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VI - Polémique au sein du milieu révolutionnaire

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Dans le milieu révolutionnaire, la polémique a de tous temps représenté une véritable tradition. Elle correspond au besoin impérieux appartenant aux origines mêmes du mouvement ouvrier de confronter et débattre publiquement des différences analyses et points de vue des organisations révolutionnaires afin de surmonter les divergences et de dégager des positions politiques les plus claires. C'est dans la polémique la plus âpre que sont nées les premières organisations du siècle dernier, comme les première et deuxième Internationales, et que s'est fondée la troisième Internationale, au coeur de la vague révolutionnaire qui a suivi Octobre 1917. Non seulement le CCI se réclame depuis sa constitution de cette tradition mais il n'a jamais dérogé à cette règle fondamentale. Les questions que doit résoudre le prolétariat, qu'il s'agisse de la défense de ses intérêts immédiats comme de la marche vers la révolution et l'instauration du communisme, ne sont pas académiques, elles sont vitales. Le mouvement de décembre 1995 a ainsi donné lieu à une série de polémiques entre les organisations du milieu révolutionnaire, en particulier le BIPR[1] et le PCI[2] et notre organisation.

Nous présentons ici celles que nous avons menées dans notre Revue Internationale. Il apparaît que ces deux organisations sont tombées, pour des raisons et à des niveaux différents, dans la même erreur consistant à prendre les vessies de la bourgeoisie pour des lanternes prolétariennes, c'est-à-dire à prendre cette cynique manoeuvre bourgeoise pour une expression de la lutte ouvrière. Cette erreur est la conséquence de graves faiblesses politiques résultant, de la part de BC, d'un cadre d'analyse insuffisant sur la question du cours historique et, en ce qui concerne le PCI, d'une position complètement erronée sur la nature de classe des syndicats dans la période actuelle.

 

[1] Bureau International Pour le Parti Révolutionnaire composé de Battaglia Comunista et de la CWO

 

[2] Parti Communiste International qui publie "Le Prolétaire"

Vie du CCI: 

  • Interventions [1]

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [3]
  • Battaglia Comunista [4]
  • Communist Workers Organisation [5]

La cécité du BIPR face aux manoeuvres de la bourgeoisie

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Chaque jour qui passe témoigne un peu plus de la barbarie sans nom dans laquelle s'enfonce le monde capitaliste.

 
  • "Plus que jamais, la lutte du prolétariat représente le seul espoir d'avenir pour la société humaine. Cette lutte, qui avait resurgi avec puissance à la fin des années 60, mettant un terme à la plus terrible contre-révolution qu'ai connue la classe ouvrière, a subi un recul considérable avec l'effondrement des régimes staliniens, les campagnes idéologiques qui l'ont accompagné et l'ensemble des événements (guerre du Golfe, guerre en Yougoslavie, etc.) qui l'ont suivi. C 'est sur les deux plans de sa combativité et de sa conscience que la classe ouvrière a subi, de façon massive, ce recul, sans que cela remette en cause toutefois, comme le CCI l'avait déjà affirmé à ce moment-là, le cours historique vers les affrontements de classe. Les luttes menées au cours des dernières années par le prolétariat sont venues confirmer ce qui précède. Elles ont témoigné, particulièrement depuis 1992, de la capacité du prolétariat à reprendre le chemin du combat de classe, confirmant ainsi que le cours historique n'avait pas été renversé. Elles ont témoigné aussi des énormes difficultés qu'il rencontre sur ce chemin, du fait de la profondeur et de l'extension de son recul. C'est de façon sinueuse, avec des avancées et des reculs, dans un mouvement en dents de scie que se développent les luttes ouvrières."[1] Les grèves et les manifestations ouvrières qui ont secoué la France à la fin de l'automne 1995 sont venues illustrer cette réalité : la capacité du prolétariat à reprendre le chemin du combat mais aussi les énormes difficultés qu'il rencontre sur ce chemin. Dans le précédent numéro de la Revue Internationale, nous avons déjà dégagé, à chaud, la signification de ces mouvements sociaux[2] :
 

L'importance de ce qui s'est passé en France à la fin 1995

 

Le fait que les mouvements sociaux de la fin de l'année 1995 en France soient fondamentalement le résultat d'une manoeuvre de la bourgeoisie ne saurait en atténuer l'importance ni signifier que la classe ouvrière est aujourd'hui une troupe de moutons à la merci de la classe dominante. En particulier, ces événements apportent un démenti cinglant à toutes les "théories" (relancées abondamment lors de l'effondrement des régimes staliniens) sur la "disparition" de la classe ouvrière ainsi qu'à leur variantes évoquant soit la "fin des luttes ouvrières", soit (c'est la version "de gauche" de ces théories) la "recomposition"de la classe sensée porter avec elle une atteinte majeure à ces luttes[3]. Ce témoignage des réelles potentialités de la classe à l'heure actuelle nous est apporté par le fait même de l'ampleur des grèves et des manifestations de novembre-décembre 1995 : des centaines de milliers de grévistes, plusieurs millions de manifestants. Cependant, on ne peut s'arrêter à ce simple constat : après tout, au cours des années 1930, on a assisté à des mouvements de très grande ampleur comme les grèves de mai-juin 1936 en France ou l'insurrection des ouvriers d'Espagne contre le coup d'Etat fasciste du 18 juillet de la même

 

Ce qui différencie fondamentalement les mouvements de la classe aujourd'hui de ceux des années 1930 c'est que ces derniers s'inscrivaient dans une longue suite de défaites de la classe ouvrière au lendemain de la vague révolutionnaire qui avait surgi au cours de la première guerre mondiale, des défaites qui avaient plongé le prolétariat dans la plus profonde contre-révolution de son histoire. Dans ce contexte de défaite physique et surtout politique du prolétariat, les manifestations de combativité de la classe avaient été facilement dévoyées par la bourgeoisie sur le terrain pourri de l'antifascisme, c'est-à-dire de la préparation de la seconde boucherie impérialiste. Nous ne reviendrons pas ici sur notre analyse du cours historique[4], mais ce qu'il s'agit d'affirmer clairement c'est que nous ne sommes pas aujourd'hui dans la même situation que dans les années 1930. Les mobilisations actuelles du prolétariat ne peuvent être en aucune façon des moments de la préparation de la guerre impérialiste mais prennent leur signification dans la perspective d'affrontements de classe décisifs contre le capitalisme plongé dans une crise sans issue.

 

Cela dit, ce qui confère une importance de premier plan aux mouvements sociaux de la fin de l'automne 1995 en France, ce n'est pas tant la grève et les manifestations ouvrières par elles-mêmes, que l'ampleur de la manoeuvre bourgeoise qui se trouve à leur origine. Bien souvent, on peut évaluer l'état réel du rapport de forces entre les classes, dans la façon dont agit la bourgeoisie face au prolétariat. En effet, la classe dominante dispose de multiples moyens pour évaluer ce rapport de forces : sondages d'opinion, enquêtes de police (par exemple, en France, c'est une des missions des Renseignements Généraux, c'est-à-dire de la police politique, que de " tâter le pouls " des secteurs de la population " à risque ", en premier lieu de la classe ouvrière). Mais l'instrument le plus important est constitué par l'appareil syndical qui est bien plus efficace encore que les sociologues des instituts de sondage ou que les fonctionnaires de police. En effet, cet appareil, dans la mesure où il a comme fonction de constituer l'instrument par excellence d'encadrement des exploités au service de la défense des intérêts capitalistes, où il dispose, en outre, d'une expérience de plus de 80 ans dans ce rôle, est particulièrement sensible à l'état d'esprit des travailleurs, à leur volonté et à leur capacité à engager des combats contre la bourgeoisie. C'est lui qui est chargé d'avertir en permanence les patrons et le gouvernement de l'importance du danger représenté par la lutte de classe. C'est d'ailleurs à cela que servent les rencontres périodiques entre les responsables syndicaux et le patronat ou le gouvernement : se concerter pour préparer ensemble la meilleure stratégie permettant à la bourgeoisie de porter ses attaques contre la classe ouvrière avec le maximum d'efficacité.

 

Dans le cas des mouvements sociaux de la fin de l'année 1995 en France, l'ampleur et la sophistication de la manoeuvre organisée contre la classe ouvrière suffisent, à elles seules, à souligner à quel point la lutte de classe, la perspective de combats ouvriers de grande envergure, constituent aujourd'hui pour la bourgeoisie une préoccupation centrale.

 

La manoeuvre de la bourgeoisie

 

L'article du précédent numéro de la Revue Internationale décrit par le détail les différents aspects de la manoeuvre et comment ont collaboré à celle-ci tous les secteurs de la classe dominante, depuis la droite jusqu'aux organisations d'extrême gauche. Nous nous contenterons ici d'en rappeler les éléments essentiels : (...)

 

Après trois semaines de grève, le gouvernement retire son "contrat de plan" dans les chemins de fer et des mesures contre les régimes de retraite des fonctionnaires : les syndicats crient victoire et parlent du "recul" du gouvernement ; malgré des résistances dans quelques centres "durs", les cheminots reprennent le travail, donnant le signal de la fin de la grève dans les autres secteurs.

 

Au total, grâce à ce prétendu "recul" prévu à l'avance, la bourgeoisie a remporté une victoire en faisant passer l'essentiel des mesures qui touchent tous les secteurs de la classe ouvrière comme l'augmentation des impôts et la réforme de la Sécurité Sociale, et même des mesures concernant spécifiquement les secteurs qui se sont mobilisés comme le blocage des salaires des agents de l'Etat. Mais la plus grande victoire de la bourgeoisie est politique : les travailleurs qui ont fait trois semaines de grève ne sont pas prêts à se relancer dans un mouvement de ce type lorsque pleuvront les nouvelles attaques.

 

De plus, et surtout, ces grèves et ces manifestations ont permis aux syndicats de redorer de façon considérable leur blason : alors qu'auparavant l'image qui collait aux syndicats en France était celle de la dispersion des luttes, des journées d'action poussives et de la division, ils sont apparus tout au long du mouvement (principalement les deux principaux d'entre eux : la CGT d'obédience stalinienne et Force Ouvrière dirigée par des socialistes) comme ceux sans qui rien n'aurait été possible, ni l'élargissement et l'unité du mouvement, ni l'organisation de manifestations massives, ni les prétendus "reculs" du gouvernement. Comme nous le disions dans l'article du précédent numéro de la Revue Internationale : "Cette re-crédibilisation des syndicats constituait pour la bourgeoisie un objectif fondamental, un préalable indispensable avant de porter les attaques à venir qui seront encore bien plus brutales que celles d'aujourd'hui. C'est à cette condition seulement qu 'elle peut espérer saboter les luttes qui ne manqueront pas de surgir au moment de ces attaques."

 

En fait, l'importance considérable que la bourgeoisie accorde à la re-crédibilisation des syndicats s'est confirmée amplement à la suite du mouvement, notamment dans la presse avec de nombreux articles soulignant le "come back" syndical. Il est intéressant de noter que dans une des feuilles confidentielles que se donne la bourgeoisie pour informer ses principaux responsables, on peut lire : "Un des signes les plus clairs de cette reconquête syndicale est la volatilisation des coordinations. Elles avaient été perçues comme le témoignage de la non-représentativité syndicale. Qu 'elles n'aient pas surgi cette fois montre que les efforts des syndicats pour mieux «coller au terrain» et restaurer un «syndicalisme de proximité» n'ont pas été vains."[5]. Et cette feuille se plaît à citer une déclaration, présentée comme "un soupir de soulagement ", d'un patron du secteur privé : "Nous avons enfin à nouveau un syndicalisme fort."

 

Les incompréhensions du milieu révolutionnaire

 

Le fait de constater que les mouvements de la fin 1995 en France résultent avant tout d'une manoeuvre très soigneusement élaborée et mise en place par tous les secteurs de la bourgeoisie ne constitue en aucune façon une quelconque remise en cause des capacités de la classe ouvrière à affronter le capital dans des combats de très grande ampleur, bien au contraire. C'est justement dans les moyens considérables mis en oeuvre par la classe dominante pour prendre les devants des combats futurs du prolétariat qu'on peut déceler à quel point celle-ci est préoccupée par cette perspective. Encore faut-il pour cela qu'on soit en mesure d'identifier la manoeuvre déployée par la bourgeoisie.

 

Malheureusement si cette manoeuvre n'a pu être démasquée par les masses ouvrières, et elle était suffisamment sophistiquée pour qu'il en soit ainsi, elle a également trompé ceux dont une des responsabilités essentielles est de dénoncer tous les coups fourrés que les exploiteurs portent contre les exploités : les organisations communistes.

 

Ainsi les camarades de Battaglia Comunista (BC) pouvaient-ils écrire, dans le numéro de décembre 1995 de leur journal : "Les syndicats ont été pris à contre-pied par la réaction décidée des travailleurs contre les plans gouvernementaux."

 

Et il ne s'agit pas là d'un jugement hâtif de BC résultant d'une information encore insuffisante puisque, dans le numéro de janvier 1996, BC revient à la charge avec la même idée : "Contre le plan Juppé, les employés du secteur public se sont mobilisés spontanément. Et c'est bien de rappeler que les premières manifestations des travailleurs se sont déroulées sur le terrain de la défense immédiate des intérêts de classe, prenant par surprise les organisations syndicales elles-mêmes, démontrant encore une fois que lorsque le prolétariat bouge pour se défendre contre les attaques de la bourgeoisie, il le fait presque toujours en dehors et contre les directives syndicales. Ce n 'est que dans une seconde phase que les syndicats français, surtout Force Ouvrière et la CGT, ont pris en marche le train de la protestation récupérant ainsi de leur crédibilité aux yeux des travailleurs. Mais l'implication aux apparences de radicalité de Force Ouvrière et des autres syndicats cachait de mesquins intérêts de la bureaucratie syndicale qu 'on ne peut comprendre que si l on connaît le système de protection sociale fronçais [où les syndicats, particulièrement Force Ouvrière, assurent la gestion des fonds, ce qui est justement remis en cause par le plan Juppé]".

 

C'est un peu la même thèse qu'on retrouve de la part de l'organisation-soeur de BC au sein du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire, la Communist Workers' Organisation (CWO). Dans sa revue Revolutionary Perspectives n° 1, 3e Série, on peut lire : "Les syndicats, particulièrement FO, la CGT et la CFDT[6] s'opposaient à ce changement. Cela aurait constitué un coup majeur porté contre les prérogatives des dirigeants syndicaux. Cependant, tous, à un moment ou à un autre, avant les annonces de Juppé, avaient soit accueilli favorablement le dialogue avec le Gouvernement, soit accepté la nécessité de nouveaux impôts. C'est seulement quand la colère ouvrière contre les dernières propositions est devenue claire que les syndicats ont commencé à se sentir menacés par plus important que la perte de leur contrôle sur des domaines financiers majeurs."

 

Dans l'analyse des deux groupes du BIPR, il existe toute une insistance sur le fait que les syndicats ne cherchaient qu'à défendre des "intérêts mesquins" en appelant à la mobilisation contre le plan Juppé sur la Sécurité Sociale. Même si les dirigeants syndicaux sont évidemment sensibles à leurs petits intérêts de boutique, une telle analyse de leur attitude revient à observer la réalité par le petit bout de la lorgnette. C'est comme si on interprétait les disputes dont sont coutumières les centrales syndicales uniquement comme manifestation de la concurrence entre elles sans y voir l'aspect fondamental : un des moyens par excellence de diviser la classe ouvrière. En réalité, ces "intérêts mesquins" des syndicats ne peuvent s'exprimer que dans le cadre de ce qui constitue leur rôle dans la société d'aujourd'hui : celui de pompiers de l'ordre social capitaliste, de flics de l'Etat bourgeois dans les rangs ouvriers. Et s'il leur faut renoncer à leurs "intérêts mesquins" et de boutique pour pouvoir tenir ce rôle, ils n'hésitent pas à le faire car ils ont un parfait sens des responsabilités dans la défense des intérêts du capital contre la classe ouvrière. En menant leur politique de la fin 1995, les dirigeants syndicaux savaient parfaitement qu'elle allait permettre à Juppé de faire passer son plan qui les privait de certaines de leurs prérogatives financières, mais ils avaient fait leur deuil de celles-ci au nom des intérêts supérieurs de l'Etat capitaliste. En fait, il est de loin préférable pour les appareils syndicaux de laisser croire qu'ils prêchent pour leur propre chapelle (ils pourront toujours se réfugier derrière l'argument que leur propre force contribue à celle de la classe ouvrière) plutôt que de se démasquer pour ce qu'ils sont réellement : des rouages essentiels de l'ordre bourgeois.

 

En réalité, si nos camarades du BIPR sont tout à fait clairs sur la nature parfaitement capitaliste des syndicats, ils commettent une sous-estimation considérable du degré de solidarité qui les lient à l'ensemble de la classe dominante et, notamment, de leur capacité à organiser avec le gouvernement et les patrons des manoeuvres destinées à piéger la classe ouvrière.

 

Ainsi, tant pour la CWO que pour BC, il existe l'idée, bien qu'avec des nuances[7], que les syndicats ont été surpris, voire débordés, par l'initiative de la classe ouvrière. Rien n'est plus contraire à la réalité. S'il existe un exemple depuis ces dix dernières années en France où les syndicats ont parfaitement prévu et contrôlé un mouvement social, c'est bien celui de la fin 1995. Plus, c'est un mouvement qu'ils ont suscité de façon systématique, avec la complicité du gouvernement, comme nous l'avons vu plus haut et analysé par le détail dans notre précédent article.

 

Et la meilleure preuve qu'il n'y avait aucun "débordement" ni aucune "surprise"pour la bourgeoisie et son appareil syndical, c'est la couverture médiatique que la bourgeoisie des autres pays a immédiatement donnée aux événements. Depuis longtemps, et particulièrement depuis les grandes grèves de Belgique qui, à l'automne 1983, avaient annoncé la sortie de la classe de la démoralisation et la désorientation qui avaient accompagné la défaite des ouvriers en Pologne, en 1981, la bourgeoisie s'est fait un devoir d'organiser au niveau international un black-out complet autour des luttes ouvrières. Ce n'est que lorsque ces luttes correspondent à une manoeuvre planifiée par la bourgeoisie, comme ce fut le cas en Allemagne au printemps 1992, que le black-out fait alors place à une profusion d'informations (orientées, évidemment). Dans ce cas déjà, les grèves du secteur public, et notamment dans les transports, avaient comme objectif de "présenter les syndicats, qui avaient systématiquement organisé toutes les actions, maintenant les ouvriers dans la plus grande passivité, comme les véritables protagonistes contre les patrons"[8].

 

Dans le cas des mouvements de la fin 1995 en France, on a assisté, de ce point de vue, à un "remake" de ce que la bourgeoisie avait fomenté en Allemagne trois ans et demi plus tôt En fait, l'intense bombardement médiatique qui a accompagné ces mouvements (même au Japon c'est de façon quotidienne que la télévision diffusait abondamment des images de la grève et des manifestations) ne signifie pas seulement que la bourgeoisie et ses syndicats les contrôlaient parfaitement et depuis le début, non seulement qu'ils avaient été prévus et planifiés par ces derniers, mais aussi que c'est à l'échelle internationale que la classe dominante avait organisé cette manoeuvre afin de porter un coup à la conscience de la classe ouvrière des pays avancés.

 

La meilleure preuve de cette réalité est la façon dont la bourgeoisie belge a manoeuvré à la suite des mouvements sociaux en France :

 
  • alors que les médias parlent à propos de la France d'un "nouveau mai 68", les syndicats lancent, fin novembre 1995, exactement comme en France, des mouvements contre les atteintes au secteur public, et particulièrement contre la réforme de la Sécurité Sociale ;
  • c'est alors que la bourgeoisie organise une véritable provocation en annonçant des mesures d'une brutalité inouïe dans les chemins de fer (SNCB) et les transports aériens (Sabena) ; comme en France, les syndicats se portent résolument au devant de la mobilisation dans ces deux secteurs présentés comme exemplaires, et les cheminots belges sont invités à faire comme leurs collègues français ;
  • la bourgeoisie fait alors mine de reculer ce qui est évidemment présenté comme une victoire de la mobilisation syndicale et qui permet le succès d'une grande manifestation de tout le secteur public, le 13 décembre, parfaitement contrôlée par les syndicats et où l'on note la présence d'une délégation de cheminots français de la CGT ; le quotidien De Morgen titre le 14 décembre : "Comme en France, ou presque" ;
  • deux jours plus tard, nouvelle provocation gouvernementale et patronale à la SNCB et à la Sabena où la direction annonce le maintien de ses mesures : les syndicats relancent des luttes "dures" (il y a des affrontements avec la police sur l'aéroport de Bruxelles bloqué par les grévistes) et essaient d'élargir la manoeuvre aux autres secteurs du public et aussi dans le privé où des délégations syndicales venues "apporter leur solidarité'' aux travailleurs de la Sabena affirment que "leur lutte constitue un laboratoire social pour l'ensemble des travailleurs" ;
  • finalement, début janvier, le patronat fait de nouveau mine de reculer en annonçant l'ouverture du "dialogue social", tant à la SNCB qu'à la Sabena, "sous la pression du mouvement" ; comme en France, le mouvement se solde par une victoire et une crédibilisation des syndicats.
 
 
 
 
 

Franchement camarades du BIPR, pensez-vous que cette remarquable ressemblance entre ce qui s'est passé en France et en Belgique était le fruit du hasard, que la bourgeoisie et ses syndicats n'avaient rien prévu à l'échelle internationale?

 

En réalité, l'analyse de la CWO et de BC témoigne d'une dramatique sous-estimation de l'ennemi capitaliste, de sa capacité de prendre les devants lorsqu'il sait que les attaques de plus en plus brutales qu'il sera conduit à porter contre la classe ouvrière provoqueront nécessairement de la part de celle-ci des réactions de grande envergure dans lesquelles les syndicats devront être mis abondamment à contribution pour la préservation de l'ordre bourgeois. La position prise par ces organisations donne l'impression d'une naïveté incroyable, d'une vulnérabilité déconcertante face aux pièges tendus par la bourgeoisie.

 

Cette naïveté, nous l'avions déjà constatée à plusieurs reprises, notamment de la part de BC. C'est ainsi que cette organisation, lors de l'effondrement du bloc de l'Est, était tombée dans le piège des campagnes bourgeoisies sur les perspectives souriantes que cet événement était sensé représenter pour l'économie mondiale[9]. Parallèlement, BC avait marché à fond dans le mensonge de la prétendue "insurrection" en Roumanie (en réalité un coup d'Etat permettant le remplacement par d'anciens apparatchiks à la Ion Iliescu d'un Ceausescu honni). A cette occasion, BC n'avait pas craint d'écrire : "La Roumanie est le premier pays dans les régions industrialisées dans lequel la crise économique mondiale a donné naissance à une réelle et authentique insurrection populaire dont le résultat a été le renversement du gouvernement en place (...) en Roumanie, toutes les conditions objectives et presque toutes les conditions subjectives étaient réunies pour transformer l'insurrection en une réelle et authentique révolution sociale.'' Camarades de BC, lorsqu'on est conduit à écrire de telles sottises, on doit essayer d'en tirer des leçons. En particulier, on se méfie un peu plus des discours de la bourgeoisie. Sinon, si l'on se laisse piéger par les trucs de la classe bourgeoise destinés à berner les masses ouvrières, comment peut-on se prétendre l'avant garde de celles-ci?

 

La nécessité d'un cadre d'analyse historique

 

En réalité, les bourdes commises par BC (tout comme la CWO qui, en 1981, appelait les ouvriers de Pologne à "La révolution maintenant !") ne sont pas réductibles à des caractéristiques psychologiques ou intellectuelles, la naïveté, de leurs militants. Il existe dans ces organisations des camarades expérimentés et d'une intelligence correcte. La véritable cause des erreurs à répétition de ces organisations, c'est qu'elles se sont systématiquement refusées à prendre en compte le seul cadre dans lequel on puisse comprendre l'évolution de la lutte du prolétariat : celui du cours historique aux affrontements de classe qui a succédé, à la fin des années 1960, à la période de contre-révolution.

 

Nous avons déjà, à plusieurs reprises mis en évidence cette grave erreur de BC à laquelle s'est ralliée la CWO[10].

 

En réalité, c'est la notion même de cours historique que BC remet en cause : "Quand nous parlons d'un «cours historique» c'est pour qualifier une période... historique, une tendance globale et dominante de la vie de la société qui ne peut être remise en cause que par des événements majeurs de celle-ci... En revanche, pour Battaglia, il s'agit d'une perspective qui peut être remise en cause, dans un sens comme dans l'autre, à chaque instant puisqu'il n'est pas exclu qu'au sein même d'un cours à la guerre il puisse intervenir «une rupture révolutionnaire»... la vision de Battaglia ressemble à une auberge espagnole : dans la notion de cours historique chacun apporte ce qu'il veut. On trouvera la révolution dans un cours vers la guerre comme la guerre mondiale dans un cours aux affrontements de classe. Ainsi chacun y trouve son compte : en 1981, le CWO appelait les ouvriers de Pologne à la révolution alors que le prolétariat mondial était supposé n'être pas encore sorti de la contre révolution. Finalement, c'est la notion de cours qui disparaît totalement ; voila où en arrive BC : éliminer toute notion d'une perspective historique... En fait, la vision de BC (et du BIPR) porte un nom : l'immédiatisme."[11]

 

C'est l'immédiatisme qui explique la "naïveté" de BC : hors d'un cadre historique de compréhension des événements, cette organisation en est conduite à croire ce que les médias bourgeois racontent à leur propos.

 

C'est l'immédiatisme qui permet de comprendre pourquoi, par exemple, en 1987-88 les groupes du BIPR, face aux luttes ouvrières, s'amusent à la balançoire entre un total scepticisme et un grand enthousiasme : la lutte de 1987 dans le secteur de l'école, en Italie, d'abord considérée par .BC sur le même plan que celle des pilotes d'avion ou des magistrats devient par la suite le début "d'une phase nouvelle et intéressante de la lutte de classe en Italie." A la même période, on peut voir la CWO osciller de la même façon face aux luttes en Grande-Bretagne.[12]

 

C'est le même immédiatisme qui fait écrire à BC de janvier 1996 que "La grève des travailleurs français, au delà de l'attitude opportuniste (sic) des syndicats, représente vraiment un épisode d'une importance extraordinaire pour la reprise de la lutte de classe". Pour BC, ce qui faisait cruellement défaut dans cette lutte, pour lui éviter la défaite, c'est un parti prolétarien. Si le parti qui, effectivement, devra être constitué pour que le prolétariat puisse réaliser la révolution communiste, devait s'inspirer de la même démarche immédiatiste que celle dont ne s'est pas départie, malgré toutes ses bourdes, le BIPR, alors, il faudrait craindre pour le sort de la révolution.

 

En fait, c'est justement en tournant fermement le dos à l'immédiatisme, en ayant la préoccupation constante de replacer les moments actuels de la lutte de classe dans leur contexte historique qu'on peut les comprendre et assumer un véritable rôle d'avant-garde de la classe. Ce cadre, c'est évidemment celui du cours historique, nous n'y reviendrons pas. Mais, plus précisément, c'est celui qui prévaut depuis l'effondrement des régimes staliniens à la fin des années 1980 et qui est sommairement rappelé au début de cet article.

 

C'est dès la fin de l'été 1989, deux mois avant la chute du mur de Berlin que le CCI s'est attelé à élaborer le nouveau cadre d'analyse permettant de comprendre l'évolution de la lutte de classe :

 
 
  • "C'est donc à un recul momentané de la conscience du prolétariat... qu'il faut s'attendre. Si les attaques incessantes et déplus en plus brutales que le capitalisme ne manquera pas d'asséner contre les ouvriers vont les contraindre à mener le combat, il n'en résultera pas, dans un premier temps, une plus grande capacité pour la classe à avancer dans sa prise de conscience. En particulier, l'idéologie réformiste pèsera très fortement sur les luttes de la période qui vient, favorisant grandement l'action des syndicats.
    Compte tenu de l'importance historique des faits qui le déterminent, le recul actuel du prolétariat, bien qu'il ne remette pas en cause le cours historique, la perspective générale aux affrontements de classe, se présente comme bien plus profond que celui qui avait accompagné la défaite de 1981 en Pologne."[13]
 

Par la suite, le CCI a été conduit à intégrer dans ce cadre les nouveaux événements de très grande importance qui se sont succédés : "Une telle campagne [sur la «mort du communisme» et le «triomphe» du capitalisme] a obtenu un impact non négligeable parmi les ouvriers, affectant leur combativité et leur conscience. Alors que cette combativité connaissait un nouvel essor, au printemps 1990, notamment à la suite des attaques résultant du début d'une récession ouverte, elle a été de nouveau atteinte par la crise et la guerre du Golfe. Ces événements tragiques ont permis de faire justice du mensonge sur le «nouvel ordre mondial» annoncé par la bourgeoisie lors de la disparition du bloc de l'Est sensé être le principal responsable des tension militaires (...) Mais en même temps, la grande majorité de la classe ouvrière des pays avancés, à la suite des nouvelles campagnes de mensonges bourgeois, a subi cette guerre avec un fort sentiment d'impuissance qui a réussi à affaiblir considérablement ses luttes. Le putsch de l'été 1991 en URSS et la nouvelle déstabilisation qu'il a entraînée, de même que la guerre civile en Yougoslavie, ont contribué à leur tour à renforcer ce sentiment d'impuissance. L'éclatement de l'URSS et la barbarie guerrière qui se déchaîne en Yougoslavie sont la manifestation du degré de décomposition atteint aujourd'hui par la société capitaliste. Mais, grâce à tous les mensonges assénés par ses médias, la bourgeoisie a réussi à masquer la cause réelle de ces événements pour en faire une nouvelle manifestation de la «mort du communisme», ou bien une question de «droit des peuples à disposer d'eux-mêmes» face auxquelles les ouvriers n'ont d'autre alternative que d'être des spectateurs passifs et de s'en remettre à la «sagesse» de leurs gouvernements. "[14]

 

En fait, la guerre en Yougoslavie, par son horreur, sa durée et par le fait qu'elle se déroulait tout près des grandes concentrations prolétariennes d'Europe occidentale a constitué un des éléments essentiels permettant d'expliquer l'importance des difficultés rencontrées par le prolétariat à l'heure actuelle. En effet, elle cumule (même si à un niveau moindre) les dégâts provoqués par l'effondrement du bloc de l'Est, des illusions et un désarroi important parmi les ouvriers, et ceux provoqués par la guerre du Golfe, un profond sentiment d'impuissance, sans pour autant apporter, comme cette dernière, une mise en évidence des crimes et de la barbarie des grandes "démocraties". Elle constitue une claire illustration de comment la décomposition du capitalisme, dont elle est aujourd'hui une des manifestations les plus spectaculaires, joue comme un obstacle de premier plan contre le développement des luttes et de la conscience du prolétariat.

 

Un autre aspect qu'il importe de souligner, notamment parce qu'il concerne l'arme par excellence de la bourgeoisie contre la classe ouvrière, les syndicats, c'est le fait qui était déjà signalé en septembre 1989 dans nos "thèses" : "l'idéologie réformiste pèsera très fortement sur les luttes dans la période qui vient, favorisant grandement l'action des syndicats". Cela découlait du fait, non pas que les ouvriers se faisaient encore des illusions sur "le paradis socialiste", mais que l'existence d'un type de société présenté comme " non capitaliste " semblait signifier qu'il pouvait exister autre chose sur terre que le capitalisme. La fin de ces régimes a été présenté comme "la fin de l'histoire" (terme utilisé très sérieusement par des "penseur" bourgeois). Dans la mesure où le terrain par excellence des syndicats et du syndicalisme est l'aménagement des conditions de vie du prolétariat dans le capitalisme, les événements de 1989, aggravés par toute la succession de coups portés à la classe ouvrière depuis, ne pouvaient qu'aboutir, comme on l'a constaté effectivement, à un retour en force des syndicats ; un retour en force célébré par la bourgeoisie lors des mouvements sociaux de la fin 1995.

 

En fait, cette remise en selle des syndicats ne s'est pas faite immédiatement. Ces organisations avaient amassé, tout au long des année 1980 notamment, un tel discrédit, du fait de leur contribution permanente au sabotage des luttes ouvrières, qu'il leur était difficile de revenir du jour au lendemain dans le rôle de défenseurs intransigeants de la classe ouvrière. Aussi, leur retour en scène s'est-il produit en plusieurs étapes au cours desquelles ils se sont de plus en plus présentés comme l'instrument indispensable des combats ouvriers.

 

Un exemple de ce retour en force progressif des syndicats nous est donné par l'évolution de la situation en Allemagne où, après les grandes manoeuvres dans le secteur public du printemps 1992, il y avait encore eu place pour les luttes spontanées, en dehors des consignes syndicales, de l'automne 1993, dans la Ruhr avant qu'au début 1995, les grèves dans la métallurgie ne les remettent beaucoup plus en selle. Mais l'exemple le plus significatif de cette évolution est celui de l'Italie. A l'automne 1992, l'explosion violente de colère ouvrière contre le plan Amato voit des centrales syndicales prises pour cible de cette même colère. Ensuite, un an plus tard, ce sont les "coordinations des conseils de fabrique", c'est-à-dire des structures du syndicalisme de base qui animent les grandes "mobilisations"de la classe ouvrière et les grandes manifestations qui parcourent le pays. Enfin, la manifestation "monstre" de Rome, au printemps 1994, la plus imposante depuis la seconde guerre mondiale, a constitué un chef d'oeuvre du contrôle syndical.

 

Pour comprendre ce retour en force des syndicats, il importe de souligner qu'il a été facilité et permis par le maintien de l'idéologie syndicale dont les syndicats "de base" ou "de combat" sont les ultimes défenseurs. En Italie, par exemple, ce sont eux qui ont animé la contestation des syndicats officiels (en apportant aux manifestations les oeufs et les boulons destinés aux bonzes) avant que d'ouvrir le chemin de la récupération syndicale de 1994 par leurs propres "mobilisations"de 1993. Ainsi, dans les combats à venir, après que les syndicats officiels se soient à nouveau discrédités du fait de leur indispensable travail de sabotage, la classe ouvrière devra encore s'attaquer au syndicalisme et à l'idéologie syndicaliste représentés par les syndicats de base qui ont si bien travaillé pour leurs grands frères au cours de ces dernières années.

 

Cela signifie que c'est encore un long chemin qui attend la classe ouvrière. Mais les difficultés qu'elle rencontre ne doivent pas être un facteur de démoralisation, particulièrement parmi ses éléments les plus avancés. La bourgeoisie, pour sa part, sait parfaitement quelles sont les potentialités que porte en lui le prolétariat. C'est pour cela qu'elle organise des manoeuvres comme celle de la fin 1995. C'est pour cela que, cet hiver, lors du colloque de Davos qui traditionnellement rassemble les 2000 "décideurs" les plus importants du monde dans le domaine économique et politique (et où participait Marc Blondel, chef du syndicat français Force Ouvrière) on a pu voir ces décideurs se préoccuper avec inquiétude de l'évolution de la situation sociale. C'est ainsi que parmi beaucoup d'autres, on a pu entendre des discours de ce genre : "Il faut créer la confiance parmi les salariés et organiser la coopération entre les entreprises afin que les collectivités locales, les villes et les régions bénéficient de la mondialisation. Sinon, nous assisterons à la résurgence de mouvements sociaux comme nous n'en avons jamais vus depuis la seconde guerre."[15]

 

Ainsi, comme les révolutionnaires l'ont toujours mis en évidence, et comme nous le confirme la bourgeoisie elle-même, la crise de l'économie capitaliste constitue le meilleur allié du prolétariat, celui qui lui ouvrira les yeux sur l'impasse du monde actuel et lui fournira la volonté de le détruire malgré les multiples obstacles que tous les secteurs de la classe dominante ne manqueront pas de semer sur son chemin.

 

"Revue Internationale" n°85 (2ème trimestre 1996)

 

 

[1] "Résolution sur la situation internationale [6]", IIe Congrès du CCI, point 14, Revue Internationale n° 82.

 

[2] Voir l'article tiré de la Revue Internationale n° 84 [7] au chapitre I de la présente brochure.

 

[3] Voir à ce sujet notre article "Le prolétariat est toujours la classe révolutionnaire [8]", Revue internationale n° 74.

 

[4] Voir à ce sujet : "Rapport sur le cours historique [9]" dans la Revue internationale n° 18.

 

[5] Supplément au bulletin Entreprise et personnel intitulé : "Le conflit social de fin 1995 et ses conséquences probables"

 

[6] C'est une erreur, la CFDT, syndicat social-démocrate d'origine chrétienne, approuvait le plan Juppé sur la Sécurité Sociale.

 

[7] I1 faut relever le ton moins optimiste de la CWO que celui de BC : "La bourgeoisie a tellement confiance dans le fait qu'elle va contrôler la colère des ouvriers que la Bourse de Paris est en hausse." Il faut ajouter que tout au long du mouvement le Franc s'est maintenu à son cours. Ce sont bien deux preuves que la bourgeoisie a accueilli ce mouvement avec une totale satisfaction. Et pour cause !

 

[8] Revue Internationale n° 70, "Face au chaos et aux massacres, seule la classe ouvrière peut apporter une réponse [10]".

 

[9] Voir dans la Revue Internationale n° 61 notre article "Le vent d'Est et la réponse des révolutionnaires [11]".

 

[10] Voir en particulier nos articles "Réponse à Battaglia Comunista sur le cours historique [12]" et "La confusion des groupes communistes sur la période actuelle : la sous-estimation de la lutte de classe [13]" dans la Revue Internationale n° 50 et 54.

 

[11] Revue Internationale n° 54.

 

[12] Voir à ce sujet notre article "Décantation du milieu politique prolétarien et oscillations du BIPR [14]", Revue Internationale n° 55.

 

[13] "Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est [15] ", Revue Internationale n° 60 et dans notre brochure "Effondrement du Stalinisme".

 

[14] "Seule la classe ouvrière internationale peut sortir l'humanité de la barbarie [16]", Revue Internationale n° 68.

 

[15] Rosabeth Moss Kanter, ancien directeur de la Harvard Business Review, citée par Le Monde Diplomatique de mars 1996.

Vie du CCI: 

  • Interventions [1]

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [3]

L’opportunisme du PCI sur la question syndicale le conduit à sous-estimer l'ennemi de classe

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mouvements sociaux de la fin 1995 présentées par le CCI, aussi bien dans la Revue internationale que dans sa presse territoriale et ses réunions publiques, ont rencontré majoritairement parmi ses lecteurs et ceux qui assistaient à ces dernières, intérêt et approbation. En revanche, elles n'ont pas été partagées par la plupart des autres organisations du milieu politique prolétarien.

Les analyses des groupes communistes

Dans le précédent numéro de la Revue, nous avons mis en évidence comment les deux organisations qui composent le BIPR, le CWO et Battaglia Comunista, s'étaient laissé piéger par la manoeuvre de la bourgeoisie en étant justement incapables d'identifier cette manoeuvre. Ces camarades, par exemple, ont reproché à notre analyse de conduire à l'idée que les ouvriers sont des imbéciles puisqu'ils se seraient laissés mystifier par les manoeuvres bourgeoises. Plus généralement, ils considèrent que, avec notre vision, la révolution prolétarienne serait impossible puisque les ouvriers seraient toujours les victimes des mystifications mises en oeuvre par la bourgeoisie. Rien n'est plus faux.
En premier lieu, le fait qu'aujourd'hui les ouvriers puissent se laisser piéger par des manoeuvres bourgeoises ne signifie pas qu'il en sera toujours ainsi.
L'histoire du mouvement ouvrier est pleine d'exemples où les mêmes ouvriers qui se laissaient embrigader derrière des drapeaux bourgeois ont été capables, par la suite, de mener des combats exemplaires, voire révolutionnaires. Ce sont les mêmes ouvriers russes et allemands qui, derrière leurs drapeaux nationaux s'étaient étripés les uns les autres à partir de 1914, se sont ensuite lancés dans la révolution prolétarienne en 1917, et avec succès, pour les premiers, et en 1918 pour les seconds, imposant à la bourgeoisie la fin de la boucherie impérialiste. L'histoire nous a appris, plus généralement, que la classe ouvrière est capable de tirer des enseignements de ses défaites, de déjouer les pièges dans lesquels elle était tombée antérieurement.
Et il revient justement aux minorités révolutionnaires, aux organisations communistes, de contribuer activement à cette prise de conscience de la classe, et en particulier de dénoncer de façon claire et déterminée les pièges tendus par la bourgeoisie.
Cest ainsi que, en juillet 1917, la bourgeoisie russe, a tenté de provoquer une insurrection prématurée du prolétariat de la capitale. La fraction la plus avancée de la classe ouvrière, le parti bolchevik, a identifié le piège et il est clair que, sans son attitude clairvoyante visant à empêcher les ouvriers de Petrograd de se lancer dans l'aventure, ces derniers auraient subi une défaite sanglante ce qui aurait coupé l'élan qui les a conduits à l'insurrection victorieuse d'Octobre.
En janvier 1919 (voir nos articles sur la révolution allemande dans la Revue), la bourgeoise allemande a réédité la même manoeuvre. Cette fois-ci, elle a réussi son coup : le prolétariat de Berlin, isolé, a été écrasé par les corps francs, ce qui a porté un coup décisif à la révolution en Allemagne et au niveau mondial. La grande révolutionnaire Rosa Luxemburg a été capable, avec la majorité de la direction du parti communiste nouvellement fondé, de comprendre la nature du piège tendu par la bourgeoisie. En revanche, son camarade Karl Liebknecht, pourtant aguerri par des années de militantisme révolutionnaire, notamment au cours de la guerre impérialiste, s'y est laissé prendre. Ce faisant, il a participé, grâce à son prestige, et malgré lui, à une défaite tragique de la classe ouvrière, qui lui a d'ailleurs coûté la vie comme à beaucoup de ses compagnons, y compris Rosa Luxemburg elle-même.
Mais même si cette dernière a tout fait pour mettre en garde le prolétariat et ses propres camarades contre le piège bourgeois, elle n'a jamais pensé que ceux qui s'y étaient laissé prendre étaient des "idiots". Au contraire, son dernier article, écrit à la veille de sa mort, "L'ordre règne à Berlin" insiste sur une idée essentielle : le prolétariat doit apprendre de ses défaites.
De même, en affirmant que les ouvriers de France ou de Belgique ont été victimes d'un piège tendu par la bourgeoisie, à la fin de l'année 1995, le CCI n'a jamais laissé entendre, ou pensé, que les ouvriers seraient des "idiots". En réalité, c'est tout le contraire qui est vrai. En effet, si la bourgeoisie s'est donnée la peine d'élaborer un piège particulièrement sophistiqué contre la classe ouvrière, un piège auquel ont contribué toutes les forces du capital, le gouvernement, les patrons, les syndicats et même les groupes gauchistes, c'est justement parce qu'elle ne sous-estime pas la classe ouvrière. Elle sait parfaitement que le prolétariat d'aujourd'hui n'est pas celui des années 1930, que contrairement à ce dernier, la crise économique, loin de l'enfoncer encore dans la démoralisation, ne peut que le conduire à des combats de plus en plus puissants et conscients.
En fait, pour comprendre la nature et la portée de la manoeuvre bourgeoise de la fin 1995 contre la classe ouvrière, il est nécessaire, au préalable, d'avoir reconnu que nous ne sommes pas à l'heure actuelle dans un cours historique dominé par la contre-révolution, dans lequel la crise mortelle du capitalisme ne peut aboutir qu'à la guerre impérialiste mondiale, mais dans un cours aux affrontements de classe. Une des meilleures preuves de cette réalité se trouve dans la nature des thèmes et des méthodes mis en avant par les syndicats dans cette récente manoeuvre.
Au cours des années 1930, les campagnes idéologiques de la gauche et des syndicats dominées par l'antifascisme, la "défense de la démocratie " et le nationalisme, c'est-à-dire des thèmes parfaitement bourgeois, ont réussi à dévoyer la combativité du prolétariat dans des impasses tragiques et à l'embrigader, ouvrant la porte à la boucherie impérialiste (le meilleur exemple en est donné par les grèves de juin 1936 en France et par la guerre civile en Espagne). Si, à la fin 1995, les syndicats ont été très discrets sur ce genre de thèmes, s'ils ont adopté au contraire un langage "ouvrier", proposant eux-mêmes des revendications et des "méthodes de lutte" classiques de la classe ouvrière, c'est qu'ils savaient parfaitement qu'ils ne pouvaient pas réussir une mobilisation massive derrière eux, redorer leur blason aux yeux des travailleurs, en se contentant de mettre en avant leurs discours habituels sur "l'intérêt national" et autres mystifications bourgeoises. Là où le drapeau national ou la défense de la démocratie pouvaient être efficaces dans l'entre-deux guerres pour mystifier les ouvriers, il faut maintenant des appels à "l'extension", à "l'unité de tous les secteurs de la classe ouvrière", à la tenue d'assemblées générales souveraines. Mais il faut bien constater que si les récents discours syndicaux ont réussi à tromper la grande majorité de la classe ouvrière, ils ont réussi également à tromper des organisations qui se revendiquent de la Gauche communiste.
Le meilleur exemple nous en est probablement donné par les articles publiés dans n°435 du journal Le Prolétaire, organe du Parti communiste international (PCI) qui publie en italien Il Comunista, c'est-à-dire un des nombreux PCI de la mouvance bordiguiste.
 

Les divagations du Prolétaire

Ce numéro du Prolétaire consacre plus de 4 pages sur 10 aux grèves de la fin 1995 en France.
On y donne beaucoup de détails sur les événements, et même des détails faux qui prouvent, soit que l'auteur était encore mal informé, soit, ce qui est plus probable, qu'il a pris ses désirs pour la réalité[1]. Mais le plus frappant dans ce numéro du Prolétaire c'est l'article de deux pages intitulé "Le CCI contre les grèves". Ce titre, déjà, en dit long sur la tonalité de l'ensemble de l'article. En effet, nous y apprenons, par exemple, que :
  • le CCI serait l'émule de Thorez, le dirigeant stalinien français, qui déclarait au lendemain de la seconde guerre que "la grève est l'arme des trusts" ;
  • qu'il s'exprime comme "n'importe quel jaune" ;
  • que nous sommes des "proudhoniens modernes" et des "déserteurs (souligné par Le Prolétaire) de la lutte prolétarienne".
Evidemment, le milieu parasitaire pour qui tout est bon pour dénigrer le CCI s'est immédiatement réjoui de cet article. En ce sens, Le Prolétaire apporte aujourd'hui sa petite contribution (volontaire ? involontaire ?) aux attaques actuelles de ce milieu contre notre organisation.
Evidemment, et nous l'avons toujours démontré dans notre presse, nous ne sommes pas contre les polémiques entre les organisations du milieu révolutionnaire. Mais la polémique, aussi véhémente soit-elle, veut dire que nous nous situons dans le même camp de la guerre de classe. Par exemple, nous ne polémiquons pas avec les organisations gauchistes ; nous les dénonçons comme des organes de la classe capitaliste, ce que le Prolétaire est incapable de faire puisqu'il définit un groupe comme Lutte Ouvrière, fleuron du trotskisme en France, comme "centriste". Ses pointes les plus acérées, Le Prolétaire les réserve aux organisations de la Gauche Communiste comme le CCI : si nous sommes des "déserteurs", c'est que nous avons trahi notre classe ; merci de nous l'apprendre. Merci également de la part des groupes parasites dont le leitmotiv est que le CCI serait passé au stalinisme et autres turpitudes. Il faudra quand même qu'un jour, le PCI sache dans quel camp il se trouve : dans celui des organisations sérieuses de la Gauche communiste, ou bien dans celui des parasites qui n'ont de raison d'être que de les discréditer au seul avantage de la classe bourgeoise.
Cela dit, si Le Prolétaire se propose de nous faire la leçon concernant nos analyses des grèves de la fin 1995, ce que démontre avant tout son article c'est :
  • son manque de clarté, pour ne pas dire son opportunisme, sur la question, essentielle pour la classe ouvrière, de la nature du syndicalisme ;
  • son ignorance crasse de l'histoire du mouvement ouvrier conduisant à une incroyable sous-estimation de la classe ennemie.

La question syndicale, talon d'Achille du PCI et du bordiguisme

Pour bien charger la barque, Le Prolétaire parle de "l'anti-syndicalisme de principe"du CCI. Ce faisant, il démontre que, pour le PCI, la question syndicale n'est pas une question "de principe". Le Prolétaire veut se montrer très radical en affirmant :
  • "Les appareils syndicaux sont devenus, à l'issue d un processus dégénératif accéléré par la victoire internationale de la contre-révolution, des instruments de la collaboration de classe" ; et encore plus : "si les grandes organisations syndicales se refusent obstinément à utiliser ces armes [les moyens de lutte authentiquement prolétarien], ce n 'est pas simplement à cause d'une mauvaise direction qu 'il suffirait de remplacer : des décennies de dégénérescence et de domestication par la bourgeoisie ont vidé ces grands appareils syndicaux des derniers restes classistes et les ont transformé en organes de la collaboration des classes, marchandant les revendications prolétariennes contre le maintien de la paix sociale... Ce fait suffit à montrer la fausseté de la perspective trotskiste traditionnelle de conquérir ou de reconquérir à la lutte prolétarienne ces appareils d agents professionnels de la conciliation des intérêts ouvriers avec les exigences du capitalisme. Par contre mille exemples sont là pour démontrer qu'il est tout à fait possible de transformer un trotskiste en bonze..."
En réalité, ce que le PCI met en évidence c'est son manque de clarté et de fermeté sur la nature du syndicalisme. Ce n'est pas ce dernier qu'il dénonce comme arme de la classe bourgeoise, mais tout simplement les "appareils syndicaux". Ce faisant, il ne réussit pas, malgré ses dires, à se dégager de la vision trotskiste : on peut maintenant trouver dans la presse d'un groupe comme Lutte Ouvrière le même type d'affirmations. Ce que Le Prolétaire, se croyant fidèle à la tradition de la Gauche communiste italienne, refuse d'admettre c'est que toute forme syndicale, qu'elle soit petite ou grande, légale et bien introduite dans les hautes sphères de l'Etat capitaliste ou bien illégale (c'était le cas de Solidarnosc pendant plusieurs années en Pologne, des Commissions Ouvrières en Espagne sous le régime franquiste) ne peut être autre chose qu'un organe de défense du capitalisme.
Le Prolétaire accuse le CCI d'être hostile "à toute organisation de défense immédiate du prolétariat". Ce faisant, il révèle soit son ignorance de notre position, soit, plus probablement, sa mauvaise foi. Nous n'avons jamais dit que la classe ouvrière ne devait pas s'organiser pour mener ses luttes. Ce que nous affirmons, à la suite du courant de la Gauche communiste que le bordiguisme couvre de son mépris, la Gauche allemande, c'est que, dans la période historique actuelle, cette organisation est constituée par les assemblées générales des ouvriers en lutte, des comités de grève désignés par ces assemblées et révocables par elles, des comités centraux de grève composés de délégués des différents comités de grève. Par nature, ces organisations existent par et pour la lutte et sont destinées à disparaître une fois que la lutte est achevée. Leur principale différence avec les syndicats c'est justement qu'elles ne sont pas permanentes et qu'elles n'ont pas l'occasion, de ce fait, d'être absorbées par l'Etat capitaliste.
C'est justement la leçon que le bordiguisme n'a jamais voulu tirer après des décennies de "trahison" de tous les syndicats, quelle que soit leur forme, leurs objectifs initiaux, les positions politiques de leurs fondateurs, qu'ils se disent " réformistes " ou bien "de lutte de classe", voire "révolutionnaires". Dans le capitalisme décadent, où l'Etat tend à absorber toutes les structures de la société, où le système est incapable d'accorder la moindre amélioration durable des conditions de vie de la classe ouvrière, toute organisation permanente qui se propose comme objectif la défense de celles-ci est destinée à s'intégrer dans l'Etat, à devenir un de ses rouages. Citer, comme le fait Le Prolétaire en espérant nous clouer le bec, ce que disait Marx des syndicats au siècle dernier est loin de suffire pour s'auto-accorder un brevet de "marxisme". Après tout, les trotskistes ne manquent pas de ressortir d'autres citations de Marx et d'Engels contre les anarchistes de leur époque pour attaquer la position que les bordiguistes partagent aujourd'hui avec l'ensemble de la Gauche communiste : le refus de participer au jeu électoral.
Cette façon de faire du Prolétaire ne démontre qu'une chose, c'est qu'il n'a pas compris un aspect essentiel du marxisme dont il se revendique : celui-ci est une pensée vivante et dialectique. Ce qui était vrai hier, dans la phase ascendante du capitalisme : la nécessité pour la classe ouvrière de former des syndicats, comme de participer aux élections ou bien de soutenir certaines luttes de libération nationale, ne l'est plus aujourd'hui, dans le capitalisme décadent. Prendre à la lettre des citations de Marx en tournant le dos aux conditions auxquelles elles s'adressent, en refusant d'appliquer la méthode de ce grand révolutionnaire, ne démontre que l'indigence de sa propre pensée. Mais le pire n'est pas cette indigence en elle-même, c'est qu'elle conduit à semer dans la classe des illusions sur la possibilité d'un "véritable syndicalisme", c'est qu'elle conduit tout droit à l'opportunisme. Et cet opportunisme, nous en trouvons des expressions dans les articles du Prolétaire lorsqu'il affiche la plus grande timidité pour dénoncer le jeu des syndicats :
  • "Ce que l'on peut et que l'on doit reprocher aux syndicats actuels..." Les révolutionnaires ne reprochent rien aux syndicats, comme ils ne reprochent pas aux bourgeois d'exploiter les ouvriers, aux flics de réprimer leurs luttes : ils les dénoncent.
  • "... les organisations à la tête du mouvement, la CGT et FO, qui selon toute vraisemblance avaient négocié dans la coulisse avec le gouvernement pour en finir..." Les dirigeants syndicaux ne "négocient" pas avec le gouvernement comme s'ils avaient des intérêts différents, ils marchent la main dans la main avec lui contre la classe ouvrière. Et ce n'est pas "selon toute vraisemblance" : c'est sûr ! Voilà ce qu'il est indispensable que sachent les ouvriers et que Le Prolétaire est incapable de leur dire.
Le danger de la position opportuniste du Prolétaire sur la question syndicale éclate enfin lorsqu'il écrit : "Mais si nous écartons la reconquête des appareils syndicaux, nous n'en tirons pas la conclusion qu'il faut rejeter le travail dans ces mêmes syndicats, pourvu que ce travail se fasse à la base, au contact des travailleurs du rang et non dans les instances hiérarchiques, et sur des bases classistes". En d'autres termes, lorsque de façon absolument saine et nécessaire des ouvriers écoeurés par les magouilles syndicales auront envie de déchirer leur carte, il se trouvera un militant du PCI pour accompagner le discours du trotskiste de service : "Ne faites pas cela, camarades, il faut rester dans les syndicats pour y faire un travail". Quel travail, sinon que celui de redorer un peu, à la base, le blason de ces organismes ennemis de la classe ouvrière ?
Car il n'y a pas d'autre choix :
  • ou bien on veut réellement mener une activité militante "sur des bases classistes", et alors un des points essentiels qu'il faut défendre est la nature anti-ouvrière des syndicats, pas seulement de leur hiérarchie, mais comme un tout ; quelle clarté le militant du PCI va-t-il apporter à ses camarades de travail en leur disant : "les syndicats sont nos ennemis, il faut lutter en dehors et contre eux maisje reste dedans" ?[2]
  • ou bien on veut rester " en contact " avec la " base " syndicale, " se faire comprendre par les travailleurs qui la composent, et alors on oppose " base " et " hiérarchie pourrie ", c'est-à-dire la position classique du trotskisme ; certes on fait alors " un travail ", mais pas " sur des bases classistes " puisqu'on maintient encore l'illusion que certaines structures du syndicat, la section d'entreprise par exemple, peuvent être des organes de la lutte ouvrière.
Nous voulons bien croire que le militant du PCI, contrairement à son collègue trotskiste, n'aspire pas à devenir un bonze. Il n'en aura pas moins fait le même "travail" anti-ouvrier de mystification sur la nature des syndicats.
Ainsi, l'application de la position du PCI sur la question syndicale a apporté, une nouvelle fois, sa petite contribution à la démobilisation des ouvriers face au danger que représentent les syndicats. Mais cette action de démobilisation face à l'ennemi ne s'arrête pas là. Elle éclate une nouvelle fois au grand jour quand le PCI se livre à une sous-estimation en règle de la capacité de la bourgeoisie à élaborer des manoeuvres contre la classe ouvrière.
 

La sous-estimation de l'ennemi de classe

Dans un autre article du Prolétaire, "Après les grèves de cet hiver, Préparons les luttes à venir" on peut lire ce qui suit : "Le mouvement de cet hiver montre justement que si, dans ces circonstances, les syndicats ont fait preuve d'une souplesse inhabituelle et ont laissé s'exprimer la spontanéité des grévistes les plus combatifs plutôt que de s'y opposer comme à leur habitude, cette tolérance leur a permis de conserver sans grandes difficultés la direction de la lutte, et donc de décider dans une très grande mesure de son orientation, de son déroulement et de son issue. Lorsqu'ils ont jugé que le moment était venu, ils ont pu donner le signal de la reprise, abandonnant en un clin d'oeil la revendication centrale du mouvement, sans que les grévistes ne puissent opposer aucune alternative. L apparence démocratique et basiste de la conduite de la lutte a même été utilisée contre les besoins objectifs du mouvement : ce ne sont pas les milliers d'AG quotidiennes des grévistes qui à elles seules pouvaient donner à la lutte la centralisation et la direction dont elle avait besoin, même si elles ont permis la compacité et la participation massive des travailleurs. Seules les organisations syndicales pouvaient pallier à cette carence et la lutte était donc suspendue aux mots d ordre et aux initiatives lancées centralement par les organisations syndicales et répercutées par leur appareil dans toutes les AG. Le climat d unité régnant dans le mouvement était tel que la masse des travailleurs non seulement n'a pas senti ni exprimé de désaccords avec l'orientation des syndicats (mis à part bien sûr les orientations de la CFDT) et leur direction de la lutte, mais a même considéré leur action comme l'un des facteurs les plus importants pour la victoire."
Ici, Le Prolétaire nous livre le secret de l'attitude des syndicats dans les grèves de la fin 1995. Peut être est-ce le résultat de sa lecture de ce que le CCI avait déjà écrit auparavant. Le problème, c'est que lorsqu'il faut tirer les enseignements de cette réalité évidente, Le Prolétaire, dans le même article, nous dit que ce mouvement est "le plus important du prolétariat français depuis la grève générale de mai-juin 68", qu'il salue sa "force" qui a imposé "un recul partiel du gouvernement". Décidément, la cohérence de la pensée n'est pas le fort du Prolétaire. Faut-il rappeler que l'opportunisme aussi la fuit comme la peste, lui qui essaye en permanence de concilier l'inconciliable ?
Pour notre part, nous avons conclu que ce mouvement qui n'a pu empêcher le gouvernement de faire passer ses principales mesures anti-ouvrières et qui a aussi bien réussi à redorer le blason des syndicats, comme le montre très clairement Le Prolétaire, ne s'est pas fait contre la volonté des syndicats ou du gouvernement, mais qu'il a été voulu par eux justement pour atteindre ces objectifs.
Le Prolétaire nous dit que le trait de ce mouvement qui "doit devenir un acquis pour les luttes futures, a été la tendance générale à s'affranchir des barrières corporatistes et des limites d'entreprises ou d'administrations et à s'étendre à tous les secteurs". C'est tout à fait vrai. Mais le seul fait que se soit avec la bénédiction, ou plutôt, bien souvent, sous l'impulsion directe des syndicats, que les ouvriers aient reconquis des méthodes vraiment prolétariennes de lutte, ne constitue nullement une avancée pour la classe ouvrière à partir du moment où cette conquête est associée pour la majorité des ouvriers à l'action des syndicats. Ces méthodes de lutte, la classe ouvrière était, tôt ou tard destinée à les redécouvrir, au long de toute une série d'expériences. Mais si cette découverte s'était faite à travers la confrontation ouverte contre les syndicats, cela aurait porté un coup mortel à ces derniers alors qu'ils étaient déjà fortement discrédités et cela aurait privé la bourgeoisie d'une de ses armes essentielles pour saboter les luttes ouvrières. Aussi, il était préférable, pour la bourgeoisie, que cette redécouverte, quitte à ce qu'elle intervienne plus vite, soit empoisonnée et stérilisée par les illusions syndicalistes.
Le fait que la bourgeoisie ait pu manoeuvrer d'une telle façon dépasse l'entendement du Prolétaire :
  • "A en croire le CCI «on» (sans doute TOUTE LA BOURGEOISIE) est extraordinairement rusé : pousser «les ouvriers» (c'est ainsi que le CCI baptise tous les salariés qui ont fait grève) à entrer en lutte contre les décisions gouvernementales afin de contrôler leur lutte, de leur infliger une défaite et de faire passer plus tard des mesures encore plus dures, voilà une manoeuvre qui aurait sans doute stupéfié Machiavel lui-même.
Les proudhoniens modernes du CCI vont plus loin que leur ancêtre puisqu 'ils accusent les bourgeois de provoquer la lutte ouvrière et de lui faire remporter la victoire pour détourner les ouvriers des vrais solutions : ils se frapperaient eux-mêmes pour éviter d'être frappés. Attendons encore un peu et nous verrons dans la lanterne magique du CCI les bourgeois organiser eux-mêmes la révolution prolétarienne et la disparition du capitalisme dans le seul but d'empêcher les prolétaires de la faire."[3]
Le Prolétaire se donne sûrement l'illusion d'être très spirituel. Grand bien lui fasse ! Le problème c'est que ses tirades dénotent avant tout la totale vacuité de son entendement politique. Alors, pour sa gouverne, et pour qu'il ne meure pas complètement idiot, nous nous permettons de rappeler quelques banalités :
  • 1° Il n'est pas nécessaire que toute la bourgeoisie soit "extraordinairement rusée" pour que ses intérêts soient bien défendus. Pour exercer cette défense, la classe bourgeoise dispose d'un gouvernement et d'un Etat (mais peut être que Le Prolétaire ne le sait pas) qui définit sa politique en s'appuyant sur les avis d'une armée de spécialistes (historiens, sociologues, politologues,... et dirigeants syndicaux). Qu'il existe encore aujourd'hui des patrons qui pensent que les syndicats sont les ennemis de la bourgeoisie, cela ne change rien à la chose : ce ne sont pas eux qui sont chargés d'élaborer la stratégie de leur classe comme ce ne sont pas les adjudants qui conduisent les guerres.
  • 2° Justement, entre la bourgeoisie et la classe ouvrière il existe une guerre, une guerre de classe. Sans qu'il soit nécessaire d'être un spécialiste des questions militaires, n'importe quel être doté d'une intelligence moyenne et d'un peu d'instruction (mais est-ce le cas des rédacteurs du Prolétaire ?) sait que la ruse est eue arme essentielle des années. Pour battre l'ennemi, il est en général nécessaire de le tromper (sauf à disposer d'une supériorité matérielle écrasante).
  • 3° L'arme principale de la bourgeoisie contre le prolétariat, ce n'est pas la puissance matérielle de ses forces de répression, c'est justement la ruse, les mystifications qu'elle est capable d'entretenir dans les rangs ouvriers.
  • 4° Même si Machiavel a, en son temps, jeté les bases de la stratégie bourgeoise pour la conquête et l'exercice du pouvoir aussi bien que dans l'art de la guerre, les dirigeants de la classe dominante, après des siècles d'expérience, en savent maintenant beaucoup plus que lui. Peut-être les rédacteurs du Prolétaire pensent ils que c'est le contraire. En tout cas, ils feraient bien de se plonger un tout petit peu dans les livres d'histoire, particulièrement celle des guerres récentes et surtout celle du mouvement ouvrier. Ils y découvriraient que le machiavélisme que les stratèges militaires sont capables de mettre en oeuvre dans les conflits entre fractions nationales de la même classe bourgeoise n'est encore rien à côté de celui que celle-ci, comme un tout, est capable de déployer contre son ennemi mortel, le prolétariat.
  • 5° En particulier, ils découvriraient deux choses élémentaires i que provoquer des combats prématurés est une des armes classiques de la bourgeoisie contre le prolétariat et que dans une guerre, les généraux n'ont jamais hésité à sacrifier une partie de leurs troupes ou de leurs positions pour mieux piéger l'ennemi, en lui donnant, éventuellement, un sentiment illusoire de victoire. La bourgeoisie ne fera pas la révolution prolétarienne à la place du prolétariat pour l'empêcher de la faire. En revanche, pour l'éviter, elle est prête à des prétendus "reculs", à des apparentes "victoires" des ouvriers.
  • 6° Et si les rédacteurs du Prolétaire se donnaient la peine de lire les analyses classiques de la Gauche communiste, ils apprendraient enfin qu'un des principaux moyens avec lesquels la bourgeoisie a infligé au prolétariat la plus terrible contre-révolution de son histoire a été justement de lui présenter comme des "victoires" ses plus grandes défaites : la "construction, du socialisme en URSS", les "Front populaires", la "victoire contre le fascisme".
Alors on ne peut dire qu'une chose aux rédacteurs du Prolétaire : il faut recommencer votre copie. Et avant, il faut essayer de réfléchir un peu et de surmonter votre ignorance affligeante. Les phrases bien tournées et les mots d'esprit ne suffisent pas pour défendre correctement les positions et les intérêts de la classe ouvrière. (...)
oOo
Ainsi, c'est bien à l'échelle mondiale que la bourgeoisie met en oeuvre sa stratégie face à la classe ouvrière. L'histoire nous a appris que toutes les oppositions d'intérêt entre les bourgeoisies nationales, les rivalités commerciales, les antagonismes impérialistes pouvant conduire à la guerre, s'effacent lorsqu'il s'agit d'affronter la seule force de la société qui représente un danger mortel pour la classe dominante, le prolétariat. C'est de façon coordonnée, concertée que les bourgeoisies élaborent leurs plans contre celui-ci.
Aujourd'hui, face aux combats ouvriers qui se préparent, la classe dominante devra déployer mille pièges pour tenter de les saboter, les épuiser et les défaire, pour faire en sorte qu'ils ne permettent pas une prise de conscience par le prolétariat des perspectives ultimes de ces combats, la révolution communiste. Rien ne serait plus tragique pour la classe ouvrière que de sous-estimer la force de son ennemi, sa capacité à mettre en oeuvre de tels pièges, à s'organiser à l'échelle mondiale pour les rendre plus efficaces. Il appartient aux communistes de savoir les débusquer et de les dénoncer aux yeux de leur classe. S'ils ne savent pas le faire, ils ne méritent pas ce nom.
"Revue Internationale" n°86
(3ème trimestre 1996)

[1] Un des exemples frappants de cette réécriture des faits est la façon dont est rapportée la reprise du travail à la fin de la grève : celle-ci n'aurait commencé que près d'une semaine après l'annonce du "recul" du gouvernement, ce qui est faux.
[2] C'est vrai que les bordiguistes ne sont pas à une contradiction près : vers la fin des années 1970, alors que s'était développée en France une agitation parmi les ouvriers immigrés, il était courant de voir des militants du PCI expliquer aux immigrés éberlués qu'ils devaient revendiquer le droit de vote afin de pouvoir... s'abstenir. Plus ridicule qu'un bordiguiste, tu meurs ! C'est vrai aussi que lorsque des militants du CCI ont essayé d'intervenir dans un rassemblement d'immigrés pour y défendre la nécessité de ne pas se laisser enfermer dans des revendications bourgeoisies, ceux du PCI ont prêté main forte aux maoïstes pour les en chasser...
[3] Il faut noter que le n° 3 de L'esclave salarié (ES), bâtard parasitaire de l'ex-Ferment Ouvrier Révolutionnaire, nous donne une interprétation originale de l'analyse du CCI sur la manoeuvre de la bourgeoisie : "Nous tenons à féliciter le cci [ES trouve très spirituel d'écrire en minuscules les initiales de notre organisation] pour sa remarquable analyse qui nous laisse béats d'admiration et nous nous demandons comment cette élite pensante fait pour infiltrer la classe bourgeoise et en retirer de telles informations sur ses plans et ses pièges, C 'est à se demander si le cci n 'est pas invité aux rendez-vous de la bourgeoisie et à l'étude de ses menées anti-ouvrières concoctées dans le secret et les rites de la franc-maçonnerie." Marx n'était pas franc-maçon et il n'était pas invité aux rendez-vous de la bourgeoisie mais il a consacré une grande partie de son activité militante à étudier, élucider et dénoncer les plans et les pièges de la bourgeoisie. Il faut croire que les rédacteurs de l'ES n'ont jamais lu Les luttes de classe en France ou La guerre civile en France, Ce serait logique de la part de gens qui méprisent la pensée, laquelle n'est pas le monopole d'une "élite". Franchement, il n'était pas nécessaire d'être franc-maçon pour découvrir que les grèves de la fin 1995 en France résultaient d'une manoeuvre bourgeoise ; il suffisait d'observer de quelle façon elles étaient présentées et encensées par les médias dans tous les pays d'Europe et d'Amérique, et jusqu'en Inde, en Australie et au Japon, C'est vrai que la présence dans ces pays de sections ou de sympathisants du CCI lui a facilité son travail, mais la véritable cause de l'indigence politique de ES ne réside pas dans sa faible extension géographique. Ce qui est provincial, chez lui, c'est avant tout son intelligence politique, provinciale... et "minuscule".

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