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Revue Internationale no 103 - 4e trimestre 2000

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A l'aube du 21e siècle...pourquoi le prolétariat n'a pas encore renverse le capitalisme (I)

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Le 21e siècle va commencer. Que va-t-il apporter à l'humanité ? Dans le numéro 100 de notre Revue, à la suite des célébrations par la bourgeoisie de l'an 2000, nous écrivions : "Ainsi s'achève le XXe siècle, le siècle le plus tragique et le plus barbare de l'histoire humaine : dans la décomposition de la société. Si la bourgeoisie a pu célébrer avec faste l'an 2000, il est peu probable qu'elle puisse faire de même en l'an 2100. Soit parce qu'elle aura été renversée par le prolétariat, soit parce que la société aura été détruite ou sera revenue à l'âge de pierre. "L'enjeu était ainsi nettement posé : ce que sera le 21e siècle dépend entièrement du prolétariat. Soit il est capable de faire la révolution, soit c'est la destruction de toute civilisation voire de l'humanité. Malgré tous ses beaux discours humanistes et les déclamations euphoriques qu'elle nous assène aujourd'hui, la bourgeoisie ne fera rien pour empêcher une telle issue. Ce n'est pas une question de bonne ou de mauvaise volonté de sa part ou de la part de ses gouvernements. Ce sont les contradictions insurmontables de son système, le capitalisme, qui conduisent de façon inéluctable la société à sa perte. Depuis une décennie, nous sommes abreuvés quotidiennement de campagnes sur "la fin du communisme" voire de la classe ouvrière. Aussi, il est nécessaire de réaffirmer avec force que malgré toutes les difficultés que peut rencontrer le prolétariat, il n'existe pas d'autre force dans la société capable de résoudre les contradictions qui assaillent cette dernière. C'est parce que cette classe n'a pas été capable jusqu'à présent de mener à bien sa tâche historique de renversement du capitalisme que le 20e siècle a sombré dans la barbarie. Elle ne pourra trouver les forces pour accomplir sa responsabilité dans le siècle qui vient que si elle capable de comprendre les raisons pour lesquelles elle a manqué les rendez-vous que l'histoire lui avait donnés au cours du siècle qui s'achève. C'est à cette compréhension que se propose modestement de contribuer cet article.

Avant que d'examiner les causes de l'échec du prolétariat à accomplir sa tâche historique au cours du 20 siècle, il importe de revenir sur une question au sujet de laquelle les révolutionnaires eux-mêmes n'ont pas toujours exprimé la plus grande clarté:

La révolution communiste est-elle inéluctable ?

La question est fondamentale car de sa réponse dépend en partie la capacité de la classe ouvrière à prendre la pleine mesure de sa responsabilité historique. Un grand révolutionnaire comme Amadeo Bordiga ([1] [1]) n'a-t-il pas affirmé, par exemple, que "la révolution socialiste est aussi certaine que si elle avait déjà eu lieu". Mais il n'est pas le seul à avoir émis une telle idée. On retrouve celle-ci dans certains écrits de Marx, d'Engels ou d'autres marxistes après eux.

Ainsi, on peut lire dans le Manifeste communiste une affirmation qui ouvre la porte à l'idée que la victoire du prolétariat ne serait pas inéluctable : "Oppresseurs et opprimés se sont trouvés en constante opposition ; ils ont mené une lutte sans répit, tantôt déguisée, tantôt ouverte, qui chaque fois finissait soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la ruine des deux classes en lutte."([2] [2]) Cependant, cette constatation s'applique uniquement aux classes du passé. Pour ce qui est de l'affrontement entre prolétariat et bourgeoisie, l'issue ne fait pas de doute :

  • "Le progrès de l'industrie, dont la bourgeoisie est le véhicule passif et inconscient, remplace peu à peu l'isolement des travailleurs, né de la concurrence, par leur union révolutionnaire au moyen de l'association. A mesure que la grande industrie se développe, la base même sur laquelle la bourgeoisie a assis sa production et son appropriation des produits se dérobe sous ses pieds. Ce qu'elle produit avant tout, ce sont ses propres fossoyeurs. Son élimination et le triomphe du prolétariat sont également inévitables."([3] [3])

En réalité, dans les termes employés par les révolutionnaires, il y a eu souvent confusion entre le fait que la révolution communiste était absolument nécessaire, indispensable pour sauver l'humanité, et son caractère certain.

Ce qui est le plus important, évidemment, c'est de démontrer, et le marxisme s'y est employé depuis le début :

  •  que le capitalisme n'est pas un mode de production définitif, la "forme enfin trouvée" d'organisation de la production qui pourrait assurer une richesse croissante à tous les êtres humains ;
  •  qu'à un moment de son histoire, ce système ne peut que plonger la société dans des convulsions croissantes, détruisant les progrès qu'il avait apportés à celle-ci auparavant ;
  •  que la révolution communiste est indispensable pour permettre à la société de poursuivre sa marche en avant vers une véritable communauté humaine où l'ensemble des besoins humains seront pleinement satisfaits ;
  •  que la société capitaliste a créé en son sein les conditions objectives et peut créer les conditions subjectives permettant une telle révolution : les forces productives matérielles, une classe capable de renverser l'ordre bourgeois et de diriger la société, la conscience pour que cette classe puisse mener à bien sa tâche historique.

Cependant, tout le 20 siècle témoigne de l'immense difficulté de cette tâche. En particulier, il nous permet de mieux comprendre que pour la révolution communiste, absolue nécessité ne veut pas dire certitude, que les jeux ne sont pas faits d'avance, que la victoire du prolétariat n'est pas d'ores et déjà écrite sur le grand livre de l'histoire. En effet, outre la barbarie dans laquelle ce siècle est tombé, la menace d'une guerre nucléaire qui a pesé sur le monde pendant 40 ans a permis de toucher du doigt le fait que le capitalisme pouvait très bien détruire la société. Cette menace est pour le moment écartée du fait de la disparition des grands blocs impérialistes mais les armes qui pourraient mettre fin à l'espèce humaine sont toujours présentes, comme continuent d'être présents les antagonismes entre Etats qui pourrait un jour aboutir à l'emploi de ces armes.

D'ailleurs, dès la fin du siècle dernier, en énonçant l'alternative "Socialisme ou Barbarie", Engels, co-rédacteur avec Marx du Manifeste communiste, était déjà revenu sur l'idée du caractère inéluctable de la révolution et de la victoire du prolétariat. Aujourd'hui, il est important que les révolutionnaires disent clairement à leur classe, et pour ce faire qu'ils soient vraiment convaincus, qu'il n'existe pas de fatalisme, que les jeux ne sont pas faits à l'avance, et que l'enjeu des combats que mène le prolétariat n'est ni plus ni moins que la survie de l'humanité. C'est seulement si elle est consciente de l'ampleur de cet enjeu que la classe ouvrière pourra trouver la volonté de renverser le capitalisme. Marx disait que la volonté était la manifestation d'une nécessité. La volonté du prolétariat de faire la révolution communiste sera d'autant plus grande que sera impérieuse à ses yeux la nécessité d'une telle révolution.

Pourquoi la révolution communiste n'est pas une fatalité ?

Les révolutionnaires du siècle dernier, même s'ils ne disposaient pas de l'expérience du 20 siècle pour donner une réponse à cette question, ou même pour la formuler clairement, nous ont cependant fourni déjà des éléments pour une telle réponse.

  • "Les révolutions bourgeoises, comme celles du 18e siècle, se précipitent rapidement de succès en succès, leurs effets dramatiques se surpassent, les hommes et les choses semblent être pris dans des feux de diamant, l'enthousiasme extatique est l'état permanent de la société, mais elles sont de courte durée. Rapidement, elles atteignent leur point culminant, et un long malaise s'empare de la société avant qu'elle ait appris à s'approprier d'une façon calme et posée les résultats de sa période orageuse. Les révolutions prolétariennes, par contre, comme celles du 19e siècle, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et se redresser à nouveau formidable en face d'elles, reculent constamment à nouveau devant l'immen­sité infinie de leurs propres buts jusqu'à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient : Hic Rhodus, hic salta !" ([4] [4])

Cette citation très connue du 18 brumaire de Louis Bonaparte rédigé par Marx au début de 1852 (c'est-à-dire quelques semaines après le coup d'Etat du 2 décembre 1851) vise à rendre compte du cours difficile et tortueux de la révolution prolétarienne. Une telle idée est reprise, près de 70 ans plus tard, par Rosa Luxemburg dans l'article qu'elle a écrit à la veille de son assassinat, à la suite de l'écrasement de l'insurrection de Berlin en janvier 1919 :

  • "De cette contradiction entre la tâche qui s'impose et l'absence, à l'étape actuelle de la révolution, des conditions préalables permettant de la résoudre, il résulte que les luttes se terminent par une défaite formelle. Mais la révolution [prolétarienne] est la seule forme de «guerre» -c'est encore une des lois de son développement- où la victoire finale ne saurait être obtenue que par une série de 'défaites'. (...) Les révolutions... ne nous ont jusqu'ici apporté que défaites, mais ces échecs inévitables sont précisément la caution réitérée de la victoire finale."

A une condition il est vrai ! Car il faut étudier dans quelles conditions la défaite s'est chaque fois produite."([5] [5])

Ces citations évoquent essentiellement le cours douloureux de la révolution communiste, la série de défaites qui jalonnent son chemin vers la victoire. Mais elles permettent de mettre en évidence deux idées essentielles :

  •  la différence qui existe entre la révolution prolétarienne et les révolu­tions bourgeoises ;
  •  la condition essentielle de la victoire du prolétariat, une condition qui n'est pas donnée d'avance, la capacité de cette classe à prendre conscience en tirant les leçons de ses défaites.

C'est justement la différence entre les révolutions bourgeoises et la révolution prolétarienne qui permet de comprendre pourquoi la victoire de cette dernière ne saurait être considérée comme une certitude.

En effet, le propre des révolutions bourgeoises, c'est-à-dire la prise du pouvoir politique exclusif par la classe capitaliste, c'est qu'elles ne constituent pas le point de départ mais le point d'arrivée de tout un processus de transformation économique au sein de la société. Une transformation économique au cours de laquelle les anciens rapports de production, c'est-à-dire les rapports de production féodaux, sont progres­sivement supplantés par les rapports de production capitalistes qui servent de point d'appui à la bourgeoisie dans sa conquête du pouvoir politique :

  • «Les citoyens hors barrière des premières villes sont issus des serfs du moyen âge ; c 'est parmi eux que se sont formés les premiers éléments de la bourgeoisie. La découverte de l'Amérique, la circumnavigation de l'Afrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau champ d'action. Les marchés des Indes orientales et de la Chine, la colonisation de l'Amérique, les échanges avec les colonies, l'accroissement des moyens d'échange et des marchandises en général donnèrent au commerce, à la navigation, à l'industrie un essor inconnu jusqu'alors ; du même coup, ils hâtèrent le développement de l'élément révolutionnaire au sein d'une société féodale en décomposition. L'ancien mode de production, féodal ou corporatif, ne suffisait plus aux besoins qui augmentaient en même temps que les nouveaux marchés. La manufacture vint le remplacer. Les maîtres de jurandes furent expulsés par les petits industriels ; la division du travail entre les diverses corporations disparut devant la division du travail au sein même des ateliers. Cependant les marchés ne cessaient de s'étendre, les besoins de s'accroître. La manufacture devint bientôt insuffisante, elle aussi. Alors la vapeur et les machines vinrent révolutionner la production industrielle. La manufacture dut céder la place à la grande industrie moderne et les petits industriels se trouvèrent détrônés par les millionnaires de l'industrie, chefs d'armées industrielles : les bourgeois modernes. (...) Nous voyons donc que la bourgeoisie moderne est elle-même le produit d'un long processus de développement, de toute une série de révolutions survenues dans les modes de production et d'échange.
    Chaque étape de l'évolution parcourue par la bourgeoisie était accompagnée d'un progrès politique correspondant. Classe opprimée sous la domination des seigneurs féodaux, association en armes s'administrant elle-même dans la commune ;  là,  république urbaine autonome, ici tiers-état taillable de la monarchie ; puis à l'époque de la manufacture, contrepoids de la noblesse dans la monarchie féodale et absolue, soutien principal des grandes monarchies en général, la bourgeoisie a réussi à conquérir de haute lutte le pouvoir politique exclusif dans l'Etat représen­tatif moderne : la grande industrie et le marché mondial lui avaient frayé le chemin." ([6] [6])

Tout différent est le processus de la révolution prolétarienne. Alors que les rapports de production capitalistes avaient pu se développer progressivement au sein de la société féodale, les rapports de production communistes ne peuvent se développer au sein de la société capitaliste dominée par les rapports marchands et dirigée par la bourgeoisie. L'idée d'un tel développement progressif "d'îlots communistes" au sein du capitalisme appartient au socialisme utopique et elle a été combattue par le marxisme et le mouvement ouvrier depuis le milieu du siècle dernier. Il en est de même d'une autre variante de cette idée, celle des coopératives de production ou de consommation qui n'ont jamais pu et ne pourront jamais échapper aux lois du capitalisme et qui, au mieux, transforment les ouvriers en petits capitalistes, quand elles ne les conduisent pas à devenir leurs propres exploiteurs. En réalité, du fait qu'elle est la classe exploitée du mode de production capitaliste, privée par définition de tout moyen de production, la classe ouvrière ne dispose pas au sein du capitalisme, et ne peut disposer, de points d'appui économiques pour la conquête du pouvoir politique. Au contraire, le premier acte de la transfor­mation communiste de la société consiste dans la prise du pouvoir politique à l'échelle mondiale par l'ensemble du prolétariat organisé en conseils ouvriers, c'est-à-dire un acte conscient et délibéré. C'est à partir de cette position de pouvoir politique, la dictature du prolétariat, que ce dernier pourra consciemment transformer progressivement les rapports économiques, socialiser l'ensemble de la production, abolir les échanges mar­chands, notamment le premier d'entre eux, le salariat, et créer une société sans classes.

La révolution bourgeoise, la prise du pouvoir politique exclusif par la classe capitaliste, était inéluctable dans la mesure où elle découlait d'un processus économique lui-même inéluctable à un certain moment de la vie de la société féodale, un processus dans lequel la volonté politique consciente des hommes avait peu à faire. En fonction des circonstances particulières existant dans chaque pays, elle a pu intervenir plus ou moins tôt au cours du processus de développement du capitalisme ou prendre différentes formes : renversement violent de l'Etat monarchique, comme en France, ou conquête progressive de positions politiques par la bourgeoisie au sein de cet Etat, comme ce fut plutôt le cas en Allemagne. Elle a pu aboutir à une république, comme aux Etats-Unis ou à une monarchie constitutionnelle, dont l'exemple typique est représenté par le régime monarchique de l'Angleterre, c'est-à-dire de la première nation bourgeoise. Cependant, dans tous les cas, la victoire politique finale de la bourgeoisie était assurée. Et même quand les forces politiques révolutionnaires de la bourgeoisie subissaient un revers (comme ce fut le cas par exemple en France avec la Restauration ou en Allemagne avec l'échec de la révolution de 1848), cela n'affectait que très peu la marche en avant de cette classe sur le plan économique et même sur le plan politique.

Pour le prolétariat, la première condition du succès de sa révolution est évidemment qu'existent les conditions matérielles de la transformation communiste de la société, des conditions qui sont données par le développement du capitalisme lui-même.

La deuxième condition de la révolution prolétarienne consiste dans le dévelop­pement d'une crise ouverte de la société bourgeoise faisant la preuve évidente que les rapports de production capitalistes doivent être remplacés par d'autres rapports de production.([7] [7])

Mais une fois que ces conditions matérielles sont présentes, il n'en découle pas forcément que le prolétariat soit capable de faire sa révolution. Puisqu'il est privé de tout point d'appui économique au sein du capitalisme, sa seule véritable force, outre son nombre et son organi­sation, est sa capacité à prendre clairement conscience de la nature, des buts et des moyens de son combat. C'est bien le sens de la citation de Rosa Luxemburg qui est donnée plus haut. Et cette capacité du prolétariat à prendre conscience ne découle pas automatiquement des conditions matérielles auxquelles il est confronté comme il n'est écrit nulle part qu'il pourra acquérir cette conscience avant que le capitalisme ne plonge la société dans la barbarie totale ou la destruction.

Et un des moyens dont il dispose pour s'éviter, et éviter à la société, cette dernière issue, c'est justement qu' il tire pleinement les leçons de ses défaites, comme le rappelle Rosa Luxemburg. Il lui appar­tient en particulier de comprendre pourquoi il n'a pas été capable de faire sa révolution au cours du 20e siècle.

Révolution et contre-révolution

C'est le propre des révolutionnaires que de surestimer les potentialités du prolétariat à un instant donné. Marx et Engels n'ont pas échappé à cette tendance puisque, lorsqu'ils rédigent le Manifeste Communiste, au début de 1848, ils pensent que la révolution prolétarienne est imminente et que la révolution bourgeoise qui se prépare en Allemagne, et qui aura effectivement lieu quelques mois après, servira de marchepied au prolétariat pour la prise du pouvoir dans ce pays. Cette tendance s'explique parfaitement par le fait que les révolution­naires, et c'est pour cela qu'ils le sont, aspirent de toutes leurs forces au renversement du capitalisme et à l'émancipation de leur classe ce qui suscite chez eux souvent une certaine impatience. Cependant, contrairement aux éléments petits bourgeois ou ceux qui sont influencés par l'idéologie petite bourgeoise, ils sont capables de recon­naître rapidement l'immaturité des conditions pour la révolution. En effet, la petite bourgeoisie est par excellence une classe qui, politiquement, vit au jour le jour, n'ayant aucun rôle historique à jouer. L'immédiatisme et l'impatience ("la révolution tout de suite" comme la réclamaient les étudiants révoltés des années 1960) sont le propre de cette catégorie sociale qui peut lors d'une révolution prolétarienne, pour une partie de ses éléments, rejoindre le combat de la classe ouvrière mais qui, dès que le vent tourne, se rallie au plus fort, c'est-à-dire à la bourgeoisie. En revanche, les révolutionnaires prolétariens, expression d'une classe historique, sont capables de surmonter leur impatience et de s'atteler à la tâche patiente et difficile de préparer les futurs combats de la classe.

C'est pour cela qu'en 1852, Marx et Engels avaient reconnu que les conditions de la révolution n'étaient pas mûres en 1848 et que le capitalisme devait encore connaître tout un développement pour qu'elles le deviennent. Ils estimèrent qu'il fallait dissoudre leur organisation, la Ligue des communistes, qui avait été fondée à la veille de la révolution de 1848, avant qu'elle ne tombe sous l'influence d'éléments impatients et aventuristes (la tendance Willitch-Schapper).

En 1864, lorsqu'ils participèrent à la fondation de l'Association Internationale des Travailleurs (AIT), Marx et Engels pensaient de nouveau que l'heure de la révolution avait sonné, mais avant même la Commune de Paris de 1871, ils s'étaient rendu compte que le prolétariat n'était pas encore prêt car le capitalisme disposait encore devant lui de tout un potentiel de développement de son économie. Après l'écrasement de la Commune qui signifiait une grave défaite pour le prolétariat européen, ils comprirent que le rôle historique de l'AIT était terminé et qu'il était nécessaire de la préserver elle aussi des éléments impatients et aventuristes, voire aventuriers (comme Bakounine) représentés principalement par les anarchistes. C'est pour cela qu'au Congrès de La Haye de 1872 (le seul congrès où ces deux révolutionnaires ont participé directement), ils sont intervenus pour obtenir l'exclusion de Bakounine et de son Alliance pour la Démocratie socialiste de même qu'ils ont proposé et défendu la décision de transférer le Conseil général de l'AIT de Londres à New-York, loin des intrigues qui se développaient de la part de toute une série d'éléments afin de mettre la main sur l'Internationale. Cette décision correspondait en fait à une mise en sommeil de l'AIT dont la conférence de Philadelphie prononcera la dissolution en 1876.

Ainsi, les deux révolutions qui s'étaient produites jusqu'à ce moment-là, 1848 et la Commune, avaient échoué parce que les conditions matérielles de la victoire du prolétariat n'existaient pas. C'est au cours de la période suivante, celle qui connaît le développement du capitalisme le plus puissant de son histoire, que ces conditions allaient éclore.

Cette dernière période correspond à une étape de grand développement du mouvement ouvrier. C'est celle où se créent les syndicats dans la plupart des pays et où sont fondés les partis socialistes de masse qui, en 1889, se regrouperont au sein de l'Internationale socialiste (deuxième internationale).

Dans la plupart des pays d'Europe occidentale, le mouvement ouvrier organisé gagne pignon sur rue. Si, dans un premier temps, certains gouvernements persécutent les partis socialistes (comme c'est le cas en Allemagne où sont mises en place, entre 1878 et 1890, des "lois antisocialistes"), cette politique tend à laisser la place à une attitude plus bienveillante. Ces partis deviennent de véritables puissances dans la société au point que, dans certains pays, ils disposent du groupe le plus puissant au Parlement et donnent l'impression qu'ils vont pouvoir conquérir la majorité au sein de celui-ci. Le mouvement ouvrier semble être devenu invincible. Pour beaucoup, l'heure approche où il réussira à renverser le capitalisme en s'appuyant sur cette institution spécifiquement bourgeoise : la démocratie parlementaire.

Parallèlement à cette montée en force des organisations ouvrières, le capitalisme connaît une prospérité sans égal, donnant l'impression qu'il est devenu capable de surmonter les crises cycliques qui l'avaient affecté au cours de la période précédente. Au sein même des partis socialistes se développent les tendances réformistes qui considèrent que le capitalisme a réussi à surmonter ses contradictions économiques et qu'il est, de ce fait, vain de songer à le renverser par la révolution. Il apparaît même des théories, comme celle de Bernstein ; qui considèrent qu'il faut "réviser" le marxisme, notamment en abandonnant sa vision "catastrophiste". La victoire du prolétariat sera le résultat de toute une série de conquêtes obtenues sur le plan parlementaire ou syndical.

En réalité, ces deux forces antagoniques dont la puissance semble se développer en parallèle, le capitalisme et le mouvement ouvrier, sont minées de l'intérieur.

Le capitalisme pour sa part, vit ses dernières heures de gloire (celles qui sont restées dans la mémoire collective comme "la belle époque"). Alors que, sur le plan économique, sa prospérité semble ne passe démentir, particulièrement dans les puissances émergeantes que sont l'Allemagne et les Etats-Unis, l'approche de sa crise historique se fait sentir avec la montée de l'impérialisme et du militarisme. Les marchés coloniaux, comme l'avait mis en évidence Marx un demi-siècle auparavant, avaient constitué un facteur fondamental du développement du capitalisme. Chaque pays capitaliste avancé, y compris les petits pays comme la Hollande et la Belgique, s'était constitué un empire colonial comme source de matières premières et comme débouché de ses marchandises. Or, à la fin du 19e siècle,  l'ensemble du monde non capitaliste a été partagé entre les vieilles nations bourgeoises. Désormais l'accès pour chacune d'entre elles à de nouveaux débouchés et à de nouveaux territoires la conduit à se heurter au pré-carré de ses rivales. Le premier choc intervient en septembre 1898 à Fachoda, au Soudan, où la France et l'Angleterre, les deux principales puissances coloniales, ont failli s'affronter lorsque les objectifs de la première (contrôler le haut Nil et coloniser un axe Ouest-Est, Dakar-Djibouti) se sont heurtées à l'ambition de la seconde (faire la jonction Nord-Sud sur l'axe Le Caire-Le Cap). Finalement, la France recule et les deux rivales vont par la suite nouer "l'Entente cordiale" contre un troisième larron aux ambitions d'autant; plus grandes que son empire colonial est réduit à la portion congrue : l'Allemagne.

Le développement des convoitises de l'impérialisme allemand à l'égard des possessions  coloniales  des  autres puissances européennes va se concrétiser, quelques années plus tard, notamment avec l'incident d'Agadir de 1911 où une frégate allemande vient narguer la France et ses ambitions au Maroc. L'autre aspect des appétits de l'Allemagne dans le domaine colonial est constitué par le formidable développement de sa marine de guerre qui ambitionne de concurrencer la flotte anglaise dans le contrôle des voies maritimes.

C'est là l'autre volet du changement , fondamental qui s'opère dans la vie du capitalisme au tournant du siècle : en même temps que se multiplient les tensions et les conflits armés impliquant en sous-main les puissances bourgeoises européennes, on connaît un accroissement considérable des armements de ces puissances de même que sont prises des mesures pour accroître les effectifs militaires (comme l'augmentation de la durée du service militaire en France, la "loi des 3 ans")

Cette montée des tensions impérialistes et du militarisme, de même que les grandes manoeuvres diplomatiques entre les principales nations européennes qui renforcent leurs alliances respectives en vue de la guerre, font évidemment l'objet d'une très grande attention de la part des partis de la deuxième internationale. Celle-ci, à son congrès de 1907 à Stuttgart, consacre une résolution très importante à cette question, une résolution qui intègre un amendement présenté notamment par Lénine et Rosa Luxemburg qui stipule notamment que : ​"Si néanmoins une guerre éclate, les socialistes ont le devoir d'oeuvrer pour qu'elle se termine le plus rapidement possible et d'utiliser par tous les moyens la crise économique et politique provoquée par la guerre pour réveiller le peuple et de hâter ainsi la chute de la domination capitaliste".([8] [8])

En novembre 1912, l'Internationale socialiste convoque même un congrès extraordinaire (congrès de Bâle) pour dénoncer la menace de guerre et appeler le prolétariat à la mobilisation contre celle-ci. Le manifeste de ce congrès met en garde la bourgeoisie : "Que les gouvernements bourgeois n'oublient pas que la guerre franco-allemande donna naissance à l'insurrection révolutionnaire de la Commune et que la guerre russo-japonaise mit en mouvement les forces révolutionnaires de Russie. Aux yeux des prolétaires, il est criminel de tirer les uns sur les autres pour le profit des capitalistes, ou l'orgueil des dynasties, ou les combinaisons des traités secrets."

Ainsi, au niveau des apparences, le mouvement ouvrier s'est préparé pour affronter le capitalisme au cas où ce dernier en viendrait à déchaîner la barbarie guerrière. D'ailleurs, à cette époque, dans la population des divers pays européens, et pas seulement dans la classe ouvrière, il existe un fort sentiment que la seule force dans la société qui peut empêcher la guerre est l'Internationale socialiste. En réalité, de même que le système capitaliste est miné de l'intérieur et s'apprête à étaler sa faillite historique, le mouvement ouvrier lui-même, malgré toute sa force apparente, ses puissants syndicats, les "succès électoraux crois­sants" de ses partis, s'est considérable­ment affaibli et se trouve à la veille d'une faillite catastrophique. Plus encore, ce qui constitue cette force apparente du mouvement ouvrier est en réalité sa plus grande faiblesse. Les succès électoraux des partis socialistes ont amplifié d'une manière sans précédent les illusions démocratiques et réformistes dans les masses ouvrières. De même, l'immense puissance des organisations syndicales, particulièrement en Allemagne et en Grande-Bretagne, s'est transformée, en réalité, en un instrument de défense de l'ordre bourgeois et d'embrigadement des ouvriers pour la guerre et la production d'armements.([9] [9])

Aussi, lorsqu'au début de l'été 1914, suite à l'attentat de Sarajevo contre l'héritier du trône Austro-Hongrois, les tensions s'accroissent en Europe et que le spectre de la guerre s'avance à grands pas, les partis ouvriers, non seulement font la preuve de leur impuissance, mais ils apportent pour la plupart un soutien à leur propre bourgeoisie nationale. En France et en Allemagne, il s'établit même des contacts directs entre les dirigeants des partis socialistes et le gouvernement pour discuter des politiques à adopter afin de réussir l'embrigadement dans la guerre. Et dès que celle-ci éclate, c'est comme un seul homme que ces partis apportent leur plein soutien à l'effort de guerre de la bourgeoisie et réussissent à entraîner dans la boucherie les masses ouvrières. Alors que les gouvernements en place chantent la "grandeur" de leurs nations respectives, les partis socialistes emploient des arguments plus adaptés à leur rôle d'embrigadement des ouvriers. Ce n'est pas une guerre au service des intérêts bourgeois ou pour récupérer l'Alsace-Lorraine mais une guerre pour protéger la "civilisation" contre le "militarisme allemand" dit-on en France. De l'autre côté du Rhin, ce n'est pas une guerre en défense de l'impérialisme allemand mais une guerre "pour la démocratie et la civilisation" contre "la tyrannie et la barbarie tsaristes". Mais avec des discours différents, les dirigeants socialistes ont le même but que la bourgeoisie : réaliser "l'Union natio­nale", envoyer les ouvriers au massacre et justifier l'état de siège, c'est-à-dire la censure militaire, l'interdiction des grèves et des manifestations ouvrières, celle des publications et des réunions dénonçant la guerre.

Le prolétariat n'a donc pu empêcher le déclenchement de la guerre mondiale.

C'est une terrible défaite pour lui mais une défaite qu'il a subie sans combat ouvert contre la bourgeoisie. Pourtant, la lutte contre la dégénérescence des partis socialistes, dégénérescence qui a conduit à leur trahison de l'été 1914 et au déchaînement de la boucherie impéria­liste, avait débuté bien avant celle-ci, plus précisément à la fin du 19e siècle et au début du 20e. Ainsi, dans le parti allemand, Rosa Luxemburg avait livré bataille contre les théories révisionnistes de Bernstein qui justifiaient le réfor­misme. Officiellement le parti avait rejeté ces théories mais, quelques années plus tard, elle avait dû reprendre le combat non plus seulement contre la droite du parti mais aussi contre le centre représenté principalement par Kautsky dont le langage radical recouvrait en fait un abandon de la perspective de la révolution. En Russie, en 1903, les bolcheviks avaient engagé la lutte contre l'opportunisme au sein du parti social-démocrate, d'abord sur des questions d'organisation, ensuite à propos de la nature de la révolution russe de 1905 et de la politique qu'il fallait mener en son sein. Mais ces courants révolutionnaires au sein de l'Internationale socialiste étaient restés dans l'ensemble très faibles, même si les congrès des partis socialistes et de l'Internationale reprenaient souvent à leur compte leurs positions.

A l'heure de la vérité, les militants socialistes défendant des positions internationalistes et révolutionnaires se sont trouvés tragiquement isolés au point qu'à la conférence internationale contre la guerre qui s'est tenue en septembre 1915 à Zimmerwald, en Suisse, les délégués (parmi lesquels se trouvaient également des éléments du centre, hésitant entre les positions de la gauche et celles de la droite) auraient pu tenir dans quatre taxis, comme l'avait remarqué Trotsky. Ce terrible isolement ne les a pas empêchés de poursuivre le combat malgré la répression qui s'abat sur eux (en Allemagne, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, les deux principaux diri­geants du groupe "Spartakus" qui défendait l'internationalisme, connais­saient la prison et l'enfermement en forteresse).

En fait, les terribles épreuves de la guerre, les massacres, les famines, l'exploitation féroce qui règne dans les usines à l'arrière vont commencer à dégriser les ouvriers qui en 1914 s'étaient laissé entraîner dans la boucherie "la fleur au fusil". Les discours sur la "civilisation" et la démocratie s'épuisent face à la barbarie sans nom dans laquelle plonge l'Europe et face à la répression de toute tentative de lutte ouvrière. Ainsi, à partir de février 1917, le prolétariat de Russie, qui avait déjà fait l'expérience d'une révolution en 1905, se soulève contre la guerre et contre la famine. Il vient concrétiser dans les faits et par ses actes les résolutions adoptées par les congrès de Stuttgart et de Bâle de l'Internationale socialiste. Lénine et les bolcheviks comprennent que l'heure de la révolution a sonné et ils engagent les ouvriers de Russie à ne pas se contenter de la chute du tsarisme et de la mise en place d'un gouvernement "démocratique". Ils doivent se préparer au renversement de la bourgeoisie et à la prise du pouvoir par les soviets (les conseils ouvriers) comme prélude à la révolution mondiale. C'est cette perspective qui se réalise effectivement en Russie en octobre 1917. Aussitôt, le nouveau pouvoir engage le prolétariat mondial à suivre son exemple afin de mettre fin à la guerre et de renverser le capitalisme. En quelque sorte, les bolcheviks, et avec eux tous les révolutionnaires des autres pays, appellent le prolétariat mondial à être présent à ce nouveau rendez-vous que l'histoire lui donne, après qu'il ait manqué celui de 1914.

L'exemple russe est effectivement suivi par la classe ouvrière d'autres pays, et particulièrement en Allemagne où, un an plus tard, le soulèvement des ouvriers et des soldats renverse le régime impérial de Guillaume II et contraint la bourgeoisie allemande à se retirer de la guerre mettant ainsi fin à plus de quatre années d'une barbarie comme l'humanité n'en avait jamais connue auparavant. Cependant, la bourgeoisie a retenu les leçons de sa défaite en Russie. Dans ce pays, le gouvernement provisoire qui s'est mis en place après la révolution de février 1917 a été incapable de satisfaire une des revendications essentielles des ouvriers, la paix. Pressé par ses alliées de l'Entente, France et Angleterre, il s'est maintenu dans la guerre ce qui a provoqué une chute rapide des illusions à son égard dans les masses ouvrières et parmi les soldats de même que leur radicalisation. Le renversement de la bourgeoisie, et non seulement du régime tsariste, leur apparaît comme le seul moyen de mettre fin à la boucherie. En Allemagne, en revanche, la bourgeoisie s'est empressée d'arrêter la guerre dès les premiers jours de la révolution. Elle présente le renversement du régime impérial et l'instauration d'une république comme la victoire décisive. Elle fait immédiatement appel au parti socialiste pour prendre les rênes du gouvernement, lequel reçoit son soutien du congrès des conseils ouvriers qui sont encore dominés par ces mêmes socialistes. Surtout ce nouveau gouvernement demande immédiatement l'armistice aux alliés de l'Entente, lesquels le lui accordent sans tarder. D'ailleurs, ces derniers ont tout fait pour lui permettre de faire face à la classe ouvrière. C'est ainsi que la France restitue rapidement à l'armée allemande 16 000 mitrailleuses qu'elle lui avait confisquées comme butin de guerre, des mitrailleuses qui vont êtres utiles par la suite pour écraser la classe ouvrière.

La bourgeoisie allemande, avec à sa tête le parti socialiste, va porter dès janvier 1919 un coup terrible au prolétariat. Elle met en oeuvre sciemment une provocation qui conduit aune insurrection prématurée des ouvriers de Berlin. L'insurrection est noyée dans le sang et les principaux dirigeants révolutionnaires, Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht (et plus tard Léo Jogiches) sont assassinés. Malgré cela, la classe ouvrière allemande n'est pas définitivement écrasée. Jusqu'en 1923, elle mènera des tentatives révolutionnaires ([10] [10]). Cependant toutes ces tentatives seront défaites, comme les tentatives révolutionnaires ou les puissants mouvements de la classe ouvrière qui se produiront dans d'autres pays au cours de cette période (notamment en Hongrie en 1919 et en Italie la même année). ([11] [11])

En fait, l'échec du prolétariat en Allemagne signe la défaite de la révolution mondiale, laquelle connaîtra encore un soubresaut en Chine en 1927 lui aussi noyé dans le sang.

En même temps que se développe la vague révolutionnaire en Europe a été fondée à Moscou en mars 1919 l'Internationale communiste (IC), ou troisième internationale, regroupant les forces révolutionnaires de tous les pays. A sa fondation il n'existe que deux grands partis communistes, celui de Russie et celui d'Allemagne ; ce dernier s'est constitué quelques jours avant la défaite de janvier 1919. Cette internationale suscite la création dans tous les pays de partis communistes rejetant le chauvinisme, le réformisme et l'opportunisme qui avaient englouti les partis socialistes. Les partis communistes sont supposés constituer la direction de la révolution mondiale mais ils sont formés trop tard du fait des conditions historiques qui ont présidé à leur fondation. Lorsque l'Internationale est vraiment constituée, c'est-à-dire au moment de son 2e congrès en 1920, le plus fort de la vague révolutionnaire est déjà passé et le capitalisme se montre capable de reprendre la situation en main, tant sur le plan économique que politique. Surtout, la classe dominante a réussi à casser l'élan révolutionnaire en mettant fin au principal aliment de celui-ci, la guerre impérialiste. Avec l'échec de la vague révolutionnaire mondiale, les partis de l'Internationale communiste qui se sont formés contre la dégénérescence et la trahison des partis socialistes n'échappent pas à leur tour à la dégénérescence.

A la base de cette dégénérescence des partis communistes il y a plusieurs facteurs. Le premier est qu'ils ont accepté dans leurs rangs toute une série d'éléments qui étaient déjà "centristes" au sein des partis socialistes et qui ont quitté ces derniers et se sont reconvertis à la phrase révolutionnaire pour bénéficier de l'immense enthousiasme du prolétariat mondial pour la révolution russe. Un autre facteur, encore plus décisif est constitué par la dégénérescence du principal parti de cette internationale, celui qui a le plus d'autorité, le parti bolchevik, qui avait conduit la révolution d'Octobre et avait été le principal protagoniste de la fondation de l'Internationale. Ce parti, en effet, propulsé à la tête de l'Etat, est progressivement absorbé par ce dernier ; et du fait de l'isolement de la révolution, il se convertit de plus en plus en défenseur des intérêts de la Russie au détriment de son rôle de bastion de la révolution mondiale. De plus, comme il ne peut y avoir de "socialisme en un seul pays" et que l'abolition du capitalisme ne peut se réaliser qu'à l'échelle mondiale, l'Etat de la Russie se transforme progressivement en défenseur du capital national russe, un capital dont la bourgeoisie sera constituée principalement par la bureaucratie de l'Etat et donc du parti. De parti révolutionnaire, le parti bolchevik s'est donc progressivement converti en parti bourgeois et contre-révolutionnaire malgré la résistance d'un grand nombre de véritables communistes, tel Trotsky, qui veulent maintenir debout le drapeau de la révolution mondiale. C'est ainsi qu'en 1925, malgré l'opposition de Trotsky, le parti bolchevik adopte comme programme "la construction du socialisme  en  un  seul  pays",  un programme promu par Staline et qui est une véritable trahison de l'internatio­nalisme prolétarien, un programme qu'il va imposer en 1928 à l'Internationale communiste, ce qui signe l'arrêt de mort de celle-ci.

Par la suite, dans les différents pays, malgré les réactions et le combat de toute une série de fractions de gauche qui sont exclues les unes après les autres, les partis communistes sont passés au service de leur capital national. Après avoir été le fer de lance de la révolution mondiale, les partis communistes sont devenus le fer de lance de la contre-révolution ; la plus terrible contre-révolution de l'histoire.

Non seulement la classe ouvrière a manqué son second rendez-vous avec l'histoire mais elle va plonger dans la pire période qu'elle ait jamais connue. Comme le titre un livre de l'écrivain Victor Serge, "il est minuit dans le siècle".

Alors qu'en Russie, l'appareil du parti communiste est devenu la classe exploiteuse mais aussi l'instrument d'une répression et d'une oppression des masses ouvrières et paysannes sans commune mesure avec celles du passé, le rôle contre-révolutionnaire des partis communistes en dehors de la Russie s'est concrétisé au cours des années 30 par la préparation de l'embrigadement du prolétariat dans la seconde guerre mondiale, c'est-à-dire la réponse bourgeoise à la crise ouverte que connaît le capitalisme à partir de 1929.

Justement, cette crise ouverte, la terrible misère qui s'abat sur les masses ouvrières au cours des années 1930, auraient pu constituer un puissant facteur de radicalisation du prolétariat mondial et de prise de conscience de la nécessité de renverser le capitalisme. Mais le prolétariat va manquer ce troisième rendez-vous avec l'histoire.

En Allemagne, pays clé pour la révolution prolétarienne, où se trouve la classe ouvrière la plus concentrée et expérimen­tée du monde, celle-ci connaît une situation similaire à celle de la classe ouvrière de Russie. Comme cette dernière, la classe ouvrière allemande avait pris le chemin de la révolution et sa défaite par la suite en fut d'autant plus terrible. L'écrasement de la révolution allemande ne fut pas l'oeuvre des nazis mais des partis "démocratiques", en premier lieu du parti socialiste. Mais justement parce que le prolétariat a subi cette défaite, le parti nazi, qui à l'époque correspond le mieux aux nécessités politiques et économiques de la bourgeoisie allemande, peut parachever le travail de la gauche en anéantissant par la terreur toute velléité de lutte prolétarienne et en embrigadant par ce même moyen, principalement, les ouvriers dans la guerre.

Cependant, dans les pays d'Europe occidentale, là où le prolétariat n'a pas mené de révolution et n'a donc pas subi d'écrasement physique, les moyens de la terreur ne sont pas adaptés pour embrigader les ouvriers dans la guerre. Il faut à la bourgeoisie, pour parvenir à ce résultat, user de mystifications comme celles qui avaient servi en 1914 pour la première guerre mondiale. Et c'est dans cette tâche que les partis staliniens vont accomplir leur rôle bourgeois de façon exemplaire. Au nom de la défense de la "patrie socialiste" et de la démocratie contre le fascisme, ces partis vont dévoyer systématiquement les luttes ouvrières dans des impasses usant la combativité et le moral du prolétariat.

Ce moral a été fortement atteint par l'échec de la révolution mondiale au cours des années 1920. Après une période d'enthousiasme pour l'idée de la révolution communiste, beaucoup d'ouvriers se sont détournés de la perspective révolutionnaire. Un des facteurs de leur démoralisation est le constat que la société qui s'est instaurée en Russie n'est nullement un paradis, comme le présentent les partis staliniens, ce qui facilite leur récupération par les partis socialistes. Mais la plupart de ceux qui veulent encore croire en une perspective révolutionnaire sont tombés dans les nasses des partis staliniens qui affirment que celle-ci passe par la "défense de la patrie socialiste" et par la victoire contre le fascisme qui s'est établi en Italie et surtout en Allemagne.

Un des moments clé de ce dévoiement du prolétariat mondial est la guerre d'Espagne qui, loin de constituer une révolution, fait en réalité partie des préparatifs militaires, diplomatiques et politiques de la seconde guerre mondiale.

La solidarité que veulent témoigner les ouvriers du monde entier à leurs frères de classe en Espagne, qui s'e sont soulevés spontanément lors du putsch fasciste du 18 juillet 1936, est canalisée par l'enrôlement dans les brigades internatio­nales (principalement dirigées par les staliniens), par la revendication des "armes pour l'Espagne" (en réalité pour le gouvernement bourgeois du "Frente popular") ainsi que par les mobilisations antifascistes qui permettent en fait l'embrigadement des ouvriers des pays "démocratiques" dans la guerre contre l'Allemagne.

A la veille de la première guerre mondiale, ce qui était censé constituer la grande force du prolétariat (de puissants syndicats et partis ouvriers) était en réalité l'expression la plus considérable de sa faiblesse. Le même scénario se renouvelle lors de la seconde guerre mondiale, même si les acteurs sont un peu différents. La grande force des partis "ouvriers" (les partis staliniens et aussi les partis socialistes, unis dans l'alliance antifasciste), les grandes "victoires" contre le fascisme en Europe occidentale, la prétendue "patrie socialiste" sont toutes des marques de la contre-révolution, d'une faiblesse sans précédent du prolétariat. Une faiblesse qui va le livrer pieds et mains liées à la seconde boucherie impérialiste. 

Le prolétariat face à la seconde guerre mondiale

La seconde guerre mondiale dépasse de loin en horreur la première. Ce nouveau degré dans la barbarie est la marque de la poursuite de l'enfoncement du capitalisme dans sa décadence. Pourtant, contrairement à ce qui s'était passé en 1917 et 1918, ce n'est pas le prolétariat qui y met fin. Elle se poursuit jusqu'à l'écrasement complet d'un des deux camps impérialistes. En réalité, le prolétariat n'est pas resté totalement sans réponse au cours de cette boucherie mondiale. Ainsi, dans l'Italie mussolinienne, se développe en 1943 un vaste mouvement de grèves dans le Nord industriel qui conduit les forces dirigeantes de la bourgeoisie à écarter Mussolini et à nommer à sa place un amiral pro-allié, Badoglio. De même, à la fin 1944 début 1945, se produisent dans plusieurs villes allemandes des mouvements de révolte contre la faim et la guerre. Mais il n'y a au cours de la seconde guerre mondiale rien de comparable à ce qui s'était passé au cours de la première. Et cela pour plusieurs raisons. En premier lieu parce qu'avant de déclencher la seconde guerre mondiale, la bourgeoisie, instruite par l'expérience de la première, a pris soin d'écraser systématiquement le prolétariat, non seulement physiquement mais aussi et surtout idéologiquement. Une des expressions de cette différence est constituée par le fait que si les partis socialistes avaient trahi la classe ouvrière au moment de la première guerre mondiale, les partis communistes ont commis cette trahison bien avant le déclenchement de la seconde. Une des conséquences de ce fait, c'est qu'il ne subsiste plus en leur sein le moindre courant révolutionnaire, contrairement à ce qui s'était passé lors de la première guerre mondiale où la plupart des militants qui allaient constituer les partis communistes étaient déjà membres des partis socialistes. Dans cette terrible contre-révolution qui s'est abattue au cours des années 1930, les militants qui continuent de défendre des positions communistes sont une petite poignée et sont coupés de tout lien direct avec une classe ouvrière complètement soumise à l'idéologie bourgeoise. Il leur est impossible de développer un travail au sein des partis qui ont une influence dans la classe ouvrière, comme avaient pu le faire les révolutionnaires au cours de la première guerre mondiale, parce que non seulement ils ont été chassés de ces partis, mais parce qu'il n'existe plus le moindre souffle de vie prolétarienne dans ces partis. Ceux qui avaient maintenu des positions révolutionnaires lors de l'éclatement de la première guerre mondiale, tels Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, avaient pu rencontrer un écho croissant à leur propagande parmi les militants de la social-démocratie au fur et à mesure que la guerre chassait les illusions. Rien de tel pour les partis communistes : à partir du début des années 1930, ils deviennent un terrain totalement stérile pour l'éclosion d'une pensée prolétarienne et internationaliste. Au cours de la guerre, les quelques petits groupes révolutionnaires qui ont maintenu les principes internationalistes n'ont qu'un impact tout à fait insignifiant sur leur classe, laquelle s'est laissée complètement piéger par les idéologies anti-fascistes.

L'autre raison pour laquelle il n'y a pas le moindre surgissement prolétarien dans la seconde guerre impérialiste, c'est que la bourgeoisie mondiale, instruite par l'expérience de la fin de la première a pris soin de prévenir systématiquement de tels surgissements dans les pays vaincus, ceux justement où la bourgeoisie était la plus vulnérable. En Italie, par exemple, le moyen par lequel la classe dominante surmonte le soulèvement de 1943 consiste en un partage des tâches entre l'armée allemande, qui vient directement occuper le nord de l'Italie, en y rétablissant le pouvoir de Mussolini, et les alliés qui ont débarqué dans le Sud. Dans le Nord, ce sont les troupes allemandes qui rétablissent l'ordre avec la brutalité la plus extrême contraignant les ouvriers qui se sont mis le plus en avant lors des mouvements du début 1943, à se réfugier dans les maquis où, coupés de leurs bases de classe, ils deviennent des proies faciles de l'idéologie anti­fasciste et de la "libération nationale". En même temps, les alliés interrompent leur marche vers le Nord, en décidant qu'il faut laisser l'Italie "mijoter dans son jus" (suivant les mots de Churchill) afin de laisser le soin au "méchant", l'Allemagne, de faire le sale travail de la répression anti-ouvrière et de permettre aux forces démocratiques, particuliè­rement le parti stalinien, de prendre le contrôle idéologique de la classe ouvrière.

Cette tactique est appliquée également en Pologne où, alors que l'"Armée rouge" se trouve à quelques kilomètres de Varsovie, Staline laisse se développer sans aucun secours l'insurrection dans cette ville. L'armée allemande n'a plus qu'à procéder à un véritable bain de sang et à raser complètement la ville. Lorsque l'Armée rouge entre dans Varsovie, plusieurs mois plus tard, les ouvriers de cette ville, qui auraient pu lui poser des problèmes, ont été massacrés et désarmés.

En Allemagne même, les alliés se chargent d'écraser toute tentative de soulèvement ouvrier en procédant d'abord à une campagne abominable de bombar­dements sur les quartiers ouvriers (à Dresde, les 13 et 14 février 1945, les bombardements font plus de 250 000 morts, soit trois fois plus qu'à Hiroshima). De plus, les Alliés refusent toutes les tentatives d'armistice proposées par plusieurs secteurs de la bourgeoisie allemande et par des militaires de renom, comme le Maréchal Rommel et l'Amiral Canaris, chef des services secrets. Pour les vainqueurs, il est hors de question de laisser l'Allemagne entre les mains de la seule bourgeoisie de ce pays, même aux secteurs anti-nazis de celle-ci. L'expérien­ce de 1918, où le gouvernement qui avait pris la relève du régime impérial avait éprouvé les plus grandes difficultés à rétablir l'ordre, est encore dans la tête des hommes politiques bourgeois. Aussi décident-ils que les vainqueurs doivent prendre directement en main l'adminis­tration de l'Allemagne vaincue et occuper militairement chaque pouce de son territoire. Le prolétariat d'Allemagne, ce géant qui, pendant des décennies, avait été le phare du prolétariat mondial et qui, entre 1918 et 1923 a fait trembler le monde capitaliste, est maintenant prostré, accablé, éparpillé en une multitude de pauvres hères parcourant les décombres pour retrouver leurs morts ou quelque objet familier, soumis à la bienveillance des "vainqueurs" pour manger et survivre. Dans les pays vainqueurs, beaucoup d'ouvriers sont entrés dans la Résistance avec l'illusion, propagée par les partis staliniens, que la lutte armée contre le nazisme était le prélude au renversement de la bourgeoisie. En réalité, dans les pays qui sont sous la domination de l'URSS, ces ouvriers sont conduits à soutenir la mise en place de régimes staliniens (comme lors du coup de Prague, en 1948), des régimes qui, une fois consolidés, vont s'empresser de désarmer les ouvriers et d'exercer sur eux la plus brutale des terreurs. Dans les pays dominés par les Etats-Unis, tels la France ou l'Italie, les partis staliniens au gouvernement demandent aux ouvriers de rendre leurs armes puisque, la tâche de l'heure n'est pas la révolution, mais la "reconstruction nationale".

Ainsi, partout dans une Europe qui n'est plus qu'un immense champ de ruines, où des centaines de millions de prolétaires subissent des conditions de vie et d'exploitation bien pires encore qu'au  moment de la première guerre mondiale, où la famine rôde en permanence, où plus que jamais le capitalisme étale sa barbarie, la classe ouvrière ne trouve pas la force d'engager le moindre combat d'importance contre la domination capitaliste. La première guerre mondiale avait gagné des millions d'ouvriers à l'internationalisme, la seconde les a jetés dans les bas fonds du plus abject chauvinisme, de la chasse aux "boches" et aux "collabos".

Le prolétariat a touché le fond. Ce qu'on lui présente, et qu'il interprète, comme sa grande "victoire", le triomphe de la démocratie contre le fascisme, constitue sa défaite historique la plus totale. Le sentiment de victoire qu'il  éprouve, la croyance que cette "victoire" entraîne dans les "vertus sacrées" de la démocratie bourgeoise, cette même démocratie qui l'a conduit dans deux boucheries impérialistes et qui a écrasé sa révolution au début des années 1920, l'euphorie qui le submerge, sont les meilleurs garants de l'ordre capitaliste. Et pendant la période de reconstruction, celle du "boom" économique de l'après guerre,  l'amélioration momentanée de ses conditions de vie ne lui permet pas de mesurer la défaite véritable qu'il a subie.

Une nouvelle fois, le prolétariat a manqué un rendez-vous avec l'histoire. Mais cette fois-ci, ce n'est pas parce qu'il est arrivé tard ou mal préparé : il a carrément été absent de la scène historique.

Nous verrons, dans la seconde partie de cet article comment il a réussi à revenir sur cette scène, mais combien  son chemin est encore long.

Fabienne.

[1] [12] Pour une présentation de Bordiga voir notre article de Débat avec le BIPR dans ce numéro.

[2] [13] Karl Marx, Oeuvres, Economie 1, Bibliothèque de la Pléiade, pages 161 -162.

[3] [14] Ibid. page 173. Cette phrase du Manifeste communiste est d'ailleurs reprise dans le livre I du Capital (le seul publié du vivant de Marx) auquel elle sert de conclusion humaine sont toujours présentes, comme continuent d'être présents les antago­nismes entre Etats qui pourraient un jour aboutir à l'emploi de ces armes.

[4] [15] Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, Editions sociales

[5] [16] Rosa Luxemburg, "L'ordre règne à Berlin", Oeuvres II, Petite collection Maspero, pages 134-135.

[6] [17] Le Manifeste communiste, Karl Marx, Oeuvres, Economie 7, Bibliothèque de la Pléiade, pages 162-163

[7] [18] Lénine décrit de façon saisissante les conditions de la révolution : "Quelles sont d'une façon générale, les indices d'une situation révolutionnaire ? Nous sommes certains de ne pas nous tromper en indiquant les trois principaux indices que voici :

  • 1) Impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée ; crise du «sommet», crise de la politique de la classe dominante, et qui crée une fissure par laquelle le mécontentement et l'indignation des classes opprimées se fraient un chemin. Pour que la révolution éclate, Une suffit pas, habituellement que 'la base ne veuille plus ' vivre comme auparavant, mais il importe encore que 'le sommet ne le puisse plus ' ;
  • 2) Aggravation, plus qu'à l'ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées ;
  • 3) Accentuation marquée, pour les raisons indiquées plus haut, de l'activité des masses, qui se laissent tranquillement piller dans les périodes 'pacifiques ', mais qui, en période orageuse, sont poussées, tant par la crise dans son ensemble que par le 'sommet' lui-même, vers une action historique indépendante."  ("La faillite de la 2e Internationale ", Oeuvres, T. 21)

[8] [19] Passage cité dans la "Résolution sur la position envers les courants socialistes et la conférence de Berne", in Premier congrès de l'Internationale communiste", EDI.

[9] [20] Rosa Luxemburg exprimait clairement cette idée quand elle écrivait : "En Allemagne, pendant quatre décennies, nous n'avons connu sur le plan parlementaire que des «victoires» ; nous volions littéralement de victoire en victoire. Et quel a été le résultat lors de la grande épreuve historique du 4 août 1914 : une défaite morale et politique écrasante, un effondrement inouï, une banqueroute sans exemple." (Oeuvres II, Ecrits politiques 1917-18, Petite collection Maspéro)

[10] [21] Voir notre série d'articles sur la révolution allemande dans la Revue internationale entre les numéros 81 et 99. 

[11] [22] Voir notre article "Enseignements de 1917-23 : la première vague révolutionnaire du prolétariat mondial" dans la Revue internationale n° 80,1er trimestre 1995.

 

 

Questions théoriques: 

  • Le cours historique [23]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [24]

'Révolution' serbe : une victoire de la bourgeoisie

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Au moment où nous bouclons ce numéro, la situation connaît un nouveau soubresaut dans l'ex-Yougoslavie à propos duquel nous tenons à prendre position immédiatement - c'est notre responsabilité d'organisation révolutionnaire du prolétariat qui l'exige -, même si cette prise de position ne peut être que brève. Nos lecteurs peuvent être sûrs que nous allons développer très rapidement notre analyse, et notre intervention etre intervention en générale, sur cette question en particulier à travers nos différentes publications territoriales.

Ainsi donc, si l'on en croit les médias de la bourgeoisie, et notamment les images rapportées par toutes les télévisions des prétendues grandes démocraties, nous assistons depuis deux jours, à Belgrade, à un événement historique majeur : "une révolution démocratique pacifique" accomplie par le peuple serbe et la chute de Milosevic, c'est-à-dire la fin de "la dernière dictature national-communiste d'Europe". Tout va ainsi pour le mieux, dans le meilleur des mondes capitalistes ! Et cet "événement historique" est encensé, salué par tous les chefs d'Etat et autres dirigeants des grands puissances "démocratiques", ceux-là mêmes qui avaient, l'an dernier seulement, déchaîné la guerre, avec ses destructions massives et ses massacres, en multipliant les bombardements sur le Kosovo et la Serbie. C'était bien sûr, on s'en souvient encore, au nom de la nécessaire "ing&eacure "ingérence humanitaire" qui devait empêcher Milosevic et ses chiens sanglants de continuer à perpétrer leurs terribles exactions au Kosovo.

Immédiatement, notre organisation avait répondu à tous ces hypocrites et les avait dénoncés en tant que "pompiers pyromanes" en rappelant leurs responsabilités, à tous, dans le déchaînement de la barbarie particulièrement dans cette région du monde : "Les politiciens et les médias des pays de l'OTAN nous présentent la guerre actuelle comme une action de "défense des droits de l'homme" contre un régime particulièrement odieux, responsable, entre autres méfaits, de la "purification ethnique" qui a ensanglanté l'ex-Yougoslavie depuis 1991. En réalité, les puissances "démocratiques" n'ont rien à faire du sort de la population du Kosovo, tout comme elles se moquaient royalement du sort des populations kurdes et chiites en Irak qu'elles ont laissé massacrer par les troupes de Saddam Hussein après la guerre du Golfe. Les souffrances des populations civiles persécut&eaes persécutées par tel ou tel dictateur ont toujours été le prétexte permettant aux grandes "démocraties" de déchaîner la guerre au nom d'une "juste cause"." (Revue Internationale n°97).

Un peu plus tard, nous insistions : "Qui, sinon les grandes puissances impérialistes durant ces dix ans, ont permis aux pires cliques et mafias nationalistes croates, serbes, bosniaques, et maintenant kosovars, de déchaîner leur hystérie nationaliste sanglante et l'épuration ethnique généralisée dans un processus infernal ? Qui, sinon l'Allemagne, a poussé à l'indépendance unilatérale de la Slovénie et de la Croatie, autorisant et précipitant les déferlements nationalistes dans les Balkans, aux massacres et à l'exil des populations serbes puis bosniaques ? Qui, sinon la Grande-Bretagne et la France, ont cautionné la répression, les massacres des populations croates et bosniaques et l'épuration ethnique de Milosevic et des nationalistes grand-serbes ? Qui, sinon les Etats-Unis, ont soutenu puis équipé les diff&eaccute; les différentes bandes armées en fonction du positionnement de leurs rivaux à tel ou tel moment ? L'hypocrisie et la duplicité des démocraties occidentales "alliées" sont sans borne quand celles-ci justifient les bombardements par "l'ingérence humanitaire"." (Revue internationale n° 98)

Si, aujourd'hui, tous ces grands gangsters impérialistes n'ont pas de mots pour saluer "le réveil" du peuple serbe qui a, selon eux, "le courage et la fierté" de se débarrasser d'un dictateur sanguinaire, à travers leur discours trompeurs, ils veulent surtout faire croire que les événements actuels sont la justification parfaite de leurs bombardements meurtriers de l'an dernier. Le Monde, cet éminent porte-parole de la classe dominante en France, l'affirme sans détours : "... en décidant tardivement d'affronter militairement le pouvoir serbe, l'Europe et les Etats-Unis auront sans conteste affaibli et isolé un peu plus de son peuple le maître de Belgrade." Les prétendues grandes démocraties n'ont-elles pas eu raison, et n'auront-elles past n'auront-elles pas raison à l'avenir, d'intervenir par la force au nom de l'indispensable "ingérence humanitaire" ? Sous couvert de "défendre les droits de l'homme dans le monde", elles veulent ainsi pouvoir avoir les mains libres pour en découdre entre elles et, de ce fait, multiplier les massacres et les destructions. De ce point de vue, ce qui se passe actuellement à Belgrade (sans oublier l'utilisation qui en est fait idéologiquement) est déjà un succès pour la bourgeoisie.

Un autre plan sur lequel la classe dominante a encore cherché à marquer des points, c'est celui de "la démocratie" et de sa prétendue "marche triomphale" contre toutes les formes de dictatures. Selon elle, les heures "historiques" que nous vivons n'en sont-elles pas une manifestation éclatante ? Mais ce battage est d'autant plus efficace aujourd'hui que les médias bourgeois se font fort de souligner que, parmi les principaux responsables de la chute de Milosevic, parmi les grands promoteurs de la victoire de la démocratie, il y a la classe ouvrière serbe qui a répondu à l'appel "à la d&eaquot;à la désobéissance civile" lancé par le vainqueur des élections, Kostunica, ce grand bourgeois nationaliste, longtemps complice en Bosnie du sanguinaire Karadjic et qu'on nous présente maintenant comme un grand pourfendeur de dictature. Une place de choix est effectivement faite, dans les colonnes de la presse bourgeoise, à ces secteurs ouvriers qui, comme les mineurs de Kolubara, ont développé des grèves pour défendre la "cause démocratique". Si la classe dominante internationale a un souhait profond c'est que cet exemple puisse s'exporter partout dans le monde et particulièrement dans les grands centres ouvriers des pays du coeur du capitalisme.

En ce moment, tout le monde n'a que le mot "révolution" à la bouche pour caractériser la situation à Belgrade mais il ne s'agit en réalité que d'une révolution de dupes. La victoire de la "démocratie", c'est-à-dire des forces bourgeoises qui la représentent, n'est qu'une victoire de la classe capitaliste mais en aucun cas celle du prolétariat.

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Pologne 1980 : Des leçons toujours valables pour le combat du prolétariat mondial

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Il y a vingt ans, en août 1980 en Pologne, s'est produit le mouvement le plus important de la lutte du prolétariat mondial depuis la fin de la vague révolutionnaire qui avait surgi de la première guerre mondiale et s'était poursuivie au début des années 1920. Dans des circonstances comme celles d'aujourd'hui où l'idéologie dominante rejette l'idée même que la classe ouvrière ait une existence réelle, a fortiori qu'elle pourrait agir comme une force capable de défendre ses intérêts, il est essentiel pour les organisations révolutionnaires de rappeler aux ouvriers le surgissement le plus important de la lutte de classe depuis près de 80 ans.

Pour les ouvriers les plus jeunes, le rappel des événements de Pologne en 1980-81 peut se présenter comme la révélation d'un passé récent quand la classe ouvrière montrait clairement qu'elle était une force avec laquelle la société capitaliste devait compter. Pour les ouvriers plus âgés qui sont peut-être devenus plus sceptiques, un rappel des potentialités de la classe ouvrière devrait agir comme antidote aux mensonges empoisonnés actuels sur la "globalisation", les miracles de la "nouvelle économie" et la prétendue fin de la lutte de classe.

Les luttes de Pologne 1980 ont apporté de nombreux enseignements au prolétariat mondial, et nous reviendrons sur quelques uns d'entre eux à la fin de cet article. Mais un des enseignements qui s'est imposé à cette époque, et qui aujourd'hui est totalement occulté par les campagnes idéologiques de la bourgeoisie, c'est que les luttes que menaient les ouvriers dans les prétendus "pays socialistes" étaient fondamentalement de même nature que les luttes que menaient les ouvriers dans les pays occidentaux, ouvertement capitalistes. En ce senslistes. En ce sens, elles mettaient en évidence que dans les pays de l'Est, la classe ouvrière était exploitée au même titre que dans les pays capitalistes, ce qui revenait à constater que, de son point de vue, le "socialisme réel" était réellement du capitalisme. En fait, cet enseignement n'était pas réellement nouveau. Les révolutionnaires n'avaient pas attendu 1980 pour identifier comme capitalistes les régimes auto-proclamés socialistes. Depuis des décennies, avant même la constitution des "démocraties populaires", ils avaient clairement dit que la prétendue "patrie socialiste" russe chère aux staliniens n'était pas autre chose qu'un pays capitaliste et impérialiste. dans laquelle les ouvriers subissaient une exploitation féroce au bénéfice d'une classe bourgeoise recrutée dans l'appareil du parti "communiste". Aussi, ils n'avaient pas été surpris lorsqu'en 1953, les ouvriers de Berlin Est s'étaient soulevés contre le régime de l'Allemagne "socialiste", lorsqu'en 1956 les ouvriers de Pologne, et surtout de Hongrie, s'étaient révoltés contre l'Etat "socialiste", allant m&ecuot;, allant même dans ce dernier pays jusqu'à s'organiser en conseils ouvriers avant d'être massacrés par les chars de l'Armée "rouge". En réalité, les combats de Pologne 1980 avaient été préparés par toute une série de luttes ouvrières dans ce pays, des luttes que nous allons rappeler brièvement.

Les luttes en Pologne avant 1980

En juin 1956 il se produit une série de grèves en Pologne qui culmine par une grève insurrectionnelle à Poznan qui sera écrasée par l'armée. Lorsque d'autres grèves se produisent ensuite ainsi que de nombreuses manifestations et de multiples affrontements avec la police dans beaucoup d'endroits du pays, l'Etat polonais ne peut plus compter uniquement sur la répression brutale. C'est avec la nomination d'un nouveau dirigeant "réformiste", Gomulka, que la classe dominante se rend capable de contrôler la situation avec un stratégie nationaliste qui empêche toute possibilité de liaison avec la lutte qui se avec la lutte qui se déroule au même moment en Hongrie.

Durant l'hiver 1970-71, les ouvriers répondent massivement à une hausse brutale des prix de 30 % et plus. En même temps que les grèves, se déroulent des affrontements avec les forces de sécurité et des attaques contre les sièges du Parti stalinien. Malgré la répression de l'Etat, le gouvernement est débordé par l'extension du mouvement des ouvriers et les hausses de prix sont annulées. Pendant les grèves Gomulka est remplacé par Gierek, mais sans que cela n'enraye le cours des luttes ouvrières. En juin 1976, en réponse aux premières hausses de prix depuis 1970, il se produit des grèves et des affrontements avec les forces de sécurité. Les hausses de prix sont annulées, mais la répression de l'Etat entre en action avec des licenciements massifs et des centaines d'arrestations d'ouvriers.

Avec l'expérience de telles luttes, il n'est pas surprenant que les ouvriers aient pu faire preuve d'une intelligence remarquable des nécessités et des moyens de leur lutte lorsqu'il se lancent dans le mouvement de 1980.

L'échelle massive des luttes de 1980

Pour se faire une idée de pourquoi les grèves de Pologne ont eu un tel écho à l'époque, pour comprendre pourquoi le CCI a publié immédiatement un tract international sur les leçons du mouvement, et pourquoi c'est une expérience internationale de la classe ouvrière qui mérite encore toute l'attention deux décennies plus tard, il est nécessaire de donner un aperçu de ce qui s'est passé. Ce qui suit est en partie basé sur un article paru dans la Revue internationale n° 23 (bien que ce ne soit pas le seul numéro sur ces événements, puisque toutes les numéros 23 à 29 de la Revue internationale tirent des leçons du mouvement).

"Le 1er juillet 1980, à la suite de fortes augmentation sur les prix de la viande [jusqu'à 60 %], des grèves éclatent à Ursus (banlieue de Varsovie) dans l'usine de tracteurs qui s'était trouvée au coeur de la coute;e au coeur de la confrontation avec le pouvoir en juin 1976, ainsi qu'à Tcsew [dans une usine de pièces d'automobiles] dans la région de Gdansk [dans une usine de peinture et une usine pétro-chimique]. A Ursus, les ouvriers s'organisent en assemblées générales, rédigent un cahier de revendications, élisent un comité de grève. Ils résistent aux menaces de licenciements et de répression et vont débrayer à de nombreuses reprises pour soutenir le mouvement.

Entre le 3 et le 10 juillet, l'agitation se poursuit à Varsovie (usines de matériel électrique, imprimerie), à l'usine d'aviation de Swidnick, [20 000 ouvriers à] l'usine d'automobiles de Zeran, à Lodz, à Gdansk. Un peu partout, les ouvriers forment des comités de grève. Leurs revendications portent sur des augmentations de salaires et l'annulation de la de la hausse des prix. Le gouvernement promet des augmentations : 10 % d'augmentation en moyenne (souvent : 20 %) accordées généralement plus aux grévistes qu'aux non grévistes afin de calmer (!) le mouvement.

A la mi-juillet, la gr&egrai-juillet, la grève gagne Lublin. Les cheminots, les transports puis l'ensemble des industries de cette ville arrêtent le travail. Les revendications : élections libres aux syndicats, sécurité garantie aux grévistes, maintien de la police hors des usines, et des augmentations de salaires. [Il est demandé à des unités militaires d'assurer les fournitures d nourriture à la ville.]

Le travail reprend dans certaines régions mais des grèves éclatent ailleurs. Krasnik, l'aciérie Skolawa Wola [qui emploie 30 000 ouvriers], la ville de Chelm (près de la frontière russe), [Ostrow-Wielkopolski, 20 000 ouvriers d'une usine d'hélicoptères à] Wroclaw sont touchées [en même temps qu'une centaine d'autres grèves] durant le mois de juillet par la grève. Le département K1 du chantier naval de Gdansk a débrayé, également le complexe sidérurgique de Huta-Varsovie. Partout les autorités cèdent et accordent des augmentations de salaires. Selon le "Financial Times", le gouvernement a établi au cours du mois de juillet un fond de quatre milliards de zlotys pour payer ces augmentatiopayer ces augmentations. Des agences officielles sont priées de rendre disponibles immédiatement de la "bonne" viande pour les usines qui débrayent. Vers la fin juillet, le mouvement semble refluer ; le gouvernement pense avoir stoppé le mouvement en négociant au coup par coup, usine par usine. Il se trompe.

L'explosion ne fait que couver comme le montre début août la grève des éboueurs de Varsovie (qui a duré une semaine). Le 14 août, le renvoi d'une militante des Syndicats libres provoque l'explosion d'une grève [de 17 000 ouvriers] au chantier Lénine à Gdansk. L'assemblée générale dresse une liste de 11 revendications ; les propositions sont écoutées, discutées, votées. L'assemblée décide l'élection d'un comité de grève mandaté sur les revendications : y figurent la réintégration des militants, l'augmentation des allocations sociales, l'augmentation des salaires de 2000 zlotys (salaire moyen : 3000 à 4000 zlotys), la dissolution des syndicats officiels, la suppression des privilèges de la police et des bureaucrates, la construction d'un monument en l'honneur des ment en l'honneur des ouvriers tués par la milice en 1970, la publication immédiate des informations sur la grève. La direction cède sur la réintégration de Anna Walentynowisz et de Lech Walesa ainsi que sur la proposition de faire construire un monument. Le comité de grève rend compte de son mandat devant les ouvriers l'après-midi et les informe sur les réponses de la direction. L'assemblée décide la formation d'une milice ouvrière ; l'alcool est saisi. Une seconde négociation avec la direction reprend. Les ouvriers installent un système de sonorisation pour que toutes les discussions puissent être entendues. Mais bientôt on installe un système qui permet aux ouvriers réunis en assemblée de se faire entendre dans la salle des négociations. Pendant la plus grande partie de la grève, et ce jusqu'au dernier jour avant la signature du compromis, des milliers d'ouvriers interviennent du dehors pour exhorter, approuver ou renier les discussions du comité de grève. Tous les ouvriers licenciés du chantier naval depuis 1970 peuvent revenir à leurs postes. La direction cède sur les augmentations de salaires et garantit la sécurité aux grévistes.

Le 15 août, la grève générale [de plus de 50 000 ouvriers] paralyse la région de Gdansk. Les chantiers navals "La Commune de Paris" à Gdynia débrayent. Les ouvriers occupent les lieux et obtiennent 2100 zlotys d'augmentation immédiatement. Ils refusent cependant de reprendre le travail car "Gdansk doit gagner aussi". Le mouvement à Gdansk a eu un moment de flottement : des délégués d'atelier hésitent à aller plus loin et veulent accepter les propositions de la direction. Des ouvriers venus d'autres usines de Gdansk et de Gdynia les convainquent de maintenir la solidarité. On demande l'élection de nouveaux délégués plus à même d'exprimer le sentiment général. Les ouvriers venus de partout forment à Gdansk un comité inter-entreprise [le MKS] dans la nuit du 15 août et élaborent un cahier de 21 revendications.

Le comité de grève compte 400 membres, 2 représentants par usine ; ce nombre atteindra 800 à 1000 quelques jours plus tard. Des délégations font le va et vient entre leurs entreprises et le comitntreprises et le comité de grève central, utilisant parfois des cassettes pour rendre compte de la discussion. Les comités de grève dans chaque usine se chargent de revendications spécifiques, l'ensemble se coordonne. Le comité d'usine des chantiers Lénine comporte 12 ouvriers, un par atelier, élus à main levée après débat. Deux sont envoyés au comité de grève central inter-entreprise et rendent compte de tout ce qui se passe 2 fois par jour.

Le 16 août, toutes les communications téléphoniques avec Gdask sont coupées par le gouvernement. Le comité de grève nomme un Présidium où prédominent des partisans des syndicats libres et des oppositionnnels. Les 21 revendications diffusées le 16 août commencent avec un appel pour la reconnaissance des syndicats libres et indépendants et du droit de grève. Et ce qui était le point 2 des 21 revendications est passé à la 7e place : 2000 zlotys pour tous.

[Le 17 août, la radio locale de Gdansk rapport que le "climat des discussions dans certaines usines est devenu alarmanes est devenu alarmant".]

Le 18 août dans la région de Gdansk-Gdynia-Sopot, 75 entreprises sont paralysées. Il y a environ 10 000 grévistes ; on signale des mouvements à Szczecin et à Tarnow à 80 kilomètres au sud de Cracovie. Le comité de grève organise le ravitaillement : des entreprises d'électricité et d'alimentation travaillent à la demande du comité de grève. Les négociations piétinent, le gouvernement se refuse à parler avec le comité inter-entreprise. Les jours suivants, viennent des nouvelles de grèves à Elblag, à Tczew, à Kolobrzeg et dans d'autres villes. On estime que 300 000 ouvriers sont en grève [y inclus 120 000dans la région de Gdansk dans plus de 250 usines. Le 22 août plus de 150 000 ouvriers de la région de Gdansk, 30 000 à Szczecin, sont en grève]. Le bulletin du comité de grève du chantier Lénine Solidarité est quotidien ; des ouvriers de l'imprimerie aident à publier des tracts et des publications. [Les publications staliniennes parlent d'un "danger de déstabilisation politique et sociale permanenteet sociale permanente"]

Le 26 août, les ouvriers réagissent avec prudence aux promesses du gouvernement, restent indifférents aux discours de Gierek. Ils refusent de négocier tant que les lignes téléphoniques sont coupées à Gdansk.

Le 27 août, des "laissez-passer" pour Gdansk venant du gouvernement à Varsovie sont donnés aux dissidents pour se rendre auprès des grévistes en tant qu' "experts", pour calmer ce monde à l'envers. Le gouvernement accepte de négocier avec le président du comité de grève central et reconnaît le droit de grève. Des négociations parallèles ont lieu à Szczecin à la frontière de la RDA. Le cardinal Wyszynski lance un appel à l'arrêt de la grève ; des extraits passent à la télévision. Les grévistes envoient des délégations à l'intérieur du pays pour chercher la solidarité.

Le 28 août, les grèves s'étendent, elles touchent les usines de cuivre et de charbon en Silésie dont les ouvriers ont le niveau de vie ont le niveau de vie le plus élevé du pays. Les mineurs, avant même de discuter de la grève, et d'établir des revendication précises, déclarent qu'ils cesseront le travail immédiatement "si on touche à Gdansk". Ils se mettent en grève "pour les revendications de Gdansk". Trente usines sont en grève à Wroclaw, à Poznan (les usines qui ont commencé le mouvement en 1956), aux aciéries de Nowa Huta et à Rzeszois, la grève se développe. Des comités inter-entreprise se forment par région. Ursus envoi des délégués à Gdansk. Au moment de l'apogée de la généralisation, Walesa déclare : "Nous ne voulons pas que les grèves s'étendent parce qu'elles pousseraient le pays au bord de l'effondrement. Nous avons besoin du calme pour conduire les négociations." Les négociations entre le Présidium et le gouvernement deviennent privées ; la sonorisation est de plus "en panne" aux chantiers. Le 29 août les discussions techniques entre le Présidium et le gouvernement aboutissent à un compromis : les ouvriers auront des syndicats libres à condition qu'ils acceptent ls acceptent :

1. le rôle suprême du parti dirigeant ;

2. la nécessité de soutenir l'appartenance de l'Etat polonais au bloc de l'est ;

3. que le syndicat libre ne joue pas un rôle politique.

L'accord est signé le 31 août à Szczecin et à Gdansk. Le gouvernement reconnaît des syndicats autogérés comme dit son porte-parole : "la nation et l'Etat ont besoin d'une classe ouvrière bien organisée et consciente". Deux jours après les 15 membres du Présidium donnent leur démission aux entreprises où ils travaillent et deviennent des permanents des nouveaux syndicats. Ensuite, ils seront obligés de nuancer leurs positions, des salaires de 8000 zlotys ayant été annoncés pour eux ; cette information a été démentie par la suite face au mécontentement des ouvriers.

Il avait fallu plusieurs jours pour que ces accords puissent être signés. Des déclarations d'ouvriers de Gdansk les montrent moroses, méfiants, d&eac méfiants, déçus. Certains en apprenant que l'accord ne leur apporte que la moitié des augmentations déjà obtenues le 15 août crient : "Walesa tu nous as vendus". Beaucoup d'ouvriers ne sont pas d'acord avec le point reconnaissant le rôle du parti et de l'Etat.

La grève des mines de charbon de la Haute Silésie et des mines de cuivre dure jusqu'au 3 septembre pour que les accords de Gdansk s'étendent à tout le pays. Pendant le mois de septembre les grèves continuent : à Kielce, à Bialystok, parmi les ouvrières de la filature de coton, dans le textile, dans les mines de sel en Silésie, dans les transports à Katowice." A la mi-octobre 1980 on estima que les grèves avaient touché plus de 4800 entreprises dans toute la Pologne.

Bien que les plus hauts moments de la grève de masse se soient produits en août 1980, la classe ouvrière a gardé l'initiative contre les premières réponses incohérentes de la bourgeoisie polonaise pendant plusieurs mois, jusqu'au début 1981. Malgré les accords signés à Gdansk, les luttes ouvrières se poursuivent, avec occ poursuivent, avec occupations d'usines, grèves et manifestations. Les revendications ouvrières se développent, les revendications économiques s'amplifient en profondeur et en étendue et les revendications politiques deviennent de plus en plus radicales. En novembre 1980, par exemple, les revendications des mouvements qui se déroulent autour de la région de Varsovie portent sur le contrôle de la police, de l'armée, des milices et des procureurs. De telles revendications pour la limitation de l'appareil répressif du gouvernement capitaliste ne peuvent être tolérées nulle part dans le monde car elles mettent en question la véritable force qui garantit la dictature de la bourgeoisie.

Au niveau économique, on assiste à des occupations des administrations du gouvernement en protestation contre le rationnement de viande. Ailleurs, se produisent des grèves et des protestations contre la ration de viande allouée pour la période de Noël. Solidarnosc se prononce explicitement contre ces actions puisqu'il fait campagne depuis quelque temps pour l'introduction du rationnement de la viande.

La coopération impérialiste et la fin du mouvement

Confrontée à ces luttes, la réponse de la classe dominante en Pologne a été particulièrement faible. Du fait de l'extension du mouvement des ouvriers, elle ne peut pas prendre le risque de recourir à la répression directe dès le début. Cela ne veut pas dire que la menace de répression n'est pas utilisée constamment par Solidarnosc comme raison pour interrompre la lutte. La menace ne vient pas seulement de l'Etat polonais mais aussi des forces de l'impérialisme russe. Elles sont préoccupées à juste raison par la possibilité que ce mouvement n'inspire des luttes dans les pays voisins. La menace d'intervention prend une forme concrète quand, en novembre 1980, sont publiés des rapports sur des concentrations de forces du Pacte de Varsovie se regroupant aux frontières polonaises. Même si les dirigeants des Etats-Unis et de l'Europe de l'Ouest font les avertissements d'usage contre une intervention russe en Pologne, comme ils l'avaient fait en Hongrie en 1956 et en Tchécoslovaquie en 1968, ces avertissements sont des paroles cnts sont des paroles creuses. Joseph Luns, à l'époque secrétaire général de l'OTAN, avait déjà dit, en octobre 1980, que des représailles militaires contre une invasion russe étaient improbables. Quand on en arrive à un niveau de lutte de classe comme en Pologne, les ennemis impérialistes n'ont aucune divergence dans leur volonté de retour à l'ordre social et d'écrasement des luttes ouvrières. En réalité, les avertissements occidentaux ont un objectif bien précis : ils visent à créer parmi les ouvriers polonais un sentiment de peur face à l'éventualité d'une intervention des chars russes. Il connaissent ce qui s'est passé en Hongrie en 1956 où ces chars ont fait des milliers de morts. Cependant le mouvement de luttes se poursuit.

Le 10 janvier 1981, alors que Solidarnosc discute de la question du travail du samedi avec le gouvernement, 3 millions d'ouvriers ne retournèrent pas au travail et l'industrie lourde est mise en état d'alerte. En cette occasion, Lech Walesa appelle à la non-confrontation avec le gouvernement.

En janvier et février 1981, se déroulent des grèves demands grèves demandant le remplacement d'officiels corrompus. La région du sud est paralysée par une grève générale prolongée de 200 000 ouvriers dans quelques 120 entreprises. Il y avait des grèves à Bydgoszcz, Gdansk, Czestochowa, Kutno, Poznan, Legnica, Kielce. "Nous voulons arrêter ces grèves anti-corruption. Sinon, tout le pays devra se mettre en grève" déclare un des leaders de Solidarnosc. Le 9 février, à Jelenia Gora (à l'ouest de la Pologne), se déclenche une grève générale de 300 000 ouvriers dans 450 entreprises exigeant qu'un sanatorium du gouvernement réservé aux bureaucrates soit transformé en hôpital. Il y a d'autres actions par la suite à Kalisz, Suwalki, Katowice, Radom, Nowy Sacs, Szczecin et Lublin - toutes ont lieu après que Jaruzelski ait été nommé Premier ministre et que Solidarnosc ait répondu avec enthousiasme à sa proposition de gel des luttes pour une période de 90 jours.

Le remplacement de Kania par Jaruzelski en février 1981, tout comme le remplacement antérieur de Gierek par Kania en septembre 1980 constituent des réorientations impacute;orientations importantes pour la bourgeoisie polonaise. Mais, par elles-mêmes, elles ne permettent pas d'apaiser les luttes des ouvriers. Ces derniers ont déjà assisté aux aller-retour au pouvoir de Gomulka et ils savent qu'un changement au sommet ne modifiera pas les politiques de l'Etat.

En mars se profile la menace d'une grève générale nationale en réponse à la violence de la police à Bydgoszcz. Finalement, Solidarnosc retire son appel après un accord avec le gouvernement. Le syndicat reconnait qu'"il y avait quelque justification à l'intervention de la police à Bydgoszcz à cause du climat de tension dans la ville." Dans la période qui suit Bydgoszcz, sept commissions gouvernement-syndicat sont mises en place pour institutionnaliser officiellement la collaboration entre le gouvernement et Solidarnosc.

Cependant, les luttes ne sont pas terminées. A la mi-juillet 1981, des augmentations de prix de 400 % sont annoncées en même temps que des réductions des rations de viande pour août et septembre. Grèves et manifestations de la faim reprennent. Solidarnosc appelle à la fin des protestations. Beaucoup d'autres questcoup d'autres questions sont également soulevées - la corruption, la répression tout comme le rationnement. A la fin septembre, les deux tiers des provinces de la Pologne étaient affectés. La vague de grève continue à se développer encore à la mi-octobre 1981.

Bien que les annonces estivales du gouvernement aient été clairement menaçantes, ce n'est que le 13 décembre 1981 que le serrage de vis du pouvoir militaire est entrepris. L'Etat disposait de 300 000 soldats et de 100 000 policiers. Mais ce n'est que 17 mois après le début du mouvement que la classe dominante polonaise se sent suffisamment en confiance pour attaquer physiquement les grèves ouvrières, les occupations et les manifestations. Cette confiance lui vient du constat de l'efficacité du travail réalisé parSolidarnosc pour saper petit à petit la capacité de la classe ouvrière à lutter.

Solidarnosc contre les luttes ouvrières

La force du mouvement repose surdu mouvement repose sur le fait que les ouvriers ont pris la lutte en main et l'ont étendue rapidement au-delà des limites des entreprises particulières. Etendre les luttes au-delà des entreprises, tenir des assemblées et s'assurer que les délégués puissent être changés à tout moment, a contribué à la puissance du mouvement. Cela peut être attribué en partie au fait que les ouvriers n'avaient pas confiance dans les syndicats officiels qui étaient identifiés comme des organes corrompus de l'Etat. Cependant, alors que ce fait contribuait à la force du mouvement, il a aussi entraîné chez les ouvriers une importante vulnérabilité vis-à-vis de la propagande sur les syndicats "libres" et "indépendants".

Divers groupes dissidents avaient défendu durant des années l'idée de syndicats "libres" comme une alternative à ceux qui existaient et qui étaient clairement identifiés comme une partie de l'Etat. De telles idées sur les syndicats "libres" sont venues au premier plan particulièrement au moment les plus intenses de la lutte ouvrière. Août 1980 n'est pas une exception'est pas une exception. Depuis le début, quand les travailleurs luttaient contre les attaques sur leurs conditions de vie et de travail, il y avait des voix pour insister sur la nécessité de syndicats "indépendants".

Les actions de Solidarnosc en 1980 et 1981 ont démontré que, même si ils sont formellement séparés de l'Etat capitaliste, de nouveaux syndicats, partis de zéro, avec des millions de membres déterminés et jouissant de la confiance de la classe ouvrière, agissent comme les syndicats étatiques officiels et bureaucratiques. Comme les syndicats partout dans le monde, Solidarnosc (et la revendication pour un "syndicat libre" qui précéda sa fondation) agit pour saboter les luttes, démobiliser et décourager les ouvriers et pour dévier leur mécontentement dans l'impasse de l'"autogestion", de la défense de l'économie nationale et la défense du syndicat plutôt que des intérêts ouvriers. Cela est advenu non pas à cause de "mauvais dirigeants" comme Walesa, de l'influence de l'église ou d'un manque de structures démocratiques, mais à cause de la nature même du syndicalisme. Deme du syndicalisme. Des organisations permanentes ne peuvent être maintenues dans une époque où les réformes ne sont plus possibles, où l'Etat tend à incorporer toute la société, et où les syndicats ne peuvent être que des instruments pour la défense de l'économie nationale.

En Pologne, même au point culminant des grèves, quand les ouvriers s'organisaient eux-mêmes, étendaient leurs luttes, tenaient des assemblées, élisaient des délégués et créaient des comités inter-entreprises pour coordonner et rendre leurs actions plus effectives, il y avait déjà un mouvement qui insistait sur le besoin de nouveaux syndicats. Comme le montre notre compte-rendu des événements, un des premiers coups contre le mouvement fut la transformation des comités inter-usines en structure initiale de Solidarnosc.

Il existait beaucoup de suspicion à l'égard de l'action de gens comme Walesa et de la direction "modérée", mais le travail de Solidarnosc n'a pas été accompli par une poignée de célébrités "collaborant" avec l'Etat, mais par la structat, mais par la structure syndicale comme un tout. Il ne fait pas de doute que Walesa était une figure importante et reconnue internationalement par la bourgeoisie. Le prix Nobel de la paix et son élévation postérieure au rang de président de la Pologne furent sans aucun doute en continuité avec ses activités en 1980-1981, une juste récompense pour celles-ci. Mais il faut aussi se souvenir qu'il avait été auparavant un militant respecté qui avait, par exemple, été une figure dirigeante dans les luttes de 1970. Ce respect signifiait que sa voix avait un poids particulier parmi les ouvriers, comme "opposant" éprouvé à l'Etat polonais. A l'été 1980, cette "opposition" appartient au passé. Dès le début du mouvement, on le trouve en train de décourager activement les ouvriers de faire grève. Cela commence à Gdansk, puis il participe aux "négociations" avec les autorités pour trouver la meilleure manière de saboter les luttes des ouvriers et, parfois, cela prend la forme d'une course dans le pays entier, souvent en hélicoptère de l'armée, pour presser les ouvriers en chaque occasion pour qu'ils abandonnent leurs grèves.

grèves.

Non seulement Walesa se sert de sa réputation, mais il donne de nouvelles raisons pour arrêter les luttes : "La société veut de l'ordre maintenant. Nous devons apprendre à négocier plutôt qu'à lutter." Les ouvriers doivent arrêter les grèves pour que Solidarnosc puisse négocier. Il est clair que le cadre de son discours est la défense de l'économie nationale puisque "nous sommes d'abord polonais, syndicalistes ensuite."

Le rôle de Solidarnosc devient de plus en plus ouvertement celui de partenaire du gouvernement, en particulier après que le syndicat a détourné la menace de grève générale en mars 1981. En août 1981, il y a un exemple particulièrement significatif quand Solidarnosc tente de persuader les ouvriers de renoncer à huit samedis libres pour aider à surmonter les difficultés de l'économie frappée par la crise. Comme le déclare un ouvrier en colère aux représentants de la Commission nationale de Solidarnosc : "Vous osez demander aux gens de travailler le samedi parce que le gouvernement doit être appuyé≠ appuyé ? Mais qui dit que nous devons l'appuyer ?"

Mais Solidarnosc ne lance pas seulement des appels directs à l'ordre. Un tract typique, de Solidarnosc à Szcecin, commence par :

"Solidarnosc signifie :

- le moyen de remettre le pays sur pied,

- le calme social et la stabilité,

- le maintien du niveau de vie et une bonne organisation."

mais poursuivait en parlant de "la bataille pour un niveau de vie décent." Cela montre les deux faces de Solidarnosc, comme force défendant l'ordre social, mais se posant également comme défenseur des intérêts ouvriers. Les deux aspects de l'activité syndicale dépendent l'un de l'autre. En proclamant avoir à coeur les intérêts des ouvriers, il espère que son appel à l'ordre aura une crédibilité. Beaucoup de militants syndicaux qui dénoncnt les "trahisons" de Walesa, se précipitent toujours pour défendre Solidarnosc lui-même. En février 1981, aprèr 1981, après une période où beaucoup de grèves ont échappé au contrôle de Solidarnosc, la direction produit une prise de position insistant sur la nécessité d'un syndicat uni puisque sa dispersion "annoncerait une période de conflits sociaux incontrôlés." Un tel appel souligne que Solidarnosc ne fonctionnera de façon efficace pour le capital polonais qu'en se présentant comme défenseur des intérêts ouvriers.

Ce rôle de Solidarnosc est reconnu internationalement notamment avec les conseils donnés par les syndicats de l'Ouest sur la façon de faire fonctionner les syndicats au sein du cadre de l'économie nationale. Afin de favoriser la construction de Solidarnosc, les syndicats occidentaux ne se limitent pas à une assistance verbale. Un soutien financier substantiel est fourni par nombre de fédérations syndicales, en particulier par les piliers de la "responsabilité sociale" aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne que sont l'AFL-CIO et les TUC. Internationalement, le capitalisme n'a rien laissé au hasard.

La signification internationale des luttes

Les luttes de 1980-81 ont bénéficié des expériences précédentes de la classe ouvrière en Pologne. Cependant, elles ne sont pas une expression "polonaise" isolée de la lutte de classe, car elles ont constitué le point culminant de la vague internationale de luttes qui s'est développée de 1978 à 1981. Les mineurs aux Etats-Unis en 1978, le secteur public en Grande-Bretagne en 1978-79, les sidérurgistes en France début 1979, les dockers de Rotterdam à l'automne 1979, les sidérurgistes en Grande-Bretagne en 1980, les ouvriers de la métallurgie au Brésil, les ouvriers du pétrole en Iran, les mouvements massifs d'ouvriers au Pérou, les grèves dans toute l'Europe de l'Est à la suite des grèves en Pologne : toutes ces luttes démontrent la combativité de la classe ouvrière, et le développement de la conscience de classe. Une des significations principales de la grève de masse en Pologne est de fournir un début de réponse aux questions fondamentales posées dans tosées dans toutes les autres luttes - comment la classe ouvrière se bat et quels sont les obstacles fondamentaux qu'elle rencontre dans ses luttes.

Comme on l'a vu, le prolétariat de Pologne a pu se donner spontanément, au cours de l'été 1980 les formes du combat de classe les plus puissantes et efficaces justement parce que les "tampons" sociaux qui existent dans les pays "démocratiques" faisaient défaut. C'est déjà un démenti cinglant à tous ceux (trotskistes, anarcho-syndicalistes et autres) qui prétendent que la classe ouvrière ne peut réellement développer ses combats que si elle a constitué au préalable des syndicats ou un quelconque "associationnisme ouvrier" (suivant les termes des bordiguistes du Parti communiste international qui publie Il Comunista en Italie et Le Prolétaire en France). Le moment de plus grande force du prolétariat en Pologne, celui où il a réussi à paralyser la répression de l'Etat capitaliste et à lui infliger un recul évident, était le moment où il n'existait pas de syndicat (sinon les syndicats officiels complètement hors course). Lorsque ce sycourse). Lorsque ce syndicat s'est constitué, et qu'il s'est progressivement structuré et renforcé, le prolétariat a commencé à s'affaiblir jusqu'au point de ne pouvoir réagir à la répression qui s'est déchaînée à partir du 13 décembre 1981. Lorsque la classe ouvrière développe ses combats, sa force n'est pas en proportion de celle des syndicats mais en proportion inverse. Toute tentative de "redresser" les syndicats existants ou de construire de nouveaux syndicats revient à apporter son soutien à la bourgeoisie dans son travail de sabotage des luttes ouvrières.

C'est là un enseignement fondamental qu'apportent au prolétariat mondial les luttes de 1980 en Pologne. Cependant, les ouvriers de Pologne ne pouvaient pas comprendre cet enseignement eux-mêmes parce qu'ils n'avaient pas fait directement l'expérience historique du rôle saboteurs des syndicats. Quelques mois de sabotage des luttes par Solinarnosc les ont au mieux convaincus que Walesa et sa bande étaient des crapules mais n'ont pas suffi à leur faire comprendre que c'est le syndicalisme qui est en cause, et non tel ou tel "mauvais dirigeant".

Ces leçons, seuls les secteurs du prolétariat mondial qui sont confrontés depuis longtemps à la démocratie bourgeoise pouvaient réellement réellement les tirer, non pas immédiatement à partir de l'expérience de Pologne mais à partir de leur expérience quotidienne concrète. Et c'est en partie ce qui est arrivé dans la période suivante.

En effet, au cours de la vague internationale de luttes qui s'est développée de 1983 à 1989, en particulier en Europe occidentale, là où la classe ouvrière a l'expérience la plus longue des syndicats "indépendants" et de la dictature de la démocratie bourgeoise, les luttes ouvrières ont été conduites à remettre en cause de plus en plus l'encadrement syndical à tel point que dans une série de pays (particulièrement en France et en Italie) ont été mis en place des organes, les "coordinations", supposées émaner des "assemblées de base" afin de pallier au discrédit des syndicats officiels. (1) Evidemment, cette tendance à la remise en cause du cadre syndical a été fortemente;té fortement contrecarrée par le recul général de la classe ouvrière qui a suivi l'effondrement du bloc de l'Est et des régimes staliniens en 1989. Mais dans les luttes qui, face à la crise capitaliste, se développeront nécessairement dans le futur, les ouvriers de tous les pays devront retrouver les acquis de leurs luttes précédentes. Non seulement les acquis des luttes qu'ils ont menées directement, mais aussi celles de leurs frères de classe des autres pays, et particulièrement les luttes du prolétariat de Pologne en 1980.

Car il faut en être sûr, la relative passivité dont fait preuve actuellement la classe ouvrière mondiale ne constitue pas une remise en cause du cours historique général des luttes prolétariennes. Mai 68 en France, "l'automne chaud" italien de 1969 et beaucoup d'autres mouvements à l'échelle mondiale par la suite avaient mis en évidence que le prolétariat était sorti de la contre-révolution qu'il avait subie depuis quatre décennies (2). Ce cours n'a pas été fondamentalement remis en cause depuis : une période historique qui est le témoin de combats aussi importabats aussi importants que ceux de Pologne en 1980 ne saurait être remise en cause car par une défaite profonde de la classe ouvrière, une défaite que la bourgeoisie n'a pas réussi à lui infliger pour l'heure.

1. Voir notamment notre article "Les coordinations sabotent les luttes", Revue internationale n° 56.

2. Voir notre article "Pourquoi le prolétariat n'a pas encore renversé le capitalisme" dans cette même Revue internationale.

Géographique: 

  • Pologne [27]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [28]

Crises et cycles dans l'économie du capitalisme agonisant, 2e partie (Bilan n°11, octobre-novembre 1934)

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Présentation

 

L'article ci-dessous est la deuxième partie d'une étude parue dans la revue Bilan en 1934. Nous avons publié dans le précédent numéro de la Revue internationale la première partie dans laquelle Mitchell reprend les bases de l'analyse marxiste du profit et de l'accumulation du capital en continuité avec les analyses de Marx et celles de Rosa Luxemburg. Dans cette deuxième partie, il s'attache à "l'analyse de la crise générale de l'Impérialisme décadent " et explique avec une clarté remarquable les manifestations de cette crise générale de la décadence du capitalisme. Cette étude qui permettait à l'époque de fonder théoriquement l'inéluctable tendance à la guerre généralisée engendrée par la crise historique du capitalisme ne revêt pas seulement un intérêt historique. Elle reste toujours d'une brûlante actualité en donnant le cadre théorique qui permet de comprendre les manifestations de la crise économique d'aujourd'hui.

CCI.

Nous avons marqué dans la première partie de cette étude que la période qui va à peu près de 1852 à 1873 porte l'empreinte du développement considérable du capitalisme, dans la "libre concurrence" (concurrence mitigée par l'existence d'un protectionnisme de défense des industries en pleine croissance). Au cours même de cette phase historique, les diverses bourgeoisies nationales parachèvent leur domination économique et politique sur les ruines des survivances féodales, libérant de toutes entraves les forces capitalistes de production : en Russie, par l'abolition du servage ; aux Etats Unis, par la guerre de Sécession qui balaie l'anachronisme esclavagiste ; par la formation de la nation italienne, par la fondation de l'unité allemande. Le traité de Francfort scelle le cycle des grandes guerres nationales d'où ont surgi les Etats capitalistes modernes.

Processus organique dans l'ère capitaliste

Au rythme rapide de son développement, le système capitaliste de production, vers 1873, a déjà intégré à sa sphère, à son propre marché, le domaine extra capitaliste qui lui est limitrophe. L’Europe est devenue une vaste économie marchande (à l’exception de quelques nations retardataires du Centre te de l’Est) dominés par la production capitaliste. Le continent nord-américain subit l’hégémonie du capitalisme anglo-saxon, déjà fortement développé.

 

D'autre part, le processus de l'accumulation capitaliste, qu'interrompent momentanément les crises cycliques mais qui reprend avec une vigueur accrue après chaque assainissement économique, détermine parallèlement une puissante et irrésistible centralisation des moyens de production, que la baisse tendancielle du taux de profit et l'âpreté des compétitions ne font que précipiter. On assiste à une multiplication de gigantesques entreprises à haute composition organique facilitée par le développement de sociétés par actions qui se substituent aux capitalistes individuels, isolément incapables de faire face aux exigences extensives  de  la production; les industriels se transforment en agents subordonnés à des conseils d'administration.

 

Mais un autre processus s'amorce : de la nécessité, d'une part, de contrecarrer la baisse du taux de profit, de le maintenir dans des limites compatibles avec le caractère de production capitaliste et d'autre part, d'enrayer une concurrence anarchique et "désastreuse", surgit la formation d'organisations monopolistes qui acquièrent de l'importance, après la crise de 1873. Primitivement naissent les Cartels, puis une forme plus concentrée, les Syndicats. Ensuite apparaissent les Trusts et Konzernen qui opèrent, ou bien une concentration horizontale d'industries similaires, ou bien le groupement vertical de branches différentes de la production.

Le capital humain, de son côté, sous l'afflux de la masse considérable d'argent épargné et disponible, produit de l'intense accumulation, acquiert une influence pré­pondérante. Le système des participations "en cascade", qui se greffe sur l'organisme monopoliste, lui donne la clef du contrôle des productions fondamentales. Le capital industriel, commercial ou bancaire, perdant ainsi graduellement leur position autonome dans le mécanisme économique et la fraction la plus considérable de la plus-value produite, est drainé vers une formation capitaliste supérieure, synthé­tique, qui en dispose suivant ses intérêts propres : le capital financier. Celui-ci est, en somme, le produit hypertrophié de l'accumulation capitaliste et de ses manifestations contradictoires, définition qui n'a évidemment rien de commun avec celle représentant le capital financier comme exprimant la volonté de quelques individualités animées de fièvre "spécula­tive", d'opprimer et de spolier les autres formations capitalistes et de s'opposer à leur "libre" développement. Une telle conception, pôle d'attraction des courants petits bourgeois social-démocrates et néo­ marxistes pataugeant dans le marais de "l'anti-hyper capitalisme", exprime la méconnaissance des lois du dévelop­pement capitaliste et tourne le dos au marxisme tout en renforçant la domina­tion idéologique de la bourgeoisie.

Le processus de centralisation organique, loin d'éliminer la concurrence, l'amplifie au contraire sous d'autres formes, ne faisant qu'exprimer ainsi le degré d'approfondissement de la contradiction capitaliste fondamentale. A la concurrence entre capitalistes individuels -organes primaires - s'exerçant sur toute l'étendue du marché capitaliste (national et international) et qui est contemporaine du capitalisme "progressif, se substituent les vastes compétitions internationales entre organismes plus évolués : les Monopoles, maîtres des marchés natio­naux et des productions fondamentales ; cette période correspond à une capacité productive débordant largement des limites du marché national et à une extension géographique de celui-ci par les conquêtes coloniales se plaçant au début de l'ère impérialiste. La forme suprême de la concurrence capitaliste s'exprimera finalement par les guerres inter-impérialistes et surgira lorsque tous les territoires du globe seront partagés entre les nations impérialistes. Sous l'égide du capital financier, apparaît un processus de transformation des forma­tions nationales -issues des bouleversements historiques et qui contribuaient par leur développement à une cristallisa­tion de la division mondiale du travail -en des entités économiques complètes. "Les monopoles, dit R. Luxembourg, aggravent la contradiction existant entre le caractère international de l’économie capitaliste mondiale et le caractère national de l'Etat capitaliste. "

Le développement du nationalisme économique est double : intensif et extensif.

La charpente principale du développe­ment intensif est constituée par le protectionnisme, non plus celui proté­geant "les industries naissantes", mais celui instaurant le monopole du marché national et qui détermine deux possibili­tés : à l'intérieur, la réalisation d'un surprofit, à l'extérieur la pratique de prix au-dessous de la valeur des produits, la lutte par le "dumping".

Le développement "extensif, déterminé par le besoin permanent d'expansion du capital, à la recherche de zones de réalisation et de capitalisation de plus-value, est orienté vers la conquête de terres pré-capitalistes et coloniales.

Poursuivre l'extension continuelle de son marché afin d'échapper à la menace constante de la surproduction de marchandises qui s'exprime dans des crises cycliques, nous avons indiqué que telle est la nécessité fondamentale du mode de production capitaliste, qui se traduit d'une part par une évolution organique aboutissant aux monopoles, au capital financier et au nationalisme économique et d'autre part par une évolution historique aboutissant à l'impérialisme. Définir l'impérialisme comme "un produit du capital financier", ainsi que le fait Boukharine, c'est établir une fausse filiation et surtout c'est perdre de vue l'origine commune de ces deux aspects du processus capitaliste : la production de plus value.

Les guerres coloniales dans la première phase du capitalisme

Alors que le cycle des guerres nationales se caractérise essentiellement par des luttes entre nations en formation, édifiant une structure politique et sociale conforme aux besoins de la production capitaliste, les guerres coloniales opposent d'une part des pays capitalistes complètement développés, craquant déjà dans leur cadre étroit et d'autre part des pays non évolués à économie naturelle ou retardataire.

Les régions à conquérir sont de deux espèces:

a) les colonies de peuplement qui servent essentiellement comme sphères d'in­vestissements de capitaux et deviennent, en quelque sorte, le prolongement des économies métropolitaines, parcourant une évolution capitaliste similaire et se posant même en concurrentes des métropoles, tout au moins pour certaines branches. Tels sont les Dominions britanniques, à structure capitaliste complète ;

b)  les  colonies  d'exploitation,  à population dense, où le capital poursuit deux objectifs essentiels : réaliser sa plus-value et s'approprier des matières premières à bon marché, permettant de freiner la croissance du capital constant investi dans la production et d'améliorer le rapport de la masse de plus-value au capital total. Pour la réalisation des marchandises, le processus est celui que nous avons déjà décrit : le capitalisme contraint les paysans et les petits producteurs issus de l'économie domes­tique à travailler, non pour leurs besoins directs, mais pour le marché où s'effectue l'échange de produits capitalistes de grande consommation contre les produits agricoles. Les peuples agriculteurs des colonies s'intègrent à l'économie marchande sous la pression du capital commercial et usuraire stimulant les grandes cultures de matières d'exporta­tion : coton, caoutchouc, riz, etc. Les emprunts coloniaux représentent 1'avance faite par le capital financier du pouvoir d'achat servant à l'équipement du réseau de circulation des marchandises : construction de chemin de fer, de ports, facilitant le transport des matières premières, ou à des travaux de caractère stratégique qui consolident la domination impérialiste. D'autre part, le capital financier veille à ce que les capitaux ne puissent servir d'instrument d'émancipa­tion économique des colonies, à ce que les forces productives ne soient dévelop­pées et industrialisées que dans la mesure où elles ne peuvent constituer une menace pour les industries métropolitaines, en orientant, par exemple, leur activité, vers une transformation primaire des matières premières s'effectuant avec le concours de forces de travail indigènes quasi-gratuites.

De plus, la paysannerie, écrasée sous le poids des dettes usuraires et des impôts absorbés par les emprunts, est contrainte de céder les produits de son travail bien au-dessous de leur valeur, sinon en dessous de leur prix de revient.

Aux deux méthodes de colonisation que nous venons d'indiquer, s'en ajoute une troisième consistant à s'assurer des zones d'influence en "vassalisant", à coups d'emprunts et de placements de capitaux, des Etats retardataires. Le courant intense d'exportation des capitaux, qui est lié à l'extension du protectionnisme monopo­liste, favorise un élargissement de la production capitaliste tout au moins à l'Europe centrale et orientale, à l'Améri­que et même à l'Asie où le Japon devient une puissance impérialiste.

D'un autre côté, l'inégalité du développe­ment capitaliste se prolonge dans le processus d'expansion coloniale. Au seuil du cycle des guerres coloniales, les nations capitalistes les plus anciennes s'appuient déjà sur une solide base impérialiste ; les deux plus grandes puissances de cette époque, l'Angleterre et la France, se sont déjà partagées les "bonnes" terres d'Amérique, d'Asie et d'Afrique, circonstances qui favorisent encore davantage leur extension ultérieure au détriment de leurs concurrents plus jeunes, l'Allemagne et le Japon, obligés de se contenter de quelques maigres restes en Afrique et en Asie mais qui, par contre, accroissent leurs positions métropolitaines à un rythme beaucoup plus rapide que les vieilles nations : l'Allemagne, puissance industrielle, dominant le continent européen, peut bientôt se dresser, face à l'impérialisme anglais et poser le problème de 1'hégémo­nie mondiale dont la solution sera cherchée au travers de la première guerre impérialiste.

Si, au cours des cycles des guerres coloniales, les contrastes économiques et les antagonismes impérialistes s'aiguisent, les conflits des classes qui en résultent peuvent cependant encore être comblés "pacifiquement" par la bourgeoi­sie des pays les plus avancés, accumulant au cours des opérations de brigandage colonial des réserves de plus-values où elle peut puiser à pleines mains et corrompre les couches privilégiées de la classe ouvrière ([1] [29]). Les deux dernières décades du XIXe siècle amènent, au sein de la social-démocratie internationale, le triomphe de l'opportunisme et du réformisme, monstrueuses excroissances parasitaires se nourrissant des peuples coloniaux.

Mais le colonialisme extensif est limité dans son développement et le capitalisme, conquérant insatiable, a tôt fait d'épuiser tous les débouchés extra-capitalistes disponibles. La concurrence inter impérialiste, privée d'une voie de dérivation, s'oriente vers la guerre impérialiste.

"Ceux qui s'opposent aujourd'hui les armes à la main, dit R. Luxembourg, ce ne sont pas d'une part les pays capitalistes et d'autre part les pays d'économie naturelle mais des Etats qui sont précisément poussés au conflit par l'identité de leur développement capitaliste élevé. "

Cycles de guerres inter impérialistes et de révolution dans la crise générale du capitalisme

Alors que les anciennes communautés naturelles peuvent résister des milliers d'années, que la société antique et la société féodale parcourent une longue période historique, «la production capitaliste moderne, au contraire, dit Engels, "vieille à peine de 300 ans et qui n'est devenue dominante que depuis l'instauration de la grande industrie, c'est-à-dire depuis cent ans, a, en ce court laps de temps, réalisé des disparités de répartition - concentration des capitaux en un petit nombre de mains d'une part, concentration des masses sans propriété, dans les grandes villes d'autre part- qui fatalement causeront sa perte. "

La société capitaliste, de par l'acuité qu'atteignent les contrastes de son mode de production, ne peut plus poursuivre ce qui constitue sa mission historique : développer, de façon continue et progressive, les forces productrices et la productivité du travail humain. La révolte des forces de production contre leur appropriation privée, de sporadique devient permanente. Le capitalisme entre dans sa crise générale de décomposition et l'Histoire enregistrera ses sursauts d'agonie en traits sanglants.

Résumons de cette crise générale les caractéristiques essentielles : une surproduction industrielle générale et constante ; un chômage technique chronique alourdissant la production de capitaux non-viables ; le chômage permanent de masses considérables de forces de travail aggravant les contrastes de classes ; une surproduction agricole chronique superposant une crise générale à la crise industrielle et que nous analyserons plus loin ; un ralentissement considérable du processus de l'accumula­tion capitaliste résultant du rétrécissement du champ d'exploitation des forces de travail (composition organique) et de la baisse continue du taux de profit et que Marx prévoyait lorsqu'il disait que "dès que la formation de capital se trouverait exclusivement entre les mains de quelques gros capitalistes pour qui la masse du profit compenserait le taux, la production perdrait tout stimulant vivifiant et tomberait en somnolence. Le taux de profit est la forme motrice de la production capitaliste. Sans profit, pas de production» ; la nécessité pour le capital financier de rechercher un surprofit, provenant non pas de la production de plus-value, mais d'une spoliation, d'une part, de l'ensemble des consommateurs en élevant le prix des marchandises au-dessus de leur valeur et, d'autre part, des petits producteurs en s'appropriant une partie ou l'entièreté de leur travail. Le surprofit représente ainsi un impôt indirect prélevé sur la circulation des marchandises. Le capitalisme a tendance à devenir parasitaire dans le sens absolu du terme.

Durant les deux dernières décades précédant le conflit mondial, ces agents d'une crise générale se développent et agissent déjà dans une certaine mesure bien que la conjoncture évolue encore suivant une courbe ascendante, exprimant en quelque sorte le "chant du cygne" du capitalisme. Dès 1912, le point culminant est atteint, le monde capitaliste est inondé de marchandises puis la crise éclate aux Etats Unis en 1913 et commence à s'étendre à l'Europe. L'étincelle de Sarajevo l'a fait exploser dans la guerre mondiale qui pose à l'ordre du jour une révision du partage des colonies. Le massacre va dès lors constituer pour la production capitaliste un immense débouché ouvrant de "magnifiques" perspectives.

L'industrie lourde, fabriquant non plus des moyens de production mais de destruction, et également celle produisant des moyens de consommation va pouvoir travailler à plein rendement, non pour assurer l'existence des hommes, mais pour accélérer leur destruction. La guerre, d'une part, opère un "salutaire" assainissement des valeurs-capital hypertrophiées en les détruisant sans pourvoir à leur remplacement et, d'autre part, elle favorise la réalisation des marchandises, bien au-dessus de leur valeur, par la hausse formidable des prix sous le régime du cours forcé ; la masse du surprofit, que le capital retire d'une telle spoliation des consommateurs, compense largement la diminution de la masse de plus-value résultant d'un affaiblissement des possibilités d'exploi­tation dû à la mobilisation.

La guerre détruit surtout d'énormes forces de travail qui, dans la paix, rejetées du procès de la production, se constituaient en menace grandissante pour la domina­tion bourgeoise ([2] [30]). On chiffre la destruction des valeurs réelles à un tiers de la richesse mondiale accumulée par le travail de générations de salariés et de paysans. Ce désastre social, vu sous l'angle de l'intérêt mondial du capita­lisme, prend l'aspect d'un bilan de prospérité analogue à celui d'une société anonyme s'occupant de participations financières et dont le compte de profits et pertes, gonflé de bénéfices, cache la ruine d'innombrables petites entreprises et la misère des travailleurs. Car les destruc­tions, si elles prennent les proportions d'un cataclysme, ne retombent pas à charge du capitalisme. L'Etat capitaliste, vers lequel, durant le conflit, convergent tous les pouvoirs sous l'impérieuse nécessité d'établir une économie de guerre, est le grand consommateur insatiable qui crée son pouvoir d'achat au moyen d'emprunts gigantesques drainant toute l'épargne nationale sous le contrôle et avec le concours "rétribué" du capital financier ; il paye avec des traites qui hypothèquent le revenu futur du prolétariat et des petits paysans. L'affirmation de Marx, formulée il y a 75 ans, reçoit sa pleine signification : "La seule partie de la soi-disant richesse nationale qui entre réellement dans la possession collective des peuples modernes, c'est leur dette publique. "

La guerre devait évidemment accélérer le processus d'exacerbation des antago­nismes sociaux. La dernière période du massacre s'ouvre par le coup de tonnerre d'Octobre 1917. Le secteur le plus faible du capitalisme mondial vient de sauter. Des convulsions révolutionnaires grondent en Europe centrale et occidenta­le. Le pouvoir bourgeois est chancelant : il faut mettre fin au conflit. Si en Russie, le prolétariat, guidé par un parti trempé par quinze ans de luttes ouvrières et de travail idéologique, peut maîtriser une bourgeoisie encore faible et instaurer sa dictature, dans les pays centraux - où le capitalisme est plus solidement enraciné -la classe bourgeoise, tout en chancelant sous l'impétuosité du flux révolution­naire, parvient cependant, avec l'appui d'une social-démocratie encore puissante et du fait de la non-maturité des partis communistes, à orienter le prolétariat dans une direction qui l'éloigné de ses buts spécifiques. La tâche du capitalisme est facilitée par la possibilité qu'il a, après l'armistice, de prolonger sa "prospérité" de guerre en une période d'essor économique justifié par la nécessité d'adapter la production guerrière au renouvellement de l'appareil productif et à une consommation de paix s'exprimant par les immenses besoins de première nécessité qui surgissent. Ce relèvement réintègre dans la production la presque totalité des ouvriers démobili­sés et les concessions d'ordre économique que leur accorde la bourgeoisie, si elles n'entament pas son profit (les salaires augmentés ne suivant pas de loin la dépréciation du pouvoir d'achat du papier monnaie), lui permettent cependant de jeter dans la classe ouvrière l'illusion qu'une amélioration de son sort peut encore s'effectuer dans le cadre du régime capitaliste et, en l'isolant de son avant garde révolutionnaire, d'écraser celle-ci.

La perturbation jetée dans le système monétaire aggrave le désordre apporté par la guerre dans la hiérarchie des valeurs et le réseau des échanges, de sorte que l'essor (du moins en Europe) évolue dans le sens d'une activité spéculative et d'un accroissement de valeurs fictives, et non comme une phase cyclique ; il atteint d'ailleurs bien vite son point culminant, le volume de la production bien que correspondant à une capacité fortement réduite des forces productives et bien que restant sensiblement inférieur au niveau d'avant-guerre déborde cependant rapidement la faible capacité d'achat des masses. D'où la crise de 1920 qui, ainsi que la définit le 3e Congrès de l'Internatio­nale Communiste, apparaît comme la "réaction de la misère contre les efforts pour produire, trafiquer et vivre sur un pied analogue à celui de l’époque capitaliste précédente ", qui est celle de la prospérité fictive de guerre et d'après-guerre.

Si, en Europe, la crise n'est pas F aboutissement d'un cycle industriel, aux Etats-Unis elle apparaît encore comme telle. La guerre lui a permis de se dégager de l'étreinte de la dépression économique de 1913 et lui a offert d'immenses possibilités d'accumulation en écartant son concurrent européen et en lui ouvrant un marché militaire quasi-inépuisable. L'Amérique devient le grand fournisseur de l'Europe en matières premières, produits agricoles et industriels. Appuyés sur une capacité productive colossale, une agriculture puissamment industria­lisée, d'immenses ressources en capitaux et leur position de créancier mondial, les Etats-Unis, en devenant le centre économique du capitalisme mondial, déplacent aussi l'axe des contradictions impérialistes. L'antagonisme anglo-américain se substitue à la rivalité anglo-allemande, moteur du premier conflit mondial ([3] [31]). La fin de celui-ci fait surgir aux Etats-Unis le profond contraste d'un appareil productif hypertrophié et d'un marché considérablement rétréci. La contradiction éclate dans la crise d'avril 1920 et le jeune impérialisme américain dès lors s'engage, à son tour, dans la voie de la décomposition générale de son économie.

Dans la phase décadente de l'impéria­lisme, le capitalisme ne peut plus diriger les contrastes de son système que vers une seule issue : la guerre. L'Humanité ne peut échapper à une telle alternative que par la révolution prolétarienne. Or, la révolution d'Octobre 17 n'ayant pu, dans les pays avancés d'Occident, mûrir la conscience du prolétariat et celui-ci ayant été incapable d'orienter les forces productives vers le socialisme, seule possibilité de combler les contradictions capitalistes, la bourgeoise, quand les dernières énergies révolutionnaires se sont consumées dans la défaite du prolétariat allemand en 1923, parvient à restituer à son système une stabilité relative qui, bien que renforçant sa domination, va cependant la pousser dans la voie menant à une nouvelle et plus terrible conflagration générale.

Entre-temps s'ouvre une nouvelle période de reprise économique qui prend les apparences d'une prospérité analogue à celle d'un cycle du capitalisme ascendant, tout au moins en ce qui concerne un des aspects essentiels : le développement de la production. Mais nous avons vu qu'antérieurement l'essor correspondait à une extension du marché capitaliste s'annexant de nouvelles zones pré­capitalistes, tandis que l'essor de 1924-29 qui évolue dans la crise générale du capitalisme ne peut pas puiser à de telles possibilités. On assiste, au contraire, à une aggravation de la crise générale sous Faction de certains facteurs que nous allons rapidement examiner :

a) Le marché capitaliste est amputé du vaste débouché que constituait la Russie impériale importatrice de produits industriels et de capitaux et exportatrice de matières premières et de produits agricoles cédés à bas prix au moyen d'une exploitation féroce de la paysan­nerie ; d'autre part, la dernière grande zone pré-capitaliste à ressources immenses et vaste réservoir d'hommes, est plongée dans de formidables convulsions sociales qui empêchent le capital d'y effectuer des placements "rassurants" ;

b)  le détraquement du mécanisme mondial a supprimé l'or en tant qu'équivalent général des marchandises et de monnaie universelle, l'absence d'une commune mesure et la coexistence de systèmes monétaires basés soit sur l'or soit sur le cours forcé ou la non-convertibilité déterminent une telle différenciation des prix que la notion de la valeur s'estompe, que le commerce international est complètement désarti­culé et que son désordre s'aggrave par le recours plus fréquent et plus caractérisé au dumping ;

c) la crise chronique et générale de l'agriculture est mûre dans les pays agraires et dans les secteurs agricoles des pays industriels (elle s'épanouira dans la crise économique mondiale). Le dévelop­pement de la production agraire qui avait reçu sa principale impulsion de l'indus­trialisation et de la capitalisation agricole, dés avant guerre, de grandes zones des Etats-Unis, du Canada et de l'Australie, s'est poursuivi par son extension à des régions plus arriérées d'Europe centrale et d'Amérique du sud dont l'économie essentiellement agricole a perdu son caractère semi-autonome et est devenue totalement tributaire du marché mondial.

De plus, les pays industriels, importateurs de produits agricoles mais engagés dans la voie du nationalisme économique tentent de combler la déficience de leur agriculture par une augmentation des terres emblavées et par un accroissement de leur rendement à l'abri de barrières douanières et avec l'appui d'une politique de subventions dont la pratique s'étend également aux pays de grande culture (Etats Unis, Canada, Argentine). Il en résulte, sous la pression monopoliste, un régime factice de prix agricoles s'élevant au niveau du coût de production le plus élevé et qui pèse lourdement sur la capacité d'achat des masses (cela se vérifie surtout pour le blé, article de grande consommation).

De ce que les économies paysannes ont achevé leur intégration au marché découle, pour le capitalisme, une conséquence importante : les marchés nationaux ne peuvent plus être étendus et ont atteint leur point de saturation absolu. Le paysan, bien que gardant les apparences d'un producteur indépendant, est incorporé à la sphère capitaliste de production au même titre qu'un salarié : de même que celui-ci est spolié de son surtravail par la contrainte où il se trouve de vendre sa force de travail, de même le paysan ne peut s'approprier le travail supplémentaire contenu dans ses produits parce qu'il doit céder ceux-ci au capital au-dessous de leur valeur.

Le marché national traduit ainsi de façon frappante l'approfondissement des contradictions capitalistes : d'une part, la décroissance relative puis absolue de la part du prolétariat dans le produit total, l'extension du chômage permanent et de l'armée de réserve industrielle réduisent le marché pour les produits agricoles. La chute qui en résulte du pouvoir d'achat des petits paysans réduit le marché pour les produits capitalistes. L'abaissement constant de la capacité générale d'achat des masses ouvrières et paysannes s'oppose ainsi de plus en plus violemment à une production agricole de plus en plus abondante, composée surtout de produits de grande consommation.

L'existence d'une surproduction agricole endémique (clairement établie par les chiffres des stocks mondiaux de blé qui triplent de 1926 à 1933) renforce les éléments de décomposition agissant au sein de la crise générale du capitalisme, du fait qu'une telle surproduction se différenciant de la surproduction capitaliste proprement dite est irréductible (si ce n'est pas l'intervention "providen­tielle" des agents naturels) en raison du caractère spécifique de la production agraire encore insuffisamment centralisée et capitalisée et occupant des millions de familles.

Ayant déterminé les conditions qui délimitent strictement le champ à l'intérieur duquel doivent évoluer les contradictions inter-impérialistes, il est aisé de déceler le vrai caractère de cette "insolite" prospérité de la période de "stabilisation" du capitalisme. Le développement considérable des forces productives et de la production, du volume des échanges mondiaux, du mouvement international des capitaux, traits essentiels de la phase ascendante 1924-1928, s'expliquent par la nécessité d'effacer les traces de la guerre, de reconstituer la capacité productive primitive pour l'utiliser à la réalisation d'un objectif fondamental : le parachè­vement de la structure économique et politique des Etats impérialistes, conditionnant leurs capacités de concur­rence et l'édification d'économies adaptées à la guerre. Il est dès lors évident que toutes les fluctuations conjoncturelles très inégales, bien qu'évoluant sur une ligne ascendante, ne feront que refléter les modifications intervenant dans le rapport des forces impérialistes que Versailles avait fixé en sanctionnant le nouveau partage du monde.

L'essor de la technique et de la capacité de production prend des proportions gigantesques particulièrement en Allemagne. Après la tourmente inflationniste de 1922-1923, les investissements de capitaux anglais, français et surtout américains y sont tels que beaucoup de ceux-ci ne trouvent pas à s'employer à l'intérieur et sont réexportés par le canal des banques notamment vers l'U.R.S.S. pour le financement du plan quinquennal.

Au cours même du processus d'expansion des forces productives, la virulence de la loi dégénérescente de la baisse du taux de profit s'accroît. La composition organique s'élève encore plus rapidement que ne se développe l'appareil de production et cela se vérifie surtout dans les branches fondamentales, d'où résulte une modifica­tion interne du capital constant : la partie fixe (machines) augmente fortement par rapport à la partie circulante (matières premières et approvisionnements con­sommés) et devient un élément rigide alourdissant les prix de revient dans la mesure où fléchit le volume de la production et où le capital fixe représente la contre-valeur de capitaux d'emprunts. Les plus puissantes entreprises devien­nent ainsi les plus sensibles au moindre déclin de la conjoncture. En 1929, aux Etats Unis, en pleine prospérité, la production maximum d'acier nécessite seulement 85 % de la capacité productive et en mars 1933 cette capacité utilisée tombera à 15%. En 1932 la production des moyens de production pour les grands pays industriels ne représentera même pas, en valeur, l'équivalent de l'usure normale du capital fixe.

De tels faits n'expriment qu'un autre aspect contradictoire de la phase dégénérescente de l'Impérialisme : maintenir l'indispensable potentiel de guerre au moyen d'un appareil productif partiellement inutilisable.

Entre-temps, pour essayer d'alléger les prix de revient, le capital financier recourt aux moyens que nous connaissons déjà : à la réduction des prix des matières premières, abaissant la valeur de la partie circulante du capital constant ; à la fixation de prix de vente au-dessus de la valeur, procurant un surprofit ; à la réduction du capital variable, soit par la baisse directe ou indirecte des salaires, soit par une intensification du travail équivalant à une prolongation de la journée de travail et réalisée par la rationalisation et l'organisation du travail à la chaîne. On comprend pourquoi ces dernières méthodes ont été le plus rigoureusement appliquées dans les pays techniquement les plus développés, aux Etats-Unis et en Allemagne, infériorisés dans les périodes de faible conjoncture, en face de pays moins évolués où les prix de revient sont beaucoup plus sensibles à une baisse de salaires. La rationalisation se heurte cependant aux frontières de la capacité humaine. De plus, la baisse des salaires ne permet d'augmenter la masse de plus-value que dans la mesure où la base d'exploitation, le nombre de salariés au travail, ne se rétrécit pas. Par conséquent, la solution du problème fondamental : conserver la valeur des capitaux investis en même temps que leur rentabilité, en produisant et en réalisant le maximum de plus-value et de surprofit (son prolongement parasitaire), doit être orientée vers d'autres possibilités. Pour laisser vivre des capitaux "non viables" et leur assurer un profit, il faut les alimenter d'argent "frais" que le capital financier se refuse évidement à prélever sur ses propres ressources. Il le puise donc, soit dans l'épargne mise à sa disposition soit par le truchement de l'Etat, dans la poche des consommateurs. De là le développement des monopoles, des entreprises mixtes (à participation étatique), la création d'onéreuses entreprises "d'utilité publique", les prêts, les subventions aux affaires non rentables ou la garantie étatique de leurs revenus. De là aussi le contrôle des budgets, la "démocratisation" des impôts par l'élargissement de la base imposable, les dégrèvements fiscaux en faveur du capital en vue de ranimer les "forces vives" de la Nation, la compression des charges sociales "non productives" les conver­sions de rentes, etc.

Cependant, même cela ne peut suffire. La masse de plus-value produite reste insuffisante et le champ de la production, trop étroit, doit être étendu. Si la guerre est le grand débouché de la production capitaliste, dans la "paix" le militarisme (en tant qu'ensemble des activités préparant la guerre) réalisera la plus-value des productions fondamentales contrôlées par le capital financier. Celui-ci pourra en délimiter la capacité d'absorption par l'impôt enlevant aux masses ouvrières et paysannes une fraction de leur pouvoir d'achat et la transférant à l'Etat, acheteur de moyens de destruction et "entrepreneur de travaux" à caractère stratégique. Le répit ainsi obtenu ne peut évidemment résoudre les contrastes. Comme Marx le prévoyait déjà "la contradiction entre la puissance sociale générale finalement constituée par le capital et le pouvoir de chaque capitaliste de disposer des conditions sociales de la production capitaliste se développe de plus en plus. " Tous les antagonismes internes de la bourgeoisie doivent être absorbés par son appareil de domination, l'Etat capitaliste qui, devant le péril, est appelé à devoir sauvegarder les intérêts fondamentaux de la classe dans son ensemble et à parachever la fusion, déjà en partie réalisée par le capital financier, des intérêts particuliers des diverses formations capitalistes. Moins il y a de plus-value à partager, plus les conflits internes sont aigus et plus cette concentration s'avère impérieuse. La bourgeoisie italienne est la première à recourir au fascisme parce que sa fragile structure économique menace de se rompre, non seulement sous la pression de la crise de 1921, mais également sous le choc des violents contrastes sociaux.

L'Allemagne, puissance sans colonies, reposant sur une faible base impérialiste, est contrainte, dans la quatrième année de la crise mondiale de concentrer l'entièreté des ressources de son économie au sein de l'Etat totalitaire en brisant la seule force qui eût pu opposer à la dictature capitaliste sa propre dictature : le prolétariat. De plus, c'est en Allemagne que le processus de transformation de l'appareil économique en instrument pour la guerre est le plus avancé. Par contre, les groupements impérialistes plus puissants, tels la France et l'Angleterre, disposant encore de considérables réserves de plus value, ne sont pas encore entrés résolument dans la voie de la centralisation étatique.

Nous venons de marquer que l'essor de la période de 1924-1928 évolue en fonction de la restauration et du renforcement structurel de chacune des puissances impérialistes dans l'orbite desquelles viennent graviter les Etats secondaires, suivant leurs affinités d'intérêts. Mais précisément du fait que l'essor comporte ces deux mouvements contradictoires bien qu'étroitement dépendants, l'un de l'expansion de la production et de la circulation des marchandises, l'autre du fractionnement du marché mondial en économies indépendantes, son point de saturation ne peut tarder.

La crise mondiale, que les beaux rêveurs du libéralisme économique voudraient assimiler à une crise cyclique qui se dénouera sous l'action des facteurs "spontanés", où donc le capitalisme pourrait se dégager en acceptant à appliquer un plan de travail à la sauce De Man ou autre projet de sauvetage capitaliste sorti "d'Etats Généraux du Travail", ouvre la période où les luttes inter-impérialistes, sorties de leur phase de préparation, doivent revêtir des formes ouvertes d'abord économiques et politiques, ensuite violentes et sanglantes lorsque la crise aura épuisé toutes les "possibilités pacifiques " du capitalisme.

Nous ne pouvons analyser ici le processus de cet effondrement économique sans précédent. Toutes les méthodes, toutes les tentatives auxquelles recourt le capitalisme pour essayer de combler ses contradictions et que nous avons décrites, nous les voyons, durant la crise, utilisées au décuple avec l'énergie du désespoir : extension de la monopolisation du marché national au domaine colonial et essais de formation d'empires homogènes et protégés par une barrière unique (Ottawa), dictature du capital financier et renforcement de ses activités parasitaires ; recul des monopoles internationaux obligés de céder à la poussée nationaliste (Krach Kreuger) ; exacerbation des antagonismes par la lutte des tarifs sur laquelle se greffent les batailles de monnaies où interviennent les stocks d'or des banques d'émission ; dans les échanges, la substitution du système des contingentements, des "clearings" ou offices de compensation, même du troc, à la fonction régulatrice de l'or, équivalent général des marchandises ; annulation des "réparations" irrécouvrables, répudiation des créances américaines par les Etats "vainqueurs", suspension du service financier des emprunts et dettes privées des pays "vaincus" en vassaux aboutissant à l'effondrement du crédit international et des valeurs "morales" du capitalisme.

En nous référant aux facteurs déterminant la crise générale du capitalisme, nous pouvons comprendre pourquoi la crise mondiale ne peut être résorbée par 1'action "naturelle" des lois économiques capitalistes, pourquoi, au contraire, celles-ci sont vidées par le pouvoir conjugué du capital financier et de l'Etat capitaliste, comprimant toutes les manifestations d'intérêts capitalistes particuliers. Sous cet angle doivent être considérées les multiples "expériences" et tentatives de redressement, les "reprises" se manifes­tant au cours de la crise. Toutes ces activités agissent, non à l'échelle interna­tionale en fonction d'une amélioration de la conjoncture mondiale, mais sur le plan national des économies impérialistes sous des formes adaptées aux particulari­tés de leur structure. Nous ne pouvons en analyser ici certaines manifestations monétaires. Elles ne présentent d'ailleurs qu'un intérêt très secondaire parce qu'éphémères et contingentes. Toutes ces expériences de réanimation artificielle de l'économie en décomposition offrent cependant des fruits communs. Celles qui, démagogiquement, se posent de lutter contre le chômage et d'augmenter le pouvoir d'achat des masses, aboutissent au même résultat : non à une régression du chômage annoncée ostensiblement par les statistiques officielles mais à une répartition du travail disponible sur un plus grand nombre d'ouvriers conduisant à une aggravation de leurs conditions d'existence.

L'augmentation de la production des industries fondamentales (et non des industries de consommation), qui se vérifie au sein de chaque impérialisme, est alimentée uniquement par la politique des travaux publics (stratégiques) et le militarisme dont on connaît l'importance.

De quelque côté qu'il se tourne, quelque moyen qu'il puisse utiliser pour se dégager de l'étreinte de la crise, le capitalisme est poussé irrésistiblement vers son destin à la guerre. Où et comment elle surgira est impossible à déterminer aujourd'hui. Ce qu'il importe de savoir et d'affirmer, c'est qu'elle explosera en vue du partage de l'Asie et qu'elle sera mondiale.

Tous les impérialismes se dirigent vers la guerre, qu'ils soient revêtus de la défroque démocratique ou de la cuirasse fasciste ; et le prolétariat ne peut se laisser entraîner à aucune discrimination abstraite de la "démocratie" et du fascisme qui ne peut que le détourner de sa lutte quotidienne contre sa propre bourgeoisie. Relier ses tâches et sa tactique à des perspectives illusoires de reprise économique ou à une pseudo-existence de forces capitalistes opposées à la guerre, c'est le mener droit à celle-ci ou lui enlever toute possibilité de trouver le chemin de la révolution.

MITCHELL



[1] [32] Nous rejetons cette notion fausse de "couches privilégiées de la classe ouvrière", plus connue à travers le concept d' "aristocratie ouvrière", qui a été développée notamment par Lénine (qui l'avait lui-même reprise d'Engels) et qui est, aujourd'hui encore, défendue par les groupes bordiguistes. Nous avons développé notre position sur cette question dans l'article "L'aristocratie ouvrière : une théorie sociologique pour diviser la classe ouvrière" {Revue internationale n° 25, 2e trimestre 1981).

[2] [33] S'il est incontestable que "la guerre détruit surtout d'énormes forces de travail", c'est-à-dire qu'elle entraîne le massacre de grandes masses de prolétaires, cette phrase peut laisser entendre que la guerre est la solution adoptée par la bourgeoisie pour affronter le danger prolétarien, idée que nous ne partageons pas. Cette vision non marxiste selon laquelle la guerre dans le capitalisme est en fait "une guerre civile de la bourgeoisie contre le prolétariat" a surtout été défendue, dans la Gauche italienne, par Vercesi.

[3] [34] Cette affirmation, que la réalité démentira très rapidement, s'appuyait sur une position politique selon laquelle les principaux concurrents commerciaux devaient forcément être les principaux ennemis au niveau impérialiste. Cette position a été défendue dans un débat qui s'était déjà mené dans 1'IC ; et c'est Trotsky qui, ajuste raison, s'y opposera en affirmant que les antagonismes militaires ne recouvraient pas forcément les antagonismes économiques.

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [35]

Questions théoriques: 

  • L'économie [36]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [37]

Assassinat de Trotski en tant que révolutionnaire

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Le 20 août 1940, il y a 60 ans, mourrait Trotsky, assassiné par les sbires de Staline ; c'était au début de la deuxième guerre impérialiste. Avec cet article nous ne souhaitons pas uniquement rappeler une grande figure du prolétariat et sacrifier à la mode des anniversaires mais aussi profiter de cet événement pour faire le point sur ses erreurs et sur certaines de ses prises de positions politiques au début de la guerre. Trotsky, après un, après un vie ardente de militant entièrement consacrée à la cause de la classe ouvrière, est mort en révolutionnaire et en combattant. L'histoire est pleine d'exemples de révolutionnaires qui ont déserté ou même ont trahi la classe ouvrière ; peu nombreux sont ceux qui lui sont restés fidèles durant toute leur vie et qui sont morts debout au combat, comme par exemple Rosa Luxemburg ou Karl Liebknecht. Trotsky est un de ceux-là.

Trotsky, dans ses dernières années, a défendu de nombreuses positions opportunistes telles que la politique d'entrisme dans la social-démocratie, le front unique ouvrier, etc. ; positions que la Gauche communiste avait critiquées, à juste titre, dans les années 1930; mais il n'a jamais rejoint le camp ennemi, celui de la bourgeoisie, comme les trotskistes l'ont fait après sa mort. En particulier sur la question de la guerre impérialiste, il a défendu jusqu'au bout la position traditionnelle du mouvement révolutionnaire : la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.

Toute la bourgeoisie mondiale liguée contre Trotsky

Plus la guerre impérialiste mondiale se rapprochait et plus. l'élimination de Trotsky devenait un objectif crucial pour la bourgeoisie mondiale.
Pour asseoir son pouvoir et développer la politique qui a fait de lui le principal artisan de la contre-révolution, Staline a d'abord éliminé, en les envoyant dans les camps, de très nombreux révolutionnaires, d'anciens bolcheviks, notamment ceux qui avaient été les compagnons de Lénine, ceux qui avaient été les artisans de la révolution d'Octobre. Mais cela ne suffisait pas. Avec la montée des tensions guerrières à la fin des années 1930, il lui fallait avoir les mains totalement libres, à l'intérieur, pour développer sa politique impérialiste. En 1936, au début de la guerre d'Espagne, il y eut d'abord le procès et l'ès et l'exécution de Zinoviev, Kamenev et Smirnov (Voir 16 fusillés à Moscou, Victor Serge, Ed. Spartacus) puis celui qui coûta la vie à Piatakov, à Radek et enfin ce fut le procès dit du groupe Rykov-Boukharine-Kretinski. Toutefois, le plus dangereux des bolcheviks, bien qu'à l'extérieur, restait Trotsky. Staline l'avait déjà atteint en faisant assassiner, en 1938, son fils Léon Sédov à Paris. Maintenant c'était Trotsky lui-même qu'il fallait supprimer.

"Mais était-il nécessaire que la révolution bolchevique fit périr tous les bolcheviks ?" se demande, dans son livre, le général Walter G. Krivitsky qui était, dans les années 1930, le chef militaire du contre-espionnage soviétique en Europe occidentale. Bien qu'il dise ne pas avoir de réponse à cette question, il en fournit une très claire dans les pages 35 et 36 de son livre J'étais un agent de Staline (Editions Champ libre, Paris, 1979). La poursuite des procès de Moscou et la liquidation des derniers bolcheviks étailcheviks étaient bien le prix à payer pour la marche à la guerre : "Le but secret de Staline restait le même (l'entente avec l'Allemagne). En mars 1938, Staline monta le grand procès de dix jours, du groupe Rykov-Boukharine-Kretinski, qui avaient été les associés les plus intimes de Lénine et les pères de la révolution soviétique. Ces leaders bolcheviques - détestés de Hitler - furent exécutés le 3 mars sur l'ordre de Staline. Le 12 mars Hitler annexait l'Autriche. (...) C'est le 12 janvier 1939 qu'eut lieu devant tout le corps diplomatique de Berlin, la cordiale et démocratique conversation de Hitler avec le nouvel ambassadeur soviétique." Et c'est ainsi que l'on en est arrivé au pacte germano-soviétique Hitler-Staline du 23 août 1939.

Toutefois, la liquidation des derniers bolcheviks, si elle répondait en premier aux besoins de la politique de Staline, était également une réponse aux besoins de celle de toute la bourgeoisie mondiale. C'est pourquoi le sort de Trotsky lui-même était désormais scellésormais scellé. Pour la classe capitaliste du monde entier, Trotsky, le symbole de la révolution d'Octobre, devait disparaître !

Robert Coulondre (1), ambassadeur de France auprès du IIIe Reich fournit un témoignage éloquent dans une description qu'il fait de sa dernière rencontre avec Hitler, juste avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale. Hitler s'y était en effet vanté du pacte qu'il venait de conclure avec Staline. Il traçait un panorama grandiose de son futur triomphe militaire. En réponse, l'ambassadeur français faisant appel à sa raison, lui parla du tumulte social et des risques de révolutions qui pourraient faire suite à une guerre longue et meurtrière et qui pourraient détruire tous les gouvernements belligérants. "Vous pensez à vous-mêmes comme si vous étiez le vainqueur..., dit l'ambassadeur, mais avez-vous songé à une autre possibilité? Que le vainqueur pourrait être Trotsky".(2). Hitler fit un bond, comme s'il avait été frappé au creux de l'estomac, et hurla que cette possia que cette possibilité, la menace d'une victoire de Trotsky, était une raison de plus, pour la France et la Grande-Bretagne, de ne pas déclencher la guerre contre le IIIe Reich. Isaac Deutscher a tout à fait raison de souligner la remarque faite par Trotsky (3), lorsqu'il a pris connaissance de ce dialogue, selon laquelle les représentants de la bourgeoisie internationale "sont hantés par le spectre de la révolution, et ils lui donnent un nom d'homme." (4)

Trotsky devait mourir (5) et, lui-même, se rendait compte que ses jours étaient comptés. Son élimination avait une plus grande signification que celle des autres vieux bolcheviks et des membres de la gauche communiste russe. L'assassinat des vieux bolcheviks avait servi à renforcer le pouvoir absolu de Staline. Celui de Trotsky manifestait en plus la nécessité pour la bourgeoisie mondiale, y compris pour la bourgeoisie russe, d'aller à la guerre mondiale librement. Cette voie fut nettement dégagée après la disparition de la dernière grande figure de la révolution d'Octobre, du plus célèbre des internationa des internationalistes. C'est toute l'efficacité de l'appareil de la GPU que Staline a utilisée pour le liquider. Il y a eu d'ailleurs plusieurs tentatives; elles ne pouvaient que se multiplier et effectivement elles se rapprochaient dans le temps. Rien ne semblait pouvoir arrêter la machine stalinienne. Quelques temps avant son assassinat, Trotsky dut subir une attaque de nuit de la part d'un commando le 24 mai 1939. Les sbires de Staline avaient réussi à poster des mitrailleuses en face des fenêtres de sa chambre. Ils avaient pu tirer près de 200 à 300 coups de feu et jeter des bombes incendiaires. Fort heureusement les fenêtres étaient hautes au-dessus du sol et Trotsky, sa femme Natalia ainsi que son petit-fils Siéva ont miraculeusement pu en réchapper en se jetant sous le lit. Mais la tentative suivante allait être la bonne. C'est ce que réalisa Ramon Mercader à coups de piolet.

Les positions de Trotsky avant la guerre

Mais pour la bourgeoisie, l'assassinat de Trotsky ne pouvait pas suffire. Ainsi suffire. Ainsi que l'avait parfaitement écrit Lénine dans L'Etat et la révolution : "Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d'oppresseurs les récompensent par d'incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d'en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d'entourer leur nom d'une certaine auréole afin de "consoler" les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l'avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire. (...) On oublie, on refoule, on altère le côté révolutionnaire de la doctrine, son âme révolutionnaire. On met au premier plan, on exalte ce qui est ou paraît être acceptable pour la bourgeoisie."

Concernant Trotsky, ce sont ceux qui se prétendent ses continuateurs, ceux qui réclament son héritage, les trotskistes, qui ont assumé i ont assumé la sale besogne après sa mort. C'est en partant de ses positions "opportunistes" qu'ils ont justifié toutes les guerres nationales depuis la fin de la dernière guerre mondiale impérialiste et qu'ils se sont faits les défenseurs d'un camp impérialiste : celui de l'URSS.

A l'époque de la fondation de la IVe Internationale en 1938, Trotsky basait sa réflexion sur l'idée que le capitalisme se situe dans sa période "d'agonie". La Fraction italienne de la Gauche communiste (Bilan) la défendait également ; nous sommes d'accord avec cette appréciation de la période même si nous ne suivons pas Trotsky quand il affirme que, de ce fait, "les forces productives avaient cessé de croître" (6). Il est parfaitement juste d'affirmer, comme il l'a fait, que le capitalisme, dans sa période "d'agonie", a cessé d'être une forme progressiste de la société et que sa transformation socialiste est à l'ordre du jour de l'histoire. Cependant, il faisait l'erreur de penser que, dans les années 1930, lenées 1930, les conditions de la révolution prolétarienne étaient réunies. Il l'avait annoncé avec l'arrivée des Fronts populaires en France puis en Espagne, contrairement à ce que défendait la Fraction italienne de la Gauche communiste (7). Cette erreur concernant la compréhension du cours historique, qui l'amenait à penser que la révolution était immédiatement à l'ordre du jour alors que c'était la deuxième guerre mondiale qui se préparait, est une des clés qui permet de comprendre les positions opportunistes qu'il a particulièrement développées durant cette période.

Pour Trotsky cela se traduisait concrètement par la mise en avant du concept de "programme de transition", concept qu'il avait élaboré au moment de la fondation de la IVe Internationale en 1938. Il s'agit en fait d'un ensemble de revendications pratiquement irréalisables dont la mise en avant devait permettre d'élever la conscience de la classe ouvrière et d'aiguiser la lutte de classe. C'était le socle de sa stratégie politique. De son point de ue. De son point de vue, le programme de transition n'était pas un ensemble de mesures réformistes dans la mesure où elles n'avaient pas pour but d'être appliquées ; d'ailleurs elles ne pouvaient pas l'être. En fait, elles devaient montrer l'incapacité du capitalisme à accorder des réformes durables à la classe ouvrière et, par conséquent, lui montrer la faillite du système et, de ce fait, la pousser à lutter pour la destruction de celui-ci.

Sur ces prémices, Trotsky avait également développé sa fameuse "politique militaire prolétarienne" (PMP) (8) qui, fondamentalement, était l'application du programme de transition à une période de guerre et de militarisme universel ("Notre programme de transition militaire est un programme d'agitation", Oeuvres n°24). Cette politique se voulait gagner aux idées révolutionnaires les millions de prolétaires mobilisés. Elle était centrée sur la revendication de la formation militaire obligatoire pour la classe ouvrière, sous la surveillance d'officiers é d'officiers élus, dans des écoles spéciales d'entraînement fondées par l'Etat mais sous le contrôle des institutions ouvrières comme les syndicats. Bien évidemment aucun Etat capitaliste ne pouvait accéder à de telles revendications pour la classe ouvrière sous peine de se nier en tant qu'Etat. La perspective, pour Trotsky, était le renversement du capitalisme par les prolétaires en armes d'autant plus que, pour lui, la guerre allait créer les conditions favorables pour une insurrection prolétarienne comme cela est arrivé avec la première guerre mondiale.

"La guerre actuelle nous l'avons dit plus d'une fois, n'est que la continuation de la dernière guerre. Mais continuation n'est pas répétition. (?) Notre politique, la politique du prolétariat révolutionnaire à l'égard de la deuxième guerre impérialiste, est une continuation de la politique élaborée pendant la première guerre impérialiste, avant tout sous la direction de Lénine." (Fascisme, bonapartisme et guerre, tome 24 des Oeuvres dedes Oeuvres de Trotsky)

D'après lui, les conditions étaient même plus favorables que celles qui avaient prévalu avant 1917 dans la mesure où, à la veille de cette nouvelle guerre, au niveau objectif, le capitalisme a fait la preuve qu'il est dans une impasse historique, alors qu'au niveau subjectif, il fallait prendre en compte l'expérience mondiale accumulée par la classe ouvrière.

"C'est cette perspective (la révolution) qui doit être à la base de notre agitation. Il ne s'agit pas simplement d'avoir une position sur le militarisme capitaliste et le refus de défendre l'Etat bourgeois, mais de la préparation directe pour la prise du pouvoir et la défense de la patrie socialiste..." (Ibidem)

Trotsky avait manifestement perdu la boussole en croyant que le cours historique était encore à la révolution prolétariennerolétarienne. Il n'avait pas une vision correcte de la situation de la classe ouvrière et du rapport de force entre elle et la bourgeoisie. Seule la Gauche communiste italienne a été capable de montrer que, dans les années 1930, l'humanité vivait une période de profonde contre-révolution, que le prolétariat avait été battu et que seule la solution de la bourgeoisie, la guerre impérialiste mondiale, était alors possible.

Toutefois, on peut constater que, malgré son galimatias "militariste", qui l'a fait glisser vers l'opportunisme, Trotsky se maintenait fermement sur une position internationaliste. Mais en cherchant à être "concret" (comme il cherchait à l'être, dans les luttes ouvrières, avec sa proposition de programme de transition, et dans l'armée avec sa politique militaire) pour gagner les masses ouvrières à la révolution, il en arrivait à s'éloigner de la vision classique du marxisme et à défendre une politique opposée aux intérêts du prolétariat. Cette politique qui se voulait très tactique ès tactique était, en fait, extrêmement dangereuse car elle tendait à enchaîner les prolétaires à l'Etat bourgeois et à leur faire croire qu'il peut exister de bonnes solutions bourgeoises. Dans la guerre, cette "subtile" tactique sera développée par les trotskistes pour justifier l'injustifiable et, en particulier, leur ralliement à la bourgeoisie à travers la défense de la nation et la participation à la "résistance".

Mais, fondamentalement, comment doit-on comprendre l'importance donnée par Trotsky à sa "politique militaire"? Pour lui, la perspective qui se profilait pour l'humanité était celle d'une société totalement militarisée, qui allait de plus en plus être marquée par une lutte armée entre les classes. Le sort de l'humanité devait surtout se régler sur le plan militaire. De ce fait, la responsabilité première du prolétariat était, dès à présent, de s'y préparer pour disputer le pouvoir à la classe capitaliste. C'est cette vision qu'il a particuli&egqu'il a particulièrement développée au début de la guerre quand il disait :

"Dans les pays vaincus, la position des masses va être immédiatement aggravée. A l'oppression sociale s'ajoute l'oppression nationale, dont le fardeau principal est supporté par les ouvriers. De toutes les formes de dictature, la dictature totalitaire d'un conquérant étranger est la plus intolérable." (Notre cap ne change pas du 30 juin 1940 in tome 24 des Oeuvres de L. Trotsky)

"Il est impossible de placer un soldat armé d'un fusil près de chaque ouvrier et paysan polonais, norvégien, danois, néerlandais, français." (9)

"On peut s'attendre avec certitude à la transformation rapide de tous les pays conquis en poudrières. Le danger est plutôt que les explosions ne se produisent trop tôt sans pré sans préparation suffisante et de conduire à des défaites isolées. Il est en général impossible pourtant de parler de révolution européenne et mondiale sans prendre en compte les défaites partielles." (Ibidem)

Cependant, cela n'enlève rien au fait que Trotsky est resté jusqu'au bout un révolutionnaire prolétarien. La preuve est contenue dans le Manifeste, dit d'Alarme, de la IVe Internationale qu'il a rédigé pour prendre position, sans ambiguïtés et du seul point de vue du prolétariat révolutionnaire, face à la guerre impérialiste généralisée :

"En même temps nous n'oublions pas un instant que cette guerre n'est pas notre guerre (?). La IVe Internationale construit sa politique non sur les fortunes militaires des Etats capitalistes, mais sur la transformation de la guerre impérialiste en guerre d'ouvriers contre les capitalistes, pour le renversement des classes dirigeades classes dirigeantes de tous les pays, sur la révolution socialiste mondiale. (?) Nous expliquons aux ouvriers que leurs intérêts et ceux du capitalisme assoiffé de sang sont irréconciliables. Nous mobilisons les travailleurs contre l'impérialisme. Nous propageons l'unité des travailleurs dans tous les pays belligérants et neutres." (Manifeste de la IVe Internationale du 29 mai 1940, p. 75, tome 24 des Oeuvres de Trotsky)

Voilà ce que les trotskistes ont "oublié" et trahi.

Par contre, le "programme de transition" et la PMP ont été des orientations politiques de Trotsky qui ont, d'un point de vue de classe, abouti à un fiasco. Non seulement il n'y a pas eu de révolution prolétarienne au sortir de la deuxième guerre mondiale, mais de plus la PMP a permis à la IVe Internationale de justifier sa participation à la boucherie impérialiste généralisée en faisant de ses militants de bons petits soldats de la &quo soldats de la "démocratie" et du stalinisme. C'est à ce moment-là que le trotskisme est irrémédiablement passé dans le camp ennemi.

La question de la nature de L'URSS : un talon d'Achille de Trotsky

Il est clair que la faiblesse la plus grave de Trotsky a été sa non-compréhension que le cours historique était à la contre-révolution et, par voie de conséquence, à la guerre mondiale comme le mettait clairement en avant la Gauche communiste italienne. Voyant toujours le cours à la révolution, en 1936 il claironnait :"La révolution française a commencé" (La lutte ouvrière du 9 juin 1936) ; et pour l'Espagne :"Les ouvriers du monde entier attendent fiévreusement la nouvelle victoire du prolétariat espagnol" (La lutte ouvrière du 9 août 1936). Ainsi, il commettait une faute politique majeure en faisant croire à la classe ouvrière que ce qui se passait e ce qui se passait à ce moment-là, notamment en France et en Espagne, allait dans le sens de la révolution prolétarienne alors que la situation mondiale prenait la direction opposée : "De son expulsion d'URSS en 1929 jusqu'à son assassinat, Trotsky n'a fait qu'interpréter le monde à l'envers. Alors que la tâche de l'heure était devenue de rassembler les énergies révolutionnaires rescapées de la défaite pour entreprendre avant tout un bilan politique complet de la vague révolutionnaire, Trotsky s'est ingénié aveuglément à voir le prolétariat toujours en marche, là où il était défait. De ce fait, la IVe Internationale, créée voici plus de 50 ans, ne fut qu'une coquille vide à travers laquelle le mouvement réel de la classe ouvrière ne pouvait pas passer, pour la simple et tragique raison qu'il refluait dans la contre-révolution. Toute l'action de Trotsky, basée sur cette erreur, a de plus contribué à disperser les trop faibles forces révolutionnaires présentes de par le monde dans les années 1930 et pire, à en entraîner la plus grande partie dans le bourbier capitaliste du soutien &qualiste du soutien "critique" aux gouvernements de type "fronts populaires" et de participation à la guerre impérialiste." (Brochure du CCI, Le trotskisme contre la classe ouvrière)

Parmi les graves erreurs qu'a fait Trotsky il y a notamment sa position sur la nature de l'URSS. Tout en s'attaquant au stalinisme, il a toujours considéré et défendu l'URSS comme étant la "patrie du socialisme" et pour le moins comme "un Etat ouvrier dégénéré".

Mais toutes ces erreurs politiques, bien qu'elles aient eu des conséquences dramatiques, n'ont pas fait de lui un ennemi de la classe ouvrière alors que ses "héritiers", eux, le sont devenus après sa mort. Trotsky a même été capable, à la lumière des événements survenus au début de la guerre impérialiste, d'admettre qu'il lui fallait réviser et, sans doute, modifier son jugement politique notamment concernant l'URSS.

C'est ainsi qu'il affirmait dans un de ses derniers écrits daté du 25 septembre 1939 et intitulé "L'URSS dans la guerre" : "Nous ne changeons pas d'orientation. Mais supposons que Hitler tourne ses armes à l'Est et envahisse des territoires occupés par l'Armée rouge. (..) Tandis que, les armes à la main, ils porteront des coups à Hitler, les bolcheviks-léninistes mèneront en même temps une propagande révolutionnaire contre Staline, afin de préparer son renversement à l'étape suivante..." (Oeuvres, tome n°22)

Il défendait certes son analyse de la nature de l'URSS mais il liait le sort de celle-ci à l'épreuve que la deuxième guerre mondiale lui ferait subir. Dans ce même article il disait que, si le stalinisme sortait vainqueur et renforcé de la guerre (perspective qu'il n'envisageait pas), il faudrait alors revoir le jugement qu'il portait sur l'URSS et même sur la situation politique g&eation politique générale :

"Si l'on considère cependant que la guerre actuelle va provoquer, non la révolution, mais le déclin du prolétariat, il n'existe alors plus qu'une issue à l'alternative : la décomposition ultérieure du capital monopoliste, sa fusion ultérieure avec l'Etat et la substitution à la démocratie, là où elle s'est encore maintenue, d'un régime totalitaire. L'incapacité du prolétariat à prendre en mains la direction de la société pourrait effectivement, dans ces conditions, mener au développement d'une nouvelle classe exploiteuse issue de la bureaucratie bonapartiste et fasciste. Ce serait, selon toute vraisemblance, un régime de décadence qui signifierait le crépuscule de la civilisation.

On aboutirait à un résultat analogue dans le cas où le prolétariat des pays capitalistes avancés, ayant pris le pouvoir se révélerait incapable de leerait incapable de le conserver et l'abandonnerait comme en URSS, à une bureaucratie privilégiée. Nous serions alors obligés de reconnaître que la rechute bureaucratique n'était pas due à l'arriération du pays et à l'environnement capitaliste, mais à l'incapacité organique du prolétariat à devenir une classe dirigeante. Il faudrait alors établir rétrospectivement que, dans ses traits fondamentaux, l'URSS actuelle était le précurseur d'un nouveau régime d'exploitation à une échelle internationale.

Nous nous sommes bien écartés de la controverse terminologique sur la dénomination de l'Etat soviétique. Mais que nos critiques ne protestent pas : ce n'est qu'en se plaçant sur la perspective historique nécessaire que l'on peut formuler un jugement correct sur une question comme le remplacement d'un régime social par un autre. L'alternative historique poussée jusqu'à son terme se présente ainsi : ou bien le régime stalinien n'est qu'une rechute exécrable dans le processus de la transformation de la nsformation de la société bourgeoise en société socialiste, ou bien le régime stalinien est la première étape d'une société d'exploitation nouvelle. Si le second pronostic se révélait juste, alors, bien entendu, la bureaucratie deviendrait une nouvelle classe exploiteuse. Aussi lourde que puisse être cette seconde perspective, si le prolétariat mondial se montrait effectivement incapable de remplir la mission que lui a confiée le cours du développement, il ne resterait plus qu'à reconnaître que le programme socialiste, construit sur les contradictions internes de la société capitaliste s'est finalement avéré une utopie. Il va de soi qu'on aurait besoin d'un nouveau "programme minimum" pour défendre les intérêts des esclaves de la société bureaucratique totalitaire." (souligné par nous)

Si l'on fait abstraction de la vision en perspective qu'il développe à ce moment-là, une vision qui est révélatrice d'un découragement, pour ne pas dire d'une démoralisation profonde, qui sembl profonde, qui semble lui faire perdre toute confiance en la classe ouvrière et en sa capacité à assumer historiquement la perspective révolutionnaire, il est clair que Trotsky entame là une remise en question de ses positions sur la nature "socialiste" de l'URSS et sur le caractère "ouvrier" de la bureaucratie.

Trotsky a été assassiné avant la fin de la guerre ; et la Russie s'est retrouvée dans le camp des vainqueurs aux côtés de ce qu'on appelle les "démocraties". Comme Trotsky avait prévu de le faire, ces conditions historiques nécessitait, de la part de ceux qui se prétendent ses fidèles continuateurs, une révision de sa position dans le sens qu'il fallait, comme il le disait, "établir rétrospectivement que, dans ses traits fondamentaux, l'U.R.S.S. actuelle était le précurseur d'un nouveau régime d'exploitation à une échelle internationale". Non seulement la IVe Internationale s'est interdit de le faire mais, de plus, elle est passée avec armes et bagages dans les rangs de la bourgeois de la bourgeoisie. Seuls quelques éléments issus du trotskisme ont pu rester sur le terrain révolutionnaire comme ceux qui formaient le groupe chinois qui publiait en 1941 L'Internationaliste (Voir Revue Internationale n°94), ou les membres de la section espagnole de la IVe Internationale avec G. Munis (10), comme les Revolutionären Kommunisten Deutschlands (RKD), le groupe Socialisme ou barbarie en France, Agis Stinas (Mémoires, éditions La brèche, Paris 1990) en Grèce, et Natalia Trotsky.

Fidèle à l'esprit de celui qui fut son compagnon dans la vie et dans le combat pour la révolution, Natalia, dans son courrier du 9 mai 1951 adressé au Comité exécutif de la IVe Internationale, revenait et insistait particulièrement sur la nature contre-révolutionnaire de l'URSS : "Obsédés par des formules vieilles et dépassées, vous continuez à considérez l'Etat stalinien comme un Etat ouvrier. Je ne puis et ne veux vous suivre sur ce point. (?) Il devrait être clair pour chacun que la révolution a été compl&ete;té complètement détruite par le stalinisme. Cependant vous continuez à dire, sous ce régime inouï, la Russie est encore un Etat ouvrier."

Tirant toutes les conséquences de cette claire prise de position, elle poursuivait fort justement : "Ce qui est plus insupportable que tout, c'est la position sur la guerre à laquelle vous vous êtes engagés. La troisième guerre mondiale qui menace l'humanité place le mouvement révolutionnaire devant les problèmes les plus difficiles, les situations les plus complexes, les décisions les plus graves. (...) Mais face aux événements des récentes années, vous continuez de préconiser la défense de l'Etat stalinien et d'engager tout le mouvement dans celle-ci. Vous soutenez même maintenant les armées du stalinisme dans la guerre à laquelle se trouve soumis le peuple coréen crucifié."

Et, elle concluait avec courage : "Je ne puis et ne veux vous et ne veux vous suivre sur ce point." (...)"Je trouve que je dois vous dire que je ne vois pas d'autre voie que de dire ouvertement que nos désaccords ne me permettent plus de rester plus longtemps dans vos rangs." (Les enfants du prophète, Cahiers Spartacus, Paris 1972)

Les trotskistes aujourd'hui

Non seulement, comme l'affirme Natalia, les trotskistes n'ont pas suivi Trotsky et révisé leurs positions politiques suite à la victoire de l'URSS dans le deuxième conflit mondial, mais encore les discussions et les interrogations - quand elles existent de nos jours en leur sein - portent, pour celles qui doivent en principe apporter des clarifications et des approfondissements, sur la question de la "politique militaire prolétarienne" (Voir Cahiers Léon Trotsky n° 23, 39 et 43 ou Revolutionary history n° 3, 1988). Ces discussions continuent de passer sous silence des questions fondamentales comme celle de la nature de l'URSS ou celle de l'internationalisme prolétarien et dueacute;tarien et du défaitisme révolutionnaire face à la guerre. Au milieu d'un charabia pseudo-scientifique, Pierre Broué le reconnaît :

"Il est en effet indiscutable que l'absence de discussion et de bilan sur cette question (la PMP) a pesé très lourd dans l'histoire de la IVe Internationale. Une analyse en profondeur la ferait apparaître à la source de la crise qui a commencé à secouer cette dernière dans les années 50." (Cahiers Léon Trotsky n° 39). Comme c'est gentiment dit !

Les organisations trotskistes ont trahi et ont changé de camp, c'est un fait. Mais les historiens trotskistes, comme Pierre Broué ou Sam Lévy, s'évertuent à noyer la question en parlant de simple crise de leur mouvement : "La crise fondamentale du trotskisme sortit de la confusion et de l'incapacité à comprendre la guerre et le monde de l'immédiat après-guerre." (Sam Lévy, vétéravétéran du mouvement britannique, in Cahiers Léon Trotsky n° 23)

Il est exact que le trotskisme n'a pas compris la guerre et le monde de l'immédiat après-guerre; mais c'est bien pour cela qu'il a trahi la classe ouvrière et l'internationalisme prolétarien en soutenant un camp impérialiste contre l'autre dans la deuxième guerre mondiale et qu'il n'a cessé, depuis, de soutenir les petits impérialismes contre les gros dans les trop nombreuses luttes dites de libération nationale et autres luttes "des peuples opprimés". Pierre Broué, Sam Lévy et les autres ne le savent peut être pas mais le trotskisme est mort pour la classe ouvrière ; et il n'y a pas de résurrection possible pour un tel courant en tant qu'instrument d'émancipation de cette dernière. Et il ne sert à rien d'essayer de récupérer à leur compte les véritables internationalistes et en particulier ce qu'a fait la Gauche communiste italienne durant la guerre, comme les Cahiers Léon Trotsky tentent de le faire dans leur même numéro 39 (pages 36 et sui (pages 36 et suivantes). Un peu de pudeur, messieurs ! Ne mélangez pas les internationalistes de la Gauche communiste italienne et la IVe Internationale chauvine et traitre à la classe ouvrière. Nous, la Gauche communiste, nous n'avons rien à avoir avec la IVe Internationale et tous ses avatars actuels. Par contre, bas les pattes sur Trotsky ! Il appartient toujours à la classe ouvrière.

Rol

1. Robert Coulondre (1885-1959) ambassadeur à Moscou puis à Berlin.

2. Cité par Isaac Deutscher page 682 du tome 6 de Trotsky, éditions 10/18, Paris, 1980.

3. Page 68 du tome 24 des Oeuvres de Trotsky dans le Manifeste de la IVe Internationale sur la guerre impérialiste et la révolution prolétarienne mondiale, rédigé par lui-mê par lui-même le 23 mai 1939.

4. Op. cit, page 683. Pierre Broué dans les Cahiers Léon Trotsky cite l'ouvrage de l'historien américain Gabriel Kolko, Politics of war qui fourmille d'exemples qui vont dans le même sens.

5. Comme pour Jean Jaurès immédiatement avant l'éclatement de la première guerre mondiale de 1914-1918; mais, toute proportion gardée car Jean Jaurès était un pacifiste alors que Trotsky était toujours un révolutionnaire et un internationaliste.

6. Pour nous, si le système est entré en décadence cela ne signifie pas qu'il ne puisse pas encore se développer. Pour nous comme pour Trotsky, par contre, il y a décadence quand un système a perdu son dynamisme et que les forces productives sont une entrave au développement de la société. En un mot que le système a fini son rôle progressiste danle progressiste dans l'histoire et qu'il est mûr pour donner naissance à une autre société.

7. Cf. notre livre La Gauche communiste d'Italie et notre brochure Le trotskisme contre la classe ouvrière.

8. Cette position n'est pas nouvelle chez Trotsky, elle avait déjà été ébauchée au cours de la guerre d'Espagne. "? se délimiter nettement des trahisons et des traîtres sans cesser d'être les meilleurs combattants du front" p. 545 Tome II des Ecrits. Il reprend la comparaison entre être le meilleur ouvrier à l'usine comme le meilleur soldat sur le front. Cette formule est utilisée aussi dans la guerre contre le Japon en Chine qui est une nation "colonisée" et "agressée" par ce dernier (cf. p. 216 Oeuvres n° 14).

9. Ibidem. Ces nations sont citées parce qu'elles venaient d'être vaincues &tre vaincues à la date de l'article.

10. Voir notre brochure le trotskisme contre la classe ouvrière et l'article Trotsky appartient à la classe ouvrière, les trotskistes l'ont kidnappé, voir aussi la Revue Internationale n° 58 et notre article A la mémoire de Munis à sa mort en 1989.

DY

Conscience et organisation: 

  • L'Opposition de Gauche [38]

Courants politiques: 

  • Trotskysme [39]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La vague révolutionnaire, 1917-1923 [40]

Débat avec le BIPR - La vision marxiste et la vision opportuniste dans la politique de la construction du parti (I)

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Ces derniers mois, on a vu paraître dans la presse du BIPR1 des articles qui concernent la nécessité du regroupement des forces révolutionnaires en vue de construire le parti communiste mondial du futur. Un de ces articles, Les révolutionnaires, les internationalistes face à la perspective de guerre et à la situation du prolétariat 2, est un document écrit à la suite de la guerre au Kosovo l'année dernière :

"Les récents événements guerriers dans les Balkans, du fait même qu'ils s'étaient déroulés en Europe (...) ont été la marque d'un pas en avant important dans le processus qui conduit à la guerre impérialiste généralisée (...)

La guerre elle même et le type d'opposition qui lui a été faite sont le terrain sur lequel se produisent déjà la décantation et la sélection des forces révolutionnaires capables de contribuer à la construction du parti.

Ces forces seront à l'intérieur du camp délimité par certaines positions établies que nous donnons pour base intangible de toute initiative politique tendant au renforcement du front révolutionnaire face au capital et à ses guerres."

A la suite de ce passage, se trouvent les "21 positions" 3 désignées par le BIPR comme positions discriminantes.

Ce sont justement ces "événements guerriers dans les Balkans" qui ont amené notre organisation à lancer, au début de la guerre elle même, un appel aux différentes organisations révolutionnaires présentes au niveau mondial pour que l'internationalisme prolétarien puisse s'exprimer d'une seule et forte voix. Et parallèlement à cet appel nous avions précisé :

"Il existe naturellement aussi des divergences qui concernent une approche différente de l’analyse de l'impérialisme dans la phase actuelle et du rapport de force entre les classes. Mais, sans sous-estimer ces divergences, nous considérons que les aspects qui les (nous) unissent sont de très loin plus importants et significatifs que ceux qui les distinguent par rapport aux enjeux du moment et c'est sur cette base que, le 29 Mars 1999, nous avons lancé un appel à l'ensemble de ces groupes pour prendre une initiative commune contre la guerre." 4

Comme cet appel, fait il y a plus d'un an, est complètement tombé dans le vide5, on peut se demander pourquoi le BIPR en arrive aujourd'hui seulement à ses "21 conditions" - avec lesquelles, hormis certaines réserves sur deux points seulement6, nous sommes en complet accord - et n'a pas répondu à notre appel à l'époque. La réponse se trouve vers la fin du document du BIPR ; réponse dans laquelle on trouve une partie qui concerne, de toute évidence, le CCI (sans jamais le nommer naturellement) et qui affirme que "à 23 ans de distance de la 1ère Conférence Internationale convoquée par Battaglia Comunista 7 pour amorcer une première confrontation entre les groupes politiques qui se réclament des principes généraux de classe et internationalistes défendus par la gauche communiste à partir de la moitié des années 20, il est possible - et donc nécessaire désormais – de faire un bilan de cette confrontation."

Un bilan ? Après 23 ans ? Et pourquoi seulement maintenant ? Selon le BIPR, dans les deux décennies suivantes, "le processus de décantation du «camp politique prolétarien» s'est accéléré, excluant toutes ces organisations qui, d'une manière ou d'une autre, sont tombées sur le terrain de la guerre en abandonnant le principe intangible du défaitisme révolutionnaire."

Mais la partie où il s'agit de nous (et des formations bordiguistes) vient juste après :

"D'autres composantes de ce camp, bien que n'étant pas tombées dans la tragique erreur de soutenir un front de guerre (...), se sont également éloignées de la méthode et des perspectives de travail qui conduisent à l'agrégation du futur parti révolutionnaire. Victimes irrécupérables de positions idéalistes ou mécanicistes (...)" (souligné par nous).

Comme nous pensons que les accusations que le BIPR nous adresse ne sont pas fondées - et que de plus, nous craignons qu'elles ne servent à masquer une pratique politique opportuniste - nous allons chercher à développer dans ce qui suit une réponse à ces accusations en montrant ce qu'a été l'attitude du courant marxiste du mouvement ouvrier en ce qui concerne "la méthode et les perspectives de travail qui conduisent à l'agrégation du futur parti révolutionnaire", pour vérifier concrètement si, et dans quelle mesure, le BIPR et les groupes qui l'ont créé ont été cohérents avec cette orientation. Pour ce faire, nous prendrons en considération deux questions qui sont l'expression, dans leur unité, des deux niveaux auxquels se pose le problème de l'organisation des révolutionnaires aujourd'hui :

  1. comment concevoir la future Internationale,

  2. quelle politique mener pour la construction de l'organisation et le regroupement des révolutionnaires.

1- Comment concevoir la future Internationale ? Parti Communiste International ou Internationale des partis communistes ?

Comment sera la future Internationale ? Une organisation conçue de manière unitaire depuis le début, c'est à dire un parti communiste international, ou bien une Internationale des partis communistes des différents pays ? Sur ce problème, la pensée et le combat d'Amadeo Bordiga et de la Gauche Italienne constituent une référence intangible. Dans la conception de Bordiga, l'Internationale Communiste devait déjà être, et c'est ainsi qu'il l’appelait, le parti mondial ; et en cohérence avec cette conception, Bordiga en était arrivé à renoncer à quelques points dits "tactiques" qu'il avait pourtant défendus jusque là avec la plus grande fermeté (abstentionnisme, regroupement sans le centre) afin d'affirmer et de faire vivre la prééminence de l'Internationale sur chaque parti national, afin de souligner que l'IC était une organisation unique et non une fédération de partis, une organisation qui devait avoir une politique unique partout dans le monde et non des politiques spécifiques pour chaque pays.

"Et alors, nous, nous affirmons que la plus haute assemblée internationale n'a pas seulement le droit d'établir ces formules qui sont en vigueur et doivent être en vigueur dans tous les pays sans exception, mais a aussi le droit de s'occuper de la situation dans un pays et donc, de pouvoir dire que l'Internationale pense que - par exemple - on doit faire et on doit agir de telle façon en Angleterre." (Amedeo Bordiga, discours au Congres de Livourne 1921, dans "La Gauche Communiste sur le chemin de la révolution", Edizioni Sociali, 1976)

Cette conception, Bordiga l'a défendue au nom de la gauche italienne et cela d'autant plus qu'il luttait contre la dégénérescence de l'Internationale elle même, quand la politique de celle-ci se confondait de plus en plus avec la politique et les intérêts de l'Etat russe.

"Il faut que le parti russe soit aidé, dans la résolution de ses problèmes par les partis frères. Il est vrai que ceux ci ne possèdent pas une expérience directe des problèmes de gouvernement, mais ils contribueront malgré cela à leur solution en apportant un coefficient classiste et révolutionnaire dérivant directement de la lutte de classe réelle qui se déroule dans leur pays respectifs." 8

Et c'est enfin dans la réponse de Bordiga à la lettre de Karl Korsch que ressort, avec plus de clarté encore, ce que devrait être l'Internationale et ce qu'elle n'a pas réussi à être :

"Je crois que l'un des défauts de l'Internationale actuelle a été d'être « un bloc d'oppositions » locales et nationales. Il faut réfléchir sur ce point, sans se laisser aller à des exagérations, mais pour mettre à profit ces enseignements. Lénine a arrêté beaucoup de travail d'élaboration « spontané » en comptant rassembler matériellement les différents groupes et ensuite seulement les fondre de façon homogène à la chaleur de la révolution russe. En grande partie, il n'a pas réussi." (extraits de la lettre de Bordiga à Korsch, publiée dans Programme Communiste n°68)

En d'autres termes, Bordiga regrette que l'Internationale se soit formée à partir des "oppositions" aux vieux partis sociaux démocrates, encore incohérentes politiquement entre elles ; et il déplore que le projet de Lénine d'homogénéiser les diverses composantes, sur le fond, n'ait pas réussi.

C'est à partir de cette vision que les organisations révolutionnaires qui ont existé pendant les années de la contre-révolution, malgré la conjoncture politique défavorable, se sont toujours conçues comme des organisations non seulement internationalistes mais aussi internationales. Ce n’est pas par hasard qu'un des procédés utilisés pour attaquer la fraction italienne au sein de l'Opposition Internationale de Trotsky a justement été de l'accuser de suivre une politique "nationale".9

Voyons, par contre, quelle est la conception du BIPR sur cette question :

"Le BIPR s'est constitué en tant qu'unique forme possible d'organisation et de coordination, intermédiaire entre l’œuvre isolée d'avant-gardes de différents pays et la présence d'un vrai Parti International (...). De nouvelles avant-gardes - dégagées des vieux schémas qui s'étaient révélés inefficaces pour expliquer le présent et donc pour prévoir le futur - se sont attelées à la tâche de construction du parti (...). Ces avant-gardes ont le devoir, qu'elles assument, de s'établir et de se développer sur la base d'un corps de thèses, une plate-forme et un cadre organisationnel qui soient cohérents entre eux et avec le Bureau qui, en ce sens, joue le rôle de point de référence de la nécessaire homogénéisation des forces du futur parti (...)."

Jusque là, le discours du BIPR, à part quelques redondances superflues, ne semble pas dans ses grandes lignes, être en contradiction avec la position que nous avons citée plus haut. Mais le passage suivant pose plus de problème :

"Pôle de référence ne veut pas dire structure imposée. Le BIPR n'entend pas accélérer les échéances de l'agrégation internationale des forces révolutionnaires plus que la durée « naturelle » du développement politique des avant-gardes communistes dans les différents pays." 10

Cela veut dire que le BIPR, en réalité les deux organisations qui en font partie, ne considère pas qu'il soit possible de constituer une unique organisation internationale avant la constitution du parti mondial. De plus, il est fait référence à d'étranges "durées naturelles de développement politique des avant-gardes politiques dans les différents pays", ce qui devient plus clair si on va voir de quelle vision le BIPR cherche à se démarquer, c'est-à-dire celle du CCI et de la gauche communiste italienne :

"Nous refusons par principe et sur la base des différentes résolutions de nos congrès, l'hypothèse de la création de sections nationales par bourgeonnement d'une organisation préexistante, serait-elle même la nôtre. On ne construit pas une section nationale du parti international du prolétariat en créant dans un pays, de façon plus ou moins artificielle, un centre de rédaction de publications rédigées ailleurs et de toute façon sans liens avec les réelles batailles politiques et sociales dans le pays lui même." (souligné par nous) 11

Ce passage mérite évidemment une réponse attentive parce qu'ici, ce qui est contenu, c'est la différence stratégique dans la politique de regroupement international mise en œuvre par le BIPR par rapport à celle du CCI. Naturellement, notre stratégie de regroupement international est volontairement ridiculisée quand il est parlé de "bourgeonnement d'une organisation préexistante", de création "dans un pays, de façon plus ou moins artificielle, d'un centre de rédaction de publications rédigées ailleurs", de façon à induire automatiquement chez le lecteur un sentiment de rejet vis-à-vis de la stratégie du CCI.

Mais regardons les choses concrètement, admettons la validité de telles assertions et vérifions la. Selon le BIPR, s'il surgit un nouveau groupe de camarades, disons au Canada, qui se rapproche des positions internationalistes, ce groupe peut bénéficier de la contribution critique fraternelle, même polémique, mais il doit grandir et se développer à partir du contexte politique de son propre pays, "en lien avec les réelles batailles politiques et sociales dans le pays lui même". Ce qui veut dire que, pour le BIPR, le contexte actuel et local d'un pays particulier est plus important que le cadre international et historique donné par l’expérience du mouvement ouvrier. Quelle est en revanche notre stratégie de construction de l'organisation au niveau international que le BIPR cherche volontairement à éclairer d'un mauvais jour quand il parle de "création de sections nationales par bourgeonnement d'une organisation préexistante" ? Qu'il y ait 1 ou 100 candidats à militer dans un nouveau pays, notre stratégie n'est pas de créer un groupe local qui doit évoluer sur place, "en lien avec les réelles batailles politiques et sociales du pays lui même", mais d'intégrer rapidement ces nouveaux militants dans le travail international d'organisation au sein duquel, de façon centrale, il y a l'intervention dans le pays des camarades qui s'y trouvent. C'est pour cela que, même avec de faibles forces, notre organisation cherche à être présente rapidement avec une publication locale sous la responsabilité du nouveau groupe de camarades parce que celle-ci, nous en sommes sûrs, représente le moyen le plus direct et le plus efficace pour, d'une part, élargir notre influence et, d'autre part, procéder directement à la construction de l'organisation révolutionnaire. Qu'est ce qui est artificiel là dedans et pourquoi parler de bourgeonnement des organisations préexistantes ? Cela reste encore à expliquer.

En réalité, ces confusions de BC et de la CWO sur le plan organisationnel trouvent leurs racines dans leur incompréhension plus profonde et plus générale de la différence qui existe entre la 2ème et la 3ème Internationale du fait du changement fondamental de période historique :

  • la deuxième moitié du 19e siècle représente une période favorable aux luttes pour les réformes ; le capitalisme est en pleine expansion et l'Internationale est, dans cette période, une internationale de partis nationaux qui luttent dans leurs pays respectifs, avec des programmes différents (conquêtes démocratiques pour certains, question nationale pour d'autres, écrasement du tsarisme en Russie, lois "sociales" en faveur des ouvriers dans d'autres pays, et ainsi de suite) ;

  • l'éclatement de la première guerre mondiale est l'expression de l'épuisement des potentialités du mode de production capitaliste, de son incapacité à se développer encore de façon à garantir un avenir à l'humanité. S'ouvre donc l'époque des guerres et des révolutions dans laquelle se pose objectivement l'alternative "communisme ou barbarie". Dans ce contexte, le problème de construire des partis nationaux particuliers avec des tâches locales spécifiques ne se pose plus, mais c'est celui de construire un seul parti mondial avec un seul programme et une unité d’action complète pour diriger l’action commune et simultanée du prolétariat mondial vers la révolution.12

Les restes de fédéralisme qui subsistent dans l'IC sont les vestiges de la période précédente (comme la question parlementaire, par exemple) qui pèsent encore sur la nouvelle internationale ("le poids des générations mortes pèse sur le cerveau des vivants", Marx dans Le 18 Brumaire).

On peut de plus ajouter que tout au long de son histoire (même quand il était compréhensible que l'Internationale ait une structure fédéraliste), la gauche marxiste a toujours lutté contre le fédéralisme. Rappelons nous les épisodes les plus significatifs :

 

  • Marx et le Conseil Général de la 1ère Internationale (AIT) se battent contre le fédéralisme des anarchistes et contre leur tentative de construire une organisation secrète au sein de l'AIT elle même ;

 

  • dans la 2ème Internationale, Rosa Luxemburg se bat pour que les décisions du congrès soient réellement appliquées dans les différents pays ;

 

  • dans la 3ème Internationale (IC), il n'y a pas que la gauche qui se bat pour la centralisation, mais Lénine et Trotsky eux mêmes depuis le début contre les "particularismes" de certains partis qui cachent leur politique opportuniste (par exemple contre la présence des francs-maçons dans le parti français).

On pourrait encore ajouter que le processus de formation d'un parti au niveau mondial avant que ne se soient consolidées, ou même créées, ses composantes dans chaque pays a justement été le processus de formation de l'IC13. On sait qu'il existait un désaccord sur cette question entre Lénine et Rosa Luxemburg. Celle ci était contre la formation immédiate de l'IC - et elle avait en conséquence donné comme mandat au délégué allemand, Eberlein, de voter contre sa fondation - parce qu'elle considérait que les temps n'étaient pas mûrs du fait que la plupart des partis communistes ne s'étaient pas encore formés et que, de ce fait, le parti russe aurait un trop grand poids au sein de l'IC. Ses craintes sur le poids excessif qu'aurait le parti russe se sont révélées malheureusement justes avec le déclin de la phase révolutionnaire et la dégénérescence de l'IC ; en fait, il était déjà trop tard par rapport aux exigences de la classe, même si les communistes ne pouvaient pas faire mieux avec la guerre qui s'était terminée quelques mois auparavant.

Ce serait intéressant de savoir ce que le BIPR pense de cette controverse historique ; peut-être que le BIPR pense que Rosa avait raison contre Lénine en soutenant que les temps n'étaient pas mûrs pour la fondation de l'IC ?

Cette orientation fédéraliste sur le plan théorique se reflète naturellement dans la pratique quotidienne. Les deux organisations qui forment le BIPR ont eu pendant 13 ans, à partir de la constitution et jusqu'en 1997, deux plates-formes politiques distinctes ; elles n'ont pas de moments avec des assemblées plénières de l'ensemble de l'organisation (sinon celles de chaque organisation auxquelles participe une délégation de l'autre, ce qui est tout autre chose) ; elles n'ont pas un débat visible entre elles et elles ne semblent pas en ressentir le besoin, même si au cours des 16 années parcourues depuis la constitution du BIPR, on a souvent remarqué des différences criantes dans l'analyse de l'actualité, dans les positions sur le travail international, etc. La vérité est que ce modèle d'organisation, que le BIPR ose élever au rang de "seule forme possible d'organisation et de coordination" maintenant, est de fait la forme d'organisation opportuniste par excellence. C'est l'organisation qui permet d'attirer dans l'orbite du BIPR de nouvelles organisations en leur conférant l'étiquette de "gauche communiste" sans forcer outre mesure leur nature d'origine. Quand le BIPR parle du fait qu'il faut attendre "la maturation des temps naturels du développement politique des avant-gardes politiques dans les différents pays", il ne fait en réalité qu'exprimer sa conception opportuniste de ne pas trop pousser la critique des groupes avec qui il est en contact afin de ne pas perdre leur confiance.14

Tout cela, nous ne l'avons pas inventé, c'est simplement le bilan de 16 années d'existence du BIPR qui, malgré tout le triomphalisme qui ressort de sa presse, n'a pas eu jusqu'à maintenant de résultats significatifs : il y avait deux groupes à la formation du BIPR en 1984, il y a deux groupes qui en font encore partie aujourd'hui. Il pourrait être de quelque utilité pour BC et CWO de passer en revue les différents groupes qui se sont rapprochés du BIPR ou qui n'en ont fait partie que de façon transitoire et d'évaluer où ils ont fini par aller ou pourquoi ils ne sont pas restés liés au BIPR. Par exemple, comment ont fini les iraniens du SUCM-Komala ? Et les camarades indiens d'Al Pataka ? Et encore les camarades français qui ont vraiment constitué pour une brève période, une troisième composante du BIPR ?

Comme on le voit, une politique de regroupement opportuniste n'est pas seulement erronée politiquement, mais c'est aussi une politique vouée à l'échec.15

2. La politique de regroupement et de construction de l'organisation.

Sur cette question, on ne peut naturellement partir que de Lénine, grand forgeron du parti et premier promoteur de la création de l'Internationale communiste. La bataille qu'il a menée et gagnée ; au 2ème Congrès du POSDR en 1903, sur l’article 1 des statuts pour affirmer des critères stricts d'appartenance au parti, est probablement une des plus importantes contributions qu'il ait faite :

"Ce ne serait que se leurrer soi même, fermer les yeux sur l'immensité de nos tâches, restreindre ces tâches que d'oublier la différence entre le détachement d'avant-garde et les masses qui gravitent autour de lui, oublier l'obligation constante pour le détachement d'avant-garde d'élever des couches de plus en plus vastes à ce niveau avancé. Et c'est justement agir ainsi que d'effacer la différence entre les sympathisants et les adhérents, entre les éléments conscients et actifs, et ceux qui nous aident." (Lénine, Un pas en avant deux pas en arrière, 1904. EDI)

Cette bataille de Lénine, qui a conduit à la séparation du parti social-démocrate russe entre bolcheviks (majoritaires) et mencheviks (minoritaires), a une importance historique particulière parce que cela préfigurait, quelques années avant, ce qu'allait être le nouveau modèle de parti, le parti de cadres, plus strict, plus adapté à la nouvelle période historique de "guerres et révolutions", par rapport au vieux modèle de parti de masse, plus large et moins rigoureux sur les critères d'appartenance, qui était valable dans la phase historique d'expansion du capital.

En second lieu, se pose le problème de comment doit se comporter le parti (ou la fraction, ou un groupe politique quel qu'il soit) dans les confrontations avec les autres organisations prolétariennes existantes. En d'autres termes, comment répondre à la juste exigence de regroupement des forces révolutionnaires de la façon la plus efficace possible ? Ici encore, nous pouvons nous référer à l'expérience du mouvement ouvrier, avec le débat dans l'Internationale mené par la Gauche italienne sur la question de l'intégration des centristes dans la formation des partis communistes. La position de Bordiga est très claire et son apport est fondamental avec l'adoption par l'Internationale d'une 21ème condition qui disait que :

"Les adhérents au Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l'Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire" 16 (Voir Les quatre premiers congrès de l'Internationale Communiste, Librairie du travail, Maspero 1972). Bordiga, en 1920, était préoccupé par le fait que quelques composantes centristes, qui ne s'étaient pas particulièrement salies les mains en 1914, puissent trouver pratique de travailler dans les nouveaux partis communistes plutôt que dans les vieux partis sociaux-démocrates notablement discrédités.

"Aujourd'hui, il est facile de dire que, dans une nouvelle guerre, on ne tombera plus dans les vieilles erreurs, celles de l'union sacrée et de la défense nationale. La révolution est encore lointaine, diront les centristes, ce n'est pas un problème immédiat. Et ils accepteront les thèses de l'Internationale Communiste : le pouvoir des soviets, la dictature du prolétariat, la terreur rouge (...). Les éléments de droite acceptent nos thèses, mais de façon insuffisante, avec quelques réserves. Nous, les communistes, nous devons exiger que cette acceptation soit totale et sans limites autant sur le plan de la théorie que sur le plan de l'action (...). Contre les réformistes, nous devons ériger une barrière insurmontable (...). Sur le programme, il n'y a pas de discipline : ou on l'accepte, ou on ne l'accepte pas et dans ce cas, on sort du parti." 17

Parmi les apports de Bordiga et de la Gauche italienne, cela a été une des questions clé. C'est sur la base de cette position que Bordiga se confrontera ensuite à une Internationale en pleine involution, en se battant contre la politique d'intégration des centristes au sein des partis communistes, corollaire de la place centrale qui est donnée à la défense de l'Etat russe par rapport à tout autre problème18. On sait en particulier que l'Internationale a cherché à obliger le PC d'Italie à intégrer l'aile maximaliste (de gauche) du PSI, ceux qu'on appelait les "terzinternationalisti" ou "terzini" de Serrati, dont ce dernier s'était séparé en 1921, l'année de sa constitution.

Cette rigueur dans les rapports avec les courants modérés, centristes, n'a cependant jamais signifié fermeture sectaire, refus de dialogue, de discussion, bien au contraire ! Ainsi, dès l'origine comme fraction abstentionniste du PSI, la gauche italienne a toujours travaillé dans le sens de reconquérir les énergies révolutionnaires restées sur des positions centristes, autant pour renforcer ses propres rangs que pour soustraire ces forces à l'ennemi de classe :

"Bien qu'organisée en fraction autonome à l'intérieur du PSI, avec son organe propre, la fraction abstentionniste cherchait avant tout à gagner la majorité du parti à son programme. Elle pensait encore que cela était possible, malgré l'écrasante victoire de la tendance parlementariste représentée par l'alliance de Lazzari et Serrati. La fraction ne pouvait devenir le parti que si elle oeuvrait de toutes ses forces à la conquête d'au moins une minorité significative. Ne pas abandonner le terrain avant d'avoir mené le combat jusqu'au bout sera toujours la préoccupation du mouvement « bordiguiste » ; et en cela, il ne fut jamais une secte, comme lui reprochèrent ses adversaires." 19

Nous pouvons donc résumer en disant qu'il existe deux aspects fondamentaux qui caractérisent la politique de la Gauche italienne (dans la tradition des bolcheviks) :

  • la rigueur dans les critères d'appartenance au parti, basée sur :

- l'engagement militant (article 1 des statuts du POSDR) ;

- la clarté des bases programmatiques et la sélection des militants ;

  • l'ouverture, dans sa politique de discussion avec les autres courant politiques du mouvement ouvrier (voir par exemple, toute la participation de la Gauche italienne aux conférences qui se sont tenues en France entre 1928 et 1933, ou ses discussions prolongées avec la Ligue des communistes internationalistes de Belgique avec la publication dans la revue Bilan d'articles écrits par des militants de la LCIB).

Il n'est pas inutile de souligner qu'il existe un lien entre la rigueur programmatique et organisationnelle de la Gauche italienne et son ouverture à la discussion : conformément à la tradition des gauches, la Gauche italienne a mis en œuvre une politique à long terme, basée sur la clarté et la solidité politique et a rejeté "les succès" immédiats basés sur les ambiguïtés qui, en ouvrant la porte à l'opportunisme, sont les prémisses des défaites futures ("L'impatience est la mère de l'opportunisme", Trotsky) ; la Gauche italienne n'a pas eu peur de discuter avec d'autres courants parce qu'elle avait confiance dans la solidité de ses positions.

De façon analogue, il existe un lien entre la confusion, l'ambiguïté des opportunistes et leur "sectarisme" qui, en général, est plutôt dirigé contre la gauche que contre la droite.

Quand on est conscient du peu de solidité de ses propres positions, on a évidemment peur de se confronter à celles de la Gauche (voir par exemple la politique de l'IC après le 2ème Congrès qui s'ouvre au centre mais qui devient "sectaire" dans les débats avec la Gauche, avec par exemple l'exclusion du KAPD ; voir également la politique de Trotsky qui exclut de manière bureaucratique la Gauche italienne de l'Opposition internationale pour pouvoir pratiquer l'entrisme dans la social-démocratie ; enfin, ne pas oublier la politique du PCInt en 1945 et après, qui a exclu la Gauche communiste de France pour pouvoir tranquillement regrouper toutes sortes d'éléments plus qu'opportunistes et qui refusaient de faire la critique de leurs erreurs passées).

Parmi les oppositions de gauche, la Fraction italienne nous donne une magnifique leçon de méthode et de responsabilité révolutionnaire en se battant pour le regroupement des révolutionnaires, mais aussi et surtout pour la clarté des positions politiques. La gauche italienne a toujours insisté sur le besoin d'un document programmatique contre les politiques manœuvrières qui ont d'ailleurs miné l'opposition de gauche. Ainsi, s'il devait y avoir une rupture, celle-ci ne pouvait s'accomplir que sur la base de textes.

Cette méthode, la gauche italienne l'avait faite sienne depuis sa naissance pendant la première guerre mondiale au sein de la 2ème Internationale ; elle l'avait appliquée de nouveau par la suite dans l'IC dégénérescente depuis 1924 jusqu'en 1928, date de sa constitution en fraction à Pantin. Trotsky lui-même a rendu hommage à cette honnêteté politique dans sa dernière lettre à la fraction en décembre 1932 :

"La séparation avec un groupe révolutionnaire honnête (souligné par nous) comme le vôtre ne doit pas être nécessairement accompagnée d'animosité, d'attaques personnelles ou de critiques venimeuses."

En revanche, la méthode de Trotsky au sein de l'opposition n'a rien à voir avec celle du mouvement ouvrier. L'exclusion de la Gauche italienne s'est faite avec les mêmes procédés qu'utilisait l'IC stalinisée, sans un débat clair qui motive la rupture. Ce n'était ni la première ni la dernière fois qu'existait un tel comportement : Trotsky a souvent soutenu des "aventuriers" qui avaient su lui inspirer confiance. Par contre, tous les groupes comme la Gauche belge, allemande, espagnole et tous les militants révolutionnaires de mérite comme Rosmer, Nin, Landau et Hennaut, ont été écartés ou expulsés les uns après les autres jusqu'à ce que l'Opposition internationale de gauche devienne un courant purement "trotskiste".20

C'est à travers ce chemin de croix de luttes pour la défense du patrimoine de l'expérience du marxisme et, ce faisant, de son identité politique que la Gauche italienne a fini par être, au niveau international, le courant politique qui a été la meilleure expression de la nécessité d'un parti cohérent, excluant les indécis et les centristes mais qui, en même temps, a développé la plus grande capacité à mettre en œuvre une politique de regroupement des forces révolutionnaires parce qu'elle a toujours pris comme base la clarté des positions et de la façon de travailler. Le BIPR (et avant lui le PCInt depuis 1943) - qui se considère comme étant le seul véritable héritier politique de la Gauche italienne - est-il vraiment à la hauteur de ses ancêtres politiques ? Ses critères d'adhésion sont-ils stricts comme Lénine prétendait à juste titre qu'ils devaient l'être ? Honnêtement, il ne nous semble pas : toute l'histoire de ce groupe est constellée d'épisodes "d'opportunisme sur les questions organisationnelles" et, plutôt que d'appliquer les orientations auxquelles il dit adhérer, le BIPR a en fait une pratique politique qui est beaucoup plus voisine de celle de l'IC dans sa phase de dégénérescence et de celle des trotskistes. Nous ne nous arrêterons que sur quelques exemples historiques symptomatiques pour démontrer ce que nous disons.

1943-1946

En 1943, se constitue dans le nord de l'Italie le Parti communiste internationaliste (PCInt). La nouvelle a suscité beaucoup d'espérances et la direction du nouveau parti s'est abondamment laissée aller à une pratique opportuniste. A commencer par l'entrée en masse dans le PCInt de divers éléments venant de la lutte partisane21 ou de différents groupes du sud, certains venant du PSI ou du PCI, d'autres encore du trotskisme, sans parler d'une série de militants qui avaient ouvertement rompu avec le cadre programmatique et organisationnel de la Gauche italienne pour se lancer dans des aventures proprement contre-révolutionnaires comme la minorité de la fraction du PCI à l'extérieur qui est allée "participer" à la guerre d'Espagne de 1936, comme Vercesi qui a participé à la "Coalition antifasciste" de Bruxelles en 1943.22

Naturellement on n'a jamais demandé à aucun de ces militants venus grossir les rangs du nouveau parti de rendre des comptes sur son activité politique précédente. Et, en terme d'adhésion à l'esprit et à la lettre de Lénine, que dire de Bordiga lui-même, qui a participé aux activités du parti jusqu'en 195223, en contribuant activement jusqu'à en inspirer la ligne politique et en écrivant même une plate-forme politique approuvée par le parti... sans en être néanmoins militant ?

Dans cette phase, c'est la Fraction française de la gauche communiste (FFGC, Internationalisme) qui a pris le relais de la ligne de gauche, en reprenant et en renforçant l'héritage politique de la Fraction italienne (Bilan). C'est justement la FFGC qui a posé au PCInt le problème de l'intégration de Vercesi et de la minorité de Bilan sans qu'à aucun moment ne soit prévu de leur demander des comptes sur leurs erreurs passées sur le plan politique ; elle a aussi posé le problème de la constitution du parti en Italie qui s'est effectuée en ignorant complètement le travail de "bilan" accompli pendant dix années par la Fraction.

En 1945, un Bureau international se constitua entre le PCInt, la Fraction belge et une Fraction française "doublon" par rapport à la FFGC. En fait, cette FFGC bis s'était constituée à partir d'une scission formée par deux éléments appartenant à la Commission Executive (CE) de la FFGC qui avaient pris contact avec Vercesi à Bruxelles et qui s'étaient probablement laissés convaincre par ses arguments, après qu'ils aient soutenu eux-mêmes la politique de son exclusion immédiate sans discussion au début 1945.24 Parmi ces deux éléments, l'un était très jeune et sans expérience (Suzanne) alors que l'autre venait du POUM espagnol (il est allé ensuite à Socialisme ou Barbarie). La FFGC bis s'est ensuite "renforcée" avec l'entrée d'éléments de la minorité de Bilan et de la vieille Union Communiste (Chazé, etc.) que la Fraction avait sévèrement critiqués pour leurs concessions à l'antifascisme pendant la guerre d'Espagne.

En fait, la création de cette Fraction doublon répondait au besoin d'enlever sa crédibilité à Internationalisme. Comme on le voit, l'histoire se répète, dans la mesure où le PCInt faisait refaire la manœuvre qui avait été effectuée en 1930, au sein de l'Opposition, contre la fraction italienne avec la constitution de la Nouvelle opposition italienne (NOI), groupe formé d'ex-staliniens qui, deux mois avant seulement, s'étaient salis les mains en expulsant Bordiga du PCI et dont la fonction politique ne pouvait être que celle de faire une concurrence politique provocatrice à la Fraction.

La GCF a écrit le 28 novembre 1946 au PCInt une lettre avec une annexe dans laquelle elle faisait la liste de toutes les questions à discuter et qui concernaient une série de manquements dont s'étaient rendus responsables diverses composantes de la Gauche communiste italienne pendant la période de guerre (Internationalisme n° 16). A cette lettre de 10 pages, le PCInt répond de manière lapidaire avec ces mots :

"Réunion du Bureau International - Paris - : Puisque votre lettre démontre une fois de plus la constante déformation des faits et des positions politiques prises, soit par le PCI d'Italie, soit par les Fractions belges et françaises ; que vous ne constituez pas une organisation politique révolutionnaire et que votre activité se borne à jeter de la confusion et de la boue sur nos camarades, nous avons exclu à l'unanimité la possibilité d'accepter votre demande de participation à la réunion internationale des organisations de la GCI."

II est bien vrai que l'histoire se répète mais comme une farce. La GCI a été exclue de façon bureaucratique de l'IC après 1926, elle a pareillement été exclue de l'Opposition de gauche en 1933 (voir notre brochure sur la Gauche communiste d'Italie) ; c'est finalement au tour de la GCI d'exclure bureaucratiquement la Fraction française de ses rangs pour éviter la confrontation politique.

Années 1950

L'éclectisme au niveau des positions fait qu'au niveau international cela aboutit à la méthode de "bougnat est maître chez soi". Avec l'éclatement de 1952, la position bordiguiste fut "l'intransigeance" de la gauche italienne mais poussée à la caricature, c'est-à-dire qu'on ne discute avec personne ; quant à l'autre partie, c'est l'ouverture tout azimut ; ainsi, à l'automne 1956, le PCInt (Battaglia Comunista) avec les GAAP25, les trotskistes des Groupes Communistes Révolutionnaires et Action Communiste26 ont constitué un Mouvement pour la Gauche Communiste dont le trait le plus saillant fut l'hétérogénéité et la confusion. Ces quatre groupes seront appelés ironiquement "le quadrifoglio" (le trèfle à quatre feuilles) par Bordiga.

Années 1970

Dans les premiers mois de 1976, Battaglia Comunista a lancé "une proposition pour commencer", adressée "aux groupes internationaux de la gauche Communiste" dans laquelle elle invitait :

  • à une conférence internationale pour faire le point sur l'état des groupes qui se réclament de la Gauche communiste internationale ;

  • à créer un centre de contacts et de discussion international.

Le CCI a adhéré de façon convaincue à la conférence, demandant cependant la définition de critères politiques minimum pour participer. BC, habituée à un autre style de conférences (voir ci-dessus), fut réticente à l'établissement de lignes de démarcation trop strictes à son goût : elle avait évidemment peur de fermer la porte à certains.

La première conférence s'est déroulée à Milan en mai 1977 avec deux groupes participants seulement, BC et le CCI. Mais BC s'est opposée à toute déclaration à l'extérieur, y compris à une critique des groupes invités qui n'avaient pas accepté d'adhérer à la conférence.

A la fin de 1978, se tint la 2ème Conférence à Paris aux travaux de laquelle ont participé finalement différents groupes. A la fin de la conférence on est revenu sur la question des critères d'adhésion et, cette fois, c'est BC qui a suggéré des critères plus stricts :

"Les critères doivent permettre d'exclure les conseillistes de ces Conférences et nous devons donc insister sur la reconnaissance de la nécessité historique du Parti comme critère essentiel." Ce à quoi nous avons répondu en rappelant ''notre insistance lors de la première conférence pour qu'il y ait des critères. Aujourd'hui, nous pensons que l'adjonction de critères supplémentaires n'est de pas opportune. Ce n'est pas par manque de clarté, tant sur la question des critères en elle-même que sur la question nationale ou syndicale, mais parce que c'est prématuré. Il pèse encore une grande confusion dans l'ensemble du mouvement révolutionnaire sur ces questions ; et le NCI a raison d'insister sur la vision dynamique des groupes politiques auxquels nous fermerions prématurément la porte." 27

Dans la première moitié de l'année 1980 se tient la 3ème et dernière Conférence Internationale28 dont l'atmosphère fut marquée, depuis le début, par l'épilogue qu'elle a eu. Au delà de l'intérêt de la discussion, il s'est manifesté dans cette conférence la volonté précise de la part de BC d'exclure le CCI d'autres conférences éventuelles. Comme dans la fable - dans laquelle le loup, ne réussissant pas à accuser l'agneau d'avoir souillé l'eau du ruisseau dans lequel ce dernier buvait, finit par en attribuer la faute au père de l'agneau et à trouver ainsi une justification pour le mettre en pièces -, BC, qui voyait de plus en plus le CCI non pas comme un groupe du même camp avec lequel il était possible d'aboutir à une clarification avantageuse pour tous les camarades et les nouveaux groupes en voie de formation mais comme un concurrent dangereux capable de s'accaparer tels camarades ou tels nouveaux groupes, a trouvé à la fin un expédient consistant à faire approuver par la Conférence un critère politique d'admission encore plus strict et plus sélectif pour exclure définitivement le CCI.

En conclusion, on est passé de la 1ère Conférence pour laquelle la question de critère politique d'adhésion non seulement n'était pas posée mais même mal vue, à la 3ème Conférence à la fin de laquelle on a imposé des critères crées à dessein pour éliminer le CCI, c'est-à-dire la composante de gauche au sein de la Conférence. La 3ème Conférence fut un remake de l'exclusion de la GCF en 1945 et, donc, le prolongement des épisodes précédents d'exclusion de la Sinistra comunista italiana de l'IC (1926) et de l'Opposition (1933).

La responsabilité politique assumée par BC (et la CWO) dans cette circonstance est énorme : quelques mois après seulement (août 1980) a éclaté la grève de masse en Pologne et le prolétariat mondial a perdu ainsi une occasion en or de bénéficier d'une intervention coordonnée de l'ensemble des groupes de la Gauche communiste.

Mais l'histoire ne finit pas là. Après quelques temps, BC et CWO, pour démontrer qu'ils n'avaient pas détruit un cycle de trois conférences et quatre années de travail international pour rien, ont organisé une quatrième conférence à laquelle, en dehors d'eux, a participé un soi-disant groupe révolutionnaire iraniens contre lequel nous avions par ailleurs mis en garde BC même. C'est seulement après quelques années que le BIPR a fini par faire son mea culpa, en reconnaissant que ce groupe d'iraniens n'était certainement pas révolutionnaire.

Années 1990

Nous en arrivons ainsi à la période récente, celle de ces dernières années dans laquelle nous avons signalé qu'apparaissait une ouverture, faible mais encourageante, au dialogue et à la confrontation au sein du camp politique prolétarien29. L'aspect le plus intéressant, sous un certain angle, fut le début d'un travail intégrant dans l'activité d'intervention le CCI et le BIPR (notamment sa composante anglaise, la CWO). Il s'agissait d'une intervention concertée (quand elle ne se faisait pas ensemble même), dans les débats, par exemple, des conférences sur Trotsky qui se sont tenues en Russie, ou pour une réunion publique sur la révolution de 1917 organisée et tenue en commun à Londres, ou pour une défense commune contre l'attaque de certaines formations parasitaires, etc. Nous avons toujours mené ces interventions sans arrière-pensée, sans la moindre intention de phagocyter qui que ce soit ou de créer des différends au sein du BIPR entre BC et la CWO. Il est vrai que la plus grande ouverture de la CWO et l'absence feutrée de BC nous ont toujours préoccupés. A la fin, quand BC a décidé que la mesure était comble, elle a mis des barrières et a appelé ses partenaires à respecter la discipline de parti, pardon du BIPR. A partir de ce moment, tout ce que la CWO tenait avant pour raisonnable et normal a commencé à être inacceptable. Plus aucune coordination dans le travail en Russie, plus de réunion publique commune, etc. C'est, encore une fois, une grave responsabilité qui retombe sur les épaules du BIPR qui, par son opportunisme de boutiquier, a fait que le prolétariat mondial a dû affronter un des épisodes les plus difficiles de la phase historique actuelle, la guerre du Kosovo, sans que son avant-garde ne réussisse à faire une prise de position commune.

Pour prendre toute la mesure de l'opportunisme du BIPR à propos de son refus à l'appel sur la guerre que nous avons fait, il est instructif de relire un article paru dans BC de novembre 1995 et intitulé "Equivoques sur la guerre dans les Balkans". BC y rapporte qu'elle a reçu de l'OCI (Organizzazione Comunista Intemazionalista) une lettre/invitation à une assemblée nationale contre la guerre qui devait se tenir à Milan. BC a considéré que "le contenu de la lettre est intéressant et fortement amélioré par rapport aux positions qu'avait prises l'OCI vis à vis de la guerre du Golfe, de « soutien au peuple irakien attaqué par l'impérialisme » et fortement polémique dans la discussion de notre prétendu indifférentisme." L'article poursuivait ainsi : "Il manque la référence à la crise du cycle d'accumulation (...) et l'analyse essentielle de ses conséquences sur la Fédération Yougoslave. (...) Mais cela ne semblait pas interdire une possibilité d'initiative en commun de ceux qui s'opposent à la guerre sur le terrain de classe" (souligné par nous). Il y a seulement quatre ans, comme on peut le voir, dans une situation moins grave que celle que nous avons vue avec la guerre du Kosovo, BC aurait été prête à prendre une initiative commune avec un groupe désormais clairement contre-révolutionnaire30 afin de satisfaire ses menées activistes alors qu'elle a eu le courage de dire non au CCI... sous prétexte que nos positions sont trop éloignées. C'est cela l'opportunisme.

Conclusions

Dans cet article, nous nous sommes efforcés de répondre à la thèse du BIPR selon laquelle des organisations comme la notre seraient "étrangères à la méthode et aux perspectives de travail qui conduiront à l'agrégation du futur parti révolutionnaire". Pour ce faire, nous avons pris en considération les deux niveaux auxquels se pose le problème de l'organisation ; et sur les deux niveaux nous avons démontré que c'est le BIPR, et non le CCI, qui sort de la tradition de la Gauche communiste italienne et internationale. En fait, l'éclectisme qui guide le BIPR dans sa politique de regroupement ressemble plus à celui d'un Trotsky aux prises avec l'édification de sa quatrième Internationale ; la vision du CCI est en revanche celle de la Fraction italienne qui a toujours combattu pour qu'un regroupement se fasse dans la clarté et sur la base duquel puissent être gagnés les éléments du centre, les hésitants.

N'en déplaise aux divers héritiers présumés, la continuité réelle de la Fraction italienne est représentée aujourd'hui par le CCI, organisation qui se réclame, parce qu'elle les a faites siennes, de toutes les batailles des années 1920, des années 1930 et des années 1940.

 

31 août 2000, Ezechiele

 

1 BIPR : Bureau International pour le Parti Révolutionnaire, organisation internationale qui réunit les deux organisations suivantes : Communist Workers Organisation (CWO) et le Partito Comunista internazionalista d'Italie (BC).

2 Publié dans Battaglia Comunista n° 1, janvier 2000, et dans Internationalist Communist n° 18, hiver 2000.

3 Il y avait aussi 21 conditions d'admission à l'IC.

4 Voir notre article A propos de l'appel lancé par le CCI sur la guerre en Serbie. L'offensive guerrière de la bourgeoisie exige une réponse unie des révolutionnaires, Revue Internationale n° 98, juillet 1999.

5 Voir aussi La méthode marxiste et l'appel du CCI sur la guerre en ex- Yougoslavie, Revue Internationale n° 99, octobre 1999.

6 Il s'agit des points 13 et 16 sur lesquels subsistent des divergences qui ne sont pas de fond mais concernent 1’analyse de 1’actualité.

7 Des comptes-rendus et des évaluations critiques de ces conférences peuvent être trouvés dans les différents articles de notre Revue Internationale et dans les brochures disponibles sur demande.

8 Thèses de la gauche pour le 3e Congrès du PC d'Italie, Lyon, janvier 1926, publiées dans Défense de la continuité du programme communiste. Editions "Le Programme Communiste", Milan 1970.

9 "Pendant toute cette période (1930), Trotsky est informé par les lettres de Rosmer. Ce dernier, défavorable à la gauche italienne « bloque toutes les discussions ». Il critique Prometeo qui voulait créer, initialement, des sections nationales avant l'Internationale et il donne l'exemple de Marx et Engels qui « ont fait naître en 1847 le mouvement communiste avec un document international et avec la création de la première Internationale ». Cet argumentation mérite d'être soulignée puisqu'elle sera souvent reprise, à tort, contre la fraction italienne." (CCI, Rapports entre la fraction de gauche du PC d'Italie et l'Opposition de la Gauche Internationale, 1923-1933}.

10 BIPR, Vers la nouvelle Internationale, Prometeo n°l, série VI, juin 2000.

11 BIPR, Vers la nouvelle Internationale, idem.

12 Pour une prise de position générale sur le problème, voir l'article Sur le Parti et ses rapports avec la classe. Texte du 5e Congres du CCI, Revue Internationale n° 35.

13 "Beaucoup (de délégués au Congrès de fondation de l'IC) sont en réalité des militants bolcheviks : les P.C. de Pologne à bien des égards, de Lettonie, d'Ukraine, de Lituanie, de Biélorussie, d'Arménie, le groupe unifié des peuples de la Russie orientale, les sections du Bureau central des peuples d'Orient, ne sont, à des titres divers. que des émanations du parti bolchevik lui même. (...) Seuls viennent réellement de l'étranger les deux délégués suisses, Fritz Platten et Katscher, l'allemand Eberlein (...), le norvégien Stange et le suédois Grimiund, le français Guilbeaux. Mais là encore, leur représentativité peut être discutée. (...) Il ne reste donc que deux délégués détenant un mandat incontestable, Grimiund le suédois et Eberlein".("Premier congrès de l'Internationale Communiste", Pierre Broué : Introduction, les origines de l'Internationale Communiste". EDI, Paris, pp. 35-36).

14 C'est cette critique que nous avons faite récemment à BC à propos de sa manière opportuniste d'entretenir les rapports avec les éléments du GLP, formation politique dont les composantes, en rupture avec l'autonomie, sont à mi-chemin d'une clarification, conservant néanmoins une bonne dose de leurs confusions originelles : "Une intervention qui, loin défavoriser la clarification de ces éléments et leur adhésion définitive à une cohérence révolutionnaire, en a au contraire bloqué l'évolution possible" (tiré de "I Gruppi di lotta proletaria : une tentative inachevée d'atteindre une cohérence révolutionnaire", Rivoluzione Intemazionale, n° 106)

15 Le BIPR nous démentira probablement en donnant l'exemple de groupes qui ont ces dernières années choisi de "travailler" avec lui ainsi que celui d'une relance de sa présence en France avec une nouvelle publication (Bilan et perspectives). Nous souhaitons que ces nouvelles forces soient capables de se maintenir, contrairement à leurs prédécesseurs, mais le BIPR devra être particulièrement vigilant sil ne veut pas connaître les mêmes déboires que par le passé.

16 Texte de la 21ème condition d'admission à l'Internationale communiste adoptée au second Congrès du Comintern, 6 août 1920 (Jane Degras, Storia dell'Internazionale Comunista, Feltrinelli, 1975).

17 Discours d'Amedeo Bordiga sur "Les conditions d'admission à l’IC", 1920, publié dans La Sinistra Comunista nel cammino della rivoluzione, Edizioni sociali, 1976.

18 Cette politique a conduit à l'isolement des énergies révolutionnaires au sein des partis et a favorisé leur exposition à la répression et au massacre, comme cela a été le cas en Chine.

19 CCI : La Gauche communiste d'Italie 1927-1952.

20 Tiré du livre du CCI ; Rapports entre la Fraction de gauche du PC d'Italie et l'Opposition de Gauche Internationale. 1923-1952. A paraître prochainement.

21 "Les ambiguïtés sur les 'partisans' dans la constitution du parti Communiste Internationaliste en Italie" ; Lettre de Battaglia Comunista. Réponse du CCI dans la Revue Internationale n° 8.

22 Voir les articles : A l'origine du CCI et du BIPR, dans la Revue Internationale n° 90 et 91, et l'article Parmi les ombres du bordiguisme et de ses épigones, dans la Revue Internationale n° 95.

23 Année de la scission entre l'actuelle Battaglia Comunista et les composantes "bordiguistes" du PCInt.

24 CCI : La Gauche communiste d'Italie, 1927-1952.

25 Quelques ex-partisans, parmi lesquels Cervetto, Massimi et Parodi adhèrent au mouvement anarchiste en cherchant à se former en tant que tendance de classe au sein de celui ci avec la constitution des Gruppi Anarchici di Azione Proletaria (GAAP) en Février 1951 ayant comme organe de presse : "L'impulso".

26 AC naît en 1954 comme tendance du PCI formée par Seniga, Raimondi, un ex-partisan, et Fortichiari, un des fondateurs du PC d'Italie en 1921, qui était rentré au PCI après en avoir été expulsé. Seniga était un collaborateur de Pietro Secchia, celui-là même qui avait qualifié les groupes à la gauche du PC d'Italie pendant la résistance de "marionnettes de la Gestapo" et qui invitait à les éliminer physiquement. C'est la fusion entre une partie d'AC et les GGAP qui formera en 1965 le groupe Lotta Comunista.

27 Le procès verbal de la Conférence est reproduit dans : "Textes préparatoires (suite), comptes-rendus, correspondance de la 2ème Conférence des Groupes de la Gauche Communiste", Paris, Novembre 78.

28 Revue Internationale n° 22, 3e trimestre 1980. "Troisième Conférence internationale des groupes de la Gauche Communiste" (Paris, Mai 1980). Le sectarisme, un héritage de la contre-révolution à dépasser. Voir aussi les procès verbaux de la 3ème Conférence publiés en français par le CCI sous forme de brochure, et en italien par BC (comme numéro spécial de Prometeo). Dans l'édition française, on trouvera aussi une prise de position politique du CCI sur les conclusions des Conférences.

29 Revue Internationale n°92 : 6e Congres du Partito Comunista Intemazionalista, Un pas en avant pour la Gauche Communiste. Revue Internationale n° 93 : Des débats entre groupes bordiguistes, Une évolution significative du milieu politique prolétarien. Revue Internationale n° 95 : Gauche Communiste d'Italie, A propos de la brochure "Parmi les ombres du bordiguisme et de ses épigones" (Battaglia Comunista).

30 Il faut vraiment la dose d'opportunisme de BC pour chercher, à l'automne 1995, à renouer des liens avec une organisation qui, au moins depuis 5 ans, depuis la guerre du Golfe, ne faisait qu'appuyer un front impérialiste contre un autre, participant ainsi à l'embrigadement du prolétariat dans les massacres impérialistes. Voir à ce propos les articles publiés dans Rivoluzione Intemazionale : L'OCI, la calunnia è un venticello (n°76, juin 1992) ; Les farneticazioni dell'OCI (n°69, avril 1991) ; Les poissons-chats du Golfe (n°67, décembre 1990).

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [35]
  • TCI / BIPR [41]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur le regroupement [42]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [43]

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