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Revue Internationale no 23 - 4e trimestre 1980

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Grève de masse en Pologne 1980: une nouvelle brèche s'est ouverte

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  • "La grève de masse n'est ni fabriquée artificiellement, ni décidée et propagée dans un éther immatériel. Elle est un phénomène historique résultant, à un certain moment, d'une situation sociale à partir d'une nécessité historique".
    R. Luxemburg. (Grève de masse, Parti et syndicats)

Une brèche s'est ouverte dans l'histoire qui ne se refermera plus : sous les yeux du monde entier, la classe ouvrière en Pologne a ouvert le glacis de l'Est pour rejoindre la lutte de classe de tous les ouvriers. Comme en 1905 en Russie, ce mouvement est sorti des profondeurs du prolétariat; son caractère de classe est sans équivoque. La grève de masse en Pologne par son ampleur, par sa dimension historique, par sa voix résolument ouvrière marque l'évènement le plus important depuis le réveil de la lutte de classes en 1967-68.

La portée de cet évènement dépasse de loin les jalons encore hésitants de mai 68 en France. A l'époque de ce grand coup de tonnerre marquant la fin de la période de la contre-révolution et le début d'une nouvelle période de bouleversements-sociaux, le potentiel du mouvement ouvrier restait encore flou. D'autres parlaient à la place de la classe ouvrière, comme les étudiants par exemple, qui sentaient viscéralement l'écroulement de toutes les valeurs d'une société encaissant sourdement les premières secousses de la crise mais qui ne pouvaient apporter de solutions. A l'Est, la Tchécoslovaquie de 68 était à l'image de l'époque : un mouvement où la classe ouvrière n'a pas tenu directement la scène, un mouvement nationaliste dominé par une fraction du Parti au pouvoir, un "Printemps de Prague" de "revendications démocratiques" sans lendemain. Bien que le mouvement de Pologne en 70 ait fait preuve d'une plus grande maturité du prolétariat, il est resté peu connu et limité.

Aujourd'hui, par contre, la crise économique du système est une réalité quotidienne ressentie dans la chair des ouvriers, donnant ainsi aux évènements de Pologne 80 une toute autre dimension : c'est un pays entier embrasé par le feu d'une grève de masse, par l'auto organisation généralisée des ouvriers. C'est la classe ouvrière qui a tenu le devant de la scène, débordant le cadre de la défense économique pour se poser, malgré des faiblesses, sur le terrain social .En réagissant aux effets de la crise économique, les ouvriers en Pologne viennent de faire l'éclatante démonstration du fait que le monde est un -tous les gouvernements du monde quelle que soit leur couverture idéologique, pataugent dans la crise, demandent des sacrifices aux exploités. La lutte de Pologne 80 est la meilleure preuve que le monde n'est pas divisé en deux systèmes différents, mais que le capitalisme sous une forme ou une autre règne partout à travers l'exploitation des travailleurs. Les grèves en Pologne donnent un immense coup, qui se révélera irréversible, à la crédibilité devant la classe de la mystification stalinienne et pro-stalinienne sur les "Etats ouvriers" et le "socialisme" à l'Est. Chaque fois que les ouvriers en lutte se heurteront n'importe où dans le monde aux chaînes idéologiques et physiques du stalinisme, on se souviendra de la voix ouvrière de Gdansk. Et la brèche ne fera que s'élargir. Les évènements de Pologne ne peuvent être compris que dans le cadre de la crise du capitalisme (cf. dans ce numéro l'article sur "La crise dans les pays de l'Est") et comme partie intégrante d'une reprise internationale des luttes ouvrières.

A l'Ouest, depuis plusieurs années, la lutte de classes a surgi avec plus de vigueur, confirmant la combativité intacte de la classe ouvrière : la grève de la sidérurgie en Grande-Bretagne, la lutte des dockers à Rotterdam, Longwy-Denain en France, les combats au Brésil en sont les exemples les plus frappants.
A l'Est, les évènements récents font partie de toute une agitation ouvrière qui se développe depuis plusieurs mois, notamment la grève générale qui a paralysé la ville de Lublin en Pologne en juillet 1980 et les récentes grèves en URSS (celle des conducteurs d'autobus à Togliattigrad qui a reçu l'appui des ouvriers des usines automobiles). Ces éléments apportent un démenti catégorique à tous ceux qui propageaient le mythe que la classe ouvrière est à jamais écrasée à l'Est et que toute lutte de classes y est impossible.
Nous voyons aujourd'hui des signes incontestables d'une réaction généralisée de plus en plus vive aux manifestations de la crise mondiale. Dans ce sens, les grèves en Pologne marquent un pas immense pour la reprise internationale de la lutte prolétarienne, pour la démonstration de cette unité fondamentale de la condition et de la solution ouvrière.

C'EST LA NAISSANCE DE NOTRE FORCE.
LE PROLETARIAT ET LES ANTAGONISMES INTER-IMPERIALISTES

Que la reprise internationale des luttes de la classe ouvrière trouve son point culminant dans un pays de l'Est, a une signification toute particulière pour le prolétariat. Celui-ci vient de vivre toute une période de battage intense de la part de la bourgeoisie occidentale sur le danger de guerre qui viendrait du bloc de l'Est, seul "belliciste" face à un bloc de l'Ouest "pacifique". A ce niveau, la leçon est énorme et apporte un démenti cinglant aux mensonges d'un bloc guerrier, homogène et uni, contre lequel il serait nécessaire de se mobiliser, toutes classes confondues, pour éviter d'autres Afghanistan. En se soulevant, le prolétariat polonais est venu jeter le trouble dans ce choix monstrueux que la bourgeoisie s'ingénue à présenter comme le seul choix possible, celui d'un camp impérialiste contre un autre. Les ouvriers en Pologne ont remis au premier plan le seul véritable choix par-delà les frontières nationales: OUVRIERS CONTRE PATRONS, PROLETARIAT CONTRE CAPITAL.

La bourgeoisie de tous les pays a senti cette menace ouvrière; face à la lutte de classes qui tend à rompre le cadre de la société capitaliste, en mettant à nu l'antagonisme prolétariat-bourgeoisie, la classe capitaliste -au plus chaud des évènements- a fait preuve d'une espèce de solidarité internationale qui étonne les non-avertis. Contrairement à la Hongrie 56 ou même à la Tchécoslovaquie 68 où la bourgeoisie du bloc de l'Ouest a profité de la situation pour tenter de gagner un nouveau point d'appui, on a vu cette fois-ci l'édifiant spectacle de tous les gouvernements du monde -à l'Est comme à l'Ouest- apportant chacun leur "seau d'eau" pour éteindre le feu ouvrier. Les crédits que l'occident offre à la Pologne à travers la pression faite sur les banques allemandes et le Fond Monétaire International et l'argent envoyé par les syndicats occidentaux, les crédits accordés par la Russie. Les voilà tous autour de la "mère malade" essayant de faire en sorte que l'endettement colossal de la Pologne n'empêche pas celle-ci d'accorder des miettes à la classe ouvrière pour pouvoir calmer le mouvement. Tous n'ont qu'un seul but : maintenir le statuquo face au danger prolétarien et sa tendance à faire tache d'huile... On ne peut pas connaître tous les détails de la diplomatie secrète mais les lettres "personnelles" de Giscard et Schmidt à Gierek, de Président à Président, les coups de téléphone, les consultations Carter-Brejnev, montrent la préoccupation commune que les ouvriers en Pologne ont suscité chez l'ennemi de classe.

Dans ce sens, les évènements de Pologne ne font que confirmer une loi historique fondamentale de ce monde divisé en classes antagoniques. Quand les mutineries des marins en Allemagne 1918, suite à l'exemple de la révolution russe, ont fait peur à la bourgeoisie des deux côtés des tranchées, celle-ci a dû arrêter la guerre pour ne pas risquer l'effondrement de tout son système. De même, la lutte décidée et organisée des ouvriers en Pologne contre l'austérité, même si elle n'a pas été insurrectionnelle, a repoussé provisoirement la question des conflits inter-impérialistes à l'arrière-plan en mettant la question sociale au premier plan. Ces facteurs inter-impérialistes ne disparaissent pas et ne sont mis à l'écart que provisoirement puisque la pression de la classe ouvrière est encore sporadique et pas suffisamment mûrie pour permettre un affrontement décisif. Mais ces évènements constituent la preuve la plus nette que le potentiel de résistance de la classe ouvrière représente aujourd'hui le seul frein efficace à la guerre. Contrairement à ce que clament la gauche et autres sur la prétendue nécessité de battre d'abord le camp impérialiste qui se trouve en face ("l'ennemi n°1") pour ensuite engager la lutte sociale (souvenons-nous du battage autour de la guerre du Vietnam dans les années 60), les évènements de Pologne montrent que seule la solidarité prolétarienne dans la lutte peut faire reculer les menaces de guerre.

LA BOURGEOISIE CEDE

Un acquis de ce mouvement qui ne s'effacera pas est le fait que la lutte ouvrière peut faire reculer la bourgeoisie à l'échelle internationale et nationale et établir un rapport de forces en sa faveur. La classe ouvrière n'est pas démunie devant la force répressive de son exploiteur, elle peut paralyser la main de la répression par la généralisation rapide du mouvement.

Il est clair que les ouvriers en Pologne ont tiré beaucoup d'enseignements de leurs expériences précédentes de 1956, 70 et 76. Mais, contrairement à ces luttes et notamment à celles de Gdansk, Gdynia et Szczecin en 1970 où les émeutes dans la rue ont constitué l'aspect le plus marquant, la lutte de 1980 des ouvriers en Pologne a consciemment évité les affrontements prématurés. Ils n'ont pas laissé de morts. Ils ont senti que leurs forces résident avant tout dans la généralisation de la lutte, dans l'organisation de la solidarité.

Il ne s'agit pas d'opposer "la rue" à "l'usine" car elles font partie toutes deux de la lutte de la classe ouvrière mais il faut comprendre que "la rue" (sue ce soient des manifestations ou des bagarres) et "l'occupation de l'usine" comme lieu de repère et non de "prison" ne sont des moyens efficaces pour la lutte que si la classe prend le combat en ses propres mains en généralisant la lutte au-delà des divisions des catégories du travail et en s'organisant de façon décidée. C'est en cela que réside notre force et non pas en une exaltation morbide de la violence en soi. Contrairement aux légendes des situationnistes à propos de "brûler et piller les supermarchés" ou des bordiguistes sur "la terreur rouge" de Nosferatu, la lutte a franchi aujour­d'hui une étape en dépassant le stade des explosions de colère. Et ceci, non pas parce que les ouvriers en Pologne seraient devenus sous la pression du KOR pacifistes. A Gdansk, Szczecin et ailleurs, les ouvriers ont organisé immédiatement des groupes de défense contre toute répression éventuelle. Ils ont su juger quelles étaient les armes adéquates à leur lutte dans le moment présent. Il n'y a évidemment pas de recette valable en toute circonstance, mais la preuve est faite que c'est l'extension rapide du mouvement qui a paralysé l'Etat. On a beaucoup parlé du danger "des chars russes".

En réalité, les armées russes ne sont jamais intervenues directement en Pologne, que ce soit à Poznań en 1956 ou pendant les mouvements de 70 et 76. Ceci ne veut pas dire que l'Etat russe n'enverra pas en dernière instance l'équivalent "des marines" américains si le régime risque de sombrer.

Mais aujourd'hui, nous ne sommes pas dans la période de la "guerre froide" (comme en Allemagne de l'Est en 1953) où la bourgeoisie avait les mains libres face à un soulèvement isolé. Ce n'est pas non plus une insurrection historiquement prématurée et noyée (comme ce fut le cas pour la Hongrie 1956) ni un mouvement nationaliste tendant à s'ouvrir vers le bloc rival (Tchécoslovaquie 1968). La lutte des ouvriers en Pologne 1980 se situe dans une époque de potentialité du mouvement ouvrier dans tous les pays, à l'Est comme à l'Ouest. Et malgré la situation militaire et stratégique de la Pologne, l'Etat russe doit faire très attention. Il n'était pas possible de faire face à la lutte dès le départ par un massacre des ouvriers. D'autant plus qu'en 1970, en Pologne, c'est la réponse aux premières répressions brutales qui avait déclenché la généralisation immédiate des luttes. Face à un mouvement ouvrier de la taille de 1980, la bourgeoisie a cédé; la classe ouvrière a senti sa force, prenant confiance en elle-même.

POLOGNE 1980 NOUS MONTRE LE CHEMIN

Partant des mêmes causes qui provoquent les mouvements de grèves ouvrières -la révolte contre les conditions de vie- les ouvriers en Pologne,  mobilisés au début contre la pénurie et la hausse des prix des produits alimentaires, notamment la viande, ont étendu le mouvement par des grèves de solidarité, refusant les injonctions du gouvernement pour négocier usine par usine, secteur par secteur et déjouant ainsi le piège auquel se heurte de façon répétée la lutte ouvrière dans tous les pays depuis quelques années. Car au-delà des septicités des attaques du capitalisme contre la classe ouvrière (ici, licenciements massifs, inflation; là, rationnement des biens de consommation, également inflation), ce sont les mêmes problèmes fondamentaux qui sont posés à l'ensemble du prolétariat, quelles que soient les modalités de l'austérité, quelle que soit la bourgeoisie nationale qu'il trouve en face de lui. Et la lutte des ouvriers en Pologne ne peut servir véritablement à ses frères de classe que si tous ses enseignements, peu à peu sont assimilés.

En 1979, en France, les ouvriers de la sidérurgie se sont mobilisés spontanément et violemment contre l'Etat capitaliste qui venait de décréter une vague de licenciements. Il a fallu deux mois aux syndicats pour parvenir à enrayer les possibilités d'extension du mouvement -en faisant cesser notamment les grèves dans la région parisienne- et faire rentrer les ouvriers dans le cadre capitaliste et légaliste de la négociation des licenciements. L'organisation de la lutte laissée aux mains des organes de base des syndicats, l'extension limitée au seul secteur de la sidérurgie, la violence ouvrière dévoyée en opérations "coups de poing" nationalistes, tels ont été les obstacles rencontrés par la classe ouvrière et qui ont permis à la bourgeoisie de démobiliser la combativité ouvrière et de mettre en œuvre, finalement, ses plans.

En 1980, en Grande-Bretagne, sous la poussée générale des ouvriers, les syndicats de base -les shop-stewards- prennent l'initiative des comités de grève. Alors que des licenciements massifs (plus de 40.000) se profilent, les revendications sont limitées à des augmentations de salaire; alors que d'autres secteurs de la classe ouvrière sont prêts à bouger, la "généralisation" est noyée vers la seule sidérurgie privée, moins combative. Il faudra néanmoins trois mois pour parvenir à démobiliser les ouvriers... les trois mois de stocks à écouler prévus par la bourgeoisie.

Dans ces grèves, la classe ouvrière fait l'expérience à la fois de sa force, mais aussi des impasses du corporatisme et de la spécialisation de ses revendications par secteur ou par usine, de la stérilité de "l'organisation" syndicale. Le mouvement en Pologne, par son caractère massif, par sa rapidité, son extension au-delà des catégories et des régions, confirme non seulement la nécessité mais la possibilité d'une généralisation et d'une auto-organisation de la lutte allant au-delà des expériences précédentes de la classe ouvrière, apportant une réponse à celles-ci.

Les syndicalistes de tous bords nous disent : "Sans syndicats, il n'y a pas de lutte possible, sans syndicats, la classe ouvrière est atomisée". Voilà que les ouvriers en Pologne apportent un démenti retentissant à ce mensonge. Les ouvriers en Pologne n'ont jamais été aussi forts, parce qu'ils possédaient leurs propres organisations nées de la lutte, avec des délégués élus et révocables à tout instant .C'est seulement lorsqu'ils se sont tournés vers les chimères des syndicats libres qu'ils ont été amenés à se remettre dans le carcan de l'ordre capitaliste en reconnaissant le rôle suprême de l'Etat, du parti communiste dans l'Etat et le Pacte de Varsovie (Protocol de Gdansk). Les évènements de Pologne nous montrent le potentiel contenu dans toutes les luttes actuelles et qui jaillirait s'il n’y avait pas des amortisseurs sociaux, les syndicats et les partis de la "démocratie" bourgeoise pour le contenir et le désamorcer.

LES EVENEMENTS

  • "La grève de masse est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants... Tantôt, elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux, tantôt, elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt, elle se perd dans la terre".
    R. Luxemburg. (Grève de masse, Parti et syndicats)

La faiblesse économique du capitalisme à l'Est oblige celui-ci à mener une politique d'austérité brutale contre la classe ouvrière. N'ayant pas la capacité d'échelonner les effets de la crise mondiale en s'attaquant à la classe ouvrière graduellement, jour après jour, paquet par paquet, industrie par industrie comme l'a fait jusqu'à présent la bourgeoisie à l'Ouest, la bourgeoisie de l'Est, ne pouvant tricher à l'infini avec la loi de la valeur, a soulevé contre elle, par sa politique dirigiste, le mécontentement accumulé des ouvriers. La rigidité du capitalisme d'Etat à l'Est  pousse l'Etat à fixer les prix alimentaires; en les augmentant brutalement, faisant baisser d'un seul coup le niveau de vie de la classe ouvrière, l'Etat polonais a suscité contre lui (et ce malgré les différences de salaire pratiquées par le régime selon les secteurs professionnels) une réponse ouvrière homogène. Cette unité de la bourgeoisie derrière son Etat à l'Est est aussi une réalité économique et politique à l'Ouest qui est masquée par une myriade de patrons privés dans des secteurs apparemment séparés. En fait, tout ce que la rigidité du système stalinien rend plus évident et plus facile à comprendre le sera aussi à l'Ouest à la suite des dures expériences de la classe ouvrière. Les évènements de Pologne participent de cette expérience. Le vrai visage de la décadence du système capitaliste sera partout dénué de son masque "démocratique" et libéral".

Le 1er juillet 1980, à la suite de fortes augmentations sur le prix de la viande, des grèves éclatent à Ursus (banlieue de Varsovie) dans l'usine de tracteurs qui s'est trouvée au cœur de la confrontation avec le pouvoir en juin 1976, ainsi qu'à Tczew dans la région de Gdansk. A Ursus, les ouvriers s'organisent en assemblées générales, rédigent un cahier de revendications, élisent un comité de grève. Ils résistent aux menaces de licenciements et de répression et vont débrayer à de nombreuses reprises pour soutenir le mouvement.
Entre le 3 et le 10 juillet, l'agitation se poursuit à Varsovie (usines de matériel électrique, imprimerie), à l'usine d'aviation de Swidnick, à l'usine d'automobiles de Zeran, à Lodz, à Gdansk. Un peu partout, les ouvriers forment des comités de grève. Leurs revendications portent sur des augmentations de salaires et l'annulation de la hausse des prix. Le gouvernement promet des augmentations: 10 % d'augmentation en moyenne (souvent : 20 %) accordées généralement plus aux grévistes qu'aux non-grévistes afin de calmer ( !) le mouvement.
A la mi-juillet, la grève gagne Lublin. Les cheminots, les transports puis l'ensemble des industries de cette ville arrêtent le travail. Leurs revendications : élections libres aux syndicats, sécurité garantie aux grévistes, maintien de la police hors des usines, et des augmentations de salaires.

Le travail reprend dans certaines régions mais des grèves éclatent ailleurs. Krasnik, l'aciérie Skolawa Wola, la ville de Chelm (près de la frontière russe), Wroclaw sont touchées durant le mois de juillet par la grève; le département K1 du chantier naval de Gdansk à débrayé, également le complexe sidérurgique de Huta-Varsovie. Partout les autorités cèdent en accordant des augmentations de salaires. Selon le "Financial Times", le gouvernement a établi au cours du mois de juillet un fond de quatre milliards de zlotys pour payer ces augmentations. Des agences officielles sont priées de rendre disponible immédiatement de la "bonne" viande pour les usines qui débrayent. Vers la fin juillet, le mouvement semble refluer; le gouvernement pense avoir stoppé le mouvement en négociant au coup par coup, usine par usine. Il se trompe.
L'explosion ne fait que couver comme le montre début août la grève des éboueurs de Varsovie (qui a duré une semaine). Le 14 août, le renvoi d'une militante des Syndicats libres provoque l'explosion d'une grève au chantier Lénine à Gdansk. L'assemblée générale dresse une liste de 11 revendications; les propositions sont écoutées, discutées, votées. L'assemblée décide l'élection d'un comité de grève mandaté sur les revendications : y figurent la réintégration des militants, l'augmentation des allocations sociales, l'augmentation des salaires de 2000 zlotys (salaire moyen : 3000 à 4500 zlotys), la dissolution des syndicats officiels, la suppression des privilèges de la police et des bureaucrates, la construction d'un monument en l'honneur des ouvriers tués par la milice en 1970, la publication immédiate des informations exactes sur la grève ! La direction cède sur la réintégration de Anna Walentynowisz et de Lech Walesa, ainsi que sur la proposition de faire construire un monument. Le comité de grève rend compte de son mandat devant les ouvriers l'après-midi et les informe sur les réponses de la direction. L'assemblée décide la formation d'une milice ouvrière; l'alcool est saisi. Une seconde négociation avec la direction reprend. Les ouvriers installent un système de sonorisation pour que toutes les discussions puissent être entendues. Mais bientôt on installe un système qui permet aux ouvriers réunis en assemblée de se faire entendre dans la salle des négociations. Des ouvriers saisissent le micro pour préciser leurs volontés. Pendant la plus grande partie de la grève, et ce jusqu'au dernier jour avant la signature du compromis, des milliers d'ouvriers interviennent du dehors pour exhorter, approuver ou renier les discussions du comité de grève. Tous les ouvriers licenciés du chantier naval depuis 1970 peuvent revenir à leurs postes. La direction cède sur les augmentations de salaire et garantit la sécurité aux grévistes.

Le 15 août, la grève générale paralyse la région de Gdansk. Les chantiers navals "La commune de Paris" à Gdynia débrayent. Les ouvriers occupent les lieux et obtiennent 2100 zlotys d'augmentation immédiatement. Ils refusent cependant de reprendre le travail car "Gdansk doit gagner aussi". Le mouvement à Gdansk a eu un moment de flottement : des délégués d'atelier hésitent à aller plus loin et veulent accepter les propositions de la direction des ouvriers venus d'autres usines de Gdansk et de Gdynia les convainquent de maintenir la solidarité. On demande l'élection de nouveaux délégués plus à même d'exprimer le sentiment général. Les ouvriers venus de partout forment à Gdansk un comité inter-entreprises dans la nuit du 15 août et élaborent un cahier de revendications (21).
Le comité de grève compte 400 membres, 2 représentants par usine; ce nombre atteindra 800 à 1000 quelques jours plus tard. Des délégations font le va et vient entre leurs entreprises et le comité de grève central, utilisant parfois des cassettes pour rendre compte de la-discussion. Les comités de grève dans chaque usine se chargent de revendications spécifiques, l'ensemble se coordonne. Le comité d'usine des chantiers Lénine comporte 12 ouvriers, un par atelier, élus à main levée après débat. Deux sont envoyés au comité de grève central inter-entreprise et rendent compte de tout ce qui se passe 2 fois par jour.

Le 16 août, toutes les communications téléphoniques avec Gdansk sont coupées par le gouvernement. Le comité de grève nomme un Présidium où prédominent des partisans des syndicats libres et des oppositionnels. Les 21 revendications diffusées le 16 août commencent avec un appel pour la reconnaissance des syndicats libres et indépendants et du droit de grève. Et ce qui était le point 2 des 21 revendications est passé à la 7ème place : 2000 zlotys pour tous.

Le 18 août dans la région de Gdansk-Gdynia-Sopot, 75 entreprises sont palysées.I1 y a environ 100.000 grévistes; on signale des mouvements à Szczecin et à Tarnow à 80 km au sud de Cracovie. Le comité de grève organise le ravitaillement : des entreprises d'électricité et d'alimentation travaillent à la demande du comité de grève. Les négociations piétinent, le gouvernement se refuse à parler avec le comité inter-entreprise. Les jours suivants, viennent des nouvelles de grèves à Elblag, à Tczew, à Kołobrzeg et dans d'autres villes. On estime que 300.000 ouvriers sont en grève le 20 août. Le bulletin du comité de grève du chantier Lénine "Solidarité" est quotidien; des ouvriers de l'imprimerie aident à publier des tracts et les publications.

Le 26 août, les ouvriers réagissent avec prudence aux promesses du gouvernement, restent indifférents aux discours de Gierek. Ils refusent de négocier tant que les lignes téléphoniques sont coupées à Gdansk.

Le 27 août, des laissez-passer" pour Gdansk venant du gouvernement à Varsovie sont donnés aux dissidents pour se rendre auprès des grévistes en tant "qu'experts", pour calmer ce monde à l'envers. Le gouvernement accepte de négocier avec le Présidium du comité de grève central et reconnaît le droit de grève. Des négociations parallèles ont lieu à Szczecin à la frontière de la RDA. Le cardinal Wyszynski lance un appel à l'arrêt de la grève; des extraits passent à la télévision. Les grévistes envoient des délégations à l'intérieur du pays pour chercher la solidarité.

Le 28 août, les grèves s'étendent, elles touchent les usines de cuivre et de charbon en Silésie dont les ouvriers ont le niveau de vie le plus élevé du pays. Les mineurs, avant même de discuter de la grève et d'établir des revendications précises déclarent qu'ils quitteront le travail immédiatement "si on touche à Gdansk". Ils se mettent en grève "pour les revendications de Gdansk". Trente usines sont en grève à Wroclaw, à Poznań (les usines qui ont commencé le mouvement en 1956), aux aciéries de Nowa-Huta et à Rzeszois, la grève se développe. Des comités interentreprises se forment par région. Ursus envoie des délégués à Gdansk. Au moment de l'apogée de la généralisation, Walesa déclare : "Nous ne voulons pas que les grèves s'étendent parce qu'elles pousseraient le pays au bord de l'effondrement. Nous avons besoin du calme pour conduire les négociations". Les négociations entre le Présidium et le gouvernement deviennent privées; la sonorisation est de plus en plus "en panne" aux chantiers. Le 29 août, les discussions techniques entre le gouvernement et le Présidium aboutissent à un compromis : les ouvriers auront des syndi­cats libres à condition qu'ils acceptent :

  • 1)        le rôle suprême du parti dirigeant ;
    2)        la nécessité de soutenir l'appartenance de l'Etat polonais au bloc de l'Est ;
    3)        que les syndicats libres ne jouent pas un rôle politique.

L'accord est signé le 31 août à Szczecin et à Gdansk. Le gouvernement reconnaît de syndicats "autogérés" comme dit son porte- parole : "la nation et l'Etat ont besoin d'une classe ouvrière bien organisée et consciente". Deux jours après, les 15 membres du Présidium donnent leurs démissions aux entreprises où ils travaillent et deviennent des permanents des nouveaux syndicats. Ensuite, ils seront obligés de nuancer leurs positions, des salaires de 8000 zlotys ayant été annoncés pour eux; cette information a été démentie par la suite face au mécontentement des ouvriers.
Il avait fallu plusieurs jours pour que ces accords puissent être signés. Des déclarations d'ouvriers de Gdansk les montrent moroses, méfiants, déçus. Certains, en apprenant que l'accord ne leur apporte que la moitié des augmentations déjà obtenues le 16 août crient : "Walesa, tu nous a vendus". Beaucoup d'ouvriers ne sont pas d'accord avec le point reconnaissant le rôle du parti et de l'Etat.

La grève des mines de charbon de la Haute Silésie et des mines de cuivre durent jusqu'au 3 septembre pour que les accords de Gdansk s'étendent à tout le pays. Pendant le mois de septembre, les grèves continuent : à Kielce, à Bialystok parmi les ouvrières de la filature de coton, dans le textile, dans les mines de sel en Silésie, dans les transports à Katowice. Un mouvement de la taille de l'été 80 ne s'arrête pas d'un seul coup. Les ouvriers essaient de généraliser les acquis qu'ils croient discerner, de résister à la retombée de la lutte. On sait que Kania va visiter les chantiers de Gdynia avant même ceux de Gdansk parce que les ouvriers de ces chantiers semblent avoir été les plus radicaux. Mais de leurs discussions, comme de celles dans des centaines d'autres endroits, on n'a que le silence de la presse qui s'est focalisée uniquement sur Gdansk. Il faut attendre avant de pouvoir mesurer toute la richesse réelle qui va bien au-delà de ces quelques points de chronologie assez succincts.

Dans cette marche difficile et douloureuse vers l'émancipation de la classe ouvrière, s'inscrivent la grève de masse en Pologne, la créativité de millions de travailleurs, la réflexion et la conscience devenues concrètes, la solidarité. Pour nous tous, ces ouvriers ont pu, du moins pendant un grand moment, respirer l'air de l'émancipation, vivre la solidarité, sentir le souffle de l'histoire. Cette classe ouvrière si méprisée et humiliée a montré la voie à tous ceux qui espèrent confusément briser la prison du monde bourgeois en les ralliant à ce qui seul vit dans cette société moribonde : la force des ouvriers conscients. A ceux qui croient corriger l'erreur de Lénine e "Que faire ?" suivant laquelle la conscience lente du dehors de la classe, en disant, comme le PCI -bordiguiste- que la classe n'existe pas sans le parti, les ouvriers en Pologne donnent un nouveau démenti.

En Pologne, comme partout ailleurs, et plus encore qu'ailleurs, la classe ouvrière doit bouillonner de discussions; en son sein doivent se cristalliser des cercles politiques qui donneront naissance aux organisations des révolutionnaires. Au fur et à mesure qu'elle se développe, la lutte pose à la classe avec de plus en plus d'acuité les questions essentielles de son combat historique et pour la réponse desquelles elle• engendre ses organisations politiques. La grève des ouvriers en Pologne illustre une fois de plus que celles-ci ne sont pas une condition des luttes mais qu'elles ne se développent vraiment que comme expression de la classe qui existe et agit avant elles si besoin.

Comment s'organiser ? Comment lutter ? Quelles revendications mettre en avant ? Quelle négociation faut-il mener ? A toutes ces questions qui se posent dans toutes les luttes ouvrières, l'expérience et le courage des ouvriers en Pologne sont d'une énorme richesse pour tout le mouvement de la classe.

LES FAIBLESSES

  • "La tradition des générations mortes pèse: d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c'est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu'ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu'ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d'ordre, leurs costumes..."
    K. Marx. (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Chap.1, P.14. Ed. Sociales)

Dans les premières grèves de masse en 1905, les ouvriers avaient du mal à trouver leur terrain propre. C'est derrière le Père Gapone et les icônes de l'église "conservatrice des opprimés" et non à l'appel des sociaux-démocrates que les ouvriers sont descendus dans la rue. Mais en 6 mois, les icônes se sont transformées en drapeaux rouges. On ne connait pas le rythme du mûrissement des conditions de la lutte aujourd'hui, mais on sait que le processus est entamé. Lorsque les ouvriers de Silésie se prosternent devant Sainte-Barbe, quand ceux de Gdansk revendiquent le droit à la messe, ils subissent d'une part le poids des traditions antérieures et d'autre part, ils expriment un relent de résistance à la désolation de la vie moderne, une nostalgie déplacée parce qu'ils "reculent constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts" (K. Marx, "Le 18 Brumaire. Ch.1). Mais cette enveloppe erronée de leurs aspirations, l'église, n'est pas une enveloppe neutre. Elle est un support formidable du nationalisme comme on a pu voir au Brésil aussi bien qu'en Pologne. L'église s'est déjà dévoilée devant les ouvriers les plus combatifs en utilisant sa première prise de parole publique depuis 30 ans pour appeler "à l'ordre" et au "retour au travail". Néanmoins ce piège reste à détruire.

Certains, à la courte vue, ne verront dans la Pologne que des ouvriers à genoux, ou chantant l'hymne national. Mais l'histoire ne se juge pas avec une photographie. Les sceptiques ne voient pas la dynamique du mouvement qui va aller plus loin. Les ouvriers se débarrasseront des chiffons nationaux et des icônes. Il ne faut pas recommencer comme le PCI (Programme) ou Battaglia Commu­nista ou d'autres qui ne voyaient en mai 68 qu'un jeu d'étudiants. Si les révolutionnaires sont incapables de dire la réalité sans que celle-ci soit écrite en toutes lettres et en pleine lumière, alors ils ne seront jamais à la hauteur de l’œuvre de Marx qui, dans le tout jeune prolétariat de 1844 voyait déjà le géant de l'histoire.

Il est indiscutable qu'en Pologne, l'action des dissidents a eu depuis 1976 une influence dans le mouvement ouvrier, surtout dans la Baltique. Il est difficile d'évaluer exactement son poids, mais il semblerait que le journal "Robotnik" soit diffusé à 20.000 exemplaires, créant tout un milieu ouvrier autour de lui; souvent des, ouvriers combatifs sont happés dans le mouvement des syndicats libres pour protester contre la répression sur les lieux de travail. L'opposition catholique comme les réformateurs et les intellectuels patriotes sont tolérés par le régime depuis que celui-ci se rend compte de la nécessité de désamorcer les poussées ouvrières de ces dernières années. Mais le KOR (Comité d'autodéfense sociale) est clair sur ses buts : "L'économie du pays est en décomposition. Seul un immense effort de tous accompagné d'une profonde réforme peut la sauver. L'assainissement social de mandera des sacrifices. S'élever contre la hausse des prix porterait un coup au fonctionnement de l'économie... Notre tâche comme opposition consiste d transformer les revendications économiques en revendications politiques" (Kuron).
Bien sûr, la dimension politique est absolument indispensable aux luttes ouvrières. Les grèves de masse traduisent dans les faits cette unité des aspects économiques et politiques de la lutte. Le KOR joue sur l'aspiration des ouvriers à politiser les combats, mais en parlant de la "politique", les Kuron et Cie et tous les "experts" venus aider les négociations à Gdansk ne font que vider la lutte de son contenu de classe pour se poser en opposition loyale dans la patrie polonaise. Peur sauver l'économie de la patrie, les ouvriers de Gdansk ont perdu plus de la moitié de leurs revendications économiques. C'est ainsi que l'opposition représente une aile de la bourgeoisie polonaise qui veut créer des structures plus adéquates pour "avoir l'assentiment des travailleurs aux sacrifices; pour faire apparaître des interlocuteurs valables". Mais la bourgeoisie polonaise ainsi que la Russie sont dans leur ensemble loin d'accepter entièrement cette thèse et l'évolution de la situation reste ouverte, surtout si les nouveaux syndicats ne s'intègrent pas rapidement à l'appareil.

Cinquante ans de contre-révolution ont tellement désorienté la classe ouvrière qu'eue n'arrive pas à rester entièrement sur un terrain de classe. En Pologne, la classe ouvrière a ouvert une brèche formidable dans la structure stalinienne mais elle endosse des "vêtements" du passé avec la revendication des syndicats libres, des vrais et durs comme ceux du 19ème siècle. Dans l'esprit des ouvriers, ces syndicats doivent représenter le droit de s'auto-organiser, de se défendre_ Mais ces "vêtements" sont pourris, ils sont un piège et se retourneront contre la classe ouvrière.
Pour obtenir le droit de s'organiser dans des syndicats libres, il a fallu que les 21 revendications de Gdansk reconnaissent l'Etat polonais, la domination du Parti et le Pacte de Varsovie. Et ce n'est pas pour rien !
A notre époque du déclin du capitalisme, les syndicats font partie intégrante des rouages de l'Etat, qu'ils surgissent, aujourd'hui comme des mort-nés en Pologne, ou qu'ils jouissent d'une "tradition" du passé. Déjà toutes les forces de la bourgeoisie se regroupent autour des syndicats libres : certains membres du comité de grève deviennent des permanents; avec les "règles" de fonctionnement, c'est un nouveau carcan qui se met en place; les accords de Gdansk parlent de l'engagement d'accroitre la productivité. En offrant l'aide de l'AFL-CIO[1], la bourgeoisie internationale apporte sa pierre à l'effort de ligoter ce géant prolétarien.
La situation en Pologne n'est pas encore revenue au calme et l'ébullition de la classe ouvrière ralentit considérablement la mise en place de ces rouages. Mais les illusions se paieront cher.

Les syndicats libres ne sont pas un tremplin pour aller plus loin mais un obstacle que la combativité ouvrière doit dépasser. C'est un guet-apens. Les ouvriers les plus combatifs l'ont déjà senti quand ils ont hué les accords à Gdansk. Mais, ce n'est pas encore eux que le mouvement met en avant, ce sont plutôt les moins clairs, les plus catholiques, les plus confus. Walesa est une expression et le symbole de ce stade, et il sera obligé de se plier ou il sera éliminer.

Au 20ème siècle, seule la vigilance, la mobilisation ouvrière peuvent faire avancer les intérêts de la classe ouvrière. C'est une vérité amère et difficile que de réaliser que tout organe permanent sera inévitablement happé dans l'engrenage de l'Etat, à l'Est comme à l'Ouest (comme les comités ouvriers en Italie en 1969, par exemple, intégrés dans la constitution syndicale maintenant; comme toutes les tentatives du "syndicalisme de base").
Au 20ème siècle, il n'y a que stabilité capitaliste ou pouvoir prolétarien. C'est seulement dans une période de lutte prérévolutionnaire que peuvent se constituer des organes permanents du pouvoir prolétarien, les conseils ouvriers, parce qu'ils défendent les intérêts immédiats de la classe ouvrière en intégrant ces derniers dans la question du pouvoir. En dehors de la formation de conseils, il ne peut exister d'organisation permanente des luttes.

Aujourd'hui, le pourrissement du système capitaliste est plus avancé, la classe ouvrière bénéficie de toutes ses expériences de lutte et du mûrissement des conditions de la révolte. Contrairement à 1905, elle n'a pas en face d'elle le régime pourri et sénile du tsarisme; elle affronte le capitalisme d'Etat partout dans le monde, un ennemi plus subtil et plus sanguinaire.

La bourgeoisie va essayer de tirer les leçons des avènements de Pologne à sa façon, elle ne peut pas laisser la réalité parler par elle-même. L'idéologie bourgeoise doit tenter de récupérer les mouvements de classe en donnant une "explication officielle", une version déformée destinée à détourner l'attention des autres ouvriers. Elle utilise et utilisera les évènements de Pologne jusqu'à la corde : à l'Est, pour montrer qu'il faut se plier "raisonnablement" aux exigences de l'austérité dans le COMECON; à l'Ouest pour prouver que le mouvement ouvrier ne veut que des "libertés démocratiques" qui, en occident, font tout le bonheur des ouvriers !

Les évènements de Pologne ne sont pas la révolution ni une révolution manquée; sa dynamique propre tout en établissant un rapport de forces favorable au prolétariat n'est pas allé jusqu'au stade insurrectionnel, ce qui d'ailleurs serait prématuré dans la situation actuelle du prolétariat mondial. Toute une période de maturation de l'internationalisation des luttes est nécessaire au prolétariat avant que la révolution soit immédiatement à l'ordre du jour.
Mais c'est aux révolutionnaires de dénoncer les cauchemars du passé, les guet-apens qui risquent d'immobiliser la lutte. Tandis qu'on voit tous les agents du capital, les PC, les trotskistes, la gauche et gauchistes, les "droits de l'homme" applaudir les obstacles à la conscience, c'est aux révolutionnaires de les dénoncer avec la dernière énergie et de montrer le chemin du dépassement.

Les luttes en Pologne 1980 sont une ébauche pour l'avenir, elles en contiennent toutes les promesses. Contre tous les sceptiques pour qui mai 68 n’était rien, pour qui toute lutte est sans lendemain; pour les dénigreurs professionnels même au sein du milieu révolutionnaire, le souffle de la Pologne va peut-être les réveiller. L'histoire va vers des affrontements de classes, la contre-révolution est finie et ce n'est qu'avec le courage et l'espoir des ouvriers en Pologne qu'on lutte efficacement.

C'est en comprenant et tirant tous les enseignements de cette lutte historique: le capitalisme d'Etat et la crise économique mondiale à l'Est comme à l'Ouest; l'ignominie "démocratique" et la mascarade électoraliste; l'intégration des syndicats à l'Etat; la créativité et l'auto-organisation de la classe dans l'extension de sa lutte, que les combattants de la classe ouvrière pourront dire quand ils iront plus loin demain : Nous sommes tous des ouvriers de Gdansk.

J.A., le 22 septembre 1980


[1] La principale centrale syndicale américaine.

Géographique: 

  • Pologne [1]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [2]

La crise capitaliste dans les pays de l'est

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LE TEXTE QUE NOUS PUBLIONS ICI EST LE RAPPORT PRESENTE AU IVEME CONGRES DE REVOLUTION INTERNA­TIONALE : CE RAPPORT SE FIXAIT POUR TACHE, NON PAS TANT DE FAIRE LE POINT SUR LA SITUATION ACTUELLE DE LA CRISE ECONOMIQUE DANS LE BLOC DE L'EST, MAIS DE CONTRIBUER A APPROFONDIR LA QUESTION SUIVAN­TE : COMMENT LA CRISE DANS LE BLOC DE L'EST EST LA MEME CRISE CAPITALISTE QUI TOUCHE TOUS LES PAYS DU MONDE ; EN QUOI ET POUR QUELLES RAISONS LES MANIFESTATIONS DE CETTE CRISE DIFFERENT DES FORMES QU'ELLE PREND DANS LES PAYS DEVELOPPES DU BLOC OCCIDENTAL ?

LA DEUXIEME PARTIE DU RAPPORT ABORDE L'ANGLE HISTORIQUE DE CETTE QUESTION, EN CE QUI CONCERNE PLUS PARTICULIEREMENT L'U.R.S.S. ; ELLE S'ATTACHE A MONTRER,A PARTIR DES CONDITIONS MEMES DE L'APPARITION TARDIVE DU CAPITAL RUSSE SUR L'ARENE MONDIALE ET AU TRAVERS DES MOYENS PAR LESQUELS IL A ASSURE SA PUISSANCE IMPERIALISTE DANS LE CADRE DE LA DECADENCE CAPITALISTE, EN QUOI LES MANIFESTATIONS DE LA CRISE EN U.R.S.S. SONT LA TRADUCTION LA PLUS CARICATURALE DES CONTRADICTIONS DU CAPITALISME.

C'EST DANS CE SENS QUE, DANS UNE PREMIERE PARTIE DU RAPPORT, EST ABORDEE LA QUESTION DE LA PENURIE  DE CAPITAL, EN TANT QU'ILLUSTRATION PARTICULIERE, QUE MANIFESTATION, DANS CERTAINS PAYS A LA FOIS LES PLUS-FAIBLES ET LES PLUS MILITARISES DU GLOBE -EN PARTICULIER LES PAYS DU BLOC RUSSE-, DE LA CRISE GENERALE DE SURPRODUCTION DU CAPITALISME MONDIAL.

EN PUBLIANT CE RAPPORT, NOUS PRESENTONS A NOS LECTEURS L'ETAT ACTUEL DU DEBAT AU SEIN DE NOTRE OR­GANISATION AUTOUR DES CARACTERISTIQUES GENERALES DE LA DECADENCE CAPITALISTE A L'EST ET DE SES MANI­FESTATIONS DANS LA CRISE OUVERTE.

Surproduction et pénurie de capital

"Le simple rapport entre travailleur salarié et capitaliste implique :

1-            que la majeure partie des producteurs (les ouvriers) ne sont pas consommateurs (pas acheteurs) d'une très grande portion de leur produit : les moyens et la matière de travail;

2-            que la majeure partie des producteurs, les ouvriers, ne peuvent consommer un équivalent pour leur produit, qu'aussi longtemps qu'ils produisent plus que cet équivalent -qu'ils produisent de la plus-value ou du surproduit. Il leur faut constamment être des SURPRODUCTEURS, produire au delà de leurs besoins pour pouvoir être consommateurs ou acheteurs, à l'intérieur des limites de leurs besoins."

(Marx : Théories sur la plus-value-XVIIème chapitre - Editions Sociales p.619)

Confronté à cette contradiction, inhérente au fonctionnement de l'exploitation capitaliste, le capital ne peut trouver son salut que dans la vente aux secteurs extra-capitalistes, afin de réaliser

la plus-value contenue dans ses marchandises et de perpétuer son accumulation et poursuivre ainsi son développement sur une base élargie.

Dés les origines du capitalisme industriel, les cries sont des crises de surproduction localisées à l'échelle des marchés existants, qui ne trouvent leur solution que dans un élargissement du marché par la pénétration de nouveaux marchés précapitalistes (comptoirs, colonisation).

Mais le développement du marché, c'est à dire l'écoulement du surproduit capitaliste, a une limite absolue : la limitation du marché mondial. A la fin du 19ème siècle, quand les impérialismes dominants finissent de se partager la planète, les marchés précapitalistes qui subsistent encore sont contrôlés et protégés par un impérialisme ou un autre. Il n'est plus possible de découvrir de nouveaux marchés qui pourraient permettre d'écouler le surproduit et de pallier ainsi à la crise. Le capitalisme rentre en crise permanente de surproduction. Par le jeu de la concurrence, cette surproduction tend à se généraliser à toutes les marchandises, mais aussi partout où dominent les rapports capitalistes de production, c'est à dire partout dans le monde une fois que le marché mondial est créé.

Le capitalisme est entré dans sa phase de décadence.

LA PENURIE DE CAPITAL : CONSEQUENCE DE LA SURPRODUCTION GENERALISEEI

Les premières fractions de la bourgeoisie qui sont parvenues tôt à faire leur révolution nationale, à créer un cadre national propice à développer l'accumulation (Angleterre, France, Etats-Unis d'Amérique, etc...) se sont emparés de l'essentiel du marché mondial et ont pu, grâce à ces marchés en extension permanente dans la période ascendante, réaliser une accumulation de capital leur permettant de développer leur industrialisation, d'élever le taux de composition organique de leur capital, afin d'obtenir une productivité toujours plus forte.

Lorsque le marché mondial est créé, il se pose comme saturé, il y a surproduction mondiale de capital, la concurrence entre les différents capitaux va se faire de plus en plus acharnée. Ceux qui sont arrivés trop tard, qui n'ont pu sauvegarder leur indépendance nationale, qui ne disposent pas de marché extérieur, qui n'ont donc pu accumuler suffisamment de capital dans la période ascendante, dans la période de décadence du capitalisme sont condamnés, non seulement à ne jamais rattraper le retard pris, mais de plus à voir ce retard s'accroître. En effet, au moment où la concurrence se fait exacerbée, où la course à la productivité de-' vient effrénée, ils ne possèdent pas suffisamment de capital pour pouvoir concurrencer efficacement les grandes puissances capitalistes bien mieux loties qu'eux. Ils sont confrontés à une situation de pénurie de capital, condamnés au "sous-développement". Ils ne peuvent survivre qu'en se mettant sous la protection d'un capitalisme plus puissant, qui va les utiliser uniquement comme réservoir de matière première industrielle ou agricole ou comme réservoir de main-d’œuvre, sans permettre un réel développement des forces productives qui feraient d'eux des concurrents supplémentaires sur le marché mondial déjà encombré.

Cette situation de pénurie de capital dans laquelle se trouvent ces pays est relative par rapport aux capitaux les plus développés, elle est une des manifestations du fait que l'écart entre les pays "riches" et les pays "pauvres" ne cesse de s'accroître.

Du point de vue économique, dans la période de décadence, avec la concurrence qui se fait de plus en plus forte, c'est le pôle d'accumulation le plus puissant qui tend à réduire les autres au "sous-développement", à la pénurie de capital; le capital national le plus puissant tend à aspirer vers lui le capital, parce qu'il tend à être le plus productif, le plus capable d'innover. (Par exemple, aujourd’hui, les pays producteurs de pétrole préfèrent investir dans les grandes métropoles impérialistes plutôt que de développer leur propre production nationale).

La situation de saturation du marché mondial tend à condamner à péricliter ceux qui ne peuvent mettre en place des investissements suffisants pour se maintenir au niveau de compétitivité nécessitée par le marché. Si, au 19ème siècle, la Grande-Bretagne représentait l'avenir du développement capitaliste, aujourd'hui c'est exactement l'inverse, c'est la situation dans les pays sous-développés qui indique l'avenir du capital. Ainsi les pays européens et le Japon ont perdu leur autonomie nationale pour se retrouver de plus en plus dépendants des USA dans le cadre du bloc occidental; confrontés avec les destructions de la seconde guerre mondiale, ils ont du faire appel aux capitaux américains pour reconstruire.

Du point de vue économique, le développement du capital tend à une inégalité croissante entre le pôle d'accumulation le plus puissant et l'ensemble de la planète, qui se retrouve dans une misère croissante où la majorité de la population subit une paupérisation absolue, une misère totale. Dans la crise, à un pôle on ne sait où investir car les marchés sont bouchés et on n'arrive pas à rentabiliser les investissements, à l'autre, de toutes façons, on n'a pas de capital à investir.

ACCUMULATION ET DESTRUCTION DE CAPITAL

Nous l'avons vu, par définition "les ouvriers ne consomment jamais l'équivalent de leur production .., ils doivent toujours être surproducteurs. Mais pour le capitaliste, il faut réaliser ce surproduit sur le marché pour poursuivre le cycle de son accumulation. Avec la décadence du capitalisme, les marchés extra-capitalistes ont été réduits à leur plus simple expression, c'est à dire quasiment au néant, soit par la prolétarisation, soit par la paupérisation. La plus-value ne peut se réaliser que dans l'échange avec d'autres sphères capitalistes, c'est-à-dire aux dépens d'autres capitalistes. Les plus avantagés, sont donc les capitalistes les plus puissants qui peuvent vendre à un moindre coût, car ils sont les plus productifs. La concurrence devient intense.

Cette situation devient une entrave au processus de l'accumulation; la nécessité pour chaque capital de maintenir le processus de l'accumulation va pousser le capital global vers des contradictions de plus en plus grandes qui culminent dans la cri- se et se traduit dans les faits par une destruction de capital, une désaccumulation :

- Par la concurrence qui, dans la crise, culmine dans une dévalorisation massive des marchandises mises sur le marché. En effet, le capitaliste qui a produit un produit trop cher est obligé de vendre à perte pour réaliser, malgré tout, une partie de son investissement initial.

L'incapacité d'investir dans un marché déjà sursaturé pousse vers des spéculations massives dans lesquelles le capital se trouve stérilisé, tandis que, d'autre part, la tentation de créer des marchés artificiels pousse vers une inflation galopante qui traduit une dévalorisation constante du capital.

- Par la production militaire. En effet, la seule solution pour protéger ses marchés ou s'en ouvrir d'autres, c'est le recours à l'armée, à la force militaire. Dans la décadence, l'économie est soumise aux nécessités militaires. L'économie de guerre s'impose car la guerre devient le mode de survie du capital. La concurrence se trouve déplacée du terrain économique au terrain de la capacité guerrière. Mais au niveau du capital global, la production d'armes est une destruction du capital car, contrairement aux biens de production ou aux biens de consommation, elle ne permet pas de reproduire le capital.

- Par le recours au système étatique tentaculaire et improductif. En effet, le capital soumis à des contradictions de plus en plus violentes ne peut maintenir l'unité de son processus productif qu'au travers des palliatifs administratifs totalement improductifs qui consomment du capital sans le reproduire.

D'autre part, les contradictions sociales de plus en plus explosives imposent le fonctionnement d'un secteur répressif de plus en plus important et totalement parasitaire (police, justice, syndicats, etc..).

Ainsi, dans la période de décadence du capitalisme, si quelques capitaux nationaux parviennent à poursuivre avec de plus en plus de difficultés leur accumulation, c'est aux dépens du capital global qui subit de plus en plus une destruction de capital qui culmine dans la crise et dans la guerre impérialiste.

Cette situation se traduit par un fonctionnement de plus en plus totalitaire du capital, dont le corollaire est une misère toujours plus grande de l'humanité, un gaspillage toujours plus important des forces productives.

C'est en détruisant le rapport capital-travail à l'origine de toutes les misères, de toutes les inégalités, que le prolétariat pourra mettre fin au règne de la barbarie et libérer ainsi les forces productives qui portent en elles la promesse de l'abondance communiste, la fin de la pénurie capitaliste.

LE CAPITALISME DECADENT EN U.R.S.S.

A la fin du 19ème siècle, l'empire russe est le bastion des forces féodales, frein objectif au développement progressiste du capital. Si la bourgeoisie russe est parvenue à mettre en place un appareil productif moderne, elle n'a, malgré tout, pas été assez forte pour imposer totalement son pouvoir politique et balayer les entraves féodales qui paralysaient son développement.

Dans ces conditions, le capital russe se développe trop tardivement et trop faiblement pour concurrencer ses rivaux européens, qui sont en train de se partager le monde. Il est trop tard, les places sont déjà prises et le principal atout du capitalisme russe, c'est le gigantesque marché intérieur hérité de l'empire féodal tsariste. Cependant, dès le début du 20 ème siècle, avec le rétrécissement des crises précapitalistes, la concurrence se faisant plus âpre, les capitalistes européens et japonais lorgnent avec rapacité cet empire féodal à l'état de friche pour le capital et commencent à le grignoter (guerre russo-japonaise en 1905).

Avec la création du marché mondial, une nouvelle époque s'ouvre, marquée par l'éclatement de la guerre de 1914-1918 et la révolution prolétarienne en 1917. La bourgeoisie russe est secouée par la guerre et balayée par la révolution.

L'année 1928 voit l'achèvement de la contre-révolution stalinienne, marquée par l'adoption du "socialisme en un seul pays" et la mise en place du premier plan de production. Mais, pour la bourgeoisie russe, il est de toutes façons trop tard, marquée par ses difficultés de jeunesse, elle a loupé le coche de la période ascendante du capital et n'a pas accumulé suffisamment de capital pour concurrencer les impérialismes rivaux sur le plan économique : elle est confrontée à la pénurie de capital qui entrave à jamais son développement capitaliste, elle est condamnée au sous-développement      vis à vis des capitalismes dominants (U.S.A., Grande-Bretagne, Japon, etc...).

Cependant si l'U.R.S.S. aujourd'hui a pu s'imposer comme le capital dominant d'un bloc impérialiste qui fait face au bloc occidental, dans un monde partagé en deux par la rivalité USA - URSS, c'est parce que l'URSS possédait certains atouts pour survivre dans la période de décadence.

LES ATOUTS DE L'URSS DANS LA PERIODE DE DECADENOE

La bourgeoisie stalinienne hérite en fait d'acquis pour lesquels elle n'a pas contribué

1- Un important marché intérieur hérité de l'empire tsariste. Même si au lendemain de la première guerre mondiale, l'URSS se trouve amputée de la Pologne, des pays baltes, de la Finlande, de la Corée, de la Bessarabie, ce qui reste n'est pas négligeable et constitue un gigantesque marché extra-capitaliste composé de millions de paysans et d'artisans. L’U.R.S.S. reste le plus grand pays du monde par sa superficie, garante de ses richesses minières.

2-              Une indépendance nationale maintenue par l'empire du Tzar, puis des frontières défendues par le prolétariat comme son bastion. Si bien que la contre-révolution stalinienne hérite d'un cadre national indépendant qui a été protégé de la rapacité" dés grands impérialisme.

3-              Avant 1914, la Russie est, malgré tout, la cinquième puissance mondiale. Cependant, son importance tient plus à son immensité et au chiffre élevé de sa population, ainsi, en 1913, son revenu national n'est que de un cinquième de celui des Etats-Unis, et elle produit moins de charbon, de fer ou d'acier que la France. C'est le plus fort des pays sous-développés.

Cependant, ces atouts n'ont pu être mis à profit que parce que l'U.R.S.S. de Staline a utilisé le  plus tôt les "recettes" les plus aptes à permettre la survie de son capital en période de décadence. Cela pour deux raisons essentielles : d'une part les spécificités de son histoire, d'autre part la faiblesse de son économie.

Ces "recettes" sont celles qui ont déjà été largement éprouvées par les puissances belligérantes de la première guerre mondiale, mais que celles-ci ont eu tendance à oublier avec les illusions de la reconstruction qui s'en est suivie. Elles sont constituées de deux volets indissociables : le capitalisme d'Etat et l'économie de guerre.

LE CAPITALISME D'ETAT

Déjà faible avant 1917, la bourgeoisie privée russe n'a plus de rôle économique important au lendemain de la révolution. Alors que la contre-révolution s'est imposée au travers de l'Etat, c'est tout naturellement celui-ci qui est amené à assumer la responsabilité du capital russe.

Déjà profondément marqué par l'Etat tsariste (expression de la faiblesse de la bourgeoisie privée russe, le capital industriel russe avec la contre-révolution se retrouve totalement entre les mains de l'Etat stalinien. Le capitalisme d'Etat à la russe est le produit direct de la contre-révolution.  L'Etat est la seule structure à même de gérer les intérêts économiques et militaires de l'U.R.S.S. face aux impérialismes rivaux.

L'ECONOMIE DE GUERRE

A peine la bourgeoisie stalinienne parvient-elle à s'imposer définitivement (1928), que la crise qui commence en 1929 vient secouer le capitalisme mondial et vient balayer les illusions sur des possibilités d'échanges économiques entre l'URSS et Te reste du monde. Le capitalisme russe est trop faible pour défendre économiquement ses intérêts sur la scène mondiale.

Face aux tensions impérialistes de plus en plus fortes qui opposent les grandes puissances impérialistes à la recherche de nouveaux débouchés, face au péril militaire que constituent l'Allemagne et le Japon, l'URSS ne peut préserver son indépendance que par un recours massif à l'économie de guerre, qi devient sa seule garantie de survie en tant que capital, qu'impérialisme indépendant. Devant la faiblesse de son économie, c'est là sa seule issue pour se tailler une place sur le marché mondial : la guerre impérialiste.

Devant la faiblesse de son économie, c'est dans la guerre impérialiste que se trouve sa seule issue pour se tailler une place sur le marché mondial et, dès la fin des années 30, elle s'y prépare activement, subordonnant toute son activité économique à cet impératif.

Ces mesures, si elles permettent à l'URSS de se maintenir sur la scène mondiale, ne sont pas pour autant des solutions à la crise inhérente au capitalisme confronté à la saturation du marché mondial, elles ne font que répercuter la contradiction à un niveau plus élevé, plus explosif. Elles sont les stigmates du capitalisme décadent partout dans le monde. Cependant, dans le cas spécifique de la Russie, par leur précocité, par leur importance, par leur brutalité, elles vont permettre à l'URSS de s'imposer comme le second impérialisme du globe, aux dépens de ceux qui n'ont pas pu s'adapter aussi bien, ni aussi vite, aux conditions nouvelles qui s'ouvrent avec la première guerre mondiale.

LE DEVELOPPEMENT DU CAPITALISME RUSSE DANS LA PERIODE DE DECADENCE

Durant les années 30, le capital russe n'échappe pas à la tourmente de la crise mondiale, il n'assure sa survie que par un protectionnisme total et un développement en quasi-autarcie. Comment ce développement est-il possible ? En effet, même selon les estimations les plus pessimistes, l'URSS triple sa production de 1929 à 1940.

Tout d'abord, on peut noter qu'à partir de pas grand-chose, il est plus facile de doubler ou de tripler sa production, mais surtout l'URSS va profiter de l'importance de son marché intérieur extra-capitaliste et de la quantité de main-d’œuvre disponible.

Cependant, étant donné la faiblesse du capitalisme russe, l'accumulation ne va pas se réaliser au travers d'un échange économique classique, mais au travers du pillage le plus brutal des secteurs extra-capitalistes et de l'exploitation féroce de la force de travail, le tout garanti par la terreur imposée par l'Etat. Des millions de paysans vont être déportés dans les camps de travail, fournissant ainsi à la fois par la spoliation brutale le capital nécessaire aux investissements industriels, et une main-d’œuvre quasi gratuite. Le prolétariat va être exploité de manière absolue, le stakhanovisme imposé par la terreur. De camp retranché, la Russie va se transformer en gigantesque camp de concentration.

Toute la production est orientée vers la production de biens de production (86% des investissements dans le Premier Plan), puis, à partir de 1937, vers la production en vue de la guerre. Le fameux "modèle' de développement à la russe est en fait un modèle de sous-développement (et c'est d'ailleurs pour cela que ce sont essentiellement les pays sous-développés qui vont l'adopter), il correspond à l'incapacité à réaliser dans l'échange la plus-value qui permettrait une accumulation de capital. Le capital russe, trop faible, est obligé de court-circuiter ce processus, ce n'est pas sa force économique qui garantit son développement, mais sa force policière.

Malgré ce développement dans les années 30, qui va trouver sa concrétisation dans l'économie de guerre, la Russie reste un pays économiquement faible et c'est plus le jeu des alliances et sa richesse en chair à canon qui vont lui permettre de tirer ses marrons du feu dans la seconde guerre mondiale.

En 1945, l'URSS sort de la guerre avec une économie ravagée (20 millions de morts, 31 850 usines détruites, etc.), mais avec des acquis non négligeables que sont la main mise sur les pays d'Europe de l'Est et plus tard sur la Chine (1949).

Mais, alors que l'impérialisme russe, à la tête du nouveau bloc ainsi formé est le plus puissant, il ne représente pas pour autant le capital le plus développé, la RDA, la Tchécoslovaquie, ou même la Pologne, sont plus compétitifs que lui. Là encore ce n'est pas par l'échange classique que l'URSS peut attirer à elle les capitaux nécessaires à sa reconstruction, mais par le pillage encore une fois (démontage d'usines, déportation de main d’œuvre, annexions pures et simples). Même si cette politique va être adoucie après la mort de Staline, devant la nécessité de renforcer l'ensemble du bloc et face à la pression des évènements sociaux (RDA en 1953, Pologne et Hongrie en 1956), l'échange qui s'installe au sein du COMECON est un échange forcé : l'URSS impose ses produits de mauvaise qualité à ses partenaires, les paye en roubles (monnaie non convertible sur le marché mondial) et se fait payer en devises occidentales, se fait octroyer par ses vassaux des crédits qu'elle ne rembourse pas et qui servent à développer son économie (9,3 milliards de roubles de 1971 à 1980).

On le voit, ce n'est pas par sa puissance économique que l'URSS contrôle son bloc, mais par sa puissance militaire, elle profite ainsi pleinement de la réalité du capitalisme décadent qui, partout dans le monde, tend à déplacer la concurrence économique sur le plan militaire. La seule garantie de survie de l'URSS est sa puissance coercitive militaire et policière. Cela détermine toute l'orientation de son économie vers l'économie de guerre. Mais une telle tricherie avec la loi de la valeur, si elle est la condition de la survie du capital russe, pousse celui-ci dans des contradictions insurmontables qu'un appareil d'Etat, lourd et totalitaire, nécessaire au maintien d'un processus d'accumulation de plus en plus difficile, ne parvient plus à masquer. Le développement même de l'Etat russe est l'expression de ces contradictions déchirantes.

LA CRISE EN URSS AUJOURD'HUI

Parvenue trop tard sur la scène mondiale, l'URSS du point de vue économique est un pays faible qui souffre d'une pénurie chronique de capital. C'est un colosse militaire à l'économie d'argile. Sa puissance économique est plus quantitative que .qualitative, en 1977 l'URSS se situe au 26ème rang mondial (sans compter les pays de l'OPEP) pour le PNB par habitant, juste devant la Grèce (France: PNB = 35.000F/h; URSS: PNB = 14.000F/h), devancée au sein de son bloc par la RDA (21.700 F/h), la Tchécoslovaquie (15.500 F/h) et la Pologne (15.100) (15.100 F/h). En une heure, un ouvrier russe produit une valeur ajoutée de 3 dollars, un ouvrier français de 8 dollars, et un ouvrier américain de 10 dollars.

LE COMMERCE EXTÉRIEUR

Dans ces conditions, on comprend que la balance commerciale de l'URSS avec les pays occidentaux soit constamment déficitaire et se traduise par un endettement vis à vis de l'Occident de 16,3 milliards de dollars à la fin de 1977. Mais, même avec les pays du COMECON, l'URSS voit sa position se dégrader constamment, la reconstruction des économies de ces pays, après la seconde guerre mondiale, se traduit pour l'URSS par un déficit qui commence à être perceptible dès la fin des années 50. De 1971 à 1974, le solde a été nettement négatif pour l'URSS vis à vis de ces pays, la situation a été redressée artificiellement par la hausse des matières premières (pétrole), mais aujourd'hui la situation se dégrade de nouveau.

Mais la faiblesse économique de l'URSS n'apparait pas seulement dans le solde de sa balance commerciale, mais aussi dans la structure de ses échanges. Ils sont typiques de ceux d'un pays sous-développé. L'URSS est essentiellement importatrice de produits manufacturés et exportateur de matières premières : avec le COMECON, les matières premières constituent 38,7% des exportations, tandis que les produits manufacturés représentent 74% des importations; avec l'occident, c'est encore plus clair, les matières premières représentent 76% des exportations, les produits manufacturés 70% des importations. Il n'y a guère qu'avec les pays sous-développés que l'URSS a des échanges de pays développé, mais en ce cas 50% de ses exportations sont constituées de matériel militaire.

L'ECONOMIE LE GUERRE

Tous ces éléments mettent en évidence la faiblesse du capital russe, ses caractères sous-développés. Face à une telle situation, qui traduit une crise chronique, le seul recours pour maintenir sa place sur le marché mondial est donc l'économie de guerre, le développement du potentiel militaire. Ce qui maintient l'unité du bloc de l'Est, c'est la puissance de l'armée rouge. Le potentiel économique est mobilisé prioritairement vers les besoins militaires, par l'économie de guerre.

Ce n'est pas au niveau économique, mais au niveau militaire que se concrétise la rivalité entré les deux blocs. Sur le plan économique, l'URSS est battue d'avance. Sur le plan militaire, elle ne peut concurrencer l'occident qu'en mobilisant l'essentiel de son économie pour l'armée. Si les USA consacrent 6% de leur budget à l'armée, pour essayer d'être militairement crédible dans la course aux armements, l'URSS consacre officiellement 12% de son budget (en fait, à ce niveau les chiffres sont un mensonge permanent et, pour l'URSS, 20% serait une estimation encore très prudente). Il est impossible de dissocier les secteurs industriels civils et militaires (par exemple, les usines de tracteurs produisent aussi des chars). Une absolue priorité est donnée à la production militaire : approvisionnement, mobilisation des usines et de la main d'œuvre, transports, entretien, etc .... L'économie russe est une économie entièrement militarisée.

Un tel effort militaire ne peut se faire qu'aux dépens de l'économie elle-même. En effet, la production militaire a ceci de particulier qu'elle ne permet aucun développement ultérieur des forces productives. C'est du capital qui est détruit (lorsqu'on sait que les importations de viande du Tiers-Monde, en 1977, représentent 82% du prix d'un seul sous-marin nucléaire et que l'URSS en possède des dizaines, on peut mesurer l'ampleur du gaspillage). Pourtant cet immense gaspillage est la seule garantie de survie de l'URSS, qui lui permet d'imposer par la terreur des sacrifices draconiens au prolétariat et, par la force, de faire rentrer le capital nécessaire à la poursuite du processus d'accumulation en taxant ses vassaux européens.

Cependant, avec l'intensification de la crise dans les années 60, la pression économique et militaire de l'occident s'est intensifiée. Cette pression s'est traduite par le changement de bloc de la Chine, de l'Egypte, de l'Irak, etc., et par des velléités d'indépendance vite réduites au silence par l'armée rouge de la Tchécoslovaquie. Vu la faible part des échanges de l'URSS avec l'occident (3% de son revenu national), on ne peut pas dire que l'URSS a importé la crise. Pour l'URSS, la concurrence est d'abord au niveau militaire. Face à la pression occidentale avivée par la crise, la nécessité de renforcer encore plus son potentiel militaire, de détruire donc encore plus de capital, pousse l'URSS dans ses contradictions capitalistes, à des distorsions encore plus fortes par rapport à la loi de la valeur. Cette situation tend à se traduire par une désaccumulation de capital qui ne peut plus être compensée par les revenus de l'impérialisme. C'est pour cela que la crise qui apparaît en occident, au milieu des années 60, se traduit immédiatement par une aggravation dramatique de la crise déjà permanente du capital russe.

Confrontée à la pénurie de capital, l'URSS tout au long de son histoire a du faire des choix draconiens, toujours en faveur de son potentiel militaire, mais qui se sont traduits par un affaiblissement de son économie, confirmant ainsi le cercle vicieux de la pénurie de capital dont l'URSS ne peut sortir. Ainsi, les choix stratégiques en faveur de l'industrie aérospatiale et nucléaire, nécessaires à la mise en place d'une force de frappe nucléaire, n'ont pu se faire qu'aux dépens d'autres secteurs vitaux de l'économie. Cela se traduit aujourd'hui par un retard grandissant de l'URSS dans des domaines de pointe, tels que l'informatique, la biologie, ou la métallurgie des métaux et alliages nouveaux. Dans la concurrence internationale, il y a un affaiblissement de l'économie russe comme le montre le fait que le Japon vient de la rattraper comme deuxième puissance économique mondiale. Cette situation a forcément un contrecoup sur la puissance militaire et impose à l'URSS des sacrifices toujours plus grands pour maintenir sa crédibilité guerrière.

La priorité accordée à l'économie de guerre, ne peut se faire qu'aux dépens des investissements pour la modernisation des secteurs non liés à la production d'armements. Dans tous ces secteurs, il y aura donc une très faible mécanisation, cette pénurie de capital constant se traduit par un recours à une main d'œuvre abondante. Ainsi, dans l'agriculture travaille 20% de la population active (France : 10%, USA : 2,6%), le manque de matériel moderne (tracteurs, silos, engrais, etc.) se traduit régulièrement par une pénurie agricole et oblige donc à des achats sur le marché mondial, ce qui aggrave encore les difficultés de l'économie russe.

LA PENURIE DE MAIN D'OEUVRE

En URSS, les bras ont remplacé les machines inexistantes, comme dans tous les pays sous-développés du monde. Cependant, et c'est là qu'est la différence, sa situation d'hégémonie sur son bloc va lui permettre -et les nécessités imposées par les rivalités impérialistes lui imposer- le développement d'industries lourdes et d'industries de pointe nécessaires à sa puissance militaire. Ce qui crée une situation de déséquilibre profond entre les divers secteurs économiques, entre ceux liés à l'armée et les autres. Mais une économie capitaliste est un tout, pour faire de l'acier, il faut non seulement extraire du minerai de fer, mais aussi du charbon, il faut ensuite transporter cet acier, le travailler, etc..., il faut nourrir les travailleurs, pour cela il faut fournir des produits agricoles... Malheureusement pour elle, la bourgeoisie russe ne pouvait investir partout à la fois. Pour pallier à la déficience de capitaux dans ces secteurs, un seul recours: user et abuser de la force de travail, sous peine de voir l'économie se paralyser totalement. Dans les mines, dans les champs, sur les chantiers, les hommes vont remplacer les machines. Ainsi, dans l'agriculture et le bâtiment, sont employés en Russie 36% de la population active contre 19% en France et 10% aux Etats-Unis. Cela se traduit par une faible productivité de l'industrie russe et, étant donnés les gros besoins liés à la forme même de son développement économique, par une pénurie de main d'œuvre.

Phénomène encore plus renforcé par le fait que les déséquilibres internes de l'économie russe se traduisent par une tendance brutale au capitalisme d'Etat (seul capable de maintenir un minimum de cohésion au sein de ces contradictions explosives), qui se caractérisent par une inertie bureaucratique terrible, par un approvisionnement chaotique des usines en matières premières et pièces de rechange.

Ces deux aspects conduisent le chef d'entreprise à employer des travailleurs en surnombre, de peur de ne pouvoir réaliser le plan et pour pallier au fait que les chaînes fonctionnent souvent au ralenti par manque d'approvisionnement, ou sont paralysées par le manque de pièces de rechange, pour avoir une réserve de main-d’œuvre pour rattraper les objectifs de production lorsque les approvisionnements arrivent, en faisant travailler à fond la chaîne et en ayant des services d'entretien pléthoriques, afin de refaire les pièces dans la mesure où elles manquent. Ainsi, l'ensemble des secteurs "auxiliaires" dans l'entreprise, en 1975, utilisaient 49% des effectifs de l'industrie.

Cette situation pousse la bourgeoisie russe à utiliser de manière extensive la force de travail par l'institutionnalisation de la double journée de travail (heures supplémentaires, travail au noir), par le recours à des jours de travail gratuits, par un recours au travail des femmes (93% travaillent) et des retraités ( en 1975 : 4,4 millions cumulaient leur retraite avec un salaire).

La pénurie de main d'œuvre se traduit donc par son corollaire, le plein emploi. Cependant, ce plein emploi ne peut masquer le sous-emploi réel de la force de travail, qui se traduit dans le faible taux de productivité de l'économie russe. Le plein emploi, en Russie, exprime la même chose que le chômage dans les pays occidentaux : le sous-emploi de la force de travail, c'est à dire l'incapacité du capitalisme décadent d'utiliser les ressources du travail vivant.

LA PENURIE SUR LE MARCHE INTÉRIEUR

La nécessité de faire baisser les coûts de production va conduire la bourgeoisie russe à mener une attaque constante contre la force productive la plus malléable et la plus importante : la force de travail. Un seul but, faire baisser coûte que coûte les salaires réels.

Confronté à la pénurie de main d’œuvre, qui implique une pression constante au niveau de la masse salariale, la bourgeoisie dans l'incapacité à dégager un volant de chômage ne peut avoir recours qu'à des méthodes draconiennes pour abaisser ses coûts :

-         le rationnement typique de l'économie de guerre;

-         la baisse ou la stabilité des prix imposés artificiellement et autoritairement par l'Etat, au prix d'une vente à des prix inférieurs aux coûts de production sur le marché intérieur.

Ce système permet d'obtenir une main d’œuvre bon marché, mais se traduit par :

-        un niveau de vie très bas de la population,

-             une pénurie d'approvisionnement dans les magasins. La demande solvable (distribuée sous forme de salaires et subventions) étant supérieure à la valeur officielle des produits de consommation mis sur le marché, conduit aux longues queues devant les magasins et à un profond mécontentement de la population, à une épargne forcée qui ne sert à rien et à une pression inflationniste très forte.

-       la création d'un marché noir très important et une tendance au troc.

La pénurie dans les magasins est encore accentuée par le mauvais fonctionnement général de l'économie russe :

-                  15% de la production invendable ou défectueuse

-       une distribution anarchique et une mauvaise adaptation des produits aux besoins du marché, ce qui donne, dans un cadre de pénurie générale, des stocks d'invendus inutilisables,

-       une agriculture chroniquement déficitaire.

De cette situation découle une épargne importante (qu'il ne faut pas cependant surestimer, elle équivaut en grande partie à l'absence de crédits à la consommation), qui n'a fait qu'augmenter depuis 1965, montrant ainsi l'austérité croissante au travers des rationnements.

Cette situation est le produit de la priorité accordée au développement des biens de production dans l'industrie, aux dépens des biens de consommation (87% des investissements industriels contre 13%). Cependant, à cause de l'arriération et du déséquilibre du capitalisme russe, la pénurie de marchandises se fait aussi bien sentir dans la production de biens de production, au niveau de l'approvisionnement déficient en matières premières et en pièces de rechange.

Cependant, la pression du marché mondial et du marché intérieur tendent à briser le carcan que constitue la tricherie par rapport à la loi de la valeur, à la base du fonctionnement du modèle rus-. se. Ainsi, la saturation du marché mondial induit en Russie l'apparition de stocks importants dans l'industrie et la pression de la demande sur le marché intérieur pousse au développement du marché noir, qui a énormément progressé ces, dernières années, sur lequel la loi de la valeur joue à plein, provoquant ainsi une baisse de la croissance de l'épargne depuis 1975 et une pression inflationniste croissante.

L'INFLATION EN URSS

Les indices officiels des prix en URSS sont remarquables par leur stabilité (indice 100 en 1965, 99,3 en 1976). L'inflation n'existerait-elle pas dans ce pays ? Là encore, le fonctionnement même du marché intérieur tend à masquer l'inflation telle qu'on la conçoit en occident (surtout dans sa manifestation classique : augmentation des prix). En effet, cette inflation prend des formes différentes sur le marché officiel :

- augmentation des subventions aux produits de consommation, afin de maintenir leurs prix artificiels,

- rationnement accentué, qui se traduit par l'allongement des files d'attente devant les magasins, monnaie en excédent, stérilisée par l'épargne (133 milliards de roubles).

Les facteurs inflationnistes en Russie sont :

-       Excédent de la demande solvable sur l'offre, qui pousse a la constitution du marché noir qui reflète l'inflation réelle (le rouble y est côté à un quart de sa valeur officielle).

-       Investissements mal rentabilisés (85% du montant global placé dans des chantiers inachevés).

-       Poids énorme ces secteurs improductifs, notamment de l'armement (12% du PNB).

-       Pression du marché mondial au travers du commerce extérieur.

Cette pression inflationniste est tellement forte qu'aujourd'hui la bourgeoisie russe ne peut même plus la masquer; les augmentations en cascades se succèdent à vitesse accélérée : taxis 100%, soieries 40%, vaisselle 80%, confection 15%, bijoux 110%, automobiles 50% pour les modèles les plus recherchés, telles sont quelques augmentations décidées par l'Etat le 1er Janvier 1977, sans compter les hausses déguisées, telle que le retrait d'un produit peu cher et la mise en circulation d'un équivalant plus onéreux, ni les hausses brutales sur le marché kolkhozien et le marché noir.

Contrairement à ce que peuvent prétendre les staliniens et les trotskystes, lorsqu'ils déclarent que l'inflation en URSS est due uniquement à la crise des pays occidentaux qui pénètre la Russie par son commerce extérieur, c'est essentiellement les contradictions internes qui poussent son processus inflationniste, vu que le commerce avec l'occident ne représente que 3% du revenu national.

Dans les conditions particulières de la Russie, l'inflation exprime l'excédent de la demande sur l'offre, alors que c'est l'inverse sur le marché mondial. Est-ce contradictoire ? Non, car la situation particulière de la Russie est précisément due au fait que, pour elle, étant donné son manque de compétitivité, le marché mondial est toujours apparu comme saturé. La situation en Russie est le produit même de la crise économique mondiale qui se manifeste sur le marché mondial.

Dans ces conditions, le marché intérieur russe, non saturé, représente t'il un débouché possible pour son économie ? Pas vraiment, dans la mesure où les prix pratiqués y sont des prix inférieurs aux coûts (déficit qui ne peut être équilibré que par l'extorsion de capitaux aux pays d'Europe de l'Est). Pour que le marché intérieur puisse constituer un débouché réel, il faudrait d'abord mettre ses prix au niveau des prix du marché mondial, c'est cette tentative qui exprime la vague de hausse des prix. Mais cela signifie un pas en avant dans une spirale inflationniste, par une pression accrue sur la masse salariale et un risque d'explosion sociale grandissant. En fait, la part plus importante accordée aux biens de production dans le Xème plan exprime plus la crise que subit le secteur I des biens de production par rapport à la saturation du marché mondial.

L'URSS n'échappe pas à la crise mondiale du capitalisme. Elle exprime, au contraire, pleinement la réalité du capitalisme décadent.

-   incapacité d'un réel développement des forces productives,

-         tendance brutale au capitalisme d'Etat,

-         économie de guerre.

En fait, tous ces traits expriment la crise permanente du capitalisme. Les caractères spécifiques de la crise en URSS, loin de signifier l'absence de crise dans ce pays, expriment, au contraire, son importance et sa permanence, ils sont la preuve des contradictions explosives qui secouent l'économie russe.

Pour maintenir son existence indépendante, le capital russe ne peut que s'enfoncer dans une tricherie de plus en plus forte par rapport à la loi de la valeur et la loi de l'échange. Mais une tel­le tricherie ne peut durablement masquer la réalité du capital et ses contradictions, la loi de la valeur tend de plus en plus à faire éclater le cadre formel qui la distord.

Face à une telle menace, l'URSS est poussée de plus en plus à chercher de nouveaux marchés à piller pour poursuivre son propre renforcement. Comme solution à la crise, elle est de plus en plus poussée vers la guerre.

Mais ces contradictions, si elles apparaissent plus brutales, ne sont pas pour autant différentes de celles qui secouent le capitalisme sur l'ensemble de la planète, où partout la loi de la valeur est à l’œuvre, où partout le capital se trouve confronté à la limite de ses débouchés.

Par bien des aspects, l'URSS montre le chemin que suit le capital partout dans le monde : contrôle de plus en plus ouvertement totalitaire de l'Etat, gaspillage insensé dans l'économie de guerre, etc.

A l'Est comme à l'Ouest, la crise économique sape les bases de la production capitaliste et crée les conditions de la crise sociale qui, en faisant exploser la contradiction entre le capital et le travail, crée les conditions de la révolution communiste.

JUIN 1980.

 

"LE TRAVAIL QUI N'EST PAS EXPLOITE EST AUTANT DIRE DE LA PRODUCTION PERDUE. DES MATIERES PREMIERES QUI RESTENT INEMPTAYEES NE SONT PAS DU CAPITAL. DES DATIMENTS QU'ON N'OCCUPE PAS (TOUT COMME DES MA­CHINES NOUVELLEMENT CONSTRUITES) OU QUI RESTENT INACHEVES, DES MARCHANDISES QUI POURISSENT DANS LES ENTREPOTS,- TOUT CELA C'EST DE LA DESTRUCTION DE CAPITAL."

(Marx :"Théories sur la plus-value", XVIIème chapitre, Editions sociales page 591.)

Géographique: 

  • Pologne [1]
  • Russie, Caucase, Asie Centrale [3]

Questions théoriques: 

  • L'économie [4]

Lutte de classes internationale

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PRESENTE AU 4EME CONGRES DE REVOLUTION INTERNATIONALE, SECTION DU C.C.I. EN FRANCE, LE RAPPORT QUE NOUS PUBLIONS ICI TENTE DE CERNER LES PREMIERS PAS DU PROLETARIAT DANS LA REPRISE INTERNATIONALE DES LUTTES OUVRIERES.

CE RAPPORT EST CONCU EN TROIS PARTIES :

LA PREMIERE TRAITE DU DEVELOPPEMENT DES CONDITIONS GENERALES, ECONOMIQUES, POLITIQUES ET SOCIA, LES DANS LESQUELLES SE DEROULE LA LUTTE DE CLASSE ET QUI LA CONDITIONNENT.

DANS LA DEUXIEME SONT EVOQUEES RAPIDEMENT LES CARACTERISTIQUES GENERALES DE LA LUTTE DE CLASSES A NOTRE EPOQUE.

LA TROISIEME PARTIE S'ATTACHE A DEGAGER QUELQUES PROBLEMES AUXQUELS SONT CONFRONTEES LES DERNIE­RES LUTTES OUVRIERES.

SI CE RAPPORT A ETE CONCU DE CETTE MANIERE, C'EST QU'IL NOUS SEMBLAIT QU'ELLE PERMETTAIT UNE AP­PROCHE A LA FOIS GLOBALE ET DYNAMIQUE DE LA LUTTE DE CLASSES ET DES PROBLEMES QU'ELLE SOULEVE.

LE DEVELOPPEMENT DES LUTTES OUVRIERES EN POLOGNE SEMBLE CONFIRMER CETTE METHODE D'ANALYSE ET LE CONTENU DU RAPPORT. EN EFFET :

-            LE DEVELOPPEMENT DES CONDITIONS GENERALES, A L'ECHELLE INTERNATIONALE, CONFERE AUX LUTTES EN POLOGNE UN IMPACT ET UNE IMPORTANCE BIEN PLUS GRANDS QUE NE POUVAIENT EN AVOIR LES LUTTES DE 70-71 ET DE 76 ;

-            D'AUTRE PART, CES LUTTES DEMONTRENT UNE FOIS DE PLUS A QUEL POINT LA LUTTE DE CLASSES SE DEVELOP­PE PAR DE BRUSQUES BONDS EN AVANT DANS LA PERIODE ACTUELLE, ET NON DE FACON PROGRESSIVE, OBEISSANT A UNE DYNAMIQUE DIFFERENTE DE CELLE OU SIECLE PASSE ;

-            ENFIN, CES LUTTES MONTRENT L'UNITE DES PROBLEMES ET DES QUESTIONS QUE RENCONTRE LA CLASSE OUVRIERE DANS SA LUTTE, DANS QUELQUE PAYS QUE CE SOIT. MAIS CE QUI CARACTERISE LES LUTTES EN POLOGNE PAR RAPPORT A CELLES QUI les ONT PRECEDEES, CE QUI FAIT QU'ELLES REALISENT UN BOND EN AVANT DU MOUVEMENT OUVRIER INTERNATIONAL, C'EST QUE LES OUVRIERS EN POLOGNE ONT COMMENCE A REPON­DRE DANS LA PRATIQUE A CES PROBLEMES ET A CES QUESTIONS; que CE SOIT L'EXTENSION, L'UNIFICATION DE LA LUTTE, L'AUTONOMIE, L'AUTO-ORGANISATION ET LA SOLIDARITE DE LA CLASSE.

AVANT DE LAISSER LE LECTEUR JUGER PAR LUI-MEME, IL FAUT ENCORE PRECISER QUE CE RAPPORT S'EST SURTOUT DONNE POUR TACHE DE METTRE EN AVANT L'ASPECT DYNAMIQUE ET POSITIF DE LA REPRISE A L'HEURE ACTUELLE, SANS S'ATTACHER A ANALYSER LA MANIERE DONT LA BOURGEOISIE TENTE DE S'Y OPPOSER (EN PARTI­CULIER AVEC L'ATTITUDE OPPOSITIONNELLE DE LA GAUCHE).

L'évolution de la lutte de classes, dans ses formes et dans son contenu, est toujours l'expression des changements et de l'évolution des conditions dans lesquelles elle se déroule. Chaque évènement qui met aux prises le monde du travail contre le capital peut révéler, selon la situation, tel ou tel aspect prometteur d'un mouvement souterrain qui mûrit, ou, au contraire, les derniers soubresauts d'un mouvement qui s'épuise. Aussi ne peut-on traiter de la lutte de classes et de son évolution sans considérer les conditions qui y président.

Pour ces raisons, il est nécessaire d'examiner, dans un premier temps, l'évolution des conditions sociales générales par rapport à la lutte de classes avant de se pencher, dans une seconde partie, sur les aspects marquants de son évolution, et de sa dynamique depuis deux ans et des perspectives qu'elle ouvre.

L’EVOLUTION DES CONDITIONS DE LA LUTTE DE CLASSE A L'HEURE ACTUELLE

Il nous faut considérer les déterminations sociales de la situation; aujourd'hui sous ses différents angles : économique, politique, et de l'ensemble de la société.

AU NIVEAU ECONOMIQUE

L'accentuation et la généralisation de la crise économique développe les conditions de la lutte de classes aujourd'hui. La tendance à l'égalisation dans la descente et la stagnation qui caractérise le sort des nations bourgeoises dans la période de décadence s'exacerbe dans cette période de crise aiguë. Par rapport à il y a dix ans, tous les pays sont frappés par la crise et les "modèles de développement" allemand, japonais, américain pour les pays développés, coréen, iranien, brésilien pour les pays sous développés/sont ramenés au rang des autres.

Au sein de chaque économie nationale également, il y a de moins en moins de secteurs industriels "locomotives". Les espoirs que la bourgeoisie pouvait mettre dans le développement des uns au détriment des autres trop anachroniques et peu rentables, s'effondrent. Tous les secteurs de la production tendent à être touchés.

Tous les ouvriers aussi. Le spectre des licenciements et du chômage, la baisse du niveau de vie, la perspective de l'aggravation de conditions d'existence de plus en plus intolérables ne soit plus l'apanage de certains secteurs. Les difficultés des uns deviennent les difficultés de tous. CETTE TENDANCE A L'UNIFICATION, PAR LA CRISE, DES CONDITIONS D'EXISTENCE DU PROLETARIAT DEVELOPPE LE LES CONDITIONS POUR LA GENERALISATION DE SES LUTTES.

L'approfondissement et la généralisation de la crise économique constituent un aspect fondamental des conditions nécessaires à la généralisation des luttes dans la période actuelle.

Mais un autre aspect de cette réalité, non moins fondamental pour le développement de ces conditions, réside dans le fait que la crise économique se présente aujourd'hui SANS PERSPECTIVES, sans autre issue que la guerre, à la conscience des différentes classes.

Au langage de "restructuration", de "participation", d'"auto-gestion" que nous a tenu depuis dix ans la bourgeoisie, a fait place un langage d'austérité. On ne parle plus du "bout du tunnel". Le bout du tunnel pour la bourgeoisie aujourd'hui, c'est la guerre et elle le dit.

Aussi nous tient-elle un "langage de vérité". Mais la vérité bourgeoise n'est pas toujours bonne à dire, surtout aux exploités.

QUE LA BOURGEOISIE INDIQUE OUVERTEMENT QUE SON SYSTEME EST EN FAILLITE, QU'ELLE N'A RIEN D'AUTRE A PROPOSER QUE LA BOUCHERIE IMPERIALISTE, CONTRI­BUE A CREER LES CONDITIONS POUR QUE LE PROLETARIAT TROUVE LE CHEMIN DE SON ALTERNATIVE HISTORI­QUE AU SYSTEME CAPITALISTE. AU NIVEAU POLITIQUE

Toutes les perspectives illusoires mises en avant depuis dix ans, et que la bourgeoisie croyait elle-même être des solutions, tendent à s'évanouir.

Ainsi, la situation économique catastrophique du capitalisme, la conscience qu'en ont les différentes classes et les réactions qu'elle détermine dans la classe ouvrière se retrouvent et se traduisent sur le plan politique, non seulement au niveau de la lutte entre les différentes fractions de la bourgeoisie (crise politique), mais surtout PAR L'ABSENCE D'ALTERNATIVE HISTORIQUE FACE A LA LUTTE DE CLASSE.

L'usure de la "gauche au pouvoir", qui avait dominé la perspective sociale pendant les années précédentes, est un élément déterminant de cette absence d'alternative. C'est pourquoi on a assisté à la réorientation de la gauche dans l'opposition, dans les principaux pays européens, face et contre le développement de la lutte de classe.

Cependant, sur le plan politique, la gauche ne peut pas présenter à l'heure actuelle de perspective propre. Sa fonction consiste surtout à minimiser les enjeux de la situation. Face au langage de "vérité" des gouvernements en place, elle brouille les cartes. Elle dit que cette vérité -la perspective de guerre- est un mensonge, mais elle a peu de mensonges à proposer en guise de vérité. Aussi, ce n'est pas tant sur le terrain de la perspective politique que la gauche va remplir actuellement sa fonction anti-ouvrière mais directement sur le terrain de la lutte de classe.

ESSENTIELLEMENT ET FONDAMENTALEMENT, CETTE ABSENCE D'ALTERNATIVE POLITIQUE SE TROUVE AUJOUR­D'HUI AU COEUR DE LA CRISE POLITIQUE DE LA BOUR­GEOISIE; DE CE POINT DE VUE, LA POSITION DE LA GAUCHE DANS L'OPPOSITION TRADUIT UNE POSITION ET UNE SITUATION DE FAIBLESSE POUR ELLE-MEME ET POUR L'ENSEMBLE DE LA BOURGEOISIE.

AU NIVEAU SOCIAL

Sur le plan social, le développement des conditions dans lesquelles se déroule la lutte de classes S'EXPRIME ET SE TROUVE RESUME DANS LA POSITION DE L'ETAT DANS ET FACE A LA SOCIETE. Et cela d'autant plus que l'Etat tend, dans la période de décadence, à régir l'ensemble de la vie sociale et à établir son emprise sur toutes ses expressions.

Si l'on examine rapidement la situation de l'Etat aujourd'hui, on s'aperçoit (lut les effets de la crise et les différents plans économiques de ces dernières années pour y faire face ont eu des conséquences très graves sur l'état de ses finances dont les déficits atteignent des proportions de plus en plus importantes et sont d'ailleurs une des sources principales d'inflation. Il n'y a guère que le budget de l'armée et de la police qui soient augmentés ; pour le reste, ce que la bourgeoisie appelle les "budgets sociaux" et qui sont en réalité une partie des salaires dont l'Etat a la charge, ils ont tous été fortement diminués en même temps qu'augmentaient les charges sociales.

Au moment même où il est obligé de développer la répression et la militarisation de la vie sociale, l'ébranlement économique de l'Etat affaiblit son emprise idéologique et l'apparence "sociale" de l'Etat du capitalisme d'Etat tend à disparaître pour laisser de plus en plus au grand jour sa réalité de gardien de l'ordre capitaliste.

La position dans laquelle se retrouve aujour­d'hui l'Etat laisse la porte ouverte à l'expression des contradictions qui rongent la société, celles qui divisent les classes sociales et s'expriment dans la désobéissance à l'Etat, la révolte et la lutte du prolétariat.

Face à ce processus, l'Etat tend à renforcer de plus en plus son caractère répressif pour empêcher les contradictions d'éclater au grand jour. Sans parler des pays sous développés où la réponse de l'Etat à ces contradictions se traduit par des massacres de plus en plus grands des populations, ouvriers, paysans (massacre des ouvriers aux Indes, massacres en Iran, meurtres à répétition en Turquie, en Tunisie, en Equateur, etc...), dans les pays développés et jusqu'ici au visage "démocratique", l'Etat est de plus en plus acculé à ne proposer que sa police et sa "justice" de classe comme réponse à toute expression sociale.

Les lois que nous concoctent tous les gouvernements d'Europe à l'heure actuelle, "anti-terroristes" en Italie, "anti-autonomes", "anticasseurs" en France, les pratiques judiciaires des "flagrants délits", les morts dans les affrontements comme en Corse, à Jussieu, à Miami, les blessés à Bristol, à Plogoff, les blindés dans les rues d'Amsterdam contre les "squatters", voilà la réponse des Etats "démocratiques" aux contradictions dans la société.

Dans cette situation, les illusions qui avaient subsisté sur la possibilité de changement dans le  cadre des institutions existantes et dans la "légalité" tendent à disparaître elles-aussi.

Mais  le renforcement de la répression étatique  n'est pas une expression de la force de l'Etat mais  un renforcement formel. En l'absence de perspectives économiques et politiques, en l'absence d'un embrigadement idéologique des populations derrière les buts de l'Etat, l'exacerbation de sa répression exprime sa faiblesse.

D'autre part, la faillite du système non seulement empire les conditions de vie de la classe ouvrière, mais encore accélère le développement des milliers de sans-travail exclus de la vie économique, jette sur le pavé des milliers de paysans, appauvrit toutes les couches et classes sociales intermédiaires et détermine une révolte grandissante des couches non-exploiteuses contre l'ordre social existant. On a vu se développer, de façon accélérée depuis les derniers deux ans, des révoltes de populations entières (Iran, Nicaragua, Salvador), des mouvements des paysans, des émeutes dans les pays développés (Bristol, Miami, Plogoff), des révoltes des étudiants (Jussieu en France, Corée, Afrique du Sud).

Le développement du mécontentement social et de la révolte dans la société est l'une des conditions dans lesquelles se développe la lutte de la classe ouvrière, une condition de la révolution prolétarienne. En effet, les mouvements contre l'ordre social existant participent d'une part au processus  d'isolement de l'Etat et constituent, d'autre part, le contexte social au sein et vis à vis duquel le  prolétariat se dégage et trouve sa voie propre comme seule force capable de présenter une alternative.

Ce n'est pas seulement contre la bourgeoisie que le prolétariat fait la révolution, mais c'est face à l'ensemble de la société qu'il peut ouvrir un chemin nouveau et c'est face à elle qu'il développe sa prise de conscience.

Ainsi, avec le développement de ces facteurs :

1)   approfondissement important de la crise économique qui ne présente d'autre perspective que la guerre;

2)   absence de perspective politique immédiate et de grands thèmes idéologiques qui canalisent, sinon "l'espoir", du moins la révolte ;

3)     affaiblissement de la position et de l'emprise des Etats qui tendent à être de plus en plus isolés face à la révolte des couches et classes sociales non exploiteuses dans l'ensemble du monde ; se développent les conditions pour que le prolétariat trouve le chemin d'un processus révolutionnaire international.

Mais au sein des conditions générales, le passage de la gauche dans l'opposition répond au besoin pour la bourgeoisie d'empêcher qu'un tel processus ne s'enclenche. Avant même que la reprise des luttes ne se soient clairement dessinée, la bourgeoisie armée de ses thermomètres syndicaux et de ses "experts du travail" a compris la situation. En ce sens, et contrairement à la période précédente de luttes où le prolétariat avait surpris le monde par son resurgissement sur la scène historique, la bourgeoisie connaît aujourd'hui le danger de la lutte de classes et s'y est préparée.

Du point de vue de la bourgeoisie, le passage de la gauche dans l'opposition ne correspond pas à un plan machiavélique et prévu d'avance. L'emprise et l'audience des partis de gauche et surtout des syndicats s'affaiblissant dangereusement tout au long de cette période de course au pouvoir ou de "responsabilité" vis à vis des pouvoirs établis (désyndicalisation, perte d'influence et hémorragie des militants sont les signes révélateurs de cet affaiblissement), ceux-ci ont été contraints d'adopter une autre position pour ne pas perdre ce qui est le fondement de leur réalité et de leur force, le contrôle de la classe ouvrière.

Même s'ils font tout et ils vont tout faire pour "redorer leur blason" dans l'opposition en prenant la "tête" des luttes, ils s'usent également dans l'opposition car la lutte de classes n'est pas leur terrain véritable. C'est pourquoi nous disions plus haut que la position d'opposition de la gauche était une position de faiblesse; c'est la poussée de la lutte de classes qui détermine sa position actuelle d'opposition et de "radicalisation verbal".

Dans notre travail au sein de la lutte du prolétariat et donc en butte au problème de la gauche dans l'opposition, nous devons garder à l'esprit ce double aspect que revêt la position de la gauche dans l'opposition. D'un côté entrave au développement de la lutte de classes, et de l'autre, position de faiblesse due elle-même à la faiblesse de l'encadrement idéologique de la bourgeoisie. Da toutes façons, la gauche devra, elle, vivre et travailler au sabotage de la lutte de classes avec cette contradiction qui se développera nécessairement avec le développement des luttes et qui l'usera d'une manière plus radicale que la course au pouvoir.

Après avoir examiné les conditions objectives de la lutte de classe à l'heure actuelle, il faut chercher à évaluer le contenu des luttes qu'on a vu se développer. Mais il est encore nécessaire de rappeler rapidement les caractéristiques générales des luttes dans la période de décadence, la dynamique qui les anime et que l'expérience du prolétariat nous a enseignée.

LE PROCESSUS DE LA LUTTE DE CLASSES

1-            Contrairement au 19ème siècle, le prolétariat ne peut plus se constituer en force face à la société sans remettre directement en cause la société elle-même. Alors qu'à l'époque, le prolétariat pouvait développer ses luttes de façon limitée et faire céder le capital sans ébranler toute la société, le caractère obsolescent et décadent du capitalisme et l'exacerbation de ses contradictions dans les périodes de crise aiguë ne peuvent plus supporter la constitution d'une force antagonique en son sein. Les luttes du prolétariat ne peuvent qu'accentuer la crise de la société et poser la question de la société elle-même.

Les buts du mouvement, de remise en cause des conditions d'existence s'étendent à la remise en cause de cette existence elle-même ; les formes de lutte, de résistance partielle et localisée de fractions de la classe ouvrière, s'étendent à la classe ouvrière dans son ensemble. Le développement  de la lutte nécessite la participation massive de  la classe ouvrière.

2-            Contrairement au mouvement ouvrier du siècle dernier qui, malgré le caractère toujours heurté de la lutte de classes, pouvait se développer de façon progressive au sein de la société, où chaque lutte partielle de la classe venait renforcer la prise de conscience et l'union grandissante des travailleurs dans leurs organisations de masse, les luttes d'aujourd'hui ont un caractère explosif, préparé et imprévu.

Malgré son caractère heurté et explosif, le développement de mouvements de masse est un processus et obéit à une logique qui constitue la dynamique de la lutte de classes, qui se développe au travers de plusieurs moments de lutte, même si ceux-ci ne se relient pas forcément entre eux, de façon apparente, par un lien évident.

"Il est absolument faux d'imaginer la grève de masse coffre une action unique. La grève de masse est bien plutôt un terme qui désigne collectivement toute une période de lutte de classes s'étendant sur plusieurs années, parfois sur des décennies." (R. Luxembourg. Grèves de masses, parti et syndicats, p.128. Ed Maspero 1969).

C'est dans un tel cadre, en gardant â l'esprit les lois générales et les caractéristiques du mouvement révolutionnaire à l'heure actuelle, que nous pouvons et devons nous pencher sur les éléments que nous a apportés la pratique de la classe dans ses  derniers combats.

Aujourd'hui, nous sommes au tout début d'un processus qui va mener vers le développement des grèves de masses; un processus durant lequel la classe va trouver le chemin pour constituer une force qui régénérera la société en la débarrassant de ses entraves capitalistes.

C'est pourquoi, c'est avec beaucoup d'attention  que nous devons chercher à voir, dès maintenant, dans les luttes, les éléments dynamiques, porteurs  de possibilités immédiates, pour participer de toutes nos forces et capacités à la marche historique  du prolétariat vers l'avenir.

CERTAINS ASPECTS DE LA LUTTE DE CLASSES AUJOURD' HUI

Au cours de ces dernières luttes, aussi embryonnaires soient-elles, l'activité de la classe ouvrière a déjà soulevé beaucoup de problèmes, beaucoup plus qu'elle n'en a résolus et ne peut en résoudre dans l'immédiat. Mais le .fait qu'ils aient été posés dans la pratique constitue déjà un pas en avant du mouvement. On peut en énumérer en vrac un certain nombre qui, s'ils sont tous liés dans et par le processus d'affirmation révolutionnaire de la classe, apparaissent encore connes des éléments isolés, sans dégager nécessairement une orientation claire, se présentant ponctuellement dans les luttes à l'heure actuelle :

- les affrontements avec l'Etat ont eu lieu dans toutes les luttes principales en Europe (Longwy, De­nain, Paris, Grande-Bretagne, mineurs du Limbourg, Rotterdam ...);

- l'auto-organisation (comité de coordination de la Sonacotra, comité de grève de Rotterdam);

- la solidarité active (Grande-Bretagne, France); - l'occupation de l'usine (Denain, Longwy) ;

- l'information et ses moyens de diffusion par la presse, la radio, la TV (Espagne, France) ;

- la répression et la lutte contre la répression (emprisonnés de Denain, de Longwy, du 23 mars).

Dans toutes ces questions, les ouvriers ont rencontré les manigances syndicales, sous ses multiples formes, de la base au sommet, et avec l'esprit syndicaliste qui pèse encore lourdement sur leur conscience ; ils ont dû les déborder, les contourner, les affronter, et bien souvent s'y sont laissés prendre.

Si tous ces aspects, ces questions, surgis de la lutte, trouveront leur réponse dans la lutte elle-même, on ne peut se contenter de généralités en attendant leur résolution. Contrairement à "Pour une  Intervention Communiste" qui , à Longwy et Denain, demandait à la classe ouvrière d'inscrire l'"abolition du salariat" sur son drapeau ; contrairement au "Groupe Communiste Internationaliste" pour qui la question de l'heure (et à toute heure!) à laquelle les luttes doivent se consacrer est "l'affrontement" ; contrairement au "Ferment Ouvrier Révolutionnaire" qui préconise "l'insurrection", et à la "Communist Workers Organisation" qui "attend" que les masses rompent avec les syndicats (et rejoignent le parti ?) pour s'y intéresser , nous devons examiner concrètement les nécessités et les possibilités de la lutte actuelle, comme les dangers actuels qui les guettent, si nous voulons participer activement à leur développement. A la veille de l'insurrection, les problèmes cruciaux immédiats ne seront pas les mêmes qu'aujourd'hui. Mais aujourd'hui, au tout début d'un processus fragile, nous devons nous pencher avec attention sur les différents aspects des luttes, si faibles et si petits soient-ils, pour comprendre à chaque moment où en est le processus, comment il se développe, où réside l'avenir immédiat du mouvement, quelles sont ses potentialités, et y apporter notre contribution.

Nous nous limiterons à étudier certains points parmi ceux mentionnés ci-dessus, qui nous semblent dominants à l'heure actuelle.

LES MOYENS ET L'EXTENSION DES LUTTES

Une des premières questions que pose la lutte, c'est celle de son efficacité immédiate par rapport à la bourgeoisie et à son Etat. Si l'on prend l'exemple de trois situations différentes dans lesquelles se trouvent Tes ouvriers dans la production on voit qu'ils sont tous confrontés à ce problème.

- En Grande-Bretagne, la grève de trois mois qu'ont menée les sidérurgistes et qu'ils ont étendue en partie à la sidérurgie privée, n'a eu quasiment aucun effet sur la vie économique du pays. En Hollande, malgré un mois de grève des dockers, 80% de l'activité du port de Rotterdam a été assurée.

- D'autre part, un grand nombre de luttes a été engagé contre les licenciements. Dans ce cas, encore plus que dans les autres, la pression économique que les ouvriers voudraient exercer sur la bourgeoisie est rendue impossible de fait.

- D'autre part encore, dans des secteurs vitaux pour le fonctionnement de l'économie et celui de l'Etat (secteurs de pointe, mais surtout énergie, armement, transports, etc.), les ouvriers ont été

et sont soumis, dès qu'ils veulent entrer en lutte, à une pression très forte de l'Etat et à des diktats de plus en plus totalitaires. En France, par exemple, on a pu assister tout au long de ces derniers mois, à une campagne de la bourgeoisie contre les grèves dans les secteurs publics, et tout dernièrement la bourgeoisie cherche à imposer des mesures antigrèves dans la production d'électricité.

Aussi, dans les mouvements que la classe ouvrière a menés ces derniers mois, elle a à nouveau fait l'expérience de la difficulté à imposer une pression économique qui rende sa lutte efficace. La quantité de stocks dont dispose la bourgeoisie, la haute technicité du capital et son corollaire, une main d’œuvre limitée, l'organisation mondiale du capital, le contrôle et la centralisation économique par l'Etat, bref la puissance du capital par rapport au travail sur le terrain économique, font que les grèves dans une usine, ou même dans une branche d'industrie ont un effet des plus limités.

Tout cela n'est pas nouveau et est l'expression du capitalisme d'Etat et de la militarisation de la vie économique qu'impose la décadence du système et que renforce la crise aiguë actuelle. Mais ce qui est "nouveau" par contre, dans les luttes de ces derniers mois, c'est que la prise de conscience de cette situation a été l'aiguillon, la force principale qui a poussé les ouvriers à chercher d'autres voies, à étendre leurs luttes.

En Grande-Bretagne, les ouvriers ont vite réalisé que le blocage du trafic de l'acier dans les ports, les lieux de stockage etc., était pratiquement impossible à réaliser et qu'il fallait trouver une autre voie pour s'imposer. C'est alors  qu'ils ont cherché à orienter leur mouvement vers  la recherche de la solidarité active des autres  ouvriers.

En France, la lutte des ouvriers de la sidérurgie avait lieu contre les licenciements. Dans ce cas, encore plus que dans les autres, la pression économique ne pouvait avoir de poids sur la bourgeoisie, et les ouvriers s'en sont rendu compte dès le début. A aucun moment ils ne se sont mis en grève et c'est dans la rue qu'ils ont engagé la lutte. Lorsque la CGT, à Denain, a proposé l'occupation de l'usine, elle s'est fait huer par les ouvriers.

A Rotterdam, le problème de l'extension du mouvement s'est posé dès le début de la grève. Les ouvriers se sont orientés dans différentes tentatives d'extension (appeler les autres dockers à la grève) et lorsqu'au bout de trois semaines de grève, ils ont voulu aller chercher les autres ouvriers du port, c'est alors que l'Etat a envoyé sa police, exprimant ainsi clairement que c'est là  que résidait pour lui le danger de cette lutte.

Dans ces luttes, la classe ouvrière a commencé à se rendre compte de la limitation objective du terrain catégoriel et strictement économique, terrain où le rapport de forces ne peut qu'être favorable à la bourgeoisie. Si le prolétariat ne fait que commencer à entrevoir la question, l'accentuation de la crise économique et avec elle, d'un côté, l'augmentation des licenciements, et de l'autre l'effort de rentabilisation et de militarisation des secteurs-clés de l'économie, vont pousser de plus en plus la classe ouvrière à trouver de nouvelles voies, et , en attaquant la force du capital de tous côtés, à la transformer en faiblesse.

LA QUESTION DU CHOMAGE ET LES LICENCIDENTS DU LES LUTTES ACTUELLES

Dans la résolution que le CCI avait adopté sur les questions du chômage et de la lutte de classe, nous mettions en avant que "si les chômeurs avaient perdu le terrain de l'usine, ils gagnaient du même coup celui de la rue". Les luttes de l'an dernier contre les licenciements dans la sidérurgie sont venues confirmer cette thèse.

Ces luttes nous ont montré que la lutte contre les licenciements sur le "terrain de la rue" constituait un TERRAIN TRES PROPICE AU DEVELOPPEMENT GENERAL DE LA LUTTE, A SON EXTENSION ET A SON UNIFICATION, et cela en particulier parce que le terrain de la rue déborde le cadre de l'usine et de la corporation, terrain privilégié du travail syndical.

Cette expérience doit aujourd'hui nous servir de guide et d'illustration sur la place que peut occuper demain la lutte des chômeurs. En effet, dans une situation générale de développement des luttes, la lutte des chômeurs, parce qu'elle est de fait débarrassée des entraves corporatives et sectorielles, et ne peut se dérouler que sur le "terrain de la rue", jouera nécessairement un rôle important dans l'extension et l'unification de la lutte ouvrière et sera bien plus difficile à contrôler et à encadrer par les syndicats.

Depuis que nous avons eu nos discussions sur les questions du chômage et de la lutte de classe, le développement lent de la crise ne nous a pas donné l'occasion de voir une lutte de chômeurs se développer, à part en Iran. Malgré le peu d'informations auxquelles nous pourrions nous référer nous pouvons tout de même avancer que la question du chômage a été premièrement une question centrale dans la lutte des ouvriers en Iran et deuxièmement qu'elle en a été une force motrice et unificatrice.

Pour toutes ces raisons, nous devons donc dans la situation actuelle de développement extrêmement grave de la crise et du chômage qui va en résulter, ne pas relâcher notre attention sur cette question. Au contraire:, nous devons accorder une attention particulière à son développement, aux réactions qu'il provoque dans la classe ouvrière et à la manière dont la gauche et Les syndicats tentent et tenteront de désamorcer la bombé so­ciale qu'il constitue.

EXTENSION ET SOLIDARITE.

Dès que la classe ouvrière entre en lutte, dans un secteur ou dans un autre, se pose la question de la solidarité, comme besoin et nécessité de la lutte.

En France, dans les premières attaques des ouvriers à Longwy et Denain, contre les préfectures, les caisses d'impôts, les banques, les chambres patronales, et surtout dans les premières attaques de commissariats en réponse aux actes de répression de la police, UNE SOLIDARITE DIRECTE ET SPON­TANÉE DES AUTRES OUVRIERS, DES CHOMEURS ET MEME DE LA POPULATION S'EST REALISEE DANS L'ACTION.

En Grande-Bretagne, malgré le cadre strict imposé au départ par les syndicats à la grève et aux formes de la lutte des sidérurgistes (piquets de grève pour bloquer le trafic de l'acier), les ouvriers ont exprimé leur combativité et leur orientation propres dans les tentatives qu'ils ont faites pour orienter la lutte vers les autres ouvriers, pour aller chercher leur solidarité active. Même si et bien que les syndicats aient réussi à garder le contrôle de l'extension en la limitant au cadre corporatiste qu'ils dominent, c'est sous la pression ouvrière à la recherche de son chemin propre qu'ils l'ont fait, contre l'opposition au départ des bureaucraties syndicales, et C'EST LA QU'ONT RESIDE LE POIDS ET LA FORCE DU MOUVEMENT EN GRANDE-BRETAGNE, en dépit de tous les pièges que lui avait soigneusement tendus la bourgeoisie.

Dans les deux luttes qui se sont dotées d'une organisation propre, en dehors des syndicats, à Rotterdam et à la Sonacotra en France, le problème de la solidarité a été constamment posé. Dés le début, comme on l'a dit plus haut, le comité de grève de Rotterdam était préoccupé de l'extension du mouvement et de la solidarité des autres ouvriers, qui s'est posée, de façon embryonnaire, à Amsterdam. Durant toute la lutte de la Sonacotra, la question de la solidarité des ouvriers français était au cœur des préoccupations du comité de coordination. Les slogans dominants de toutes les manifestations d'immigrés étaient : "français, immigrés, mêmes patrons, même combat ! ; "ouvriers français, immigrés : solidarité!"

Cet effort de la recherche de la solidarité par la classe ouvrière est une manifestation très positive des luttes à l'heure actuelle et des pas qu'elle commence à faire dans la prise de conscience de sa nature fondamentalement unie par les mêmes intérêts.

Mais cet effort encore fragile rencontre face à lui beaucoup d'entraves. La première est bien sûr le niveau général de la lutte de classes. Bien que la solidarité soit un acte volontaire, conscient, elle n'en nécessite pas moins un développement général de la combativité et des luttes ouvrières. Les travailleurs immigrés, en France, en ont d'ailleurs fait l'amère expérience durant toute la période du reflux de la lutte de classe. Cela dit, une autre entrave au développement de la solidarité ouvrière est une conception confuse de la solidarité, conception qui pèse d'autant plus sur la conscience du prolétariat qu'elle se réfère à la "solidarité ouvrière" telle qu'elle pouvait se réaliser dans les luttes du siècle passé.

Alors qu'au 19ème siècle, la solidarité de la classe ouvrière pouvait s'exprimer dans le soutien matériel et financier des grèves, au travers des caisses de grève organisées par les syndicats et qui permettaient aux ouvriers de tenir jusqu’a ce que le patronat cède, aujourd'hui, comme on l'a vu plus haut, la pression économique de la classe ne peut plus s'exercer dans le cadre d'une usine ou même d'une branche d'industrie. Les ouvriers sont nombreux aujourd'hui à avoir fait l'expérience de longues grèves qui, malgré le soutien matériel et la "popularisation" organisée par les syndicats, non seulement n'ont pas fait céder la bourgeoisie, mais encore ont abouti à la démoralisation dans l'isolement.

Alors que fondamentalement, la recherche de la solidarité par la classe ouvrière en lutte aujour­d'hui s'impose à travers la nécessité de BRISER L'ISOLEMENT, la bourgeoisie essaie de dévoyer cette orientation, lorsque la lutte contient trop de dangers, de potentialités à l'égard de son pouvoir, en utilisant le besoin de solidarité à son profit. C'est ainsi qu'au Brésil, les ouvriers ont payé le prix du "soutien" que leur ont apporté les bourgeois et les curés qui ont réussi, au nom de ce soutien, à les enfermer dans leurs églises, et à dévoyer le mouvement sur leur propre terrain, celui de la "démocratie" (syndicalisme libre) et de la nation. De même en France, rares sont les grèves qui ont connu un "soutien" aussi massif et aussi "large" de tous les pouvoirs établis, depuis Chirac jusqu'à la presse, comme celle des nettoyeurs du métro : tout le monde y a mis du sien pour aboutir au nom de la solidarité à l'isolement complet des ouvriers.

La conception bourgeoise de la solidarité, c'est la solidarité DES classes, l'union de tous les citoyens derrière un seul drapeau, une "cause" au nom de laquelle on sacrifie un moment ses intérêts particuliers et divergents. La solidarité de la classe ouvrière, elle, est une solidarité DE classe : ce sont leurs intérêts communs que les ouvriers réalisent dans toute action de solidarité. Pour la bourgeoisie, la solidarité est une notion morale; pour la classe ouvrière, elle est sa pratique.

De par les caractéristiques de la lutte de classe dans la période de décadence, LA SOLIDARI­TE DE LA CLASSE OUVRIERE AUJOURD'HUI, LA SEULE VOIE PAR LAQUELLE ELLE PEUT ARRIVER A S'EXPRIMER, C'EST A TRAVERS LA SOLIDARITE ACTIVE qui veut dire, essentiellement, la participation des autres secteurs à la lutte, L'EXTENSION DE LA LUTTE. La solidarité est à la fois un agent et un produit de l'unification des luttes.

LA QUESTION SYNDICALE

La question syndicale est la pierre de touche de l'avenir de la lutte de classe aujourd'hui. Plus que la répression directe et brutale, c'est dans la mystification et le dévoiement syndicaux que résidera l'offensive bourgeoise contre la classe ouvrière, préparatoire à la répression ultérieure. C'est sur tous les fronts que gauche et syndicats vont attaquer la lutte de classe : isolement, dévoiement, provocation, etc.

Le dégagement du carcan syndical est loin, pour le moment, de s'être exprimé clairement, surtout dans les pays où ils ont une longue tradition historique, comme en Grande-Bretagne. Si en France, le mouvement de Longwy et Denain a commencé par des débordements syndicaux, si, en Italie, la CGIL, par toutes ses actions ouvertement anti ouvrières est particulièrement déconsidérée et les mouvements, comme celui des hospitaliers ont eu lieu directement contre elle, la clarification de la question syndicale dans la conscience ouvrière nécessite un développement plus poussé des luttes.

Il est fondamentalement juste de dire que la question syndicale est une question cruciale, le bras armé de la bourgeoisie dans les rangs du prolétariat et que tant que les syndicats organisent les luttes et les maintiennent dans leur giron, ils constituent l'entrave la plus puissante à tout développement ultérieur.

Cette vérité générale est indispensable à reconnaître pour pouvoir vraiment contribuer au développement de la lutte de classe et à la prise de conscience du prolétariat, et en ce sens, les résistances de nombres de groupes révolutionnaires pour reconnaître cette question est une entrave à l'accomplissement de leur fonction.

Mais cette reconnaissance générale ne suffit pas. Les ouvriers ne répondront pas à la question syndicale en suivant un raisonnement théorique, général, mais en s'y confrontant dans la pratique. Et c'est dans cette pratique qu'il nous faut examiner comment elle se pose et comment nous pouvons contribuer à son éclaircissement véritable. Répéter, comme le font le CWO, le FOR et le PIC que les syndicats sont anti-ouvriers et que ceux-ci doivent s'en débarrasser, ne nous éclaire pas tellement sur la façon concrète par laquelle la classe ouvrière va y aboutir. On peut toujours magnifier l'avenir et exorciser les syndicats en imagination, cela ne nous explique pas le présent, et le chemin qui mène du présent à cet avenir.

La présence des syndicats dans une lutte ne signifie pas que cette lutte est fichue d'avance. Contrairement à ce que peuvent penser le FOR, le PIC ou le CWO, derrière la marche sur Paris appelée par la CGT, dans les mouvements de grève en Grande-Bretagne et malgré le contrôle syndical sur le mouvement, la classe ouvrière a pu exercer une poussée réelle de classe et la lutte contenir des potentialités sans avoir ENCORE rompu avec le cadre syndical. Mais cette poussée s'exprime, de façon positive, AILLEURS, et c'est ça qu'il faut savoir reconnaître.

La rupture avec le terrain syndical est une condition constante d'un réel développement de la lutte, mais elle n'est pas un "but" de la lutte. Son but, c'est son renforcement qui obéit à ses propres nécessités :

1) que la classe ouvrière prenne ses luttes en main (cela veut dire assemblées générales et discussions, auto-organisation)

2) que le combat s'élargisse (l'extension de la lutte).

Et c'est justement lorsqu'elle cherche à répondre à ces nécessités propres que la lutte peut réellement poser la question de la rupture syndicale.

Au cœur de la dynamique de la lutte de classe, la question de l'extension du mouvement à toutes les couches du prolétariat par delà les catégories et les corporations, ainsi que la question de l'autonomie et de l'auto-organisation sont indissolublement liées.

Qu'une classe exploitée, dominée économiquement et idéologiquement, brimée et humiliée quotidiennement, prenne sa lutte en main, l'organise et la dirige collectivement constitue justement le premier acte révolutionnaire, mais celui-ci est irréalisable sans l'unité de la classe par delà les divisions que détermine le capitalisme.

Des premiers surgissements qui annonçaient la période révolutionnaire de 1905, Rosa Luxembourg mettait en avant les caractéristiques de masse de ces mouvements et tirait la conclusion que "ce n'est pas la grève de masse qui produit la révolution, mais la révolution qui produit la grève de masse." Lénine, lui, tirait l'autre facette des enseignements de cette période en disant des Conseils Ouvriers, surgis de ces mouvements, qu'ils étaient "la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat."

En nous basant sur l'expérience passée, nous devons, nous, mettre en avant dans les luttes actuelles l'unité de ces deux aspects que constituent l'auto-organisation et l'extension des luttes. Dans la mesure où les syndicats peuvent et pourront de moins en moins s'opposer ouvertement aux luttes ouvrières dans tous leurs aspects, et même pourront de moins en moins garder l'initiative et la tête de toutes luttes qui vont surgir brusquement, l'un des aspects essentiels de leur travail de sabotage sera de s'attaquer et de CONTRE­CARRER LA CLASSE OUVRIERE SUR LES ASPECTS LES PLUS FAIBLES DES MOUVEMENTS. Ainsi, dans un cas, ce sera tout faire pour empêcher l'extension et l'unification des luttes ; dans un autre, pour empêcher l'auto-organisation, le pouvoir souverain des assemblées générales, et cela car seule L'UNITE de ces deux aspects de la lutte permettra à la classe ouvrière de plonger des racines profondes dans le terrain de sa pratique révolutionnaire.

Dans ce travail de sabotage, le "syndicalisme de base" va être l'arme des syndicats dans les luttes à venir. Et cette arme est d'autant, plus pernicieuse qu'elle semble s'adapter, à chaque moment, aux besoins du mouvement, répondre à ses initiatives, et, en fin de compte, exprimer le mouvement lui-même. Sa souplesse, sa capacité d'adaptation peuvent lui faire prendre des formes nouvelles auxquelles on ne s'attendait pas, et dans lesquelles ne sera pas inscrit le mot "syndicat".

Le danger du syndicalisme ne réside pas seulement dans la forme syndicale, mais également dans son esprit. L'ESPRIT SYNDICAL pèse sur la conscience ouvrière, à la fois comme poids du passé et comme mystification actuelle. Aussi doit-on être particulièrement vigilant par • rapport à ce danger et déceler comment, sous des formes d'apparence ouvrière, il s'exprime. Les conférences des dockers extra-syndicaux ou les tentatives du comité de grève de Rotterdam d'appel à la solidarité financière nous ont montré comment l'esprit, les conceptions syndicales peuvent peser sur des expressions vivantes des luttes actuelles.

LA GAUCHE ET LES SYNDICATS DANS L'OPPOSITION

Le "vide social" laissé par la fin de la perspective électorale et de la "gauche au pouvoir", face au mécontentement profond de la classe ouvrière, exacerbé par l'application des plans d'austérité, explique en grande partie que de toutes les luttes que nous avons vu se dérouler, durant ces deux dernières années, les luttes de Longwy et Denain sont celles qui sont allé le plus loin et ont le mieux POSE les problèmes de la lutte.

La radicalité de ces luttes a à la fois été le produit de la fin de la perspective électorale et a, en réaction, accéléré le passage de la gauche et des syndicats dans l'opposition.

Depuis lors et dans différents pays, nous nous sommes rendus compte du frein et du poids que représentent pour le développement de la lutte (et d'ailleurs pour notre intervention aussi) la gauche et les syndicats dans l'opposition.

Mais la situation actuelle que semblent en apparence bien contrôler la gauche et les syndicats ne doit pas nous amener, malgré' les difficultés que rencontrent les ouvriers dans leurs luttes, à assimiler la période actuelle à la période de recul des années passées. Nous sommes à l'heure actuelle dans une phase où, après avoir repris le chemin de la lutte, la classe ouvrière digère, en quelque sorte, et fait l'expérience de la gauche dans l'opposition.

CONCLUSION

La lutte de classe a repris à l'échelle mondiale ; de l'Iran à l'Amérique, du Brésil à la Corée, de la Suède aux Indes, de l'Espagne à la Turquie, les luttes du prolétariat se sont multipliées depuis les deux dernières années.

Dans les pays sous-développés, avec l'approfondissement terrible de la crise, l'embrigadement de la "libération nationale" tend à diminuer. A peine la Rhodésie (Zimbabwe) accédait-elle à son "indépendance" et à son "auto-détermination noire" que des grèves éclataient pour des augmentations de salaires. Aux yeux de toute l'Amérique Latine, le mythe de "l'homme nouveau de Cuba" vient de subir un dernier coup mortel avec l'exode des populations. Les illusions sur la libération nationale qui ont fait les beaux jours des gauchistes et mobilisé la révolte de la jeunesse des années 60 dans les pays avancés aux cris de "Castro, Ho Chi Min et Che Guevara" sont terminées.

Dans les pays sous-développés on a vu se développer des mouvements qui contiennent la rupture avec l'idéologie nationaliste de la guerre. En Iran, l'énorme mouvement qui a amené à la chute du Shah et au sein duquel le prolétariat a pris une place déterminante, n'a pas été embrigadé derrière l'étendard nationaliste de Khomeiny et de Bani Sadr. Les manifestations où les slogans disaient : "Gardiens de la révolution Savak" en sont une expression très claire. En Corée, ce verrou inter-impérialiste entre les deux blocs, les mouvements des étudiants et surtout des ouvriers tournent le dos à "l'intérêt national" qu'on veut leur imposer.

Le non-embrigadement du prolétariat derrière le char de la nation et de la guerre s'exprime dans des zones où justement la guerre n'a pas cessé depuis trente ans.

Dans un tel contexte mondial, et en l'absence de fractions de la bourgeoisie dans les pays développés qui mobilisent la population et obtiennent un consensus' national, le battage des gouvernements sur la troisième guerre mondiale peut se tourner en son contraire.

En effet, la bourgeoisie dans le, passé n'a pas mobilisé le prolétariat pour la guerre en lui annonçant simplement la guerre. Au contraire, la social-démocratie, avant la première guerre mondiale l'a désarmée derrière les bannières du pacifisme. Avant la seconde, le consensus national s'est fait autour de l'antifascisme, et la classe ouvrière n'était pas consciente que la guerre d’Ethiopie, puis celle d'Espagne étaient des moments préparatoires à la guerre mondiale.

Aujourd'hui, la bourgeoisie qui n'a rien d'autre à proposer, cherche à présenter la guerre comme un fait inéluctable, inscrit dans l'histoire de l'humanité, espérant la faire accepter en habituant les populations à cette idée. Tout le monde sait que l'Afghanistan est un pas en avant vers une troisième guerre mondiale.

Le niveau et le développement de la lutte de classes s'expriment dans les luttes elles-mêmes, et également dans les groupes qui surgissent et manifestent l'effort de prise de conscience de la classe.

Aujourd'hui, la reprise est encore lente et difficile. Contrairement à la première vague de luttes, il y a dix ans, qui a fait revivre l'idée de la révolution dans la société, cette perspective est, aujourd'hui, encore sous-jacente et ne s'exprime pas aussi ouvertement qu'à l'époque, où l'on avait vu surgir une multitude de groupes qui défendaient une orientation révolutionnaire. Mais le mouvement révolutionnaire était alors fortement marqué par les inférences petite-bourgeoises de la révolte estudiantine, ce qui s'est exprimé dans toutes les variations d'activisme, d'ouvriérisme, de modernisme, qu'on a connu et qui avaient en commun une conception facile de la révolution.

De telles influences et illusions ont de moins en moins de place aujourd'hui dans le mouvement prolétarien qui se dessine. La réflexion qui commence à se faire dans la classe ouvrière s'exprime en partie dans les groupes et cercles qu'on tonnait déjà en Italie et qui vont se développer des profondeurs de la classe ouvrière elle-même.

Le processus de développement d'un milieu révolutionnaire sera plus lent et plus dur qu'il y a dix ans, à l'image du mouvement lui-même, mais il sera également plus profond et plus enraciné dans la pratique de la classe ouvrière. C'est pourquoi une de nos orientations essentielles est d'être attentifs et ouverts à ses premières manifestations, quelles que soient leurs confusions.

JUIN 1980.

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [5]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [6]

La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme

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"La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c'est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu'ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu'ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d'ordre, leurs costumes..."

(Karl Marx. Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte

Dans la période présente de reprise historique des luttes du prolétariat, celui-ci se heurte, non seulement à tout le poids de l'idéologie secrétée directement et souvent délibérément par la classe bourgeoise, mais également à tout le poids des traditions de ses propres expériences passées. La classe ouvrière, pour parvenir à son émancipation, a absolument besoin d'assimiler ces expériences; c'est uniquement à travers elles qu'elle forge ses armes en vue de l'affrontement décisif qui mettra fin au capitalisme. Cependant, le danger existe pour elle de confondre enseignements de l'expérience et tradition morte, de ne savoir distinguer ce qui,' dans les luttes du passé, dans leurs méthodes et leurs moyens, reste encore vivant, avait un caractère permanent et universel, de ce qui appartient de façon définitive à ce passé, n'était que circonstanciel et temporaire.

Comme Marx l'a souvent souligné, ce danger n'a pas épargné la classe ouvrière de son temps, celle du siècle dernier. Dans une société en évolution rapide, le prolétariat a traîné longtemps avec lui le boulet des vieilles traditions de ses origines, les vestiges des sociétés de compagnonnage, ceux de l'épopée babouviste ou de ses combats aux cotés de la bourgeoisie contre le féodalisme. C'est ainsi que la tradition sectaire, conspirative ou républicaine d'avant 1848 continue à peser dans la Première Internationale fondée en 1864. Cependant, malgré ses mutations rapides, cette époque se situe dans une même phase de la vie de la société : celle de la période ascendante du mode de production capitaliste. L'ensemble de cette période détermine4 pour les luttes de la classe ouvrière des conditions bien spécifiques : la possibilité d'arracher des améliorations réelles et durables de ses conditions de vie à un capitalisme prospère, mais l'impossibilité de détruire ce système justement à cause de sa prospérité.

L'unité de ce cadre donne aux différentes étapes du mouvement ouvrier du 19ème siècle un caractère continu : c'est progressivement que s'élaborent et se perfectionnent les méthodes et les instruments du combat de classe, en particulier l'organisation syndicale. A chacune de ces étapes, les ressemblances avec l'étape antérieure l'emportent sur les différences. Dans ces conditions, le boulet de la tradition ne pèse pas trop lourd pour les ouvriers de ce temps : pour une bonne part, le passé montre la voie à suivre.

Mais cette situation change radicalement à l'aube du 20ème siècle, la plupart des instruments que s'est forgée la classe durant des décennies ne lui servent plus à rien, pire, ils se retournent contre elle et deviennent des armes du capital. Il en est ainsi des syndicats, des grands partis de masse, de la participation aux élections et au Parlement. Et cela, parce que le capitalisme est entré dans une phase complètement différente de son évolution celle de sa décadence. Le cadre du combat prolétarien en est complètement bouleversé : désormais la lutte pour des améliorations progressives et durables au sein de la société perd sa signification. Non seulement le capitaliste aux abois ne peut plus rien accorder, mais ses convulsions remettent en cause nombre des conquêtes prolétarienne du passé face a un système moribond, la seule véritable conquête que le prolétariat puisse obtenir est de le détruire.

C'est la première guerre mondiale qui signe cette coupure entre les deux périodes de vie du capitalisme. Les révolutionnaires, et c'est ce qui les fait révolutionnaires, prennent conscience de l'entrée du système dans sa phase de déclin.

"Une nouvelle époque est née. L'époque de la désagrégation du capitalisme, de son effondrement interne. L'époque de la révolution communiste du prolétariat"  proclame en 1919 l'Internationale Communiste dans sa plate-forme. Cependant, dans leur majorité, les révolutionnaires restent marqués par les traditions du passé.  Malgré son immense contribution, la Troisième Internationale est incapable de pousser jusqu'au bout les implications de son analyse.. Face a la trahison des syndicats, elle ne propose pas de les détruire mais de les reconstruire. Constatant "que les réformes parlementaires ont perdu toute importance pratique pour les classes laborieuses" et que "le centre de gravité de la vie politique est complètement et définitivement sorti du Parlement" (Thèses du 2ème congrès), l'Internationale Communiste n'en continue pas moins de prôner la participation à cette institution. Ainsi, la constatation faite par Marx en 1852, se confirme magistralement. Mais également tragiquement. Après avoir provoqué en 1914.1a débandade du prolétariat face à la guerre impérialiste, le poids du passé est le principal responsable de l'échec de la vague révolutionnaire commencée en 1917 et de la terrible contre-révolution qui l'a suivie pendant un demi-siècle.

Si elle était déjà un handicap pour les luttes du passé, la "tradition de toutes les générations mortes" est un ennemi encore bien plus redoutable des luttes de notre époque. Comme condition de sa victoire, il appartient au prolétariat de s'arracher les vieux oripeaux qui lui collent à la peau afin qu'il puisse revêtir la tenue appropriée aux nécessités que la "nouvelle époque" du capitalisme impose à son combat. Il lui appartient de bien comprendre les différences qui séparent la période ascendante de la société capitaliste et sa période de décadence, tant du point de vue de la vie du capital que des méthodes et des buts de sa propre lutte.

Le texte qui suit se veut une contribution à cette compréhension. Sa présentation, bien qu'un peu inhabituelle, nous a cependant paru la plus apte à mettre en évidence tant l'unité qui existe au sein de chacune des deux périodes entre les diverses expressions de la vie de la société que la différence souvent considérable qui sépare ces expressions d'une époque à l'autre.

LA NATION

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                         

Une des caractéristiques du 19ème siècle est la constitution de nouvelles nations (Allemagne, Italie,...) ou la lutte acharnée pour celles-ci (Pologne, Hongrie,...). Ce n'est nullement un fait fortuit, mais correspond à la poussée exercée par l'économie capitaliste en plein essor qui trouve dans  la nation le cadre le plus approprié à son développement. A cette époque, l'indépendance nationale a, un sens véritable : elle s'inscrit dans le sens du développement des forces productives et dans celui  de la destruction  des empires féodaux (Russie, Autriche) qui sont les bastions de la réaction.

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

Au 20ème siècle, la nation est devenue un cadre trop étroit pour contenir les forces productives. Au même titre que les rapports de production capitalistes, elle devient un véritable carcan qui entrave le développement de celles-ci. Par ailleurs, l'indépendance nationale devient un leurre dès lors que l'intérêt bien compris de chaque capital national lui commande de s'intégrer dans un des deux grands blocs impérialistes et donc de renoncer à cette indépendance. Les prétendues "indépendances nationales" du 20ème siècle se résument au passage des pays d'une zone d'influence à une autre.

LE DEVELOPPEMENT DE NOUVELLES UNITES CAPITALISTES

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                        

Un des phénomènes typiques de la phase ascendante du capitalisme est son développement inégal suivant les pays et les conditions historiques particulières rencontrées par chacun d'entre eux. Les pays les plus développés montrent la voie aux autres pays dont le retard ne constitue pas nécessairement un handicap insurmontable. Au contraire,  la possibilité existe pour ces derniers de rattraper ou même de dépasser les premiers. C’est même là une règle quasi générale :

"Dans le cadre général de cette ascension prodigieuse, l'augmentation de la production industrielle prit dans les divers pays intéressés des proportions extrêmement variables. C'est dans les Etats industriels européens les plus avancés avant 1860 que l'on observe durant la période suivante l'accroissement le moins rapide. La production anglaise tripla "seulement", la production française quadrupla, alors que la production allemande passa du simple au septuple et qu'en Amérique, la production de 1913 fut plus de douze fois supérieure à celle de 1860. Ces différences de cadences provoquent le bouleversement total de la hiérarchie des puissances industrielles entre 1860 et 1913.

Vers 1880, l'Angleterre perd au profit des Etats unis la première place dans la production mondiale. Au même moment, l'Allemagne surclasse la France. Vers 1890, l'Angleterre, dépassée par l'Allemagne, rétrograde au troisième rang".

Fritz Sternberg. (Le conflit du siècle. Ed. du Seuil. p 1314)

A la même période, un autre pays se hisse au rang de puissance industrielle moderne : le Japon, alors que la Russie connaît un processus d'industrialisation très rapide mais qui sera étouffé par l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence.

Cette aptitude pour des pays arriérés de rattraper leur retard résulte des raisons suivantes :

1) leurs marchés intérieurs offrent de larges possibilités de débouchés et partant de développement pour le capital industriel. L'existence de larges secteurs de production pré capitalistes (artisanale et surtout agricole) relativement prospères y constituent ce sol nourricier indispensable à la croissance du capitalisme.

2) Leur utilisation du protectionnisme contre les marchandises moins chères des pays plus développés leur permet momentanément de préserver, à l'intérieur de leurs frontières, un marché pour leur propre production nationale.

3) A l’échelle mondiale, il existe un vaste marché extra-capitaliste, en particulier dans les territoires coloniaux en cours de conquête, dans lequel se déverse le "trop plein" des marchandises manufacturées des pays industriels.

 4) La loi de l'offre et de la demande joue en faveur d'une  possibilité réelle des pays les moins développés. En effet, dans la mesure où, globalement, pendant cette période, la demande dépasse l'offre, le prix des marchandises sont déterminées par les coûts de production les plus élevés et qui sont ceux des pays les moins développés, ce qui permet au capital de ces pays de réaliser un profit permettant une accumulation réelle (alors que les pays les plus développés encaissent des surprofits).

5) Les dépenses militaires, pendant la période ascendante du capitalisme sont des frais généraux relativement limités et qui sont facilement compensés et même rentabilisés par les pays industriels développés sous forme, notamment, de conquêtes coloniales.

6) Au 19ème siècle, le niveau de la technologie, même s'il représente un progrès considérable par rapport à la période antérieure, n'exige pas l'investissement de masses considérables de capital.

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

La période de décadence du capitalisme se caractérise par l'impossibilité de tout surgissement de nouvelles nations industrialisées. Les pays qui n'ont pas réussi leur "décollage" industriel avant la 1ère guerre mondiale sont, par la suite, condamnés à stagner dans le sous-développement total, ou à conserver une arriération chronique par rapport aux pays qui "tiennent le haut du pavé".  Il en est ainsi,-de grandes nations comme l'Inde ou la Chine dont "l'indépendance nationale" ou même la prétendue "révolution" (lire l'instauration d'un capitalisme d'Etat draconien) ne permettent pas la sortie du sous-développement et du dénuement. Même l’URSS n'échappe pas à la règle, les terribles sacrifices imposés à la paysannerie et surtout à la classe ouvrière de ce pays, l'utilisation massive d'un travail ,pratiquement gratuit dans les camps de concentration, la planification et le monopole du commerce extérieur présentés ,par les trotskistes  comme  de "grands acquis ouvriers" et le signe de "l'abolition du capitalisme", le pillage économique systématique des pays de son glacis d'Europe centrale, toutes ces mesures n'ont pas suffi à l'URSS pour accéder au peloton des pays pleinement industrialisés, pour faire disparaître a l'intérieur de ses frontières des marques tenaces de sous-développement et d'arriération (cf. l'article sur "La crise capitaliste dans les pays de l'Est").

Cette incapacité de surgissement de nouvelles grandes unités capitalistes s'exprime entre autres dans le fait que les six plus grandes puissances industrielles d'aujourd'hui (USA, Japon, Russie, Allemagne, France, Angleterre) l'étaient déjà (bien que dans un ordre différent) à la veille de la 1ère guerre mondiale.

Cette incapacité des pays sous-développés à se hisser au niveau des pays les plus avancés s'explique par les faits suivants :

1) Les marchés représentés par les secteurs extra-capitalistes des pays industrialisés sont totalement épuises par la capitalisation de l'agriculture et la ruine presque complète de l'artisanat.

2) Les politiques protectionnistes connaissent au 20ème siècle une faillite totale. Loin de constituer une possibilité de respiration pour les économies moins développées, elles conduisent à l'asphyxie de l'économie nationale.

3) Les marchés extra-capitalistes sont saturés au niveau mondial. Malgré les immenses besoins et le dénuement total du tiers-monde, les économies qui n'ont pu accéder à l'industrialisation capitaliste ne constituent pas un marché solvable parce que complètement ruinées.

4) La loi de l'offre et de la demande joue contre  tout développement de nouveaux pays. Dans un monde ou les marchés sont saturés,  l’offre dépasse la demande et les prix son détermines par les coûts de production les plus bas. De ce fait, les pays ayant les coûts de production les plus élevés sont contraints de vendre leurs marchandises avec des profits réduits quand ce n'est pas à perte. Cela ramène leur taux d'accumulation à un niveau extrêmement bas et, même avec une main d’œuvre très bon marché, ils ne parviennent pas à réaliser les investissements nécessaires à l'acquisition massive d'une technologie moderne, ce qui a pour résultat de creuser encore plus le fossé qui sépare ces pays des grandes puissances industrielles.

5) Les dépenses militaires deviennent, dans un monde plus en plus livré à la guerre permanente, un poids très lourd, y compris pour les pays les plus développés. Elles conduisent à la faillite économique complète des pays sous-développés.

 6) Aujourd'hui, la production industrielle moderne fait appel à une technologie incomparablement plus sophistiquée qu'au siècle dernier et donc à des investissements considérables que seuls les pays déjà développés sont en mesure d'assumer. Ainsi, des facteurs d'ordre technique viennent encore aggraver les facteurs strictement économiques.

LES RAPPORTS ENTRE L'ETAT ET LA SOCIETE CIVILE

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                        

Dans la période ascendante du capitalisme, il existe une séparation très nette entre la politique -domaine réserve aux spécialistes de la fonction étatique- et l’économique qui reste le domaine du capital et des capitalistes privés.  A cette époque, l'Etat, tout en cherchant déjà à se hisser au-dessus de la société, est encore largement dominé par des groupes d'intérêts et des fractions du capital qui s'expriment pour une bonne part au niveau du législatif. Celui-ci domine encore nettement l'exécutif : le système parlementaire, la démocratie représentative est une réalité, un terrain où s'affrontent les divers groupes d'intérêt.

L'Etat, ayant pour charge de maintenir l'ordre social au bénéfice du système capitaliste dans son ensemble et à long terme, il en découle certaines réformes en faveur de la main d’œuvre, contre les excès barbares de l'exploitation ouvrière dont sont responsables les appétits immédiats, insatiables des capitalistes privés (cf. "Bill des 10 heures" en Grande-Bretagne, ainsi que les lois limitant le travail des enfants, etc.).

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

La période de décadence du capitalisme se caractérise par une absorption de la société civile par l'Etat. De ce fait, le législatif, dont la fonction initiale est de représenter la société, perd tout son poids devant l'exécutif qui est le sommet de la pyramide étatique.

Cette période connaît une unification du politique et de l'économique, l'Etat devenant la principale force dans l'économie nationale et sa véritable direction.

Que ce soit par une intégration graduelle (économie mixte) ou par un bouleversement brusque (économie entièrement étatisée), l'Etat cesse d'être un organe de délégation des capitalistes et des groupes pour devenir le capitaliste collectif soumettant à sa férule tous les groupes d’intérêts particuliers.

L'Etat, en tant qu'unité réalisée du capital national, défend les intérêts de celui-ci aussi bien à l'intérieur du bloc d'appartenance que contre le bloc antagoniste. De même, il prend directement à sa charge d'assurer l'exploitation et la soumission de la classe ouvrière.

LA GUERRE

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                        

Au 19ème siècle, la guerre a, en général, la fonc­tion d'assurer à chaque nation capitaliste une unité et une extension territoriale nécessaires à son, développement.  En ce sens, malgré les calamités qu'elle entraîne, elle est un moment de la  nature progressive du capital.

Les guerres sont donc, par nature, limitées à 2 ou 3 pays généralement limitrophes et comportent les caractéristiques suivantes :

- elles sont de courte durée

- elles provoquent peu de destructions

- elles déterminent, tant pour les vaincus que pour les vainqueurs un nouvel essor.

Ainsi se présentent, par exemple, les guerres franco-allemandes, austro-italienne, austro-prussienne ou de Crimée.

La guerre franco-allemande est un exemple typique de ce genre de guerre :

- elle constitue une étape décisive dans la formation de la nation allemande, c'est à dire la création des bases pour un formidable développement des forces productives et la constitution du secteur le plus important du prolétariat industriel d'Europe (et même du monde si on considère son rôle politique)

- en même temps, cette guerre dure moins d'un an, n'est pas très meurtrière et ne constitue pas, pour le pays vaincu, un réel handicap : après 1871, la France poursuit son développement industriel sur la lancée du Second Empire et conquiert l'essentiel de son empire colonial.

Quant aux guerres coloniales, elles ont pour but la conquête de nouveaux marchés et de réserves de matières premières. Elles relèvent d'une course entre pays capitalistes dans leurs besoins d'expansion pour le partage de nouvelles zones du monde. Elles s'inscrivent donc dans le cadre de l'expansion de l'ensemble du capitalisme et du développement des forces productives mondiales.

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

Dans une période où il ne peut plus être question de formation d'unités nationales viables, où l'indépendance formelle de nouveaux pays résulte essentiellement des rapports entre les grandes puissances impérialistes, les guerres ne relèvent plus des nécessités économiques du développement des forces productives de la société mais essentiellement de causes politiques : le rapport de forces entre les blocs. Elles ont cessé d'être "nationales" comme au 19ème siècle pour devenir impérialistes. Elles ne sont plus des moments de l'expansion du mode de production capitaliste, mais l'expression de l’impossibilité de son expansion.

Elles ne consistent pas dans un partage du monde, mais dans un repartage de celui-ci, dans une situation où, désormais un bloc de pays ne peut développer mais simplement maintenir la valorisation de son capital que directement aux dépens des pays du bloc adverse, avec, comme résultat final, la dégradation de la globalité du capital mondial.

Les guerres sont des guerres généralisées à l'ensemble du monde et ont pour résultat d'énormes destructions de l'ensemble de l'économie mondiale menant à la barbarie généralisée.

Comme celle de 1870, les guerres de 1914 et de 1939 opposent la France et l'Allemagne, mais d'emblée les différences sautent aux yeux et ce sont justement ces différences qui sont à la mesure de l'opposition existant entre la nature des guerres du 19ème siècle et celle des guerres du 20ème :

- d'emblée, la  guerre touche l'ensemble de l'Europe pour se généraliser au monde entier,

- c'est une guerre totale qui mobilise pendant des années la totalité de la population et de la machine économique des pays belligérants, qui réduit à néant des décennies de travail humain, qui fauche des dizaines de millions de prolétaires, qui jette dans la famine des centaines de millions d'êtres humains.

Nullement des "cures de jouvence" (comme le prétendent certains), les guerres du 20ème siècle ne sont rien d'autre que les convulsions de l'agonie d'un système moribond.

LES CRISES

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                        

Dans un monde au développement inégal, avec des marchés internes inégaux, les crises sont marquées par le développement inégal des forces productives dans les différents pays et les différentes branches de production.

Elles sont la manifestation que le marché antérieur se trouve saturé et nécessite un nouvel élargissement. Elles sont donc périodiques (tous les 7 à 10 ans -temps approximatif de l'amortissement du capital fixe-) et trouvent leur solution dans l'ouverture de nouveaux marchés.

Il en découle pour elles les caractéristiques suivantes :

1)   Elles éclatent brusquement, en général à la suite d'un krach boursier.

2)       Leur durée est courte (de 1 an à 3 ans pour les plus longues).

3)       Elles ne sont pas généralisées à tous les pays. C'est ainsi que :

- la crise de 1825 est surtout britannique et épargne la France et l'Allemagne,

 - la crise de 1830 est surtout américaine, la France et l'Allemagne y échappent encore,

- la crise de 1847 épargne les USA, et affecte faiblement l'Allemagne,

- la crise de 1866 affecte peu l'Allemagne et celle de 1873 épargne la France.

Par la suite, les cycles industriels tendent à se généraliser à tous les pays développés mais on constate que les USA échappent encore à la récession de 1900-1903 et la France à celle de 1907.

Par contre, la crise de 1913, qui va déboucher sur la première guerre mondiale touche, elle, pratiquement tous les pays.

4) elles ne sont pas généralisées à toutes les branches. Ainsi :

- c'est essentiellement l'industrie du coton qui souffre des crises de 1825 et 1836,

- par la suite, si les textiles souffrent encore des crises, c'est la métallurgie et les chemins de fer qui tendent à être les secteurs les plus affectés (en particulier en 1873).

De même, il n'est pas rare de voir certaines branches connaître un boom important, alors que la récession touche d'autres branches.

5)       Elles débouchent sur un nouvel essor industriel (les chiffres de croissance donnés plus haut par Sternberg sont significatifs à cet égard).

6)       Elles ne posent pas les conditions pour une crise politique du système, et, encore moins, pour l'explosion d'une révolution prolétarienne.

Sur ce dernier point, il est nécessaire de constater l'erreur commise par Marx, à la suite de l'expérience de 1847-48, quand il écrit en 1850 : "Une nouvelle révolution ne sera possible qu'a la suite d'une nouvelle crise. Mais elle est aussi sûre que celle-ci". (Neue Rheinische Zeitung). Son erreur ne réside pas dans la reconnaissance de la nécessité d'une crise du capitalisme pour que la révolution soit possible, ni dans le fait d'annoncer qu'une nouvelle crise allait survenir (celle de 1857 est bien plus violente encore que celle de 1847) mais dans l'idée que les crises de cette époque étaient déjà des crises mortelles du système.

Par la suite, Marx a évidemment rectifié cette erreur, et c'est justement parce qu'il sait que les conditions objectives de la révolution ne sont pas mûres qu'il se heurte dans l'AIT aux anarchistes qui veulent brûler les étapes, et qu'il met en garde le 9 septembre 1870 les ouvriers parisiens contre "toute tentative de renverser le nouveau gouvernement... (qui) serait une folie désespérée" (Seconde Adresse du Conseil général de l'AIT sur la guerre Franco-allemande).

Aujourd'hui, il faut être anarchiste ou bordi­guiste pour s'imaginer que "la révolution est possible à tout moment" ou que ses conditions matérielles existaient déjà en 1848 ou en 1871.

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

Depuis le début du 20ème siècle, le marché est désormais international et unifié. Les marchés intérieurs ont perdu de leur importance (notamment du fait de l'élimination des secteurs précapitalistes). Dans ces conditions, les crises sont la manifestation, non pas de marchés provisoirement trop étroits, mais de l'absence de toute possibilité de leur élargissement mondial. D'ou leur caractère de crises généralisées et permanentes.

Les conjonctures ne sont pas déterminées par le rapport entre la capacité de production et la taille du marché existant à un moment donné, mais par des causes essentiellement politiques : le cycle de guerre-destruction-reconstruction-crise. Dans ce cadre, ce ne sont nullement des problèmes d'amortissement du capital qui déterminent la durée des phases du développement économique mais en grande partie, l'ampleur des destructions subies au cours de la guerre précédente. C'est ainsi qu'on peut comprendre que la durée de l'expansion liée à la reconstruction soit deux fois plus longue (17 ans) après la seconde guerre mondiale qu'après la première (7 ans).

Contrairement au siècle dernier caractérisé par le "laisser faire", l'ampleur des récessions au 20ème siècle est limitée par des mesures artificielles mises en place par les Etats et leurs institutions de recherche pour retarder la crise générale. Il en est ainsi des guerres localisées, du développement des armements et de l'économie de guerre, de l'utilisation systématique de la planche à billets et de la vente à crédit, de l'endettement généralisé, de tout un éventail de mesures politiques qui tendent à rompre avec le strict fonctionnement économique du capitalisme.

Dans ce cadre, les crises du 20ème siècle ont les caractéristiques suivantes :

1)                 Elles n'éclatent Pas brusquement mais se développent progressivement dans le temps. En ce sens, la crise de 1929 comporte encore à ses débuts certaines caractéristiques des crises du siècle passé (brusque effondrement faisant suite à un krach boursier) qui relèvent, non pas tellement du maintien de conditions économiques similaires à celles d'avant, mais d'un retard des institutions politiques du capital par rapport à la modification de ces conditions. Mais, par la suite, l'intervention massive de l'Etat (New Deal aux USA, production de guerre en Allemagne....,) étale ses effets sur une décennie.

2)                 Une fois qu'elles ont débuté, elles se caractérisent par leur longue durée. Ainsi, alors que le rapport récession/prospérité était d'environ 1 à 4 au 19ème siècle (2 années de crise sur un cycle de 10 ans), le rapport entre la durée du marasme et celle de la reprise passe à 2 au 20ème siècle. En effet, entre 1914 et 1980, on compte 10 années de guerre généralisée (sans compter les guerres locales permanentes), 32 années de dépression (1918-22, 192939, 1945­50, 1967-80), soit au total 42 années de guerre et de crise, contre seulement 24 années de reconstruction (1922-29 et 1950-67). Et le cycle de la crise n'est pas encore terminé !...

Alors qu'au 19ème siècle, la machine économique était relancée par ses propres forces à l'issue de chaque crise, les crises du 20ème siècle n'ont du point de vue capitaliste d'autre issue que la guerre généralisée.

Râles d'un système moribond, elles posent pour le prolétariat la nécessité et la possibilité de la révolution communiste.

Le 20ème siècle est bien "l'ère des guerres et des révolutions" comme l'indiquait, à sa fondation l'Internationale Communiste.

LA LUTTE de CLASSE

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                        

Les formes que prend la lutte de classe au 19ème siècle est déterminée à la fois par les caractéristiques du capital de cette époque et par celles de la classe ouvrière elle-même :

1) Le capital du 19ème siècle est encore très éparpillé entre de nombreux capitaux : rares sont les usines qui dépassent 100 ouvriers, beaucoup plus fréquentes sont les entreprises à caractère semi artisanal. Ce n'est que dans la seconde partie du 19ème siècle qu'on voit, avec l'essor des chemins de fer, l'introduction massive du machinisme, la multiplication des mines, se développer la prédominance de la grande industrie telle qu'on peut la connaître aujourd'hui.

2) Dans ces conditions, la concurrence s'exerce entre un grand nombre de capitalistes.

3) Par ailleurs, la technologie est encore peu développée. La main-d’œuvre peu qualifiée, se recrutant largement à la campagne, est en général de première génération. La plus qualifiée se trouve dans l'artisanat.

4) L’exploitation est basée sur l’extraction de plus value absolue : longue journée de travail, salaire très bas.

5)     Chaque patron, ou chaque usine, affronte directement et isolément les ouvriers qu'il exploite;

Il n'y a pas d'unité patronale organisée : ce n'est que dans le troisième tiers du siècle que se développent des syndicats patronaux. Dans ces conflits séparés, il n'est pas rare de voir des capitalistes spéculer sur les difficultés d'une usine concurrente en conflit, en profiter pour s'approprier sa clientèle.

6)     L'Etat en général, se tient en  dehors de ces conflits. Il n’intervient qu'en dernier ressort, lorsque le conflit risque de troubler "l'ordre public".

Du côté de la classe ouvrière, on peut observer les caractéristiques suivantes :

1)     Comme le capital, elle est très dispersée. C'est une classe en cours de formation. Ses secteurs les plus combatifs sont très liés à l'artisanat et sont donc très marqués par le corporatisme.

2)     Sur le marché du travail, la loi de l'offre et la demande joue à fond et directement. Ce n'est que dans les moments de haute conjoncture, d'expansion rapide de la production qui provoque un manque d'ouvriers, que ces derniers peuvent opposer une résistance efficace aux empiètements du capital et même arracher des avantages substantiels sur les salaires et les conditions de travail.

Dans les moments de basse conjoncture, ils perdent de leur force, se démoralisent et se laissent reprendre une partie des avantages acquis.

Expression de ce phénomène, la fondation de la Première Internationale comme celle de la Seconde Internationale, qui expriment un point élevé de la combativité ouvrière, prennent place en pleine prospérité économique (1864 pour l'AIT, 3 ans avant l'éclatement de la crise de 1867, 1889 pour l'Internationale Socialiste, à la veille de la crise de 1890-93).

3)     Au 19ème siècle, l'émigration constitue un exutoire pour le chômage et la terrible misère qui s’abattent périodiquement sur le prolétariat à l'occasion des crises cycliques. La possibilité pour des secteurs importants de la classe de fuir vers le nouveau monde quand les conditions de vie  deviennent trop insupportables dans les métropoles capitalistes d'Europe est un élément qui permet d'éviter que des crises ne provoquent des situations explosives comme celle de juin 1848. Ainsi, au 19ème siècle, a travers le phénomène de l'émigration lui aussi, les capacités d'expansion du capitalisme sont un garant de la stabilité d'ensemble du système.

4)     Ces conditions particulières, tant du point de du capital que de la classe ouvrière, conditionnent la nécessité d'organisations de résistance économique pour les ouvriers : les syndicats qui ne peuvent prendre que la forme locale, professionnelle d'une minorité ouvrière dont la lutte -la grève- est particularisée, longtemps préparée a l’avance, attend en général une situation  de haute conjoncture pour affronter telle ou telle branche du capital ou même une seule usine. Malgré toutes ces limitations, les syndicats n'en sont pas moins d'authentiques organes de la classe ouvrière, indispensables dans 1a lutte économique contre le capital, mais également comme foyers de vie de la classe, comme écoles de la solidarité où les ouvriers comprennent leur appartenance à une même communauté, comme "écoles du communisme", suivant l'expression de Marx, propices à la propagande révolutionnaire.

5)            Au 19ème siècle, les grèves sont en général  de longue durée; c'est là une des  conditions, de leur efficacité elles mettent les ouvriers à l'épreuve de la famine, d'où la nécessité de préparer d'avance des fonds de soutien, des "caisses de résistance" et d'avoir recours à la solidarité financière des autres ouvriers dont le maintien au travail peut être un élément positif pour l'efficacité de la lutte des ouvriers en grève (en menaçant les marchés du capitaliste en conflit par exemple).

6)            Dans ces conditions, la question de l'organisation préalable, matérielle, financière du prolétariat devient la question primordiale pour pouvoir mener les luttes et bien souvent prime sur le contenu, sur les gains réels qu'elle permet d'obtenir, pour devenir un objectif en soi  (comme le constatait Marx en répondant aux bourgeois qui ne comprenaient pas que les ouvriers puissent dépenser plus d'argent pour leur organisation que celle-ci ne leur permettait d'arracher au capital).

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

La lutte de classes, dans le capitalisme décadent, est déterminée, du point de vue du capital par les caractéristiques suivantes :

1)                 Le capital a atteint un haut niveau de concentration et de centralisation.

2)                 La concurrence est plus réduite qu'au 19ème siècle du point de vue du nombre mais elle est plus âpre.

3)                 La technologie est hautement développée. La main d’œuvre est de plus en plus qualifiée, les tâches les plus simples tendant à être exécutées par des machines. Il y a génération continue de la classe ouvrière : celle-ci ne se recrute plus que très faiblement la campagne mais essentiellement parmi les enfants d'ouvriers.

4)                 La base dominante de l'exploitation est l'extraction de plus-value relative (augmentation des cadences et de la productivité).

5)                 Il existe, face à la classe ouvrière, une unité et une solidarité bien plus grandes qu'auparavant entre les capitalistes. Ceux-ci ont créé des organisations spécifiques afin de ne plus affronter individuellement la classe ouvrière.

6)                 L'Etat intervient directement dans les conflits sociaux soit, comme capitaliste lui-même, soit comme "médiateur", c'est à dire élément de contrôle, tant sur le plan politique qu'économique de l'affrontement afin de maintenir celui-ci dans les limites de "l'acceptable", soit, tout simplement, comme agent de la répression.

Du côté ouvrier, on peut relever les traits suivants :

1) La classe ouvrière est unifiée et qualifiée, d'un niveau intellectuel élevé. Elle n'a plus que des liens très lointains avec l'artisanat. Le centre de la combativité se trouve donc dans les grandes usines modernes et la tendance générale des luttes est au dépassement du corporatisme.

2)                 Contrairement à la période précédente, c'est dans les moments de crise de la société que les grandes luttes décisives éclatent et se développent (les révolutions de 1905 et 1917 en Russie font suite à cette forme aiguë de la crise qu'est la guerre, la grande vague internationale de luttes de 1917 à 1923 prend place à l'intérieur d'une période de convulsions -guerre puis crise économique- pour s'épuiser avec la reprise liée à la reconstruction).

C'est pour cela, que, contrairement aux deux précédentes, la Troisième Internationale est fondée en 1919 au plus profond de la crise de la société à laquelle correspond le moment de plus forte combativité prolétarienne.

3)                 Les phénomènes d'émigration économique auxquels on assiste au 20ème siècle, notamment dans la seconde après guerre, ne sont, tant dans leur origine que dans leurs implications, nullement comparables aux grands courants du siècle précédent. Exprimant, non l'expansion historique du capital vers de nouveaux territoires, mais au contraire l'incapacité du développement économique des anciennes,/ colonies dont les ouvriers et paysans fuient la misère vers les métropoles que les ouvriers quittaient par le passé, ils n’offrent aucune possibilité d’exutoire au moment de la crise aiguë  du système. La reconstruction terminée, l'émigration n'offre plus aucune possibilité de surmonter le chômage qui s'étend aux pays développés comme il touchait antérieurement les pays sous-développés. La crise met la classe ouvrière au pied du mur sans lui laisser la moindre échappatoire.

4)            L'impossibilité d'améliorations durables pour la classe ouvrière lui interdit la constitution d'une organisation spécifique, permanente, basée sur la défense de ses intérêts économiques. Les syndicats perdent la fonction pour laquelle ils avaient surgi : ne pouvant plus être des organes de la classe, et encore moins des "écoles du communisme", ils sont récupérés par le capital et intégrés à l'Etat, phénomène qui est facilité par la tendance générale de cet organe à absorber la société civile.

5)                 La lutte prolétarienne tend à dépasser le cadre strictement économique pour devenir sociale, s'affrontant directement à l'Etat, se politisant et exigeant la participation massive de la classe C'est ce que relève dès 1906 Rosa Luxemburg, a la suite de la première révolution russe, dans "Grèves de masse, parti et syndicats". C'est la même idée qui est contenue dans la formule de Lénine : "Derrière chaque grève se profile le spectre de la révolution".

6)            Un tel type de lutte, propre à la période de décadence, ne peut se préparer d'avance sur le plan organisationnel. Les luttes explosent spontanément et tendent à se généraliser. Elles se situent plus sur un plan local ou territorial que sur un plan professionnel, leur processus est plus horizontal que vertical : ce sont là des caractéristiques qui préfigurent l'affrontement révolutionnaire où ce ne sont pas des catégories professionnelles ou les ouvriers de telle ou telle entreprise qui agissent, mais la classe ouvrière comme un tout à l'échelle d'une unité géopolitique (province, pays).

De même, la classe ouvrière, en vue de ses luttes, ne saurait se doter d'avance de moyens matériels Compte-tenu de la façon dont est organisé le capitalisme, la longueur d'une grève n’est en général pas une arme efficace (l'ensemble des capitalistes pouvant venir en aide à celui des leurs qui est affecté). En ce sens, le succès des grèves ne dépend pas des fonds financiers recueillis par les ouvriers mais bien fondamentalement de leur capacité d'élargissement, élargissement qui seul peut créer une menace pour l'ensemble du capital national.

Dans la période actuelle, la solidarité à l'égard des travailleurs en lutte ne réside plus dans le soutien financier de la part d'autres secteurs ouvriers (il s'agit là d'un ersatz de solidarité qui peut être mis en avant par les syndicats pour détourner les travailleurs des véritables méthodes de lutte) mais par l'entrée en lutte de ces autres secteurs.

7)  De même que l'organisation ne précède  pas la lutte mais se crée au cours de la lutte elle-même, l'auto-défense du prolétariat, son armement, ne se préparent pas d'avance, en entassant quelques fusils dans des caves comme le pensent des groupes comme le GCI. Ce sont des étapes dans un processus qu'on ne peut atteindre sans être passé par les précédents.

LE ROLE DE L'ORGANISATION REVOLUTIONNAIRE

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                        

L'organisation des révolutionnaires, produit de la classe et de sa lutte, est une organisation-minoritaire constituée sur la base d'un programme. Sa fonction comporte :

1)       l'élaboration théorique de la critique du' monde capitaliste,

2)       l'élaboration du programme de la finalité historique de la lutte de classes,

3)       la diffusion de ce programme dans la classe,

4)       la participation active à tous les moments de la lutte immédiate de la classe et sa défense con tre l'exploitation capitaliste.

A ce dernier titre, elle acquiert, au 19ème siècle une fonction d'initiation et d'organisation. active des organes unitaires, économiques, de la classe à partir d'un certain degré de développement des organismes embryonnaires produits parla lutte antérieure.

De par cette fonction, et étant donné le contexte de la période -la possibilité de réformes et la tendance à la propagation des illusions réformistes au sein de la classe- l'organisation des révolutionnaires (les partis de la Seconde Internationale) est, elle-même, entachée du réformisme qui finit par brader le but final révolutionnaire pour des réformes immédiates. Elle en est conduite à faire du maintien et du développement des organisations économiques (les syndicats) leur tache pratiquement unique (l'économisme).

Seule, une minorité, au sein de l'organisation des révolutionnaires résistera à cette évolution et défendra l'intégrité du programme historique de la révolution socialiste. Mais, en même temps, une partie de cette minorité, par réaction contre l'évolution réformiste, tend à développer une conception étrangère au prolétariat et selon laquelle le parti est l'unique siège de la conscience, le détenteur d'un programme achevé dont la fonction serait, suivant le schéma qui prévaut pour la bourgeoisie et ses partis de "représenter" la classe, d'être, de droit, appelé à constituer l'organe de décision de celle-ci, notamment pour la prise du pouvoir. Cette conception, le substitutionnisme, si elle imprègne une majorité parmi les éléments de la gauche révolutionnaire de la Seconde Internationale, trouve son principal théoricien avec Lénine (Que faire?, Un pas en avant, deux  pas en arrière).

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

Dans la période de décadence du capitalisme, l'organisation des révolutionnaires conserve les caractéristiques générales de la période précédente avec cette donnée nouvelle que la défense des intérêts immédiats ne peut plus être séparée du but final désormais mis à l'ordre du jour de l'histoire.

Par contre, en accord avec ce dernier fait, elle perd la fonction d'organiser la classe, ce qui ne peut-être que l’œuvre de la classe elle-même en lutte aboutissant à un type d'organisation nouvelle, à la fois économique de résistance et de défense immédiate- et politique, s'orientant vers la prise du pouvoir : les conseils ouvriers.

Reprenant à son compte la vieille devise du mouvement ouvrier : "l'émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes", elle ne peut que combattre toute conception substitutionniste comme conception se rattachant à une vision bourgeoise de la révolution. En tant qu'organisation, la minorité révolutionnaire n'a pas à charge d'élaborer préalablement 'une plate-forme de revendications immédiates pour mobiliser la classe. Elle a, par contre, la possibilité de se montrer un participantes plus résolus aux luttes, de propager une orientation générale en dénonçant les agents et les idéologues de la bourgeoisie au sein de la classe. Dans la lutte, elle met l'accent sur la nécessité de la généralisation, seule voie qui mène à son aboutissement inéluctable : la révolution. Elle n'est ni un spectateur ni un porteur d'eau.

L'organisation des révolutionnaires a pour but de stimuler toute apparition de cercles ou de groupes ouvriers et de travailler en leur sein. Pour ce faire, elle doit les reconnaître comme des formes éphémères et immatures répondant, en l'absence de toute possibilité de création de syndicats, à une nécessité réelle de regroupement et de discussion existant dans la classe dans l'attente de pouvoir se donner l'organisation unitaire achevée : les conseils.

En accord avec la nature de tels cercles, l'organisation des révolutionnaires doit combattre toute tentative de les créer de façon artificielle, toute prétention d'en faire des courroies de transmission des partis, toute conception tendant à en faire des embryons de conseils ou autres organismes politico-économiques qui ne peuvent que paralyser le développement d'un processus de maturation de la conscience et de l'organisation unitaire de la classe. Ces cercles n'ont de valeur et n'accompliront leur fonction, importante mais transitoire, que dans la mesure où ils éviteront de s'enfermer sur eux-mêmes en se donnant des plates-formes bancales, afin de rester un milieu de rencontre ouvert à tous les ouvriers intéressés aux problèmes de leur classe.

Enfin, dans la situation d'extrême dispersion des révolutionnaires, suite à la période de contre-révolution qui a pesé pendant un demi-siècle sur le prolétariat, l'organisation des révolutionnaires a pour tâche d’œuvrer activement au développement d'un milieu politique sur le plan international, d'établir des débats et des confrontations ouvrant le processus vers la constitution du parti politique international de la classe.
 

La plus profonde contre-révolution de l'histoire du mouvement ouvrier a constitué une épreuve terrible pour l'organisation des révolutionnaires elle-même. N'ont pu survivre que les courants qui, contre vents et marées ont su préserver les principes fondamentaux du programme communiste. Cependant, cette attitude indispensable en soi, la méfiance à l'égard de toutes les "conceptions nouvelles" qui, en général, étaient le véhicule de l'abandon du terrain de la classe sous la poussée de l'idéologie bourgeoise triomphante, ont souvent eu pour effet d'empêcher  les révolutionnaires de comprendre dans toute leur étendue les changements qui étaient intervenus dans la vie du capitalisme et la lutte de la classe ouvrière. La forme la plus caricaturale de ce phénomène se trouvant dans la conception qui considère comme "invariante" les positions de classe, pour qui le programme communiste "surgi d'un bloc en 1848, n'a plus besoin d'être modifié d'une virgule".

Si elle doit constamment se garder des conceptions modernistes qui, souvent, ne font que proposer des vieilles marchandises avec un nouvel emballage, l'organisation des révolutionnaires doit, pour être à la hauteur des tâches pour lesquelles elle a surgi dans la classe, se montrer capable de comprendre ces changements dans la vie de la société et les implications qu'ils ont pour l'activité de la classe et de son avant-garde communiste.

Face au caractère manifestement réactionnaire de toutes les nations, celle-ci doit combattre tout soutien aux mouvements dits "d'indépendance nationale". Face au caractère impérialiste de toutes les guerres, elle doit dénoncer toute participation à celles-ci sous quelque prétexte que ce soit. Face à l'absorption par l'Etat de la société civile, à l'impossibilité de réformes réelles du capitalisme, elle doit combattre toute participation aux parlements et aux mascarades électorales.

Face aux conditions économiques, sociales et politiques nouvelles dans lesquelles se situe la lutte d de classe aujourd'hui, l'organisation des révolutionnaires doit combattre toute illusion dans la classe de redonner vie à des organisations qui ne peuvent être que des obstacles à sa lutte -les syndicats- et mettre en avant les méthodes et mode d'organisation des luttes déjà expérimentés par la classe lors de la première vague révolutionnaire de ce siècle : la grève de masse, les assemblées générales, l'unité du politique et de l'économique, les conseils ouvriers.

Enfin, pour être en mesure d'accomplir pleinement son rôle de stimulation des luttes, d'orientation vers leur issue révolutionnaire, l'organisation de des communistes doit renoncer aux taches qui ne sont plus les siennes "d'organiser" ou de "représenter" la classe.

Les révolutionnaires qui prétendent que "rien n'a changé depuis le siècle dernier" tendent à vouloir donner au prolétariat le comportement de Babine, ce personnage d'un conte de Tolstoï qui répétait face à toute nouvelle rencontre ce qu'on lui avait dit qu'il aurait dû dire face à sa rencontre précédente, ce qui lui valait à chaque fois de se faire rosser copieusement. Aux fidèles d'une église, il adressait les paroles qu'il aurait dû prononcer devant le Diable, à l'ours il parlait comme on doit le faire à un ermite. Mais le malheureux Babine paie sa sottise de sa vie.

Une telle "mise à jour" des positions et du rôle des révolutionnaires ne constitue nullement un "abandon" ou une "révision" du marxisme mais au con traire une réelle fidélité à ce qui fait son essence. C'est cette capacité de comprendre, contre les mencheviks, les conditions nouvelles de la lutte et les exigences qui en découlent pour le programme qui a permis à Lénine et aux bolcheviks de contribuer activement et de façon décisive à la révolution d'octobre 1917.

De même, Rosa Luxemburg se place sur ce même point de vue révolutionnaire lorsqu'elle écrit en 1906 contre les "orthodoxes" de son parti :

"S’il est vrai que la révolution russe oblige à réviser fondamentalement l'ancien point de vue marxiste à l'égard de la grève de masse, pourtant, seul le marxisme, ses méthodes et ses points de vue généraux remportent à cet égard la victoire sous une nouvelle forme".

(Grève de masse, parti et syndicats. Ch.1.)

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [7]
  • La lutte Proletarienne [2]

Le parti défiguré : la conception bordiguiste

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La Troisième Conférence Internationale des groupes de la Gauche Communiste s'est échouée sur un banc de sable. Formellement c'était la question du parti qui en était la cause.

Il ne fait de doute pour personne que ce n'était là qu'un prétexte. La vérité est que Battaglia Comunista et la Communist Workers Organi­sation se sentaient mal à l'aise depuis la deuxième Conférence, et plus soucieux des intérêts immé­diats de leur groupe -caractéristique de l'esprit de secte- que de l'importance que peuvent présen­ter dans la période présente de montée de la lut­te de classe, des Conférences Internationales de groupes communistes. Ils ont tout fait pour les faire échouer.

Voilà qui fera grand plaisir aux bordiguistes du "P.C.International" qui ont depuis toujours prétendu qu'il n'y a rien de bon à attendre des Conférences entre groupes communistes, et d'autant moins que le Parti International Unique existe depuis 1943, c'est à dire leur petit groupe. Logiques avec eux-mêmes, les bordiguistes considèrent qu'ils sont le seul groupe communiste du monde. Toujours "logiques" avec leur postulat suivant lequel le Programme de la révolution communiste a été défini en 1848 par Marx et que depuis il ne peut varier d'un iota, ils affirment en outre que le parti est unique (comme Dieu) et monolithique (comme le parti de Staline) ([1] [8]), les bordiguistes refusent toute discussion, avec qui que ce soit, exigeant l'adhésion individuelle pure et simple à leur parti de tous ceux qui entendent militer pour le communisme.

Battaglia Comunista semble plus ouvert à la discussion. Mais c'est là plus apparence que réalité. La discussion, pour BC, n'est pas une confrontation de positions, mais l'exigence de le reconnaître comme le VRAI parti, seul habilité à parler au nom de la Gauche Italienne. Pas plus que Program­ma, il ne comprend le processus de regroupement des groupes communistes, dispersés par la pression de 50 ans de contre-révolution, ce processus qui s'ouvre avec la montée de la lutte de classe du prolétariat, et qui se déroule sur la base d'un réexamen critique des positions énoncées au cours de la dernière vague révolutionnaire et l'expérience qui s'en est suivie, permettant le dépassement des immaturités et des erreurs d'autrefois, et déterminant une plus grande cohérence théorico-politique rendant possible une plus grande cohésion et unité d'un futur parti communiste international.

Cet article n'a pas pour objectif de revenir sur les incompréhensions des nombreux "héritiers" de ce que fut le courant de la Gauche Communiste en ce qui concerne le processus inévitable de regroupement des forces communistes et la place qu'occupent dans ce processus les conférences internationales. Nous avons traité ce sujet dans de nombreux textes parus dans notre presse, et notamment dans le dernier numéro de la revue internationale. Nous nous bornerons ici à une question particulière, mais de la plus haute importance : la question du parti, sa fonction, la place qu'il occupe dans le développement de la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie et le système capitaliste.

LE CONSEILLISME ET LE PARTI : DIVERGENCES REELLES ET DIVERGENCES FACTICES

Pour pouvoir avancer dans la discussion sur le parti, il faut avant tout savoir et vouloir établir correctement le cadre du débat. La plus improductive méthode de mener le débat consiste dans la malhonnête façon d'effacer les cadres distinctifs qui délimitent ce qu'on appelle le conseillisme d'avec les partisans convaincus de la nécessité du parti. En brandissant à tort et à travers l'épouvantail du conseillisme contre tous ceux qui ne partagent pas la conception bolchevik du parti, et surtout sa caricature outrée des bor­diguistes, on ne fait qu'entretenir et développer la confusion aussi bien sur ce qu'est le conseillisme que sur la notion du parti.

Le mouvement conseilliste surgit dans les années tourmentées de la première vague révolutionnaire qui a suivi la première guerre mondiale. Il partage avec la Gauche Communiste (sauf celle d'Italie) l'idée fondamentale que non seulement le mouvement syndical tel qu'il existe a cessé d'être une organisation de défense de la classe ouvrière, mais que la structure même de l'organisation syndicale ne correspond plus aux nécessités de la lutte du prolétariat dans la nouvelle période historique ouverte avec la guerre et posant à l'ordre du jour la révolution communiste. Les taches quo se posent à la classe ouvrière dans cette période nouvelle exigent un nouveau type d'organisation qui ne soit pas fondée sur des critère particuliers, professionnels, corporatistes et strictement de défense économique, mais qui soit réellement unitaire, ouverte à l'activité dynamique de toute la classe, ne séparant pas la défense des intérêts économiques immédiats de son but historique : émancipation de la classe ouvrière et destruction du capitalisme. Une telle organisation ne peut être autre que les Conseils d'usine coordonnés et centralisés.

Ce qui a séparé les conseillistes de la Gauche Communiste, c'est que les premiers, non seulement nient toute utilité à l'existence d'un parti politique, mais qu'ils ont considéré toute existence de parti comme nuisible à la lutte de classe. Les .conseillistes préconisaient la dissolution des partis au sein de l'organisation unitaire : les conseils. C'est ce point qui les a séparés de la Gauche Communiste et les a conduit à rompre avec le KAPD.

Comme tel, le conseillisme représente une réactualisation de l'anarcho-syndicalisme d'avant-guerre. Et tout comme l'anarcho-syndicalisme, qui était une réaction épidermique contre l'électoralisme et l'opportunisme de la social-démocratie, le conseillisme est une réaction contre les tendances ultra-partidistes dans l'organisation communiste qui commentait par identifier et confondre la dictature du prolétariat avec celle du parti, et finit par substituer purement et simplement l'une à l'autre.

Les ultra-partidistes ou néo-bolcheviks se plaisent à esquiver la critique de leurs conceptions ultra-léninistes, en insistant lourdement sur le fait que le courant conseilliste provient d'une scission de la Gauche Communiste - en Allemagne en particulier. Cette constatation qui entacherait à jamais la Gauche Communiste en dehors d'Italie du péché originel de conseillisme leur sert d'ultime argument.

Cet argument a autant de valeur que de reprocher à la gauche révolutionnaire d'avoir milité dans les rangs de la deuxième Internationale avant la guerre. Il n'est pas moins stupide que de condamner les bolcheviks pour avoir "engendré" le stalinisme.

La Gauche Communiste n'est pas -quoiqu'en pensent et disent les ultra-partidistes- le sein maternel du conseillisme, car ce dont le conseillisme se nourrit, ce sont les conceptions erronées, l'image que certains révolutionnaires donnent du parti, et de son rapport avec la classe. Les aberrations des uns nourrissent et renforcent les aberrations des autres et réciproquement.

Quand pour les besoins de leur cause, les bor­diguistes nous taxent de conseillistes, c'est une mauvaise polémique et non une réponse à notre critique de leurs aberrations. Au lieu de se donner la peine de répondre à des arguments, il est certes plus facile de recourir à la méthode "qui veut tuer son chien l'accuse de la rage". Cette méthode, qui consiste à inventer n'importe quoi et à l'attribuer à l'adversaire est peut-être payante sur le moment, mais s'avère complètement inefficace et négative à la longue. Elle ne fait qu'embrouiller le débat au lieu de clarifier et mettre en lumière les positions des uns et des autres.

Quand Battaglia, par exemple, critique le conseillisme à une conférence de groupes communistes, il ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes. Mais quand il l'attribue au CCI pour justifier son sabotage de la Conférence on peut se demander : que penser d'un groupe comme Battaglia à qui il a fallu pas moins de 10 ans pour s'apercevoir qu'il discutait avec un groupe ... conseilliste, et encore, après avoir pendant 4 ans organisé avec lui des Conférences Internationales, sans s'en apercevoir? Comme perspicacité organisée et flair politique, ça laisse beaucoup à désirer. Plutôt que de convaincre qui que ce soit de la fable du conseillisme du CCI, Battaglia ne fait que se discréditer elle-même comme groupe politique sérieux et responsable.

Nous n'avons pas l'intention ici de nous laver de l'accusation de conseillisme. C'est à nos contradicteurs de le démontrer. Il suffit de connaître un tant soit peu la presse des groupes du CCI et notamment la plateforme, pour savoir que nous avons toujours rejeté et combattu les aberrations du conseillisme.

Mais n'est-il pas drôle d'entendre le même reproche de conseillisme de la part du CWO avec qui il nous a fallu de longs mois de discussion pour les faire revenir de leur analyse de la révolution d'octobre comme révolution bourgeoise et du parti bolchevik taxé par eux de parti bourgeois, lorsqu'il fallait les tirer par les oreilles pour les faire sortir du bourbier moderniste de Solidarity? Après l'ultra-anti-partidisme, le CWO s'est jeté maintenant dans l'ultra-partidisme et le combat des conceptions du parti du CCI.

Laissons donc là toutes les sottes fabulations sur le conseillisme du CCI ([2] [9]) et voyons les divergences réelles qui nous séparent sur la conception du parti.

LA NATURE DU PARTI

Bien des groupes ont du mal à se dégager clairement de la thèse de Kautsky, reprise et défendue par Lénine dans "Que faire?" Cette thèse énonce que la lutte de classe du prolétariat et la conscience socialiste émane de deux prémices absolument différentes. Selon cette thèse, la classe ouvrière ne peut élaborer qu'une conscience "trade unioniste", c'est à dire limitée à la lutte pour ses revendications économiques immédiates dans le capitalisme. La conscience socialiste, celle de l'émancipation historique de la classe, n'est que l’œuvre des intellectuels se penchant sur les questions sociales. D'où il résulte logiquement que le parti est l'organisation de ces intellectuels radicaux qui se donnent pour tache d'"IMPORTER CETTE CONSCIENCE DANS LA CLASSE OUVRIERE". Ainsi nous avons non seulement un être séparé de sa conscience, un corps séparé de son esprit, mais encore un esprit sans corps existant en soi. C'est là une vision idéaliste du monde, reprise aux néo hégéliens que Marx et Engels ont si implacablement fustigé dans la "Sainte Famille" et "l'idéologie allemande".

Avec Trotsky du "Rapport de la délégation sibérien ne", Rosa Luxemburg et tant d'autre  révolutionnaires, le CCI rejette catégoriquement une telle théorie qui n'a rien à faire avec le marxisme et qui lui tourne carrément le dos. Lénine lui-même a reconnu publiquement dix ans après, d'avoir sur ce point par trop "tordu la barre", entraîné qu'il était dans sa polémique contre l'économisme. Toutes les contorsions du PCI (Programma) et toutes les galipettes "dialectiques" du PCI (Battaglia) pour justifier cette théorie de Kautsky (pour marquer leur "fidélité" à Lénine) ne font que les amener à s'emmêler chaque fois plus dans des affirmations de plus en plus contradictoires. Aucun anathème contre le spontanéisme ni l'exorcisme contre le "conseillisme" ne sauraient les sauver de l'obligation de se prononcer une fois pour toutes sur ce point fondamental. Il ne s'agit pas ici d'un différend entre léninisme et conseillisme, mais entre marxisme et kautskysme. ([3] [10])

Plus graves encore que les aspects philosophiques et méthodologiques de la question, sont les implications politiques auxquelles mène cette théorie. Elle réduit le prolétariat à une pure catégorie économique alors que Marx y reconnaît une classe historique qui porte en elle la solution de toutes les contradictions dans lesquelles s'est empêtrée l'humanité à travers la succession de sociétés divisées en classes. C'est précisément cette classe qui porte avec son émancipation l'émancipation de toute l'humanité qu'on rabaisse au point de lui nier la capacité de prendre conscience dans sa lutte de soi-même et de son rôle dans l'histoire. On ne voit dans cette classe que ses côtés encore hétérogènes et on ne voit pas qu'elle est la plus homogène, la plus "socialisée", la plus concentrée et la plus nombreuse dans l'histoire. On ignore le fait qu'elle est la moins aliénée par les intérêts de propriété privée et que sa misère est plus que sa misère propre mais la misère accumulée de toute l'humanité. On ne comprend pas qu'elle constitue la première classe dans l'histoire capable d'une conscience véritablement globale et non aliénée. Et c'est du haut de cet amoncellement d'ignorance et d'incompréhension sur la nature de la classe ouvrière qu'on prétend lui "injecter la conscience"... Une telle théorie ne peut-être le produit que de petits cerveaux mégalomanes et de l'Intelligentsia petite-bourgeoise.

Et le Parti ? Et le Programme Communiste ? Contrairement à Kautsky, Lénine et n'en déplaise à tous les bordiguistes de toutes nuances et de toutes variantes, ils ne sont pour nous aucune révélation mystérieuse, mais très simplement le produit de l'existence, de la vie et de l'activité de la classe. Et nous partageons, sans crainte de spontanéisme la critique de Rosa opposant à la formulation de Lénine "le parti au service du prolétariat" celle "du parti de la classe". En d'autres termes, un organisme secrété par la classe pour ses besoins. Le parti n'est pas ce Messie délégué par l'histoire auprès du prolétariat pour le sauver, mais un organe que la classe se donne dans sa lutte historique contre l'ordre capitaliste.

La discussion ne porte pas sur la question de savoir si le parti est ou non un facteur de la prise de conscience. Un tel débat a sa place uniquement face aux anarchistes ou conseillistes mais non pas entre des groupes qui se réclament de la gauche communiste. Mais si Battaglia insiste tant pour ramener le débat sur ce plan, c'est uniquement pour esquiver de répondre à la question de la  nature du  parti : à savoir de quoi et de qui il est le produit. La répétition obstinée de Battaglia sur le "parti-facteur apparaît pour ce qu'elle est : un faux-fuyant pour ne pas reconnaître qu'avant tout, le parti est un produit de la classe et que son existence comme son évolution relèvent de l'existence et de l'évolution de la classe ouvrière.

Les bordiguistes "orthodoxes" de Programme n'ont même pas besoin de recourir aux sophismes (dits "dialectiques") de Battaglia, et proclament carrément que la classe n'existe que par la grâce du parti. A les entendre, c'est l'existence du parti qui détermine l'existence de la classe. Le parti existe pour eux depuis "Le Manifeste Communiste", avant cette date, il n'y avait ni parti et donc pas de prolétariat. Admettons. Mais ce parti aurait du même coup la vertu miraculeuse de rendre son existence invisible, car selon eux, il n'a jamais cessé d'exister depuis 1848. Si on regarde l'histoire, on constate que cela ne colle pas très bien avec les faits. La Ligue des Communistes a existé... 4 ans; la Première Internationale 10 ans; la Seconde Internationale 15 ans et la Troisième Internationale 8 ans (en comptant large !), soit au total 37 ans sur 132. Que s'est-il donc passé avec le par­ti pendant près d'un siècle ? Cette question ne peut embarrasser nos bordiguistes -qui ont inventé une théorie du "Parti réel" et du "Parti formel". D'après cette "théorie", c'est l'habit, formel, extérieur donc matériel, visible qui peut disparaître, mais le parti réel, pur esprit, lui, demeure, on ne sait trop où, invisible. Une telle aventure est arrivée au parti bordiguiste lui-même, qui, en comptant large, aurait disparu de 1927 à 1945 (juste le temps pendant lequel Bordiga dormait !). Et c'est ce galimatias éhonté qu'on présente comme la quintessence du marxisme restauré ! Quant au "Programme achevé et invariant", et le "parti historique réel", ils se trouvent aujourd'hui incarnés dans ... quatre partis (!) tous P.C.I. et se réclamant tous du monolithisme ! Tous, grands, pourfendeurs et chasseurs émérites du... conseillisme ! Difficile, très difficile de discuter sérieusement avec des partis de cet acabit.

Les bordiguistes croient pouvoir appuyer leur conception du parti sur des citations de Marx et Engels arbitrairement extraites de leurs contextes. Ce faisant, ils ne font que commettre les pires abus contre le fond et l'esprit qu'animent l'œuvre de ces grands penseurs et fondateurs du socialisme scientifique ([4] [11]). Il en est ainsi de cette fameuse phrase du Manifeste : "l'organisation du prolétariat en classe, donc en parti politique". Sans vouloir faire de l'exégèse sur la validité littéraire de la traduction ([5] [12]), il suffit de relire tout le chapitre d'où cette phrase est extraite pour se convaincre que, cela n'a rien à faire avec l'interprétation que lui donnent les bordiguistes en faisant du petit mot "donc" une condition préalable à l'existence de la classe, là où pour Marx, elle signifie un résultat du processus de la lutte de la classe ouvrière.

 Ce qui préoccupe Marx et Engels dans Le Manifeste, est la nécessité inéluctable pour la classe de s'organiser, et non précisément l'organisation du parti. L'organisation d'un parti précis reste très floue dans le Manifeste. C'est ainsi qu'ils peuvent aller jusqu'à proclamer que "les communistes ne constituent pas un parti distinct des autres partis ouvriers" et terminer le manifeste par l'appel, non pas à la constitution d'un parti communiste, mais "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous".

On peut citer des centaines de pages où Marx et Engels envisagent l'organisation sous l'angle de l'organisation générale, de la classe à qui ils attribuent la fonction, non seulement de la défense des intérêts immédiats, économiques mais également l'accomplissement du but historique du prolétariat: la destruction du capitalisme et l'instauration d'une société sans classe.

Citons seulement le passage suivant d'une lettre de Marx à Bolte du 23/2/1871 :

"Le mouvement politique de la classe ouvrière a naturellement pour but final la conquête du pouvoir politique, et il faut naturellement pour cela une organisation de la classe ouvrière ayant un certain degré de développement préalable et qui se forme et grandisse dans les luttes économiques mêmes. Mais d'autre part, chaque mouvement dans lequel la classe ouvrière s'oppose en tant que classe aux classes dominantes et cherche à les faire plier par une pression de l'extérieur est un mouvement politique. Par exemple, tenter d'arracher à des capitalistes individuels dans une seule fabrique ou une seule branche d'industrie, par le moyen de grèves, etc., une réduction du temps de travail est un mouvement purement économique; par contre, le mouvement visant à arracher la loi de 8 heures, etc... est un mouvement politique. Et c'est de cette façon que de tous les mouvements économiques isolés des ouvriers surgit partout un mouvement de la classe pour faire triompher ses intérêts sous une forme générale, sous une forme ayant force de contrainte sociale générale".

Et Marx d'ajouter :

"Si ces mouvements supposent une certaine organisation préalable, ils sont tout autant de leur coté, des moyens de développer cette organisation".

(Idem)

Tout ce mouvement se déroule ici sans la baguette magique détenue par le Parti. En parlant de l'organisation, Marx envisage ici l'Association Internationale des Travailleurs (la Première Internationale) dans laquelle les partis proprement politiques, comme celui de Bebel et Liebknecht en Allemagne ne sont qu'une partie parmi d'autres. C'est toujours cette Internationale, organisation générale de tous les ouvriers, que Marx considère comme la : "constitution du prolétariat en parti politique indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale  et de son but final- l'abolition des classes".

C'est si évident que le texte continu en ses termes : "qu'il faut que l'union des forces de la classe ouvrière qui a déjà été réalisée par les luttes économiques serve également de levier pour la masse de la classe dans sa lutte contre la puissance de ses exploiteurs". Résolution de la Conférence de Londres de l'A.I.T. Septembre 1871 "qui rappelle aux membres de l'Internationale que, dans l'état de luttes de la classe ouvrière, son activité économique et son activité politique sont inséparablement liées".

Comparons à ces textes de Marx ces autres affirmations des bordiguistes et Cie : "Tant qu'existent des classes, il sera impossible aussi bien aux classes qu'aux individus d'obtenir consciemment un résultat. Seul le parti le peut". (Travail du groupe n°3. Mars-Avril 1957 p.38) Mais d'où vient cette vertu au "parti seul" Et pourquoi à lui exclusivement ?

"Or le prolétariat n'est classe que dans la mesure où il se groupe derrière un programme, c'est à  dire, un ensemble de règles d'action déterminées par une explication générale et définitive du problème propre à  la classe et du but d atteindre pour le résoudre. Sans ce programme.... son expérience ne dépasse pas l'aspect le plus étroit de la misère que lui impose sa condition". (Travail du groupe n°4. Mai-Juin 1957 p.10) ([6] [13])

Mais d'où sortent donc ces "règles d'action" qui constituent "le programme" D'après les bordiguis­tes, ce programme ne peut absolument pas venir de l'expérience de la lutte de la classe ouvrière pour la simple raison que cette "expérience ne dépasse pas l'aspect le plus étroit de la misère que lui impose sa condition". Mais alors, d'où lui vient, ou peut lui venir -au prolétariat- la conscience de son être ? Les néo-bolchéviks répondent : "par une explication générale et définitive du problème propre à  la classe". Les bordiguistes affirment, non seulement que de par "sa condition" la classe est dans l'incapacité absolue de "dépasser l'aspect le plus étroit de la misère" mais plus catégorique­ment encore, ils prétendent que l'être même, le prolétariat n'est pas classe, et ne peut avoir d'existence comme telle, sans la condition première qu' il existe au préalable un Programme.... "une explication générale et définitive" derrière laquelle il peut se grouper pour devenir une classe.

Qu'il y a t-il de commun entre cette vision, et celle de Marx pour qui :

"Les conditions économiques avaient d'abord transformé la masse du pays en travailleurs. La domination du capital a crée à cette masse une situation commune, des intérêts communs. Ainsi, cette masse est déjà une classe vis a  vis du capital, mais pas encore pour elle-même. Dans la lutte dont nous n'avons signalé que quelques phases, cette masse se réunit, elle se constitue en classe pour elle même. Les intérêts qu'elle défend deviennent des intérêts de classe. Mais la lutte de classe à classe est une lutte politique", et cela après avoir affirmé plus haut : Dans cette lutte -véritable guerre civile- se réunissent et se développent tous les éléments nécessaires à une bataille à  venir. Une fois arrivée à  ce point là, l'association prend un caractère politique".

(Misère de la philosophie. Chap I, "Grèves et coalitions". Ed. La Pléiade)

Là où avec Proudhon, les bordiguistes ne voient dans la condition de la classe que "la misère", nous voyons avec Marx une classe en mouvement qui passe de la résistance à la coalition, de la coalition à l'association, et de la lutte d'abord économique à la lutte politique pour l'abolition de la société de classe. De même, nous pouvons souscrire et prendre pleinement à notre compte cette autre pensée de Marx :

"On a fait bien des recherches pour retracer les différentes phases historiques que la bourgeoisie a parcourue... Mais quand il s'agit de se rendre compte exactement des grèves, des coalitions et des autres formes dans lesquelles les prolétaires effectuent devant nos yeux leur organisation comme classe, les uns sont saisis d'une crainte réelle, les autres affichent un dédain transcendantal". (Ibidem)

Ce qui caractérise tous les "néo" et "ultras" qui se disent "lénininistes", c'est leur profond dédain pour la classe, pour son mouvement réel et ses potentialités. C'est leur manque de confiance profonde dans la classe, dans ses capacités qui les amène à chercher une position de sécurisation, un nouveau Messie, qui ne serait autre qu'eux-mêmes. Ainsi transforment-ils leur propre sentiment d'insécurité en un complexe de supériorité, frisant la mégalomanie.

ROLE ET FONCTION DU PARTI DANS LA CLASSE

Si le parti est un organe produit par le corps de la classe, il est nécessairement aussi un facteur actif dans la vie de la classe. S'il est la manifestation du processus de la prise de conscience de la lutte de la classe, il a pour fonction fondamentale de contribuer à ce processus de prise de conscience et d'être le creuset indispensable de l'élaboration théorique et programmatique, fonction pour laquelle la classe l'a engendré. Dans la mesure où la classe ne peut échapper dans la société capitaliste où elle vit, ni à la pression, ni aux entraves qui empêchent son homogénéisation, le parti est le moyen de son homogénéisation; dans la mesure où l'idéologie bourgeoise dominante pèse et entrave la prise de conscience de la classe, le parti est l'organe chargé de détruire ces entraves, l'antidote à l'idéologie de la classe ennemie qui empoisonne sans cesse le cerveau du prolétariat. La portée de sa fonction évolue nécessairement avec les changements qui se produisent dans la société et dans le rapport de forces changeant entre le prolétariat et la bourgeoisie. Ainsi, par exemple, si au début de l'existence de la classe il est un facteur décisif et direct dans l'organisation de la classe, cette tâche diminue pour le parti dans la mesure où la classe s'est développée, a acquis une longue expérience et a atteint une maturité plus grande. Si les partis ont joué un rôle prépondérant pour la naissance et le développement des organisations syndicales, il n'en a pas été de même pour l'organisation des Conseils, qui s'est faite avant que le parti ne comprenne ce phénomène, et en partie contre la volonté explicite du parti.

Le parti ne vit donc pas indépendamment de la classe; il grandit et se développe avec le développement de la classe. Il subit également -comme la classe- la pression et la pénétration en son sein des influences de la classe ennemie. Et, en cas de grave défaite de la classe, peut dégénérer et passer à l'ennemi, ou disparaître momentanément. Ce qui reste une constante, c'est le besoin qu'éprouve la classe de cet organe qui lui est indispensable. Et, tout comme l'araignée dont on a détruit la toile, la classe continue à secréter les éléments pour reconstituer cet organe qui lui reste nécessaire. C'est cela le processus de formation continue du parti.

Le parti n'est pas l'unique siège de la conscience de la classe, comme le prétendent, avec outrance, tous les épigones qui s'intitulent léninistes. Il n'est ni infaillible, ni invulnérable. Toute l'histoire du mouvement ouvrier est là pour en témoigner. Et l'histoire est aussi là pour montrer que la classe dans son ensemble accumule des expériences et les assimile directement. Le récent mouvement formidable de la classe ouvrière en Pologne témoigne de sa capacité remarquable à accumuler et assimiler ses expériences de 70 et 76 et à les dépasser, et cela malgré l'absence, qui se fait cruellement sentir, d'un parti. La Commune de Paris est un autre exemple des immenses capacités de conscience de la classe. Cela ne diminue en rien le rôle du parti, dont l'activité efficace est une des conditions majeures de la victoire finale du prolétariat. Une condition majeure, mais pas unique. Le parti est le siège principal de l'élaboration de la théorie (et non l'unique), mais encore ne faut-il pas le voir comme un corps indépendant, extérieur à la classe. Il est un organe, la partie d'un tout, qu'est la classe.

Comme tout organe chargé d'une fonction spécifique dans un tout, le parti peut accomplir bien ou mal cette fonction. Parce qu'il fait partie d'un corps total vivant qu'est la classe, et est donc lui-même un organe vivant, il est sujet à des défaillances dues soit à des causes extérieures, soit à son propre mauvais fonctionnement. Ce n'est pas un corps immobile, assis sur un programme achevé une fois pour toutes et invariant. Il a constamment besoin de veiller et travailler sur lui-même, de chercher à se donner les meilleurs moyens pour son entretien et son développement. Au lieu d'exalter en lui le restaurateur et le conservateur de musée, comme le font les néo-bolcheviks, nous devons être vigilants contre une maladie particulière qui le guette (et contre laquelle, Rosa, dans sa lutte contre le "marxisme orthodoxe" d'avant 1914, Lénine, dans sa lutte contre les "vieux bolcheviks" à son retour de Russie en 1917, et Trotsky dans "les leçons d'Octobre", ont mis en garde les révolutionnaires), sa tendance au conservatisme. Il n'y a pas de garantie ni de recette à priori. Raison de plus pour être attentif. Le symptôme de cette maladie se manifeste par une stricte fidélité à la lettre plutôt qu'à la méthode vivante du marxisme.

Le parti accuse des défaillances, non seulement par le poids du passé et sa tendance au conservatisme, mais aussi parce qu'il est confronté à des situations nouvelles, à des problèmes nouveaux. Or rien ne permet d'affirmer qu'il peut, face à des situations jamais vues auparavant dans l'histoire, donner toujours et tout de suite une réponse juste. L'histoire le démontre amplement : le parti peut se tromper. Qui plus est, les conséquences de ses erreurs peuvent être très lourdes et altérer gravement le rapport existant entre lui et la classe. Le Parti Bolchevik au pouvoir en a commis pas mal, l'Internationale Communiste pas moins. C'est pourquoi le parti ne peut prétendre être toujours dans la vérité et chercher à imposer à la classe, par tous les moyens (y compris la violence), sa direction et ses décisions. Il n'est pas un "dirigeant de droit divin".

Le parti n'est pas ce pur esprit, cette conscience absolue et infaillible, devant lequel la classe ne peut et ne doit que s'incliner. Il est un corps politique, une force matérielle, agissant dans la classe, qui reste responsable devant elle, et à qui il doit toujours rendre des comptes.

Le C.W.O. ironise sur notre "frayeur" devant le "mythe" (sic) du danger du substitutionnisme. Le parti étant la partie la plus consciente de la classe, cette dernière ne peut que lui faire confiance et c'est donc lui qui prend tout naturellement et d'office le pouvoir. Ce qu'il fallait démontrer ! On pourrait se demander pourquoi Marx a écrit "la guerre civile en France", où il mettait l'accent sur les mesures prises par la Commune de Paris pour pouvoir garder toujours le contrôle sur ceux qu'elle déléguait à des fonctions publiques, et dont la plus importante était la possibilité de révocabilité à tout moment ? Marx et Engels auraient-ils été des conseillistes avant la lettre?

Le C.W.O. ne se rend lui-même pas compte de la différence qui existe encore entre un délégué élu et révocable, et la délégation de tout le pouvoir à un parti, et qui n'est rien d'autre que la différence qui sépare le fonctionnement du prolétariat des structures bourgeoises. Dans un cas, il s'agit d'une personne chargée de l'exécution d'une tâche et responsable à chaque moment devant ceux qui l'ont élu, et donc révocable ; dans l'autre cas, il s'agit de déléguer le pouvoir, tout le pouvoir, à un corps politique sur lequel on n'a aucun contrôle : ses membres, eux, sont responsables devant leur parti, et leur parti uniquement. Le C.W.O. voit dans notre souci du danger du substitutionis­me un simple formalisme, alors que ce serait tomber dans le pire formalisme, c'est à dire la pire tromperie, que de faire croire qu'on a changé quelque chose en changeant simplement le nom du comité central du parti en comité exécutif des conseils ! C'est directement que la classe exerce son contrôle sur chacun de ses délégués, et non en abandonnant ce contrôle à quelqu'un d'autre, serait-ce son parti de classe.

Le parti prolétarien n'est pas comme les partis bourgeois, candidat au pouvoir de l'Etat, un parti étatique. Sa fonction ne peut être celle de gérer l'Etat, ce qui risque d'altérer son rapport avec la classe -qui consiste à l'orienter politiquement- en un rapport de forces. En devenant un gérant de l'Etat, le parti changera imperceptiblement son rôle, pour devenir le parti des fonctionnaires; avec tout ce que cela comporte comme tendances à la bureaucratisation. L'exemple bolchevik est à ce sujet très édifiant.

Mais ce point relève d'une toute autre recherche, celle du rapport entre le parti et l'Etat dans la période de transition. Ici nous avons voulu nous limiter à démontrer, comment sous prétexte de chasse au conseillisme, on arrive à l'erreur de survaloriser de manière outrancière le rôle et la fonction du parti. On arrive tout simplement à une caricature faisant du parti une élite de droit divin.

M.C.



[1] [14] L'histoire du mouvement ouvrier ne connaît aucun exemple d'un tel parti monolithique.

[2] [15] Rappelons, pour en finir avec ces "critiques" inventées de toutes pièces, que dans l'exigence des critères politiques pour la participation aux conférences que nous avons proposés dès le début, figure la reconnaissance de la nécessité du parti. Ainsi, dans la lettre que nous avons adressée au P.C.I. en préparation de la Ière Conférence le 15/7/76, nous écrivions : "Les critères politiques de participation à une telle rencontre doivent être strictement délimités par: …..6- affirmation que 1"émancipation de la classe ouvrière sera l’œuvre de la classe elle-même" et que cela implique la nécessité de l'existence de l'organisation des révolutionnaires au sein de la classe." De même, dans le "Projet de résolution sur les taches des communistes" que nous avons présenté à la deuxième Conférence le 11/11/1978, nous écrivions:

"L'organisation des révolutionnaires constitue un organe essentiel de la lutte du prolétariat, tant avant qu'après l'insurrection et la prise du pouvoir ; sans elle, sans le parti prolétarien et parce que cela exprimerait une immaturité de sa prise de conscience, la classe ouvrière ne peut réaliser sa tache historique: détruire le système capitaliste et édifier le communisme:"

Et, si la deuxième Conférence a montré qu'il existait des divergences sur le rôle et la fonction du parti, elle a accepté à l'unanimité la "reconnaissance de la nécessité historique du parti" comme critère d'adhésion et de participation aux futures conférences internationales.

[3] [16] Il est largement temps de bannir de notre vocabulaire cette terminologie de "léninisme" et "anti léninisme", derrière laquelle se cache n'importe quoi et qui ne veut rien dire. Lénine était une très grande figure du mouvement ouvrier et son apport est énorme. N'empêche qu'il n'était pas infaillible et que ses erreurs ont pesé très lourdement dans le camp du prolétariat. On ne peut accepter le Lénine de Kronstadt parce qu'il y avait un Lénine d'Octobre, et vice versa.

[4] [17] C'est à dire d'une méthode scientifique et non, selon la formulation de Battaglia, d'une science  marxiste qui n'existe pas.

[5] [18] Dans l'édition en français de "La Pléiade", M. Rubel traduit ce passage de la façon suivante: "cette organisation des prolétaires en une classe et, par suite, en un parti politique", traduction certainement plus fidèle à la pensée réelle développée dans tout ce chapitre du Manifeste.

[6] [19] Revue bordiguiste du PCI(Programma)

Courants politiques: 

  • Bordiguisme [20]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [21]
  • L'organisation révolutionnaire [22]

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Liens
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