs assemblées massives et les divers comités, que le mouvement a commencé à perdre de son élan. Contrairement aux pires craintes de la bourgeoisie, la classe ouvrière de Winnipeg ne pouvait pas poser la question du renversement de l'Etat bourgeois ni remettre en question d'une façon consciente la nature fondamentale de l'exploitation capitaliste. Bien que leurs actions aient déjà préfiguré ces questions d'une façon semblable à la manière avec laquelle elles avaient été posées en Russie et en Europe durant les deux années précédentes, la classe ouvrière de Winnipeg ne pouvait pas apporter les éléments nécessaires à une conclusion révolutionnaire. Malgré la sympathie largement répandue pour les révolutions russe et allemande, la conscience politique des ouvriers n'avait pas assimilé les leçons des luttes européennes. Les chefs des comités de grève étaient tous, soit des membres du Parti Socialiste, soit du Parti Social Démocrate du Canada, mais leur rôle dans la lutte était guidé plus par leur expérience en tant que leaders syndicaux que par les leçons politiques de la Russie Soviétique. Les exigences de la lutte sont restées embourbées au niveau d'une « conscience trade-unioniste" ; réclamant le droit de négociation pour une distribution plus égalitaire des fruits du développement économique et un droit d'être représentés dans des décisions cruciales au sujet de leur ville et de leurs diverses industries. Dans une certaine mesure, bien que leurs actions aient déjà posé la possibilité d'un ordre social différent, la conscience ouvrière est demeurée au niveau du réformisme.

Ce vide entre les actions des ouvriers et leur conscience et le rôle puissant des syndicats a finalement donné aux autorités bourgeoises le temps dont ils avaient besoin pour retrouver le contrôle de la situation. A la mi-juin, craignant que la fidélité des forces de police de la ville ne tienne pas, les autorités ont organisé une force de police spéciale pour écraser la grève. Cependant, cette police spéciale s'est avérée complètement inadaptée à cette tâche et une foule de 15.000 grévistes a complètement mis en déroute une force de police spéciale de 1200 éléments qui avait été envoyée après qu'une tentative pour diriger le mouvement vers le centre-ville ait conduit à une émeute. Avec des choix aussi inefficaces, les autorités ont consenti à mobiliser la Police Montée Royale du Nord-Ouest (RNWMP) pour écraser la grève. Le 21 juin, la RNWMP et la police spéciale ont brutalement attaqué un défilé de soldats démobilisés, alors que des agents sillonnaient Winnipeg et le pays pour arrêter les principaux leaders de la grève, ainsi que des ouvriers radicaux. Conséquence de la répression, mais aussi du poids de ses propres limites, la grève était officiellement terminée le 26 juin, avec un engagement de gouvernement provincial à enquêter sur ses causes.

Lorsqu'on tire un bilan de la Grève Générale de Winnipeg de 1919, on doit d'abord saluer le radicalisme de la classe ouvrière pendant ces six semaines de printemps. Maintes et maintes fois, les ouvriers ont étonné la bourgeoisie locale, l'Etat fédéral et même leurs propres syndicats par leur détermination à rejeter des divisions et par leur capacité à étendre la lutte et à assurer la gestion de la société. Alors que la classe ouvrière ne pouvait finalement pas poser la question du renversement de l'Etat bourgeois d'une manière consciente et que la classe dirigeante, à travers son Etat, pouvait une fois de plus prendre le dessus, la Grève Générale de Winnipeg de 1919 nous rappelle fermement que, contrairement au stéréotype d'une classe ouvrière nord-américaine passive, les ouvriers de ce continent, ont leur propre histoire de luttes radicales. Une histoire que la classe ouvrière devra se réapproprier pour répondre aux attaques dévastatrices sur ses conditions de travail et de vie et imposées par un système capitaliste global en pleine décomposition.

Henk 06/03/2009

 


[1] La solidarité récente dont ont fait preuve les ouvriers immigrants ou non-immigrants de la raffinerie de Lindsey en Grande Bretagne est un rappel moderne de la capacité des ouvriers à surmonter la propagande xénophobe pour les diviser.

[2] Michael Butt cité dans « The prairies in the Eye of the Storm » dans Craig Heron, ed. La révolte ouvrière au Canada (Toronto : Presse de l'Université de Toronto) 1997.pg. 187

Géographique: 

  • Canada [95]

Evènements historiques: 

  • Grève générale de Winnipeg [96]

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