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Révolution internationale n°494 - juillet septembre 2022

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Guerre en Ukraine, pandémie, désastres environnementaux, crise économique… Seul le prolétariat peut offrir un avenir à l’humanité!

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Voilà plus de quatre mois que la guerre sévit aux portes de l’Europe, quatre mois que dure ce spectacle macabre et ses milliers de victimes, ses millions d’exilés, ses scènes de destruction et de désolation, quatre mois donc que les carnages et la dévastation ont fait leur grand retour en Europe, accélérant ainsi la spirale guerrière dans laquelle s’enfonce le capitalisme.

Cette manifestation odieuse de la plongée du capitalisme dans le chaos et la barbarie s’accompagne du regain de la pandémie de Covid-19 avec une « septième vague » qui déferle actuellement sur l’Europe sans que la moindre mesure sanitaire soit envisagée par les États, la bourgeoisie laissant les populations à leur propre sort dans la plus parfaite incurie.

De même, les canicules en chaîne, comme celle s’étant abattue sur l’Inde et le Pakistan en mars et avril derniers, rappellent que les cataclysmes liés au dérèglement climatique menacent toujours davantage l’humanité. Les effets les plus extrêmes (canicules, sécheresses, inondations, tempêtes, etc.) tendent même à devenir la norme et rendront bientôt impossible la vie humaine dans des régions entières de la planète.

Nous pourrions ajouter bien d’autres aspects à cette accumulation et à la simultanéité des catastrophes qui ne démontrent qu’une seule chose : l’accentuation considérable du pourrissement de la société capitaliste et la totale incapacité de la classe dominante à contrecarrer cette tendance historique. Ces trois événements majeurs sont une illustration flagrante du fait que le capitalisme est devenu un mode de production obsolète, incapable de garantir un futur à l’humanité sinon celui de sa propre destruction.

Le capitalisme, c’est la guerre

Depuis le début du XXe siècle, la guerre est inséparable de la société capitaliste. Elle est le produit même de ce mode de production définitivement en crise, « ayant épuisé historiquement toutes les possibilités de développement, et trouvant dans la guerre moderne, la guerre impérialiste, l’expression de ce croulement qui […] ne fait qu’engouffrer dans l’abîme les forces productives et accumuler à un rythme accéléré ruines sur ruines ». (1) Mais contrairement au désastre climatique ou au surgissement de la pandémie, le militarisme et la prolifération des conflits guerriers sont le produit de l’action volontaire et délibérée de la bourgeoisie, incapable de régler ses rivalités impérialistes autrement que par la loi des armes et avec le sang des exploités.

La guerre en Ukraine ne déroge pas à cette logique totalement irrationnelle (2) et constitue même un approfondissement du militarisme et de ses conséquences barbares comme en témoigne l’ampleur des combats, les dizaines de milliers de morts, la destruction systématique de villes entières, l’exécution de civils, le bombardement irresponsable de centrales nucléaires et les conséquences économiques considérables pour l’ensemble de la planète. L’explosion des budgets militaires de tous les États, et l’adhésion prévue de la Suède et de la Finlande au panier de crabes qu’est l’OTAN, ne sont en rien des marques du fameux « Si tu veux la paix, prépare la guerre » si hypocritement martelé par la bourgeoisie. Bien au contraire, le gonflement des arsenaux militaires et, de façon plus générale, l’accentuation tous azimuts de l’économie de guerre ne feront qu’accroître les tensions entre États et font d’ores et déjà le lit de conflits futurs.

Une aggravation considérable de la crise économique

Alors que le monde subit depuis près de trois ans l’une des pandémies les plus meurtrières de l’histoire, que la crise économique et le désastre environnemental s’accentuent, tous les États s’enivrent dans les dépenses d’armement à des niveaux abyssaux. Plus que jamais l’économie est au service de la guerre, au service de la production effrénée d’outils de destruction sans la moindre cohérence économique. Car un fusil, un missile ou un avion de chasse ne génèrent aucune valeur supplémentaire et sont un pur gaspillage, une perte sèche du point de vue du capital à l’échelle globale. Dès lors, l’accentuation de la production d’armes, la conversion éventuelle de secteurs stratégiques à l’industrie militaire, l’endettement que tout cela va provoquer et la baisse des investissements dans d’autres secteurs de l’économie vont altérer considérablement le commerce mondial et aggraver davantage les conditions d’existence des exploités.

À cela s’ajoutent les effets directs de la guerre se faisant d’ores et déjà sentir au sein d’une large partie de la population mondiale : l’inflation exorbitante, la désorganisation totale des chaînes de production, les mesures de rétorsions économiques entre États rivaux. Les conséquences de la guerre impérialiste touchent de plein fouet les exploités du monde entier qui doivent faire face à des situations de pénuries. Devant cette situation catastrophique, la bourgeoisie n’a pas d’autre porte de sortie que la sempiternelle idéologie du sacrifice, à l’image des gouvernements européens qui, face aux coupures de gaz russe, exhortent la population à se serrer la ceinture et de pratiquer la « sobriété énergétique », tout ça au nom d’une pseudo-solidarité avec le « peuple ukrainien ». Cette propagande ignoble relayée par les grandes entreprises de l’énergie montre toute la perfidie et le cynisme de la classe dominante qui ne renonce jamais à faire payer sa crise à la classe ouvrière. Mais les mensonges de la classe dominante font pâle figure face à la dure réalité que des milliards de personnes subissent au quotidien dans leur chair. Pour preuve, la progression de la faim dans le monde : en 2021, le capitalisme a plongé 2,3 milliards de personnes dans l’insécurité alimentaire dont environ 800 millions ont souffert de la faim, et ce avant même l’actuelle guerre en Ukraine et ses conséquences

L’avenir est entre les mains du prolétariat

Comme nous l’avons affirmé à plusieurs reprises au cours des derniers mois, le prolétariat, privé de sa conscience de classe, est pour le moment incapable de se reconnaître comme une force sociale en mesure de s’opposer à la guerre et de défendre la perspective révolutionnaire. Face à l’inflation et aux pénuries, des révoltes se sont ainsi fracassées sur un terrain de lutte totalement étranger aux méthodes et aux objectifs du prolétariat, comme au Sri Lanka où la colère de la population a été instrumentalisée pour chasser le président en exercice, servant ainsi de masse de manœuvre dans les confrontations entre cliques bourgeoises. En Équateur, des milliers d’ « indigènes », regroupés sur des bases ethniques et coupés de la classe ouvrière, se sont également donnés pour objectif de renverser le pouvoir en place… au profit d’une autre clique bourgeoise.

Toutefois, ces dernières semaines, les premières lueurs de réactions ouvrières face à l’accentuation de l’exploitation sur les lieux de travail et à la dégradation des conditions d’existence, sous l’effet de la flambée des prix, se sont exprimées au cœur du capitalisme mondial. Fin juin, en Grande-Bretagne, plus de 50 000 cheminots étaient en grève pour revendiquer des hausses de salaires. En Allemagne, en Espagne et en France, des grèves ont également éclaté dans les transports aériens et ferroviaires, sur la base des mêmes revendications. Si ces luttes défensives restent pour le moment très embryonnaires, isolées les unes des autres et encadrées par les syndicats, ces derniers déployant à merveille leur arsenal de sabotage par l’enfermement corporatiste et la division entre secteurs, il n’en demeure pas moins qu’elles illustrent une grande colère dans les rangs ouvriers ainsi qu’un potentiel de combativité pour la période à venir.

Mais surtout, ces mouvements démontrent pleinement que la crise économique reste le meilleur allié du prolétariat, le terrain le plus favorable sur lequel celui-ci pourra développer sa solidarité, son unité internationale et recouvrer peu à peu son identité et la conscience de sa force révolutionnaire. Ce n’est qu’à travers ces combats longs et sinueux qu’il sera en mesure d’extirper l’humanité de la spirale de destruction dans laquelle l’entraîne le capitalisme et par là même montrer la voie du communisme. Plus que jamais

l’avenir appartient à la classe ouvrière !

Vincent, 8 juillet 2022

 

1) « Rapport à la Conférence de juillet 1945 de la Gauche communiste de France », cité dans « Le cours historique », Revue internationale n° 18 (3e trimestre 1979).

2) Pour de plus amples développements au sujet du caractère irrationnel de la guerre, voir notamment : « Militarisme et décomposition », Revue internationale n° 64 (octobre 1990), et « Militarisme et décomposition (mai 2022) », Revue internationale n° 168, actualisation du premier texte.

Récent et en cours: 

  • Guerre en Ukraine [2]
  • Crise économique [3]
  • environnement [4]

Rubrique: 

Editorial

Élections législatives en France: La bourgeoisie française touchée à son tour par l’instabilité

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Incontestablement, les enjeux auxquels la bourgeoisie française devait faire face lors de ces élections étaient particulièrement importants. Lorsque Macron déclarait le 24 février que « les événements [la Guerre en Ukraine] auront des conséquences durables, profondes sur nos vies », il voulait dire que la guerre qui venait de se déclencher en Europe allait impliquer la détérioration du niveau de vie d’une grande partie de la population française, en particulier de la classe ouvrière. Pour ceux qui n’auraient pas compris, Bayrou, l’homme qui a permis à Macron d’être élu en 2017, précisait avec gravité le 3 juillet, que la période allait demander « aux Français » des « efforts considérables » alors que la pandémie de Covid-19 avait déjà détérioré de manière significative les conditions de travail et d’existence.

La perte de maîtrise de la bourgeoisie sur son jeu politique

L’objectif de ces élections était de placer les forces politiques de la bourgeoisie en bon ordre tant pour adopter les orientations permettant de défendre au mieux ses intérêts que pour faire accepter à la classe ouvrière de nouvelles dégradations de ses conditions de vie. Or, cette mise en place souffrait de plusieurs handicaps majeurs, en particulier, l’avancée continue du parti populiste, le Rassemblement national (RN), qui, à l’image du Brexit ou de l’arrivée au pouvoir de Trump, est l’expression de l’irrationalité et de la perte de maîtrise du jeu politique qui ne cessent de se développer au sein de la bourgeoisie, ces forces politiques étant inadaptées à la défense des intérêts de la bourgeoisie nationale.

S’il s’agissait d’abord d’écarter du pouvoir Marine Le Pen et le RN, cela devait se faire malgré la détestation d’une grande partie de la population à l’égard de Macron. Malgré ces handicaps, les élections présidentielles ont été une réussite pour la bourgeoisie puisque Macron a été réélu avec un bon pourcentage des voix, Le Pen ayant une fois de plus échoué.

Mais, les handicaps liés à cette situation, un temps voilés par l’artifice du « front républicain », sont revenus comme un boomerang lors des élections législatives. Ces dernières s’étant conclues par un échec cuisant pour Macron et le regroupement « Ensemble » étant donné l’incapacité du parti du président à obtenir la majorité absolue à l’Assemblée. La fraction la plus lucide de la bourgeoisie a donc échoué puisque l’autre résultat des élections est la progression fracassante du RN qui passe de 8 à 89 députés. Les manœuvres de Macron visant à affaiblir le RN n’ont finalement abouti qu’à son contraire : l’amplification de la popularité des thèmes populistes, en offrant même au RN des gages de respectabilité. Il en est ainsi de toute la campagne médiatique sur les « points de deal » qui visait à montrer que le gouvernement était soucieux de la « sécurité des citoyens ». En réalité, cette campagne a accru le sentiment d’insécurité et a donc été favorable au RN. Alors que la publicité médiatique considérable qui a été donnée à Zemmour lors de la campagne présidentielle visait à diviser le camp populiste, en fin de compte, il s’est produit l’effet inverse puisque le RN est vite apparu comme plus modéré, « normalisé », comme disent les journalistes politiques, ce qui lui a permis de se « dédiaboliser » et, par conséquent, de voir sa base électorale s’élargir. La campagne du parti de droite « Les Républicains » (LR) a apporté sa pierre à l’édifice en focalisant les débats pour la désignation de la candidate LR à l’élection présidentielle sur le programme abject de contrôle le plus strict possible de l’immigration. LR escomptait notamment retenir certains de ses électeurs tentés par le RN. Là encore, l’objectif de la manœuvre s’est mué en son contraire tant les prétendants à l’investiture des Républicains sont apparus comme une pâle copie de la propagande du parti d’extrême-droite.

Cerise sur le gâteau, alors que Macron et ses partisans avaient fait campagne avant l’élection présidentielle sur la nécessité de n’accorder aucune voix à l’extrême-droite, la concurrence imprévue des « Insoumis » lors de ces élections législatives les a amenés à abandonner le credo du « front républicain », en tirant un trait d’union entre la NUPES et l’extrême-droite.

Tout cela montre que les manifestations de la phase de décomposition du capitalisme (1) se développent de manière inexorable et que les petites manœuvres des uns et des autres pour préserver leurs intérêts de clique, au détriment des intérêts de l’État, amplifient cette tendance touchant l’ensemble de la bourgeoisie à l’échelle mondiale, à l’image, par exemple, de l’aggravation de l’instabilité de l’appareil politique au Royaume-Uni suite à la démission de Boris Johnson.

Au final, le système politique français se retrouve dans une situation inédite et anormale sous la Ve République. Aucune majorité absolue ne s’est dégagée et l’Assemblée nationale est divisée en trois blocs. Ceci signifie que le gouvernement ne sera jamais sûr d’obtenir la majorité et l’appareil politique rentre dans une période d’instabilité. Cette situation va même accroître la tendance au chacun pour soi comme le montre le refus des LR de s’allier avec « Ensemble » pour permettre à ce dernier de voir la situation potentiellement se débloquer, LR, qui joue sa survie politique à l’échelle nationale, ne voulant pas apparaître comme un simple supplétif du parti présidentiel.

Il faut ajouter que le regroupement qu’est « Ensemble » est lui-même instable (2) parce qu’il contient des partis dont la concurrence, aujourd’hui mise sous le boisseau, tendra à s’exprimer si l’impopularité de Macron devient trop profonde.

Du coup, alors qu’il s’agit d’attaquer le niveau de vie de la grande majorité de la population et, en particulier, de la classe ouvrière, Macron et son gouvernement parient sur « des majorités de circonstance » selon l’orientation des différentes lois. Un jeu d’équilibriste qui risque fort d’aboutir à l’ouverture d’une crise politique lorsque LR ou le RN penseront tirer avantage d’une telle situation. En tout état de cause, une telle instabilité (et encore plus si elle débouche sur une crise politique) ne peut que gêner, sur le plan intérieur, la capacité du gouvernement à prendre les mesures que la crise du capitalisme impose. Cette instabilité n’est pas favorable non plus à la bourgeoisie française sur le plan extérieur à l’heure où la pression américaine pour que les États européens s’alignent sur leur politique, tant à l’égard de la Russie que partout dans le monde, est devenue particulièrement forte.

La mystification d’une opposition de gauche

Le résultat de ces élections législatives représente cependant une réussite de la bourgeoisie sur un point : le regroupement des partis de gauche (la NUPES), chargé d’empêcher la classe ouvrière de prendre conscience des moyens et des buts de son combat, sort renforcé de ces élections. Le score de Mélenchon aux élections présidentielles l’a fait apparaître comme étant l’homme qui pourrait vraiment changer les choses lors de prochaines élections. Cela lui a permis de dire avant les élections législatives : « Élisez-moi Premier ministre », ce qui sous-entendait qu’il est inutile de mener des luttes car, « moi au pouvoir », la dégradation de vos conditions de vie n’aura pas lieu. Avec 131 députés pour la NUPES (dont 75 pour la seule « France insoumise »), cette apparente capacité d’arriver au pouvoir lors de prochaines échéances électorales a été confirmée. La force capable d’orienter le mécontentement des ouvriers vers les urnes est bien en place. Son programme peut se résumer dans l’idée que la taxation des très hauts revenus va permettre de nous retrouver dans « la France des jours heureux » chère au candidat du PCF, Roussel, et ce, alors que la crise historique du capitalisme étend ses ravages sur l’ensemble de la planète. D’autre part, la prétention à parvenir au pouvoir d’une telle force accroît la capacité des syndicats, déjà en train d’isoler et d’émietter un nombre significatif de grèves, à bloquer l’expression de la combativité de la classe ouvrière puisqu’ils appuieront leur action sur le programme d’un parti prétendant améliorer ses conditions de vie.

Par ailleurs, la bourgeoisie utilise la perte de contrôle de sa propre vie politique pour renforcer les illusions dans les institutions démocratiques. Ainsi, depuis les législatives, on n’arrête pas d’entendre des proclamations venant de tous les partis politiques nous déclamant que le Président n’ayant plus le pouvoir sur l’Assemblée nationale, cette dernière est enfin devenue « la Maison du Peuple » qu’elle aurait toujours due être. Encore une fois, le but est de faire croire que les institutions de la démocratie bourgeoise permettent de protéger le niveau de vie de la très grande majorité de la population. Une telle propagande vise à laisser croire qu’il est absolument inutile, voire néfaste, de vouloir renverser ces institutions et de détruire le capitalisme.

De la même manière, le succès du RN permet aux partis de gauche de remettre au premier plan toute la campagne idéologique antifasciste qui permet également de mobiliser les prolétaires sur des terrains totalement pourris, en les écartant du combat pour la destruction du capitalisme. Et ce, alors que se développent la crise, les guerres, la crise climatique, etc.

Toutes ces manœuvres et ces campagnes idéologiques et médiatiques ne peuvent pas empêcher que la classe ouvrière soit confrontée chaque jour un peu plus à l’inflation qui rabote son salaire réel, à la récession dans laquelle l’économie mondiale est en train de s’enfoncer et qui va provoquer une augmentation du chômage, ni aux attaques que l’État français va mettre en œuvre contre le niveau de vie de la classe ouvrière en vue de récupérer des marges de manœuvre financières. Ces dégradations des conditions de vie provoquent un peu partout dans le monde, et aussi en France, toute une série de grèves démontrant que la classe ouvrière est en mesure de développer ses luttes, bien qu’avec encore beaucoup de difficultés. Mais c’est l’unique direction qui lui permettra de s’affronter à la classe dominante. Car dans les élections, la bourgeoisie sera toujours gagnante !

Vitaz, 8 juillet 2022

 

1 ) Cf. « Thèses : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste », Revue internationale n° 107. [5]

2 ) Les rivalités et les concurrences internes ne sont pas l’exclusivité d’ « Ensemble » mais sont aussi à l’œuvre au sein de la NUPES (composée de quatre formations politiques majeures distinctes) et également chez LR.

Situations territoriales: 

  • Vie de la bourgeoisie en France [6]

Personnages: 

  • Macron [7]
  • Le Pen [8]
  • Mélenchon [9]

Récent et en cours: 

  • Election législatives [10]

Rubrique: 

Élections en France

Campagnes idéologiques: Une propagande impérialiste, barbare et criminelle!

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Dans toutes les guerres, les armes classiques et incontournables des États sont celles de la propagande de masse, de la manipulation et de la désinformation. Les grandes puissances démocratiques ont, depuis la Première Guerre mondiale, été un véritable creuset pour le contrôle des esprits, un laboratoire permettant d’imposer l’« union sacrée », d’obtenir l’adhésion de la population, en particulier le prolétariat, à la guerre et un « consentement » aux sacrifices. Manipuler l’opinion reste l’objectif central de la classe dominante pour masquer ses crimes et en préparer de nouveau.

La guerre impérialiste en Ukraine ne déroge en rien à ces ignobles entreprises de manipulation et de propagande. Les puissances démocratiques, notamment de l’Europe occidentale, sont celles qui doivent assurer la propagande la plus subtile et élaborée pour tenter de légitimer leurs entreprises sanguinaires auprès d’un prolétariat qui possède la plus grande expérience de lutte et un niveau d’éducation parmi les plus élevés au monde. (1)

Manipulation et propagande autour du conflit en Ukraine

À la veille du conflit en Ukraine, comme toujours, les chefs d’État et les gouvernements se défendaient, la main sur le cœur, de tout faire pour « préserver la paix ». Au moment où les troupes russes se sont massées à la frontière de l’Ukraine, Poutine prétendait n’avoir aucune intention belliqueuse et parlait de simples « manœuvres militaires ». Il avait d’ailleurs engagé un retrait partiel de ses troupes avant sa rencontre avec le chancelier allemand, Olaf Scholz, qui s’était dit « ravi » de la nouvelle. Même après le début de l’invasion, jamais il n’a été question pour Poutine de parler de « guerre », mot totalement prohibé, mais d’une « opération spéciale ».

Quant à Joe Biden, qui annonçait à l’avance les plans de Poutine, précisant que les États-Unis n’interviendraient pas en cas de conflit, donnant ainsi le feu vert au maître du Kremlin pour lancer ses troupes et son pays dans un piège, il apparaissait aux yeux du monde comme un homme de paix, souhaitant selon ses dires « donner toutes ses chances à la diplomatie ».

Zelensky était d’emblée, lui aussi, le chantre de la paix, « victime pacifique », courageuse, déterminée et « pleine d’héroïsme ». Ainsi, par exemple, lors de son discours du 23 mars dernier face à l’Assemblée nationale en France, il s’exprimait devant des députés conquis et séduits d’avance : « […] Comment arrêter cette guerre ? Comment instaurer la paix en Ukraine ? […] Nous devons agir ensemble, faire pression sur la Russie ensemble pour chercher la paix ».

Derrière les discours de paix, la thèse du petit pays victime et envahi, poussait l’émotion et la volonté de combattre l’ineffable Poutine. Le piège d’une « guerre défensive » était tendu dès le départ. Zelensky pouvait alors mobiliser de force sur le sol ukrainien la chair à canon, les hommes de 18 à 60 ans, pour « défendre la patrie », quémandant sans cesse « des armes pour l’Ukraine » aux occidentaux « solidaires », instrumentalisant de manière ignoble la détresse des réfugiés à des fins purement politiques et guerrières.

En 1914, une exploitation idéologique du même type avait déjà été utilisée par le bloc de l’Entente face aux puissances de la Triple alliance. L’Allemagne était alors considérée comme l’unique « responsable » de la guerre par son invasion de la petite Belgique, pays désormais livré aux « boches », à une « horde de barbares ». Le Président français Poincaré qui avait frénétiquement préparé la guerre en coulisse avec la Russie et son allié britannique se faisait en même temps le chantre de la paix, comme le montre son discours du 14 juillet 1915 où en pleine guerre il affirmait : « Depuis de longues années notre démocratie laborieuse se plaisait aux travaux de la paix. Elle aurait considéré comme un criminel, ou comme un insensé, tout homme qui aurait osé nourrir des projets belliqueux ». Un comble de cynisme et d’hypocrisie ! Quelques jours plus tard, le 19 juillet, lors d’un discours au Reichstag, le chancelier allemand affirmait pratiquement la même chose : « Nous n’avons pas désiré la guerre, […] c’était la paix que nous prospérions ». Son malheur avait été d’attaquer le premier !

Comme un remake, en septembre 1939, l’invasion de la Pologne apparaissait de nouveau comme l’attaque d’un « loup » face à « l’agneau innocent » et non comme le résultat d’une logique propre au capitalisme et à l’impérialisme. La « volonté de paix » et le statut de « victime » sont de grands classiques !

Même Hitler se déclarait en faveur de la paix ! En 1938 à Berlin, concernant les relations franco-allemandes, il déclarait, à l’ambassadeur de France, son désir qu’elles soient « pacifiques et bonnes ». Et le diplomate Von Ribenttrop répétait souvent que « le Führer ne veut pas la guerre ». (2) C’est aussi au nom de la « paix » et de « l’antifascisme » que le prolétariat fut embrigadé dans la guerre.

Comme personne ne « veut la guerre » alors qu’elle constitue le mode de vie du capitalisme en décadence, elle est forcément, pour chaque camp, le fait de l’adversaire. Ainsi, pour Poutine, la faute revient au régime ukrainien, formé de « nazis », de « persécuteurs des minorités russophones » qui bataillent « contre les libertés et la démocratie ». Bien entendu, il fustige au passage un autre « responsable », les forces de l’OTAN qui l’encerclent depuis des décennies et qui cherchent à « affaiblir la Russie ».

La propagande de Zelensky et des occidentaux qui le soutiennent militairement, rend les choses d’autant plus pernicieuses et dangereuses pour les populations et le prolétariat de l’Ouest, puisque la « petite Ukraine pacifique » apparaît bel et bien comme « étranglée par l’ogre russe ». Effectivement, parmi tous les gangsters impérialistes parties prenantes de ce conflit, Poutine est bien celui qui a dégainé le premier. Dès la guerre enclenchée, de persona non grata, il est devenu rapidement un « fou sanguinaire ». La diabolisation (facilitée ici par la personnalité de Poutine et son cursus stalinien) est aussi un grand classique de la propagande ! (3)

Lors de la Première Guerre mondiale, l’armée allemande et ses soldats étaient présentés eux aussi comme des monstres, accusés de « violer, torturer et égorger froidement les enfants ». (4) La guerre actuelle et ses images, l’exploitation des cadavres étendus sur le sol, les clichés de villes dévastées, la multiplication des enquêtes internationales sur les « crimes de guerre » (5) commis par l’armée russe, le silence quasi total sur les exactions de l’armée ukrainienne du côté occidental, l’accumulation de montages grossiers du côté russe, tout ceci s’accompagnant d’une cyber-propagande enfumant les esprits, témoignent d’une intense et quotidienne guerre de l’information.

Dès lors, même si cette guerre est jugée inquiétante par les populations de l’Ouest, ces dernières finissent insidieusement par soutenir l’envoi des « armes pour l’Ukraine » afin de « donner une leçon à l’envahisseur ». Autrement dit : alimenter la guerre et les massacres au nom d’une riposte « légitime » et « défensive » !

Tous les États sont impérialistes

Dans cette guerre qui frappe brutalement l’Europe, où la terre brûlée et l’irrationalité totale révèlent l’absurdité complète d’une aventure tragique et barbare, les grandes puissances démocratiques occidentales jouent désormais le beau rôle de procureur. Elles apparaissent comme « pacifiques », mises devant une sorte de fait accompli qui ne dépendrait nullement de leur propre volonté, mais de celle d’un seul homme, le dictateur suicidaire froid et cynique Poutine.

En réalité, comme le soulignait déjà Rosa Luxemburg, tous les États, petits ou grands, sont de véritables brigands qui ne font que défendre leurs sordides intérêts impérialistes, comme le rappelle aussi notre tract international : « Depuis le début du XXe siècle, la guerre permanente avec toutes les terribles souffrances qu’elle engendre, est devenue inséparable du système capitaliste, un système basé sur la concurrence entre les entreprises et entre les États, où la guerre commerciale débouche sur la guerre des armes, où l’aggravation de ses contradictions économiques, de sa crise, attise toujours plus les conflits guerriers. Un système basé sur le profit et l’exploitation féroce des producteurs, où ces derniers sont contraints de payer le prix du sang après avoir payé le prix de leur sueur ». (6)

Évidemment, si la responsabilité des rivaux de Poutine est plus difficile à percevoir derrière les rideaux de fumée propres à la propagande occidentale, elle n’en est pas moins présente. L’action notamment de ces puissances impérialistes au sein de l’OTAN, fournissant des armes à l’Ukraine en grande quantité, alimentant une guerre qui s’enkyste, démontre amplement leur responsabilité dans la logique irrationnelle du militarisme, et de la planification massive de la destruction par les armes. Au premier rang de ces gangsters, acteurs de l’accélération du désordre et du chaos, l’État impérialiste de Biden n’est pas le moins habile. En piégeant la Russie et les alliés occidentaux européens par ses déclarations, laissant implicitement un feu vert à Poutine, il exprimait tout le machiavélisme de sa stratégie.

Le fait de pousser l’adversaire à engager lui-même les hostilités est un classique. C’est ce que montrait déjà, à propos de la Première Guerre mondiale, Alfred Rosmer, citant un ancien sénateur, Jacques Bardoux, s’exprimant au sujet des provocations ayant amené l’Allemagne à attaquer la première : « Quand une guerre est-elle offensive ou défensive ? Les épithètes se prêtent à mille interprétations. Elles sont l’expression d’opinions mobiles et changeantes. Quand un diplomate est habile, la guerre qu’il provoque n’est jamais offensive. Il a l’air de se défendre lorsqu’il attaque ». (7)

Par le cordon sanitaire dressé par l’OTAN autour de la Russie depuis l’effondrement de l’URSS, par la volonté d’adhésion de nouveaux pays comme la Finlande ou la Suède à l’Alliance, le gouvernement Biden, comme ses alliés ponctuels et forcés d’Europe occidentale, a bien « l’air de se défendre lorsqu’il attaque ». Telle est sa force. Mais en même temps, cette entreprise criminelle est l’expression d’une faiblesse historique plus fondamentale tant la dynamique du militarisme est porteuse de chaos, d’irrationalité et de destructions.

En réalité, tous les dirigeants des puissances impérialistes opposées qui poussent des cris d’horreur devant les exactions de Poutine sont ceux qui ont eux-mêmes du sang sur les mains et finissent par accélérer davantage la dynamique mortifère du désordre mondial. Lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté, ces mêmes puissances alliées n’étaient nullement ces « chevaliers de la liberté » qu’ils prétendaient être, mais des acteurs barbares de l’impérialisme défendant leurs sordides intérêts : « les occidentaux n’interviennent pas pour détruire le nazisme ni écarter la menace d’un régime totalitaire. C’est l’équilibre européen qui est en jeux ». (8) En réalité, cet « équilibre européen » n’était rien d’autre qu’une question de rapport de forces entre gangsters impérialistes.

Aujourd’hui, l’Europe est menacée d’un chaos plus grand dans cette vaste foire d’empoigne. Quoi qu’elles en disent, ce sont les grandes puissances mondiales qui sont à la manœuvre. Les mêmes qui par le passé commirent les pires exactions, toujours au nom du « bien ». Pensons aux « bombardements stratégiques » de 1943 où les Alliés déversaient des tapis de bombes incendiaires sur les quartiers ouvriers de Dresde et Hambourg, faisant au moins 250 000 morts. Plus récemment, n’oublions pas que les forces américaines rasaient des villes entières comme celle de Falloujha en Irak en 2004. Aujourd’hui, la menace atomique et le battage terrifiant des uns et des autres autour de l’arme nucléaire ne doit pas nous faire oublier que ceux qui l’ont utilisée pour la première fois au Japon se prévalaient des mêmes valeurs, celles de « paix », de « liberté » et de « démocratie ». Alors qu’ils n’étaient nullement acculés militairement, ces mêmes voyous avaient envisagé très sérieusement dans les années 1950 de vitrifier la Corée par l’arme nucléaire !

Il n’y a pas d’illusion à se faire, le capitalisme en décomposition ne peut que porter la guerre et le chaos, les destructions, la crise, les épidémies et tous les fléaux. Le prolétariat ne doit pas oublier le bourrage de crâne qu’il a subi pendant toutes les guerres du passé. Aujourd’hui, il doit absolument repousser celui de tous les belligérants et des fauteurs de guerre qui les accompagnent. Ceux qui se laissent abuser peuvent penser que les livraisons d’armes à l’Ukraine sont malgré tout une « solution », même insatisfaisante, le prolétariat n’étant pas en mesure de stopper immédiatement la guerre. Or, loin d’épargner les souffrances, cette option ne peut justement qu’alimenter la folie meurtrière en dynamisant les forces destructrices dont les deux camps aux prises sont responsables en tant qu’agents du capitalisme. Seule la conscience de classe et les leçons du passé permettent aux révolutionnaires de dénoncer les mensonges de la bourgeoisie pour permettre au prolétariat de ne pas se faire happer par la logique de guerre et développer son combat de classe.

WH, 11 juin 2022

 

1 ) Contrairement au prolétariat en Ukraine qui a été battu et enrôlé, et au prolétariat en Russie, extrêmement fragile et très perméable, celui d’Europe de l’Ouest, bien qu’incapable, actuellement, de mettre un terme au conflit, n’est pas prêt à accepter le sacrifice de milliers de victimes chaque jour.

2 ) Anne Morelli, Principes élémentaires de la propagande de guerre (2001).

3 ) Ce fut le cas, pour prendre quelques exemples, de Saddam Hussein, transformé du jour au lendemain en « boucher de Bagdad », de Milosevic en Serbie pendant la Guerre en ex-Yougoslavie, et maintenant de Poutine.

4 ) « Naissance de la démocratie totalitaire », Revue internationale n° 155 (été 2015).

5 ) Notion juridique permettant de légitimer la barbarie guerrière ordinaire en faisant oublier que la guerre est elle-même un véritable crime du capitalisme.

6 ) Cf. notre tract international : « Conflit impérialiste en Ukraine : Le capitalisme c’est la guerre, guerre au capitalisme  [11]! ».

7 ) Alfred Rosmer, Le mouvement ouvrier pendant la Première Guerre mondiale (1936-1959). Il faut aussi préciser que l’argument « défensif » a été utilisé par tous les sociaux-traîtres en 1914 (social-démocratie) afin de désarmer et de mieux embrigader le prolétariat dans la guerre.

8 ) Philippe Masson, Une guerre totale (1990).

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Guerre en Ukraine

Cinq mois “d’opération spéciale”: Les affrontements impérialistes en Ukraine intensifient le chaos et la barbarie guerrière

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Alors que la Russie déverse en continu des tapis de bombes sur les villes ukrainiennes, à la fin de la réunion du G7, organisée dans le cadre bucolique des Alpes bavaroises, le 28 juin, les représentants des grandes puissances « démocratiques » répétaient en cœur : « La Russie ne peut et ne doit gagner ! » (Macron), faussement indignés face à l’horreur des combats, aux dizaines de milliers de morts et aux millions de réfugiés, à la destruction systématique de villes entières, à l’exécution de civils, au bombardement irresponsable de centrales nucléaires, aux conséquences économiques considérables pour l’ensemble de la planète. En simulant ainsi l’effroi, cette bande de cyniques cherchait aussi à dissimuler la responsabilité bien réelle de l’Occident dans ce massacre, en particulier l’action déstabilisatrice des États-Unis qui, par leurs tentatives de contrer le déclin de leur leadership mondial, n’ont pas hésité à attiser le chaos et la barbarie aux portes du centre historique du capitalisme.

Le piège ukrainien tendu par l’impérialisme américain à l’impérialisme russe

Aujourd’hui, les États-Unis et les autres puissances de l’Ouest se présentent comme les champions de la paix, de la démocratie et de la pauvre et innocente Ukraine confrontée à l’ignoble attaque de l’ogre russe. Si les horreurs de l’impérialisme russe sont plus difficiles à dissimuler, ni les États-Unis ni l’Ukraine ne présentent un pedigree de « chevalier blanc ». Ils ont au contraire joué un rôle actif dans le déclenchement et la perpétuation du massacre.

La bourgeoisie ukrainienne, corrompue jusqu’à l’os, avait déjà saboté les accords de paix de Minsk de 2014, qui impliquaient entre autres une certaine autonomie du Donbass et la protection de la langue russe en Ukraine. Elle se montre aujourd’hui particulièrement intransigeante et va-t-en-guerre face à la Russie, certaines factions envisageant même une reconquête de la Crimée.

Mais la politique américaine s’avère largement plus hypocrite et calculatrice. Au début des années 1990, les États-Unis avaient, en effet, « informellement » promis à Moscou de ne pas profiter de l’implosion du bloc de l’Est pour étendre leur influence aux frontières de la Russie. Ils n’ont cependant pas hésité à intégrer un à un les anciens pays du bloc de l’Est dans leur sphère d’influence, tout comme ils n’ont pas hésité à armer massivement Taïwan et à soutenir ses velléités de distanciation envers Pékin après avoir promis de respecter le principe « d’une seule Chine ». La politique américaine envers l’Ukraine n’a donc rien à voir avec la défense de la veuve et de l’orphelin ou de la démocratie, ni avec les beaux principes humanitaires qu’aucun pays n’hésite à rouler dans le sang et dans la boue pour la défense de ses sordides intérêts impérialistes.

En défiant Poutine d’envahir l’Ukraine (et en l’y poussant en précisant qu’ils n’interviendraient pas), en l’entraînant dans une guerre à grande échelle, les États-Unis ont, par une manœuvre machiavélique momentanément marqué des points importants dans l’arène impérialiste, car la stratégie américaine vise avant tout à contrer le recul irrémédiable de son leadership dans le monde.

La bourgeoisie américaine a ainsi pu restaurer le contrôle de l’OTAN sur les impérialismes européens. Alors que cette organisation semblait en perdition, « en état de mort cérébrale » selon Macron, la guerre en Ukraine a permis un retour au premier plan de cet instrument de subordination des impérialismes européens aux intérêts américains. Washington a exploité l’invasion russe pour rappeler à l’ordre les « alliés » européens contestataires : l’Allemagne, la France ou l’Italie ont été amenés à rompre leurs liens commerciaux avec la Russie et à lancer dans la précipitation les investissements militaires que les États-Unis réclamaient depuis 20 ans.

De même, les États-Unis portent des coups décisifs à la puissance militaire de la Russie. Mais derrière la Russie, les États-Unis ciblent fondamentalement la Chine et la mettent sous pression. L’objectif de fond de la manœuvre machiavélique des États-Unis est de poursuivre l’endiguement de la Chine, débuté dans le Pacifique, en affaiblissant le couple russo-chinois. L’échec de la Russie face à l’aide militaire américaine auprès de l’armée ukrainienne constitue ainsi un clair avertissement adressé à Pékin. La Chine n’a d’ailleurs pas manqué de réagir de manière embarrassée à l’invasion russe : tout en désapprouvant les sanctions, Pékin évite de transgresser la ligne rouge qui entraînerait des sanctions américaines. De plus, le conflit ukrainien permet de bloquer une large zone, de la baltique à la mer noire, indispensable au déploiement des « nouvelles routes de la soie », ce qui constitue sans nul doute un objectif non négligeable de la manœuvre américaine.

La politique américaine conduit à une intensification du chaos et du militarisme

Quelle que soit la faction de la bourgeoisie au gouvernement, depuis le début de la période de décomposition, les États-Unis, dans leur volonté de défendre leur suprématie en déclin, sont la principale force d’extension du chaos et de la barbarie guerrière par leurs interventions et leurs manœuvres : ils ont créé le chaos en Afghanistan, en Irak et favorisé l’éclosion d’Al-Qaïda comme de Daesh. Pendant l’automne de 2021, ils ont consciemment fait mousser les tensions avec la Chine autour de Taïwan dans le but de regrouper les autres puissances asiatiques derrière eux. Leur politique en Ukraine n’est pas différente aujourd’hui, même si leur stratégie machiavélique leur permet de se présenter comme une nation pacifique qui s’oppose à l’agression russe. Forts de leur suprématie militaire écrasante, les États-Unis fomentent le chaos guerrier qui constitue pour eux la barrière la plus efficace contre le déploiement de la Chine comme challenger. Mais, loin de stabiliser la situation mondiale, cette politique intensifie la barbarie guerrière et exacerbe les confrontations impérialistes tous azimuts et ceci dans un contexte chaotique, imprédictible, particulièrement dangereux.

En mettant la Russie dans les cordes, Washington intensifie les menaces de chaos et de barbarie guerrière en Europe. La guerre en Ukraine conduit à des pertes de plus en plus calamiteuses pour la Russie. Cependant, Poutine ne peut arrêter à ce stade les hostilités car il a besoin à tout prix de trophées pour justifier l’opération sur le plan intérieur et sauver ce qui peut l’être encore du prestige militaire de la Russie, le tout sans renoncer à soustraire ce territoire hautement stratégique pour elle à l’influence américaine. D’autre part, plus la guerre s’éternise, plus la puissance militaire et l’économie russes s’effriteront. Les États-Unis n’ont donc aucun intérêt à favoriser un arrêt des hostilités, quitte à sacrifier cyniquement la population en Ukraine. Dans les conditions actuelles, le carnage ne peut donc que continuer et la barbarie s’étendre, probablement pendant des mois, voire des années, et ceci sous des formes particulièrement sanglantes et dangereuses, comme la menace que font peser les armes nucléaires « tactiques ».

En restaurant le joug de l’OTAN, les États-Unis exacerbent également les ambitions impérialistes et le militarisme des bourgeoisies européennes. Si les pays européens ont pu nourrir l’illusion après 1989 qu’ils pourraient mener leur politique impérialiste en se basant essentiellement sur leurs atouts économiques, la présidence de Trump et encore plus nettement depuis la politique agressive de l’administration Biden, fondées sur la supériorité militaire des États-Unis, qui se concrétise aujourd’hui en Ukraine, leur fait prendre conscience de leur dépendance sur le plan militaire et donc de l’urgence de renforcer leur politique d’armement, même si, dans un premier temps, ils ne peuvent prendre trop nettement leur distance envers l’OTAN. La décision de l’Allemagne de réarmer massivement, doublant ainsi son budget militaire, constitue une donnée impérialiste majeure à moyen terme car, depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne avait maintenu des forces armées modestes. D’ores et déjà apparaissent les dissensions au sein de l’OTAN entre un pôle « intransigeant » qui veut « mettre Poutine à genoux », (États-Unis, Grande-Bretagne et Pologne, pays baltes) et un pôle plus « conciliant » (« tout cela doit finir par des négociations », « il faut éviter d’humilier la Russie »).

En accentuant la pression sur la Chine, la bourgeoisie américaine augmente, par ailleurs, le risque de nouvelles confrontations guerrières. La crise ukrainienne a des conséquences dangereusement déstabilisatrices pour le positionnement impérialiste du principal challenger des États-Unis. Pékin continue à mener une politique de soutien formel envers Poutine sans engagement compromettant, mais la guerre affecte lourdement ses « nouvelles routes de la soie » et les contacts avec les pays d’Europe centrale que la Chine avait réussi à séduire. Ceci alors même que le ralentissement de son économie devient de plus en plus manifeste, avec une croissance évaluée pour le moment à 4,5 % du PIB. Alors que les États-Unis ne se privent pas d’accentuer ces difficultés et de les exploiter dans leur confrontation avec Pékin, la situation exacerbe les tensions au sein de la bourgeoisie chinoise et accentue le risque d’une accélération des confrontations sur le plan économique, voire militaire.

Les conséquences incalculables de la guerre en Ukraine

L’absence de toute motivation économique pour les guerres était patent dès l’entrée en décadence du capitalisme : « La guerre fut le moyen indispensable au capitalisme lui ouvrant des possibilités de développement ultérieur, à l’époque où ces possibilités existaient et ne pouvaient être ouvertes que par le moyen de la violence. De même, le croulement du monde capitaliste ayant épuisé historiquement toutes les possibilités de développement, trouve dans la guerre moderne, la guerre impérialiste, l’expression de ce croulement qui, sans ouvrir aucune possibilité de développement ultérieur pour la production, ne fait qu’engouffrer dans l’abîme les forces productives et accumuler à un rythme accéléré ruines sur ruines ». (1)

Le conflit en Ukraine illustre de manière éclatante combien la guerre a perdu non seulement toute fonction économique mais illustre aussi que la fuite en avant dans le chaos guerrier tend de plus en plus à réduire les avantages de la guerre sur un plan stratégique. La Russie s’est ainsi lancée dans une guerre au nom de la défense des russophones mais elle massacre des dizaines de milliers de civils dans les régions essentiellement russophones tout en transformant ces villes et régions en champs de ruines et en subissant elle-même des pertes matérielles et infrastructurelles considérables. Si dans le meilleur cas, au terme de cette guerre, elle s’empare du Donbass et du Sud-Est de l’Ukraine, elle aura conquis un champ de ruines (le prix de la reconstruction est actuellement évalué à 750 milliards d’euros), une population la haïssant et aura subi un recul stratégique conséquent sur le plan de ses ambitions de grande puissance.

Quant aux États-Unis, dans leur politique d’endiguement de la Chine, ils sont amenés à encourager une politique cynique de la « terre brûlée », conduisant à une explosion incommensurable du chaos sur les plans économique, politique et militaire. L’irrationalité de la guerre n’a jamais été aussi éclatante.

Cette tendance à l’irrationalité croissante des confrontations guerrières va de pair avec une irresponsabilité croissante des fractions dirigeantes arrivant au pouvoir, comme l’illustrent l’aventure irresponsable de Bush junior et des « néo-cons » en Irak en 2003, celle de Trump de 2018 à 2021 ou encore la faction autour de Poutine en Russie. Elles sont l’émanation de l’exacerbation du militarisme et de la perte de contrôle de la bourgeoisie sur son appareil politique, pouvant mener à un aventurisme fatal, à terme, pour ces factions mais périlleux, surtout, pour l’humanité.

En même temps, les conséquences de la guerre pour la situation économique de nombreux pays s’annoncent dramatiques. La Russie est un grand fournisseur d’engrais et d’énergie, le Brésil dépend de ces engrais pour ses récoltes. L’Ukraine est un grand exportateur de produits agricoles, et les prix des denrées comme le blé risquent de flamber. Des États comme l’Égypte, la Turquie, la Tanzanie ou la Mauritanie dépendent à 100 % du blé russe ou ukrainien et sont au bord de la crise alimentaire. Le Sri Lanka ou Madagascar, déjà surendettés, sont en faillite. Selon le secrétaire général de l’ONU, la crise ukrainienne risque « de faire basculer jusqu’à 1,7 milliard de personnes (plus d’un cinquième de l’humanité) dans la pauvreté, le dénuement et la faim ». Les conséquences économiques et sociales seront mondiales et incalculables : paupérisation, misère, faim…

Il en va de même avec les menaces écologiques pour la planète. Les combats qui font rage en Ukraine, pays doté du troisième parc nucléaire d’Europe, dans une région dotée d’une industrie vieillissante, héritage de l’ère « soviétique », présentent des risques énormes de catastrophes écologiques et nucléaires. Mais plus généralement en Europe et dans le monde, si officiellement, la transition énergétique reste la priorité, la nécessité de se défaire des combustibles russes et de répondre à l’envolée des prix de l’énergie poussent les grandes économies à chercher déjà à relancer la production de charbon, de pétrole, de gaz et de l’énergie nucléaire. L’Allemagne, les Pays-Bas ou la France ont déjà annoncé des mesures dans ce sens.

L’imprévisibilité du développement des confrontations, les possibilités de dérapages de celles-ci, qui sont plus fortes que lors de la guerre froide, marquent la phase actuelle de décomposition et constituent une des dimensions particulièrement préoccupantes de cette accélération du militarisme. Plus que jamais, la barbarie guerrière actuelle met en évidence l’actualité pour l’humanité de l’alternative « socialisme ou destruction de l’humanité ». À la place de la mort et de la barbarie capitaliste : le socialisme !

R. Havannais, 4 juillet 2022

 

1) « Rapport à la Conférence de juillet 1945 de la Gauche Communiste de France ».

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Un bilan des réunions publiques sur la Déclaration commune de groupes de la Gauche communiste

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Suite à la publication de la Déclaration commune par des groupes de la Gauche communiste, (1) deux réunions publiques en ligne ont été organisées par ces groupes, l’une en italien et l’autre en anglais, pour discuter et clarifier la nécessité de la Déclaration commune et les tâches des révolutionnaires face à la guerre impérialiste et aux nouvelles conditions mondiales. Les réunions se sont déroulées dans une atmosphère sérieuse et cordiale ; les différences d’opinion n’ont pas empêché la camaraderie ni un débat animé.

L’importance de la Déclaration commune tient au fait qu’elle suit l’esprit de la conférence de Zimmerwald de 1915, où les révolutionnaires ont pu publier une déclaration internationaliste commune face à la Première Guerre mondiale. Dans les années 1930, en revanche, les communistes de gauche italiens et néerlandais se sont opposés à la guerre d’Espagne mais n’ont pas pu publier de déclaration commune. De même, pendant la guerre sino-japonaise, la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée, les communistes internationalistes n’ont pas réussi à publier de déclaration commune. Il est indéniable qu’aujourd’hui, les groupes de la Gauche communiste n’ont pas l’influence que les révolutionnaires avaient en 1915. Cependant, parler d’une même voix est nécessaire, non pas pour les conséquences immédiates, mais pour la perspective des batailles futures. Il n’est pas possible de refléter les discussions des deux sessions dans un court article, mais nous voulons donner un résumé des sujets discutés.

Réunion en langue italienne

Dans la réunion en langue italienne, tous les participants, sans exception, ont analysé la nature de la guerre comme impérialiste et ont souligné la nécessité de défendre l’internationalisme, c’est-à-dire de ne soutenir aucun des camps impérialistes. Rejetant toute illusion pacifiste, ils ont vu la classe ouvrière et la lutte de classe comme la seule force capable de s’opposer à la guerre. Les participants, sans exception, ont souligné l’importance de la Déclaration commune. Les participants estiment que, même si la situation actuelle n’est pas comparable à celle de 1915 et que les révolutionnaires n’ont pas l’influence qu’ils avaient sur la classe ouvrière en 1915, l’esprit de la conférence de Zimmerwald, comme boussole, est encore valable aujourd’hui. La conférence de Zimmerwald est une référence pour les révolutionnaires, à laquelle ils se réfèrent dans leur lutte contre la guerre impérialiste. Un seul participant a déclaré que la référence à la conférence de Zimmerwald n’était pas valable, arguant que les courants qui ont signé la Déclaration commune n’ont pas l’influence de Lénine ou de Luxemburg sur la classe ouvrière. D’autres ont répondu que l’importance d’une Déclaration commune réside dans une prise de position internationaliste commune que les courants de la Gauche communiste n’avaient pas pu exprimer auparavant face à la guerre.

Le fait que d’autres groupes de la Gauche communiste aient refusé de signer la Déclaration commune reflète la faiblesse du milieu politique prolétarien. La majorité des participants ont déploré le refus des autres groupes de la Gauche communiste de se référer à Lénine sur la nécessité d’une réponse commune, malgré les différences théoriques. À Zimmerwald, les participants avaient des différences d’opinion et d’analyse, mais cela ne les a pas empêchés de faire une déclaration commune. La majorité des participants n’étaient pas d’accord avec les raisons invoquées par la Tendance communiste internationaliste (TCI) pour ne pas signer la Déclaration commune. Alors que certains participants ont parlé de poursuivre la discussion avec la TCI pour les encourager à signer la Déclaration commune ou, au moins, à développer une action commune avec eux, d’autres ont souligné que nous devrions éviter d’entrer dans des controverses et passer à autre chose sans prêter attention aux autres. Quoi qu’il en soit, tous les participants à la réunion sont d’accord pour dire que la proposition de No War but the Class War (NWCW) rédigée par la TCI représente un énorme pas en arrière par rapport à leur propre tradition politique, déléguant effectivement à la classe ouvrière les fonctions que les avant-gardes révolutionnaires devraient remplir.

Les participants ont souligné qu’il n’est pas possible de combattre la guerre sans combattre le capitalisme. Après la guerre, l’inflation a augmenté non seulement dans la périphérie du capitalisme, mais aussi dans les centres métropolitains, et donc le coût de la vie pour le prolétariat a augmenté, ce qui signifie que son niveau de vie a diminué. Les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, avec le déclenchement de la guerre impérialiste en cours, ne peuvent que s’aggraver, et peuvent inciter, dans un avenir plus ou moins proche, le prolétariat à riposter aux attaques continues du capital.

Un autre point de la discussion a souligné que la lutte du prolétariat ne peut se développer dans une direction révolutionnaire que si elle est basée sur la continuité historique des positions de la Gauche communiste. Bien sûr, cela ne signifie pas que seuls les groupes de la Gauche communiste peuvent soutenir ces positions, mais que celles-ci doivent servir de point de référence pour montrer la voie à suivre. Il y a eu un accord au cours de la discussion autour de l’idée que c’est la tâche des révolutionnaires de travailler à la construction du futur parti international et internationaliste du prolétariat, sans lequel toutes les luttes éventuelles de la classe ouvrière seront inévitablement vouées à la défaite. Et c’est dans cette perspective que s’inscrit la déclaration contre la guerre impérialiste signée par les différents groupes adhérents.

Réunion en anglais

Lors de la session en anglais (à laquelle les camarades de l’IOD n’ont pas pu participer), comme lors de la session en italien, les participants ont évalué sans équivoque la nature de la guerre comme impérialiste et, rejetant toute illusion pacifique, ils ont vu dans la classe ouvrière et la lutte de classe la seule force capable de contrer la guerre. Lors de la réunion, à l’exception du délégué de la TCI/CWO, (2) les participants ont souligné l’importance de la Déclaration commune. Un participant a déclaré que même s’il n’était pas entièrement d’accord avec la Déclaration commune, il la soutenait néanmoins. Comme lors de la réunion en langue italienne, les participants, à l’exception du délégué de la TCI/CWO ont également fait valoir que, bien que la situation actuelle ne soit pas comparable à celle de 1915 et que les révolutionnaires n’aient pas l’influence qu’ils avaient dans la classe ouvrière en 1915, l’esprit de la Conférence de Zimmerwald doit servir de boussole, toujours valable aujourd’hui, et de référence à laquelle les révolutionnaires se réfèrent dans la lutte contre la guerre impérialiste.

Lors de la réunion, le délégué de la TCI/CWO a eu l’occasion d’exposer les raisons de leur refus de signer la Déclaration commune. Il a exposé ces raisons mais ses arguments non seulement n’ont pas convaincu l’auditoire mais ont également alimenté d’autres discussions. Le représentant de la TCI/CWO a déclaré que le refus de signer la déclaration n’était pas un principe mais que son organisation considérait que les critères pour signer étaient trop étroits. Selon le camarade, ils veulent rassembler ceux qui sont d’accord avec l’initiative de NWCW. En signant la Déclaration commune, la TCI approuverait implicitement le point de vue du CCI sur le parasitisme. Ils travaillent avec Controverses et le Groupe international de la Gauche communiste (GIGC), ce qui n’est pas le cas du CCI ; le CCI a qualifié de parasites des camarades qui luttent depuis des années. Peut-être que la TCI peut les ramener dans la Gauche communiste par le biais du NWCW.

Plusieurs participants qui étaient d’anciens membres du CCI ont rejeté la déclaration du représentant de la TCI/CWO selon laquelle tout militant qui quitte le CCI est étiqueté par celui-ci comme un parasite, affirmant qu’ils n’ont jamais été exclus d’aucune activité et que les camarades du CCI sont toujours très ouverts à la discussion et à la solidarité. Ils ont souligné que le problème du parasitisme est lié à un comportement qui n’est pas prolétarien.

Certains participants sont intervenus pour critiquer l’initiative NWCW, cependant le présidium a demandé aux participants de reporter la discussion sur le NWCW à la prochaine réunion publique. Au cours des discussions, il a été avancé que les internationalistes n’avaient pas pu publier une déclaration commune face à la guerre d’Espagne, la Seconde Guerre mondiale, la guerre de Corée, etc. Aujourd’hui, l’adoption de la Déclaration commune est un coup porté au sectarisme dans le milieu politique prolétarien et un pas en avant. Au début de la réunion, certains camarades qui avaient approuvé la TCI pour avoir refusé de signer la Déclaration commune ont été convaincus par la discussion de la nécessité de cette dernière. Un camarade a déclaré dans les conclusions qu’il pensait que la discussion était constructive, même si les différences entre le CCI et la TCI étaient importantes. Ces différences doivent être davantage articulées et développées dans des discussions communes. Un autre participant a déclaré que, bien qu’il ne soit pas d’accord avec certaines positions de la CWO, il est convaincu que la Gauche communiste ne serait pas en mesure de mener à bien ses tâches historiques sans la participation de groupes tels que les bordiguistes ou la TCI. Selon lui, il est dommage qu’ils n’aient pas compris l’importance de cette action sur la guerre en Ukraine.

L’opinion qui a prévalu lors de la réunion est que, même si seule une minorité de tous les groupes de la Gauche communiste a signé la Déclaration commune, celle-ci deviendra tout de même un point de référence dans la tradition de la Gauche communiste, pour d’autres groupes et militants.

Internationalist Voice

Istituto Onorato Damen

Courant communiste international

(15 juin 2022)

 

 

1) Le Courant communiste international (CCI), Internationalist Voice (IV) et l’Institut Onorato Damen (IOD).

2) Communist Workers Organisation, groupe affilié à la TCI en Grande-Bretagne (NdR).

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Les internationalistes et la guerre en Ukraine

Sur l’histoire des groupes “No War but the Class War”

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En réponse à la meurtrière guerre en Ukraine, le CCI a, de façon répétée, souligné le besoin d’une réponse commune de l’expression la plus cohérente de l’internationalisme prolétarien, la Gauche communiste, afin de créer un pôle de référence clair pour tous ceux qui cherchent à s’opposer à la guerre impérialiste sur une base de classe.

L’appel à une prise de position commune, et le texte qui en est l’émanation, a ainsi été reçu positivement par trois groupes. (1) Les groupes bordiguistes ont plus ou moins ignoré notre appel alors que la Tendance communiste internationaliste (TCI), tout en annonçant être, par principe, favorable à de telles prises de position communes des internationalistes, a rejeté notre appel pour des raisons qui, de notre point de vue, restent peu claires. Des désaccords dans l’analyse ont été mentionnés au départ, suivis par des divergences sur ce qui constitue l’authentique Gauche communiste ainsi qu’un rejet de notre conception du parasitisme semblent venir au premier rang. Nous reprendrons ces arguments à un autre moment ; nous voulons ici nous concentrer sur la proposition alternative de la TCI, qui consiste à pousser à la formation de groupes locaux et nationaux de No War but the Class War (NWCW), qu’elle voit comme le point de départ d’une action internationaliste contre la guerre à une échelle bien plus large qu’une prise de position commune signée par les groupes de la Gauche communiste.

Lorsqu’on examine le texte du premier appel à créer des groupes NWCW en réponse à la guerre en Ukraine, (2) publié par NWCW à Liverpool, on peut dire qu’il est clairement internationaliste, qu’il renvoie les deux camps impérialistes dos à dos, qu’il rejette les illusions pacifistes et insiste sur le fait que la descente du capitalisme décadent aux enfers de la barbarie militariste ne peut être stoppée que par la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière. Nous pensons cependant qu’il existe un élément clairement immédiatiste dans ce texte, dans le paragraphe suivant : « Les actions anti-guerre éparses dont nous avons eu l’écho (manifestations en Russie, actes de désobéissance de soldats en Ukraine, refus des dockers d’expédier des chargements en Grande-Bretagne et en Italie, sabotage des cheminots en Biélorussie) doivent être envisagées dans une perspective ouvrière pour être réellement anti-guerre, de peur qu’elles soient instrumentalisées par un bord ou par l’autre. Un soutien à la Russie ou à l’Ukraine dans ce conflit signifie soutenir la guerre. La seule voie pour les ouvriers pour mettre fin à ce cauchemar est de fraterniser par-delà les frontières et de détruire la machinerie de guerre ».

Cette prise de position démontre correctement que les manifestations isolées contre la guerre peuvent être récupérées par différentes factions bourgeoises ou idéologies. Mais l’impression donnée est que la classe ouvrière, dans la situation présente, que ce soit dans la zone de guerre ou dans les pays capitalistes plus centraux, serait, à court terme, en mesure de développer une perspective révolutionnaire, et d’abattre la machinerie guerrière pour mettre fin à l’actuel conflit. Et derrière cela se trouve une autre ambiguïté : que la formation de groupes NWCW pourrait être une étape de ce saut soudain de l’état actuel de désorientation de la classe ouvrière vers une véritable réaction contre le capital. Si nous examinons l’implication de la Communist workers organisation (CWO), l’organisation affiliée à la TCI en Grande-Bretagne, dans les précédents projets de NWCW, il est clair que de telles illusions existent parmi ces camarades.

Nous publierons bientôt une analyse plus détaillée des perspectives de la lutte de classe dans l’actuelle phase d’accélération de la barbarie, pour expliquer pourquoi nous ne pensons pas qu’un mouvement de masse dans la classe ouvrière directement dirigé contre la guerre soit une possibilité réaliste. La TCI pourrait répondre en disant que l’appel de NWCW a surtout pour but de regrouper toutes les minorités qui défendent des positions internationalistes et pas de déclencher un quelconque mouvement de masse. Mais même à ce niveau, une véritable compréhension de la nature du projet de NWCW est indispensable pour éviter les erreurs de caractère opportuniste, où l’unique élément de cohérence de la Gauche communiste se perd dans un labyrinthe de confusion fortement influencé par l’anarchisme ou même par des idées gauchistes.

Le but du présent article est avant tout d’examiner de façon critique l’histoire du NWCW afin d’en tirer les leçons les plus claires possibles pour notre actuelle intervention. Cette dimension est entièrement absente de la proposition de la TCI.

Lorsqu’en 2018 la CWO a lancé un appel similaire et mené une série de réunions sous la bannière de NWCW avec le Anarchist communist group (ACG) et une ou deux autres formations anarchistes, nous avions expliqué, lors de l’une de ces réunions, pourquoi nous ne pouvions pas accepter leur invitation à « rejoindre » ce groupe. La principale raison était que cette nouvelle formation avait été construite sans aucune tentative de comprendre les leçons essentiellement négatives des précédents efforts de construire des groupes NWCW. L’incapacité à mener l’examen critique de cette expérience s’est répétée lorsque le groupe a tout simplement disparu sans aucune explication publique, ni de la CWO, ni de l’ACG. Concernant l’incursion la plus récente de la TCI dans ce projet, nous avons spécifiquement invité ces camarades à participer à nos dernières réunions publiques sur la guerre en Ukraine et de nous envoyer leur évaluation de l’évolution du projet NWCW jusqu’à aujourd’hui. Malheureusement, les camarades n’ont pas assisté à ces réunions et une opportunité de mener le débat plus avant a été perdue. Néanmoins, nous offrons cet examen du contexte et de l’histoire de NWCW comme notre contribution propre pour faire avancer le débat.

Un bref historique de “No War but the Class War”

L’idée de créer des groupes NWCW a d’abord surgi dans le milieu anarchiste en Angleterre. À notre connaissance, la première tentative de mettre sur pied un tel groupe a eu lieu en réponse à la première Guerre du Golfe en 1991. Mais ce n’est qu’avec la formation de nouveaux groupes NWCW en réponse à la guerre en ex-Yougoslavie et lors des invasions de l’Afghanistan et de l’Irak en 2001 et 2003, que nous avons pu acquérir une expérience directe de la composition et des dynamiques de cette initiative. Notre décision de participer aux réunions organisées par ces groupes, principalement à Londres, était basée sur notre compréhension de la nature « proche du “marais” » de l’anarchisme, qui comprend une série de tendances allant du gauchisme bourgeois pur et simple, à un véritable internationalisme. Pour nous, ces nouveaux groupes NWCW, qui étaient bien entendu extrêmement hétérogènes, contenaient des éléments en recherche d’une alternative prolétarienne aux mobilisations « Stop the War » organisées par la gauche du capital.

Notre intervention au sein de ces groupes était basée sur les objectifs suivants :

– clarifier les principes de l’internationalisme prolétarien et le besoin d’une claire démarcation de la gauche du capital et du pacifisme ;

– se concentrer sur le débat politique et la clarification contre les tendances à l’activisme qui, en pratique, signifiaient se dissoudre dans les manifestations « Stop the War » ;

– malgré les accusations disant que notre approche, qui met en avant la primauté de la discussion politique, serait purement « monastique » et « inactiviste », et que nous ne serions intéressés que par la discussion pour le plaisir de la discussion, nous avons fait plusieurs propositions définies pour l’action, en particulier la possibilité d’appeler à un « meeting internationaliste » à Trafalgar Square à la fin de la grande marche « Stop the War » de novembre 2001, en directe opposition aux discours gauchistes qui se plaçaient sur la plate-forme « Stop the War ». Cette proposition a été partiellement mise en œuvre, non par NWCW en tant que tel, mais par le CCI et la CWO… (3) Nous reviendrons plus loin sur la signification de tout cela.

La CWO s’implique

En 2002, la CWO est alors intervenue dans ce processus, particulièrement à Sheffield où elle joue un rôle central dans la formation d’un nouveau groupe NWCW, l’un de ceux qui prend des positions proches, voire identiques à celles de la Gauche communiste. Dans notre article : « L’intervention des révolutionnaires et la guerre en Irak » dans World revolution n° 264, qui tente de tirer un bilan de notre intervention en direction de NWCW, nous saluons ce fait, mais nous critiquons également la surestimation par la CWO du potentiel du réseau NWCW, en particulier de son groupe à Londres, pour agir en tant que centre organisé de l’opposition prolétarienne à la guerre, la reliant avec quelques petites expressions de lutte de classe qui se font jour concomitamment au mouvement « anti-guerre ». (4) Contre cette idée, notre article montrait clairement que « nous n’avons jamais pensé que NWCW était un signe avant-coureur de la reprise de la lutte de classe ou un mouvement politique de classe clairement identifié que nous devrions “rejoindre”. Il peut au mieux être un point de référence pour une petite minorité qui se poserait des questions sur le militarisme capitaliste et les mensonges pacifistes et élitistes qui l’accompagnent. Et c’est bien pourquoi nous avons défendu ses positions de classe (bien que limitées) contre les attaques réactionnaires des gauchistes du type Workers Power (dans World revolution n° 250) et insisté depuis le début sur l’importance de ce groupe en tant que forum de discussion, et nous avons mis en garde contre les tendances à “l’action directe” et le fait de rapprocher ce groupe des organisations révolutionnaires ».

Pour les mêmes raisons, dans un autre article intitulé : « En défense des groupes de discussion » dans World revolution n° 250, nous expliquions nos divergences avec la CWO sur la question des « intermédiaires » entre la classe et l’organisation révolutionnaire. Nous nous sommes toujours opposés à l’idée développée par le Partito comunista internazionalista (aujourd’hui groupe italien affilié à la TCI) et reprise plus tard par la CWO des « groupes d’usine », définis comme des « instruments du parti » pour gagner en implantation dans la classe et même pour « organiser » ses luttes. Nous pensons qu’il s’agit d’une régression vers la notion de cellules d’entreprises comme base de l’organisation politique, défendue par l’Internationale communiste dans la phase de « bolchevisation », dans les années 1920, et à laquelle la Gauche communiste d’Italie s’est fortement opposée. La récente transformation de cette idée de groupes d’usine en appel à la constitution de groupes territoriaux, puis de groupes anti-guerre, en a changé la forme, mais pas vraiment le contenu. L’idée de la CWO selon laquelle NWCW pourrait devenir un centre organisé de la résistance de classe contre la guerre contient une certaine incompréhension de comment la conscience de classe se développe dans la période de décadence du capitalisme. Évidemment, à côté de l’organisation politique proprement dite, il existe une tendance à la formation de groupes plus informels, lesquels se constituent aussi bien lors des luttes sur le lieu de travail qu’en opposition à la guerre capitaliste, mais de tels groupes, qui n’appartiennent pas à l’organisation politique communiste, restent des expressions d’une minorité qui cherche à se clarifier elle-même et à diffuser cette clarification dans la classe, et ne peuvent se substituer ou prétendre être les organisateurs de mouvements plus larges de la classe, un point sur lequel, à notre avis, la TCI reste ambiguë. (5)

Manœuvres contre la Gauche communiste

Bien qu’il y ait eu un certain nombre de discussions fructueuses lors des premières périodes d’existence des groupes NWCW, il est devenu clair que, en tant qu’expression de l’anarchisme, ces groupes sont soumis à toutes sortes de pressions contradictoires : une réelle recherche de positions et pratiques internationalistes, mais aussi l’influence du gauchisme et de ce que nous appelons : le parasitisme, des groupes essentiellement motivés par la volonté d’isoler, voire de détruire les courants authentiquement révolutionnaires. De tels éléments ont eu un poids grandissant dans les deux phases des regroupements de NWCW. En 1999, le CCI est exclu (bien que par une faible majorité) de la participation au sein du groupe du fait que nous serions léninistes, dogmatiques, que nous dominerions les réunions, etc. ; (6) et les principaux éléments qui ont poussé à notre exclusion n’étaient autres que Juan McIver et « Luther Blisset » qui ont publié deux pamphlets particulièrement calomniateurs dénonçant le CCI comme une secte paranoïaque stalinienne, comme de petits voleurs, etc.

En 2002, nous avons vu une autre série de manœuvres contre la Gauche communiste, cette fois menée par K., un élément proche de « Luther Blisset ». Dans Revolutionary perpectives n° 27, la CWO, elle-même, parle du rôle irresponsable de K. et de son « cercle d’amis » au sein de NWCW, après que K. a fait tout son possible pour exclure à la fois le groupe de Sheffield et le CCI des réunions de NWCW. Cette fois, le mécanisme utilisé n’a pas été un vote « démocratique » comme en 1999, mais une décision prise en coulisses de ne tenir que des réunions fermées dont les lieux et les horaires n’ont plus été communiqués au CCI et au groupe de Sheffield.

Qu’est-ce que cela montre ? Que dans un environnement dominé par l’anarchisme, les groupes de la Gauche communiste doivent soutenir un dur combat contre les tendances destructrices, voire bourgeoises, qui vont inévitablement être présentes et pousseront toujours dans une direction négative. Ce devrait être une réponse élémentaire des groupes de la Gauche communiste de combattre ensemble les manœuvres de ceux qui cherchent à les exclure de la participation à des formations temporaires et hétérogènes produites par les tentatives de combattre l’idéologie dominante. La propre expérience de la CWO en 2002 devrait lui rappeler la réalité de tels dangers. Nous pourrions ajouter que les groupes qui se présentent comme faisant partie de la Gauche communiste mais agissent de la même façon méritent l’appellation de « parasites politiques » et ne devraient pas être laissés libres comme l’air par les groupes de la Gauche communiste.

L’accusation que la vision de l’intervention du CCI au cours de ces épisodes aurait été « monastique » a été portée par la CWO dans son article de Revolutionary perpectives n° 27, en se référant à la manifestation de septembre 2002. Mais avant une grande manifestation qui s’est tenue en novembre 2001, la CWO nous avait écrit pour soutenir notre proposition d’une réunion internationaliste distincte à Trafalgar Square. Lors de la manifestation elle-même, une coopération fructueuse entre les deux groupes a eu lieu. Comme le dit notre article de World revolution n° 264, nous avions surestimé la capacité du groupe NWCW d’organiser une large réunion d’opposition à Trafalgar Square, du fait que la plupart (mais pas tous) de ses participants ont préféré manifester avec un « bloc anticapitaliste » qui ne se distinguait que très peu, voire en rien des organisateurs de « Stop the War ». Mais s’il y a eu une petite réunion à la fin, c’est avant tout à l’initiative du CCI et de la CWO, soutenue par quelques membres de NWCW pour tendre nos mégaphones à ceux qui voulaient défendre une alternative internationaliste aux gauchistes sur la scène principale. Une autre preuve que le meilleur moyen d’aider ceux qui sont en dehors de la Gauche communiste à approcher une position et une pratique clairement internationalistes est que les groupes de la Gauche communiste agissent ensemble.


Revenant sur le projet de l’actuel NWCW, dans un récent article sur une réunion de NWCW à Glasgow, la TCI a affirmé que ce projet rencontre un considérable succès : « le premier groupe s’est formé à Liverpool, il y a quelques semaines et, depuis, son message a été repris par des camarades partout dans le monde, depuis la Corée, la Turquie, le Brésil, la Suède, la Belgique, les Pays-Bas, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Canada, jusqu’aux États-Unis, ainsi que dans d’autres endroits ».

Nous ne pouvons pas évaluer la réelle substance de ces groupes et initiatives. L’impression que nous ont donnée les groupes dont nous connaissons l’existence, c’est qu’il s’agit principalement de “doublons” de la TCI ou de ses affiliés. En ce sens, ils ne peuvent que difficilement constituer une avancée sur les groupes qui sont apparus dans les années 1990 et 2000, lesquels, avec toutes leurs confusions, représentaient au moins un certain mouvement venu d’éléments qui cherchaient une alternative internationaliste au gauchisme et au pacifisme. Mais nous reviendrons sur cette question dans un futur article et nous continuons à appeler la TCI à contribuer à la discussion.

Amos, juillet 2022

 

1 ) Cf. « Déclaration commune de groupes de la Gauche communiste internationale sur la guerre en Ukraine », Révolution internationale n° 493 (avril-Juin 2022). [21]

2 ) « Contre la guerre, Pour la guerre de classe : Un appel pour agir », site de la TCI. [22]

3 ) « Communists work together at “anti-war” demo », World revolution n° 250.

4 ) « Communism against the war drive : intervention or monaticism ? », Revolutionary perspectives n° 27.

5 ) « L’organisation du prolétariat en dehors des périodes de luttes ouvertes (groupes, noyaux, cercles., etc.) », Revue internationale n° 21, (2e trimestre 1980). [23] Voir également : « Factory groups and ICC Intervention », World revolution n° 26.

6 ) « Political parasitism sabotages the discussion », World revolution n° 228.

Récent et en cours: 

  • Guerre en Ukraine [2]
  • No War but the Class War [24]

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [25]
  • Anarchisme & Modernisme [26]

Une dénonciation de la mystification démocratique contre la classe ouvrière

  • 177 lectures

Nous publions ci-dessous un courrier que nous saluons pour sa réaction combative et qui dénonce la démocratie bourgeoise, ses journalistes et politiciens et leurs discours, en particulier ceux des faux amis du prolétariat que sont la gauche, les gauchistes et les syndicats. À l’heure où ces forces politiques tentent de reprendre du poil de la bête, usant de mystifications et d’amalgames pour tromper le prolétariat, en particulier les jeunes générations dont une grande partie boude les urnes, la réflexion du camarade Edgar dénonce justement le terrain politique pourri sur lequel la bourgeoisie tente de mobiliser la jeunesse pour justement la faire revenir dans les isoloirs. Ce courrier est donc un exemple du sens critique à développer face aux campagnes idéologiques.


La bourgeoisie a toujours cherché à entraver les luttes de la classe ouvrière. Quand son avant-garde commence à comprendre la nature de classe du fascisme ou quand le populisme risque de remporter une élection, elle va lancer des campagnes pour la défense de la « démocratie ».

C’est notamment le cas d’organisations étudiantes avec entre autres l’UNEF, Solidaires étudiants ou encore la section jeunesse d’Europe-Écologie-Les-Verts qui ont publié le 21 avril une tribune dans le journal Libération. (1)

Cette dernière revendique un aspect « rebelle » avec un titre pseudo-radical : « La jeunesse emmerde le Rassemblement national ». Derrière cet enrobage punk, la tribune met en avant que « depuis toujours, nos organisations rappellent leur engagement historique pour lutter contre l’extrême droite ». Tout en critiquant la politique gouvernementale et en refusant les programmes des candidats du second tour des présidentielles, elle rappelle que « l’extrême droite n’est jamais du côté de la jeunesse et des classes populaires ». Il semble difficile d’être en désaccord avec ce constat. Mais ce que cette tribune sous-entend, c’est qu’il s’agit d’un aspect spécifique à ce bord politique. Or, les différents gouvernements ont bel et bien contribué à la précarisation de la classe ouvrière (et des futurs ouvriers présent par milliers dans les universités) avec la bénédiction de nombreux signataires. De plus, les discours anti-immigration du RN n’ont rien à envier (excepté peut-être leur subtilité) aux discours de LR sur le « Kärcher » ou des sorties anti-Roms sous le dernier quinquennat du PS, avec le soutien de fractions du centre dans les deux cas. Même LFI peine à cacher son nationalisme en parlant de « protectionnisme » ou de « souverainisme ». « La France aux français » n’est peut-être qu’un vulgaire slogan du RN mais les autres partis ont adopté le même état d’esprit.

Cette fausse radicalité est en fait une façade pour un réformisme éhonté. On appelle à proposer un programme « écologiste », « féministe » et « contre les discriminations ». En instrumentalisant les préoccupations légitimes des jeunes ainsi que leur inexpérience politique, ces organisations maintiennent la possibilité d’un programme pour empêcher l’humanité de sombrer quand elle évoque « des combats sociaux, antiracistes, féministes, LGBTI+ ». Elle prétend qu’il est possible de mettre fin aux discriminations via un programme politique et qu’il ne s’agit pas de la conséquence du pourrissement du capitalisme dont le fervent protecteur est… l’État. Cette tribune est donc un moyen de plus pour ramener les futurs ouvriers sur un terrain où ils seront désarmés : la démocratie. Outre ces illusions, cette tribune met en avant l’idée qu’il y aurait des intérêts communs aux personnes de même sexe, orientation sexuelle ou même d’identités fictives et qu’elles seraient un tremplin pour le progrès de la société. Enfin, ce sont les syndicats et les gauchistes signataires qui ont soutenu les gouvernements de gauche avant de prétendre les « contester ». Doit-on rappeler que c’est avec l’appui du PSU (ancêtre des Verts et du groupuscule Ensemble ! lié à LFI) et des trotskistes (LCR/NPA, et Lutte Ouvrière) que Mitterrand a été élu ? Les dirigeants de ces officines méritent la Légion d’Honneur pour leur service rendu à la nation.

Mais les gauchistes et les syndicats ne sont pas les seuls à répandre le poison anti-fasciste. Il est également utilisée par des fractions plus modérées dans le but de salir l’histoire des mouvements ouvriers. Même lors de la montée du fascisme dans les années 1920, la Gauche communiste italienne a rejeté tout soutien aux partis bourgeois. C’est cette position que dénonce un article publié sur le site web de France culture portant le titre « 1922, quand l’extrême-gauche (sic) italienne regardait Mussolini prendre le pouvoir ». (2) Le chapeau de l’article commence par une référence à un article d’Antonio Gramsci qui aurait « bien vu le fascisme arriver » mais que malgré cela « la gauche italienne est restée divisée ». On voit que cet article assimile les révolutionnaires à l’extrême-gauche et les place donc sur le même axe politique que les social-chauvins du PSI (Parti socialiste italien). Ce qui a différencié la gauche et l’extrême-gauche des véritables révolutionnaires, c’est entre autres la décision de la majorité du PCd’I à refuser de participer aux élections car elle était un obstacle pour la conscience de classe.

L’article indique plus loin que « En France, plus tard, les ligues tenteront le même passage en force, en profitant à leur tour de l’instabilité de la Troisième république pour la déstabiliser pour de bon. Alors, le mouvement ouvrier ripostera. En particulier après ce qui restera comme le sommet des haines anti-parlementaristes dans l’histoire politique française : le 6 février 1934 ». Quelles ont été ces ripostes ? La réponse est donnée un peu plus loin où le journaliste s’extasie devant les « Journées ouvrières » : « En une décennie, depuis le grand divorce entre sociaux-démocrates et communistes, c’est la première fois que la gauche se rassemble ».

Le PCF, désormais dans le camp du capital, embrigade les ouvriers dans l’anti-fascisme conjointement avec la SFIO. La CGT est aussi dans le coup en appelant « à cesser le travail contre le fascisme ». Le même argument utilisé pour le massacre de millions de soldats en 1939, tout en refusant d’accueillir les juifs expulsés d’Allemagne. C’est le sabotage des luttes ouvrières que ce média fait passer pour… des luttes ouvrières.

L’article critique aussi la position de Bordiga énoncée dans les Thèses de Rome où il identifie le PSI comme étant le plus grand danger pour le prolétariat. En réalité, outre de donner du crédit à la maxime « les extrêmes se rejoignent », ce média dénonce le rejet du soutien à n’importe quelle fraction de la classe dominante. Or, le fascisme a pu arriver non pas par manque de fronts unis mais grâce aux actions des sociaux-démocrates (sabotage des grèves italiennes par le PSI, assassinats de révolutionnaires allemands par le SPD, etc.) qui ont désarmé le prolétariat. Ce n’est pas un hasard si Gramsci est mentionné dans cet article. Ce personnage reste très utile pour la bourgeoisie qui n’hésite pas à mettre en avant ses aberrations comme « l’hégémonie culturelle » pour justifier les luttes parcellaires qui possèdent un certain prestige chez les intellectuels.

Ces deux articles nous montrent que les médias, peu importe leur bord, cherchent à pourrir la conscience de la classe ouvrière. Il est aisé de voir que cette propagande permet de maintenir l’illusion d’une « union de la gauche » – vendue par le saltimbanque Mélenchon avec sa NUPES – bénéfique aux travailleurs. Il est de notre devoir en tant que révolutionnaires de rappeler ces leçons. L’Homme n’évitera pas de sombrer dans la barbarie en luttant contre « l’extrême droite », Son seul avenir se forgera dans la lutte de classe.

Edgar

1) « La jeunesse emmerde le Rassemblement National », Libération (20 avril 2022).

2) « Quand l’extrême-gauche italienne regardait Mussolini prendre le pouvoir », France culture (21 avril 2022).

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [27]

Questions théoriques: 

  • Démocratie [28]

Rubrique: 

Courrier des lecteurs

Déclaration du KRAS-AIT: Contre les attaques nationalistes, solidarité internationaliste!

  • 76 lectures

En mars 2022, nous avons publié une première déclaration sur la guerre en Ukraine du groupe anarcho-syndicaliste KRAS en Russie, une expression courageuse de l’internationalisme opposé aux deux camps de cette guerre impérialiste. (1) Nous avons également publié un article sur l’incohérence de la réponse anarchiste à la guerre, qui comprend de véritables positions internationalistes comme celles du KRAS, mais aussi des déclarations ouvertement bourgeoises en faveur de la défense militaire de l’Ukraine, et même une participation directe à l’effort de guerre ukrainien par des « milices » anarchistes. (2) Le groupe Black Flag en Ukraine, par exemple, a créé son propre peloton au sein des forces de défense territoriale mises en place par l’État ukrainien. Et tout en parlant d’anarcho-communisme dans le futur, il ne peut cacher son soutien à la nation en ce moment : « merci pour le soutien et pour la lutte pour la liberté dans certains bataillons ukrainiens. La vérité gagne, donc l’Ukraine gagnera ». (3) Et en Russie même, il y a des anarchistes comme le groupe Anarchist Fighter qui prétend être contre le régime de Poutine et appelle même à la défaite de l’impérialisme russe dans cette guerre, mais qui affirme aussi que « Quant à l’Ukraine, sa victoire ouvrira aussi la voie au renforcement de la démocratie de base – après tout, si elle est atteinte, ce ne sera que par l’auto-organisation populaire, l’entraide et la résistance collective ». (4) Il s’agit d’une déformation éhontée du slogan du « défaitisme révolutionnaire » lancé par Lénine pendant la Première Guerre mondiale : lorsque Lénine insistait sur la nécessité de la lutte de classe contre le régime tsariste, même si cela signifiait la défaite militaire de la Russie, cela ne signifiait jamais qu’il fallait soutenir le camp adverse dirigé par l’impérialisme allemand. Alors que le soutien à la victoire ukrainienne proposé par ces anarchistes ne peut signifier que le soutien à la machine de guerre de l’OTAN.

La présente déclaration du KRAS montre clairement que les défensistes sont entièrement du côté de l’ordre capitaliste. Dans ce cas, certains d’entre eux ont non seulement calomnié les camarades du KRAS en les qualifiant de laquais de Poutine pour leur opposition au nationalisme ukrainien, mais en publiant leur nom et leur adresse, ils les ont directement exposés à la répression des forces de sécurité russes. Nous publions cette nouvelle déclaration du KRAS comme une déclaration élémentaire de solidarité avec ces camarades.

CCI


Des “anarchistes” qui oublient les principes

La section de l’Association internationale des travailleurs de la région de Russie appelle au boycott des provocateurs et des délateurs qui se cachent derrière le nom d’« anarchistes » et dénoncent les militants de notre organisation.

Notre position contre la guerre menée par les oligarchies capitalistes pour le repartage de « l’espace post-soviétique » rencontre la compréhension et le soutien des internationalistes anarchistes d’Ukraine, de Moldavie et de Lituanie, avec lesquels nous entretenons des contacts.

Mais dès le début de la guerre russo-ukrainienne, les soi-disant « anarchistes », qui ont abandonné la position anarchiste internationaliste traditionnelle de la défaite de tous les États et nations et qui soutiennent l’une des parties belligérantes, ont lancé une campagne de diffamation contre notre organisation.

Par exemple, les anciens anarchistes Anatoly Dubovik et Oleksandr Kolchenko vivant en Ukraine ont publié les noms et adresses de nos militants sur l’Internet ouvert. Le premier a écrit le texte correspondant, et le second lui a donné son compte Facebook pour la publication et l’a approuvé. Le prétexte était que notre organisation adopte une position internationaliste cohérente et condamne tant l’invasion russe de l’Ukraine que le nationalisme ukrainien et la politique expansionniste du bloc de l’OTAN.

MM. Dubovik et Kolchenko ont tenté sans vergogne et impudemment de calomnier notre section de l’AIT, en essayant sans raison de nous attribuer une position de défense du Kremlin. En outre, ils admettent que nous appelons les soldats ukrainiens et russes à refuser de se battre.

Cela signifie que ces faux anarchistes, en publiant les adresses de militants anti-guerre situés en Russie, incitent directement les services secrets et les voyous nationalistes russes contre eux, en tant qu’opposants à la guerre, afin de s’occuper d’eux ! Dans le contexte actuel de harcèlement, de licenciements, de menaces et de représailles physiques à l’encontre des personnes hostiles à l’armée en Russie, de telles actions équivalent à une véritable dénonciation et indiquent directement vers qui les forces répressives doivent se tourner.

Une fois de plus, les nationalistes des deux côtés de la ligne de front, suivant la logique du « qui n’est pas avec nous est contre nous », sont prêts à détruire conjointement leurs principaux adversaires, les internationalistes qui refusent de faire un choix entre les États en guerre et les cliques bourgeoises, entre la peste et le choléra.

Les anarchistes du monde entier devraient être conscients des actes honteux des provocateurs-informateurs et refuser une fois pour toutes d’avoir quoi que ce soit à faire avec eux, les jeter à jamais hors du milieu anarchiste et les renvoyer à leurs patrons et maîtres des services secrets et de la police secrète !

Cette déclaration a été approuvée par les membres du KRAS-AIT lors d’un référendum.

KRAS-AIT, 8 juin 2022

 

1 ) « Une déclaration internationaliste en Russie », sur le site internet du CCI (mars 2022). [29]

2 ) « Les anarchistes et la guerre : Entre internationalisme et “défense de la nation” », en page 8 de ce numéro.

3 ) « Ukrainian anarchists take part in relief to population of the massacred Kyiv suburbs [30] », Libcom.org.

4 ) « Russian Anarchists on the Invasion of Ukraine [31] ».

Récent et en cours: 

  • Guerre en Ukraine [2]
  • KRAS [32]

Rubrique: 

Guerre en Ukraine

Les anarchistes et la guerre: Entre internationalisme et “défense de la nation”

  • 298 lectures

La diversité de la réponse des organisations anarchistes au massacre impérialiste en Ukraine était assez prévisible. Dès sa naissance, l’anarchisme était marqué par une profonde révolte contre l’exploitation capitaliste, par une véritable résistance au processus de prolétarisation dans l’artisanat. Par la suite, en laissant de côté son rôle au sein de la petite bourgeoisie radicale, l’anarchisme a eu une influence sur une partie du prolétariat, apportant avec lui une vision qui tendait à osciller en permanence entre la bourgeoisie et le prolétariat.

De ce fait, l’anarchisme a toujours été divisé en toute une série de tendances, allant de ceux qui sont devenus une partie de l’aile gauche du capital, comme ceux qui ont rejoint le gouvernement républicain pendant la guerre de 1936-39 en Espagne, à ceux qui ont clairement défendu des positions internationalistes contre la guerre impérialiste, comme Emma Goldman pendant la Première Guerre mondiale. En ce qui concerne la guerre en Ukraine, la réponse de l’anarchisme est extrêmement dispersée : elle va des va-t-en-guerre affichés aux défenseurs de la solidarité internationale et de l’action unie contre la guerre. Aux moments cruciaux de l’histoire, comme peuvent l’être les révolutions et les guerres impérialistes, les éléments authentiquement prolétariens se démarquent des suppôts du capital entraînés dans l’Union sacrée et le nationalisme. Seuls les éléments prolétariens de l’anarchisme sont capables d’adopter une ligne internationaliste et doivent être soutenus. En tant que communistes de Gauche, nous dénonçons donc clairement les positions gauchistes ou bourgeoises, mises en avant par divers anarchistes, mais en même temps nous soutenons les tentatives de groupes tels que le KRAS en Russie (1) (dont nous avons déjà publié la déclaration dans ce numéro), Anarcho-syndicalist initiative (ASI) en Serbie (2) et l’Anarchist communist group (ACG) en Grande-Bretagne (3) pour intervenir dans la situation avec une position internationaliste claire.

Entre internationalisme…

L’ACG a adopté une position fondamentalement internationaliste dès le début de la guerre. (4) En même temps, cette déclaration contient un certain nombre de revendications confuses, telles que le « démantèlement de l’OTAN », et « l’occupation massive des propriétés des oligarques russes en Grande-Bretagne et leur conversion immédiate en logements sociaux ». Qu’en est-il des propriétés des oligarques ukrainiens ? On peut rencontrer la même vision immédiatiste dans la déclaration du groupe ASI de Belgrade qui, malgré une certaine clarté sur la nature de ce que signifie la « paix » dans le capitalisme, déclare : « Transformons les guerres capitalistes en une révolution ouvrière ! ». Cet appel à l’action révolutionnaire est totalement irréaliste étant donné le faible niveau de la lutte des classe aujourd’hui. Mais ces confusions n’effacent pas les fondements internationalistes des réponses de ces groupes à la guerre.

Une déclaration internationaliste commune avait déjà été publiée, signée par 17 groupes autour de la Coordination Anarkismo, le 25 février, dont l’ACG. Elle affirme clairement que « … notre devoir révolutionnaire et de classe nous dicte l’organisation et le renforcement du mouvement internationaliste, anti-guerre et anti-impérialiste de la classe ouvrière. La logique d’un impérialisme plus agressif ou plus progressiste est une logique qui mène à la défaite de la classe ouvrière. Il ne peut y avoir de voie impérialiste favorable au peuple. Les intérêts de la classe ouvrière ne peuvent pas être identifiés avec ceux des capitalistes et des puissances impérialistes ». (5) Sur le site de l’ACG, on trouve également une forte dénonciation des groupes et publications anarchistes défendant le nationalisme, comme le groupe Freedom à Londres. (6)

… et positions ouvertement bourgeoises

Mais les déclarations des différents courants anarchistes doivent être lues avec attention et de manière critique. Par exemple, la section francophone de la Fédération anarchiste internationale, dans un tract publié le 24  février, proclame : « Nous appelons également, dans le monde entier, à lutter contre le capitalisme, le nationalisme, l’impérialisme ainsi que l’armée […] qui nous poussent toujours vers de nouvelles guerres ». (7)

Au même moment, dans la même Fédération anarchiste internationale, nous pouvons voir un appel ouvert à la participation à la guerre : un appel de soutien aux Comités de Résistance en Ukraine, luttant pour la « libération » du pays. Différents groupes anarchistes en uniforme et armés sont présentés comme des « combattants de la liberté », souvent en référence à l’Armée noire de Makhno pendant la guerre civile en Russie. Il y a donc clairement un très large éventail de positions dans le milieu anarchiste d’aujourd’hui qui va des appels à l’internationalisme à un appel à la participation à ce conflit qui s’intensifie, en tant qu’adjoints de l’armée ukrainienne sous la bannière des Comités de résistance. (8) De même, des anarchistes biélorusses vivant en Ukraine rejoignent les forces de l’État ukrainien.

Un autre exemple, relevant à l’évidence d’une position complètement bourgeoise, est donné par la déclaration des anarchistes russes du groupe Anarchist fighter : « ce qui se passe actuellement en Ukraine va au-delà de cette simple formule, et du principe selon lequel tout anarchiste doit se battre pour la défaite de son pays en guerre ». (souligné par nous). Ils affirment également que « la défaite de la Russie, dans la situation actuelle, augmentera la probabilité que les gens se réveillent, de la même manière que cela s’est produit en 1905 [lorsque la défaite militaire de la Russie face au Japon a conduit à un soulèvement en Russie], ou en 1917 [lorsque les difficultés de la Russie dans la Première Guerre mondiale ont conduit à la Révolution russe] en ouvrant les yeux sur ce qui se passe dans le pays… Quant à l’Ukraine, sa victoire ouvrira également la voie au renforcement de la démocratie de base. Après tout, si elle se réalise, ce ne sera que par l’auto-organisation populaire, l’entraide et la résistance collective. Ce sont là les réponses aux défis que la guerre lance à la société ». (9)

Pendant la guerre de 1914-18 et par la suite, les internationalistes authentiques comme Lénine ont utilisé le terme de « défaitisme révolutionnaire » pour insister sur le fait que la lutte de classe devait se poursuivre même si cela signifiait la défaite militaire de son « propre » pays, mais cela allait de pair avec une dénonciation claire des deux camps rivaux. Dans les mains de l’aile gauche du capital, qu’elle s’appelle « léniniste » ou anarchiste, l’appel à la défaite d’un pays va de pair avec le soutien à son rival impérialiste, comme c’est manifestement le cas avec le groupe des Combattants anarchistes. Cela n’a absolument rien à voir avec l’internationalisme prolétarien.

Des secteurs significatifs de l’anarchisme et de l’anarcho-syndicalisme, tout en se référant à leur forte tradition antimilitariste, ont une fois de plus exprimé leur soutien à la guerre nationaliste – tout comme ils l’ont fait, avec la social-démocratie, au début de la Première Guerre mondiale. Mais la différence était que, tandis que les sociaux-démocrates trahissaient leurs principes internationalistes, les anarchistes suivaient une certaine logique, comme nous l’avons souligné dans notre article sur « L’anarchisme et la guerre impérialiste » en 2009 : « le ralliement à la guerre impérialiste et à la bourgeoisie de la plupart des dirigeants anarchistes internationaux lors de la Première Guerre mondiale ne constitue pas un faux pas mais l’aboutissement logique de leur anarchisme, conformément à leurs positions politiques essentielles.

Ainsi, en 1914, c’est au nom de l’anti-autoritarisme, parce qu’il est inadmissible “qu’un pays soit violenté par un autre” que Kropotkine justifie sa position chauvine en faveur de la France. En fondant leur internationalisme sur “l’autodétermination” et “le droit absolu à tout individu, toute association, toute commune, toute province, toute région, toute nation de disposer d’eux-mêmes, de s’associer ou de ne point s’associer, de s’allier avec qui ils voudront et de rompre leurs alliances”  (D. Guérin, l’Anarchisme) les anarchistes épousent les divisions que le capitalisme impose au prolétariat. Au fond, cette position chauvine prend racine dans le fédéralisme qui se trouve à la base même de toute la conception anarchiste. En admettant la nation comme un “phénomène naturel”, “le droit de toute nation à l’existence et au libre développement”, l’anarchisme, jugeant que le seul danger dans “l’existence des nations c’est leur propension à céder au nationalisme instillé par la classe dominante pour séparer les peuples les uns des autres”, est naturellement amené, dans toute guerre impérialiste, à opérer une distinction entre “agresseurs/agressés” ou “oppresseurs/opprimés”, etc., et donc à opter pour la défense du plus faible, du droit bafoué, etc. Cette tentative de baser le refus de la guerre sur autre chose que les positions de classe du prolétariat laisse toute latitude pour justifier le soutien en faveur de l’un ou de l’autre belligérant, c’est-à-dire, concrètement, à choisir un camp impérialiste contre un autre ». (10)

Aujourd’hui, la « famille » anarchiste est déchirée par la contradiction fondamentale entre internationalisme et soutien à la guerre impérialiste. Aujourd’hui, plus que jamais, la Gauche communiste doit assumer ses responsabilités et agir comme un pôle de référence et de clarté face à toute cette confusion. Pour la Gauche communiste, qui s’inscrit dans la tradition marxiste, l’internationalisme prolétarien ne repose pas sur des idéaux abstraits tels que la liberté des individus, des régions ou des nations, mais sur les conditions réelles de l’existence prolétarienne : « L’internationalisme est fondé sur les conditions universelles qui lui sont imposées par le capitalisme au niveau mondial c’est-à-dire l’exploitation la pire possible de sa force de travail, dans tous les pays et sur tous les continents. Et c’est au nom de cet internationalisme qu’est née, du mouvement ouvrier lui-même, la Première Internationale. L’internationalisme a pour point de référence que les conditions de l’émancipation du prolétariat sont internationales : par-delà les frontières et les fronts militaires, les “races” et les cultures, le prolétariat trouve son unité dans la lutte commune contre ses conditions d’exploitation et dans la communauté d’intérêt pour l’abolition du salariat et pour le communisme ». (11)

Edvin

 

1) Groupe affilié à l’Association internationale des travailleurs (AIT, anarcho-syndicaliste).

2) « Let’s turn capitalist wars into a workers’ revolution ! » sur le site de l’AIT.

3) « Take the side of the working class, not competing imperialist states ! », sur le site de l’ACG.

4) « Prenez le parti de la classe ouvrière, pas des intérêts impérialistes concurrents », sur le site de l’ACG (27 février 2022).

5) « Ukraine : international statement [33] ».

6) « Identity, nationalism and xenophobia at Freedom », sur le site de l’ACG. [34]

7) « Face à l’invasion russe, solidarité internationale ! Stop à la guerre ! ». La suite de cet appel n’est qu’une contorsion hypocrite naviguant entre pacifisme et défense de l’Ukraine

8) « Ukrainian Anarchists Mobilize for Armed Defense, Draw Solidarity from Abroad as Russia Invades [35] », sur le site Militant wire.

9) « Russian Anarchists on the Invasion of Ukraine [31] »

10) « Les anarchistes et la guerre (1ère partie), Révolution internationale n°  402 (juin 2009). [36]

11) Idem. [36]

 

Récent et en cours: 

  • Guerre en Ukraine [2]

Courants politiques: 

  • L'anarchisme Internationaliste [37]
  • Anarchisme officiel [38]

Rubrique: 

Guerre en Ukraine

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