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Révolution Internationale n° 362 - Novembre 2005

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L'avenir, c'est la lutte de classe

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Alors que les campagnes idéologiques de la bourgeoisie martelées depuis seize ans continuent à asséner le mensonge que la classe ouvrière est une classe moribonde, que sa lutte appartient à un passé révolu, la réalité se charge de montrer que le prolétariat est bien vivant et qu'il n'a pas d'autre choix que de développer son combat partout dans le monde.

La combativité ouvrière ainsi qu’un embryon de solidarité s'étaient déjà manifestés sur le sol européen avec la grève à l'aéroport londonien d'Heathrow cet été (voir l'article de notre section en Grande-Bretagne "Grèves à Heathrow : notre seul moyen de défense est notre solidarité de classe" [1]). La crainte d'une large mobilisation ouvrière vient de pousser le gouvernement Blair à retirer une partie de l'attaque sur les retraites dans le secteur public, destinée à amputer le paiement des pensions en faisant progressivement passer de 60 à 65 ans entre 2006 et 2013 l’âge de la retraite. Cependant, l'accord conclu avec les syndicats prévoit que dès 2006, les employés de la santé, de l'éducation et les personnels de l'administration centrale nouvellement recrutés seront soumis à cette attaque. Après la grève nationale du 4 octobre en France, qui a mis dans la rue plus d'un million de travailleurs à l'appel de tous les syndicats pour défouler le mécontentement social, c'est le syndicat "socialiste" FGTB qui obtenait une forte mobilisation le 7 octobre en Belgique, paralysant une large partie de l'activité économique du pays pour canaliser la protestation contre le gouvernement au moment où celui-ci entreprend de faire passer une nouvelle attaque sur le régime de Sécurité sociale et repoussant de 58 à 60 ans l’âge requis pour prétendre au reversement d’une pension de retraite. Et le 28 octobre, ce sont les deux grandes centrales syndicales du pays qui appellent ensemble à une nouvelle mobilisation générale pour la première fois depuis 12 ans.

Aux Etats-Unis, la grève de 18 500 mécaniciens de Boeing, votée à 86% à l'appel de l'IAM (International Association of Machinists and Aerospace Workers) aura duré du 2 au 29 septembre (la grève précédente des ouvriers de Boeing dans ce même secteur en 1995 avait lentement pourri pendant 69 jours avant de s’achever par une lourde défaite). Les ouvriers ont à nouveau refusé la convention collective proposée par la direction qui voulait notamment baisser le taux de revalorisation annuelle des retraites par rapport aux deux années précédentes, alors que les cotisations pour la couverture sociale ont plus que triplé depuis 1995 et que la direction s’était bien gardé de donner la moindre garantie sur la sécurité de l'emploi. La colère était d'autant plus forte que les bénéfices de l'entreprise ont triplé au cours des 3 dernières années. L'entreprise visait également à obtenir une diminution de remboursement des soins médicaux en imposant notamment la suppression de toute couverture médicale des retraités pour les nouveaux contrats d'embauche. Les ouvriers ont refusé tout net cette manœuvre de division entre "nouveaux" et "anciens", jeunes et vieux. Ils se sont également opposés à une autre tentative de la direction au cours de la négociation d'opposer les intérêts des ouvriers entre eux avec la proposition d'introduire des mesures différentes entre 3 grandes usines de production (celle de Wichita dans le Kansas se trouvant défavorisée par rapport à celles de Seattle, dans l'Etat de Washington, ou celle de Portland dans l'Oregon, exigeant que les propositions soient les mêmes pour tous les mécaniciens de la firme). Au bout du compte, la direction acceptait de verser des primes exceptionnelles aux salariés, de ne pas toucher dans l'immédiat aux remboursements et aux retraites mais en contrepartie les ouvriers voyaient les revalorisations de leur salaire réduites et ils ont dû accepter la poursuite des hausses de cotisations des prestations sociales. Cependant le fait le plus marquant est le black-out presque complet qui a entouré cette grève, notamment en Europe et en France en particulier. Le but poursuivi était d'empêcher la classe ouvrière ici de prendre conscience qu'il y a une classe ouvrière exploitée et qui se bat aussi aux Etats-Unis, pour défendre ses propres intérêts de classe.

De même, les grèves qui ont eu lieu entre juin et août en Argentine n’ont bénéficié d’aucune publicité, en Europe, contrairement au battage organisé autour de la révolte sociale de 2001 gangrenée par l'interclassisme (voir les articles que nous avons publiés sur ce mouvement notamment dans la Revue Internationale n° 109 en 2002, 117 et 119, en 2004). Les luttes de l'été dernier constituent la plus importante vague de grèves depuis 15 ans, notamment dans la région industrielle de Cordoba. Elles ont touché les hôpitaux, des entreprises de produits alimentaires, des chaînes de supermarché, les employés du métro de Buenos Aires, les travailleurs municipaux de plusieurs provinces. Au cours de ces luttes, les ouvriers ont clairement exprimé en plusieurs circonstances la volonté de rechercher une solidarité. Dans le métro de la capitale, tout le personnel a spontanément arrêté le travail après la mort accidentelle de deux ouvriers chargés de la maintenance. Dans la province de Santa Cruz, au Sud du pays, la grève des employés municipaux a entraîné une présence massive d’ouvriers d’autres secteurs comme d’une majorité de la population. A Caleta Olivia, les ouvriers du pétrole se sont même mis en grève à leurs côtés pour des revendications salariales similaires. A Neuquen, les ouvriers des services de santé se sont joints spontanément à une manifestation d’instituteurs et se sont confrontés à une forte répression policière. La réaction de la bourgeoisie a été extrêmement brutale. Quant aux ouvriers du centre hospitalier pédiatrique de Garrahan qui, au lieu de réclamer des hausses de salaire proportionnelles à chaque catégorie professionnelle, ont exigé une augmentation égale pour tous, ils ont été la cible d’une campagne de dénigrement d’une violence inouïe dans les médias. Ils ont été présentés comme des "terroristes" capables de faire mourir des enfants pour la défense de leurs intérêts particuliers et ont été délibérément exclus de toute négociation. De plus, les piqueteros gauchistes n’ont cessé de leur coller aux basques pour les compromettre dans leurs impopulaires actions de commandos. A travers cette répression, le succès de ces manœuvres et la mise en avant du prochain cirque électoral, cette vague de luttes a depuis nettement reflué. Mais elle aura confirmé que le prolétariat redresse partout la tête et s’affirme comme une classe en lutte. Nous avons déjà évoqué dans notre presse la grève des ouvriers de Honda en Inde (voir RI n° 361) ou celles dans les mines d’or en Afrique du Sud (RI n°360). Mais un autre exemple édifiant nous est donné par la Chine à propos de laquelle sévit encore le grand mensonge et la vaste escroquerie idéologique "d’un régime communiste". Une ONG de Hongkong a recensé pas moins de 57 000 conflits du travail en 2004 impliquant 3 millions de salariés, touchant désormais le secteur privé et plus seulement les usines d’Etat comme dans les années 1990.

Malgré toutes les limites qu'elles montrent encore et la multiplication des manœuvres syndicales pour les saboter, les luttes ouvrières n’appartiennent pas à un passé révolu.

Non, la classe ouvrière n’est pas morte ! Elle n’a pas d’autre choix que de se battre et, dans le développement de ses luttes, elle porte plus que jamais le seul futur possible de toute l’humanité.

W (22 octobre)

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [2]

Sécurité sociale, chômeurs, RMIstes : Le gouvernement Villepin accentue ses attaques contre toute la classe ouvrière

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Début septembre, le gouvernement Villepin avait réaffirmé la priorité de son action envers l'emploi en annonçant des "réformes" destinées à "remettre d'aplomb" le "modèle social" français. Le premier ministre se disait plus tard, en octobre, encore prêt à engager "mille batailles" pour le "dynamisme économique" et pour la "solidarité". En effet, la bataille est engagée sur de nombreux fronts contre les chômeurs, contre les RMIstes, contre les salariés et contre toute la classe ouvrière. Les grands discours sur la "croissance sociale" qu'on nous sert sont destinés à justifier l'actuelle série d'attaques contre les conditions de vie et de travail des ouvriers.

Le projet de loi de finances du gouvernement pour 2006 prévoit que le déficit de l'Etat ne pourra pas dépasser 3%, alors que les moins mauvaises prévisions de croissance de la production économique française se situent (contrairement au discours du gouvernement qui annonce entre 2 et 2,5%) entre 1,5 et 1,8%. Or, l'endettement de l'Etat, de la Sécurité sociale et des collectivités locales a déjà atteint cette année, malgré les mesures prises pour réduire le salaire social, le record de 66% du PIB. Ce qui signifie en clair que c'est la classe ouvrière qui va payer la différence, au prix fort.

Tout ce discours prétendument "social" essaie vainement de masquer que l'objectif du gouvernement est de faire pression sur tous les ouvriers, qu'ils soient au travail ou au chômage.

Un nouveau pas dans les mesures sur la Sécurité sociale

Selon le dernier rapport de la Cour des comptes, la Sécurité sociale affiche un déficit "sans précédent dans l'histoire" de cette institution, avec 8,6 milliards de pertes prévues pour l'année 2005. On nous annonce aussi que 15% des prescriptions seraient "non justifiées" et que cet "excès" de dépenses représenterait la somme de 6 milliards d'euros.

Depuis les années 1980, ce discours de l'Etat sur les mécomptes de l'assurance maladie a toujours servi de tremplin pour justifier à grands renforts de chiffres les mesures pour diminuer les "avantages" de la Sécurité sociale. La loi de 1991 portant réforme de l'assurance maladie, créée par la gauche mais mise en œuvre par les ordonnances Juppé de 1995, avait été un premier grand pas pour donner un cadre de façon à réduire les dépenses et l'accès aux soins. Sous la houlette de Douste-Blazy et avec les lois de réforme sur l'assurance maladie de juillet 2004, ce cadre a été renforcé. Il s'agit en réalité de la mise en place de moyens permettant à la bourgeoisie d'accentuer et d'accélérer à volonté la pression sur le salaire social à travers la diminution des dépenses de santé. Ainsi, on nous serine aujourd'hui qu'après un an d'existence de cette loi et des mesures qu'elle impliquait, les résultats pour "boucher le trou" de la Sécurité sociale ne sont pas suffisants. Moralité, il faut taper encore plus fort car son déficit doit passer des 8,3 milliards d'euros actuels à 6,1 en 2006.

Les mesures d'austérité en matière de santé vont ainsi passer un nouveau cap. 156 médicaments ne seront donc plus remboursés, 221 vont être déréglementés. A présent, 18 euros seront à la charge des patients pour les actes médicaux dépassant 91 euros. Cela signifie la diminution de l'accès aux actes de dépistage pour toute une frange de la population qui était jusqu'ici prise en charge à 100% en cas de suspicion de maladie grave, tels certains cancers ou pathologies neurologiques (dont l'ESB). Il reviendra en effet aux mutuelles de régler la différence alors que 20% de la population n'ont déjà pas les moyens de s'en payer une et que ces dernières vont immanquablement augmenter à terme leurs tarifs.

Ceci implique qu'un nombre grandissant d'ouvriers au travail, mais encore plus de retraités et de chômeurs, n'aura même plus les moyens d'accéder à un système de soins qui les protègent réellement.

Une attaque en règle contre les chômeurs et les RMIstes

Du fait de la poursuite des licenciements dans de nombreux secteurs, de la réforme de l'assurance-chômage et de la réduction de 30 à 24 mois des durées d'indemnisation les plus longues, le nombre de RMIstes a augmenté de 3,8% de juin 2004 à juin 2005 et compte à présent 1,24 millions de "bénéficiaires" après avoir passé le cap du million au début de l'année. Cette frange de "profiteurs" des mannes capitalistes est ainsi dans le collimateur de la bourgeoisie et soumise à des contrôles draconiens de la part des conseils généraux avec le risque de radiations sous les prétextes les plus hypocrites. Ainsi, des fins de droit au RMI sont appliquées pour non signature de contrats d'insertion, alors que cette obligation est récente et que nombre de RMIstes ne sont pas au courant de cette nécessité. Ce sont aussi les changements d'adresse qui sont le prétexte à radier les RMIstes qui n'ont pas pris la précaution de le signaler aux conseils généraux. Or, le problème du logement, qui frappe déjà brutalement l'ensemble de la population et de la classe ouvrière, est encore plus aigu pour les RMIstes, au point qu'une grande partie d'entre eux n'ont même pas de domicile et sont le plus souvent en errance, au mieux de foyer en foyer.

Quant aux chômeurs, après la série de mesures depuis le printemps dernier pour les soumettre à la pire exploitation sous peine d'être virés de leurs droits aux allocations chômage, la circulaire gouvernementale du 5 septembre était venue repréciser les critères du "caractère actif de la recherche d'emploi", pour les employés de l'ANPE qui rechignent à appliquer la baisse ou la suppression des allocations contre cette autre catégorie de "profiteurs".

De plus, pour mieux renforcer leur flicage et diminuer le coût que représentent les salariés qui gèrent le chômage, un processus de fusion a été lancé par le gouvernement, dans le cadre de la "loi de cohésion sociale", entre l’ANPE (Agence Nationale pour l’Emploi) et l’UNEDIC (Union Nationale pour l’Emploi Dans l’Industrie et le Commerce). Le premier organisme (ANPE) est plus particulièrement chargé du placement des chômeurs, tandis que l'UNEDIC est chargé de collecter les cotisations payées par les entreprises et les salariés ainsi que du paiement des indemnités de chômage. Même si ce plan ne sera mis en place que lentement, il vise en particulier à faire des économies de personnel (14 000 salariés environ à l’ANPE et 17 000 à l’UNEDIC), et des mesures sont déjà en marche. Il est ainsi prévu que 500 salariés de l’UNEDIC aillent travailler dans les locaux de l’ANPE, et des formations sont prévues dans chacun des organismes pour mieux connaître le métier de l’autre organisme et, déjà, des salariés de l’un ou l’autre organisme ont été envoyés travailler respectivement dans les locaux de l’autre.

Voilà donc en quoi consiste quelques-uns des volets principaux de la "croissance sociale" que nous promet le gouvernement : accélération dans le démantèlement de la Sécurité sociale, aggravation de la paupérisation généralisée de la classe ouvrière et croissance des attaques anti-ouvrières.

Mulan (20 octobre)

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  • France [3]

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  • Crise économique [4]

Licenciements massifs en Allemagne : Le capitalisme dévoile sa faillite

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Dans le n° 360 de Révolution Internationale, dans la deuxième partie de l’article "Plus de trente ans d’aggravation de la crise économique", nous avions mis en évidence que le capitalisme entrait dans une nouvelle phase de récession. En conclusion, nous écrivions : "Alors que la très courte reprise économique de ce début des années 2000 s’est traduite par une accélération massive du chômage et la paupérisation de la classe ouvrière, nous pouvons alors imaginer l’ampleur de l’attaque que le capitalisme tentera d’infliger au prolétariat".

L’Allemagne au cœur  de la tourmente économique mondiale

Depuis quelques semaines, les chiffres tombent comme un couperet, la liste des entreprises qui licencient s’allonge. La bourgeoisie allemande aura profité de la polarisation autour du "suspense" électoral puis sur les choix de la future coalition gouvernementale pour faire passer les attaques et porter les coups les plus durs au prolétariat. Le 28 septembre, la direction de Mercedes-Daimler-Chrysler annonce 8500 suppressions de postes (ce qui représente près d’un emploi sur dix !), plus les 700 envisagés dans sa filiale Smart dès avril. Chez Opel, la direction se prépare à licencier 9100 personnes ; dans la foulée, la maison-mère General Motors annonçait la suppression de 25 000 emplois (sur 180 000) en Amérique du Nord d'ici à 2008 ainsi que la réduction drastique des prestations sociales (retraites et dépenses de santé) versées aux 750 000 salariés et retraités installés aux Etats-Unis, à la suite de la faillite de l'équipementier automobile Delphi qui alimentait un des principaux fonds de pension du pays. Quant à Volkswagen, le plus gros constructeur en Allemagne (345 000 personnes), la presse allemande évoque une fourchette de 10 000 à 14 000 postes menacés. D’autres secteurs sont aussi sur la sellette, par exemple, Siemens, qui emploie 164 000 personnes dans les télécommunications ou le matériel informatique, prévoit 7000 licenciements. L’entreprise américaine, Hewlett-­Packard, a programmé 4500 suppressions de postes en Grande-Bretagne et en Allemagne (en plus des 1240 en France). D’autres entreprises risquent de rallonger la liste des licenciements. Que le capital allemand soit un des plus touchés par cette nouvelle récession, dans ce qui constitue son fleuron, l’industrie de l’automobile, est significatif de l’état dans lequel se trouve le capitalisme mondial. Malgré la modernité de son appareil productif, la qualification très élevée de sa main d’œuvre, le degré de concentration de ses entreprises, la troisième puissance économique mondiale commence à s’essouffler par rapport à ses concurrents. Alors que ses principaux rivaux comme les bourgeoisies française ou japonaise taillaient dans le vif en licenciant à tour de bras à la fin des années 1990, l’Allemagne a mis du temps à faire de même, tablant sur des produits de haute qualité pour tenter de résister. Mais la réalité l’a vite rattrapée. L’Allemagne et son secteur automobile ne sont pas les seuls touchés, des entreprises technologiques de pointe le sont aussi : Hewlett Packard prévoit le 12 septembre de se délester de 14 500 emplois dans le monde, alors que son rival, IBM, avait décidé en mai de licencier 13 000 personnes, le fabricant italo-français de puces électroniques, ST-Microelectronics, va mettre plus de 3000 salariés à la rue, et tout récemment au Japon, Sony annonce la suppression de 10 000 postes et la fermeture de 11 sites sur 65 ! Et dans l’aéronautique, la Compagnie américaine Delta Airlines prévoit d’ici 2007 de se séparer de 7000 à 9000 personnes. Tous ces chiffres donnent le vertige ! Et cela ne peut aller qu’en s’aggravant.

La bourgeoisie fait payer la crise à la classe ouvrière

Face à un marché mondial saturé de marchandises de toutes sortes, la concurrence devient de plus en plus féroce. Pour la bourgeoisie il s’agit d’une guerre commerciale sans merci. Et pour être plus compétitif, il faut baisser les coûts de production, fermer des usines c'est-à-dire s’attaquer à la classe ouvrière. Voici ce que disait le PDG de Volkswagen à l’ouverture du salon automobile de Francfort le 11 septembre dernier : "La vérité, c’est que les coûts salariaux par voiture sont trop élevés. Il faut les réduire, soit en abaissant le salaire horaire, soit en augmentant la productivité ou en réduisant le nombre de salariés". Mais ce que ne dit pas ce grand représentant de la bourgeoisie allemande c’est qu’il a fait tout cela : il a baissé le salaire horaire, avec l’accord du syndicat IG- Metall, faisant passer le temps de travail de 35 à 40 heures, en novembre de l’année dernière, sans compensation salariale avec la promesse de ne pas licencier. On voit ce que valent les promesses de la bourgeoisie car des licenciements sont prévus, et pour ceux qui restent, le taux de productivité va augmenter ! Un exemple : la production d’un monospace, la Touran, est effectuée avec une organisation du travail qui fait tourner les machines jour et nuit. Dans la détermination des salaires n’est pas pris en compte le travail de nuit, l’expérience et la spécialité des ouvriers. Pour faire passer ces mesures auprès des ouvriers, toujours avec l’accord du syndicat, le PDG de Volkswagen a utilisé le chantage de la délocalisation. La direction veut maintenant étendre une telle expérience sur d’autres chaînes de montage. Le futur 4X4 Golf sera ainsi produit avec une économie de 850 euros par véhicule. Le même chantage est exercé envers les salariés de Thyssen/Krupp. Comme beaucoup d'entreprises, le groupe se prépare à exiger une baisse du temps de travail avec une amputation correspondante des salaires en contrepartie "d'un maintien des emplois". Toutes les expériences précédentes -à commencer par celle des salariés de Volkswagen il y quelques années- démontrent que ce "sacrifice" n'empêche nullement les licenciements de tomber quelques mois plus tard !

Ce n'est pas seulement l'ampleur et la gravité de la crise économique mondiale que révèle l'élimination massive et quasi-simultanée de centaines de milliers d'emplois industriels dans les pays qui constituent le cœur du capitalisme, plongeant de nouvelles centaines de milliers de prolétaires dans l'enfer du chômage et de la misère. C'est la faillite du système capitaliste qu'elle met à nu.

Antoine (19 octobre)

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Grève à la SNCM : Une lutte exemplaire du sabotage syndical

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Le conflit à la SNCM (Société nationale Corse Méditerranée) aura duré 24 jours, s'achevant dans la défaite, l'isolement, l'amertume, la démoralisation les plus complets pour les ouvriers embarqués dans cette lutte. Le bilan de cette grève se solde par le maintien des 400 suppressions d'emplois annoncés au début par les repreneurs privés Butler et Connex. Comment cette lutte a-t-elle été conduite dans une impasse totale alors qu'elle s'inscrivait pourtant dans un contexte de montée d'exaspération accumulée et de ras-le-bol grandissant présents dans toute la classe ouvrière en France face à des attaques simultanées : annonce de licenciements touchant en même temps des dizaines de milliers d'ouvriers, dégradation accélérée du niveau de vie, des conditions de travail et du pouvoir d'achat, intensification du démantèlement de toute protection sociale sur les salariés, les retraités, les chômeurs ? (voir article page 2).

Le déroulement du conflit

Rappelons les faits. A l'annonce du plan de privatisation de la SNCM et du soutien par le gouvernement de l'offre d'un repreneur, la société Butler, les ouvriers savaient que cela signifiait le licenciement pour une bonne partie d'entre eux et laissaient éclater leur colère et leur combativité. Mais d'emblée, ils se sont laissés embarquer sur un terrain corporatiste et nationaliste imposé d'avance par les syndicats. La bourgeoisie profitait ainsi du contrôle étroit des syndicats sur l'entreprise et des illusions corporatistes particulièrement fortes dans ce secteur. La CGT à Marseille et le STC (Syndicat des Travailleurs corses) sur le sol corse se partageaient en effet déjà un véritable racket mafieux, monopolisant le contrôle de l'embauche des salariés de la SNCM. Il y a dix ans, le STC, fort de 5000 adhérents en Corse, avait d'ailleurs lancé un mouvement pour réclamer de l'Etat français une "corsisation" des emplois dans l'île.

Dès lors, la bourgeoisie et ses syndicats disposaient d'un large champ de manœuvre pour saboter la riposte ouvrière, dévoyer la lutte sur un terrain étranger au prolétariat, tout en montant en épingle ce conflit et en le médiatisant au maximum.

Dès le 21 septembre, deux navires de la SNCM avaient été bloqués dans le port de Marseille. Un des deux à destination de la Corse avait pu finalement appareiller, l'autre qui devait ramener des travailleurs maghrébins en Algérie vers leur famille, était resté à quai. Des marins de la CGT ont même utilisé des lances à incendie pour empêcher ces travailleurs maghrébins de monter sur les bateaux. Ces quelques 1200 prolétaires ont ensuite été abandonnés à leur sort par la direction de la SNCM, par les autorités françaises et algériennes et se sont fait balader plusieurs jours entre Marseille et Toulon avant de pouvoir partir.

La CGT a organisé dès le départ des actions minoritaires, de commandos. Lors d'une de ces "actions", le PDG de l'entreprise a été séquestré mais une fois l'impact publicitaire obtenu, les syndicats le laissaient "s'enfuir" le lendemain.

La grève prenait une autre dimension le 26, dès l'annonce de l'acceptation par le gouvernement du plan du repreneur et l'entrée en scène du STC. Le même jour, les dockers et les employés du port autonome de Marseille, et des ports de Fos et de Port-Saint-Louis sont appelés à se mettre en grève. La grève sera effective le 29 provoquant une paralysie générale du trafic autour de Marseille et en Corse. Le secrétaire général de la CGT, Thibault, prend soin de préciser qu'il ne s'agit nullement d'un mouvement de solidarité mais là encore d'une lutte pour assurer le maintien du service public de chaque entreprise face au danger de privatisation. En réalité, la CGT qui encadre et contrôle étroitement ces mouvements se garde bien de mélanger les ouvriers de chaque pôle d'activité qui vont poursuivre la lutte chacun de leur côté. Elle veille précisément à empêcher toute expression de solidarité, tout en mettant en avant des revendications similaires : la sauvegarde de l'embauche au nom de la défense du "service public". Le mouvement paralysant le port et le blocage du trafic vers la Corse contribue à diviser les salariés de la SNCM avec ceux de la sous-traitance d'une part et ceux des compagnies concurrentes d'autre part.

Le spectacle médiatique prend le dessus. La CGT et le STC se partagent le travail, de même qu’au sein de la CGT, entre l’union départementale "radicale" et la direction de la confédération nettement plus "modérée". Tandis que la CGT locale lance des commandos encagoulés qui virent à plusieurs reprises en échauffourées avec les policiers et que de violents affrontements avec les forces de l'ordre se produisent plusieurs nuits de suite dans les rues de Bastia, le STC se livre à l'épisode le plus spectaculaire en détournant vers Bastia un cargo, le Pascal-Paoli, et justifie cet acte de rébellion en prétendant "rendre son outil de travail à la Corse". L'Etat répond en faisant prendre d'assaut le bateau avec ses super-gendarmes du GIGN. Quatre marins sont placés en garde à vue. La "libération" des "mutins" est présentée comme une "victoire" et contribue à populariser cette lutte sur laquelle tous les projecteurs de l'actualité sont braqués. Alors que localement des milliers de travailleurs sont pris en otage par la paralysie des transports qui débouche sur un véritable blocus de la Corse, les ouvriers de l’Hexagone dans leur ensemble sont invités à vivre par procuration ce conflit presque heure par heure alors qu'ils ne peuvent nullement se sentir concernés par les "revendications" nationalistes qui sont mises en avant par le STC qui sert de repoussoir (tout en cultivant le paradoxe du nationalisme corse dont toutes les variantes réclament bruyamment… le maintien de la SNCM dans le giron de l'Etat français !). Le déchaînement de la pire hystérie nationaliste, comme en Corse où elles ont rapidement dégénéré, ne pouvait déboucher que sur des attentats à la roquette ou sur des bastonnades totalement étrangères à la lutte ouvrière et à ses méthodes de lutte.

Tandis que la Corse est isolée et subit un véritable blocus, parallèlement, la police déloge les grévistes à Marseille et fait évacuer le port. Pendant toute la durée de la grève, les manifestations à Marseille (en dehors du 4 octobre), étroitement encadrées par la CGT, qui y fait chanter La Marseillaise, n'auront jamais rassemblé plus de 200 personnes. Les caméras des médias et les journalistes accrédités sont les seuls à être conviés à des parodies d'AG qui, sous le contrôle des syndicats, se tenaient pour la SNCM … dans la salle de cinéma d'un bateau Le Méditerranée, interdisant l'accès aux autres ouvriers, notamment ceux du port autonome, aux dockers et aux employés des transports publics. Il était d'autant plus impossible d'entrer dans le port que celui-ci s'est retrouvé rapidement investi par les forces de police. Pendant ce temps, la grève à la SNCM était applaudie, encensée, encouragée par toutes les forces de la gauche, y compris par le groupe trotskiste "Lutte Ouvrière" qui déclarait lors du "meeting de soutien" du 3 octobre aux grévistes de la SNCM auquel participait également Buffet, Besancenot et des élus du PS : "Marins et travailleurs de la SNCM, je vous remercie, vous avez montré l'exemple de la combativité à tous les travailleurs". Ce discours ne faisait qu'entretenir l'illusion de force d'une lutte qui se retrouvait totalement enfermée, étouffée et sabotée par les syndicats, dévoyée par eux sur le terrain de la défense du service public français et réclamant la "protection" de l'Etat et du gouvernement. Cloisonné et isolé dans la défense de son entreprise et de sa corporation, chaque mouvement était entraîné inexorablement vers la défaite. Les dockers puis les employés du port ont voté la reprise du travail en laissant ceux de la SNCM totalement isolés.

Le message de la bourgeoisie

Quel est le message que la bourgeoisie a voulu faire passer ?

- D'une part, ce conflit a été présenté pendant un temps comme un modèle de combativité pour la lutte de classe dans les médias. C'est le type même d'une grève dure, radicale, violente dans laquelle un syndicat, la CGT, s'est donnée l'image d'un syndicat se battant, jusqu'à la limite du possible pour défendre jusqu'au bout les intérêts des travailleurs, pour tenter de faire reculer le gouvernement ;

- D'autre part, la principale leçon à tirer de la défaite serait qu'il ne sert à rien de lutter puisqu'une grève, même la plus dure et radicale, ne mène finalement à rien si elle n'est pas dirigée par des syndicats "responsables". Il s'agit de faire apparaître les "ouvriers de la base", manipulés et encouragés en sous-main par la CGT locale et par le syndicat nationaliste corse STC comme une poignée d'irresponsables. La menace et le chantage au dépôt de bilan signifiant la mise au chômage pour tous les ouvriers de l'entreprise, s'est avérée une arme d'autant plus efficace que l'Etat ne pouvait se permettre de laisser une entreprise publique en faillite pour la première fois de son histoire.

Quant au gouvernement, il aurait témoigné de sa " bonne volonté" en dépêchant à maintes reprises plusieurs ministres pour négocier.

Au bout du compte, ce n'est que derrière les "syndicats responsables", seuls interlocuteurs reconnus, qu'on pourrait lutter, limiter les dégâts contre les attaques et les licenciements et "faire pression pour freiner les dérives libérales" du gouvernement, à l'instar du patron de la CGT, Bernard Thibault qui, depuis une semaine martelait l'idée qu'il fallait faire marche arrière pour éviter le dépôt de bilan.

Cela n'est pas contradictoire car le seul objectif de la bourgeoisie est de désorienter, de diviser la classe ouvrière et de dissuader par tous les moyens les prolétaires d'entrer en lutte sur leur véritable terrain de classe, de les empêcher de reconnaître et d'affirmer les besoins de leur lutte.

Ce que la classe ouvrière doit retenir de cette lutte est tout différent.

Les méthodes mises en avant par les syndicats à Marseille et en Corse ont été en constante opposition avec les besoins réels de la lutte ouvrière. 

Les vraies leçons pour la classe ouvrière

Le besoin vital de la lutte et le seul moyen de mener une grève et d'imposer un rapport de forces à la bourgeoisie est de l'étendre, d'entraîner dans la lutte d'autres secteurs, d'aller chercher la solidarité d'autres entreprises voisines et de les entraîner dans le même combat. C’est seulement ainsi que peut s’affirmer une solidarité de classe dans la lutte. A la SNCM, les syndicats ont constamment empêché un lien réel avec les grévistes du port autonome de Marseille, les dockers, les employés des transports publics. Le dramatique isolement des salariés dans les transports publics marseillais en grève depuis trois semaines que les syndicats enferment dans un jusqu'au-boutisme épuisant et démoralisant l’illustre encore aujourd'hui. Il est nécessaire pour le combat de classe de dépasser le carcan de l'enfermement corporatiste qui est par excellence le terrain du sabotage syndical de la lutte. L'extension de la lutte aux entreprises voisines autour des mêmes revendications de classe est une question de vie ou de mort pour la lutte. Pour cela, il ne faut pas s'en remettre aux syndicats qui profitent de leur contrôle sur les AG pour en interdire l'accès aux travailleurs des autres entreprises considérés comme des "étrangers" ou des "intrus" alors que l'unité de la classe ouvrière et la participation de tous les ouvriers, aux AG, ceux au travail comme ceux réduits au chômage, est l'oxygène indispensable de la lutte, la circulation du sang d'une classe ouvrière vivante.

Alors que les syndicats de la SNCM prétendaient défendre les emplois, les ouvriers d’autres entreprises de la région dans le privé étaient confrontés à la même menace de licenciements comme les salariés de Nestlé à Marseille, de ST-Microelectronics près d'Aix-en-Provence. Rien n’a été fait pour aller dans leur direction et pour les rencontrer. Au contraire, le thème de la défense du service public ne pouvait que les isoler et leur procurer un sentiment d’exclusion vis-à-vis de la lutte à la SNCM. Il est clair que toute lutte enfermée sur elle-même et isolée dans le cadre de la corporation, de l'entreprise, du secteur ne peut aller que vers la défaite.

La défense du service public mise en avant d'un bout à l'autre de la lutte par les syndicats a été d'ailleurs le leitmotiv constant de la grève, non seulement à la SNCM, mais chez les employés du port, chez les dockers, chez les grévistes dans les transports publics. Ce n'est pas sur ce terrain-là que la classe ouvrière peut se battre. En désignant un objectif erroné à la lutte : contre la privatisation et pour réclamer le maintien majoritaire de l’entreprise dans les mains de l’Etat, ce dévoiement ne pouvait déboucher que sur un terrain nationaliste qui n'est nullement le terrain de lutte du prolétariat mais celui de la bourgeoisie. Ces ouvriers à qui on faisait chanter l'hymne national dans les manifestations, se sont laissés mettre la tête sur le billot par les syndicats en réclamant derrière eux la protection de l'Etat français qui était pourtant le maître-d'œuvre de l'attaque portée contre eux. Leurs revendications ont pu ainsi être dévoyées par les syndicats sur le terrain de la bourgeoisie, servant en fin de compte la même cause de la défense de l'entreprise au nom de "l'intérêt national" que le "patriotisme" économique ou social de Villepin.

Les syndicats ne peuvent entraîner les ouvriers que sur le terrain du corporatisme et derrière la défense de l'intérêt national et les mener chaque fois ainsi, pieds et poings liés, à la démoralisation et à la défaite.

Wim (20 octobre)

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Hewlett-Packard, "Journée d'action" du 4 octobre 2005

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Les manœuvres de la bourgeoisie pour dévoyer la colère ouvrière dans des impasses

La bourgeoisie française sait qu'elle a face à elle une classe ouvrière au sein de laquelle se développe un questionnement de plus en plus profond, devant une situation inquiétante : guerres et attentats à répétition dans le monde, désastres écologiques, diminution drastique du niveau de vie, etc. En même temps, ce questionnement ne donne pas naissance à des expressions de combativité clairement exprimées de façon massive, comme ce fut le cas lors des grèves contre la réforme du système des retraites en mai et juin 2003. Il existe même un certain déboussolement et une difficulté à entrer en lutte qui traversent les rangs ouvriers.

Il est donc important pour la bourgeoisie d’exploiter au maximum ce déboussolement pour dévoyer le mécontentement de la classe ouvrière sur les terrains pourris du nationalisme, de la défense du secteur public ou de l'entreprise, derrière les syndicats et pour enfermer la réflexion dans les impasses "citoyennes".

Hewlett-Packard, un sabotage exemplaire de la lutte de classe

Courant septembre, plusieurs milliers de suppressions d’emploi sont annoncés chez Hewlett-Packard (HP), dont 1460 en France. Toute la presse monte l'affaire en épingle tandis que les syndicats jouent à fond sur l’anti-américanisme ambiant pour dénoncer les vilains patrons d'outre-Atlantique. Parallèlement, les syndicats insistent sur la rentabilité de l'entreprise dans son ensemble et mettent en avant que le site de Grenoble, le plus touché par les menaces de licenciements, fait des profits.

La grève s'est donc ainsi trouvée enfermée sur la question de la viabilité de l'entreprise et sur le terrain de la défense du site de Grenoble, alors que des menaces de licenciements étaient annoncés chez ST-Microelectronics et dans d'autres usines de la région. Le sale travail des syndicats a donc été de poser d'emblée les questions en termes de gestion de l'entreprise de façon à tuer dans l'œuf toute réflexion sur le fait que les problèmes sont les mêmes partout et afin de miner toute possibilité de mise en œuvre d'actions solidaires et de rencontres entre les différents ouvriers des entreprises concernées dans une zone géographique durement frappée par les licenciements.

Pour mieux enfoncer le clou de la défense de l'entreprise, on a pu voir le maire de Grenoble se déplacer en Californie, à grands renforts de médias, pour aller "discuter" avec les dirigeants de HP. Ce "combat exemplaire" et "citoyen" du maire de Grenoble s'est soldé par une grande "victoire" : la direction américaine de HP a revu (momentanément) ses licenciements à la baisse – 1240 au lieu des 1640 initialement prévus -pour le site de Grenoble, mais avec la remise en cause des accords passés sur les 35 heures en contrepartie.

L'idée principale que devaient retenir les ouvriers de HP, mais surtout toute la classe ouvrière, en France et ailleurs, c'est que lutter derrière les syndicats et derrière les représentants de l’Etat paie, puisque le plan de licenciements prévu initialement a été modifié. Il s'agit en fait d'une véritable arnaque : d'une part, les conditions de travail et l'exploitation vont s'aggraver pour ceux qui ne seront pas licenciés à Grenoble et, d’autre part, les licenciements y sont quand même maintenus dans leur plus grande partie comme dans les autres usines du groupe en France.

Nous avons là encore un exemple caractéristique de ces défaites que la bourgeoisie et ses syndicats s'efforcent de faire passer pour des victoires ouvrières. Et parmi les aspects les plus nocifs de cette défaite, non seulement les ouvriers se sont fait avoir en s'en remettant à un représentant de l’Etat pour la défense de leurs intérêts, mais cela a eu pour résultat de provoquer une division au sein des ouvriers. Ainsi, certains à Grenoble vont "sauver leur place" au détriment d'autres ouvriers du même site et des autres sites du groupe !

La manifestation du 4 octobre, une opération publicitaire pour les syndicats

Au lendemain de la journée d'action du 4 octobre, les syndicats et la gauche se sont félicités du "succès" de cette mobilisation nationale qui a vu défiler environ un million de personnes dans les rues des principales villes de l'Hexagone : 100 000 à Paris, 15 000 à Lyon, 30 000 à Marseille et Toulouse, 20 000 à Grenoble, et à Lille, etc.

Une telle présence de nombreux salariés dans les secteurs les plus divers et les plus importants est révélateur du questionnement et de l'inquiétude qui se développe dans l'ensemble de la classe ouvrière. Cependant, malgré le nombre de grévistes, peu de combativité s'est exprimée dans ces manifestations, où une certaine morosité et une certaine passivité prédominaient,.

Pour autant, les syndicats, avec à leur tête la présence massive de la CGT, se sont félicités d'avoir amené dans les rues autant de salariés pour dire "non" à la politique du gouvernement et défendre l'emploi et les salaires. Les organisations syndicales pouvaient en effet être satisfaites car cette journée d'action avait pour objectif essentiel d'être une opération de recrédibilisation de syndicats qui étaient restés particulièrement discrets depuis le printemps dernier, alors que les attaques ne cessaient de pleuvoir sur la classe ouvrière.

Le discours du premier ministre le soir même à l'Assemblée nationale, proclamant qu'il avait "écouté le message des Français", était une réponse en contrepoint venant donner de la "valeur ajoutée" au battage syndical. Autrement dit : suivez les syndicats, avec eux, vous serez écoutés car ce sont des interlocuteurs valables, responsables !

En plein développement de la grève jusqu'au-boutiste des marins de la SNCM (voir notre article ci-dessus), il fallait justement pour la bourgeoisie opposer ceux qui savent diriger des négociations et les mener à bien dans l'intérêt des salariés et de leur outil de travail, les centrales syndicales, alors que ceux de la SNCM prenaient le risque majeur de tout perdre.

Tout d'abord, il faut être clair sur le fait qu'une journée d'action comme celle du 4 octobre, encadrée et ficelée par les forces syndicales, à coups de flonflons et de fumigènes rendant toute discussion difficile sinon impossible, ne peut être un réel moment de solidarité ouvrière. Même si des ouvriers de HP étaient présents en tête de la manifestation grenobloise ou parisienne du 4 octobre, aucune solidarité concrète ne pouvait s'y manifester. La vraie solidarité, celle qui peut mener à une véritable unité dans la classe ouvrière, on l'a vu lors de la grève d'Heathrow (voir RI n°360 et notre site Internet sur la question). Défiler passivement, isolément derrière les banderoles syndicales ou celles de "son" entreprise, ne mène qu'à l'impuissance.

La lutte ouvrière ne peut être forte que si elle est solidaire au-delà de l'usine, au-delà de l'entreprise et du secteur, lorsqu'elle se développe sur le terrain de la défense des intérêts de toute la classe ouvrière, au-delà des fausses différences que veulent nous imposer les syndicats entre le privé et le public.

Suivre les syndicats et leurs discours mensongers, bien loin de renforcer l'identité de la classe ouvrière, sa solidarité et son unité, ne peut que réduire les prolétaires à une somme d'individus faibles et impuissants qui ne pourront que continuer à subir de plein fouet les attaques de la bourgeoisie.

Mu (21 octobre)

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Ceuta, Mellila : L'hypocrisie criminelle de la bourgeoisie démocratique

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Loin d’être une spécificité hispano-marocaine, la répression des émigrants à Ceuta et Melilla est le dernier épisode d’une longue liste d’horreurs que le capitalisme fait subir à cette partie la plus pauvre de la population. Des milliers d’émigrants se noient chaque année dans le détroit de Gibraltar. Autant, sinon plus, sont violemment réprimés et parqués dans des camps de transit pour avoir voulu, à bord d’embarcations de misère tenter de rejoindre l’Europe, via la Sicile, les Canaries et plus récemment Chypre et Malte. Les champions des "droits de l’homme", France et Angleterre ne sont pas en reste, comme le montre la fermeture conjointe du centre de Sangatte dans le Pas-de-Calais laissant des centaines de réfugiés dans le dénuement le plus total, de même que la promesse de Sarkozy de renvoyer 24.000 sans papiers par charter d’ici la fin 2005 ou les négociations en cours que mène la France pour que la Libye ouvre des camps de transit, comme au Maroc, en Algérie ou encore en Ukraine et Moldavie. Face à une crise économique qui ne cesse de s’amplifier, où en 30 ans, le nombre de migrants dans le monde est passé de 75 à 200 millions de personnes, le capitalisme est aux abois et le sort qu’il réserve à l’humanité, à l’avenir, est condensé dans ce qu’il fait subir à cette masse d’immigrés. Car c’est bien la misère des  immigrés qui résume la misère du prolétariat en tant que classe ne possédant rien d’autre que sa seule force de travail. Dans la condition inhumaine qui est faite aujourd’hui aux émigrants, cette force de travail apparaît clairement pour ce qu’elle est : une simple marchandise que les négriers bourgeois ont toujours achetée au plus bas prix pour faire fructifier leur capital et quand il y a trop de main d’œuvre sur le marché, c’est le chômage pour une grande partie de la classe ouvrière, l’exode, la répression et la mort pour les plus pauvres d’entre nous.

Au cours des deux dernières semaines nous avons assisté à une succession de scènes hallucinantes à la frontière Sud de l'Union Européenne. Il y a eu d’abord les assauts massifs des clôtures barbelées installées par le gouvernement espagnol que des milliers d'émigrants ont réussi à franchir, non sans y avoir laissé des lambeaux de vêtements et du sang. Puis il y a eu les rafales de balles qui ont fauché la vie de 5 émigrants, des rafales tirées, selon toute probabilité, et en dépit des contorsions des porte-parole officiels, par les forces du "très démocratique" et "très pacifiste" gouvernement de Monsieur Zapatero qui aime se donner l'image d'un Bambi, d’un faon inoffensif. Ensuite est arrivé le déploiement massif de troupes de la Légion et de la Garde Civile avec la consigne de repousser "de manière humaine" (sic) les émigrants. Le 6 octobre, après d'obscures négociations entre les gouvernements espagnol et marocain, les événements prennent un virage : 6 émigrants meurent mitraillés en territoire marocain. Ces meurtres sont le début du déchaînement d'une série d'actes de plus en plus brutaux : émigrants abandonnés dans le désert au Sud d'Oujda le 7 octobre, coups de filet massifs dans les villes marocaines où se concentrent les émigrants ; vols charter de rapatriement vers le Mali et le Sénégal avec des hommes et des femmes entassés, nouvelle déportation massive d'émigrants, dans des autobus de la mort, vers le désert du Sahara.

À partir du 6 octobre, le gouvernement Zapatero récupère son rôle de "champion du savoir faire". Il "proteste" bruyamment auprès du Maroc pour le traitement "inhumain" que ce dernier réserve aux émigrants et il présente, avec un grand déploiement médiatique, son projet d'une clôture "ultramoderne" (en réalité 3 clôtures juxtaposées) qui empêcherait toute pénétration des émigrants "sans leur causer la moindre égratignure". Ses collègues de l'Union Européenne s'unissent de façon pressante au chœur de la "protestation démocratique" face aux "excès" marocains, ils "exigent" "un traitement respectueux des émigrants" et nous assènent leurs bavardages habituels sur l'Union Européenne "terre d'accueil" et sur la nécessité du "développement" des pays africains. Le ministre espagnol des affaires extérieures, un expert en sourires béats, montre les crocs et annonce très sérieusement que "l'Espagne ne va tolérer aucune émigration illégale bien que cela soit compatible avec le respect aux émigrants" (sic). Dans cette crise nous pouvons voir les deux visages des États démocratiques. Depuis le 6 octobre, le Gouvernement Zapatero, après avoir habilement sous-traité au Maroc sa sale guerre contre les émigrants, exhibe son masque habituel de promoteur angélique de la "paix", des "droits de l'homme" et du "respect des personnes". C'est le visage du cynisme, du mensonge et de la manoeuvre, le manteau habituel avec lequel s'entourent les "grandes démocraties", celui de l'hypocrisie la plus répugnante.Cependant, dans les jours précédents, le gouvernement Zapatero est apparu avec l'autre visage : celui du mitraillage massif, celui du Garde civil brutalisant un émigrant, celui des barbelés et des hélicoptères survolant les émigrants, celui des déportations vers les pays africains... Un visage qui déchire le voile hypocrite des discours sur les "droits" et les "libertés" et laisse entrevoir la réalité pure et dure : le "socialiste" Zapatero se conduit envers les émigrants exactement de la même façon que le tellement décrié Sharon avec son mur en Cisjordanie et à Gaza ou que les staliniens Est allemands Ulbricht et Honecker qui avaient élevé le mur de Berlin. Les deux visages, celui de l'hypocrisie démocratique et celui du chien sanglant, ne sont pas en réalité opposés mais ils sont complémentaires. Ils forment une unité indispensable dans la méthode de domination du capitalisme, un système social qui soutient une classe minoritaire et exploiteuse, la bourgeoisie, dont la survie heurte chaque fois plus frontalement les intérêts et les nécessités du prolétariat et de la grande majorité de la population.

Dans le problème tragique de l'émigration nous voyons comment le capitalisme, confronté à une crise chaque fois plus aiguë - et qui prend la forme la plus extrême dans des continents comme l'Afrique - n'est plus capable d'assurer un minimum de survie à des masses chaque fois plus énormes d'êtres humains qui s'enfuient de l'enfer de la faim, des guerres, des épidémies les plus mortifères.

Dans leur fuite, ils sont matraqués et dévalisés par les policiers et les maffias des pays qu'ils traversent, qui disposent toujours de l'approbation intéressée de leurs États respectifs, et quand ils parviennent au but convoité, ils se heurtent à un nouveau mur de la honte, avec des barbelés, des balles, des déportations... Soumis à une crise toujours plus grave, les pays de l'Union Européenne sont toujours moins ce "refuge de paix et de prospérité" avec lequel ils veulent nous éblouir. Leurs économies peuvent absorber seulement quelques gouttes de cette immense marée humaine et dans des conditions d'exploitation toujours plus infamantes qui ressemblent de plus en plus à celles des pays dont s'enfuient les émigrants.

Cette situation est accompagnée d'un contexte croissant de tensions impérialistes entre les différents États chacun cherchant le moyen de frapper son rival ou de trouver des armes pour exercer un chantage sur lui. Cela fait des émigrants une masse de manœuvre alléchante utilisée par les différents gouvernements. Le Maroc essaie de faire chanter l'Espagne en donnant toutes sortes de facilités aux maffias spécialisées dans la traite des émigrants et qui leur permettent d'effectuer leurs "sauts" de l'autre côté. Mais de son côté, l'Espagne, par sa situation de porte d'entrée du Sud dans l'Union Européenne essaie de se faire rétribuer au meilleur prix ses services de cerbère sanglant.

Ce jeu sanglant de charlatans et d'escrocs se mène au détriment des vies de centaines de milliers d'êtres humains condamnés à une tragique odyssée. Les États les plus forts se présentent au monde comme "les plus humains et solidaires" simplement parce que, en coulisse, ils ont obtenu que leurs collègues plus faibles se chargent du sale boulot. Le Maroc apparaît comme le "méchant du film" (la tradition de brutalité la plus sauvage de ses forces policières et militaires lui permettant d'interpréter ce rôle à la perfection) tandis que l'Espagne et les "partenaires" de l'UE, ses commanditaires sans scrupule [1] [8], ont le culot de lui donner des leçons de "démocratie" et de "droits humains". Cependant, les contradictions croissantes du capitalisme, l'approfondissement de sa crise historique, le processus de décomposition qui le mine peu à peu, l'aiguisement progressif de la lutte de classes, font que ces grands États, spécialistes consommés du rôle du "vertueux" dans le théâtre démocratique, apparaissent chaque fois plus directement sous le visage de chiens sanglants. Il y a 3 mois, nous avons vu comment la police britannique, la "plus démocratique du monde", a assassiné de sang froid un jeune brésilien [2] [9] ; il y a moins d'un mois nous avons vu comment l'armée et la police américaines distribuaient des coups de matraque en lieu et place de nourriture et d’aides aux victimes de l'ouragan Katrina, nous voyons aujourd'hui le Gouvernement Zapatero assassiner des émigrants, déployer des troupes et élever un mur de la honte. Un capitalisme à visage humain n'est pas possible. Les intérêts de l'humanité sont incompatibles avec les nécessités de ce système. Pour que l'humanité puisse vivre le capitalisme doit mourir. Détruire l’État capitaliste dans tous les pays, abolir les frontières et l'exploitation de l'homme par l'homme, telle est l'orientation que le prolétariat doit donner à sa lutte pour que l'humanité puisse, tout simplement, commencer à vivre.

Courant Communiste International (11 octobre)

[1] [10] Ces derniers jours, les dirigeants de l’Union Européenne ont rappelé ouvertement à leurs confrères marocains qu’ils leur avaient accordé des crédits pour qu’ils jouent leur rôle de gendarmes, ce qu’ils avaient éludé jusqu’à présent.

[2] [11] Voir sur notre site l’article "Exécution sommaire dans le métro de Londres [12] : La bourgeoisie démocratique prépare ses "escadrons de la mort".

 

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A propos d'un forum sur l'autonomie ouvrière : Qui peut en finir avec le capitalisme ?

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Nous publions ici un article d'intervention que la section du CCI en Espagne (Acción Proletaria) a mis sur Internet dans un Forum sur l'autonomie du prolétariat [www.alasbarricadas.org [17], en langue espagnole].

A l'origine de ce Forum, il y a la reproduction de la part d'un camarade que nous ne connaissons pas, d'un article-bilan que nous avions écrit [1] [18] à propos d'une rencontre sur l'autonomie ouvrière et notre intervention au sein de celle-ci. Cette rencontre, qui a eu lieu à Barcelone, a provoqué un débat passionnant, profond et loyal. Tous les participants partageaient la même volonté d'en finir avec le système capitaliste qui entraîne tant de souffrances de toutes sortes (économique, psychique, morale, écologique) à la grande majorité de l'humanité. Mais c'est sur la question suivante: "qui peut être le moteur d'une si gigantesque transformation sociale ?" que le débat se situe. D'une façon synthétique, deux réponses sont apparues clairement : c'est la classe ouvrière, le prolétariat pour les uns. Pour les autres, dont un camarade qui se fait appeler Piti [2] [19] et d'autres camarades, c'est une communauté d'individus rebelles, qu'ils nomment prolétariat.

Nous défendons résolument, bien sûr, la première réponse. Et nous allons exposer ci-dessous les arguments qui la justifient.

La lutte de classe est le moteur de l'histoire

À la suite de la dissolution graduelle du communisme primitif tribal, la société humaine s'est divisée en classes et le moteur de son évolution a été la lutte de classe.

Cette guerre sociale a eu lieu dans un contexte historique des modes de production successifs (esclavagisme, féodalisme, capitalisme). C'est aussi dans ce cadre général que le développement des forces productives a pu se réaliser d'une façon contradictoire.

Voilà l'explication la plus cohérente de l'histoire humaine. Voilà le moyen de compréhension que les générations actuelles pourront utiliser pour la faire progresser face aux dilemmes que la situation actuelle du capitalisme nous pose : ou la destruction de l'humanité ou sa libération et le commencement d'une nouvelle étape historique basée sur l'abolition des classes sociales, des Etats et des frontières nationales, l'unification des êtres humains dans une communauté humaine qui vit et agit pour et par elle-même.

Face à cette explication, dont le marxisme est le défenseur le plus cohérent, on a opposé une quantité de théories dont le dénominateur commun n'est pas tant le refus de l'existence des classes – une évidence que seuls les plus bornés osent nier -, mais le refus du fait que la lutte de classe soit le moteur de l'histoire.

Comme moteurs alternatifs, on nous a présenté Dieu, l'Esprit Universel, des princes et autres individus possédant des pouvoirs spéciaux, des groupements d'individus de bonne volonté, une minorité de conspirateurs, d'illuminés ou des prêcheurs de toutes sortes de systèmes sociaux et philosophiques, tous investis pour rendre compte des maux de ce bas monde…

La lutte de classe, tout au long de l'histoire, a mis face à face une classe révolutionnaire porteuse d'une nouvelle organisation de la vie sociale et une classe réactionnaire accrochée à la défense des privilèges et des intérêts attachés à l'ordre ancien. En général, ces conflits se dénouent par le triomphe de la nouvelle classe révolutionnaire et la disparition plus ou mois rapide de l'ancienne classe. Mais ce n'est jamais décidé à l'avance par on ne sait quel déterminisme irrévocable. Il y a eu des moments de l'histoire où se sont produites des situations de blocage dans l'évolution sociale, où les deux classes principales de la société se saignaient mutuellement dans des conflits stériles sans trouver d'issue. C'est pour cela que le Manifeste Communiste conçoit la lutte de classe comme une guerre sociale "qui finira toujours en transformation révolutionnaire de la société toute entière ou en destruction des deux classes en lutte".

Aucune classe sociale n'est le moyen aveugle d'un destin historique préétabli, ni l'exécutant forcé d'une nécessité déterminée par l'évolution de la société. Pour libérer la société des entraves imposées par l'ordre ancien, les classes révolutionnaires ont besoin d'un certain degré de conscience et de volonté. Si celles-ci manquent, la nécessité objective, qui n'existe qu'en tant que potentialité historique, ne pourra pas se réaliser et l'évolution sociale stagnera en pourrissant dans le chaos et la destruction.

Dans le passage de la vieille société esclavagiste à l'ordre féodal qui lui succéda, le facteur déterminant était l'évolution objective, alors que la conscience et l'action subjective ont joué un rôle très limité. Dans la destruction du féodalisme et l'avènement du capitalisme, les forces objectives ont été le facteur central, mais la conscience – une conscience surtout idéologique - a eu un rôle important, surtout lors de la dernière étape, celle de la prise du pouvoir politique par la bourgeoisie une fois que la domination économique de la société était assurée.

Par contre, lors de la révolution qui en finira avec le capitalisme, le rôle décisif appartiendra à la conscience, à l'enthousiasme, à la solidarité, à l'héroïsme et à la combativité des grandes masses prolétariennes. Sans cette force subjective, sans cet engagement d'un grand nombre d'individus conscients, la révolution ne sera pas possible. Piti insiste sur la nécessité de la conscience (il l'appelle, lui, nécessité "d'individus auto-conscients", de la solidarité et de la confiance mutuelle (qu'il appelle "communauté de rebelles")… Nous partageons cette préoccupation : pour nous, une des tâches cruciales d'aujourd'hui c'est que les générations actuelles de la classe ouvrière cultivent et développent, dans la lutte, pour la lutte et par la lutte, la conscience, la solidarité, leur critère propre. Sans un développement massif des forces mentales et morales, la révolution mondiale ne pourra pas avoir lieu.

Piti pense, par contre, que la classe ouvrière n'est plus la classe révolutionnaire. Il ne dit pas que la lutte de classe a disparu, il ne nie pas que cette lutte ait pu exister, dans d'autres étapes du capitalisme, le moteur du changement historique, mais sa prémisse est péremptoire: "Ce que j'appelle le "premier assaut à la société de classe", (je parle là du début du 20e siècle et de ses révolutions : Russie, Kronstadt, Allemagne, par exemple), et le "deuxième assaut à la société de classe", mai 68, révoltes autonomes en Allemagne, Autonomia Operaia en Italie, les grèves ouvrières en Pologne, le mouvement des assemblées en Espagne. Ces mouvements ont été défaits, l'autonomie ouvrière a été défaite."

Certes, la vague révolutionnaire mondiale fut défaite et cette défaite laissa la porte ouverte à la plus terrible contre-révolution de toute l'histoire humaine. Il est vrai aussi que l'impulsion initiale des luttes ouvertes en 1968 s'est diluée peu à peu jusqu'à ce qu'en 1989 se produise un fort recul de la conscience et de la combativité ouvrières.

Cependant, pourquoi Piti tire-t-il de ces échecs la conclusion que la classe ouvrière a perdu son caractère révolutionnaire ? Il l'explique en se basant sur deux éléments : d'un côté, le capitalisme a vécu un tel changement que nous nous trouverions face à un nouveau "modèle économique" et ce nouveau modèle économique apporterait une telle quantité de changements sociaux que ceux-ci auraient signé la fin de la classe ouvrière comme classe révolutionnaire. "C'est alors (dans les années 1980) que les changements commencent. Les syndicats, en tant qu'instruments d'intégration de la classe ouvrière agissent directement au service de leurs propres intérêts en négociant avec le patronat et l'État, en acceptant sans broncher les politiques de réductions sociales et du personnel. Ceci brise toute une génération rebelle, une communauté rebelle héritée de l'étape précédente, brise sa conscience. La classe ouvrière est jetée des usines, il y a des reconversions industrielles et une tertiairisation de l'économie (changement du modèle économique), et la délocalisation d'entreprises à la recherche d'une main-d'œuvre bon marché et esclave (...) La technologie joue un rôle fondamental, il y a une révolution technologique qui fait que beaucoup d'ouvriers sont obligés de faire des stages de formation. La technologie favorise la mondialisation de l'économie et l'automatisation. Cependant, ces nouvelles conditions permettent d'augmenter le bien-être d'une minorité de travailleurs. Des cadres techniciens apparaissent, des ouvriers-proprietaires, des petits entrepreneurs, etc. (...) L'époque actuelle est unique et il n'y aura pas de retour en arrière dans le système productif, on ne reviendra pas à "l'identité usine".

Un nouveau modèle économique ?

Tout au long de son histoire, le capitalisme a vécu de nombreux changements technologiques, d'organisation, sociologiques... Le capitalisme est un mode de production dynamique, toujours contraint à changer continuellement son organisation, les méthodes et les outils de production... Le Manifeste communiste reconnaît que "La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l'ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes."

Mais ce dynamisme, signifie-t-il un changement de nature du capitalisme, une modification des bases mêmes de ce système d'exploitation ?

Le capitalisme est passé par de nombreuses étapes : manufacture, machinisme, grande industrie, capital monopoliste, impérialisme, capitalisme d'Etat, etc. Le régime de propriété capitaliste s'est modifié constamment (marchands, propriété individuelle des patrons de l'industrie ; propriété collective par le biais des sociétés par actions ; propriété étatique totale – comme dans les soi-disant pays "socialistes"- ou mixte ; propriété multinationale...) ; les technologies ont vécu des changements spectaculaires (machinisme, chemins de fer, bateaux à vapeur, aviation, télécommunications, informatique, énergie pétrolière ou nucléaire etc.); l'organisation du travail est passée par des stades différents (extensif, intensif, organisation scientifique du travail et taylorisme, industries géantes, décentralisation, délocalisations, sous-traitance, etc.); le régime de travail prend plusieurs formes (travail à domicile, travail des femmes et des enfants, travail à durée indéterminé, fonctionnaires, travail forcé, journaliers, précaires, travail à la tâche, à la pièce, etc.). Cependant, un fil conducteur traverse comme un noyau inaltérable cette multiplicité toujours changeante :

1º) L'expropriation des producteurs, de telle sorte que les paysans et les artisans sont séparés de leurs moyens de production et de vie, devenus ouvriers et obligés de passer sous les fourches caudines du travail salarié pour subvenir à leurs besoins ;

2º) L'exploitation de la force de travail de l'ouvrier dont le salaire tend à couvrir sa reproduction individuelle et celle de sa famille, en produisant une plus-value servant à l'accumulation du capital;

3º) L'accumulation du capital. Le but de la production n'est pas tant de satisfaire les besoins de consommation de la classe dominante mais le réinvestissement de la plus-value reproduisant un nouveau capital.

Quand Piti évoque la mondialisation comme un grand changement fondamental qui se produit tout au long des années 80, il faut lui dire qu'il vient de découvrir quelque chose qui a eu lieu plus d'un siècle plus tôt : "Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. (…) A la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. A la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. Et ce qui est vrai de la production matérielle ne l'est pas moins des productions de l'esprit. Les oeuvres intellectuelles d'une nation deviennent la propriété commune de toutes. L'étroitesse et l'exclusivisme nationaux deviennent de jour en jour plus impossibles et de la multiplicité des littératures nationales et locales naît une littérature universelle. Par le rapide perfectionnement des instruments de production et l'amélioration infinie des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu'aux nations les plus barbares. Le bon marché de ses produits est la grosse artillerie qui bat en brèche toutes les murailles de Chine et contraint à la capitulation les barbares les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers. Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de production ; elle les force à introduire chez elle la prétendue civilisation, c'est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image." Ce passage n'est pas tiré d'un texte pro- ou anti-mondialiste acharné, mais du Manifeste communiste, écrit en 1848 !

Révolution technologique ? Il est vrai que les télécommunications se sont développées ainsi que l'informatique et les réseaux télématiques ; on parle de biotechnologie et de cellules souches ; il est vrai que de larges étendues de terres agricoles tombent sous le charme d'une spéculation immobilière qui fait surgir des gratte-ciel imposants, des logements intelligents et des barres et des barres sans fin de logements…vides. Mais ces changements "fascinants" ne représentent pas de véritable développement ; ils ressemblent plutôt aux derniers soubresauts d'une société malade. Par ailleurs, aucun de ces changements ne peut se comparer aux transformations radicales qui se sont produites dans la phase ascendante du capitalisme : "La bourgeoisie, au cours de sa domination de classe à peine séculaire, a créé des forces productives plus nombreuses; et plus colossales que l'avaient fait toutes les générations passées prises ensemble. La domestication des forces de la nature, les machines, l'application de la chimie à l'industrie et à l'agriculture, la navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, le défrichement de continents entiers, la régularisation des fleuves, des populations entières jaillies du sol - quel siècle antérieur aurait soupçonné que de pareilles forces productives dorment au sein du travail social ?" (Manifeste Communiste).

Le mode de production capitaliste ne se définit pas essentiellement par les technologies, les formes d'organisation de l'entreprise ou du travail... Celles-ci peuvent tourner comme un manège parce qu'elles ne sont que la peau qui couvre un mécanisme : des rapports de production fondés sur le travail salarié et l'extraction de plus-value. Ces mécanismes centraux n'ont pas du tout changé. Ils constituent toujours les piliers qui tiennent tout l'édifice. Piti, qui critique tant la société du spectacle, est victime de l'effet d'optique typique du capitalisme : face à l'immobilisme rigide des sociétés précédentes, le capitalisme apparaît comme un spectacle incessant de changements, mais qui laissent toujours les fondements intacts.

Ces formes ne sont pas non plus déterminantes pour la dynamique réelle du capitalisme. Celui-ci cherche toujours désespérément une masse de plus en plus grande de plus-value et un marché toujours plus grand à la mesure de ses besoins d'accumulation. Quand le capitalisme se rend maître du marché mondial au début du 20e siècle, cette dynamique inexorable le fait entrer dans l'étape historique de décadence et de dégénérescence. Cette étape est toujours, bien sûr, celle de la société actuelle, avec ses guerres sans fin, sa barbarie sans limites, ses crises et ses convulsions économiques, son totalitarisme étatique et sa décomposition idéologique et morale, etc. Ces changements, dont on parle tant, sont superficiels (technologie, finances, services), mais on oublie totalement ce "changement" autrement significatif et déterminant pour la vie quotidienne d'énormes masses humaines. Ce changement entre la période ascendante du capitalisme et sa phase de décadence qui s'est déroulée tout le long du 20e siècle nous permet de comprendre la terrible souffrance, la profonde détresse que des milliers d'êtres humains subissent, nous aide à comprendre la réalité d'une société à l'agonie, nous donne des forces et de la conscience pour lutter vers la construction d'une nouvelle société. Par contre, l'autre vision nous aveugle avec une "modernité" et un "progrès" qui cachent le terrible enfer dans lequel vit la plus grande partie de l'humanité.

 

Acción Proletaria (16 mai 2005)



[1] [20] Acción Proletaria nº 181 "Ils parlent d'autonomie ouvrière pour mieux faire passer leur message sur la fin du prolétariat" (article en espagnol).

[2] [21] Piti est l'un des camarades qui est intervenu dans ce Forum pour défendre une position qu'il définit lui-même comme "néo-situationniste".

 

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Les délocalisations illustrent les lois de l'exploitation capitaliste (2005)

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  • Les délocalisations sont utilisées à toutes les sauces dans la propagande de la bourgeoisie, à tel point que non seulement elles éclipsent toutes les autres attaques qui s’abattent sur le prolétariat, mais en deviennent même l’explication. Altermondialistes, gauchistes et partis de gauche occupent les avant-postes pour dénoncer "l’ultra-libéralisme" de patrons charognards et d’actionnaires assoiffés de juteux dividendes, qui, au milieu de différentes options possibles pour "un autre monde" choisiraient la politique du pire. Au contraire, dans cet article, nous allons montrer que les délocalisations résultent des lois les plus fondamentales qui régissent le système capitaliste lui-même.

 

Contrairement aux élucubrations altermondialistes "contre la marchandisation du monde", voilà belle lurette que, sous l’égide du capitalisme, les rapports marchands régissent l’ensemble des rapports sociaux et humains de la société. Dans la société capitaliste, fournir et vendre une marchandise, constitue, sous peine de se trouver privé de tout moyen de subsistance, le seul moyen d’obtenir une part des biens produits. Pour ceux qui ne possèdent aucun moyen de production, les prolétaires, et se trouvent de ce fait dans l’impossibilité matérielle de produire des marchandises, il ne leur reste plus qu’à proposer sur le marché une marchandise particulière, leur force de travail.

L’exploitation capitaliste  de la force de travail

Comme pour toute autre marchandise, la valeur de la force de travail se traduit sur le marché par un prix et en argent : le salaire. La marchandise force de travail ne se distingue en rien des autres marchandises sur le marché, si ce n’est qu’elle est inséparable de son vendeur, le travailleur, et qu’elle ne supporte pas d’attendre trop longtemps l’acheteur, parce qu’elle périra avec son porteur, le travailleur, par manque de vivres.

La force de travail constitue pour l’acheteur capitaliste, le bourgeois, qui la consomme, la source de son profit. Si le capitaliste industriel ne faisait travailler le salarié qu’il a engagé que pendant le temps suffisant à l’ouvrier pour créer la valeur du salaire qu’il touche, le patron ne réaliserait aucun bénéfice. Il faut que le salarié travaille en plus de ce temps. Le temps de travail de tout ouvrier se compose, sans qu’il ne s’en rende compte, de deux parties : une partie payée, où l’ouvrier ne fait que restituer la valeur de son salaire, et une partie non payée, où il accomplit du travail gratuit ou du surtravail pour le capitaliste qui s’approprie la totalité de la production.

La condition du prolétaire se résume à l’insécurité de son existence. "Le prolétaire est démuni de tout ; il ne peut pas vivre un seul jour pour soi. La bourgeoisie s’est arrogée le monopole de tous les moyens d’existence au sens le plus large du terme. Ce dont le prolétaire a besoin, il ne peut l’obtenir que de cette bourgeoisie dont le monopole est protégé par le pouvoir d’Etat. Le prolétaire est donc, en droit comme en fait, l’esclave de la bourgeoisie ; elle peut disposer de sa vie et de sa mort. Elle lui offre les moyens de vivre mais seulement en échange d’un "équivalent", en échange de son travail ; elle va jusqu’à lui concéder l’illusion qu’il agit de plein gré, qu’il passe contrat avec elle librement, sans contrainte, en être majeur. Belle liberté, qui ne laisse au prolétaire d’autre choix que de souscrire aux conditions que lui impose la bourgeoisie (…)" [1] [25]

Dans le système capitaliste, la soif d'exploitation du surtravail n’a pas de limites : plus le capitalisme tire du travail non payé des travailleurs, mieux c’est. Extorquer de la plus-value, et l’extorquer sans limites, tel est le but et le rôle de l’achat de la marchandise force de travail par le capitaliste. "Le capitaliste industriel n’en reste pas moins au fond un marchand. Son activité comme capitaliste (…) se réduit à celle qu’exerce un marchand sur le marché. Sa tâche consiste à acheter aussi judicieusement, à aussi bas prix que possible, les matières premières et accessoires, les forces de travail, etc., qui lui sont nécessaires, et à vendre aussi cher que possible les marchandises fabriquées dans sa maison. Dans le domaine de la production, un seul point doit le préoccuper : il lui faut faire en sorte que l’ouvrier fournisse, pour le salaire le plus petit possible, le plus de travail possible, rende le plus de plus-value possible." [2] [26]

Cette exploitation ne trouve sa limite que dans l’épuisement de l’exploité et dans la capacité de résistance que la classe ouvrière oppose à l’exploiteur. Pour augmenter la partie du temps de travail gratuit, où le prolétaire fournit au capitalisme sa plus-value, le capital dispose de différents moyens : l’allongement de la journée de travail, l’intensification des cadences pendant la durée du travail et l’abaissement des salaires, et même le minimum nécessaire au simple maintien en vie de l’ouvrier.

Comme toute marchandise, la force de travail est soumise à la concurrence et aux aléas du marché capitaliste. "…Quand il y a plus de travailleurs que la bourgeoisie ne juge bon d’en occuper, lorsque par conséquent au terme de la lutte des concurrents, il en reste encore un certain nombre sans travail, ceux-là précisément, devront mourir de faim ; car le bourgeois ne leur donnera probablement pas de travail, s’il ne peut vendre avec profit les produits de leur travail." [3] [27] La concurrence, "expression la plus parfaite de la guerre de tous contre tous qui fait rage dans la société bourgeoise moderne" où "les travailleurs se font concurrence tout comme les bourgeois se font concurrence" opposant actifs et chômeurs, autochtones et immigrés ou différentes fractions nationales du prolétariat constitue "l’arme la plus acérée de la bourgeoisie dans sa lutte contre le prolétariat." [4] [28]

Les délocalisations, produit de la concurrence capitaliste

La délocalisation de sites de production des pays industrialisés vers des pays à main-d’œuvre à bon marché constitue une évidente expression des lois capitalistes de la recherche d'un taux de profit maximum. Sous la pression de la concurrence à tout va entre grands pays industrialisés capitalistes pour des marchés de plus en plus limités, les salaires horaires moyens de 18 € en Espagne, 4 € en Pologne et en République Tchèque, 2 € au Brésil et au Mexique, 1 € en Roumanie, 0,7 € en Inde ou en Chine contre 23 € en Europe de l’Ouest ou aux Etats-Unis, constituent une immanquable aubaine pour le capitalisme, vampire de la force de travail.

Dès le 19e siècle, la bourgeoisie n’a jamais hésité, quand la technique de production le permettait, à démonter, par exemple, les métiers à tisser, pour aller chercher ailleurs, dans une autre région, une main d’œuvre moins chère ou plus docile à l’exploitation.

Même si les délocalisations, ne sont pas pour la classe ouvrière, une nouveauté, mais constituent un phénomène ancien et international, commun à tous les pays, depuis les années 1990, sous l’impulsion de la crise économique qui dure depuis plus de trois décennies, ce phénomène a connu une certaine accélération. Dans maints secteurs où le coût de la main-d’œuvre représente une part importante du coût de revient global de la production, ce transfert des pays industrialisés vers ceux où les coûts de production sont les plus faibles est même " déjà largement réalisé." [5] [29]

Dans le secteur automobile par exemple il y a longtemps que les grands constructeurs ont eu recours aux délocalisations. Renault produit la R12 depuis 1968 en Roumanie. "Dès les années 1970, Renault, comme d’ailleurs PSA, multiplie les partenariats locaux au Brésil, au Mexique, en Argentine, en Colombie et en Turquie. (…) Après les restructurations des années 80, Renault se lance dans le rachat de Samsung en Corée du Sud et de Dacia en Roumanie, en 1999 ." [6] [30] La bourgeoisie n'a d'ailleurs pas attendu l'effondrement des régimes staliniens et la fin d'une prétendue "économie socialiste" pour que les puissances occidentales investissent et délocalisent dans les pays de l'ex-bloc de l'Est.

Si tous les secteurs de la production capitaliste sont touchés par les délocalisations, toute la production n’est pas destinée à être délocalisée comme le laisse entendre la propagande de la bourgeoisie. "Les secteurs de l’industrie concernés par les délocalisations sont nombreux : cuir, textile, habillement, métallurgie, électroménager, automobile, électronique… Egalement touché le secteur tertiaire : centres téléphoniques, informatique, comptabilité… A vrai dire, toute production de masse et tout service répétitif sont susceptibles d’être délocalisés dans des territoires où le coût de la main d’œuvre est nettement moindre." [7] [31] La baisse drastique des prix des transports accomplie dans les années 1990 (baisse de 45% du coût du fret maritime et de 35% de celui du fret aérien entre 1985-93) a rendu encore plus infime l’inconvénient de l’éloignement des lieux de production de nombre de marchandises du marché où elles seront consommées.

L’exploitation à bas prix de la force de travail intellectuelle high-tech, trop chère dans les pays occidentaux, est frénétiquement recherchée, tout en s’épargnant les frais de sa formation, assurée sur place. En Chine, organismes publics occidentaux et entreprises privées sont de plus en plus nombreux "à créer sur place, telle France Télécom à Canton en juin 2004, des centres de recherche afin de bénéficier du fantastique vivier de scientifiques à bas prix qu’offrent les laboratoires chinois." [8] [32] L’Inde est aussi devenue en quelques années un pays de destination pour la conception de logiciels.

D’autre part, les délocalisations sont largement mises à profit pour réduire les coûts non productifs des grosses entreprises (gestion informatisée, exploitation de réseaux et maintenance, gestion des salaires, services financiers, service clientèle, gestion des commandes, centres d’appels téléphoniques), jusqu’à 40 à 60%. A tel point que "tout ce qui peut être fait à distance et transmis par téléphone ou satellite est bon à délocaliser." C’est ainsi que l’Inde "tend à devenir l’arrière-boutique des entreprises américaines et britanniques." (5)

Dans la compétition à mort que se livrent les nations, les Etats des pays développés mettent explicitement un coup de frein au départ à l’étranger de certaines activités. Posséder sur le territoire certaines industries garantes d’une puissance militaire capable de rivaliser avec les nations du même ordre constitue une nécessité stratégique et une question de survie dans l’arène impérialiste. Plus généralement, sur le plan économique, conserver sur son sol les productions centrales des différents secteurs-clés qui font la force de tel capital national face à la concurrence est tout aussi indispensable. Dans l’automobile, "Sous la pression de la concurrence qui oblige à produire à des coûts toujours plus bas se dessine un mouvement de délocalisation de la production des petites voitures destinées au marché français dans des pays à faible coût de main-d’œuvre, tandis que l’on garde dans l’Hexagone la production de véhicules haut de gamme dans des usines très automatisées. (…)" (6) Idem dans le textile où "aujourd’hui seuls les textiles incorporant technologie et savoir-faire sont encore fabriqués dans l’Hexagone." (6)

Le nombre des pays bénéficiaires des délocalisations est réduit : " l’Inde, le Maghreb, la Turquie, les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) et l’Asie (notamment la Chine)."(7) Si chaque capital national possède sa terre d’élection, chacune répond à une même série de critères impératifs. Ces pays doivent non seulement posséder une certaine stabilité intérieure, ce qui est le cas d’un nombre toujours plus réduit de pays, tant bourgeonnent à la surface de la planète les zones entières livrées aux ravages de la guerre. Mais ils doivent également avoir une infrastructure adaptée et disposer d’une force de travail, rompue à l’exploitation capitaliste, voire relativement formée. La plupart des pays-cibles, ont connu un passé industriel (pays de l’Est) ou un semblant d’industrialisation. A contrario, les pays de l’Afrique subsaharienne, candidats à recevoir des délocalisations, n’en ont pas vu la couleur.

La crise de surproduction sans issue

La définition même des délocalisations comme "le déplacement vers l’étranger d’une activité économique existante [par exemple] en France dont la production est ensuite importée en France" (8) nous livre une partie du secret des chiffres mirifiques alignés par la bourgeoisie au sujet des prétendus miracles chinois ou hindou. A prendre la totalité de la production mondiale, les délocalisations forment une opération blanche. S’il y a bien création d’un pôle industriel qui n’existait pas avant, en aucun cas il n’y a développement ou nouvel essor de la production capitaliste puisque la création d’une activité inexistante auparavant dans tel pays d’accueil a au contraire pour corollaire direct la désindustrialisation et la stagnation des économies les plus avancées.

Pendant des décennies, ces pays ne sont pas parvenus à réaliser les investissements pour l’acquisition massive, d’une technologie moderne, condition indispensable pour soutenir la concurrence des pays plus développés et à accéder à une industrialisation digne de ce nom, même avec une main d’œuvre à très bas coût. Leur sous-développement, et le maintien dans cet état sont même actuellement une des conditions de l’intérêt que trouve le capitalisme à l’exploitation de la classe ouvrière sur place.

L’absence de perspective d’amélioration des conditions de vie du prolétariat des pays destinataires des délocalisations ainsi que le développement du chômage dans les pays occidentaux, vers lesquels se dirige le gros de la production délocalisée, ne peuvent pas contribuer à l’expansion du marché mondial, mais à l’aggravation de la crise de surproduction.

Les délocalisations ne constituent pas par elles-mêmes la cause du chômage et de la baisse du niveau de vie du prolétariat. Elles ne sont que l’une des formes que prennent les attaques qu’il subit, mais toutes possèdent la même racine : les lois économiques du système capitaliste qui s’imposent à chaque nation et à chaque bourgeois et qui plongent le monde capitaliste dans une crise de surproduction sans issue.

Pour engranger la plus-value produite par la classe ouvrière et enfermée dans les marchandises fabriquées, il faut encore que le capitaliste vende celles-ci sur le marché.

Les crises capitalistes de surproduction, fléau du système capitaliste, trouvent toujours leur origine dans la sous consommation des masses à laquelle est contrainte la classe ouvrière par le système capitaliste d’exploitation du travail salarié qui diminue constamment la part de la production sociale qui revient au prolétariat. Le capitalisme doit trouver une part de ses acheteurs solvables en dehors de ceux qui se trouvent soumis au rapport travail-capital.

Auparavant, l’existence sur le marché intérieur, de larges secteurs de production précapitalistes (artisanale et surtout agricole) relativement prospères, formaient le sol nourricier indispensable à la croissance capitaliste. Au plan mondial, le vaste marché extra-capitaliste des pays coloniaux en cours de conquête, permettait de déverser le trop plein des marchandises produites dans les pays industrialisés. Depuis qu’au début du 20e siècle, le capitalisme a soumis l’ensemble de la planète à ses rapports économiques, il ne dispose plus des conditions historiques qui lui avaient permis de faire face à ses contradictions.

Il entre dès lors dans sa phase de déclin irréversible qui condamne l’humanité aux guerres, aux convulsions des crises et à la misère généralisée, faisant peser la menace de sa destruction pure et simple.

Scott


[1] [33] Engels, La situation laborieuse en Angleterre, (1845) Editions sociales p.119.

[2] [34] K. Kautsky, Le programme socialiste, (1892), chapitre "Le prolétariat".

[3] [35] Engels, Ibidem p.121.

[4] [36] Engels, Ibid. p119.

[5] [37] Novethics.fr. 10 janvier 2001

[6] [38] L'Expansion 27 janvier 2004.

[7] [39] Vie publique.fr.12 janvier 2004.

[8] [40] Le Monde.fr. 27 juin 2004.

Récent et en cours: 

  • Crise économique [4]

Questions théoriques: 

  • L'économie [41]

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