Les grèves qui ont éclaté sur fond de colère immense en Grande-Bretagne, au mois de juin dernier, après des décennies d’attaques et d’atonie, ont marqué un changement d’état d’esprit très net au sein de la classe ouvrière : « Enough is enough ! » Les manifestations monstres contre la réforme des retraites en France, la multiplication des grèves et manifestations un peu partout dans le monde confirment la réalité d’une véritable rupture : les prolétaires refusent de subir de nouvelles attaques sans broncher ! Face à l’inflation, aux licenciements, aux « réformes », à la précarité, au mépris, à la dégradation continue des conditions de vie et de travail, le prolétariat relève la tête !
En France, croyant enterrer le mouvement rapidement, la bourgeoisie se heurte à une énorme mobilisation, à une colère profonde et durable.
Des rassemblements massifs en Espagne contre l’effondrement du système de soin et la dégradation des conditions de travail, avec des luttes et grèves dans différents secteurs se poursuivent.
En Allemagne, les prolétaires du secteur public et les postiers demandent des hausses de salaires. Le secteur des transports a été paralysé par une mega streik et la situation s’envenime plus largement au vu des négociations en cours entre le patronat et le syndicat IG Mettal qui encadre une colère montante.
En Grèce, la classe ouvrière a exprimé de manière explosive son indignation suite à un accident ferroviaire qui a coûté la vie à 57 personnes, révélant le manque de moyens, de personnels et le cynisme de la bourgeoisie qui voulait faire porter le chapeau à un lampiste pour se dédouaner d’une politique de coupes budgétaires massives et meurtrières.
Au Danemark, des grèves et manifestations ont éclaté contre la suppression d’un jour férié destiné à financer la hausse du budget militaire pour l’effort de guerre en Ukraine.
La liste des conflits sociaux pourrait être bien plus longue tant ils sont étendus et présents sur tous les continents.
Progressivement, le clivage entre exploiteurs et exploités, que la bourgeoisie a prétendu obsolète, réapparaît aux yeux des prolétaires, même si c’est une image encore très confuse et balbutiante. La crise économique qui s’approfondit, dans un monde de plus en plus fragmenté, accroît, en effet, la brutalité de l’exploitation de la force de travail et, en retour, engendre des réactions de luttes poussant à la solidarité et à la réflexion. Face à des conditions de travail dont les injustices criantes deviennent purement et simplement insupportables, les prolétaires, qu’ils soient du public ou du privé, en blouse bleue ou en blouse blanche, derrière une caisse ou un bureau, à l’usine ou au chômage, commencent à se reconnaître comme les victimes d’un même système et comme les acteurs d’un destin commun par la lutte. En somme, les prolétaires font, sans en avoir encore réellement conscience, leurs premiers pas pour se reconnaître comme une classe sociale : la classe ouvrière.
Mieux, encore : les prolétaires commencent à se tendre la main par-delà les frontières, comme on a pu le voir avec la grève des ouvriers d’une raffinerie belge en solidarité avec les travailleurs en France, ou la grève du « Mobilier national » en France, avant la venue (repoussée) de Charles III à Versailles, en solidarité avec « les travailleurs anglais qui sont en grève depuis des semaines pour des augmentations de salaires ». À travers ces expressions encore très embryonnaires de solidarité, les ouvriers commencent à se reconnaître comme une classe internationale : nous sommes tous dans le même bateau !
Mais si de nombreux pays sur tous les continents sont touchés par cette vague de fond, cela reste encore à des degrés très divers, avec des niveaux de fragilité, de mobilisation et de conscience très différents. La situation en cours vient, en fait, confirmer pleinement la distinction que l’on doit faire entre le vieux prolétariat des pays centraux, notamment de l’Europe occidentale, et celui de ses frères de classe dans les pays de la périphérie. Comme on a pu le voir en Chine ou en Iran, le manque d’expérience historique de la lutte, la présence de couches sociales intermédiaires plus importantes, le poids des mystifications démocratiques plus marqué, expose davantage les ouvriers aux risques de se noyer dans la colère de couches intermédiaires petites-bourgeoises et ultra-paupérisées. Voire d’être embrigadés derrière une fraction bourgeoise comme le montre la situation au Pérou.
Si les luttes conduisent à une lente réémergence de l’identité de classe, c’est bien en Europe occidentale qu’elle est le plus apparente, sur un terrain de classe et avec une conscience, certes encore faible, mais plus avancée : par les mots d’ordre, les méthodes de combat, le processus de maturation de la conscience dans des minorités en recherche de positions politiques prolétariennes, par la réflexion qui s’amorce plus largement au sein des masses ouvrières.
Le prolétariat effectue donc ses premiers pas dans une lutte de résistance face à la barbarie croissante et aux attaques brutales du capital. Quels que soient les résultats immédiats de telle ou telle lutte, victoires (toujours provisoires tant que le capitalisme n’aura pas été renversé) ou échecs, la classe ouvrière ouvre aujourd’hui la voie pour d’autres combats partout dans le monde. Aiguillonné par l’approfondissement de la crise du capitalisme et ses conséquences désastreuses, le prolétariat en lutte montre le chemin !
La responsabilité historique de la classe révolutionnaire face aux dangers que le système capitaliste fait peser sur toute l’humanité (climat, guerre, menaces nucléaires, pandémies, paupérisation…) devient plus intense et dramatique. Le monde capitaliste plonge dans un chaos de plus en plus sanglant, et ce processus, non seulement s’accélère fortement, mais s’expose désormais à la vue de tous. (1)
Déjà un an de guerre et de massacres en Ukraine ! Ce conflit barbare et destructeur se poursuit avec des combats interminables, comme le montre la polarisation meurtrière autour de Bakhmout, témoignage d’un tragique enlisement. Accumulant les ruines aux portes de l’Europe, ce conflit a déjà réussi l’exploit de dépasser les pertes humaines des soldats de « l’armée Rouge » tués pendant dix ans de guerre en Afghanistan (de 1979 à 1989) ! Pour les deux camps, les estimations portent déjà le nombre de morts à au moins 300 000 ! (2) La folie meurtrière en Ukraine révèle le visage hideux du capitalisme décadent dont le militarisme imprègne la moindre fibre.
Après la terrible secousse de la pandémie de Covid-19, sur fond de chaos, crise de surproduction, de pénuries et d’endettement massif, la guerre en Ukraine n’a fait que renforcer les pires effets de la décomposition du mode de production capitaliste, débouchant sur une accélération phénoménale du pourrissement de la société.
Guerre et militarisme, crise climatique, catastrophes en tout genre, désorganisation de l’économie mondiale, montée en puissance des idéologies les plus irrationnelles, effondrement des structures étatiques de soin, d’éducation, de transport… cette cascade de phénomènes catastrophiques semble non seulement s’aggraver dramatiquement, mais également s’entretenir, poussant les uns les autres dans une sorte de « tourbillon » mortifère au point de menacer la civilisation de destruction pure et simple.
L’actualité récente ne fait que confirmer davantage cette dynamique : la guerre accentue aussi la crise économique déjà très profonde. À une forte inflation, alimentée par la course aux armements, s’ajoute encore une nouvelle turbulence du secteur bancaire en Europe et aux États-Unis, marquée par la faillite de banques dont celle de la Silicon Valley Bank (SVB) en Californie et le sauvetage du Crédit Suisse avec un rachat forcé par UBS. Le spectre d’une crise financière plane de nouveau sur le monde ; tout cela, sur fond de désordre planétaire accentué, de concurrence effrénée, de guerre commerciale sans merci qui pousse les États à des politiques sans boussole, précipitant la fragmentation et les désastres, dont celui du réchauffement climatique n’est pas des moindres. (3) Ces catastrophes ne peuvent que conduire à de nouvelles convulsions et à une fuite en avant dans la crise, avec des phénomènes imprévisibles.
Tandis que la classe ouvrière s’engage sur le terrain de la lutte de classe, le système capitaliste ne peut que nous plonger dans la faillite et les destructions s’il n’est pas terrassé par le prolétariat. Ces deux pôles de la situation historique vont désormais se heurter et s’affronter davantage dans les années à venir. Cette évolution, malgré sa dynamique complexe, laissera apparaître plus nettement à terme la seule alternative historique possible : communisme ou destruction de l’humanité !
WH, 5 avril 2023
1) Y compris de la bourgeoisie qui, dans le dernier rapport sur les risques mondiaux du forum de Davos, a exposé de façon très lucide la catastrophe dans laquelle le capitalisme nous entraîne.
2) L’ONU a même révélé le fait d’exécutions sommaires dans les deux camps.
3) Dès la fin mars, en Espagne, de nouveaux incendies « typiques de l’été » ont déjà obligé l’évacuation de 1500 personnes !
« Une mobilisation de plus en plus violente » (The Times), « un feu qui fascine et qui détruit » (El pais), « Incendie devant la mairie de Bordeaux » (Der Spiegel)…
Les affrontements entre black-blocs et la police dans les manifestations contre la réforme des retraites ont fait les choux gras de nombreux journaux en Europe et ailleurs. Les médias étrangers ont également relayé les vidéos des poubelles brûlées, des vitrines brisées, des jets de projectiles ou de grenades, mettant habilement en scène un vrai décor d’apocalypse. Alors que, jusqu’à présent, le mouvement contre les retraites en France subissait un véritable black-out à l’international, les médias étrangers aux ordres sont soudainement sortis de leur torpeur pour déformer entièrement ce qui se passe dans les rues de toutes les villes de France depuis le milieu du mois de janvier.
Réduire le mouvement social à des émeutes destructrices, en réalité très minoritaires et marginales, tel a toujours été l’exercice dont se délectent les médias pour tenter de discréditer la lutte. L’écho de la lutte en France auprès de la classe ouvrière en Italie, au Royaume-Uni ou en Allemagne n’a fait qu’accentuer le zèle de la bourgeoisie pour véhiculer de grossiers mensonges.
Très loin des quelques rassemblements « d’incendiaires » (de poubelles...), ce sont pourtant des millions de personnes qui défilent, semaine après semaine, dans des cortèges chaleureux et toujours aussi déterminés à se battre et à repousser cette attaque. L’activation, le 16 mars, par le gouvernement, de l’article 49.3 de la Constitution, permettant l’adoption de la loi sans vote des députés, suivi, quelques jours plus tard, d’une intervention méprisante de Macron comparant les manifestants à des « factieux » semblables aux troupes haineuses et vociférantes de Trump ou Bolsonaro, ont même renforcé encore plus la colère et la volonté de faire reculer le gouvernement.
Lors de la neuvième journée de mobilisation, le 23 mars, de 2 à 3 millions de personnes étaient rassemblés : salariés, retraités, chômeurs, lycéens et étudiants… Tout le monde était dans la rue pour crier le refus toujours intact d’être exploités jusqu’à 64 ans. Les actes de violences aveugles de quelques centaines de black-blocs tournant en boucle sur les chaînes d’infos en continu et relayés à l’international, n’ont en réalité absolument rien à voir avec la nature de ce mouvement.
Ces actes stériles et inutiles servent justement de caution aux CRS, BRAV-M et autres porte-flingues de « l’ordre » des exploiteurs pour réprimer et faire régner la terreur. Tout cela dans le but de dissuader des travailleurs de rejoindre les manifestations et d’empêcher les rassemblements et les discussions.
Pour autant, la stratégie du pourrissement par la violence, sciemment orchestrée par le gouvernement, ne s’est pas avérée payante pour le moment. La massivité et la détermination lors des deux journées de mobilisation suivantes, le 28 mars et le 6 avril, étaient toujours au rendez-vous. Le déchaînement de brutalité de la police sur les manifestants a même amené des parties de la bourgeoisie mondiale, par l’intermédiaire du Conseil de l’Europe ou de l’ONU, à mettre en garde Macron et son gouvernement face à « l’usage excessif de la violence », la mort d’un manifestant pouvant avoir un impact retentissant dans l’ensemble du prolétariat en Europe de l’Ouest.
Ainsi, malgré les provocations, les multiples pièges tendus par le gouvernement, les syndicats et toutes les autres forces de la bourgeoisie, la lutte en France se poursuit ! La massivité, la combativité et la solidarité restent intactes. Ce qui n’est pas sans préoccuper des parties de la bourgeoisie française qui, face à l’isolement et au « jusqu’au boutisme » de Macron et son gouvernement cherchent résolument une porte de sortie. (1)
L’ampleur de ce mouvement est tel qu’il inspire les travailleurs dans plusieurs pays. En Italie, on se demande pourquoi « personne n’a levé le petit doigt » lors du passage de la retraite à 67 ans en 2011 ? Pourquoi n’avons-nous pas refusé de nous faire exploiter davantage comme le font, aujourd’hui, les travailleurs en France ? En Allemagne, les travailleurs des transports en grève ont affirmé ouvertement s’inspirer du mouvement en cours en France. Il en a été de même au Royaume-Uni ou encore en Tchéquie, également à propos des retraites. Ainsi, loin d’être une spécificité de « gaulois réfractaires », la lutte contre la réforme des retraites participe activement au développement de la combativité et de la réflexion de la classe ouvrière au niveau international.
Pourquoi ? Parce que c’est toute la classe ouvrière dans le monde qui est touchée par l’inflation, les attaques des gouvernements, la dégradation des conditions de vie, l’intensification de l’exploitation sur les lieux de travail.
C’est pour cela que le « enough is enough ! » scandé au Royaume-Uni depuis des mois par les travailleurs de nombreux secteurs, le « ça suffit ! » des manifestants en France, la réaction des travailleurs en Grèce suite à un accident ferroviaire … s’inscrivent tous dans le même mouvement de colère et de mécontentement international : Espagne, Allemagne, Grèce, Corée du Sud, Mexique, Chine, Italie… partout des grèves et des manifestations, partout la même lutte pour se défendre contre les pires effets de la crise du capitalisme.
Comme le montre l’écho international de la lutte en France, un embryon de liens naît, peu à peu, entre les travailleurs qui dépasse les frontières. Ces réflexes de solidarité sont l’exact opposé du monde capitaliste divisé en nations concurrentes vantant en permanence le culte de la patrie ! Ils rappellent tout au contraire le cri de ralliement de la classe ouvrière depuis 1848, celui du Manifeste communiste de Marx et Engels : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ».
Ainsi, les luttes actuelles sont le terrain le plus propice à la prise de conscience que « nous sommes tous dans le même wagon » comme le clamaient les manifestants en Grèce, dernièrement. Même si c’est un processus encore très fragile et confus, toutes ces luttes permettent de prendre peu à peu conscience qu’il est possible de lutter comme une force unie et collective, comme une classe, comme la classe ouvrière mondiale !
Si la combativité et la massivité à elles seules n’ont pas été en mesure de faire reculer la bourgeoisie, le seul fait de faire l’expérience de la lutte collective, de mesurer les impasses, se confronter aux pièges tendus par la bourgeoisie et de pouvoir y réfléchir pour en tirer les leçons est déjà une victoire et un pas supplémentaire pour les combats futurs : « Parfois les ouvriers triomphent ; mais c’est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leur lutte est moins le succès immédiat que l’union grandissante des travailleurs ». (2)
Toutes les semaines, dans les cortèges, des slogans sont exprimés tels que « Tu nous mets 64, on te re-Mai 68 », « Mars 2023 is the new Mai 68 ». De même, la lutte contre le CPE en 2006 revient dans toutes les têtes. (3) Ces expériences de l’histoire de la classe ouvrière sont très précieuses pour le développement des luttes. Elles forment une boussole permettant à la classe de trouver le chemin de l’extension et de l’unité de la lutte.
En 1968, le prolétariat en France avait contraint le gouvernement et les syndicats à un accord sur la hausse des salaires grâce à des débrayages massifs et la propagation des assemblées générales dans les usines et d’autres lieux de travail.
En 1969 et 1972, les mineurs au Royaume-Uni étaient également parvenus à créer un rapport de force favorable à la classe ouvrière en étant en mesure de sortir de la logique corporatiste par l’extension de la lutte : par dizaines et par centaines, ils s’étaient rendus dans les ports, les aciéries, les dépôts de charbon, les centrales, pour les bloquer et convaincre les ouvriers sur place de les rejoindre dans la lutte. Cette méthode devenue célèbre sous le nom de flying pickets (piquets volants) exprimait la force collective, celle de la solidarité et de l’unité de la classe ouvrière.
En 1980, la classe ouvrière en Pologne a fait trembler la bourgeoisie de tous les pays en se rassemblant dans d’immenses assemblées générales (les MKS), décidant des revendications et des actions de lutte, en ayant comme souci constant d’étendre la lutte.
En 2006, ce sont les assemblées générales organisées par les étudiants et ouvertes à tous (travailleurs, chômeurs, retraités…) qui étaient le poumon d’une lutte qui, face à sa dynamique d’extension, avait contraint le gouvernement Chirac à retirer le Contrat Première embauche (CPE).
Tous ces mouvements démontrent que la classe ouvrière peut repousser les attaques et faire reculer la classe dominante dès qu’elle est véritablement en mesure de prendre en main ses luttes afin de les étendre et les unifier sur la base de revendications et de moyens d’action communs.
Les black-out médiatiques sur la massivité de la lutte en France comme la diabolisation ultra-médiatisée des violences minoritaires visent justement à empêcher le prolétariat de renouer avec ce passé lui permettant de prendre conscience de ses forces. C’est pour cela qu’aujourd’hui, le développement de véritables lieux de débats, tels que les assemblées générales souveraines et ouvertes à tous, doit être défendu comme moyen d’action, comme le moyen par excellence permettant de réfléchir à comment développer et unifier les luttes. La réappropriation des leçons des luttes du passé est un jalon fondamental de ce processus et, plus largement, de la récupération de la conscience d’appartenir à une seule et même classe portant en elle-même la force de renverser l’ordre capitaliste.
Vincent, 7 avril 2023
1) Depuis des semaines, les syndicats ne cessent de tendre la main au gouvernement pour tenter de calmer le mouvement. Mais ce dernier reste pour le moment « droit dans ses bottes ».
2) Marx et Engels, Manifeste communiste (1848).
3) Bien qu’elle n’ait pas la même signification, ni la même portée historique que Mai 68.
Face à la détermination des ouvriers en France, la bourgeoisie multiplie les chausse-trappes et les pièges : provocations éhontées du gouvernement, fausses espérances dans une « issue institutionnelle » ou le « dialogue social »… de gauche comme de droite, la bourgeoisie fait tout pour conduire la lutte dans une impasse. Ces dernières semaines, c’est la violence décomplexée de la police qui a été surtout utilisée et dont les images ont fait le tour du monde.
La violence et les provocations policières sont de grands classiques du maintien de l’ordre. Après avoir misé, en vain, sur un épuisement provoqué par la perte répétée de journées de salaire, Macron et son gouvernement jouent désormais la carte de l’instrumentalisation de la violence aveugle et stérile des black-blocs. Ce qui leur permet d’orchestrer sciemment une vaste entreprise de provocations policières et de répression sur l’ensemble des manifestants et des travailleurs en grève.
Tout a été fait, par exemple, pour que les manifestations du 28 mars tournent à l’affrontement violent et massif avec les forces de l’ordre. Il y a d’abord eu les provocations verbales de Macron à l’encontre des « factieux », présentant les manifestants comme une horde de voyous. Ensuite, les vidéos et enregistrements très choquants inondant les réseaux sociaux dans lesquels des flics agressent, intimident, humilient des manifestants, notamment les plus jeunes. Enfin, des gamins se retrouvant entre la vie et la mort à Sainte-Soline, blessés par des armes de guerre, après que les secours aient été empêchés d’intervenir par la préfecture. Ces provocations étaient insupportables et le risque devenait grand que le sentiment à l’égard des forces de l’ordre ne s’arrête pas aux slogans : « Tout le monde déteste la police ! » mais qu’il se transforme en batailles de rue chaotiques et barricades incendiaires.
Pourtant, le 28 mars, les manifestations se sont déroulées dans le calme, la colère grondant d’un bout à l’autre des cortèges mais avec des échauffourées ponctuelles et marginales de quelques dizaines de personnes. Même chose, mais plus calme encore, le 6 avril. La classe ouvrière n’est pas tombée dans le piège !
Car il s’agissait bien d’un piège : la bourgeoisie a tout fait pour exacerber la colère de ceux qui se mobilisent dans les mouvements sociaux, laissant ses flics agir impunément et en le faisant savoir : pas de sanctions, pas de suspension, un ministre de l’Intérieur cynique et arrogant dont la morgue n’a guère de concurrence ailleurs qu’à l’Élysée ! Dès lors, le message était clair : la prochaine fois ce sera pire, la prochaine fois ce sera la guerre et on vous aura prévenus !
Les manifestants auraient pu prendre peur massivement, les parents retenir leurs enfants, lycéens ou étudiants, et la bourgeoisie se serait gaussée d’une mobilisation « sur le déclin ». Une partie des manifestants aurait aussi pu se laisser entraîner dans l’affrontement direct avec la police, la bourgeoisie aurait eu une belle occasion de dire que tout mouvement social finit toujours par la destruction et le chaos et que seul l’État et sa police peuvent garantir la « sécurité et la paix ».
La bourgeoisie ne se contente toutefois pas d’exercer la terreur et de pousser aux affrontements stériles, elle a entre les mains une arme très efficace et dangereuse à travers son idéologie « démocratique » et ses syndicats. En effet, ces derniers se présentent comme responsables, comme les garants de manifestations pacifiques et des luttes efficaces. En réalité, non seulement ils collaborent de manière classique en partenariat avec la préfecture et les flics pour préparer les cortèges, mais en plus ils assurent eux-mêmes un service d’ordre, organisent les manifestations de manière à bien les saucissonner, à les segmenter par secteur, profession, catégorie, chacun derrière sa banderole, encadré par son syndicat et ses sonos pour empêcher les discussions et couper court à toutes autres initiatives que celles qu’ils ont orchestrées.
Bien sûr, une autre face de cette médaille est celle des partis de gauche et les médias bourgeois qui cherchent à distiller un poison dans la tête des ouvriers : faire croire qu’il pourrait exister une « police au service du peuple » agissant dans le cadre d’une « déontologie irréprochable ». Ce sont des mensonges !
Les syndicats, comme la police, sont des organes d’État. Ils sont fondamentalement au service du fer de lance de la défense de l’ordre bourgeois et de l’exploitation.
Face à la répression : unité et solidarité !
La lutte de classe n’a rien à voir avec la violence aveugle et minoritaire qui s’exprime actuellement dans les quelques affrontements avec les forces de répression, pas plus qu’elle ne s’inscrit dans les illusions d’un capitalisme plus « humain » et prétendument plus « démocratique ».
La force de la classe ouvrière réside dans sa lutte collective et massive, terreau dans lequel pourra se renforcer sa conscience d’être une classe révolutionnaire, capable d’imposer un réel rapport de force avec la classe dominante, de répondre massivement et solidairement à la répression, pas de brûler des poubelles ou chasser un peloton de CRS d’une avenue.
La bourgeoisie le sait bien et elle cherche par tous les moyens à empêcher ce processus en essayant de provoquer des réactions de colère aveugle qui servent d’exutoires et qu’elle sait parfaitement canaliser.
GD, 4 avril 2023
Le thème de la « taxation des super-profits » s’est glissé dans les discours de nombreux politiciens, dans la presse et même dans la bouche d’économistes médiatiques. Les dividendes des actionnaires du CAC-40 en France, les profits de TotalEnergies, LVMH, Engie, Arcelor Mittal, ceux des grands distributeurs d’énergie en Allemagne, en Italie ou en Grande-Bretagne, comme Shell, BP, British Gas… tous enregistrent des records. Ainsi, TotalEnergie a doublé son bénéfice net au deuxième trimestre 2022. Au Royaume-uni, le groupe Shell a engrangé un bénéfice de 40 milliards de dollars. Les cent plus grandes entreprises allemandes connaissent un revenu record de 1 800 milliards d’euros par rapport à la même période, l’année dernière. Le géant mondial des transports de marchandises CMA CGM a augmenté de 7,2 milliards de dollars le sien pour le premier trimestre 2022, soit une hausse de près de 243 % !
Cette situation, qui accentue les écarts et inégalités sociales, s’accompagne d’une exhibition écœurante de certains revenus alors que les salaires des travailleurs stagnent, quand ils ne régressent pas. La précarité est devenue la norme et l’inflation plonge dans la pauvreté une masse croissante d’ouvriers. (1)
Face à cette situation de dégradation constante, la taxation des super-profits est présentée comme une solution possible ou comme un des moyens pour répondre à la crise. Le Bundestag et d’autres chambres parlementaires en Europe ont ainsi été amenés à prévoir ce type de taxe, principalement sur les profits liés au secteur de l’énergie. Dans ses discours, le Président Macron, préférant bannir toute référence au lexique du gauchisme, évoquait par exemple la possibilité de taxer les « bénéfices indus » des grands énergéticiens. Il s’agissait probablement de rendre moins insupportable aux yeux des ouvriers l’utilisation forcée de leur véhicule, notamment pour les plus précaires, et répondre idéologiquement à ce qui est vécu comme une véritable injustice : « les riches se gavent pendant qu’on peine de plus en plus à faire le plein ».
Une telle propagande, dans la bouche d’autres dirigeants européens du même acabit, en pleine crise économique et dans un contexte de forte poussée inflationniste, témoigne d’ailleurs plus largement de l’inquiétude de la bourgeoisie face à une situation sociale de plus en plus tendue. Du fait de la poussée des luttes dans le monde, la bourgeoisie est obligée d’accorder quelques miettes. Mais ce qu’elle va lâcher d’une main, elle le reprendra aussitôt et inévitablement de l’autre.
Toutefois, au-delà de ces inquiétudes, le danger pour la classe ouvrière est celui d’une mystification en apparence plus radicale portée par la gauche, les syndicats et surtout par les gauchistes, comme les organisations trotskistes. En France, à la fin du mois d’août 2022, la NUPES organisait déjà une pétition intitulée : « taxons les super-profits ». Dans bon nombre de leurs discours, les députés LFI, de Manuel Bompard à François Ruffin, soulignaient la nécessité d’une taxation comme réponse à la crise sociale.
Cette idée était le créneau idéologique quasi exclusif des gauchistes, il y a encore quelques années. Comme ceux de LO (Lutte ouvrière), dont le slogan démagogique se résumait souvent à « faire payer les riches », sorte de variante des discours staliniens du passé qui se présentaient comme les « ennemis des trusts », exploitant au passage le vieux mythe des « 200 familles ». (2) Cette idée ancienne de « prendre aux riches » était aussi véhiculée par d’autres propagandistes, comme ceux d’Attac, qui préconisent toujours une application de la taxe Tobin. (3) En somme, malgré les contradictions irréversibles du capitalisme, sa faillite historique, il serait possible de « soulager les travailleurs » par une « juste redistribution des richesses ».
Mais aujourd’hui, ces anciens discours de l’extrême-gauche, recyclés face à la réflexion au sein de minorités ouvrières plus conscientes et plus combatives, ne suffisent plus. Alors que la gauche classique perpétue son idéologie de « redistribution » et de « régulation » par l’État, les gauchistes s’obligent désormais à parler de la « nécessité de renverser le système ».
Pour LO, cette taxation devient désormais une « supercherie ».Un groupe comme Révolution Permanente, scission du NPA, critique lui aussi ce slogan qui « ne permet pas de s’attaquer à la propriété privée capitaliste ». Sans pour autant abandonner les vieilles platitudes « réformistes » comme l’« indexation des salaires sur l’inflation […] pour unir notre classe » prouvant par là que cette nouvelle boutique gauchiste ne souhaite en aucun cas remettre en cause l’exploitation salariée.
Derrière l’apparente radicalité de ses discours, se cache la défense acharnée du capitalisme d’État sous les traits « d’expropriations » qui permettraient de construire un soi-disant « État ouvrier ». Les organisations gauchistes ne se démarquent absolument pas des conceptions véhiculées par la gauche classique, consistant à entretenir l’illusion de constituer un État « au-dessus des classes », capable de « réguler l’économie au service des travailleurs ». Par conséquent, loin d’être au service de l’émancipation des travailleurs, la gauche et l’extrême-gauche demeureront toujours dans le camp bourgeois au service de la conservation du capitalisme.
Le monde capitaliste s’enfonce inexorablement dans une guerre économique de plus en plus aiguë, sur fond d’endettement massif. Toutes les entreprises et toutes les nations se battent les unes contre les autres pour maintenir leur compétitivité face à une concurrence acharnée. Pour survivre dans cette jungle, il n’y a pas cent chemins : il faut accumuler le maximum de capital en pressurant les travailleurs pour baisser les coûts de production. Contrairement à des mythes tenaces, comme celui des « Trente Glorieuses », le capitalisme n’a jamais et ne pourra jamais « redistribuer justement la richesse », ce serait se vouer à la ruine. Avec la crise généralisée du système, il n’est même pas pensable d’octroyer la moindre réforme en faveur des ouvriers. La seule perspective que peut proposer le capitalisme au prolétariat, c’est une dégradation permanente des conditions de vie et de travail des ouvriers.
Voilà ce que cherche à dissimuler la propagande sur la « taxation des profits » ! Aussi sophistiqué qu’il puisse l’être dans la bouche des économistes « de gauche », ce mensonge n’a pour unique fonction que de bourrer le crâne des ouvriers d’illusions sur la « sortie de la crise ». Le capitalisme n’a aucune vocation philanthropique, il est conforme à sa nature : accumuler du capital et réaliser du profit par la sueur des travailleurs.
L’idée martelée autrefois par les gauchistes, notamment des trotskistes, de « taxer les riches » pour investir un « argent qui dort » et prétendre investir dans l’école, la santé, etc. en vue d’un monde meilleur sous la houlette d’un État démocratiquement contrôlé par les ouvriers est un pur mensonge. Contrairement à ce qu’ils veulent nous faire croire, le capitalisme ne peut nullement surmonter ses contradictions insolubles qui génèrent une crise de surproduction permanente et un endettement devenu abyssal. Le « modèle » de « redistribution » fantasmé, ou celui d’un contrôle étatique assimilé frauduleusement à du « communisme », reste en réalité celui du capitalisme d’État stalinien ! Un « modèle » de gestion capitaliste dont tous les politiciens d’extrême-gauche sont encore porteurs et nostalgiques.
Contrairement à la croyance en la possibilité d’agir pour un État plus « social », la réalité est que l’État représente le fer de lance de la bourgeoisie. La bourgeoisie se plaît à dépeindre des États soumis aux grandes firmes transnationales. Mais le rapport de force entre la bourgeoisie « privée » et l’État est strictement inverse : sans le contrôle étatique étroit de la production et du commerce à tous les niveaux, sans appareil réglementaire sophistiqué (favorisant les passe-droits fiscaux), sans l’armée de fonctionnaires pour former ou soigner les travailleurs, sans l’influence impérialiste des États, les entreprises, petites ou milliardaires, ne seraient rien. Il suffit de voir comment un mégalomane richissime comme Elon Musk est entièrement dépendant des commandes et du bon vouloir de l’État américain pour s’en convaincre.
L’État bourgeois n’est donc pas un lieu neutre de pouvoir à conquérir, c’est l’instrument principal d’exploitation et de la domination de la bourgeoisie sur la société. Il est, à ce titre, le principal ennemi de classe à abattre.
Le mythe de l’État « protecteur » a la vie dure. Fer de lance de toutes les attaques, c’est en son nom que sont menées les « réformes » qui dégradent nos conditions de vie. En réalité, l’État a pour seule fonction de garantir l’ordre qui permet d’exploiter au mieux la force de travail : toute idée de « régulation » de « redistribution » ou de « contrôle ouvrier » n’est qu’un leurre.
Les prolétaires n’ont pas le choix : ils doivent mener le combat le plus unitaire et le plus large possible. Pour cela, ils doivent commencer par rester sourds au vacarme médiatique, mais aussi et surtout à ceux des faux amis que sont les gauchistes et les syndicats qui prétendent qu’il est possible de réformer ou contrôler l’État en faveur des travailleurs. Les plus dangereux ennemis sont ceux qui derrière le masque de la justice, voire celui de la révolution, restent les derniers remparts de l’État bourgeois.
WH, 17 mars 2023
1) Ces bénéfices records ne sont pas pour autant les signes d’une bonne santé de l’économie. Ils s’expliquent essentiellement par la flambée des prix des hydrocarbures, la spéculation et la baisse des coûts de production, en particulier du fait de l’intensification de l’exploitation de la force de travail et des bas salaires maintenus pour l’ensemble des prolétaires.
2) Ce mythe apparaît à la fin du Second Empire, laissant entendre que le pouvoir politique en France et celui de l’argent, via le système bancaire et le crédit, serait aux mains de quelques « 200 familles » extrêmement riches.
3) L’économiste américain, James Tobin, proposait en 1972 une taxation des opérations de change par un prélèvement de l’ordre de 0,05 % à 1 %.
À de multiples occasions, lors de catastrophes climatiques ou industrielles causant de nombreuses victimes, le CCI a systématiquement dénoncé les larmes de crocodile des gouvernants, des responsables politiques ou économiques qui, toujours, invoquent la « fatalité », la faute à pas de chance, des « erreurs humaines », l’ « irresponsabilité » de tel ou tel technicien, salarié ou structure locale en charge de l’entretien, ou encore l’ « imprévisibilité » d’épisodes climatiques…
À chaque fois, face à de telles catastrophes, inondations, feux de forêt gigantesques, effondrement d’un pont, comme à Gênes, chute d’un téléphérique, effondrement d’une usine, coulée de boue, etc. (et ces événements tragiques se sont accélérés au fil des années), l’hypocrisie et le cynisme éhontés de la bourgeoisie sont sans borne. Elle a toujours cherché à désigner un bouc-émissaire idéal, tenté de trouver une explication boiteuse pour justifier l’injustifiable, pour faire oublier qui sont les véritables responsables : les représentants et défenseurs d’un système capitaliste déliquescent, à l’agonie, qui transpire la mort par tous ses pores, partout dans le monde.
Aujourd’hui encore, en Grèce, avec la catastrophe ferroviaire de deux trains se percutant frontalement, gouvernement et sociétés ferroviaires ont tenté de faire porter le chapeau à un chef de gare lampiste, inexpérimenté, qui a fait une erreur fatale qu’il a lui-même reconnue et assumée.
Mais, à la différence d’autres accidents tout aussi dramatiques, y compris en Grèce au moment des incendies gigantesques de 2018 et 2021 ayant occasionné des dizaines de morts, le choc, la douleur et la tristesse de la population, face au décès de ces 57 victimes, ne se sont pas cantonnés au recueillement intime, à des hommages solennels sous l’égide de l’État bourgeois, ne se sont pas retournés contre ce chef de gare désigné « coupable » par le gouvernement et par le premier ministre Mitsotakis.
Refusant la « fatalité », l’indignation et l’immense colère de la majeure partie de la population, surtout de la classe ouvrière, a explosé dans la rue, à Athènes, à Thessalonique, dans les entreprises, dans des manifestations massives regroupant des dizaines de milliers de personnes, par des grèves spontanées chez les cheminots, avec un appel à cesser le travail le mercredi 8 mars dans une grande partie des secteurs public et privé, de la santé aux enseignants, aux marins, aux travailleurs du métro, aux étudiants… du jamais vu depuis plus de dix ans !
Comme en Grande-Bretagne depuis plus de neuf mois, comme en France aujourd’hui face à la réforme des retraites, la classe ouvrière en Grèce crie à son tour : « trop c’est trop ! » La coupe est pleine !
Face à la déliquescence des services publics, suite aux plans d’austérité depuis plus de dix ans, la rue a répondu au pouvoir par ce slogan entendu dans tous les rassemblements : « Ce n’était pas une erreur humaine, ce n’était pas un accident, c’était un crime ». « À bas les gouvernements assassins ! » « Mitsotakis, ministre du crime »… La publication des excuses penaudes du premier ministre Mitsotakis suite à ses minables premières déclarations sur l’ « erreur humaine » du chef de gare, ont été vécues comme une provocation supplémentaire, entraînant spontanément dans la rue plus de 12 000 personnes.
La classe ouvrière en Grèce crie sa solidarité avec toutes les victimes de l’exploitation capitaliste, son refus de payer la crise, son refus des plans d’austérité à répétition, ou de l’allongement de la durée de travail comme en France, son refus de mourir en utilisant les transports du quotidien qui sont devenus des engins de mort : manque de personnel, délabrement des infrastructures, bus ou trains en ruine, systèmes de sécurité absents ou obsolètes, pénurie de matériel… « Cet accident de train, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Rien ne fonctionne en Grèce. L’éducation, le système de santé, les transports publics, tout est en ruine. Ce gouvernement n’a rien fait pour redresser cette situation intolérable dans le secteur public, mais il a dépensé de l’argent pour l’armée et la police ! » (une enseignante grecque).
C’est la réalité quotidienne du monde capitaliste, de l’aggravation de nos conditions de vie, de travail, partout, dans tous les pays !
Cette combativité massive de la classe ouvrière aujourd’hui en Grèce rejoint celle du prolétariat en France, en Grande-Bretagne, qui se bat et se mobilise déjà depuis des semaines, des mois, par des luttes qui expriment une grande colère et détermination.
L’indignation face à l’hypocrisie de l’État, face à la recherche effrénée du profit des entreprises privatisées ou non, exprime la même colère, la même solidarité, le même refus de courber l’échine, de subir encore et encore l’exploitation et payer de sa vie la décomposition au quotidien du système capitaliste putride.
C’est le même « réflexe » de classe qui resurgit ici en Grèce, dans la continuité des autres expressions massives de colère partout dans le monde face à la crise, à la gabegie et l’incurie de l’État. Là aussi, cela faisait des années que la combativité ouvrière en Grèce ne s’était pas exprimée à un tel niveau.
Ce « réflexe » de solidarité dans les rangs ouvriers vient rompre avec des années de repli sur soi, d’apathie ou d’expectative pour la classe ouvrière. Un exemple parlant et hautement significatif : lors de la journée de grève du 8 mars, à Athènes, les salariés des transports publics, en grève, ont décidé de faire fonctionner des bus et lignes de métros quelques heures, afin de faciliter le transport et la participation des manifestants aux rassemblements ! Voilà comment la lutte peut faire vivre la mobilisation, la solidarité, à l’inverse des « blocages » proposés par les syndicats comme en France !
La bourgeoisie, en Grèce, déstabilisée un temps par la réaction massive des ouvriers, tente bien sûr de limiter la mobilisation et la réflexion : elle crie haro sur la corruption, le clientélisme, le recul de l’ « État de droit », l’austérité, appelle à la mobilisation électorale pour les prochaines élections législatives ! Tout est bon pour botter en touche et masquer la réalité de la décomposition du monde capitaliste et sa véritable responsabilité, en Grèce comme partout.
Mais quelle que soit la suite de ce mouvement de lutte, son expression ouverte aujourd’hui, massive, solidaire, est déjà une victoire, une étape, qui participe directement au renouveau de la lutte ouvrière internationale.
Stopio, 10 mars 2023
« […] tant que le capitalisme existe, il y aura des luttes ouvrières. C’était le cas dans la phase ascendante du capitalisme. Et aussi, dans la période de décadence (à partir de 1914 environ, et cela était vrai même pendant la période de la contre-révolution. Et même au début de la période COVID, il y avait des luttes ouvrières, en Italie, aux États-Unis, etc. […]
Alors je me demande : les grèves sont-elles en elles-mêmes, aussi positives soient-elles, l’indice d’une reprise générale de la lutte ouvrière ? Les grèves ne peuvent-elles pas parfois être l’expression du désespoir, du doute ? […] quels sont les critères pour déterminer qu’une lutte ouvrière particulière représente un véritable renouveau de la lutte ouvrière, une lutte qui offre une perspective ? » C.
Le point soulevé par le camarade est crucial pour l’intervention des révolutionnaires dans la lutte de classe : comment identifier la signification d’une lutte, « une lutte qui offre une perspective » ? Certes, il n’existe pas de critères absolus pour déterminer si une grève particulière représente « un véritable renouveau de la lutte ouvrière ». Cependant, il faut se garder d’une appréhension empirique d’un tel mouvement car, dans de nombreux cas, les apparences peuvent être trompeuses. Pour saisir sa signification réelle, l’analyse doit aller au-delà des caractéristiques superficielles et partir d’un cadre d’évaluation qui prend en compte :
– D’abord, les caractéristiques de la période historique dans laquelle il se déroule : expansion ou déclin du capitalisme, certes. Mais, plus important dans le capitalisme décadent actuel, s’agit-il d’une période caractérisée par une tendance globale à la contre-révolution ou au contraire par l’ouverture d’un cours vers d’importants affrontements de classe ?
– Ensuite, l’appréciation du rapport de force entre la bourgeoisie et le prolétariat dans une période historique particulière : quelle est la dynamique de la lutte de classe au niveau de son extension, unification ou politisation ? Quel est l’impact des manœuvres et des obstacles idéologiques mis en place par la bourgeoisie ?
Un tel cadre permet d’estimer l’évolution du facteur subjectif au sein de la classe, d’apprécier le niveau de conscience du prolétariat.
Dans la période présente de décadence du capitalisme, le cours général vers la défaite ou au contraire vers un renforcement du mouvement prolétarien est un point de référence capital pour évaluer les potentialités d’une lutte particulière, quelle que soit son apparence radicale à première vue. Il permet de prendre en compte le niveau de conscience dans les masses ouvrières au-delà de la simple combativité ou même le nombre d’ouvriers en lutte.
Quelques exemples historiques le démontrent. En mai-juin 1936, une immense vague de grèves et d’occupations d’usines déferlait sur la France : deux millions et demi de travailleurs de tous les secteurs, privés et publics, et de toutes les industries et services se mettent en lutte de sorte que Trotsky écrivait le 9 juin 1936 que « la révolution française a commencé ». En réalité, le prolétariat commençait au contraire à être enrôlé derrière l’idéologie bourgeoise de l’antifascisme. Une idéologie qui allait le mener à la défaite et vers la guerre. Ce mouvement se situait dans une dynamique générale du combat défavorable. Après la défaite de la Révolution allemande et d’autres mouvements massifs en Europe occidentale, après la victoire du Stalinisme en Russie, la contre-révolution triomphait et la conscience de classe subissait un recul profond parmi les prolétaires. Dès lors, malgré des gains temporaires tels que des augmentations de salaires, la semaine de 40 heures et les congés payés, le mouvement de 1936 s’est rapidement transformé en hymne nationaliste et en soutien au gouvernement du Front populaire, qui conduira à une mobilisation des travailleurs pour préparer la guerre mondiale.
Le 23 octobre 1956, des étudiants et de jeunes ouvriers organisent une manifestation à Budapest pour exprimer leur solidarité avec un soulèvement ouvrier réprimé dans le sang à Poznan en Pologne. Le 25, les ouvriers de tous les centres industriels de Hongrie rejoignent les protestations, se mettent en grève et forment spontanément des conseils ouvriers : un développement spectaculaire qui semble annoncer le début d’une révolution prolétarienne. Or, dans les années 1950 et 1960, le prolétariat, atomisé par la Seconde Guerre mondiale, restait toujours globalement mobilisé derrière la classe dirigeante démocratique ou stalinienne. Aussi, après les premières mobilisations, la bourgeoisie pouvait bénéficier des illusions démocratiques qui minaient la conscience ouvrière. Elle pouvait ainsi contrôler le mouvement. Le 27, elle installait un gouvernement « progressiste » dirigé par Imre Nagy, qui lança immédiatement une contre-offensive en démantelant la police de sécurité détestée, en promettant des réformes démocratiques et en appelant au rétablissement de l’ordre. Rapidement, les conseils ouvriers baignés d’illusions exprimaient leur soutien au gouvernement Nagy en décidant de mettre fin aux grèves et de reprendre le travail.
Lorsque le mouvement de grève de Mai 68 éclate en France, les conditions historiques ont radicalement changé. Son terreau est constitué par les premiers signes du retour de la crise historique du capitalisme et il est initié par une nouvelle génération de travailleurs, qui n’avait pas subi les événements horribles de la contre-révolution. Ce contexte permet au prolétariat de sortir de la chape de plomb stalinienne et de tenter de renouer à travers le renouveau des luttes avec son expérience passée, en prenant conscience du besoin de la lutte au plan historique. Alors qu’il s’agissait de la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international, impliquant au moins neuf millions de travailleurs, les médias et les intellectuels bourgeois minimisaient son importance et mettaient en exergue la révolte étudiante.
L’apparence moins spectaculaire de la vague de grèves masquait en réalité un événement de la plus haute importance, qui a marqué la fin à la période de contre-révolution, a annoncé la résurgence historique de la lutte des classes à l’échelle mondiale durant les deux décennies suivantes, a amorcé une prise de conscience et a suscité un intérêt massif dans un vaste milieu pour les écrits de militants du mouvement ouvrier révolutionnaire.
Avec les nombreuses luttes dans le prolongement du mouvement de Mai 1968, qui ouvrait la voie à une dynamique vers des affrontements de classe décisifs et un processus conscient, le rapport de force était initialement en faveur du prolétariat et cela a été mis en évidence lorsque les ouvriers de Pologne ont posé la question de la politisation ouverte de la lutte, impliquant une confrontation avec l’État bourgeois.
Cependant, la classe ouvrière, dans les pays centraux du capitalisme en particulier, n’a pas réussi à prendre la question à bras le corps dans les années 1980 en élevant son niveau de conscience de classe. Malgré de nombreuses luttes, elle n’a pas su sortir du cadre syndical et porter sa lutte au niveau d’un affrontement ouvert classe contre classe, perdant dès lors son avantage dans le rapport de force avec la bourgeoisie, tout en empêchant néanmoins par sa combativité cette dernière d’imposer sa solution à la crise, la guerre mondiale.
Cette situation contradictoire aboutit finalement à une impasse, puisque ni la bourgeoisie ni le prolétariat ne réussissaient à imposer leur perspective. Après l’effondrement du bloc de l’Est, la campagne idéologique sur la « mort du communisme » et la « victoire finale de la démocratie », ainsi que l’ouverture de la phase de décomposition avec un pourrissement accéléré de la société ont conduit à un reflux de la lutte des classes, induisant un recul de la conscience dans la classe, un rapport de force devenant défavorable pour le prolétariat : « la décomposition du capitalisme a profondément affecté les dimensions essentielles de la lutte de classe : l’action collective, la solidarité, le besoin d’organisation, les relations qui sous-tendent toute vie en société et qui s’effondrent de plus en plus, la confiance en l’avenir et en ses propres forces, la conscience, la lucidité, la cohérence et l’unité de la pensée, le goût de la théorie ». (1)
Tandis que la tendance existait de sous-estimer l’ampleur de ce reflux et de prédire prématurément, comme en 2003, la fin du recul de la lutte ouvrière, les mouvements prolétariens étaient freinés d’abord par une emprise croissante des syndicats dans les années 1990 et menacés plus généralement par les effets délétères de la pression de l’individualisme et du chacun pour soi ou par leur dissolution dans des révoltes populaires et interclassistes, comme lors du « printemps arabe » en 2010-11 ou avec le mouvement des « gilets jaunes » en 2018-19.
Des manifestations de résistance prolétarienne contre la crise économique ont surgi durant ces années, comme le mouvement anti-CPE en 2006 en France ou le mouvement des Indignados en Espagne (2011), mais ils n’ont pu marquer la fin de la profonde retraite dans la mesure où ils n’étaient pas assez puissants et surtout conscients pour imposer une alternative sur un terrain de classe face aux attaques du capitalisme.
Contrairement aux décennies précédentes, la vague de lutte actuelle, qui a débuté au Royaume-Uni, marque une rupture significative avec les trente années précédentes. Au-delà des expressions immédiates, le contexte dans lequel ces luttes se développent met en évidence leur signification profonde :
– malgré la pression de la décomposition stimulant la recherche de solutions individuelles ou les révoltes interclassistes et populistes,
– malgré les deux années de pandémie de Covid, qui ont rendu plus difficile le rassemblement des travailleurs pour la lutte ;
– malgré le « tourbillon » actuel des effets de la décomposition capitaliste (pandémie, catastrophe écologique, perturbations économiques, etc.), au sein duquel la guerre en Ukraine en particulier tend à amplifier l’impuissance face à la barbarie croissante,
Les travailleurs sont arrivés à la conclusion que « trop c’est trop » et que le seul moyen d’y mettre fin est de se mobiliser sur leur terrain de classe pour défendre leurs conditions de vie et de travail. En fait, l’expansion de cette vague ne peut être comprise que comme la modification de l’état d’esprit dans les masses, comme le résultat d’un long processus de maturation souterraine au sein de la classe, de désillusion et de désengagement vis-à-vis des principaux thèmes de l’idéologie bourgeoise.
Plus particulièrement, il est particulièrement significatif que la classe ouvrière britannique se soit trouvé à l’avant-garde de cette rupture :
– alors que la défaite de la grève des mineurs, en 1984-85, lui avait porté un coup sévère et avait pesé sur sa combativité et fortement sur sa conscience ces dernières décennies,
– alors que la campagne populiste intensive du Brexit, avait créé de profondes divisions dans ses rangs entre « remainers » et « leavers » (pro et anti UE),
le prolétariat d’Angleterre, sous la pression de l’impact généralisé de la crise économique et des lourdes atteintes à ses conditions de vie, a relevé la tête et s’est résolument engagé dans le combat.
À l’instar de Mai 68 (mais dans un contexte différent), l’actuel mouvement international indique une tendance à amorcer une réflexion en profondeur et à retrouver progressivement les repères qui mènent, à terme, au retour de son identité de classe. Il exprime une rupture avec une longue période de reflux, caractérisée par la désorientation, par une réduction de la conscience dans la classe et par des luttes ouvrières bien souvent complètement isolées les unes des autres. Malgré leurs faiblesses, la simultanéité même des luttes actuelles (dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, mais aussi en Corée ou aux États-Unis) souligne une fois de plus la réalité que, pour qu’une lutte soit couronnée de succès, elle doit se développer en un mouvement commun et uni dans toute la classe. La vague actuelle montre non seulement un développement de la combativité mais aussi un retour de la confiance des ouvriers dans leur propre force en tant que classe et une réflexion en profondeur (même si nous ne sommes qu’au tout début de ce processus difficile).
À travers les exemples de l’histoire du mouvement ouvrier, nous avons voulu montrer :
– l’importance pour les révolutionnaires d’analyser avec précision le contexte de la lutte ouvrière pour pouvoir estimer le niveau de la conscience dans la classe ouvrière.
– qu’un regard superficiel sur les grèves peut être trompeur et conduire à une appréciation erronée et aboutit finalement à une mauvaise orientation de l’intervention des organisations révolutionnaires.
Comme l’écrivait Lénine : « “Notre doctrine n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action”, ont toujours dit Marx et Engels, se moquant à juste titre de la méthode qui consiste à apprendre par cœur et à répéter telles quelles des “formules” capables tout au plus d’indiquer les objectifs généraux, nécessairement modifiés par la situation économique et politique concrète à chaque phase particulière de l’histoire ».
Dennis, 24 février 2023
1) « Comment le prolétariat peut-il renverser le capitalisme ? », Revue internationale n° 168 (2022).
Après dix mois de grèves dans de nombreux secteurs, la classe dirigeante, à la fois sur le continent européen et outre-Manche, ne peut plus cacher le fait que la classe ouvrière en Grande-Bretagne a relevé la tête. Les médias bourgeois, d’abord réticents dans leurs reportages, doivent maintenant admettre que les grèves ont battu tous les records : non seulement par le nombre de travailleurs et de secteurs concernés, mais aussi par leur développement en une véritable vague de grève. (1)
La Tendance communiste internationaliste (TCI), un groupe de la Gauche communiste, a pris position sur ces mouvements avec plusieurs articles et tracts. La TCI y défend globalement des positions de classe, insistant sur le fait que le capitalisme n’a aucun moyen de sortir de sa crise qui s’aggrave et qu’il est obligé d’intensifier ses attaques contre les ouvriers, que ces derniers doivent s’échapper de la prison syndicale s’ils veulent surmonter les divisions en prenant en main l’organisation de la lutte.
Mais il ne suffit pas de proposer des positionnements abstraits entrecoupés d’analyses aléatoires. Les organisations révolutionnaires ont la responsabilité d’évaluer avec précision les rapports de forces et le contexte dans lequel les luttes s’inscrivent afin de présenter des perspectives concrètes pour la dynamique du mouvement. À cet égard, l’analyse de la TCI de la signification de ces luttes est extrêmement contradictoire et révèle un cadre d’appréhension incohérent pour saisir le rapport de force entre les classes.
Les premières expressions de la lutte au Royaume-Uni ont d’abord suscité chez la TCI un certain enthousiasme : « les assauts frontaux contre les travailleurs provoquent les prémices d’une nouvelle résistance […] après des décennies de recul de la classe » et « dans la vague actuelle d’actions sauvages, nous voyons déjà la possibilité de dépasser à la fois le cadre syndical et le cadre juridique de l’État capitaliste ». (2)
Mais par la suite, l’enthousiasme de la TCI s’est nettement refroidi : « Nous sommes encore loin du niveau de militantisme des années 1970 », tandis qu’au début 2023, elle estimait que « le danger d’un “militantisme salarial” planait : des secteurs isolés de travailleurs s’épuisant par des grèves assez éreintantes pour se disputer des miettes ». (3)
La TCI renvoie ici à sa position sur les luttes des années 1970, « quand chaque secteur de la classe ouvrière, divisée par les syndicats, revendiquait des pourcentages toujours plus élevés pour une augmentation salariale. Cela non seulement n’a pas conduit à une remise en cause du système salarial mais l’a même renforcé ». (4) Mais surprise, dans l’un de ses articles les plus récents, la TCI s’emballe à nouveau : « Le premier février 2023 a été le plus grand jour de grève depuis plus d’une décennie. Et ce n’est que le début d’une vague de grèves ». (5)
Outre le fait que la bourgeoisie elle-même l’avait constaté bien avant la TCI, on aimerait comprendre le bilan global que la TCI tire des luttes au Royaume-Uni : indiquent-elles « le début d’une vague de grèves » ou s’agit-il seulement de « secteurs isolés de travailleurs s’épuisant dans des grèves assez éreintantes » ? Ce mouvement constitue-t-il « le début d’une nouvelle résistance […] après des décennies de recul de classe » ou a-t-il « même renforcé » le salariat ?
Depuis l’été 2022, l’expansion des luttes ouvrières en Grande-Bretagne a inspiré des mouvements similaires dans d’autres pays. En conséquence, une appréciation correcte de la vague actuelle au Royaume-Uni est impossible en la déconnectant de l’évolution de la lutte des classes au niveau international. Pourtant, la TCI considère les luttes presque exclusivement à travers des lunettes britanniques : les sept articles produits sur les grèves en Grande-Bretagne manquent de référence aux luttes qui se développent ailleurs : c’est comme si chaque secteur national de la classe ouvrière menait sa propre lutte dans son coin et que la lutte mondiale n’était qu’une somme de luttes nationales et non l’expression d’une seule et même dynamique.
Certes, la TCI communique sur des luttes qui se déroulent dans d’autres parties du monde capitaliste, mais elle ne perçoit pas l’importance du mouvement au Royaume-Uni en tant qu’expression d’une tendance internationale du prolétariat à rompre avec la période précédente de faible combativité et de manque de confiance en soi. Elle sait que les luttes au Royaume-Uni et en France se déroulent sur un terrain prolétarien, mais elle ne saisit pas, dans la pratique, la base commune partagée par ces deux fractions de la classe ouvrière.
La vision déformée qu’a la TCI de la dimension internationale de la lutte prolétarienne n’est pas nouvelle. Elle est clairement illustrée, par exemple, dans l’article sur la lutte des travailleurs des télécoms de 2015 en Espagne, dans lequel la TCI écrit qu’« il existe ici des possibilités concrètes d’extension internationale de la lutte car Telefonica opère dans cinq pays ». (6) Ce type d’extension sectorielle « internationale » de la lutte ne fait que renforcer le corporatisme de la classe ouvrière et tend à miner son unification internationale, alors que le besoin réel et immédiat des travailleurs en grève est justement d’entrer en contact direct avec les travailleurs impliqués dans la lutte « dans l’usine, l’hôpital, l’école, l’administration les plus proches ». (7)
Pour apprécier la signification d’un mouvement de classe particulier, il est indispensable de le situer dans un contexte plus historique et global. Ainsi, pour le CCI, les luttes actuelles sont importantes car elles marquent une rupture avec une période de recul qui remonte à la fin des années 1980 et à l’implosion du bloc « communiste », mais aussi parce qu’elles confirment que ce recul n’équivalait pas au type de défaite historique mondiale qu’a connue la classe ouvrière après l’écrasement de son premier assaut révolutionnaire, entre 1917 et 1923, période que la résurgence internationale des luttes en 1968 a close.
Mais, sur ces questions, la TCI confirme son incohérence. Il y a dix ans, elle affirmait carrément que nous vivions encore dans une période contre-révolutionnaire : « La fragmentation et la dispersion de la classe […] a réduit la capacité de la classe ouvrière à riposter et le refrain persistant qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme est une preuve de plus que la classe n’a toujours pas surmonté la lourde défaite des années 1920 ». (8) Cependant, en 2016-2017, elle soutient prudemment que « actuellement, la classe se remet lentement de décennies de recul et de restructuration ». (9) Mais la TCI a retiré très vite cette analyse pour affirmer que « nous nous battons toujours pour redresser le rapport de force que nous avons saisi comme celui d’un recul depuis 40 ans ». (10)
La preuve la plus évidente que la TCI n’arrive pas à appréhender globalement le contexte historique est le fait que sa sous-estimation de la signification des luttes actuelles va de pair avec la forte énergie qu’elle investit dans sa campagne en faveur des comités « No War But The Class War », qui repose sur l’illusion que la classe ouvrière serait déjà capable de mener une lutte directe contre la guerre, sans prendre conscience qu’une telle attente est en complète incohérence avec son idée que le prolétariat est toujours sous le poids d’une défaite historique.
Une incompréhension du processus de prise de conscience dans la classe
Si la TCI est assez cohérente dans sa dénonciation des divisions syndicales, elle a régulièrement tendance à tomber dans le piège des syndicats, lorsque ceux-ci usent d’un langage plus radical et brandissent même l’étendard des « comités de grève » qui correspondent, en réalité, à une adaptation des structures syndicales afin de maintenir leur contrôle sur les travailleurs. Pour la TCI, ces organes syndicaux sont un pas en avant, comme le montre l’exemple du « Bus Workers Combine » mis en place par le syndicat « Unite », « qui est une tentative de coordination de la lutte pour l’amélioration des salaires et des conditions dans les différents dépôts. Différents groupes de travailleurs unissant leurs luttes sont extrêmement importants et constituent notre meilleure chance de succès ». (11)
Cette attitude opportuniste envers le syndicalisme de base est liée à la confusion de la TCI sur le rapport entre lutte économique et lutte politique. La notion de « militantisme salarial » (voir citation ci-dessus dans l’article) exprime en fait une dévalorisation des luttes économiques, une sous-estimation de leur dimension implicitement politique.
Pour le CCI, la lutte sur le terrain économique est une dimension essentielle et incontournable, forgeant les armes de l’assaut révolutionnaire de demain. En d’autres termes, toute lutte prolétarienne « est à la fois pour des revendications immédiates et elle est révolutionnaire. Revendiquer, résister à l’exploitation capitaliste, est la base et le moteur de l’action révolutionnaire entreprise par la classe. […] Dans l’histoire du mouvement ouvrier, il n’y a pas une seule lutte révolutionnaire prolétarienne qui ne soit en même temps une lutte pour des revendications. Et comment pourrait-il en être autrement, puisqu’il s’agit de la lutte révolutionnaire d’une classe, d’un groupe d’hommes caractérisés par leur position économique et unis par leur situation matérielle commune ? ». (12)
Pour la TCI, au contraire, « la lutte économique surgit, produit ce qu’elle peut produire au niveau des revendications, puis décline sans laisser de trace politique. Sauf s’il y a une intervention du parti révolutionnaire ». (13) Les travailleurs ne sont pas capables de politiser leur lutte et cela ne peut se faire que par l’intervention du « parti », qui fonctionne ici comme le deus ex machina nécessaire pour surmonter l’opposition entre les deux dimensions de la lutte.
Bref, face aux mouvements en Grande-Bretagne mais aussi un peu partout en Europe, il est particulièrement préoccupant qu’une organisation qui prétend donner des orientations pour la lutte révolutionnaire du prolétariat soit incapable d’apprécier ces luttes dans leur période historique et d’appréhender leur dimension internationale. Mais pour la TCI, cette responsabilité ne semble pas s’imposer puisque « le parti » surgira, tel Superman, pour tout résoudre d’un coup de baguette magique !
D.&R., 12 avril 2023
1) Par exemple, « The UK is experiencing historic strikes », Washington Post (2 mars 2023).
2) « Wildcat Strikes in the UK : Getting Ready for a Hot Autumn », disponible sur le site web de la TCI (août 2022), ainsi que les références suivantes.
3) « Notes sur la vague de grèves au Royaume-Uni » (janvier 2023).
4) « Unions - Whose Side Are They On ? ».
5) « Unite the Strikes » (mars 2023).
6) « Spanish Telecom Workers on All-Out Strike » (juin 2015).
7) « Partout la même question : Comment développer la lutte ? Comment faire reculer les gouvernements ? », Tract international du CCI (mars 2023).
8) « ICC theses on decomposition » sur le forum de la TCI (septembre 2011).
9) « A Crisis of the Entire System ».
10) « The Party, Fractions and Periodisation » sur le forum de la TCI (février 2019).
11) « Two Comments on Recent Bus Strikes in the UK » (mars 2023).
12) « Pourquoi le prolétariat est la classe révolutionnaire : Notes critiques sur l’article “Leçons de la lutte des ouvriers anglais” (Révolution internationale n° 9) », Revue Internationale n° 170 (2023)
13) « The Question of Consciousness : A Basis for Discussion », traduction de Bilan & Perspectives n° 6 (décembre 2005).
Depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites en France, l’attitude des syndicats est qualifiée d’exemplaire part de larges parties de l’appareil politique et des journalistes. Le plus ancien député de l’Assemblée nationale, Charles de Courson, a même rendu hommage aux syndicats pour être parvenus à « tenir le mouvement ». Alors, pourquoi de si grands éloges de la part de la classe des exploiteurs ?
En se montrant tous unis au sein de l’intersyndicale, inflexibles vis-à-vis de l’âge de départ à 64 ans, les syndicats se présentent, aux yeux d’une grande partie des travailleurs, comme leurs véritables représentants et comme une force indispensable pour faire reculer le gouvernement. Bien sûr, au vu de la colère, de la massivité et de la combativité s’exprimant depuis près de trois mois, ils ne peuvent que continuer à occuper le terrain en appelant toutes les semaines à des journées de mobilisation.
Dans le même temps, ils n’ont de cesse de déplorer l’ignorance du gouvernement à leur égard, eux, les « partenaires sociaux » de l’État qui restent des garants de la « cohésion sociale » (donc de l’ordre capitaliste), comme le soulignait le secrétaire du syndicat UNSA, dernièrement. Depuis des semaines, les syndicats n’ont de cesse de tendre des perches à Macron et son gouvernement pour tenter de calmer la colère et trouver une issue à cette « crise démocratique » (Laurent Berger, secrétaire de la CFDT).
D’ailleurs, comme ils le disent tous, les choses n’en seraient pas arrivées là si un « vrai dialogue » et de « vraies négociations » avaient eu lieu et si « un vrai compromis » avait été trouvé. Comme on pouvait s’en douter, la décision du Conseil constitutionnel, survenue le 14 avril, consistant à valider pour l’essentiel la réforme, n’offre absolument pas de porte de sortie au gouvernement. Cela va toutefois permettre aux partis d’opposition et aux syndicats de continuer à crier au « déni de démocratie » ou encore à appeler, comme LFI, à la formation d’une « nouvelle République ».
De même, les syndicats et les partis de gauche ont sorti dernièrement une autre mystification de leur chapeau : le référendum d’initiative partagée. Cette nouvelle supercherie de la « démocratie directe », consistant à faire croire qu’il serait possible de gagner par l’alliance des « représentants du peuple » et des « citoyens », ne visent ni plus ni moins, qu’à vouloir détourner les travailleurs du terrain de la lutte pour les rabattre sur celui des Institutions républicaines !
C’est donc cette habileté à « tenir le mouvement », à éviter qu’il leur échappe, à essayer de l’enfermer dans le piège de la « démocratie » que saluent ouvertement les fractions de la bourgeoisie soucieuses qu’une issue soit rapidement trouvée.
Si ce coup-ci, les syndicats ne semblent pas en mesure de saper le mouvement par leurs tactiques classiques (telles que l’épuisement des secteurs les plus combatifs ou la division à travers la rupture du front syndical), ils parviennent par d’autres moyens à jouer leur rôle de saboteurs des luttes et de défenseur de la démocratie bourgeoise.
Vincent, 14 avril 2023
Nous avons eu la surprise de voir mentionné notre organisation, au détour d’une phrase, dans la chronique de Gavin Mortimer, publiée le 22 janvier dans le journal britannique The Spectator. Il y a quelques années déjà, le Daily Mail, un tabloïd sensationnaliste, pas tout à fait réputé pour son honnêteté et sa hauteur de vue, avait finement cru déceler dans le CCI le cerveau d’un complot lycéen destiné à saccager un local du parti conservateur au Royaume-Uni. Il s’agissait, ô surprise, d’un grossier mensonge que nous avions dénoncé dans un article de 2010 : « Le “Daily Mail” démasque un complot du CCI [10] ».
Cette fois, rien de tel. Il ne s’agit que d’une brève mention, vaguement moqueuse, dans un très sérieux magazine conservateur. Pas de quoi crier au scandale. Mais, puisque Gavin Mortimer nous tend (involontairement) la perche, profitons de l’occasion pour remettre quelques pendules à l’heure.
Dans sa chronique, Gavin Mortimer présente les récentes manifestations contre la réforme des retraites comme l’expression d’un « art de vivre à la française », une sorte de curiosité nationale que notre tract, entre une poignée de « gilets jaunes » et un vendeur de merguez, serait censé illustrer.
Au risque de décevoir ce cher Gavin, notre tract n’a heureusement rien d’une particularité folklorique pour touriste en mal de sensation forte : le CCI distribue des tracts dans tous les pays où ses militants sont présents, en français, en philippin, en espagnol, en hindi, en italien, en allemand et même… en anglais !
Nous lui conseillons d’ailleurs la lecture de notre tract international sur les luttes au Royaume-Uni : « La bourgeoisie impose de nouveaux sacrifices, la classe ouvrière répond par la lutte [11] », publié en août 2022, et qui a rencontré un succès indéniable sur les piquets de grève de sa « mère patrie ». Neuf mois consécutifs de grèves et des millions d’ouvriers en lutte sur les deux rives de la Manche ont largement confirmé ce que nous y défendions : « Il est impossible de prévoir où et quand la combativité ouvrière va de nouveau se manifester massivement dans l’avenir proche, mais une chose est certaine, l’ampleur de la mobilisation ouvrière actuelle au Royaume-Uni constitue un fait historique majeur : c’en est fini de la passivité, de la soumission. Les nouvelles générations ouvrières relèvent la tête ».
Partout dans le monde, et pas seulement en France, les exploités reprennent, en effet, le chemin de la lutte face à la dégradation inexorable de leurs conditions de travail et d’existence, face à la misère, à la précarité, à l’accroissement du coût de la vie.
Comme le souligne, Gavin Mortimer, à sa manière et avec ses préjugés, dans les manifestations, « il y avait des ouvriers et des cadres, des jeunes comme des vieux, et cette colère couve depuis des années. Le rejet du report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans est certes une cause qui fédère une bonne partie des Français mais leur ras-le-bol est bien plus profond ». En effet, les manifestations en France expriment bien plus qu’un simple rejet de la réforme des retraites. Même si les prolétaires n’en ont pas encore conscience, les luttes en France et au Royaume-Uni sont une réaction à la spirale de chaos et de misère dans laquelle le capitalisme enfonce l’humanité.
Nous ne trouvons d’ailleurs rien de méprisable à voir des « jeunes » se mêler aux « boomers grisonnant ». Car dans ces luttes s’expriment aussi, un début de solidarité entre les différents secteurs de notre classe, entre les « cols bleus » et les « cols blancs », comme entre les générations. C’est parce que « des ouvriers et des cadres, des jeunes comme des vieux » partagent, dans tous les secteurs et dans tous les pays, les mêmes conditions d’exploitation que le combat du prolétariat est fondamentalement international.
C’est pourquoi les révolutionnaires s’efforcent de montrer que chaque lutte doit encourager les autres par-delà les frontières, en dépit du silence de la presse bourgeoise et de la déformation systématique de ce qu’elles représentent. Pour lutter contre ces mensonges, nos tracts, tout comme notre presse, n’ont cessé de montrer le lien qui unit le « Enough is enough ! » des grévistes au Royaume-Uni au « Ça suffit ! » des manifestants en France. Nous avons donc « salué la récente mobilisation des travailleurs britanniques » car, cher Gavin, ces grèves massives sont un appel au combat pour les prolétaires de tous les pays !
EG, 2 février 2023
Du 25 février au 11 mars, l’armée française a mené un exercice militaire d’une ampleur inédite depuis vingt ans : 14 départements concernés, 12 000 militaires engagés, dont plusieurs centaines de parachutistes. Cet exercice baptisé Orion devait simuler une intervention dans un pays frontalier d’un État puissant. Toute ressemblance avec un conflit actuel ne serait évidemment que pure coïncidence ! « Bienvenue dans la guerre », nous dit le général commandant les opérations.
On ne saurait mieux dire : l’armée française « renoue avec les opérations de grande ampleur » et s’entraîne à « un conflit de haute intensité », avec opérations amphibies, aéroportées, aériennes, aéronavales et finalement terrestres.
Mais le but n’est pas uniquement de tester les capacités opérationnelles de ces braves soldats : cet exercice est également « une occasion unique pour la population d’aller à la rencontre de son armée, de découvrir ses matériels et de mieux comprendre son action. [...] Le soutien de la population, portée par une cohésion nationale affirmée et résiliente, est l’une des clés du succès d’une intervention d’ampleur pour protéger notre souveraineté ». C’est donc également une opération de relations publiques pour faire accepter à une population qui a perdu l’habitude de ces déploiements en kaki la possibilité d’un conflit impliquant directement le pays.
Depuis la fin de la Guerre froide, et pour des raisons très matérielles, les grandes nations militaires (à part les États-Unis) ont rogné sur les budgets militaires successifs, jusqu’à un niveau qui préoccupe maintenant tous les gouvernements. Trump avait été le premier à dire aux Européens qu’il fallait qu’ils prennent leur part et augmentent significativement leurs dépenses militaires face à des « menaces » diverses, notamment la Russie et la Chine. L’invasion de l’Ukraine a montré qu’effectivement « le recours à la force n’est désormais plus un tabou et la perspective d’un conflit majeur ne relève plus de la science-fiction ».
Mais après des décennies de coupes budgétaires et de réductions d’effectifs, l’armée française n’est pas en mesure de relever le gant : matériels vieillissants et en disponibilité insuffisante, effectifs et préparation en-dessous des besoins, production et stocks d’armes et de munitions très faibles demandaient une réponse claire de la part de l’État, et Macron a commencé à apporter cette réponse en promettant 413 milliards d’euros aux armées pour les sept ans qui viennent. C’est un tiers de plus que ce qui était initialement prévu. Entre le beurre et les canons, la bourgeoisie effectue toujours les mêmes choix ! Le but est clair : « Nous devons avoir une guerre d’avance » (Macron).
L’irruption de la guerre sur un champ de bataille européen n’est pas une première depuis la fin de la guerre froide (la dislocation de l’ex-Yougoslavie en 1992 avait déjà entraîné un grave conflit sur le continent), mais le niveau de ce conflit et les buts de guerre des belligérants marquent une claire escalade militaire. Les gouvernements des grandes puissances ne s’y sont pas trompés : après les rodomontades militaires de la Chine et l’appel américain à ne pas les sous-estimer, le champ de bataille ukrainien a montré l’impréparation militaire de tous ces pays dans une situation impérialiste profondément belliciste. La période de décomposition que connaît aujourd’hui le capitalisme n’a jamais arrêté l’escalade des oppositions entre États, et les soubresauts économiques de plus en plus marqués depuis la crise du Covid ne pouvaient que laisser augurer d’un retour à l’intensification du militarisme sur le devant de la scène. Les conséquences de la crise économique devenant de plus en plus aiguës, chaque État doit défendre ses intérêts propres, y compris contre ses « alliés » qui sont aussi de féroces concurrents, ce qui attise le chacun-pour-soi et la fragmentation des liens politiques internationaux.
En témoigne le fait que, suite à la « trahison » australienne de l’épisode Aukus, la France a compris qu’elle devait consacrer plus de moyens à défendre ses positions propres sans tenir compte de ses « alliés », par exemple dans la région indo-pacifique et en Afrique : « La future [Loi de Programmation Militaire, ndr] intègre en ce sens le fait que la France puisse avoir à défendre seule ses intérêts à la tête d’une coalition hors de l’Alliance atlantique si les États-Unis regardent ailleurs ». La bourgeoisie française a parfaitement tiré les conclusions de la crise ukrainienne : il lui faut renouveler, moderniser, développer son armée.
Chaque État ne voyant donc que dans le réarmement comme porte de sortie, et ce réarmement devant se faire aux frais du prolétariat, la bourgeoisie doit attaquer les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière. En même temps, ces dépenses d’armement totalement improductives mais de plus en plus monstrueuses attisent toujours plus la crise économique et en particulier l’inflation. C’est donc sur le dos de la classe ouvrière, à travers toujours plus d’attaques contre ses conditions de travail et d’existence que chaque État va continuer à renforcer son arsenal militaire.
Cette spirale infernale ne peut que renforcer un véritable tourbillon de contradictions économiques, politiques et sociales. On comprend mieux pourquoi « le soutien de la population [...] est l’une des clés du succès ». La guerre dans le capitalisme n’est pas une option particulière choisie par des dictateurs plus ou moins paranoïaques : elle est une nécessité du système. Comme le disait Jaurès : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ».
La bourgeoisie française ne peut pas, de but en blanc, annoncer qu’elle prépare une guerre prochaine, ni montrer à quel point cela va être coûteux. L’expédition en Ukraine des armements promis, comme les canons Caesar ou les blindés AMX-10, avec tout ce qui les accompagne (munitions, pièces de rechange, formation des équipages…) ne fait déjà pas l’objet d’une grande publicité, et la bourgeoisie sait parfaitement que le prolétariat en France n’est absolument pas prêt à se sacrifier pour défendre le Capital national.
L’autre souci pour elle est que le coût colossal des équipements militaires pèsera évidemment sur les finances publiques, et par contrecoup sur la bourse des prolétaires. D’ores et déjà, l’augmentation significative du budget de la Défense pour l’année 2023 constitue un poids qui pèsera sur les investissements dans les infrastructures, que ce soit l’Éducation, la Santé ou les services publics. Et ce n’est qu’un début ! La bourgeoisie se prépare à un « conflit de haute intensité » et mettre les moyens pour y embrigader les prolétaires.
C’est de cette façon qu’on peut interpréter la réforme, pour le moment avortée, du Service National Universel (SNU) et de la réserve nationale.La bourgeoisie française aimerait renforcer les « forces morales » et la « résilience » de la société, en ayant en vue le « modèle » que constitue la « résistance ukrainienne ». L’État aimerait doubler la réserve nationale, déjà composée de 40 000 personnes, mais considérée pour l’instant comme « un système qui pompe de l’argent et qui n’est pas très sérieux ».
Du point de vue de l’État, le premier problème avec ces réservistes est qu’ils ne sont pour l’instant pas aptes à soutenir les militaires professionnels en opérations. Et l’autre gros problème est que, pour modifier la doctrine d’emploi de ces réservistes, il faudrait en changer totalement le recrutement et les équiper. Ce qui est coûteux. Mais tout un travail a déjà été mis en place pour rendre plus attractive l’appartenance à cette réserve nationale, notamment auprès des entreprises.
En même temps, la bourgeoisie française tente de promouvoir une réforme du SNU qui lui permettrait d’encadrer et d’exercer plus de poids idéologique sur les jeunes. En 2022, seulement 32 000 jeunes de 15 à 17 ans sur les 800 000 potentiellement concernés se sont engagés dans cette formation idéologique qui comprend port de l’uniforme, lever des couleurs, initiation à l’autodéfense, à « l’engagement civique », aux « questions de mémoire », etc. Il était donc question de rendre ces douze jours de formatage obligatoires pour tous les jeunes, ce qui évidemment pose quelques soucis budgétaires, mais démontre la volonté de l’État capitaliste de s’adresser de façon plus pressante aux jeunes pour leur inculquer quelques principes de civisme et d’éducation à la défense du Capital national…
Pour le prolétariat, tous ces bruits de bottes sont une menace très concrète. La bourgeoisie, pour qui l’intérêt national a toujours été le cœur de ce qu’elle défend, pousse constamment le prolétariat à se sacrifier sur l’autel du Capital national, à défendre la nation et tout ce qu’elle représente : l’État capitaliste, l’exploitation, la répression des mécontents, la division de la société en classes, les privilèges de la classe bourgeoise… Dans la situation actuelle, où chaque nation est de plus en plus amenée à défendre impitoyablement ses intérêts, il est central pour chaque bourgeoisie que « son » prolétariat accepte de les défendre aussi, et par conséquent abdique toute velléité de défendre ses intérêts propres : l’internationalisme, le combat pour une société sans classes, sans exploitation, contre toutes les divisions que le capitalisme génère dans la société. Toute la propagande en faveur de la « défense nationale » n’est qu’une tentative de la bourgeoisie de faire accepter par le prolétariat l’« union sacrée », la guerre, le militarisme, l’inéluctabilité des carnages guerriers que l’on voit se multiplier partout sur terre. La seule alternative à cette politique militariste barbare et à la propagande infâme qui l’accompagne, c’est de refuser, absolument, les sacrifices qu’elle implique, en luttant sur notre terrain de défense de nos intérêts économiques, en opposant à la politique du chacun-pour-soi la solidarité prolétarienne, l’unité de nos luttes contre la bourgeoisie et son État. Les luttes actuelles dans de très nombreux pays (en France, au Royaume-Uni et en Allemagne notamment), les grèves, les manifestations massives sont justement la meilleure des réponses que le prolétariat peut apporter. Elles sont le signe que les exploités ne sont pas prêts à accepter ces fameux sacrifices que chaque État veut lui imposer à tout prix.
HG, 5 avril 2023
Plus d’un an déjà d’un carnage effroyable, des centaines de milliers de soldats massacrés des deux côtés, plus d’un an de bombardements et d’exécutions aveugles, assassinant des dizaines de milliers de civils, plus d’un an de destructions systématiques transformant le pays en un gigantesque champ de ruines, tandis que les populations déplacées se chiffrent en millions, plus d’un an de budgets énormes engloutis des deux côtés à pure perte dans cette boucherie (la Russie engage aujourd’hui environ 5 % du budget de l’État dans la guerre, tandis que l’hypothétique reconstruction de l’Ukraine en ruine demanderait plus de 400 milliards de dollars). Et cette tragédie est loin d’être terminée.
Sur le plan des confrontations impérialistes, le déclenchement de la guerre en Ukraine a également constitué un pas qualitatif important dans l’enfoncement de la société capitaliste dans la guerre et le militarisme. Certes, depuis 1989, diverses entreprises guerrières ont secoué la planète (les guerres au Koweït, en Irak, en Afghanistan, en Syrie…), mais celles-ci n’avaient jamais impliqué un affrontement entre puissances impérialistes majeures. Le conflit ukrainien est la première confrontation militaire de cette ampleur entre États qui se déroule aux portes de l’Europe depuis 1940-45, impliquant les deux pays les plus vastes d’Europe, dont l’un est doté d’armes nucléaires ou d’autres armes de destruction massive et l’autre est soutenu financièrement et militairement par l’OTAN, et qui peut déboucher sur une catastrophe pour l’humanité.
Si de manière immédiate, la Russie a envahi l’Ukraine, une leçon majeure de cette année de guerre est incontestablement que, derrière les protagonistes sur le champ de bataille, l’impérialisme américain est à l’offensive.
Face au déclin de leur hégémonie, Les États-Unis mènent depuis les années 1990 une politique agressive visant à défendre leurs intérêts, en particulier envers l’ancien leader de l’ex-bloc concurrent, la Russie. Malgré l’engagement pris après la désagrégation de l’URSS de ne pas élargir l’OTAN, les Américains ont intégré dans cette alliance tous les pays de l’ex-Pacte de Varsovie. En 2014, la « révolution orange » avait remplacé le régime pro-russe en Ukraine par un gouvernement pro-occidental et une révolte populaire menaçait quelques années plus tard le régime pro-russe en Biélorussie. Confronté à cette stratégie d’encerclement, le régime de Poutine a réagi en employant sa force militaire, le reliquat de son passé de tête de bloc. Après la prise de contrôle de la Crimée et du Donbass en 2014 par Poutine, les États-Unis ont commencé à armer l’Ukraine et à entraîner son armée à l’utilisation des armes plus sophistiquées. Lorsque la Russie a déployé son armée aux frontières de l’Ukraine, ils ont resserré le piège en affirmant que Poutine allait envahir l’Ukraine tout en assurant qu’eux-mêmes n’interviendraient pas sur le terrain. Au moyen de cette stratégie d’encerclement et d’étouffement de la Russie, les États-Unis ont réussi un coup de maître qui vise un objectif bien plus ambitieux qu’un simple coup d’arrêt signifié aux ambitions russes :
– dès à présent, la guerre en Ukraine débouche sur un net affaiblissement de la puissance militaire subsistante de Moscou et à un rabaissement de ses ambitions impérialistes. Elle démontre aussi la supériorité absolue de la technologie militaire américaine, à la base du « miracle » de la « petite Ukraine » qui fait reculer « l’ours russe » ;
– le conflit leur a aussi permis de resserrer les boulons au sein de l’OTAN, les pays européens étant contraints de se ranger derrière la position américaine, surtout la France et l’Allemagne qui développaient leur propre politique envers la Russie, et ignoraient l’OTAN que le président français Macron considérait il y a deux ans encore en « état de mort cérébrale » ;
– l’objectif prioritaire des Américains à travers la leçon administrée à la Russie était incontestablement un avertissement non équivoque adressé à leur challenger principal, la Chine. Depuis une dizaine d’années, les États-Unis orientent la défense de leur leadership contre la montée en puissance du challenger chinois : d’abord à travers une guerre commerciale ouverte lors de la présidence de Trump, mais l’administration Biden a actuellement accentué la pression sur le plan militaire (les tensions autour de Taïwan). Ainsi, le conflit en Ukraine a affaibli le seul allié militaire important de la Chine et met en difficulté le projet de la nouvelle route de la soie, dont un axe passait par l’Ukraine.
Si une polarisation des tensions impérialistes a progressivement émergé entre les États-Unis et la Chine, celle-ci est cependant le produit d’une politique systématique menée par la puissance impérialiste dominante, les États-Unis, pour tenter d’enrayer le déclin irréversible de son leadership. Après la guerre de Bush senior contre l’Irak, la polarisation de Bush junior contre « l’axe du mal » (Irak, Iran, Corée du Nord), l’offensive américaine vise aujourd’hui à empêcher toute émergence de challengers. Trente années d’une telle politique n’ont nullement amené plus de discipline et d’ordre dans les rapports impérialistes mais ont au contraire exacerbé le chacun pour soi, le chaos et la barbarie. Les États-Unis sont aujourd’hui un vecteur majeur de l’expansion terrifiante des confrontations guerrières.
Contrairement aux constats journalistiques superficiels, le développement des événements montre que le conflit en Ukraine n’a nullement abouti à une « rationalisation » des contradictions. Outre les impérialismes majeurs, qui subissent la pression de l’offensive américaine, l’explosion d’une multiplicité d’ambitions et de rivalités accentue le caractère chaotique et irrationnel des rapports impérialistes.
L’accentuation de la pression américaine sur les autres impérialismes majeurs ne peut que les pousser à réagir :
– Pour l’impérialisme russe, c’est une question de survie car il est d’ores et déjà évident que, quelle que soit l’issue du conflit, la Russie sortira nettement diminuée de l’aventure qui a exposé ses limites militaires et économiques. Elle est exsangue sur le plan militaire, ayant perdu deux cent mille soldats, en particulier parmi ses unités d’élite les plus expérimentées, une grande quantité de chars, d’avions, d’hélicoptères modernes. Elle est fortement affaiblie du point de vue économique à cause des coûts énormes de la guerre ainsi que par l’effondrement de l’économie causé par les sanctions occidentales. Si la fraction Poutine tente par tous les moyens de garder le pouvoir, des tensions surgissent au sein de la bourgeoisie russe, surtout avec les fractions les plus nationalistes ou certains « seigneurs de guerre » (Prigojine). Ces conditions militaires défavorables et politiques instables pourraient même amener la Russie à recourir à des armes nucléaires tactiques.
– Les bourgeoisies européennes, surtout la France et l’Allemagne, avaient instamment tenté de convaincre Poutine de ne pas déclencher la guerre et étaient même prêtes, comme l’ont révélé les indiscrétions de Boris Johnson, à entériner une attaque limitée en ampleur et en temps visant à remplacer le régime en place à Kiev. Face à l’échec des forces russes et à la résistance inattendue des Ukrainiens, Macron et Scholz ont dû rejoindre tout penauds la position de l’OTAN, dictée par les États-Unis. Cependant, il n’est pas question de se soumettre à la politique américaine et d’abandonner leurs intérêts impérialistes propres, comme l’illustrent les récents voyages de Scholz et Macron à Pékin. De plus, ces deux pays ont fortement augmenté leur budget militaire en vue d’un réarmement massif de leurs forces armées (un doublement pour l’Allemagne, soit 107 milliards d’euros). Ces initiatives ont d’ailleurs fait surgir des tensions dans le couple franco-allemand, en particulier à propos du développement de programmes d’armement communs et sur la politique économique de l’UE.
– La Chine s’est positionnée avec une grande prudence par rapport au conflit Ukrainien, face aux difficultés de son « allié » russe et aux menaces à peine voilées des États-Unis à son égard. Pour la bourgeoisie chinoise, la leçon est amère : la guerre en Ukraine a démontré que toute ambition impérialiste mondiale est illusoire en l’absence d’une puissance militaire et économique capable de concurrencer la superpuissance américaine. Or aujourd’hui, la Chine, qui n’a pas encore des forces armées à la hauteur et son expansion économique, est vulnérable face aux pressions américaines et au chaos guerrier ambiant. Certes, la bourgeoisie chinoise ne renonce pas à ses ambitions impérialistes, en particulier à la reconquête de Taïwan, mais elle ne peut progresser que dans la durée, en évitant de céder aux nombreuses provocations américaines (ballons « espions », interdiction de l’application TikTok…) et en menant une large offensive de charme diplomatique visant à éviter tout isolement international : réception à Pékin d’un grand nombre de chefs d’État, rapprochement irano-saoudien parrainé par la Chine, proposition d’un plan pour arrêter les combats en Ukraine…
D’autre part, le chacun pour soi impérialiste provoque une explosion du nombre de zones de conflits potentiels. En Europe, la pression sur l’Allemagne mène à des dissensions avec la France et l’UE a réagi de manière ulcérée au protectionnisme de la « Inflation Reduction Act » de Biden, vue comme une vraie déclaration de guerre envers les exportations européennes vers les États-Unis. En Asie centrale, le recul de la puissance russe va de pair avec une rapide expansion de l’influence d’autres puissances, telles la Chine, la Turquie, l’Iran ou les États-Unis dans les républiques de l’ex-URSS. En Extrême-Orient, les risques de conflits persistent entre la Chine d’une part et l’Inde (avec des accrochages réguliers aux frontières) ou le Japon (qui réarme massivement), sans oublier les tensions entre l’Inde et le Pakistan et celles récurrentes entre les deux Corées. Au Moyen-Orient, l’affaiblissement de la Russie, la déstabilisation interne de protagonistes importants comme l’Iran (révoltes populaires, luttes entre fractions et pressions impérialistes) ou la Turquie (situation économique désastreuse) auront un impact majeur sur les rapports impérialistes. En Afrique enfin, tandis que la crise énergétique et alimentaire et des tensions guerrières sévissent dans différentes régions (Éthiopie, Soudan Libye, Sahara Occidental), la concurrence agressive entre vautours impérialistes stimule la déstabilisation et le chaos.
Un an de guerre en Ukraine a souligné avant tout que la décomposition accentue un des aspects les plus pernicieux de la guerre en décadence : son irrationalité. Les effets du militarisme deviennent, en effet, toujours plus imprédictibles et désastreux quelles que soient les ambitions initiales :
– les États-Unis ont mené les deux guerres du Golfe, comme la guerre en Afghanistan, pour maintenir leur leadership sur la planète, mais dans tous les cas, le résultat est une explosion du chaos et d’instabilité, ainsi que des flots de réfugiés ;
– quels qu’aient pu être les objectifs des nombreux vautours impérialistes (russes, turcs, iraniens, israéliens, américains ou européens) qui sont intervenus dans les horribles guerres civiles syrienne ou libyenne, ils ont hérité d’un pays en ruine, morcelé et divisé en clans, avec des millions de réfugiés vers les pays voisins ou fuyant vers les pays industrialisés.
La guerre en Ukraine en est une confirmation exemplaire : quels que soient les objectifs géostratégiques des impérialismes russes ou américains, le résultat est un pays en ruine (l’Ukraine), un pays ruiné économiquement et militairement (la Russie), une situation impérialiste encore plus tendue et chaotique dans le monde et encore des millions de réfugiés.
L’accentuation du militarisme et de l’irrationalité de la guerre implique une expansion terrifiante de la barbarie guerrière sur l’ensemble de la planète. Dans ce contexte, des alliances conjoncturelles peuvent se constituer autour d’objectifs particuliers. Ainsi, la Turquie, membre de l’OTAN, adopte une politique de neutralité envers la Russie en Ukraine en espérant en profiter pour s’allier avec elle en Syrie contre les milices kurdes appuyées par les États-Unis.
Cependant, et contrairement à la propagande bourgeoise, le conflit ukrainien ne mène pas à un regroupement d’impérialismes en blocs et donc n’ouvre pas la dynamique vers une nouvelle guerre mondiale, mais plutôt vers une terrifiante expansion d’un chaos sanglant : des puissances impérialistes importantes comme l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil et même l’Arabie Saoudite gardent clairement leur autonomie par rapport aux protagonistes, le lien entre la Chine et la Russie ne s’est pas resserré, bien au contraire, et si les États-Unis utilisent la guerre pour imposer leurs vues au sein de l’OTAN, des pays membres comme la Turquie ou la Hongrie font ouvertement cavalier seul tandis que l’Allemagne et la France essaient par tous les moyens de développer leur propre politique. En outre, le chef d’un bloc potentiel doit être capable de générer la confiance des pays adhérents et de garantir la sécurité de ses alliés. Or, la Chine s’est montrée fort frileuse dans son soutien envers son allié russe qu’elle tend plutôt à phagocyter. Quant aux États-Unis, après l’« America first » de Trump, qui avait refroidi les « alliés », Biden mène fondamentalement la même politique : il leur fait payer un prix énergétique fort pour le boycott de l’économie russe, alors que les États-Unis sont autosuffisants sur ce plan et les lois « anti-chinoises » toucheront de plein fouet les importations européennes. C’est d’ailleurs précisément ce manque de garanties concernant sa sécurité qui a amené l’Arabie Saoudite à conclure un accord avec la Chine et l’Iran.
Ce qui rend la situation d’autant plus délicate c’est que la « crise ukrainienne » n’apparaît pas comme un phénomène isolé mais comme une des manifestations de cette « polycrise », (1) l’accumulation et l’interaction des crises sanitaire, économique, écologique, alimentaire, guerrière, qui caractérise les années 20 du XXIe siècle. Et la guerre en Ukraine constitue dans ce contexte un véritable multiplicateur et intensificateur de barbarie et de chaos au niveau mondial : « À propos de cette agrégation de phénomènes destructeurs et de son “effet tourbillon”, il faut souligner le rôle moteur de la guerre en tant qu’action voulue et planifiée par les États capitalistes ». (2) De fait, la guerre en Ukraine a accentué la hausse de l’inflation et la récession dans différentes régions du monde, provoqué une crise alimentaire et énergétique, causé un recul des politiques climatiques (remise en activité des centrales nucléaires et même au charbon) et entraîné un nouvel afflux de réfugiés. Et ceci sans mentionner un risque toujours présent de bombardement de centrales nucléaires, comme on le voit encore autour du site de Zaporijjia, ou d’utilisation d’armes chimiques, bactériologiques ou nucléaires.
Bref, un an de guerre en Ukraine met en évidence combien elle a intensifié « le grand réarmement du monde », symbolisé par le réarmement massif des deux grands vaincus de la Deuxième Guerre mondiale, le Japon qui engage 320 milliards de dollars dans son armée en 5 ans, le plus gros effort d’armement depuis 1945, et surtout l’Allemagne qui augmente également son budget de défense. Ainsi, le conflit ukrainien illustre clairement la faillite de ce système (étant à l’évidence un produit volontaire de la classe dominante). Cependant, l’impuissance et l’horreur que la guerre suscite ne favorisent pas aujourd’hui le développement d’une opposition prolétarienne au conflit. Par contre, l’aggravation sensible de la crise économique et des attaques contre les travailleurs qui en découlent directement, pousse ces derniers à se mobiliser sur leur terrain de classe pour défendre leurs conditions de vie. Dans cette dynamique de reprise des luttes, la barbarie guerrière constituera à terme une source de prise de conscience de la faillite du système, ce qui se limite aujourd’hui encore à de petites minorités de la classe.
R. Havanais, 25 mars 2023
1) Le terme est utilisé par la bourgeoisie elle-même dans le Global Risks Report 2023 présenté au Forum Économique Mondial en janvier 2023 à Davos.
2) « Années 20 du XXIe siècle : L’accélération de la décomposition pose ouvertement la question de la destruction de l’humanité », Revue internationale n° 169 (2022).
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri-497_bat.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/lutte-classe-monde-2022-2023
[3] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/reforme-des-retraites
[5] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/super-profits
[6] https://fr.internationalism.org/tag/5/295/grece
[7] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[8] https://fr.internationalism.org/tag/5/37/grande-bretagne
[9] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/greves-au-royaume-uni
[10] https://en.internationalism.org/icconline/201011/4098/daily-mail-exposes-icc-plot
[11] https://fr.internationalism.org/content/10804/bourgeoisie-impose-nouveaux-sacrifices-classe-ouvriere-repond-lutte-tract
[12] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/the-spectator
[13] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[14] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/snu
[15] https://fr.internationalism.org/tag/5/50/etats-unis
[16] https://fr.internationalism.org/tag/5/62/chine
[17] https://fr.internationalism.org/tag/5/399/ukraine
[18] https://fr.internationalism.org/tag/5/513/russie
[19] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guerre-ukraine