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Revue Internationale no 105 - 2e trimestre 2001

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'Paix et prospérité' ou guerres et misère ?

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Huit ans après son père, G.W. Bush commence son mandat de président des Etats-Unis d'Amérique. Son père nous avait promis "une ère de paix et de prospérité" à la suite à l'implosion du bloc de l'Est et l'explosion de l'URSS. Son fils hérite d'une situation de guerres et de misère généralisée qui n'ont fait que s'accentuer et s'étendre tout au long des années 1990. La situation du monde est réellement catastrophique. Et cette situation n'est ni provisoire, ni transitoire dans l'attente de la réalisation de la prophétie de G. Bush père. Tout indique que le monde capitaliste entraîne l'humanité dans une spirale infernale de conflits guerriers meurtriers éparpillés sur tous les continents, d'antagonismes impérialistes croissants, particulièrement entre les grandes puissances, dans une nouvelle chute brutale dans la crise économique et la misère, et dans une cascade de catastrophes en tous genres. Ces trois éléments, les guerres, l'impasse économique, et la destruction de la planète, rendent la vie des générations actuelles de plus en plus invivable et met en péril la survie des générations à venir. Il devient de plus en plus clair que le monde capitaliste mène l'espèce humaine à sa disparition.

Si l'illusion sur la paix était rapidement tombée avec la guerre du Golfe et l'écrasement de l'Irak en 1991, puis avec l'interminable guerre en Yougoslavie, l'illusion de la prospérité a pu être relancée à plusieurs reprises avec les taux positifs de la croissance américaine tout au long des années 1990, avec les cours à la hausse des Bourses, et avec la fameuse et mirifique "nouvelle économie" liée à Internet. Les taux de croissance américains et les cours de la Bourse n'ont pas empêché, bien au contraire en fait, l'augmentation dramatique de la pauvreté et de la faim dans le monde. Pour sa part, la "nouvelle économie" a fait long feu et aujourd'hui l'illusion de la prospérité à venir pour tous vole en éclats.

Une économie en faillite virtuelle

Nous avons déjà dénoncé dans cette revue les mensonges sur la "bonne santé" de l'économie capitaliste qui serait basée sur des taux de croissance positifs. La bourgeoisie mondiale a établi des "règles" pour définir la récession qui ne serait effective qu'après deux trimestres de croissance négative. Notons au passage que globalement, cela fait dix ans que le Japon est en récession "officielle", c'est-à-dire selon les critères de la propagande bourgeoise. Néanmoins, et au-delà des tricheries sur les chiffres et les modes de calcul, la réalité d'une croissance positive "officielle" ne signifie pas que l'économie est en bonne santé. L'augmentation de la pauvreté aux Etats-Unis mêmes (1), sous la présidence de Bill Clinton, et malgré des taux de croissance "exceptionnels" en est une illustration.

Pire qu'en 1929

Les médias, les historiens et les économistes font toujours référence à la grande crise de 1929 pour définir une crise économique catastrophique et pour montrer que l'économie d'aujourd'hui va bien. L'expérience même de 1929 vient démentir cette affirmation. "Dans la vie de la plupart des hommes et des femmes, les expériences économiques centrales de l'époque furent certes cataclysmiques, et couronnées par la Grande Crise des années 1929-1933, mais la croissance économique ne s'est pas arrêtée au cours de ces décennies. Elle s'est simplement ralentie. Dans l'économie la plus grande et la plus riche de l'époque, celle des Etats-Unis, le taux de croissance moyen du PNB par tête entre 1913 et 1938 ne dépassa pas un modeste 0.8% par an. Dans le même temps, la production industrielle mondiale augmenta d'un peu plus de 80%, soit à peu près la moitié de la croissance du quart de siècle précédent (W.W. Rostov, 1978, p.662) [...] Toujours est-il que si un Martien avait observé la courbe des mouvements économiques d'assez loin pour ne pas remarquer les dents de scie dont souffrirent les êtres humains sur terre, il en aurait conclu indubitablement à une expansion continue de l'économie mondiale." (E.J. Hobsbawn, L'âge des extrêmes).

Nos économistes et gouvernants ne sont pas des Martiens mais des représentants et des défenseurs de l'ordre capitaliste. C'est à ce titre qu'ils s'échinent la plupart du temps à masquer la réalité de la catastrophe économique. Ce n'est que rarement et dans des publications plus confidentielles que certains reconnaissent une partie de la réalité qui vient confirmer notre thèse. "Néanmoins, la croissance économique restera insuffisante pour faire reculer le taux de pauvreté ou procurer le bien-être à la population" reconnaît The Economist à propos de l'Amérique Latine (Courrier international, Le Monde en 2001). Mais cela vaut bien sûr pour l'ensemble de la population mondiale. Que dire alors de l'aggravation dramatique de la pauvreté si les prévisions de Fred Hickey cité par The Wall Street Journal - "il est sûr que nous allons vers une récession"  (Le Monde, 17 mars 2001) - se réalisent !

Aujourd'hui, avec les chutes boursières de ce début d'année 2001, il est difficile de faire croire que tout va bien au royaume de la finance et de la "nouvelle économie" liée à Internet. "Depuis son plus haut niveau historique de 5132 points atteint le 10 mars 2000, le marché des valeurs technologiques a chuté de près de 65%. Triste anniversaire puisque, sur la même période, ce sont près de 4500 milliards de dollars qui se sont évaporés sur l'ensemble des places financières américaines." (Le Monde, idem)

Au-delà de l'économie liée à Internet, c'est l'ensemble des Bourses qui sont affectées par la chute des cours. Pour l'instant, et contrairement aux crises boursières des années 1980 et 1990 d'Amérique, d'Asie et de Russie, la chute semble contrôlée même s'il s'agit bien d'un krach important. Une question reste posée : celle du Japon dont le système financier et bancaire, particulièrement fragilisé par des créances douteuses, est au bord de la faillite. "La déroute du système bancaire nippon menace le reste de la planète" (Le Monde, 27 mars 2001). Si le Japon retire ses avoirs américains, c'est tout le financement à crédit de l'économie américaine qui risque d'être atteint par les conséquences en cascade d'une telle décision. "Si les investisseurs étrangers ne souhaitent pas fournir les capitaux nécessaires, l'impact sur la croissance, les cours de la Bourse et le dollar pourrait être important" (The Economist, Courrier international, Le monde en 2001). D'autant que l'épargne des ménages américains est nulle et l'endettement des particuliers et des entreprises pour spéculer sur les cours boursiers a atteint des sommets. Nous l'avons déjà maintes fois démontré : l'économie capitaliste mondiale est basée sur une montagne de dettes qui ne seront jamais remboursées et qui viennent accélérer et aggraver, après les avoir repoussées d'abord dans le temps et l'espace - dans les pays "émergents" -, les conséquences de l'impasse économique du monde capitaliste. La première économie, celle des Etats-Unis, est la plus endettée de toutes et ses taux de croissance sont payés à crédit par "un déficit commercial colossal et un endettement massif vis-à-vis de l'étranger" (idem). Même les experts expriment leurs doutes. "Pour résumer, l'économie américaine en 2001 aura besoin d'une gestion intelligente et, surtout, d'une bonne dose de chance" (idem). Qui monterait dans un avion où on préviendrait à l'avance qu'il faudrait un pilote intelligent "et, surtout, une bonne dose de chance" ?

En même temps, et après les différentes crises financières qui ont secoué la Russie, l'Asie, l'Amérique Latine à plusieurs reprises, chacune à tour de rôle incapable de faire face aux échéances de leurs dettes, c'est maintenant au tour de la Turquie d'être en quasi-faillite et de voir accourir à son chevet le FMI. Incapable de rembourser 3 milliards de dollars au 21 mars, elle a reçu 6 milliards du FMI en échange d'un plan drastique d'attaques économiques contre la population. La descente aux enfers de l'économie argentine connaît une nouvelle accélération. Cet hiver, il a fallu lui octroyer d'urgence "une aide financière exceptionnelle de 39,7 milliards de dollars, destinés avant tout à éviter un défaut de paiement de la lourde dette extérieure (122 milliards de dollars, soit 42% du PIB)" (Le Monde, 20 mars 2001, supplément écono­mique). En soi, ces crises locales peuvent sembler n'exprimer que la fragilité de ces pays. Mais en fait, elles expriment la fragilité de l'économie mondiale car dans chacune de ces crises - et il y en a eu beaucoup depuis celle 1982 en Amérique Latine - où des pays "émergents" se retrouvent incapables de faire face aux échéances de leur dette, c'est tout le système financier international qui est en péril immédiat. D'où les interventions précipitées des gouvernements des grandes puissances et du FMI à coups de nouveaux crédits à chaque fois plus importants.

Dans cette situation, tout l'enjeu de la situation pour la bourgeoisie mondiale, et ce depuis maintenant plusieurs années, est d'arriver à contrôler la chute inévitable de l'économie nord-américaine. "L'excès de la demande par rapport à l'offre aux Etats-Unis symbolise le revers de ce miracle [la croissance américaine]. C'est aussi un danger, car il s'accompagne d'un déficit commercial colossal et d'un endettement massif vis-à-vis de l'étranger. Si le déficit et l'endettement se confirmaient, l'effondrement deviendrait inévitable. Mais ce ne sera pas le cas. En 2001, avec le retour de la croissance américaine à un rythme plus modéré, non plus miraculeux mais juste impressionnant, les déficits du commerce extérieur et de la balance des paiements devraient diminuer" (The Economist, Courrier international, Le monde en 2001). Le premier journaliste comptait sur la chance. Celui-ci dans un article intitulé "L'âge d'or de l'économie mondiale" compte sur les miracles. Pour les différents secteurs de la bourgeoisie mondiale, au-delà de leurs intérêts impérialistes, politiques et commerciaux antagoniques, la question cruciale reste la réussite ou non d'un "atterrissage en douceur" de l'économie américaine. C'est-à-dire sans secousses excessives qui risqueraient de mettre à nu brutalement aux yeux de la population mondiale, et particuliè­rement de la classe ouvrière internationale, la réalité dramatique de la faillite du mode de production capitaliste et l'irréversibilité de cette faillite. Pour la population mondiale, y compris celle des pays industrialisés d'Europe et d'Amérique du Nord, la perspective est à un accroissement de la pauvreté et de la misère qui atteint déjà des sommets.

La "crise agricole", c'est la crise du capitalisme

Les conséquences de la crise de surproduction agricole vont provoquer la ruine de milliers de petits et moyens paysans dans les pays industrialisés et une accélération de la concen­tration dans cette branche de la production capitaliste. Les maladies de la "vache folle" et l'épidémie de fièvre aphteuse ne sont pas des désastres naturels mais des catastrophes sociales, c'est-à-dire liées et produites par le mode de production capitaliste. Elles sont le produit de l'exacerbation de la concurrence économique et de la course à la productivité. Bref elles sont une expression de la surproduction agricole mondiale et offrent l'occasion de la "résoudre" tempo­rairement par l'abattage en masse des animaux... alors qu'une grande partie de la population mondiale ne mange pas à sa faim. Alors qu'il suffirait de... vacciner les bêtes. "La crise agricole souligne une fois de plus à quel point la faim dans le Sud s'accompagne très bien du gaspillage de l'offre dans le Nord" (Sylvie Brunel, Action contre la faim, Le Monde, 10 mars 2001). Cette crise va aussi avoir des conséquences dramatiques sur les couches paysannes des pays de la périphérie du capitalisme, c'est-à-dire pour une fraction importante de la population mondiale. "Une autre conséquence désastreuse pour le tiers-monde de l'effondre­ment de la filière viande se profile : la surproduction céréalière" (idem). Quelle manifestation plus claire de l'irrationalité du monde capitaliste, de l'absurdité que représente sa survie, que l'exemple de ces animaux sains envoyés à l'abattoir alors que des millions d'hommes et de femmes n'ont pas de quoi manger. "Car le problème alimentaire mondial ne se situe pas dans la production de nourriture, largement suffisante pour tous en volume, mais dans sa répartition : ceux qui souffrent de sous-alimentation sont trop pauvres pour acheter de quoi se nourrir" (idem) (2). Voilà pourquoi le capitalisme ne peut même pas s'offrir le "luxe" de vacciner les moutons et les vaches : les cours s'effondreraient surtout si on fournissait gratuitement les animaux promis à l'abattage aux affamés du monde.

Sans destruction du capitalisme, tant que ses lois économiques, et en particulier la loi de la valeur, subsisteront, il n'est pas possible de fournir gratuitement, de donner, les animaux sains qui vont être abattus. Il en va de même pour toute surproduction agricole, comme pour toute la production capitaliste, d'où la jachère dans les pays industrialisés et les stocks d'invendus de beurre et de lait. Seule une société où la loi de la valeur, et donc le salariat et les classes sociales auront disparu peut résoudre ces questions parce qu'elle pourra donner au lieu d'abattre.

La population liée aux activités agricoles, qu'elle soit petit propriétaire, qu'elle loue ses services ou la terre, qu'elle soit journalier, ouvrier agricole, n'est pas la seule qui est frappée de plein fouet par la brutale accélération de la crise économique.

Les attaques contre la classe ouvrière

Les licenciements tombent dans tous les secteurs. Aux Etats-Unis, c'est par dizaine de milliers que des sociétés telles Intel, Dell, Delphi, Nortel, Cisco, Lucent, Xerox, Compaq, de la "nouvelle économie", mais aussi de l'industrie traditionnelle comme General Motors, Coca-Cola suppriment les emplois. En Europe, les licenciements et les fermetures d'entreprises reprennent brutale­ment avec la fermeture des magasins Marks & Spencer, chez Danone, dans l'industrie d'armement chez EADS, en France chez Giat Industries (qui construit les chars Leclerq) alors que les réductions d'effectifs frappent les grandes entreprises et les services publics.

Il s'agit là des pays industrialisés où les bourgeoisies nationales, conscientes des potentialités et des dangers des réactions d'une classe ouvrière concentrée et forte d'une expérience historique de lutte, prennent un maximum de précautions politiques pour mener ces attaques. Dans les pays où la classe ouvrière est plus jeune, avec moins d'expérience et plus dispersée, les attaques sont encore bien plus brutales. Il est clair que, parmi beaucoup d'autres exemples, les attaques vont redoubler contre la classe ouvrière en Argentine et tout particu­lièrement en Turquie.

Ces attaques massives dans tous les pays et dans tous les secteurs mettent à bas le mensonge selon lequel "l'économie va bien". Et surtout l'idée sans cesse martelée, que si une entreprise licencie, c'est un cas particulier, exceptionnel, et qu'ailleurs, dans les autres entreprises et secteurs, tout va bien. C'est toute la classe ouvrière internationale qui est touchée et dans toutes les branches d'activité que tombent les licenciements, que se réduisent les salaires, que se développent la précarité et l'insécurité, qu'augmentent les cadences et les horaires de travail, et que se détériorent les conditions de travail et de vie.

Bush père, et avec lui l'ensemble des différents appareils d'Etat nationaux, gouvernements, politiciens, idéologues, journalistes, intellectuels, parlaient de prospérité. Nous avons eu, nous avons, et tout indique que nous allons continuer à avoir, et toujours plus, la misère généralisée.

L'humanité se trouve devant un blocage historique. D'un côté, le capitalisme n'a plus aucune perspective à offrir autre que crise, guerre, désolation, misère et une barbarie croissante. De l'autre, la seule force sociale, la classe ouvrière internationale, qui pourrait offrir la perspective de la fin du capitalisme et d'une autre société n'arrive pas encore à s'affirmer ouvertement. Dans cette situation, c'est à un véritable pourrissement sur pied, à une véritable décomposition de la société capitaliste que nous assistons. Parmi les conséquences les plus dramatiques, outre les guerres, la violence urbaine, l'insécurité généralisée, parmi celles qui handicapent le plus l'avenir et la survie même de l'humanité, la destruction de l'environnement et la multiplication des catastrophes en tous genres ne font que se multiplier et s'aggraver.

Pourrissement et irrationalité de la société capitaliste

Entre la réduction de la couche d'ozone, les pollutions maritimes et terrestres des mers, des fleuves, de la terre, des villes et des campagnes, les traficotages sur la nourriture, les épidémies chez l'homme et chez les animaux d'élevage, - la liste n'est pas exhaustive - la planète devient chaque fois plus invivable et c'est tout son équilibre qui est mis en péril.

Jusqu'à présent, les catastrophes et la détérioration de l'environnement n'apparais­saient que comme des conséquen­ces "mécaniques" de l'aggravation de la crise économique, de la concurrence capitaliste et de la recherche effrénée d'une productivité maximum. Aujourd'hui les questions de l'environnement deviennent un enjeu impérialiste, un lieu d'affrontements entre grandes puissances. La rupture des accords de Kyoto sur l'émission des gaz à effet de serre par les Etats-Unis a été l'occasion d'une affirmation et d'une dénonciation par les autres grandes puissances, particulièrement européennes, de l'irrespon­sabilité des américains. "L'Union Européenne ne voit aucune solution alternative au problème climatique en dehors du protocole de Kyoto et elle reste résolue à l'appliquer, avec ou sans les Etats-Unis" (Romano Prodi, président de la Commission européenne, Le Monde, 6 avril 2001). Au même titre que les "causes humanitaires" et la "défense des droits de l'homme", l'environnement et les catastro­phes sont des enjeux, des lieux de compétition entre les Etats. "L'ingérence humanitaire" mise en ?uvre en Bosnie a été un terrain d'affrontements entre les grandes puissances. Tout comme elle l'avait été lors de l'intervention en Somalie. L'aide humanitaire est dans le même cas : à chaque tremblement de terre, nous assistons à une compétition entre les équipes américaines et européennes pour retrouver les corps des survivants dans les décombres.

De plus en plus, se dévoile le lien entre l'impasse économique du capitalisme, l'exacerbation des antagonismes impérialistes que la crise écono­mique provoque au plan historique, et toutes les conséquences sur l'ensemble de la vie sociale, conséquences qui viennent à leur tour accentuer les rivalités impérialistes et les conflits et peser encore plus sur la crise économique. C'est bien dans une spirale infernale et dans une véritable descente aux enfers que le monde capitaliste entraîne l'humanité et la planète.

Une multiplication des guerres

"Que l'humanité ait appris à vivre dans un monde où massacres, tortures et exil de masse sont devenus des expériences quotidiennes que nous ne remarquons plus, n'est pas l'aspect le moins tragique de cette catastro­phe." (E.J. Hobsbawn, L'âge des extrêmes).

Le panorama du monde actuel est effroyable. Une multitude de conflits guerriers sans fin ensanglantent la terre. Ils touchent tous les continents : l'ex-URSS, en particulier ses anciennes républiques asiatiques, à commen­cer par le Caucase ; le Moyen-Orient de l'Irak jusqu'au Pakistan en passant par l'Afgha­nistan ; l'Asie du Sud-Est ; le Proche-Orient bien sûr ; le continent africain ; en partie le continent sud-américain tout particulièrement la Colombie ; et les Balkans. Aujourd'hui, les pays et les régions du monde qui ne sont pas touchés directement à un degré ou à un autre par des guerres ouvertes ou larvées représentent des îlots de "paix" dans un océan d'affrontements militaires.

A la fin des années 1970 et dans les années 1980, la situation du Liban était l'expression la plus claire de l'entrée du monde capitaliste dans sa phase de décomposition. Ne parlait-on pas de "libanisation" quand un pays se trouvait en proie à une guerre sans fin et à la dislocation ? Aujourd'hui ce sont des continents entiers qui se sont "libanisés". Combien de pays africains (3) ? Difficile de les énumérer tous. Mais c'est la grande majorité qui sont devenus des Libans. L'Afghanistan (4) - plus de 20 ans de guerre et de massacres continus - en est sans doute une des expressions les plus extrêmes et dramatiques.

Et qu'on ne s'y trompe pas, la responsabilité première tant dans l'origine historique que dans l'aggravation actuelle de ces conflits, incombe à l'impérialisme de manière générale, et tout particulièrement aux grandes puissances. Ce sont les rivalités impérialistes entre celles-ci qui ont déclenché ces conflits et les ont entretenus : c'est le cas de l'Afghanistan avec l'invasion russe en 1980 et le soutien à la guérilla islamique par les Etats-Unis du temps des deux blocs impérialistes. C'est le cas évidemment pour les Balkans avec d'une part l'appui allemand en 1991 aux indépendances slovène et croate, et maintenant aux minorités albanaises dans l'ex-Yougoslavie et, d'autre part, avec l'intervention active de la Grande-Bretagne, de la France, de la Russie, de l'Italie, de l'Espagne, et des Etats-Unis - pour ne citer que les principales puissances - pour contrecarrer cette politique. C'est le même constat pour l'Afrique. Tant à l'origine des guerres que dans leur déroulement encore aujourd'hui, la main des grandes puissances continue à jeter de l'huile sur le feu même quand ces conflits ne représentent plus à leurs yeux un intérêt majeur comme c'est le cas pour l'Afrique ou l'Afghanistan.

Les rivalités impérialistes directes entre grandes puissances qui sont en général plus discrètes, surtout depuis la fin des blocs en 1989, connaissent actuellement une tension particulière. Les Etats-Unis adoptent une attitude particulièrement agressive vis-à-vis de la Chine comme en témoigne l'accident de la chasse aérienne chinoise avec l'avion-espion américain le 1er avril 2001, vis-à-vis de la Russie avec l'expulsion de 50 diplomates russes fin mars 2001, et de l'Europe avec le rejet américain du protocole d'accord sur les gaz à effet de serre de Kyoto et le projet de bouclier anti-missile américain.

Bush père, et avec lui l'ensemble des différents appareils d'Etat nationaux, gouvernements, politiciens, idéologues, journalistes, intellec­tuels, parlaient de paix. Nous avons eu, nous avons, et tout indique que nous allons continuer à avoir la guerre en permanence.

Les guerres de la période de décadence du capitalisme

Le capitalisme semble être irrationnel d'un point de vue historique. Il mène l'espèce humaine à sa disparition et il ne respecte plus aucune "raison" économique ou historique.

"Le court Vingtième Siècle on [a] tué ou laissé mourir délibérément plus d'êtres humains que jamais auparavant dans l'histoire (...). Il fut sans doute le siècle le plus meurtrier dont nous ayons gardé la trace, tant par l'échelle, la fréquence et la longueur des guerres qui l'ont occupé (et qui ont à peine cessé un instant dans les années 1920) mais aussi par l'ampleur incomparable des catastrophes humaines qu'il a produites - des plus grandes famines de l'histoire aux génocides systématiques. A la différence du "long XIXe siècle" qui semblait et fut en effet une période de progrès matériel, intellectuel, et moral presque ininterrompu, c'est-à-dire de progression des valeurs de la civilisation, on a assisté, depuis 1914, à une régression marquée de ces valeurs jusqu'alors considé­rées comme normales dans les pays développés et dans le milieu bourgeois, et dont on était convaincu qu'elles se propageraient aux régions plus retardataires et aux couches moins éclairées de la population." (E.J. Hobsbawn).

Certes, il y a une histoire du capitalisme qui permet de comprendre sa dynamique actuelle. Il y a donc des "raisons" historiques à son irrationalité. La principale est son entrée dans sa période de déclin historique, de décadence au début du 20e siècle dont la Première Guerre mondiale de 1914-1918 a été la sanction, le produit, et un facteur actif de cette même décadence. C'est avec la période de décadence que les guerres, en cessant d'être des guerres coloniales ou nationales - c'est-à-dire avec des objectifs et des buts "rationnels" tels la conquête de nouveaux marchés ou la constitution et la consolidation de nouvelles nations qui s'inscrivaient globalement dans le dévelop­pement historique - sont devenues des guerres impérialistes avec pour causes le manque de marchés et la nécessité d'un repartage impérialiste, objectif qui ne pouvait lui s'inscrire dans un progrès historique. Du coup, les caractéristiques des guerres impérialistes sont devenues chaques fois plus barbares, meurtrières et destructrices. En fait, avec la période de décadence, ce ne sont plus les guerres qui sont au service de l'économie. C'est l'économie qui s'est mise au service de la guerre. Aussi bien en temps de guerre qu'en temps de "paix". Toute la période qui va de 1945 à aujourd'hui vient illustrer amplement ce phénomène.

"Au cours du XXe siècle, les guerres ont de plus en plus visé l'économie et l'infrastructure des Etats ainsi que leurs populations civiles. Depuis la Première Guerre mondiale, le nombre de victimes civiles de la guerre a été bien plus important que celui des victimes militaires dans tous les pays belligérants, sauf aux Etats-Unis... Dans ces conditions, pourquoi les puissances dominantes des deux camps menèrent-elles la Première Guerre mondiale comme un jeu à somme nulle, c'est-à-dire comme une guerre qui ne pouvait être que totalement gagnée ou perdue ? (...) Dans les faits, le seul but de guerre qui comptât, c'était la victoire totale, avec, pour l'ennemi, ce qu'on devait appeler au cours de la Seconde Guerre mondiale une "capitulation sans condition". C'était un objectif absurde et autodestructeur, qui ruina à la fois les vainqueurs et les vaincus. Il entraîna les seconds dans la révolution, et les vainqueurs dans la faillite et l'épuisement physique." (E.J. Hobsbawn)

Ces caractéristiques propres aux guerres impérialistes du 20e siècle n'ont fait que se vérifier dramatiquement lors de la Seconde Guerre mondiale et jusqu'à nos jours dans tous les conflits qui se sont déchaînés. Depuis 1989 et la disparition des blocs impérialistes constitués autour des Etats-Unis et de l'URSS, la menace d'une guerre mondiale a disparu. Mais la disparition des blocs, et la discipline qui allait avec, a laissé le champ libre à l'explosion d'une multitude de conflits guerriers que les grandes puissances impérialistes, tout en ayant du mal à les maîtriser une fois lancés, provoquent, alimentent, et exacerbent. Les caractéristiques principales que la guerre a acquises lors de la période de décadence ne disparaissent pas avec la fin des blocs impérialistes. Bien au contraire. Il est venu s'y rajouter, comme élément aggravant, le développement du "chacun pour soi" se substituant à la discipline des blocs, chaque puissance impérialiste, chaque Etat, petit ou grand, jouant sa propre carte contre tous les autres. Le monde capitaliste est entré dans une phase particulière de sa décadence historique : phase que, pour notre part, nous avons définie comme sa phase de décomposition (5). Mais indépendamment de l'analyse qu'on en fait, voire du nom qu'on lui donne, "on ne saurait cependant sérieusement douter qu'une ère de l'histoire mondiale s'est achevée à la fin des années 1980 et au début des années 1990, et qu'une ère nouvelle a commencé (...). La dernière partie du siècle a été une nouvelle ère de décomposition, d'incertitude et de crise - et, pour une bonne partie du monde, telle l'Afrique, l'ex-URSS et l'ancienne Europe socialiste, de catastrophe." (idem)

Les guerres de la période de décomposition du capitalisme

C'est dans cette situation historique particulière, inédite, que les tensions impérialistes actuelles doivent être comprises. "Dans la période de décadence du capita­lisme, tous les Etats sont impérialistes et prennent des dispositions pour assumer cette réalité : économie de guerre, armement, etc. C'est pour cela que l'aggravation des convulsions de l'économie mondiale ne pourra qu'attiser les déchirements entre ces différents Etats, y compris, et de plus en plus, sur le plan militaire. La différence avec la période qui vient de se terminer, c'est que ces déchirements et antagonismes, qui aupara­vant étaient contenus et utilisés par les deux grands blocs impérialistes, vont maintenant passer au premier plan. La disparition du gendarme impérialiste russe, et celle qui va en découler pour le gendarme américain vis-à-vis de ses principaux "partenaires" d'hier, ouvrent la porte au déchaînement de toute une série de rivalités plus locales. Ces rivalités et affrontements ne peuvent pas, à l'heure actuelle, dégénérer en un conflit mondial (même en supposant que le prolétariat ne soit plus en mesure de s'y opposer). En revanche, du fait de la disparition de la discipline imposée par la présence des blocs, ces conflits risquent d'être plus violents et plus nombreux, en particulier, évidemment, dans les zones où le prolétariat est le plus faible." (6) (Revue internationale n°61, 10 février 1990)

Alors que les Balkans et le Proche-Orient restent et resteront toujours, tant que le capitalisme subsistera, des zones de guerres et de conflits permanents, les dernières semaines ont vu une aggravation et une multiplication des tensions inter-impérialistes directement entre les grandes puissances. Et ce sont les Etats-Unis qui adoptent une attitude agressive. "Le motif reste mystérieux pour ce qui semble une brutalité gratuite dans l'approche de l'administration Bush non seulement envers la Russie et la Chine, mais aussi envers la Corée du Sud et les Européens." (W. Pfaff, International Herald Tribune, 28 mars 2001) Il serait particu­lièrement réducteur de mettre cette nouvelle agressivité sur le seul compte de Bush fils. Certes, le changement de président et d'équipe gouvernementale est une occasion d'inflexion d'une politique. Mais les grandes tendances de fond de la politique américaine restent. La politique du "je-montre-mes-muscles" et du "retenez-moi-ou-je-fais-un-malheur" n'est pas lié aux déficiences intellectuelles de la famille Bush comme essaient de nous les présenter les médias européens, et même parfois américains. C'est une tendance de fond qui est imposée par la situation historique.

"Avec la disparition de la menace russe,"l'obéissance" des autres grands pays avancés n'est plus du tout garantie (c'est bien pour cela que le bloc occidental s'est désagrégé). Pour obtenir une telle obéissance, les Etats-Unis ont désormais besoin d'adopter une démarche systématiquement offensive sur le plan militaire." (Revue internationale n°67, Rapport sur la situation internationale du 9e congrès du CCI, 1991) Depuis lors, cette caractéristique de fond de la politique impérialiste américaine ne s'est pas démentie car "face à la montée irrésistible du chacun pour soi, les Etats-Unis n'ont d'autre choix que de mener en permanence une politique militaire offensive." (Revue internationale n°98, Rapport sur les conflits impérialistes du 13e congrès du CCI, 1999)

Des antagonismes impérialistes croissants

Cette nécessité de montrer ses muscles s'impose d'autant plus quand les Etats-Unis se trouvent particulièrement en difficulté dans le domaine diplomatique. L'extension de la guerre balkanique à la Macédoine est une des manifestations des difficultés américaines à maîtriser la situation dans cette partie du monde. Les Etats-Unis sans réel appui dans la région, contrairement aux anglais, français et russes traditionnellement du côté de la Serbie, et des allemands contre cette dernière et se reposant sur les croates et albanais, sont obligés d'adapter leur politique en fonction des circonstances. Ce n'est donc pas un hasard si "l'OTAN permet le retour partiel de l'armée yougoslave dans la "zone de sécurité" entourant le Kosovo (...). Le souci d'associer Belgrade à la prévention d'un nouveau conflit dans la région est manifeste" (Le Monde, 10 mars 2001). Les Etats-Unis, comme les alliés de la Serbie, sont intéressés au maintien de la stabilité de la Macédoine qui "a toujours été considérée comme un maillon faible qu'il faut préserver sous peine de risquer une déstabilisation de tout le sud-est européen" (idem). La seule puissance qui bénéficie de l'extension de la guerre à la Macédoine, et la seule puissance qui n'est pas intéressée par le maintien de la stabilisation et du statu-quo, est l'Allemagne. Avec la Croatie indépendante et la province croate de Bosnie-Herzégovine, une grande Albanie faisant sauter la Macédoine et le Monténégro, réaliserait l'objectif géostratégique historique de l'Allemagne d'une ouverture directe sur la Méditerranée. Evidemment une telle perspective relancerait d'autant les appétits momentanément mis sous l'éteignoir de la Grèce et de la Bulgarie sur la... Macédoine. D'ailleurs le président macédonien ne s'est pas trompé sur les vrais responsables de l'offensive de la guérilla albanaise. C'était avant le retournement américain. "Vous ne persuaderez personne aujourd'hui en Macédoine que les gouvernements des Etats-Unis et de l'Allemagne ne savent pas qui sont les chefs des terroristes et ne pourraient, s'ils le voulaient, les empêcher d'agir." (Le Monde, 20 mars 2001)

Comme pour l'Afghanistan, comme pour l'Afrique, comme pour tant d'autres régions du monde qui connaissent les guerres et les conflits propres à la décomposition du capitalisme, la paix dans les Balkans ne se réalisera plus tant que subsistera le capitalisme.

Il en va de même pour le Proche-Orient. Comme nous l'annoncions dans le précédent numéro de cette revue, "le plan que Clinton essayait de faire passer à tout prix avant de quitter les affaires sera resté lettre morte comme c'était prévisible". La nouvelle administration Bush semble vouloir prendre en compte l'incapacité américaine à imposer la "pax americana". En fait, elle semble intégrer et accepter l'idée que la région sera toujours un foyer de guerre ou pour le moins que le conflit entre Israël et les palestiniens n'aura pas de fin. Colin Powell, le nouveau secrétaire d'Etat américain aux affaires étrangères, ex-chef d'Etat-major de l'armée américaine lors de la guerre du Golfe, reconnaît qu'il n'y a pas de "formule magique" d'autant qu'Israël n'hésite plus à mener sa propre politique, expression du règne du chacun pour soi dans la période historique actuelle, même quand celle-ci est contraire à la politique américaine. Pour sa part, la bourgeoisie de Palestine, pays dont la population étranglée économiquement, miséreuse et réprimée, ne peut exprimer son désespoir que dans un nationalisme suicidaire anti-israélien, est appuyée par les puissances européennes. La France en particulier n'hésite pas à favoriser tout ce qui peut s'opposer à la politique américaine dans la région.

La réponse américaine à cette impuissance a été le bombardement meurtrier sur Bagdad dès l'accession au pouvoir de Bush. Le signal s'adresse à tous, aux pays arabes de la région et aux autres grandes puissances impéria­listes : les Etats-Unis n'imposeront plus leur paix, mais taperont militairement chaque fois que nécessaire, quand ils estimeront que "la ligne jaune est franchie".

Non seulement, il n'y aura pas de paix entre israéliens et palestiniens, mais la guerre, plus ou moins larvée, risque de se généraliser à toute la région.

Les lois mêmes du monde capitaliste poussent inévitablement à l'exacerbation des rivalités impérialistes, à la multiplication des conflits guerriers sur tous les continents, sur tout le globe, tout comme à l'aggravation irréversible de la crise économique. Le capitalisme agonisant ne peut pas apporter la "paix et la prospérité. Il n'est que guerres et misère. Et il ne peut apporter que la guerre et la misère sans fin.

Quelle alternative à la barbarie capitaliste ?

Il n'est que la théorie marxiste qui a su dès 1989, dès la fin du bloc de l'Est et avant même l'explosion de l'URSS, comprendre et prévoir la signification de l'événement et ses conséquences pour le monde capitaliste et pour la classe ouvrière internationale (7). Il ne s'agit pas là d'une supériorité de quelques individus, ni même d'une croyance aveugle et mécanique dans une Bible. Si le marxisme a été clairvoyant, c'est parce qu'il constitue la théorie du prolétariat international, l'expres­sion de son être révolutionnaire. C'est parce que le prolétariat est la classe révolutionnaire que le marxisme existe et qu'il peut appréhender dans ses grandes lignes le devenir historique, et particulièrement l'impossibilité pour le capitalisme de résoudre les problèmes dramatiques que sa survie provoque.

L'aveu de la détérioration de l'économie mondiale, même si la bourgeoisie tente d'en minimiser les conséquences et les attaques qui sont portées aujourd'hui brutalement contre la classe ouvrière internationale, particulièrement en Europe occidentale, participent de dévoiler aux yeux des ouvriers le mythe sur la prospérité et le futur radieux du capitalisme. Déjà, une certaine combativité ouvrière tend à se développer et les syndicats s'emploient à la canaliser, à la contenir et à la dévoyer. Aussi lente soit celle-ci à s'affirmer et à se développer, aussi timides soient les réponses actuelles de la classe ouvrière internationale à la situation qui lui est faite, ces luttes portent en elles le dépassement de cette barbarie quotidienne et la survie de l'humanité. Le renversement du capitalisme passe par le refus des attaques économiques que subit la classe ouvrière et par le refus de toute participation aux guerres impérialistes, par l'affirmation de l'interna­tionalisme prolétarien. Il passe aussi par le dévelop­pement et l'extension la plus large possible des luttes ouvrières à chaque fois que possible. C'est la seule voie vers une perspective révolutionnaire et la possibilité pour l'espèce humaine dans son ensemble d'une société sans guerre, sans misère, et sans barbarie. Il n'est pas d'autre solution. Il n'est pas d'autre alternative.

R.L., 7 avril 2001

 

1 - Voir notre presse territoriale

2 - Nous ne pouvons qu'être d'accord avec ce constat que le marxisme a déjà largement et depuis longtemps dénoncé et expliqué. Evidemment la conclusion qu'en tire notre honnête et sans doute sincère conseillère stratégique de l'organisation humanitaire Action contre la faim, à savoir «qu'il est urgent de redonner du pouvoir d'achat aux pauvres du Sud pour leur permettre de devenir des consommateurs» est en réalité complètement irréalisable puisque cela ne rompt pas avec les lois mêmes du mode de production capitaliste alors que ces dernières sont la raison même de cette situation.

3 - «La plupart des Etats d'Afrique sub-saharienne, à l'exception peut-être temporaire de l'Afrique australe, traversent une phase lente de décompo­sition» (Le Monde diplomatique, mars 2001).

4 - La presse et les gouvernements occidentaux font grand cas de la destruction des bouddhas par les talibans. Et il est vrai que c'est sans doute une perte pour le patrimoine culturel universel. Mais il est difficile de ne pas voir là une hypocrisie et une opportunité de campagne idéologique : il suffit de se rappeler que les bourgeoisies occidentales et démocratiques n'ont pas eu de tels scrupules à la fin de la 2e guerre mondiale pour bombarder et raser toutes les villes allemandes et pour massacrer des millions de civils, et avec elles un patrimoine culturel et historique tout aussi important.

5 - Cf. Revue internationale n°62, la décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme, mai 1990.

6 - Pour tous ceux qui dénigrent la force théorique du marxisme, on peut comparer la prophétie de G. Bush père, la paix et la prospérité, reprise, développée, défendue et argumentée à longueur de pages dans les journaux et émissions spéciales des télévisions, avec notre analyse marxiste et notre compréhension marxiste de la période qui s'ouvrait alors.

7 - Cf. Revue internationale n°60, Thèses sur crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est, septembre 1989.

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Questions théoriques: 

  • L'économie [1]

10 ans aprés la guerre du Golfe : Machinations, mensonges, et demi-vérités

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Sur Arte, chaîne publique de télévision franco-allemande, un long documentaire a été programmé avec un titre éloquent "Les dessous de la guerre du Golfe". Au moment de la sortie de ce document, des articles ont été publiés dans des hebdomadaires avec des "révélations" concernant la préparation et la réalisation de cette guerre. Le titre de l'article de l'hebdo­madaire français Marianne (22-28 janvier 2001) est encore plus explicite : "Les mensonges de la guerre du Golfe". Pourquoi ces "révélations" dix ans après ? Pourquoi, après les tonnes de mensonges sur cette guerre, qui ont accompagné les tonnes de bombes, certaines fractions de la bourgeoisie dévoilent aujourd'hui les manigan­ces criminelles de l'administration Bush (le père) dans la préparation, la mise en place et la réalisation de cette guerre, depuis l'été 1990 jusqu'en février 1991 et aujourd'hui encore ? La version officielle

"La guerre du Golfe fut une Opération militaire menée en janvier et février 1991 par les Etats-Unis et leurs alliés, agissant sous l'égide de l'O.N.U. contre l'Irak, pour mettre fin à l'occupation du Koweït envahi par les troupes de Saddam Hussein le 2 août 1990. Le Conseil de sécurité des Nations Unies avait exigé dès le 2 août le retrait des forces irakiennes, puis instauré un embargo commercial, financier et militaire (opération Bouclier du désert), qui s'était transformé en blocus. Le 29 novembre, une nouvelle résolution du Conseil de sécurité avait autorisé les Etats membres à recourir à la force à partir du 15 janvier 1991 si les troupes irakiennes ne s'étaient pas retirées du Koweït. Le 17 janvier, la coalition anti-irakienne, basée en Arabie Saoudite et composée des Etats-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et d'une vingtaine d'armées alliées, engage l'opération Tempête du désert, sous comman­dement américain, bombardant des objectifs militaires irakiens et koweïtiens. Une offensive terrestre victorieuse, du 24 au 28 février, en direction de la ville de Koweït, met fin au conflit sur le terrain. Les pertes humaines se sont élevées à plusieurs dizaines de milliers de morts civils et militaires pour l'Irak, contre moins de deux cents tués pour les coalisés. Les deux tiers du potentiel militaire irakien ont été détruits. Les conditions de cessez-le-feu définies par le Conseil de sécurité de l'O.N.U. (notamment la destruction par l'Irak de ses armes chimiques et biologiques et de ses missiles à longue et à moyenne portée) ayant été acceptées par Saddam Hussein, la guerre prend officiellement fin le 11 avril 1991."

C'est ce type de récit que nous pouvons voir fleurir dans les manuels scolaires (1). Tous les éléments du tableau sont là pour faire croire que la prétendue "objectivité" historique est respectée. N'est-ce pas ce qu'on nous disait plus ou moins il y a dix ans (excepté en ce qui concerne le comptage des morts) ?

La justification de cette guerre fut la défense du sacro-saint "droit international" que "l'ignoble" Saddam avait foulé aux pieds en envahissant le Koweït. Nous vivions, en principe, une période qui, à la suite de l'effondrement du bloc de l'Est, devait voir s'ouvrir devant l'humanité un radieux "avenir de paix et prospérité". C'est en tout cas ce qu'on nous promettait et c'est ce que le président des Etats-Unis de l'époque résumait dans la formule : "le nouvel ordre mondial". Il fallait donc se donner tous les moyens pour arrêter le bras meurtrier du fauteur de guerre qui ne respectait pas le "droit international". Dans ce récit, il y a d'abord la scène de la mise en condition de l'opinion publique mondiale (en d'autres termes du prolétariat), celle de l'ONU, qui se prétend forum international "de paix", où, d'embargo en blocus, on a représenté la sinistre farce diplomatique. Enfin, la guerre elle-même, une prétendue "guerre propre", chirurgicale, une espèce de guerre qui n'allait tuer, comme qui dirait, que les "méchants". La guerre prit fin "officiellement" en avril 1991 mais, en fait, l'épilogue de cette guerre n'est pas encore écrit puisque, depuis dix ans, la bourgeoisie américaine, maintenant en cavalier seul (ou accompagnée par son acolyte britannique), utilise régulièrement Saddam (ou plutôt sa population) comme punching-ball pour montrer ses muscles dans un monde qui, depuis cette guerre, n'a fait que s'enfoncer de plus en plus dans la barbarie. (2)

"La vérité révélée"

Une certaine presse de la bourgeoisie reconnaît aujourd'hui ce que le CCI affirmait il y a dix ans. Nous ne sommes pas "fiers" pour cela et ce n'est pas cela qui nous intéresse. Ce qui nous intéresse est, d'un côté, de mettre en avant, plus que jamais, la nécessité pour les révolutionnaires d'enraciner leurs analyses dans la méthode marxiste, d'être vigilants face aux événements, de mettre nos analyses à l'épreuve de la réalité, de savoir être critiques, en ne changeant pas d'orientation comme des girouettes. Ceci est une condition sine qua non pour que la lutte de notre classe puisse avancer ; c'est une des fonctions primordiales des organisations révolutionnaires. D'un autre coté, il s'agit aussi de savoir pourquoi aujourd'hui la bourgeoisie "dévoile" ce qu'elle a occulté et, en fin de compte, quels sont les mécanismes de ce qu'on pourrait appeler le "Goebbels (3) démocratique".

Le piège de Washington

Voilà ce que dit l'hebdomadaire Marianne (et le document d'Arte) : "Le piège de Washington : (?) Washington réagit à peine lorsque Saddam parle d'envahir son ancienne province (?)", en insistant sur le fait que les Etats-Unis n'avaient "aucun accord de défense avec les Koweïtiens". "Il s'agit d'une machination pour le piéger", "'On peut dire que les Américains ne voulaient pas de solution diplomatique après l'invasion', conclut D. Halliday? de l'ONU."

Et voici ce que nous disions, début septembre 1990, un mois après l'invasion du Koweït par les troupes de Saddam et bien avant le déclenchement de la guerre : "Mais l'hypocrisie et le cynisme ne s'arrêtent pas là. Certes, discrètement, il apparaît que les Etats-Unis auraient délibérément laissé l'Irak s'engager dans l'aventure guerrière. Vrai ou faux, et c'est sans doute vrai, cela nous éclaire sur les m?urs et les pratiques de la bourgeoisie, sur ses mensonges, ses manipulations, sur l'utilisation qu'elle fait des événements. (...) l'Irak n'avait pas le choix. Ce pays était acculé à une telle politique. Et les Etats-Unis ont laissé faire, favorisé et exploité l'aventure guerrière de Saddam Hussein, conscients qu'ils étaient de la situation de chaos croissant, conscients de la nécessité de faire un exemple." La presse bourgeoise elle-même, en cet été 1990, avait fait part très discrètement de ces informations. Et c'est là où on voit très bien comment fonctionne la propagande dans les régimes de dictature démocratique : après que certains journaux aient fait part, avec des mots toujours voilés, du piège tendu par les Etats-Unis à Saddam, au moment où la tension monte et où la guerre se prépare, ils se font pratiquement tous l'écho de la propagande guerrière de la coalition anti-irakienne. Ces hypocrites le reconnaissent aujourd'hui : "L'armée améri­caine, s'assurera, cette fois, de la «loyauté» des journalistes. «Le gouvernement avait décidé de tenir la presse à l'écart et il a eu gain de cause. En fait, vous ne saviez pas ce qui se passait» résume Paul Sullivan, président du centre d'aide pour les vétérans du Golfe (?) Pendant quatre mois, on jouera ainsi à se faire peur en entretenant l'idée que l'armée irakienne, "la quatrième du monde", demeurait un adversaire redoutable?" (Marianne). (...)"Cet aveuglement [sic] crasse n'empêcha pas les journalistes occidentaux de disserter copieusement sur ses «diaboliques» talents man?uvriers [de Saddam]? La presse occidentale relate à l'envi les exactions réelles ou fabriquées de l'armée d'occupation. Elle publie, par exemple, le témoignage d'une «jeune fille du peuple», témoin d'horreurs sans nom. En fait, cette «rescapée» est la propre fille de l'ambassadeur du Koweït à Washington?" Ainsi, après le 2 août 1990, jour de l'invasion du Koweït par les troupes irakiennes, tout a été fait pour "mettre en condition l'opinion", pour faire accepter ce qui allait suivre. Et là, les journalistes, que ce soit avec leur assentiment ou plus ou moins à leur insu, y ont participé pleinement.

Mais, ce que ces journalistes qui se disent "honnêtes" aujourd'hui, ne révèlent pas c'est que le piège dressé par les Etats-Unis a servi ces derniers surtout contre leurs "alliés" de l'époque, c'est-à-dire contre les autres grandes puissances.

Dans un article daté de novembre 1990 de notre Revue internationale (4), nous prenions longuement position sur la situation créée par la crise du Golfe, avant ce qui allait devenir la guerre du Golfe. Notre analyse se basait sur nos prises de position précédentes dans lesquelles nous mettions en avant le fait que l'effondrement du bloc de l'Est avait entraîné le délitement du bloc occidental et le développement en son sein de fortes tendances centrifuges, du chacun pour soi de la part des grandes puissances. De ce fait, le prétendu "nouvel ordre mondial" n'était qu'une sinistre farce. La détermination des Etats-Unis dans le piège qu'ils ont tendu à l'Irak, n'avait pas comme principal objectif de soumettre ce pays ou la région, ni même la question du pétrole mais celui de mettre au pas les autres puissances, surtout la France en la forçant à affronter son allié traditionnel irakien, ainsi que l'Allemagne et le Japon en les faisant cracher au bassinet de la participation financière. Quant à l'URSS, déjà en pleine décomposition, il ne lui restait qu'à faire quelques pas de danse diplomatique pour donner le change. "Alors que les Etats-Unis parvenaient à afficher l'unanimité de façade de la «communauté internationale» en août 1990, en déclenchant la «crise du Golfe» face au «fou Saddam», à peine deux mois plus tard, c'est ouvertement le chacun pour soi dans la dite «communauté»." (Revue internationale nº 64). Saddam Hussein, "parce qu'il était conscient des clivages existant entre ces divers pays" (idem), va jouer avec les dissensions évidentes au sein de la coalition occidentale : il fait libérer tous les otages français fin octobre 1990 et il reçoit à la même époque la visite de l'ex-chancelier allemand Willy Brandt (suivie également de la libération des otages allemands).

En fait, la guerre contre l'Irak a été une occasion pour la puissance américaine, alors que son hégémonie sur ses alliés occidentaux allait nécessairement être mise en cause du fait de l'effondrement du bloc adverse, de "montrer sa force et signifier sa détermination aux autres pays les plus développés" (Revue internationale nº 64). Cette démonstration de la détermination américaine s'est faite au prix de la punition sanglante et meurtrière de l'Irak. Dans ce même article, sous le paragraphe titré : "L'opposition entre les Etats-Unis, secondés par la Grande-Bretagne, et les autres", nous écrivions : "C'est tout l'ancien rapport des forces politico-militaire et géostratégique de la planète qui a été bouleversé de fond en comble avec l'écroulement du bloc impérialiste russe. Et cette situation a non seulement ouvert une période de chaos total dans les pays et les régions de l'ancien bloc, mais elle a aussi accéléré partout les tendances au chaos, menaçant «l'ordre» capitaliste mondial dont les Etats-Unis sont les principaux bénéficiaires. Ces derniers ont été les premiers à réagir. Ils ont (?) suscité la «crise du Golfe» en août 1990, non seulement pour prendre pied de façon définitive dans la région, mais surtout? pour en faire un exemple destiné à servir d'avertissement à quiconque voudrait s'opposer à leur place prépondérante de superpuissance dans l'arène capitaliste mondiale." (idem)

La guerre se déclenche : les médias sont au garde-à-vous

En janvier 1991, les Etats-Unis ont réussi à maîtriser la coalition onusienne. Un déluge de bombes va s'abattre sur l'Irak. Le cynisme des gangsters de la dite coalition va jusqu'à vouloir faire croire à une "guerre propre".

"Le Pentagone a raconté que ces raids étaient extrêmement précis. C'était complètement faux. Durant quarante-deux jours, 85 000 tonnes de bombes ont été lâchées sur l'Irak, soit une puissance équivalente à sept Hiroshima et demi ! Entre 150 000 et 200 000 personnes ont été tuées, principalement des civils." (Ramsay Clark, ancien procureur général des Etats-Unis, dans Marianne et le document T.V. d'Arte) "De fait, la coalition fait bien plus qu'annihiler la machine de guerre irakienne : elle détruit méthodiquement l'infrastructure économique."

La presse a collaboré pleinement, et pratique­ment sans le moindre état d'âme, avec le pouvoir des différents pays impliqués dans la guerre. Elle ne s'est pas contentée d'accuser le régime irakien et son sanglant dictateur (5), elle s'est surtout mise aux ordres des militaires de la coalition. Il faut se souvenir des plateaux de télévision avec des spécialistes civils et militaires en train de faire des exposés vaseux sur la "très dangereuse" armée irakienne qu'ils n'hésitaient pas à placer au quatrième rang dans le monde. Et tous ces journalistes nous détaillaient les armes terrifiantes que possédait le pouvoir de Bagdad et qu'il pouvait envoyer n'importe où sur le "monde civilisé". On nous racontait comment les armées du sanguinaire Saddam tuaient des bébés dans les crèches du Koweït et, par contre, comment nos gentils pilotes allaient faire attention en ne détruisant que les lieux stratégiques du pouvoir abhorré. L'hebdoma­daire Marianne confirme aujourd'hui cette méprisable soumission et cette complicité des médias : "Pendant quatre mois, on jouera ainsi à se faire peur en entretenant l'idée que l'armée irakienne demeurait un adversaire redoutable (?). On évoquera les usines de pesticides reconverties, la vente d'uranium enrichi, (?) la portée du «supercanon». Personne n'osa, semblait-il, envisager l'hypothèse la plus simple. Matamore tonitruant, ce costaud de saindoux [Saddam] était simplement aussi bête qu'opiniâtre. Les vrais spécialistes de l'histoire militaire n'étaient d'ailleurs pas dupes de cette mise en condition : «l'armée irakienne, exposée en plein désert, ne tiendra pas une heure face à la puissance de feu de la coalition». (?) Mise en condition, l'opinion occidentale avalera la fiction des «bombes intelligentes» et des bombardements réduits au strict nécessaire" (Marianne). La manipulation ne s'arrêta pas là : les Etats-Unis encouragent la rébellion des kurdes au Nord et des chiites au Sud de l'Irak contre Saddam. "Le 3 mars, le général Schwarzkopf reçoit la reddition des Irakiens, il les autorise à conserver leurs hélicoptères [pour pouvoir réprimer la rébellion] (6). Depuis des semaines, la radio de la CIA les pousse à l'insurrection. Les alliés ne bougent pas lorsque Saddam lance contre les rebelles les meilleures unités de sa garde républicaine, miracu­leusement épargnées par les bombardiers?"

Pourquoi des medias disent "tout" aujourd'hui ?

Dans cette citation, la revue Marianne parle de la "mise en condition". Et c'est aux médias en général et à la télévision en particulier que cette tâche primordiale a échue. On a pu vérifier ce que veut dire "liberté de la presse" pour la bourgeoisie "démocratique", surtout dans des moments graves et décisifs comme celui de la guerre du Golfe. Tous ceux qui, en permanence, ont la bouche pleine de ce grand "droit démocratique", se sont mis sans états d'âme à la botte de la coalition. Et si par hasard, ils voulaient jouer à Tintin à la recherche de la vérité ou d'un scoop mirobolant, les services des Armées les rappelaient à l'ordre. Marianne le dit à sa manière : "Personne n'osa, semblait-il, envisager l'hypothèse la plus simple."

On voit très bien comment fonctionnent les services de propagande dans les systèmes démocratiques. Au moment où les événements exigent le silence radio, rien d'important ne filtre. Par contre, on fait passer toutes sortes de mensonges, de demi-vérités, de manipulations, agrémentés par les avis d'experts "indépendants", spécialistes universitaires et rendus plus crédibles grâce, précisément, au prestige de la "liberté de ton" de la presse des pays démocratiques. C'est à un véritable déluge de désinformation qu'on assiste, surtout à travers le média le plus "populaire" (la T.V.). Dix ans après, "la vérité" ne se dit que dans des magazines à faible tirage et sur des chaînes de T.V. avec peu d'audience. Et ce mécanisme, nous avons pu le revoir à l'?uvre en 1995 avec le génocide au Rwanda et, surtout, avec la dernière guerre en ex-Yougoslavie (Kosovo) où le modèle médiatique du Golfe a encore frappé.

De plus, à la suite de la guerre du Golfe, après avoir livré les populations kurdes et chiites aux spadassins de Saddam Hussein, les "grandes démocraties" ont lancé, avec un cynisme incroyable, leur fameuse "intervention huma­nitaire" pour "aller au secours des populations innocentes". On nous a servi, depuis, du "devoir d'ingérence humanitaire" jusqu'à la nausée. Dans ce sens, la guerre du Golfe a servi de canevas à partir duquel se brodent toutes les campagnes impérialistes qui se déroulent de par le monde.

Le fait qu'une partie de la vérité soit aujourd'hui révélée au grand jour répond d'abord à la nécessité qu'a la classe dominante de justifier son système. On veut nous faire croire que le capitalisme "démocratique" est le seul système qui permette cela. Et le "tout peut être dit en démocratie" sert à justifier les moments où tout doit être manipulé, déformé, caché.

Mais il y a une autre raison qui explique pourquoi, aujourd'hui, certains médias diffusent ou pu­blient ces faits. Ces articles et ces documentaires ont quelque chose en commun : l'Etat américain apparaît comme le seul coupable. Bien que toutes les grandes puissances notamment partagent la responsabilité des massacres qu'a occasionnés cette guerre, il est vrai que ce sont les Etats-Unis qui ont été les principaux maîtres-d'?uvre de cette "croisade", ce sont eux qui ont préparé et tendu le piège, ce sont eux qui, pour l'essentiel, étaient le bras armé de la coalition. Aujourd'hui, certaines puissances européennes, la France et l'Allemagne en tête, pour lesquelles les Etats-Unis sont le principal adversaire sur l'arène impérialiste mondiale, ont tout intérêt à déformer la réalité de cette guerre dans le sens de diminuer leur responsabilité et de mettre en exergue la sauvagerie et le cynisme de "l'impérialisme américain" (qui évidemment sont bien réels).

L'intervention des révolutionnaires

Bien sûr, nous avons tiré, nous aussi, nos informations de la presse bourgeoisie. Déjà, pendant l'été 1990, certains journaux s'étaient fait l'écho de la manipulation. Par la suite, le déluge de mensonges fut tel que ce que nous affirmions dans notre presse nous faisait passer (même auprès d'éléments de bonne foi, y inclus de certains militants de la Gauche communiste) pour des gens qui déliraient en voyant du machiavélisme partout.

Mais l'information en soi n'est pas le plus important. Ce qui est important c'est la méthode avec laquelle on analyse les événements et la nôtre est la méthode marxiste. Si nous avons été capables de comprendre ce qui se cuisinait en 1990-91 au Moyen-Orient, c'est parce que nous avons fait un travail d'analyse sur les conséquences de l'effondrement du bloc de l'Est et sur la décomposition du capitalisme. Les révolutionnaires n'ont pas et ne peuvent pas avoir des "informateurs secrets". Notre force vient de l'attachement à notre classe, le prolétariat, à son histoire et à la théorie, le marxisme, qu'il s'est forgée.

Par ailleurs, il ne faut pas se faire d'illusions : c'est "sous liberté surveillée" que sont les révolutionnaires et qu'ils peuvent publier. Notre seule protection, nous ne la devons sûrement pas à la "liberté de la presse" mais à la force et à la lutte de notre classe.

Pendant les événements de 1990-91, seuls les révolutionnaires ont été capables de montrer les enjeux et, par conséquent, ont été capables de dénoncer la barbarie et les manipulations de la classe dominante. Certaines fractions de la bourgeoisie ont dénoncé la barbarie contre l'Irak mais c'était soit pour des raisons nationalistes (anti-américaines) soit carrément en soutien à l'impérialisme irakien, comme ce fut le cas pour certains groupes gauchistes. Seuls les groupes de la Gauche communiste ont défendu la position internationaliste prolétarienne contre la guerre. Et, parmi ceux-ci, seul le CCI a été capable de mettre en évidence les enjeux essentiels de la situation. Le piège tendu à l'Irak n'avait pas de sens si l'enjeu avait été seulement le pétrole. Il prenait tout son sens si l'enjeu était le maintien du leadership américain qui, dès l'effondrement du bloc de l'Est avait commencé à être remis en cause (7). Et ce n'est que dans ce contexte que la question du pétrole peut prendre son sens en tant qu'élément d'une politique impérialiste globale.

Sur le plan de la propagande et de l'"informa­tion", la bourgeoisie fait tout pour que la classe ouvrière, la seule classe capable d'en finir avec elle et son système, n'arrive pas à prendre conscience de tout ce qui est en jeu. Ses efforts sur ce plan, elle les multiplie quand il s'agit notamment de questions comme la crise économique mortelle qui affecte, depuis plus de 30 ans, son système, ou d'événements d'ampleur comme la guerre du Golfe. Pour ce qui est des capacités idéologiques, des capacités à mentir, à cacher ou à déformer la réalité, la bourgeoisie démocratique est de loin la plus apte et elle n'a pas grand chose à apprendre des spécialistes de l'information des régimes totalitaires. Il est du devoir des révolutionnaires de dénoncer non seulement la barbarie impérialiste mais aussi les mécanismes par lesquels la bourgeoisie essaye d'anesthésier le prolétariat en l'abrutissant de propagandes mensongères.

PA, 30/03/2001.

 

1 - Cette citation est extraite de l'Encyclopaedia Universalis. Les articles de cette encyclopédie étant rédigés par d'éminents historiens, on peut imaginer que les chapitres des manuels d'Histoire avec lesquels on bourre le crâne des jeunes générations doivent être rédigés de la sorte.

2 - Ce récit ne parle pas des comparses qui devaient servir à compléter la mise en scène : le rôle d'appoint des prétendus "anti-impérialistes" et autres pacifistes. L'anti-américanisme aidant, des fractions de la bourgeoisie, allant de l'extrême droite à l'extrême gauche, en passant, par exemple en France, par les nationaux-républicains et autres "souverainistes", exprimèrent leur désaccord avec la politique des gouvernements aussi bien de droite que de gauche qui gouvernaient les pays d'Europe à l'époque. En général toutes ces fractions de la bourgeoisie qui exprimaient leur désaccord plus ou moins critique avec la coalition anti-irakienne se basaient sur des explications où le pétrole tenait lieu de cause première de cette guerre.En France, c'était un gouvernement socialiste sous la présidence de Mitterrand. Le seul à exprimer ses réticences vis a vis de la coalition anti-irakienne fut le national-républicain de gauche Chevènement. En Espagne, le gouvernement socialiste de González, malgré les minauderies de certains socialistes, participa à la coalition anti-irakienne. Quant à l'Allemagne, il est à noter que les Verts étaient, à l'époque, de farouches pacifistes. Aujourd'hui ils sont au gouvernement. Lors de la dernière guerre en Yougoslavie (1999), ils ont été, sans état d'âme, tout à fait favorables au pilonnage de la Serbie. L'avantage avec les Verts allemands, c'est qu'on n'a pas besoin de faire de longues analyses sur ce qu'est le pacifisme, idéologie de la bourgeoisie. Il suffit de rappeler leurs hauts faits d'armes.

3 -Goebbels était le ministre de l'Information et de la Propagande du régime nazi. Si nous utilisons cette expression, c'est parce que Goebbels est devenu le nom emblématique du technicien du matraquage idéologique et de la manipulation de l'Etat bourgeois. Mais, et cet article essaye de le montrer, les exemples ne manquent pas dans n'importe quel autre régime, stalinien ou démocratique.

4 - "Face à la spirale de la barbarie guerrière, une seule solution : développement de la lutte de classe", Revue international nº 64, 1er trimestre de 1991.

5 - En fait, jusqu'au moment de la guerre du Golfe, Saddam était un personnage loué par les média occidentaux comme quelqu'un de "moderne" et surtout quelqu'un qu'il fallait soutenir contre les ambitions de l'Iran des mollahs au moment de la guerre Iran-Irak. D'ailleurs, Saddam mit en place en 1988 une répression anti-kurde à base d'armes chimiques que les gouvernements occidentaux ont soutenue, pour la simple raison que Saddam était, à ce moment là, une pièce maîtresse contre l'Iran.

6 - La revue Marianne dit "un peu comme si, pendant l'hiver 1945, les Alliés s'étaient arrêtés sur le Rhin en laissant assez d'armes à Hitler pour qu'il puisse écraser d'éventuels soulèvements". Ce n'est pas "un peu comme si?", c'est exactement ce que les Alliés ont fait en Italie en 1944 : arrêter l'avancée vers le Nord, pour laisser au régime fasciste les mains libres pour écraser l'insurrection et les grèves ouvrières.

7 - Lire "Le milieu politique prolétarien face à la guerre du Golfe" (01/11/90), dans la Revue internationale nº 64, et notre "Appel au milieu politique prolétarien" dans le nº 67

8 - (juillet 1991).

 

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Le communisme n'est pas un bel idéal, il est à l'ordre du jour de l'histoire [10° partie]

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1926-1936 : l'énigme russe élucidée

Dans le dernier article de cette série ("1924­28: le Thermidor du capitalisme d'Etat stalinien", Revue internationale n°102), nous avons examiné les tentatives effectuées par plusieurs courants de l'aile gauche du parti bolchevique pour comprendre et combattre la dégéné­rescence puis la mort de la révolution d'octobre. Tous ces groupes ont succom­bé, l'un après l'autre, à la terreur implacable de la contre-révolution stalinienne. C'est ainsi que le centre de cette lutte politique et théorique s'est déplacé vers l'arène internationale et en particulier vers l'Europe occidentale. Les deux articles qui suivent vont se centrer sur les tentatives de la Gauche communiste internationale d'apporter une analyse marxiste claire du régime qui a surgi en URSS sur les cendres de la révolution prolétarienne.

Comprendre la nature du régime stalinien constitue une question clé du programme communiste. Sans une telle compréhension il serait impossible aux communistes de dégager de façon claire pour quel type de société ils luttent, impossible de décrire ce qu'est le socialisme et ce qu'il n'est pas. Mais la clarté qu'ont les communistes d'aujourd'hui sur la nature de l'URSS n'a pas été atteinte facilement: il a fallu des années de débat intense et de réflexion au sein du milieu politique prolétarien avant de parvenir à une synthèse vraiment cohérente. Jamais auparavant les révolution­naires n'avaient été amenés à analyser une révolution prolétarienne qui a été détruite de l'intérieur. De ce fait, pendant très longtemps, l'URSS est apparue comme une sorte d'énigme ([1] [4]), comme un problème que les annales du marxisme n'avaient pas prévu. Notre but, dans les articles qui suivent, sera donc de faire la chronique des principales étapes que, dans la nuit noire de la contre-révolution, ces groupes de l'avant-garde marxiste ont traversées pour parvenir progressivement à élucider l'énigme et à transmettre à leurs héritiers d'aujourd'hui l'analyse du capitalisme d' Etat stalinien.

La lettre de Korsch à Bordiga

Nous commençons l'histoire en 1926. Le parti communiste d'Allemagne, le KPD, a été "bolchevisé" afin de synchroniser ostensiblement tous les partis communistes hors de Russie avec les méthodes intransigeantes et disciplinées du parti russe. Mais la campagne de bolchevisation lancée par l'Internationale communiste en 1924­25 fait en réalité partie du processus de destruction du bolchevisme. Le parti quia dirigé la révolution de 1917 est en train de se transformer en simple annexe de l'Etat russe; et l'Etat russe est devenu l'axe de la contre ­révolution capitaliste. La théorie de Staline du "socialisme en un seul pays", annoncée pour la première fois en 1924, constitue une déclaration de guerre contre les traditions internationalistes véritables du parti russe. En 1926, tous les bolcheviks qui restent, y compris Zinoviev sous les auspices duquel la campagne de bolchevi­sation a été imposée à l'Internationale, se retrouvent dans l'opposition et seront expulsés du parti peu après.

En Allemagne aussi, il existe une grande résistance à l'opportunisme et a4bureaucratisme qui se développent dans le KPD. Il se fait jour un refus des tentatives de faire taire tout ce qui met sérieusement en cause la situation interne en Russie et la politique étrangère de l’IC. L'incapacité de l'appareil du KPD à tolérer un véritable débat en son sein aboutit à l'expulsion massive de pratiquement tous les éléments les plus révolutionnaires du parti, de toute une série de groupes influencés non seulement parla plus célèbre opposition du moment, celle qui est réunie autour de Trotsky, mais également parla gauche communiste allemande. Le KAPD,bien que n'ayant plus la force qu'il avait durant les beaux jours de la vague révolutionnaire, existe toujours et mène un travail cohérent vis-à-vis du KPD qu'il définit comme une organisation centriste toujours capable de faire surgir des minorités révolutionnaires.

Notre livre sur la Gauche germano-hollandaise met en évidence de façon précise l'étendue et l'importance de cette scission qui comprend les groupes suivants :

"- le groupe autour de Schwarz et Korsh les «Entschiedene Linke (Gauche résolue) qui regroupait environ 7000 membres ;

- le groupe d’lwan Katz qui formait avec le groupe de Pfemfert une organisation de 6000 membres, proche de l'AAUE, sous le nom de cartel des organisations communistes de gauche et publiait le journal Spartakus. Celui­-ci devenait l'organe dit Spartakusbund n°2;

- le graupe de Fischer-Maslow qui comprenait 6000 militants ;

- le groupe d'Urbahns qui en regroupait 5000, futur Leninbund.

L'Opposition de Wedding, exclue en 1927-28, devait former plus tard, avec une partie du Leninbund créé par Urbahns, l'Opposition trotskiste allemande. " (La gauche hollandaise, chapitre 6).

Le groupe de Korsch est l'un de ceux qui est le plus influencé par le KAPD ; plus tard une fusion plutôt hâtive et éphémère aura lieu entre eux. La plate-forme de ce groupe n' est pas bien connue ni accessible, ce qui montre à quel point la Gauche allemande a disparu de l'histoire. Mieux connue est la lettre, commentant la plate­forme, quia été envoyée à Korsch par Amadeo Bordiga, figure la plus importante à ce moment ­là du parti communiste italien qui menait une polémique particulièrement forte contre l'opportunisme croissant de l' IC. Notre attention se dirige donc sur cette correspondance parce qu'elle nous apporte un point de vue de valeur sur les différentes démarches adoptées par les communistes de gauche allemands et italiens vis-à-vis des problèmes fondamentaux qu'ils confrontent à l'époque : comprendre la nature du régime en URSS et définir une politique cohérente envers l'Internationale et les partis qui la composent.

La première chose à noter sur la réponse de Bordiga (datée du 28octobre 1926) c'est qu'elle ne comporte aucune trace de sectarisme l'amenant à se considérer comme l'unique détenteur de la vérité ni le moindre refus de discuter avec d'autres courants de la gauche. Bref, nous nous trouvons très loin du "bordiguisme" d'aujourd'hui qui proclame être le véritable héritier de la tradition communiste de la Gauche italienne et qui a théorisé le refus de mener un quelconque débat avec des groupes qui, selon lui, ne rentrent pas dans la définition très stricte de cette tradition. Il est certain qu'en 1926 Bordiga ne considère pas qu'il y a suffisamment d'homogénéité politique pour un regroupement ni même pour la publication d'une déclaration internationale commune. Mais toute son insistance porte sur la nécessité de la discussion et sur un travail de clarification dans lequel les différents courants de la Gauche internationale ont un rôle à jouer : "D'une façon générale, je pense que ce qui doit être mis aujourd'hui au premier plan, c'est, plus que l'organisation et la manœuvre, un travail préalable d'élaboration d'une idéologie politique de gauche internationale basée sur les expériences éloquentes qu'a connues le Komintern " (cf. la version française de cette lettre publiée dans Programme Communiste n° 68). Plus tard il ajoute que les déclarations parallèles sur la situation en Russie et sur l'internationale des différents groupements de gauche contribueront à ce travail même s'il a le souci d'éviter "d'aller pour autant jusqu'à donner le prétexte du « complot fractionniste »

L'argument de Bordiga se fonde sur la conviction que "nous ne sommes pas encore au moment de la clarification définitive ", c'est-à-dire qu'il est trop tôt pour abandonner les partis communistes ou l'Internationale. Les révolution­naires doivent poursuivre la lutte au sein des partis communistes aussi longtemps que possible, malgré la discipline de plus en plus artificielle et mécanique qui y règne : "[il faut respecter] cette discipline jusque dans ses absurdités de procédure tant que cela sera possible, sans jamais renoncer aux positions de critique idéologique et politique et sans .jamais se solidariser avec l'orientation dominante. " Défendant la décision de l'opposition de gauche russe de se soumettre à la discipline et d'éviter la scission, il argumente que "la situation objective et externe est encore telle qu'être chassé du Kominterm signifie - et pas seulement en Russie - d'avoir encore moins de possibilités de modifier le cours de la lutte de la classe ouvrière qu'on ne peut en avoir au sein des partis. "

Avec le recul, nous pouvons donner des réponses à certaines conclusions de Bordiga : s'il a absolument raison de penser que la lutte pour "sauver" les partis communistes est bien loin d'être terminée en 1926, sa répugnance à reconnaître la nécessité de former des fractions organisées - y compris, quand c'est possible, une fraction internationale - permet en partie de comprendre pourquoi il est incapable de jouer un rôle dans la phase suivante de l'histoire de la Gauche italienne, la phase qui précisément commence avec la formation de la Fraction de gauche du parti communiste d'Italie en 1928. Mais ce qui est important ici c'est la méthode de Bordiga qui sera reprise sans la moindre hésitation par ceux qui participeront pleinement au travail delà Fraction. La priorité qu' il accorde au travail de clarification dans une situation objective défavorable, l'insistance qu'il met sur la nécessité de lutter jusqu'au bout pour sauver les organisations que le prolétariat a créées avec tant de difficultés, telle est la marque de la Gauche italienne. Et cela nous fournit une clé qui nous permet de comprendre pourquoi celle­ ci a joué un rôle central "dans l'élaboration d'une idéologie politique de la gauche internationale" pendant les années les plus sombres de la contre-révolution. En revanche, l'expulsion prématurée de la gauche allemande des partis communistes et de l'Internationale a été l'une des causes les plus lourdes de sa rapide désintégration organisationnelle.

On peut dire la même chose de la façon dont Bordiga soulève la question de la nature du régime en Russie qui est en fait la première question qu'il soulève dans sa réponse à Korsch.

"La gauche résolue ", comme les précédents courants de gauche allemands (Rühle dès 1920, le KAPD à partir de 1922) avait déjà déclaré que le capitalisme avait triomphé sur la révolution en Russie. Mais dans les deux cas, cette conclusion, atteinte de façon impressionniste et sans une recherche théorique profonde, a abouti à la mise en question de la nature prolétarienne de la révolution et à une régression politique menant aux positions des mencheviks ou des anarchistes, beaucoup d'entre eux ayant dès le début dénoncé l'insurrection d'Octobre comme un coup d' Etat des bolcheviks instaurant une nouvelle variété de capitalisme à la place de l'ancien. Le KAPD dans l'ensemble n'est pas allé aussi loin mais il a développé la théorie de la "révolution double", prolétarienne dans les villes, bourgeoise à la campagne ; et il tendait à voir dans la NEP (Nouvelle Politique Economique) introduite en 1921 le moment où une sorte de "capitalisme paysan" aurait pris la suprématie sur les restants de pouvoir prolétarien.

Autre ironie du bordiguisme d'aujourd'hui :la réponse de Bordiga à Korsch ne contient aucune allusion à la théorie de la "révolution double" qu'il a élaborée après la deuxième guerre mondiale et qui définit l'économie bourgeoise de l'URSS comme le produit d'une "transition vers le capitalisme" qui aurait eu lieu sous les auspices de l'appareil stalinien. Au contraire, la préoccupation dominante de Bordiga est de défendre le caractère prolétarien d'Octobre, quelle que soit la dégénérescence ultérieure qui ait eu lieu :

"... votre façon de vous exprimer au sujet de la Russie me semble ne pas convenir. On ne peut pas dire que «la révolution russe est une révolution bourgeoise». La révolution de 1917 a été une révolution prolétarienne, bien que ce soit une erreur de généraliser ses leçons «tactiques». La question qui se pose est de savoir ce qui arrive à une dictature proléta­rienne dans un pays si la révolution ne suit pas dans les autres pays. II peut y avoir une contre révolution ; il peut y avoir une intervention extérieure ; il peut y avoir un processus de dégénérescence dont il s'agit de découvrir et de définir les symptômes et les répercussions dans le parti communiste. On ne peut pas dire tout simplement que la Russie est un pays dans lequel le capitalisme est en expansion. La chose est beaucoup plus complexe : il s'agit de nouvelles formes de la lutte de classe qui n'ont pas de précédents dans l'histoire. Il s'agit de montrer que toute la conception qu'ont les staliniens des rapports avec les classes moyennes constitue un renoncement au programme communiste. On dirait que vous excluez que le parti communiste russe puisse mener une politique qui n'aboutirait pas à la restauration du capitalisme. Cela reviendrait à donner une justification à Staline, ou à soutenir la position inadmissible selon laquelle il faudrait «quitter le pouvoir». Il faut dire au contraire qu'une juste politique de classe aurait été possible en Russie sans la série de graves erreurs de politique internationale commises par toute la «vieille garde léniniste». "

Encore une fois, grâce au recul que nous avons, il nous est possible de donner des réponses à certaines conclusions de Bordiga : au moment où il écrivait à Korsch, le capitalisme - qui n'avait pas ses fondements sur des concessions aux classes moyennes mais sur l' Etat même qui avait surgi de la révolution - était en train de devenir 1e maître de la Russie, non seulement sur le plan économique (puisqu'il n' avait jamais été renversé sur ce plan) mais aussi sur le plan politique ; et plus longtemps le parti communiste chercherait à s'accrocher au pouvoir politique, plus il se séparerait du prolétariat et s'assujettirait aux intérêts du capital. Mais ici aussi, la question essentielle est la méthode, le point de départ théorique : la révolution était prolétarienne mais elle était isolée ; la question du moment était de comprendre un phénomène qui ne s'était jamais produit dans l'histoire, la dégénérescence d'une révolution prolétarienne de l'intérieur. Et ici encore, même si cela â pris du temps aux héritiers de Bordiga dans la Fraction pour tirer les conclusions correctes sur la nature du régime en URSS, la solidité de leur méthode d'analyse a permis qu'ils y parviennent avec bien plus de profondeur et de sérieux que ceux qui avaient proclamé la nature capitaliste de l'URSS bien plus tôt mais seulement en rompant la solidarité avec la révolution d'Octobre. La Gauche allemande devait lourdement payer pour cela : couper les racines qui la reliaient à Octobre et au bolchevisme signifiait aussi couper ses propres racines ; et sans racines, un arbre ne peut survivre. Jusqu'à aujourd'hui, il est évident que c'est réellement impossible de maintenir une quelconque activité prolétarienne organisée sans qu'elle soit enracinée dans les leçons de la victoire d'Octobre et de la défaite qui l'a suivie.

Le débat au sein de l'Opposition de gauche internationale

Nous arrivons en 1933. La défaite du prolétariat allemand a été scellée par la montée de Hâlerait pouvoir. Les ouvriers des deux autres principaux centres de la vague révolutionnaire internationale de 1917-23 - la Russie et l'Italie - ont aussi été écrasés. Les défaites ont abouti à la disparition ou la dispersion de l'avant-garde révolutionnaire. La vie politique de la classe ouvrière n'a désormais plus lieu dans les partis communistes qui sont complètement stalinisés et à la veille de capituler devant l'idéologie de la défense nationale. Cette vie se maintient néanmoins dans un milieu extrêmement réduit de groupements et de fractions d'opposition. A ce moment là, le centre de l'activité oppositionnelle s'est déplacée en France, en particulier à Paris qui est la ville traditionnelle des révolutions européennes.

En 1933,certains de ces groupes ont déjà disparu. Tel fut le destin d'une "aile" de la gauche italienne en exil, le Réveil communiste, groupe qui s'est formé autour de Pappalardi. Fondé en 1927, ce groupe avait tenté une synthèse audacieuse entre les gauches italienne et allemande. Sans rejeter le caractère prolétarien de la révolution d'Octobre, il était arrivé à la conclusion qu'une contre-révolution bourgeoise avait eu lieu en Russie. Cependant, la tendance du groupe à l'impatience et au sectarisme l'amena rapidement à perdre de vue la méthodologie globale minutieuse de la Gauche italienne. En 1929, sa synthèse avait disparu au profit d'une conversion complète à la tradition de la gauche allemande, avec ses forces et ses faiblesses. Cette mutation fut marquée par l'apparition du journal L'ouvrier communiste qui travaillait étroitement avec le communiste de gauche russe exilé à Paris, Gavril Miasnikov ([2] [5]). Très rapidement, le nouveau groupe a succombé aux influences anarchistes et il cesse de publier en 1931.

En 1933, la majorité des groupes oppositionnels "natifs" sont influencés par Trotsky, bien que la Fraction de gauche du parti communiste d'Italie, formée à Pantin dans la banlieue de Paris en 1928, soit extrêmement active dans ce milieu. La section officielle de l'Opposition de gauche de l'Internationale est la Ligue communiste, formée en 1929 sur une base extrêmement hétérogène, fortement critiquée pas la Fraction italienne. Déjà, à cette époque, le "trotskisme" développe une démarche de regroupement activiste et sans principe, une politique qui ne s'appuie pas sur un accord programmatique solide. De telles démarches ne peuvent aboutir qu'à des scissions, en particulier parce qu'elles s'accompagnent d'une tendance de plus en plus opportuniste sur des questions clés telles que les rapports avec les partis socialistes et communistes ou la défense de la démocratie contre le fascisme. La Ligue a déjà connu un certain nombre de scissions. Alimentée notamment par des antagonismes personnels et des loyautés claniques, la première a lieu après la dissension entre le groupe de Molinier et celui de Rosmer-Naville. L'intervention de Trotsky dans cette situation, depuis son exil à Prinkipo, est pour le moins malheureuse dans la mesure où il se montre déjà de plus en plus impatient de former de nouvelles organisations de masse et où il est sous l'influence des schémas activistes de Molinier qui est fondamentalement un aventurier politique. La tendance de Rosmer a tendance à se sentir concerné par la nécessité de réfléchir et développer une compréhension plus claire des conditions dans lesquelles se trouve la classe. Mais la «paix de Prinkipo» de Trotsky va l'amener à se retirer de fait de la vie militante. Cependant, cette scission a quand même donné naissance à un courant organisé : le groupe de la Gauche communiste autour de Collinet et du frère de Naville. Elle est suivie en 1932par une autre scission qui a abouti à la formation de la Fraction de gauche animée par l'ancien zinovieviste, Albert Treint, et par Marc, plus tard membre de la Gauche communiste de France et du CCI. La cause de cette scission est le rejet parle groupe d'une tendance croissante, au sein de la Ligue, à la conciliation envers le stalinisme. Début 1933, la Ligue se trouve au bord d'une autre scission encore plus ravageuse, quand une minorité croissante réagit contre la politique de conciliation envers la social-démocratie qui culminera dans le "tournant français" de 1934 : la politique "d'entrisme" dans les partis sociaux­ démocrates qui furent parle passé dénoncés par l'Internationale communiste comme instru­ments de la bourgeoisie.

C'est à ce moment-là qu'un autre groupe oppositionnel connu sous le nom de "quinzième rayon", dont le militant le plus connu est Gaston Davoust (Chazé), envoie une invitation à tous les courants oppositionnels pour tenir une série de réunions ayant pour but la clarification pro­grammatique et éventuellement le regrou­pement. Cette initiative est chaleureusement accueillie par la Fraction italienne qui, par une série de manoeuvres, a été écartée de l'Opposition de gauche internationale en 1932 mais qui voit dans ces réunions une base possible pour la formation d'une Fraction de gauche du parti communiste en France, pour utiliser la terminologie de l'époque. 11 y a une réponse positive également de presque tous les groupes français tandis que quelques groupes hors de France participent aussi ou envoient leur soutien (la Ligue communiste internationaliste de Belgique, le groupe d'opposition autrichien, etc.). Pendant les mois qui suivent, il y a une série de réunions auxquelles participent un nombre impressionnant de groupes : la Fraction de gauche et la Gauche communiste, le groupe de Davoust, la Ligue communiste ainsi qu'une délégation distincte de la minorité de cette dernière ; la Fraction de gauche italienne, un certain nombre de petits groupes éphémères tels que Pour une renaissance communiste, composé de trois éléments qui ont scissionné de la Fraction italienne sur la question russe, considérant l'URSS comme étant un Etat capitaliste ; le nouveau groupe de Treint, Effort communiste, qui avait quitté la Fraction de gauche parce qu'il ne voyait plus rien de prolétarien dans le régime des "soviets" et avait commencé à développer la théorie selon laquelle la Russie serait maintenant sous l'emprise d'un nouvelle classe exploiteuse ; et enfin un certain nombre d'individus comme Simone Weil et Kurt Landau.

La nature du régime soviétique est l'une des questions clés à l'ordre du jour. A ce moment là, la majorité des groupes invités défendent formellement I e point de vue, extrait de la plate­forme de 1927 de l'opposition russe et toujours vigoureusement défendu par Trotsky, selon lequel l'URSS est un Etat prolétarien, quoique atteint par une sévère dégénérescence bureau­cratique, parce qu'il n'a toujours pas perdu, en tant qu' Etat, la propriété des principaux moyens de production. Mais ce qui est particulièrement intéressant dans les discussions de cette conférence, c'est la façon dont elle nous fournit une illustration de l'évolution qui est en train de se produire sur cette question dans le milieu oppositionnel.

Ainsi par exemple, le rapport sur la question russe est présenté par le groupe de la Gauche communiste. Ce texte critique très fortement les arguments de Trotsky :

"... le camarade Trotsky, pour expliquer l'offensive bureaucratique contre l'ensemble de la paysannerie et la conversion du stalinisme à une politique d'industrialisation, malgré la liquidation «du parti en tant que parti», a été amené à admettre que tandis que l'infrastructure économique de la dictature prolétarienne s'affermit, sa superstructure politique peut continuer à s'affaiblir et à dégénérer. Proposition difficilement intelligible lorsqu 'on admet la thèse marxiste selon laquelle «la politique n'est que l'économie concentrée», et, à plus forte raison, lorsqu'il s'agit d'un régime où la direction de l'économie est l'essentiel de la politique. "

Il conclut que la bureaucratie s'est constituée en réalité en une nouvelle classe, ni prolétarienne, ni bourgeoise. Mais à la différence de Treint et sans cohérence apparente, le texte argumente également que cet Etat bureaucratique contient toujours certains vestiges prolétariens et doit donc être défendu par les révolutionnaires contre toute attaque de l'impérialisme. Une résolution écrite parle groupe de Chazé exprime également des conclusions contradictoires : l’URSS reste un Etat ouvrier mais la bureaucratie "envient à jouer un véritable rôle de classe, dont les intérêts s'opposent déplus en plus aux intérêts de /a classe ouvrière ". Plus importante peut­ être que le contenu réel de ces textes est la démarche adoptée à la conférence, son attitude ouverte sur la question. Ainsi, quand le groupe trotskiste "orthodoxe", la Ligue communiste, propose une résolution excluant tous ceux qui dénient à l'URSS une nature prolétarienne, elle est rejetée quasiment par tous les autres participants.

La conférence ne réussit pas à unifier tous les groupes qui y ont pris part, ni à créer une Fraction française. En effet, dans une période de défaite historique du prolétariat, ce qui inévitablement tend à dominer c'est la dispersion et l'isolement. Malgré cela un regroupement partiel sort de cette conférence ce qui est aussi significatif : la Fraction de gauche, le groupe de Chazé et un peu plus tard la minorité de la Ligue communiste - une minorité de 35 membres dont le départ a en fait disloqué la Ligue - s'unissent pour former le groupe Union communiste qui continuera à exister jusqu'à la guerre. Même si il a démarré avec un lourd bagage de trotskisme et bien que plus tard il ne sera pas à la hauteur lorsqu' arrivera l'épreuve de la guerre civile espagnole, un processus d'évolution a réellement lieu dans ce groupe :il met en question l'idéologie antifasciste et, en 1935, il parvient à la conclusion que la bureaucratie stalinienne est la nouvelle bourgeoisie. Une position similaire est adoptée par la Ligue communiste internationaliste en Belgique.

Si on considère également que la Fraction italienne, bien que parlant toujours d'un Etat prolétarien en URSS, évolue aussi rapidement vers un rejet de toute défense de l'URSS durant cette période, on peut voir qu'au milieu des années 1930, la position de Trotsky sur l'URSS a déjà été mise en question ou abandonnée par une composante importante du mouvement oppositionnel, tout comme elle l'avait été précédemment au sein même de l'opposition russe. Et l'importance de cette composante est à la fois quantitative et qualitative : quantitative parce qu'au milieu des années 1930,elle est en réalité plus nombreuse que le groupe trotskiste "officiel" dans le pays qui est le "centre" de l'opposition internationale de gauche ; et qualitative parce que ce sont généralement les éléments les plus intransigeants et les plus cohérents, dont beaucoup d'entre eux ont été formés pendant ou juste après la vague révolutionnaire, qui rejettent la défense de l'URSS et commencent à comprendre, même si c'est de façon incomplète et souvent contradictoire, qu'une contre-révolution capitaliste s'est produite "au pays des soviets". Il n'y a pas de quoi s'étonner que l'histoire de ces courants soit systématiquement ignorée des historiens trotskistes.

La réponse de Trotsky à la Gauche: La révolution trahie

Pour comprendre l'évolution de la position de Trotsky sur l'URSS, il est nécessaire de reconnaître les pressions exercées sur lui par la Gauche. Si on regarde rapidement sa plus importante prise de position sur la nature de l'URSS pendant cette période, c'est-à-dire son livre La révolution trahie rédigé pendant son exil en Norvège et publié en 1936, nous pouvons facilement saisir qu'il s'engage dans une polémique sur deux fronts : d'un côté contre la tromperie stalinienne selon laquelle l'URSS est un paradis pour les ouvriers et, de l'autre, contre tous les courants à gauche qui convergent vers le point de vue que l'Union soviétique a perdu ses liens avec le pouvoir prolétarien de 1917.

Disons en premier lieu que, contrairement aux conclusions qui sont mises en avant au sein de la Gauche communiste et même par la Fraction italienne à l'époque, le Trotsky de 1936 n' a pas cessé d'être marxiste et La révolution trahie le prouve amplement. L'objectif principal du livre est de réfuter la proclamation absurde de Staline selon laquelle l'URSS a déjà réalisé pleinement le "socialisme" (bien que pas encore le "communisme") en 1936. Contre ce mensonge monstrueux Trotsky rassemble toute la force de ses connaissances statistiques, de son intelligence aiguë et de sa clarté politique pour dénoncer les conditions absolument misérables de la classe ouvrière et de la paysannerie, le caractère déplorable et la mauvaise qualité des biens produits pour la consommation des masses, les privilèges grandissants de l'élite bureaucratique, les tendances réactionnaires, nationalistes et hiérarchiques croissantes dans les sphères de l'art et de la littérature, de l'éducation, de l'armée, de la vie de famille, etc. En fait, la description que fait Trotsky de la mentalité et des pratiques de la bureaucratie est si tranchante qu'il ne fait que prouver que nous sommes en présence d'une classe exploiteuse. Dans l'article "La classe non identifiée : la bureaucratie soviétique vue par Léon Trotsky " publié dans la Revue internationale n° 92 et écrit par l'un des camarades qui milite dans le milieu prolétarien naissant en Russie aujourd'hui, ce point est mis clairement en évidence : "Ainsi Trotsky décrit le tableau qui suit : il existe une couche sociale assez nombreuse qui contrôle la production, donc son produit, d'une manière monopolistique, qui s'approprie une grande part de ce produit (c'est-à-dire exerce une fonction d'exploitation), qui est unie autour de la compréhension de ses intérêts matériels communs et qui est opposée à la classe des producteurs.

Comment les marxistes appellent-ils la couche sociale quia toutes ces caractéristiques ? Il n’y a qu'une seule réponse : c'est la classe sociale dirigeante au sens plein du terme.

Trotsky conduit les lecteurs à une telle conclusion. Mais lui n’ y parvient pas (..) Après avoir dit «Après avoir décrit un tableau de l aclasse dirigeante exploiteuse, Trotsky recule au dernier moment et refuse de dire «B ».

Le livre de Trotsky pose aussi une question extrêmement importante sur la nature de l' Etat de transition et pourquoi il est particulièrement vulnérable aux pressions de l'ancien ordre social. Reprenant la phrase suggestive de Lénine dans L'Etat et la révolution selon laquelle l'Etat de transition est en un certain sens "l' Etat bourgeois sans bourgeoisie",Trotsky ajoute :

"Cette conclusion significative, tout à fait ignorée des théoriciens officiels d'aujourd'hui, a une importance décisive pour l'intelligence de la nature de l 'Etat soviétique d'aujourd’hui, ou plus exactement pour une première approximation dans ce sens. L'Etat gui se donne pour tâche la transformation socialiste de la société, étant obligé de défendre par la contrainte l'inégalité, c'est-à-dire les privilèges de la minorité, demeure dans une certaine mesure un Etat «bourgeois», bien que sans bourgeoisie.(.)

Les normes bourgeoises de répartition, en hâtant la croissance de la puissance matérielle, doivent servir à des fins socialistes. Mais l 'Etat acquiert immédiatement un double caractère : socialiste dans la mesure où il défend la propriété collective des moyens de production ; bourgeois dans la mesure où la répartition des biens a lieu d'après des étalons capitalistes de valeur, avec toutes les conséquences découlant de ce fait. Une définition aussi contradictoire épouvantera peut-être les dogmatiques et les scolastiques; il ne nous restera qu'à leur exprimer nos regrets. " (La révolution trahie)

Cette façon de poser les questions sur la nature de l'Etat de transition, si elle avait été convenablement développée, aurait pu conduire Trotsky à comprendre comment l'Etat établi après la révolution d'Octobre était devenu le gardien du capital étatisé ; mais de nouveau Trotsky a été incapable de pousser la question jusqu'à ses audacieuses conclusions finales.

Les conclusions pleinement politiques qui apparaissent dans ce livre (Trotsky en a déjà dégagées certaines dès 1933)représentent aussi une certaine avancée par rapport à ce qu'il pensait précédemment. En l 927, comme nous l'avons vu dans le dernier article de cette série, Trotsky avait lancé un avertissement contre le danger d'un Thermidor, "une contre-révolution intérieure", au sein même de l'URSS. Mais il n'avait pas encore admis que c'était déjà un fait accompli. Au moment où il écrit La révolution trahie, Trotsky a révisé ce point de vue et a conclu que Thermidor avait déjà eu lieu sous l'égide de la bureaucratie : le résultat est que : « le vieux parti bolchevique est mort, aucune * force ne le ressuscitera ". Et il conclut que la bureaucratie, quia étranglé le bolchevisme, ne peut plus être réformée ;elle doit être renversée par la force par ce qu'il appelle un "révolution politique" assumée par la classe ouvrière. Dès lors, il pense aussi que l'Internationale communiste a rendu son dernier souffle et que la formation de nouveaux partis est à l'ordre du jour dans tous les pays.

Pour finir, il est important de se rappeler que le livre de Trotsky ne clôt pas complètement la question de la nature de l'URSS. Il considère que l'histoire doit encore trancher cette question en insistant sur le fait que le règne de la bureaucratie ne peut être stable : soit elle sera renversée par les ouvriers ou par une contre ­révolution ouvertement bourgeoise, soit elle se transformera elle-même en classe possédante au plein sens du terme. Dans le contexte d'un monde qui bascule vers une nouvelle guerre mondiale, il devient plus évident à Trotsky, à la fin de sa vie, que le rôle que l'URSS va jouer dans la guerre sera un facteur décisif pour déterminer finalement sa nature de classe.

Malgré tous ces aspects positifs, le livre constitue aussi une défense vigoureuse de la thèse selon laquelle l'URSS reste un Etat ouvrier parce qu'il a mené à bien la nationalisation intégrale des moyens de production, "abolissant" ainsi la bourgeoisie. Quand il parle de Thermidor dans son livre, Trotsky ne l'utilise pas exactement dans le même sens qu'en 1927. A l'époque, Thermidor voulait dire une contre-révolution bourgeoise. Maintenant, il s'appuie plus lourdement sur l'ambiguïté de cette comparaison avec la révolution française. En France, Thermidor n'a pas signifié la restauration féodale mais la venue au pouvoir d'une fraction plus conservatrice de la bourgeoisie. De même, Trotsky défend que le Thermidor soviétique n'a pas restauré le capitalisme mais installé une sorte de "bonapartisme prolétarien" dans lequel la couche bureaucratique parasitaire défend ses privilèges aux dépens du prolétariat mais est toujours dépendante pour sa survie (le la continuation des "formes de propriété prolétarienne" mises en place parla révolution d'Octobre. C'est pourquoi il n'appelle pas à une révolution sociale complète en URSS mais seulement à une révolution politique qui éliminera la bureaucratie tout en gardant la forme économique de base. Et c'est aussi pour cela que Trotsky reste entièrement dévoué à la "défense de l'Union soviétique" contre les intentions hostiles du capitalisme mondial qui, selon lui, voit toujours l'URSS comme un corps étranger en son sein.

Ici nous arrivons au côté réactionnaire du travail de Trotsky ; et il s'agit d'une thèse dirigée contre la Gauche. Cela devient explicite dans la dernière partie du livre dans laquelle Trotsky pose et rejette la question de savoir si l'URSS peut être considérée comme un Etat capitaliste ou la bureaucratie comme un classe dominante. En ce qui concerne le capitalisme d' Etat, Trotsky est conscient de la tendance générale, dans le capitalisme, à l'intervention de l'Etat dans l'économie, et il considère cela comme une expression du déclin historique du système. Il accepte même l'hypothèse théorique selon laquelle toute la classe dominante d'un pays donné peut se constituer en trust unique via l'Etat et il poursuit en disant que : "Le mécanisme économique d'un régime de ce genre n 'of f r irait aucun mystère. Le capitaliste, on le sait, ne reçoit pas, sous forme de bénéfices, la plus-value créée par ses propres ouvriers, mais une traction de la plus-value du pays entier, proportionnelle à sa part de capital. Dans un 'capitalisme d 'Etat' intégral, la loi de la répartition égale des bénéfices s'appliquerait directement, sans concurrence des capitaux, par une simple opération de comptabilité. " Mais ayant décrit en un mot l'opération de la loi de la valeur en URSS, il ajoute vite un démenti selon lequel "il n'y a jamais eu de régime de ce genre et il n'y en aura jamais par situe des profondes contradictions qui divisent les possédants entre eux, d 'autant plus que l 'Etat, représentant unique de la propriété capitaliste, constituerait pour la révolution sociale un objet vraiment trop tentant. "

Nous pourrions ajouter que les bourgeoisies les plus avancées ont également fui le modèle du capitalisme d'Etat intégral parce que, comme l'effondrement des ex-pays staliniens l'a confirmé, il s'est avéré désastreusement inefficace. Mais ce que Trotsky ne parvient pas du tout à faire dans ce chapitre c'est à se poser cette question évidente : est-ce qu'un capitalisme d'Etat intégral peut naître d'une situation inédite où la révolution prolétarienne a exproprié la vieille bourgeoisie et a ensuite dégénéré à cause de son isolement international ?

A l'argument de Trotsky selon lequel la bureaucratie ne peut être une classe dominante parce qu'elle n'a ni titres ni actions, ni aucun droit d' héritage lui permettant de transmettre la propriété à ses héritiers, notre camarade russe AG répond très lucidement : "Dans La révolution trahie, Trotskv essaie de réfuter en théorie la thèse de l'essence de classe de la bureaucratie en avançant des arguments assez faibles dont le fait qu'elle `n'a ni titres ni actions'. Mais pourquoi la classe dirigeante doit-elle obligatoirement les posséder ?Car il est bien évident que la possession des actions et des obligations' elle-même n'a aucune importance: la chose importante consiste dans le, fait que tel ou tel groupe social s 'approprie ou non un surproduit du travail des producteurs directs. Si oui, la, fonction d'exploitation existe indépendamment de la distribution d'un produit approprié soit en tant que profit sur des actions, soit en tant que traitements et privilèges de fonction. L'auteur de La révolution trahie est aussi peu convaincant quand il dit que les représentants de la couche dirigeante ne peuvent pas laisser leur statut privilégié en héritage. Il est peu probable que Trotsky ait sérieusement envisagé que les ,fils de l'élite puissent devenir ouvriers ou paysans. "(Revue internationale n° 92)

En attribuant cette signification décisive au droit d'héritage, Trotsky dévie clairement de l'axiome marxiste fondamental selon lequel les rapports juridiques ne sont que l'expression super­structurelle des rapports sociaux sous-jacents ; de même, en insistant pour trouver une telle preuve de l'appartenance personnelle à une classe dominante, Trotsky oublie que les marxistes définissent le capital comme une puissance totalement impersonnelle ; c'est le capitalisme qui crée les capitalistes et non l'inverse.

De même, derrière la notion de Trotsky selon laquelle l'Etat soviétique est déterminé en dernière instance par sa structure économique, il y a une confusion profonde sur la nature de la révolution prolétarienne. Du fait qu'elle est une classe exploitée, le seul et unique chemin de transformation de la société vers le socialisme que puisse emprunter la classe ouvrière, c'est qu'elle prenne et conserve le pouvoir politique. Elle n'a pas de "propriété" propre, pas de lois économiques fonctionnant en sa faveur : sa méthode de lutte contre les lois de l'économie capitaliste est entièrement basée sur sa capacité à imposer un contrôle conscient et une planification contre l'anarchie du marché, à mettre en avant les besoins humains contre les besoins du profit. Mais sa capacité ne peut dériver que de sa force organisée et de sa conscience politique, c'est-à-dire de sa capacité à affirmer son programme à chaque niveau de la vie sociale et économique. Il n'y a pas de garantie de toutes façons que l'expropriation de la bourgeoisie et la collectivisation des moyens de production conduisent automatiquement dans la direction de nouveaux rapports sociaux. Elles ne sont qu'un simple point de départ : le travail de création de ces nouveaux rapports sociaux ne peut être mené que par le mouvement social massif de la classe ouvrière. En réalité, Trotsky est très près de reconnaître cela quand il écrit :

"La prédominance des tendances socialistes sur les tendances petites bourgeoises est garantie, non par les automatismes de l 'économie- nous sommes encore loin de cela - mais par les mesures politiques adoptées par la dictature. De ce fait, le caractère de l'économie comme un tout dépend du caractère du pouvoir d'Etat. "

Mais, comme pour le reste de sa thèse, Trotsky est incapable de tirer la conclusion essentielle : si le prolétariat n'exerce plus le moindre contrôle sur le pouvoir étatique, alors l'économie ira automatiquement dans un seule direction, le capitalisme. En somme, l'existence d'un "Etat prolétarien", ou d'une dictature prolétarienne pour être plus précis, ne dépend pas du fait que l' Etat détienne formellement l'économie mais du fait que le prolétariat détienne réellement le pouvoir politique.

La conséquence la plus grave de l'incapacité de Trotsky à reconnaître que la révolution d'Octobre a vraiment été définitivement écrasée est que cela l'amène à justifier "théoriquement" l'absolution radicale du stalinisme ce qui va être la fonction ultime du mouvement qu' il a fondé. Dans La révolution trahie, cette absolution est déjà explicite, malgré toutes les critiques des conditions réelles auxquelles la classe ouvrière russe est confrontée : "Il n'y a plus lieu de discuter avec les économistes bourgeois : le socialisme a démontré son droit à la victoire, non dans les pages du Capital mais dans une arène économique qui couvre le sixième de la surface du globe ; non dans le langage de la dialectique niais dans celui du .fer, du ciment et de l'électricité. "

Ainsi, Trotsky insiste sur le fait que malgré toutes les déformations bureaucratiques, le ‘développement des forces productives' parle stalinisme est progressif parce qu'il établit la base d'une véritable société socialiste. En fait Trotsky n'a jamais rejeté l'idée que le tournant de Staline vers une industrialisation rapide à la fin des années 1920 constituait une sorte de victoire pour le programme économique de l'Opposition de gauche. Mais le caractère réel de l'industrialisation de l'URSS doit être jugé dans le contexte du développement mondial des forces productives. La révolution russe de 1917 a manifesté que le monde était déjà mûr pour le communisme. Le développement qui a eu lieu sous Staline était fondé sur la défaite de la première tentative mondiale de créer une société communiste ; il était basé sur la nécessité de construire une économie de guerre pour se préparer au repartage impérialiste du monde. Avec cet éclairage, les prétendus triomphes de l'industrialisation soviétique ne sont aucunement des facteurs de progrès humain mais une expression de la décadence du mode de production capitaliste ; et les hymnes de Trotsky à la production de ciment et d'acier ne sont que des justifications pour l'exploitation sans pitié de la classe ouvrière.

Pire! La défense de l'Union soviétique contre le monde capitaliste a conduit à une politique de soutien aux appétits impérialistes du capital russe, une politique déjà mise en pratique en 1929 quand Trotsky a soutenu la Russie dans son conflit avec la Chine pour la possession du chemin de fer mandchou. Comme le monde marche à grands pas vers une nouvelle guerre mondiale et comme l'URSS prend une part croissante sur l'arène impérialiste globale, la position trotskiste officielle de "défense de l' Etat ouvrier" va mener le mouvement de plus en plus près du camp bourgeois.

Comme nous l'avons souligné dans l'article sur la mort de Trotsky dans la Revue internationale n° 103, la descente vers la guerre va amener Trotsky lui-même à se poser un certain nombre de questions très fondamentales. Dans le mouvement trotskiste, il doit faire face à de nouvelles mises en question de sa notion d' Etat ouvrier dégénéré. Cette fois-ci, elles ne viennent pas tant de la gauche que de gens tels que Bruno Rizzi en Italie et en particulier Burnham et Schachtman aux Etats Unis, tous développant une version différente de l'idée que l'URSS représente une société exploiteuse d'un type nouveau, non prévue par le marxisme. Trotsky est opposé à cette conclusion mais ses derniers écrits montrent qu'elle l'a fortement influencé ; cependant, parce qu'il est marxiste et surtout meilleur marxiste que Schachtman et ses pairs, il comprend très clairement que si un nouveau système d'exploitation peut surgir des entrailles de la société capitaliste, alors toute la perspective marxiste, et par dessus tout le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière doit être remis en question:

"L'alternative historique poussée jusqu'à son terme se présente ainsi: ou bien le régime stalinien n'est qu'une rechute exécrable dans l eprocessus de la transformation de la société bourgeoise en société socialiste, ou bien le régime stalinien est la première étape d'une société d'exploitation nouvelle. Si le second pronostic se révélait juste, alors, bien entendu, la bureaucratie deviendrait une nouvelle classe exploiteuse. Aussi lourde que puisse être cette seconde perspective, si le prolétariat mondial se montrait effectivement incapable de remplir la mission que lui a confiée le cours du développement, il ne resterait plus qu'à reconnaître que le programme socialiste, construit sur les contradictions internes de la société capitaliste s'est finalement avéré une utopie. Il va de soi qu'on aurait besoin d'un nouveau «programme minimum» pour défendre les intérêts des esclaves de la société bureaucratique totalitaire." ( "L'URSS dans la guerre", 1939)

Pour Trotsky, l'issue de la guerre imminente devrait être décisive : si la bureaucratie se révèle assez stable pour survivre à la guerre, il sera nécessaire de conclure qu'elle s'est vraiment cristallisée en nouvelle classe dominante ; et si le prolétariat ne parvient pas à mettre un terme à la guerre en faisant la révolution, alors cela prouvera que le programme socialiste a été une utopie. Ici nous pouvons voir comment le refus de Trotsky d'accepter la nature capitaliste de l'URSS l'a mené à douter des convictions qui l'ont inspiré toute sa vie durant.

De même, la définition de l'URSS comme capitaliste s'avère être la seule base ferme pour la défense de l'internationalisme pendant la seconde guerre mondiale et après. La défense de «l'Etat ouvrier dégénéré», associé à l'idéologie de soutien de la démocratie contre le fascisme, va mener le mouvement trotskiste officiel à capituler directement face au chauvinisme et à s'intégrer dans le camp impérialiste allié ; après la guerre cela placera le trotskisme dans la position de propagandiste pour le bloc impérialiste russe contre son rival américain.

Ceux qui mettent en avant la théorie d'une nouvelle société bureaucratique concluent rapidement que la démocratie occidentale est plus progressive que le régime barbare de Russie ou ils cessent simplement de croire que le marxisme a encore une quelconque validité. En revanche, tous les groupes et éléments qui rompent avec le trotskisme dans les années 1940 parce qu'il a abandonné l'internationalisme sont convaincus que la Russie est un Etat capitaliste et impérialiste. C'est le cas du groupe de Munis, des RKD allemands, d'Agis Stinas en Grèce... et évidemment de Natalia Trotsky qui a suivi le conseil politique de son mari et qui a le courage de réexaminer l'orthodoxie "trotskiste" à la lumière de la seconde guerre mondiale et à celle des préparatifs de la troisième qui suivent immédiatement après.

Dans le prochain article de la série, nous nous centrerons sur la position de la Gauche italienne sur la question russe qui fournit le cadre le meilleur pour résoudre "l'énigme russe".

CDW.



[1] [6] Nous avons adopté comme titre de cet article celui d'un article rédigé par l'oppositionnel français, Albert Treint, en 1933 ( "Elucider l'énigme russe : Thèses du camarade Treint sur la question russe qui a été écrit pour la conférence de 1933», Cependant, il faut dire que la théorie de Treint d'un nouveau système d'exploitation qui caractérisait le capitalisme d' Etat mais sans classe capitaliste, n'a fait que créer de nouveaux mystères.

[2] [7] II vaut la peine de signaler ici la prise de position finale de Miasnikov sur la question de l'URSS. En 1929, Miasnikov est exilé en Turquie et débute une correspondance avec Trotsky : malgré leurs désaccords, il reconnaît l'importance de Trotsky pour l'ensemble de l'opposition internationale contre le stalinisme. Il écrit une brochure sur la bureaucratie soviétique et il en envoie une copie à Trotsky en lui demandant d'en écrire la préface. Trotsky refuse parce que le texte affirme que la Russie est un système de capitalisme d'Etat et que la bureaucratie est une classe dominante. D'après Avrich, dans son article "L'opposition bolchevique à Lénine : G. T. Miasnikov et te Groupe ouvrier", publié dans The Russian Rewiev, vol. 43, 1984, le texte de Miasnikov jette une certaine lumière sur le processus à travers lequel le prolétariat a perdu le pouvoir et la bureaucratie stalinienne consolidé sa domination. Avrich dit aussi que : « Dans la mesure où le capitalisme d'Etat a organisé l'économie de façon plus efficace que le capitalisme privé Miasnikov le considère comme historiquement progressif ». Dans une note, il ajoute que Tiunov, un autre membre du Groupe ouvrier qui était en prison avec Ciliga, considérait le capitalisme d'Etat comme régressif. La brochure de Miasnikov a finalement été publiée en France en 1931, en langue russe, sous le titre Ocherednoï obman (La mystification présente). A notre connaissance il n'a pas été traduit depuis en d'autres langues, une tâche qui peut être pourrait être prise en charge par le milieu prolétarien qui a émergé récemment en Russie. Le CCI pourra fournir une copie du texte en russe dont il dispose si des propositions de le traduire se font jour.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [8]

Approfondir: 

  • Le communisme : à l'ordre du jour de l'histoire [9]

Questions théoriques: 

  • Communisme [10]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [11]

Débat avec le BIPR : La vision marxiste et la vision opportuniste dans la politique de la construction du parti (II)

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1- En premier lieu, une question de méthode dans la discussion

Dans notre dernier article, ‘‘nous nous sommes efforcés de répondre à la thèse du BIPR selon laquelle des organisations comme la notre seraient « étrangères à la méthode et aux perspectives de travail qui conduiront à l'agrégation du futur parti révolutionnaire ». Pour ce faire, nous avons pris en considération les deux niveaux auxquels se pose le problème de l'organisation : 1) comment concevoir la future Internationale, 2) quelle politique mener pour la construction de l'organisation et le regroupement des révolutionnaires ; et sur les deux niveaux, nous avons démontré que c'est le BIPR, et non le CCI, qui sort de la tradition de la Gauche communiste italienne et internationale. En fait, l'éclectisme qui guide le BIPR dans sa politique de regroupement ressemble plus à celui d'un Trotsky aux prises avec l'édification de sa quatrième Internationale ; la vision du CCI est en revanche celle de la Fraction italienne qui a toujours combattu pour qu'un regroupement se fasse dans la clarté et sur la base duquel puissent être gagnés les éléments du centre, les hésitants.’’

Ces conclusions que nous avons tirées à la fin d'un article qui fait bien 7 pages, ne sont cependant pas le fruit d'élucubrations privées de tout bon sens mais elles sont l'expression d'un effort accompli en défense d'une méthode de travail qui est la notre et d'une critique ferme mais fraternelle à l'égard d'un groupe politique que nous considérons, sans aucun doute, comme étant du même côté que nous des frontières de classe. Pour faire cela, nos arguments critiques dans les débats avec le BIPR ont toujours comme point de départ les textes du BIPR eux mêmes - que nous nous efforçons dans la mesure du possible, de reproduire dans nos articles - et sont fondés sur une confrontation avec la tradition commune de la Gauche communiste afin de vérifier la validité de telle ou telle hypothèse dans le difficile travail de construction de l'avant-garde révolutionnaire.

En réponse, Battaglia Comunista (BC), une des composantes politiques du BIPR, a publié un article 1 qui pose plus d'un problème. En fait l'article est une réponse au CCI, qui pourtant n'est cité que quand c'est extrêmement nécessaire. L'ensemble de l'article est superficiel et dépourvu de citations de nos positions lesquelles sont, au contraire, synthétisées par BC qui en reproduit certaines de façon clairement déformées (nous voulons bien croire que cela relève d'une incompréhension de celles-ci et non d'une manifestation de mauvaise foi).

En fin de compte, il apparaît clairement, à travers cet article, que BC cherche plus à faire "des effets de style" pour s'attirer les sympathies des lecteurs qu'à poser ouvertement les questions sur le tapis et à les affronter. Mais surtout, il semble que BC refuse de se placer sur le seul terrain de confrontation possible, terrain sur lequel était construite notre réponse, celui de la méthode historique.

Symptomatique de cette attitude est le jugement qui est porté sur notre article qui, selon BC, exprimerait de "l'aigreur" et dans lequel il y aurait de la "biliosité et des calomnies" 2. Nous pensons que cette attitude de BC confirme pleinement la critique d'opportunisme que nous avons adressée au BIPR dans 1’article précédent dans la mesure où, historiquement, l'opportunisme a toujours cherché à éviter les débats politiques sérieux parce qu'ils sont évidemment révélateurs de ses propres travers. Naturellement, pour notre part, nous ne pouvons que renvoyer les lecteurs à notre article précédent pour mesurer à quel point cette position de BC est fausse sinon de mauvaise foi3. Nous ne voulons cependant pas suivre BC dans cette direction et nous disperser dans des polémiques stériles et sans fin. Nous chercherons donc, dans ce nouvel article, à fournir des éléments supplémentaires concernant la question de la construction de l'organisation des révolutionnaires à travers :

1 - une réponse à l'argumentation développée, sur ce plan, par BC dans son article ;

2 - une réponse aux critiques du BIPR sur notre prétendu idéalisme qui serait la cause de notre incapacité et de notre inadéquation à constituer une force digne de participer à la construction du parti mondial.

2. Encore sur la construction du parti

La seconde partie de l'article de BC cherche à défendre sa propre politique opportuniste de construction du parti international en opposition à notre façon de travailler. Rappelons donc les éléments essentiels que nous avons développés auparavant en réponse à la critique que nous fait le BIPR sur comment créer les sections nationales d'une organisation internationale. Le BIPR écrit :

‘‘Nous rejetons par principe et sur la base de différentes résolutions de nos congrès, l'hypothèse de la création de sections nationales par bourgeonnement d'une organisation préexistante, serait-elle même la nôtre. On ne construit pas une section nationale du parti international du prolétariat en créant dans un pays de façon plus ou moins artificielle un centre de rédaction de publications rédigées ailleurs et de toute façon sans liens avec les réelles batailles politiques et sociales dans le pays lui-même.’’ (souligné par nous)4.

Ce à quoi nous avons répondu comme suit :

‘‘Naturellement, notre stratégie de regroupement international est volontairement ridiculisée quand il est parlé de « bourgeonnement d'une organisation préexistante », de création « dans un pays de façon plus ou moins artificielle, d'un centre de rédaction de publications rédigées ailleurs », de façon à induire automatiquement chez le lecteur un sentiment de rejet vis-à-vis de la stratégie du CCI. ’’

‘‘(...) Selon le BIPR, s'il surgit un nouveau groupe de camarades, disons au Canada, qui se rapproche des positions internationalistes, ce groupe peut bénéficier de la contribution critique fraternelle, même polémique, mais il doit grandir et se développer à partir du contexte politique de son propre pays « en lien avec les réelles batailles politiques et sociales dans le pays lui même ». Ce qui veut dire que, pour le BIPR, le contexte actuel et local d'un pays particulier est plus important que le cadre international et historique donné par l'expérience du mouvement ouvrier. Quelle est en revanche notre stratégie de construction de l'organisation au niveau international (...) ? Qu'il y ait 1 ou 100 candidats à militer dans un nouveau pays, notre stratégie n'est pas de créer un groupe local qui doit évoluer sur place, « en lien avec les réelles batailles politiques et sociales du pays lui même », mais d'intégrer rapidement ces nouveaux militants dans le travail international d'organisation au sein duquel, de façon centrale, il y a l'intervention dans le pays des camarades qui s’y trouvent. C'est pour cela que, même avec de faibles forces, notre organisation cherche à être présente rapidement avec une publication locale sous la responsabilité du nouveau groupe de camarades parce que celle-ci, nous en sommes sûrs, représente le moyen le plus direct et le plus efficace pour, d'une part élargir notre influence et, d'autre part, procéder directement à la construction de l'organisation révolutionnaire. Qu'est ce qui est artificiel là dedans et pourquoi parler de bourgeonnement d'organisations préexistantes ? Cela reste encore à expliquer.’’

Ce qui est vraiment surprenant, c’est que, face à nos arguments, BC ne réussit pas à opposer le moindre argument politique sinon... qu'elle n'y croit pas. Voilà en effet sa position :

‘‘On peut penser à une « expansion » multinationale des organisations les plus fortes et les plus représentatives ? Non.

Parce que la politique révolutionnaire est une chose sérieuse : on ne peut pas penser qu'une « section » de quelques camarades dans un pays différent de celui de la section « mère » puisse constituer concrètement un élément de véritable organisation. (et pourquoi pas ? ndr.)

Il faut avoir le courage de reconnaître les difficultés à faire fonctionner réellement une organisation à l'échelle nationale ; la coordination elle-même d'une « campagne » à l'échelle nationale n’est pas toujours complète ; la distribution de la presse dans nos conditions organisationnelles de « petit nombre » se ressent de n'importe quelle petite variation de la disponibilité des militants, et nous pourrons avancer avec les éléments concrets de l'organisation.’’

Voilà donc la vérité ! BC ne croit pas à la possibilité de mettre sur pied aujourd'hui une organisation internationale simplement parce qu'elle-même n'est pas capable de gérer une organisation comme la sienne au niveau national ! Mais ce n'est pas parce que BC n'y arrive pas que cela veut dire que cela ne peut pas se faire. L'existence du CCI est un démenti criant de cette argumentation. BC parle de la difficulté de diffuser la presse au niveau national, mais elle ne voit pas - ce n'est qu'un exemple - que la presse en langue anglaise et espagnole du CCI (en particulier la Revue Internationale) est diffusée dans une vingtaine de pays du monde où il n'a pas forcément de section. Elle ne voit pas non plus que notre organisation est capable, et elle l'a démontré toutes les fois que nécessaire, de distribuer au même moment le même tract dans tous les pays où elle est présente et même au-delà. Encore une fois, BC ne voit pas une réalité qu'elle a sous les yeux qui montre que le CCI est vraiment une organisation unitaire qui agit, pense, travaille, intervient comme un seul corps politique, comme une même organisation internationale, quelle que soit la taille de la section existant dans tel ou tel pays.

Tout cela donne une idée de la valeur de l'argumentation de BC selon laquelle ‘‘il faut le courage de reconnaître les difficultés à faire fonctionner réellement une organisation’’, une argumentation qui n'existe que pour nier la possibilité de construire dès aujourd'hui une organisation internationale, une argumentation totalement dépourvue de base scientifique.

Mais il y a plus dans l'article de BC. Il y émerge en effet une autre idée malsaine sur la façon dont doit se développer une organisation révolutionnaire dans un pays :

‘‘De plus, une mini section parachutée dans un pays, n 'a pas la possibilité de s'implanter sur la scène politique de ce pays, ce qu’a par contre une organisation - là peu importe qu 'elle soit petite - qui est issue de cette scène politique, en s'orientant vers des positions révolutionnaires. (...) Ceux qui ne comprennent pas ou font semblant de ne pas comprendre, que l'identité politique ne suffit pas pour faire une organisation, ou bien n’ont pas le sens de l'organisation, ou bien sont tellement privés d'expérience organisationnelle qu’ils pensent que la question est hors sujet. (...) On ne se rend capable d'accomplir ces tâches que si on développe la tâche primordiale maintenant de s'enraciner, même si c'est de façon forcément limitée aujourd'hui, dans la classe.’’ 5

Honnêtement, le sens de ce passage nous inquiète. Ce qui ressort de ce qu'expose BC, c'est qu'il vaut mieux avoir un groupe ‘‘qui est issu de la scène politique (de l'endroit, ndr), en s'orientant vers des positions révolutionnaires’’, peu importe son degré de confusion au départ, qu'avoir au même endroit ‘‘une mini section parachutée’’.

Mais les véritables ‘‘racines’’ d'une organisation dans la classe ne se jugent pas au fait que ses positions sont momentanément plus ‘‘populaires’’ parmi les ouvriers. C'est là une approche immédiatiste et opportuniste. L’enracinement véritable se juge à une échelle historique (concernant l'expérience passée de la classe et aussi son devenir). Le principal critère de ‘‘l’enracinement’’ est la clarté programmatique et des analyses qui permettent à une organisation :

  • d'apporter une véritable contribution face aux confusions qui peuvent exister parmi les ouvriers ;

  • de se construire de façon solide pour 1’avenir.

C’est là tout le débat entre Lénine et les mencheviks, lesquels voulaient avoir une influence plus grande en ouvrant les portes du parti aux éléments confus et hésitants. C'est aussi, dans les années 1920, le débat entre la Gauche italienne et la majorité de l'IC concernant la constitution des PC (sur des bases "étroites" suivant la conception de la Gauche ou "larges" suivant celle de l'IC), sachant justement que l'IC cherchait à avoir un "enracinement" dans les masses ouvrières le plus rapidement possible. Même chose concernant la position de la Fraction face à celle des trotskistes dans les années 1930. L'enracinement de l'organisation dans la classe ne doit jamais se faire en soldant les principes et en atténuant leur tranchant. C'est un des grands enseignements du combat de la Gauche que le BIPR oublie aujourd'hui, comme le PC Internationaliste 1’avait déjà oublié en 1945.

En fait, l'inconsistance de l'argumentation de BC tient au fait que ce groupe se refuse obstinément à répondre à deux questions de fond, questions que nous avions posées dans notre dernier article :

  1. Est-ce que BC considère que la position sur la construction de l'organisation exprimée par le mouvement ouvrier dans le passé, et particulièrement par la Gauche, est erronée et pourquoi ?

  2. Si elle ne le pense pas, estime-t-elle alors que la phase historique actuelle soit radicalement différente de celle du temps de Lénine et de Bilan (comme il existait une différence de fond entre la période ascendante et la période de décadence du capitalisme) et qu'elle exige donc un type d'organisation différent ? Et si c’est oui, pourquoi ?

Nous attendons encore une réponse !

 

3. A propos de notre prétendu idéalisme

On sait que BC nous accuse d'être idéalistes et d'avoir une analyse de l'actualité conforme à cette vision. Récemment, au cours d'une réunion publique tenue par Battaglia Comunista à Naples, suite à une demande d'explications à propos de notre prétendu idéalisme, BC a répondu ainsi :

‘‘II y a trois points qui caractérisent l'idéalisme du CCI.

Le premier, c’est le concept de décadence : c’est un concept que nous utilisons nous aussi ; mais il n’est pas possible d'expliquer le concept économique de décadence en se fondant uniquement sur des facteurs sociologiques. Le problème est qu’on peut expliquer la décadence si on part de la chute tendancielle du taux de profit. Nous, nous disons que le capitalisme subit la décadence non parce qu’il y a la crise (des crises cycliques, il y en a toujours eu) mais parce que celle-ci est une crise particulièrement grave. Nous disons que le CCI est idéaliste parce que le concept de décadence est abstrait, idéaliste.

Le deuxième point concerne l'analyse de l'impérialisme : quand il y avait l'URSS, nous étions habitués à voir l'impérialisme avec deux visages, l’URSS et les Etats-Unis. Un des deux pôles impérialistes ayant disparu, l'autre domine sur le plan militaire, économique, etc. Il y a cependant au sein de cette nouvelle situation une tentative de regroupement impérialiste en Europe. Comment le CCI peut-il maintenant expliquer cette nouvelle phase en ne parlant que du chaos ? Le CCI confond les aspirations conscientes à prédominer sur la scène impérialiste avec le chaos.

La troisième raison concerne la question de la conscience, et c’est la chose la plus importante. Nous avons entendu des choses incroyables, du style que la classe ouvrière a un niveau de conscience tel qu’il a pu empêcher la 3ème Guerre mondiale.’’

Nous imaginions qu'avec cette critique sur l'idéalisme, BC voulait porter à notre organisation l'accusation de ne pas être partie prenante des problèmes réels et de s'adonner à des fantaisies. Ce que nous comprenons au contraire, comme nous chercherons à le démontrer, c'est que cette critique de BC est fondée sur une compréhension mauvaise et peu profonde de nos analyses politiques qui ne se justifie que par le désir irrépressible de vouloir se démarquer de notre organisation. Essayons donc de donner quelques éléments de réponse, même si évidemment nous ne pouvons faire ici de grands développements sur des thèmes aussi vastes.

La décadence du capitalisme : c'est vrai que 1’analyse du CCI est différente de celle de BC ; mais il est complètement faux que, pour nous, le "concept économique de décadence" s'explique "en se fondant uniquement sur des facteurs sociologiques". Les camarades de BC savent bien que, tandis que leur position a pour point de départ la baisse tendancielle du taux de profit, le CCI se réfère aux apports théoriques successifs de Luxemburg6 sur la saturation des marchés et la quasi disparition des marchés extra-capitalistes, ce qui n'exclut pas toutefois la variable de la baisse tendancielle du taux de profit. Notre position a donc, elle aussi, une base économique et certainement pas sociologique. De toute façon, au-delà des deux explications économiques différentes, l'aspect fondamental est que les deux analyses conduisent à la même vision historique qui est celle de la décadence du capitalisme sur laquelle nous sommes complètement d'accord. Alors, où est l'idéalisme ?

Impérialisme et chaos : sur cette question effectivement, si le CCI défendait la position que BC lui prête, il ne serait pas très crédible. Pour nous le chaos guerrier n'est pas un phénomène en soi mais justement la conséquence de la disparition des deux blocs impérialistes après 1989 et de la perte de la discipline interne que leur existence impliquait, discipline qui, au moment de la guerre froide, avait somme toute garanti, malgré les dangers de guerre mondiale, une certaine "pacification" au sein de chaque bloc et sur la scène internationale elle-même.

Selon BC, "le CCI confond les aspirations conscientes à prédominer sur la scène impérialiste avec le chaos". Pas du tout ! Le CCI, justement à partir des aspirations conscientes de chacun à faire prévaloir ses intérêts impérialistes sur la scène mondiale, non seulement des grandes puissances mais aussi des pays plus petits, voit dans la situation actuelle une tendance conflictuelle toujours plus étendue et pluridirectionnelle, une tendance de chacun à s’affronter à tous les autres, alors que n'existent plus, ou du moins n’existent pas encore pour le moment (et il semble exclu d'en voir la formation à court terme) de nouveaux blocs impérialistes qui puissent rassembler et orienter dans une seule direction les velléités impérialistes de chaque pays 7.

Dans cette nouvelle situation, la discipline dont nous parlions plus haut s'amenuisant, chaque pays se lance dans des aventures impérialistes en s'affrontant toujours plus aux autres, d'où le chaos, c'est-à-dire une situation sans contrôle ni discipline mais dont la dynamique fondamentale est très claire. Notre position est-elle tellement folle et... idéaliste ?

Enfin, sur la classe ouvrière qui a empêché la guerre : encore une fois, répétons que lorsque nous affirmons que la reprise historique de la lutte de classe qui a commencé en 1968 a empêché la bourgeoisie d'aller vers l'aboutissement de la crise du capital, c'est-à-dire vers la troisième guerre mondiale, nous ne voulons absolument pas affirmer que la classe ouvrière, étant consciente du péril de guerre, s'oppose consciemment à ce péril. S’il en avait été ainsi, nous serions certainement dans une phase pré-révolutionnaire ; et de toute évidence, ce n'est pas le cas. Ce que nous voulons dire, en revanche, c'est que la reprise historique a rendu la classe beaucoup moins manipulable par la bourgeoisie que dans les années 1940 et 1950. C'est ce manque de possibilité de disposer complètement du prolétariat qui pose des problèmes à la classe dominante et lui déconseille de se lancer dans un conflit impérialiste généralisé.

En effet, dans la période présente, même si la combativité et la conscience de la classe sont d'un faible niveau, la bourgeoisie n'a pas la capacité d'embrigader les ouvriers des pays avancés derrière les drapeaux guerriers (que ce soit la nation, l'antifascisme ou l'anti-impérialisme, etc.). Pour faire la guerre, il ne suffit pas d'avoir des ouvriers peu combatifs, il faut des ouvriers qui soient prêts à risquer leur vie pour un des idéaux de la bourgeoisie.

Le BIPR, qui joue aujourd'hui le rôle de donneur de leçons, de celui qui sait tout, a eu (et a) des difficultés notables pour analyser la situation internationale. Par exemple, quand il y a eu la chute du bloc de l'Est, BC au début n'avait pas, pour le moins, les idées très claires et attribuait "l'écroulement" à un processus qui aurait été piloté par Gorbatchev pour redistribuer les cartes entre les blocs et essayer de marquer des points face à l'impérialisme américain :

"Ce qui finit, ou qui est déjà fini, ce sont les équilibres de Yalta. Les cartes sont en train d'être redistribuées sur le scénario d'une crise qui, si elle frappe dramatiquement l'aire du rouble, n’a certainement pas fini de se développer dans l'aire du dollar (...). Gorbatchev joue habilement sur les deux tableaux de l'Europe et des tractations avec l'autre superpuissance. La marche vers un rapprochement entre Europe de l'Est et de l'Ouest n’est pas un phénomène qui contribue à la tranquillité des USA et Gorby le sait." (tiré de "Les cartes se redistribuent entre les blocs : les illusions sur le socialisme réel s'écroulent", Battaglia Comunista, n° 12, décembre 1989)8. BC a aussi, en cette même occasion, parlé de l'ouverture de nouveaux marchés dans les pays de l'Est qui pourraient donner une bouffée d'oxygène aux pays occidentaux : "L'effondrement des marchés de la périphérie du capitalisme, par exemple l'Amérique Latine, a créé de nouveaux problèmes d'insolvabilité pour la rémunération du capital... Les nouvelles opportunités ouvertes en Europe de l'Est pourraient représenter une soupape de sécurité par rapport au besoin d'investissement... Si ce large processus de collaboration Est-Ouest se concrétise, ce serait une bouffée d'oxygène pour le capital international." 9.

Quand la bourgeoisie roumaine, au début de 1990, décide de se débarrasser du dictateur Ceaucescu, en recourant à une mise en scène incroyable pour attiser chez les gens la soif de démocratie - la plus efficace des dictatures de la bourgeoisie - BC en est arrivée à parler de la Roumanie comme d'un pays où étaient présentes "toutes les conditions objectives et presque toutes les conditions subjectives pour que l'insurrection puisse se poursuivre en véritable révolution sociale, mais l'absence d'une force authentiquement de classe a laissé le champ libre aux forces qui sont pour le maintien des rapports de production bourgeois." (Battaglia Comunista, n° 1, janvier 1990).

Enfin, que dire de l'article écrit par des sympathisants de Colombie et publié par BC en première page de son journal ? Article dans lequel la situation dans ce pays est présentée comme quasi-insurrectionnelle et cela sans le moindre commentaire ou critique de la part de BC :

"Dans les dernières années, les mouvements sociaux en Colombie (...) ont acquis une radicalité et une amplitude particulières. (...) Aujourd'hui, les grèves se transforment en émeutes, les paralysies urbaines en révoltes, les protestations des masses urbaines se concluent avec de violents affrontements de rue. (...). Pour résumer : en Colombie, il y a un processus insurrectionnel en cours, déchaîné par les mécanismes capitalistes et par l'exacerbation et l'extension du conflit entre les deux fronts militaires bourgeois" (extrait de Battaglia Comunista n°9, septembre 2000, souligné par nous).

On en vient à se demander, à ce niveau, où se trouve réellement 1’idéalisme ? Est-ce dans nos articles ou dans les analyses fantaisistes du BIPR ? 10

4. Les derniers dérapages sur la décadence

Mais il y a plus grave encore. Ce qu'on remarque depuis quelques temps à ce propos, c'est que BC lance des jugements dédaigneux concernant le camp prolétarien qui aurait "fait faillite pour n'avoir pas été à la hauteur des tâches de l'heure", et en même temps c’est justement elle qui remet en question, chacune à son tour, les pierres angulaires de son analyse (et de la nôtre) de la période historique actuelle, en laissant de plus en plus place à l'improvisation du rédacteur à qui il revient de faire l'article. Nous avons dû justement intervenir de façon polémique dans les débats de BC pour corriger un dérapage important sur le rôle des syndicats dans la phase actuelle11 qui rentrait en contradiction avec les positions historiques mêmes de BC. Mais voilà que, dans le même article de Prometeo n° 2, nous trouvons une série de passages qui reviennent sur la question (sans faire la moindre référence à la polémique précédente) en remettant en cause le concept même de décadence du capitalisme, position qui unit depuis toujours nos deux organisations, le BIPR et le CCI, et qui est un héritage du mouvement révolutionnaire, de Marx et d'Engels, de Rosa Luxemburg et Lénine (dont le BIPR se réclame pourtant), de la 3e Internationale, jusqu'aux gauches communistes qui ont surgi à la suite de la dégénérescence de la vague révolutionnaire des années 1920.

De fait, l'article caractérise la situation actuelle de façon bizarre à travers "des phases ascendantes du cycle d'accumulation" et des "phases de décadence du cycle d'accumulation" plutôt que de parler de période historique de décadence irréversible du capitalisme par opposition à la phase historique précédente, comprenant certes des moments de crise mais qui était globalement une phase de développement général :

"II y a (...) un schéma. C'est celui qui divise l'histoire du capitalisme en deux grandes époques, celle de l'ascendance et celle de la décadence. Presque tout ce qui était valable pour les communistes dans la première ne l'est plus dans la seconde justement du fait que ce n'est plus une phase de croissance mais de décadence. Un exemple ? Les syndicats convenaient et il était juste que les révolutionnaires y travaillent pour en prendre la direction avant, ce n'est plus valable ensuite. Pas même l'ombre d'une référence au rôle historique, institutionnel de médiation du syndicat : encore moins au rapport entre ce rôle et les différentes phases du capitalisme, ou du rapport objectif entre les taux de profit et le champ de la négociation. (...) Dans les phases de l'ascendance du cycle d'accumulation, le syndicat, comme «avocat» peut arracher des concessions salariales et normatives (aussitôt récupérées cependant par le capital) ; dans les phases de décadence du cycle, les marges de médiation se réduisent à zéro et le syndicat, ayant toujours la même fonction historique, est réduit à jouer le médiateur, oui mais en faveur de la conservation, opérant comme agent des intérêts capitalistes dans la classe ouvrière.

Le CCI au contraire divise l'histoire en deux parties : quand les syndicats sont positifs pour la classe ouvrière - sans spécifier sur quel terrain - et quand ils deviennent négatifs.

De tels schématismes se vérifient sur la question des guerres de libération nationale.

C'est ainsi que la proposition formelle de positions indiscutables et donc apparemment partageables, s'accompagne d'une divergence substantielle, sinon d'une extériorité au matérialisme historique et d'une incapacité à examiner la situation objective." 12

Puisque cette partie de l'article est explicitement développée comme réponse au CCI, nous devons remarquer que BC a vraiment la mémoire courte si elle ne se souvient même pas des positions de base du CCI sur les syndicats, positions développées dans des dizaines et des dizaines d'articles et, en particulier, dans une brochure dédiée spécifiquement à cette question 13 dans laquelle nous faisons amplement "référence au rôle historique, institutionnel de médiation du syndicat" et au "rapport entre ce rôle et les différentes phases du capitalisme". Nous invitons tous les camarades à lire ou relire notre brochure pour vérifier à quel point les affirmations de BC sont inconsistantes.

Cependant nous croyons qu'il n'est pas inutile de rappeler ce qu'avaient écrit Marx et Engels il y a un siècle et demi :

"A un certain degré de leur développement les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants ou, pour utiliser un terme juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient développées jusqu'à ce moment. De formes de développement des forces productives ces rapports se transforment en entraves qui freinent ces forces. On arrive alors à une époque de révolution sociale." 14

Nous voulons bien croire que BC a simplement commis une erreur d'écriture, qu'elle a utilisé des termes inappropriés en essayant de répondre à nos arguments. Parce que, si ce n'était pas le cas, nous nous demanderions ce que veulent dire les phrases utilisées par BC. Veulent-elles dire qu'après une phase de récession et qu'avec la reprise d'un cycle d'accumulation la classe ouvrière peut de nouveau compter sur les syndicats, pour "arracher des concessions salariales et normatives" ? S'il en est ainsi, nous voudrions savoir de BC quelles ont été, à son avis, "les phases d'ascendance du cycle d'accumulation" dans les dernières décennies et quelles ont été les "concessions salariales et normatives" obtenues grâce aux syndicats par la classe ouvrière qui y ont correspondu.

Et aussi, à propos des luttes de libération nationale, sur lesquelles le CCI exprimerait "un schématisme similaire", que veulent dire les camarades de BC ? Que l'on peut soutenir Arafat ou d'autres pourvu que le cycle d'accumulation du capital soit assuré et qu'il n'y ait pas de récession? Si ce n'est pas la bonne interprétation, que veut dire alors BC ?

En conclusion

Nous avons démontré dans ce deuxième article que ce n'est pas le CCI qui a une vision idéaliste de la réalité mais que c’est bien BC qui développe une confusion théorique et qui a une approche opportuniste dans son intervention. Nous avons fortement le sentiment que tous les arguments donnés par BC en polémique contre "un camp politique prolétarien qui n'est plus à la hauteur de ses tâches et donc désormais dépassé par le temps" ne sont qu'un rideau de fumée en vue de cacher ses propres glissements opportunistes et une certaine dérive jusque sur le plan programmatique, glissements qui commencent à devenir inquiétants. En particulier, par rapport à la tendance actuelle du BIPR à se considérer comme "seul au monde" face à "un camp politique prolétarien qui n 'est plus à la hauteur de ses tâches", il serait opportun que les camarades retournent à la brochure et aux nombreux textes qu'ils ont écrits en polémique avec les bordiguistes dans lesquels ils critiquent justement le fait que chaque groupe bordiguiste se considère comme étant LE PARTI et tous les autres comme de la merde.

C'est pour cela que nous invitons BC (et le BIPR) à prendre au sérieux nos critiques et à ne pas se cacher derrière des accusations ridicules d'excès de bile ou de malhonnêteté. Cherchons à être à la hauteur de nos tâches.

9 mars 2001, Ezechiele

1 "La nouvelle Internationale sera le Parti International du prolétariat", in Prometeo n° 2, décembre 2000.

2 Il faut noter que, dans le mouvement ouvrier, les accusations de "calomnie", "biliosité", etc. sont classiques de la part des éléments centristes et opportunistes envers les polémiques menées contre eux par les courants de gauche (Lénine était considéré comme un "méchant calomniateur" lorsqu'il a engagé le combat contre les mencheviks ; Rosa de même était accusée d'être "hystérique" lorsqu'elle a mené la lutte contre Bernstein et plus tard contre Kautsky à propos de la grève de masse). Plutôt que des accusations de ce type, il faut demander au BIPR en quoi nos critiques sont fausses, voire "calomnieuses". Il ne suffit pas d'affirmer, il faut démontrer. Par ailleurs, le BIPR est mal placé pour nous faire ce genre de reproche alors que les qualificatifs ne manquent pas chez eux, notamment pour affirmer, et là sans le moindre argument, que nous ne faisons plus partie du camp prolétarien. C'est l'histoire de celui qui voit la paille dans l'œil de son voisin mais qui ne voit pas la poutre dans le sien.

 

3 Il est important de noter à ce propos que les camarades de BC ont accueilli notre première réponse avec une certaine rancœur, parce qu’ils ont associé le qualificatif "opportuniste" avec "contre-révolutionnaire". Cette association, pour quiconque connaît l'histoire du mouvement ouvrier, est complètement fausse et tout à fait non fondée. Elle est, en tout cas, une manifestation d'ignorance politique. L'opportunisme a toujours été identifié comme étant une déformation des positions révolutionnaires et cela au sein du mouvement ouvrier. C’est seulement 1’ambiguïté et le manque de clarté du bordiguisme (et de BC elle-même) qui ont permis de continuer à appeler opportunistes des formations politiques qui sont désormais passées dans le camp de la contre-révolution, comme les différents PC staliniens, et donc d'identifier l'opportunisme avec la contre-révolution.

4 BIPR, "Vers la Nouvelle Internationale... "

5 "La Nouvelle Internationale sera... ", p 10.

 

6 Voir en particulier les deux oeuvres principales de Rosa Luxemburg dans lesquelles cette théorie est développée :

"L'accumulation du capital" et "Critique des critiques, ce que les épigones ont fait de la théorie marxiste".

7 Un des facteurs majeurs pour lesquels la reconstitution de nouveaux blocs n'est pas à l'ordre du jour aujourd'hui, c'est qu'il n'existe pas de pays capable de rivaliser un tant soit peu avec les Etats-Unis sur le plan militaire. Il faudra de longues années (sûrement plus d'une décennie) pour qu'un pays comme l'Allemagne puisse disposer d'une puissance militaire crédible.

8 Pour des éléments plus conséquents sur cette "non vision", voir aussi notre article "Le vent d'Est et la réponse des révolutionnaires". Revue Internationale n° 61.

9 Idem.

10 On peut encore rappeler qu'à l'occasion des grèves en Pologne en août 1980, la CWO a lancé le mot d'ordre "Révolution tout de suite !" dans son journal, quand la situation n'était vraiment pas une situation révolutionnaire. Les camarades de la CWO nous ont dit, depuis, que c'était un accident, que ce titre et l'article étaient le fait d'un seul militant, qu'il n'avait pas reçu 1'accord des autres membres et que le journal avait été immédiatement retiré de la diffusion. Nous acceptons les explications mais il faut quand même reconnaître qu'il n'existait pas une grande clarté tant politique qu'organisationnelle dans la CWO à l'époque puisqu'un de ses membres a pu penser et écrire une telle absurdité et que l'organisation n'a pas pu empêcher qu'elle soit publiée. Le militant en question n'était probablement pas n'importe qui puisque la CWO lui avait donné la responsabilité de publier le journal sans contrôle préalable de l'organisation ou d'un comité de rédaction. Il n'y a que chez les anarchistes qu'il arrive ce genre de dérapage individuel ou bien dans le parti socialiste italien, en 1914-15, quand Mussolini avait publié sans avertir personne un éditorial dans l’Avanti appelant à participer à la guerre. Mais à l'époque, Benito était quand même le directeur du journal (et il avait été acheté secrètement par Cachin avec des fonds du gouvernement français). En tous cas, l'organisation interne de la CWO laissait à désirer à cette époque. Il faut espérer que cela s'est amélioré depuis.

11 Voir l'article "Polémique avec Battaglia Comunista : les syndicats ont-ils changé de rôle avec la décadence du capitalisme ?" dans Rivoluzione Internazionale n° 116.

12 De "La nouvelle Internationale sera... " p.8-9.

13 Les syndicats contre la Classe ouvrière publié maintenant dans toutes les langues les plus importantes.

14 Marx-Engels, Préface à Contribution à la critique de l'économie politique.

 

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [12]
  • TCI / BIPR [13]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur le regroupement [14]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [15]

La position du Groupe Communiste Internationaliste de Hollande sur la question de l'URSS

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Présentation

L'article de Rate Korrespondenz, organe du Groupe communiste internationaliste de Hollande (GIC) ([1] [16]), que nous republions ci-dessous ([2] [17]) mérite de sortir de l'oubli et d'être porté à la connaissance de nos lecteurs.

Le GIC, durant les années 1930, est le groupe central qui représente la Gauche communiste germano-hollandaise et qui se situe au carrefour de cette tradition. C'est ainsi qu'en 1933 il prend en main le travail de regroupement de l'ensemble du courant ; il édite Proletarier, la revue internationale du communisme des conseils ainsi qu'un service de presse en allemand. Proletarier sera remplacé par Rate Korespondenz en tant qu'organe "théorique et de discussion du mouvement des conseils ".

Avant de se pencher sur son contenu, il n'est pas inutile de souligner que cette étude montre le soutien que toute la gauche communiste a clairement apporté à la révolution russe et au parti bolchevique. Elle montre donc que la Gauche communiste germano-hollandaise n'adopte que tardivement la position sur "la nature bourgeoise de la révolution russe".

Traditionnellement, on date de 1934 avec "les thèses sur le bolchevisme" ([3] [18]) d'Helmut Wagner, la fondation du mouvement communiste des conseils qui rejette l'expérience prolétarienne russe et qui estime que le parti bolchevique n' a pas été un parti révolutionnaire mais un organe "étranger" à la classe ouvrière.

Cette idée s'appuie sur une vision tronquée de la réalité ([4] [19]), car les débats ont fait rage au sein du GIC sur la question du bolchevisme, question qui n'était pas aussi nettement tranchée qu'on le dit, comme l'article de 1936-37 que nous publions ci-après en témoigne.

Que lit-on dans cette étude ?

1. Que la révolution russe est une révolution prolétarienne.

2. Qu'il n'y a rien de commun entre Staline des années 1930 et la révolution : "Jamais homme politique n'a rompu si radicalement avec l'ancien cours suivi jusqu'alors que Staline en 1931. "  

3. Que l'URSS est de nature capitaliste d'Etat : "A la place de capitalistes individuels puissants, des appareils étatiques (souligné par nous) tout puissants pressent l'individu de rendre ses dernières forces et ces mêmes organes étatiques lui donnent en échange un salaire. " "Ce rapport de l'ouvrier russe vis-à-vis de son Etat (...) ne ressemble-t-il donc pas à celui de l'esclave salarié de l'Europe occidentale envers son patron ?"

4. Que la contre-révolution a fait sentir ses premiers effets assez tôt : "Ce n 'es tpas d'hier que date l'introduction des rapports capitalistes de classe en URSS de même que ce n'est pas à partir de 1931 seulement que l'URSS l'est devenue. Dans son essence, elle l'était déjà à partir du moment où elle abattit les derniers soviets ouvriers librement élus. "

5. Quant à la nature des bolcheviks, il apparaît clairement que les vieux bolcheviks "se trouvent déjà depuis longtemps en opposition irré­ductible au régime. Ils constituent un élément étranger au système russe et sont éliminés par lui".

"Les thèses sur le bolchevisme " ne seront la base du communisme de conseil qu'après le deuxième conflit mondial quand commencera à naître ce qu'il est convenu d'appeler le conseillisme. Mais encore, tout le courant de la Gauche communiste germano-hollandaise ne se situe pas dans ce cadre et, par exemple, Ian Appel (ancien membre du KAPD et son délégué au 2e congrès de l'Internationale communiste) n'a jamais accepté la position selon laquelle la révolution russe serait une révolution bourgeoise.

Le débat sur la nature de l'URSS dans les années 1930 est la discussion centrale et mobilise tous les groupes de la Gauche communiste comme nous le montrons dans notre brochure sur La Gauche communiste de France (à paraître).

Toutefois, le GIC comprend, plus rapidement que la Gauche communiste italienne, la nature capitaliste d'Etat du système en URS S. Pour la Gauche communiste italienne, il faudra attendre le deuxième conflit mondial pour qu'elle mette en avant cette même position. Elle l'aborde pourtant dès les années 1930 mais sans la trancher définitivement.

Cela provient du fait que la Gauche communiste italienne a toujours été plus prudente dans l'énoncé d'une nouvelle position politique. Elle a toujours eu pour principe d'examiner toutes les conséquences politiques d'une position avant de l'avancer ; et c'est cette méthode qui lui a permis de garder la boussole politique et théorique.

La validité de la méthode utilisée par la Gauche italienne

Ses positions et sa politique face à la dégénérescence du mouvement communiste en sont une preuve éclatante :

1.Elle effectue la rupture avec l'Internationale communiste (IC) en 1928 quand cette dernière décide qu'on ne peut plus en être membre si l'on apporte son soutien à Trotsky et quand elle adopte dans son programme la thèse du "socialisme dans un seul pays" (ce qui signifie la mort de l'Internationale).

2.Elle montre que l'échec de la révolution était inévitable dès lors que celle-ci ne s'est pas étendue à l'Europe. C'est un processus de dégénérescence qui s'est mis en marche et qui s'est dirigé, chaque jour un peu plus, vers le rétablissement du capitalisme en URSS. Pour cette dernière il n'y a pas de date précise à fixer pour le passage définitif dès lors qu'il s'agit d'un processus. Cependant, il est clair que celui-ci a totalement abouti quand l'URSS a participé à partir de 1939 à la seconde guerre mondiale.

En ce qui concerne les partis communistes, elle les a envisagés au cas pas cas ; et pour ce qui est du PCF et du PCI, par exemple, elle les a considérés comme perdus dès lors qu'ils se sont engagés dans une politique de soutien à leur bourgeoisie nationale en 1935. La Fraction italienne a alors changé son nom de Fraction italienne du PCI en Fraction italienne de la Gauche communiste internationale.

C'est ce cheminement prudent qui lui a permis de tirer pas à pas les leçons et de faire le bilan de ce qui est arrivé au mouvement communiste à la suite de la révolution russe mais aussi de donner naissance, sur ces bases solides, aune filiation bien vivante encore aujourd'hui.

Les limites de la méthode de la Gauche germano-hollandaise

Celles-ci apparaissent clairement dans le texte que nous publions ici :

1. On ne sait pas comment s'effectue la contre-révolution et P on ne comprend pas ce que vient faire l'année 1931 et quelle importance particulière elle peut avoir.

2. Ce manque de clarté sur le phénomène de la contre-révolution ainsi que sur ses causes ne nous permet pas de tirer des enseignements essentiels pour le devenir de la lutte prolétarienne et sur comment nous devons agir face à une nouvelle situation révolutionnaire.

3. La deuxième partie de l'étude tente de critiquer les mesures économiques prises en URSS en direction de la paysannerie avec une démarche "gestionnaire". Cette manière de traiter le problème est ambiguë et laisse accroire que de bonnes mesures économiques en URSS auraient pu inverser le cours et éviter la contre-révolution. C'est une lourde erreur car même si les bolcheviks avaient pris d'excellentes mesures économiques cela n'aurait pas empêché la contre-révolution car il ne peut y avoir de socialisme dans un seul pays.

 

De Rate Korrespondenz (1936-37) : organe en langue allemande du Groupe Communiste Internationaliste de Hollande

I. Moment décisif dans le développement de l'URSS de ces dernières années.

Quiconque a suivi attentivement la situation de l'URSS a dû remarquer combien de mesures extrêmement réactionnaires y ont été réalisées ces derniers temps : l'interdiction de l'avortement, 1'introduction de nouveaux grades dans l'armée, de nouveaux règlements scolaires autoritaires, et bien d'autres règlements.

Toutes ces mesures se meuvent le plus souvent sur le plan culturel politique et ne sont compréhensibles que lorsqu'on se donne la peine d'y voir la conséquence de raisons plus profondes, et dont l'origine plonge dans le domaine de l'économie. S'il est vrai que des modifications idéologiques qui représentent la superstructure d'une société présupposent des modifications analogues dans l'économie, on devrait pouvoir démontrer de telles modifications ou de tels déplacements de forces en URSS. En fait, rien n'est plus facile à démontrer.

Toute la série de nouveaux règlements qu'on a pu constater ces dernières années ne s'expliquent autrement que par un déplacement substantiel et même principiel des rapports de forces.

Il suffira pour cela de rappeler le discours, en son temps célèbre, que Staline prononça en juin 1931 devant une assemblée d'économistes russes sur les six conditions ou changements. La presse du Komintern a considéré le discours comme étant d'une portée historique et n'a pas dit en ce cas un seul mot de trop. Jamais homme politique n'a rompu si radicalement avec l'ancien cours suivi jusqu'alors que Staline en 1931. Il demandait alors la suppression de l'égalité relative des salaires ouvriers, stigmatisait cette égalité comme une "creuse égalisation" et exigeait l'introduction d'un nouveau système de salaires. Il demandait en plus la suppression de la direction collective des entreprises et leur remplacement par une direction personnelle d'un fonctionnaire responsable uniquement devant l'Etat.

Cependant le point essentiel résidait sans doute dans l'annonce que dorénavant les entreprises devraient travailler d'après le principe de la rentabilité. Le discours fut suivi immédiatement par une série de décrets qui ont donné à ces formulations de Staline force de loi. Plus de 30 échelons de salaires furent créés, et les différences s'échelonnèrent entre 100 et 1000 roubles par mois. Le droit des ouvriers d'avoir un certain regard dans le fonctionnement de l'entreprise fut réduit à zéro et les directeurs "rouges" devinrent des bureaucrates dans leur domaine. Pour la réalisation de la rentabilité, ils reçurent les pouvoirs nécessaires. Une rationalisation du mode du travail eut lieu qui provoqua une course effrénée pour des hauts salaires.

Pour les staliniens des pays autres que l'URSS, le travail à la tâche c'était de l'assassinat, mais en URSS, ils prisaient beaucoup les effets miraculeux du travail à la tâche.

Peu après les syndicats furent rattachés au Commissariat du Travail et cessèrent définiti­vement de mener une lutte quelconque pour l'amélioration des conditions de vie des ouvriers. Ils devinrent de simples instruments de propagande de l'Etat pour une meilleure exploitation de l'effort ouvrier (Décision du C.C. du 23 juin 1933). Même la façon de pourvoir les ouvriers en denrées alimentaires fut modifiée. La plupart du temps elle passait dans les mains de la direction d'entreprise qui trouvait le moyen "d'assurer aux meilleurs ouvriers une meilleure fourniture de denrées alimentaires". Si jusqu' alors il existait au sein de la classe ouvrière une certaine égalité des conditions de vie - égalité qu'on pourrait le mieux qualifier d'égalité de commune misère – à partir de ce moment commença à se développer une différenciation dans la manière de vivre, une différenciation des intérêts, et par conséquent une appréciation différente de l'Etat et de ses institutions.

Ainsi prit fin une longue période pendant laquelle le nivellement de la conscience ouvrière trouvait son origine dans les conditions économiques.

Où donc faut-il chercher les raisons de toutes ces mesures qui furent déjà à l'époque stigmatisées par différents groupes ouvriers comme étant de nature réactionnaire et même capitaliste. Staline nous le dit dans le même discours cité plus haut : "il en résulte finalement qu 'on ne doit plus se contenter des anciennes sources d'accumulation, le nouveau dévelop­pement de l'industrie et de l'agriculture exige l'introduction du principe de la rentabilité et le renforcement de l'accumulation au sein de l'industrie."

Le prolétaire des pays capitalistes sait bien par l'expérience de sa vie quotidienne quelles sont les méthodes que le capitalisme met en pratique lorsque que par manque de plus-value l'accumulation se trouve bloquée. Bien que se voilant de bonnets philanthropiques de toutes sortes, elles ont toujours comme but final une aggravation de l'exploitation. Il est significatif que le "premier et unique Etat ouvrier" se soit servi de la même méthode. Pas mal de communistes perdirent alors une partie de leurs illusions. La dure réalité les a forcés à se rendre à 1'évidence ; c'était une erreur de croire que la nationalisation des moyens de production était déjà en soi une garantie suffisante pour une disparition de l'exploitation de l'homme par l'homme.

A la place des capitalistes individuels puissants, des appareils étatiques tout puissants pressaient l'individu de rendre ses dernières forces et ces mêmes organes étatiques lui donnaient en échange un salaire qui suffisait à peine à assurer l'entretien de l'existence nue. Ce rapport de l'ouvrier russe vis à vis de son Etat et ses fonctionnaires ne ressemble-t-il donc pas à celui de l'esclave salarié de l'Europe occidentale envers son patron?

Des staliniens 100 % nous chantent, il est vrai, "la propriété collective des moyens de production" qui existerait dans l'Etat soviétique, et les trotskistes l'ont chanté jusqu'alors dans le même chœur bien que sur un autre air.

Mais une question se pose alors ; Pourquoi donc les ouvriers "ces propriétaires collectifs des moyens de production" ont-ils montré si peu d'intérêt à accroître le plus rapidement possible leur propriété, au point que Staline a été obligé de leur rappeler leurs devoirs avec un fouet de faim?

Bien plus, pour protéger la "propriété socialiste" il a dû, même à l'aide de lois draconiennes, empêcher les ouvriers d'emporter dans leurs poches leur propriété à eux. Les prolétaires russes sont-ils donc si bêtes et si myopes comme sont intelligents leurs maîtres staliniens et ne comprennent-ils donc pas les dommages qu'ils se causent eux-mêmes à leurs intérêts les plus vitaux !

Nous croyons fermement que l'ouvrier russe comprend qu'il n'a aucun rapport direct ni avec les moyens de production, ni avec le produit de son travail. Il n'a aucun intérêt à ces deux choses, parce qu'il est salarié au même titre que ses frères de classe de l'autre côté de la frontière. Que le prolétariat russe ait compris ce fait dans son ensemble, ou que l'exploitation soit encore voilée aux grandes masses par des illusions, cela importe peu. Ce qui est sûr, c'est que le prolétariat russe a agi et continue à agir comme seule une classe exploitée agit. Et il importe peu que Staline soit conscient ou non de son rôle de dirigeant d'une société reposant sur l'exploita­tion; l'essentiel, c'est que personne mieux que lui n'avait pu formuler avant et après 1931 les nécessités d'une telle société.

Ce n'est pas d'hier que date l'introduction des rapports capitalistes de classe en URSS de même que ce n'est pas à partir de 1931 seulement que l'URSS l'est devenue. Dans son essence, elle 1'était déjà à partir du moment où elle abattit les derniers soviets ouvriers librement élus, mais après 1931 l'économie russe a rejeté de son sein tous les éléments étrangers à sa structure.

Les couches qui considéraient l'honnêteté comme une des vertus essentielles des révolutionnaires (surtout parmi les vieux bolcheviks) se sont montrées incapables d'aider le programme de Staline à se réaliser, et se trouvent depuis longtemps en opposition irréductible au régime. Ils constituent un élément étranger au système russe et sont éliminés par lui. La dissolution de l'organisation des vieux bolcheviks et la déportation de ses membres les plus éminents surtout ces derniers temps, montra bien à quel point cette interprétation correspond à la vérité.

Un bolchevik, un ouvrier conscient, un communiste ne peut pas défendre devant les masses les mesures du gouvernement soviétique, il ne peut pas les faire réaliser sans immédia­tement cesser d'être un communiste. Il devient pour les puissants inutilisable et sans valeur dans la mesure où il devient conscient de sa fonction en tant qu'instrument de la hiérarchie exploiteuse. C'est pourquoi nécessairement d'autres hommes doivent accomplir cette fonction, des hommes avec des conceptions différentes et qui n'ont pas le sentiment d'appartenir à la classe ouvrière.

Les décisions importantes après 1931 étaient des nécessités qui résultèrent du développement et étaient devenues causes d'un déplacement du rapport de force entre classes en URSS. Une aggravation de l'exploitation est impossible sans l'accroissement de l'appareil qui réalise cette exploitation directement. Et, comme la classe ouvrière ne peut s'exploiter elle-même, cet appareil devait être édifié par des gens qui ne lui appartiennent pas. Fonctionnaires, employés, cadres de l'industrie, appuyés sur une large couche d'aristocratie ouvrière sont 1'instrument de la clique régnante et, peuvent de ce fait jouir des privilèges qui les placent bien au-dessus du niveau d'un prolétaire moyen.

Telle est la situation créée en URSS.

En dépit de tous les bavardages sur le passage imminent vers une société sans classes, une nouvelle classe a surgi là-bas. Les prolétaires n'ont aucun rapport de "propriété" avec les moyens de production; là comme ici, ils sont vendeurs de leur force de travail; tandis que la classe opposée (fonctionnaires du parti, directeurs d'entreprises et de coopératives, bureaucratie d'Etat) exerce la fonction de gérant des moyens de production, d'acheteur des forces de travail et de propriétaire des produits du travail. Elle domine collectivement, mais d'une façon autoritaire toutes les sphères de 1'économie russe. Elle ne produit aucune plus-value, mais se nourrit du travail de millions d'esclaves auxquels elle a enlevé et enlève encore tous les droits, et se donne à elle-même des privilèges qui la différencient nettement de la masse grise des prolétaires russes.

Aussi sa conscience n'est-elle pas une conscience ouvrière. Elle est intéressée à l'exploitation et cet intérêt est déterminant pour la formation de ses conceptions. Elle reste farouchement opposée à toutes les forces de la société qui propagent la suppression réelle de l'exploitation. Par ceux-ci elle se sent menacée dans ses privilèges et ne recule devant rien pour détruire cet ennemi. Toutes ses forces tendent vers P extension des privilèges obtenus au cours des années passées et vers la liquidation de tout ce qui reste de la révolution d'octobre, les restes humains y compris.

Pour pouvoir tirer de la chair des prolétaires toute la masse gigantesque de plus value nécessaire à 1'édification et à la reconstruction de l'économie russe il a fallu créer toute une armée d'aboyeurs, de surveillants et de garde-chiourmes.

C'est à un processus de libération que nous avons assisté en URSS ces derniers temps, libération non pas des masses populaires, mais de la structure économique qui ne pouvait plus supporter la vieille coque politique. Les lois de la société basée sur l'exploitation s'imposèrent du moment où le dernier trou qu' était 1'absence d'une couche assumant clairement et nettement la fonction de classe exploiteuse, fut bouché. La constitution définitive de cette classe est l'essentiel du développement de l'URSS en ces dernières années. Qui ne comprend pas ces choses sera incapable de comprendre tout ce qui se déroule et se déroulera en URSS.

L'URSS est devenue définitivement un pays capitaliste. Toutes les forces de la vie y ont un caractère capitaliste.

Le chemin d'octobre à février a été parcouru sans que ce soit cependant un chemin de retour. En URSS, les prolétaires trop faibles pour organiser en tant que classe la production au nom de la société tout entière, ont dû céder la place au parti qui ne pouvait agir autrement que comme représentant d'intérêts particuliers. Ce parti a fait ce qu'ailleurs ont accompli les capitalistes privés, il a développé les moyens de production et continue à les développer jusqu' à la limite historique; le parti prit sur lui le rôle historique de la bourgeoisie et devait dégénérer sous cette forme.

Accomplissant un rôle progressif, il a poussé en avant la roue de l'histoire et vient d'arriver maintenant à un point que la bourgeoisie des autres pays a déjà atteint depuis longtemps. Il commence à devenir un obstacle sur le chemin du développement de l'URSS sous n'importe quelle forme humaine.

Il n'y a pas lieu ici de disqualifier moralement les personnes qui ont tenu le gouvernail ; il faut comprendre que toute personne, toute puissance qui à la place des personnes d'aujourd'hui aurait tenu le gouvernail eût subi le même dévelop­pement.

II. Les forces sociales en URSS

L'aspect de l'économie agraire

Malgré toutes les mesures prises, la différen­ciation des conditions de vie entre la couche dirigeante et le prolétariat, au cours du premier plan quinquennal, n'a pu atteindre son plein épanouissement. La bureaucratie avait encore besoin du prolétariat pour réaliser sa campagne de conquête de la paysannerie. Pour pouvoir consolider sa position dans l'industrie, la bureaucratie devait s'assurer une influence prépondérante sur le secteur agraire de l'économie russe. L'anarchie de la production paysanne commençait, en effet, à menacer le développement de toute l'économie et par cela la couche dirigeante. L'introduction de nouvelles méthodes de production plus perfectionnées était depuis longtemps une nécessité historique pour l'économie agraire russe. Tout autre gouvernement aurait été obligé un jour ou l'autre de les introduire. D'abord pour pouvoir nourrir à meilleur marché ses salariés, et puis pour enrichir le marché intérieur, d'un nouveau débouché.

La bureaucratie proclama la collectivisation des biens ruraux et la réalisa "au nom du communisme". Sans cela, elle n'aurait pu mobiliser pour son œuvre des forces proléta­riennes supplémentaires. On sait quelle résistance désespérée la collectivisation rencontra de la part des paysans, résistance que le gouvernement n'aurait pu briser en ayant dans le dos un prolétariat hostile.

Pour pouvoir "au nom du communisme" arracher l'entreprise du paysan à son ancienne forme féodale d'organisation et de production, et pour pouvoir l'incorporer comme partie homogène dans le système général de son capitalisme, il fallait faire au nom de ce même "communisme" certaines concessions au prolétariat malgré les intérêts fondamentalement opposés. Pour avoir une idée de l'âpreté de la lutte pour la collectivisation, il suffit de se rappeler qu'elle a conduit à l'émigration de dizaines de milliers de paysans et à la déportation de centaines de milliers d'autres. Pour aider la campagne à sortir de sa situation arriérée, il fallait l'anéantir avec l'aide d'ouvriers armés croyant gagner ainsi la campagne au socialisme. Ils ont ainsi anéanti les derniers restes du féodalisme et du capitalisme privé libre et frayé un chemin pour un contrôle efficace de la bureaucratie sur la collectivité paysanne.

Jusqu'alors les petites entreprises existantes étaient dans une large mesure indépendantes de l'industrie et par conséquent des dirigeants de celles-ci. Les paysans n'avaient pas de besoin qui aurait pu les lier fermement à l'industrie. Il fallait donc les arracher de cet isolement à tout prix, en créant même par force de tels besoins. D'autre part, on ne pouvait songer à une augmentation de productivité agricole sans 1'introduction des moyens industriels modernes comme tracteurs, batteuses, combinés, etc.

Aujourd'hui, ce processus est déjà en grande partie accompli : 87 % de la surface cultivée ont été cette année gérées collectivement, environ 300 000 tracteurs sont en usage, le nombre des machines plus compliquées (tracteurs combinés) s'élève à des dizaines de milliers. L'économie rurale est profondément modifiée, et par cela aussi, son rapport envers les autres parties de l'économie russe.

Les obligations et les dettes des "paysans collectifs" envers l'Etat sont immenses. Leur isolement est brisé, chaque jour ils deviennent plus conscients de leur dépendance de l'Etat. Les paysans sont sous l'influence de la politique des prix du gouvernement et les instituts de crédit ont la possibilité d'exercer sur eux une pression constante. L'an dernier, on a remarqué une tendance très nette de la part du gouverne­ment soviétique à ne plus vendre aux collectivités les grands moyens de production, mais à les louer. Dans ce but, on a créé à la campagne quelques milliers de stations "de tracteurs et de machines"'. Ceci indique l'étendue de l'influence, et des possibilités que la bureaucratie s'est créée dans ce secteur et qu'elle développera encore.

La collectivisation qui a fait disparaître complètement la "commune" paysanne a créé comme nouvelle forme l'organisation rurale "l'artel", association pas trop rigide de propriétaires des moyens de production. Il y a une certaine ressemblance entre les coopératives agricoles telles qu'on les rencontre dans l'occident, et surtout dans les pays Scandinaves et les "artels"; mais dans les artels ce ne sont pas seulement les batteuses ou les laiteries qui servent pour les besoins communs, mais toutes les machines, édifices, et une grande partie des terres.

Si un tel artel paraît à première vue quelque chose de socialiste, dès qu'on y regarde déplus près, on trouve la marque incontestable du capitalisme. Si le socialisme signifie tout d'abord la disparition de tout droit de propriété, l'artel créé précisément une nouvelle forme de droit de propriété. L'inégalité des droits de propriété en naît nécessairement et avec elle 1'inégalité des conceptions, des buts et des intérêts des individus qui y appartiennent.

En plus de cela, existe dans l'artel le travail salarié qui règle les rapports des membres entre eux. Les salariés sont payés non seulement d'après la quantité de travail fournie, mais aussi d'après sa qualité. Par dessus le marché, l'artel peut employer des ouvriers comme simples salariés qui n'ont pas d'autres droits. L'artel peut donc fonctionner comme exploiteur. Pour devenir membre de l'artel, il faut pouvoir apporter des biens qui paraissent suffisants à la majorité des membres de l'artel.

Si l'artel estime forme socialiste d'organisation, il présente cependant une forme bien supérieure à l'ancienne. L'artel permet par l'emploi des machines une rationalisation du travail et une augmentation sensible de la productivité agricole ; par cela même, il augmente la part de chacun dans le profit. C'est ce dernier fait, d'ailleurs, qui a rendu l'artel "populaire", malgré la méfiance que les paysans lui ont manifesté au début.

Pour le marxiste il est clair que toutes ces mesures doivent nécessairement aboutir à la disparition de la paysannerie et que leur position s'approche de plus en plus de celle des ouvriers. Pour le moment, les paysans ne semblent pas apercevoir les nouveaux changements de la situation, ils ne voient que le côté superficiel, les profits accrus, et accueillent favorablement la nouvelle forme ou ne s'y opposent pas. Ce dernier fait est d'une importance capitale et ne doit pas être perdu de vue lors d'un examen de la situation russe.

Du moment où la bureaucratie peut prendre en considération la paysannerie comme base de masse, elle devient indépendante du prolétariat. De ce moment elle a la possibilité de jouer sur les intérêts opposés des deux classes. Et personne ne peut affirmer qu'elle a délaissé cette chance. Au contraire, depuis "la victoire complète de la collectivisation", toute sa politique intérieure et extérieure porte ce caractère. Avec les prolétaires contre les paysans, avec le paysan contre le prolétaire, la bureaucratie russe emploie tour à tour ces deux moyens pour consolider son pouvoir.

Vous avons donc à faire aujourd'hui en URSS, "à la rentrée dans la société sans classes", au moins à trois classes qui diffèrent entre elles très nettement par le rapport qui les lie aux moyens de production. Les prolétaires n'ont aucun droit de propriété sur le produit de leur travail ni sur les moyens de production. Droit collectif de propriété contrôlé par l'Etat, caractérise le mieux la classe paysanne. La bureaucratie, sommet de la hiérarchie régnante possède et domine, d'une façon anonyme et collective tous les moyens industriels de production et ne laisse échapper aucune occasion pour soumettre à son entière domination l'économie rurale.

Cette différenciation crée chaque jour une différenciation dans la façon de vivre et dans l'idéologie, des trois catégories. Le Prolétariat, pauvre et exploité, est intéressé à voir disparaître l'exploitation et ses bases matérielles.

Les paysans exigent une aggravation de l'exploitation des ouvriers en même temps qu'une réduction des prix sur les produits industriels et demandent une adaptation de l'économie russe aux nécessités de leur forme de production.

La bureaucratie assise sur la nuque des deux presse tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre ; et est toujours intéressée à tirer profit des deux couches, toujours intéressée à rester couche dominante.



[1] [20] Voir le livre du CCI, La Gauche hollandaise, Contribution à une l'histoire du mouvement révolutionnaire.

[2] [21] D'après une traduction de L'Internationale revue mensuelle de l'Union Communiste n° 27 et 28 d'avril et de mai 1937. Union Communiste était un groupe qui se situait entre la Gauche communiste italienne et les trotskistes durant l’entre-deux-guerres. Voir la nouvelle brochure du CCI, La Gauche communiste de France.

[3] [22] Dans La révolution bureaucratique, Ed. 10/18, Paris, 1973.

[4] [23] Que le CCI a déjà critiqué. Voir La Gauche hollandaise.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [8]

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Germano-Hollandaise [24]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [12]

Correspondance : Théories des crises et décadence, I

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  • Nous publions ci-dessous un courrier que nous a fait parvenir un de nos contacts proches qui s'exprime en désaccord avec notre position sur les explications économiques de la décadence du capitalisme. Nous développons à la suite de ce courrier une réponse sur les bases de notre position sur la question. Nous publierons dans un prochain numéro la deuxième partie de cet échange de correspondance.

 Théories des crises et décadence, I

1. La méthode du Capital

a) Considérations générales

Une des critiques, considérée comme la plus pertinente, que Luxemburg fait du Capital est que, puisque c'est un travail incomplet, il est nécessairement insuffisant. Bien qu'il soit vrai que Le Capital n'est pas terminé, puisque Marx lui-même avait clairement manifesté qu'il avait l'intention de le poursuivre, ce qu'il a écrit, avec l'assistance d'Engels, est pour l'essentiel, une analyse cohérente et conséquente ([1] [25]). Cela devient évident lorsqu'on saisit que la théorie de la crise de Marx est basée uniquement sur la baisse tendancielle du taux de profit. Ce que des critiques tels que Luxemburg ne parviennent pas à saisir est que Marx avait déjà compris les contradictions de l'accumu­lation capitaliste avant d'écrire le Capital, dans le recueil qui sera connu plus tard sous le titre Théories sur la plus-value.

En fait, soutenir que Le Capital a de sérieuses lacunes aussi importantes, comme Luxemburg le fait, c'est réduire l'analyse de Marx à une description tout au plus, plutôt qu'à une critique de l'économie politique capitaliste, c'est-à-dire tomber dans un perspective empirique. ([2] [26]). Cela veut dire que Luxemburg ne comprend pas la nature de la méthode de présentation que Marx utilise dans le Capital. Ce qui est confirmé par son incapacité à tenir compte de la mise en garde de Marx que "il peut sembler que nous avons devant nous une construction a priori" ([3] [27]). Elle ne peut pas saisir que Marx a choisi la méthode particulière de présentation pour le Capital de sorte que le prolétariat soit capable de découvrir, au delà du monde des apparences, du fétichisme de la marchandise que les rapports de production capitalistes créent nécessairement, que les contradictions fondamentales, le "mouvement réel peuvent être présenté de manière appropriée. " ([4] [28])

Cette méthode "s'abstrait de tous les phénomènes superficiels les moins essentiels et en continuel changement de l'économie de marché. " ([5] [29]). Le Capital n'est donc pas destiné à "raconter toute l'histoire du développement capitaliste" ([6] [30]) ou de "prévoir le cours réel du développement capitaliste" ([7] [31]) mais de "mettre à nu la dynamique de ce développement" ([8] [32]) ; c'est­-à-dire qu'il révèle les contradictions inhérentes de l'accumulation capitaliste à partir de la perspective de la transformation révolutionnaire de la société, du point de vue de la totalité.

Le Capital ne consiste PAS dans une série de descriptions détaillant progressivement la réalité capitaliste concrète, comme une série d'agrandissements photographiques succes­sifs. Bien que les explications dans le Capital procèdent du plus abstrait et de la nature générale au plus concret et au particulier, ce n'est pas une simple progression linéaire ; c'est plutôt qu'à chaque stade, sur la base de conditions simplifiées, une analyse provisoire est faite. Au stade suivant cette analyse provisoire est étendue et concrétisée. Donc les niveaux ne se contredisent pas entre eux ou ne contredisent pas la réalité capitaliste empirique, comme il peut sembler si on ne fait que les comparer ([9] [33]), comme le fait de façon erronée Luxemburg. Marx démonte les contradictions apparentes entre les différents niveaux de la façon suivante. D'abord il tire toute les conclusions logiques qui découlent de l'hypothèse de niveau le plus bas. Ensuite en montrant que "ces conclusions mènent à une absurdité logique " ([10] [34]) il démontre que "l'analyse n'est cependant pas finie et doit être poursuivie " ([11] [35]) ; c'est-à-dire que l'hypothèse précédente doit être modifiée pour lever les contradictions. Ces hypothèses modifiées définissent le niveau suivant. On trouve des exemples de cela dans le Capital, sur la transformation de la valeur des marchandises en valeur de la force de travail au chapitre 4 du vol.l, et sur la transformation des différents taux de profit dans les différentes sphères de la production en formation du taux de profit moyen au chapitre 8 du vol.3.

« L 'impossibilité de plus-value dans le chapitre 4 du volume 1, et la possibilité de taux de profit différents dans le chapitre 8 du volume 3, ne sont pas utiles comme liens nécessaires pour sa construction, mais comme preuves du contraire. Le fait que ces conclusions mènent à une absurdité logique montre que l'analyse n'est pas encore terminée et doit être poursuivie. Marx ne détermine pas l'existence de différentes taux de profit, mais au contraire, l'inadéquation de toute théorie qui est basée sur une telle prémisse. » ([12] [36])

Ce qui est fondamental pour comprendre la méthode de Marx c'est la distinction entre la nature "interne" ou "générale" du capital ([13] [37]) et sa réalité historique et empirique ; les "tendances générales et nécessaires" ([14] [38]) comme distinctes des "formes de leur apparence "([15] [39]) Ne pas voir cette différence cruciale risque de faire plonger dans l'empirisme, de faire prendre l'apparence pour laréalité. Inversement, ignorer les "liens nécessaires" entre cette nature interne et les formes de l'apparence transforme le Capital en un idéal abstrait déconnecté de la réalité.

Il n'y a rien de mystique ou de scolastique dans cette distinction ; Marx l'a clairement considérée comme vitale pour la compré­hension de l'accumulation capitaliste.

« L 'analyse scientifique de la concurrence présuppose en effet l'analvse de la nature intime du capital. C'est ainsi que le mouvement apparent des corps célestes n’est intelligible que pour celui qui connaît leur mouvement réel mais insaisissable aux sens. » ([16] [40])

b) Les schémas de la reproduction de Marx, la crise et la baisse du taux de profit

Dans les schémas de la reproduction Marx se propose seulement d'expliquer la reproduction sociale du capital dans sa forme fondamentale ; les schémas "ne prétendent pas présenter une image concrète de la réalité capitaliste concrète. " ([17] [41])

"Mais l'essentiel, le point important est vu clairement à partir de ces schémas de la reproduction : pour que la production s'étende et progresse solidement, des proportions données doivent exister entre les secteurs productifs : en pratique leurs proportions sont approximativement réali­sées ; elles dépendent des facteurs suivants : la composition organique du capital, le taux d'exploitation, et la proportion de plus value qui est accumulée. " ([18] [42])

Les schémas n'ont PAS pour but de révéler la cause de la crise. La véritable cause de la crise est recherchée à un stade ultérieur de l'analyse de Marx.

"Ni la possibilité de surproduction, ni l'impossibilité de surproduction ne résulte des schémas eux-mêmes... Ce qu'il faut se rappeler c'est que ces schémas sont seulement un stade particulier, représentent un cerlain niveau d'abstraction, dans le développement de la théorie de Marx. Le processus de production et le processus de circulation, le problème de la production et de la réalisation, doivent étre vus au sein du procès total de la production capitaliste comme un tout... " ([19] [43])

Marx explique la baisse du taux de profit comme une conséquence de l'unité de la production, de la circulation et de la distribution de capital, c'est-à-dire que "le processus de l'accumulation capitaliste connait trois moments distincts mais reliés entre eux : l'extraction de la plus value ; la réalisation de la plus-value ; la capitalisation de la plus value" ([20] [44]) Il explique la crise capitaliste uniquement en termes de baisse du taux de profit parce que cela englobe tout le processus de l'accumulation capitaliste. Il montre que, en fin de compte, ceci provoque une crise à cause de la surproduction de capital. Bien plus, cette surproduction de capital n'est pas absolue ou permanente, mais relative à un taux de profit donné et périodique.

"Mais on produit périodiquement trop de moyens de travail et de subsistances, pour pouvoir les faire  fonctionner comme moyens d'exploitation des ouvriers à un certain taux de profit. On produit trop de marchandises pour pouvoir réaliser et reconvertir en capital neuf la valeur et la plus value qu 'elles recèlent dans les conditions de distribution et de consommation impliquées par la production capitaliste, c'est-à-dire pour accomplir ce procès sans explosions périodiques se répétant sans cesse. " ([21] [45])

c) Le capital et l'évolution historique du capitalisme

Pour comprendre comment l'analyse incomplète et abstraite du Capital peut être appliquée à l'évolution historique il faut saisir les points suivants.

D'abord, l'analyse abstraite du Capital est applicable à toutes les phases du capitalisme :

"Les formules de Marx traitent d'un capitalisme chimiquemen tpur qui n'a jamais existé et n'existe nulle part maintenant. Précisément à cause de cela, elles ont révélé les tendances fondamentales de tout le capitalisme mais précisément du capitalisme et seulement du capitalisme. " ([22] [46]) Bien que Trotsky fasse référence spécifiquement aux schémas de la reproduction dans le volume II du Capital, cette appréciation peut s'appliquer à l'ensemble du Capital.

Deuxièmement :

"Bien que la crise réelle doit être expliquée à partir du mouvement réel de la production capitaliste, du crédit et de la concurrence, ce sont les tendances générales du processus d'accumulation lui-même et la tendance à long terme du taux de profit à baisser qui forment la base pour cette explication. " ([23] [47])

En dernier lieu, ce "mouvement réel de la production capitaliste, du crédit et de la concurrence" ne peut pas être réduit à de l'économie pure, mais nécessite d'être vu du point de vue de l'évolution du capitalisme comme un tout.

"De plus, la crise ne peut pas être réduite à des événements «purement économiques», bien qu'elle surgisse «purement écono­miquement», c'est-à-dire à partir des rapports sociaux de production habillés dans les formes économiques. La lutte concurrente interna­tionale, menée aussi par des moyens politiques et militaires, influence le développement économique, tout comme à son tour celui-ci donne naissance à diverses formes de concurrence. Aussi, toute crise réelle peut seulement être comprise en lien avec le développement social comme un tout. " ([24] [48])

C'est là que réside la grande contribution de Rosa Luxemburg au marxisme. Même si sa théorie économique est sérieusement erronée, en procédant du point de vue de la totalité, Luxemburg parvient à mettre en évidence que «La politique impérialiste n'est pas l'essence d'un pays ou d'un groupe de pays. Elle est le produit de l'évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C’est un phénomène international, un tout inséparable qu'on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun Etat ne saurait se soustraire.» ([25] [49])

2. La nature de la décadence capitaliste et les théories des crises de Marx, Luxemburg et Grossmann

 La clé pour comprendre la décadence du capitalisme est, comme Boukharine le fait ressortir dans L'impérialisme et l'accumu­lation du capital ([26] [50]), la formation de l'économie mondiale. Aussi la décadence du capitalisme est synonyme de création de l'économie mondiale.

"L'existence d'une économie mondiale, implique l'intensification de la division internationale du travail et de l'échange marchand au point que tout ce qui se produit dans la chaîne économique inthience directement tous les autres points. La concurrence internationale nivelle les prix et les conditions de production, et tend vers l'égalisation du taux de profit au niveau international, (même si bien sur ceci est toujours modifié par l'existence du capitalisme dans sa forme nationale). Les pays industrialises sont maintenant tellement interpénétrés en termes de commerce et d'investissement, que les crises sont un phénomène qui s'étend comme lui incendie de l'un à l'autre. Quant aux aires sous­ développées, elles n'ont pas de dynamique interne et sont totalement circonscrites par la domination formelle imposée à elles par le capitalisme. L 'existence de l'économie mondiale n'attenue pas mais plutôt intensifie les antagonismes impérialistes, et leurs conséquences sont les crises économiques mondiales et les guerres mondiales. " ([27] [51])

Même si la création de l'économie mondiale a pour résultat le "cycle infernal de crise guerre - reconstruction - nouvelle crise... ([28] [52]) ceci ne signifie pas que la décadence est caractérisée par un arrêt total de la croissance des forces productives. Mais plutôt que,

"Depuis le début du siècle nous avons vu un arrêt massif de la croissance des forces productives, comparée à ce qui est objectivement possible, étant donné le niveau de connaissance scientifique, de progrès technique et le niveau de prolétarisation de la société. " ([29] [53])

Ceci est bien sûr en accord avec les grandes lignes de la décadence des sociétés de classe dans la célèbre Préface à la Contribution à la critique de l'économie politique de Marx.

Pendant la période de reconstruction après la seconde guerre mondiale, beaucoup d'ouvriers, principalement dans les pays occidentaux bien sûr, ont fait l'expérience d'améliorations substantielles de leur condition matérielle, mais en aucun cas ces améliorations des conditions de vie ne peuvent être considérées comme des réformes réelles, à cause des coûts matériels qui leur sont associés. C'est-à-dire que ces améliorations ont été possibles sur la base de la destruction massive des forces productives pendant la seconde guerre mondiale et les profondes entraves à leur développement pendant la "guerre froide". Pendant la reconstruction le capitalisme détruisait à l'avance le futur de l'humanité, en même temps qu'il se préparait pour de plus grandes destructions encore dans le futur.

La réalité matérielle de la décadence donne donc tort à l'idée d'une crise finale, mortelle. Et les théories de Luxemburg et Grossmann sont indiscutablement celles de la crise mortelle car elles posent toutes les deux une limite économique absolue à l'accumulation capitaliste ; c'est-à-dire qu'elles prédisent que, enfin de compte, le capitalisme doit s'effondrer parce que l'accumulation devient littéralement impossible. En particulier, Luxemburg soutient que le capitalisme est prédisposé à la crise parce qu'il est impossible de réaliser la plus-value au sein du capitalisme ([30] [54]) ; Grossmann que la crise se produit parce que l'accumulation capitaliste mène inévitablement à un manque absolu de plus­ value.([31] [55])

C'est vrai que Luxemburg et Grossmann croient que, bien avant que l'accumulation capitaliste devienne impossible, l'intensi­fication de la lutte de classe résultant des difficultés économiques croissantes aura interrompu de toutes façons l'accumulation ([32] [56]). Néanmoins, comme ils voient toujours une limite économique absolue à l'accumu­lation capitaliste, ils soutiennent que le capitalisme va s'effondrer en fin de compte quelle que soit la lutte de classe.

La croissance zéro de fait du capitalisme entre la première et la seconde guerre mondiale a semblé à l'époque confirmer à la fois les théories de Luxemburg et Grossmann puisqu'elles tendent toutes les deux à identifier la décadence du capitalisme à une crise économique permanente. Cependant, l'expansion du capitalisme après la seconde guerre mondiale est la réfutation la plus solide de ces théories. Selon Luxemburg, les marchés pré-capitalistes solvables, sans lesquels l'accumulation capitaliste est impossible, ont été globalement épuisés par la première guerre mondiale. Et il est clair qu'il y a eu depuis une destruction continuelle de ces marchés. Logiquement, la croissance capitaliste NE PEUT PAS par la suite rejoindre, encore moins surpasser, celle atteinte avant la première guerre mondiale. A la lumière de sa théorie, il est donc inexplicable que la croissance capitaliste après la seconde guerre mondiale ait atteint substantiellement de plus hauts niveaux que ceux d'avant la première guerre mondiale, même en y incluant la production capitaliste improductive, comme le CCI l'admet lui-même. Comme Grossmann partage l'idée mécaniste de Luxemburg d'une limite économique absolue à l'accumulation capitaliste, logiquement sa théorie ne peut prendre en compte l'expansion du capitalisme après la seconde guerre mondiale SEULEMENT si le capitalisme était encore un système progressiste, c'est-à-dire qu'il n'était PAS encore décadent.

L'impossibilité des réformes réelles et d'une véritable auto-détermination nationale, la nature impérialiste de toutes les nations, la montée du capitalisme d'Etat, la nature réactionnaire de toutes les fractions de la bourgeoisie et la nature mondiale de la révolution communiste ; en bref, la décadence du capitalisme, NE PEUT PAS être réduite à l'impossibilité du développement capitaliste comme l'impliquent les théories des crises de Luxemburg et Grossmann, mais "ne peut être comprise qu'en lien avec le développement social comme un tout. " ([33] [57])

Aussi la crise permanente ne signifie PAS une crise économique permanente, c'est-à­dire que c'est seulement en rapport au "développement socialcnmme un tout "qu'on peut parler d'une crise permanente; mais c'est exactement ce que les théories des crises de Luxemburg et Grossmann impliquent.

Le cours véritable du développement capitaliste contredit les théories des crises de Luxemburg et Grossmann. La tentative de réconcilier ces théories avec l'évolution véritable du capitalisme ne peut mener qu'à des explications qui sont particulières, inconsistantes et contradictoires. En particulier, c'est une erreur flagrante de soutenir que la vision qu'il y a une limite économique absolue à l'accumulation capitaliste n'est pas une suite logique de ces théories. La vision marxiste de la décadence comme une entrave aux forces productives et la notion de limite économique absolue au capitalisme sont totalement incompatibles ; on ne peut pas souscrire de façon cohérente aux deux idées en même temps.

La distorsion du Capital par Luxemburg et Grossmann

 

Parce que la crise économique mondiale coïncide avec la division géographique du monde entier, il peut sembler qu'un manque de marchés extérieurs est la cause de la crise. Luxemburg prend cette apparence pour une réalité et entreprend de faire des révisions du Capital ([34] [58]) à la lumière de sa vision empiriste. En particulier, après avoir examiné le schéma de Marx de la reproduction élargie, elle conclut que l'accumulation capitaliste donne inévitablement naissance à un excédent absolu de plus-value. ([35] [59])

"Le problème qui semblait avoir été laissé ouvert était de savoir qui devait acheter les produits dans lesquels la plus value était contenue. Si les Secteurs 1 [moyens de production] et II [moyens de consommation] s'achètent l'un l'autre de plus en plus de moyens de production et de moyens de subsistance ce serait un mouvement circulaire sans fin duquel il ne sortirait rien. La solution residerait dans l'apparence d'acheteurs situés en dehors du capitalisme... " ([36] [60])

"L'erreur fondamentale de Luxemburg est qu'elle prend le capitalisme total pour un capitaliste individuel. Elle sous-estime ce capitaliste total. Donc elle ne comprend pas que le processus de réalisation se produit graduellement. Pour la même raison elle décrit l'accumulation du capital comme une accumulation de capital argent. " ([37] [61])

La confusion que fait Luxemburg entre le capitaliste total et le capitaliste individuel vient du fait qu'elle prête aux schémas de la reproduction élargie de Marx l'hypothèse de son schéma de la reproduction simple, à savoir que "le montant total de capital variable, et par conséquent aussi la consommation des ouvriers, doit rester fixe et constant. " ([38] [62])

« Mais exclure une telle hypothèse signifie exclure la reproduction é1argie dés le début. Si, cependant, on a exclu la reproduction élargie, dès le départ comme preuve logique, il devient naturellement facile de la faire disparaître à la fin, car ici on ne traite que de la simple reproduction d'une simple erreur logique. » ([39] [63])

Luxemburg donne l'argument incroyable que la plus value totale pour être accumulée doit correspondre à un montant égal d'argent pour que sa réalisation se produise. ([40] [64])

"A chaque moment, la plus value totale destinée à l'accumulation apparaît dans des formes variées : dans la forme de marchan­dise, d'argent, de moyens de production et de force de travail. Donc, la plus value sous forme argent ne peut jamais être identifiée à la plus value totale. " ([41] [65])

"De cela -comme nous le croyons- resulte la façon dont elle explique l'impérialisme. En effet, si le capitaliste total est égal au capitaliste individuel type, le premier ne peut donc, bien sûr pas être son propre consommateur. En outre, si le montant d’argent est équivalent à la valeur du nombre additionnel de marchandises, cet argent ne peut venir que du dehors (puisque c'est un non sens évident de supposer une production correspondante d'or). Finalement, si tous les capitalistes doivent réaliser leur plus value immédiatement (sans que celle-ci passe d’une poche à l'autre, ce qui est strictement interdit), ils ont besoin d'une «tierce personne», etc. " ([42] [66])

Cependant, même si elle avait réussi â montrer qu'un excédent de plus value survient sur la base de ce schéma, elle ne prouverait RIEN parce qu'elle tirerait des conclusions qui "dériveraient d'un schéma qui n'a pas de validité objective " ([43] [67]). C'est-à-dire que la principale erreur de Luxemburg est de penser que le schéma de Marx de la reproduction élargie est supposé décrire le capitalisme concret. ([44] [68])

« Dans un schéma de la reproduction construit sur des valeurs différents taux de profit peuvent apparaitre dans chaque département du schéma. Il y a en réalité, cependant, une tendance pour les différents taux de profit à être égalisés à des taux moyens, une circonstance qui est déjà contenue dans le concept des prix de production. Aussi si on veut prendre le.schéma comme une base pour critiquer ou admettre la possibilité de réalisation de plus value, il faudrait d’abord le transformer en un schéma de prix [de production] » ([45] [69])

Et ceci a la conséquence suivante :

« Si on prend en compte ce taux de profit moyen, l'argument de Rosa Luxemburg, de la disproportion perd toute valeur, puisqu'un secteur vend au dessus et l'autre en dessous de la valeur et, sur la base du prix de production, la partie indisponible de la plus value peut disparaitre. " ([46] [70])

Superficiellement, Grossmann semblerait suivre la théorie de la baisse du taux de profit de Marx parce qu'il utilise le schéma d'Otto Bauer, qui montre une composition organique croissante du capital dans les deux secteurs de la reproduction sociale. Cependant, ce schéma fait aussi l'hypothèse d'un taux de profit fixe et constant pour les deux secteurs ; par conséquent nous avons « deux conditions qui se contredisent complètement et se neutralisent l'une l'autre » ([47] [71]), « une impossibilité, voir une absurdite. » ([48] [72]) (Bien que ces hypothèses aient été valables pour montrer l'erreur du prétendu problème de réalisation de Luxemburg.)

Suivant ces hypothèses, en fin de compte, "il arriverait un point où la composition organique de la composition totale est si grande et le taux du profit si petit, qu'élargir le capital constant existant absorberait toute la plus value produite. " ([49] [73])

Dans l'analyse de Grossmann donc, la baisse du taux de profit est seulement un facteur qui accompagne, et non la cause de la crise.

« Comment un pourcentage, un pure chiffre tel que le taux de profit peut produire l’effondrement du vrai système ?... une chute du taux de profit est donc seulement un indice qui révèle la chute relative dans la masse de profit. «  ([50] [74])

Bien que son argument soit logiquement parfait, il part de prémisses fausses. Grossmann n'est pas conscient que, en utilisant le schéma de Bauer, il commet la même erreur que lui-même et Paul Mattick critiquent correctement chez Luxemburg : il tire des conclusions d'un schéma qui n'a pas de validité objective. Car si on veut prendre le schéma de Bauer comme une base pour critiquer ou admettre la possibilité d'une sous accumulation du capital, on devrait le transformer en un schéma des prix de production. Grossmann ne parvient pas à réaliser l'importance du fait que, dans le volume III du Capital, Marx analyse la chute du taux de profit après avoir examiné la transformation des valeurs en prix de production ; à savoir que comme ces derniers sont responsables du taux de profit moyen, la tendance du capitalisme vers la crise ne peut donc pas être déduite indépendamment de ce processus. Ce que Grossmann oublie est que le schéma de Bauer, en vertu de ses deux hypothèses contradictoires, exclut de cette façon le taux de profit moyen ; et que cela annule par conséquent toutes les conclusions qu'il tire.

De plus; non seulement Grossmann part de Marx en ignorant les conséquences du taux de profit moyen, mais il fait de même avec sa vision que les capitalistes sont forcés d'accroître le capital constant à cause de la "croissance de capital requise par la technologie. " ([51] [75]) Grossmann soutient que, "quand le taux de profit devient inférieur aux taux de croissance exigé par le progrès technique alors le capitalisme doit s'effon­drer. " ([52] [76]) Ce concept, qui est étranger à la fois au Capital et au marxisme en général, fournit à Grossmann la principale raison de pourquoi l'accumulation capitaliste avance inévitablement vers son effondrement. Dans cette théorie, par conséquent, la chute du taux de profit n'est pas la cause de la crise, mais bien un facteur qui l'accompagne. II tire la conclusion logique que le capital est exporté parce qu'il est impossible de l'utiliser à l'intérieur, alors qu'en réalité la raison en est que les profits sont plus élevés à l'extérieur. ([53] [77])

Les conclusions de Luxemburg et Grossmann sur la cause de la crise capitaliste et de la tendance historique de l'accumulation capitaliste sont donc dénuées de fondement, puisqu'elles découlent de schémas qui n'ont pas de validité objective. Ces schémas sont sans valeur pour une analyse de ces questions puisqu'ils sont basés sur des hypothèses qui sont absurdes historiquement et logiquement pour être résolues.

Ces théories erronées des crises proviennent de visions fragmentaires et unilatérales de l'accumulation capitaliste. Alors que Marx explique que la crise surgit de l'unité de la production, de la circulation et de la distribution de capital, Luxemburg et Grossmann séparent, respectivement, la circulation de capital et la production de capital du processus de production capitaliste comme un tout.

La révision des théories économiques de Marx par Luxemburg est plus grossière et plus extrême que celle de Grossmann. Elle est plus grossière à cause des erreurs élémentaires qu'elle commet sur l'accumulation capita­liste ; elle est plus extrême parce qu'elle voit l'obstacle fondamental à l'accumulation capitaliste en dehors de l'économie capitaliste alors que Grossmann est lui au moins d'accord avec Marx que la « véritable barrière de la production capitaliste c'est le capital lui­-même. "([54] [78]) Bien que Luxemburg succombe à l'empirisme dans son explication des contradictions de l'accumulation capitaliste, elle suit la méthode marxiste dans l'analyse du développement historique du capitalisme du point de vue du système capitaliste comme un tout. Plutôt que l'empirisme, l'interpré­tation de Grossmann de la crise capitaliste reflète une perspective idéaliste. Il soutient que la véritable cause de la crise capitaliste est l'image réfléchie de ce qu'elle semble être : la crise apparaît comme une surproduction de marchandises, c'est-à-dire un excédent absolu de plus value, donc la crise est effectivement due a un manque absolu de plus value. C'est vrai que Grossmann perçoit quelque peu la méthode du Capital mais cette perception est utilisée pour justifier sa vision idéaliste du capitalisme.

Seul Le Capital de Marx explique les contradictions fondamentales de l'accumulation capitaliste et donc les fondements économiques de l'ascendance et de la décadence capitalistes.

Conséquences politiques

 

"Nous vouloins dire que toute erreur au niveau des théories économiques tend à renforcer les erreurs découlant de l’ensemble des théories politiques d'un groupe. Toute incohérence dans les analyses d’un groupe peut ouvrir la porte à des confusions plus générales ; mais nous ne considérons pas qu'il y a des fatalités irrévocables... une analyse des fondements économiques de la décadence fait partie d'un point de vue prolétarien plus large, un point de vue qui exige un engagement actif pour 'changer le monde'... les conclusions politiques défendues par les révolutionnaires ne découlent pas de façon mécanique d'une analyse particulière des théories économiques..." ([55] [79])

A partir de là, je tire les conclusions suivantes :

La principale force des analyses de l'impérialisme de Boukharine ([56] [80]), Luxem­burg, Bilan, Paul Mattick ([57] [81]), la FFGC et le CCI est la reconnaissance de la nature globale de la décadence capitaliste. Réciproquement, la principale faiblesse des analyses de l'impérialisme de Pannekoek, Lénine, des bordiguistes et du BIPR est leur tendance, à des degrés divers, à voir le développement capitaliste du point de vue de chaque Etat pris isolément, de voir l'économie mondiale plus comme une somme d'économies nationales séparées, en d'autres termes, leurs analyses de l'impérialisme sont partiellement influencées par la théorie mécaniste erronée des stades de la Social-démocratie.

Les théorie économiques déficientes de Luxemburg entraînent une tendance à voir une différence absolue au lieu d'une différence qualitative entre le capitalisme ascendant et le capitalisme décadent. C'est parce que dans sa théorie de l'épuisement des marchés pré­capitalistes il y a logiquement un obstacle infranchissable à l'accumulation capitaliste. Le CCI, par exemple, trouve parfois difficile de "voir que les tendances qui ont provoqué la décadence capitaliste ne se sont pas simplement arrêtées au débat de la première guerre mondiale. " ([58] [82])

La théorie des crises de Grossman est d'accord avec celle de Luxemburg qu'il y a une limite absolue à l'accumulation capitaliste. Mais comme cette théorie soutient que cette limite absolue est entièrement due aux facteurs capitalistes internes, alors ce qu'impliquc logiquement l'expansion du capitalisme après la seconde guerre mondiale est que le capitalisme était encore dans sa période ascendante. En conséquence sa théorie entraîne une tendance à voir plutôt des différences quantitatives entre capitalisme ascendant et décadent.

Toutefois, plus que tout autre chose c'est la rigueur et la cohérence du programme politique du courant qui est l'influence déterminante sur la clarté et la pertinence des analyses. Aussi les théories économiques déticientes du CCI ont beaucoup moins d'effet défavorable sur la clarté de ses analyses qu'elles en auraient autrement, à cause de la force de son programme politique, un programmc qui tire toutes les conséquences de la décadence capitaliste.

A l'invcrse, c'est le programme politique du BIPR et, à un plus haut degré, des bordiguistes, qui contient des incohérences, des ambiguïtés et des erreurs. Ces faiblesses reflètent l'incapacité du premier courant à tirer toutes les conséquences de la décadence ([59] [83]) et des derniers à reconnaître que le capitalisme comme système global est complètement décadent([60] [84]). Ces courants, particulièrement les bordiguistes, tendent par conséquent aussi à voir plutôt des différences quantitatives entre capitalisme ascendant et décadent.

CA.

 

Note de la rédaction : lorsque nous n'avons pas trouvé la version des textes cités en français, la traduction de l'anglais en a été assurée par nos soins.

 


[1] [85] Marx a eu des positions contradictoires sur le moment de l'entrée en décadence. On trouve quelques prises de positions qui suggèrent qu'il croyait que les crises de son époque étaient les crises mortelles du capitalisme. D'autres qui suggèrent qu'il croyait qu'il faudrait encore des décennies. Il a aussi pensé que les travailleurs, pourraient arriver au pouvoir pacifiquement dans un petit nombre de pays. Mais ceci ne diminue en rien la validité de sa méthode ; la méthode dc Marx transcende les limitations du Marx révolutionnaire du 19° siècle.

[2] [86] Rosa Luxemburg, l’Accumulation du capital, Critique des critiques, publiée avec N.Boukharine, Impérialisme et accumulation du capital, trad., en anglais Rudolph Wichmann, Monthly Review Press, New York (1972).

[3] [87] Karl Marx, Le Capital, Vol I, trad. en anglais Ben Fowkes, Penguin Books, Harmondsworth (1976), p. 102.

[4] [88] Ibid.

[5] [89] Paul Mattick, Value and capital, Marxism : Last refuge of the bourgeoisie, Merlin Press, London (c.1983), p.74

[6] [90] Ibid., p.75

[7] [91] Ibid., p.94.

[8] [92] Ibid.,p.74.

[9] [93] Henryk Grossmann, The law of accumulation and breakdowu of the capitalist system ; being also a theory of crisie, translated and abridged by Jainus Banaji, Pluto Press, London (1992) and I.I.Rubin, Essays on Marx's theory of Value, Black and Rose Books, Montreal (1975).

[10] [94] I.I.Rubin,op.cit.,p.248.

[11] [95] Ibid.

[12] [96] Ibid.

[13] [97] Roman Rosdolsky, "Appendix II: Methodological comments on Rosa Lusemburg", The making of Marx's capital, Pluto Press, London (1980), pp. 61-72.

[14] [98] Marx, op.cit., p.433.

[15] [99] Ibid. p.433.

[16] [100] Le Capital, Livre I, 4° section, chap.XII, Ed. La Pléiade, p.853.

[17] [101] H.Grosmann, quoted in Paul Mattick, "Luxemburg verss Lenin ", Anti bolshevik communism, Merlin Press, London (1978), p.37.

[18] [102] Anton Pannekoek, "The theorie of the collaps of capitalism” , Capital and Class I, London (spring 1977), p.64.

[19] [103] David S. Yaffe, "The marxian theory of crisis, capital and the state", Economy and society, vol.2., n° 2, p.210.

[20] [104] « Correspondance : satured market and decadence”, Internationalism 20, p.19.

 

[21] [105] Karl Marx, Le Capital Livre 3, Chap. XV, Editions sociales, 1976.

[22] [106] Leon Trotsky, quoted in Raya Dunayevskaya, Marxism and freedom : From 1976 Until today, Photo Press (1975 ), p. 132.

[23] [107] D.S. Yaffe, op.cit. , p.204.

[24] [108] Paul Mattick, "Marx’s crisis theory » ,Economic crisis and crisis theory, Merlin Press, London (1981), p.76.

[25] [109] Rosa Luxemburg, La crise de la social­-démocratie, Brochure de Junius.

[26] [110] Boukharine, L'impérialisme et l'accumulation du capital, EDI, Paris 1977.

[27] [111] "La signification de la décadence ", Révolu­tionary Perspectives 10 (Old series), p.12.

[28] [112] Plate-forme du CCI.

[29] [113] RP 10, op.cit.

[30] [114] Rosa Luxemburg. Ibid.

[31] [115] op.cit., p.20.

[32] [116] Rosa Luxemburg, op.cit., p.146-147. H.Grossmann, cité dans l'introduction de Tony Kennedy. Henryk Grossmann, op.cit., p.20.

[33] [117] Paul Mattick, “Marx’s crisis theory”. op.cit. p.76.

[34] [118] Rosa Luxemburg est restée une révolutionnaire marxiste malgré ses distorsions des théories économiques de Marx.

[35] [119] « The accumulation of contradiction (ou les conséquences économiques de Rosa Luxemburg) » . RP 6 (Old series ), pp.5-27.

[36] [120] Pannekoek,op.cit.p.64.

[37] [121] N.Boukharine, Impérialisme et..., p.201-202

[38] [122] Paul Sweezy,The theory of capitalist developement : Principles of marxian political economy, Monthly review press, New York (1964), p.20.

[39] [123] Boukharine,op.cit.,p.166.

[40] [124] Revolutionary Perspective 6(Old serie).op.cit., p. 15.

[41] [125] Boukharine, op.cit. p. 180.

[42] [126] Ibid., p.202.

[43] [127] Paul Mattick, “Luxemburg versus Lenin”, Anti bolshevik conununism. Merlin press,( 1978). p.38. 44.

[44] [128] Ibid. p.37.

[45] [129] Henryk Grossmann, quoted in Paul Mattick, op.cit., p.37.

[46] [130] Paul Mattick, op.cit. p.38

[47] [131] Rosa Luxemburg, op.cit. p.99.

[48] [132] Paul Mattick, "The permanent crisis , Council correspondence, Nov. 1934, n°2. New Essay,. vol.1, 1934-35? Greenwood Reprint Corporation, Westport. Connecticut ( 1970), p.6.

[49] [133] « The economic foundations of  capitalist decadence”, RP 2 (Old séries), p.27.

[50] [134] Grossmann,op.cit.,p.103.

[51] [135] Pannekoek, op.cit., p.69.

[52] [136] Ibid. p.69.

[53] [137] Ibib., p.73

[54] [138] Karl Marx, Capital, vol III, p.358.

[55] [139] « Marxisme et théories des crises », International Review 13, p.35.

[56] [140] Avant sa dégénérescence politique au début des années 1920, comme cela est déjà évident dans Impérialisme et accumulation du capital.

[57] [141] Pendant la "guerre froide", l'analyse de Mattick a été obscurcie par des ambiguités et des inconsistances.

[58] [142] « Les bases matérielles de l'impérialisme : une brève réponse au CCI » , International Communist Review      13, p. 13.

[59] [143] Le BIPR tente de justifier cela par leur argumcnt de l' "autonomie"des tactiques à partir du programme politique comme dans le Préambule à ses « Thèses sur la tactique communiste dans la périphérie du capitalisme », International Communist 16.

[60] [144] Le dogme de « l’invariance du programme ».

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [12]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur la décadence [145]

Questions théoriques: 

  • Décadence [146]
  • L'économie [1]

Théories des crises et décadence : Notre réponse, I

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Les convulsions économiques actuelles, la vague de licenciements qui frappe tous les travailleurs du monde et principalement ceux des pays les plus industrialisés, n'est pas sans semer de larges doute,., par rapport à la propagande assourdissante qui ne cesse de parler de la "bonne santé" et des "radieuses perspectives" de ce système social, justifiant une certaine inquiétude quant à son devenir.

En discuter, voir quelles sont les théories existant dans le mouvement révolutionnaire et quelle est celle qui parvient à l'explication la plus cohérente de l'état de choses actuel et sur ses perspectives, est en conséquence de la plus grande importance. La correspondance que nous publions ici s'inscrit dans ce sens. Le camarade ne nourrit pas le moindre doute quant à la décadence du capitalisme. Son point de départ est la position fondamentale issue du premier congrès de l'Internationale communiste : « Une nouvelle époque est née. Epoque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Epoque de la révolution communiste du prolétariat (...). La période actuelle est celle de la décomposition et de l'effondrement de tout le stystème capitaliste mondial et qui sera celle de l’effondrement de la civilisation européenne en général, si on ne détruit pas le capitalisme avec ses contradictions indissolubles. » Il partage aussi les positions politiques qui découlent de cette analyse historique : « L'impossibilité de réformes autentiques et de l’autodétermination nationale, la nature impérialiste de toutes les nations, la nature réactionnaire de toutes les fractions de la bourgeoisie, la nature mondiale de la révolution prolétarienne. » Dans le même sens, il affirme que « la principale force des analyses de l'impérialisme de Boukharine, Luxemburg, Bilan, Mattick, de la Gauche communiste de France et du CCI se trouve dans la reconnaissance du caractère global de la décadence capitaliste » et il insiste sur l'importance essentielle de voir le capitalisme dans sa totalité et non abstraitement ou partiellement, mettant en évidence que malgré les critiques qu'il nous adresse, « par dessus tout, c'est la rigueur et la cohérence du programme politique du Courant qui influe de façon déterminante dans la clarté et la perspicacité de ses analyses ».

Dans ce cadre, le camarade rejette la thèse de Rosa Luxemburg sur l'explication théorique de la crise capitaliste, et il pense que le CCI tombe dans le dogmatisme sur cette question, affirmant que Marx « n'explique la crise capitaliste qu'uniquement en termes de baisse du taux de profit, parce que cette dernière englobe le processus total de l'accumulalion capitaliste. »

Notre réponse ne va pas aborder toutes les questions que pose le camarade. Nous nous limiterons à exposer quels sont les problèmes concrets auxquels répondent les deux théories qui se sont essentiellement développées dans le mouvement marxiste pour expliquer la crise historique du capitalisme (la tendance à la baisse du taux de profit et la tendance à la surproduction) ; nous tenterons de démontrer qu'elles ne sont en rien contradictoires et que d'un point de vue global et historique, précisément, c'est la tendance à la sur­production qui se dégage des propres travaux de Marx et fut plus tard développée par Rosa Luxemburg ([1] [147]) -, qui permet l'explication la plus juste et qui intègre la tendance à la baisse du taux de profit de façon cohérente. Dans le même sens, nous tenterons d'éclaircir une série de malentendus quant aux analyses de Rosa Luxemburg.

 La baisse tendancielle du taux de profit

Le capitalisme a développé de façon prodigieuse la productivité du travail humain sur tous les plans de l'activité sociale. Les transports, par exemple, qui sous la féodalité étaient limités aux méthodes lentes du cheval, de la charrette et du bateau à voiles, ont été développés par le capitalisme jusqu'aux incroyables vitesses atteintes successivement par le chemin de fer, le bateau à vapeur, l'avion et le train à grande vitesse. Le Manifeste du Parti cornrrtuni.sle rend compte de cet énorme dynamisme du système capitaliste :

« Elle [la bourgeoisie] a réalisé bien d'autres merveilles que les pyramides d'Egypte, les aqueducs romains et les cathédrales gothiques, elle a conduit bien d'autres expéditions que les grandes invasions et les croisades (...)

« Par son exploitation du marché mondial, la bourgeoisie a rendus cosmopolites la production et la consommation de tous les pays. Pour le plus grand regret des réactionnaires, elle a retiré à l'industrie sa base nationale. (...)

« Par l'amélioration rapide de tous les instruments de production, par les commu­nications rendues infiniment plus faciles, la bourgeoisie entraîne toutes les nations, jusqu'aux plus barbares, dans le courant de la civilisation. Le bas prix de ses marchandises, est son artillerie lourde, avec laquelle elle rase toutes les murailles de Chine, avec laquelle elle contraint à capituler les barbares xénophobes les plus entêtés. »

Pour cette raison, alors que « la conservation de l'ancien mode de production était (...) la première condition d'existence de toutes les classes industrielles du passé », la bourgeoisie au contraire « ne peut exister sans révolutionner toujours plus avant les instruments de production, donc les rapports de production, donc l'ensemble des rapports sociaux. »

Les adulateurs du capital soulignent unilatéralement cette caractéristique du système en l'attribuant à "l'esprit d'entre­prise", à la fougue "innovatrice" que la liberté de commerce aurait soi-disant libérée chez les individus. En reconnaissant à sa juste mesure la contribution historique du capitalisme, Marx démonte cependant ces chants de sirène.

Pour commencer, il met en évidence la base matérielle de ces prodigieuses transfor­mations. Le capitalisme contient une tendance permanente à ce que le capital constant (les machines, les immeubles, les installations, les matières premières...) croisse proportion­nellement davantage que le capital variable (le travail des ouvriers). Celui-là est la coagulation d'un travail réalisé antérieure­ment, c'est-à-dire un travail mort, alors que celui-ci met en mouvement ces moyens pour créer de nouveaux produits, c'est le travail vivant. Dans le capitalisme, le poids du travail mort tend à être toujours plus lourd au détriment du travail vivant. En d'autres termes, le capital constant (travail mort) croît proportionnellement davantage que le capital variable (travail vivant). C'est ce qu'on appelle la tendance à l'augmentation de la composition organique du capital.

Quelles sont les conséquences sociales et historiques de cette tendance ? Marx les met en évidence, révélant le côté obscur et destructeur de ce que les propagandistes du capital présentent unilatéralement comme le Progrès, avec une majuscule. En premier lieu, il engendre une tendance permanente au chômage, qui tend à devenir chronique avec la décadence du capitalisme ([2] [148]). Mais il démontre aussi que l'accroissement de la composition organique du capital signifie globalement que la masse de travail vivant tend à décroître, et avec elle la source des bénéfices des capitalistes, la plus-value arrachée aux ouvriers ; comme le signalait Mitchell dans l'article déjà cité : « une seule consommation l'émeut [le capitalisme], le passionne, stimule son énergie et sa volonté, constitue sa raison d'être : la consommation de la force de travail! ». Selon les propres termes de Marx, « l'augmentation progressive du capital constant pur rapport au capital variable doit nécessairement avoir pour effet une baisse graduelle du taux de profit général, ou degré d'exploitation du travail par le capital, restant le même » (Le Capital, Vol. lll, Sect. 3, Ch. IX "Définition de la loi "). En d'autres termes, le développement de la productivité du travail qui se traduit par l'accroissement de la composition organique du capital a comme contrepartie la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. C'est pour cela que Mitchell peut affirmer que « la loi de la baisse tendancielle du taux de profit est génératrice de crises cycliques et sera un puissant ferment de décomposition de l'économie capitaliste décadente. » ([3] [149])

 Les limites de la baisse tendancielle du taux de profit

 Au 19° siècle, époque historique d'expansion et d'apogée du capitalisme, où l'humanité stupéfiée assistait à une interminable succession d'inventions et de progrès qui transformaient tous les aspects de la vie sociale, Marx, de façon rigoureusement scientifique, fut capable de voir dans ces progrès les facteurs de la future crise historique et de la décomposition d'un système qui en était encore à son zénith. Il fut le premier à découvrir cette loi et systématisa ses conséquences historiques possibles. Et sa rigueur et sa méticulosité l'amenèrent précisément à voir aussi les limites de cette loi, les facteurs qui la contrecarraient et ses propres contradictions : « Si l'on considère le développement énorme des forces productives du travail social, ne fût-ce que dans les trente dernières années (..) alors la difficulté que les économistes ont rencontrée jusqu 'ici n'est pas d'expliquer la baisse du taux de profit comme telle, mais plutôt les raisons pain­lesquelles cette baisse n 'u pas été plus importante ni plus rapide. Des influences contraires interviennent sans doute, qui contrarient, voire annulent, l'effet de la loi générale, et qui la réduisent à une simple tendance ; c'est d'ailleurs pourquoi nous avons caractérisé la baisse du taux général du profit comme une baisse tendancielle. » Ce questionnement débute le Chapitre X de la Section 3 du Volume III du Capital, et s'intitule « Influences contraires. » Dans ce chapitre, Marx énumère six « influences contraires » :

a) L'intensité croissante de l'exploitation du travail

b) L'abaissement du salaire

c) la diminution de prix des éléments du capital constant

d) la surpopulation relative

e) le commerce extérieur

f) l'accroissement du capital-actions.

Dans les limites de cet article, nous ne pouvons faire une analyse en profondeur de ces "influences contraires ", de leur portée ni de leur validité. Mais nous devons souligner la plus importante : si le taux de bénéfices décroît, le taux de plus-value tend à augmenter ([4] [150]), c'est-à-dire que les capitalistes tentent de compenser la baisse de leurs bénéfices en augmentant l'exploitation de l'ouvrier. Contre les thèses partisanes des bourgeois, syndicalistes et économistes selon lesquelles le progrès technique et la productivité diminueraient l'exploitation, Marx signale que « la baisse tendancielle du taux de profit va de pair avec une hausse tendancielle du taux de plus-value, donc avec un accroisse­ment du degré d'exploitation du travail. Dés lors, quoi de plus absurde que d'expliquer la baisse du taux de profit par une hausse du taux de salaire, bien que cela puisse arriver quelquefois, à titre exceptionnel. Il faut d'abord comprendre les conditions qui forment le taux de profit, avant que la statistique puisse permettre de vraies analyses du taux de salaire à différentes époques et dans différents pays. Le taux de profit ne baisse nullement parce que le travail devient improductif mais parce qu'il devient plus productif » (Le Capital, Vol. III, Sect. 3, Ch. V, « Le commerce extérieur »)

C'est là la réalité de tout le 20° siècle, au cours duquel le capitalisme a férocement intensifïé l'exploitation de la classe ouvrière : « Il faut remarquer que malgré une certaine baisse par rapport à ceux du siècle dernier, les taux de profit actuels se sont maintenus a une valeur appréciable de l'ordre de 10% - maintien qui est essentiellement imputable à la formidable augmentation du taux d’exploitation subie par les travailleurs : sur une même journée de 10 heures, si l'ouvrier du 19° siècle en travaillait 5 pour lui et 5 pour le capitaliste (rapports fréquemment envisages par Marx), l'ouvrier actuel en travaille une pour lui et 9 pour le patron. » ([5] [151]) (Révolution internationale ancienne série, n° 7, "la crise : allons-nous vers un nouveau 29 ? ")

Ainsi « cette théorie des crises [celle qui les explique par la baisse tendancielle du taux de profit] présente l'intérêt de dégager le caractère temporaire du mode de production capitaliste et la gravité sans cesse accrue des crises qui secoueront la société bourgeoise. Avec une telle vision, on peut donc partiellement interpréter le changement qualitatif qui s'est produit entre le 19° et le 20° siècle dans la nature des crises : la gravité croissante des crises trouverait son explication dans l'aggravation de la tendance à la baisse du taux de profit mais cette vision ne suffit pas à notre avis à tout expliquer et en particulier à trouver une réponse satisfaisante aux deux questions : 1) pourquoi les crises se présentent-elles sous la forme d'une crise de marché ? 2) pourquoi à partir d'un certain moment, les crises n'ont-elles pu que déboucher sur la guerre alors qu'auparavant, elles trouvaient une solution pacifique ? » (idem)

Le rôle du marché

 Le capitalisme ne se caractérise pas uniquement par sa capacité à augmenter la productivité du travail. Sa caractéristique essentielle se trouve en réalité dans la généralisation et l'universalisation de la production marchande : "Bien que la marchandise ait existé dans la plupart des sociétés, l'économie capitaliste est la première qui soit basée fondamentalement sur la production de marchandises. Aussi 1'existence de marchés sans cesse croissants est-elle l'une des conditions essentielles du développement du capitalisme. En particulier, la réalisation de la plus-value produite par l'exploitation de la classe ouvrière est indispensable à l'accumulation du capital, moteur essentiel de la dynamique de celui­ ci. " (Plate-forme du CCI, point 3). Le capitalisme n'est pas le fruit d'artisans intelligents ou d'innovateurs géniaux, mais celui des marchands. La bourgeoisie surgit en tant que classe de commerçants et elle a eu recours tout au long de son histoire -aujourd'hui y compris - à des formes de travail de productivité très réduite :

-  elle profite de l'esclavage pendant une bonne partie du 19° siècle ;

- elle emploie massivement encore aujour­d'hui le travail forcé des détenus, comme le montre la première concentration indus­trielle du monde, les Etats-Unis ([6] [152]) ;

- elle continue à exploiter le travail domestique ;

- elle a utilisé pendant de longues périodes diverses formes de travail forcé ;

- le travail des enfants est aujourd'hui en pleine expansion.

La raison d'être du capitalisme est le bénéfice maximum, qui trouve son cadre global dans le marché. Il faut cependant préciser les termes de "marché" et de "production mercantile."

Les économistes bourgeois présentent le marché comme un monde "de producteurs et de consommateurs", comme si le capitalisme était un simple système d'échanges de marchandises dans lequel chacun vend afin de pouvoir acheter le nécessaire pour subvenir à ses besoins. La base du capitalisme se trouve dans le travail salarié, c'est-à-dire dans l'exploitation de cette marchandise spéciale qu'est la force de travail, dans le but d'en tirer le maximum de bénéfice. Ceci détermine une forme spécifique d'échange caractérisée par ces caractéristiques :

1. Elle se réalise à grande échelle, rompant avec le cadre étroit de la région ou même de la nation.

2. Elle perd tout lien avec le troc ou même le simple échange de marchandises propre aux petites communautés locales de producteurs pour prendre mie forme universelle basée sur l'argent.

3. Elle est au service de la formation et de l'accumulation du capital.

4. Comme condition même de son existence ne pouvant trouver de point d'équilibre, elle a besoin de se développer constamment.

Il est certain que le marché n'est pas le but de la production capitaliste. Celle-ci ne se réalise pas pour satisfaire les besoins de consomma­tien des acheteurs solvables, mais pour extirper de la plus-value à une échelle toujours plus ample. Il n'y a malheureusement pas d'autre moyen pour matérialiser la plus-value que de passer par le marché, comme il n'y a pas d'autre moyen d'obtenir une plus-value toujours plus ample qu'en amplifiant le marché.

Au sein du mouvement révolutionnaire, les tenants de l'explication de la crise exclusive­ment par la baisse tendancielle du taux de profit, comme le camarade, tendent à relativiser ou à nier purement et simplement le rôle du marché dans la crise du capitalisme. Ils allèguent que le marché n'est jamais que le reflet de ce qui se passe sur le terrain de la production. Selon eux, les proportionnalités entre les divers secteurs de la production capitaliste (essentiellement le secteur I des moyens de production et le secteur II des moyens de consommation) se manifestent dans l'équilibre ou les déséquilibres du marché.

Ce schéma abstrait néglige totalement les conditions historiques dans lesquelles croît et se développe le capitalisme. S'il était concevable de voir le marché comme une foire médiévale où les producteurs exposent le fruit de leurs récoltes ou de leurs productions artisanales à des consommateurs qui cherchent à compléter ou à troquer ce qui leur manque pour leur subsistance, alors effectivement le marché serait le reflet de ce qui se passe dans le domaine de la production. Mais le marché capitaliste ne ressemble en rien à cette image d'Epinal. Sa base principale est l'expropria­tion des producteurs directs, les séparant de leurs moyens de subsistance et de production, les convertissant en prolétaires et les soumettant progressivernent, à partir de là, au système de l'échange mercantile. Ce mouvement de lutte contre les formes économiques précapitaliates se réalise dans et par le marché, et peut s'étendre sans rencontrer d'obstacle décisif tant qu'existent sur le globe des territoires de dimension suffisante, non soumis à la production capitaliste.

Marx et la question du marché

 Les partisans de la baisse tendancielle du taux de profit affirment souvent que Marx n'a pas pris en compte la question du marché à l'heure d'analyser la cause des crises du capitalisme. Une analyse sommaire de ce que Marx a réellement dit dans le Capital comme dans d'autres oeuvres montre qu'il n'en est rien.

1. Il commence par affirmer la nécessité pour les marchandises de se vendre pour que se réalise la plus-value et se valorise le capital. « A mesure que le processus se développe, qui s'exprime dans la baisse du faux de protif, la masse de plus-value ainsi produite s’accroît immensément. Vient alors le second acte du processus. Il faut que toute la masse des marchandises, le produit total, aussi bien la partie qui représente le capital constant, que celle qui représente la plus-value, se vende. »

(Le Capital, Vol. III, Sect. 3, Conclusions : « les contradictions internes de la loi ») Il affirme en outre que « si la vente ne s'opère pas ou bien qu'elle ne s’opère que partiellement ou à des prix inférieurs au prix de production, il y a bien eu exploitation de l'ouvrier, mais elle n’est pas réalisée comme telle pour le capitaliste : elle peut même aller de pair avec l’impossibilité totale ou partielle de réaliser la plus-value extorquée, voire de la perte total ou partielle du capital. » (idem)

L'extraction de plus-value n'est pas la fin du processus de production capitaliste, encore faut-il vendre les marchandises pour réaliser la plus-value et valoriser le capital. Dans le Livre 1, Marx nomme cette seconde partie « le saut mortel de la marchandise ». L'extraction de plus-value (qui détermine un taux moyen de bénéfice à partir du niveau atteint par la composition organique du capital) est une unité avec la réalisation de la plus-value qui est déterminée par la situation générale du marché mondial.

2. Il définit le marché comme étant le cadre global pour réaliser la plus-value. Quelles sont les conditions de ce marché ? Est-il une simple manifestation externe, la forme épidermique d'une structure interne détermi­née par la proportionnalité entre les différentes branches de la production et la composition organique générale ? C’est l'idée de ceux qui parlent de la « méthode abstraite de Marx » et qui accusent d'empirisme toute tentative de parler de "marché" ou de choses aussi prosaïques que de la nécessité de "vendre" les marchandises. Marx ne les suit heureuse­ment pas sur ce terrain : « Les conditions de l 'exploitation directe et celles de sa réalisation ne sont pas les mêmes : elles diffèrent non seulement de temps et de lieu, mais même de nature. Les unes n'ont d'autre limite que les productives de la société, les autres la proportionnalité des différentes branches de la production et le pouvoir de consommation de la société. » (idem)

3. Il met en évidence que les rapports de production capitalistes, basés sur le travail salarié, déterminent les limites historiques du marché capitaliste. Mais qu'est-ce qui détermine ce « pouvoir de consommation de la société » ? « Celui-ci n 'est déterminé ni par la force productive absolue ni par le pouvoir de consommation absolue : il l'est par le pouvoir de consommation, qui a pour base des conditions de répartition antagoniques  qui réduisent la consommation de la grande masse de la société à un minimu variable dans des limites plus ou moins étroites. » (idem)

Le capitalisme est une société de production marchande basée sur le travail salarié. Ce dernier détermine une certaine limite à la capacité de consommation de la grande majorité salariée de la société : le salaire doit plus ou moins osciller autour du coût de la reproduction sociale de la force de travail. C'est pour cela que Marx affirme catégorique­ment dans le Capital que « la raison ultime de toutes les crises réelles, c'est toujours la pauvreté et la consommation restreinte des masses, face à la tendance de l'économie capitaliste à développer les forces productives, comme si elles n'avaient pour limite que le pouvoir de consommation absolu de la société » (idem, Chap.XVII, La pléiade, p. 1206). Cette capacité de consommation de la grande masse « est, en autre, restreint par le désir d'accumuler, la tendance a augmenter le capital et à produire de la plus-value sur une échelle plus étendue. C'est une loi de la production capitaliste qu'impose le boule­versement continuel des méthodes de production, par la dépréciation concomitante du capital existant, la concurrence générale et la nécessite d'améliorer la production et d'en étendre l'échelle, ne fût-ce que pour la maintenir, et sous peine de courir à la ruine. » (idem)

4. Il conçoit la nécessité de l'élargissement constant du marché dans la perspective de la constitution du marché mondial. Marx considère inévitable l'amplification constante du marché, condition de l'accumulation capitaliste : « Il faut, par conséquent, constamment élargir le marché, si bien que ses interrelations et les conditions qui les règlent prennent de plus en plus la forme d'une loi naturelle indépendante des producteurs et deviennent de plus en plus incontrôlables. C'ette contradiction interne tend à être compensée par l'extension du champ extérieur de la production. Mais, plus !es foces productives se développent, plus eles entrent en conflit avec les fondements étroits sur lesquels reposent les rapports de consommation. Il n'est nullement contradictoire, sur cette base remplie de contradictions, qu'un excès de capital soit lieà un excès croissant de population. Bien que la combinaison des deux puisse accroitre la masse de la plus-value produite, la contradiction entre les conditions où cette plus-value est produite et les conditions où elle est réalisée s'en trouverait accrue. » (idem)

Il considère que la formation du marché mondial est la tâche historique fondamentale du capitalisme : « Talonnée par le besoin de débouchés toujours plus étendus pour ses produits, la bourgeoisie gagne la terre entière. Il lui faut se nicher partout, s'installer partout, créer partout des relations. » (Manifeste du Parti communiste) Lénine va d'ailleurs dans le même sens : « L'important est dans 1’impossibilité de survie et de développement du capitalisme sans étendre constamment sa sphère de domination, sans coloniser de nouveaux pays, sans incorporer d'anciens pays non capitalistes au tourbillon de l'oconomie mondiale. » (Le développement du capitalisme en Russie).

5. Il donne une grande importance au marché sur la question de la formation des crises. Mais cette tendance conduit en même temps à l'aggravation de ses contradictions par ses propres rapports de production basés sur le travail salarié : « Si le mode de production capitaliste est, par conséquent, un moyen historique de développer la puissance matérielle de la production et de créer un marché mondial approprié, il est en même temps la contradiction permanente entre cette mission historique et les conditions correspondantes de la production sociale. » (idem) C'est pour cela que l'évolution du marché est la clé du surgissement des crises « Admettre que le marché doit s'élargir avec la production, c’est d’un autre point de vue, admettre la possibilité de la surproduction, parce que le marché est limité extérieurement géographiquement... Il est parfaitement envisageable que les limites du marché ne puissent s'élargir suffisemment vite pour la production ou bien que les nouveaux marchés soient si rapidement absorbés par celle-ci que le marché élargi devienne une entrave pour la production comme l'était le marche antérieur plus limité. »

Il pose la question dans le Manifeste du parti communiste : « Dans les crises éclate une épidémie sociale qui serait apparue à toutes les époques antérieures comme une absur­dité : l'épidémie de la surproduction. La société se trouve brusquement ramenée à un état de barbarie momentanée ; on dirait qu'une famine, qu’une guerre générale d’anéantissement lui ont coupé tous les moyens de subsistance : l'industrie, le commerce semblent anéantis, et pourquoi ? Parce qu'elle possède trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne servent plus à faire avancer la civilisation bourgeoise et les rapports de propriété bourgeois : au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ces rapports, ils sont entravés par elles ; et dès qu'elle surmontent cet obstacle, elles portent toute la société bourgeoise eu désordre, elles mettent en péril l'existence de la société bourgeoise. Les rapports bourgeois sont devenus trop étroits pour contenir les richesses qu'elles ont produites. Par quel moyen la bourgeoisie surmonte -t-elle les crises ? D’une part par l’anéantissement forcé, d'une masse de forces productives, d’autre part par la conquête de nouveaux marchés et 1'exploitation plus poussée des anciens. Par quel moyen donc ? En préparant des crises plus étendues et plus violentes et en diminuant les moyens de les prévenir. »

Cet élément est très important pour comprendre les causes de la crise historique du capitalisme, de sa décadence irréversible. Alors que dans des modes de production antérieurs les crises étaient des crises de sous-production (famines, sécheresse, épidémies... ), les crises capitalistes sont les premières de l'histoire a être des crises de surproduction. La misère de la majorité ne trouve pas son origine dans la pénurie de moyens de consommation mais dans leur excès. Le chômage et les fermetures d'usine ne sont pas dus à la pénurie de biens ou à l'absence de machine mais à leur profusion. La destruction et la destruction, la menace de l'effondrement dans la barbarie, sont le fruit de la surproduction. Ceci nous montre aussi la base du communisme, la tâche de la société future : orienter les forces productives vers la pleine satisfaction des besoins humains, libérant l'humanité du joug du travail salarié et du marché.

La contribution de Rosa Luxemburg

 Marx avait étudié les deux faces dont est constitué, dans sa globalité, le système capitaliste. Une face est la production de plus-value et de ce point de vue le taux de profit, le développement de la productivité du travail et la tendance à la baisse tendancielle du taux de profit sont déterminants. Mais l'autre face est celle de la réalisation de la plus-value, et ce qui intervient de coté-ci c'est le marché, les limites imposées par les rapports de production eux-mêmes, rapports basés sur le travail salarié et le besoin de conquérir de nouveaux marchés autant pour réaliser la plus-value qu'en vue d'en obtenir de nouvelles sources (séparation de la part des producteurs de leurs moyens de production et de vie et leur intégration dans le travail salarié).

Les deux faces, ou pour le dire plus précisément, les deux contradictions, contiennent les prémisses des convulsions qui amènent le capitalisme à sa décadence et à la nécessité pour la classe ouvrière de le détruire et d'instaurer le communisme. Globalement, Marx a fait une formulation plus élaborée sur la première "face", mais, comme nous venons de le voir, il adonné une grande importance à la deuxième face.

On peut aisément comprendre ce déséquilibre en analysant les conditions historiques dans lesquelles Marx vivait et luttait. Entre 1840 et 1880, la période où Marx mène son activité militante, le trait dominant de la production capitaliste est celui d'une accélération prodigieuse des découvertes techniques, et le développement chaque fois plus étendu de l'industrie. A la suite des exagérations de 1848, quand le Manifeste prévoyait une crise économique quasi définitive, Marx et Engels s'engagent sur une analyse plus circonspecte, en tenant compte de tous les facteurs et en faisant une recherche étendue sur la "radiographie de la société."

D'un coté, la bataille principale contre les économistes ct les idéologues de la bourgeoisie avait deux axes : montrer la base matérielle de la production - l'exploitation de l'ouvrier, l'extraction de la plus-value - et montrer le caractère historiquement limité du régime de production capitaliste. Sur ce dernier aspect, ils ont centré sur la démonstration du fait que la tendance la plus encensée par les chantres du capitalisme - la progression de la force productive du travail - contenait en elle ­même les germes de la crise et les convulsions définitives du système - la baisse tendancielle du taux de profit.

D'un autre coté, le problème de la réalisation de la plus-value, même s'il pointait après chaque crise cyclique, n'apparaissait pas comme le problème historique décisif: En 1850, seulement 10% de la population mondiale vivait sous le régime capitaliste et les capacités d'extension du système apparaissaient comme infinies et illimitées : chaque crise cyclique débouchait sur une nouvelle extension du monde capitaliste. Malgré cela, Marx a su apercevoir la gravité que tout cela contenait et montrer la contradiction sous-jacente entre la tendance du capitalisme à produire de manière illimitée et la nécessité inhérente à sa propre structure de contenir dans des limites la consommation de la grande majorité de la population.

La situation change radicalement pendant la dernière décenniedu 19° siècle. Le phénomène de l'impérialisme surgit, les guerres impérialistes s'aggravent, débouchant sur l'effroyable boucherie de 1914. C'est ainsi que la question théorique fondamentale pour comprendre la crise historique du capitalisme est celle de la réalisation de la plus-value et non pas simplement sa production : « On constate la ruée du capital vers les pays non capitalistes, depuis le début du capitalisme et au cours de tout son développement. On la voit s'accentuer, jusqu'à devenir depuis un quart de siècle, dans la phase impérialiste, le facteur dominant de la vie sociale. » (Rosa Luxemburg, Oeuvres IV, L'accumulation du capital, II, "Critique des critiques", page 148)

Rosa Luxemburg aborde ce problème avec une méthode historique. Elle ne se pose pas, comme le prétendent ceux qui la critiquaient, une question conjoncturelle du genre : comment trouver des « tierces personnes », ni capitalistes ni ouvriers, pour faire un débouché des marchandises qu'on arrive pas à vendre ? Elle se pose une question globale : quelles sont les conditions historiques de l'accumu­lation capitaliste? Sa réponse est: « le capitalisme se présente à son origine et se développe historiquement dans un milieu social non capitaliste. En Europe occidental, il baigne d'abord dans le milieu féodal dont il est issu – l’économie de servage de dans la campagne, l'artisanat de corporation à la ville - puis, une fois la féodalité abattue, dans un milieu à la fois paysan et artisan, où par conséquent l'économie marchande simple règne dans l’agriculture, comme dans l'artisanat. En outre, hors d'Europe, le capitalisme européen est entouré de vastes territoires où se rencontrent toutes les formes sociales à tous les degrés d'évolution, depuis les hordes communistes de chasseurs nomades jusqu’à la production marchande, paysanne et artisane. C'est dans ce milieu que se poursuit le processus de l'accumulation capitaliste. » (Chap. 27. « La lutte contre l'économie naturelle ». L'accumulation du capital, Oeuvres IV, p. 40)

Elle distingue trois phases dans ce processus : « la lutte du capital contre l'économie naturelle, sa lutte contre l'economie marchande et sa lutte sur la scène mondilae autour de ce qui reste des conditions d'accumulation. » (ibidem)

Même si ces trois parties sont présente, dans toute la vie du capitalisme, chacune d'entre elles a une suprématie dans chacune de ses phases historiques. Ainsi, pendant la phase d'accumulation primitive - la genèse du capital anglais du 14° au 17° siècles, si bien étudiée par Marx - le trait dominant est la lutte contre l'économie naturelle ; par contre, la période qui va du 17° au premier tiers du 19° siècle est globalement dominée par le deuxième aspect - la lutte contre l'économie simple des marchandises - tandis qu'au dernier tiers du 19°, le facteur déterminant est le troisième : la concurrence exacerbée pour le partage de la planète.

A partir de cette analyse, elle montre que : « le capitalisme à besoin pour son existence et son développement de formes de production non capitalistes autour de lui. Mais cela ne veut pas dire que n'importe laquelle de ces formes puisse lui ètre utile. Il lui faut des couches sociales non capitalistes comme débouchés pour sa plus-value, comme source de moyensde production et comme réservoirs de main-d'oeuvre pour son système de salariat. » (idem)

De ce point de vue historique et global, elle fait une critique au schéma de la reproduction élargie que Marx avait employé pour représenter le processus régulier de l'accumulation capitaliste. Elle ne met pas en question la validité de ce schéma par rapport à l'objectif concret et immédiat que Marx lui avait donné, qui était celui de démontrer contre Adam Smith et l'économie classique bourgeoise que la reproduction élargie était possible et pointer l'erreur que celle-ci faisait en niant l'existence du capital constant. Parce que si on ne reconnaît pas l'existence du capital constant, il est impossible de comprendre la continuité de la production et le rôle du travail accumulé au sein de celle-ci et, par conséquent, l'accumulation du capital est impossible.

Elle ne critique pas non plus ce schéma parce qu'il ne répondrait pas à la réalité immédiate contrairement à ce que le camarade pense, qui attribue à Rosa Luxemburg une "erreur de débutante" - Rosa Luxemburg considère parfaitement légitime le modèle abstrait élaboré par Marx pour cet objectif concret de démontrer que l'accumulation, la reproduction élargie, est possible.

Ce que Luxemburg critique est de présupposer que toute la plus-value extraite est consommée à l'intérieur du monde composé de capitalistes et d'ouvriers. Ce présupposé peut être valable si on veut expliquer le fait que l'accumulation est possible en général, mais il ne sert pas si l'on veut comprendre le processus historique du développement et, par la suite, de crise générale du système capitaliste.

Par conséquent, Rosa Luxernburg fait le constat qu'il existe une partie de toute la plus-value extraite aux ouvriers qui n'est pas consommée par les capitalistes et elle explique que sa réalisation se fait au moyen de la lutte pour rattacher des territoires pré-capitalistes au système marchand et salarié propre au capitalisme. Ce faisant, elle essaye de répondre à une réalité très concrète du capitalisme dans sa période d'apogée ( 1873-­1914) : « Si la production capitaliste constitue elle-même un débouché suffisant pour ses produits et si son extension n'est limitée que par la grandeur de la valeur accumulée, un autre phénomène de l'histoire moderne devient inexplicable : la chasse aux marchés et aux débouchés les plus lointains, et l'exportation des capitaux ces signes les plus marquants de l'impérialisme actuel. C'est lui fait incompréhensible ! Pourquoi tout ce remue-ménage ? Pourquoi la conquête des colonies, pourquoi les guerres de l'opium de 1840 et 1860, les conflits actuels autour des marais du Congo et des déserts de Mésopotamie ? Que le capital reste donc dans son pays d'origine et qu'il gagne honnêtement son pain. Krupp n'aurait qu'à produire pour Thyssen, Thyssen pour Krupp, il leur suffirait de réinvestir leurs capitaux dons leur propres entreprises qu'ils agrandiraient les uns pour les autres et ainsi de suite en cercle ferme. Le mouvement historique du capital devient incompréhensible, et avec lui l’impérialisme actuel. » (idem, Oeuvres IV, p. 158) C'est exactement la même chose que Marx quand il affirme : « Dire que seuls les capitalistes peuvent échanger et consommer leurs marchandises entre eux, c'est oublier complètement le caractère de la production capitaliste et oublier qu'il s'agit pour lui de valoriser le capital et non de le consommer. »

Il faut laisser bien clair que Luxemburg ne conçoit pas les territoires pré-capitalistes comme les "tierces personnes" dont les capitalistes auraient besoin pour placer leurs marchandises en trop, tel que ses critiques le lui reprochent :

« Les buts économiques du capitalisme dans sa lutte contre l'économie naturelle peuvent se résumer ainsi :

1) Appropriation directe d'importantes ressources de forces productives comme la terre, le gibier des forêts vierges, les minéraux, les pierres précieuses et les minerais, le produit des plantes exotiques telles que le caoutchouc, etc.;

2) « Libération » des forces de travail qui seront contraintes de travailler pour le capital ;

3) Introduction de l'économie marchande ;

4) Séparation de l'agriculture et de l'artisanat. »

(Chap. 27, "La lutte contre l'économie naturelle ", L'accumulation du capital, (Euvres IV, p. 41)

Les chantres du capitalisme prétendent que c'est un système basé sur l'échange régulier des marchandises dont se dégage un équilibre graduel entre l'offre et la demande et c'est ainsi que l'économie grandit et se développe. Face à cela, Rosa Luxemburg affirme que : "L'accumulation capitaliste, dans son ensemble, a donc, comme processus historique concret, deux aspects différents : l'un concerne la production de la plus-value - à l'usine, dans la mine, dans l'exploitation agricole - et la circulation de marchandises sur le marché. Considérée de ce point de vue, l'accumulation est un processus purement économique dont la phase la plus importante est une transaction entre le capitalisme et le salarié. Dans les deux phases cependant, à l'usine comme sur le marché, elle reste exclusivement dans les limites d'un échange de marchandises, d'un échange de grandeurs équivalentes, sous le signe de la paix, de la propriété privée et de l'égalité. Il a fallu toute la dialectique acérée d'une analyse scientifique pour découvrir comment, au cours de l'accumulation, le droit de propriété se transforme en appropriation de la propriété d'autrui, l’échange de marchandises en exploitation, l'égalité en domination de classe." (idem, "Le protectionnisme et l'accumulation", p. 116)

Mettre en évidence ce dernier aspect mettre à nu la violence et la destruction contenues dans le simple échange régulier de marchandises - fut le travail de Marx dans le Capital, mais face à la période de l'impérialisme, face à l'entrée du système dans sa décadence, ce qui était crucial était de se centrer sur « L'autre aspect de l'accumulation capitaliste [qui] concerne les relations entre le capital et les modes de production non capitalistes, il a le monde entier pour théâtre. Ici les méthodes employées sont la politique coloniale, le systême des emprunts internationaux, la politique des sphères d'intérêt, la guerre. La violence, l'escroquerie, l'oppres­sion. Le pillage se déploient ouvertement(…) » (idem)

Dans la deuxième partie de cette correspondance, nous publierons un complément que nous a fait parvenir le camarade sur son explication des périodes de reconstruction et sa critique du dogmatisme du CCI sur les questions économiques. Nous développerons pour notre part des précisions en défense des analyses de Rosa Luxemburg et répondrons à ces critiques.

Adalen


[1] [153] Signalons aussi l'importante contribution de Mitchell dans Bilan, « Crises et cycles dans l'économie du capitalisme agonisant », que nous avons rééditée dans la Revue internationale n°102 et 103.

[2] [154] Cf Revue Internationale n° 93, et notre supplément "Le Manifeste sur le chômage. "

[3] [155] Op. cit.

[4] [156] La distinction faite par Marx entre taux de la plus­-value et taux de bénéfices est très importante du point de vue de l'évolution du capitalisme :

- Taux de la plus-value =p/v

(p =plus-value et v=capital variable ou masse totale des salaires)

- Taux de bénéfices =p/(c + v)

(c = capital constant), (p= plus-value et v = capital variable ou masse totale des salaires).

[5] [157] Il ne s'agit pas dans cet article de réfuter l'idée selon laquelle l'ouvrier "moderne" serait beaucoup moins exploité que ses prédécesseurs du 19° siècle. Cette mystification sans cesse répétée est basée surla falsification de ce qu'est réellement l'exploitation. Par rapport à cette question, le lecteur peut se reporter entre autres articles à la Revue internationale n° 73 et 74, "Qui peut changer le monde ? ", et à la série d'articles publiées dans diverses publications territoriales du CCI : « Réponse aux doutes concernant la classe ouvrière ».

[6] [158] Au Texas, l'Elat gouverné par Bush junior aujourd'hui Président des Etats-Unis, existe une industrie pénitentiaire employant près de 200 000 détenus qui produit de nombreux articles de produits de consommation ainsi que des composants électroniques.

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [12]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur la décadence [145]

Questions théoriques: 

  • Décadence [146]
  • L'économie [1]

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Liens
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