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Révolution internationale n°498 - juillet septembre 2023

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Une seule issue: La lutte de classe!

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La période écoulée confirme la brutale accélération de la décomposition du mode de production capitaliste, à travers la multiplication des tragédies qui frappent le monde, particulièrement du fait de la guerre en Ukraine. Les destructions en cours, comme celle du barrage de Kakhovka, l’action du groupe Wagner en Russie, à mi-chemin entre rébellion et putsch avorté, alimentent une déstabilisation et un chaos accrus.

L’accentuation du chaos et des destructions

Désormais au bord de l’implosion, malgré le « retour au calme » à Rostov et à Moscou suite à des négociations ubuesques, le régime de Poutine se trouve fortement affaibli. D’autres seigneurs de guerre ne peuvent que venir, à terme, alimenter l’instabilité inquiétante de cette puissance nucléaire qu’est la Russie, semer le chaos au-delà des marges de l’Europe avec, à la clé, l’éclatement possible de la Fédération de Russie elle-même. Il s’agit là, après l’effondrement de l’URSS en 1991, d’une nouvelle phase dans le processus susceptible d’entraîner le prolétariat en Russie vers des affrontements meurtriers. Ce nouvel épisode désastreux met plus nettement en exergue les dangers croissants que fait peser sur le monde la dynamique mortifère du capitalisme en décomposition. Une dynamique destructrice qui ne cesse de s’amplifier.

La guerre en Ukraine nourrit d’autres événements dramatiques de dimension planétaire :

– Ce conflit accélère la paupérisation massive du prolétariat, y compris dans les pays les plus riches qui doivent financer la guerre et les armements. L’accès à la nourriture, au chauffage, à un logement décent deviennent de plus en plus difficiles pour une partie croissante de la classe ouvrière, particulièrement chez les plus précaires.

– La guerre est aussi un des facteurs aggravant considérablement la dégradation de l’environnement, directement par des destructions à grande échelle (barrage de Kakhovka, dépôts d’armements, usines, etc.), et indirectement par la réticence accrue des gouvernements impliqués dans cette guerre à adopter la moindre mesure contre le changement climatique mettant en péril leur économie exsangue, aiguillée par un besoin croissant d’armement.

Les destructions à grande échelle, les pertes en vies humaines sur les terrains de guerre, la terreur pour des populations livrées à elles-mêmes, que ce soit dans les zones de conflit ou de « paix », s’installent durablement. Fuyant les conflits armés et les régions devenues invivables, les réfugiés, dont le nombre atteint des records, sont transformés en spectres vivants qui viennent croupir dans de nombreux camps inhumains, en proie aux réseaux mafieux et à la brutalité des États.s. D’autres se heurtent aux murs de barbelés ou se noient par milliers dans les eaux du monde entier. Avec la bunkérisation accrue des frontières des États « démocratiques », les cadavres continuent de s’échouer ou de disparaître dans les abysses.

Alors que les pandémies menacent encore, que les États s’avèrent de moins en moins capables de faire face aux catastrophes qui ne cessent de se multiplier, les sécheresses inédites du printemps font désormais place à des incendies monstrueux, comme au Canada où Montréal s’est transformée en ville la plus polluée au monde. Dans d’autres parties du globe, des inondations catastrophiques ont frappé le Népal ou le Chili dernièrement. Les températures records exposent déjà les populations à des coups de chaleur meurtriers (comme en Asie ou en Amérique Latine). Avec les cyclones et les tempêtes qui s’accumulent au sud des États-Unis, la période estivale laisse présager les pires catastrophes.

Tous ces maux sont bien ceux d’une spirale liée au mode de production capitaliste en faillite, ceux d’une société putréfiée, où les producteurs sont acculés à la misère et de plus en plus exposés à la mort, mais où ils sont aussi en proie aux inquiétudes et surtout à une colère légitime.

Le souffle de la lutte de classe

Cette colère est d’autant plus profonde que la crise économique, amplifiée par l’inflation, est un puissant stimulant pour le développement de la lutte de classe. Comme en témoignent les attaques qui se poursuivent contre la classe ouvrière dans tous les pays, la crise économique prépare le terrain à de nouvelles ripostes du prolétariat. Le développement des luttes massives en Grande-Bretagne a initié un phénomène de « rupture », un changement profond d’état d’esprit et une nouvelle poussée de combativité au sein de la classe ouvrière mondiale. Cette dynamique s’est confirmée par les luttes un peu partout dans le monde et, surtout, par les grandes manifestations contre la réforme des retraites en France. Retrouver sa propre identité de classe dans la lutte, renouer avec ses méthodes de combat, tout cela n’est qu’un premier pas, certes fragile, mais fondamental pour le futur.

Alors que des grèves se poursuivent encore au Royaume-Uni, la fin des manifestations en France ne signifie nullement un abattement quelconque ni un sentiment de défaite. Au contraire, la colère toujours présente alimente aujourd’hui une réflexion dans des minorités ouvrières sur la façon de poursuivre ce combat.

S’il convient aujourd’hui de tirer les premières leçons, c’est pour préparer les nouvelles luttes à venir et faire face à tous les obstacles et difficultés qui s’y opposent, en particulier les risques de s’engager sur le terrain d’une violence stérile, comme celle de l’affrontement avec les forces de l’ordre dans laquelle s’est engagée une partie de la jeunesse précarisée lors des émeutes spectaculaires en France, et qui s’opposent radicalement aux méthodes de lutte du prolétariat. Un autre danger, c’est celui de faire disparaître le combat de la classe ouvrière sur le terrain de la bourgeoisie, celui de la « défense de la démocratie » contre le « fascisme » et les « dérives autoritaires » ou de l’obtention de « droits » illusoires pour telle ou telle minorité ou catégorie opprimées.

Face aux défis mondiaux gigantesques et face à la menace de plus en plus palpable de destruction de l’humanité, ce premier pas nécessaire de la classe ouvrière n’est cependant pas suffisant. Le prolétariat devra développer sa conscience bien au-delà de ce qu’il a pu produire lors des grandes grèves de Mai 68 en France et partout ailleurs dans le monde, bien au-delà de la grève de masse qu’il a été capable d’engager en Pologne en 1980.

Le rôle des organisations révolutionnaires

Dans ce cadre, les organisations révolutionnaires jouent un rôle essentiel. Elles détiennent les armes politiques pour permettre de féconder la mémoire ouvrière, pour défendre la perspective révolutionnaire et un point de vue internationaliste dans les combats ouvriers face à la propagande nationaliste et à la politique réactionnaire de la bourgeoisie. En s’appuyant solidement sur les acquis de la Gauche communiste, les organisations ouvrières ont la responsabilité de faire vivre et de transmettre l’acquis théorique fondamental de la lutte prolétarienne : le marxisme.

Face aux confusions et aux doutes, face aux campagnes idéologiques de la bourgeoisie qui entravent le processus de prise de conscience de la classe ouvrière, ce combat hérité des traditions du mouvement ouvrier doit permettre de dégager des perspectives concrètes et de défendre de façon intransigeante les principes et méthodes de lutte de la classe ouvrière. À commencer par l’internationalisme prolétarien face à la guerre en Ukraine et à toute la propagande militariste.

Face aux campagnes idéologiques insidieuses sur le thème de la « défense de la démocratie », face à l’exploitation idéologique de l’indignation que suscitent les méthodes des Poutine et autre Prigojine (d’ailleurs similaires à celles des Zelensky et consorts), face à l’exploitation idéologique des récentes émeutes et des comportements ignobles de la police, la vigilance et le combat pour la conscience ouvrière doivent se frayer un chemin difficile. Mais il n’y a pas d’autre issue. Les futures luttes du prolétariat devront donc peu à peu se politiser pour assumer, de manière claire, unitaire et consciente, la perspective de la révolution mondiale : une révolution destinée à renverser le capitalisme et à établir une société sans classes ni guerres : le communisme.

WH, 8 juillet 2023

Récent et en cours: 

  • Lutte de classe dans le monde 2022-2023 [2]
  • Guerre en Ukraine [3]

Rubrique: 

Face à la guerre et aux destructions du capitalisme…

Guerre en Ukraine, rébellion du groupe Wagner... Une escalade de l’instabilité et du chaos

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Les 23 et 24 juin, en pleine contre-offensive ukrainienne, l’une des armées les plus puissantes de la planète et son État ont été menacés par le groupe Wagner, une milice privée composée de mercenaires liés à l’entourage de Poutine lui-même. Toute une division militaire, commandée par Prigojine, s’est dirigée vers Moscou sans rencontrer d’obstacles… De telles situations, qui semblent absurdes, se répètent de plus en plus à mesure que la putréfaction du capitalisme s’accélère. La guerre en Ukraine est devenue, en elle-même, un facteur considérable d’accélération de la décomposition, semant l’instabilité et le chaos dans le monde.

Les États-Unis, qui ont monté un piège consistant à pousser la Russie à la guerre pour affaiblir avant tout la Chine, apparaissent comme des apprentis sorciers. Ils avaient unitialement estimé pouvoir maintenir un certain contrôle sur le conflit, il s’avère désormais qu’ils ne sont pas en mesure d’en contrôler les conséquences à plus long terme. Déjà, lors de la « guerre contre le terrorisme » qui a justifié les invasions de l’Afghanistan (2001) et de l’Irak (2003), par exemple, les États-Unis avaient également provoqué le chaos au Proche et au Moyen-Orient pour maintenir leur leadership mondial. S’ils ont réussi dans une certaine mesure à prendre le contrôle de ces régions et à obliger les puissances européennes à les suivre à contrecœur, ils ont favorisé la déstabilisation et un chaos encore plus grand et irréversible.

En Russie, la rébellion de Wagner, bien qu’elle se soit rapidement arrêtée, a exposé les faiblesses de l’État russe qui menacent de conduire à une fragmentation politique, affectant non seulement la bourgeoisie russe, mais conduisant également à une grande instabilité dans le monde. Des personnages du genre de Prigojine ne vont cesser d’apparaître sur la scène, prêts à disputer le contrôle du pouvoir tout comme, bien évidemment, celui des armes nucléaires.

La Russie, une bombe à retardement

L’implosion du bloc de l’Est en 1989 a confirmé que le capitalisme entrait dans sa phase de décomposition, caractérisée par un désordre mondial et une lutte de « tous contre tous ». L’effondrement de l’URSS qui s’en est suivi a été principalement causé par la pression de la double faillite économique et politique, découlant d’un enfoncement inéluctable du capitalisme dans la crise, accompagnée de flambées brutales de nationalismes séparatistes dans diverses parties du territoire. Après le coup d’État raté de 1991, ce processus s’est encore accentué, obligeant les puissances occidentales, surtout les États-Unis, à tenter de contenir le cataclysme qui s’abattait sur l’ex-URSS et menaçait de submerger ses frontières. Elles ont offert une aide alimentaire, des facilités de financement par emprunt, etc. Cette « aide » n’était pas faite par altruisme mais, comme toujours, sur la base de calculs impérialistes pour profiter de la nouvelle configuration géopolitique.

Aujourd’hui, une fois de plus, la Russie est au centre des convulsions, mais dans un contexte marqué par l’aggravation de la situation et par des circonstances beaucoup plus sérieuses encore et imprévisibles. L’enfoncement de plus de trente ans du capitalisme dans la décomposition a accentué la tendance au déclin de l’hégémonie des États-Unis, ce qui a exacerbé les ambitions impérialistes de tous les autres pays, ravivant en particulier en Russie la prétention à retrouver une place importante dans l’arène impérialiste.

Mais la prolongation de la guerre conduit la Russie à un affaiblissement de ses forces et à de nouvelles fractures dans l’unité de la bourgeoisie russe, menaçant d’atteindre des niveaux explosifs. Un an avant la mutinerie de Wagner, nous avions prévenu que « l’opération spéciale » en Ukraine risquait « de constituer une seconde déstabilisation profonde après la fragmentation découlant de l’implosion de son bloc (1989-92) : sur le plan militaire, elle perdra probablement son rang de deuxième armée mondiale ; son économie déjà affaiblie tombera encore plus en déliquescence […] les tensions internes entre factions de la bourgeoisie russe ne peuvent que s’intensifier […]. Des membres de la faction dirigeante (cf. Medvedev) avertissent déjà des conséquences : un possible effondrement de la Fédération de Russie et le surgissement de diverses mini Russies avec des dirigeants imprévisibles et des armes nucléaires ». (1)

Au début de la guerre, la bourgeoisie semblait unifiée autour de Poutine, mais à mesure que le conflit s’éternise, des rivalités et des querelles entre les différentes cliques apparaissent. En janvier 2023, certains indices annonçaient des tensions dans le commandement militaire, comme le limogeage de Sergueï Sourovikine qui commandait les troupes russes en Ukraine. Dans le contexte de la décomposition et du chacun pour soi, tout prétexte au déclenchement de rivalités devient rapidement explosif. En ce sens, la mutinerie menée par Prigojine, alors qu’elle pouvait apparaître initialement comme une simple fissure, s’est rapidement amplifiée, montrant la fragile unité au sein de la structure du pouvoir et l’impuissance de l’État à contenir les dynamiques chaotiques. Le professeur et analyste russe Vladimir Gelman, qui a observé le comportement des différents secteurs lors de la soi-disant « marche pour la justice » de Prigojine, note que, si le convoi militaire n’a reçu de soutien explicite d’aucune faction militaire ou civile, il en allait de même pour Poutine : « personne ne s’est manifesté pour le soutenir. Ni les maires ni les dirigeants régionaux n’ont manifesté […]. Ils n’ont fait aucune démarche politique ». Cette expectative pour voir d’où le vent allait souffler souligne la vigilance et la prudence dans lesquelles se trouvent les factions de la bourgeoisie, car la méfiance et les conflits d’intérêts se sont accentués. Si un personnage comme Loukachenko a proposé de négocier avec Prigojine, c’est pour empêcher que, vu la plus grande fragilité du régime en Russie, la guerre s’étende vers la Biélorussie par l’incursion du « bataillon Kalinowski », formé par des opposants au gouvernement Loukachenko et qui combattent aux côtés de l’Ukraine.

La décomposition s’accélère partout dans le monde

Les bourgeoisies des grandes puissances ont exprimé leurs craintes vis-à-vis d’une implosion de l’État russe. Lors de la crise entre le groupe Wagner et l’armée russe, « les responsables américains portaient une attention particulière à l’arsenal nucléaire russe, ils étaient inquiets de l’instabilité d’un pays ayant le pouvoir d’anéantir la majeure partie de la planète ». (2) La bourgeoisie est clairement préoccupée par les difficultés de l’État russe, révélées par la mutinerie de Prigojine, et ceci apparaît dans ses prises de position. Tous les portes-paroles de la bourgeoisie s’accordent à dire qu’ils constatent une grande division et une fragilité en son sein. Zelensky est le premier à affirmer que Poutine est en situation de faiblesse et que son gouvernement « s’effondre ». Antony Blinken, secrétaire d’État américain, tout en affirmant qu’ « il est trop tôt pour savoir comment cela va se terminer », estime que de « vraies fissures » apparaissent dans le régime de Poutine, qui désorientent et divisent la Russie, compliquant la « poursuite de l’agression contre l’Ukraine ». Même Trump, qui s’est présenté comme un « ami » de la Russie, affirme que « Poutine est quelque peu affaibli », et appelle le gouvernement américain à profiter de la situation pour négocier un cessez-le-feu. Seule la Chine évite de mettre en exergue les faiblesses du régime de Poutine et présente la mutinerie de Wagner comme une « affaire intérieure ». La légèreté avec laquelle elle qualifie les événements est plus qu’un acte diplomatique et cache, en réalité, une inquiétude sur les effets qu’aurait un affaiblissement de la Russie sur ses frontières. C’est d’autant plus vrai si se produisait un éclatement de la Fédération de Russie qui constitue, jusqu’à présent, le principal allié de la Chine. De son côté, Poutine assure qu’il maintiendra l’unité de la Fédération et son pouvoir, tout en tentant de fidéliser les différentes forces de répression en promettant plus d’armes et en augmentant les salaires. Mais cela suffira-t-il à éliminer les divisions dans la structure militaire et à rehausser le moral défaillant des troupes ?

Ce qui devient de plus en plus évident, c’est qu’à mesure que la guerre en Ukraine s’éternise, le chaos et la barbarie s’étendent et s’approfondissent, affectant directement la Russie. Mais comme c’est « l’État le plus grand du monde et l’un des plus armés, [sa déstabilisation] aurait des conséquences imprévisibles pour le monde entier ». (3)

Or, de possibles conséquences de la prolongation de la guerre pourraient être :

– une aggravation des fissures au sein de la bourgeoisie, menant à l’éclatement d’une guerre civile, transformant toute la population et particulièrement la classe ouvrière en chair à canon ;

– une action plus irréfléchie et irresponsable de la faction au pouvoir dirigée par Poutine qui, acculée, pourrait faire usage de l’arsenal nucléaire. Pour l’instant, Poutine a annoncé le déploiement d’armes nucléaires tactiques sur le territoire biélorusse à partir du 7 ou 8 juillet ;

– l’apparition de cliques irrationnelles qui se disputent le pouvoir et qui disposeraient d’un stock important d’armes nucléaires, prêtes à être brandies face aux adversaires pour mieux se positionner dans la nouvelle répartition du pouvoir. Les actions du groupe Wagner sont un exemple clair de ce risque. En outre, il existe des indices effrayants à cet égard, comme la menace de bombarder la centrale nucléaire de Zaporijjia dans le sud de l’Ukraine, la plus grande d’Europe et l’une des dix plus grandes au monde, plongeant l’humanité dans un danger très réel de catastrophe nucléaire. Mais la folie de la guerre n’est pas exclusive à cette partie de l’impérialisme russe. Les États-Unis viennent de fournir à l’Ukraine des bombes à fragmentation, qui se fractionnent en de nombreux projectiles explosifs, restant potentiellement actifs pendant des décennies.

Quelles que soient les initiatives prises, elles entraîneront des catastrophes pour le monde entier. Comme nous l’affirmions fin 2022, les années 2020 s’annoncent comme les plus mouvementées de l’histoire avec une accumulation de catastrophes et de souffrances pour l’humanité (pandémies, famines, catastrophes environnementales…), qui, hors de contrôle, pose la question, à terme, de sa propre survie. Dans ce contexte, la guerre en tant qu’action intentionnelle et planifiée de l’État capitaliste est, sans nul doute, le principal déclencheur de la barbarie et du chaos.

En ce qui concerne les répercussions internationales, bien que nous ne puissions pas spéculer, car la situation est hautement imprévisible, d’importants pays d’Europe de l’Est calculent comment tirer parti de la situation pour faire progresser leurs propres visées impérialistes : c’est le cas, par exemple, de la Pologne, qui, avec la guerre, a acquis une plus grande importance stratégique pour les États-Unis. Elle est parvenue à renforcer son armée avec la fourniture d’armes par l’OTAN, y compris avec des chars de technologie avancée, ce qui réactive ses vieux rêves impérialistes d’étendre son influence en Europe de l’Est.

Seule la classe ouvrière peut renverser le capitalisme

Tous ces affrontements entre factions de la bourgeoisie sont aussi instrumentalisés par la bourgeoisie pour diffuser ses poisons idéologiques contre la classe ouvrière. Avec leurs mystifications, leurs manifestations martiales et leurs déclarations, toutes les cliques de la classe dirigeante cherchent à montrer leur force à l’adversaire, mais aussi à semer la peur et la confusion parmi les ouvriers. Chaque faction participant à la guerre essaie de se présenter comme une victime ou un défenseur de la liberté, afin de dominer et de contrôler l’esprit des exploités et de les utiliser comme de la véritable chair à canon sur les fronts de guerre ou de leur imposer la passivité face à l’augmentation de l’exploitation et de la dégradation des conditions de vie pour le bien de la « patrie ». Profitant de la guerre en Ukraine et de la mutinerie de Wagner, la bourgeoisie, notamment celle des pays occidentaux, renforce son discours sur la « démocratie » et sa lutte contre l’« autocratie ». À tout prix, elle essaie de cacher le fait que son système pourri, construit sur l’exploitation, la misère et la guerre, ne peut offrir que destruction et chaos, et met en danger l’existence même de l’humanité. La guerre en Ukraine, avec toutes ses conséquences destructrices, illustre l’avancée de cette menace.

Face à la barbarie capitaliste, la seule force sociale capable de la contenir est le prolétariat. « Ce ne sont pas des négociations diplomatiques ou les conquêtes de tel ou tel impérialisme qui ont mis fin à la Première Guerre mondiale. C’est le soulèvement révolutionnaire international du prolétariat ». (4)

T/RR, 9 juillet 2023

 

1) « Signification et impact de la guerre en Ukraine », Revue internationale n° 168 (2022).

2) « Un motín en Rusia ofrece pistas sobre el poder de Putin », New York Times (26 juin 2023).

3) « L’accélération de la décomposition capitaliste pose ouvertement la question de la destruction de l’humanité », Revue internationale n° 169 (2022).

4) « 3e Manifeste du CCI : Le capitalisme mène à la destruction de l’humanité… Seule la révolution mondiale du prolétariat peut y mettre fin », disponible sur notre site web ou en version papier.

Géographique: 

  • Ukraine [4]
  • Russie [5]

Personnages: 

  • Poutine [6]
  • Prigojine [7]
  • Wagner [8]

Récent et en cours: 

  • Guerre en Ukraine [3]

Rubrique: 

Conflits et tensions impérialistes

Lutte contre la réforme des retraites: Peut-on faire confiance aux syndicats?

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Quatorze journées d’action contre la réforme des retraites, des millions de personnes dans les rues. Comme ses frères de classe au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne… le prolétariat en France a crié son ras-le-bol, un clair refus de subir passivement les attaques de la bourgeoisie : « Ça suffit ! ». (1) Les travailleurs ont recommencé, peu à peu, à se reconnaître comme une classe en lutte dont la force réside avant tout dans leur capacité à se serrer les coudes.

Les syndicats ont semblé, aux yeux de beaucoup d’ouvriers, prendre en charge ces aspirations. À écouter la presse, les syndicats ont été à la pointe de ce mouvement, multipliant les journées d’action, semblant incarner la solidarité lors des grèves dans les raffineries, les transports ou chez les éboueurs, sur les piquets de grève, à travers les caisses de grève ou face à la répression. L’appel de l’intersyndicale à des mobilisations massives, y compris le samedi pour permettre à tous de participer, a semblé donner corps à la volonté qui s’est exprimée, semaine après semaine, dans les rangs des manifestants : nous devons lutter tous ensemble.

Les syndicats prétendent mettre “la France à l’arrêt”

Face à la poussée de combativité et aux aspirations à la solidarité entre tous les secteurs, toutes les générations, les syndicats ont appelé à la « grève générale » : « L’intersyndicale appelle à faire du 7 mars une journée “France à l’arrêt”. Il s’agit d’une journée de grève générale qui doit permettre le soutien de l’ensemble de la population à la mobilisation ». Mettre « la France à l’arrêt », n’a-t-on pas cessé d’entendre dans la bouche des organisations syndicales. Mais comment ? En bloquant de prétendus « secteurs stratégiques », évidemment ! Effectivement, les syndicats ont appelé dès février à toute une série de blocages et de grèves reconductibles à la RATP, dans les transports aériens, à la SNCF, dans les ports, chez les éboueurs, dans les raffineries, etc.

Or, ils ont poussé à la reconduction de grèves très localisées, en prenant surtout bien soin de ne pas favoriser leur extension : aucun lien véritable, aucune délégation vers d’autres entreprises, aucune véritable assemblée générale, des grévistes isolés des autres ouvriers, dans des grèves peu suivies, à protéger leur piquet face aux CRS. Au milieu du mois de mars, par exemple, la CGT a imposé une grève reconductible aux éboueurs de Paris, en les exposant seuls à la répression policière, pour soi-disant « emmerder les bourgeois »… avant de suspendre ce mouvement faute de grévistes (6 % des salariés). Les syndicats n’ont d’ailleurs cessé, dans les entreprises, de mettre en avant des revendications très sectorielles, comme si la question des salaires, de l’inflation, des cadences de travail et même des retraites étaient spécifiques à chaque boîte.

Ce n’est pas la première fois que les syndicats mettent en avant des grèves par procuration dans des secteurs dits « stratégiques », poussant des ouvriers souvent très combatifs, qui peuvent peser dans la balance de la lutte, à se mobiliser dans des grèves épuisantes et corporatistes. En 2018, la CGT avait envoyé au casse-pipe les cheminots seuls à travers des « grèves perlées ». Elle avait également été le fer de lance du « blocage de l’économie » en 2015, déjà en polarisant sur le secteur des raffineries. De francs succès qui n’avaient rien bloqué, tout en divisant la classe ouvrière ! À chaque fois, les travailleurs avaient tout de même été appelés à la « solidarité »… mais une solidarité platonique consistant à grossir les caisses de grève que les syndicats se sont empressés de reverser, dans un flou artistique, à leurs seuls adhérents.

Mais, cette fois-ci, le piège n’a pas fonctionné au mieux des espérances de la bourgeoisie. Les grèves syndicales sont souvent restées minoritaires : pas de queues interminables aux stations service, pas d’usagers des transports « excédés » mais plutôt compréhensifs, pas de grèves corporatistes perdues d’avance. La classe ouvrière, malgré ses faiblesses, n’est pas tombée dans le piège des grèves longues, où chacun est seul dans son coin. La grève « par procuration » n’a pas vraiment fait recette.

La stérilisation des manifestations massives

Lors de la première journée d’action, le 19 janvier 2023, près de deux millions de salariés étaient dans la rue, une mobilisation beaucoup plus forte qu’attendue, exprimant un sentiment de colère et d’injustice, mais aussi de solidarité, de joie à se retrouver tous ensemble. Dans les cortèges, l’enthousiasme de nous retrouver, semaine après semaine, dans des manifestations massives, était palpable. Les syndicats et les partis de gauche n’ont cessé de répéter que le nombre de manifestants était susceptible d’imposer à lui seul un rapport de force, de « faire pression » tantôt sur le gouvernement, tantôt sur le Parlement. Mais en dépit de ces mobilisations historiques, le gouvernement n’a pas reculé.

Pourquoi ? Parce que le nombre de manifestants, sans une réelle prise en mains de la lutte par la classe ouvrière elle-même, n’est nullement susceptible, à lui seul, de créer un véritable rapport de force. La massivité de la lutte en France a été un pas très important dans le retour de la combativité du prolétariat dans le monde. Mais si nous rassembler massivement, sentir la force collective de notre classe sont indispensables, être des millions ne suffit pas !

Lors du mouvement contre le CPE, en 2006, les étudiants et les jeunes précaires étaient bien moins nombreux, mais ils avaient su prendre la direction de la lutte, à travers des assemblées générales souveraines, et commençaient à étendre le mouvement aux travailleurs, aux retraités. Bref, la classe ouvrière commençait à se battre avec ses propres armes : celle de son unité. C’est cela qui, à l’époque, a effrayé le gouvernement Villepin au point de le faire reculer.

Aujourd’hui encore, la bourgeoisie a tout fait pour empêcher les ouvriers de prendre eux-mêmes en main la solidarité et l’extension de la lutte. En polarisant quasi exclusivement sur le seul nombre de manifestants, en appelant, pendant plusieurs semaines, à des journées d’actions massives, sans discussion, sans véritables assemblées ouvertes à tous, les syndicats n’ont fait que coller aux aspirations qui s’exprimaient au sein de notre classe, aux besoins d’unité et de solidarité… pour mieux les dénaturer et disperser les forces !

Ainsi, au nom de la « solidarité avec tous ceux qui n’ont pas les moyens de faire grève et de se mobiliser en semaine », quelques journées d’action ont été organisées le samedi. Les syndicats ont prétendu que nous serions plus nombreux, sans que cela nous coûte, avec la présence des familles, des enfants. Mais l’extension dont nous avions besoin ne pouvait nullement se réaliser de la sorte ! La solidarité dont nous avions besoin ne s’arrête pas à nos familles ou à nos amis. Elle doit s’étendre à notre classe ! À d’autres ouvriers susceptibles de nous rejoindre dans la lutte, avec qui discuter, débattre et décider collectivement ! Rien de tel avec les mobilisations syndicales du samedi, avec leur même logique de saucissonnage et de dilution, chacun derrière sa banderole, sans discussion, ni décision collective en fin de manifestation !

La mobilisation s’est cependant maintenue, semaine après semaine, au grand étonnement de tous les acteurs gouvernementaux et syndicaux. L’intersyndicale a dû progressivement espacer les journées d’action, passant de quelques jours, au début du mouvement, à plus d’un mois entre la manifestation du 1er mai et celle du 6 juin, pour tenter d’user et de décourager les manifestants. Ce fut la douche froide : « Je suis en colère contre la stratégie de l’intersyndicale… Pourquoi, après un 1er mai historique, avoir attendu aussi longtemps pour mobiliser ? C’était une erreur » (un syndiqué de FO, à Rennes). « L’union intersyndicale aurait dû être plus vindicative et combative » (une gréviste de l’INSEE à Paris). Malgré l’énorme combativité et les mobilisations toujours massives, l’absence de lien réel au sein d’assemblées générales, de possibilité d’éprouver concrètement notre solidarité entre chaque manifestation, ont fini par essouffler la lutte et distiller un sentiment croissant d’impuissance.

Gauche et syndicats au chevet des institutions bourgeoises

Face au scepticisme grandissant vis-à-vis des balades syndicales, la bourgeoisie a pu compter sur la gauche et les syndicats pour détourner le prolétariat sur le terrain pourri du soutien aux institutions bourgeoises.

D’emblée, réduire le rapport de force au seul nombre de manifestants avait pour vocation de détourner la classe ouvrière de ses méthodes de lutte, de la réduire à l’impuissance en polarisant l’attention sur le terrain du jeu démocratique bourgeois : mettre soi-disant la pression pour soutenir le « combat parlementaire » ! Si le prolétariat s’est fait peu d’illusions sur les « institutions républicaines », il n’en a pas moins été gêné par cet écran de fumée idéologique.

Tout le tapage autour du 49.3 n’avait pas d’autre objectif. Avec le « cri de rage » du 16 mars contre le « déni de démocratie » de Macron, soigneusement organisé par les partis de gauche aux abords du Palais Bourbon, une nouvelle mobilisation démocratique nous a été proposée en guise de dérivatif. Cette mascarade a ainsi été le point de départ d’une explosion de colère totalement stérile et minoritaire. L’État n’a, d’ailleurs, pas hésité à réprimer violemment ces manifestations « sauvages » plusieurs nuits durant, avec le silence complice de l’intersyndicale qui a profité de l’occasion pour tenter de redonner un peu de crédit à ses balades hebdomadaires.

La focalisation sur le vote du 8 juin porté par l’opposition au Parlement, et dont tout le monde savait qu’il était perdu d’avance, a également été utilisée par la bourgeoisie pour canaliser la colère. Après le 1er mai, tout devait se jouer sur cette seule et unique date. Un mois de trêve, sans rassemblements afin de « se faire entendre des parlementaires ». Et ce fut un mois de « casserolades », de coupures de courant et de mobilisations ponctuelles et localisées pour « emmerder », cette fois, le président Macron et sa clique. La polarisation sur la « visibilité » propre à la mystification démocratique, comme la pression qu’elle était censée exercer sur le Parlement et le gouvernement, servaient, en réalité, à faire diversion et empêcher de réfléchir sur les véritables armes du prolétariat.

Les syndicats ne sont en aucune façon des organisations « trop molles » pour la lutte, entravées par des « directions traîtres » ou multipliant les erreurs et indécisions dans l’action. Ce sont clairement des organes de l’État qui, par leur nature, par leurs actions manœuvrières contre la classe ouvrière, sont devenus ses ennemis. La forme de lutte syndicale, si elle a été au XIXe siècle une arme du prolétariat, ne correspond plus, depuis le début du XXe siècle, aux besoins de la lutte. Depuis l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, les syndicats se sont entièrement intégrés à l’appareil d’État de la bourgeoisie, avec pour rôle de saboter les luttes et de tenter de maintenir la classe ouvrière, y compris leurs propres adhérents, dans l’impuissance et le désespoir.

C’est la raison pour laquelle, dans le mouvement qui vient de s’achever, les syndicats ont systématiquement œuvré à stériliser la lutte et à entraver la marche de la classe ouvrière. Face au retour de la combativité du prolétariat à l’échelle internationale, ils œuvreront encore et toujours à saboter les luttes !

Stopio, 23 juin 2023

 

1) Cf. le tract distribué par le CCI lors de la journée d’action du 6 juin : « Bilan du mouvement contre la réforme des retraites : la lutte est devant nous ! ».

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [9]

Récent et en cours: 

  • Lutte de classe dans le monde 2022-2023 [2]
  • Réforme des retraites [10]

Rubrique: 

Lutte de classe

L’ACG exclut le CCI de ses réunions publiques, la CWO trahit la solidarité entre organisations révolutionnaires

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« L’ACG, Angry Workers, Plan C et la Communist Workers Organisation discuteront des grèves récentes et à venir au Royaume-Uni et ailleurs. Beaucoup de temps pour les questions, les réponses et la discussion ». C’est ainsi que l’Anarchist Communist Group (ACG) a annoncé sa réunion publique du 12 mai 2023. La réunion visait à « promouvoir l’idée d’organisations de base contre les machinations des bureaucrates syndicaux, qui entravent et font obstruction aux actions de grève tant ici, au Royaume-Uni, qu’à l’étranger ». (1)

Quelles sont les organisations qui collaborent à cette réunion ?

L’ACG s’est séparée de l’Anarchist Federation (AF), il y a cinq ans, sur la question de la politique identitaire, dans une tentative de mettre davantage l’accent sur la lutte authentique de la classe ouvrière. Elle a adopté une position essentiellement internationaliste contre la guerre en Ukraine, bien qu’avec des faiblesses évidentes. (2)

Les Angry Workers of the World (AWW) sont un groupe plus « ouvriériste » de l’ouest de Londres, très proche du milieu anarchiste dans ses idées et ses méthodes. Ce groupe n’a formulé une position collective sur la guerre en Ukraine qu’un an après son déclenchement. Malgré une discussion récente sur le défaitisme révolutionnaire, il ne défend toujours pas une position internationaliste sans ambiguïté. (3)

Plan C est une organisation ouvertement gauchiste, même sans idéologie particulière, qui se caractérise comme expérimentale et non dogmatique. Le 25 juin 2022, elle a tenu une réunion de « solidarité avec la classe ouvrière ukrainienne » (mais pas avec la classe ouvrière en Russie !), avec des orateurs et un film sur les anarchistes en Ukraine qui aident leurs voisins et soutiennent les soldats combattants.

Enfin, la Communist Workers Organisation (CWO) est une organisation du milieu révolutionnaire affiliée à la Tendance communiste internationaliste (TCI) et a défendu une position internationaliste claire contre la guerre.

Le CCI exclu des réunions de l’ACG à Londres

En octobre 2022, avant une réunion de l’ACG à Londres, le CCI a reçu un courriel du groupe qui disait : « Si le CCI pense venir à la réunion publique de ce soir, veuillez y réfléchir à deux fois, car nous avons décidé que votre présence serait préjudiciable ». Nous avons répondu en demandant une explication à l’ACG. Mais nous n’avons jamais reçu de réponse.

Dès notre arrivée à la réunion de l’ACG du 12 mai dernier, nous avons été reconnus comme le CCI et avons reçu l’ordre de quitter la réunion. Nous avons protesté, rappelant à l’ACG qu’elle avait été exclue du Salon du livre anarchiste à l’automne dernier parce qu’elle s’opposait à la guerre en Ukraine. Nous avons également rejeté le prétexte selon lequel le CCI « parle trop », puisque notre pratique est de respecter les règles de l’organisation animant la réunion. Nos objections ont été ignorées et nous n’avons pas eu d’autre choix que de distribuer nos tracts et d’exposer notre presse à l’extérieur.

Nous ne savons pas ce qui a motivé l’ACG à organiser des discussions publiques avec un groupe gauchiste comme Plan C, mais si elle pense que cela renforcera sa capacité à défendre des positions prolétariennes, elle se trompe. De nombreux exemples de l’histoire du mouvement ouvrier démontrent que l’activité conjointe entre une organisation bourgeoise et une organisation prolétarienne (ou, dans le cas présent, qui cherche à s’orienter en direction des positions prolétariennes) se fait toujours au détriment de cette dernière.

L’exemple le plus clair est celui de la CNT qui avait été une organisation révolutionnaire du prolétariat et avait même envisagé de demander l’adhésion au Komintern. Mais au cours des années 1920, elle a commencé à collaborer de plus en plus avec des organisations politiques bourgeoises, (4) jusqu’à ce qu’elle décide, en 1936, de participer aux gouvernements de la Généralité de Catalogne et de la République de Madrid. Ce virage n’était pas accidentel puisque, pendant la Seconde Guerre mondiale, la CNT en France, saisie par l’antifascisme, a combattu dans les armées de la « Libération » contre l’occupation allemande. La CNT était définitivement devenue une organisation bourgeoise.

Aujourd’hui, l’ACG est bien contente de tenir une réunion avec ceux qui se sont montrés incapables d’adopter une position internationaliste claire et collectivement acceptée, comme les AWW, et, plus grave encore, avec un groupe comme Plan C, qui s’est révélé être dans le camp de la bourgeoisie. Parallèlement, l’ACG exclut de sa réunion une organisation qui, tout comme l’ACG elle-même, défend l’internationalisme prolétarien et la perspective du communisme. Comment l’ACG explique-t-elle cette incohérence ?

Une autre incohérence de l’ACG est le fait qu’elle formule publiquement un point de vue sur la lutte de classe, mais ne veut pas le confronter dans un débat public avec celui du CCI, même si sa position sur cette question est loin d’être antagoniste à celle du CCI, comme on le voit, par exemple, dans la citation suivante d’un article de l’ACG : « Comme de plus en plus d’ouvriers sont contraints par nécessité de se mettre en grève, il devient de plus en plus nécessaire de créer de nouvelles formes d’organisation. Celles-ci dev­­raient permettre une lutte efficace et unifiée, en contournant les bureaucrates syndicaux et en allant au-delà des syndicats ». (5) Comme tous ceux qui lisent notre presse peuvent le constater, cette position est relativement proche de celle du CCI, même si elle est défendue avec un cadre d’analyse différent.

Un débat public permettrait de confronter les argumentations. Les questions sont donc les suivantes : pourquoi l’ACG évite-t-elle une confrontation politique avec le CCI et pourquoi pense-t-elle qu’un débat sur la lutte de classe avec le CCI est contre-productif pour le développement d’une perspective prolétarienne ?

La trahison du principe de solidarité par la CWO

La CWO fait partie du même milieu des organisations révolutionnaires de la Gauche communiste que le CCI. Ce milieu est fondé sur certains principes que toutes les organisations devraient respecter. L’un de ces principes est qu’une attaque contre une organisation de la Gauche communiste est une attaque contre l’ensemble de la Gauche communiste. Ainsi, lorsqu’un groupe de ce milieu est attaqué, boycotté ou exclu, toutes les organisations sont attaquées et devraient réagir comme un tout. Car chaque attaque contre une organisation révolutionnaire contient une menace pour le processus historique de construction du parti.

Ainsi, le CCI a apporté son soutien total lorsque le Parti communiste international (bordiguiste) a été attaqué après la publication de la brochure : Auschwitz ou le grand alibi. En 2015, il a publié un Communiqué de solidarité avec la TCI lorsque les militants de cette organisation ont été pris pour cible par d’anciens membres de la section en Italie de la TCI. Mais quelle est la réponse de la CWO dans le cas de l’exclusion du CCI de la réunion publique de l’ACG ? En novembre 2022, après le courriel de l’ACG, le CCI avait déjà écrit à la CWO pour lui demander sa position sur cette question, mais n’a jamais reçu de réponse.

Lorsque des camarades de la CWO sont venus à une réunion publique du CCI après l’incident, nous leur avons demandé de prendre position sur l’exclusion, mais au lieu de le faire, les camarades ont évité la question, expliquant pourquoi ils pensaient que l’ACG avait agi de la sorte, ce que les membres de l’ACG avaient pu leur dire à ce sujet, comme s’ils étaient ses apologistes. L’ACG peut pourtant parler pour elle-même et la CWO a le devoir de prendre une position claire.

Le camarade qui représentait la CWO à la réunion de l’ACG du 12 mai avait expliqué à son arrivée sur place qu’il ne savait pas que le CCI avait été exclu de la réunion, ni même que la CWO était mentionnée dans l’annonce de la réunion comme l’un des groupes participants. S’est-il rendu compte qu’il participait à un débat avec une organisation ouvertement gauchiste ? L’ignorance est un mauvais argument derrière lequel se cacher, mais entre-temps, il avait été informé par nos camarades de l’exclusion du CCI de la réunion et pourtant il n’a pas pris de position claire.

Il est clair qu’après avoir ouvert la porte à des groupes parasitaires et à des mouchards, comme lors du comité No War But The Class War de Paris, (6) la CWO ouvre maintenant la porte à des organisations qui défendent ouvertement des positions bourgeoises, comme Plan C.

Mais les organisations révolutionnaires ne peuvent pas s’engager dans une discussion publique sur la lutte de classe avec des organisations qui ne défendent pas une position internationaliste. De telles organisations sont fondamentalement hostiles aux intérêts historiques de la classe ouvrière. Mais la CWO, voulant jouer sur les deux tableaux, n’a pas le courage de dire ouvertement qu’elle cherche à se rapprocher d’un groupe gauchiste « non dogmatique » comme Plan C, au lieu d’exprimer sa solidarité ou de collaborer avec le CCI.
Dans sa politique d’« ouverture », la CWO ne veut pas que le CCI soit témoin de sa « romance » avec des groupes anarchistes ou gauchistes. Elle est donc prête à mettre sous le tapis le principe de solidarité au sein de la Gauche communiste et refuse de condamner l’exclusion du CCI par l’ACG.

Finalement, la CWO a démontré qu’elle renonçait au principe de la défense des organisations de la Gauche communiste contre les attaques de l’extérieur : « et aucune organisation prolétarienne ne peut ignorer cette nécessité élémentaire [de solidarité] sans en payer le prix ». (7)

CCI, 14 juillet 2023

 

 

1) « All Out ! The Current Strike Wave », disponible sur le site de l’ACG (12 mai 2023).

2) Lire notre article : « Les anarchistes et la guerre : Entre internationalisme et “défense de la nation” », Révolution internationale n° 494 (2023).

3) Voir notre article : « AWW and Ukraine war : There is no middle ground between internationalism and “national defence” », disponible sur notre site web (septembre 2022).

4) Cf. « La contribution de la CNT à l’instauration de la République espagnole (1921-1931) », Revue internationale n° 131 (2007).

5) « Oil rig workers strike », disponible sur le site de l’ACG (9 juin 2023).

6) « Un comité qui entraîne les participants dans l’impasse », Révolution internationale n° 496.

7) Cf. « Les conférences internationales de la Gauche Communiste (1976-1980) : Leçons d’une expérience pour le milieu prolétarien », Revue internationale n° 122 (2005).

Vie du CCI: 

  • Défense de l'organisation [11]

Récent et en cours: 

  • Anarchist Communist Group [12]

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [13]

Rubrique: 

Défense de la Gauche Communiste

Pourquoi le CCI parle-t-il de “rupture” dans la dynamique de la lutte de classe?

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En mai dernier, le CCI a tenu des réunions publiques dans différents pays sur le thème : « Grande-Bretagne, France, Allemagne, Espagne, Mexique, Chine… Aller plus loin qu’en 1968 ! ». Il s’agissait de mieux comprendre la signification politique, mondiale et historique de ces luttes, les perspectives dont elles sont porteuses mais aussi les faiblesses importantes que la classe ouvrière devra surmonter pour assumer les dimensions économique et politique de son combat. La participation active aux débats qui ont eu lieu est une illustration de la lente maturation de la conscience qui s’opère en profondeur au sein de la classe ouvrière mondiale et dont sont plus particulièrement porteuses de petites minorités, appartenant souvent à une nouvelle génération. Elles renouent ainsi progressivement avec l’expérience du mouvement ouvrier et de la Gauche communiste.

Ces réunions ont été animées par une claire volonté de clarification à travers la confrontation aux différentes positions en présence. Ainsi, face à l’analyse défendue par le CCI, se sont exprimés des soutiens, des nuances, des doutes et question­nements, voire des désaccords. L’objet de cet article est d’en rendre compte afin d’encourager la poursuite du débat.

Le lien avec Mai 68

Malgré les difficultés pour saisir la complexité de la situation marquée par le chaos grandissant du mode de production capitaliste, rythmée par des épisodes dramatiques et destructeurs tels que la guerre en Ukraine, avec en perspective l’enlisement sans fin dans la crise économique, les intervenants ont, en général, reconnu ce fait essentiel que la classe ouvrière était à nouveau entrée massivement en scène, depuis un an, dans la lutte face à la détérioration insupportable de ses conditions de vie. Certains ont fait un parallèle entre la situation actuelle et celle de Mai 68. (1) En 1968, le retour du chômage (pourtant alors bien faible par rapport à la situation actuelle) inaugurait de fait la fin de la période dite des « Trente glorieuses », et la réapparition de la crise ouverte, période faite de récession, reprise, récession plus profonde. Aujourd’hui, l’approfondissement brutal de la crise économique et le retour en force de l’inflation constituent sans conteste le ressort essentiel des mobilisations de la classe ouvrière. Des camarades ont souligné que Mai 68 et la période actuelle avaient en commun l’irruption de mobilisations massives de la classe ouvrière. Un camarade en Grande-Bretagne précisait à ce propos que « la plus grande différence avec 68 est la profondeur de la crise économique actuelle ».

Un autre camarade reconnaissait que « Mai 68 avait ouvert une nouvelle phase après la contre-révolution ». En effet, suite à l’échec de la vague révolutionnaire des années 1917-1923 et à la chape de plomb stalinienne qui a suivi la défaite du prolétariat mondial, Mai 68 inaugurait le réveil de la classe ouvrière sur un plan international. À Paris, un camarade caractérisait de la sorte les conditions subjectives de la lutte de la classe ouvrière, en 1968 et aujourd’hui : « la référence à Mai 68 est pertinente. Cet événement coïncide avec l’arrivée d’une nouvelle génération de la classe ouvrière qui n’avait pas subi, comme ses parents, l’écrasement idéologique de la contre-révolution et notamment la chape plomb de l’influence du stalinisme. Aujourd’hui, il a fallu une nouvelle génération pour sortir de l’idéologie de la “mort du communisme” ». Il est remarquable qu’au Brésil les participants aient reconnu, presque comme une « évidence », qu’il se passait quelque chose au niveau de la lutte de classe et que c’est le prolétariat des pays centraux du capitalisme, en Europe occidentale, qui se plaçait à l’avant-garde de la mobilisation du combat ouvrier mondial. En rapport avec la situation actuelle, un camarade de Grande-Bretagne notait d’ailleurs « l’importance des luttes actuelles. Elles représentent la possibilité d’une véritable renaissance de la lutte des classes ».

Mais cette même intervention, comme d’autres d’ailleurs, au Brésil en particulier, s’inquiétaient « des faiblesses de la classe ouvrière », ou « des manœuvres de la bourgeoisie qui a le contrôle, surtout avec les syndicats ».

La spécificité de la période post-1989 souvent incomprise

En fait, certaines interventions tendaient à vouloir plaquer la réalité de Mai 68 sur la période actuelle alors que d’autres opposaient les deux situations. Bref, toutes manifestaient une difficulté à comprendre, au-delà des analogies et des différences entre ces deux moments historiques, ce qu’on entend par « rupture » dans la dynamique de la lutte de classe, respectivement en 1968 et aujourd’hui.

En 1968, le réveil de la classe ouvrière mondiale mettait un terme à quarante de contre-révolution, correspondant à une profonde défaite physique et idéologique du prolétariat consécutive à l’écrasement de la vague révolutionnaire de 1917-23. La rupture de 2022, signalée par la mobilisation du prolétariat au Royaume-Uni, met en mouvement une classe ouvrière qui n’a pas subi de défaite physique comparable à celle ayant entraîné la contre-révolution mondiale mais qui, par contre, a subi de plein fouet les campagnes sur « la mort du communisme », sur « la disparition de la classe ouvrière », etc.

Durant plus de trente ans, la classe ouvrière mondiale, déboussolée, ayant perdu son identité de classe, s’est montrée incapable d’une mobilisation à la hauteur des attaques qu’elle subissait. Il a fallu cette longue période d’attaques incessantes, profondes et de plus en plus insoutenables pour qu’elle renoue avec des mobilisations inégalées en ampleur depuis des décennies (depuis 1985 pour les ouvriers au Royaume-Uni), clairement en rupture avec la situation qui prévalait depuis 1989. Trente années pendant lesquelles, du fait justement que la classe ouvrière n’était pas défaite, il se développait une réflexion en son sein (la maturation souterraine de la conscience) se traduisant par une perte croissante d’illusions quant à l’avenir que nous réserve le capitalisme, puis par la certitude que la situation ne pourra qu’empirer. C’est ainsi que fermentait un profond sentiment de colère qui s’est exprimé par le « trop c’est trop » des grévistes en Grande-Bretagne.

Pour n’être pas complètement comprise, la dynamique des trente années précédentes a donné lieu, dans la discussion, à différentes interprétations erronées. Ainsi, une camarade à Toulouse invoquait une « continuité » dans la lutte depuis ces trente ans, jalonnée par des victoires et des défaites, en particulier la mobilisation contre le CPE (2006), contre la réforme des retraites de Sarkozy-Fillon (2010) et aussi le mouvement des Indignés (2011). Mais justement, durant cette période, une telle continuité (où des luttes en cours font écho à des luttes passées) n’existait pas, la classe ouvrière ne parvenant pas à relier entre elles, dans sa mémoire collective, les quelques nouvelles et rares expériences qu’elle faisait.

Il en va de même de l’idée d’un « bond qualitatif » utilisée par certains camarades, notamment au Brésil, pour caractériser l’irruption des luttes en Grande-Bretagne et en France. Une telle conception qui, en général, tend à réduire la conscience à un simple produit ou reflet de la lutte immédiate elle-même, minimise toutes les autres dimensions du processus de prise de conscience. L’idée de « bond qualitatif » peut être préjudiciable en laissant entendre que la classe ouvrière aurait brusquement surmonté bon nombre de ses faiblesses.

Par ailleurs, des interventions au Mexique, tendant à diluer la lutte du prolétariat en l’emmenant sur des terrains tels que celui de la défense de l’environnement ou du féminisme, ont été justement critiquées. En effet, l’idéologie qui les sous-tend et qui est elle-même favorisée par la perte de l’identité de classe, représente une claire menace pour la lutte autonome du prolétariat, la seule à même de résoudre les problèmes de la société à travers le renversement du capitalisme.

L’importance de la massivité et de la maturation dans les luttes actuelles

Si les participants aux réunions ont admis la réalité de la massivité des luttes actuelles, il faut bien reconnaître qu’en général ils n’ont pas été capables de prendre en compte leur importance en tant qu’élément fondamental de la rupture qualitative. Des millions d’ouvriers concentrés dans quelques pays d’Europe de l’Ouest qui se mobilisent, malgré ce que cela leur en coûte financièrement, qui luttent solidairement avec leurs camarades pour refuser la misère que le capitalisme veut leur imposer par l’exploitation et la divisions, cela constitue en soi une victoire considérable.

Des camarades ont exprimé des critiques à ce qu’ils considéraient comme une surestimation du mouvement par le CCI. Ainsi, en Grande-Bretagne et en France, on a pu entendre :

– « je trouve que le CCI surestime la séquence de la lutte. Je ne comprends pas la méthode de maturation souterraine. Il y a là une association d’idées, ce n’est pas massif, on fait juste référence à des minorités actives ».

– « C’est vrai qu’à la fin des manifestations il y avait bien des discussions, certes, mais il n’y a pas eu de grèves ! Sans la grève, le mouvement s’est tassé. Le problème est que l’arme du prolétariat est la grève générale. (2) En Mai 68, il y avait une grève générale et là ce n’était pas le cas […]. Je ne veux pas ternir le tableau mais amplifier la profondeur du mouvement [comme le fait le CCI], je ne suis pas sûre que cela serve ». Dans le cas qui nous préoccupe, on semble oublier que pour aller manifester dans la rue par centaines de milliers, voire par millions, en France, les ouvriers étaient en grève !

À plusieurs endroits (à Nantes en France, au Brésil…) des interventions voulaient tempérer la réalité de la rupture dans la lutte de classe mise en avant par le CCI par le fait que les syndicats n’avaient pas été remis en cause. À cette objection, ce sont des participants qui, à Nantes, ont opposé l’analyse suivante : « Certes, il n’y a pas eu de remise en cause des syndicats, pas d’auto-organisation, mais le mécontentement reste très fort et permanent, même s’il n’y a pas de nouvelle lutte spectaculaire. Car il faut voir d’où vient la classe, elle sort d’une période de trente ans de difficultés. Il n’y a pas eu de défaite politique, en fait. La classe réunit ses forces pour aller plus loin ».

À ceci nous ajoutons qu’en France (mais pas seulement), la bourgeoisie avait anticipé la colère ouvrière et les syndicats avaient fait tout leur possible pour n’être pas contestés par les ouvriers. Face au besoin et à la volonté des ouvriers en lutte de s’unir par-delà les catégories et corporations, les syndicats avaient pris les devants en maintenant, du début à la fin, un front uni syndical le plus large possible « farouchement opposé » à la réforme des retraites.

Avec quelle méthode fonder la réalité d’une rupture ?

Alors que des interventions tendaient à chercher des « preuves » et des « faits » pour essayer de convaincre ou se convaincre soi-même de la réalité de la « rupture », d’autres camarades ont essayé d’illustrer le changement de situation à travers la capacité des « syndicats expérimentés » (en France, notamment) à « coller au mouvement », aux « aspirations d’unité » en utilisant « le piège de l’intersyndicale ». Dans le même sens, ces camarades ont mis en évidence la complicité de différentes fractions de la bourgeoisie en vue d’isoler par un black-out savamment dosé les différents foyers de lutte : « Pourquoi la bourgeoisie fait-elle un black-out sur les grèves à l’étranger ? C’est pour ne pas qu’on puisse créer de liens, la bourgeoisie connaît très bien son ennemi de classe. Il y a là un signe supplémentaire de la maturation. Il faut avoir une vision globale, internationale ». De manière très juste, des camarades ont souligné qu’il ne fallait pas se polariser sur tel ou tel élément pris en soi, mais qu’il était préférable de « voir un faisceau d’indices et savoir les interpréter », faisant référence en ce sens à la démarche de Marx, mais aussi à celle de Lénine qui « avaient la capacité de percevoir les changements d’état d’esprit du prolétariat ».

À chaque fois, pour tenter de clarifier les choses, le CCI a essayé d’aller plus loin en défendant cette idée valable de « processus de maturation souterraine », de rupture et non pas celle de « saut qualitatif ». Le CCI a surtout insisté pour élargir et poser les problèmes avec méthode, comme en témoigne une de ses interventions à Paris : « plusieurs interventions ont mis en évidence des discussions qu’on ne voyait plus depuis des années. Que fait-on de cela ? Comment l’analyser ? Est-ce qu’on replace cela dans un cadre plus large et global ? Au lieu de voir les choses avec un microscope, il nous faut prendre du recul, prendre un télescope ; c’est-à-dire avoir une démarche historique et internationale. Nous sommes dans une période où le capitalisme mène l’humanité à sa perte. La classe ouvrière a le potentiel de se battre et d’entrer en lutte, de pouvoir faire la révolution. À l’échelle internationale, depuis trois décennies, on a vu le reflux des luttes et un recul de la conscience. La classe a perdu conscience d’elle-même, son identité. Or l’été dernier, il y a eu un mouvement très important en Grande-Bretagne qu’on n’avait pas vu depuis quarante ans ! Est-ce uniquement en Grande-Bretagne ? Cela témoignait que quelque chose était en train de changer en profondeur à l’échelle mondiale. C’est à partir de cela que nous avons dit que quelque chose changeait. On a vu la capacité à lutter face à l’aggravation de la crise économique. On a vu des luttes dans de nombreux pays. C’est dans ce cadre que s’inscrit la confirmation de la lutte contre la réforme des retraites en France. On a vu trois mois de luttes, une combativité. D’autre part, on commence à voir des slogans, une réflexion qu’on n’avait pas vue depuis les années 1980. Il y a un ras le bol général, on voit une tentative de se réapproprier l’histoire. C’est cela qu’il y a derrière le slogan “tu nous mets 64 on te Mai 68” […]. Il existe une tendance a se réapproprier le passé, comme avec le resurgissement de l’expérience du CPE de 2006 alors qu’on n’en avait plus entendu parler. Comment expliquer que cela resurgisse ? Il y a d’autres aspects plus minoritaires sur : comment faire la révolution ? Une partie réfléchit sur : qu’est-ce que le communisme ? Il y a un effort de la classe. Ce n’est pas simplement la question de : est-ce que la réforme des retraites passe ou pas ? Il faut tirer les leçons. Comment aller plus loin ? Avec quelle méthode de lutte ? C’est cela l’enjeu ».

Nous devons donc reconnaître, comme leçon fondamentale, la nécessité de prendre en compte, pour nos analyses, le contexte international et historique : une accélération de la décomposition de la société capitaliste, son « effet tourbillon » destructeur, la gravité et la dangerosité de la guerre, et en même temps la brutale accélération de la crise économique, avec l’inflation comme puissant aiguillon à la lutte de classe. Nous devons reconnaître également qu’en luttant sur son terrain de classe, de façon massive, le prolétariat commence à prendre confiance en ses propres forces, va acquérir la conscience croissante de mener une même lutte par-delà les corporations et les frontières.

Les luttes aujourd’hui sont une première victoire : celle de la lutte elle-même.

WH, 26 juin 2023

 

1) Il faut signaler que la plupart de ces réunions ont eu lieu à une date symbolique, celle de l’anniversaire des manifestations massives du 13 mai 1968 en France. À ce propos nous recommandons à nos lecteurs notre brochure : 1968 et la perspective révolutionnaire, publiée aussi en deux parties dans les numéros 133 et 134 de la Revue internationale.

2) Faute de temps, la question de la différence entre « gréve générale » et « gréve de masse » n’a pu être traitée. Mais nous avons souligné notre désaccord avec le fait d’assimiler ces deux termes. La grève générale, si elle constitue un indice du mécontentement dans la classe, renvoie néanmoins à l’organisation (et donc au contrôle) de la lutte par les syndicats. En ce sens, aux mains des syndicats, elle peut aussi constituer un moyen d’épuiser la lutte. À la grève générale, nous opposons la grève de masse telle qu’elle s’est manifestée magistralement en Russie ne 1905 en se donnant ses propos moyens de centralisation de la lutte, alliant revendications économiques et politiques.

Vie du CCI: 

  • Réunions publiques [14]
  • Débat [15]

Récent et en cours: 

  • Lutte de classe dans le monde 2022-2023 [2]
  • rupture [16]

Rubrique: 

Lutte de classe

La décomposition du capitalisme s'accélère!

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Alors que la bourgeoisie et ses médias ne cessent de dissimuler la faillite historique du capitalisme, la bourgeoisie, quand elle réunit les principaux dirigeants du monde au Forum Économique Mondial de Davos et se parle à elle-même, ne peut faire l’économie d’une certaine lucidité. Les conclusions du rapport général soumis au Forum sont de ce point de vue particulièrement édifiantes : « Les premières années de cette décennie ont annoncé une période particulièrement perturbée de l’histoire humaine. Le retour à une “nouvelle normalité” après la pandémie de Covid-19 a été rapidement affecté par l’éclatement de la guerre en Ukraine, inaugurant une nouvelle série de crises alimentaires et énergétiques, déclenchant des problèmes que des décennies de progrès avaient tenté de résoudre.

En ce début d’année 2023, le monde est confronté à une série de risques à la fois totalement nouveaux et sinistrement familiers. Nous avons assisté au retour des risques “anciens” (inflation, crises du coût de la vie, guerres commerciales, sorties de capitaux des marchés émergents, troubles sociaux généralisés, affrontements géopolitiques et spectre de la guerre nucléaire) que peu de chefs d’entreprise et de décideurs publics de cette génération ont connus. Ces phénomènes sont amplifiés par des évolutions relativement nouvelles dans le paysage mondial des risques, notamment des niveaux d’endettement insoutenables, une nouvelle ère de faible croissance, d’investissements mondiaux réduits et de démondialisation, un déclin du développement humain après des décennies de progrès, le développement rapide et sans contrainte de technologies à double usage (civil et militaire), et la pression croissante des impacts et des ambitions liés au changement climatique dans une fenêtre de transition vers un monde à 1,5° C qui ne cesse de se rétrécir. Tous ces éléments convergent pour façonner une décennie unique, incertaine et troublée.

La prochaine décennie sera caractérisée par des crises environnementales et sociétales, alimentées par des tendances géopolitiques et économiques sous-jacentes. La “crise du coût de la vie” est classée comme le risque mondial le plus grave pour les deux prochaines années, avec un pic à court terme. La “perte de biodiversité et l’effondrement des écosystèmes” est considérée comme l’un des risques mondiaux qui se détérioreront le plus rapidement au cours de la prochaine décennie, et les six risques environnementaux figurent parmi les dix principaux risques pour les dix prochaines années. Neuf risques figurent dans le classement des dix principaux risques à court et à long terme, notamment la “confrontation géo-économique” et l’ “érosion de la cohésion sociale et la polarisation sociétale”, ainsi que deux nouveaux venus dans le classement : “cybercriminalité et cyber-insécurité généralisées” et “Migration involontaire à grande échelle” ». (1)

Cette longue citation ne sort pas d’une publication du CCI. Elle est le fruit du travail d’un des « think tanks » les plus cotés parmi les principaux dirigeants politiques et économiques de la planète. De fait, ces constats rejoignent largement le texte adopté par le CCI en octobre 2022 sur l’accélération de la décomposition capitaliste : « Les années 20 du XXIᵉ siècle s’annoncent comme une des périodes parmi les plus convulsives de l’histoire et accumulent déjà des catastrophes et des souffrances indescriptibles. Elles ont commencé par la pandémie du Covid-19 (qui se poursuit encore) et une guerre au cœur de l’Europe, qui dure déjà depuis plus de neuf mois et dont personne ne peut prévoir l’issue. Le capitalisme est entré dans une phase de graves troubles sur tous les plans. Derrière cette accumulation et imbrication de convulsions se profile la menace de destruction de l’humanité. […]

Avec l’irruption foudroyante de la pandémie de Covid, nous avons mis en évidence l’existence de quatre caractéristiques propres à la phase de décomposition :

– La gravité croissante de ses effets […].

– L’irruption des effets de la décomposition sur le plan économique […].

– L’interaction croissante de ses effets, ce qui aggrave les contradictions du capitalisme à un niveau jamais atteint auparavant […].

– La présence croissante de ses effets dans les pays centraux […].

L’année 2022 a été une illustration éclatante de ces quatre caractéristiques, à travers :

– L’éclatement de la guerre en Ukraine.

– L’apparition de vagues jamais vues de réfugiés.

– La poursuite de la pandémie avec des systèmes sanitaires au bord de la faillite.

– Une perte de contrôle croissante de la bourgeoisie sur son appareil politique, dont la crise au Royaume-Uni a constitué une manifestation spectaculaire.

– Une crise agricole menant à une pénurie de beaucoup de produits alimentaires dans un contexte de surproduction généralisée, ce qui constitue un phénomène relativement nouveau depuis plus d’un siècle de décadence.

– Des famines terrifiantes qui frappent de plus en plus de pays.

Or, l’agrégation et l’interaction de phénomènes destructeurs débouche sur un “effet tourbillon” qui concentre, catalyse et multiplie chacun de ses effets partiels en provoquant des ravages encore plus destructeurs. […] Cet “effet tourbillon” constitue un changement qualitatif dont les conséquences seront de plus en plus manifestes dans la période qui vient ». (2)

En réalité, ce n’est pas de quelques mois que l’analyse du CCI a précédé celle des experts les plus avisés de la classe dominante, mais de plusieurs décennies puisque les constats qui sont établis dans ce texte ne sont qu’une confirmation saisissante des prévisions que nous avions déjà mises en avant à la fin des années 1980, notamment dans nos « Thèses sur la décomposition ».

« L’effet tourbillon », évoqué dans notre texte, met en évidence qu’il suffit que l’un de ces phénomènes s’aggrave pour provoquer aussitôt des explosions et réactions en chaine sur d’autres effets de la décomposition, de telle sorte que les crises partielles se transforment en un tourbillon incontrôlable de catastrophes.

Le Global Risks Report n’annonce pas autre chose lorsqu’il évoque la dynamique menant à ce que la bourgeoisie appelle une « polycrise » : « Les chocs concomitants, les risques profondément interconnectés et l’érosion de la résilience font naître le risque de polycrises, où des crises disparates interagissent de telle sorte que l’impact global dépasse de loin la somme de chaque partie. L’érosion de la coopération géopolitique aura des effets en chaîne sur le paysage mondial des risques à moyen terme, notamment en contribuant à une polycrise potentielle de risques environnementaux, géopolitiques et socio-économiques interdépendants liés à l’offre et à la demande de ressources naturelles. Le rapport décrit quatre futurs potentiels centrés sur les pénuries de nourriture, d’eau, de métaux et de minéraux, qui pourraient tous déclencher une crise humanitaire et écologique, allant des guerres de l’eau et des famines à la surexploitation continue des ressources écologiques et au ralentissement de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique ». La description très précise que le Global Risks Report fait de « l’inter-connectivité entre les risques globaux » est fondamentalement, sans en avoir réellement conscience, le processus qui conduit vers la barbarie totale et la destruction de l’humanité.

Identifier les causes du “tourbillon de crises”

Cette objectivité, en revanche, les experts de la bourgeoisie l’abandonnent lorsqu’ils essayent d’expliquer l’origine de ces « risques ». Bien qu’ils ne se fixent pas cet objectif, on peut déduire des éléments qu’ils présentent que les racines des cataclysmes se trouvent dans de prétendues prises de décision inadéquates. Les solutions qu’ils proposent reposent sur un optimisme naïf, espérant « un changement significatif de politique ou d’investissement », une heureuse collaboration entre États, ainsi qu’avec le capital privé.

Empêtré dans une vision bourgeoise de la situation historique, le Global Risks Report ne peut pas comprendre que les phénomènes qu’il parvient à décrire sont le résultat de l’existence même du capitalisme, que la guerre, la destruction écologique ou la crise économique n’ont pas de solution dans ce système. Bien que, dès son origine, le capitalisme ait été un système basé sur l’exploitation humaine, sur la déprédation et la destruction de la nature, le capitalisme était un facteur de développement politique et social au moment de son essor (principalement au XIXᵉ siècle). Mais comme tout mode de production, il a finit par atteindre sa phase de décadence, phase où le développement des forces productives entre de plus en plus en opposition avec les rapports de production qui les contraignent. Ce n’est pas un hasard si c’est la Première Guerre mondiale qui a ouvert le processus de décadence du système : depuis, le militarisme et la guerre définissent la vie économique et politique de la bourgeoisie.

Reconnaissant la décadence capitaliste, les révolutionnaires de la Troisième Internationale l’ont définie dans leur plateforme programmatique comme « l’époque de la désintégration du capitalisme, de son effondrement interne. Époque de la révolution communiste du prolétariat ». De sorte que la décadence représente les conditions matérielles qui permettent la maturation des conditions de la révolution sociale.

Plus de cent ans après ce basculement, l’impasse dans laquelle se trouve le capitalisme, l’effroyable barbarie et les destructions massives qu’elle induit s’imposent chaque jour davantage à l’humanité. Depuis l’implosion du bloc « soviétique » en 1989, les contradictions internes qui caractérisaient la phase de décadence du capitalisme ont véritablement explosé, mettant en évidence le pourrissement sur pied du système. Cette nouvelle période, celle de la décomposition du capitalisme, est marquée par un processus d’accroissement du chacun pour soi et de dislocation, qui est devenu le facteur déterminant de l’évolution de la société, rapprochant et aggravant les phénomènes destructeurs et exposant le danger que le capitalisme représente pour l’humanité.

Ces tendances destructrices se sont non seulement accentuées mais apparaissent conjointement et, surtout, interagissent entre elles. Ainsi, au début de la phase de décomposition, les différents États pouvaient intervenir et isoler les effets, de sorte que chaque catastrophe se produisait sans être liée aux autres.

La pandémie et surtout la guerre en Ukraine ont marqué un changement qualitatif dans la décomposition, non seulement parce que leurs effets ont été mondiaux et ont entraîné des millions de morts et de déplacés, mais aussi parce qu’elles ont eu un impact aggravant sur des conflits dans divers domaines : elles ont mis en évidence l’incapacité de la bourgeoisie à circonscrire les catastrophes de manière coordonnée ainsi que son irrationalité, elles ont paralysé l’économie, accéléré la crise sanitaire, aiguisé les rivalités commerciales et impérialistes, etc.

C’est précisément cette interaction des contradictions du capitalisme décadent, avançant sous forme de tourbillon, qui apparaît comme la caractéristique majeure de cette phase de décomposition. C’est dans l’histoire de la décadence du système capitaliste qu’on peut situer les fondements des événements actuels et comprendre pourquoi les années 20 du XXIᵉ siècle s’annoncent « comme l’une des périodes les plus convulsives de l’histoire ».

Pas plus que les modes de production qui l’ont précédé, le mode de production capitaliste n’est éternel. Comme les modes de production du passé, il est destiné à être remplacé, (s’il ne détruit pas avant l’humanité) par un autre mode de production supérieur correspondant au développement des forces productives, développement qu’il a lui-même permis à un moment de son histoire. Un mode de production qui abolira les rapports marchands qui sont au cœur de la crise historique du capitalisme, où il n’y aura plus de place pour une classe privilégiée vivant de l’exploitation des producteurs.

L’alternative communiste face à la barbarie du capitalisme

Si la bourgeoisie, avec toutes ses équipes de spécialistes, peut décrire les phénomènes, elle ne peut fondamentalement pas les comprendre et encore moins leur apporter une solution. La seule classe qui peut présenter une alternative à sa barbarie, c’est le prolétariat, la classe exploitée au sein du capitalisme et qui n’a aucun avantage à y défendre. Par ailleurs, la classe ouvrière est aussi celle qui subit de plein fouet les attaques contre ses conditions de travail et de vie qui découlent directement de la pression accentuée de la crise, accentuée par l’ensemble des manifestations de la décomposition.

Malgré toutes les attaques subies ces dernières décennies, deux conditions permettent aux ouvriers de se maintenir comme une force historique capable d’affronter le capital : la première est que le prolétariat n’est pas vaincu et maintient sa combativité. La seconde est précisément l’approfondissement de la crise économique, qui met à nu les causes premières de toute la barbarie qui pèse sur la société, permettant ainsi au prolétariat de prendre conscience de la nécessité de changer radicalement le système et de ne plus seulement chercher à en améliorer illusoirement certains aspects.

Précisément à l’heure actuelle, sous l’impulsion de la crise économique, le prolétariat a commencé à développer ses luttes, comme le montrent les mobilisations en Europe. Depuis l’été 2022, la classe ouvrière en Grande-Bretagne est descendue dans la rue pour défendre ses conditions de vie. La même combativité s’est exprimée ensuite lors des mobilisations en France, en Allemagne, en Espagne, en Belgique et même des grèves aux États-Unis. De ce point de vue, la décennie qui s’ouvre s’exprime aussi par la rupture avec la passivité et la désorientation que le prolétariat a longtemps manifesté.

Actuellement, la combativité qui s’exprime en Europe souligne qu’un processus de maturation est amorcé, qui avance vers la reconquête d’une véritable identité de classe et la confiance en la force du prolétariat au niveau international. Ce processus est le terreau sur lequel pourra éclore le combat historique de la classe ouvrière contre la barbarie du capitalisme en putréfaction, pour la perspective révolutionnaire.

MA, 15 mai 2023

 

1) « Global Risks Report, Principales conclusions : quelques éléments », présenté au Forum économique mondial de Davos (janvier 2023).

2) « L’accélération de la décomposition capitaliste pose ouvertement la question de la destruction de l’humanité », Revue internationale n° 169 (2022).

Questions théoriques: 

  • Décomposition [17]

Rubrique: 

Guerre, crise, destruction de l’environnement, misère…

Face à la barbarie de l’État bourgeois, les violences aveugles sont une impasse

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La mort tragique du jeune Nahel, à Nanterre, dans la banlieue parisienne, assassiné par un policier, a mis le feu aux poudres. Immédiatement, des émeutes ont éclaté dans les grandes et petites villes de France contre cette ignoble injustice.

La terreur de l’État bourgeois

Comme en témoigne la vidéo qui a immédiatement circulé sur les réseaux sociaux, Nahel a été abattu froidement, à bout portant, pour un simple refus d’obtempérer. Ce meurtre fait suite à une longue liste de tués et de blessés par la police, la plupart du temps en toute impunité.

La multiplication des contrôles au faciès, les discriminations éhontés et le harcèlement systématique de jeunes à la couleur de peau un peu trop « foncée » sont légions. Toute une partie de la population, souvent pauvre, parfois marginalisée, ne supporte plus le racisme permanent dont elle est victime, ne supporte plus les comportements arrogants et humiliants de nombreux flics, comme les discours haineux dont elle fait les frais matin et soir à la télévision et sur internet. Le communiqué ignoble du syndicat Alliance qui se déclare « en guerre » contre les « nuisibles » et les « hordes sauvages » illustre cette réalité insupportable.

Mais les relents xénophobes répugnants de nombreux flics permettent aussi à tous les défenseurs de la « démocratie » et de « l’État de droit » de masquer à bon compte la terreur et la violence de plus en plus évidentes que l’État bourgeois et sa police exercent sur la société. Car le meurtre de Nahel témoigne d’une montée en puissance de la violence de l’État, d’une volonté à peine voilée de terroriser et réprimer face à la crise inexorable du capitalisme, face aux inévitables réactions de la classe ouvrière, comme aux risques d’explosion sociale (émeutes, pillages, etc.) qui ne vont cesser de se multiplier à l’avenir.

Si cette violence s’incarne de manière ordinaire par la mise au pas des exploités sur leur lieu de travail, par les humiliations constantes et la violence sociale assénées aux chômeurs et à toutes les victimes du capitalisme, elle s’exprime aussi dans le comportement de plus en plus violent d’une partie significative de la police, de la justice et de tout l’arsenal répressif de l’État, que ce soit au quotidien dans les « quartiers » ou contre les mouvements sociaux.

Depuis la loi de 2017, qui a allégé les conditions dans lesquelles la police pouvait tirer, le nombre de meurtres a été multiplié par cinq. Depuis cette loi adoptée par un gouvernement de gauche, celui de Hollande, les policiers ont la gâchette facile ! Parallèlement, la répression des mouvements sociaux n’a cessé de se renforcer ces dernières années, comme en témoigne le mouvement des gilets jaunes avec une multitude d’éborgnés, d’estropiés ou de blessés. Plus récemment, la lutte contre la réforme des retraites a vu un déchaînement terrible de la police symbolisé par les nombreuses agressions de la BRAV-M. Les opposants aux méga-bassines de Sainte-Soline ou les immigrés clandestins chassés de Mayotte ont également fait l’objet d’une répression ultra-violente. L’ONU a même condamné « le manque de retenue dans l’usage de la force », mais aussi la « rhétorique criminalisante » de l’État français.

Et pour cause ! L’arsenal des forces de l’ordre en France est un des plus fournis et dangereux d’Europe. L’usage croissant des grenades de désencerclement, des lacrymogènes ou des LBD, le recours aux chars anti-émeutes, etc., tendent à transformer les mouvements sociaux en véritables scènes de guerre, face à des personnes que les autorités n’hésitent plus à taxer sans vergogne de « criminels » ou de « terroristes ».

Les récentes émeutes ont encore été l’occasion pour la bourgeoisie d’exercer une répression féroce, avec l’envoi de 45 000 policiers, des unités d’élite de la BRI et du RAID, des blindées de la gendarmerie, des drones de surveillance, des chars anti-émeutes, des canons a eau, des hélicoptères… En 2005, les émeutes dans les banlieues avaient duré trois semaines parce que la bourgeoisie avait cherché à calmer le jeu en évitant un mort supplémentaire. Aujourd’hui, la bourgeoisie doit immédiatement s’imposer par la force et empêcher que la situation ne lui échappe. Face à des émeutes bien plus violentes et étendues qu’en 2005, elle cogne avec une force décuplée.

Plus la situation se dégrade, plus l’État, en France comme partout dans le monde, est en fait contraint de réagir par la force et une débauche de moyens répressifs. Mais l’usage de la violence physique et juridique (1) accentue paradoxalement le désordre et la barbarie que la bourgeoisie cherche à contenir. En lâchant, depuis des années, ses chiens contre les populations les plus précarisées, en multipliant les discours haineux et racistes au plus haut sommet de l’État et dans les médias, la bourgeoisie a créé les conditions-mêmes d’une immense explosion de colère et de violence aveugle. À l’avenir, il est certain que la répression brutale des émeutes qui ont secoué la France ces derniers jours, engendrera également, plus de violence et plus de chaos. Le gouvernement de Macron n’a fait que poser un couvercle sur un feu qui ne va cesser de couver.

Une révolte sans perspective

Le meurtre de Nahel a fait déborder le vase. Une immense colère a explosé simultanément sur l’ensemble du territoire français, jusqu’en Belgique ou en Suisse. Partout se sont engagés des affrontements très violents avec les forces de l’ordre, notamment dans les grands centres urbains autour de Paris, Lyon ou Marseille. Partout, des bâtiments publics, des magasins, du mobilier urbain, des bus, des tramways, de nombreux véhicules ont été détruits par des émeutiers incontrôlables, parfois très jeunes, âgés seulement de 13 ou 14 ans. Des incendies ont ravagé des centres commerciaux, des mairies, des commissariats, mais aussi des écoles, des gymnases, des bibliothèques, etc. Les pillages se sont rapidement multipliés dans des boutiques ou des supermarchés, parfois pour quelques vêtements, d’autres fois pour de la nourriture.

Ces émeutes ont exprimé une véritable rage face aux comportements des flics, face à leur violence permanente, aux humiliations, au sentiment d’injustice, à l’impunité. Mais comment expliquer l’ampleur de ces violences et l’étendu de ce chaos, alors même que le gouvernement a initialement joué l’indignation après le meurtre de Nahel et promis des sanctions exemplaires ?

La mort tragique d’un adolescent a été l’élément déclencheur de ces émeutes, une étincelle, mais c’est le contexte d’approfondissement de la crise du capitalisme et toutes ses conséquences sur les populations les plus précarisées, les plus rejetées qui sont la véritable cause et le carburant de la révolte, qui sont à l’origine d’un malaise profond qui a fini par exploser. Contrairement aux déclarations de café du commerce de Macron et de sa clique rejetant la responsabilité sur les « jeux vidéos qui ont intoxiqués » les jeunes, ou sur les parents qui devraient asséner « deux claques » à leurs gamins, les jeunes de banlieue, déjà victime d’une discrimination chronique, sont frappés de plein fouet par la crise, par la marginalisation croissante, par une paupérisation extrême, par les phénomènes de débrouille individuelle les conduisant parfois à recourir aux trafics en tous genres. Bref, par l’abandon et l’absence de perspective.

Mais loin d’exercer une violence organisée et consciente de ses buts, les émeutes ont vu exploser la rage aveugle de jeunes sans boussole, qui agissent de manière désespérée et sans perspective. Les premières émeutes de banlieues sont apparues en France à peu près au début de la phase de décomposition du capitalisme : depuis celles de 1979 à Vaux-en-velin, près de Lyon, jusqu’à celles d’aujourd’hui. Comme nous l’avons déjà souligné par le passé, les émeutes ont en commun d’être une « expression du désespoir et du no future qu’il engendre et qui se manifeste par leur caractère totalement absurde. Il en est ainsi des émeutes qui ont embrasé les banlieues en France en novembre 2005 […]. Le fait que ce soit leur propre famille, leurs voisins ou leurs proches qui aient été les principales victimes des déprédations révèle le caractère totalement aveugle, désespéré et suicidaire de ce type d’émeutes. Ce sont, en effet, les voitures des ouvriers vivant dans ces quartiers qui ont été incendiées, des écoles ou des gymnases fréquentés par leurs frères, leurs sœurs ou les enfants de leurs voisins qui ont été détruits. Et c’est justement du fait de l’absurdité de ces émeutes que la bourgeoisie a pu les utiliser et les retourner contre la classe ouvrière ». (2)

Contrairement à 2005 où les émeutes étaient restées relativement confinées aux seules banlieues, comme celle de Clichy-sous-bois, les émeutes de ce début d’été 2023 touchent maintenant les centres urbains, le cœur des villes jusqu’ici protégés et même les petites agglomérations de provinces autrefois épargnées, comme Amboise, Pithivier ou Bourges, qui ont été vandalisées. L’exacerbation des tensions et le profond désespoir qui anime ses acteurs n’ont fait qu’accroître et amplifier ce phénomène.

Les émeutes sont un danger pour le prolétariat

Contrairement à tout ce que peuvent affirmer les partis de la gauche du Capital, trotskistes du NPA et anarchistes en tête, les émeutes ne sont pas un terrain favorable pour la lutte de classe, ni une expression de cette dernière, mais tout au contraire, un véritable danger. En effet, la bourgeoisie peut d’autant plus facilement instrumentaliser l’image de chaos renvoyée par les émeutes qu’elles font toujours des prolétaires les victimes collatérales :

– par les dégâts et destructions occasionnés qui pénalisent les jeunes eux-mêmes et leur voisinage ;

– par la stigmatisation des « banlieusards » présentés comme des « sauvages » à l’origine de tous les maux de la société ;

– par la répression qui trouve là un motif en or pour se renforcer contre tous les mouvements sociaux, et donc particulièrement contre les luttes ouvrières.

Ces émeutes permettent donc à la bourgeoisie de déchaîner toute une propagande pour couper davantage la classe ouvrière des jeunes de banlieue en révolte. Comme en 2005, « leur médiatisation à outrance a permis à la classe dominante de pousser un maximum d’ouvriers des quartiers populaires à considérer les jeunes émeutiers non pas comme des victimes du capitalisme en crise, mais comme des “voyous”. Elles ne pouvaient que venir saper toute réaction de solidarité de la classe ouvrière envers ces jeunes ». (3)

La bourgeoisie et les médias instrumentalisent ainsi très facilement les événements en favorisant les amalgames entre les émeutes et la lutte ouvrière, entre la violence aveugle et gratuite, les affrontements stériles avec les flics et ce qui relève de la lutte de classe consciente et organisée. En criminalisant l’un, elle peut déchaîner toujours plus de violence contre l’autre ! Ce n’est pas un hasard si pendant le mouvement contre la réforme des retraites, les images qui tournaient en boucle sur les chaînes de télévision du monde entier étaient les scènes d’affrontements avec la police, les violences et les feux de poubelles. Il s’agissait de tirer un trait d’égalité entre ces deux expressions de luttes sociales, de nature radicalement différente, pour tenter d’en donner l’image d’une continuité et d’un dangereux désordre. L’objectif était de gommer et d’empêcher les ouvriers de tirer les leçons de leurs propres luttes, de saboter la réflexion amorcée sur la question de l’identité de classe. Les émeutes en France ont été l’occasion parfaite pour renforcer cet amalgame.

La classe ouvrière possède ses propres méthodes de lutte qui s’opposent radicalement aux émeutes et aux simples révoltes urbaines. La lutte de classe n’a strictement rien à voir avec les destructions et la violence aveugles, les incendies, le sentiment de vengeance et les pillages qui n’offrent aucune perspective.

Bien qu’ils puissent se coordonner via les réseaux sociaux, leur démarche d’émeutiers est immédiate et purement individuelle, guidée par l’instinct des mouvements de foules, sans autre but que la vengeance et les destructions. La lutte de la classe ouvrière est aux antipodes de ces pratiques. Une classe dont les luttes s’inscrivent au contraire dans une tradition, dans un projet conscient, organisé, en vue du renversement de la société capitaliste à l’échelle mondiale. En ce sens, la classe ouvrière doit prendre garde de ne pas se laisser entraîner sur le terrain pourri des émeutes, sur la pente de la violence aveugle et gratuite et encore moins dans des affrontements stériles avec les forces de l’ordre, ce qui ne fait que justifier la répression.

Contrairement aux émeutes qui renforcent le bras armé de l’État, les combats ouvriers, lorsqu’ils sont unitaires et ascendant, permettent de faire reculer la répression. En Mai 1968, par exemple, face à la répression des étudiants, les mouvements massifs et l’unité des ouvriers avaient permis de limiter et de faire reculer la violence des flics. De même, lorsque les ouvriers Polonais s’étaient mobilisés en 1980 sur tout le territoire en moins de 48 heures, ils s’étaient protégés par leur unité et leur auto-organisation de la brutalité extrême de l’État « socialiste ». Ce n’est qu’au moment où ils ont remis leur combat dans les mains du syndicat Solidarnosc, lorsque ce dernier à repris le contrôle de la lutte, lorsque les ouvriers ont été ainsi divisés et dépossédés de la direction de la lutte, que la répression s’est abattue sauvagement.

La classe ouvrière doit rester prudente et sourde au danger que représente la violence aveugle, de façon à opposer sa propre violence de classe, la seule qui soit porteuse d’avenir.

WH, 3 juillet 2023

 

1) Après la répression policière, les milliers de jeunes arrêtés ont écopé de peines très lourdes au cours de procès expéditifs.

2) « Quelle différence entre les émeutes de la faim et les émeutes des banlieues ? », Révolution internationale n° 394 (2008).

3) Idem.

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [18]

Personnages: 

  • Macron [19]

Récent et en cours: 

  • Emeutes [20]
  • Police [21]

Rubrique: 

Émeutes après la mort de Nahel

Provocations, répression, manipulations… Les méthodes de l’état policier pour tenter de pourrir la lutte

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Le 23 mars dernier, à l’issue de la neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites en France, des affrontements entre la police et des black blocs éclataient à l’arrivée de la manifestation parisienne, Place de l’Opéra, en plein cœur d’un quartier cossu de la capitale. Tout au long de la soirée, les chaînes de télévision en continu n’auront de cesse de montrer des vitrines brisées, des magasins vandalisés, des poubelles en flammes…

Le lendemain, ces mêmes médias relayaient la crainte des riverains et des commerçants : « Tout a brûlé, la marchandise a fondu… C’est la première fois que ça m’arrive. D’habitude, les manifestations ne se terminent pas ici donc on est un peu épargnés », réagissait la gérante apeurée d’un kiosque à journaux. En décidant de terminer la manifestation dans un endroit exigu, au cœur de Paris, en pleins travaux, la préfecture de police et le gouvernement plantaient le décor pour que la violence éclate. Et ce avec le consentement total des syndicats qui ne se sont à aucun moment opposés à ce choix !

Macron et sa clique ressuscitent le “parti de la trouille”

Une semaine avant, le 16 mars, la réforme des retraites avait été adoptée au forceps par un subterfuge constitutionnel, l’article 49.3. Ce « passage en force », ce « déni de démocratie », aux dires des partis d’opposition et des syndicats, n’a pas fait baisser la colère et la mobilisation. Bien au contraire, le soir même, des manifestations s’organisaient un peu partout. À Paris, ordre était donné de disperser brutalement les 5 000 personnes rassemblées Place de la Concorde sans le moindre danger pour « l’ordre public ».

Dans les jours qui ont suivi, des manifestations, « non déclarées » par les syndicats, éclataient tous les soirs dans de nombreuses villes, en particulier dans les rues de Paris. Les rassemblements se déroulant dans le calme jusqu’à ce que la situation dégénère en affrontements entre une partie des manifestants et la police. Les vidéos et les photos de poubelles ou de bâtiments publics incendiés ont fait le tour du monde, présentant la lutte menée par la classe ouvrière en France comme de vulgaires émeutes générant chaos et anarchie. De son côté, Macron et ses ministres, loin de vouloir apaiser les choses, n’ont eu de cesse de jeter de l’huile sur le feu en dénonçant « la foule sans légitimité », la « bordélisation » et les « factieux ».

Malgré les risques de dérapage, cette situation fut donc largement cultivée et exploitée par le gouvernement et les forces de l’ordre pour légitimer la terreur de l’État, à l’image des fameuses Brigades de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M) agressant toute personne se trouvant sur leur passage, roulant même carrément en moto sur des manifestants jetés au sol. Comme d’habitude, tous les chiens de garde de l’ordre capitaliste (médias, commentateurs et intellectuels aux ordres) ont voulu faire croire aux dérapages de quelques flics, aux fameuses « bavures ». Mais la simultanéité de la répression partout en France, n’était absolument pas un hasard. Il s’agissait d’une politique totalement délibérée de la part du gouvernement et de tous les porte-flingues de l’État policier. L’objectif était simple et c’est même un classique :

– entraîner les jeunes les plus en colère dans un affrontement stérile avec les forces de l’ordre ;

– faire peur à la majorité des manifestants, les décourager de venir dans la rue ;

– empêcher toute possibilité de discussion, en pourrissant systématiquement les fins de manifestations, moment habituellement propice aux rassemblements et aux débats ;

– rendre impopulaire le mouvement en faisant croire que toute lutte sociale dégénère automatiquement en violence aveugle et en chaos, alors que le pouvoir serait le garant de l’ordre et de la paix.

L’État et son gouvernement ont donc joué à fond la carte de « l’escalade de la violence ». D’ailleurs, la confirmation de cette stratégie est venue tout droit de la bouche d’un ancien grand serviteur de l’ordre bourgeois, Jean-Louis Debré : « Pourquoi, par exemple, a-t-on accepté de laisser se terminer une manifestation à Opéra, très près des ministères et de l’Élysée, sachant que le quartier est plein de petites rues. Pourquoi, ce jour-là, n’a-t-on pas fait le ménage pour enlever les poubelles ? Comme si on avait voulu que ça dérape un peu. […] Dans quelle mesure ce pouvoir veut refaire le coup de 1968, incarner l’ordre public face au désordre ». Ces interrogations faussement naïves de la part de l’ancien ministre de l’Intérieur à l’époque du mouvement de grève contre la réforme des retraites de 1995, ne font que soulever le voile, certes peu opaque, de la provocation fomentée par le pouvoir. En organisant le désordre, Macron et ses sbires misaient sur le retournement d’une partie de l’opinion en faveur du retour à l’ordre social.

Le parallèle effectué par Jean-Louis Debré avec le mouvement de Mai 68 montre également que ce gouvernement n’a rien inventé. Les provocations policières ne sont pas nouvelles et le « parti de l’ordre » à une vieille histoire ! Lors du mouvement de Mai 68, des milices gaullistes ou des policiers en civil infiltraient délibérément les manifestations pour « attiser le feu » et faire peur à la population. Des agents provocateurs poussaient les étudiants à commettre des actions violentes. Les images chocs des voitures incendiées, des vitrines brisées, des jets de pavés contre les CRS, contribuèrent à galvaniser le « peuple de la trouille » et retourner une partie de l’opinion. Les barricades et les violences allaient devenir un des éléments de la reprise en main de la situation par les différentes forces de la bourgeoisie, le gouvernement et les syndicats, en sapant la très grande sympathie acquise dans un premier temps par les étudiants dans l’ensemble de la population et notamment dans la classe ouvrière.

En 2006, lors du mouvement contre le CPE, la bourgeoisie française avait utilisé ces mêmes procédés perfides pour saboter la lutte. À plusieurs reprises, l’État avait délibérément laissé agir les bandes de « lascars » des banlieues, venus « casser du flic et des vitrines ». Lors de la manifestation du 23 mars 2006, c’est même avec la bénédiction des forces de police que des « casseurs » s’en prirent aux manifestants eux-mêmes pour les dépouiller et les tabasser sans raison. Mais les étudiants étaient parvenus à déjouer ce piège en nommant des délégations à plusieurs endroits chargées d’aller discuter avec les jeunes des quartiers défavorisés, notamment pour leur expliquer que la lutte des étudiants et des lycéens était aussi en faveur de ces jeunes plongés dans le désespoir du chômage massif et de l’exclusion. (1)

Déjà au XIXᵉ siècle, la classe ouvrière a dû faire l’expérience de ces procédés vils et sournois visant à torpiller et à mater les luttes. Comme a pu le démontrer Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, la terrible répression du prolétariat parisien par les troupes de Cavaignac, lors des journées de juin 1848, avait également contribué à apeurer le bourgeois, le prêtre et l’épicier qui tous souhaitaient ardemment le retour à l’ordre par tous les moyens !

Dans les zones industrielles des États-Unis à la fin du XIXᵉ siècle, le patronat s’était doté d’entreprises privées spécialisées dans la fourniture de briseurs de grèves, d’espions, de provocateurs et même de tueurs. Les massacres que ces derniers perpétraient contre la classe ouvrière permettait également de retourner « l’opinion » en faveur d’un retour à l’ordre. Tout ça avec l’aval de l’État fédéral. (2)

Le spectre de “l’ultra-gauche” prépare la répression des révolutionnaires

La mobilisation écologiste contre le projet de méga-bassine le samedi 25 mars à Sainte-Soline a constitué une nouvelle occasion d’utiliser laa stratégie de l’escalade de la violence. Ce jour-là, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblés en pleine campagne, au milieu de grands champs ouverts, pour protester contre la mise en place de méga-bassines destinées à servir de réserve d’eau à l’agriculture intensive. La situation a dégénéré très vite en une véritable bataille rangée entre flics et manifestants, filmée toute la journée par les chaînes d’info en continu. Deux personnes finiront entre la vie et la mort.

Les choses auraient pu se passer tout autrement. Quel intérêt pouvaient avoir gendarmes et policiers de venir charger des milliers de personnes rassemblées dans un champ troué de grandes piscines ? Rien ! Sinon allumer une nouvelle mèche pour que le feu de la violence se propage. Le grand bourgeois Jean-Louis Debré, une nouvelle fois, n’en pense pas moins : « Pourquoi n’a-t-on pas fouillé les gens en amont ? Est-ce qu’il y a eu une volonté de laisser faire un certain désordre, pour mieux incarner l’ordre ensuite ? ».

Le soir même, Darmanin pouvait dénoncer « l’extrême violence », le « terrorisme » de « l’ultra-gauche » « pour casser du flic ». Tout comme il l’avait fait déjà, quelques-jours avant, au soir de la manifestation du 23 mars.

Là encore, cette campagne n’a rien de fortuit. L’ultra-gauche est une notion étrangère au camp prolétarien et révolutionnaire. (3) C’est en revanche un terme fourre-tout, forgé par la bourgeoisie, lui permettant d’amalgamer les authentiques organisations révolutionnaires de la Gauche communiste avec des intellectuels modernistes, des anarchistes radicaux mais surtout des groupuscules « anti-État » faisant l’apologie de la violence aveugle. Ces derniers étant, d’ailleurs, infiltrés et manipulés par les flics. Par conséquent, les black blocs ou encore les « zadistes » sont les idiots utiles de l’État policier permettant à celui-ci de justifier le renforcement de l’arsenal judiciaire et répressif. C’est ce qui s’est d’ailleurs produit dernièrement avec la validation d’un décret autorisant l’usage de drones équipés de caméra lors des manifestations.

Mais au-delà de ça, l’agitation du chiffon de l’ultra-gauche permet surtout de préparer le terrain à la criminalisation des organisations révolutionnaires à l’avenir. La bourgeoisie reprend ici peu ou prou les mêmes procédés utilisés dans les années 1970 dans les gigantesques campagnes anti-terroristes suite aux affaires Schleyer en Allemagne et Aldo Moro en Italie ayant servi de prétexte à l’État pour renforcer son appareil de contrôle et de répression contre la classe ouvrière. Il a été démontré par la suite que la bande à Baader et les Brigades Rouges avaient été infiltrées respectivement par les services secrets de l’Allemagne de l’Est, la Stasi, et les services secrets de l’État italien. Ces groupuscules terroristes n’étaient en réalité rien d’autre que les instruments des rivalités entre cliques bourgeoises.

Déjà au XIXᵉ siècle les actions terroristes des anarchistes avaient été utilisées par la bourgeoisie pour renforcer sa terreur d’État contre la classe ouvrière. On peut rappeler par exemple les « lois scélérates » votées par la bourgeoisie française suite à l’attentat terroriste de l’anarchiste Auguste Vaillant qui, le 9 décembre 1893, avait lancé une bombe dans l’hémicycle de la Chambre des Députés, faisant une quarantaine de blessés. Cet attentat avait été manipulé par l’État lui-même. En effet, Vaillant avait été contacté par un agent du Ministère de l’Intérieur qui, s’étant fait passer pour un anarchiste, lui avait prêté de l’argent et expliqué comment fabriquer une bombe artisanale (avec une marmite et des clous) à la fois fracassante et pas trop meurtrière. (4) C’est également par le même procédé, que le gouvernement prussien était parvenu à faire voter les lois anti-socialistes en 1878, plongeant la social-démocratie en Allemagne dans la clandestinité.

En 1925, Victor Serge publiait : Ce que tout révolutionnaire devrait savoir sur la répression. Cette brochure, rédigée sur la base des archives de la police tsariste (l’Okhrana) tombées entre les mains de la classe ouvrière au lendemain de la Révolution d’Octobre, avait permis de faire connaître à l’ensemble de la classe ouvrière les méthodes et les procédés policiers utilisés contre les révolutionnaires durant des années. Serge mettait également en évidence la coopération étroite de toutes les polices d’Europe dans l’espionnage, la provocation, la calomnie et la répression contre le mouvement révolutionnaire de l’époque. Un siècle après, il serait naïf de considérer que ces procédés auraient été jetés au magasin des accessoires oubliés. Bien au contraire, la terreur de l’État bourgeois est vouée à se reproduire et à se perfectionner sans cesse et à s’étendre à tous les rapports existants au sein de la société.

Le prolétariat devra tirer les leçons de toutes ces expériences liées à la répression. Il devra se rappeler que derrière le masque démocratique que prend l’État bourgeois au quotidien se cache le vrai visage d’un bourreau sanguinaire qui se réveille brutalement à chaque fois que son ordre est menacé par les exploités.

Vincent,16 juin 2023

 

1) Cf. « Thèses sur le mouvement des étudiants en France », Revue internationale n° 125 (2006).

2) Bernard Thomas, Les provocations policières (1972).

3) Pour plus de précisions voir :

– « A propos du livre de Bourseiller “Histoire générale de l’ultra-gauche” : La bourgeoisie relance sa campagne sur la mort du communisme », Révolution internationale n° 344 (2004).

– « Nouvelles attaques contre la Gauche communiste : Bourseiller réinvente “la complexe histoire des Gauches communistes”) », Révolution internationale n° 488 et 489 (2021).

4) Bernard Thomas, op.cit..

Récent et en cours: 

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