Lors de l'élection d'Obama comme 44e président des États-Unis, personne n'a pu échapper aux scènes de liesse à Chicago, à New York mais aussi en Afrique et dans toute l'Europe. Ces explosions de joie, reprises en boucle dans tous les médias à l'échelle planétaire, ne sont pas sans rappeler le spectacle de la foule dansant place de la Bastille à Paris au soir du 10 mai 1981 en France après l'élection de Mitterrand. Mais ce phénomène qualifié "d'obamania" dépasse largement un tel cadre. Ce couronnement d'un Noir à la Maison Blanche, que le monde entier applaudit, vient conclure en apothéose la superproduction "hollywoodienne" d'une campagne électorale américaine dont les médias nous ont gavés, à la télé, par internet, dans la presse écrite, etc., depuis deux ans et à tous les stades des élections primaires. Elle dévoile une énorme machinerie déjà propre à toute élection "à l'américaine" montée avec un maximum de moyens technologiques et financiers. La "belle histoire de l'Oncle Sam" de la nouvelle idole Obama et de son ascension irrésistible, avec saga familiale incorporée, incarnation du rêve américain et retrouvant l'esprit pionnier du "melting-pot" n'est que de la poudre aux yeux. C'est le pur produit d'une gigantesque opération de marketing basée sur le people star system. Cette campagne a coûté une véritable fortune, au moment où l'État américain plonge dans la crise et où la plupart des banques comme des grandes entreprises du pays sont au bord du gouffre. Obama nous est présenté comme un sauveur pas seulement pour les États-Unis mais pour le monde entier et pour le capitalisme... Dans quel but ?
Cela a permis avant tout de recrédibiliser le jeu électoral et le retour sur le devant de la scène de la mystification "démocratique" afin de masquer provisoirement la faillite du capitalisme, pour les États-Unis comme pour le monde entier. Cette élection ne s'appuie pas seulement sur le soutien unanime de toute la bourgeoisie (tous les chefs d'État sans exception se sont publiquement réjouis de cette élection et ont chaudement félicité "l'heureux élu") mais elle a amené vers les urnes des millions d'Américains déshérités, ainsi que des Noirs ou des membres de minorités immigrés qui n'avaient jamais pris part à un vote de leur vie. Cette élection est parvenue à soulever une énorme vague d'espoir de changement de leurs conditions de vie misérables pour des millions d'exploités et d'opprimés grâce à une gigantesque opération publicitaire vantant le mirage de "l'union nationale", si chère à la bourgeoisie. Cette dernière a mis le paquet et a préparé le terrain pour obtenir un tel résultat équivalent à un raz-de-marée : il fallait rehausser le prestige des États-Unis autour d'un candidat idéal, jeune, dynamique, rassembleur et noir par dessus le marché : Obama. Cette victoire ne concerne que la bourgeoisie et, contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire, elle n'est pas celle d'une quelconque "communauté noire" ni des couches les plus pauvres de la société, ni même des prétendues "classes moyennes" . Elle ne va rien changer au sort des dizaines de millions de prolétaires et d'exploités qui, plus que jamais, n'en récolteront que davantage "de sang, de sueur et de larmes", selon la vieille expression consacrée par Churchill. Elle ne va pas changer la monstruosité du monde capitaliste. Avec la victoire d'Obama, il fallait surtout "effacer" l'image catastrophique des États-Unis après les huit années-Bush (qualifié de pire président connu dans l'histoire des États-Unis) : faire croire au renouveau, au changement, remplacer l'équipe "de néo-cons républicains" dépassés par les événements et marqués par la faillite de leurs "doctrines ultra-libérales" usées jusqu'à la corde dont Bush s'était entouré. Le "camp démocrate" avait bien compris ce besoin de changement de look de l'impérialisme américain en se permettant lors des primaires organisées dans chaque "camp" d'évincer la candidature d'Hillary Clinton qui, bien que faisant miroiter une autre "première", une femme présidente des Etats-Unis, a trop misé sur son expérience de vieille routière de l'appareil et de la politique, étant incapable de susciter un élan susceptible de canaliser une aspiration profonde à un renouvellement du personnel politique. De même, en face, chez les "républicains", on a tout fait pour ne pas gagner avec le "ticket" Mc Cain-Palin, avec le choix d'un vieux tocard de 72 ans, "héros" du Vietnam, un homme du passé, pas de l'avenir, rapidement "plombé" d'une part par son appartenance au même "camp républicain" que Bush (malgré les distances prises avec ce dernier) et surtout confronté à ses propres limites (ses bourdes à répétition d'homme dépassé par rapport au krach financier et économique). Enfin, le choix d'une "colistière" ultra-réactionnaire, "créationniste", complètement non crédible, a constitué un vrai repoussoir. Les ralliements massifs et spectaculaires à Obama dans le propre camp des républicains (comme le plus fameux, celui de l'ex-responsable de la défense nationale lors de la guerre en Irak sous l'investiture de Bush père, Colin Powell) ont également été des éléments déterminants témoignant d'un changement de stratégie de la bourgeoisie américaine la plus consciente des enjeux de la période.
Ce ravalement de façade de l'Amérique souligne la capacité d'adaptation d'une grande puissance déclinante qui, pour préserver sa crédibilité et rompre son dangereux isolement dans sa domination impérialiste, doit cesser d'apparaître toujours dans le même rôle de grand méchant gendarme du monde. Et, surtout, elle n'a pas d'autre choix pour faire accepter de faire partager le fardeau de la crise à l'échelle mondiale. Dans le capitalisme, "il n'y a pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni César, ni tribun, le monde doit changer de base...". La "folle espérance" suscitée par "l'effet Obama" ne peut mener qu'à une très rapide terrible désillusion. Avec l'effet boomerang des attaques, des faillites, du chômage, de la misère, de la poursuite de la politique guerrière, de la récession et de l'endettement qui frappent à la porte, le retour à la réalité sera rude. Cette tentative de faire "peau neuve" ne saurait à terme sauver la peau du capitalisme, ni empêcher les États-Unis d'être la première puissance à s'enfoncer dramatiquement dans la pire crise mondiale de ce système. Seul le développement international de la lutte de classes est porteur d'une véritable espérance pour l'avenir de l'humanité.
W (21 novembre)
Profitant du cirque médiatique autour des élections américaines, le gouvernement a fait passer en catimini lors du vote sur le budget de la Sécurité sociale, un amendement scélérat qui repousse pour les ouvriers du secteur privé, la mise à la retraite d'office de 65 à 70 ans. Autrement dit, au nom de la "liberté" de pouvoir vendre sa force de travail plus longtemps, l'Etat s'apprête à allonger le temps de travail pour prétendre à une pension de retraite. Les partis de gauche ont voté contre, soi-disant pour défendre la retraite à 60 ans, sans aucun doute, pour faire oublier leurs brillants états de service en matière d'attaques sur les retraites dans les gouvernements précédents. Les syndicats, eux, se sont offusqués, car ils n'ont pas été consultés, comme si leurs interminables négociations dans les salons feutrés de Matignon avaient déjà empêché des attaques contre nos conditions de vie. Comme en 1993, ce sont d'abord les ouvriers du privé qui sont visés par cet amendement, mais ensuite comme en 2003 et en 2007, cela sera le tour des ouvriers du public et des employés qui bénéficiaient des régimes spéciaux. Le gouvernement vient d'ailleurs d'ouvrir les hostilités en faisant voter la possibilité pour le personnel navigant des compagnies aériennes de travailler jusqu'à 65 ans en faisant également éclater le statut de leur retraite : si elle maintient pour le moment le régime actuel de retraites pour les pilotes, elle introduit un nouveau régime beaucoup moins favorables pour les hôtesses de l'air et les stewards, tentant ainsi de diviser le personnel.
Quelle hypocrisie que de parler de libre arbitre alors que le choix réel c'est de s'épuiser au travail jusqu'à 65 ans et plus dans le futur ou partir avec une retraite amputée parce qu'on n'aura pas les annuités nécessaires ! Comme le souligne la présidente de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, "en agitant l'épouvantail des 70 ans, cela permet d'une certaine façon de préparer l'opinion publique à un relèvement de l'âge minimal de la retraite ; la pilule passera mieux si on annonce dans quelques années un relèvement à 62 ans ou 63 ans" (1). Mais les sacrifices ne vont pas s'arrêter là, car pour la majorité des ouvriers ce qui s'annonce est bien pire encore, "le vrai problème n'est pas là, mais plutôt de savoir s'ils auront le libre choix de pouvoir s'arrêter de travailler. Si on ne fait rien, les retraites vont baisser et ceux qui auront des petites retraites seront obligés de continuer à travailler pour pouvoir vivre" (2).
Vivre ou survivre, voilà l'enjeu des années à venir ! En 1990, 19 % des ouvriers touchaient le minimum vieillesse, ils sont 40 % en 2007 (3). Avec les baisses des pensions complémentaires et la loi de 2003 qui allonge la durée de cotisation et change le mode de calcul des pensions, la pension d'un salarié moyen, calculée selon la réglementation actuelle, est inférieure de plus de 30 % à celle basée sur la législation de 1990 (idem). Étant donné l'accroissement du chômage et de la précarité du travail, de moins en moins de salariés vont pouvoir prétendre à une pension complète. Ils vont être obligés pour survivre de se mettre en quête d'éventuels petits boulots pour compléter leur maigre pension, comme c'est le cas déjà pour les ouvriers aux États-Unis, en Angleterre et dans la plupart des pays industriels.
Aujourd'hui, compte tenu de la profondeur de sa crise économique, le capitalisme n'a que faire de la santé de sa main d'œuvre. Tant pis si les ouvriers sexagénaires ne peuvent plus assumer leurs tâches, s'ils sont malades ou épuisés, où plutôt tant mieux, se dit la classe dominante. C'est de façon froide et toujours plus cynique qu'elle calcule notre devenir. Si nous ne sommes pas licenciés en cours de route, elle espère que nous serons contraints de laisser tomber notre emploi, résignés et au bout du rouleau, sans avoir obtenu les trimestres nécessaires. Que nous crevions à la tâche ou que nous partions avec une pension de misère, c'est le seul avenir que ce système peut nous offrir. Ne les laissons pas faire ! Ce n'est que par la lutte la plus unie et solidaire possible, ouvriers du privé, du public, des régimes spéciaux, chômeurs et retraités, tous ensemble, que nous pourrons faire reculer les attaques du gouvernement.
Daniel (21 novembre)
1) Le Monde du 17 novembre 2008.
2) Le personnel navigant a bien compris la manœuvre, d'où sa colère et les grèves menées pendant quatre jours à Air France, au grand dam des organisations syndicales qui étaient prêtes comme d'habitude (notamment le syndicat des pilotes) à négocier pour mieux faire passer la pilule.
3) Le Monde diplomatique, septembre 2008.
Nous publions ici le tract réalisé en commun par le CCI et le groupe Opposition ouvrière, distribué au Brésil le 20 octobre dans les assemblées générales de lutte des employés de banque.
La bourgeoisie brésilienne, confrontée à des mouvements échappant à son contrôle (en fait au contrôle des syndicats), utilise de manière grotesque son appareil répressif, la police, en vue d'intimider les travailleurs. C'est ainsi qu'à Porto Alegre (RS), dans le sud du Brésil, elle a réprimé violemment une manifestation d'employés de banque, le 16 octobre dernier, en faisant usage de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc et blessant ainsi environ 10 personnes. Comme si la répression intervenue dans la matinée n'y suffisait pas, la "13e marche des Sans" (1) réunissant le même jour et dans la même ville, une dizaine de milliers de personnes fut, elle aussi, la cible de la répression policière dont il a résulté de nombreux blessés.
Avant cela, les dirigeants des banques et, parmi eux, le propre gouvernement, avaient déjà entrepris de prendre des mesures contre la grève actuelle des employés de banque en persécutant et licenciant des leaders, en vue de contenir le développement du mouvement.
Il est nécessaire de souligner que la lutte des employés de banque va actuellement au delà des revendications économiques classiques puisque sa revendication essentielle est celle de l'homogénéisation du traitement des employés. Les banques, et surtout les banques fédérales, ont créé un abîme entre la situation des employés de longue date et celle de ceux qui ont été embauchés depuis 1998, lorsqu'ont été supprimés certains "avantages" qui avaient été arrachés à travers la lutte même. Bien plus que la revendication d'une simple compensation économique, il s'agit donc d'un geste important de solidarité entre travailleurs, car il n'est pas possible d'accepter que nous soyons traités différemment, comme si certains d'entre nous étaient inférieurs, alors que nous effectuons tous le même travail, dans le mêmes locaux, en étant soumis aux mêmes pressions.
Il est également nécessaire qu'il soit bien clair que, tous nos "avantages" étant le fruit de la lutte, si certains d'entre nous en bénéficient, alors tous doivent en bénéficier, quel que soit le moment où ils ont été embauchés. De la même manière, cette grève cherche à récupérer ce qui nous a été supprimé, à tous cette fois-ci, comme les primes annuelles, etc. Toutes ces conquêtes économiques ont été le produit de nos luttes de résistance mais elles ont été annulées par la suite par les patrons avec la complicité de leurs "partenaires syndicaux".
Nous voulons également de meilleures conditions de travail, la fin du harcèlement moral, la fin des objectifs de vente de produits et services imposées par les banques ; tout ceci a occasionné tellement de maladies parmi les travailleurs du secteur bancaire. Nous le répétons, nous ne voulons pas être traités différemment les uns des autres. Nous ne pouvons pas être d'accord avec l'amputation de nos "avantages" qui sont le produit de nos luttes et non pas des cadeaux de la part des patrons du secteur privé ou public.
La revendication des mêmes conditions de travail et rémunération pour ceux qui sont actuellement embauchés constitue un acte de solidarité entre les différentes générations de travailleurs de ce secteur. C'est cette même solidarité dont nous devons faire la preuve en actes avec ceux qui ont été victimes de la répression de l'État. Nous ne pouvons pas renoncer à nous joindre et nous solidariser avec tous ceux qui luttent pour ne pas se laisser écraser par les nécessités du capitalisme en crise, avec tous ceux que la bourgeoisie a réprimé ou va vouloir réprimer du fait de leur implication dans les luttes.
Ces luttes et la répression de l'État ne constituent pas une question qui ne concerne que les employés de banques, mais bien l'ensemble des travailleurs, avec ou sans travail.
1) Mouvement qui réunit différentes catégories d'exclus sociaux, le Mouvement des Sans terre, le Mouvement des Sans toit, le Mouvement des Sans travail. Comme son nom l'indique, ce dernier est essentiellement constitué de prolétaires sans travail. Le mouvement des Sans toit regroupe des éléments de différentes couches non exploiteuses de la société, qui s'organisent notamment pour occuper des squats. Le mouvement des Sans terre est constitué lui aussi de différentes couches non exploiteuses de la société en provenance de la ville, sans travail et qui sont organisés au sein de cette structure pour l'occupation de terres à la campagne en vue de les cultiver. Cette structure est solidement contrôlée par l'État, en particulier depuis le premier mandat de Lula à la tête de l'État.
Le secteur de l'enseignement est l'un de ceux qui a dû essuyer le plus d'attaques successives d'envergure de façon quasiment ininterrompue au cours de ces dernières années, notamment une dégradation accélérée des conditions de travail et un flot de suppressions de postes, grandissant d'année en année. Les réformes en cours dans les écoles maternelles et primaires se traduisent ainsi par la suppression de 5500 postes alors qu'elles accueillent 20 000 enfants de plus. Dans le secondaire, la réforme en cours du bac professionnel et des programmes des lycées, avec suppression d'heures d'enseignement obligatoires à la clef, vont se traduire par de nouvelles dizaines de milliers de suppressions d'emploi. Ce sont également 3000 postes de RASED - Réseaux d'aides pour les élèves en difficulté, créés depuis une quarantaine d'années, soit le tiers des effectifs, qui sont supprimés - alors que ces RASED sont promis à la disparition pure et simple d'ici 3 ans. La colère et le ras-le-bol des enseignants s'expriment déjà depuis des mois. Il n'y a rien d'étonnant de constater que la journée de grève du 20 novembre dernier appelée par les syndicats de ce secteur ait été particulièrement suivie. Le taux de grévistes a oscillé entre 50 et 70 % et il a entraîné une forte mobilisation dans les rues des principales villes sur tout le territoire avec partout une participation importante des lycéens aux côtés des enseignants dans des manifestations qui, à l'échelle nationale, ont rassemblé autour de 200 000 personnes (dont 40 000 à Paris). L'ampleur de la mobilisation dans cette journée de grève a rendu quasiment inapplicable le service minimum dans les écoles à la charge de chaque municipalité récemment décrété par le gouvernement. Cependant, ces manifestations ont été également marquées par un très fort corporatisme favorisant leur isolement du reste de la classe ouvrière dans lesquels les syndicats et l'ensemble de la bourgeoisie cherchent à les enfermer. Non seulement aucun appel public n'a été lancé pour rejoindre ou participer à ces manifestations mais il est particulièrement frappant que, pour la manifestation parisienne, il était impossible de connaître à l'avance le parcours de cette manifestation. Cela ne pouvait que dissuader d'autres ouvriers touchés par des attaques similaires d'y participer ou de manifester leur solidarité. De plus, les slogans étaient tous dirigés et ciblés contre le ministre Darcos et dans les manifs elles-mêmes, les syndicats avaient organisé les défilés par établissements : chacun derrière la banderole de son école ou de son "bahut", chacun préoccupé à réclamer des postes ou des moyens supplémentaires pour défendre son propre établissement mais aussi classe par classe, incitant chacun à discuter avec ses collègues de travail de tous les jours des problèmes spécifiques dans son cours ou de tel ou tel élève... Alors que la classe ouvrière se retrouve attaquée de la même manière dans tous les secteurs sous les coups de boutoir de l'accélération de la crise et de la récession, les prolétaires se retrouvent ligotés dans des mobilisations syndicales émiettées et séparées de même qu'à travers une multitude de revendications spécifiques. Quelques exemples : le 22 novembre contre le projet de privatisation de La Poste, à la SNCF contre la réforme du fret (où 2 syndicats seulement avaient appelé à la grève le 18 tandis que seul Sud-Rail a maintenu sa consigne de grève pour le 23 au soir, après le retrait du préavis de grève par les deux autres principaux syndicats), dans le secteur automobile où des actions et manifestations sporadiques sont organisées séparément et quasi quotidiennement chez chaque constructeur et sur chaque site menacé par les licenciements, sans compter les dizaines de milliers d'emplois supprimés avec la multiplication des fermetures d'entreprise pleuvant dans le privé.
Quel que soit le niveau de combativité des grévistes, se laisser entraîner derrière les manœuvres syndicales mettant sans cesse en avant des revendications catégorielles ou spécifiques, sur le terrain du cloisonnement localiste et corporatiste, ne peut déboucher que sur un sentiment démoralisant de stérilité et d'impuissance. Les prolétaires doivent prendre conscience du besoin grandissant d'unité et de solidarité de leurs luttes pour pouvoir s'opposer aux attaques de la bourgeoisie et au travail de division et d'éparpillement des syndicats.
Ava (22 novembre)
Face à la crise économique qui est en train de ravager la planète, le 15 novembre s'est tenue la fameuse réunion internationale qui, telle qu'elle nous était présentée à l'origine, devait changer le monde et "bouleverser les règles de fonctionnement du capitalisme" : le G20. Ce sommet exceptionnel réunissant les membres du G8 (Allemagne, France, Etats-Unis, Japon, Canada, Italie, Royaume-Uni, Russie) plus l'Afrique du Sud, l'Arabie Saoudite, l'Argentine, l'Australie, le Brésil, la Chine, la Corée du Sud, l'Inde, l'Indonésie, le Mexique et la Turquie, devait en effet jeter les bases d'un nouveau capitalisme, non seulement plus sain mais aussi plus humain. Que l'on se souvienne ! En septembre, alors qu'un véritable vent de panique faisait rage sur les places boursières, tous les grands de ce monde, les Bush, Merkel et consorts, annonçaient en grande pompe la tenue d'une grande conférence internationale. Nicolas Sarkozy, le président de la République française et de l'Union Européenne, avait même tenu à l'occasion des discours "radicaux" comme le 23 septembre à la tribune de l'ONU où il avait plaidé pour "un capitalisme régulé" et "moralisé", n'hésitant pas à affirmer la nécessité de "refonder le capitalisme".
Cette réunion a bien eu lieu. Résultat ? Rien ou presque. Même la presse internationale a été obligée de reconnaître que "la montagne avait accouché d'une souris". Évidemment, personne ne s'attendait sérieusement à voir apparaître un "capitalisme plus humain". Cela n'existe pas et les dirigeants politiques du monde en parlent comme les parents parlent du Père Noël à leurs enfants. Le capitalisme est et sera toujours un système d'exploitation brutal et barbare. Mais même du point de vue de la lutte contre la crise économique, les résultats de ce sommet sont particulièrement maigres. En voici les conclusions dans un jargon d'initiés particulièrement incompréhensible :
- la limitation des "effets procycliques" (aggravants) des règles en vigueur sur les marchés financiers ;
- l'alignement des normes comptables au niveau mondial, en particulier "pour les produits financiers complexes" ;
- l'amélioration de la transparence des "marchés dérivés" pour réduire "les risques systémiques" ;
- l'amélioration des "pratiques de compensation" ;
- l'évaluation du mandat, du mode de gouvernance et des besoins en ressources des institutions financières internationales ;
- la définition du champ des institutions ayant une "importance systémique" - dont l'effondrement menacerait l'ensemble du système financier mondial et qui nécessiterait donc une action coordonnée pour éviter leur défaillance.
Bref, il s'agit de jouer au pompier de service en soutenant financièrement la finance et les secteurs stratégiques de l'économie. Rien de nouveau qui ne soit déjà fait.
Il faut tout de même reconnaître une chose. Il est vrai qu'aujourd'hui, contrairement à 1929 (où les États, dans un premier temps, n'avaient pas réagi et avaient laissé s'écrouler des pans entiers de l'économie), toutes les bourgeoisies se sont très rapidement mobilisées. A coups de milliers de milliards de dollars, elles tentent de sauver les centres vitaux de leurs économies comme les banques, les grandes industries... Et pour ce faire, elles se rencontrent, tentent de colmater les brèches les plus béantes, agissent parfois de concert alors que là encore, en 1929, elles avaient fait tout le contraire (elles avaient tiré à hue et à dia, tombant dans un protectionnisme effréné, fermant leurs frontières aux marchandises étrangères et aggravant finalement la crise mondiale). C'est cette mobilisation internationale qui a permis d'éviter l'effondrement brutal du système financier et la faillite des plus grandes banques, tant redoutés par les économistes ces derniers mois.
Mais si la faillite de tout le secteur bancaire en particulier a été évitée, aucune réelle solution, aucune perspective de relance durable ne peuvent émerger de toutes ces discussions qui ont lieu depuis début septembre, ni du G7, ni du G8, ni du... G20 !
La bourgeoise est impuissante, elle ne peut pas régler la crise historique de son système car celui-ci est touché par une maladie mortelle : la surproduction. C'est pourquoi le capitalisme entré dans sa phase de décadence depuis près d'un siècle est traversé par des convulsions irrémédiables et qu'il fait subir à l'humanité une suite ininterrompue de guerres (les deux guerres mondiales en sont le symbole le plus fort) et de crises économiques. Le résultat du G20 est une démonstration visible de cette impuissance : alors que la crise fait rage, que la famine menace des pans entiers de l'humanité, que dans les pays les plus développés, le chômage et la pauvreté explosent, tout ce que peuvent faire les plus grandes sommités de la planète, c'est de voter des résolutions aussi vagues qu'abstraites "pour des règles plus strictes et un meilleur contrôle des spéculateurs et des banquiers". Plus ridicule encore, ces décisions du G20 ne sont même pas applicables tout de suite mais doivent être discutées par une commission d'experts dont les conclusions seront re-discutées le... 30 avril 2009 ! Il n'y a décidément rien à attendre de tous ces sommets.
Les économistes peuvent bien appeler de leurs vœux un nouveau New Deal ou un nouveau Bretton Woods, ils sont bien incapables de comprendre le sens réel de la situation actuelle. Un nouveau New Deal ? Mais l'endettement qui avait permis en 1933 et en 1938, sous l'impulsion de Roosevelt, de mener une politique de grands travaux et de relancer l'économie a déjà été réalisé au centuple au cours de ces dernières décennies. Les États, les entreprises, les ménages supportent déjà le poids d'une dette insoutenable et sans cesse croissante. Non, il n'y aura pas de nouveau New Deal ! Un nouveau Bretton Woods alors ? En 1944, l'organisation d'un système financier international basé sur le dollar avait permis de fluidifier et de stabiliser les échanges sur lequel la croissance économique avait pu s'appuyer. Mais aujourd'hui, il n'y a plus de superpuissance permettant de stabiliser les échanges mondiaux ; au contraire, nous assistons à la perte de crédit et de capacité des Etats-Unis à jouer leur rôle de locomotive de l'économie mondiale. D'ailleurs, au cours de ce G20, toutes les autres puissances ont contesté la mainmise américaine, à commencer par la France et son porte-parole, Nicolas Sarkozy. Et il n'y aucune nouvelle puissance émergente à l'horizon susceptible de jouer ce rôle, à commencer par la prétendue Union Européenne, traversée par la lutte pour la défense d'intérêts nationaux parfaitement contradictoires et opposés les uns aux autres. Non, il n'y aura pas de nouveau Bretton Woods. Tout au plus, répétons-le, des "mesurettes" seront prises afin de limiter les dégâts. Tout cela ne fera en fin de compte qu'étaler la crise dans le temps et préparer des lendemains plus sombres encore.
Les mauvaises nouvelles économiques et les annonces de plans de licenciements qui pleuvent en ce moment laissent entrevoir de quoi demain sera vraiment fait. Toutes les instances internationales, les unes après les autres, prévoient la récession pour 2009. Selon l'OCDE, la zone euro devrait voir son activité reculer de 0,5 %. La Grande-Bretagne serait plus touchée encore avec des prévisions de - 1,3 % ! Le Japon est déjà en récession à hauteur de - 0,1 % et son économie devrait continuer de plonger l'année prochaine. Pour les États-Unis, la FED (la banque centrale américaine) envisage une croissance négative de - 0,2 %, mais Nouriel Roubini, l'économiste le plus écouté aujourd'hui à Wall Street suite à l'exactitude de toutes ses prévisions ces deux dernières années sur la détérioration de l'économie mondiale, pense quant à lui possible la réalisation d'un scenario cauchemar avec une contraction de l'activité de l'ordre de 5 % durant deux années consécutives, en 2009 et 2010 ! (1) Nous ne pouvons savoir si tel sera le cas, il est inutile de faire bouillir les marmites de l'avenir, mais le simple fait que l'un des économistes les plus réputés de la planète puisse envisager un tel scenario catastrophe révèle l'inquiétude de la bourgeoisie et la gravité réelle de la situation !
Côté licenciements, le secteur bancaire poursuit son jeu de massacre. Citigroup, l'une des plus grandes banques du monde, vient d'annoncer la suppression de 50 000 emplois alors qu'elle en a déjà détruit 23 000 depuis début 2008 ! A côté de ce cataclysme, les annonces de la suppression de 3200 postes de travail chez Goldman Sachs ou de 10 % des effectifs de Morgan Stanley sont du coup passées presque inaperçus. Rappelons que la sphère de la finance, sans compter ces dernières nouvelles, a déjà détruit plus de 150 000 emplois depuis janvier 2008.
Autre secteur particulièrement touché, celui de l'automobile. En France, Renault, premier constructeur du pays, a tout simplement arrêté sa production courant novembre ; plus aucune voiture ne sort de ses ateliers et cela alors que ses chaînes tournent déjà depuis des mois au ralenti, à 54 % de leurs capacités en Europe (2). PSA Peugeot-Citroën vient d'annoncer 3350 suppressions de postes et de nouvelles mesures de mise au chômage technique pour un mois. Mais, dans le secteur de l'automobile, c'est une nouvelle fois des États-Unis que les nouvelles les plus alarmantes parviennent : les fameux Big Three de Detroit (General Motors, Ford et Chrysler) sont au bord de la faillite. Si l'État américain ne les renfloue pas, c'est entre 2,3 et 3 millions d'emplois qui sont directement menacés (intérimaires et salariés de la sous-traitance étant les premiers touchés). Et dans un tel cas, les ouvriers licenciés ne perdraient pas seulement leur boulot mais aussi leur assurance maladie et leur retraite ! Même si, comme c'est le plus probable, l'État américain sort de sa poche un plan de financement, les restructurations vont être particulièrement violentes dans les mois à venir, les charrettes de licenciements se succéderont à un rythme infernal.
Le résultat attendu de toutes ces attaques est évidemment une explosion de la misère. En France, le Secours populaire et Emmaüs constatent déjà pour septembre une augmentation de près de 10 % des personnes survivant grâce à la soupe populaire, et les jeunes semblent particulièrement touchés.
L'avenir n'est pas à un capitalisme plus "humain" ou plus "moral" comme veulent nous le faire croire tous ces bonimenteurs réunis en G7, G8 ou G20, mais à un capitalisme toujours plus barbare, répandant les affres de la misère et de la faim.
Face à la crise et aux attaques du capitalisme, il n'y a qu'une seule issue : le développement des luttes de la classe ouvrière.
Pawel (21 novembre)
1) Source : www.contreinfo.info [8]
2) A travers cet exemple rejaillit toute l'absurdité de l'économie capitaliste. D'un côté, le développement de la misère, de l'autre des usines qui tournent à la moitié de leur capacité ! La raison en est simple : le capitalisme ne produit pas pour les besoins de l'humanité mais pour vendre et réaliser du profit. Si une partie de l'humanité n'a pas de quoi payer, elle peut bien crever, les capitalistes préféreront fermer leurs usines et détruire leurs marchandises invendues plutôt que de les donner !
Cet article, dénonçant la propagande mensongère entourant l’élection d’Obama, est repris d’Internationalism, section du CCI aux Etats-Unis.
La tempête propagandiste autour de la campagne électorale a enfin cessé au bout de presque deux ans. Les médias aux ordres de la classe dominante nous disent qu’il s’agit de l’élection la plus importante de l’histoire des États-Unis, démontrant une fois de plus la puissance et la supériorité de la “démocratie”. Cette propagande crie haut et fort que non seulement nous avons pour la première fois de l’histoire américaine un président afro-américain, mais aussi que, par-dessus tout, la victoire d’Obama porte avec elle un profond désir de changement. On nous dit encore que le “peuple a parlé”, et que “Washington a écouté”, grâce à l’œuvre miraculeuse des urnes. On nous dit même que l’Amérique a dès à présent dépassé le racisme et est devenue une véritable terre de fraternité.
Ainsi, aujourd’hui, Obama est devenu président. Mais qu’est-ce que cela signifie en réalité ? Obama a promis le changement, mais cette promesse n’est rien d’autre qu’une illusion. Toute cette campagne n’a été qu’un mensonge hypocrite, qui s’est servi des espoirs d’une population, et surtout d’une classe ouvrière terriblement épuisée par la misère et la guerre. Les véritables gagnants de ces élections ne sont pas plus “Joe le plombier”, symbole de “l’Américain moyen”, que les afro-américains qui font partie de la classe ouvrière américaine, mais bien plutôt la bourgeoisie américaine et ses représentants. Il est clair que les mêmes attaques incessantes vont continuer de s’abattre sur les ouvriers. La misère va ainsi continuer de s’aggraver inexorablement.
Obama n’a pas davantage été un candidat de la “paix”. Sa critique essentielle envers Bush porte sur l’enlisement en Irak et sur sa politique qui a laissé l’impérialisme américain incapable de répondre de façon appropriée aux défis posés à sa domination. Obama prévoit d’envoyer plus de troupes en Afghanistan et a clairement déclaré que les États-Unis devaient être prêts à répondre militairement à toute menace contre ses intérêts impérialistes. Il a été en outre très fortement critique par rapport à l’incapacité de l’administration Bush à répondre au niveau requis à l’invasion de la Géorgie par la Russie l’été dernier. Voilà quel champion de la paix il est !
Pendant les débats présidentiels, Obama a expliqué qu’il soutenait le renforcement de l’éducation aux États-Unis, parce qu’une force de travail bien éduquée était vitale pour une économie forte et qu’aucun pays ne peut rester une puissance dominante sans une économie forte. En d’autres mots, il voit les dépenses d’éducation comme une pré-condition à la domination impérialiste. Quel idéalisme !
Il n’y a donc rien à attendre pour la classe ouvrière de cette venue au pouvoir d’Obama. Pour la classe dominante, par contre, cette élection représente un succès presqu’au-delà de ses rêves les plus fous.
Elle a permis de ravaler la vieille façade de l’électoralisme et du mythe démocratique, qui avaient été mis à mal depuis 2000 et avaient conduit à un sentiment de désenchantement par rapport au “système” chez beaucoup de monde. L’euphorie post-électorale – comme les danses dans les rues pour saluer la victoire d’Obama – est un témoignage de l’étendue de la victoire politique de la bourgeoisie. L’impact de cette élection est comparable à la victoire idéologique qui est apparue immédiatement après le 11 septembre 2001. Tout de suite après, la bourgeoisie profitait d’une poussée d’hystérie nationaliste lançant la classe ouvrière dans les bras de l’État bourgeois. Aujourd’hui, l’espoir dans la démocratie et dans la magie du leader charismatique, fait plonger de larges secteurs de la population vers l’illusion de l’État protecteur. Au sein de la population noire, le poids de cette euphorie est particulièrement lourd ; il existe à présent une croyance largement répandue que la minorité opprimée a pris le pouvoir. Les médias bourgeois célèbrent même le dépassement par l’Amérique du racisme, ce qui est parfaitement faux et tout aussi ridicule. La population noire des États-Unis fait partie des secteurs les plus exploités et les plus désenchantés de la population.
Au niveau international, la bourgeoisie a bénéficié presque immédiatement d’une prise de distance de la nouvelle administration par rapport aux erreurs du régime de Bush sur la politique impérialiste et d’une ouverture opportune vers le rétablissement de l’autorité politique, de la crédibilité et du leadership de l’Amérique dans l’arène internationale.
Au niveau de la politique économique, les efforts de la nouvelle administration Obama pour mettre en oeuvre les nécessaires mesures capitalistes d’État afin de consolider le système d’oppression et d’exploitation vont se déployer à une échelle inégalée. Si dès aujourd’hui les gouverneurs de chaque État, comme de l’État fédéral, sont en train d’attaquer les services et les programmes sociaux à cause de la crise économique, Obama ne promet rien de mieux pour demain. Il est au contraire le premier avocat de la nécessité de soutenir ou renflouer... les plus grandes entreprises, les banques et les compagnies d’assurance, et de les faire financer par de plus grands sacrifices de... la classe ouvrière !
Malgré la griserie de son succès, consciente qu’elle ne pourra pas mettre en oeuvre les changements promis durant la campagne, la bourgeoisie développe déjà une campagne de façon à “tempérer l’enthousiasme”. On a ainsi pu entendre des propos soulignant que “Obama ne peut que remettre de l’ordre dans la politique catastrophique et malhonnête de Bush”, et qu’“il y a un héritage des erreurs du passé”, “le changement ne viendra pas immédiatement”, “les sacrifices seront nécessaires”...
Face à tout cela, nous devons rappeler les positions historiques de notre classe :
– la démocratie, c’est la dictature de la classe dominante ;
– la classe ouvrière doit se battre et s’organiser elle-même pour défendre ses propres intérêts ;
– seule la révolution communiste mondiale peut mettre fin à l’exploitation capitaliste et à son oppression.
L’euphorie actuelle ne peut être que de courte durée. Les programmes d’austérité que chaque État comme le gouvernement central vont devoir mettre en place appellent à un nécessaire développement de la lutte de classe. La faillite prévisible de l’administration Obama pour réaliser les “changements promis”, une amélioration des conditions de vie et un “programme plus social”, conduira inévitablement au désenchantement et à alimenter l’expression d’un mécontentement de classe plus fort.
Internationalism
organe du CCI aux États-Unis
(11 novembre 2008)
Cet article consacré aux luttes de 2007 cherche d’abord à montrer à quelles difficultés se heurtent les mouvements de grève actuels, d’où son titre, “De quelques illusions et de leur avenir”. Cette tonalité du titre trouve sa justification dans le fait que, selon les camarades : “Les mouvements de grèves dans les transports, dans les universités et les lycées ont donné lieu à une série d’illusions. Illusion qu’il serait souhaitable de pouvoir compter avec les syndicats et les médias. Illusion encore quand on croit possible de développer des luttes politiques offensives à l’intérieur d’un espace pseudo-démocratique qui n’est jamais que l’expression de la violence légale de l’Etat et de ses appareils.”
Cependant, Négatif ne
s’arrête pas à ce constat et s’efforce aussi de montrer la force
de ces mouvements et tout ce qui a pu constituer un pas en avant dans
l’évolution de la lutte de la classe ouvrière.
En effet, à côté des faiblesses que le mouvement a pu exprimer, Négatif constate immédiatement : “Pourtant, en même temps, nous voyons émerger d’autres principes, les nôtres, qui sont comme des promesses : le désir d’autonomie et la nécessité d’une auto-organisation.”, ou encore : “La volonté d’auto-organisation et d’autonomie par rapport aux partis et aux syndicats s’est accompagnée d’une tentative de mettre fin à la séparation et au corporatisme.”
Ce désir d’autonomie, cette rupture, en tant que tendance, existe bel et bien dans la situation. Le sentiment de solidarité, la volonté d’extension de la lutte et la défense du principe de l’auto-organisation, sans pouvoir bien entendu se déployer pleinement tout de suite, ont bien représenté des caractéristiques majeures de ces mouvements. Et ce sont les promesses de l’avenir. Car, selon la théorie marxiste dont nous nous revendiquons, le terme d’autonomie ne se réfère pas au fédéralisme des anarchistes mais se comprend dans le sens d’une autonomie de classe, c’est-à-dire d’une rupture par rapport à l’idéologie et aux institutions de la classe dominante.
Comme
l’analyse encore les camarades de Négatif : “En plusieurs endroits,
nous avons vu des étudiants aller dans les assemblées générales
des cheminots ou des travailleurs de la RATP, mais l’inverse a
été vrai aussi, dans le but de faire converger les luttes ; dans
certains cas, des actions communes comme le blocage des voies dans les
gares ont eu lieu. Des pratiques vivantes et autonomes s’esquissent
dans le brouillard ambiant, et la tentation d’auto-organisation face
aux politiques de régression sociale, pour ne pas dire face
à la réaction sociale, existe”. Ce qui était jusqu’alors
l’exception, des assemblées générales vivantes, réellement contrôlées
par les travailleurs eux-mêmes, sont apparues de façon significative
dans le mouvement. Ces assemblées générales prétendent décider
par elles-mêmes des revendications qui seront mises en avant et des
actions pour les faire aboutir. Trop longtemps contenue dans le corset
de fer syndical, la volonté de s’exprimer, de participer à toutes
les décisions et à toutes les discussions, jaillit ici et là, parfois
de façon spectaculaire. Si l’existence d’assemblées générales
vivantes s’est développée plus largement et plus facilement chez
les étudiants, comme lors du mouvement du printemps 2006 contre le
CPE, il n’empêche : il s’agit-là d’une tendance de fond de la
lutte de la classe ouvrière. Et comme le souligne Négatif, “par
ailleurs, les étudiants ne sont plus seulement des
étudiants, mais aussi déjà des travailleurs.”
Cette volonté d’extension et d’auto-organisation de la lutte représente dans les mouvements actuels le germe du futur et, inévitablement, elle a trouvé les syndicats en travers de son chemin. Sur cet aspect central, nous sommes également d’accord avec les camarades de Négatif : “Cette volonté de participation directe à la grève en prenant part aux décisions quant à la conduite du mouvement et à ses modalités sont une remise en cause des pratiques syndicales qui étaient jusqu’à présent dominantes (…) Les syndicats, en tant que bureaucraties parties prenantes de l’ordre établi et de l’administration des hommes sous le régime capitaliste, étaient déjà contre la révolution et l’émancipation sociale et politique. Maintenant plus personne ne peut ignorer qu’ils sont aussi contre la grève, sauf à parler en termes de simulacre et de simulation, ce que sont toujours les grèves d’une journée sans perspective appelées par les directions syndicales et qui, de ce fait, renvoient à la routine et la dépossession plutôt qu’à l’autonomie.” Toute la tactique des syndicats consiste à diviser, à cloisonner, à disperser les luttes en les concentrant sur les problèmes spécifiques du secteur et en se présentant comme des spécialistes irremplaçables dans les négociations. Mais, malgré toute leur habileté et le poids de la tradition qui pèse sur les ouvriers, ils finissent par apparaître pour ce qu’ils sont, des ennemis de classe, lorsqu’on examine de près leurs manœuvres.
S’ils voient avec clarté le rôle de saboteurs des syndicats (“Ainsi a-t-on pu voir la CGT, main dans la main avec la CFDT, FO et consorts pour négocier avec le gouvernement sur des bases qui n’avaient rien à voir avec les revendications défendues dans les AG souveraines à la SNCF ou à la RATP”), les camarades de Négatif tendent encore à se fixer sur la forme syndicale et doivent aller plus loin dans leur critique du contenu de l’action syndicale. C’est le cas notamment lorsque l’article oppose la base à la direction syndicale ou à la bureaucratie syndicale. D’autres passages qui présentent le syndicat comme “un appareil bureaucratique d’État” nous semblent beaucoup plus proches de la réalité. Mais identifier une base face à un sommet qui se serait autonomisé, cela veut dire d’abord continuer à confondre la classe et les syndicats, et surtout présenter ceux-ci comme une émanation des travailleurs. Le mouvement de classe peut être plus ou moins bien organisé, plus ou moins combatif, plus ou moins conscient, plus ou moins avancé dans son processus d’unification, mais il n’est jamais constitué d’une base et d’un sommet, ce que les ouvriers expriment par la révocabilité permanente des délégués dans les comités de grève dès que le mouvement prend de l’ampleur. Il doit être clair que les syndicats sont bel et bien une émanation directe de l’État et pas du mouvement lui-même. Il ne s’agit donc pas seulement, bien que cela soit nécessaire, de dénoncer les pratiques de la “bureaucratie” ou les “directions” syndicales, mais de rejeter les syndicats eux-mêmes.
L’article de Négatif s’attaque par ailleurs avec raison aux médias qui “finissent toujours par désamorcer un mouvement radical par intégration et par détournement de son sens initial, bloquant toute possibilité de communication vraie et donc d’expériences sociales et politiques réelles ou “réalisantes”.” Il est vrai que l’appel aux médias pour populariser la lutte est une illusion dangereuse qui est encore profondément ancrée, y compris chez des travailleurs qui pressentent déjà le rôle tenu par les syndicats. L’illusion que l’on pourrait faire appel aux médias pour “populariser” la lutte représente en effet un affaiblissement, jamais un renforcement, car ces appels se substituent à la recherche de la solidarité active et de l’extension dans les rangs des travailleurs eux-mêmes. Il se traduit de plus par l’insistance sur ce qui constitue la spécificité du secteur concerné et des problèmes rencontrés. “Se demander comment il serait possible de séduire les médias ou d’attirer leur attention”, comme le critiquent les camarades, est d’ailleurs une tactique syndicale éprouvée afin de pousser à l’isolement de la lutte car il s’agit là de mettre en avant ce qui est spécifique à telle entreprise, d’appuyer sur ce qui est particulier, et non ce qui concerne le plus grand nombre, facteur d’unité. C’est l’attirail classique des syndicats et il fait apparaître le partage des tâches réel qui existe entre les syndicats et les médias bourgeois, toujours prompts à jouer leur rôle de valets de l’Etat, quelle que soit la coloration des gouvernements en place.
Les camarades de Négatif continuent leur réflexion en remarquant à juste titre : “Ces assemblées générales souveraines de lutte ne se sont d’ailleurs pas seulement contentées de discuter de la réforme des régimes de retraite puisque, par endroit, il y a été aussi question du travail lui-même. Les grévistes ont donc aussi, même aux marges du mouvement, fait directement de la politique en s’emparant de la question économique d’habitude dévolue aux spécialistes et aux technocrates : pourquoi travaille-t-on, dans quel but et pour quel coût humain et écologique ?” Et ils opposent cette poussée vers une politisation, même si elle a été marginale, à la forme syndicale de la lutte : “Parcellaire et corporatiste, la lutte syndicale s’en tient le plus souvent à une défense des intérêts économiques des travailleurs, sans se préoccuper de la vie quotidienne dans sa totalité ni de l’institution d’un espace politique où il serait possible de repenser les problèmes politiques essentiels : la production et la reproduction de la vie humaine et son organisation.” Ils en arrivent ainsi à définir l’action syndicale principalement comme une tentative de maintenir le mouvement sur un terrain strictement économique. C’est vrai que les syndicats sont là pour cloisonner les luttes et donc, en particulier, ils font tout pour empêcher que les travailleurs raisonnent en termes politiques généraux. Cela ne signifie par pour autant que le syndicat assure la “défense économique des travailleurs”. Tout au contraire, il sabote à la fois le côté politique et le côté économique d’une lutte de classe qui s’affirme en fait comme une unité dialectique. La grande force des syndicats c’est précisément leur capacité à détruire cette unité. Malgré les discours, ils sont bien contre les grèves, y compris dans leur aspect revendicatif immédiat.
L’article de Négatif contient en fait la réponse à ce problème lorsqu’il pose la nécessité de la politisation de la lutte. C’est en effet à travers ce processus de politisation qu’on peut apprécier les avancées du mouvement général de la classe. Bien entendu, c’est la confrontation avec la classe dominante, l’existence de minorités plus combatives et plus conscientes, qui permettront à la grande masse des ouvriers de gagner en expérience et de développer leur conscience. Mais dans le cours de ce processus, il y a un facteur déterminant, c’est la capacité à élargir la lutte. Élargir la lutte cela signifie dépasser les divisions sectorielles (extension), prendre en mains la lutte avec une participation active du plus grand nombre (auto-organisation), cela signifie surtout élargir la vision qu’on a de la lutte, comprendre qu’il ne s’agit pas d’un problème lié à une entreprise, à un métier, ou encore à un pays, qu’il s’agit d’un problème social et international, en un mot un problème politique. Dans le cours de cette dynamique, il ne s’agit aucunement de nier la question des revendications immédiates (économiques si on veut), mais de la replacer dans un contexte plus large, plus politique.
En fait, l’avenir du combat prolétarien dépend complètement du processus de politisation qui s’y mène, de son rythme, de sa capacité ou non à le mener jusqu’au bout. L’article formule cette question de la façon suivante : “La tâche la plus urgente est à l’élargissement et à la politisation de la lutte sur des bases radicales. Mais à la radicalité des formes d’organisation doit répondre une nécessaire radicalité dans les formes d’action et dans la conception de l’organisation sociale et politique. La volonté d’autonomie ou d’auto-organisation et la référence de plus en plus appuyée à l’idée de la convergence des luttes pour l’émancipation sociale ne doivent pas masquer l’essentiel : la définition d’un contenu politique articulé avec des luttes politiques radicales réelles”.
Il reste à définir ce “contenu politique”. Par rapport au but de l’émancipation sociale : une société sans classes ni frontières nationales, sans marchandise et sans État, il est légitime que les camarades de Négatif se demandent, à travers l’analyse des obstacles mais aussi des avancées observés dans les dernières luttes, à quelle étape nous sommes dans le processus de politisation, en particulier par rapport à l’illusion qu’on pourrait réformer le capitalisme au profit des exploités, ou, tout au moins, obtenir des garanties. “Tout se passe comme si après les échecs des luttes contre la réforme des régimes de retraite en 2003, plus rien n’était possible, écrivent-ils. Et effectivement, il se pourrait que plus rien ne soit possible d’un point de vue réformiste.” Ou encore : “Les temps sont à l’actualisation et au renouvellement de la lutte pour la liberté et l’égalité sociale. C’est-à-dire à l’hypothèse révolutionnaire.”
La réflexion qui se mène actuellement au sein de la classe ouvrière est quelque chose de palpable. Elle s’exprime par les débats passionnés qui agitent des minorités déjà politisées aux quatre coins du monde, mais elle s’élargit à des cercles de plus en plus larges : Quel monde voulons-nous ? Une société sans classes est-elle possible ? Telles sont les questions qui reviennent et qui reflètent la tendance à la généralisation de la conscience dans la classe. Les camarades ont raison lorsqu’ils affirment que : “Pratiques sociales et contenus politiques ne se réélaboreront sans doute que dans le cadre d’espaces oppositionnels inédits où idées, pratiques et expériences circuleront et s’accumuleront parce que nous vivons une époque de ruptures importantes.”
La multiplication des lieux de discussion est inscrite dans la situation. C’est l’indice d’une profonde maturation souterraine à l’œuvre aujourd’hui au sein du prolétariat.
Avrom E.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/5/50/etats-unis
[2] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/elections-aux-etats-unis
[3] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-economique
[5] https://fr.internationalism.org/tag/5/52/amerique-centrale-et-du-sud
[6] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[7] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[8] https://www.contreinfo.info/
[9] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/barack-obama
[10] https://mail.google.com/mail/?view=att&th=11dda73ae6397495&attid=0.1&disp=attd&zw
[11] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/influence-gauche-communiste