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ICConline - mai 2023

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Les ouvriers n'ont aucun camp bourgeois à choisir!

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Depuis plusieurs mois, les principales villes d’Israël sont le théâtre de manifestations mobilisant des centaines de milliers de personnes pour protester contre les propositions du gouvernement Netanyahou de « réformer » la Cour suprême, qu’il considère comme un obstacle à sa politique. Mais ces manifestations, organisées sous la bannière de la défense de la démocratie et du « vrai » patriotisme israélien, n’offrent qu’une fausse alternative à la classe ouvrière. Cet article a été rédigé alors que les manifestations battaient leur plein, mais nous pensons que la pause actuelle dans les mobilisations de rue ne devrait pas durer longtemps.

Dans la phase terminale de la décadence du capitalisme, la classe dirigeante s’enlise de plus en plus dans la corruption et l’irrationalité. Elle est de moins en moins capable de contrôler son propre appareil politique, étant de plus en plus déchirée par des rivalités entre factions. La vie politique dans l’État d’Israël exprime toutes ces tendances sous une forme exacerbée.

Le gouvernement de Netanyahou est accusé de pots-de-vin et de corruption. Une des motivations de son gouvernement pour tenter de réduire l’autorité de la Cour suprême est d’empêcher les poursuites à son encontre. Comme Trump aux États-Unis, il est plus que disposé à utiliser sa fonction pour un gain personnel évident.

En outre, le gouvernement dirigé par le Likoud de Netanyahou ne peut survivre que parce qu’il est soutenu par des groupes ultra-religieux et le parti néo-fasciste du Pouvoir juif, qui sont unis derrière une volonté d’annexer ouvertement les territoires occupés en 1967, en justifiant ce dessein par des appels à la Torah. L’attitude de ces organisations à l’égard de la situation des femmes, des homosexuels et des Arabes palestiniens exprime, à l’instar de leurs ennemis islamistes détestés, une descente accélérée dans l’irrationalité et l’obscurantisme.

Le projet du gouvernement Netanyahou de museler la Cour suprême est donc également motivé par l’abandon explicite de toute solution « à deux États » pour le problème israélo-palestinien et la création d’un État purement juif du Jourdain à la mer. Ce qui implique nécessairement l’assujettissement et peut-être la déportation massive de la population palestinienne.

Toutefois, ces propositions ont provoqué des manifestations massives et soutenues durant plusieurs semaines. Celles-ci ont obligé Netanyahou à suspendre son plan et à faire un compromis avec ses partisans encore plus à droite au sein du gouvernement, en accordant au Pouvoir juif un certain nombre de postes dans le futur gouvernement. Le point le plus controversé est la formation d’une sorte de milice privée sous le contrôle direct du chef du Pouvoir juif, Itamar Ben-Gvir. Cette milice serait chargée du maintien de l’ordre en Cisjordanie. En pratique, elle servirait de couverture aux faits accomplis par les colons armés (un rôle déjà joué par les forces militaires et policières en place, mais qui provoque toutes sortes de dissensions entre les différentes branches de l’État).

Un conflit au sein de la bourgeoisie

Le mouvement de protestation a récemment inclus des grèves de travailleurs dans les aéroports, les d’hôpitaux, des municipalités et autres. Mais il ne s’agit pas d’un mouvement de la classe ouvrière contre l’exploitation capitaliste. Dans la plupart des cas, les grèves étaient plutôt des lock-out, soutenus par les employeurs. Les hauts responsables de l’appareil politique, militaire et de renseignement ont également fortement soutenu les manifestations, toujours ornées de drapeaux israéliens, et qui dénoncent l’assaut du gouvernement contre la Cour suprême comme une attaque contre la démocratie, voire comme un acte « antisioniste ». Les Arabes israéliens et palestiniens, qui ont déjà une connaissance de première main des délices de la démocratie israélienne, sont restés largement à l’écart des manifestations. Si de nombreux manifestants expriment des craintes réelles quant à leur avenir sous le nouveau régime politique, il ne fait aucun doute que ce mouvement est entièrement dominé par l’affrontement entre des forces bourgeoises rivales.

Le fait qu’il s’agisse d’un conflit au sein de la bourgeoisie est encore souligné par la critique des plans du gouvernement par le président américain Biden et d’autres dirigeants occidentaux. Les politiques provocatrices du gouvernement Netanyahou à l’égard des territoires occupés ne sont pas en accord avec la politique étrangère américaine actuelle. Celle-ci visant à se présenter comme une force de paix et de réconciliation dans la région et qui adhère toujours, verbalement en tout cas, à la solution des deux États. Netanyahou a répondu en insistant sur le fait que l’amitié entre les États-Unis et Israël est indéfectible, mais qu’aucune puissance étrangère ne peut dire à Israël ce qu’il doit faire. En somme, il exprime la tendance générale au chacun pour soi en politique internationale. Déjà, le soutien manifeste du gouvernement à l’expansion de facto par l’intermédiaire des colons a provoqué une nouvelle série d’affrontements armés en Cisjordanie et la crainte d’une nouvelle intifada. 

Les illusions envers la démocratie israélienne

Les forces politiques de gauche et libérales de la classe dirigeante, qui soutiennent les manifestations et exigent le retour à une véritable démocratie en Israël, n’ont jamais hésité à travailler main dans la main avec les forces de droite lorsqu’il s’agissait de défendre les intérêts de l’État sioniste. Un exemple bien connu : pendant la guerre de 1948, c’est l’Irgoun (1) de droite commandée par Begin et le groupe Lehi ou gang Stern qui ont été le plus directement impliqués dans l’atroce massacre des Arabes palestiniens à Deir Yassin en avril 1948, où des dizaines, voire des centaines de civils ont été tués de sang-froid.

La force armée contrôlée par le « sionisme travailliste », la Haganah, et le nouvel État indépendant qu’elle a établi par la force des armes, ont officiellement condamné le massacre, mais cela n’a pas empêché la coopération avec les forces d’élite de la Haganah (2) à Deir Yassin. Plus important encore, non seulement les forces officielles ont participé à la destruction d’autres villages, mais elles n’ont pas hésité à tirer profit de la terreur exercée sur les Arabes palestiniens, poussés à quitter la Palestine par centaines de milliers, en résolvant ainsi le problème de l’établissement d’une majorité juive « démocratique ». Par la suite, ces réfugiés ont croupi dans des camps pendant des décennies et n’ont jamais été autorisés à rentrer chez eux. Ils n’en ont pas moins été opprimés par les États arabes, qui les ont utilisés comme un casus belli permanent contre Israël. Quant à la gauche sioniste plus radicale, à l’image d’une organisation comme la Jeune garde (Hashomair Hatzair), et plus largement le mouvement des kibboutz, loin d’établir une enclave socialiste en Israël, leurs fermes collectives ont incarné les bases militaires les plus efficaces dans la formation du nouvel État.

Depuis les années 1970, si la droite sioniste (Begin, Sharon, Netanyahou, etc.) domine de plus en plus la politique israélienne, c’est parce qu’elle tend à représenter la solution la plus décomplexée au problème de la relation d’Israël avec la Palestine dans son ensemble : la force nue, un camp militaire permanent, des lois d’apartheid. Mais cela a toujours été la logique interne du sionisme, avec sa fausse promesse originelle d’une « terre sans peuple pour un peuple sans terre ».

L’hypocrisie de la gauche antisioniste

Il n’est donc pas difficile pour les factions bourgeoises « antisionistes », telles que les trotskistes et les partisans de la « lutte nationale palestinienne », de prouver que le projet sioniste ne pouvait réussir que sous une forme de colonialisme, soutenu d’ailleurs par l’une ou l’autre des grandes puissances impérialistes : d’abord les Britanniques avec leur politique fourbe de « diviser pour mieux régner » en Palestine, (3) puis les États-Unis dans leurs efforts pour déloger les Britanniques de la région, et même l’URSS stalinienne à l’époque de la guerre de 1948.

Mais les gauchistes qui ont soutenu d’abord les groupes de libération palestiniens (OLP, FPLP, PDFLP, etc.) puis les islamistes du Hamas et du Hezbollah, ne nous disent pas l’autre côté de l’histoire. Comme tous les nationalismes à l’époque de la décadence capitaliste, le nationalisme palestinien participe pleinement à la logique de l’impérialisme, notamment depuis les liens établis par le Mufti de Jérusalem avec les impérialismes allemand et italien dans les années 1930 jusqu’au soutien de l’OLP par les régimes arabes régionaux ainsi que par la Russie et la Chine, et le soutien des gangs islamistes par l’Iran, le Qatar et d’autres. En soutenant les « nations opprimées », ils se font les apologistes des pogroms anti-juifs et des attentats terroristes perpétrés par l’opposition nationaliste au sionisme. Et ce depuis les premières réactions à la déclaration Balfour au début des années 1920 et la « grève générale » de 1936 contre l’immigration juive en Palestine, jusqu’aux agressions violentes contre des civils juifs (au couteau, à l’arme à feu ou à la roquette) encore perpétrées par des agents ou des partisans du Hamas et d’autres groupes islamistes.

Les porte-parole de la classe dirigeante qui répandent des illusions sur la paix au Moyen-Orient dénoncent souvent la « spirale de la violence » qui oppose sans cesse Juifs et Arabes dans la région. Mais cette spirale de la haine et de la vengeance fait partie intégrante de tous les conflits nationaux, dès lors que l'« ennemi » est défini comme une population entière. Pour sortir de ce piège mortel, il n’y a qu’une seule voie : celle qu’a tracée la Gauche communiste italienne dans les années 1930 : « Pour les vrais révolutionnaires, il n’y a naturellement pas de question “palestinienne”, mais seulement la lutte de tous les exploités du Proche-Orient, Arabes et Juifs compris, qui fait partie d’une lutte plus générale de tous les exploités du monde entier pour la révolution communiste ».

Mais près d’un siècle plus tard, les guerres et les massacres incessants dans la région ont montré les immenses obstacles au développement d’une unité de classe entre prolétaires juifs et arabes, à la lutte pour la défense de leurs conditions de vie, et à l’ouverture d’une perspective de lutte pour une nouvelle société où l’exploitation et l’État n’existeraient plus. Plus que jamais, une telle perspective aura pour impulsion les pays centraux du capitalisme, où la classe ouvrière dispose d’un potentiel bien plus important pour surmonter les divisions que lui impose le capital, et ainsi porter l’étendard de la révolution avec les travailleurs du monde entier.

Amos, 22 avril 2023

 

1 Organisation armée de la droite sioniste née en 1931 d’une scission au sein de la Haganah.

2 Organisation armée la plus importante du mouvement sioniste entre 1920 et 1948. Elle servit d’ossature à la création de l’armée israélienne (« Tsahal ») à partir de 1948.

3 Cf. l’analyse de ces manœuvres impérialistes dans la revue de la Gauche communiste italienne, Bilan, en 1936 : « Le conflit Juifs / Arabes : La position des internationalistes dans les années trente : Bilan n° 30 et 31 », Revue internationale n°110, (3 [1]e [1] trimestre 2002). [1]

Géographique: 

  • Israel [2]
  • Palestine [3]

Personnages: 

  • Netanyahou [4]

Rubrique: 

Conflit au sein de la bourgeoisie israélienne

140 ans de la mort de Karl Marx

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Le 14 mars 1883, il y a 140 ans, disparaissait Karl Marx, un militant et combattant révolutionnaire de premier plan. Présenté par la bourgeoisie tantôt comme un “philosophe” ou un “économiste”, tantôt comme le diable en personne, il a été tout au long de sa vie traqué et calomnié par ses détracteurs et les forces de police. Souvent présenté à tort comme une icône inoffensive ou un penseur “dépassé”, il lègue au contraire une contribution solidement basée sur la méthode du matérialisme historique qui, une fois débarrassée des déformations dont l’ont affublé les staliniens et les gauchistes, constitue une arme fondamentale au service de la lutte du prolétariat pour son émancipation. Ses capacités souvent méconnues d’organisateur de talent, ses polémiques, son tranchant et sa plume aiguisée, en font un des plus grands révolutionnaire de son temps. Nous publions ci-dessous une série d’articles qui lui sont dédiés.

A) https://fr.internationalism.org/icconline/201806/9718/200-ans-karl-marx-militant-revolutionnaire [5]

B) https://fr.internationalism.org/rinte33/marx.htm [6]

C) https://fr.internationalism.org/ri394/160_ans_apres_le_manifeste_marx_fait_toujours_trembler_la_bourgeoisie.html [7]

D) https://fr.internationalism.org/ri406/qu_est_ce_que_le_marxisme.html [8]

E) https://fr.internationalism.org/content/9729/bicentenaire-karl-marx-combattant-classe-ouvriere [9]

F) https://fr.internationalism.org/rinte69/communisme.htm [10].

G) https://fr.internationalism.org/ri366/attali.htm [11]

H) https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201711/9610/a-propos-du-film-jeune-karl-marx [12]

I) https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201309/8628/courrier-lecteur-marxisme-selon-isaac-johsua [13]

Personnages: 

  • Karl Marx [14]

Rubrique: 

Histoire du mouvement ouvrier

Bulletin de discussion de groupes de la Gauche communiste

  • 208 lectures

Au début de la guerre en Ukraine, le Courant Communiste International a proposé aux autres groupes de la Gauche communiste une déclaration commune internationaliste [15] sur le conflit. Trois de ces groupes ont affirmé leur volonté de participer et une déclaration a été discutée, approuvée et publiée par ces différents groupes. Le principe de la déclaration commune était que sur la question fondamentale de la guerre impérialiste et de la perspective internationaliste, les différents groupes de la Gauche communiste étaient d’accord et pouvaient s’unir pour fournir, avec plus de force, une alternative politique claire à la barbarie capitaliste pour la classe ouvrière dans les différents pays.

L’autre aspect de la déclaration commune était que sur d’autres questions, en particulier sur l’analyse de la guerre impérialiste actuelle, ses origines et ses perspectives, il existait des différences entre les groupes constitutifs qui devaient être discutées et clarifiées. En conséquence, les groupes ont décidé d’élaborer de brèves déclarations sur ces questions et de les publier dans un bulletin.

Nous invitons nos lecteurs à consulter ce premier Bulletin de discussion [16] en anglais. Ce document sera prochainement traduit en français.

Récent et en cours: 

  • Guerre en Ukraine [17]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [18]

Rubrique: 

Débats dans le milieu politique prolétarien

En Argentine, la crise frappe les travailleurs

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Face aux attaques incessantes contre leurs conditions de vie, les travailleurs argentins répondent avec une combativité de plus en plus forte. La bourgeoisie en argentine se prépare à une possible vague de grèves dans différents secteurs. C’est pourquoi, avec le soutien des syndicats et du gouvernement, elle prend des mesures pour étouffer immédiatement toute expression de colère face à la précarité et aux effets de l’inflation provoquée par le capitalisme à l’échelle mondiale.

L’Argentine est actuellement le pays de la région sud-américaine où l’inflation est la plus élevée après le Venezuela. Fin 2022 le taux d’inflation a atteint 94 %, le plus élevé depuis 1991 ! La guerre en Ukraine, (1) après la pandémie du Covid-19, a eu des conséquences brutales. L’inflation entraîne une détérioration accrue des conditions matérielles de la population, mais aggrave davantage celles de la classe ouvrière dans tous les pays. L’inflation érode son pouvoir d’achat alors que les salaires n’augmentent pas. Ce n’est pas un hasard si le 26 août dernier, le gouvernement argentin a officialisé une augmentation de 21 % du salaire minimum, en trois tranches, passant de 47 850 pesos par mois (environ 200 euros) à 57 900 pesos (243 euros) à partir de novembre de cette année. (2)

Face à la crise qui frappe l’Argentine, de nombreuses luttes ont eu lieu ces derniers mois, comme celle des ouvriers des entreprises de pneumatiques Bridgestone, Fate et Pirelli. L’industrie automobile argentine a été paralysée pendant plusieurs mois, ce qui a affecté la production de ces usines. Après une longue négociation entre le syndicat Sutna, (3) les entreprises et le gouvernement, un accord a été conclu sur une liste de revendications pour augmenter les salaires des travailleurs affiliés à Sutna. (4) Une augmentation de salaire qui se fera de manière échelonnée, en plus du fait que les entreprises se sont engagées à donner une prime extraordinaire à chaque travailleur de 100 000 pesos (421 euros environ).

La bourgeoisie argentine se prépare à une éventuelle vague de grèves dans différents secteurs. C’est pourquoi elle avance ses mesures avec le soutien des syndicats et du gouvernement pour tenter de contrôler la colère qui pourrait surgir face à la précarité et aux effets de l’inflation provoquée par la crise économique mondiale. Et même si ces mesures d’augmentations salariales par tranches sont très à la mode ces derniers temps, elles ne suffiront pas à contenir la perte de pouvoir d’achat causée par l’inflation dans tous les pays du monde, y compris en Argentine.

Partis, syndicats, Piqueteros et gouvernement : tous contre la classe ouvrière

Comme nous l’avons vu précédemment avec les luttes des ouvriers des pneumatiques, il existe d’autres luttes qui se déroulent depuis avant la pandémie, mais qui sont étouffées, contrôlées par les partis, les syndicats, les piqueteros et le gouvernement, montrant comment ils agissent tous de manière coordonnée contre les travailleurs.

Au début de l’année 2022, l’agence de presse allemande DW a déclaré : « Le président de l’Argentine, Alberto Fernandez, a annoncé ce vendredi qu’un “accord” a été conclu avec le Fonds monétaire international (FMI) pour refinancer le prêt de plus de 44 millions de dollars que le FMI avait accordé au pays en 2018 quand le libéral Mauricio Macri était à la tête du gouvernement ». (5)

Anticipant et devançant cette annonce au début du mois de janvier 2022, Eduardo Belliboni, leader du Polo Obrero et chef de l’Unidad Piquetera, annonçait déjà que l’année 2022 serait beaucoup plus mouvementée que l’année 2021. Et c’est ce qui s’est passé. « La plus grande mobilisation revendicative contre le gouvernement d’Alberto Fernández », appelée « marche fédérale », a été préparée par des organisations et des mouvements sociaux (Coordinadora por el Cambio Social, Polo Obrero (PO), Movimiento Barrios de Pie (MBP), etc. La mobilisation, qui est partie de différents États, a débuté le 10 mai dans les villes de La Quiaca et d’Ushuaia et s’est achevée le jeudi 12 dans la capitale Buenos Aires.

Les slogans de l’appel étaient : « Pour le travail et les salaires ; contre la faim et la pauvreté ». Eduardo Belliboni a déclaré : « La marche fédérale des piqueteros est en train de devenir une marche des travailleurs contre l’accord salarial et pour leurs revendications. Elle rassemble les chômeurs, les salariés et les retraités, les principaux syndicats étant en première ligne… Une perspective d’unité et de lutte s’ouvre pour le mouvement populaire avec le début de cette grande marche fédérale qui soutient les revendications élémentaires d’une classe ouvrière frappée par l’accord du gouvernement avec le FMI… Nous exigeons un véritable travail et un salaire équivalent au panier de la ménagère qui nous permet de vivre. Nous marchons contre la faim et la pauvreté qui atteignent des niveaux scandaleux en Argentine ».

La « protestation » a « trouvé » son prétexte dans la décision du gouvernement de ne pas étendre le programme « Favoriser l’accès à l’emploi » à un plus grand nombre de bénéficiaires, actuellement environ 1.200.000 personnes recevant 19.470 pesos par mois (équivalent à environ 85 euros).

Ces manifestations de protestation apparaissent alors que quelque chose émerge de plus en plus clairement dans la réalité argentine : les différentes factions bourgeoises s’affrontent de plus en plus ouvertement dans la perspective des élections législatives de novembre. Les factions bourgeoises défendant le péronisme au sein de la « Casa Rosada » se divisent entre ceux qui continuent à soutenir le « Kirshnerisme » et les autres fractions autour de Fernández, une lutte qui dure depuis des années. Le couple présidentiel ne se parle plus depuis deux mois et s’insulte ouvertement. Les porte-parole informels de l’ancienne présidente qualifient Fernández d’usurpateur et lui rappellent qu’il occupe temporairement ce poste. « Le gouvernement est à nous », prévient avec arrogance Andrés Larroque, ministre de la province de Buenos Aires et homme fort de La Cámpora, le groupe dirigé par Máximo Kirchner, le fils de Cristina. « Personne ne possède le gouvernement, le gouvernement appartient au peuple », a répondu Fernández, sans passer par des intermédiaires. À la veille de ces élections de novembre, la lutte pour le pouvoir exacerbe les luttes entre les différentes factions bourgeoises : les péronistes, les modérés du centre, les droitiers autour de Macri et l’émergence d’un populiste nationaliste « psychédélique » auto-décrit comme « libertarien », comme Javier Milei, qui se présente comme anti-socialiste, anti-communiste, anti-péroniste, anti-partis politiques traditionnels, et se déclare ouvertement un admirateur inconditionnel de Trump et de Bolsonaro.

Nous le disons depuis longtemps à propos du mouvement piquetero : « entre juin et août [2005], nous avons assisté à la plus grande vague de grèves depuis 15 ans ». Nous disions cela parce que le prolétariat argentin se montrait combatif, se battait sur son terrain de classe et montrait une tendance à se reconnaître comme prolétaire, et était en train de retrouver sa propre identité de classe. Dans le même article, nous analysions et dénoncions comment ces luttes ouvrières, qui se redressaient difficilement, étaient encore très faibles et étaient éclipsées par « un affrontement bruyant et hyper-médiatisé entre les organisations piqueteros et le gouvernement ». (6)

Les piqueteros, mouvement essentiellement composé de chômeurs, après les luttes interclassistes de la fin 2001, ont acquis une grande notoriété grâce aux médias de masse, qui les ont catapultés sur le devant de la scène politique comme les véritables porte-drapeaux des « justes luttes » du peuple en quête d’amélioration de ses conditions de vie. À cette manipulation de l’État bourgeois se sont joints les co-participants à la mystification des luttes ouvrières. Nous faisons référence à tous ces groupes gauchistes : staliniens, trotskistes, maoïstes, etc, contribuant à leur donner un soutien pseudo-théorique révolutionnaire progressiste, trompant et confondant encore plus ces travailleurs sans emploi et les secteurs extrêmement appauvris de la société, les conduisant dans l’impasse du parlementarisme, de la démocratie et des élections, soutenant l’un ou l’autre messie de la bourgeoisie, comme ce fut le cas à l’époque avec Kirshner.  (7)

Depuis la fin 2001, année après année, les piqueteros ont mené des mobilisations visant toujours à réclamer plus de ressources économiques pour les programmes d’aide sociale destinés à vaincre la précarité, ou à renforcer les programmes et les politiques sociales qui rendent les emplois précaires supportables, sans réellement rien changer aux conditions de vie des travailleurs. Et pour quel résultat ? Absolument rien. L’Argentine est l’un des pires pays de la région en termes de conditions de vie et de salaires. Elle est même souvent comparée au Venezuela. Les travailleurs souffrent de l’inflation et de la précarité. La bourgeoisie argentine, par le biais de tous ses appareils, y compris les « organisations populaires », soumet l’ensemble de la société et en particulier la classe ouvrière à toujours plus de sacrifices. Et pour faciliter ce travail, il y a les organisations syndicales, les partis politiques de la soi-disant gauche et tout cet assortiment hétéroclite d’organisations populaires qui travaillent idéologiquement et politiquement, introduisant de faux principes et de fausses idées, conduisant doucement les travailleurs là où la bourgeoisie veut les amener : debout ou assis, criant contre le FMI, contre le gouvernement en place, défendant la démocratie et la patrie. Les emmener aux urnes, parier leur vie sur le Messie du jour.

Il est clair que le FMI est un instrument du capitalisme, en particulier des pays les plus forts de la planète contre les plus faibles. Cependant, l’exploitation est celle de tous les capitalistes du monde sur tous les travailleurs du monde. En d’autres termes, non seulement le FMI, le capitalisme américain, etc., mais aussi le capitalisme argentin et l’État argentin sont pleinement impliqués dans l’exploitation de la classe ouvrière.

Présenter une opposition « anti-impérialiste » au FMI pour lier le prolétariat argentin à la nation, au capital argentin, à la défense de l’exploitation avec la couleur bleue et blanche du drapeau argentin, est un sale tour de passe-passe. Les mobilisations des piqueteros, du Polo Obrero, des péronistes, des syndicats, présentent un choix entre capitalistes : soit le bourreau FMI, soit le bourreau capitaliste argentin soi-disant « indépendant ».

Le FMI est un instrument du capitalisme, qui fait son travail, tout comme le gouvernement des Kirshner, des Fernandez, des Macri, comme l’ont été tous les gouvernements précédents. Ses partenaires sont tous les partis politiques, de la droite à la gauche, y compris tous ceux qui rejoignent le courant populiste et « psychédélique » de Milei, ainsi que les syndicats et les piqueteros. Leur seul but : empêcher le prolétariat de se battre sur son propre terrain de classe.

Par conséquent, il est très clair que ce mouvement orchestré par « La Unidad Piquetera » est un mouvement qui joue contre les intérêts de classe du prolétariat argentin. Son activité le plonge dans une plus grande confusion. Ses méthodes de lutte ne sont pas les méthodes de la lutte prolétarienne. Elles conduisent à la dilution du prolétariat dans le peuple et vise à la défense de la nation argentine, la défense de la démocratie et des élections comme mécanisme de légitimation du pouvoir. Cette politique coïncide avec l’ensemble du programme bourgeois des organisations de gauche, qui soutiennent l’État bourgeois par excellence.

Enfin, la bourgeoisie a également utilisé l’attentat manqué contre Cristina Kirchner pour tenter de mobiliser la population autour de la défense de la démocratie et de l’unité nationale, afin qu’elle s’unisse à ses bourreaux. La bourgeoisie exploite en outre tout son appareil idéologique contre les travailleurs. Avec cette campagne, la bourgeoisie continue à semer davantage de confusion dans l’esprit des travailleurs et à les pousser encore plus à prendre position pour l’un ou l’autre des camps bourgeois. Elle pousse les travailleurs sur le terrain de lutte de la bourgeoisie.

Le prolétariat argentin doit lutter de toutes ses forces pour se libérer de tous ces pièges idéologiques qui sont défendus et diffusés par ces organisations à la solde de l’État bourgeois, en défense de l’État bourgeois et de l’ordre capitaliste en fin de compte. La classe ouvrière en Grande-Bretagne montre la voie à suivre sur le terrain des luttes de classe, contre la crise économique, l’inflation, la précarité et l’exploitation, situations exacerbées par la décomposition capitaliste. (8)

Daedalus.

 

1 « Contra la Guerra Imperialista en Ucrania por la Lucha de Clases Internacional », disponible sur le site du CCI en espagnole (mai 2022). [19]

2 « Argentina subirá un 21 % el salario mínimo ante la elevada inflación » [20], site de l’agence de presse allemande DW.

3 Sindicato Único De Trabajadores Del Neumatico Argentino : Unique Syndicat des travailleurs du secteur pneumatique argention

4 Il est scandaleux, et c’est une démonstration flagrante de la façon dont les syndicats divisent et montent les travailleurs les uns contre les autres, que l’augmentation salariale ne profite qu’aux travailleurs membres du syndicat.

5 « Presidente de Argentina anuncia nuevo acuerdo crediticio con el FMI » [21], site de l’agence de presse allemande DW.

6 « Oleada de luchas en Argentina : el proletariado se manifiesta en su terreno de clase », Accion proletaria n° 184, (septembre – novembre 2005). [22]

7 "Desde Argentina : Contribución sobre la naturaleza de clase del movimiento piquetero (I) [23]", Accion proletaria n° 177, (juillet – septembre 2004).

8« Thèses : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste », Revue internationale n° 107 (4ᵉ trimestre). [24]

Géographique: 

  • Argentine [25]

Personnages: 

  • Cristina Kirchner [26]

Récent et en cours: 

  • Piqueteros [27]
  • Lutte de classe dans le monde 2022-2023 [28]

Rubrique: 

Lutte de classe

La classe ouvrière doit éviter le piège de la défense de l’État démocratique

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Les manifestations qui ont débuté le 7 décembre après le départ de Pedro Castillo se sont poursuivies et suite au déchaînement de la répression, le ministère public péruvien a indiqué au 20 janvier que l’on dénombrait 55 morts et plus de 1 200 blessés. Par ailleurs dans 28 provinces, principalement dans le sud du pays, 78 barrages routiers et des manifestations de protestation sont toujours en cours. Le 15 janvier dernier, l’état d’urgence a été déclaré dans les régions de Puno, Cuzco, Lima et Callao pour une durée de 30 jours. Le gouvernement actuel de Dina Boluarte reste inflexible quant à sa décision de réprimer durement les manifestations tout en ouvrant des enquêtes judiciaires avec l’appui des services de renseignement de la police afin d’éviter un scénario similaire à celui qu’ont connu ces dernières années des pays comme le Chili et la Colombie. D’autre part, les manifestants demandent la libération de l’ancien président Pedro Castillo (qu’ils considèrent comme victime d’un coup d’État), la démission de Dina Boluarte, des élections anticipées ainsi qu’un référendum populaire sur la convocation d’une assemblée constituante. En décembre de l’année dernière, nous avons publié un article sur notre site internet, dans lequel nous disions : « Les révoltes populaires qui s’élèvent en tant qu’actions organisées des factions opposées de la droite et de la gauche sont des tentatives désespérées de ces mêmes factions pour maintenir ou reprendre le contrôle de l’État [donnant lieu à une polarisation qui] imprègne la société avec tout ce qu’elle comporte de confusion et d’empoisonnement idéologique. Les demandes de “fermeture du congrès”, “ils doivent tous partir”, “nouvelles élections”, “nouvelle constitution”, ne sont rien d’autre que des revendications démocratiques ne visant qu’à maintenir le statu quo de l’État bourgeois. Elles n’ont rien à voir avec les intérêts de la classe ouvrière et son projet historique. Bien au contraire, elles la conduisent à l’enfermement dans la société d’exploitation divisée en classes. Elles sont très éloignées des revendications immédiates qui ont pour but la défense de ses conditions de vie et qui remplissent également une fonction d’expérience de lutte nécessaire à sa maturation politique. […] Bien que nous ne doutions pas qu’il y ait des éléments de la classe ouvrière impliqués dans ces révoltes populaires qui tentent d’exprimer leur indignation face à la décadence de la classe politique, ils le font sur un terrain qui n’est pas le leur et où la bourgeoisie comme la petite bourgeoisie, imposent leurs bannières démocratiques afin de maintenir intacte la société d’exploitation et en défendant leurs propres intérêts de gains et de profits grâce à l’exploitation féroce de la force de travail des prolétaires. Ces éléments de la classe ouvrière et des autres couches non exploiteuses sont emportés par la violence irrationnelle et pourrie d’un système n’ayant plus rien à offrir à l’humanité ». (1)

Il est nécessaire d’insister sur le fait que ces protestations ont conduit, dans certaines régions du pays, à des révoltes de type interclassiste et dans lesquelles les travailleurs se sont rangés sous les bannières de la petite bourgeoisie avec comme conséquence directe, leur atomisation et leur implication dans une confrontation qui ne se situe pas sur leur terrain de classe. De plus, des attitudes typiques du lumpen ont pu être observées comme des incendies de bâtiments, d’entreprises ou de mines, des attaques de bus et d’ambulances, le racket des usagers sur les autoroutes occupées et, pire encore, l’attaque de nombreux ouvriers travaillant dans le secteur de la santé, les mines ou l’agro-industrie et qui se sont vus dérober leurs biens voire agressés parce qu’ils ne voulaient pas se joindre au mouvement.

Au-delà de l’indignation et du profond ressentiment qui existent historiquement dans les provinces du sud du Pérou, telles que Huancavelica, considérée par la Chambre de Commerce comme la deuxième plus pauvre du pays (41,2 %), suivie par des régions comme Puno ou Ayacucho et du fait que l’extrême-gauche ait alimenté la fable du droit à la révolte des plus pauvres, des droits bafoués des peuples indigènes ou du droit des paysans à la terre, ce qui semble être au cœur de toute cette situation sont les aspirations jusqu’à présent frustrées des divers secteurs de la petite bourgeoisie qui espéraient, avec l’arrivée au pouvoir de Pedro Castillo, pouvoir les concrétiser face à la grande bourgeoisie péruvienne. Celle-ci contrôle non seulement, entre autres, les secteurs de l’alimentation, les banques, la construction, les mines, le tourisme, les matériaux, les combustibles, l’éducation avec des revenus annuels se chiffrant en milliards de dollars et des investissements dans une grande partie de l’Amérique du Sud, de l’Europe et des États-Unis, (2) mais elle possède également le contrôle politique avec une forte représentation au Congrès et des racines profondes dans l’appareil d’État. C’est pourquoi cette confrontation a été présentée parfois comme une lutte entre le « sud riche en ressources mais souffrant d’une importante pauvreté » et la bourgeoisie de Lima « corrompue, exclusive et centralisatrice ». L’appropriation des ressources naturelles et matérielles par la bourgeoisie liménienne est l’un des thèmes récurrents dans le discours des protagonistes du mouvement.

Les secteurs de la petite bourgeoisie à l’origine de ces blocages de routes, mobilisations et marches dans les provinces dont certaines sont allées jusque Lima, ont été soutenus par des associations de petits commerçants, des fédérations paysannes, des syndicats, des gouverneurs régionaux, des autorités universitaires, des associations d’avocats, des regroupements d’étudiants, tous largement imprégnées d’idéologie gauchiste combinée à des éléments nationalistes et régionalistes qui ne font que refléter la défense des intérêts spécifiques à ces groupes et, en fin de compte, du capital national.

Selon des estimations de l’Institut National de la Statistique et de l’Information (INEI), en 2021, 25,9 % de la population péruvienne (soit 8,5 millions de personnes) vivait sous le seuil de pauvreté et 4,1 % (soit 1,3 million de personnes) dans l’extrême pauvreté sachant que sont considérées en situation de pauvreté, les personnes dont le pouvoir d’achat mensuel est inférieur à 378 oles (97 $ américains) et en situation d’extrême pauvreté ceux pour qui il est inférieur à 201 soles (52 $ américains). Il faut ajouter à cela l’impact économique de la pandémie de Covid-19 et plus récemment de la guerre en Ukraine. Il est évident que la crise économique mondiale frappe l’ensemble de la bourgeoisie nationale mais elle touche plus durement les secteurs les plus vulnérables de l’appareil productif, sans parler du secteur informel.

Ce sont ces faits qui nous amènent à penser que ces mobilisations constituent une action désespérée des couches sociales qui se sont retrouvées embourbées suite à la détérioration progressive de l’économie et qui aspirent à une plus grande représentation dans l’appareil d’État de façon à pouvoir sauvegarder leurs intérêts. Elles ont profité de l’appauvrissement général pour agiter l’épouvantail de l’exclusion sociale sur la base de la race ou de la région d’origine, de la « démocratie seulement pour quelques-uns ». La Direction nationale du renseignement (DINI) et le ministère de l’Intérieur ont déclaré que ces mobilisations « sont financées par l’exploitation minière illégale, le trafic de drogue et d’autres agents qui cherchent à semer la peur ». En outre, il accuse des organisations politiques et syndicales, telles que le Movadef (Mouvement pour l’Amnistie et les Droits Fondamentaux), la Fenate (Fédération Nationale des Travailleurs de l’Éducation) et des factions du Sentier Lumineux, la CUNARC (Central Única Nacional de Rondas Campesinas del Perú), SUTEP (Syndicat Unitaire des Travailleurs de l’Éducation du Pérou), ainsi que la Fédération régionale des producteurs agricoles et de l’environnement.

De leur côté, les secteurs de la bourgeoisie traditionnelle et leurs partis ont également profité de la situation pour brandir la bannière de la lutte contre le communisme, afin d’éviter que « le terrorisme ne resurgisse dans le pays », ce qui leur a donné l’excuse parfaite pour déclencher la répression et la terreur d’État. Ils ont ainsi fait d’une pierre deux coups en criminalisant les protestations et en présentant toute revendication sociale comme une menace pour l’ordre public. Le gouvernement de Dina Boluarte a déployé 11 000 policiers pour contrôler les manifestations dans la ville et, le 21 janvier, a ordonné une intervention à l’Université Nationale Majeure de San Marcos, la principale université publique du pays, à l’aide d’un important contingent de policiers. Les forces de l’ordre ont enfoncé la porte principale avec un véhicule blindé, utilisant également des drones et des hélicoptères et ont arrêté environ 200 personnes qui, pour la plupart, venaient d’autres régions et passaient la nuit dans l’établissement, envoyant ainsi un message clair au secteur étudiant qu’il accuse de préparer des actions terroristes. Au-delà du fait que les organisations politiques et syndicales de la petite bourgeoisie et des factions de gauche soient à l’origine de ces mobilisations et qu’il puisse exister un financement provenant d’activités illicites, cela ne change en rien l’attitude que les ouvriers doivent adopter face à cette situation, laquelle illustre l’impact de la décomposition du capitalisme sur la vie la bourgeoisie péruvienne.

Par ailleurs, les différentes factions de la bourgeoisie attaquent aussi idéologiquement le prolétariat à travers une campagne dans laquelle le nationalisme, la défense de la démocratie et de la nation sont exaltés. Cela reflète une autre dimension de la crise politique, comme les actions dans lesquelles se manifeste la concurrence impérialiste dans la région.

Le 23 janvier, le ministère péruvien des Affaires étrangères a publié un communiqué rejetant les déclarations du président bolivien, Luis Arce, lequel exprimait son « soutien à la lutte du peuple péruvien pour récupérer sa démocratie et aussi pour récupérer le droit d’élire un gouvernement qui le représente ». (3) Il faut rappeler que le président du Conseil des ministres du Pérou a accusé Evo Morales d’ « encourager l’insurrection […] et d’introduire des armes au Pérou depuis la Bolivie ». Les intentions de Pedro Castillo de permettre à la Bolivie l’accès à la mer ont été rejetées par la droite péruvienne et soutenues par d’autres gouvernements de gauche de la région. Cette situation a conduit le gouvernement péruvien à interdire à Evo Morales et huit autres fonctionnaires boliviens, l’entrée sur son territoire.

De même, le ministère péruvien des affaires étrangères a rejeté les déclarations du président colombien Gustavo Petro sur les événements qui se sont déroulés sur le campus de l’Université Nationale Majeure de San Marcos. L’une des questions qui préoccupait le plus les factions de droite péruviennes était celle des relations avec les autres gouvernements de gauche de la région et qui auraient pu affecter les intérêts historiques en commun des bourgeoisies américaine et péruvienne, bien qu’il semble que Castillo n’ait eu le temps de concrétiser quoique ce soit. L’ambassadrice américaine, Lisa Kenna, a d’ailleurs rappelé ces mêmes intérêts en réitérant « le plein soutien de son pays aux institutions démocratiques du Pérou et aux actions du gouvernement constitutionnel pour stabiliser la situation sociale ». Le patriotisme est un poison idéologique dont les différentes bourgeoisies du monde se servent en permanence. Dans le cas du Pérou, il ne faut pas oublier que tant la guerre du Pacifique avec le Chili (1879-1884), au cours de laquelle il a perdu la province côtière de Tarapacá, que la guerre du Cenepa (1995), concernant la délimitation de la frontière dans la haute-vallée de la Cenepa, continuent d’être des éléments récurrents dans l’élaboration d’un récit historique exaltant le sentiment national.

En résumé, la situation actuelle montre que la bourgeoisie péruvienne, comme l’ont fait par le passé les autres bourgeoisies de droite et de gauche de la région, n’a pas hésité à déchaîner la répression et à maintenir ses intérêts par tous les moyens possibles, en envoyant un message clair pour insuffler la peur dans les rangs du prolétariat. Il est difficile de savoir si ces manifestations et ces barrages routiers vont se prolonger ; ce qui est clair, c’est que la bourgeoisie péruvienne semble être convaincue que la seule façon de parvenir à une certaine stabilité politique et à un contrôle de la situation sera d’appliquer la « violence légitime » de l’État envers la population et la purge de son appareil politique, comportement qui n’est pas étranger à celui que bourgeoisie mondiale a adopté pendant la période de la décadence du capitalisme et qui continue à s’approfondir dans sa phase actuelle de décomposition. Comme nous le disions dans notre article de décembre 2022 : « Ce qui se passe actuellement au Pérou n’est pas une expression ou une réaction prolétarienne se situant sur le terrain de la lutte des classes. C’est, au contraire, une lutte pour des intérêts purement bourgeois, où l’une des deux factions opposées de la bourgeoisie finira par prendre le contrôle de l’État afin de poursuivre l’exploitation des travailleurs. […] Le terrorisme exercé par les bourgeoisies des deux camps continue de faucher des vies humaines. Les méthodes d’incendie et de violence aveugle utilisées sont à l’opposé de celles par lesquelles la classe ouvrière renversera le capitalisme et qui seront fondées davantage sur la capacité à construire une organisation capable d’incorporer le reste des couches non-exploitantes dans son programme, en dirigeant les actions politiques de transformation contre les classes dominantes. La terreur déchaînée par la bourgeoisie et de ses deux camps en pleine ébullition constitue une attaque contre la conscience de la classe ouvrière ». (4)

La section du CCI au Pérou, février 2023.

 

1« Perú : la clase trabajadora se encuentra en el fuego cruzado de las facciones burguesas enfrentadas », disponible sur le site web du CCI en espagnol, (décembre 2022).

2F. Durand, Les douze apôtres de la démocratie péruvienne (2017).

3La Chancellerie a remis une note de protestation à l’ambassadeur de Bolivie pour les déclarations du président Luis Arce.

4« Perú : la clase trabajadora se encuentra en el fuego cruzado de las facciones burguesas enfrentadas », disponible sur le site web du CCI en espagnol, (décembre 2022).

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  • Pérou [29]

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Manifestations au Pérou

Soudan: une illustration vivante de la décomposition du capitalisme

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Le spectacle d’horreur de la guerre impérialiste qui se déroule au Soudan illustre la poursuite et l’extension de la décomposition du capitalisme, qui s’accélère depuis le début des années 2020. Il exprime la profonde tendance centrifuge au chaos irrationnel et militariste qui affecte de plus en plus de régions de la planète. Quelles que soient les spécificités des deux gangs militaires qui s’affrontent au Soudan (et nous y reviendrons un peu plus loin), le grand responsable de cette nouvelle flambée de violence est le système capitaliste et ses représentants dans les grandes puissances : États-Unis, Chine, Russie, Grande-Bretagne, suivis par toutes les puissances secondaires actives au Soudan : Émirats Arabes Unis, Arabie Saoudite, Turquie, Israël, Égypte, Libye, etc. Vers la fin de l’année dernière, le 5 décembre, le ministère britannique des affaires étrangères a publié une déclaration sur l’avenir démocratique du Soudan qui commençait ainsi : « Les membres du Quad et de la Troïka (Norvège, Royaume d’Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis, Royaume-Uni et États-Unis) se félicitent de l’accord sur un cadre politique initial. Il s’agit d’un premier pas essentiel vers la mise en place d’un gouvernement dirigé par des civils et la définition d’arrangements constitutionnels qui guideront le Soudan pendant une période de transition dont le point culminant sera la tenue d’élections. Nous saluons les efforts déployés par les parties pour obtenir le soutien d’un large éventail d’acteurs soudanais en faveur de cet accord-cadre, ainsi que leur appel à la poursuite d’un dialogue inclusif sur toutes les questions qui les préoccupent et à la coopération en vue de construire l’avenir du Soudan ». Quelques semaines avant que de violents combats n’éclatent, le 8 avril, ces « partenaires internationaux » du Soudan parlaient encore d’un « retour imminent » à un régime civil et à un gouvernement démocratique impliquant les deux principales composantes du gouvernement soudanais : les Forces Armées Soudanaises (SAF) dirigées par le général Abdel Fatah al-Burham et la Force de Frappe Rapide (RSF), (1) dirigée par le général Hamdam Dagalo, alias « Hemediti ». Quelques jours seulement après le début des combats entre ces deux factions militaires soudanaises, il est apparu clairement que cette « démocratie », comme partout ailleurs est une illusion et que toutes les options immédiates et les perspectives à plus long terme pour la population du Soudan et de la région environnante vont aller de mal en pis. Cela est confirmé par la situation dans la capitale du Soudan, Khartoum : autrefois relativement paisible et animée, épargnée par les horreurs qui l’entourent et remplie de réfugiés du « conflit du Darfour » de 2003 (en réalité un génocide ethnique), (2) elle a été réduite à l’état de ruines en l’espace de quelques jours. Le manque d’eau, d’électricité et de services de santé s’accompagne de massacres et de viols perpétrés par les forces de l’ex-gouvernement.

La « désintégration de l’intérieur » du capitalisme

En 1919, l’Internationale communiste a tracé les perspectives du capitalisme : « une nouvelle époque est née ! L’époque de la dissolution du capitalisme, de sa désintégration intérieure, l’époque de la révolution communiste du prolétariat ». La réalité de cette époque du capitalisme a été confirmée par plus d’un siècle de guerre impérialiste croissante, seule réponse à une crise économique permanente. Nous vivons depuis plus de trente ans la phase finale de ce processus de décadence du capitalisme, la phase de décomposition. Et, depuis la pandémie de Covid, et plus encore la guerre en Ukraine, nous assistons à une accélération tragique. La putréfaction profonde de ce mode de production se mesure aujourd’hui par une véritable spirale de destruction à l’échelle de la planète, et notamment par la multiplication des guerres et des massacres (Ukraine, Myanmar, Yémen, Tigré…). Au Soudan, on assiste aujourd’hui à l’effondrement du « processus de paix de la communauté internationale », de l’État soudanais et du gouvernement militaire du Soudan, démontrant d’emblée une tendance plus large de ces agents des grandes puissances à avoir un fonctionnement peu fiable, irrationnel et d’abord motivé par la recherche de la première place : en témoigne le groupe russe Wagner, (3) (actif au Soudan, au Tchad et en Libye sous la direction du général Khalifa Haftar), qui semble de plus en plus se désolidariser de Moscou et prendre une dynamique propre. Cette tendance au chacun pour soi est encore soulignée par le fait que chacun des pays cités plus haut est tout à fait capable de prendre ses propres mesures unilatérales qui exacerberont encore davantage les tendances au chaos au Soudan et dans la région immédiate.

« Sauver nos ressortissants »… et c’est le sauve-qui-peut

Le Soudan était une colonie britannique jusqu’en 1956, quand les États-Unis ont sapé le rôle de l’impérialisme anglais suite à la crise du canal de Suez. Comme dans nombre de leurs colonies, les Britanniques avaient introduit la pratique du « diviser pour mieux régner », utilisant les clivages ethniques et géographiques pour faciliter leur contrôle. On a pu observer les conséquences à long terme de cette politique en 2011, lorsque le pays a été coupé en deux entre un Nord dominé par les Arabes et un Sud dominé par les Africains. Le Soudan, riche de ressources naturelles, est bordé par la Mer Rouge et a une frontière avec l’Égypte et la Libye en Afrique du Nord, l’Éthiopie et l’Érythrée dans la Corne de l’Afrique, l’État du sud-Soudan en Afrique de l’Est et les États du Tchad et de la République Centrafricaine en Afrique Centrale. Il est donc au centre de toutes les rivalités impérialistes régionales et mondiales qui se jouent en Afrique et au Moyen-Orient.

Lorsque le conflit actuel a éclaté, la principale préoccupation des hypocrites « partenaires » du Soudan a été d’abord d’évacuer d’abord leurs diplomates, puis leurs ressortissants du pays, tout en brûlant et détruisant les preuves de leur culpabilité meurtrière. Faisant écho à la « guerre des vaccins » du capitalisme lors de la pandémie de Covid-19, nous avons été témoins du « chacun pour soi », les intérêts nationaux compétitifs l’emportant sur toute forme de coopération : les avions affrétés ont décollé à moitié vides, parce que les papiers nécessaires n’avaient pas été présentés ou parce que les personnes concernées ne figuraient pas sur les listes d’embarquement du personnel qui contrôlait les départs. Lorsque d’autres ressortissants se voyaient attribuer une place dans les procédures d’évacuation, c’était dans le cadre d’un exercice cynique de relations publiques ou pour obtenir un avantage diplomatique sordide. Ces puissances en fuite ont laissé derrière elles un désordre total qu’elles ont elles-mêmes créé et un avenir sombre pour la région.

Il est inutile de citer des chiffres de victimes ou de destructions, car les chiffres « officiels » augmentent de façon exponentielle tous les jours : des dizaines de milliers de morts et de blessés graves, des millions de réfugiés et de déplacés, dont environ quinze millions vivent déjà des miettes des agences d’aide (elles-mêmes partie intégrante de l’impérialisme et de la guerre) et une malnutrition aiguë chez les femmes enceintes et les jeunes enfants, selon un communiqué de l’ONU du 11 avril dernier. Les ressortissants qui ont eu la chance de rentrer au pays ont été accueillis par des drapeaux et des titres de presse chauvins, alors que la grande majorité des Soudanais n’ont aucun moyen d’échapper à la guerre et à la famine et sont condamnés à la misère par les mêmes intérêts nationaux brandissant les drapeaux des États capitalistes qui sont venus apporter la « démocratie » au pays.

Pour ajouter au désordre de Khartoum et d’ailleurs, environ vingt mille prisonniers se sont évadés ou ont été libérés de prison (certains d’entre eux étant d’anciens meurtriers de masse et criminels de guerre condamnés par le gouvernement)  ces évadés seront accueillis dans leurs camps respectifs, dans la mêlée générale, ce qui coûtera encore plus cher à la population et à ses espoirs déçus d’une quelconque forme de « paix ». Outre l’inflation galopante, le pillage organisé des approvisionnements, les agressions et les vols commis par les milices armées, la population doit faire face à des problèmes de santé publique et de sécurité.

Des postes de contrôle omniprésents ont fait leur apparition dans de nombreuses rues, et, pour ajouter à son désarroi et à la tension, les cessez-le-feu et les trêves se succèdent sans rien changer à la guerre en cours. (4)

La décomposition du capitalisme garantit la foire d’empoigne militaire

Les deux principaux chefs de guerre, les généraux Dagalo et Hemediti, « partenaires démocratiques » de l’Occident et « amis et alliés » de Moscou, se livrent une bataille féroce, les FAS ayant l’avantage de la puissance aérienne. Ce n’est pas un grand avantage dans ce genre de guerre, mais si la bataille doit se poursuivre, les deux camps auront bientôt besoin d’être réapprovisionnés en armes : les Russes fourniront-ils aux FAR des missiles antiaériens ou d’autres armes par l’intermédiaire de Wagner ? Haftar, soutenu par les Russes en Libye, augmentera-t-il le soutien qu’il apporte et a apporté aux FAR ? L’Arabie Saoudite et l’Égypte vont-elles s’impliquer davantage dans la fourniture d’armes aux Forces armées soudanaises, et Abu Dhabi et Riyad sont-ils à couteaux tirés sur cette question ? Les partisans de la FSR dans les Émirats Arabes Unis qui considèrent que la FSR fait partie de leur plan plus large de contrôle de la Mer Rouge et de la Corne d’Afrique consolideront-ils et renforceront-ils leur soutien ? La Grande-Bretagne et les États-Unis pourraient-ils s’impliquer davantage par le biais de certains de ces vecteurs ? Compte-tenu de la grande instabilité de la situation et de tous les acteurs impliqués, il y a trop d’incertitudes pour faire des prédictions, si ce n’est que la guerre se poursuivra et que le cadre général de la décomposition garantit qu’elle prendra de l’ampleur.

La Chine est très impliquée au Soudan et dans des machinations avec les deux factions de l’Armée, afin de maintenir sa stratégie « nouvelle route de la soie », qui a été mise à mal dans l’Éthiopie voisine. Les États-Unis rattrapent leur retard sur la Chine, mais le Président Biden a récemment intensifié l’activité militaire au Soudan, avec des ressources militaires supplémentaires déployées pour « combattre le terrorisme ». Mais il ne fait aucun doute qu’ils ont été pris au dépourvu et embarrassés par la déclaration britannique selon laquelle nous étions à quelques jours d’un « régime civil » au Soudan. La Russie a également traité avec les deux factions militaires et toutes deux ont parlé favorablement de la construction éventuelle d’un port russe sur la Mer Rouge. L’ensemble de la région ressemble désormais à une boîte de Pandore, avec une situation hautement volatile.

Les évacuations de Soudanais sont en grande partie terminées à ce jour et, comme d’habitude, la guerre est cyniquement reléguée loin des gros titres alors que le pays s’enfonce dans une misère toujours plus profonde. Le Soudan est un exemple de la dynamique du capitalisme et il y en a beaucoup d’autres : de dangereuses lignes de faille impérialistes s’ouvrent avec des tensions militaires croissantes au Moyen–Orient, autour de l’ex-Yougoslavie et du Caucase et, de manière générale, dans le monde entier. Le militarisme est le principal débouché laissé à l’État capitaliste. La guerre en Ukraine, avec ses effets locaux et mondiaux, fait rage. Au début du mois d’avril 2023, la Finlande est devenue le trente et unième pays à rejoindre l’OTAN et sa frontière de 1300 km a doublé la ligne de front avec la Russie. Comme elle l’a fait dans d’autres États de la ligne de front avec la Russie, l’OTAN sera d’abord prudente, puis renforcera ses forces et son armement le long de la frontière, forçant ainsi la Russie à faire de même.

La perspective à plus long terme dans les rapports impérialistes est la confrontation croissante avec la Chine préparée par les États-Unis, mais il y a là aussi des incertitudes et des variables. En attendant, le capitalisme s’enfonce dans la guerre irrationnelle et la barbarie. Le Soudan est une exemple de plus de sa « désintégration intérieure ».

Baboon, 5 mai 2023

 

1Le FSR trouve ses racines dans la redoutable milice Jangaweed, une machine militaire arabe qui tue et viole et qui a été intégrée au gouvernement soudanais après l’éviction du dictateur Omar al-Bashir en 2019. La Jangaweed est un produit de l’impérialisme des années 1980 et a été intégrée au gouvernement soudanais par ses services de renseignement avec le soutien de l’Occident.

2Il est très probable que cet élément de « nettoyage ethnique », un facteur croissant de décomposition du capitalisme, reprenne de plus belle au Darfour, où il n’a pas vraiment cessé depuis des années.

3Le groupe russe Wagner traite directement avec les deux factions militaires soudanaises, apparemment depuis 2018, et est actif autour du port du Soudan, les services de renseignement britanniques déclarant qu’il s’agit d’une « grande plaque tournante » pour eux (cité dans le journal The Eye, 29 avril). Ils affirment également que le groupe vise à « établir une “confédération” d’États anti-occidentaux ». Outre certains entraînements et activités au Soudan et dans la région, et son étroite collaboration avec le maréchal Khalifa Haftar de Libye, le groupe a également participé, par l’intermédiaire de son front « M Invest, Meroe Gold » établi par Moscou et le dictateur soudanais Bashir, à l’envoi de volumes de métal précieux hors du pays

4Pendant la guerre du Liban, de 1975 à 1990, des milliers de cessez-le-feu ont été demandés et ignorés. Le Liban a été en quelque sorte un « modèle » pour la guerre du Golfe, pour le début de la décomposition capitaliste et l’apparition des « États en faillite ». À ce jour, le Liban a été rejoint par le Yémen, la Syrie, l’Afghanistan, la Libye et maintenant le Soudan (le Pakistan n’étant pas loin de la zone de relégation). Ces régions n’ont pratiquement aucune possibilité de reconstruction effective dans le cadre du capitalisme.

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Conflits et tensions impérialistes

Opération Wuambushu à Mayotte: L’immonde "nettoyage de printemps" de la bourgeoisie française!

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Après avoir évacué à tour de bras les campements de migrants en métropole avec une brutalité sans nom, c’est au tour de Mayotte, le plus grand bidonville de France, de voir arriver les forces de l’ordre pour l’opération Wuambushu. Mayotte, dont 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et dont la moitié est sur le territoire de façon illégale (principalement des Comoriens), est sous le joug d’une violence quotidienne. De nombreux migrants viennent s’échouer sur les plages de Mayotte en espérant trouver une vie meilleure. En mars dernier, plus de vingt migrants sont morts noyés dans l’indifférence la plus totale.

Le 24 avril dernier débutait donc en grande pompe l’opération Wuambushu. L’objectif assumé est de déporter vers les Comores plus de 20 000 personnes en deux mois, soit plus que durant toute l’année précédente. Et tout ça pour rien, pour que le gouvernement puisse montrer les muscles, dans une opération de com’ cynique du sinistre Darmanin : car ceux qui se feront expulser du territoire reviendront au péril de leur vie à bord des kwassa-kwassa, ces frêles embarcations qui finissent régulièrement au fond de l’océan. Ceux qui échapperont à la traque policière iront grossir les rangs du bidonville voisin. Mais qu’importe, l’objectif sera rempli !

À Mayotte, l’État « démocratique » révèle toute la barbarie de la bourgeoisie

L’État n’a reculé devant aucune horreur pour mener à bien ses expulsions. Les sans-papiers des bidonvilles ont vu leur abri de fortune être marqué d’un numéro, signe d’une destruction prochaine. En réalité, vu l’enchevêtrement inextricable des habitations, le marquage n’est qu’un cache-sexe dérisoire : l’État compte manifestement rouler sur les habitants, sans-papiers ou non. En bref, déloger les pauvres coûte que coûte ! Cet infâme marquage n’a pour but que d’humilier un peu plus une population déjà très fragile.

Quelques jours avant le début officiel de l’opération, la police s’est mise à gazer sans raison de nombreux quartiers aux abords de Tsoundzou, si ce n’est pour instiller un peu plus une ambiance de terreur. Plus de 600 grenades lacrymogènes et une soixantaine de LBD ont été lancés sur la population en une soirée seulement. Pire encore, pour mieux effrayer et faire fuir les habitants, les forces de l’ordre n’ont pas hésité à tirer à balles réelles sur le sol. Plus tard, un mineur a été touché par une balle perdue.

Une campagne ouvertement xénophobe est également entretenue sans vergogne par les autorités locales et le gouvernement. Les Comoriens et autres migrants illégaux sont déshumanisés au point qu’ils sont qualifiés d’ennemis : « On a très peu de visibilité sur les ennemis. Ça arrive de partout », déplorait un brigadier sur l’île. Le vice-président du conseil régional, Salime Mdere, a quant à lui carrément appelé au meurtre : « Quand je vois ce qu’il se passe à Tsoundzou […], des gamins qu’on voit de loin… enfin c’est même pas des gamins. Moi je refuse d’ailleurs qu’on emploie ces termes-là : “jeunes” ou “gamins”… Ces “délinquants”, ces “voyous”, ces “terroristes”, à un moment donné, il faut peut-être en tuer ». Voilà la réponse ignoble de la bourgeoisie au chaos qu’elle engendre : « ça » ne mérite pas de vivre !

Mais, dans un premier temps, l’opération ne s’est pas passée comme prévue. La Justice a mis en suspens les « décasages » de Talus II, un des plus grands bidonvilles de Mayotte, au motif que des solutions de relogement n’ont pas été proposées aux habitants. Volte-face ce 17 mai : les décasages peuvent reprendre ! Monsieur le Juge est satisfait : 56 hébergements d’urgence de 30 m², éloignés du bidonville d’au moins quarante minutes de route, ont été proposés aux milliers de familles dont le logement a été tagué du numéro fatidique… et pour six mois seulement ! Entre la déscolarisation forcée des enfants, les familles séparées et entassées dans des bicoques, sur des matelas en mousse à même le sol, Darmanin peut se réjouir : « l’action déterminée de destruction de l’habitat indigne à Mayotte va donc pouvoir reprendre » !

Si la bourgeoisie n’arrive pas à mener sa politique inhumaine aussi rapidement que prévu, elle peut tout de même compter sur des décennies de haine largement alimentées par l’État. Les autorités ont ainsi organisé un véritable pogrom contre les sans-papiers. Depuis le 3 mai, le plus grand dispensaire de l’île est bloqué par un collectif pro-Wuambushu qui n’a pas attendu les ordres d’expulsion du gouvernement pour créer ses propres milices (1). Non contents de dénoncer les sans-papiers aux autorités, ils barrent également l’accès à plusieurs centres de soin de l’île, empêchant la distribution de médicaments aux migrants, et ce avec la bénédiction des autorités : « Des “collectifs de citoyens” sont postés à l’entrée et demandent leurs papiers aux gens qui se présentent aux urgences, tout ça au vu et au su de la direction de l’hôpital et de la police… », témoigne un soignant. (2)

De nombreuses manifestations pro-Wuambushu ont eu lieu à Mayotte. On a pu y voir le chant nationaliste de La Marseillaise être entonné et le drapeau tricolore des versaillais fièrement brandit ! Et le relent guerrier nauséabond du patriotard n’est jamais bien loin : « On est sur une guerre d’usure », déclarait un membre d’un collectif soutenant Wuambushu, et « lorsqu’on part en guerre, il y a toujours des dégâts collatéraux ». (3)

Le combat contre le « néocolonialisme », une diversion idéologique

À l’annonce officielle de Wuambushu, l’intersyndicale (CGT-Solidaires-FSU), a hypocritement demandé au « gouvernement d’arrêter toutes les mesures répressives »… avec la même conviction que face à la répression qui s’est abattue sur le mouvement contre la réforme des retraites. La CGT Mayotte ne s’est pas embarrassée de telles simagrées et a ouvertement apporté son soutien total à l’opération, « qui apportera la paix sociale à Mayotte ». Le but étant que « les conditions de travail des travailleurs de Mayotte soient optimales ». Au turbin, et fissa !

Les gauchistes, quant à eux, dénoncent une politique « néocoloniale » de l’État français. Si la dimension raciste du traitement de la population est bien réelle, le statut d’ancienne colonie de Mayotte n’est pas la raison fondamentale pour laquelle l’État agit ainsi. En réalité, la bourgeoisie se comporte de la même façon avec les ouvriers en métropole, même si elle est, pour le moment, contrainte d’y mettre un peu plus de doigté. En métropole, soucieuse de maintenir vivace les illusions démocratiques, la bourgeoisie est pour l’instant moins « brutale » face au prolétariat. Mais à Mayotte, l’État ne s’embarrasse plus de telles précautions : le prolétariat y est plus isolé, avec peu d’expérience de luttes et très fortement dilué dans une population souvent marginalisée. Si le mouvement contre la réforme des retraites fût un avant-goût de ce que nous réserve la bourgeoisie, elle peut se permettre de montrer son vrai visage à Mayotte, comme elle l’a montré avec une sauvagerie sans nom face aux insurgés de la Commune de Paris, aux révolutionnaires de 1917 ou aux grévistes de 1947 en France.

Les migrants et la population mahoraise réduite à la misère n’ont, d’ailleurs, rien de plus à attendre d’une bourgeoisie moins « colonialiste » comme celle des Comores. En 2019, un accord sur la gestion des migrants a été passé avec la France : en échange d’une aide au développement de 150 millions d’euros, les Comores doivent « coopérer » avec Paris sur la question migratoire. Seulement voilà, au lieu du black-out habituel lorsqu’il s’agit d’expulser des migrants, le gouvernement français a décidé de faire de la com' à outrance sur Wuambushu. Les Comores ont dû bloquer les expulsions, pour finalement annoncer qu’ils ne reprendraient que les sans-papiers « volontaires » au retour. Par amour de leur prochain, sans doute ? Non ! Parce que « cela aurait pu être plus discret et efficace. Il y a un vol et un bateau entre Mayotte et Anjouan tous les jours », se lamentait le président Comorien.

Parallèlement, le gouverneur de l’île comorienne d’Anjouan a annoncé la création d’un « comité de vigilance », « habilité à prendre toutes initiatives et entreprendre des actions non violentes pour éviter que la population d’Anjouan soit menacée dans sa sécurité et dans sa quiétude en raison du déplacement massif de la population par la France »… « Non-violente »… Mais bien sûr ! Les Comoriens vivent dans des conditions plus extrêmes encore que leurs voisins mahorais, la police y est encore plus déchaînée et n’hésite pas à tirer à balle réelle sur la population. Les médias n’hésitent pas à relier les pénuries de riz avec l’arrivée des « refoulés » sur l’île… Un autre pogrom n’est pas loin ! Pour les migrants et la population de Mayotte, le salut ne viendra ni de la bourgeoisie française, ni de la bourgeoisie comorienne, ni d’aucune autre !

D.E., 20 mai 2023

1 Ces collectifs ont eux-mêmes organisés plusieurs opérations de « décasage », depuis 2016 et ont indiqué qu’ils iraient détruire les bidonvilles si les autorités n’agissaient pas.

2 « Depuis dix jours, des collectifs pro-Wuambushu bloquent l’accès aux centres de soins à Mayotte [32] », Mediapart (14 mai 2023).

3 « Des Mahorais prêts à tout pour Wuambushu [33] », Les jours (18 mai 2023)

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [34]

Personnages: 

  • Darmanin [35]

Récent et en cours: 

  • Mayotte [36]
  • Wuambushu [37]
  • Migrants [38]

Rubrique: 

Barbarie du capitalisme

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