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Révolution Internationale n° 323 - Mai 2002

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Editorial - L'avenir dépend de la lutte de classe, pas du cirque électoral

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Le score électoral de Le Pen au premier tour des présidentielles a constitué un événement historique de portée internationale. Pour la première fois, le FN arrive à menacer la "démocratie" française.
Et c'est sous le signe de la "honte" que s'est immédiatement déchaînée la campagne anti-Le Pen, polarisant l'attention de toute la population, réveillant dans tous les esprits le spectre du fascisme.

 

Dès le soir du premier tour, on a assisté au déferlement de l'hystérie démocratique aux quatre coins du pays avec la multiplication des manifestations massives pour "faire barrage" à l'extrême-droite. Et ce sont toutes les forces de gauche (partis de gauche et d'extrême-gauche, syndicats, MRAP, associations des droits de l'homme, Ras l'front, SOS racisme, etc.) qui ont agité frénétiquement l'épouvantail Le Pen pour rassembler dans la rue des dizaines de milliers de manifestants, en grande majorité des jeunes, étudiants et lycéens. Par ailleurs, l'ensemble des forces démocratiques de l'Etat bourgeois, depuis le PC jusqu'à l'Eglise, appellent à voter "utile" au second tour pour le candidat de droite Chirac (le slogan des jeunes manifestants était "Votez escroc, pas facho !").

Malgré les ratés de la campagne électorale et la débandade de la classe politique française (voir ici [1]), la bourgeoisie n'a pas raté l'occasion de mettre à profit cet événement pour porter un nouveau coup à la conscience de la classe ouvrière en lui faisant croire, une fois encore, que la démocratie est son bien le plus précieux, sa seule planche de salut et qu'elle n'a donc pas d'autre choix que de se mobiliser massivement pour la sauver.

Quand la classe dominante n'a plus de pain à offrir aux prolétaires, elle lui offre des jeux pour la distraire et lui faire oublier que, face à l'enfoncement de l'économie mondiale dans une crise économique sans issue, quelle que soit la clique capitaliste au gouvernement, celle-ci ne peut qu'accentuer ses attaques contre toutes les conditions de vie ouvrières.

En exploitant la défaite cuisante de Jospin et la montée du FN, toutes les fractions de la bourgeoisie, à droite comme à gauche, cherchent aujourd'hui à entraîner les ouvriers derrière la fausse alternative : démocratie contre fascisme.
Elles cherchent à intoxiquer la conscience des prolétaires et à les dévoyer de leur propre terrain de classe en les embrigadant dans le raz-de-marée interclassiste de l'union sacrée anti-Le Pen.
On veut nous faire croire que l'avenir de la société se joue sur le terrain du cirque électoral.

Ainsi, on a eu droit, dès les premières heures de l'après premier tour, à une analyse extrêmement pernicieuse du score de Le Pen : à coups d'interviews hypermédiatisés, on nous rabâche que si le FN a eu un tel succès, ce serait en grande partie la faute aux abstentionnistes. Cette campagne visant à faire porter "la honte" sur les ouvriers qui, par leur refus des isoloirs électoraux, ont clairement manifesté leur rejet et leur dégoût des partis bourgeois, ne vise qu'un seul objectif : culpabiliser la classe ouvrière en lui faisant croire que ce sont les mauvais "citoyens" abstentionnistes qui mettent en danger la démocratie. Moralité : il faut rattraper le coup et aller voter massivement au second tour pour défendre, non pas nos propres intérêts de classe exploitée, mais la démocratie capitaliste, présentée comme un "moindre mal".

Mais le cynisme de la propagande bourgeoise ne s'arrête pas là. La classe dominante et ses médias aux ordres ont encore profité de la montée du FN dans les villes ouvrières dominées pendant des décennies par le PC pour déchaîner une campagne visant à culpabiliser, démoraliser et diviser les ouvriers en les montant les uns contre les autres. En témoignent ces titres du journal Le Monde du 25 avril : "Ces travailleurs qui ont voté Le Pen", "Les enfants perdus de la classe ouvrière". En présentant les prolétaires comme des "fachos", réactionnaires, nationalistes et xénophobes, la propagande bourgeoise vise à discréditer le prolétariat et à semer l'illusion suivant laquelle l'avenir de la société n'est pas dans la lutte de classe entre exploiteurs et exploités mais dans un front uni du "peuple de la France républicaine", toutes classes confondues, contre la "peste brune".

La classe ouvrière ne doit pas tomber dans ce piège ! Elle doit refuser la fausse alternative "fascisme ou démocratie" !

Elle ne doit jamais oublier les leçons de l'une des plus grandes tragédies du 20e siècle : c'est grâce à la mobilisation de dizaines de millions de prolétaires derrière les drapeaux de l'antifascisme dans les années 1930 que les partis de gauche ont pu embrigader la classe ouvrière dans la Seconde Guerre mondiale pour la défense du capital national. C'est au nom de la défense de la démocratie contre le fascisme que les prolétaires ont fait le sacrifice du sang et ont été utilisés comme chair à canon pour une cause qui n'était pas la leur (voir article page 8).
Aujourd'hui, la situation historique est radicalement différente de celle qui prévalait à la veille de la Seconde Guerre mondiale . La classe ouvrière n'a pas subi de défaite sanglante, elle n'est pas prête à faire le sacrifice de sa vie pour la défense du drapeau tricolore, elle n'est pas disposée à se faire trouer la peau sur les champs de bataille impérialistes et dans les croisades "humanitaires" de la bourgeoisie démocratique.

Mais le danger de se laisser enchaîner au char de l'Etat bourgeois n'en est pas moins grand. Aujourd'hui, la menace que fait peser sur la classe ouvrière la mystification de l'antifascisme, ce n'est pas le risque d'embrigadement dans une guerre mondiale comme ce fut le cas dans les années 1930, mais celui de perdre son identité de classe, de se laisser noyer dans des mouvements "citoyens", interclassistes, derrière les illusions démocratiques répandues par la bourgeoisie (avec le relais des étudiants et des intellectuels) et de ne pouvoir retrouver le chemin de sa propre perspective révolutionnaire : la destruction de l'Etat bourgeois sous toutes ses formes, démocratique et "totalitaire".

Les prolétaires ne doivent jamais oublier que la démocratie et le fascisme sont les deux faces de la même médaille, les deux visages de la même dictature implacable du capital. C'est le capitalisme décadent qui a donné naissance au fascisme. C'est la respectable république démocratique de Weimar qui, grâce à la trahison du parti social-démocrate et au massacre de milliers de prolétaires dans la révolution allemande en 1919-23, a fait le lit du nazisme.

C'est ce même capitalisme moribond qui a permis la montée en flèche du parti de Le Pen. C'est le socialiste Mitterrand qui, en instituant le suffrage à la proportionnelle, a permis au FN d'obtenir des sièges au Parlement et de devenir un parti électoral.

C'est ce système pourri qui est le seul et unique responsable de la décomposition généralisée de toute la société et qui entretient l'insécurité permanente, la violence aveugle, la xénophobie, le racisme, la haine inter-ethnique, le terrorisme.

La seule alternative, la seule solution porteuse d'avenir pour l'humanité, c'est le combat de la classe ouvrière pour le renversement du capitalisme et la construction d'une nouvelle société. Une société sans exploitation, sans crise, sans misère, sans frontières nationales, sans guerre. Une société humaine unifiée où les hommes n'auront plus aucune raison de vivre dans la peur du voisin et de l'étranger. Une société basée non sur l'exploitation et la recherche du profit, mais sur la satisfaction des besoins humains. Seule une telle société pourra débarrasser à jamais l'humanité de toutes les tares de la barbarie capitaliste qui la déchire et dont l'idéologie ultra-nationaliste et xénophobe de l'extrême-droite n'est qu'une caricature.

Et ce n'est certainement pas dans les isoloirs électoraux que la classe ouvrière pourra affirmer sa propre perspective révolutionnaire comme le prétendent les trotskistes de Lutte Ouvrière, du Parti des Travailleurs ou de la Ligue Communiste Révolutionnaire.

Le seul moyen de combattre l'extrême-droite et son programme national-capitaliste, c'est de mener la lutte contre le système capitaliste, contre la démocratie bourgeoise, contre tous les gouvernements de droite comme de gauche qui n'ont qu'un seul programme à nous proposer : toujours plus de misère, de chômage, d'exploitation et de barbarie.

Contrairement aux campagnes mensongères de la bourgeoisie, la classe ouvrière, lorsqu'elle se bat de façon solidaire et unie sur son propre terrain pour la défense de ses conditions de vie n'est pas une classe réactionnaire. C'est la seule classe révolutionnaire de la société, la seule force capable de sortir l'humanité de l'impasse dans laquelle la plonge le capitalisme. L'alternative historique n'est pas entre fascisme ou démocratie, mais entre révolution prolétarienne mondiale ou enfoncement de l'espèce humaine dans la barbarie et la décomposition sociale. L'arène électorale de l'Etat démocratique n'est que la feuille de vigne derrière laquelle se masque la dictature du capital. C'est pour cela que les révolutionnaires n'appellent ni à l'immobilisme abstentionniste, ni à la mobilisation électorale en faveur du "démocrate" Chirac.

Ils n'ont qu'un seul mot d'ordre à donner à la classe ouvrière : "Prolétaires, ne votez pas. Luttez !"

RI

Situations territoriales: 

  • France [2]
  • Vie de la bourgeoisie en France [3]

Elections en France et montée du Front National - Les effets de la décomposition sociale du capitalisme

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"Votez escroc, pas facho !" Ce slogan repris massivement par les jeunes au cours des manifestations qui se sont déroulées tous les soirs depuis le premier tour des élections présidentielles en France, symbolise assez bien la situation qui prévaut aujourd'hui dans ce pays. En effet, Jacques Chirac, celui que les "Guignols de l'info" à la télévision ont caricaturé en "Super Menteur", celui qui risquait d'être mis en examen s'il n'avait pas été réélu, et dont la plus grande qualité comme homme politique est d'être "sympatoche", comme dit sa marionnette, sera probablement au soir du 5 mai le président le mieux élu de l'histoire de la Ve République. Et cela malgré le fait qu'il n'a pas réussi à atteindre 20% des voix au premier tour. En même temps, ce slogan qui appelle à participer le plus massivement possible à la mascarade électorale pour "faire barrage au fascisme", alors que l'abstention a battu ses records historiques, rend compte de l'intensité de la campagne démocratique et antifasciste qui se développe actuellement (voir notre article en première page).

D'emblée, une question se pose : puisque le résultat du premier tour des présidentielles, qui a vu la qualification pour le second tour de Le Pen, permet à l'heure actuelle la mise sur pieds d'une formidable campagne de mystification contre la classe ouvrière, ce résultat n'a-t-il pas, d'une façon ou d'une autre, été voulu (et donc préparé) par les forces dominantes de la bourgeoisie française ? Celles-ci, ayant à leur disposition les organismes de sondage, les auraient utilisés pour minimiser la "menace Le Pen" jusqu'au dernier moment afin d'aboutir au résultat qui est sorti des urnes le 21 avril. Ce ne serait pas la première fois que la classe dominante, en s'appuyant notamment sur des sondages et surtout sur les campagnes médiatiques, manipule les élections afin que le résultat soit conforme à ce qu'elle en attend, notamment d'être le plus à même d'affaiblir la classe ouvrière. Dans les pays du Tiers-Monde, la pratique est courante de bourrer les urnes afin de leur faire dire ce qu'on attend d'elles. Dans les pays les plus avancés, on procède avec plus de subtilité. Même s'il arrive que quelques scrutins soient "bidouillés" ici ou là (le PCF au temps de sa splendeur était devenu un grand spécialiste de ce genre d'exercice), ce n'est pas tant les urnes qu'on bourre, que le crâne des électeurs. Et puisque les résultats du premier tour permettent une manoeuvre d'ampleur contre la conscience des prolétaires, il est légitime de se demander si finalement, malgré les mines effarées qu'arborent tous les politiciens et autres bavards qui se succèdent sur les écrans de télévision, le succès de Le Pen n'est pas un coup monté.

Pour répondre à cette question, il est donc nécessaire d'examiner plus en détail les intérêts des différents partis politiques face à cette élection, de même, et fondamentalement, les intérêts globaux de la bourgeoisie. En d'autres termes, il faut se poser la question, comme nous l'avions fait dans notre presse après les attentats du 11 septembre, "à qui le crime profite ?".

A qui le crime profite ?

Pour répondre à cette question, on peut déjà éliminer les petits partis ou les petits candidats (comme le candidat des chasseurs et des pêcheurs, la candidate écologiste de droite, celle des radicaux de gauche ou le tenant d'un "vrai libéralisme") qui, même s'ils participent pleinement, avec leurs moyens, à la défense de l'ordre capitaliste, n'ont pas un rôle déterminant dans la conduite des affaires et des manoeuvres de la classe dominante.
Il est clair que le résultat du 21 avril profite au Front national, le parti de Le Pen. Ce dernier, depuis plus de 20 ans, rêvait d'être qualifié pour le second tour des présidentielles. Cela dit, ce n'est pas un concurrent sérieux du point de vue de la gestion du capital national français. Son programme, s'il était appliqué, coûterait l'équivalent de la moitié du budget de l'État et la France se mettrait hors jeu en Europe, et pas seulement du point de vue politique mais aussi du point de vue économique puisque Le Pen propose le retour au Franc, la sortie de l'Union européenne, la fermeture des frontières avec un rétablissement massif des barrières douanières (pour un pays qui exporte plus qu'il n'importe !).

Pour ce qui concerne le Parti socialiste, celui qui pendant les cinq dernières années a dirigé l'État et qui a occupé cette place pendant 15 ans depuis 1981, il est difficile de considérer que l'élimination de son champion dès le premier tour de l'élection est une victoire. C'est vrai qu'une défaite électorale peut être bénéfique pour un parti bourgeois à certains moment de sa vie et une défaite au second tour n'aurait pas constitué pour le PS une catastrophe irrémédiable. Mais ici on voit le principal parti du pays se trouver éliminé dès le premier tour, tout comme la démocratie chrétienne de Bayrou ou le "pôle républicain" de Chevènement. Plus globalement, la gauche bourgeoise sera absente de l'affrontement électoral décisif alors qu'elle a monopolisé le pouvoir pratiquement en permanence depuis 21 ans. On ne peut pas dire que c'est là une situation glorieuse propre à rehausser le prestige de cette partie de l'appareil politique de la classe dominante. Plus précisément, le parti phare de cette gauche, celui qui avait en permanence dicté ses propres conditions à ses alliés, risque dans l'avenir (au delà de la nécessité immédiate de ne pas se déchirer trop à l'approche des élections législatives du mois de juin) d'avoir des difficultés à se faire obéir désormais. Le magazine "Marianne" qui, en général, voit assez clair dans le jeu des différents partis titre un de ses articles : "Les socialistes se sentent morveux".
Pour ce qui est du parti "communiste" (qui au lendemain de la guerre était le premier parti de France avec 26% des voix aux législatives), il est difficile de dire que ces élections comportent quelque chose de positif. Si son score avait été honorable, le PCF aurait pu tirer parti de la présence de Le Pen au second tour et de l'échec de Jospin :

  • en claironnant que cet échec résultait du fait que ce dernier n'avait pas suffisamment tenu compte des demandes et propositions du PCF pendant les cinq années où il a dirigé le gouvernement (c'était déjà son thème principal de campagne) ;
  • surtout en se présentant comme le principal rempart contre la "menace fasciste".

Mais avec moins de 3,5% des voix (c'est-à-dire sous la barre des 5% ce qui le prive même du remboursement de ses frais de campagne et lui procure des ennuis financiers notables), le PCF apparaît comme l'un des grands perdants de cette élection. Et cela d'autant plus qu'une bonne partie des voix qui se sont portées sur Le Pen provenait de ses anciens électeurs.
Pour ce qui concerne la droite, il est clair que le résultat du premier tour assure à Chirac une élection facile au second tour. Il est même probable qu'il battra le record établi par Pompidou, son parrain en politique, lors des élections de 1969.

Cela dit, c'est une maigre consolation pour Chirac et pour la droite dans son ensemble.
En premier lieu, la réélection de Chirac, même "triomphale" n'assure pas à la droite une victoire automatique aux élections législatives du mois de juin puisque, fort de son succès actuel, le FN risque d'être présent dans plusieurs centaines d'élections triangulaires. En 1997, ce sont justement ces triangulaires qui avaient permis la victoire de Jospin. On risque alors de se retrouver dans une nouvelle cohabitation avec un président de droite et un gouvernement de gauche. Cette formule a fonctionné pendant cinq ans, mais une des raisons pour lesquelles, de façon presque unanime, les partis bourgeois ont décidé de modifier la durée du mandat présidentiel en l'alignant sur celui des députés était de pouvoir synchroniser les échéances électorales présidentielles et législatives afin justement de s'éviter désormais une nouvelle cohabitation. Pour des raisons que nous verrons plus loin, c'est un cas de figure dont la bourgeoisie ne veut plus, comme d'ailleurs ses principaux représentants l'ont dit et répété sur toutes les antennes. En tous cas, Chirac et ses amis ne souhaitaient certainement pas cette formule qui les a déjà privés du pouvoir gouvernemental pendant cinq ans.
Par ailleurs, même au cas où la droite remporterait les élections législatives, son chef Chirac ne sera pas l'élu de la droite mais de l'ensemble des forces "antifascistes", ce qui, qu'il le veuille ou non, risque d'entraver sa liberté de manœuvre lorsqu'il voudra faire adopter des mesures ayant quelque ressemblance avec celles que proposait Le Pen (notamment sur la sécurité et vis-à-vis des immigrés).

C'est pour ces raisons qu'on n'assiste à aucun triomphalisme de la part des hommes politiques de la droite qui, dès à présent, sont à la recherche des moyens (comme la création d'un "grand parti de la majorité présidentielle") pour limiter les effets délétères du succès de Le Pen.
Mais au-delà de l'intérêt des différents partis bourgeois, ce sont les intérêts de l'ensemble de la bourgeoisie française qui ont été affectés par les résultats du 21 avril, non pas du point de vue de sa capacité à faire face à la classe ouvrière mais sur l'arène internationale où le gouvernement français va traîner pendant longtemps le boulet de la prestation ridicule que ses forces politiques ont accomplie. Qu'il soit flanqué d'un premier ministre socialiste ou d'un premier ministre de son camp, Chirac n'aura pas beaucoup d'autorité pour faire valoir les intérêts de la bourgeoisie française dans les rencontres régulières où les chefs de bande capitalistes négocient leurs prérogatives autant sur le plan économique que diplomatique. Il faut d'ailleurs voir à la fois la stupéfaction et la lourde ironie que les journaux européens ont affichées le 22 avril pour comprendre que la bourgeoisie des autres pays mise sur une révision à la baisse pour le futur des prétentions françaises (en particulier quand elle se fait le principal porte-parole des mesures contre l'Autriche de Haider), tout en manifestant une certaine inquiétude devant le "foutoir" auquel ressemble de plus en plus la vie politique de la 5e puissance mondiale.
Ainsi, on doit considérer que les mines consternées de la majorité des hommes politiques et des journalistes au soir du 21 avril n'étaient pas de la simple comédie (comme ils en sont capables en d'autres circonstances) : le jeu électoral français venait d'accoucher d'un résultat qui est loin de satisfaire les attentes de la classe dominante et qui risque de lui créer pas mal de difficultés.

A la suite de l'élection de Mitterrand en 1981, alors que dans les principaux pays d'Europe (comme en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Italie, et sous l'égide des États-Unis de Reagan) la bourgeoisie jouait la carte de la gauche dans l'opposition afin de pouvoir mieux saboter de l'intérieur les luttes ouvrières, le CCI avait analysé cette "exception française" non pas comme une carte délibérée de la classe dominante mais comme un "accident" résultant d'une faiblesse historique et d'un archaïsme de son appareil politique. Les résultats du 21 avril constituent une nouvelle manifestation de cette faiblesse d'un appareil politique qui n'est pas capable, contrairement à celui d'autres bourgeoisies, comme celles d'Allemagne ou de Grande-Bretagne, de faire dire aux urnes ce qu'il attend de chaque élection.

Comment en est-on arrivé là ?

Les commentateurs bourgeois (journalistes et politiques) ont commencé à proposer des analyses qui, pour la plupart contiennent une part de vérité :

  • La multiplication des candidatures à gauche (8 candidats) a affaibli Jospin, non seulement en dispersant les voix de gauche mais en multipliant les critiques contre la politique de celui-ci par ceux-là même qui participaient à son gouvernement.
  • Les instituts de sondage n'ont pas vu venir la "catastrophe", ce qui a favorisé la forte abstention ainsi que la dispersion vers de petits partis des voix de gauche du fait que les résultats du premier tour semblaient joués d'avance.
  • Jospin a fait une mauvaise campagne (il commence par déclarer que sa candidature n'est pas socialiste avant de "gauchir" ses discours, il attaque Chirac sur son âge puis il est obligé de lui faire des excuses, il "avoue" qu'il a fait preuve de "naïveté" sur la question de la montée de la délinquance, etc.)
  • La surenchère de Chirac sur la question de la "sécurité" (à laquelle Jospin a emboîté le pas) a fait finalement le jeu du candidat le plus crédible dans ce domaine, Le Pen.
  • La cohabitation depuis 1997 a favorisé Le Pen puisqu'elle donnait l'image d'une complicité entre la droite et la gauche parlementaires.
  • La politique "de droite" de Jospin (qui a plus privatisé que tous les gouvernements de droite précédents) a été rejetée par l'électorat traditionnel de la gauche, la classe ouvrière, ce qui a permis aux trotskistes de rafler plus de 10% des voix (3 fois plus que le PCF qui a été associé à la politique gouvernementale pendant cinq ans).

Toutes ces explications sont valables. On peut y ajouter aussi les effets des attentats du 11 septembre dans un pays où l'immigration maghrébine et musulmane est importante (et d'où provient le seul accusé vivant ayant participé à la préparation des attentats), ce qui a fait évidemment le jeu de Le Pen.

Cela dit, on ne peut se contenter de ces explications circonstancielles face à l'ampleur de cette nouvelle montée de l'extrême-droite (près de 20% si on additionne les voix de Le Pen et celles de Mégret). Il s'agit d'un phénomène qui a des sources profondes et que la scission du Front national de 1999 n'a pas réussi à éliminer. Cette scission avait été orchestrée (comme nous l'avions relevé dans notre presse, voir RI n°287 de février 1999) par tous les secteurs de la bourgeoisie, de droite comme de gauche, alors que cette dernière était pourtant la principale bénéficiaire du vote FN et que c'est Mitterrand qui, dans les années 80, avait mis en selle Le Pen. Cependant, après le recul enregistré par l'extrême-droite aux dernières européennes, on assiste aujourd'hui à son retour en force. Plus généralement, il faut noter que la montée des partis xénophobes et "sécuritaires" n'est pas propre à la France mais qu'elle affecte aussi des pays aussi différents que l'Autriche, la Belgique, l'Italie, le Portugal, même si c'est en France qu'elle a revêtu sa forme la plus spectaculaire. C'est donc un phénomène historique, qui a des racines profondes et face auquel il appartient aux révolutionnaires de donner un cadre d'analyse global concernant l'ensemble de la vie de la société.

Depuis la fin des années 80, le CCI a tenté d'élaborer un tel cadre en analysant le moment actuel de la vie du capitalisme comme celui de la décomposition, celle où la décadence de ce système, inaugurée par la Première Guerre mondiale et qui a fait du 20e siècle le siècle le plus barbare de l'histoire, a atteint sa phase terminale. Depuis plus de 10 ans, c'est dans ce cadre de la décomposition que nous avons expliqué des phénomènes aussi variés que la montée de la violence urbaine, de la drogue, de l'intégrisme religieux, de la corruption de la classe dominante, du développement des mafias, du "chacun pour soi" qui affecte aussi bien les individus que la classe dominante, au sein de chaque pays comme à l'échelle internationale dans la multiplication de conflits guerriers plus absurdes et barbares les uns que les autres. En particulier, nous avons analysé l'événement historique le plus considérable des 20 dernières années, l'effondrement des régimes staliniens et du bloc de l'Est, comme la manifestation la plus spectaculaire de cette décomposition du système capitaliste. Et c'est aussi dans ce cadre qu'il est nécessaire de replacer les résultats du 21 avril et la montée de l'extrême-droite.

Déjà, si on s'en tient à un certain nombre d'aspects circonstanciels qui ont favorisé le succès de Le Pen, on peut constater qu'ils sont en lien avec la décomposition :

  • la multiplication des candidatures relève du "chacun pour soi" auxquels les partis politiques n'échappent pas ;
  • les "affaires" qui ont "plombé" Chirac (favorisant le transfert d'une partie de l'électorat de la droite classique sur le "candidat anti-corruption") sont une des manifestations de la corruption généralisée qui affecte la classe politique ;
  • les attentats du 11 septembre, dont on a vu qu'ils avaient eu également un impact, constituent une autre manifestation de la décomposition (comme notre presse l'a défendu) ;
  • le déclin historique du PCF, dont un des bénéficiaires, outre les trotskistes, a été Le Pen est une des conséquences de l'effondrement des régimes staliniens à la fin des années 80.

Mais plus fondamentalement, il faut voir que Le Pen représente le parti de la peur, du désespoir, de la haine, de l'irrationnel et du repliement sur soi, c'est-à-dire les effets typiques sur les cerveaux de la décomposition de la société capitaliste. Une société dont l'avenir apparaît de plus en plus bouché, qui pourrit sur pied, qui sombre dans la violence et la barbarie, qui engendre chez un nombre croissant d'être humains un sentiment d'insécurité et de désespoir. Et la classe ouvrière n'échappe pas aux effets délétères de la décomposition. Dans l'ambiance idéologique où elle baigne, la misère qui se développe de plus en plus, la précarité, la peur du chômage, la montée de la violence, favorisent parmi un nombre important d'ouvriers, notamment ceux qui pendant des décennies ont été abreuvés des discours chauvins du PCF, le progrès des thèmes lepénistes. Et ce phénomène n'a pu que s'accentuer avec les formidables campagnes idéologiques qui se sont développées après 1989 sur le thème "le communisme est mort", "la lutte de classe, voire la classe ouvrière, n'existe plus". En ce sens, les campagnes bourgeoises sur le thème de la "victoire de la démocratie sur le communisme" qui se sont développées après l'effondrement du bloc de l'Est sont en partie responsables de la montée actuelle de l'extrême droite. Ce ne serait pas la première fois que la démocratie bourgeoise fait le lit idéologique des courants fascistes ; c'est même une constante dans l'histoire depuis le début des années 20 avec l'arrivée de Mussolini. Cela ne fait que souligner encore plus l'hypocrisie de ces mêmes forces "démocratiques" qui aujourd'hui s'agitent sur toutes les chaînes de télévision et dans presque tous les journaux.

A l'heure actuelle, contrairement aux années 20 et aux années 30 dans certains pays, le programme fasciste n'est pas adapté aux besoins de la bourgeoisie (voir notre article page 8). C'est pour cela qu'il n'existe pas de "menace d'un régime fasciste" comme se plaisent à le répéter l'ensemble des partis bourgeois, y compris et surtout ceux d'extrême-gauche. Cela dit, l'impact important des campagnes de Le Pen dans les milieux ouvriers est clairement une manifestation de la faiblesse de la classe ouvrière. Cette faiblesse, les ouvriers ne pourront pas la surmonter en se mettant à la traîne des campagnes démocratiques. Bien au contraire. Seule la reprise de leurs combats sur un terrain de classe contre les attaques croissantes que leur assène un capitalisme en crise pourra leur redonner confiance en eux-mêmes et en l'avenir sapant ainsi les effets pernicieux des discours dont les abreuvent les démagogues de tous ordres, les "fascistes" du style Le Pen, mais aussi les politiciens "démocrates".

Fabienne (27 avril)

Situations territoriales: 

  • France [2]
  • Situation sociale en France [4]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [5]

CONFERENCE EXTRAORDINAIRE DU CCI : Le combat pour la défense des principes des principes de fonctionnement de l'organisation

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Face au danger de dégénescence


Le CCI a pris la décision, au début de cette année, de transformer le 15ème Congrès de sa section en France en une Conférence Internationale Extraordinaire.

La tâche principale de cette Conférence a été d'affronter une crise organisationnelle, la plus sérieuse depuis la naissance du CCI, qui a brutalement éclaté au grand jour au lendemain de son 14ème Congrès International en avril 2001.

Nos lecteurs ont pris connaissance dans notre presse qu'un ex-militant, Jonas, a été exclu du CCI pour indignité politique, consistant entre autres à détruire le tissu organisationnel en faisant circuler de façon persistante et en sous-main les rumeurs les plus calomnieuses sur des camarades de l'organisation afin de semer le trouble dans plusieurs sections du CCI.

Cet individu a regroupé autour de lui, et en grande partie sur la base de ces rumeurs, d'autres militants qui se sont mobilisés pour mener une guerre totale contre l'organisation, essayant de détruire ses principes statutaires de fonctionnement centralisé, menaçant l'existence même du CCI.

Cette "camarilla" dirigée par l'individu Jonas s'est autoproclamée "fraction", bien qu'elle ait été totalement incapable de mettre en avant la moindre divergence programmatique justifiant l'utilisation du titre de "fraction". Le seul "principe" qui a animé la politique de ces éléments fut un déchaînement de haine destructrice et une soif insatiable de vengeance. Parce qu'ils ont été mis en minorité, et se sont eux-mêmes discrédités en étant incapables de développer la moindre argumentation politique, leurs agissements ont consisté à fomenter un complot contre l'organe central du CCI à travers des réunions secrètes, puis à saboter systématiquement l'activité de l'organisation par des manœuvres, des provocations, des campagnes de calomnie, par le chantage et la menace de déverser leurs calomnies à l'extérieur, comme en témoigne le contenu de leurs infâmes "bulletins internes" qui sont maintenant envoyés à certains groupes et sympathisants de la Gauche communistes.

Après un an de comportements destructeurs visant à déstabiliser l'organisation (comme le disait explicitement un membre de la "fraction" dans une réunion secrète : "Il faut les déstabiliser") et à pousser les militants à la rébellion contre les organes centraux du CCI, la "camarilla" de Jonas a accompli sa dernière action la plus misérable contre l'organisation. Elle a refusé de se présenter à la Conférence internationale, à moins que l'organisation ne reconnaisse par écrit cette "fraction" et retire les sanctions qu'elle avait prises conformément à nos statuts (et notamment l'exclusion de Jonas). Face à cette situation, toutes les délégations du CCI, bien que prêtes à entendre en appel les arguments de ces éléments (à cet effet, elles avaient d'ailleurs constitué, à la veille de la tenue de la Conférence, une commission internationale de recours, composée de militants de plusieurs sections du CCI afin de permettre aux quatre membres parisiens de la "fraction" de présenter leurs arguments), n'ont pas eu d'autre alternative que de reconnaître que ces éléments s'étaient eux-mêmes mis en dehors de l'organisation. Face à leur refus de se défendre devant la conférence et de faire appel devant la commission de recours, le CCI a pris acte de leur désertion et ne pouvait donc plus les considérer comme membres de l'organisation.

La Conférence a également condamné àl'unamimité les méthodes de voyous utilisées par la "camarilla" de Jonas consistant à "kidnapper" (avec leur complicité ?), à leur arrivée à l'aéroport, deux délégués de la section mexicaine, membres de la "fraction", venus à la Conférence pour y défendre leurs positions. Alors que le CCI avait payé leurs billets d'avion afin de leur permettre d'assister aux travaux de la conférence et d'y défendre les positions de la "fraction", ces deux délégués mexicains ont été accueillis par deux membres parisiens de la "fraction" qui les ont amenés avec eux et les ont empêchés de se rendre à la Conférence. Devant nos protestations et notre exigence de remboursement des billets d'avion au cas où les deux délégués mexicains (qui avaient reçu un mandat de leur section) n'assisteraient pas à la Conférence, l'un des deux membres parisiens de la "fraction" (ex-membre de l'organe central du CCI) nous a ri au nez en affirmant avec un cynisme incroyable : "ça, c'est votre problème !" Face au détournement des fonds de l'organisation et au refus de rembourser au CCI les deux billets d'avion payés par l'organisation, révélant les méthodes de gangsters utilisées par la "camarilla" de Jonas, tous les militants du CCI ont manifesté leur profonde indignation en adoptant une résolution condamnant ces comportements. Ces méthodes qui n'ont rien à envier à celles de la tendance Chénier (qui avait volé le matériel de l'organisation en 81) ont fini par convaincre les derniers camarades encore hésitants de la nature parasitaire et anti-prolétarienne de cette prétendue "fraction".

La Conférence s'est donc trouvée face à deux nécessités. La première et la plus urgente était de continuer à défendre le CCI et ses principes organisationnels de la manière la plus intransigeante et la plus rigoureuse contre les attaques et les provocations répétées de ce regroupement parasitaire. La seconde était de tirer de façon approfondie les leçons de ces événements : sur quelles faiblesses de l'organisation ce regroupement parasitaire constitué à l'instigation de Jonas est-il apparu et s'est-il développé de manière aussi rapide et destructrice ? C'est ce deuxième aspect que le présent article se propose de développer (pour le premier aspect, nos lecteurs pourront se reporter à l'article "Une attaque parasitaire dirigée contre le CCI" publié sur notre site Internet ).

La construction et la défense d'une organisation révolutionnaire : un combat permanent

D'après la propagande bourgeoise, les organisations révolutionnaires du prolétariat sont condamnées à l'échec puisque les principes communistes qui assurent leur cohésion, la solidarité prolétarienne et la confiance mutuelle au sein du prolétariat, entrent inévitablement en conflit avec les motivations égoïstes et l'esprit de compétition qui animent les individus qui les composent. Selon cette vision, les organisations révolutionnaires ne peuvent être que le miroir de la corruption qui règne au sein des partis politiques de la bourgeoisie. Celle-ci ne se contente pas de faire une propagande incessante pour l'idéologie du "chacun pour soi", mais elle apporte à cette idéologie un support pratique par la répression ouverte, quand nécessaire, et en semant la discorde parmi les organisations révolutionnaires, en encourageant, directement ou indirectement, le travail des agents provocateurs, des aventuriers et des parasites.

Le fait que la classe ouvrière soit une classe exploitée rend ses organisations révolutionnaires extrêmement vulnérables aux pressions destructrices de la société bourgeoise. La construction des organisations révolutionnaires a toujours nécessité un effort permanent, une vigilance constante, une attitude critique, et d'autocritique, sans lesquels elles courent le risque d'être détruites, anéantissant des années d'efforts et faisant reculer le processus révolutionnaire.

Le combat des marxistes dans la 1ère Internationale pour le principe de centralisation et contre les intrigues destructrices de Bakounine, le combat de Lénine et des bolcheviks contre l'opportunisme en matière d'organisaion et "l'anarchisme de grand seigneur" des mencheviks en 1903, le combat de la Gauche Communiste contre la dégénérescence de la 3ème Internationale dans les années 20 et 30, ont tous préfiguré la série des combats que le CCI a menés depuis sa création pour l'application en son sein des règles de fonctionnement centralisé, contre l'esprit de cercle et de clan, contre l'individualisme et le démocratisme petit-bourgeois.

Dans le même esprit, le CCI, contrairement aux autres groupes de la Gauche communiste qui eux aussi ont été ébranlés par des scissions, a toujours rendu compte de ses problèmes internes afin de permettre au mouvement révolutionnaire d'en tirer des enseignements qui puissent contribuer à renforcer l'ensemble du milieu politique prolétarien. Bien que nous soyons parfaitement conscients que les groupes et éléments du milieu parasitaire vont une fois encore se jeter comme des vautours sur cette crise organisationnelle du CCI pour alimenter leurs ragots sur la prétendue "dégénérescence stalinienne" de notre organisation, nous continuons à affirmer que le CCI a su tirer les enseignements de chaque crise qu'il a traversée et qu'il en est à chaque fois sorti renforcé politiquement.. Etant donnée la difficulté de construire les organisations révolutionnaires, il est évident que l'idée qu'elles puissent être immunisées contre la dégénérescence opportuniste, que ce soit au niveau programmatique ou organisationnel, qu'elles puissent se développer paisiblement et sans heurts, est particulièrement dangereuse.

C'est précisément le développement d'une telle illusion au sein du CCI, l'idée suivant laquelle dorénavant l'organisation pourrait se construire sans combats politiques majeurs en son sein, que la Conférence internationale a stigmatisée. Ainsi, le CCI a fait preuve d'une naïveté certaine et d'un manque de vigilance face à la persistance en son sein de l'esprit de cercle avec l'illusion que cette faiblesse issue des circonstances historiques de fondation du CCI (marquées par le poids de la petite-bourgeoisie soixantehuitarde avec ses composantes gauchistes et anarchisantes) avait été éradiquée à jamais grâce au combat que nous avons mené en 93-95.
Cette faiblesse n'a pas seulement révélé une amnésie envers l'histoire du mouvement marxiste, mais aussi une perte de vue des conditions extrêmement difficiles dans lesquelles se maintient le CCI dans la période actuelle de décomposition sociale du capitalisme.

En fait, un des facteurs autour duquel s'est cristallisée la crise récente du CCI a été constitué par une discussion sur la confiance et la solidarité au sein de l'organisation qui, dès le départ, a été orientée par la majorité de membres du Secrétariat international (la commission permanente de l'organe central) avec une méthode étrangère à celle que le CCI a toujours mis en œuvre dans ses débats. En effet, dès l'ouverture de cette discussion, ces derniers ont développé une véritable campagne visant à discréditer des camarades minoritaires afin de les mettre "hors CCI" (selon les propres termes d'un membre de la prétendue "fraction"). Ils ont commencé à introduire au sein de l'organe central une conception monolithiste, totalement étrangères aux principes du CCI, allant même jusqu'à s'opposer à la publication dans les bulletins internes des contributions de camarades ayant des divergences avec la politique de la majorité du Secrétariat international . Face à cette grave dérive, risquant de conduire à l'abandon des principes de fonctionnement du CCI et à une dégénérescence organisationnelle, l'organe central du CCI a pris la décision, ratifiée au 14ème congrès international, de nommer une Commission d'investigation chargée de faire la clarté sur les dysfonctionnements au sein de son Secrétariat international.

Et c'est face au désaveu de la politique de ce dernier que Jonas a immédiatement annoncé sa démission en se présentant comme une victime d'une "entreprise de démolition de l'organisation". Selon Jonas, si le Secrétariat international (dont il était membre) avait fait l'objet d'un tel désaveu par l'organe central du CCI, cela ne pouvait être que l'oeuvre d'un "flic". Au lendemain de sa démission, Jonas (qui n'a pas eu le courage de venir au 14ème congrès du CCI pour y défendre ses positions) a immédiatement poussé sept camarades les plus proches de lui à se réunir secrètement pour constituer une "fraction". Il a affirmé auprès d'une délégation du BI : "Puisqu'on n'est plus aux commandes, le CCI est perdu". Ainsi, la vision mise en avant par Jonas (celle d'être "aux commandes") n'est pas la conception du CCI du rôle des organes centraux. Cette vision, c'est celle des cliques bourgeoises, des petits bureaucrates, des aventuriers et des staliniens qui ne peuvent tolérer la moindre divergence et qui, faute d'arguments, utilisent la méthode de la calomnie pour semer le trouble à l'intérieur et aujourd'hui au sein du milieu politique prolétarien.

Face à cette politique manœuvrière de Jonas et ses supporters, visant à étouffer toute divergence au nom de la "confiance" envers la majorité du secrétariat international (en fait il s'agissait d'appeler le CCI a lui accorder une foi aveugle et sans principe), le débat sur la confiance et la solidarité a dû être réorienté par l'organe central au lendemain du 14ème congrès du CCI à partir d'un cadre historique et théorique que la "camarilla" de Jonas n'a cessé de dénigrer sans aucune argumentation politique comme a pu le constater la Conférence. Cette orientation a permis à la Conférence de commencer à développer un débat sérieux et argumenté, au sein duquel tous les militants sans exception ont pu défendre leur position, exprimer leurs doutes ou désaccords avec un état d'esprit constructif et fraternel visant non pas à calomnier les camarades qui ne partagent pas leur point de vue, mais à clarifier les désaccords dans le seul objectif de renforcer l'organisation comme corps politique uni et donc centralisé.

Le poids de l'idélogie démocratique

Parmi les autres faiblesses de l'organisation sur lesquelles Jonas et sa "camarilla" se sont appuyés, la Conférence a mis en évidence le poids non seulement de l'esprit de cercle mais également de l'idéologie démocratiste au sein de l'organisation. Dans le CCI, le démocratisme s'est récemment manifesté à travers une tendance opportuniste à la remise en cause de nos principes de centralisation, notamment à travers l'idée que la confiance ne peut se développer, au sein de l'organisation, qu'en proportion inverse de sa centralisation.

Une fois que le CCI a pris conscience du danger de liquidation de nos principes de centralisation sous le poids de l'idéologie démocratique, seul le clan de Jonas a persisté dans la défense de cette vision révisionniste et liquidatrice qui l'a mené jusqu'à sa pitoyable conclusion. Ainsi, dès le 31 janvier, la prétendue "fraction" a adressé à tous les militants du CCI une déclaration (publiée dans son bulletin interne) affirmant sa rupture de toute loyauté envers le CCI. Au lieu d'un débat centralisé, posant clairement les divergences en respectant les statuts du CCI, cette "camarilla" a exigé que l'ensemble des militants du CCI reprennent à leur compte sa propre litanie d'insultes et de calomnies contre les organes centraux du CCI et certains de leurs membres. En résumé, le clan des amis de Jonas a revendiqué toute la série des droits bourgeois : le droit de colporter les pires mensonges et calomnies contres des militants et contre les organes centraux au nom de la "liberté d'expression", le droit de déstabiliser l'organisation en complotant dans son dos, le droit de s'asseoir sur toutes les règles de fonctionnement du CCI, le droit de ne verser que 30% de leurs cotisations, le droit de déserter les réunions auxquelles ils étaient convoqués, le droit de voler le fichier d'adresses de nos abonnés, le droit de voler les notes des organes centraux pour les falsifier, le droit de voler l'argent du CCI et de séquestrer deux délégués de la section mexicaine pour les empêcher d'assister à la conférence (de peur que celle-ci ne les convainque). Et tout cela au nom de "liberté" d'"expression", en fait la liberté de sabotage et de destruction ! La Conférence a clairement mis en évidence que les manoeuvres de Jonas ont démoli des militants en les transformant en une bande d'imposteurs et de faussaires. Ces éléments ont poussé la naïveté jusqu'à croire qu'en s'autoproclamant "fraction", ils allaient pouvoir masquer leur démocratisme petit-bourgeois et leur individualisme destructeur contre nos principes de centralisation. En d'autres termes, le clan des amis de Jonas a suivi les mots d'ordres libertaires des étudiants de Mai 68 : il a pris ses désirs pour la réalité. Et lorsque le CCI se défend, n'accepte pas de se laisser détruire par leurs méthodes puschistes, et applique les sanctions prévues dans ses statuts, il est dénoncé de façon hystérique comme une secte dégénérescente, stalinienne manipulée par un "flic" et des "Torquemada" (selon les propres termes de Jonas) ! Voilà la force motrice, sordide, qui a animé la formation de cette prétendue "fraction" qui n'est rien d'autre que l'arme de guerre du citoyen Jonas contre le milieu politique prolétarien, le clan le plus honteux et le plus dangereux de toute l'histoire du CCI. Analyser ses racines idéologiques et politiques fut la tâche entamée par la Conférence extraordinaire du CCI.
Les débats de cette conférence furent très riches et ont révélés que, contrairement aux calomnies de la "fraction" et de tout le milieu parasitaire anti-CCI, notre organisation, loin d'étouffer les divergences a, au contraire, exhorté tous les militants à assumer leur responsabilité et à exprimer leurs désaccords. La profondeur politique et la passion qui ont animé les débats de cette Conférence a montré la détermination du CCI à se mobiliser pour la défense de l'organisation et de ses principes. Enfin la Conférence a pris conscience de la gravité de l'enjeu pour le milieu politique prolétarien contenu dans les méthodes de la "camarilla" de Jonas (qui cherche aujourd'hui à infiltrer le BIPR afin de l'entraîner dans sa politique de destruction du CCI).

Bien que le CCI, au cours de son histoire, ait fait l'expérience de plusieurs scissions, il a su résister à leurs effets négatifs. Malgré les pertes numériques, le CCI a été capable de maintenir et de renforcer sur le plan politique une organisation centralisée à l'échelle internationale, comprenant des sections dans quatorze pays. Bien que cette crise ait été la plus grave de toute l'histoire du CCI et que les manoeuvres de la "camarilla" de Jonas aient failli détruire nos sections aux USA et au Mexique (tout comme la tendance Chénier, lors de la crise de 81, avait failli détruire toute la section du CCI en Grande-Bretagne), le CCI a été capable de limiter les dégâts et nos pertes numériques ont été relativement faibles au regard des ambitions de la "fraction" de Jonas. Nous avons perdu quelques militants mais nous avons sauvé l'organisation et ses principes.

C'est avec la plus profonde consternation que la Conférence a constaté la folie destructrice et suicidaire dans laquelle Jonas a entraîné des militants qui furent durant de longues années nos camarades de combat, en particulier l'un d'entre eux qui, depuis son entrée dans l'organisation au début des années 70, avait toujours fait preuve jusqu'à présent de la plus grande loyauté envers le CCI, de la plus grande confiance envers son organe central, et d'une détermination exemplaire dans les différents combats pour la défense et la construction de l'organisation. Le CCI n'a pu sauver que deux camarades qui avaient participé activement aux réunions secrètes du "collectif" (devenu par la suite "fraction"). En prenant conscience du caractère particulièrement destructeur et suicidaire de leur dérive, ces deux camarades ont rapporté en détail à la Commission d'investigation comment ils avaient été entraînés dans cette sordide aventure. Deux autres militants que Jonas présentait comme des "centristes" et qui avaient également participé aux réunions secrètes du "collectif", ont préféré démissionner plutôt que d'adhérer à la "fraction" et de suivre la lamentable trajectoire de ce regroupement parasitaire.

Nous sommes pleinement conscients que ce que le CCI a accompli est bien modeste face à l'hostilité capitaliste qui nous environne. Mais cela ne retire rien au fait que le travail de défense de l'organisation réalisé par la récente Conférence extraordinaire ne contient pas seulement d'importantes leçons pour le renforcement du CCI, mais aussi pour poursuivre un débat élargi au sein du milieu politique prolétarien sur les dangers qui pèsent sur les organisations révolutionnaires. L'ensemble du milieu doit être capable de résister aux forces de destruction de la société bourgeoise, à la tentation de l'opportunisme et aux sirènes du parasitisme auxquels il est confronté, aujourd'hui et dans la période à venir.

CCI (19 avril 2002)

Vie du CCI: 

  • Défense de l'organisation [6]

L'alternative n'est pas démocratie ou fascisme mais socialisme ou barbarie

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Le premier tour des élections présidentielles a réactualisé de façon spectaculaire et assourdissante le bourrage de crâne orchestré par la bourgeoisie sur la "dangereuse montée de l'extrême-droite" et sur le développement de la "gangrène fasciste". Le "péril brun" serait en train de menacer la "civilisation" et les "valeurs démocratiques" des grands Etats occidentaux, et le retour de régimes fascistes et nazis qu'on a connu dans les années 1930 réprésenterait le principal danger planant sur le nouveau siècle à venir.
Y a-t-il un "danger fasciste" aujourd'hui ? Le développement électoral du Front National en France et la montée des idéologies racistes et xénophobes en général annoncent-ils le retour du fascisme du siècle dernier ? Quel est le but des campagnes de mobilisation "antifascistes" actuelles ?

Le fascisme entre les deux guerres : défaite de la classe ouvrière et marche à la guerre

L'interprétation historique officielle bourgeoise, de la droite à l'extrême- gauche, présente toujours le fascisme comme une espèce d'aberration historique, comme une manifestation de forces obscurantistes complètement étrangères au capitalisme et à son mode de vie "civilisé". Selon elle, le fascisme aurait pris le pouvoir dans les années 1920 et 1930 contre la volonté de la bourgeoisie ou de ses secteurs les plus progessistes. Cela permet à la classe dominante de se laver du péché d'avoir engendré le fascisme et en même temps de cacher les véritables conditions historiques dans lesquelles elle a effectivement eu recours à lui, en tant que forme alors la mieux adaptée à ses besoins et à ceux de l'Etat capitaliste.
Cela lui permet d'autant mieux de masquer le fondement historique réel du fascisme.
Entre les deux guerres, les régimes fascistes ont été avant tout l'expression fondamentale des besoins du capitalisme confronté à la violence de sa crise. Les ravages de la crise économique, surtout dans les pays vaincus et lésés par l'issue du premier conflit mondial, vont placer la bourgeoisie de ces pays devant l'évidence : pour survivre, il fallait redistribuer les parts du gâteau impérialiste et la seule issue était de s'acheminer, et vite, vers une nouvelle guerre mondiale. Pour cela, il fallait concentrer tous les pouvoirs au sein de l'Etat, accélérer la mise en place de l'économie de guerre et de la militarisation du travail, faire taire les conflits internes à la bourgeoisie. Les régimes fascistes vont se constituer directement en réponse à cette exigence du capital national. En cela, ils n'ont été qu'une des expressions les plus brutales, comme l'a été également le stalinisme, de la tendance générale au capitalisme d'Etat qui est la caractéristique de la domination du capital dans sa période historique de décadence, ouverte depuis 1914. Loin d'être la manifestation de la petite bourgeoisie dépossédée et aigrie par la crise, même si cette dernière lui a largement servi de masse de manoeuvre, le fascisme a bel et bien constitué le programme de la bourgeoisie et du capitalisme dans des conditions déterminées. C'est bel et bien la grande bourgeoisie industrielle qui favorisa la montée du fascisme et lui confia les rênes de l'Etat, en Allemagne comme en Italie.
Mais si la crise économique, la nécessité du capitalisme d'Etat et la marche à la guerre constituent des conditions historiques fondamentales du fascisme, elles sont loin d'être les seules. L'autre condition préalable, majeure et incontournable, pour l'instauration du fascisme, c'est la défaite du prolétariat. Jamais la bourgeoisie n'a pu recourir au fascisme face à une classe ouvrière mobilisée sur son terrain de classe. Que ce soit en Italie ou en Allemagne, pays où la vague révolutionnaire ouverte par Octobre 17 s'était propagée avec le plus d'ampleur, le fascisme n'a pu s'imposer avant que les forces "démocratiques", et surtout la gauche de la bourgeoisie déguisée en faux amis des ouvriers, ne se soient chargées d'écraser, physiquement et politiquement, la flambée révolutionnaire. Les massacreurs de la révolution allemande ne sont pas les nazis, mais les très socialistes Noske et Scheidemann, qui, au nom du gouvernement social-démocrate, firent réprimer dans le sang la mobilisation prolétarienne et assassinèrent sauvagement Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, en se servant des corps francs, embryons des futures milices nazies. En 1919-1920, l'Italie aussi s'embrase. La première vague de répression sera l'oeuvre du très démocratique gouvernement Nitti et de sa Garde Royale, mise en place pour réprimer les grèves et qui fera plusieurs centaines de victimes ouvrières. Mais, bien plus que la répression directe, ce qui brisera l'élan prolétarien, c'est son enfermement, grâce aux syndicats et au PSI, dans les fameuses occupations d'usines et dans l'illusoire gestion ouvrière de la production. Le mouvement des occupations était voué à l'échec, et ce n'est qu'après sa défaite à l'automne 1920 que la répression massive s'abat sur la classe ouvrière, répression qui est menée conjointement, et par les forces légalement constituées de l'Etat démocratiques et par les escadrons fascistes. C'est seulement après la défaite de la classe ouvrière que les "faisceaux" de Mussolini vont se développer pleinement, avec l'aide du patronat qui les finance et de l'Etat qui les encourage. Là comme ailleurs, c'est l'étouffement de la vague révolutionnaire internationale qui permettra au fascisme de prendre le pouvoir.
Dans les autres pays d'Europe, pays vainqueurs de la Première Guerre mondiale, l'économie de guerre, le renforcement du capitalisme d'Etat et les préparatifs de la Seconde Guerre mondiale, n'ont pas été moins présents. Cependant, le prolétariat, moins engagé dans la vague révolutionnaire que ses frères de classe d'Allemagne et d'Italie, n'y avait pas connu de défaite physique. La bourgeoisie avait besoin de la mystification démocratique pour obtenir la soumission politique de la classe ouvrière et l'amener à la guerre. Ainsi, dans ces années 1930, alors que les effets de la grande dépression poussaient des millions de prolétaires à réagir contre la misère capitaliste, ce sont les "Fronts populaires" qui vont se charger, tant de mettre en place l'économie de guerre que d'embrigader le prolétariat pour la boucherie mondiale derrière l'idéologie antifasciste.

La montée de l'extrême-droite aujourd'hui : décomposition capitaliste et manipulations idéologiques

Il est tout à fait vrai que l'actuelle plongée de la société capitaliste dans la décomposition nourrit le développement de toutes sortes d'idéologies cherchant des boucs émissaires à la faillite générale de la société et compensant l'absence de perspective par des programmes populistes et ouvertement xénophobes et racistes. A ce niveau, Le Pen ou les groupuscules néo-nazis en Allemagne font pleinement partie de ces autres manifestations de la décomposition que sont la drogue ou les sectes, expressions d'une société capitaliste sans avenir, qui pourrit littéralement sur pied.
Pour autant, cela ne suffit pas à expliquer ce fameux "phénomène Le Pen". Il est désormais admis, y compris dans les discours bourgeois, que le FN ne serait jamais arrivé là sans la volonté délibérée de la bourgeoisie française qui, de scrutin proportionnel en coups de pouce répétés dans les médias, a fait d'un pantin inconsistant une véritable vedette nationale.
D'autre part et surtout, même avec son succès populaire et la publicité médiatique qui lui est faite, ce n'est pas cela qui fait de Le Pen un nouvel Hitler, pas plus que le "désespoir populaire" n'explique la prise du pouvoir par ce dernier en 1933.
Contrairement au parti nazi à l'époque, le FN, et les autres partis d'extrême-droite existant en Europe, sont loin d'être les représentants d'un quelconque programme de sortie de la crise pour le capital national. Si Hitler et son parti ont pris le pouvoir, c'est bien parce que leur programme de capitalisme d'Etat et de fuite en avant vers la guerre, constituait la seule issue possible pour le capital allemand et qu'il a effectivement résorbé en quelques années le chômage à travers sa politique de grands travaux et d'économie de guerre. Aujourd'hui, outre le fait que la bourgeoisie n'a pas actuellement les moyens de s'engager vers une nouvelle guerre mondiale face à une classe ouvrière qui n'est pas défaite, les politiques de grands travaux, de commandes publiques basées sur un endettement gigantesque des finances publiques sont DEJA derrière nous. S'il y a quelque chose d'utilisable dans le programme de Le Pen, c'est la politique de limitation de l'immigration et d'utilisation des travailleurs immigrés comme boucs émissaires, et cela, la bourgeoisie française, de droite comme de gauche, n'a pas eu besoin de nommer un président ou un ministre FN pour le mettre en place.
Mais, surtout, la bourgeoisie a bien trop besoin aujourd'hui de son paravant démocratique pour affronter la classe ouvrière. Nous ne sommes pas dans les années 30, années où le prolétariat payait le prix de la terrible défaite de la vague révolutionnaire. Quelles que soient les difficultés actuelles de la classe ouvrière, c'est une classe qui n'a pas connu la défaite et dont la capacité de résistance sur son terrain de classe aux attaques du capital n'est pas entamée. Un pantin comme Le Pen au pouvoir serait bien incapable de contrôler la situation sociale, alors que le mode "démocratique" de domination du capital, avec ses syndicats divers et variés, son parlement, son jeu opposition-gouvernement et ses médias "libres" est d'une bien plus terrible efficacité pour conserver le contrôle social, pour assurer un encadrement serré des luttes ouvrières et pour mener à bien les manipulations idéologiques. Et c'est bien là la seule raison pour laquelle Le Pen existe et qui fait que la bourgeoisie a besoin de lui : il sert de faire valoir à l'Etat démocratique.

Dire que le fascisme n'est pas à l'ordre du jour et que la bourgeoisie lui préfère aujourd'hui la méthode "démocratique", ne veut pas pour autant dire que cette bourgeoisie pétrie de "démocratie" serait incapable de mener à bien, quand nécessaire, la répression des luttes ouvrières et de son avant-garde politique, ni qu'elle ne se servira pas de quelques bandes et milices d'extrême-droite, comme forces d'appoint, l'heure venue. L'histoire est pleine de preuves du contraire, à commencer par la répression de janvier 1919 en Allemagne. Mais au grand jamais, la mobilisation sur le terrain de l'antifascisme n'est une quelconque garantie contre cela, au contraire, y céder, accepter de faire front derrière une fraction de la bourgeoisie contre une autre, c'est quitter son terrain de classe pour se livrer pieds et poings liés à la classe dominante et subir demain, à coup sûr, la répression sanglante. De la même façon, c'est seulement en répondant sur son terrain de classe, en tant que classe, et non derrière une de ces mobilisations "citoyennes" orchestrées aujourd'hui par la bourgeoisie, que le prolétariat peut apporter une réponse aux miasmes de la décomposition et au développement des idéologies racistes et xénophobes, qu'elles soient véhiculées par l'extrême-droite, par les staliniens ou, dans sa version soft mais tout aussi anti-ouvrière, par la gauche démocratique.
L'idéologie bourgeoise fait de la lutte entre la "démocratie" et le "fascisme", ou entre la "démocratie" et le "totalitarisme", la clé de voûte de l'histoire du 20e siècle. C'est un pur mensonge, car c'est bien la même bourgeoisie, le même Etat capitaliste qui se pare de l'un ou l'autre de ces oripeaux, en fonction des nécessités et des possibilités historiques.
Cette prétendue opposition a toujours servi de justification mensongère à la barbarie de la Seconde Guerre mondiale, qu'on nous présente comme le juste combat des "bons" démocrates contre les "méchants" fascistes et non pour ce qu'elle a été réellement : l'affrontement meurtrier et barbare entre requins impérialistes. Toujours selon l'idéologie dominante, c'est le fascisme qui serait la cause de la Seconde Guerre mondiale, alors que c'est le contraire qui est vrai : c'est la marche vers la guerre, véritable mode de vie du capitalisme décadent, qui a engendré le fascisme. C'est encore le fascisme, ce "mal absolu", qui serait l'unique responsable, avec le stalinisme, des horreurs et de la barbarie dont la planète a été le théâtre depuis un siècle, alors qu'en vérité le "camp d'en face" n'a rien eu à lui envier sur le chapitre de la boucherie et des bains de sang, de Dresde à Hiroshima, de Hamburg à Sétif, de la guerre du Vietnam à la guerre du Golfe. Enfin, si on en croit la gauche et surtout ses fidèles rabatteurs gauchistes, "le fascisme" serait la pire chose pour le mouvement ouvrier, parce que synonyme de répression féroce, d'interdiction des grèves et de déportation des militants. Mais là encore, la "démocratie" n'a rien à lui envier. L'avenir de l'humanité est entre les mains du prolétariat et de lui seul. C'est bien pour faire obstacle à cette réponse prolétarienne et à la menace bien réelle qu'elle représente contre son ordre, que la classe dominante déploie ses campagnes idéologiques de défense de l'Etat démocratique et ses mobilisations antifascistes. C'est la conscience et la perspective révolutionnaire de la classe ouvrière qu'elle cherche à attaquer en proposant de fausses réponses à la faillite ouverte de son système. Aujourd'hui que les mythes de la "paix" et de la prospérité ont fait long feu, la classe dominante essaie d'entretenir et de faire adhérer les prolétaires à celui qui lui reste : l'illusion de la "démocratie", ce prétendu rempart à la barbarie qui n'est en réalité qu'un poison anti-ouvrier qui n'a toujours servi qu'à désarmer les prolétaires.
Si une menace pèse aujourd'hui sur l'humanité, c'est celle que fait peser sur son existence le maintien en vie de ce système de misère et de barbarie. Et le danger le plus grand pour la lutte de la classe ouvrière aujourd'hui et pour sa capacité à mener à bien sa tâche de destruction du capitalisme, ce ne sont pas "les fascistes", réels ou supposés, mais bien les pièges "démocratiques" de la classe dominante.
PE

(D'après RI n°267, avril 1997)

Situations territoriales: 

  • Vie de la bourgeoisie en France [3]

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